compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
1
PROCÈS-VERBAL
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons prévu l'organisation d'un scrutin, au cours de la séance du 31 juillet, en début d'après-midi, pour l'élection d'un membre suppléant de la délégation française aux assemblées parlementaires du Conseil de l'Europe et de l'Union de l'Europe occidentale, en remplacement de Daniel Goulet.
Comme la conférence des présidents en avait envisagé l'éventualité, nous pourrions procéder en même temps au remplacement dans ladite délégation de M. Jean-Marie Bockel dont le mandat de sénateur a cessé le 19 juillet dernier.
Le scrutin qui se déroulera salle des conférences permettra donc d'élire deux membres suppléants dans cette délégation.
En outre, pour le mercredi 1er août, est prévu l'examen de treize conventions internationales.
La conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée pour dix d'entre-elles. La commission des affaires étrangères propose d'étendre cette procédure à l'ensemble des conventions inscrites ce jour-là.
Il n'y a pas d'opposition ?...
La procédure simplifiée sera mise en oeuvre, sauf si un groupe politique demandait, avant le lundi 30 juillet, le retour à la procédure habituelle.
3
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
Mme la présidente. Monsieur le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2006-1615 du 18 décembre 2006 ratifiant l'ordonnance n° 2006-1048 du 25 août 2006 relative aux sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.
4
Candidature à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission nationale pour l'éducation, la science et la culture.
La commission des affaires culturelles a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Pierre Martin pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
5
Lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. (n°410)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l'issue de la commission mixte paritaire, sénateurs et députés se sont accordés sur un texte qui tient compte des préoccupations des deux assemblées.
Notre assemblée avait amendé le projet de loi sur quatre points principaux.
L'Assemblée nationale a approuvé deux de ces modifications.
Ainsi, le Sénat avait donné au juge de l'application des peines la faculté de s'opposer à la suppression, motivée par un refus de soin, d'une réduction de peine supplémentaire pour une personne incarcérée. Les députés ont approuvé cette possibilité.
Le Sénat, sur l'initiative de notre collègue Robert Badinter et des membres du groupe socialiste, avait également prévu que seules des sanctions pénales, à l'exclusion des mesures éducatives, pouvaient être prises en compte pour l'établissement de l'état de récidive des mineurs, conformément à la doctrine en la matière. Les députés ont préservé cette disposition sous réserve de quelques adaptations formelles.
Le Sénat avait aussi fixé pour obligation au président de la juridiction d'avertir la personne condamnée pour une première infraction de l'aggravation de la peine encourue en cas de récidive.
Les députés, tout en approuvant le principe de cette information, ont préféré en faire une possibilité et non une obligation en faisant valoir qu'une systématisation n'était pas adaptée en toutes circonstances, par exemple dans les cas où la cour d'assises prononce des peines comme la réclusion criminelle à perpétuité avec trente ans de période de sûreté.
En commission mixte paritaire, nous nous sommes accordés sur le caractère facultatif de cet avertissement. Cependant, la formulation retenue par nos collègues députés laissait le juge entièrement libre de l'opportunité de décider ou non d'avertir le condamné au risque de créer une rupture d'égalité du justiciable devant la loi.
Nous avons donc demandé et obtenu que les critères d'appréciation du juge soient précisés au regard des éléments de personnalisation de la peine, à savoir les circonstances de l'infraction et la personnalité de l'auteur.
Enfin, les députés ont supprimé l'article additionnel introduit par le Sénat afin de prévoir l'obligation pour le procureur de la République de prescrire une enquête de personnalité avant de prendre une réquisition visant à retenir la circonstance aggravante de récidive.
Lors de la discussion en commission mixte paritaire, nous avons pris acte du fait que cette mesure était pour une large part satisfaite par le droit en vigueur et n'était pas indispensable en matière criminelle puisqu'il est difficile de concevoir une instruction sans investigations sur la personnalité de l'auteur.
Il reste cependant, madame la ministre, des cas en matière correctionnelle où l'enquête de personnalité n'est pas obligatoire. Dans ces hypothèses, il nous apparaît souhaitable, pour ne pas dire nécessaire, que le procureur de la République prescrive une enquête de personnalité avant de requérir l'application des dispositions relatives aux peines minimales.
Nous souhaitons donc que des instructions claires soient données au parquet dans ce sens. Pourriez-vous, madame la ministre, nous donner des assurances sur ce point ?
M. Jean-Pierre Sueur. C'est télécommandé !
M. François Zocchetto, rapporteur. Les textes existants prévoient, je le rappelle, des enquêtes de personnalité notamment en cas de comparution immédiate, de comparution d'un mineur, de comparution, dans toute une série de circonstances, d'un jeune majeur de moins de vingt et un an ou encore de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Or l'expérience montre que, dans un pourcentage significatif de cas, l'enquête de personnalité qui devrait être effectuée n'est, hélas ! pas toujours réalisée ou, du moins, pas correctement réalisée.
Dans quelque temps, nous pourrons juger des pratiques suivies par le ministère public. S'il apparaît que les enquêtes de personnalité ne sont pas prescrites alors même que la loi les prévoit, il faudra sans doute envisager une modification du code de procédure pénale afin de prévoir que cette enquête soit de droit si le prévenu le demande, ce qui pourrait constituer une solution de compromis utile pour une bonne administration de la justice.
Bien que la disposition relative à l'enquête de personnalité n'ait pas été retenue par la commission mixte paritaire, la loi portera néanmoins principalement la marque de notre assemblée - hors, évidemment, celle du Gouvernement - et cela demeure pour nous un sujet de satisfaction, car nous sommes persuadés que ce texte sera un instrument efficace de lutte contre la récidive. (M. Robert Badinter s'exclame.)
Cependant, vous le savez, madame la ministre, la loi, ne serait-ce que parce qu'elle a un aspect dissuasif, en particulier pour les mineurs multirécidivistes,...
Mme Éliane Assassi. Ce n'est pas sérieux !
M. Robert Bret. Nous ne sommes pas du tout convaincus !
M. François Zocchetto, rapporteur. ... doit prendre place dans un ensemble d'actions qui associent prévention et répression. À ce titre, je souhaite attirer de nouveau votre attention sur deux points.
D'abord, j'insiste sur la nécessité de favoriser l'exécution effective des décisions de justice, car cela constitue le meilleur moyen de lutter contre le sentiment d'impunité. Or, nous devons à regret constater que près de 40 % des condamnations à des courtes peines de prison ou même à des mesures alternatives ne sont pas suivies d'effets faute de moyens dans les greffes.
Nous souhaitons ensuite insister sur l'indispensable mobilisation des moyens humains et matériels nécessaires pour encourager l'insertion ou la réinsertion des condamnés. Je veux viser ici les problèmes que rencontrent les juges de l'application des peines, les greffes, les conseillers d'insertion et de probation, les services de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que les associations qui travaillent avec tous ces acteurs de la justice.
Au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voilà au terme de la procédure parlementaire concernant le premier projet de loi que j'ai eu l'honneur de vous présenter.
C'est un texte à l'image du quinquennat qui s'ouvre. C'est un texte qui répond clairement à un problème : celui de la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
Il répond à une forte attente des Français, exaspérés de l'insécurité.
M. Robert Bret. Vous allez tout régler !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il répond à une légitime attente des victimes et de leurs familles, dont nous entendons chaque jour le voeu le plus cher : « Plus jamais cela ! »
Elles ne veulent plus que des délinquants multirécidivistes commettent à nouveau des faits aussi graves que des viols en réunion, des homicides ou des vols avec violence.
C'est aussi un texte qui tient parole. Le Président de la République s'était engagé à instaurer des peines minimales. Le Gouvernement vous a proposé de les instituer. Dès cet été, elles seront inscrites dans notre droit.
C'est enfin un texte qui reflète notre conception de la justice : une justice à la fois ferme et sereine, claire et équilibrée.
La justice est ferme lorsqu'elle apporte des outils adaptés pour répondre clairement à une délinquance grave et répétitive.
La justice est sereine quand elle donne aux magistrats un outil adapté et gradué pour sanctionner la récidive, quand elle leur permet de prononcer les injonctions de soins indispensables au traitement des délinquants sexuels.
La justice est claire quand elle avertit les personnes déjà condamnées : elles sauront maintenant ce qu'elles encourent réellement si elles recommencent.
Enfin, la justice est équilibrée quand elle maintient, en toutes circonstances, le pouvoir d'appréciation des juges, en particulier au regard des garanties d'insertion ou de réinsertion que présente le prévenu.
J'en suis convaincue, ces qualités fondent la légitimité de la justice. C'est grâce à elles que nous restaurerons la confiance entre les Français et la justice.
Le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs constitue une première illustration de cette ambition.
C'est pourquoi je me réjouis du texte qui résulte des travaux parlementaires.
Je tiens à remercier, au nom du Gouvernement, la commission des lois ainsi que la commission mixte paritaire pour le sérieux et la rapidité de leur travail.
M. Jean-Pierre Sueur. Rapidité, le mot est juste !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je voudrais tout spécialement rendre hommage aux qualités humaines et juridiques de son président, Jean-Jacques Hyest, et de son rapporteur, M. François Zocchetto : nous avons, je crois, travaillé dans un bel esprit d'échange et de coopération.
Je veux, enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, souligner la grande qualité et la haute tenue de vos débats : le texte qui est soumis à votre vote aujourd'hui porte l'empreinte de vos propositions qui l'ont indéniablement enrichi et amélioré, qui émanent de toutes les travées de la Haute Assemblée et qui ont, pour certaines d'entre elles, recueilli l'unanimité de tous les groupes !
M. Jean-Pierre Sueur. Presque tous !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je pense, notamment, à la précision que vous avez apportée à l'article 3 : seules les sanctions pénales permettent de retenir une récidive. Les mesures ou sanctions éducatives prononcées à l'encontre de mineurs ne seront pas prises en compte pour la récidive.
Conformément aux conclusions de la commission mixte paritaire, cette disposition sera placée dans l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante plutôt que dans le code pénal. Cela me paraît parfaitement adapté.
Je pense également à l'article 2 ter, inséré sur l'initiative du Sénat. Le texte retenu par la commission mixte paritaire me paraît parfaitement concilier l'objectif de pédagogie et de dissuasion que vous recherchiez, tout en assurant une meilleure individualisation à chaque cas d'espèce.
C'est donc très volontiers que je me rallie à la position de compromis qui a été adoptée et qui va dans le bon sens.
Quant à l'enquête sociale rapide systématique, que vous aviez introduite à l'article 2 bis, la commission mixte paritaire a préféré suivre l'avis de l'Assemblée nationale, qui a supprimé cette disposition.
Cette enquête, rappelons-le, est déjà obligatoire dans de nombreuses hypothèses, ainsi que vous l'avez rappelé à la tribune, monsieur le rapporteur. Elle est également toujours possible, si les magistrats du parquet ou de siège le souhaitent. Il n'est donc pas apparu utile d'alourdir le formalisme de la procédure pénale.
Mais j'ai bien entendu votre souhait, monsieur le rapporteur : je rappellerai aux parquets la nécessité de recourir à l'enquête de personnalité et, plus largement, à la nécessité de favoriser l'exécution des peines, en encourageant les aménagements de peines et les alternatives à l'incarcération. J'ai d'ailleurs donné des instructions dès le 27 juin dernier à toutes les juridictions pour qu'elles aillent dans ce sens.
M. Jean-Pierre Sueur. Si l'enquête est nécessaire, pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant des nouvelles technologies, comme l'a fait remarquer M. le rapporteur, elles sont extrêmement importantes, en ce qu'elles permettent d'accéder à une meilleure qualité de la justice. À compter du 1er janvier 2008, toutes les juridictions seront équipées d'outils de numérisation et de dématérialisation des procédures.
À l'issue de ce travail parlementaire, nous disposerons d'une loi cohérente et équilibrée, qui répondra, j'en suis persuadée, à la volonté d'une justice ferme, claire et sereine.
Cette ambition pour la justice, je la porte aujourd'hui avec ce texte sur la récidive. Je la porterai à nouveau devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les tout prochains jours, grâce au projet de loi instituant un contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Je la défendrai plus encore à travers d'autres projets que je vous présenterai à la rentrée.
Ensemble, nous oeuvrerons pour que les Français retrouvent confiance en la justice ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Dominique Braye. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la procédure d'examen du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui a été adopté en un temps record, l'urgence ayant été déclarée, et qui n'a quasiment pas évolué par rapport au texte initial.
Le Président de la République ayant promis, durant la campagne électorale, qu'il ferait adopter un texte rapidement, instaurant des peines automatiques et supprimant « l'excuse de minorité » pour les mineurs de seize à dix-huit ans, le Parlement n'avait donc d'autre choix que de graver dans le marbre législatif la parole présidentielle, avec l'obligation de ne pas y déroger.
Tout s'est passé comme si, en matière de récidive, rien n'avait existé ou n'avait été prévu dans de précédentes lois. J'ai, pour ma part, eu l'impression que la mission d'information de juillet 2004 n'a jamais existé, que la loi du 12 décembre 2005 n'a jamais été adoptée. Quant à la loi de juin 1998 instaurant un suivi socio-judiciaire, elle relève du mythe : notre esprit sait qu'elle a été adoptée, mais la réalité montre que rien n'a été fait pour la rendre opérante.
Ce qui était valable hier ne l'est plus aujourd'hui. J'en veux pour preuve le fait que les parlementaires, notamment ceux de la majorité, acceptent aujourd'hui un texte sur les peines planchers alors qu'ils en ont toujours refusé le principe durant la précédente législature.
La contradiction est flagrante lorsqu'on se replonge dans le rapport de la mission d'information de juillet 2004 sur le traitement de la récidive des infractions pénales.
Cette mission d'information, à l'instar de M. Zocchetto, dans son rapport sur la proposition de loi de 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, concluait, à propos d'un éventuel retour des peines planchers dans notre code pénal : « On perçoit mal l'intérêt pratique et juridique qu'il y aurait à proposer le rétablissement d'un mécanisme supprimé il y a plus de douze ans précisément parce que le recours particulièrement fréquent des magistrats aux ?circonstances atténuantes? avait tendance à priver d'effet les peines planchers ».
Par ailleurs, le code pénal n'est pas muet s'agissant de la lutte contre la récidive, notamment, en matière de répression des récidivistes.
C'est ainsi que la loi du 12 décembre 2005, pour ne citer qu'elle, renforce déjà les sanctions à l'encontre des récidivistes, majeurs et mineurs.
Aucun élément objectif ne vient justifier ce nouveau projet de loi : nous ne disposons pas de chiffres nouveaux sur la récidive depuis 2005 et nous ne connaissons pas encore les effets de l'application de la loi de décembre 2005. Comment, dès lors, expliquer son examen par le Parlement dès ce mois de juillet ?
Il est évident que cette nouvelle loi pénale - la huitième depuis 2002 ! - a uniquement pour objet de répondre à une promesse électorale.
Le Président de la République avait fait de l'instauration des peines planchers et du durcissement de la réponse judiciaire envers les mineurs l'une des promesses phares de sa campagne électorale : ce n'est donc pas un hasard si le premier texte à être examiné est celui-ci.
Même si, pour d'évidentes raisons constitutionnelles, le projet de loi n'instaure ni peines automatiques ni remise en cause de l'atténuation de responsabilité pénale, il n'en reste pas moins dangereux pour notre ordre judiciaire et pour l'avenir des mineurs délinquants.
Ce texte est dangereux pour plusieurs raisons : il entretient le climat de suspicion à l'encontre des juges ; il remet en cause les principes fondamentaux de notre ordre judiciaire et notre Constitution ; il met en péril la prise en charge sociale et éducative des mineurs en difficulté et délinquants.
Le Gouvernement, comme vous l'avez dit, madame le garde des sceaux, souhaite envoyer un message clair tant aux délinquants qu'aux magistrats.
Aux premiers, il est dit que, désormais, à la première récidive, une peine plancher s'appliquera. L'article 2 ter du projet de loi prévoit d'ailleurs une sorte d'avertissement du juge allant dans ce sens. C'est ce que le Gouvernement appelle l'effet dissuasif des peines planchers. Mais, si une corrélation existait entre la peur de la sanction et la commission d'une infraction, il y aurait longtemps que le crime et la délinquance auraient été éradiqués ! La peine de mort est le meilleur exemple de l'effet non dissuasif d'une sanction.
Aux seconds, il est dit que, désormais, le temps du laxisme est révolu. Ce texte part, en effet, du postulat selon lequel la justice ferait preuve d'un laxisme qui se trouverait à l'origine de l'augmentation de la récidive.
Nous l'avons dit et redit lors du débat dans cet hémicycle le 5 juillet dernier : les peines prononcées par les juridictions sont plus sévères que les peines planchers prévues par le texte. Et le constat de la lourdeur des peines prononcées n'est pas récent.
Le rapport d'information sur le traitement de la récidive de 2004, de même que le rapport de M. Zocchetto sur la proposition de loi de 2005 - si je me réfère sans cesse à vous, monsieur le rapporteur, c'est pour vous mettre face à vos propres contradictions - relevaient déjà que « toutes les études convergent pour attester du substantiel alourdissement des peines prononcées, infirmant ainsi clairement, l'idée trop souvent avancée, selon laquelle la justice serait trop permissive à l'égard des délinquants d'habitude. » C'est bien ce que vous avez dit, monsieur Zocchetto? (M. le rapporteur sourit.)
Vous faisiez d'ailleurs état de cette sévérité dans un rapport en disant : « Lorsqu'il relève la récidive, le juge prononce en général une peine plus sévère. Selon une étude du ministère de la justice, l'emprisonnement ferme est prononcé pour 57 % des délinquants en réitération, alors qu'il ne s'applique qu'à 11 % des primo délinquants. »
Les peines minimales créées par ce projet de loi apparaissent donc inutiles et constituent une mesure de défiance à l'encontre des magistrats.
Ce qui pose réellement problème, dans le traitement de la récidive, est plus la non-exécution des décisions de justice que le quantum des peines prononcées.
Je citerai une fois de plus le rapport de la mission d'information de 2004 : « Chacun s'accorde à considérer que, pour lutter plus efficacement contre la récidive, il est préférable de prononcer des sanctions immédiatement appliquées dès la première infraction afin de produire un choc psychologique, voire économique chez le prévenu, plutôt que de recourir ultérieurement à des peines alourdies exécutées tardivement, voire aléatoirement. »
Au lieu d'augmenter les moyens pour permettre, d'une part, que les peines soient exécutées et, d'autre part, qu'une fois exécutées elles soient aménagées, le Gouvernement préfère agir sur ce qui est visible, médiatique : l'alourdissement des sanctions. Le problème est qu'en l'espèce cet alourdissement des peines se fera au détriment de nos principes fondamentaux.
Contrairement à ce qui a été dit sur les travées de la majorité, le présent projet de loi, qui ne prévoit pas le retour des circonstances atténuantes, ne permet pas réellement au juge d'individualiser la peine.
En cas de première récidive, la juridiction pourra prononcer une peine inférieure aux peines planchers en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
En cas de seconde récidive, la juridiction ne pourra prononcer une peine inférieure aux peines planchers que si l'accusé présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion.
Je ne reviendrai pas sur le débat que nous avons eu concernant ces garanties exceptionnelles. Si, dans le texte, le juge peut déroger aux peines planchers, dans les faits, il lui sera bien difficile d'apprécier les garanties exceptionnelles d'insertion et de réinsertion d'une personne qu'il est en train de juger pour un crime ou un délit.
Par conséquent, l'atteinte au principe de l'individualisation de la peine est réelle et préoccupante. La prochaine étape sera-t-elle l'instauration de peines automatiques ? Nous nous dirigeons dans cette voie d'un pas rapide !
On nous propose d'ores et déjà une justice quasi automatique, qui ne devra plus se soucier de la réelle gravité des faits commis et de la personnalité de l'auteur de l'infraction.
On impose aux magistrats un renversement de la philosophie pénale.
Historiquement, il a été demandé aux juges, garants des libertés fondamentales, de motiver les décisions attentatoires aux libertés et plus particulièrement d'expliciter les raisons pour lesquelles des individus doivent faire l'objet d'une incarcération ou de toute autre mesure contraignante.
Ici, on leur demande l'inverse : il leur faudra motiver la liberté, le magistrat devant, en effet, justifier le maintien en liberté ou tout du moins la non-application d'une peine plancher, ce qui apparaît contraire à notre Constitution.
La justice des mineurs n'échappe évidemment pas à cette déferlante répressive. Nous connaissons tous l'obsession du Président de la République au sujet des mineurs délinquants.
Justice des mineurs laxiste - elle aussi -, mineurs de plus en plus violents, de plus en plus jeunes, de surcroît multirécidivistes.
M. Dominique Braye. Eh oui !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous avons entendu les choses les plus folles à ce sujet, à commencer par le fait que la minorité pouvait être une « excuse » !
Il est faux d'affirmer que la justice des mineurs est laxiste : ni les 88 % de taux de réponse pénale ni les près de 80 % de mises en détention provisoire ne semblent l'illustrer. En prévoyant d'appliquer les peines planchers aux mineurs, le projet de loi répond par l'accroissement des sanctions, alors que la solution attendue est d'une tout autre nature.
En effet, il est étrange de constater, face à l'agitation présidentielle, le silence gouvernemental dès qu'il est question de l'augmentation des moyens donnés au secteur social et éducatif et à la protection judiciaire de la jeunesse. Ce silence traduit, malheureusement, une volonté politique déterminée d'affecter tous les crédits au secteur carcéral.
Il est tout aussi faux de laisser croire qu'un mineur ne pouvait pas être jugé comme un majeur avant l'arrivée de ce projet de loi : l'article 20-2 de l'ordonnance de 1945, avant même d'être modifié par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, permettait déjà d'exclure le principe de l'atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs de seize à dix-huit ans.
Le Président de la République semble vouloir à tout prix abaisser l'âge de la majorité pénale à seize ans. Si cet abaissement avait lieu, la France marquerait une régression grave au regard tant de notre tradition républicaine que de ses engagements européens et internationaux.
Je tiens simplement à rappeler que nombre de nos voisins européens ont non seulement fixé cette majorité pénale à dix-huit ans, voire à vingt et un ans pour certains, mais qu'au surplus quelques-uns d'entre eux prévoient que les jeunes adultes de moins de vingt et un ans puissent faire l'objet, le cas échéant, du même type de sanctions que les mineurs compte tenu de leur développement moral et mental.
Le projet de loi va donc à contre-courant de nos principes les plus fondamentaux.
L'atténuation de responsabilité pénale constitue pourtant un principe de valeur constitutionnelle, consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002, de même que la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité et prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées.
La justice des mineurs perd de sa spécificité. Ses contours sont de plus en plus flous et finissent par se confondre avec ceux de la justice des majeurs.
Le Gouvernement sous-entend que la récidive des mineurs n'est en rien différente de celle des majeurs ; la preuve en est que les peines planchers sont applicables aux majeurs comme aux mineurs ! La loi du 12 décembre 2005, déjà, ne faisait pas la distinction.
Pourtant, le mineur n'est pas un majeur ! L'effet dissuasif des peines planchers est nul pour les mineurs condamnés, car ceux-ci n'ont pas de conscience réelle de la peine qu'ils encourent quand ils commettent des faits délictueux.
Par ailleurs, chez les mineurs, le problème est moins la récidive que la réitération. Le plus souvent, un juge des enfants qui ordonne une mesure d'assistance éducative doit attendre des mois pour que celle-ci soit mise en oeuvre. Or c'est justement dans cet intervalle de temps que le mineur a le plus de chance de réitérer.
Les solutions sont connues. Ce projet de loi ne changera rien en matière de prévention de la délinquance et de la récidive des mineurs. En revanche, l'urgence est de renforcer les services éducatifs chargés de chercher les placements dans l'urgence, ou encore de renforcer les structures de suivi en milieu ouvert afin de permettre une prise en charge immédiate.
Au lieu de cela, le Gouvernement propose une énième réforme de l'ordonnance de 1945, qui, je le répète, porte atteinte tant à nos principes constitutionnels qu'aux engagements internationaux de la France.
N'est-il pas stipulé dans la Convention internationale des droits de l'enfant que tout enfant a droit à un traitement qui tienne compte de son âge et que l'enfermement doit constituer une solution de dernier recours ? Ici, pourtant, il n'en est nullement question.
J'en viens maintenant au troisième volet de ce projet de loi relatif à l'extension de l'injonction de soins.
Tout d'abord, il me semble toujours suspicieux de présenter le soin médical et le recours aux médicaments comme le seul remède à la délinquance, en particulier sexuelle.
Je m'inquiète de voir que ce remède tend à devenir universel, puisque - je le rappelle pour mémoire - le suivi socio-judiciaire n'est plus seulement encouru en cas d'infraction sexuelle, mais également en cas de meurtre ou encore de dégradations par incendie.
Par ailleurs, la liberté d'appréciation du juge se trouve, une fois encore, limitée par le projet de loi. Dès lors qu'un expert estimera un traitement nécessaire, le juge n'aura d'autre choix que de le prononcer.
Enfin, il semble contradictoire de soumettre les réductions supplémentaires de peine et les libérations conditionnelles à l'acceptation par le détenu des soins proposés durant sa détention, car ces deux aménagements de peine font justement preuve de leur efficacité en matière de prévention de la récidive.
De plus, le soin contraint n'existe pas : les professionnels de santé soulignent que l'accessibilité au traitement suppose de la part du patient une reconnaissance des faits, point de départ de l'adhésion aux soins. Ici, il n'est nullement question d'adhésion au traitement : soit le détenu l'accepte et il peut bénéficier d'un aménagement de peine, soit il le refuse et il reste en prison. En quoi ce dispositif est-il pertinent ?
Tout ce qui se dégage de ce texte, c'est un risque d'allongement des durées de détention, ce qui est totalement contre-productif si l'on veut lutter contre la récidive.
En conclusion, nous ne pouvons nous résoudre à adopter un texte dont les effets pervers seront immanquablement un accroissement du nombre des personnes détenues, majeures et mineures, et un allongement des durées de détention.
Je regrette d'ailleurs que même les très timides tentatives de M. le rapporteur tendant à rendre au juge une once de pouvoir d'individualisation de la peine en cas de seconde récidive aient été tenues en échec.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous voterons contre ce texte, et je vous invite à en faire de même ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Vous pouvez y compter ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, le Sénat avait introduit à l'article 2 bis de ce projet de loi une disposition qui constituait une avancée importante. Je regrette donc l'opération de rétropédalage à laquelle vous vous êtes livré lors de la réunion de la commission mixte paritaire, pour faire disparaître du texte cet article relatif aux enquêtes de personnalité, avec d'ailleurs le concours actif de M. le président de la commission des lois !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je ne suis qu'une voix parmi d'autres au sein de la commission mixte paritaire !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais une voix éminente !
Monsieur le rapporteur, j'ai pris bonne note de votre intervention de tout à l'heure, mais j'observe que vous aviez défendu avec beaucoup de zèle et de conviction la mesure figurant à l'article 2 bis dans le rapport que vous aviez rédigé avant l'examen du projet de loi en première lecture.
Vous y écriviez en effet : « Afin de donner pleine effectivité au pouvoir d'appréciation reconnu au juge par le projet de loi, il semble opportun de prévoir que le ministère public ne puisse prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a préalablement requis la réalisation d'une enquête de personnalité propre à éclairer la juridiction de jugement sur la personnalité de l'intéressé et ses garanties d'insertion ou de réinsertion. »
Tout d'abord, il est quelque peu paradoxal de faire référence au pouvoir d'appréciation du juge, que les peines planchers ont plutôt pour objet de restreindre ! Il existe néanmoins un certain nombre de dispositions qui, pour ne pas encourir la censure du Conseil constitutionnel, ont pour effet de laisser un certain pouvoir d'appréciation aux magistrats.
Par ailleurs, vous citez M. Bruno Cotte, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui, lors des auditions de la commission, soulignait avec force que les garanties d'insertion ou de réinsertion devraient être appréciées au temps le plus proche de la condamnation.
Robert Badinter a, quant à lui, rappelé qu'il fallait que l'enquête de personnalité fût récente : il est évident qu'une enquête de personnalité diligentée à l'occasion de faits commis quatre ans plus tôt n'est plus pertinente pour apprécier une récidive !
Madame le garde des sceaux, vous avez affirmé qu'une telle enquête de personnalité était nécessaire - c'est le terme même que vous avez employé. Mais alors, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, pourquoi ne pas inscrire cette disposition dans la loi, comme vous l'aviez très justement accepté, proposé et défendu ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Elle s'y trouve déjà !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous faisons confiance au juge !
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, c'est là un recul, que je regrette pour ma part.
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, nous sommes obligés de le constater, le texte que vous nous avez présenté ne comporte pas les dispositions qui permettraient de lutter effectivement contre la récidive.
M. Dominique Braye. C'est votre avis !
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, monsieur Braye, et je vais le développer !
Tout d'abord, madame le garde des sceaux, il est tout à fait clair que les peines planchers limitent le pouvoir d'appréciation des juges, comme de nombreux magistrats vous l'ont affirmé et comme vos prédécesseurs, MM. Clément et Perben, l'ont éloquemment exposé à cette même tribune, vous le savez.
M. Dominique Braye. Vous êtes loin du peuple ! Continuez comme cela !
M. Robert Bret. Et vous, vous donnez dans le populisme !
M. Jean-Pierre Sueur. Ensuite - vos propres statistiques le démontrent -, il n'existe à l'évidence aucune corrélation entre la durée de la détention et la récidive ou l'absence de récidive. Ce qui est établi, en revanche, c'est le lien entre les conditions de la détention, et par conséquent la surpopulation carcérale, et la récidive, de même qu'il existe une corrélation tout à fait évidente entre, d'une part, les mesures qui favorisent la réinsertion sociale et professionnelle des détenus lors leur sortie de prison et les mesures alternatives à la détention, et d'autre part, l'absence de récidive.
C'est évident : plus les prisons sont surpeuplées et moins les conditions de prévention de la récidive sont bonnes ! Or, si les peines planchers ont un effet, ce sera de surpeupler encore davantage les prisons.
Madame le garde des sceaux, depuis le début de l'examen de ce texte, nous ne cessons de vous interroger : pourquoi ce projet de loi ne contient-il pas des mesures d'accompagnement, d'insertion, de réinsertion, de suivi social ou d'alternative à la détention, dont il est certain qu'elles ont un effet sur la récidive ? Pourquoi vous concentrez-vous sur les peines planchers et la durée de la détention, alors qu'aucune corrélation n'est établie entre cette dernière, d'une part, et la récidive ou l'absence de récidive, d'autre part. Nous n'avons pas de réponse à ces questions !
Par ailleurs, pour les mineurs, vous savez très bien que les mesures qui figurent dans le présent projet de loi sont largement contestables. Ce qui peut prévenir la récidive des mineurs, ce sont des dispositifs adaptés !
Le plus souvent, la prison ne convient pas à la situation des mineurs, qui doivent être placés dans des centres éducatifs fermés. Or, vous le savez, madame le garde des sceaux, pour toute l'Île-de-France il existe aujourd'hui un seul centre de ce type, qui ne peut pas même accueillir un jeune de seize à dix-huit ans pour chaque département de la région !
Dans ces conditions, vous en conviendrez avec moi, plutôt que de changer la législation, il serait utile, pertinent et efficace de créer davantage de centres de ce type, comme l'attendent d'ailleurs nos concitoyens. Donc construisons-les ! Je sais que ce n'est pas facile, mais c'est là une mesure qui serait utile !
M. Robert Bret. Ils n'en ont pas les moyens !
M. Jean-Pierre Sueur. Quant aux dispositions du projet de loi, elles n'auront aucune utilité à cet égard et, vous le savez, elles sont porteuses de certains risques, comme l'ont souligné de nombreux magistrats et agents de votre propre ministère.
S'agissant des dispositions relatives à l'injonction de soins, qui figurent dans les derniers articles du projet de loi, nous devons être extrêmement vigilants face au discours qui sous-tend ces mesures, comme l'a rappelé à l'instant Mme Mathon-Poinat.
Certes, il est des cas où l'injonction de soins est nécessaire, et même indispensable, je n'en disconviens pas. Toutefois, il ne faut pas laisser croire que l'on réglera tous les problèmes, notamment ceux qui sont liés à des troubles profonds de la personnalité, par des soins médicaux et des médicaments, car ce n'est pas vrai !
D'autres dispositions doivent être adoptées, et croire que l'injonction généralisée constituera la panacée reviendrait à céder à ce que j'appelle l'illusion hygiéniste, dont les effets sont extrêmement néfastes.
Cela dit, madame le garde des sceaux, je vous pose de nouveau cette question : quand bien même nous souscririons à la logique qui inspire ce projet de loi en matière d'injonction de soins - ce qui n'est pas le cas, car nous ne faisons pas nôtre cette philosophie -, comment ne pas entendre les magistrats ?
M. Dominique Braye. Nous entendons le peuple français !
M. Jean-Pierre Sueur. Aux termes de ce texte, qui bientôt sera la loi, si un expert estime que l'injonction de soins est nécessaire, le juge, sauf exception, devra suivre son avis, puis interviendront le médecin coordonnateur et le psychiatre.
Or, vous le savez très bien, madame le garde des sceaux, les magistrats soulignent qu'il n'y a ni experts, ni médecins coordonnateurs, ni psychiatres, ou alors en nombre tellement insuffisant qu'il faut parfois attendre un an pour en trouver, une durée pendant laquelle bien des choses peuvent arriver !
Ce qui particulièrement urgent, madame le garde des sceaux, ce n'est pas de faire adopter cette loi, comme vous y êtes contrainte pour des raisons politiques et d'affichage, mais c'est de créer des postes d'experts, de médecins coordinateurs et de psychiatres, en particulier dans les prisons où, vous le savez, règne une grande misère de la psychiatrie.
M. Dominique Braye. L'un n'empêche pas l'autre !
M. Jean-Pierre Sueur. Je le répète, nous constatons que ce texte ignore toutes les dispositions qui seraient efficaces pour faire régresser la récidive et contient des mesures qui ne seront d'aucune utilité ! Autrement dit, il s'agit d'une loi d'affichage.
M. Alain Gournac. Ce n'est pas vrai !
M. Dominique Braye. Vous êtes décidément loin du peuple !
M. Robert Bret. Du populisme, c'est sûr !
M. Bernard Frimat. Et vous, vous êtes près de l'argent !
M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, je regrette que le premier texte que vous ayez présenté devant le Parlement soit un projet de loi qui, finalement, dévoie la procédure législative, car il ne vise qu'à faire de l'affichage, certes en reprenant les promesses d'une campagne électorale, ...
M. Dominique Braye. Mais c'est un texte attendu par 70 % des Français !
Mme Raymonde Le Texier. C'est Braye le bien-nommé !
M. Jean-Pierre Sueur. ... mais sans apporter les réponses concrètes qui sont nécessaires si l'on veut lutter efficacement contre la récidive. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, contrairement aux propos qu'il vient d'entendre, le groupe UMP ne pense pas que ce texte soit une loi d'affichage. Il soutiendra donc pleinement ce projet de loi présenté par Mme le garde des sceaux...
M. Bernard Frimat. Quelle surprise !
M. Robert Bret. Ce n'est pas un scoop !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et amélioré par la commission des lois. L'exposé du rapporteur, M. François Zocchetto, vient de démontrer que la commission mixte paritaire avait tenu compte, dans ce débat important, des avancées et des modifications apportées par le Sénat. Il nous faut donc le remercier, ainsi que M. le président de la commission des lois, d'avoir participé à ce travail utile. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. Robert Bret. Ils se sont couchés !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je souhaite également rendre hommage à Mme le garde des sceaux, qui a su défendre avec détermination et pugnacité un texte particulièrement important, attendu par nos concitoyens et qui répond à l'un des engagements forts du Président de la République en matière de sécurité des personnes et des biens.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Dominique Braye. Il est attendu par 70 % des Français !
M. Jean-Pierre Fourcade. Quand j'entends, aussi bien lors de l'examen en première lecture qu'aujourd'hui, que seuls les considérations juridiques ou le sentiment des magistrats devraient nous guider, moi qui suis un homme de terrain,...
M. Dominique Braye. Comme nous !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... qui ai la responsabilité d'une zone urbaine sensible...
M. Dominique Braye. Ils ne savent pas ce que c'est !
M. Jean-Pierre Fourcade. ...et qui connais depuis un certain nombre d'années les problèmes difficiles de récidive, j'estime que ce texte est utile. C'est la raison pour laquelle nous le voterons d'un même coeur, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Ce texte, madame le garde des sceaux, est équilibré, car il concilie la nécessaire fermeté face aux récidivistes et le respect des principes constitutionnels d'individualisation des peines et d'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. La commission des lois y a veillé et le résultat des travaux de la commission mixte paritaire est, de ce point de vue, tout à fait satisfaisant.
Je rappellerai les trois axes du projet de loi, car il ne faudrait pas que l'on croie que ce texte ne comporte aucune disposition et ne sera pas utile.
M. Robert Bret. Il est dangereux !
M. Jean-Pierre Fourcade. Premièrement, ce texte instaure des peines planchers de prison pour doter la récidive d'un régime juridique spécifique.
Deuxièmement, il exclut l'excuse de minorité pour les multirécidivistes violents de plus de seize ans.
Troisièmement, il rend le suivi médical et judiciaire obligatoire pour les personnes condamnées pour les infractions les plus graves, principalement celles qui sont de nature sexuelle. Nous savons tous, mes chers collègues, que ces dernières ne font malheureusement que se développer.
M. Dominique Braye. Certains ne le savent pas ici !
M. Bernard Frimat. Arrêtez !
M. Jean-Pierre Fourcade. En conséquence, je crois que nous devons apporter les réponses qu'attendent nos concitoyens sur ce problème.
Je me réjouis que la commission mixte paritaire ait retenu la proposition de rédaction de notre excellent rapporteur, suivant laquelle, « lorsque les circonstances de l'infraction ou la personnalité de l'auteur le justifient », l'avertissement du condamné des conséquences d'une récidive ultérieure constitue pour le président de la juridiction une obligation plutôt qu'une simple faculté.
Nous sommes persuadés qu'il s'agit d'une mesure utile, car les délinquants, notamment les jeunes, ignorent la plupart du temps qu'ils encourent une aggravation de la peine en cas de récidive.
Madame le garde des sceaux, le groupe UMP votera ce projet de loi,...
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ...qui est attendu par nos concitoyens et qui apporte de réelles avancées dans le domaine de la répression de ces infractions.
Nous savons trop bien, nous qui sommes sur le terrain, combien les multirécidivistes se pavanent dans leur entourage. Très souvent, hélas ! ainsi que l'a justement fait remarquer Jean-Pierre Sueur - sur ce point, je suis d'accord avec lui -, les peines pour les jeunes et les mineurs sont insuffisamment appliquées, comme les travaux d'intérêt général et les mises sous tutelle, qui permettent pourtant d'avoir une idée précise de la situation. Il n'y a pas non plus de contact avec les familles pour déterminer si l'auteur de ces infractions est confronté à des problèmes familiaux, psychologiques, ou si son comportement est purement et simplement délictuel.
Je pense donc que le projet de loi que vous présentez, madame le garde des sceaux, complété par les instructions que vous donnerez à l'ensemble des procureurs, ainsi que par le travail qu'accompliront les maires, qui se trouvent désormais au coeur du dispositif de prévention, est un bon texte.
Il était bon de le souligner à cette tribune et de ne pas se contenter de discussions juridiques. Méfiez-vous, mes chers collègues, des discussions sur le sexe des anges.
M. Dominique Braye. Les socialistes en sont spécialistes !
M. Jean-Pierre Fourcade. Occupons-nous plutôt des problèmes concrets de nos concitoyens ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
CHAPITRE IER
Dispositions relatives aux peines minimales et à l'atténuation des peines applicables aux mineurs