M. Jean-Louis Carrère. Quel piège !
M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis. En revanche, le plafonnement de la taxe professionnelle acquittée par les entreprises et l'institution d'un bouclier fiscal au bénéfice des ménages vont amputer le pouvoir fiscal des collectivités territoriales. Heureusement, grâce à cette mesure, certaines entreprises en difficulté seront peut-être sauvées.
En conclusion, je dirai que l'autonomie fiscale constitue à mes yeux, non seulement un facteur d'efficacité de la gestion des collectivités territoriales, mais surtout un fondement de la démocratie locale.
La réforme de la fiscalité locale constitue donc plus que jamais une nécessité. Je forme le voeu qu'elle soit enfin réalisée sous la prochaine législature. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 40 minutes ;
Groupe socialiste, 27 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum pour trente-cinq minutes.
M. Michel Charasse. Le Gouvernement parle quand il le veut ! C'est la Constitution ! On n'est plus sous la IVe République et on n'est pas encore sous la VIe République !
M. le président. Mon cher collègue, vous n'avez pas à commenter les propositions de la conférence des présidents dont vous n'êtes pas membre, mais où tous les groupes sont représentés !
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les collectivités territoriales assurent les services indispensables à la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi ceux qui contribuent à la vie de toutes les entreprises.
Les besoins des populations ont fortement évolué. Ainsi, la modification des situations familiales, notamment la croissance du nombre de familles monoparentales, a nécessité une modification de la conception de l'accueil des enfants dès le plus jeune âge. L'augmentation des places en crèche, mais aussi l'accueil périscolaire, sont devenus d'autant plus incontournables que les transformations affectant le monde du travail se traduisent, bien souvent, par des horaires éclatés dans les activités de commerce ou de services : l'absence du parent rend, en effet, obligatoire la prise en charge de l'enfant.
Ces réalités sont très peu prises en compte et, en cette année 2006, on a enregistré, au contraire, une progression du budget de la CAF très inférieure aux besoins constatés dans les contrats « petite enfance » ou « temps libre » négociés avec les collectivités concernées.
Dans les communes qui accueillent les familles les plus fragiles, l'aggravation des situations pèse lourd sur les budgets : 60 % des salariés, tous secteurs confondus, gagnent moins de 1 600 euros net par mois, 47 % des familles monoparentales ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté En effet, les charges liées au logement - augmentation des loyers, mais aussi coût de l'énergie - absorbent bien au-delà des 30 % des ressources des foyers. Les communes, les conseils généraux sont donc de plus en plus sollicités pour aider, au titre de l'aide sociale, à passer les caps difficiles.
Parallèlement, les prix des services mis à leur disposition doivent tenir compte de leurs capacités contributives.
Dans son dernier rapport, le Secours catholique affirme que le pouvoir d'achat des plus pauvres en 2005 est égal à celui de 2000. Et le rapport du CERC, le centre d'étude des revenus et des coûts, analyse que « l'emploi instable est l'une des principales causes de la croissance des inégalités de revenus en France ».
On nous dit que le chômage diminue, mais les conseils généraux constatent que le nombre de bénéficiaires du RMI augmente. Que recouvrent, en réalité, ces chiffres relatifs au nombre de demandeurs d'emploi ? Ils ne reflètent pas la totalité de ceux qui sont chômeurs !
Ainsi, nos collectivités souffrent directement de cette aggravation des conditions de vie qui touche la grande majorité de la population. Et quand elles ont des quartiers en ZUS, zone urbaine sensible, ou en ZFU, zone franche urbaine, les choses s'aggravent. L'Observatoire national des zones urbaines a dressé un bilan de la situation. Il montre que, à la fin de 2005, le taux de chômage est deux fois supérieur dans ces quartiers à ce qu'il est dans le reste de la France : quatre jeunes sur dix sont en recherche d'emploi.
Les inégalités s'accentuent, et nous constatons aujourd'hui que si la politique de la ville a permis, par ses investissements, d'embellir les espaces publics, d'améliorer les immeubles de logements ou encore les équipements, comme nous l'avons dit lors du débat sur la mission « Quartiers en difficulté », « ce n'est pas une politique de la ville qui reforme à elle seule les dégâts d'une politique de désertification industrielle ou de casse des services publics ».
Quant aux moyens permettant aux collectivités, aux associations de mener des actions sur le terrain pour accompagner toutes ces familles et les aider à retrouver un emploi, à être capables de se mobiliser pour accompagner leurs enfants dans leur développement, ils ont peu à peu fondu.
Quand nous soulevons toutes ces questions, on nous invite à nous tourner vers les collectivités comme les conseils généraux ou régionaux. Mais, aujourd'hui, ces collectivités se retrouvent dans des situations compliquées. Les transferts opérés depuis la loi relative aux libertés et responsabilités locales pèsent lourdement sur leur budget. Je ne vous citerai pas les chiffres, votre ministère les connaît très bien.
Les collectivités sont face à des dépenses obligatoires pour lesquelles elles n'ont qu'à appliquer des choix décidés par le Gouvernement. L'un de nos collègues - je crois même que c'est le rapporteur général du budget, M. Marini - disait que les collectivités territoriales ne voulaient pas devenir les sous-traitants de l'État. Eh bien, je crois que, aujourd'hui, on peut dire qu'elles le sont devenues !
En effet, le Gouvernement exige qu'elles contribuent à la réduction du déficit public. Elles le font puisque, chaque année, elles votent leur budget en équilibre. En fait, non content d'exiger que les collectivités territoriales prennent en charge les dépenses et, surtout, les évolutions que vous ne voulez plus assurer directement dans le budget de la nation, vous attendez, de plus, qu'elles le fassent à périmètre financier constant !
Vous reprochez régulièrement aux collectivités territoriales de vouloir mener, sur leur territoire, des politiques spécifiques qui ne seraient pas de leurs compétences.
En fait, vous voudriez que les élus départementaux et régionaux n'utilisent les impôts locaux que dans les domaines où vous leur avez remis vos responsabilités. Ainsi, ces impôts locaux suffiraient. Mais vous oubliez que les collectivités territoriales sont élues au suffrage universel, et que leurs habitants en attendent des services de qualité. Les actions menées sur le terrain sont indispensables pour leur qualité de vie.
Les élus locaux sont ainsi, bien souvent, des fusibles dans les moments difficiles. Or, par vos choix, vous êtes en train de leur renvoyer « une patate chaude » qui pourrait, en retour, vous brûler les doigts.
Non, les collectivités territoriales ne dépensent pas à tort et à travers ! Non seulement, chaque année, leur budget est en équilibre, mais, de plus, la fiscalité locale est restée relativement stable : elle pesait 5,5 % en 1997 dans les prélèvements obligatoires, elle est de 5,7 % aujourd'hui.
Vous le savez également, elles représentent un poids économique non négligeable, puisqu'elles réalisent plus de 70 % des investissements publics, soit quatre fois plus que l'État - 48,6 milliards d'euros environ pour 2006. Les entreprises du bâtiment et des travaux publics et les emplois de ce secteur en bénéficient pleinement.
Mais si elles sont obligées aujourd'hui d'augmenter les impôts acquittés par les ménages, c'est la conséquence des choix que vous leur imposez.
Le rapport de notre collègue Éric Doligé sur le transfert des personnels TOS et des DDE est éloquent : « La question est de savoir si cette réforme ne va pas se transformer en bombe à retardement financière en raison des écarts observés entre les effectifs transférés et les besoins répertoriés par les collectivités, des incertitudes des emplois disparus ou vacants, de l'alignement des régimes d'indemnités et de primes ou de la dégradation annoncée des comptes de la CNRACL avec l'arrivée de populations TOS relativement plus âgées. »
J'ajoute que la modification intervenue s'agissant des directions départementales de l'équipement se traduit sur le terrain par l'abandon de la gestion du droit des sols auprès des communes de moins de 10 000 habitants, ce qui met ces dernières en grande difficulté pour gérer leurs permis de construire.
La situation ne peut se prolonger, et vous l'avez dans une certaine mesure compris, même si vous ne souhaitez pas y remédier pleinement, comme en témoigne le fait que vous ayez décidé de conserver, en 2007, le pacte de croissance et de solidarité tel qu'il était cette année.
Vous ne pouvez cependant pas en rester là. La décision prise dans la loi de finances pour 2006 de bloquer la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée n'est pas tenable. Les résultats de la simulation mise en ligne sur le site du ministère montrent des écarts importants avec les simulations faites au moment de la loi de finances. On nous dit que nous ne serons pas en mesure de connaître la réalité avant avril, ce qui peut se comprendre techniquement, mais n'est pas acceptable puisque tous les budgets doivent être votés avant le 31 mars.
Les collectivités concernées par ce ticket modérateur, en particulier les EPCI, pourraient en 2007 être dans l'obligation de ponctionner 526 millions d'euros sur leurs ressources fiscales au titre du partage du plafonnement : vingt-deux des vingt-cinq régions, quatre-vingt-trois des quatre-vingt-dix-huit départements et 40 % des intercommunalités sont concernés, et, parmi ces collectivités, un grand nombre ont des taux de taxe professionnelle qui se situent en dessous de la moyenne nationale.
Toutes ces décisions ont un seul but : réduire la dépense publique. Or, cette dernière n'a rien de répréhensible dès lors qu'elle répond aux attentes légitimes de la population, qu'elle contribue au développement économique de nos territoires, qu'elle participe à l'aménagement du territoire, et cela dans l'intérêt général.
L'urgence d'une réforme de la fiscalité locale est manifeste ; les élus vous l'ont rappelé lors du Congrès des maires de France, la semaine dernière. La nécessité de moyens pour assumer nos responsabilités est le constat partagé par tous les élus. Il est urgent de mettre en débat toutes les propositions qui permettront de changer la donne des finances et de la fiscalité locales.
Il faut dès à présent prendre d'autres mesures pour des priorités majeures : moderniser la taxe professionnelle et alléger les impôts des ménages, qui deviennent insupportables. Je l'ai rappelé ici à maintes reprises, et nous avons déposé une proposition de loi dans ce sens, notre fiscalité ne répond plus aux conditions économiques actuelles. Il faut donc la moderniser.
Ce sentiment est partagé par de nombreux élus et par de nombreuses personnalités. Je vous rappelle ce que disait Jean-Paul Delevoye : « La prochaine asphyxie des finances communales a pour principale raison le fait que quand l'économie était agricole, la richesse et la fiscalité étaient basées sur le foncier ; quand l'économie est devenue industrielle, la richesse était fondée sur le travail et le capital, et la fiscalité aussi. L'économie est devenue principalement aujourd'hui une économie de services et financière. Or, cette sphère est notoirement sous-fiscalisée. »
Ce constat est fait aussi par de nombreux chefs d'entreprise. Il y a aujourd'hui huit fois plus d'argent dans la sphère financière que dans la sphère productive, et vous continuez à taxer, messieurs les ministres, ceux qui participent à l'industrialisation de notre pays ! Auriez-vous fait le choix de favoriser les secteurs financiers, assurantiels et bancaires au détriment de nos industries ? Nous pourrions le croire au vu de votre dogmatisme fiscal !
Les actifs financiers représentent cinq fois le budget de la nation, soit 5 000 milliards d'euros.
La réforme fiscale serait une façon de réduire le poids de la pression fiscale sur les ménages en les intégrant dans la base de la taxe professionnelle.
Comme nous vous le proposerons dans un amendement, une taxation modeste ne ferait que diminuer un peu l'inégalité des entreprises face à l'impôt, notamment à la taxe professionnelle. Cette recette nouvelle pourrait servir uniquement à la péréquation.
Nous pensons que l'impôt est un outil de justice et de solidarité. Votre conception est aux antipodes : elle ne favorise que les hautes sphères financières. C'est la raison principale de votre réticence à prendre en compte nos propositions.
Cette question des moyens financiers sera, j'en suis certaine, au coeur des débats en 2007, et pour ce qui nous concerne, en tout cas, nous en débattrons avec la population. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après quatre ans et demi d'exercice des responsabilités gouvernementales, le probable candidat UMP à la prochaine élection présidentielle a décidé d'axer son programme sur le thème de la rupture.
On ne sait si cette stratégie de communication relève du pur marketing politique ou bien si elle s'alimente au généreux guichet de la mauvaise foi, car, si l'on ressent de profonds besoins de changement de la politique conduite en France depuis bientôt cinq ans, on ne peut s'en prendre seulement aux autres alors que l'on a occupé durant toute la période un rôle ministériel éminent au sein du Gouvernement : qu'on ne nous fasse pas croire que le ministre de l'intérieur ne se sent aucune responsabilité dans la conduite des dossiers de la décentralisation, des finances locales et de la politique mise en oeuvre pour les collectivités,...
M. Josselin de Rohan. Et Ségolène ?...
M. François Marc. ...car ici le langage de la rupture ne peut relever que du reniement ou bien de la repentance. Il est vrai qu'il n'est jamais trop tard...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très nuancé !
M. François Marc. Les évolutions constatées depuis quatre ans et demi dans la politique menée envers les collectivités ont fait intervenir, certes, des adaptations et des simplifications, mais, avec nombre d'observateurs et d'associations d'élus, on se doit aujourd'hui de faire état d'un constat véritablement accablant.
Évoquons, en premier lieu, la loi constitutionnelle de décentralisation et votre incapacité à réduire les inégalités territoriales.
Le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, rajouté sur l'initiative de ce gouvernement, précise en effet dorénavant que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». Or, si le principe, lui aussi constitutionnalisé, d'« autonomie financière » a bien été précisé dans une loi organique de 2004 et fait l'objet d'un suivi spécifique, rien de tel n'a été entrepris pour les dispositifs annoncés de péréquation !
On voit bien, messieurs les ministres, de quel côté vous fait pencher votre logique libérale : la recherche d'une plus grande égalité de ressources entre collectivités reste bien le parent pauvre de votre démarche.
M. Michel Moreigne. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Dans les cinq ans, entre 1997 et 2002, il n'avait pas été fait grand-chose !
M. François Marc. Un deuxième grief touche à la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales elle-même, car les élus ont à juste raison le sentiment que le coefficient d'autonomie financière retenu par le Gouvernement est purement théorique et ne génère aucune liberté de manoeuvre supplémentaire pour des responsables locaux confrontés à un processus d'alourdissement des charges obligatoires des collectivités.
Mis dans l'obligation d'augmenter les impôts locaux, les élus supportent de plus en plus mal le discours de culpabilisation qui est développé à leur égard depuis plus d'un an.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. François Marc. D'ailleurs, l'une des revendications unanimes du récent Congrès des maires de France a porté sur un « partenariat plus équilibré avec l'État »...
M. Jean-Claude Frécon. Exactement !
M. François Marc. ...et le président de la commission des finances a parlé tout à l'heure de la « crispation accentuée » qui se manifeste chez les élus locaux. Je crois donc que nous faisons le même diagnostic.
Le troisième motif de la « colère » des élus porte sur la compensation financière très insuffisante des transferts de compétences nés de cette décentralisation. On sait que la promesse était de compenser les transferts « à l'euro près ». Or, le manque à gagner cumulé des collectivités se chiffre à au moins 4 milliards d'euros, messieurs les ministres ; dans mon département par exemple, l'ardoise cumulée de l'État était estimée en juin dernier à 67 millions d'euros.
Quant à la réforme de la DGF, elle a certes apporté des simplifications sur la forme, mais elle n'a pas vraiment réorienté sur le fond la répartition très déséquilibrée entre partie forfaitaire et dotation de péréquation. La transparence n'a d'ailleurs pas été clairement au rendez-vous, par exemple pour les départements, arbitrairement classés en deux groupes, « urbains » et « ruraux », sans explication crédible.
Cette énumération des insuffisances gouvernementales serait incomplète si je n'évoquais pas une magistrale déconvenue, celle de la réforme de la fiscalité locale. Annoncée à coups de trompette élyséenne, les réformes de la taxe professionnelle et de la taxe sur le foncier non bâti ont fait long feu : comme on le sait, la montagne a, en définitive, accouché d'une souris.
Ces cinq illustrations démontrent, s'il en était besoin, à quel point la situation des collectivités a pâti ces cinq dernières années de la politique gouvernementale.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. François Marc. La nécessaire réforme des finances locales, qui aurait dû constituer un préalable à la loi de décentralisation, est restée en plan,...
M. Josselin de Rohan. Vous n'aviez rien fait !
M. François Marc. ...ce qui a conduit le vice-président de l'AMF à déclarer au Congrès des maires : « Depuis deux ans, nous annonçons la crise des finances locales. Cette crise - de confiance autant que de chiffres - est désormais devant nous de la façon la plus sûre qui soit. »
Ce Gouvernement n'a incontestablement pas bien su préparer l'avenir, et ce ne sont pas les annonces faites autour du projet de budget pour 2007 qui vont dissiper l'inquiétude des élus.
Ainsi, le fameux contrat de croissance et de solidarité se retrouve en situation de sursis : le Gouvernement annonce sa désindexation progressive en 2008 et en 2009 !
L'inquiétude tient, par ailleurs, à la mise en application, en 2007, du plafonnement de la taxe professionnelle. L'effet est connu : ce sont 526 millions d'euros qui, si rien ne change, pourraient être prélevés sur les ressources fiscales des collectivités.
J'ajoute au tableau peu flatteur de cette réforme gouvernementale que, malgré les dispositions qui ont pu être adoptées en la matière, il existe des risques accrus d'optimisation fiscale de la part des entreprises. En effet, les entreprises ont disposé du temps nécessaire - pas moins de deux ans ! - afin de recourir aux montages financiers adéquats pour éponger la taxe professionnelle au sein de filiales sous capitalisées.
Pis, cette réforme, mal conçue et incomplète, encourage le recours à l'intérim et favorise la précarisation de l'emploi. Malgré les avertissements répétés du groupe socialiste et en dépit même des préoccupations exprimées par le président de commission des finances, M. Arthuis, au moment des débats, l'an passé, le Gouvernement s'est pour l'instant montré incapable de remédier à cet effet pervers.
Le dispositif du bouclier fiscal doit aussi être évoqué ici. Le plafonnement à 60 % des impôts directs versés par le contribuable, véritable « fausse bonne idée », profite aux revenus les plus aisés et impose une nouvelle contrainte aux taxes locales.
Le bouclier fiscal, en apparence indolore localement, est en réalité payé par les collectivités locales à travers la dotation globale de fonctionnement. Plus de 43 millions d'euros seront ainsi prélevés sur les différentes dotations.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. François Marc. Comment ne pas s'inquiéter aussi lorsque l'on voit la stratégie de l'État de non-compensation intégrale des charges en ce qui concerne, par exemple, le transfert aux départements des personnels non enseignants de l'éducation nationale ou des agents de l'équipement ? Le rapport d'Éric Doligé a, là encore, mis à jour le décalage constaté en la matière.
Comment ne pas évoquer également les questions soulevées par le transfert aux régions de la TIPP, impôt au rendement d'assiette décroissant ? Je rappelle que le produit est en baisse de 6 % depuis 2005.
Dans ces conditions, comment ne pas comprendre le vif mécontentement des élus ? Les mesures prises par le Gouvernement, loin de résoudre l'imbroglio fiscal des collectivités, étouffent les finances locales. Nous assistons bien à la mise en place progressive d'un véritable carcan fiscal, solidement verrouillé par la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales. Tout va dans le sens d'une disparition des marges de manoeuvre budgétaires et d'une asphyxie des finances locales !
Face à ce constat et aux perspectives du budget pour 2007, il me semble urgent de réagir contre les désordres auxquels la politique mise en oeuvre nous a conduits de façon inexorable.
L'enjeu doit être de restaurer la confiance des élus, de renouer un vrai partenariat entre l'État et les collectivités territoriales et, ainsi, de redonner du sens à l'idée de décentralisation.
Quelques objectifs fondamentaux doivent guider cette démarche.
Il s'agit, en premier lieu, de procéder à un rattrapage et à un rééquilibrage des compensations financières relatives aux transferts de compétences récemment opérés. Les élus de terrain attendent un signe fort qui leur permette de sortir du climat de méfiance dans lequel l'action du Gouvernement les a plongés.
Le deuxième objectif vise à repenser au plus vite le dispositif fiscal local. Vous le savez, le système financier local est sédimenté et opaque. C'est la structure de la fiscalité locale dans sa globalité qui a besoin d'être réaménagée. Il importe notamment de mieux appuyer l'impôt des ménages sur la réelle capacité contributive des contribuables.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La taxe départementale sur les revenus renaîtrait-elle ?
M. François Marc. Les exemples étrangers le prouvent, les impôts locaux « modernes » doivent prendre en considération le revenu.
A cet égard, on peut envisager de s'appuyer sur l'assiette de la contribution sociale généralisée, plus large que celle de l'impôt sur le revenu. Cette « CSG locale » pourrait, par exemple, être affectée aux départements.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quelle tentation !
M. François Marc. J'aimerais également évoquer l'urgence d'assurer une meilleure justice fiscale au niveau des bases de la fiscalité des ménages. Il est temps d'envisager une réactualisation permanente et décentralisée des bases de la taxe d'habitation.
Je donnerai un dernier argument en faveur de la nécessaire refonte des finances locales : il concerne les deux taxes foncières. Il paraît aujourd'hui important de substituer à une valeur locative obsolète - elle repose sur des bases estimées en 1970 - une valeur vénale qui reflète mieux la valeur réelle des biens immobiliers.
Enfin, il est à déplorer que le processus de décentralisation perde son sens auprès des collectivités territoriales. Les dotations, compensations et dégrèvements de l'État présentent le double désavantage de la complexité et de l'opacité. Ces mesures sont, en outre, incapables de réduire les écarts de richesses entre collectivités et ôtent tout son sens à la décentralisation.
Un troisième objectif consisterait donc à remédier à ce problème par le biais d'un renforcement de la péréquation financière. A ce titre, la ventilation de la DGF doit être revue pour améliorer les volumes financiers affectés à la péréquation. De nouveaux outils de péréquation horizontale doivent également être développés.
Face à l'immense disparité des ressources fiscales entre collectivités, notamment entre les communes, la péréquation est le meilleur moyen de garantir une plus grande égalité des citoyens devant le service public de proximité.
Messieurs les ministres, les collectivités territoriales et leurs élus ont besoin de vraies réponses aux problèmes financiers que votre redoutable politique de décentralisation leur pose. J'espère être parvenu à vous faire entendre qu'une voie dynamique, positive et volontariste est possible. C'est dans cet esprit que nous déposerons un certain nombre d'amendements ambitieux, tendant à améliorer la situation de nos finances locales.
Si ces amendements ne recevaient pas l'assentiment de la Haute Assemblée, nous nous verrions contraints de rejeter le projet qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, j'aimerais d'abord vous remercier d'organiser chaque année un débat sur les relations entre l'État et les collectivités locales.
Nous nous interrogions tout à l'heure sur le point de savoir quel était le rôle du Sénat en ce domaine. Il est certain que, constitutionnellement, la Haute Assemblée représente les collectivités territoriales. C'est une assemblée de plein exercice, qui a une mission très particulière : instaurer la confiance entre les collectivités locales et l'État. J'aimerais centrer mon intervention sur ce point. D'ailleurs, monsieur le président, peut-être pourrait-on, grâce à ce débat, économiser quelque temps dans l'examen des crédits relatifs à la mission correspondante ; on dirait alors que la discussion a déjà eu lieu !
M. le président. Je vous rappellerai, monsieur Mercier, que le Sénat a obtenu une modification de la Constitution afin d'y inclure le principe selon lequel toute question touchant aux collectivités locales est déposée en priorité sur son bureau !
M. Michel Mercier. Rappelons toujours notre action, monsieur le président, vous avez raison ! (Sourires.)
Messieurs les ministres, si je parle de créer, de restaurer la confiance entre les collectivités locales et l'État,...
M. Michel Mercier. ...c'est que cette confiance n'est pas pleine et entière. Il faudrait donc nous interroger sur ce point.
Vous allez, tout à l'heure, évoquer les recettes et les crédits attribués par l'État aux collectivités territoriales. Il n'y a pas beaucoup à dire à ce sujet. Je voudrais du moins vous féliciter, monsieur le ministre du budget, d'avoir su maintenir le contrat de croissance au sein du budget : ce n'était ni évident ni facile.
M. Michel Mercier. Je vous donne acte que la multiplication de la somme des crédits de l'an dernier par le taux d'inflation de cette année est exacte, à l'euro près.
Lorsque ces crédits sont insuffisants, M. le ministre délégué aux collectivités territoriales trouve une réponse toute faite : pour les départements, les droits de mutation à titre onéreux produisent tant de recettes que vous ne devez savoir qu'en faire...
Afin de vous éviter d'avoir à en reparler, monsieur le ministre, je confirmerai que leur produit a beaucoup augmenté. Je prendrai l'exemple du Rhône, dont j'ai l'honneur d'être l'élu.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Les chiffres figurent dans mes dossiers !
M. Michel Mercier. C'est pourquoi je préfère les évoquer moi-même : je serai plus proche de la vérité !
De 2004 à 2006, dans le département du Rhône, les droits de mutation ont augmenté d'environ 45 millions d'euros. Cette progression est extraordinaire.
M. Michel Mercier. Toutefois, au cours de la même période, nous avons dû faire face à dépenses supplémentaires : 10 millions d'euros pour l'APA, 11 millions d'euros pour le RMI, 13 millions d'euros pour le handicap, 8 millions d'euros pour les traitements et salaires, 8 millions d'euros pour l'acte II de la décentralisation et 8 millions d'euros pour le service départemental d'incendie et de secours, soit 58 millions d'euros supplémentaires.
C'est pourquoi nous avons été contraints d'augmenter les impôts, ce que nous ne faisons jamais de gaieté de coeur. Le produit des droits de mutation a considérablement progressé, mais les dépenses ont progressé plus rapidement encore.
Si vous pouviez agir à cet égard, monsieur le ministre, nous en serions satisfaits. Nous vous en remercions par avance ; connaissant votre savoir-faire et votre habileté, nous ne doutons pas de l'efficacité de votre action.
Les relations entre l'État et les collectivités locales ne se résument pas aux transferts de recettes de l'État. On ne peut pas non plus opposer l'État, d'une part, aux collectivités locales d'autre part : le bloc des collectivités locales n'est pas uniforme.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Michel Mercier. Les collectivités locales connaissent des problèmes différents. Je ne les évoquerai pas tous. Signalons du moins que l'intercommunalité, qui est désormais mise en place dans notre pays, et que nous avons tous souhaitée et promue, entraîne des difficultés au niveau des recettes fiscales, notamment quant à la taxe professionnelle unique.
Les régions ont réalisé des efforts fiscaux avant l'heure, mais les infrastructures ferroviaires, dont elles devront assurer le financement, pèsent sur leurs budgets. Il s'agit de dépenses extrêmement lourdes et dont les effets se font peu sentir immédiatement. Les départements, quant à eux, sont devenus les grands spécialistes des dépenses sociales.
Au fur et à mesure de la décentralisation, les problèmes des collectivités locales se sont donc largement différenciés, aussi faudrait-il traiter ces questions selon les catégories de collectivités concernées. Une réponse unique, à l'emporte-pièce, est certes plus facile : on peut affirmer que toute collectivité bénéficie du contrat de solidarité et des droits de mutation, qu'elle doit prendre en charge le RMI, l'APA, les chemins de fer, etc. Tout cela est vrai ; il n'en reste pas moins que les collectivités n'ont pas nécessairement les moyens de tout résoudre en même temps, nous le savons tous.
J'aimerais faire quelques suggestions.
Messieurs les ministres, vous affirmez très souvent - trop souvent - que l'État est vertueux alors que les collectivités locales ne le sont pas.
Je soutiendrai la thèse inverse : les ministres sont vertueux quand ils réduisent leur budget, ce à quoi vous les incitez fort bien, monsieur le ministre,...
M. Michel Mercier. Il me semble vous avoir déjà adressé deux compliments, monsieur le ministre !
M. Michel Mercier. Toutefois, les ministres de votre gouvernement procèdent comme leurs prédécesseurs : ils dépensent l'argent des collectivités locales.
Un des éléments les plus agaçants pour un élu local est d'apprendre, par voie de presse, quelles seront ses futures dépenses ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Josselin de Rohan. Vos collègues applaudissent-ils pour l'APA et les SDIS ?
M. Michel Mercier. C'est ainsi qu'ils savent ce que les ministres ont décidé à leur place ! Et cela est valable pour tous les gouvernements.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tous les ministres sont dépensiers, sauf un !
M. Michel Mercier. Toutes les augmentations de salaires sont ainsi décidées par l'État. Depuis 2004, cela représente 8 millions d'euros supplémentaires dans le Rhône.
Le niveau des aides sociales est également fixé par l'État. Dans un mois jour pour jour, un journal nous apprendra le montant du RMI, de l'APA, de l'AAH ou celui de la PCH, tous montants dont le Gouvernement aura décidé.
Messieurs les ministres, s'il est un point sur lequel votre action devrait s'exercer, c'est bien celui-ci : le Gouvernement ne doit plus décider seul des dépenses des collectivités locales. Dans un premier temps, peut-être les élus locaux pourraient-ils être associés à ce processus ; ils n'auraient plus alors pour seule tâche de trouver les moyens de financer les dépenses décidées par l'État.
Il s'agit là de l'un des vrais problèmes que pose la décentralisation : s'il n'est pas réglé, elle risque de perdre de son énergie et de son efficacité ; elle finira par être remise en cause.
Quant à la taxe professionnelle, M. le rapporteur général nous a dit tout le bien qu'il fallait en penser. J'ignore si cette réforme est meilleure que celles auxquelles il n'a pas été procédé. (Sourires.) Je sais, en revanche, que cette taxe pose un certain nombre de problèmes.
Si l'on veut restaurer la confiance, il ne faut pas culpabiliser les élus locaux à cet égard. S'ils utilisent le produit de la taxe professionnelle, c'est parce qu'ils n'ont pas d'autre source de financement à leur disposition.
Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Jacques Jégou. Très bien !