compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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organisme extraparlementaire
M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission de suivi de la détention provisoire, en remplacement de M. François-Noël Buffet, démissionnaire.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des lois à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
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candidatures à un ORGANISME extraPARLEMENTAIRE
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.
La commission des affaires économiques a fait connaître qu'elle propose la candidature de MM. Henri Revol et Bernard Piras pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
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souhaits de bienvenue à une délégation de parlementaires libanais
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et le très grand honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de parlementaires libanais, composée de MM. Robert Ghanem, président de la commission Administration et justice, et Farid el-Khazen, vice-président de la commission des affaires étrangères et membre de la commission Éducation, enseignement supérieur et culture.
Je me félicite de ce que, dans le contexte actuel particulièrement difficile, nos amis parlementaires libanais, de tendances diverses, aient décidé de maintenir cette visite auprès du Sénat français. Consacrée à l'étude de l'enseignement supérieur en France, cette visite s'inscrit dans le cadre de l'accord de coopération signé entre nos deux assemblées, accord qui nous a valu le plaisir d'accueillir de nombreux collègues libanais.
Le thème même de cette visite démontre, s'il en était besoin, la volonté du Liban et de ses représentants de regarder vers l'avenir, en permettant à la jeunesse de ce pays de disposer des moyens de construire un destin meilleur pour l'ensemble des Libanais.
Qu'il me soit permis de dire, à titre personnel, tout le plaisir que j'ai à saluer nos amis ici présents, car ils représentent un pays que nous aimons, dont nous nous sentons tellement proches et qui souffre actuellement. (Mmes, MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
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commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006
Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques, sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France, dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Michel Billout, Yves Coquelle, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Gérard Le Cam, Mmes Éliane Assassi, Marie-France Beaufils, M. Robert Bret, Mme Annie David, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, M. Robert Hue, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon-Poinat, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera, Jean-François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès (nos 104, 63, 97).
Mes chers collègues, notre séance mensuelle réservée du mois de décembre s'ouvre par l'examen de deux propositions de résolution tendant à créer chacune une commission d'enquête, présentées respectivement par le groupe CRC et le groupe socialiste. Il s'agit de la première mise en oeuvre du « droit de tirage » que la conférence des présidents a décidé d'expérimenter, dans le cadre de sa réflexion sur l'amélioration de nos méthodes de travail.
En effet, un consensus s'est dégagé en conférence des présidents pour réserver deux sujets de chaque journée mensuelle réservée aux groupes politiques, ces sujets étant répartis à la proportionnelle. Nous pouvons nous féliciter de cette importante avancée qui permet un meilleur partage de l'espace de liberté que constitue l'ordre du jour réservé.
Autre innovation : afin de consacrer le droit d'expression des auteurs des propositions inscrites à l'ordre du jour réservé dans le cadre d'un droit de tirage, la conférence des présidents a décidé, toujours à titre expérimental, de leur accorder un temps de parole spécifique ès qualités au début de la discussion générale, avant le rapporteur. Pour aujourd'hui, elle a fixé ce temps de parole à quinze minutes.
Je donne donc sans plus tarder la parole à M. Michel Billout, en remplacement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de résolution.
M. Michel Billout. Monsieur le président, mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC ont saisi le Sénat d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France, dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique.
Nous regrettons que la commission des affaires économiques ait conclu au rejet de la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête, tant en raison de la gravité du sujet que des arguments avancés dans le rapport. Si le Sénat venait à suivre la position du rapporteur, M. Poniatowski, nous nous contenterions de la mise en place d'une mission d'information. Force serait alors de constater l'impuissance des parlementaires français face à un problème majeur qui touche directement notre pays et nos concitoyens.
Rappelons que la création d'une commission d'enquête illustre la volonté politique de l'assemblée de se saisir d'un fait significatif et relativement grave. Or, monsieur le rapporteur, vous nous opposez l'argument selon lequel la panne d'électricité ne serait un sujet ni assez lourd ni assez sensible pour justifier la mise en oeuvre d'une telle procédure, comme le furent l'affaire d'Outreau ou encore les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Nous vous laissons la responsabilité de ces comparaisons, qui nous paraissent aussi hasardeuses qu'inutiles.
Pour notre part, nous tenons à souligner le fait que la survenance d'une panne générale d'électricité n'est pas une hypothèse d'école. D'un coût important, elle serait susceptible de provoquer une grave crise, de porter atteinte à la sécurité des personnes et de paralyser l'économie. Il nous paraît donc essentiel de ne pas minimiser les risques en présence et de tout mettre en oeuvre pour éviter au maximum qu'ils ne deviennent réalité.
Contrairement à ce qui s'est passé en 1978 - durant une période de grand froid qui a connu un pic de consommation électrique -, la panne est intervenue à un moment où la consommation d'électricité était habituelle. De plus, elle a été déclenchée par une manoeuvre habituelle et préparée à l'avance ! Vous comprendrez dès lors, monsieur le rapporteur, que l'absence de commission d'enquête en 1978 et 1987 est un argument qui ne nous convainc absolument pas !
Les conditions déclenchant la survenance d'une telle panne nous poussent, au contraire, à croire que la création d'une commission d'enquête parlementaire dotée de pouvoirs d'investigation étendus est plus que nécessaire.
En effet, les pouvoirs accordés aux parlementaires dans le cadre de la commission d'enquête - le droit de citation, la possibilité pour les rapporteurs d'exercer leur mission sur pièces et sur place, de demander à la Cour des comptes des enquêtes sur la gestion des services et des organismes, mais surtout la possibilité de se faire communiquer tout document de service - ne seraient pas inutiles pour analyser de manière approfondie les causes de la panne.
Rappelons que, en l'état actuel, le droit international ne nous permet évidemment pas, sauf mise en oeuvre de la coopération judiciaire internationale, d'exercer ces pouvoirs à l'encontre d'une personne se trouvant à l'étranger. Cependant, au titre de la puissance territoriale, la commission d'enquête pourrait exercer ces prérogatives en France.
En fait, au nom de pouvoirs que le Parlement ne détient pas et qu'il n'entend pas, bien sûr, usurper, vous le privez des outils efficaces nécessaires à l'application de sa mission de contrôle.
J'aborderai maintenant les arguments qui, à notre sens, font vraiment débat.
Lorsque nous avons déposé cette proposition de résolution, le 9 novembre dernier, effectivement - et nous n'avons jamais dit le contraire -, un certain nombre d'éléments étaient à notre disposition. Mais les tentatives d'explication de la panne étaient faibles et peu abouties. D'ailleurs, le gouvernement allemand lui-même a demandé à cette même date des précisions au gestionnaire de réseau E.ON.
Nous savions que E.ON Netz avait mis hors service une ligne électrique à très haute tension afin de laisser passer un navire de croisière. Des flux d'électricité plus importants que prévu chargeant les lignes en service dans le sens est-ouest, des protections de surcharge ont mis alors hors service deux lignes de 400 kilovolts acheminant les flux est-ouest. De nombreux ouvrages de transport en ont fait de même en quelques secondes, sous l'action d'automates de protection. À vingt-deux heures dix, le réseau d'Europe continentale était coupé en trois régions déconnectées les unes des autres.
Tous les pays concernés ont procédé à des délestages. Ceux-ci, grâce aux dispositifs de protection fréquencemétrique installés sur le réseau de distribution français, ont très clairement permis de sauver le réseau national et, simultanément avec l'ensemble des distributeurs européens, de sauver l'Europe d'une grave crise.
Comme l'a très justement souligné le rapporteur, la production hydraulique a permis de remettre rapidement à niveau les réseaux national et européen. Les gros moyens de production, notamment nucléaires, ont maintenu le réseau au moment de l'écroulement de fréquence.
Enfin, il faut saluer la réaction du personnel de RTE, Réseau de transport d'électricité, qui, dans une logique de service public intégré, a assuré une coordination des actions prises depuis la production jusqu'à la distribution.
Cependant, plus d'un mois après les événements, des zones d'ombre demeurent. RTE confesse sur son site Internet que « l'enchaînement précis et les causes de cet événement ne seront connus avec exactitude qu'à l'issue des enquêtes européennes lancées par ETSO [European transmission system operators, l'Association européenne des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité] et l'UCTE », l'Union pour la coordination du transport d'électricité.
De plus, notre information reste limitée. Votre rapport, qui s'est essentiellement fondé sur le rapport de RTE, témoigne de la faible diversité des sources d'information.
Les enquêtes conduites par l'UCTE et le Conseil des régulateurs européens de l'énergie sont une bonne chose mais, contrairement à ce qui est soutenu dans le rapport, nous ne considérons pas qu'elles fassent perdre de son intérêt à la création d'une commission d'enquête nationale. Ces documents constitueront autant d'éléments utiles à l'exercice par la commission d'enquête de sa mission de contrôle.
Dans son rapport intermédiaire, l'UCTE fournit un début d'analyse intéressant. En effet, l'organisation estime que l'incident est imputable à plusieurs causes.
D'abord, elle dénonce le manque d'anticipation des électriciens allemands, aggravé par le manque absolu de coordination entre les quatre gestionnaires de réseau, notamment entre RWE et E.ON. Ce constat montre la nécessité de conserver un seul gestionnaire de réseau de transport de l'électricité en France, comme c'est le cas à l'heure actuelle avec RTE, filiale à 100 % d'EDF. On a constaté que les structures héritées du service public intégré EDF ont sauvé le réseau.
Ensuite, l'UCTE note que les électriciens ont mis un certain temps à réduire la puissance véhiculée sur leurs réseaux pour ne pas compromettre la tenue « d'engagements commerciaux trop importants ». Autrement dit, la sûreté a été sacrifiée au nom de la rentabilité.
Enfin, il semblerait que les champs d'éoliennes espagnols et allemands aient été un facteur aggravant de la panne.
Si les éléments envisagés dans ce rapport constituent de précieux renseignements, nous pensons que d'autres questions peuvent être posées. On ne voit pas pourquoi l'étendue du champ d'investigation serait laissée au bon vouloir des organismes précités. C'est dans cette optique que la pertinence d'une commission d'enquête nationale s'affirme.
En effet, il nous faut déterminer les raisons qui ont transformé une manoeuvre planifiée et connue en incident incontrôlé. Les analyses à mener sont complexes et ne doivent pas s'arrêter à l'identification des causes directes de l'incident. Il est primordial de s'interroger sur l'influence de la mise en place de la libéralisation du marché de l'énergie à l'échelle européenne, libéralisation qui est beaucoup plus avancée dans d'autres pays qu'en France.
Les critères de marché génèrent des flux supplémentaires sur le réseau électrique européen ; je pense aux importations importantes en provenance de la zone est de l'Europe, car moins chères en termes de coûts de production. Il reste à déterminer si ces flux ont contribué à une aggravation de l'incident. La financiarisation du système électrique européen entraîne des risques pour celui-ci, comme en témoignent les précédents incidents qui ont touché l'Italie ou la Californie.
Avant les logiques de libéralisation, l'interconnexion des réseaux européens d'électricité était motivée par des considérations de sécurité et de solidarité plus que par des logiques commerciales. En cas de difficultés sur le réseau, les différentes entreprises électriques réglaient les problèmes à travers les échanges dits « à bien plaire ». Désormais, les logiques commerciales rendent difficiles ces échanges, comme le note d'ailleurs l'UCTE.
De plus, les marges permettant d'assurer l'équilibre production-consommation se dégradent partout en Europe. Les 3000 mégawatts de réserves primaires sont très largement insuffisants quand on sait que cela représente une marge de deux à trois degrés centigrades seulement. Aussi, augmenter les capacités des interconnexions pour répondre à des exigences purement commerciales n'est pas sans danger.
Cela me conduit à aborder la question cruciale de l'implantation des moyens de production. Cette implantation, comme le maillage des réseaux, en termes de proximité par rapport aux lieux de consommation, sont, à notre avis, des éléments essentiels. L'entreprise intégrée ne réfléchissait pas uniquement en fonction de la rentabilité à court terme pour implanter un moyen de production, mais aussi en fonction des problématiques réseaux.
La marchandisation de l'électricité induit, a contrario, que les producteurs implantent les nouveaux moyens de production dans des lieux qui rentabilisent au maximum les investissements. On se retrouve donc avec des projets d'implantation sur les mêmes sites - terminal gazier, port - qui ignorent les contraintes du réseau. RTE est alors obligé d'avoir recours à un appel d'offres pour localiser au mieux certains moyens de production. C'est encore un coût supplémentaire généré par la déréglementation ! Cette logique s'applique également au cadre européen, comme en témoigne l'incident du 4 novembre dernier.
Le comportement de la production décentralisée - éolien, cogénération - dans la zone ouest a été largement mis en cause. Lorsque la fréquence a atteint 49 hertz, une grande partie de cette production s'est séparée du réseau ; il a manqué 2 800 mégawatts en Espagne et, par ricochet, 1 600 mégawatts en France.
Cela a aggravé l'ampleur de l'incident et aurait pu conduire à un black-out. Cela montre qu'il est nécessaire d'avoir, à côté de ces productions renouvelables ou de pointe, utiles par ailleurs, une structure de parcs de production permettant de sécuriser le réseau et de compenser leur versatilité. Il est également nécessaire que les recherches soient accélérées pour fiabiliser la tenue des éoliennes face aux aléas pouvant survenir sur un réseau électrique.
Enfin, le rapport considère que le délai de six mois imposé par les textes à une commission d'enquête pour achever ses travaux n'est pas adapté en l'espèce. Compte tenu de l'ouverture totale du marché de l'énergie fixée par l'Europe au 1er juillet 2007 et de l'intérêt de connaître les causes de la panne et l'état de la sécurité d'approvisionnement dans le cadre de ces politiques européennes, nous ne considérons pas que ce délai imposé constitue une entrave, bien au contraire.
L'actualité politique, avec la promulgation de la loi relative au secteur de l'énergie, la privatisation de GDF, la remise en cause du maintien des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité par la décision du Conseil constitutionnel, montre l'urgence de mettre un arrêt net à la déréglementation du secteur énergétique.
Aujourd'hui, le Gouvernement organise la privatisation de GDF ; demain, EDF sera sans aucun doute concernée. On voit déjà les dommages collatéraux à travers la volonté de suppression des tarifs réglementés. L'opposition n'est d'ailleurs pas la seule à considérer que « la libéralisation du secteur de l'énergie est suicidaire pour le consommateur » ; c'est Dominique Paillé, député UMP, qui le déclarait récemment.
De plus, la fuite en avant engendrée par la politique folle de l'Europe n'est pas de nature à nous rassurer. La commissaire européenne à la concurrence, Nelly Kroes, a répété jeudi 30 novembre à Calais sa volonté d'une séparation « une fois pour toutes » entre les réseaux de transport d'énergie et les producteurs. Elle a précisé que cela passait par la « séparation patrimoniale », autrement dit par la sortie des réseaux du périmètre de leurs maisons mères. Cette déclaration ouvre la voie à une nouvelle directive imposant la séparation totale des réseaux de transport des producteurs.
Pour toutes ces raisons et devant l'urgence de la situation, nous vous demandons, mes chers collègues, d'adopter notre proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, mes chers collègues, nous devons donc nous prononcer sur la création d'une commission d'enquête proposée par nos collègues du groupe CRC, défendue par Michel Billout, portant sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre dernier et sur les conditions de la sécurité d'approvisionnement en électricité de notre pays dans le contexte de l'ouverture des marchés énergétiques à la concurrence.
Si vous me le permettez, je débuterai mon propos par un bref récit de l'incident qui a mis près de 15 millions de ménages européens, dont 5,6 millions de Français, dans le noir entre 22 heures 10 et 23 heures ce samedi 4 novembre.
Ce jour-là, l'un des gestionnaires du réseau de transport d'électricité allemand, E.ON Netz, avait prévu de mettre provisoirement hors tension une ligne surplombant la rivière Ems afin d'assurer le passage en toute sécurité d'un paquebot vers la mer du Nord. Cette interruption de la ligne a eu lieu à 21 heures 38 - la précision est importante -, soit un peu plus tôt que ce qui était initialement prévu. À cette heure, la consommation d'électricité en Europe, tout en étant soutenue, était conforme au niveau des prévisions.
En cas de manoeuvre comme celle-ci, qui est tout à fait classique et préparée à l'avance, l'électricité emprunte mécaniquement d'autres lignes du réseau de transport. Toutefois, à la suite de cette mise hors service, E.ON Netz a constaté des flux importants d'électricité allant d'est en ouest de l'Europe.
Il semble qu'à ce moment des erreurs d'appréciation aient été commises, tant en raison d'erreurs humaines que d'un défaut de coordination entre les gestionnaires allemands. Il faut savoir, en effet, que, contrairement à la France, où la gestion du réseau de transport est assurée exclusivement par RTE, il y a quatre gestionnaires de réseaux en Allemagne.
Au total, ces surcharges constatées sur deux autres lignes de transport ont provoqué leur mise hors service automatique, enclenchant alors un « effet dominos » sur le reste du réseau de transport de toute l'Europe. En moins de trente secondes, ce sont alors près de vingt lignes de transport, situées en Allemagne, en Autriche et en Croatie qui se sont interrompues, conduisant à une division du réseau européen, d'habitude totalement interconnecté, en trois zones indépendantes, une zone ouest allant de la partie ouest de la Croatie au Portugal et comprenant la France, au sein de laquelle le volume de production s'est trouvé insuffisant pour satisfaire la consommation, une zone nord-est - l'est de l'Allemagne et de l'Autriche, la Pologne - se caractérisant par une situation de surproduction, et une zone sud-est - la Grèce, l'Albanie, la Bulgarie - en situation de légère sous-production.
Dans la zone ouest, où se situe la France, ce déséquilibre entre l'offre et la demande a entraîné une chute de la fréquence à 49 hertz, alors qu'elle se situe habituellement à 50 hertz.
Une telle chute de la fréquence a deux effets principaux.
D'une part, les postes sources du réseau de distribution sont programmés pour délester automatiquement une partie de la consommation afin de rétablir la fréquence à son niveau de 50 hertz. Notre plan de délestage répartit les consommateurs français en cinq catégories représentant chacune 20 % de la consommation française. Quand la fréquence atteint le seuil de 49 hertz, le premier échelon se coupe automatiquement, ce qui occasionne des coupures dans tous les départements continentaux. De ce fait, 5,6 millions de consommateurs français ont vu leur alimentation électrique interrompue.
D'autre part, les moyens de production d'électricité sont conçus pour fonctionner à la fréquence de 50 hertz. Quand celle-ci chute en dessous de certaines valeurs, qui diffèrent selon la source de production - nucléaire, thermique, éoliens - les centrales se déconnectent du réseau pour préserver leur intégrité.
En France, ce phénomène a conduit à aggraver le déséquilibre offre-demande puisque nous avons perdu près de 2 000 mégawatts de cogénération et une centaine de mégawatts d'éoliens, ce type d'installation décrochant en deçà de 49,5 hertz.
Simultanément, en Espagne, ce sont plus de 2 800 mégawatts d'origine éolienne qui ont été perdus, déconnectés.
Une fois ces mécanismes de défense automatiques mis en oeuvre, RTE, notre transporteur, a immédiatement fait appel aux producteurs pour qu'ils accroissent leur volume de production afin de réalimenter les consommateurs le plus rapidement possible.
En France, EDF a démarré, entre 22 heures 15 et 22 heures 20, soit très peu de temps après l'incident, plusieurs usines hydroélectriques qui présentent la caractéristique principale de pouvoir être mobilisées rapidement, injectant sur le réseau environ 3 900 mégawatts d'électricité d'origine hydraulique.
Grâce à ce surcroît de puissance, RTE a pu demander, à 22 heures 30, aux gestionnaires de réseaux de distribution de reconnecter la moitié des consommateurs interrompus. Autrement dit, la moitié de ces 3,6 millions de foyers ont été réalimentés en moins d'une demi-heure. À 22 heures 40, RTE demandait la réalimentation de l'ensemble des consommateurs français, notamment grâce à la mobilisation de 1 000 mégawatts supplémentaires provenant de la chaîne de barrages hydrauliques de la Durance. À 22 heures 50, les trois zones européennes étaient reconnectées et, à 23 heures, l'équilibre offre-demande était totalement rétabli en France.
En définitive, cet incident, qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves, aura duré moins d'une heure grâce aux mécanismes de coordination liant les différents opérateurs du réseau électrique européen.
Je crois, d'ores et déjà, qu'un certain nombre d'enseignements peuvent être tirés de cet incident.
Tout d'abord, les acteurs du système électrique français ont parfaitement maîtrisé l'incident puisque le black-out, qui n'est pas un scénario invraisemblable, aura été évité. La bonne coordination entre gestionnaires de réseaux et producteurs aura permis de réalimenter très rapidement les consommateurs.
Au passage, je pense que nous pouvons voir dans cette situation une confirmation des analyses que le Sénat a toujours défendues, il y a quelques semaines encore par Bernard Sido, rapporteur du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, analyses soulignant la nécessité de préserver le potentiel de production d'électricité à partir de l'hydraulique.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. À l'évidence, le fait de disposer d'un parc hydroélectrique important est un élément de stabilisation du réseau et il est bien dommage que la France ne soit pas capable d'accueillir davantage de barrages hydrauliques.
Par ailleurs, en ce qui concerne le second phénomène, à savoir les délestages, il convient de noter que la situation a, là aussi, été bien maîtrisée puisque, parmi les usagers prioritaires que sont notamment les hôpitaux et les laboratoires, mais aussi les particuliers qui ont besoin, pour des raisons de santé, d'être branchés en permanence à un réseau électrique à leur domicile, seul un incident a été relevé dans toute la France : il s'est produit dans les Hautes-Pyrénées, à l'hôpital de Lamnezan, et n'a duré que quelques minutes.
Le système a donc parfaitement fonctionné.
Il n'en reste pas moins que, dès aujourd'hui, des pistes d'amélioration peuvent être définies pour éviter qu'une telle panne ne se reproduise.
À cet effet, les idées défendues par RTE ou par les régulateurs énergétiques européens, comme la création d'un centre européen de coordination du transport d'électricité, une harmonisation des compétences des régulateurs ou un renforcement des interconnexions, sont de nature à renforcer la sûreté du réseau.
Pour autant, mes chers collègues, faut-il constituer une commission d'enquête sur la panne, de cinquante minutes, je vous le rappelle ?
Votre commission ne le croit pas, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il n'y a pas matière à enquêter en France sur la panne puisque nos acteurs nationaux ont, tous, bien réagi, et je tiens ici à saluer RTE, EDF et tous leurs salariés.
Par ailleurs, l'origine de l'incident se situe en Allemagne, comme vous l'avez justement précisé, monsieur Billout, et il n'appartient pas à une commission d'enquête du Sénat français d'aller investiguer à l'étranger ou de faire venir des responsables allemands en France pour qu'ils répondent de leurs actes.
Au demeurant, deux enquêtes sont en cours : la première est menée par l'association des transporteurs européens d'électricité, la seconde par les régulateurs européens. Un bilan d'étape de l'enquête des transporteurs a été rendu public vendredi 1er décembre dernier et les résultats définitifs des deux enquêtes seront connus avant la fin de février 2007. Une éventuelle commission d'enquête rendrait donc ses travaux quand toutes les conclusions auront été tirées et serait dès lors inutile.
En outre, votre commission a estimé que la création d'une commission d'enquête, de par son caractère symbolique et solennel, devait être réservée aux sujets plus lourds. J'assume mes responsabilités en affirmant cette position qui, je le sais, monsieur Billout, ne vous plaît pas et je me réfère aux précédents très récents, par exemple à la commission d'enquête sur Outreau ou encore à celle sur le naufrage du Prestige.
D'ailleurs, l'incident dont nous parlons est sans commune mesure, en termes de conséquences pour les ménages et les entreprises, avec d'autres pannes qui ont frappé la France par le passé, et vous avez bien voulu rappeler les pannes que j'ai citées dans mon rapport, celles de 1978 et 1987, qui n'avaient pas conduit à la création de commission d'enquête.
En revanche, le second sujet évoqué dans la proposition de résolution de nos collègues semble beaucoup plus propice à la conduite d'investigations complémentaires. La question de la sécurité des approvisionnements électriques de la France et de l'Europe est en effet un vrai sujet de préoccupation.
Soyons clairs, la panne du 4 novembre ne peut être imputée à une insuffisance de moyens de production. Juste avant l'incident, la France était d'ailleurs en situation d'exportatrice nette. Sur ce point, je vous renvoie, mes chers collègues, au rapport dans lequel nous avons montré, à partir de la documentation qui provient de RTE, que cette situation, où nous exportons plus d'électricité que nous n'en importons, était assez fréquente.
Toutefois, on constate que notre pays est régulièrement à la limite de l'équilibre offre-demande lors des périodes de forte consommation et ne peut compter que sur son propre parc de production pour franchir les pics. À titre d'exemple, le 28 février 2005, journée particulièrement froide, la France a importé plus de 3 000 mégawatts.
De même, il apparaît que les interconnexions entre les États européens ne se sont pas suffisamment développées au cours des dernières années au regard de l'évolution de la production et de la consommation en Europe, aggravant ainsi les risques de défaillance du réseau électrique.
Certes, les opérateurs français ont des plans d'investissements conséquents dans la production. Je vous rappelle, mes chers collègues qu'EDF, qui prévoit d'investir plus de 26 milliards d'euros en France et à l'étranger dans les deux ans, a programmé la mise en service de 5 200 mégawatts avant 2012. Toutefois, la question se pose de savoir si ces efforts d'investissements en France et en Europe sont suffisants.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a conclu au rejet de la demande de création d'une commission d'enquête et a en revanche à l'unanimité décidé, sur proposition de son président, M. Jean-Paul Emorine, et de votre rapporteur, de constituer une mission d'information sur la question de la sécurité d'approvisionnement.
Nous avons indiqué qu'une telle mission devrait associer à ses travaux, de manière pluraliste, tous les groupes politiques et que toutes les commissions intéressées pourraient y participer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC - UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(Mme Michèle André remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)