compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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Loi de finances pour 2007
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2007, adopté par l'Assemblée nationale (nos 77 et 78).
participation de la France au budget des communautés européennes
M. le président. Nous allons examiner l'article 32 relatif à l'évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'État au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Nous sommes réunis ce matin pour examiner l'article 32 du projet de loi de finances pour 2007, qui fixe à 18,696 milliards d'euros le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'État au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes.
Ce chiffre peut paraître important. En valeur absolue, il l'est dans la mesure où il représente 6,9 % de nos recettes fiscales nettes. Il est tout de même modéré si l'on considère qu'il correspond à 1 % de notre produit intérieur brut, le PIB, puisque le projet de loi de finances pour 2007 table sur un PIB de 1 856 milliards d'euros.
Ces 18,696 milliards d'euros représentent également, ce qui relativise notre débat, la moitié des crédits réservés à la mission « Défense » et un tiers des crédits réservés à la mission « Enseignement scolaire ». Le coût de l'Europe pour notre budget reste donc très modéré, et cela d'autant plus si l'on considère que ces 18,696 milliards d'euros sont l'un des meilleurs investissements que la France puisse faire.
Bien sûr, une analyse en termes de « retour net », qui est détestable et que je critique régulièrement, tendrait à démontrer que la France n'en a pas du tout pour son argent puisque notre pays est contributeur net. Ce débat est bien peu communautaire. Je m'y arrête de nouveau pour condamner ce type d'approche, qui fait du mal à la France et à l'Europe.
Cette analyse, qui nous classe parmi les contributeurs nets, dénature l'image de l'Europe aux yeux des Français. Affirmer que l'Europe a un coût pour la France en limitant la comptabilité des retours à ce qui est chiffrable et localisable dans chaque pays n'est ni honnête ni juste.
Le meilleur exemple est la politique agricole commune, la PAC, dont le retour est supérieur à 10 milliards d'euros. En rappelant l'importance de cette somme, on dresse certains Français contre d'autres, ce qui est désastreux.
On n'insiste pas assez sur le fait que les crédits réservés aux pays concernés par l'élargissement donnent très souvent lieu à des investissements réalisés par des entreprises d'autres États, notamment par des entreprises françaises.
Ces crédits sont comptabilisés au titre des sommes accordées à ces États, mais nous en bénéficions également puisqu'ils élargissent notre marché, ce qui n'est pas sans intérêt pour notre pays.
Je peux citer également l'exemple des crédits des réseaux transeuropéens. Il est évident que, lorsqu'on aménage un port, un aéroport ou une voie de communication dans un des pays de l'Union, cette infrastructure profite à l'ensemble des autres pays, car elle rapproche entre eux les citoyens des différents États de l'Union.
Cette démonstration vaut également pour la libre circulation et le marché unique, dont tout le monde bénéficie. Or il n'y a de retombées chiffrables, identifiables, dans aucun des États membres ! Mais c'est tout l'intérêt pour notre pays d'investir 18,696 milliards d'euros dans le budget des Communautés européennes.
La démonstration vaut aussi pour la défense ou la mise en place d'une politique communautaire de la recherche ou de l'énergie, dont tout le monde bénéficiera, sans que les retombées soient forcément localisables dans tel ou tel pays.
Consacrer 18,696 milliards d'euros de notre budget pour garantir durablement la démocratie, la paix et la liberté, c'est ce qui est le moins localisable, mais le plus bénéfique et ce n'est pas cher payé ! C'est moins coûteux, en tout cas, que n'importe quelle guerre !
Le débat sur le « retour net », que je condamne, défait l'Europe et ramène chaque État dans ses frontières, en négligeant le fait qu'aucun des États membres de l'Union n'a plus d'avenir aujourd'hui s'il s'enferme à l'intérieur de ses frontières. (M. Jean-Jacques Jégou applaudit.)
Bien sûr, pour que la solidarité soit valable, il faut que les intérêts nationaux de chacun s'expriment et soient pris en compte.
L'Europe a été instituée en raison de l'existence d'intérêts communs autrement plus lourds que les simples intérêts nationaux. Mais ce n'est pas parce que ces intérêts sont communs que les États peuvent s'en débarrasser ou doivent s'en désintéresser. Ces intérêts, parce qu'ils sont communs, ne deviennent pas pour autant la préoccupation exclusive d'une entité abstraite bruxelloise : ils doivent rester notre problème à tous ! L'Europe, c'est d'abord nous tous !
À cet égard, je souhaiterais que l'on insiste dans les semaines à venir sur le fait que le Président de la République française qui sera élu le 6 mai prochain sera en même temps membre du Conseil européen
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. C'est bien en ayant cette double perspective à l'esprit que nous devons faire notre choix.
Dans ce contexte, l'enjeu européen ne doit pas, lors de la campagne électorale, être uniquement une figure imposée ou un mal nécessaire, voire un sujet qui risque de faire perdre des voix.
Nous, les parlementaires nationaux, devons rappeler qu'il y a une attente d'Europe en chaque Européen, en chaque Français.
C'est la raison pour laquelle la dimension européenne de cette campagne présidentielle doit être importante.
À cet égard, la polémique sur le chèque britannique, sujet à la fine pointe du débat sur le « retour net », devient proprement surréaliste. Pourtant, cela coûte cher à la France : 1,4 milliard d'euros par an, ...
M. le président. Hélas !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. ... soit une contribution à hauteur de 27 %.
Comparée à notre participation au budget des Communautés européennes, cette contribution au chèque britannique représente près de 10 %, ce qui n'est plus du tout marginal.
Mais ne condamnons pas les Anglo-Saxons, car le débat se situe plutôt au niveau des intérêts nationaux. Ils ont trouvé cet argument pour faire prévaloir le fait que leurs intérêts nationaux n'étaient pas suffisamment pris en compte et que l'intérêt commun leur échappait assez largement.
Nous entrons aussi dans le débat, lorsque nous défendons bec et ongles la PAC, et nous le payons souvent cher sur d'autres sujets, comme le chèque britannique. Tous, nous voyons se heurter les intérêts nationaux et s'éloigner les intérêts communs.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas très nouveau !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Mais, sur ce point, je n'irai pas plus loin.
Aujourd'hui, nous constatons que l'Europe est asphyxiée par le choc des intérêts nationaux, le traité de Nice ne lui donnant pas les capacités de décision dont elle a besoin. L'essentiel disparaît, et la panne européenne s'installe.
Madame la ministre, c'est une priorité, il faut sortir de l'impasse institutionnelle. Plus encore, il faut, à mon sens, restaurer le sens de l'intérêt commun. Sans intérêt commun, pourquoi une Europe ?
Après avoir apporté cet éclairage, je rappellerai que nous devons aujourd'hui voter le prélèvement opéré sur les recettes de l'État sans avoir un droit de regard sur les dépenses du budget européen. Je l'ai déjà souligné à plusieurs reprises, et j'y insiste largement, un budget dont les recettes sont votées par les parlements nationaux et les dépenses par le Parlement européen n'a rien d'un vrai budget démocratique !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait ! Ce n'est pas un vrai budget !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Personne ne peut s'y retrouver. Cela dit, j'évoquerai quelques signes encourageants.
Tout d'abord, sur cet aspect budgétaire, je tiens à saluer votre engagement personnel, madame la ministre. De tous les ministres avec lesquels j'ai eu le bonheur de travailler, vous êtes l'un des premiers à être le plus monté en ligne. C'est la réalité ; je l'ai constaté, car je travaille avec vous de manière assidue sur cette question.
Par ailleurs, l'idée d'intégrer la question du budget des Communautés européennes dans la réflexion menée sur le devenir de nos institutions progresse, ce qui est positif. Cette question n'était pas du tout évoquée dans le traité institutionnel ; c'était d'ailleurs la seule lacune que j'avais identifiée à l'époque. Mais peut-être n'était-il pas encore temps de le faire ! Aujourd'hui, nous devons approfondir cette réflexion, qui me semble susceptible de donner lieu à un vrai débat.
Dans ce budget, nous intervenons au cours de la procédure. Le Conseil européen a fixé l'augmentation des crédits de paiement à 3,8 % par rapport au budget de 2006, alors que le Parlement européen demande une augmentation de 8,9 %. La concertation qui s'est déroulée le 21 novembre dernier entre le Parlement et le Conseil a échoué.
Nous sommes donc dans le cours d'une procédure complètement floue et laborieuse, qui se situe elle-même dans un contexte particulier dans la mesure où ce budget sera le premier concerné par les nouvelles perspectives financières arrêtées pour les années 2007-2013. Au début de cette année, la présidence autrichienne s'est également déroulée dans des conditions particulièrement laborieuses. Nous voyons de nouveau surgir les difficultés auxquelles se heurte l'Union européenne pour prendre des décisions. Au-delà, elle est confrontée à d'autres difficultés, car on n'est au clair ni sur les compétences ni sur le principe de subsidiarité. En la matière, il faut faire des progrès significatifs.
Je me contenterai de dire que ce budget est bon pour ce qui concerne la recherche et les réseaux transeuropéens, et je constate que la rigueur progresse. Je vous propose donc, mes chers collègues, de voter l'article 32, considérant qu'il n'est pas de l'intérêt de la France d'ouvrir une nouvelle crise européenne, en refusant d'apporter sa contribution au budget européen. Mais, pour que notre vote prenne tout son sens, encore nous faut-il maintenant répondre à la vraie question : Que fait-on maintenant ?
Nous ne devons pas rester là à attendre la prochaine présidence, puis la prochaine élection, ou vice versa selon les Etats, pour prendre des décisions parce qu'il y a toujours une échéance à venir. Pourtant, en ce moment, on s'installe dans cette situation ! Il faut sortir de ce schéma et avancer. Une occasion nous en est donnée avec l'échéance de 2009.
Mon propos s'inscrit strictement dans le domaine budgétaire.
L'exercice budgétaire sur les perspectives financières pour 2007-2013 s'est conclu avec la promesse de rouvrir le débat à mi-parcours, en 2009. Or, le second semestre de 2008 sera sous la présidence française, une présidence qu'il nous faut préparer dès maintenant, notamment en liaison avec l'Allemagne, qui assurera la présidence au premier semestre de 2007. Nous devons savoir ce que nous voulons en faire et travailler, dès le 1er janvier 2007, avec nos partenaires allemands sur des sujets cruciaux pour l'avenir de l'Europe, à savoir la modernisation des recettes et la réforme de la structure budgétaire, la réforme durable de la PAC, la restauration d'une vraie politique agricole, la réussite des élargissements de 2004 et de 2007, le lancement d'une politique de la recherche et de l'énergie, les progrès à faire en matière de défense européenne.
J'y ajouterai une grande politique européenne de codéveloppement. Plus le temps passe, plus je pense que cette politique pourrait être une solution pour sortir de l'impasse. Pourquoi ne pas réfléchir à son lancement ?
Cette politique de codéveloppement viserait à assurer des équilibres, que la stratégie de Lisbonne a tenté d'établir, pour sa part, en matière de recherche et d'innovation, démontrant que l'Europe entend être présente sur le débat relatif à la répartition des activités dans le monde.
Oui, il faut être compétitif par rapport aux pays les plus avancés. En mettant en oeuvre une politique européenne de codéveloppement, on donnerait du sens à l'action menée par la stratégie de Lisbonne et on redonnerait un certain élan à l'Europe, en veillant à ne pas creuser plus encore l'écart existant entre les pays les plus en difficulté et ceux qui sont les plus avancés, entre ceux qui manquent de tout et n'ont d'autre solution que de pratiquer le dumping social ou écologique ou de recourir à l'émigration et ceux qui préparent des jours meilleurs.
Cette politique nous permettrait de progresser sur les débats qu'engage concrètement chaque État membre, et chaque Européen, sur l'immigration ou les délocalisations d'activités. Ainsi, l'Europe pourrait renouer avec sa vraie vocation : servir la paix, et nos jeunes retrouveraient un vrai projet susceptible de les mobiliser.
Pour ma part, je souhaiterais que la France fasse cette proposition à ses partenaires, qui attendent toujours beaucoup d'elle. Ne restons pas dans la situation qu'a décrite dernièrement Jean-Claude Juncker devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
L'Europe, disait-il en substance, essaie de trouver des solutions pour redonner un élan à sa politique et évoque les cercles concentriques. Les Français se voient, bien évidemment, au centre de ces cercles, puisqu'ils doivent toujours être, selon eux, au centre de tout ! Or, il faut qu'ils sachent que, pour un certain nombre de leurs partenaires de l'Union européenne, notamment ceux qui ont voté en faveur de la Constitution européenne, en particulier les Luxembourgeois et les Espagnols, non seulement les Français ne sont pas au centre des projets qu'ils peuvent élaborer, mais ils n'en font pas du tout partie !
Ces propos, qui m'ont frappé, doivent nous ramener à une certaine humilité. Toutefois, sachant que nos partenaires attendent toujours beaucoup de nous, nous devons avoir l'ambition de leur proposer des solutions pour redonner un élan à l'Europe.
Montrons-leur que, plus que jamais, nous continuons à croire en l'Europe, celle de l'état de droit, de la paix et de la liberté plutôt que celle du « retour net ». Remettons-nous, avec ambition et modestie, au service de la construction européenne et, par là même, de notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. Jacques Baudot. Et les Turcs ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, ce débat nous permet non seulement d'évoquer les questions européennes sous l'angle budgétaire, mais aussi de les replacer dans un contexte plus large. Une nouvelle fois, je voudrais, au nom de la commission des finances, m'essayer à cet exercice.
Nous l'avons vu, les perspectives financières pour les années 2007-2013, après des négociations particulièrement difficiles, qui ont révélé des contradictions fortes, témoignent d'ambitions mesurées. Afin de préparer les phases suivantes, il convient, comme toujours en matière européenne, de s'interroger sur plusieurs points essentiels.
Ce budget finance-t-il des politiques réellement communautaires ? Peut-il se révéler complémentaire des budgets nationaux et exercer un effet de levier ? Peut-il donner un nouvel élan à l'Europe institutionnelle ?
Dans le cours de mon exposé, je reviendrai plus en détail sur ces questions, en traitant successivement trois points : la cohérence entre le budget européen et les économies nationales, le rôle des nouveaux États membres d'Europe centrale et orientale dans le concert européen, et la gouvernance de cet espace européen qui se subdivise en une série de cercles se recoupant ou non.
Tout d'abord, quelle cohérence y a-t-il entre le budget européen et les économies nationales ?
À cet égard, nous devons, là aussi, rappeler un certain nombre de points, qui soulèvent quelques interrogations.
J'évoquerai le devenir de la politique agricole commune, au-delà de la présente échéance, qui a eu le mérite de sécuriser une règle du jeu.
La politique régionale paraît jouer son rôle, et même très correctement, en termes de convergence des économies, mais son efficacité paraît insuffisante pour accroître, au sens large, la compétitivité de l'Europe ; elle est révélatrice des contradictions de l'espace européen et des compétitions internes.
Au-delà des bonnes intentions, le bloc des actions très parcellaires sur le thème « liberté, justice et citoyenneté » est indéchiffrable.
La stratégie de Lisbonne, dont les objectifs sont incontestables, paraît, par bien des aspects encore, très confinée dans le verbalisme, les propos convenus.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La bonne conscience !
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'action extérieure, inégale, lacunaire, ne révèle pas toujours - c'est une litote - une stratégie politique des États européens.
La sécurité et la défense sont encore balbutiantes pour des raisons que nous pouvons, nous Français, bien comprendre.
Au total, j'observe - ce n'est qu'un constat - que le budget européen oscille entre deux extrêmes.
D'un côté, pour nombre d'entre nous - et nous ne faisons que traduire le sentiment de nos concitoyens -, cette procédure est peu lisible et très technocratique. Comme l'a souligné Denis Badré, ce budget présente un caractère contradictoire dans la mesure où les recettes sont votées par les parlements nationaux, tandis que les dépenses sont votées par le Parlement européen.
De l'autre côté, le budget européen est perçu comme répondant à une logique de guichet, voire de tiroir-caisse, pour certaines catégories ciblées, certaines zones territoriales, certains États ou certaines régions. On peut comprendre ce droit à émarger à des fonds structurels, mais il développe tout naturellement de nouveaux clientélismes qui sont loin de converger, me semble-t-il, vers l'intérêt général européen.
Ces considérations me conduisent à aborder la place très substantielle, à mon sens, que doivent avoir, dans ce dispositif, les nouveaux États membres.
L'euphorie de l'adhésion étant passée, bien des difficultés se font jour. Chacun des nouveaux États membres semble vivre une sorte de déprime post-adhésion ; la Hongrie en est sûrement la meilleure illustration. Les pays ont concentré leurs efforts pour atteindre un objectif particulièrement difficile et ont dû faire de lourds sacrifices. L'objectif atteint, le corps social se rend compte qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Certes, le tableau est contrasté. Les nouveaux États adhérents ont le mérite de nous faire redécouvrir, en quelque sorte, l'Europe, une Europe où les petits États ont leur place aux côtés des poids lourds ou des poids moyens ; une Europe où il faut savoir conclure des alliances, parvenir à des convergences et où, sur tel dossier, l'opinion de l'Estonie est aussi importante que celle de l'Allemagne, celle de la Slovénie aussi importante que celle de l'Espagne.
C'est une redécouverte de l'Europe, surtout pour nous, Français, qui en avons bien besoin, car nous sommes trop souvent tournés vers nous-mêmes, notre nombril, nos catégories, nos propres clientèles, nos guichets, nos dégrèvements, nos déductions ; pardonnez-moi de citer des thèmes du projet de loi de finances qui me sont chers
Des satisfactions doivent aussi être exprimées au titre de cet élargissement de l'Europe. Ainsi, la Slovénie - le bon élève du dernier élargissement - est le premier pays de cette zone de l'Europe à pratiquer l'euro. La Slovaquie, malgré une vie politique très contrastée, présente des performances excellentes sur la durée et doit parvenir à résoudre ses contradictions.
À l'inverse, la Hongrie, perçue de longue date comme l'État ayant fait le plus de chemin pour réintégrer l'Europe, se révèle comme un pays où les gouvernants n'osent pas dire la vérité aux gouvernés ou, plus exactement, où ils ne la disent qu'une fois les élections passées, ce qui est quand même une singulière pratique de la démocratie.
Grâce à l'élargissement, l'Europe centrale est un révélateur. Je vous conseille, mes chers collègues - mais beaucoup d'entre vous le savent puisqu'ils font partie de groupes d'amitié liant la France avec l'un ou l'autre de ces pays - de mieux les connaître, car nous y trouvons toutes les ressources multiséculaires de la culture européenne et, en même temps, le creuset des contradictions qu'aujourd'hui ces pays partagent avec nous.
Tout récemment, alors que j'étais en visite à Bucarest, capitale de l'un des deux États qui vont entrer dans l'Union européenne le 1er janvier 2007, j'ai été particulièrement frappé, d'une part, par l'avancée économique réelle et rapide de ce pays et, d'autre part, par les particularités de la société politique qui, dans ses subtilités, ses alliances, n'a rien à nous envier et n'a même rien à envier à nos anciennes républiques.
Mais, surtout, la Roumanie est le seul État d'une certaine dimension où a été réellement expérimentée ce qu'on appelle la « flat tax », c'est-à-dire la baisse des taux de tous les impôts sur les revenus avec, en contrepartie, une réduction de l'économie parallèle qui permet un accroissement très substantiel des recettes fiscales.
Cet exemple n'est pas transposable. Toutefois, madame la ministre, dans l'Europe élargie, chacun de ces nouveaux États est un laboratoire dont il faut analyser l'expérience et le cheminement avec le plus grand soin. S'ils viennent de plus loin, ces États sont, en effet, sur le plan de la culture, de la formation politique, de la pratique démocratique, exactement à notre image et nous pouvons progresser beaucoup en les rencontrant plus souvent.
Permettez-moi de vous livrer quelques réflexions sur la gouvernance dans cet espace européen multidimensionnel.
Nous le savons bien, il y a non pas un seul espace européen, mais de nombreux espaces imbriqués les uns dans les autres, répondant à des logiques différentes et pilotés par des institutions distinctes.
On peut parler de l'espace monétaire, la zone euro. On peut parler de l'espace budgétaire de Maastricht, celui où s'exerce le contrôle, la vigilance multilatérale de la Commission, l'espace des taux de change, qui n'est pas seulement la zone euro. Plusieurs pays sont arrimés à celle-ci par des accords monétaires issus du serpent européen d'autrefois.
Si l'on en vient aux questions politiques en quittant l'économie, la finance, la monnaie, sur le plan institutionnel, politique et normatif, il y a l'Union à vingt-sept, il y a l'environnement proche de l'Union européenne, avec les accords d'associations en particulier, il y a la sphère de pré-adhésion, avec les États balkaniques et cette fameuse Turquie, qui, pour moi, n'est qu'un pays très peu européen et beaucoup plus moyen-oriental et asiatique.
Enfin, si l'on évoque les questions relatives à la sécurité, l'espace de la libre circulation des biens n'est pas l'espace de la libre circulation des personnes. Ce sont des espaces régis par des conventions différentes englobant des pays différents.
Inévitablement, trois problèmes se posent toujours : pilotage et processus de décision, organisation de la politique économique, détermination des frontières de l'Europe. Il faudra, bien entendu, au fil du temps, aborder ces problèmes, en faisant des progrès qui pourront être soit des petits pas, soit des sauts plus significatifs, à un rythme que personne, aujourd'hui, ne peut réellement prédire.
Je terminerai par le processus législatif, c'est-à-dire le processus d'élaboration des directives et des normes communautaires, qui nous concerne de plus près.
Tout réel progrès en matière de taux, d'assiette et de fiscalité bute aujourd'hui sur la règle de l'unanimité. Les services de la Commission, s'ils conservent, à mon avis, une grande technicité et de grandes compétences dans ce domaine, ne peuvent absolument plus faire substantiellement avancer la réflexion et peuvent encore moins développer l'action ; cela est profondément antinomique de la notion d'un vrai marché intérieur unique.
Le foisonnement législatif n'en continue pas moins de se produire sous l'effet, en particulier, des influences qui s'exercent sur le Parlement européen.
Dans le domaine des services financiers, par exemple, la technicité des sujets, avec le recours au processus « Lamfalussy », l'essor des directives à options ou « à la carte », où chaque État national aménage en réalité sa propre législation spécifique, créent des espaces de plus en plus foisonnants et complexes qui répondent de moins au moins, aux objectifs de simplification et d'harmonisation. La réforme institutionnelle est donc un enjeu fondamental.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur général !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En conclusion, permettez-moi, madame la ministre, de vous faire part des frustrations que nous ressentons lorsque, sur tel ou tel sujet ayant des incidences financières, économiques, budgétaires, des conseils de ministres techniques, après des maturations très longues, consentent à de nouvelles normes communautaires, sans avoir aucune idée précise et concrète des répercussions sur les budgets, sur la vie des entreprises et sur nos propres finances publiques.
Si l'État nation nous apparaît souvent éclaté et tiraillé entre de multiples contradictions, on peut dire, madame la ministre, que l'Europe ne se porte pas mieux que l'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mes propos vont peut-être vous paraître particulièrement pessimistes ; j'en suis désolé. Je veux simplement vous faire partager mon inquiétude.
Madame la ministre, je précise, à votre endroit, que les critiques que je vais formuler ne vous concernent pas, car nous apprécions, à la délégation, tout comme dans cette enceinte, la qualité des relations que nous entretenons avec vous.
On entend souvent dire, ces derniers temps, que l'Europe serait en panne. C'est l'impression qui résulte de l'échec des référendums français et néerlandais sur le projet de traité constitutionnel.
Les institutions européennes semblent solides, mais elles fonctionnent tant bien que mal, en l'absence des améliorations qu'il avait été envisagé de leur apporter. Ce n'est pas encore la panne, mais le moteur a de sérieux ratés, commence à manquer de carburant et d'air.
Ce rendez-vous annuel, dont l'objet est d'autoriser la contribution de la France au budget des Communautés européennes, est l'occasion de constater que la vie de l'Union européenne suit son cours.
Certes, le budget communautaire de 2007 est le premier budget de la programmation financière pour la fameuse période 2007-2013. Certains prétendent, sans d'ailleurs être contredits, que l'Europe n'est plus pilotée qu'à courte vue, qu'elle hésiterait à se projeter dans l'avenir. Ce n'est pas faux.
Ce budget est le premier budget d'une Union européenne élargie à vingt-sept membres, avec l'entrée au 1er janvier prochain de la Roumanie et de la Bulgarie.
Dans cette Union européenne, qui repousse sans cesse ses frontières, notre pays, on le dit souvent, doit maintenir son rang, sa juste place.
Certains prétendent, pour le déplorer ou pour s'en réjouir, que la voix de la France serait affaiblie en Europe depuis l'échec du référendum du 29 mai 2005. Malheureusement, c'est en partie vrai.
M. Jean-Jacques Jégou. Hélas !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Sur le plan budgétaire, le poids de notre engagement financier est important. Avec une contribution prévue de 18,7 milliards d'euros en 2007, la France demeurera le deuxième contributeur au budget européen et le quatrième contributeur net. Notre pays renforcera même sensiblement sa position de contributeur net - M. le rapporteur spécial l'a souligné tout à l'heure - dans le cadre de la nouvelle programmation financière.
La difficile négociation des perspectives financières pour la période 2007-2013 a été le grand sujet qui a occupé le devant de la scène européenne jusqu'au printemps de cette année.
Elle a non sans mal abouti et, paradoxalement, c'est sous présidence britannique qu'a été dégagé le compromis au Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005, qui a ouvert la voie à l'accord interinstitutionnel du 17 mai 2006.
Je dis « paradoxalement », parce que l'un des éléments de ce compromis est la remise en cause du « chèque britannique ». Le Royaume-Uni a finalement accepté de contribuer davantage aux dépenses d'élargissement, ce qui devrait se traduire pour lui par une participation accrue de 10,5 milliards d'euros sur la période 2007-2013.
Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'il a été obtenu sans qu'il soit porté atteinte au cadrage financier de la politique agricole commune, tel qu'il a été arrêté en 2002, en dépit de la forte pression exercée en ce sens par M. Tony Blair. Saluons donc le fair-play de nos amis britanniques, qui ont accepté de rogner la compensation budgétaire qui leur est versée depuis 1984.
Mais n'oublions pas que la charge relative de la France se trouvera également accrue, puisque le solde net de notre pays se dégradera, passant de moins 0,26 % du revenu national brut en 2006, à moins 0,37 % en moyenne annuelle durant la nouvelle programmation financière.
Que faut-il penser de la modération de la progression du budget communautaire prévue sur la période 2007-2013 ?
Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui considèrent une fuite en avant budgétaire comme un signe de progrès en soi pour l'Europe. Et, je le crois, une augmentation raisonnée du budget européen peut être bénéfique si elle est axée, comme il se doit, sur les dépenses de compétitivité et de cohésion.
Cependant, la limite de 1 % du revenu national brut de l'Union européenne n'est pas non plus intangible. Elle devra être dépassée le jour où de nouveaux transferts de compétences seront réalisés au bénéfice de l'Union européenne, permettant un saut qualitatif seul à même de justifier un saut quantitatif dans le montant des crédits qui lui sont alloués.
Pour l'instant, les compétences récemment dévolues à l'Europe ne sont pas encore grandes consommatrices de crédits. Ainsi, les sommes consacrées au « troisième pilier », c'est-à-dire aux politiques de justice et des affaires intérieures, s'élèveront en 2007 à 561,7 millions d'euros en crédits d'engagement seulement. De même, en dépit d'une progression de près de 50 % par rapport à l'année 2006, les crédits consacrés à la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, n'atteindront qu'un montant de 159 millions d'euros. Toutefois, si modestes soient-ils encore, ces crédits constituent déjà un enjeu de pouvoir au sein du triptyque Commission européenne, Parlement européen et Conseil européen.
Nous assistons cette année à un curieux bras de fer entre le Parlement européen et le Conseil à propos des crédits consacrés à la PESC.
En première lecture, le Parlement européen a tout simplement diminué de moitié les crédits consacrés à la PESC, afin de protester contre ce qu'il considère comme sa mise à l'écart dans cette matière. Pourtant, le Conseil, conciliant, s'était engagé, en 2002, à le tenir informé dans ce domaine. Mais le Parlement européen souhaite être associé plus étroitement, c'est-à-dire à l'avance, et non plus a posteriori. En vertu de quoi, madame la ministre ? On peut se le demander.
Le Parlement européen voudrait que le Haut représentant de l'Union européenne pour la PESC, M. Javier Solana, se présente au moins une fois par an devant l'assemblée plénière du Parlement européen pour exposer ses projets futurs. Il voudrait également obtenir un droit de regard sur l'activité et même sur la procédure de désignation des représentants spéciaux. Il semblerait que les gouvernements, y compris le nôtre, laissent faire.
Un tel dévoiement illustre bien le déséquilibre qui tend à s'accentuer au sein du triptyque communautaire : le Conseil existe de moins en moins, la Commission européenne connaît une situation comparable et le Parlement européen monte en puissance.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très juste !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est donc à l'appui de telles revendications que le Parlement européen a réduit les crédits de la PESC de 50 % en première lecture. Comme il se doit, le Conseil les a rétablis en deuxième lecture. D'après mes informations les plus récentes, madame la ministre, il semblerait même qu'un accord soit intervenu hier au cours du trilogue et que le Conseil ait une fois de plus accepté des engagements supplémentaires en échange du rétablissement des crédits de la PESC. Nous souhaiterions connaître avec précision la teneur de ces engagements. Madame la ministre, la représentation nationale est en droit, me semble-t-il, d'attendre des explications de la part du Gouvernement.
Cette affaire me paraît grave, parce que, si les citoyens sont globalement favorables à ce que l'Europe s'affirme plus en matière de sécurité et de défense, ces domaines demeurent jusqu'à nouvel ordre au coeur des souverainetés nationales. Les questions traitées sont sensibles entre toutes. Le développement et l'approfondissement de la PESC sont donc inconcevables sans un contrôle parlementaire effectif à l'échelon approprié. Mais, dans la mesure où il n'a pas de compétences dans ce domaine, le Parlement européen n'a pas de légitimité pour intervenir.
En effet, la PESC est pour longtemps une politique de nature intergouvernementale, et le Parlement européen, à ma connaissance, n'est pas habilité à contrôler les gouvernements nationaux. Jusqu'à nouvel ordre, ce sont les parlements nationaux qui votent les budgets de défense et qui autorisent, le cas échéant, l'engagement des forces dans un conflit. C'est donc essentiellement sur les parlements nationaux que le contrôle de la PESC peut et doit reposer. (M. Robert Del Picchia applaudit.)
Un tel contrôle doit s'exercer en partie au plan national, dans le cadre des relations de chaque parlement avec son gouvernement, mais il doit tout autant s'exercer à l'échelon de l'Union européenne. Au travail collectif des gouvernements doit répondre le contrôle collectif des parlements nationaux. Comment ?
Actuellement, c'est sur l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, que ce contrôle repose. Celle-ci est la seule instance parlementaire européenne dans laquelle des parlementaires nationaux peuvent assurer un suivi régulier des questions de sécurité et de défense, incluant un dialogue avec des responsables gouvernementaux. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
La qualité des travaux de l'Assemblée de l'UEO est bien connue, mais sa position est fragile. Cette situation complexe ne fait pas de cette assemblée une instance aisément identifiable par les citoyens.
Aujourd'hui, nous devons, me semble-t-il, réfléchir à une formule permettant de préserver les acquis de l'Assemblée de l'UEO tout en lui donnant une base au sein de l'Union européenne. Une solution pourrait être de la rapprocher de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l'Union européenne, ou COSAC. Depuis le traité d'Amsterdam, celle-ci a le mérite d'avoir une base dans le droit primaire de l'Union. Elle est composée de six représentants de chacun des parlements nationaux des Etats membres et de six représentants du Parlement européen. À mon sens, la COSAC a vocation à exercer une telle responsabilité. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'en entretenir avec l'actuel président de l'Assemblée de l'UEO, notre collègue Jean-Pierre Masseret.
Si l'on adoptait cette solution, les parlements nationaux disposeraient ainsi d'un instrument pour leur rôle collectif. En outre, si M. Solana va devant le Parlement européen, il a toujours refusé de se rendre devant l'Assemblée de l'UEO. C'est curieux ! (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
Dans cette hypothèse, le Parlement européen serait moins tenté d'exiger au détour de la discussion budgétaire des pouvoirs que la logique intergouvernementale de la PESC ne lui reconnaît pas.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en vous faisant part de mes constats et de certains regrets, j'ai fait mon devoir, et ce dans tous les sens du terme.
J'en suis bien conscient, ce que peut dire la représentation nationale est le plus souvent vain, car il existe un dialogue de sourds entre, d'une part, les « sachants » et les experts et, d'autre part, les ignorants que nous serions. Nous prêchons dans le désert politique et administratif sans laisser entrevoir la bonne nouvelle, qui serait un sursaut européen. Mais un tel sursaut ne se fera pas sans les États-nations, c'est-à-dire sans nous. Comme le rappelait la présidence autrichienne, l'Europe commence chez soi, chez nous et en chacun d'entre nous.
Si Dieu me prête vie, je vous donne rendez-vous l'année prochaine pour l'examen de ce budget. Mais les élections présidentielle et législatives seront passées par là. La situation aura en apparence évolué, mais je crains que rien n'ait réellement changé. (Exclamations ironiques.) En tout cas, le pire n'est jamais sûr ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellente intervention !
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)