sommaire
présidence de M. Jean-Claude Gaudin
2. Banque de France. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)
Mme Marie-France Beaufils, M. le président.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances ; Mmes Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur ; Marie-France Beaufils, Nicole Bricq, M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 2 de M. Thierry Foucaud. - MM. Thierry Foucaud, le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet.
Amendement no 7 du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, M. le rapporteur, Mmes la ministre déléguée, Nicole Bricq. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement no 8 rectifié du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement no 9 du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, M. le rapporteur. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel avant l'article 3
Amendement no 11 rectifié du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, MM. le rapporteur, le président de la commission, Mmes Marie-France Beaufils, Nicole Bricq. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendements identiques nos 1 de Mme Nicole Bricq et 3 de M. Thierry Foucaud ; amendement no 12 du Gouvernement. - Mme Nicole Bricq, M. Thierry Foucaud, Mme la ministre déléguée, MM. le rapporteur, le président de la commission, Jean-Pierre Fourcade, Mme Marie-France Beaufils. - Rejet des amendements nos 1 et 3 ; adoption de l'amendement no 12.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 4 de M. Thierry Foucaud. - Mme Marie-France Beaufils, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 5 de M. Thierry Foucaud et 10 du Gouvernement. - Mmes Marie-France Beaufils, la ministre déléguée, M. le rapporteur. - Adoption des deux amendements supprimant l'article.
M. Dominique Mortemousque, Mmes Marie-France Beaufils, Nicole Bricq, M. le président de la commission.
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
3. Éloge funèbre de Raymond Courrière, sénateur de l'Aude
MM. le président, Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement.
Suspension et reprise de la séance
4. Dépôt de rapports du Gouvernement
5. Dépôt d'un rapport en application d'une loi
6. Dépôt de rapports sur la mise en application de lois
7. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'Albanie
8. Fiducie. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois.
présidence de M. Roland du Luart
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur ; MM. Robert Badinter, François Zocchetto, Philippe Marini, Mme Josiane Mathon-Poinat, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
M. le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.
Amendement no 2 de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le rapporteur. - Retrait.
Amendement no 1 rectifié du Gouvernement. - M. le garde des sceaux, Mme la ministre déléguée, MM. le rapporteur, Robert Badinter. - Adoption.
M. Robert Badinter.
Amendement no 3 de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le rapporteur, le garde des sceaux. - Adoption.
Amendement no 4 de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le rapporteur, le garde des sceaux. - Adoption.
Amendement no 5 rectifié de M. Robert Badinter. - Retrait.
Amendement no 6 rectifié de M. Robert Badinter. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 7 du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, MM. le rapporteur, François Zocchetto. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 8 du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Amendement no 9 du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, M. le rapporteur. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 10 du Gouvernement. - MM. le garde des sceaux, le rapporteur, François Zocchetto. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 11 du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
présidence de M. Philippe Richert
9. Droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants. - Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; Mmes Esther Sittler, Josiane Mathon-Poinat, M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.
Clôture de la discussion générale.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le ministre délégué, le président, Alain Milon, le président de la commission.
Adoption des conclusions négatives du rapport de la commission entraînant le rejet de la proposition de loi.
10. Transmission d'un projet de loi
11. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
13. Dépôt d'un rapport d'information
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Banque de France
Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des finances sur la proposition de loi portant diverses propositions intéressant la Banque de France (n° 12 ; n° 347, 2005-2006).
Rappel au règlement
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 de notre règlement.
Bien que nos travaux soient aujourd'hui consacrés à la séance mensuelle d'initiative parlementaire, la commission des affaires économiques nous invite à assister, à onze heures, à l'audition de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et à celle de M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie et sur les plus récents développements de la fusion Gaz de France-Suez.
Qu'un ministre de l'économie, des finances et de l'industrie bouscule son propre agenda, notamment le jour où commence la discussion budgétaire à l'Assemblée nationale, pour venir présenter devant les sénateurs et sénatrices les dernières évolutions d'un dossier important exige que nous lui accordions toute l'attention requise et que rien, par conséquent, ne nous empêche d'assister à cette réunion.
En outre, la proposition de loi dont nous allons débattre ce matin a été déposée par le président de la commission des finances, et le rapporteur des conclusions de la commission des finances, en plus d'être le rapporteur général du Sénat, est également le rapporteur pour avis du projet de loi relatif au secteur de l'énergie, en particulier pour l'article 10.
Enfin, ce sont des raisons plus fondamentales qui nous amènent à demander une suspension de séance le temps que nous puissions participer à cette audition. Chacun ici présent devra, demain, déterminer en parfaite connaissance de cause sa position personnelle sur l'évolution de notre secteur énergétique. Or tous les éléments de ce dossier sont connus peu à peu, par bribes, et nombre des facteurs permettant à chacun de se prononcer ne sont pas encore publics.
En effet, des interrogations majeures demeurent sur le contenu exact de la fusion Gaz de France-Suez. Nous estimons donc que, sur ce sujet, le rôle du Parlement doit être conforté par une transparence accrue de l'information, laquelle est nécessaire à la décision.
C'est donc pour ces motifs et afin de pouvoir assister à l'audition de MM. Breton et Loos qu'il nous paraît nécessaire de suspendre nos travaux.
M. le président. Madame Beaufils, vous savez que les sénateurs sont très attachés aux séances mensuelles consacrées à l'ordre du jour réservé. C'est pourquoi je consulterai M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur le moment venu. Je ne doute pas, toutefois, que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que son ministre délégué ne soient sensibles à l'hommage que vous leur avez rendu.
Discussion générale
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinerons aujourd'hui, successivement, les conclusions du rapport de la commission des finances sur la proposition de loi portant diverses dispositions intéressant la Banque de France, et les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi instituant la fiducie. Cette journée d'initiative sénatoriale est donc tout à fait dense.
Sur la proposition de loi déposée le 11 mai dernier par notre collègue Jean Arthuis, la commission des finances a adopté des conclusions favorables, tout en apportant quelques retouches de nature essentiellement technique.
C'est lors d'un échange avec le Gouvernement au cours de la discussion budgétaire de 2006 que l'idée de cette proposition de loi a surgi. La commission des finances avait, de façon récurrente par le passé, mais de manière plus appuyée à la fin de l'année dernière, souligné le caractère anormal du Conseil de la politique monétaire, le CPM, créé en 1993 par la loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit. Depuis le traité de Maastricht et l'inclusion de la Banque de France dans le Système européen des banques centrales, le SEBC, ce Conseil était très largement vidé de sa substance.
Il ne semblait donc plus nécessaire que l'État dispose de cette assemblée, certes prestigieuse, mais coûteuse par ses rémunérations et ses avantages annexes ; au contraire, il paraissait utile de réduire ces petites « abbayes à bénéfices » et de les gérer de manière plus rigoureuse.
Telles étaient donc les motivations à l'origine de la proposition de loi, dont je vais maintenant vous décrire les grandes lignes.
L'article 1er prévoit la suppression du Conseil de la politique monétaire, au profit d'un « comité monétaire du conseil général », créé au sein de l'organe supérieur d'administration de la Banque de France, que l'on appelle le conseil général. Ce comité n'aura plus pour mission de préparer aux décisions de la politique monétaire. Toutefois, parce qu'il sera composé d'experts reconnus et de personnalités indépendantes, il gardera son utilité, à condition d'être géré de façon moins coûteuse et moins dispendieuse, et que ses membres bénéficient d'indemnités proportionnées aux activités qu'ils y exerceront.
Au demeurant, le régime des incompatibilités professionnelles qui s'appliquait jusque-là aux membres du CPM et qui traduisait l'engagement à plein temps de ces derniers dans leurs fonctions n'est plus utile. Un allégement est donc envisagé.
Enfin, pour permettre un partage efficace des responsabilités, il nous semble préférable de prévoir que le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat désigneront, chacun directement - c'est-à-dire sans négociations, tribulations, conciliabules - deux membres, plutôt que d'établir une liste unique, consensuelle, cherchant à satisfaire en même temps le Gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat. Ce faisant, nous gagnerons du temps, nous ferons des économies, et chacun aura au sein de ce comité, sinon ses obligés, du moins ceux à qui il fait directement confiance. Tout sera donc beaucoup plus simple.
L'article 2 prévoit un toilettage des textes, pour permettre à la Banque de France de poursuivre, dans des conditions encore plus incontestables sur le plan juridique, sa mission d'intérêt général, en ce qui concerne la collecte des statistiques monétaires et financières.
L'article 3 organise l'échange d'informations sur la situation financière des entreprises et adapte le texte à l'évolution de la réalité économique. Il précise d'ailleurs, madame la ministre, que la Banque de France, en tant qu'organisme d'évaluation externe de crédit, pourra effectuer des évaluations d'entreprises autres que les établissements de crédit. Cette disposition renvoie à la directive « Bâle II », dont nous aurons peut-être l'occasion de reparler au cours de ce débat.
Je tiens à souligner, mes chers collègues, que la question du statut, du rôle, des conditions d'agrément, de contrôle, d'action, de transparence de ces organismes d'évaluation externe de crédit est bien au coeur de la nouvelle logique prudentielle, et nous devons en avoir une meilleure compréhension. C'est un débat que nous réclamons : la commission des finances l'a rappelé ce matin en examinant ce texte.
À l'article 4 figurent des dispositions de coordination avec l'article 2.
S'agissant de l'article 5, qui a suscité l'intérêt de plusieurs de nos collègues et des milieux concernés, la commission des finances entend bien s'assurer du caractère approprié des textes. Il n'est nullement besoin d'appliquer à la Banque de France des dispositions du code du travail qui ont été conçues pour les entreprises en situation de risque économique.
Personne ne va faire une OPA sur la Banque de France ! La Banque de France est à 100 % étatique : même les parlementaires ayant l'esprit le plus libéral ne proposent pas de modifier cet état de fait. Techniquement, matériellement, la Banque de France ne saurait donc faire l'objet d'une attaque hostile de la part de quelque prédateur que ce soit ! Dès lors, il n'y a pas lieu d'appliquer à la Banque de France, pour ne prendre que cet exemple, les dispositions du code du travail relatives à l'information du comité d'entreprise en cas d'offre publique.
De la même façon, il est difficile d'imaginer que la Banque de France devienne insolvable et ne puisse plus faire face à ses responsabilités vis-à-vis de son personnel. Elle est une entreprise d'État. Dès que cela est nécessaire, M. ou Mme État intervient.
L'exercice par le comité d'entreprise du droit d'alerte n'a pas lieu d'être. La Banque de France ne peut, d'une part, être totalement protégée par son statut public et, d'autre part, bénéficier des règles du droit du travail prévues pour les entreprises privées susceptibles de se trouver en situation d'insécurité ou de risque économique.
Il faut choisir : soit l'entreprise est dans le secteur public, sous le parapluie bien solide de M. ou Mme État, soit elle est dans le secteur privé, où doivent bien entendu s'appliquer des règles de gouvernance adaptées, notamment en matière d'information des partenaires sociaux, qui tiennent compte de la réalité économique et de son caractère parfois difficile à supporter et à vivre par les personnels concernés.
La possibilité pour le comité d'entreprise de recourir à un expert comptable aux frais de l'employeur pour l'examen des comptes n'a pas non plus lieu d'être. La commission des finances estime que cette disposition n'a pas de sens dans la mesure où la Banque de France est le tuteur du système bancaire par l'intermédiaire du secrétariat général de la Commission bancaire. Dès lors, comment imaginer que l'organisme qui cautionne la lisibilité des comptes des autres ne soit pas irréprochable pour son propre compte, c'est-à-dire pour son bilan et son compte de résultat ?
Enfin, et surtout, - et peut-être est-ce la disposition qui nous semble être le plus en décalage avec la réalité - figure le financement par l'employeur des institutions sociales et culturelles.
Dans le droit commun qui s'applique aujourd'hui à la Banque de France, « la contribution versée chaque année par l'employeur pour financer des institutions sociales du comité d'entreprise ne peut, en aucun cas, être inférieure au total le plus élevé des sommes affectées aux dépenses sociales de l'entreprise atteint au cours des trois dernières années précédant la prise en charge des activités sociales et culturelles par le comité d'entreprise, à l'exclusion des dépenses temporaires lorsque les besoins correspondants ont disparu ».
Cela signifie que le législateur a accordé à toutes les entreprises une garantie de progression de leurs dépenses au titre de la gestion des institutions sociales et culturelles. Lorsqu'elle a examiné la gestion de la Banque de France, la Cour des comptes a estimé, à juste titre, à mon sens, que cette disposition constituait une singulière anomalie.
L'effectif de la Banque de France diminue, car ses missions se contractent ; telle est la réalité européenne, qu'on le veuille ou non. Néanmoins, ses dépenses sociales et culturelles continuent de croître par l'effet mécanique du « cliquet social » ; elles représentaient, en 2002, 82,7 millions d'euros, soit 13 % de la masse salariale de référence. Je souligne au passage, mes chers collègues, que je ne dispose pas de chiffres plus récents, ce qui ne fait pas preuve d'une grande transparence !
La Cour des comptes indique que cette situation est sans équivalent dans la fonction publique. Certes, mais elle est également sans équivalent dans le secteur bancaire, et nous serons en mesure d'alimenter tout à l'heure le débat à ce sujet.
Or, par rapport à d'autres secteurs de l'économie, le secteur bancaire, pour lequel le taux peut s'élever jusqu'à 5 %, est déjà traité d'une manière très favorable. Nous nous sommes donc demandé ce qui justifie de tels privilèges - je n'hésite pas à utiliser ce terme -, ...
Mme Nicole Bricq. Le mot est lâché !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et les raisons pour lesquelles il est nécessaire d'accorder à des personnels qui bénéficient de la sécurité la plus totale et de l'efficacité du parapluie d'une entreprise étatique des dispositions aussi favorables et hors normes. Que l'on ne s'y trompe pas, nous ne disons pas que cette dépense doive diminuer, car nous sommes modérés, voire timides !
Mme Nicole Bricq. Oh ! là ! là !
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous disons simplement que la progression ne doit pas être une fatalité à de tels niveaux. S'agissant d'une entreprise dont les effectifs vont décroître sur le moyen et le long terme, ce « cliquet social » n'a strictement aucun sens et est même complètement à rebours du bon sens.
Pour ce qui concerne l'article 6, l'impact sur les recettes de l'État étant quasiment nul ou, du moins, extrêmement faible, nous considérons que le régime fiscal de la Banque de France doit être adapté sur un point marginal pour se conformer à la pratique européenne.
S'agissant, enfin, de l'article 7, nous souhaitons nous assurer, madame la ministre, que les économies dégagées sur les rémunérations tout à fait excessives versées jusqu'à présent aux membres du conseil de la politique monétaire abonderont bien le dividende versé par la Banque de France à l'État de telle sorte que cette économie voulue par le Parlement soit réellement utile. Certes, l'économie est en quelque sorte symbolique puisqu'il s'agit de 500 000 euros. Nous serons très attentifs à votre réponse, madame la ministre.
Mes chers collègues, au cours du débat, nous allons examiner plusieurs amendements, et je ne dévoilerai pas par avance les avis qui ont été exprimés par la commission des finances au cours de la réunion qui vient tout juste de se terminer.
Nous estimons que cette proposition de loi est utile, non seulement parce qu'elle concerne la Banque de France stricto sensu, mais également parce qu'elle est un signal. Le Parlement est bien dans son rôle, dans la limite de ses responsabilités, en adaptant des textes surannés et en incitant le Gouvernement à aller plus loin dans le processus de réforme, car il faut faire évoluer les situations de décalage telles que celle que connaît actuellement la Banque de France. Ce cas, nous le savons tous, n'est pas isolé, mais à chaque jour suffit sa peine. En l'espèce, cette proposition de loi traite bien de la situation spécifique de la Banque de France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd'hui amenés à discuter de la proposition de loi portant diverses dispositions intéressant la Banque de France présentée par le président Jean Arthuis.
Cette proposition de loi répond à une question qui a été débattue à plusieurs reprises au cours des dernières années, notamment à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances. Il s'agit, comme vient de l'expliquer M. le rapporteur, d'adapter la « gouvernance » de la Banque de France aux réalités de ses missions.
Dans ce contexte, mon intervention s'articulera autour de trois points. J'évoquerai d'abord l'organisation que le Gouvernement souhaite mettre en place pour la Banque de France de demain, puis les questions sociales et, enfin, les missions que celle-ci est conduite à servir.
En premier lieu, l'objectif de cette proposition de loi est de doter la Banque de France d'une organisation permettant de piloter efficacement sa modernisation. À cet égard, je tiens à remercier tout particulièrement le président Jean Arthuis de cette initiative, et je commencerai par la replacer dans une perspective historique, sans pour autant remonter - rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs - à deux cents ans en arrière.
C'est en 1993, dans la suite du traité de Maastricht, que le législateur a adopté le principe de l'indépendance de la Banque de France pour l'exercice de ses missions de banque centrale. Vous avez alors créé, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil de la politique monétaire, le CPM, qui comptait neuf membres, pour conseiller le gouverneur dans ses prises de décision.
Parallèlement, le Conseil général de la Banque de France était composé lui-même du CPM et d'un représentant élu des salariés de la Banque de France. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, avec la mise en place de l'euro, ces principes ont été maintenus, même si le CPM a été réduit à sept membres et si son rôle a été revu. Nous le savons tous, et le regrettons parfois, les décisions en matière de politique monétaire sont désormais prises dans le cadre de l'Eurosystème. Le CPM s'est donc concentré sur le conseil et sur les décisions d'application de la politique ainsi arrêtée.
Votre assemblée a souhaité procéder à une nouvelle réforme du CPM dès décembre 2005. À l'issue d'un débat constructif, vous avez retenu l'idée qu'il ne suffisait pas de réduire le nombre des membres du CPM, ni même de supprimer celui-ci, mais qu'il fallait véritablement réformer la gouvernance de la Banque de France. Tel est aujourd'hui l'objet de la proposition de loi présentée par le président de la commission des finances.
Le Gouvernement accueille cette proposition de loi très favorablement et propose d'ailleurs de l'enrichir et de la perfectionner à la marge par quelques amendements que j'aurai l'honneur de vous présenter tout à l'heure.
Pour faire écho à ce que vous venez de dire, monsieur le rapporteur, l'économie de la proposition de loi consiste tout simplement à inverser l'ordre des priorités pour les instances dirigeantes de la Banque de France. Il s'agit en l'espèce de mettre l'accent sur sa gestion.
Aujourd'hui, le conseil général, qui traite des affaires relatives au fonctionnement de la Banque de France, à sa gestion et à son efficacité, est en réalité subordonné au CPM. Grâce à votre initiative, la gouvernance de la Banque de France s'ordonnera d'abord autour du conseil général. Car l'enjeu principal aujourd'hui est bien d'administrer un établissement important pour notre économie, qui compte, je le rappelle, plus de 13 000 agents, dont le dévouement et le sens du service public font honneur à notre pays. La Banque de France comprend aussi une centaine d'établissements, dont de véritables usines pour la fabrication des billets à Chamalières. Le résultat financier de l'entreprise Banque de France est, cette année, de 2,3 milliards d'euros.
Au titre d'une gouvernance moderne, vous avez prévu que les membres du conseil général puissent exercer des fonctions à l'extérieur de la Banque de France, supprimant ainsi l'incompatibilité, ce qui leur permettra, bien sûr, de faire bénéficier l'établissement de leur expérience.
C'est à titre subsidiaire qu'un comité monétaire, et non plus un Conseil de la politique monétaire, issu du conseil général, continuera de conseiller le gouverneur et les sous-gouverneurs sur la politique monétaire.
Par cette proposition de loi, outre le gouverneur, les deux sous-gouverneurs et le représentant des salariés, vous suggérez la nomination de quatre membres, dont deux seraient désignés directement par le président du Sénat et les deux autres par le président de l'Assemblée nationale.
Le Gouvernement est favorable à cette simplification de la procédure de nomination, qui répond à un souci de clarté, comme vous l'avez parfaitement exposé, monsieur le rapporteur. Je souhaite cependant que la composition du conseil général soit complétée, en retenant également la nomination de deux de ses membres par le Gouvernement. Cela n'est ni contraire à l'indépendance de la Banque de France ni contradictoire avec le souhait de modernisation émis par le président Jean Arthuis et par le rapporteur.
C'est tout simplement, pour le Gouvernement, une manière d'affirmer tout le prix qu'il attache à l'efficacité de la gestion de cette grande institution financière publique. Je rappelle que la Banque de France exerce pour le compte du Gouvernement d'importantes missions, notamment le traitement du surendettement ou la tenue du compte du Trésor public, qui est le compte bancaire de l'État !
Je souhaite donc que deux membres, désignés par le Gouvernement, siègent au conseil général, sans toutefois avoir vocation à siéger au comité monétaire. En revanche, ils augmenteront le poids des personnalités qualifiées au sein du conseil général et apporteront leur expérience en matière de gestion administrative ou financière.
En deuxième lieu, vous proposez, comme vous venez de nous l'indiquer en citant des exemples très précis, évocateurs, parfois un peu ironiques, de modifier le droit du travail applicable aux agents de la Banque.
À ce sujet, je souhaite vous indiquer, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement partage pleinement votre analyse. Ainsi, se référant à l'exposé des motifs de la proposition de loi lui-même, il approuve cette démarche qui consiste à clarifier les modalités d'application du code du travail à la Banque de France. Vous entendez tenir compte, en particulier, de la différence intrinsèque de statut de la Banque avec les entreprises du secteur concurrentiel, exposé, par hypothèse, à d'autres risques. Vous tenez, bien entendu, à garantir le respect des droits fondamentaux du travail, point auquel le Gouvernement est très attaché.
Le débat de ce matin nous permettra, j'en suis persuadée, d'examiner la proposition de loi dans cet objectif, tout en tenant compte des souhaits de concertation préalable que le Président de la République a exprimés la semaine passée devant le Conseil économique et social.
En troisième lieu, votre proposition de loi prévoit plusieurs mesures qui redéfinissent les missions de la Banque de France. Le Gouvernement les approuve. Je souhaite les compléter par une réforme de la supervision bancaire, qui est exercée par les services de la Banque.
Je rappelle que la proposition de loi retient, dans ses articles 2, 3 et 4, plusieurs dispositions significatives.
Tout d'abord, elle place dans le champ des missions fondamentales de la Banque de France l'établissement de la balance des paiements. Cela signifie que l'État n'aura plus à prendre en charge financièrement cette mission, comme il le fait pour d'autres, notamment pour le surendettement. Le gain pour le budget de l'État sera de 16 millions d'euros par an.
Naturellement, cette mission exercée par la Banque, conformément à nos engagements européens, sera assurée grâce à des moyens que le conseil général de la Banque de France définira et avec des efforts de productivité maintenus.
Je souhaite dire que cette modification du champ des missions actuellement effectuées pour le compte de l'État n'est qu'une première étape. Il faudra la compléter, notamment en introduisant une contractualisation dynamique entre l'État et la Banque de France et faire évoluer le dispositif de remboursement à l'euro près actuel. Mais nous avons besoin de temps et de concertation pour finaliser cette deuxième réforme.
Ensuite, la proposition de loi élargit les obligations d'échanges d'informations entre les entreprises et la Banque de France et les possibilités de diffusion dans l'espace économique européen. Cette mesure permettra à la Banque de France de faire reconnaître son outil de cotation des entreprises au titre des organismes externes de crédit, tels que définis de façon communautaire. Dans toute l'Europe, les banques pourront donc utiliser cet outil pour mesurer le risque et développer ainsi, sur des bases solides, le crédit aux entreprises, que le Gouvernement souhaite vivement encourager.
Enfin, la supervision bancaire étant l'une des missions principales de la Banque de France, le Gouvernement veut, à l'occasion de cette discussion, soumettre à l'approbation du Sénat les dispositions législatives indispensables à l'application du nouveau ratio de solvabilité issu des négociations dites « de Bâle II ». Ce nouveau ratio sera applicable dès le 1er janvier 2007. De ce fait, il y a une certaine urgence à transposer ces dispositions.
J'aurai l'occasion de vous présenter plus amplement ces mesures au cours de notre débat, mais d'ores et déjà, je veux souligner que ce projet est extrêmement structurant pour notre système bancaire. Il a évidemment fait l'objet d'une très large consultation des acteurs économiques, qui attendent à présent son entrée en vigueur.
En conclusion, je tiens à féliciter et remercier à la fois le président Jean Arthuis, qui est l'auteur de la proposition de la loi, inlassable promoteur de la modernisation de la Banque de France, ainsi que le rapporteur de la commission des finances, avec lequel un travail de grande qualité a pu être mené à bien pour préparer cette séance. Ainsi, vous parviendrez, en quelques articles, à donner à cette institution remarquable, vieille de plus de deux cents ans, les moyens de s'adapter efficacement à son temps. Que votre assemblée en soit, une fois encore, remerciée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons traite de questions politiques brûlantes, comme le dialogue social dans les entreprises publiques, mais aussi les instruments dont dispose la nation pour mobiliser les moyens financiers au service de l'emploi et de la croissance.
M. Arthuis propose de supprimer le Conseil de la politique monétaire. Cette mesure s'inscrit dans une logique incontestable puisque la fonction initialement dévolue à cet organisme, c'est-à-dire décider de la politique monétaire, est désormais exercée par le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne.
Le conseil général n'en conserve pas moins la responsabilité importante d'administrer une grande entreprise publique, la Banque de France, chargée d'assurer un service public, très utile pour tous les citoyens, puisqu'il s'agit de garantir la qualité de la monnaie dont ils se servent tous les jours.
Cette mission recouvre la fabrication, l'émission et l'entretien de billets de bonne qualité, efficacement protégés contre les falsifications.
Elle recouvre l'action de la banque centrale pour veiller au bon fonctionnement des systèmes de paiement et à la stabilité du système bancaire, en France et en Europe.
Elle recouvre l'accueil des particuliers confrontés au surendettement ou à des difficultés de toute nature avec les réseaux bancaires.
Elle recouvre le suivi des territoires et des bassins d'emplois, ainsi que l'aide au diagnostic que la Banque de France apporte aux entreprises et aux collectivités territoriales.
Elle recouvre sa participation à la prévention des difficultés des entreprises et à l'examen des aides publiques qui leur sont accordées.
Elle recouvre naturellement sa contribution à l'élaboration et à la mise en oeuvre décentralisée de la politique monétaire de l'Eurosystème.
Tout conduit donc à doter la Banque de France d'un véritable conseil d'administration, digne d'une véritable entreprise publique. Dans notre esprit, cela supposerait, au demeurant, une composition tripartite, comprenant l'État actionnaire, des représentants du personnel de la Banque et des représentants des usagers. Et ces derniers sont nombreux, puisqu'il s'agit non seulement des établissements de crédit et des chefs d'entreprise, mais aussi de tous ceux dont l'emploi, le pouvoir d'achat, l'accès aux services bancaires dépendent de l'action de la banque centrale.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui manque délibérément l'occasion d'opérer cette réforme de bon sens.
Le rapport de notre collègue M. Marini montre bien que certains n'ont toujours pas admis que M. Trichet lui-même, sous la pression du mouvement social, des actions syndicales du personnel de la Banque et du soutien qu'elles ont reçu du public et des élus, ait été obligé de reconnaître la dimension de service public que revêt l'activité d'une banque centrale, et de l'inscrire, en 2003, dans un contrat de service public.
Adopter, en l'état, la proposition de loi de notre collègue Jean Arthuis serait un retour en arrière vers une conception étriquée du service public de la monnaie, replié sur les prérogatives d'une banque centrale européenne prétendument indépendante, mais, en réalité, polarisée sur les marchés financiers et coupée des citoyens et du monde du travail.
Ce serait au demeurant contraire à un point de vue exprimé par la Banque de France elle-même. Son bulletin mensuel du mois d'août 2006 consacre un article entier à démontrer que les banques centrales nationales « sont l'expression des principes de décentralisation et de proximité qui, en renforçant les liens entre les centres de décision et les acteurs de l'économie et de la société, contribuent concrètement à la pertinence et à l'efficacité de la politique monétaire ».
Mais la réforme du conseil général de la Banque n'est pas le seul domaine dans lequel se manifeste cette volonté de retour en arrière, qui apparaît, peut-être de façon encore plus inquiétante, en matière de dialogue social. Il ne s'agit pas moins que de placer une grande entreprise publique, ayant longtemps servi de modèle social, en dehors du droit du travail pour l'exercice de ses missions fondamentales ! Nous examinerons les aspects les plus critiquables de cette disposition dans le cadre de la présentation par mon collègue Thierry Foucaud, à l'issue de la discussion générale, de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Aussi, je me contenterai de relever seulement quelques points en cet instant.
Nous avons besoin, dans ce pays et en Europe, de banques centrales de service public, indépendantes de la pression des marchés financiers et des multinationales, mais attentives à la croissance, à l'emploi, à la formation, à la recherche, au développement du potentiel économique des territoires.
Comment ne pas relever, à cette occasion, que la conception de la Banque centrale, qui émane du traité sur l'Union européenne, année après année, continue d'apparaître comme surannée et étroitement libérale ?
Alors même que l'inflation semble connaître une inflexion à la baisse, M. Trichet ne trouve rien de mieux, dans une économie européenne à la traîne de la croissance mondiale, que de relever les taux d'intérêt, sans doute pour attirer toujours plus de capitaux vers les gaspillages inhérents au fonctionnement des marchés financiers.
Pour les élus du groupe communiste républicain et citoyen, qui l'ont toujours dit dans cette enceinte, notamment lors de la discussion de la loi de 1993, la construction d'une alternative aux politiques néolibérales nécessite que la Banque de France contribue, au sein d'un système européen des banques centrales rénové et au coeur d'un pôle financier public, à mettre le crédit bancaire au service de l'emploi et de la formation.
Du point de vue technique, l'Eurosystème a tous les moyens pour respecter cette orientation. Comme il l'a déjà fait dans le passé, il peut utiliser, de façon sélective, les instruments de politique monétaire dont il dispose, tels que le taux de refinancement des crédits bancaires et le taux de réserves obligatoires, pour décourager les placements financiers et immobiliers et pour encourager, au contraire, les banques qui financent les investissements favorables à l'emploi, à la formation, à la recherche et à la croissance réelle.
Ainsi, les banques centrales d'Europe pourraient sortir du dilemme où elles se débattent depuis la création de l'euro.
Pour mener une telle politique, il est inutile d'insister sur la nécessité de banques centrales nationales en prise avec le tissu économique et social de nos régions, attachées à diffuser, sans restriction inutile, la très riche information économique qu'elles collectent et qu'elles élaborent, attentives au financement des PME, ouvertes aux citoyens, aux représentants des salariés.
Il est temps de prendre en considération les nombreuses propositions formulées par les syndicats dans ce sens.
Il est temps d'écouter les avis des élus locaux, régionaux, nationaux ou européens, qui ont eu l'occasion de s'exprimer au sujet de nos banques centrales.
Il est temps d'ouvrir avec les associations d'élus locaux et régionaux le dialogue sur le renouvellement du contrat de service public que ces élus attendent encore, alors que ce renouvellement est prévu pour le début de l'année 2007.
Il est temps, enfin, de reconnaître qu'une telle logique de service public doit s'accompagner d'une gestion exemplaire de l'entreprise chargée d'exercer ce service public.
De ce point de vue, la situation de la Banque de France n'est pas différente de celle des autres entreprises publiques qui, malgré les atteintes qui leur sont portées, ont joué et continuent de jouer un rôle irremplaçable pour le développement économique de notre pays. Le respect des droits des agents qui y travaillent est aussi un élément constitutif de notre modèle social, qu'il faut défendre et moderniser, et non démanteler, comme s'y efforce la politique menée depuis 2002.
Cette remarque vaut entre autres domaines pour le régime de retraite de la Banque de France. Vous estimez nécessaire, monsieur le rapporteur, de « mener une étude fine sur l'opportunité d'adosser ce régime spécial au régime général ».
Au moment où le Président de la République et le Premier ministre viennent d'affirmer que le Gouvernement n'avait pas de projet de réforme des régimes spéciaux de retraite, il serait incompréhensible et choquant que, de son côté, il s'obstine à imposer à la hâte une réforme qui n'a obtenu l'assentiment d'aucun représentant du personnel de la Banque.
J'ai cru comprendre que le Président de la République...
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est votre mentor ?
Mme Marie-France Beaufils. ...était attaché à ce que le dialogue social prime sur la loi sur de tels sujets.
La proposition de loi qui nous est soumise est inspirée non par la recherche d'une efficacité plus grande du service public de la banque, mais par une conception de la construction monétaire au service des marchés financiers, que nous ne pouvons pas partager. On mesure tous les jours les dégâts qu'une telle conception génère, particulièrement dans le domaine de l'emploi et du pouvoir d'achat des salariés. C'est pourquoi, comme vous l'aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe CRC voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est dans la continuité du travail de M. le rapporteur général du budget, aujourd'hui rapporteur de la proposition de loi soumise au débat du Sénat par le président de la commission des finances, M. Arthuis, qu'il nous est demandé de modifier le droit applicable à la Banque de France.
Nous ne contestons pas l'utilité d'une actualisation consécutive au transfert de souveraineté monétaire, mais encore faudrait-il le faire dans une approche globale, c'est-à-dire dans un contexte bancaire et financier qui a lui-même profondément évolué depuis le début des années quatre-vingt-dix.
S'agit-il de recentrer la Banque de France sur ses métiers de base ? S'agit-il de la banaliser à l'avenir ? S'agit-il de lui trouver une place spécifique dans ce que l'on peut appeler le « pôle public » à la disposition de l'État, comme l'est, dans son domaine, la Caisse des dépôts et consignations ?
Ces questions méritent une réponse, que le texte qui nous est proposé n'apporte pas : tel n'est pas l'objet du débat d'aujourd'hui.
Il s'agit aujourd'hui de reprendre le dialogue instauré entre le Gouvernement et les plus éminents représentants de la commission des finances, lors de la discussion de la loi de finances rectificative pour 2005, sur l'amendement visant à assouplir les conditions de désignation des membres nommés au Conseil de la politique monétaire. Cet amendement avait été retiré à la demande du Gouvernement au motif qu'il s'agissait d'un cavalier budgétaire et qu'il était souhaitable d'intégrer la mesure dans une réforme plus large.
Dans l'esprit et la lettre de l'échange qui eut lieu entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale, il était bien question que ce fût le Gouvernement qui déposât un texte, mais force est de constater qu'il n'en a rien été depuis neuf mois. À vrai dire, il ne s'était engagé sur rien à l'époque, malgré les sollicitations répétées- relisez le compte rendu intégral des débats ! - de M. le rapporteur général et de M. le président de la commission des finances.
S'agit-il, aujourd'hui, de faire plaisir à la majorité sénatoriale et d'en rester là ? S'agit-il d'inscrire le texte qui serait éventuellement voté dans un véhicule législatif ultérieur d'ici aux échéances électorales de 2007 ? Dans ce cas, quel serait ce véhicule législatif ?
Madame la ministre, vous ne nous avez pas éclairés sur les intentions du Gouvernement. En tout état cause, s'il est légitime de la part de l'auteur de la proposition de loi et de M. le rapporteur d'invoquer le droit de suite parlementaire au sujet du Conseil de la politique monétaire, on ne peut parler de continuité s'agissant des dispositions introduites à l'article 5 et visant à retirer au personnel de la Banque de France des droits sociaux.
À aucun moment, ce sujet n'a été mis en chantier dans le débat parlementaire. Du reste, il m'apparaît être du ressort non pas de la commission des finances, mais plutôt de la commission des affaires sociales.
On est en droit de se demander s'il s'agit, dans leurs intentions, d'un ballon d'essai, d'un signal, comme M. le rapporteur vient de nous le dire, destiné à tester les réactions, ou s'il s'agit d'instituer un précédent juridique susceptible d'être reproduit dans d'autres domaines avec d'autres acteurs.
L'évocation du régime des retraites des personnels de la Banque de France dans le rapport écrit de M. le rapporteur n'est sans doute pas fortuite. M. Marini s'interroge, en effet, sur l'opportunité d'adosser ce régime spécial au régime général et de dégager une soulte sur les dividendes versés par la Banque de France à l'État.
Les finances publiques sont-elles dans un état si calamiteux qu'il faille trouver des recettes partout où l'on peut même si elles sont des rustines conjoncturelles ?
Quoi qu'il en soit, la conjonction de la volonté exprimée de retirer certains droits sociaux touchant à l'exercice des prérogatives des salariés et l'éventuelle disparition du régime de retraite de ces derniers nous inquiète. Nous nous opposerons donc à l'une et à l'autre.
L'amendement n° 12 du Gouvernement, dont nous avons eu connaissance ce matin en commission des finances, laisse supposer que le Gouvernement lui-même est très sceptique sur les dispositions qui nous sont proposées.
Pour ce qui est du fond des propositions prévues à l'article 5, nous ne nous rendons pas à l'argument de l'obsolescence des dispositions en vigueur.
La proposition de loi vise à supprimer le Conseil de la politique monétaire, créé en 1994, pour définir la politique monétaire de la Banque de France, et à le remplacer aussitôt par le comité monétaire du conseil général.
S'il faut vraiment tirer les conséquences de la mise en place de l'euro et des compétences conférées à la Banque centrale européenne, qui ont modifié en profondeur les fonctions de la Banque de France, partie prenante du système européen de banque centrale, pourquoi ne pas aller au bout et supprimer l'appendice que constitue le Conseil de la politique monétaire ?
Si, monsieur le président de la commission, vous décidez de le garder, la proposition de simplification relative au mode de désignation des personnalités issues du choix des deux assemblées parlementaires nous apparaît utile, même si l'on peut se demander quel sera le rôle desdites personnalités, le conseil général étant chargé de l'administration de la Banque de France.
Tout cela est assez bancal, reconnaissez-le ! De plus, l'amendement déposé ce matin par le Gouvernement introduit finalement plus de confusion que de simplification. S'agit-il de faire une économie budgétaire estimée à 480 000 euros, alors que la politique fiscale engagée depuis le début de la législature a conduit à priver l'État de 30 milliards d'euros qui eussent été bienvenus pour donner à notre pays et à l'État des marges de manoeuvre budgétaire ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Cela n'a vraiment aucun rapport, ma chère collègue !
Mme Nicole Bricq. Mais moi, je le vois, le rapport : 30 milliards d'euros ont été gaspillés et n'ont pas servi à une relance durable de la croissance dans notre pays.
M. Philippe Marini, rapporteur. On n'a pas assez de ressources, il faut donc dépenser n'importe comment !
Mme Nicole Bricq. Ce débat, nous l'aurons bientôt, lors de la discussion du projet de loi de finances, comme nous l'avons déjà eu lors de chaque présentation de projet de budget dont les résultats se sont révélés aussi injustes qu'inefficaces.
J'en viens maintenant à la présence incongrue des dispositions d'ordre social que ne justifient ni la continuité parlementaire, ni l'existence de négociations avec les salariés de la Banque de France.
Depuis plusieurs années, la Banque de France s'est engagée dans une politique de réduction des effectifs. Elle a reçu de nouvelles missions dont elle s'est parfaitement acquittée : la fabrication de billets, par exemple, que vous avez évoquée, madame la ministre ; quant à son rôle dans le traitement des dossiers de surendettement, il est salué par tous et, parallèlement, ses implantations locales se sont significativement réduites. Tout ce travail d'adaptation est, du reste, mentionné dans le rapport de M. Philippe Marini.
Pour prix de leur adaptation, on propose aux personnels de supprimer - excusez du peu ! - le droit d'alerte, le recours aux experts, les prérogatives sur les changements économiques et juridiques de la Banque de France - c'est sans doute là le point le plus sensible - et, pour faire bonne mesure, la faculté de revoir à la baisse la subvention aux oeuvres sociales supprimant le fameux « effet cliquet », tout cela au double motif que, n'étant pas dans le secteur concurrentiel, la Banque de France ne court pas de risques économiques, et qu'il convient par ailleurs d'aligner notre droit sur celui des homologues européens de la Banque de France.
Cet argument étonne, car la politique sociale relève bien, que je sache, des choix des États membres.
Au moment où l'on exalte dans d'autres enceintes les vertus du dialogue social, ce serait par la voie d'une proposition de loi qu'il serait décidé du sort des droits du personnel de la Banque de France sans qu'aucune négociation ne soit engagée au sein de l'institution ? Reconnaissez que ce n'est pas acceptable ! Nous proposerons donc un amendement de suppression de l'article 5.
Nous ne sommes pas réunis ce matin - je le dis au Gouvernement et à la majorité qui le soutient - pour arbitrer les différends qui agitent les deux factions de la majorité présidentielle.
M. Philippe Marini, rapporteur. Les « factions » ? Nous n'aimons pas beaucoup ce terme : vous pourriez être plus neutre, parce que nous pourrions vous retourner la chose !
Mme Nicole Bricq. Les clans, si vous préférez !
Nous avions lu avec intérêt les déclarations de M. François Fillon, conseiller politique de M. Sarkozy, et la réaction de M. de Villepin, qui lui avait succédé ; nous savons bien qu'il y a une différence d'appréciation sur la rupture !
Quant à la méthode que vous avez utilisée en commission des finances, monsieur le rapporteur, en menaçant de mettre sur la table les privilèges - jusqu'à présent, le mot n'avait pas été lâché -, laissez-moi vous dire qu'elle est détestable. Ferez-vous preuve de la même véhémence, de la même conviction quand nous aurons très prochainement à discuter du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, dont la commission des finances est saisie ?
J'attends vos propositions concernant le régime des stocks-options et - pourquoi pas ? - les retraites « chapeaux » et autres gracieusetés que s'auto-administrent des dirigeants d'entreprise, et souvent sans justification de réussite économique en France.
Sans qu'il me soit besoin d'être spécialiste du droit social, si les motivations qui avaient conduit l'auteur de cette proposition de loi à présenter cet article au vote du Sénat reposaient sur la conviction que les salariés de la Banque de France disposaient d'avantages indus au regard de leurs missions et de la situation d'autres salariés, au nom de mon groupe, je serais amenée à lui faire part d'une double conviction : ce n'est pas en opposant les salariés entre eux que l'on règle leurs problèmes et ce n'est pas en enlevant des droits aux uns que l'on satisfait les autres.
Le Gouvernement a déposé des amendements, notamment à l'article 5. Je suppose que la prudence, à la veille d'élections capitales, guide ses pas. Pour nous, il ne s'agit pas de prudence, je viens de vous dire, il s'agit de convictions et de méthode.
Nous voulons privilégier le débat social dans les entreprises ; il n'y a aucune raison qu'il n'ait pas lieu au sein de la Banque de France comme dans d'autres entreprises du secteur public et du secteur privé. Respectons les partenaires sociaux !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite, à ce stade du débat, intervenir très brièvement, pour me disculper du soupçon qu'ont exprimé Mmes Nicole Bricq et Marie-France Beaufils.
J'estime que le Sénat est dans son rôle lorsqu'il dépose des propositions de loi et je revendique cette prérogative.
J'ai déposé la présente proposition de loi non pas au nom de la commission des finances, mais à titre personnel, ma conviction étant qu'il faut modifier le statut de la Banque de France pour tirer les conséquences du passage à l'euro.
À cette occasion, comment ne pas transcrire les préconisations de la Cour des comptes exprimées en 2005 à la suite d'un contrôle de la Banque de France ?
Il ne s'agit pas ici de remettre en cause le statut des salariés. En aucune façon, nous n'abordons les niveaux de rémunération, non plus que les retraites. Nous savons que des négociations sont en cours et nous sommes attachés à cette exigence de négociations.
Seules deux dispositions sont, à mon avis, contestables, notamment « l'effet cliquet », qui conditionne l'octroi des dotations au comité central d'entreprise.
Je rappellerai que le montant de cette dotation s'élevait, en 2002 et sans doute les années suivantes, du fait de cet effet « cliquet », à au moins 84 millions d'euros, qu'entre 1998 et 2005 le nombre des collaborateurs s'est abaissé considérablement, puisqu'il est passé de 16 900 équivalents temps plein à 13 972.
Les effectifs ont donc été réduits de 12 %, quand, durant cette même période, le montant versé aux oeuvres sociales et culturelles se maintenait et progressait même légèrement.
Je rappellerai aussi que trois cents personnes sont mises à disposition des oeuvres culturelles, dont l'effectif est stable alors même que celui de la Banque n'a cessé de refluer.
Je ne crois pas, en disant cela, porter atteinte aux prérogatives du personnel. M. le rapporteur a évoqué un niveau de dotations aux oeuvres sociales des banques pouvant aller jusqu'à 5 %. Il a fait preuve de générosité.
M. Philippe Marini, rapporteur. Trop généreux !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ... Je crois me souvenir que, chez BNP Paribas, il est de 3,3 %, à la Société Générale de 3,6 %, au Crédit foncier de 2,7 %, chez HSBC de 0,7 %, à la SNCF de 1,72 %, à la RATP de 2,81 %, au CEA de 3 % et à EDF - c'est un peu mieux ! - de 6,7 %. Il n'y a guère qu'à la Caisse des dépôts et consignations qu'il s'approche du niveau de la Banque de France.
La disposition que je propose a une portée modeste puisqu'elle renvoie à un décret en Conseil d'État. Une telle orientation laisse largement place à la discussion et à la négociation.
En outre, M. Marini a parfaitement développé les raisons justifiant la remise en cause de l'appel à un cabinet d'expertise comptable. Depuis 2002, certaines crispations sont apparues entre la Banque de France et les experts. Or qui peut affirmer que la Banque de France est une institution menacée, qu'elle risque de déposer son bilan ou bien de faire l'objet d'une offre publique d'achat par je ne sais quelle autre institution, et que cela justifie, à destination du personnel, l'éclairage d'un expert ?
Mes chers collègues, objectivement, toutes ces réserves ne sont pas fondées. Certes, les sommes en jeu ne sont pas gigantesques. Mais j'ai observé qu'au fil des années l'appétit des experts ne cessait de croître : ainsi, la dernière année, la confection du rapport a coûté 95 000 euros, alors qu'il n'est même pas communicable au personnel, compte tenu de la confidentialité entourant les informations relatives à l'un des piliers du système européen des banques centrales !
Le tribunal s'est prononcé sur les honoraires de 2005 et les a réduits de moitié. L'adoption de cette mesure permettra de réduire les dépenses de 480 000 euros. Madame Bricq, vous nous en faites grief, au motif qu'il s'agit d'une économie modeste. Mais, en l'occurrence, vous faites l'apologie du statu quo !
Mme Marie-France Beaufils. Il y a d'autres statu quo qui ne vous gênent pas !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà comment on mène un pays droit dans le mur !
Mme Nicole Bricq. Et l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties afférente aux terrains à usage agricole votée l'année dernière, combien a-t-elle coûté au budget ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mes chers collègues, il n'y a pas de petites économies, et nous sommes dans notre rôle en proposant de telles dispositions. Voilà pourquoi je souhaite que le Sénat, éclairé par M. le rapporteur et par Mme la ministre, puisse approuver cette proposition de loi qui contribue à la modernisation de notre banque centrale. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevables les conclusions de la commission des Finances sur la proposition de loi portant diverses dispositions intéressant la Banque de France (n° 12, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la motion.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'instauration de la session unique du Parlement participait, à l'origine, d'un certain nombre d'éléments essentiels au développement du travail parlementaire.
Lors de la discussion conduisant à l'adoption de la loi constitutionnelle modifiant l'article 28 de la Constitution, le garde des sceaux de l'époque, M. Toubon, avait déclaré:
« La prolifération des normes fait perdre la vision de l'essentiel. Le Président de la république le souligne aussi : trop de lois tuent la loi. Je serais tenté d'ajouter qu'elles tuent le débat démocratique.
« Quant au contrôle de l'action gouvernementale, il souffre également d'un déficit. [...]
« Une nouvelle organisation du rythme des sessions et donc une meilleure répartition du calendrier des travaux parlementaires sont la condition de l'efficacité de l'action des assemblées. »
Dans son plaidoyer en faveur de la session unique, l'orateur précisait plus loin : « L'Assemblée nationale a souhaité, en second lieu, qu'une séance mensuelle soit réservée à l'examen des propositions de loi dont le Gouvernement accepte la discussion.
« Votre commission des lois estime devoir aller plus loin en conférant aux assemblées la maîtrise de l'ordre du jour une fois par mois.
« Je partage, certes, le souci de voir le Parlement débattre plus souvent des textes d'origine parlementaire. Mais vous comprendrez que le Gouvernement, à qui appartient la charge de déterminer et de conduire la politique de la nation, doit rester maître, en toute circonstance, de l'ordre du jour. »
C'est à l'aune de cet état d'esprit exprimé à l'été 1995 qu'il convient d'appréhender, dans un premier temps, la proposition de loi de notre collègue Jean Arthuis, président de la commission des finances.
Le règlement du Sénat ayant consacré la notion d'ordre du jour réservé, permettez-moi tout de même de souligner à quel point la question que nous nous posons à l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi se pose, dans les mêmes termes, depuis bien longtemps : de quel droit, quels que fussent ses qualités et son rang au sein de notre Haute Assemblée, un parlementaire peut-il faire accepter l'inscription d'une telle proposition de loi, alors même que des groupes politiques entiers, qui ont le « mauvais goût » de siéger dans la minorité de cette assemblée, voient l'examen de leur moindre proposition, même de portée limitée, reporté sine die ?
Au demeurant, au-delà de la forme, surgit immédiatement une autre question.
Comme le texte que nous examinons est une proposition de loi, il échappe, par nature, de par l'indépendance du Parlement, à l'examen critique qui porte sur les projets de loi, c'est-à-dire sur les textes d'origine gouvernementale, dont la discussion occupe l'essentiel de notre temps durant la session, comme nous avons pu encore l'observer cette année, le présent gouvernement ayant sans doute oublié le principe rappelé en juillet 1995 par Jacques Toubon : trop de lois tuent la loi.
Ce texte échappe en particulier à l'avis du Conseil d'État, qui, ne serait-ce que sur l'article 5, aurait sans doute mis en évidence quelques aspects essentiels de notre corpus constitutionnel, lequel, à notre avis, est bafoué. Il n'est qu'à commenter certains passages du texte pour s'en convaincre.
Ainsi, le comité central d'entreprise de la Banque de France, le CCE, ne serait plus informé et consulté en cas de modification économique et juridique de l'entreprise. Si tel avait été le cas auparavant, chers collègues, auriez-vous été aussi nombreux à être informés, en 2003, du projet de réduction du réseau de succursales de la Banque à une structure régionale, et à vous y opposer, à juste titre et avec succès ?
De quel autre recours que le déclenchement d'un conflit majeur disposeraient les salariés de la fabrication des billets en cas de modification du statut juridique de leur activité, comme cela est en train de se produire pour l'administration des Monnaies et médailles ?
De même, le droit d'alerte en cas de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise serait retiré au comité d'entreprise de la Banque.
Voilà une disposition qui correspond bien à l'esprit du gouverneur de la Banque de France, s'agissant d'une faculté dont le CCE et les comités de la Banque ont usé utilement lorsqu'ils ont défendu, avec succès, les moyens d'exercer efficacement le service public, en particulier en matière de fabrication des billets.
En outre, monsieur Arthuis, vous ne vous arrêtez pas là, puisque vous proposez l'interdiction, pour le comité d'entreprise, de recourir à un expert-comptable pour l'examen des comptes annuels de la Banque.
Pourtant, si chacun peut reconnaître que les comptes d'une banque centrale reflètent non ses performances en tant qu'entreprise, mais une situation macroéconomique - rythme de la création monétaire, montant des billets en circulation, niveau des taux de change et des taux d'intérêt sur les marchés internationaux -, il n'en est pas moins vrai que cet examen des comptes a joué, ces dernières années, un rôle important dans le dialogue social à la Banque.
Il a permis à des experts de mettre en évidence certains errements dans la gestion interne de l'institution, en particulier l'obsession de réduire les coûts salariaux alors que les gaspillages de dépenses matérielles étaient loin de recevoir la même attention de la haute direction.
C'est cela qui n'est pas pardonné, notamment par le gouverneur, au comité d'entreprise de la Banque de France. En d'autres termes, cette proposition de loi est inspirée, selon nous, par une volonté de revanche sociale. La proposition d'exclure le comité d'entreprise de la Banque de France du champ d'application de l'article L. 432-9 du code du travail nous conforte dans cette idée.
Il ne s'agit pas, contrairement à ce que soutient M. le rapporteur, de mettre fin à une aberration conduisant les dépenses sociales de la Banque à n'évoluer qu'à la hausse, quel que soit le niveau de la masse salariale. En réalité, les dépenses sociales varient dans les mêmes proportions que cette masse salariale puisqu'elles sont fixées en pourcentage de celle-ci.
Il s'agit, en vérité, d'ouvrir la voie à une diminution drastique des moyens financiers mis à la disposition des institutions sociales de la Banque. M. Marini croit impressionner son auditoire en brandissant des chiffres sur le montant de cette action sociale. Il convient tout de même de rappeler que ceux-ci reflètent des particularités propres à la Banque de France.
Par exemple, dans cette institution, c'est le comité central d'entreprise qui prend intégralement en charge la protection des salariés contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, contrairement aux autres entreprises qui relèvent de la branche spécialisée de la sécurité sociale.
De fait, c'est un peu comme si l'on mélangeait les carottes et les navets, attendu que le comité d'entreprise de la Banque de France ne fait que prendre à sa charge des dépenses de gestion qui, dans les autres entreprises, sont normalement accomplies par d'autres organismes que les instances représentatives du personnel.
Cette façon de faire a d'ailleurs un nom : mentir par omission, attendu que celui qui sait, c'est celui qui a raison et qui peut tromper l'autre.
Pour ce qui est de la mise en cause du droit du travail, le sommet est atteint lorsque le texte précise, sans autre précaution, que le conseil général de la Banque pourrait décider d'exclure l'application du droit du travail à la Banque chaque fois que ce droit lui paraîtrait incompatible avec son statut et ses missions.
Le principe d'indépendance de la banque centrale, prévu a priori pour l'exercice de sa seule mission monétaire, s'étendrait ainsi au statut de ses salariés. Je dois le dire, cela n'a rien d'un hasard.
Déjà, les salariés de la Banque centrale européenne ont dû présenter des recours devant la Cour de justice des Communautés européennes, pour faire reconnaître le fait syndical dans leur institution.
Déjà, des atteintes graves au droit syndical viennent d'être condamnées à la Banque centrale du Luxembourg. Or, eu égard à ses missions, tout laisse à penser que celle-ci ferait sans doute mieux de s'interroger sur les fonds transitant sur les comptes bancaires des établissements de crédit implantés dans le Grand-Duché plutôt que d'amoindrir sans cesse les prérogatives et les droits les plus élémentaires de son personnel.
Nos dirigeants « monétaires » considèrent-ils donc, au nom de ce qu'ils appellent leur indépendance, que leur domaine d'activité doit constituer une zone de non-droit ? Le texte que nous examinons vise-t-il à acclimater cette conception au coeur même de notre service public ? Est-ce cela que nous promet la construction monétaire européenne, instaurée par le traité de Maastricht, et dont le résultat du référendum sur le projet de Constitution européenne a révélé de quel faible soutien elle dispose chez nos concitoyens ?
En résumé, l'adoption de la proposition de loi qui nous est soumise, en particulier de son article 5, entraînerait les conséquences suivantes. Je reprends à cet effet les termes mêmes de l'analyse juridique réalisée à la demande des élus du personnel de la Banque de France.
Elle risque d'abord de « donner tout pouvoir au gouverneur et au conseil général pour décider de l'emploi des fonds propres de la Banque et [...] délibérer des statuts du personnel [...] pour décider quasiment sans contrôle, non seulement des dispositions applicables aux agents, mais surtout quelles dispositions du code du travail seraient incompatibles avec le statut ».
Elle risque ensuite de « retirer aux instances représentatives du personnel - CCE et CE - toutes prérogatives sur les changements économiques ou juridiques de la Banque de France ».
Elle risque enfin de « permettre au gouverneur de s'attaquer, sans autre limite que les dispositions légales de base [aux instances représentatives] et aux acquis historiques des salariés et de leurs institutions ».
Mes chers collègues, imaginez-vous les conséquences qu'un tel texte pourrait emporter s'il devait servir de précédent à l'extension à d'autres entreprises, au-delà de la Banque de France, de dispositions analogues ? Nous nous réjouissons d'ailleurs que, sur l'initiative du comité central d'entreprise, de très nombreuses personnalités du monde syndical, associatif et politique se soient associées à un appel dénonçant les dangers de ce texte et appelant au retrait de son article 5.
In fine, cette proposition de loi remet en question l'application du huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dont nous célébrerons le soixantième anniversaire dans dix jours, et qui constitue l'un des éléments fondamentaux de notre bloc de constitutionnalité. J'en rappelle les termes : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »
Or ce que vous nous proposez, monsieur Arthuis, c'est ni plus ni moins que de créer, au coeur même de notre banque centrale, une catégorie de travailleurs sans droits. Pourtant, le Conseil d'État a rappelé les points suivants dans un arrêt rendu le 9 juillet 2003 : « Au nombre des caractéristiques propres à la Banque de France figure l'application à son personnel des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée. [...] Aucune disposition législative ultérieure n'a eu pour objet ou pour effet d'écarter l'application du code du travail aux agents de la Banque de France ».
Pour ceux qui auraient quelque peine à comprendre, il nous faut souligner que la Banque de France est une catégorie juridique à part, que son personnel ne peut donc être assimilé au personnel de la fonction publique - au demeurant, nous ne votons pas les crédits de personnel de la banque centrale lors de la discussion budgétaire, monsieur Arthuis - et que, si son statut est proche de celui de la fonction publique, sinon similaire en bien des points, il n'en est pas moins différencié. En foi de quoi, l'application pleine et entière du code du travail se justifie dans le cadre de notre institution bancaire.
Pour conclure, je vous pose la question suivante : cette façon de balayer, par un texte législatif de convenance, les bases de notre démocratie sociale, est-elle conforme à la conception du dialogue social défendue il y a quelques jours par le Président de la République, devant le Conseil économique et social ?
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est votre candidat ? (Sourires.)
M. Thierry Foucaud. Je rappelle ses propos : « Il ne sera plus possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme engagée. Et aucun projet de loi ne sera présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux soient consultés sur son contenu ».
Si la proposition de notre collègue Jean Arthuis devait être adoptée, quel fossé il y aurait, dans ce domaine comme dans d'autres, entre les discours et les actes !
Enfin, s'agissant des dispositions financières propres à la proposition de loi, force est de constater qu'elles posent de nombreuses questions. Si l'on se réfère aux termes du rapport, on constate que ceux-là mêmes qui ont fait de la réduction des déficits publics l'alpha et l'oméga de leur politique budgétaire prônent désormais la dégradation de la balance générale des comptes de l'État, en instituant un régime fiscal dérogatoire propre à la détermination du montant de l'impôt dû au Trésor par la banque centrale. C'est tout de même paradoxal !
Un euro est un euro, messieurs Arthuis et Marini ! Il est étrange que vous accompagniez votre proposition de loi de cette proposition d'affectation du résultat de la Banque de France.
Pour l'ensemble de ces motifs, nous ne pouvons qu'inviter le Sénat à voter, sans la moindre hésitation, cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au texte issu des conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi de M. Jean Arthuis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Le propos de notre collègue Thierry Foucaud se concentre pour l'essentiel sur l'article 5 de la proposition de loi. Nous aurons tout loisir de lui répondre lorsque ce dernier viendra en discussion.
Par ailleurs, il serait très frustrant pour le Sénat d'être privé d'une discussion qui s'annonce aussi intéressante.
La commission des finances émet donc un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Le titre IV du livre Ier du code monétaire et financier est ainsi modifié :
I. - L'intitulé de la section 2 du chapitre II est ainsi rédigé :
« Le conseil général ».
II. - L'article L. 142-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 142-2. - Le conseil général administre la Banque de France.
« Il délibère sur les questions relatives à la gestion des activités de la Banque de France autres que celles qui relèvent des missions du Système européen de banques centrales.
« Il délibère des statuts du personnel. Ces statuts sont présentés à l'agrément des ministres compétents par le gouverneur de la Banque de France.
« Le conseil général délibère également de l'emploi des fonds propres et établit les budgets prévisionnels et rectificatifs de dépenses, arrête le bilan et les comptes de la Banque, ainsi que le projet d'affectation du bénéfice et de fixation du dividende revenant à l'État.
« Le conseil général désigne deux commissaires aux comptes chargés de vérifier les comptes de la Banque de France. Ils sont convoqués à la réunion du conseil général, qui arrête les comptes de l'exercice écoulé ».
III. - L'article L. 142-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 142-3. - Le conseil général de la Banque de France comprend les membres du comité monétaire du conseil général et un représentant élu des salariés de la Banque, dont le mandat est de six ans.
« La validité des délibérations est subordonnée à la présence d'au moins cinq membres.
« Les décisions se prennent à la majorité des membres présents. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.
« Le conseil général peut consentir des délégations de pouvoir au gouverneur de la Banque de France, qui peut les subdéléguer dans les conditions fixées par le conseil.
« Un censeur, ou son suppléant, nommé par le ministre chargé de l'économie, assiste aux séances du conseil général. Il peut soumettre des propositions de décision à la délibération du conseil.
« Les décisions adoptées par le conseil général sont définitives, à moins que le censeur ou son suppléant n'y ait fait opposition ».
IV. - L'intitulé de la section 3 du chapitre II est ainsi rédigé :
« Le comité monétaire du conseil général ».
V. - L'article L. 142-4 est ainsi rédigé :
« Art. L. 142-4. - Le comité monétaire du conseil général examine les évolutions monétaires et analyse les implications de la politique monétaire élaborée dans le cadre du Système européen de banques centrales.
« Il adopte les mesures nécessaires pour transposer les orientations de la Banque centrale européenne.
« Il peut consentir au gouverneur des délégations temporaires de pouvoir ».
VI. - L'article L. 142-5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 142-5. - Le comité monétaire du conseil général comprend sept membres :
« - le gouverneur et les deux sous-gouverneurs de la Banque de France ;
« - deux membres nommés par le Président du Sénat et deux membres nommés par le Président de l'Assemblée nationale, compte tenu de leur compétence et de leur expérience professionnelle dans les domaines monétaire, financier ou économique.
« Lors de la première désignation, à compter de la promulgation de la présente loi, des membres nommés dans les conditions définies au troisième alinéa, un membre est nommé par le Président du Sénat et un membre est nommé par le Président de l'Assemblée nationale. Le mandat de ces membres expire à la fin de l'année 2011, sous réserve des dispositions prévues au sixième alinéa. En outre, les membres du Conseil de la politique monétaire nommés par décret en Conseil des ministres autres que le gouverneur et les deux sous-gouverneurs, en fonctions à la date de publication de la présente loi, sont membres de droit du comité monétaire. Leur mandat ne sera pas renouvelé à l'expiration de leurs fonctions.
« À compter du 1er janvier 2009, le renouvellement des membres visés au troisième alinéa s'opère par moitié tous les trois ans. Lors de chaque renouvellement triennal, un membre est nommé par le Président du Sénat et un membre est nommé par le Président de l'Assemblée nationale. Le mandat de ces membres dure six ans, sous réserve des dispositions prévues au sixième alinéa.
« Il est pourvu au remplacement des membres du comité monétaire au moins huit jours avant l'expiration de leurs fonctions. Si l'un des membres visés au troisième alinéa ne peut exercer son mandat jusqu'à son terme, il est pourvu immédiatement à son remplacement dans les conditions décrites aux trois alinéas précédents et il n'exerce ses fonctions que pour la durée restant à courir du mandat de la personne qu'il remplace.
« Le mandat des membres nommés par le Président du Sénat et le Président de l'Assemblée nationale n'est pas renouvelable. Toutefois, cette règle n'est pas applicable aux membres qui ont remplacé, pour une durée de trois ans au plus, un membre du comité dans le cas prévu à l'alinéa précédent ».
VII. - L'article L. 142-6 est ainsi rédigé :
« Art. L. 142-6. - Le comité monétaire du conseil général se réunit sur convocation de son président au moins une fois par mois.
« Le gouverneur est tenu de le convoquer dans les quarante-huit heures sur la demande de la majorité de ses membres.
« La validité des délibérations du comité monétaire du conseil général est subordonnée à la présence d'au moins quatre membres. Si ce quorum n'est pas atteint, le comité monétaire du conseil général, convoqué à nouveau par le gouverneur sur le même ordre du jour, se réunit valablement sans condition de quorum. Les décisions se prennent à la majorité des membres présents. En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.
« Le directeur général du Trésor et de la politique économique ou son représentant peut participer sans voix délibérative aux séances du comité monétaire du conseil général. Il peut soumettre toute proposition de décision à la délibération du comité. Le comité monétaire du conseil général délibère dans le respect de l'indépendance de son président, membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, et des règles de confidentialité de celle-ci ».
VIII. - L'article L. 142-7 est ainsi rédigé :
« Art. L. 142-7. - Les membres du comité monétaire du conseil général sont tenus au secret professionnel.
« Il ne peut être mis fin, avant terme, à leurs fonctions, que s'ils deviennent incapables d'exercer celles-ci ou commettent une faute grave, par révocation sur demande motivée du comité monétaire du conseil général statuant à la majorité des membres autres que l'intéressé.
« Les fonctions du gouverneur et des sous-gouverneurs sont exclusives de toute autre activité professionnelle publique ou privée, rémunérée ou non, à l'exception, le cas échéant, après accord du comité monétaire du conseil général, d'activités d'enseignement ou de fonctions exercées au sein d'organismes internationaux. Ils ne peuvent exercer de mandats électifs. S'ils ont la qualité de fonctionnaires, ils sont placés en position de détachement et ne peuvent recevoir une promotion au choix.
« Les fonctions des autres membres du comité monétaire du conseil général ne sont pas exclusives d'une activité professionnelle, après accord du comité monétaire à la majorité des membres autres que l'intéressé. Le comité monétaire examine notamment l'absence de conflits d'intérêts et le respect du principe de l'indépendance de la Banque de France. Cette absence de conflits d'intérêts impose que les membres n'exercent aucune fonction et ne possèdent aucun intérêt au sein des prestataires de services visés par les titres I à V du livre V du présent code. Ces mêmes membres ne peuvent pas exercer un mandat parlementaire.
« Le gouverneur et les sous-gouverneurs qui cessent leurs fonctions pour un motif autre que la révocation pour faute grave continuent à recevoir leur traitement d'activité pendant trois ans. Pour les autres membres du comité monétaire du conseil général en fonctions à la date de promulgation de la présente loi, cette période est limitée à un an. Au cours de cette période, ils ne peuvent, sauf accord du comité monétaire du conseil général, exercer d'activités professionnelles, à l'exception de fonctions publiques électives ou de fonctions de membre du gouvernement. Dans le cas où le comité monétaire a autorisé l'exercice d'activités professionnelles, ou s'ils exercent des fonctions publiques électives autres que nationales, le comité détermine les conditions dans lesquelles tout ou partie de leur traitement peut continuer à leur être versé ».
IX. - Dans le dernier alinéa de l'article L. 141-1, les mots : « conseil de la politique monétaire » sont remplacés par les mots : « comité monétaire du conseil général ».
X. - L'article L. 142-8 est ainsi modifié :
A. - Au second alinéa, les mots : « le conseil de la politique monétaire et le conseil général » sont remplacés par les mots : « le conseil général et le comité monétaire du conseil général ».
B. - Au troisième alinéa, les mots : « de ces conseils » sont remplacés par les mots : « du conseil général et du comité monétaire du conseil général ».
C. - La seconde phrase de l'avant-dernier alinéa est ainsi rédigée :
« En cas d'absence ou d'empêchement du gouverneur, le conseil général et le comité monétaire du conseil général sont présidés par l'un des sous-gouverneurs, désigné spécialement à cet effet par le gouverneur ».
XI. - Dans le deuxième alinéa de l'article L. 143-1, les mots : « conseil de la politique monétaire » sont remplacés par les mots : « comité monétaire du conseil général ».
XII. - Dans le second alinéa de l'article L. 144-4, les mots : « du conseil de la politique monétaire et » sont supprimés.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le texte proposé par le III de cet article pour l'article L. 142-3 du code monétaire et financier :
« Art. L. 142-3. - I. - Le conseil général de la Banque de France comprend :
« 1° les membres du comité monétaire du conseil général,
2° deux membres nommés en conseil des ministres, sur proposition du ministre chargé de l'économie, compte tenu de leur compétence et de leur expérience professionnelle dans les domaines financier ou économique,
3° un représentant élu des salariés de la Banque de France.
« Les fonctions des membres nommés en application du 2° ne sont pas exclusives d'une activité professionnelle, après accord du conseil général à la majorité des membres autres que l'intéressé. Le conseil général examine notamment l'absence de conflits d'intérêts et le respect du principe de l'indépendance de la Banque de France. Cette absence de conflits d'intérêts impose que les membres n'exercent aucune fonction et ne possèdent aucun intérêt au sein des prestataires de services visés par les titres I à V du livre V du présent code. Ces mêmes membres ne peuvent pas exercer un mandat parlementaire.
« Le mandat de ces membres est de six ans. Ils sont tenus au secret professionnel.
« II. - La validité des délibérations est subordonnée à la présence d'au moins six membres. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. La proposition de loi fixe un objectif ambitieux de réforme de la gouvernance de la Banque de France auquel adhère pleinement le Gouvernement.
Nous pensons toutefois que ce dispositif peut être encore amélioré, notamment en diversifiant les sources de nomination et en insistant sur l'aspect de gestion de la banque, sans remettre en cause la nécessaire simplification proposée à l'article 1er. Ainsi, avec deux personnalités qualifiées supplémentaires désignées par le Gouvernement, les personnalités extérieures deviendraient majoritaires au sein du conseil général de la banque, ce qui permettrait d'éviter un système d'autocontrôle et irait dans le sens d'une meilleure gouvernance.
Sans toucher à l'indépendance de l'institution, la désignation de ces deux personnalités supplémentaires au sein du seul conseil général, sans participation au comité monétaire, met en avant notre souci d'amélioration de la gestion interne de la Banque de France.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Cet avis est favorable.
Nous aurions néanmoins souhaité que le Gouvernement puisse nous confirmer que ces membres supplémentaires seront rémunérés par des jetons de présence ou des vacations et non par des indemnités de même nature que celles dont bénéficiaient jusqu'ici les membres de l'ancien conseil de la politique monétaire.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Effectivement, monsieur le rapporteur, les deux personnalités désignées par le Gouvernement seront rémunérées sous forme de jetons de présence, c'est-à-dire non pas dans les conditions antérieures, mais selon de nouvelles conditions déterminées par décret.
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. J'ai déjà expliqué lors de la discussion générale que cet amendement introduisait plus de confusion que de simplification.
Par ailleurs, s'il s'agissait vraiment de respecter l'indépendance de la Banque de France, pourquoi le Gouvernement nommerait-il deux représentants au sein du conseil général ?
M. le président. Ces représentants y resteront en cas d'alternance politique !
Mme Nicole Bricq. Pour notre part, nous voterons contre cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Darniche, Mme Desmarescaux, MM. Türk et Adnot, est ainsi libellé :
Après l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Les personnes ayant procédé de manière anticipée aux mesures d'effacement de leurs dettes peuvent demander la suppression de leur mention patronymique du fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
II. - Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application du I.
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 8 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l'article L. 164-1 du code monétaire et financier, les mots : « conseil de la politique monétaire » sont remplacés par les mots : « conseil général » et les mots : « institué au premier alinéa de l'article L. 142-5 » sont remplacés par les mots : « institués aux articles L. 142-3 et L. 142-7 ».
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Il s'agit d'un amendement de coordination.
L'article L. 164-1 du code monétaire et financier prévoit le régime des sanctions applicables désormais, en cas de violation du secret professionnel, aux membres du conseil général de la Banque de France, et non plus à ceux du conseil de politique monétaire, puisque ce dernier est supprimé dans le cadre de la présente réforme.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination fort utile. L'avis de la commission est donc favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
Article 2
Le titre IV du livre Ier du même code est ainsi modifié :
I. - L'article L. 141-6 est abrogé.
II. - La section 1 est complétée par un article L. 141-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 141-6.- I. - La Banque de France est habilitée à se faire communiquer par les établissements de crédit, les entreprises d'investissement, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les compagnies financières, les entreprises d'assurance et de réassurance régies par le code des assurances et les entreprises industrielles et commerciales, tous documents et renseignements qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions fondamentales.
« II. - La Banque de France établit la balance des paiements et la position extérieure de la France. Elle contribue à l'élaboration de la balance des paiements et de la position extérieure globale de la zone euro dans le cadre des missions du Système européen de banques centrales ainsi qu'à l'élaboration des statistiques de la Communauté européenne en matière de balance des paiements, de commerce international des services et d'investissement direct étranger.
« III. - Un décret fixe les sanctions applicables en cas de manquement aux obligations déclaratives mentionnées aux I et II.
« IV. - La Banque de France, l'Institut national de la statistique et des études économiques et les services statistiques ministériels se transmettent, dans le respect des dispositions légales applicables, les données qui leur sont nécessaires pour l'exercice de leurs missions respectives. Les modalités de transmission font l'objet de conventions ».
III. - L'article L. 141-7 est ainsi rédigé :
« Art. L. 141-7. - La Banque de France exerce également d'autres missions d'intérêt général.
« Dans ce cadre, la Banque de France accomplit les prestations demandées par l'État ou réalisées pour des tiers avec l'accord de celui-ci.
« À la demande de l'État ou avec son accord, la Banque de France peut aussi fournir des prestations pour le compte de celui-ci ou pour le compte de tiers. Ces prestations sont rémunérées afin de couvrir les coûts engagés par la Banque de France.
« La nature des prestations mentionnées ci-dessus et les conditions de leur rémunération sont fixées par des conventions conclues entre la Banque de France et, selon le cas, l'État ou les tiers intéressés ».
IV. - Le premier alinéa de l'article L. 144-1 est ainsi modifié :
1° La première phrase est supprimée.
2° En conséquence, au début de la seconde phrase, le mot : « Elle » est remplacé par les mots : « La Banque de France ».
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 141-6 du code monétaire et financier par un alinéa ainsi rédigé :
« Les agents de l'administration des impôts peuvent communiquer à la Banque de France les renseignements qu'ils détiennent et qui sont nécessaires à l'accomplissement des missions mentionnées au II. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. La banque centrale a besoin, pour l'exercice de ses missions fondamentales, et en particulier pour l'établissement de la balance des paiements et de la position extérieure de la France, d'avoir accès à certaines informations recueillies par l'administration fiscale. Nous souhaitons ainsi lui permettre d'obtenir, de la direction générale des impôts, certaines données figurant dans les déclarations de TVA des entreprises, afin d'établir un suivi de la situation du commerce extérieur, domaine auquel je suis particulièrement sensible.
Cet amendement tend donc à fournir un cadre juridique à la transmission par l'administration fiscale de renseignements à la Banque de France, pour l'établissement des statistiques relatives à la balance des paiements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de précision utile : avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel avant l'article 3
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
I. - Après le deuxième alinéa de l'article L. 511-41, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour le respect des normes relatives à la solvabilité, ils peuvent être autorisés à utiliser leurs approches internes d'évaluation des risques. »
II. - Après l'article L. 511-43, il est inséré un article L. 511-44 ainsi rédigé :
« Art. L. 511-44. - La commission bancaire, après avis conforme du ministre chargé de l'économie, établit et tient à jour la liste des organismes externes d'évaluation de crédit dont les évaluations peuvent être utilisées par les établissements de crédit et les entreprises d'investissement pour les besoins de la mise en oeuvre de la réglementation prévue par l'article L. 511-41. »
III. - L'article L. 515-13 est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, les mots : « prêts à » sont remplacés par les mots : « expositions sur » ;
2° Au troisième alinéa, les mots « de prêts ou » sont remplacés par les mots « de prêts, d'expositions, ».
IV. - La sous-section 2 de la section 4 du chapitre V du titre premier du livre V est ainsi rédigée :
« Sous-section 2
« Opérations
« Art. L. 515-14. - I. - Les prêts garantis sont des prêts assortis de sûretés définies par décret en Conseil d'État.
« II. - Les prêts mentionnés au I et garantis par une sûreté immobilière sont éligibles au financement par des ressources privilégiées dans la limite d'une quotité du bien financé déterminée par décret en Conseil d'État.
« Des conditions spécifiques d'éligibilité peuvent être fixées par décret en Conseil d'État.
« La partie des prêts excédant la quotité ainsi fixée est financée, dans une limite déterminée par décret en Conseil d'État, par les ressources non privilégiées mentionnées au II de l'article L. 515-13.
« III. - Le bien apporté en garantie ou le bien financé par un prêt cautionné doit être situé dans un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans un État bénéficiant du meilleur échelon de qualité de crédit établi par un organisme externe d'évaluation de crédit reconnu par la Commission bancaire conformément à l'article L. 511-44. Sa valeur est déterminée de manière prudente et exclut tout élément d'ordre spéculatif. Les modalités d'évaluation sont fixées par un arrêté du ministre chargé de l'économie, qui peut prévoir recours à une expertise.
« Art. L. 515-15. - Les expositions sur des personnes publiques sont déterminées par décret en Conseil d'État.
« Art. L. 515-16. - Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État, sont assimilés aux prêts et expositions mentionnés aux articles L. 515-14 et L. 515-15 les parts et titres de créances émis par des fonds communs de créances ainsi que les parts ou titres de créances émis par des entités similaires soumises au droit d'un État appartenant à l'Espace économique européen.
« Art. L. 515-17. - Les sociétés de crédit foncier ne peuvent détenir de participations.
« Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles des titres et valeurs, parmi lesquels les créances et dépôts sur des établissements de crédit ou entreprises d'investissement, les obligations foncières émises par d'autres sociétés de crédit foncier ou les obligations de même nature émises par un établissement ayant son siège dans un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, sont suffisamment sûrs et liquides pour être détenus comme valeurs de remplacement par les sociétés de crédit foncier. Ce décret fixe la part maximale que ces valeurs de remplacement peuvent représenter.
« Art. L. 515-18. - Afin d'assurer la couverture des opérations de gestion des prêts et expositions mentionnés aux articles L. 515-14 à L. 515-17, des obligations foncières ou des autres ressources bénéficiant du privilège défini à l'article L. 515-19, les sociétés de crédit foncier peuvent recourir à des instruments financiers à terme, tels que définis à l'article L. 211-1.
« Les sommes dues au titre des instruments financiers à terme conclus par les sociétés de crédit foncier pour la couverture de leurs éléments d'actif et de passif, le cas échéant après compensation, bénéficient du privilège mentionné à l'article L. 515-19, de même que les sommes dues au titre des instruments financiers à terme conclus par les sociétés de crédit foncier pour la gestion ou la couverture du risque global sur l'actif, le passif et le hors-bilan de ces sociétés.
« Les sommes dues au titre des instruments financiers à terme utilisés pour la couverture des opérations mentionnées au II de l'article L. 515-13 ne bénéficient pas de ce privilège.
« Les titres, sommes et valeurs reçus par une société de crédit foncier en garantie des opérations de couverture mentionnées au présent article ne sont pas pris en compte dans le calcul de la part maximale visée à l'article L. 515-17. »
V. - Le chapitre VII du titre 1er du livre V est intitulé « Surveillance sur une base consolidée ».
VI. - La section 2 du chapitre VII du titre 1er du livre V est intitulée « Champ de la surveillance ».
VII. - A la section 2 du chapitre VII du titre 1er du livre V, la sous-section 1 est ainsi rédigée :
« Sous-section 1
« Dispositions générales
« Art. L. 517-5. - Les établissements de crédit ou entreprises d'investissement, autres que les sociétés de gestion de portefeuille, qui ont pour filiale au moins un établissement de crédit, une entreprise d'investissement ou un établissement financier ou qui détiennent une participation dans un tel établissement ou entreprise sont tenus de respecter sur la base de leur situation financière consolidée des normes de gestion déterminées par un arrêté du ministre chargé de l'économie, ainsi que les règles définies en application de l'article L. 511-2.
« Les compagnies financières qui ne sont pas filiale d'une autre compagnie financière ayant son siège social dans un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen sont soumises aux mêmes obligations. Les compagnies financières holding mixtes sont également soumises à ces obligations pour ce qui concerne le secteur bancaire et des services d'investissement.
« Art. L. 517-5-1. - Les compagnies financières sont soumises aux dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 511-13, aux articles L. 511-21, L. 511-35 à L. 511-38, L. 511-41, L. 571-3, L. 571-4, L. 613-8 à L. 613-11, L. 613-16, L. 613-18, L. 613-21 et L. 613-22 dans des conditions précisées par arrêté du ministre chargé de l'économie.
« Les commissaires aux comptes de ces entreprises sont également soumis à l'ensemble des dispositions applicables aux commissaires aux comptes des établissements de crédit et des entreprises d'investissement. »
VIII. - L'article L. 613-16 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« À ces fins, la commission bancaire peut également enjoindre aux mêmes entités de détenir des fonds propres d'un montant supérieur au montant minimal prévu par la réglementation applicable et exiger d'elles qu'elles appliquent à leurs actifs une politique spécifique de provisionnement ou un traitement spécifique concernant les exigences de fonds propres.
« Elle peut enfin leur enjoindre de restreindre ou de limiter à titre temporaire leur activité. »
IX. - 1. Après l'article L. 612-6, il est inséré un article L. 612-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 612-6-1. - Le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement peut, par dérogation aux dispositions de la loi n° 68-678 du 26 juillet précitée, conclure des conventions avec les autorités mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 612-6. Ces conventions sont publiées au journal officiel de la République française. »
2. La section 4 du chapitre III du titre Ier du livre VI est ainsi modifiée :
a) Il est créé une sous-section 1 intitulée « Dispositions générales » comprenant les articles L. 613-6 à L. 613-20.
b) Il est créé une sous-section 2 ainsi rédigée :
« Sous section 2
« Détermination de l'autorité compétente pour la surveillance sur une base consolidée dans l'Espace économique européen
« Art. L. 613-20-1. - Parmi les autorités compétentes des États partie à l'accord sur l'Espace économique européen, l'autorité chargée d'exercer la surveillance sur une base consolidée d'un groupe tel que visé à l'article L. 517-5 est celle dans l'État de laquelle l'entreprise mère a son siège social dans l'Espace économique européen, lorsque cette entreprise mère est un établissement de crédit ou une entreprise d'investissement. Lorsque l'entreprise mère est une compagnie financière ou une compagnie financière holding mixte, l'autorité chargée d'exercer la surveillance sur base consolidée est celle qui remplit les critères définis par arrêté du ministre chargé de l'économie.
« Cette autorité exerce la surveillance sur une base consolidée à l'égard des entités concernées où qu'elles soient établies dans l'Espace économique européen. Dans ce cadre, elle assure en particulier :
« a) la coordination de la collecte et de la diffusion des informations utiles dans la marche normale des affaires comme dans les situations d'urgence ;
« b) la planification et la coordination des activités prudentielles, en coopération avec les autorités compétentes concernées.
« Afin de faciliter l'exercice du contrôle sur une base consolidée d'un groupe, la commission bancaire peut conclure avec les autorités compétentes d'autres États parties à l'accord sur l'Espace économique européen des accords de coordination et de coopération afin de prévoir des modalités spécifiques de prise de décision et de coopération, y compris pour l'exercice par ces dernières autorités de certaines tâches et compétences relevant de la commission bancaire et réciproquement, par la commission bancaire pour le compte de ses homologues.
« Art. L. 613-20-2. Toute demande d'autorisation portant sur l'utilisation d'une approche interne d'évaluation des risques telle que visée à l'article L. 511-41, pour le compte de plusieurs établissements de crédit ou entreprises d'investissement appartenant à un même groupe et établis dans au moins deux États parties à l'accord sur l'Espace économique européen, est formulée auprès de l'autorité chargée d'exercer la surveillance sur une base consolidée. La commission bancaire coopère en vue d'aboutir à une décision commune avec les autorités compétentes concernées.
« Lorsqu'il ne s'avère pas possible d'aboutir à une telle décision conjointe et que la commission bancaire est l'autorité chargée d'exercer la surveillance sur une base consolidée, elle se prononce seule. Lorsqu'il ne s'avère pas possible d'aboutir à une telle décision et que la commission bancaire n'est pas l'autorité chargée d'exercer la surveillance sur une base consolidée, la décision prise par cette dernière est applicable en France dès réception de sa notification par la commission bancaire.
« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article. »
X. - Au II de l'article L. 613-23, après le mot : « articles », est insérée la référence : « L. 613-16, ».
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Au titre des missions importantes que la Banque de France remplit pour le compte de l'État, figure en bonne place l'accueil de la commission bancaire et de ses services en charge de la supervision prudentielle du secteur bancaire dans notre pays.
Cette supervision doit être modernisée d'ici à la fin de l'année 2006, à la suite de l'adoption des directives dites « Bâle II », publiées le 30 juin dernier, qui modifient profondément les méthodes de surveillance prudentielle des établissements de crédit dans toute l'Europe. Cela concerne en particulier l'exigence de fonds propres, ainsi que l'évaluation et le contrôle de ces derniers.
Le dispositif dit « Bâle II » a notamment pour objectif de moderniser l'accord de 1988, dit « Bâle I » ou ratio « Cook », qui permettait d'indiquer les ratios de fonds propres dont devaient disposer les établissements financiers. Il tend à renforcer la solidité et la stabilité du système bancaire, en assurant une meilleure prise en compte des risques réels supportés par les établissements de crédit.
Cette transposition représente un enjeu fondamental tant pour la compétitivité du secteur bancaire et financier et son rôle dans le financement de l'économie, que pour l'organisation du contrôle prudentiel, en France et en Europe.
À ce titre, comme pour la préparation de la négociation de la directive en amont, la consultation des acteurs économiques a été une préoccupation constante des pouvoirs publics. Le Gouvernement estime ainsi qu'il est nécessaire de toiletter et d'ajuster les règles sur les obligations foncières, qu'une transposition pure et simple de la directive conduirait à rendre moins compétitives.
C'est le résultat de tous ces travaux que je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, d'approuver aujourd'hui.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Si cet amendement, au demeurant fort intéressant, était adopté, le volume de notre proposition de loi en serait doublé. Et encore, je suis modeste !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui, très modeste !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il est clair que nous devons transposer les directives dites « Bâle II », tendant à modifier sensiblement et « conceptuellement » la pratique du contrôle des risques bancaires et les règles d'évaluation des fonds propres, en adéquation avec les risques portés par chaque bilan bancaire.
Sans entrer dans le détail de ce sujet complexe, je note que les professionnels du crédit, dans leurs raisonnements et leurs anticipations, se sont déjà adaptés à cette nouvelle donne.
Le Gouvernement nous a saisis en fin de semaine dernière de ce texte, qui ne soulève pas d'objection de fond de la part de la commission. Toutefois, madame le ministre, celle-ci n'est pas en mesure de préconiser l'adoption instantanée de l'amendement tel que vous nous le soumettez, pour les raisons suivantes.
En premier lieu, nous voulons nous assurer que le secteur des assurances et, plus largement, celui de l'investissement institutionnel, ne seront pas directement ou mécaniquement affectés par les directives et leur transposition.
En d'autres termes, nous avons entendu, pas plus tard que la semaine dernière, le directeur général de la Caisse des dépôts nous dire en substance que, dans quelques années, la Caisse des dépôts sera probablement le seul véritable grand acteur d'investissements durables en actions sur le marché de Paris. La transposition des directives de solvabilité va en effet conduire les grandes compagnies d'assurances à faire décroître la proportion de leurs actifs placés en actions. Sans doute ce raisonnement est-il valable, mais il s'applique à des textes différents de celui qui nous est soumis.
Quoi qu'il en soit, il faudrait disposer d'un peu de temps pour apprécier cet effet possible de « contamination » et, surtout, madame le ministre, pour trouver les parades afin de ne pas se résigner à un mouvement, peut-être européen dans l'esprit, mais qui, mal compris, mal conçu, mal appliqué, risquerait de se retourner contre notre politique et nos intentions sur le long terme.
C'est un vrai sujet, que l'on ne peut pas traiter de la sorte, je veux dire au détour d'une séance, même si la proposition de loi sur la Banque de France se prête tout à fait à évoquer la solvabilité des banques.
Donc, nous voudrions explorer plus avant l'aspect de correspondance, je disais « contamination », terme peut-être excessif, mais, en tout cas, les liens entre le secteur de l'investissement institutionnel et le secteur bancaire au regard des exigences de transposition de Bâle II.
En outre, et la commission y a été sensible ce matin, nous rappelons que l'un des aspects principaux du nouveau dispositif est de recourir à des évaluateurs externes de risques, en d'autres termes, des agences de notation.
On se souviendra que le débat sur les agences de notation a été très présent, notamment dans la discussion de la loi de sécurité financière de 2003, qui a vu la commission des finances jouer, à cet égard, un rôle un peu précurseur. Face au discours du ministre, Francis Mer, qui nous incitait à passer, soutenant qu'il n'y avait rien à voir, pas le moindre problème, puisque tout se déroulait sur fond de marché rémunéré par les entreprises, nous, nous disions qu'il serait peut-être bon de creuser un peu plus le sujet, en s'interrogeant sur les conditions d'agrément, sur la circulation des informations, sur la transparence de ces agences de notation, pas forcément aussi transparentes que les entreprises sur lesquelles elles délivrent du papier et des opinions tous les jours.
C'est ainsi que nous nous interrogions sur les contrôles que l'on est susceptible d'appliquer à ces agences de notation. Par exemple, jusqu'à quelle date doivent-elles conserver leurs dossiers de travail afin de permettre aux autorités de régulation d'accéder, dans le cadre d'enquêtes, à cette documentation ?
Bref, madame le ministre, estimant que la transposition de Bâle II fait resurgir cette question, nous sommes demandeurs d'un peu de temps pour mieux comprendre les implications de la transposition en la matière.
Enfin, la commission, qui se souvient bien des conditions dans lesquelles sont nées les obligations foncières, se réjouit naturellement du grand succès de ce marché, succès tout à fait emblématique de la capacité du droit français à se renouveler et à offrir aux investisseurs le degré de sécurité et de transparence auquel ils veulent accéder.
Vous nous dites à présent que l'une des conséquences de la transposition est d'assouplir le régime des obligations foncières. Si, sur le fond, nous y sommes favorables, je voudrais comprendre quel est le lien entre les directives et cet assouplissement. Je crois comprendre que c'est à l'occasion de la transposition que l'on se pose des questions, et cela me paraît tout à fait opportun. Mais, s'agissant de la nature de ces assouplissements, sans en contester le moins du monde la nécessité et en faisant totalement confiance au Gouvernement, nous avons besoin d'un délai pour, le cas échéant, consulter les professionnels et, ainsi, mieux baliser cette partie du chemin.
En résumé, madame le ministre, je dirai que l'amendement, dans sa rédaction actuelle, suscite, de notre part, un avis défavorable, non pas sur le fond, mais sur la méthode employée, qu'il est sans doute possible d'infléchir quelque peu.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est soucieux de maintenir l'excellent esprit dans lequel nous avons travaillé, tant avec l'auteur de cette proposition de loi qu'avec le rapporteur.
À cet effet, nous ne pouvons, bien évidemment, qu'admettre avec vous que le temps est utile pour examiner une réforme aussi importante que celle de Bâle II, qui, vous l'avez dit, doublerait, voire triplerait probablement la longueur de cet excellent texte.
Nous avons déjà mis à profit le temps écoulé pour conduire une longue consultation avec les établissements de crédit. Nous comprenons très bien qu'un temps supplémentaire soit nécessaire, en particulier pour aborder la question des agences de notation et de la transparence qui doit présider à leurs activités. Il faut également du temps pour examiner les nécessaires assouplissements de la réglementation applicable aux sociétés de crédit foncier qui risqueraient, sinon, d'être pénalisées par la transposition en l'état des directives.
Je vous propose donc de substituer à mon amendement n° 11 un amendement d'habilitation - qui est à la disposition de M. le président -, amendement qui permettrait au Gouvernement, par voie d'ordonnance et après une excellente et longue consultation, dans des délais courts, si j'ose dire, puisque nous sommes tenus par la nécessité de transposer avant le 1er janvier 2007, de travailler dans ce même esprit d'amélioration du texte et de bonne transposition.
Ainsi, les directives transposant en droit français le régime Bâle II le seront dans les meilleures conditions pour permettre à nos institutions de crédit foncier et à nos sociétés d'assurances, pour les raisons précédemment évoquées de détention des titres, de continuer à fonctionner de manière souple et efficace, comme elles le font actuellement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 11 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de neuf mois à compter de la date de publication de la présente loi, les dispositions législatives nécessaires pour transposer la directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice et la directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, sur l'adéquation des fonds propres des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (directives dites "Bâle II").
Dans ce cadre, il veillera en particulier à fixer les modalités de reconnaissance et de contrôle des organismes externes d'évaluation de crédit. D'autre part, le Gouvernement prendra également par voie d'ordonnance, dans le même délai, les dispositions législatives de nature à renforcer la compétitivité juridique et financière des sociétés de crédit foncier.
Le projet de loi portant ratification de cette ordonnance est déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du douzième mois suivant la publication de la présente loi.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je remercie Mme le ministre de l'ouverture qu'elle vient de dessiner.
Vous l'avez bien compris, mes chers collègues, ce qui est en cause, c'est une question de méthode. En examinant cet amendement, dont nous ne contestons pas le fond, j'avais à l'esprit un amendement déposé par le Gouvernement en loi de finances rectificative pour 2005 que l'on a appelé « électro-intensif ». Sur ce genre de textes extrêmement complexes dans leur rédaction, nous avons besoin d'un minimum de temps pour conduire une expertise.
Dans le cas particulier, nous suivrons le Gouvernement dans cette voie de l'ouverture par habilitation, en dépit des réticences que nous pouvons avoir chaque fois que le Parlement renonce en quelque sorte à ses prérogatives de législateur au profit du Gouvernement.
Nous sommes là sur un point crucial : on parle beaucoup de patriotisme économique et financier, encore faut-il avoir les moyens de l'exercer. Certes, les normes prudentielles répondent à une nécessité de protection des épargnants. Mais où sont aujourd'hui les liquidités sur le plan mondial ? Elles sont en Russie, elles sont dans les pays qui nous fournissent de l'énergie, elles sont dans les pays dont les balances commerciales sont suréquilibrées par rapport à la France. Sur ces questions tout à fait stratégiques, je me réjouis que nous puissions bénéficier d'un peu de temps.
M. le président. Monsieur le rapporteur, partagez-vous l'avis de M. le président de la commission des finances ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Bien entendu, monsieur le président.
La rédaction proposée, outre qu'elle est explicite, trace bien les lignes selon lesquelles le Parlement peut autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance. En fixant ces principes, nous serons dans le respect de notre rôle de législateur et manifesterons ainsi notre intérêt pour le sujet, tout en guidant le travail de rédaction de l'ordonnance qui va devoir être entamé.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Quand la commission des finances demandait du temps pour pouvoir étudier l'amendement n° 11, cela me semblait une attitude de sagesse.
Or, maintenant, on nous demande d'abandonner cette position de sagesse et de permettre au Gouvernement de continuer son travail. Celui-ci bien sûr, pourra toujours se poursuivre avec des représentants de la commission des finances. Mais il n'en demeure pas moins que le texte ne reviendra pas devant le Parlement.
Nous ne pouvons pas accepter qu'une telle décision soit prise. En conséquence, nous ne voterons pas cet amendement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je m'engage à vous associer à ce travail, madame !
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce texte reviendra devant le Parlement, puisqu'il y aura habilitation !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. C'est fort de café ! À partir d'un amendement du Gouvernement, qui nous a été remis une heure avant le début de la séance,...
Mme Marie-France Beaufils. Exactement !
Mme Nicole Bricq. ... on en arrive à demander au Sénat une habilitation pour transposer par ordonnance la directive Bâle II, dont la complexité n'est plus à démontrer après l'échange qui vient d'avoir lieu entre le Gouvernement, le rapporteur et le président de la commission des finances.
J'ajoute que vous n'avez pas répondu, madame la ministre, à la question que j'ai posée sur le sort de cette proposition de loi si elle est votée ce matin. M. le rapporteur a dit devant la commission des finances qu'il se pourrait que le véhicule législatif dans lequel elle trouverait sa poursuite parlementaire soit, précisément, la transposition par voie législative de la directive européenne Bâle II.
Dès lors, nous ne pouvons pas accepter l'espèce de coup de force qui nous est fait ce matin. Nous voterons donc contre l'habilitation que nous demande le Gouvernement au travers de cet amendement n° 11 rectifié.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. D'ici à la ratification, car, bien sûr, il y aura ratification, des échanges auront naturellement lieu entre le Gouvernement et la commission des finances, et je m'engage à associer Mmes Bricq et Beaufils à ces débats intermédiaires.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 3.
Article 3
Le second alinéa de l'article L. 144-1 du code monétaire et financier est ainsi rédigé :
« La Banque de France peut communiquer tout ou partie des renseignements qu'elle détient sur la situation financière des entreprises aux autres banques centrales, aux autres institutions chargées d'une mission similaire à celles qui lui sont confiées en France et aux établissements de crédits et établissements financiers ». - (Adopté.)
Article 4
Le premier alinéa de l'article L. 144-1 du code monétaire et financier est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ces entreprises et groupements professionnels peuvent communiquer à la Banque de France des informations sur leur situation financière ». - (Adopté.)
Article 5
L'article L. 142-9 du code monétaire et financier est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Les dispositions des troisième à huitième alinéas de l'article L. 432-1 du code du travail et les dispositions des articles L. 432-5 et L. 432-9 du même code ne sont pas applicables à la Banque de France.
« Les dispositions du chapitre II du titre III du livre IV du code du travail autres que celles énumérées à l'alinéa précédent sont applicables à la Banque de France uniquement pour les missions et autres activités qui, en application de l'article L. 142-2 du présent code, relèvent de la compétence du conseil général.
« Le comité d'entreprise et, le cas échéant, les comités d'établissement de la Banque de France ne peuvent faire appel à l'expert visé au premier alinéa de l'article L. 434-6 du code du travail que lorsque la procédure prévue à l'article L. 321-3 du même code est mise en oeuvre.
« Les conditions dans lesquelles s'appliquent à la Banque de France les dispositions de l'article L. 432-8 du même code sont fixées par un décret en Conseil d'État.
« Le conseil général de la Banque de France détermine, dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l'article L. 142-2 du présent code, les règles applicables aux agents de la Banque de France dans les domaines où les dispositions du code du travail sont incompatibles avec le statut ou avec les missions de service public dont elle est chargée ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par Mme Bricq, MM. Massion, Masseret, Angels, Auban, Charasse, Demerliat, Frécon, Haut, Marc, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 3 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l'amendement n° 1.
Mme Nicole Bricq. J'ai exposé dans la discussion générale les trois motivations qui nous fondent à demander la suppression de l'article 5 ; je les rappelle.
Premièrement, cet article n'a pas sa place dans ce texte.
Deuxièmement, cet article contrevient à la nécessité affirmée de privilégier le dialogue social.
Troisièmement, cet article affaiblit, une fois encore, le rôle des instances représentatives du personnel et nie en définitive la démocratie sociale.
Nous, socialistes, nous sommes très attachés à ce que les partenaires sociaux participent à l'élaboration et, s'il en est besoin, à la modification des droits des salariés, et nous privilégions les corps intermédiaires. Vous nous avez tellement reproché, quand nous étions aux responsabilités, d'être étatistes, de vouloir tout faire par la loi, de ne pas laisser respirer la société et la démocratie sociale... Et voilà qu'aujourd'hui vous faites exactement le contraire de ce que vous prétendiez vouloir quand vous étiez dans l'opposition !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous voyez que nous ne sommes pas doctrinaires ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l'amendement n° 3.
M. Thierry Foucaud. Je ne reprendrai pas les arguments contre l'article 5 que j'ai développés lorsque j'ai présenté, au nom du groupe CRC, la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité votée par le groupe CRC ainsi que par le groupe socialiste.
Je ne donnerai pas non plus la lecture des articles du code du travail visés dans cet article 5, lecture pourtant particulièrement éclairante, notamment celles des articles L. 432-1 et L. 432-5, et qui pourrait pratiquement suffire, à elle seule, à motiver notre amendement de suppression.
Je me contenterai de rappeler qu'adopter l'article 5 reviendrait à priver les agents de la Banque de France de la moindre des possibilités d'obtenir des réponses sur le contenu des décisions, notamment stratégiques, d'aménagement du territoire inhérentes au maintien et au développement du service public qu'ils assument.
Nous nous trouverions dans une étrange situation : au coeur de Paris, nous aurions créé une véritable république bananière où le droit du travail se confondrait, dans le cas précis, avec le seul fait du prince, en l'occurrence le gouverneur de l'établissement.
C'est ce qui ressort de l'analyse des éléments constitutifs du texte, qu'il s'agisse de la fixation de la contribution au comité d'entreprise au gré des impératifs financiers tels qu'appréciés par le seul gouverneur, du refus de l'approche critique de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences contenue dans l'intervention de l'expert missionné par le comité d'entreprise, de la suppression rendue possible de certaines activités - celles des commissions de surendettement par exemple - ou de l'affiliation éventuelle d'autres activités.
Mes chers collègues, pour l'ensemble de ces raisons, nous ne pouvons que vous inviter à voter, et ce par scrutin public, la suppression de l'article 5.
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Supprimer les deuxième, troisième, quatrième et cinquième alinéas de cet article.
II. - En conséquence, dans le premier alinéa, remplacer les mots :
cinq alinéas ainsi rédigés
par les mots :
un alinéa ainsi rédigé
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Le Gouvernement approuve l'objectif de clarification et de simplification des modalités d'application du code du travail à la Banque de France dans le respect des droits fondamentaux du travail, objectif de la proposition de loi et, plus particulièrement, de son article 5. Il remercie d'ailleurs les auteurs de la proposition de loi d'avoir pris l'initiative de cette évolution.
Cependant, une telle évolution demande des travaux préparatoires, notamment des concertations avec les organisations syndicales, conformément à l'engagement général qui a été pris par le Président de la République.
Le Président de la République a en effet déclaré la semaine passée devant le Conseil économique et social : « Il ne sera plus possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme engagée. Et aucun projet de loi ne sera présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux soient consultés sur son contenu. [...]
« Les partenaires sociaux vont devoir travailler différemment. Leur saisine ne saurait servir de prétexte à l'inaction, voire au blocage. Les négociations devront se dérouler dans un délai clairement délimité, conciliable avec le temps et les exigences de l'action politique. »
Dans le cas particulier de la Banque de France, il me semble que cette concertation à laquelle le Gouvernement est prêt doit se tenir, pour se conformer à ce principe général, entre le vote de la proposition de loi par le Sénat et son examen par l'Assemblée nationale ; le Sénat aura naturellement l'occasion de s'exprimer lors de la deuxième lecture de ce texte, après examen par l'autre assemblée.
Cependant, il ne me semble pas souhaitable de supprimer cet article 5 et je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de retenir d'ores et déjà la traduction législative de la jurisprudence administrative.
C'est l'objet de cet amendement, qui ne constitue donc pas une innovation mais vise simplement à reprendre dans la loi une jurisprudence existante, jurisprudence selon laquelle le droit du travail s'applique à la Banque de France tant qu'il n'est pas incompatible ni avec son statut ni avec ses missions.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. La commission n'est favorable à aucun de ces trois amendements.
En premier lieu, le dispositif de l'article 5 a bien sa place dans le texte puisqu'il s'agit d'adapter la Banque de France à sa nouvelle mission d'institut d'émission au sein du système européen des banques centrales.
En second lieu, s'agissant du dialogue social, admettez, mes chers collègues, qu'il était depuis longtemps facile au gouverneur, dans un « paysage » bien connu, de dialoguer avec des interlocuteurs syndicaux qu'il connaît bien. Il ne dépendait que de lui de lancer les concertations nécessaires, en particulier à partir de la publication du rapport de la Cour des comptes qui a fait ressortir l'anomalie réelle que constituaient certaines pratiques et le décalage de ces dernières tant par rapport aux besoins de l'entreprise que par rapport à l'évolution du secteur bancaire et de l'ensemble des entreprises.
En ce qui concerne l'affaiblissement du rôle des instances représentatives qui résulterait de l'article 5, je veux rappeler à nos collègues du groupe socialiste et du groupe CRC que l'article L. 432-1 du code du travail restera pleinement applicable dans ses dispositions qui prévoient l'information et la consultation du comité d'entreprise « sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel ».
De même, restera applicable l'alinéa prévoyant la consultation du comité d'entreprise « sur la politique de recherche et de développement technologique de l'entreprise ».
De même, resteront applicables les dispositions de l'article L. 432-2 prévoyant la consultation du comité d'entreprise sur les évolutions technologiques « lorsque celles-ci sont susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel ».
De même, resteront applicables les dispositions de l'article L. 432-2-1 prévoyant la consultation du comité d'entreprise sur « les méthodes ou techniques d'aide au recrutement des candidats à un emploi ».
De même, demeurera l'obligation d'un rapport annuel écrit du chef d'entreprise « sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise », prévue à l'article L. 432-3-1, l'article L. 432-3-2 renvoyant quant à lui à un autre rapport sur « le risque décès, les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ».
De même, en application de l'article L. 432-4, le chef d'entreprise demeurera tenu de remettre une documentation économique et financière aux instances représentatives.
De même, demeurera applicable l'article L. 432-4-1, qui détaille le contenu de l'information au moins trimestrielle sur la situation de l'emploi, des rémunérations et de la qualification.
Je pourrais poursuivre cette liste mais je m'en tiens à l'essentiel, et cela pour répondre en particulier à M. Foucaud, qui assurait tout à l'heure que, si notre loi scélérate avait été en application, la réforme du réseau des succursales n'aurait pas été soumise au comité d'entreprise. C'est évidemment totalement faux, comme les articles du code du travail que je viens de citer le démontrent, articles qui demeureront applicables au sein de la Banque de France comme de toute entreprise.
Il s'agit d'un socle de droits qu'il n'est aucunement question d'entamer. Simplement, permettez-moi de répéter ce que je disais dans la discussion générale, à savoir qu'étant à 100 % étatique la Banque de France ne risque pas de faire l'objet d'une offre publique d'échange non sollicitée. Dès lors, il n'y a pas lieu de prévoir dans son cas particulier les consultations et interventions des instances représentatives du personnel destinées, et c'est justifié, à rassurer les salariés d'entreprises dont le capital pourrait ne pas être contrôlé et qui pourraient faire l'objet de raids ou d'opérations non sollicitées.
Mes chers collègues, je crois qu'il faut être très modéré en cette affaire. Au demeurant, j'ai le sentiment que les salariés de la Banque de France le sont puisque, selon nos informations, la manifestation que l'on nous avait annoncée réunirait ce matin six personnes devant le Sénat. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Mais, bien entendu, il ne faut négliger personne et il faut expliquer, sans cesse expliquer.
Je poursuivrai donc mon explication en abordant la question des institutions culturelles et sociales. Je rappelle, après M. Arthuis, que les effectifs de la Banque de France ont diminué au cours des dernières années de plus de 12 %, mais que, grâce au dispositif dit du « cliquet social », les dépenses affectées sur la masse salariale aux oeuvres sociales ont continué à progresser légèrement. Elles s'élèvent aujourd'hui à 13 % de la masse salariale, ce qui est le record toutes catégories et toutes entreprises, y compris la Caisse des dépôts et consignations, où les 10 % ne sont pas atteints, ces 13% représentant plus de 5 000 euros par salarié et par an.
Pour reprendre une expression que j'ai utilisée tout à l'heure et que Mme Bricq a bien voulu relever, je donne à apprécier aux membres de tous les comités d'entreprise de France et de Navarre ces 5 000 euros par salarié et par an. Disposent-ils de telles sommes ? Les tâches sont-elles d'une pénibilité telle au sein des services de la Banque de France que tant d'accidents du travail et tant de maladies professionnelles puissent justifier ces 5 000 euros par salarié et par an ?
Ce sont quelques questions que l'on peut se poser, étant rappelé, et ce sera mon dernier point, que la commission des finances ne dit pas même qu'il faut faire diminuer ces dépenses ; elle dit seulement qu'il ne faut pas les augmenter automatiquement chaque année indépendamment de l'évolution des effectifs.
Mes chers collègues, le Sénat est maintenant dûment éclairé sur les motivations qui ont conduit ce matin la commission des finances à émettre un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Philippe Marini a parfaitement fait le tour de la question. Le législateur est invité à énoncer clairement sa volonté, car les pratiques qui ont attiré l'attention de la Cour des comptes, puis la nôtre, se sont développées en dehors de son intervention.
Mes chers collègues, qui peut affirmer que le droit d'alerte a vocation à s'appliquer à la Banque de France ? Cette procédure concerne des entreprises confrontées à des difficultés financières, qui risquent le dépôt de bilan ou le règlement judiciaire ! Qui peut croire qu'elle s'applique également à la Banque de France, dont le comité central d'entreprise, en conséquence, devrait faire appel à un cabinet d'expertise comptable pour se trouver convenablement éclairé et être capable d'exprimer son avis sur de tels risques ?
Or il s'agit là manifestement d'une dépense publique : la Banque de France fait partie de la sphère publique et le dividende qu'elle verse au budget de l'État est conditionné par le niveau de ses dépenses. Qui peut prétendre qu'une telle charge se trouve justifiée, d'autant que, nous l'avons vu, celle-ci a eu tendance à dériver ces dernières années, au point qu'une décision de justice a été nécessaire pour la contenir ?
Nous n'avons pas d'autre souhait que de régler ce problème. En ce qui concerne les allocations versées au comité central d'entreprise, dont Philippe Marini a rappelé le montant, nous souhaitons qu'il soit renvoyé à un décret d'application.
Mes chers collègues, le Sénat va se prononcer sur ce texte, qui sera discuté ensuite par l'Assemblée nationale. Pendant les délais imposés par la navette, le gouverneur de la Banque de France aura certainement la possibilité d'engager des discussions. D'ailleurs, je n'imagine pas un instant que ces questions n'aient pas déjà fait l'objet de négociations au sein de la Banque de France, tant elles posent de véritables problèmes.
À la commission des finances, nous avons du mal à accepter l'idée que le maintien du statu quo soit devenu la règle. Je me souviens de la discussion de la loi de finances pour 2006. Chaque fois que nos positions étaient susceptibles de provoquer la réaction de certains groupes que l'on pourrait soupçonner de corporatisme, il y avait convergence d'amendements entre le Gouvernement et nos collègues du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen. Sur cette disposition, j'observe, en quelque sorte, la réédition de cette convergence.
Je le répète, nous sommes favorables au dialogue social et adhérons pleinement aux déclarations récentes du Président de la République sur ce sujet.
Toutefois, il serait peut-être positif que le Sénat fixe un cap, afin que des négociations s'engagent ! Sinon, mes chers collègues, nous serons tous suspects de complicité avec l'immobilisme qui est en train de ruiner l'autorité de l'État.
En effet, que peuvent penser en cet instant les femmes et les hommes salariés de petites entreprises, parfois touchées par la crise, dont les comités d'entreprise, qui d'ailleurs ne sont pas centraux, disposent de moyens souvent dérisoires ?
Tel est l'unique objet de cette disposition. Le Sénat, ou en tout cas sa majorité, ne se montrera pas suspect, je l'espère, de je ne sais quelle complicité ou adhésion à ce respect systématique du statu quo qui fait que l'on ne réforme pas et que le pays perd en compétitivité !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. En ce qui concerne les amendements nos 1 et 3, présentés respectivement par le groupe socialiste et par le groupe CRC, le Gouvernement émet un avis défavorable.
En effet, il approuve le fond de la réforme proposée par la commission des finances à travers l'article 5. Son amendement n° 12 vise seulement à en modifier la forme.
Lorsqu'il donnait son avis sur l'amendement n° 11, M. Marini sollicitait des délais, afin de pouvoir consulter les établissements de crédit. Or l'amendement n° 12 a précisément pour objet de donner le temps nécessaire à cette concertation avec les acteurs sociaux que le Président de la République a appelée récemment de ses voeux.
Je le répète, le Gouvernement propose une modification sur la forme et non sur le fond, puisqu'il est favorable au principe d'une clarification du statut de la Banque de France, et ce dans des délais raisonnables, car la concertation devra être organisée entre l'examen de ce texte par le Sénat, aujourd'hui, et la discussion qui se déroulera à l'Assemblée nationale, ultérieurement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 1 et 3.
M. Jean-Pierre Fourcade. Il est clair qu'à travers ses conclusions la commission des finances a voulu utilement clarifier et adapter aux nécessités du monde actuel le statut de la Banque de France. La suppression du conseil de la politique monétaire, entre autres, va dans ce sens et me parait tout à fait acceptable.
C'est la raison pour laquelle, à l'exception de l'article 5, les dispositions de ce texte ne suscitent chez moi qu'un sentiment d'adhésion - je tiens à le signaler à M. le président de la commission des finances et à M. le rapporteur.
En revanche, l'article 5 me semble poser problème. Certes, le statut social de la Banque de France est quelque peu original par rapport à d'autres régimes. Toutefois, pour avoir été le ministre qui a introduit un représentant du personnel dans le conseil général de la Banque de France, je ne puis aujourd'hui assister sans réaction à sa disparition dans le cadre des discussions menées avec les organisations syndicales. (MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur, protestent.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur Fourcade, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Je vous en prie, monsieur le président de la commission.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur Fourcade, ce représentant est maintenu au sein du conseil général de la Banque de France, ne vous méprenez pas !
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien, j'en accepte l'augure. Mais je crois que le temps n'est pas venu de modifier complètement le statut de la Banque de France.
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais nous ne modifions rien du tout !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est pourquoi je voterai contre les amendements de suppression de l'article 5 et me rallierai, comme mon groupe, à l'amendement n° 12 du Gouvernement, dont la position n'est pas réactionnaire mais de bon sens, me semble-t-il, car elle maintient le principe de l'application à la Banque de France et à son comité d'entreprise de l'ensemble des dispositions du droit du travail.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé tout à l'heure que six personnes seulement protestaient contre les conclusions de ce rapport en ce moment devant le Sénat ! Or, même si je ne dirige pas le mouvement syndical, il me semble que le rendez-vous pour la manifestation n'est qu'à midi.
Ce genre de discours est dangereux. Je ne referai pas l'historique du CPE, mais peut-être devriez-vous y songer et vous efforcer de rester humble !
M. Josselin de Rohan. Cela n'a rien à voir !
M. Thierry Foucaud. Peut-être, mais vous comprenez bien ce que je veux dire !
En ce qui concerne l'article 5, j'ai déjà eu l'occasion de souligner que nous nous opposions aux dispositions relatives au code du travail, notamment. Je ferai quelques remarques supplémentaires afin d'expliciter notre vote.
Tout d'abord, cet article entre pour une part essentielle, sinon exclusive, dans le champ du droit social. On ne peut donc que s'étonner que le ministère de M. Borloo n'ait pas été sollicité pour donner son avis sur le texte qui nous est soumis. Il me semble que l'on ne peut donner force de loi à de telles dispositions sans un minimum de concertation interministérielle !
Ensuite, le gouverneur de la Banque de France lui-même a répondu par un courrier aux remarques formulées par la Cour des comptes dans son rapport public. Mes chers collègues, je tiens ce document à votre disposition. (M. Foucaud brandit un document). Il contredit certaines des affirmations de M. le président de la commission des finances et de M. le rapporteur, s'agissant en particulier des salaires de la Banque de France.
Je cite M. Christian Noyer : « Enfin la maîtrise par la banque de ses charges est clairement évoquée et je souligne, de ce point de vue, que nous avons fait preuve d'une extrême modération salariale : ainsi, de 1993 à ce jour, la valeur du point de la fonction publique a progressé de 14,55 % alors que l'indice Banque de France n'a été relevé que de 10,33 % ».
Ces chiffres sont d'ailleurs corroborés par une étude du comité central d'entreprise, qui évalue à près de 11 % la perte de pouvoir d'achat des agents de notre banque centrale depuis 1985. Je crois qu'il était bon de le rappeler. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Josselin de Rohan. On va faire la quête ! Sortez vos mouchoirs ! Monsieur Foucaud, ces agents sont tout de même des privilégiés !
M. Thierry Foucaud. Je ferai également quelques observations sur l'action du comité d'entreprise, que M. le rapporteur a seulement évoqué pour souligner que les dépenses réalisées à ce titre par la banque seraient trop importantes au regard des moyennes observées ailleurs. Or, je l'ai montré, la vérité est tout autre, et soutenir le contraire s'apparenterait à une pure falsification des faits.
M. le rapporteur, pourquoi n'avez-vous pas rappelé que le comité d'entreprise de la Banque de France prenait en charge des dépenses que les comités d'autres entreprises n'assument pas ?
Pour donner quelques chiffres, je citerai la dotation moyenne de la Banque de France, qui atteint 755,27 euros par agent, mais il faut rappeler, bien sûr, que 40 % des dépenses du comité d'entreprise visent à couvrir des frais qui, dans d'autres organismes, incombent soit au budget de l'État, quand il s'agit d'administrations publiques, soit au système de protection sociale.
De même, le taux d'appel fixé par la Banque de France pour fournir les ressources nécessaires à son comité d'entreprise ne se révèle pas plus élevé que celui qui est appliqué dans d'autres établissements financiers, et notamment à BNP Paribas, où il est même supérieur.
Il est bon de rappeler ces quelques éléments, me semble-t-il. Ils ont d'ailleurs été évoqués par le groupe CRC, aussi bien lors de l'examen de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité que dans la défense des amendements. Et, bien sûr, il faut garder à l'esprit que les élus des salariés accomplissent avec la même rigueur leurs fonctions au sein du comité central d'entreprise et leurs missions de service public.
Mes chers collègues, nous vous invitons, en conséquence, à adopter cet amendement de suppression de l'article 5.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 3.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 11 :
Nombre de votants | 322 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 158 |
Pour l'adoption | 120 |
Contre | 194 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l'amendement n° 12.
Mme Nicole Bricq. Cet amendement est un pis-aller dans la mesure où il tend à supprimer quatre alinéas de l'article 5 de la présente proposition de loi, article relatif à l'application du droit du travail à la Banque de France.
Cela étant, il laisse subsister le dernier alinéa, qui vise à conférer au conseil général de la Banque de France le soin de déterminer les règles applicables aux agents de cette dernière dans certains domaines.
Surtout, il justifie finalement que nous légiférions sur ce qui doit relever de la négociation sociale.
Ainsi que je l'ai dit au cours de la discussion générale- mais il y avait alors moins de monde en séance -, je considère qu'il s'agit là d'un débat interne à la majorité présidentielle, débat qu'il n'appartient pas à l'opposition d'arbitrer.
Mes chers collègues, vous êtes majoritaires au sein de cette assemblée - vous êtes d'ailleurs majoritaires ce matin en séance, sans doute après avoir été convoqués et, en réalité, sans bien savoir de quoi il retourne. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Je ne vous fais pas de procès : il est déjà bien que vous soyez présents !
En tout cas, c'est à vous de prendre vos responsabilités ! (« On les prendra » ! sur les travées de l'UMP.)
M. Josselin de Rohan. Occupez-vous plutôt du débat qui aura lieu ce soir entre les trois prétendants socialistes !
M. Hubert Falco. N'y a-t-il donc pas de débats chez vous, madame Bricq ?
Mme Nicole Bricq. Pas sur ce sujet, mon cher collègue !
Que la majorité sénatoriale prenne conscience qu'elle risque de créer un précédent juridique qui pourrait ne pas être sans conséquences !
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, vous vous êtes prononcés avec force contre l'amendement du Gouvernement. J'aimerais que vous défendiez avec autant de conviction les travailleurs dépourvus de toute protection. Je ne vous ai jamais entendus défendre la salariée d'une blanchisserie industrielle, aux horaires déraisonnables, mal payée, qui met beaucoup de temps pour se rendre à son travail et à qui l'on demanderait presque de travailler le dimanche ou à flux continu.
Aujourd'hui, vous tombez dans la facilité en vous attaquant aux salariés d'une institution bicentenaire. Cela en dit long sur les intentions qui seront les vôtres au cours de la confrontation électorale de l'année prochaine.
Alors, mes chers collègues de la majorité, prenez vos responsabilités ! Quant à nous, nous prendrons les nôtres. L'argumentation que nous avons développée dans la défense de nos amendements reste valable. Nous voterons contre l'amendement du Gouvernement, autant pour des raisons de fond que pour des raisons de forme.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. L'amendement du Gouvernement, dans la mesure où il laisse subsister certaines des dispositions prévues à l'article 5, est un pis-aller, comme l'a dit Nicole Bricq. Celles-ci remettent malgré tout en cause un certain nombre des règles régissant le comité d'entreprise.
En particulier, je ne suis pas certaine que nos collègues, qui sont par ailleurs des élus locaux, soient bien conscients des incidences que pourrait avoir leur décision de réduire les capacités d'intervention d'un comité d'entreprise dans les oeuvres sociales.
À la suite de la modification des règles applicables à leur financement, les oeuvres sociales de France Télécom ou de La Poste, par exemple, ont perdu une partie de leurs moyens. Aussi, nous sommes aujourd'hui sollicités en tant qu'élus locaux pour y suppléer et prendre à notre charge ceux qui en étaient les bénéficiaires.
De la même façon, si les oeuvres sociales de la Banque de France ne disposaient plus des moyens financiers qui leur sont actuellement accordés, elles se trouveraient confrontées à de grandes difficultés dont pourraient avoir à pâtir les territoires dont nous sommes les élus.
Certes, à ma connaissance, tel n'est pas encore le cas chez moi, mais, là où cela arrivera, il sera bien difficile de faire machine arrière.
Puisse cette réflexion guider votre choix, mes chers collègues !
M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
Le code général des impôts est ainsi modifié :
I. - Après l'article 38 quinquies, il est inséré un article 38 quinquies bis ainsi rédigé :
« Art. 38 quinquies bis. - I. - Par dérogation aux dispositions du premier alinéa (1.) de l'article 38, le résultat imposable de la Banque de France est déterminé sur la base des règles comptables définies en application de l'article L. 144-4 du code monétaire et financier et de la convention visée à l'article L. 142-2 du même code.
« II. - Pour l'application des dispositions du deuxième alinéa (2.) de l'article 38, les éléments suivants ne sont pas retenus dans la définition de l'actif net de la Banque de France :
« a) la réserve de réévaluation des réserves en or de l'État et la réserve de réévaluation des réserves en devises de l'État définies par la convention visée à l'article L. 142-2 du code monétaire et financier ;
« b) les comptes de réévaluation définis par les règles obligatoires de comptabilisation et d'évaluation arrêtées en vue de l'établissement du bilan consolidé du Système européen de banques centrales conformément à l'article 26 du protocole annexé au traité instituant la Communauté européenne sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne ».
II. - Le second alinéa de l'article 1654 est complété par les mots : « sous réserve des dispositions de l'article 38 quinquies bis ».
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. M. le rapporteur nous a expliqué que l'article 6 visait uniquement à simplifier le régime fiscal de la Banque de France afin de prendre en compte la spécificité de ses missions et de rapprocher le droit national des dispositions applicables aux autres banques centrales. Il nous a également précisé que les sommes en jeu étaient minimes.
Quoi qu'il en soit, au-delà du montant de ces sommes, c'est en vertu des principes applicables aux règles financières que nous proposons la suppression de cet article. En loi de finances, nous sommes obligés d'obéir à certaines règles et nous ne voyons pas pourquoi, ici, nous pourrions agir en contradiction avec les normes qui nous sont imposées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. La commission émet un avis tout à fait défavorable sur cet amendement. En effet, l'article 6 vise à apporter une simplification en harmonisant le droit fiscal applicable à la Banque de France avec celui qui est applicable aux banques centrales nationales membres du système européen des banques centrales.
D'après les indications qui nous ont été données, l'impact fiscal sera quasi-nul, plus précisément de l'ordre de 1 % en moyenne de l'impôt sur les sociétés dû par la Banque de France.
Comme vous le voyez, les sommes en jeu sont peu importantes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Le dividende versé par la Banque de France à l'État est accru à due concurrence du montant des économies sur les crédits de rémunération résultant des dispositions de la présente loi.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 10 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour présenter l'amendement n° 5.
Mme Marie-France Beaufils. L'article 7 peut légitimement être considéré comme le pendant de l'article 6, lequel définit les conditions de détermination du résultat imposable de la Banque de France et, par voie de conséquence, le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle sera amenée à s'acquitter.
L'article 7 vise à compenser cette moins-value fiscale par un accroissement du dividende que la Banque de France versera à l'État. Il s'agit là d'une seconde contribution essentielle de l'établissement à l'équilibre des comptes publics.
Cette proposition méconnaît malheureusement un certain nombre de règles. Ainsi, si les autorités françaises devaient intervenir dans la distribution des bénéfices devant être proposés par le conseil général de la Banque de France, on pourrait considérer qu'il serait ainsi porté atteinte à l'indépendance institutionnelle de celle-ci.
En outre, il semblerait découler de cette disposition que le montant des économies réalisées sur les crédits de rémunération résultant des dispositions de la future loi devrait être automatiquement dû à l'État, même si la Banque de France n'avait aucun dividende à verser.
Toutes ces considérations nous conduisent à demander également la suppression de l'article 7 ; il vaut mieux s'en tenir à la situation actuelle.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l'amendement n° 10.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Je tiens d'abord à indiquer à M. le président de la commission des finances ainsi qu'à M. le rapporteur que les dispositions réglementaires qui seront prises en application de la présente réforme doivent permettre une diminution des coûts liés à l'exercice par la Banque de France de sa compétence monétaire.
Les économies attendues ne se limitent d'ailleurs pas nécessairement aux crédits de rémunération. Cette proposition de loi devrait enclencher un mouvement vertueux dont vous aurez été à l'initiative et qui pourra, nous l'espérons, être poursuivi et amplifié.
Toutefois, si l'État actionnaire peut clairement faire entendre sa voix, notamment par l'intermédiaire du censeur qui le représente au conseil général, il appartient à ce dernier seul de décider le montant du dividende que la Banque de France versera à l'État. Cette prérogative du conseil général est établie par l'article L. 142-6 du code monétaire et financier.
Pour cette raison, le Gouvernement propose de supprimer cet article, que la Banque centrale européenne a d'ailleurs critiqué et qualifié de contraire au traité instituant la BCE, dans un avis qu'elle a rendu le 22 juin 2006 sur la proposition de loi, après en avoir été saisie par cette assemblée.
Cet amendement répond donc à un souci de cohérence juridique et non d'opportunité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Madame le ministre, la volonté du Parlement est de réaliser des économies. Or chacun ici prétend vouloir faire des économies, mais se dérobe dès lors qu'il s'agit d'adopter une mesure concrète. J'en veux pour preuve la position que vous avez adoptée tout à l'heure, mes chers collègues de l'UMP !
C'est une bonne occasion de montrer que les propos vertueux sont suivis d'effets et que, si la Banque de France consomme un peu moins de crédits, elle dégagera plus de dividendes, qui seront versés au budget de l'État. C'est un petit ruisseau, mais il peut concourir à alimenter la rivière. Nous serons ainsi en mesure de mieux assumer nos finances publiques et de montrer à tous que notre conduite est responsable.
Dans l'absolu, tout le monde est d'accord. Mais dès qu'il s'agit d'agir concrètement, c'est la volée de moineaux et la conjonction de toutes les craintes, de tous les conformismes...
Madame le ministre, la seule chose qui nous intéresse, c'est de savoir si une méthode va être trouvée pour que l'économie réalisée grâce à nous profite à l'État. En avez-vous les moyens ? Nous avons prévu deux représentants de l'État supplémentaires au conseil général. Au moins ceux-là pourront-ils être une bonne courroie de transmission !
Mais, dans la politique de l'État actionnaire, va-t-on se soucier davantage de la bonne gestion de la Banque de France ? C'est le message que je voudrais envoyer au-delà de la proposition de loi.
Mes chers collègues, la France est donc un pays si riche qu'elle peut s'accommoder partout d'une gestion approximative, pour ne gêner personne !
La France est un pays si riche qu'elle peut se permettre pendant des années, alors que le Conseil de la politique monétaire n'a plus aucune responsabilité, de rémunérer à un niveau élevé, avec divers avantages, les personnalités qui y sont nommées et qui bénéficient de prébendes !
Nous pouvons aussi nous permettre, alors que les effectifs diminuent, d'augmenter les dotations pour les oeuvres sociales !
Dans ce pays, les préoccupations de bonne gestion, c'est bon pour les discours généraux, mais non pour les mesures particulières !
Madame le ministre, je voudrais vous poser une question : le Gouvernement est-il vraiment décidé à appliquer à la Banque de France l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances ? Est-il motivé au-delà de l'écume des jours ? J'espère, en fonction de la réponse que vous nous donnerez, être en mesure d'émettre un avis favorable sur votre amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. La réponse est positive, monsieur le rapporteur.
Votre démarche consiste, dans cet article 7, à donner un signal concernant la bonne gestion des économies résultant de la réforme qui est actuellement mise en place, et le Gouvernement souhaite faire régner, comme vous l'avez dit vous-même, l'esprit de la LOLF sur ces mesures.
Nous allons réfléchir aux modalités pratiques et techniques, notamment en utilisant l'intervention du censeur qui sera présent au conseil général, pour faire en sorte que les économies soient affectées de façon légitime à l'État et retournent ainsi là où elles doivent aller.
M. le président. Quel est donc l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 10.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi, je donne la parole à M. Dominique Mortemousque, pour explication de vote.
M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au-delà des questions techniques et sociales particulières que nous avons évoquées au cours de la discussion des articles, le groupe UMP souhaite insister sur la suppression du Conseil de la politique monétaire de la Banque de France, qui constitue la mesure majeure et centrale du texte soumis aujourd'hui à notre examen.
La proposition de loi déposée par le président de la commission des finances, notre collègue Jean Arthuis, représente une nouvelle avancée sur la voie de la réforme de l'État et de la rationalisation des dépenses publiques. Elle s'ajoute aux initiatives engagées depuis 2002 en faveur d'une action publique plus performante.
La suppression du Conseil de la politique monétaire est une mesure de bon sens, qui s'inscrit pleinement dans la démarche de performance instaurée par la LOLF. Le remplacement du Conseil de la politique monétaire par un comité monétaire au sein du Conseil général de la Banque de France ne fait que tirer les conséquences de l'introduction de l'euro en 1999.
Pour les pays membres de l'Eurogroupe, la définition de la politique monétaire n'est plus une compétence nationale. Or, malgré le transfert de cette compétence à la Banque centrale européenne, le Conseil de la politique monétaire de la Banque de France a été maintenu jusqu'à ce jour. Aujourd'hui, plus rien ne justifie son existence et les coûts de fonctionnement élevés qui en découlent.
Il s'agit donc de mettre fin à une incohérence, incohérence que la commission des finances du Sénat par la voix de son rapporteur général avait déjà soulignée lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2005.
Notre collègue Philippe Marini a très bien expliqué les raisons qui justifient aujourd'hui la suppression du Conseil de la politique monétaire, mais aussi l'assouplissement du régime d'incompatibilité des fonctions des personnalités désignées au sein du futur comité monétaire.
Cet assouplissement devrait notamment permettre de remplacer l'actuel système de rémunération des membres nommés par de simples indemnités.
Le dispositif auquel nous sommes parvenus constitue un bon point d'équilibre. Nous avons, nous parlementaires, une responsabilité particulière vis-à-vis des contribuables français : celle de faire en sorte que l'argent public soit utilisé de la manière la plus efficace en évitant soigneusement tout gaspillage.
C'est ainsi que l'on ne peut que souscrire à une mesure concrète qui aura pour conséquence de dégager pour l'État des économies non négligeables.
La suppression du Conseil de la politique monétaire constitue également un signal fort dans une période où l'on assiste à une multiplication des organismes en tout genre.
En conséquence, le groupe UMP votera le texte tel qu'il résulte des travaux de notre assemblée.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec ce texte, nous passons à côté d'une question importante et très intéressante, compte tenu des modifications qui sont intervenues : quel rôle et quelles missions de service public veut-on faire jouer maintenant à la Banque de France ? Ce n'est pas du tout le sens du débat que nous avons eu aujourd'hui, et je trouve cela regrettable pour l'avenir de cet outil, qui est indispensable à nos territoires et dont on aimerait qu'il conserve toute son efficacité.
S'agissant de l'article 5, je regrette que l'on essaie de faire croire que des personnels se trouvent dans des situations particulières inacceptables. Il serait bon, comme l'a dit Thierry Foucaud tout à l'heure, de revenir à la réalité telle qu'elle est, de permettre à ce comité d'entreprise de continuer à fonctionner correctement et donc de laisser le dialogue social se poursuivre au sein de l'entreprise.
Pour toutes ces raisons, nous confirmons notre vote négatif.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Quand on regarde d'où nous sommes partis, à savoir l'examen de l'amendement relatif au Conseil de la politique monétaire lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2005, et où nous arrivons aujourd'hui, à l'issue de ce débat, on ne peut que penser que le Gouvernement eût été mieux inspiré, en décembre de l'année passée, de se rallier à cette disposition. Il s'agissait en effet de modifier le régime d'incompatibilité pour abaisser le mode de rémunération des membres du Conseil de la politique monétaire et le mettre en phase avec les modifications intervenues depuis 1993.
Ce débat a peut-être permis de révéler, au sein de la majorité, une fracture qui est étalée tous les jours dans la presse à l'aube de l'échéance capitale de l'élection présidentielle, mais il n'a pas fait avancer le fond du problème : les missions de la Banque de France, le rôle des partenaires sociaux dans une institution biséculaire qui a récemment été profondément modifiée dans ses fonctions.
L'utilité de cette discussion est donc discutable. Si le vote qui a eu lieu l'année dernière sur le projet de loi de finances rectificative avait été favorable, peut-être aurions-nous pu faire un effort. Aujourd'hui, compte tenu des échanges qui ont eu lieu dans cet hémicycle, nous ne le ferons pas, et nous voterons contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous venons d'avoir un débat intéressant, qui nous a livré des enseignements.
Permettez-moi de revenir sur un point particulier, qui faisait l'objet d'un amendement déposé par plusieurs de nos collègues, mais qui n'a pas été soutenu en séance. S'il avait été examiné, le rapporteur général aurait sans doute plaidé pour que le Gouvernement et la Banque de France tiennent compte du souhait qu'il traduisait.
Il vise, en effet, à prévoir que les personnes ayant procédé de manière anticipée aux mesures d'effacement de leurs dettes puissent demander la suppression de leur mention patronymique du fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
Une telle disposition relevant du règlement et non pas de la loi, je doute que le Sénat l'eût votée. Au demeurant, je souhaite, madame le ministre, que vous la preniez en considération, par voie réglementaire, afin que ceux qui ont apuré leurs dettes cessent de voir leur nom figurer dans le fichier des débiteurs douteux.
Cela étant dit, avant la mise aux voix de la présente proposition de loi qui, je l'espère, sera adoptée, je voudrais nous mettre en garde les uns et les autres contre un risque de schizophrénie.
Nous sommes tous extrêmement persuasifs lorsque nous déplorons l'ampleur des déficits publics et de la dette publique, reflet d'une mauvaise gestion exercée au détriment de nos enfants, qui auront à supporter ses remboursements. Mais, si les déclarations générales font l'objet d'un consensus parfait, dès lors qu'il s'agit de passer à l'acte, il se produit comme une disjonction entre l'adhésion au principe général et la capacité à concrétiser.
En ce qui me concerne, ce n'est pas là l'idée que je me fais de mon engagement parlementaire, et je ne lâcherai pas, sauf à m'interroger sur le sens de ma mission au Parlement. Je m'y tiendrai donc et je participerai au débat, que cela soit bien clair.
J'entends ici et là, dans notre pays, dénoncer le « Parlement croupion », qui ne pourrait pas prendre d'initiative puisque, en définitive, tout relèverait du Gouvernement, qui se ferait parfois le porte-parole de je ne sais quel corporatisme.
Par conséquent, après que le Sénat aura tranché, j'espère que ce texte sera inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et que le Gouvernement engagera très rapidement les négociations avec la Banque de France. J'imagine que ces questions ont déjà fait l'objet d'évocations récurrentes au sein du gouvernement de cette dernière.
Je forme donc un voeu : après la déclaration solennelle du Président de la République devant le Conseil économique et social, je souhaite que l'amendement du Gouvernement ne soit pas le prétexte à faire durer le statu quo, au risque d'élargir le fossé qui semble s'être creusé entre l'opinion publique et ceux qui nous gouvernent.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi n° 347.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
3
Éloge funèbre de Raymond Courrière, sénateur de l'Aude
M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Raymond Courrière. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Au milieu de l'été, le 11 août, nous est parvenue l'annonce du décès soudain de Raymond Courrière, sénateur de l'Aude. À l'incrédulité et à la stupeur ont succédé l'émotion et la peine.
C'est au cours d'une promenade matinale en compagnie de son épouse, sur le territoire de Cuxac-Cabardès, la commune dont il était le maire depuis plus de trente ans, que notre collègue s'est effondré, terrassé par une crise cardiaque.
Sa disparition brutale fut aussitôt cruellement ressentie dans son village, dans toute la Montagne Noire et dans l'ensemble du département de l'Aude.
Raymond Courrière était plus qu'une figure de son département. Il était un homme estimé, une personnalité forte, un élu éprouvé et estimé.
Son parcours avait commencé voilà soixante-treize ans. Il était le fils d'Antoine Courrière, héros de la Résistance et sénateur de l'Aude sans discontinuer de 1946 jusqu'à son décès, en 1974. C'est d'ailleurs cette année-là que notre collègue fut élu pour la première fois au Palais du Luxembourg.
Mais, bien avant 1974, Raymond Courrière avait déjà montré son goût pour l'engagement public.
Après des études secondaires au lycée de Carcassonne, puis des études supérieures à la faculté de droit de Paris, il avait, dès 1952, adhéré au Parti socialiste, pour devenir ensuite responsable des étudiants socialistes.
Reçu licencié en droit, il embrasse la carrière de notaire, créant à Montolieu sa propre étude après avoir été clerc dans celle de son père.
Mais c'est la vie publique qui allait occuper l'essentiel des activités de Raymond Courrière.
En 1967, il est élu pour la première fois, à trente-cinq ans, conseiller général du canton d'Alzonne. Ce premier mandat, Raymond Courrière l'honorera sans discontinuer jusqu'en 1998. Il le conduira à assumer, grâce à l'influence et à l'estime que notre collègue avait su acquérir au sein de son conseil général, de 1987 à 1998, la présidence du conseil général de l'Aude. En 1973, Raymond Courrière est élu conseiller régional. Il abandonnera ce mandat en 1981, en raison de son entrée au Gouvernement.
C'est dès 1974 que la vie publique de Raymond Courrière prend un tournant décisif. Après le décès de son père, il lui succède en octobre 1974 à la mairie de Cuxac-Cabardès, puis en décembre de la même année au siège de sénateur de l'Aude, au terme d'une élection partielle.
L'année 1981 allait marquer pour Raymond Courrière une étape nouvelle dans ce que les Romains appelaient « la carrière des honneurs ».
Après l'élection de François Mitterrand à la présidence, il est appelé par notre collègue Pierre Mauroy, alors Premier ministre, au secrétariat d'État aux rapatriés. Raymond Courrière conservera ce portefeuille dans le gouvernement de Laurent Fabius, jusqu'en 1986.
Cette nomination ne devait rien au hasard. L'élu de l'Aude qu'était Raymond Courrière était proche de nos compatriotes rapatriés d'Algérie. Nombre d'entre eux trouvèrent en effet dans ce département une terre d'accueil. Plus que tout autre, Raymond Courrière connaissait leur histoire et avait une conscience aiguë de leurs problèmes. Avec autant d'efficacité que de générosité, il a beaucoup fait pour leur redonner confiance et espoir dans l'avenir.
Après l'alternance, il retrouvera l'hémicycle du Palais du Luxembourg. Il n'allait, désormais, plus le quitter.
Tour à tour membre de la commission des affaires culturelles, de la commission des affaires économiques, puis de la commission des lois, où il siégeait depuis vingt ans, Raymond Courrière va déployer inlassablement une énergie peu commune au service de son village, de son département, de sa région, de son pays.
Le large spectre de ses interventions donne la mesure de ce qu'un homme de son tempérament peut entreprendre au service de ses concitoyens : l'aménagement de l'espace rural, la viticulture, l'élevage, le chômage des jeunes, la politique énergétique, la fiscalité locale, l'élargissement de l'Europe et, bien sûr, le statut des rapatriés et des anciens combattants, dont il sera un défenseur inlassable tant au Sénat qu'au Gouvernement.
C'est peu de dire que Raymond Courrière avait la passion de la chose publique et qu'il y mettait toute son intelligence et toute son énergie. Il était, au plus beau sens de ces deux termes, un politique et un républicain.
Le Sénat a perdu en sa personne un grand parlementaire.
À l'annonce de sa mort, les hommages qui lui ont été rendus ont montré l'estime dont il jouissait, bien au-delà du cercle de ses soutiens naturels.
Je me suis rendu personnellement à ses obsèques, dans son cher village de Cuxac-Cabardès. J'y ai été profondément ému par la considération et l'estime dont il était entouré. La ferveur et l'émotion de la foule qui l'ont accompagné étaient à la mesure de ce qu'il avait donné à ses concitoyens sa vie durant.
L'énumération des réalisations locales dont Raymond Courrière avait pris l'initiative impressionne, de l'Hôtel du département à la Maison des mémoires de Carcassonne, de la pharmacie de sa commune à l'hôtel-restaurant, de la salle polyvalente au maintien sourcilleux des services publics ruraux.
Tant à l'échelon de la nation qu'à celui de son territoire, Raymond Courrière a été un serviteur efficace de la démocratie républicaine et du développement de notre pays.
Je tiens, par ma voix, et dans ce palais, à lui rendre l'hommage qui lui est légitimement dû.
Je tiens à assurer son épouse, Claude, compagne de sa vie et témoin tragique de sa mort brutale, de la compassion du Sénat, et de la mienne en particulier.
J'assure ses enfants, sa famille et ses proches de ma profonde et personnelle sympathie attristée.
Au groupe socialiste, si durement touché en cette année 2006, j'exprime notre très sincère solidarité dans cette épreuve douloureuse.
Enfin, à ses collègues de la commission des lois, qui perd l'un de ses plus fidèles membres, je présente les condoléances de tous.
Raymond Courrière fut le digne fils d'Antoine Courrière. Pour avoir, pendant soixante ans, animé la vie de notre assemblée, le nom de Courrière restera pour longtemps révéré au Palais du Luxembourg.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, en hommage à notre collègue, je vous invite à vous recueillir quelques instants. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement tient à s'associer à l'hommage que le Sénat rend aujourd'hui à Raymond Courrière, sénateur de l'Aude.
Grande figure de votre Haute Assemblée et de la vie politique audoise, Raymond Courrière a consacré, au travers de ses différents mandats, trente-neuf années au service de ses concitoyens.
Son parcours professionnel et politique s'inscrit dans la droite ligne de celui de son père, Antoine Courrière, notaire et sénateur de l'Aude pendant vingt-cinq ans.
Par tradition familiale sans doute, par conviction assurément, Raymond Courrière se lance tôt dans la vie politique. Il obtient son premier mandat de conseiller général en 1967, et ses concitoyens du canton d'Alzonne lui renouvelleront sans interruption leur confiance jusqu'en 1998.
La confiance de ses pairs lui permettra d'être élu à la présidence du conseil général en 1987.
Conseiller régional en 1973, Raymond Courrière succède en 1974 à son père à la mairie de Cuxac-Cabardès, sa commune natale. L'estime de ses concitoyens ne lui a jamais manqué. Il aimait passionnément ce mandat, car, proche des gens, il pouvait agir concrètement pour améliorer leur quotidien.
Son attachement à sa commune et son dévouement au service des autres permettent à ce village de 700 habitants de disposer aujourd'hui d'infrastructures publiques qui n'ont rien à envier à celles d'une grande ville.
C'est également en 1974 que cet élu confirmé, parfait connaisseur des collectivités locales, fait son entrée au Sénat, en remplacement de son père.
L'année 1981 marque, ainsi que vous l'avez dit, monsieur le président, un tournant décisif dans la carrière politique de Raymond Courrière.
L'attention toute particulière qu'il porte depuis toujours à la situation des rapatriés, très nombreux dans le département de l'Aude, lui vaut d'être nommé secrétaire d'État aux rapatriés par le Président François Mitterrand.
Il conservera cinq années durant ce portefeuille, sous l'autorité de deux Premiers ministres successifs, Pierre Mauroy et Laurent Fabius.
En 1986, Raymond Courrière retrouve le Palais du Luxembourg et la commission des lois, dont il sera jusqu'à la fin de sa vie l'un des membres les plus assidus. Parce qu'il était un parlementaire respecté et écouté, ses interventions dépassaient le cadre de la commission dont il était membre. Élu d'un département rural, il s'intéressait aussi, naturellement, aux problématiques agricoles et viticoles.
Raymond Courrière laissera le souvenir d'un élu particulièrement humble, dévoué et passionnément attaché à sa terre.
Homme de convictions, il avait su nouer des amitiés au-delà des clivages politiques. Et, toute sa vie, il fut un homme d'action, ouvert aux autres, se dépensant sans compter pour ses concitoyens.
À sa famille, à ses proches, au président du groupe socialiste ainsi qu'à ses collègues, j'exprime, au nom du Gouvernement, nos condoléances très sincères.
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie de vous associer à l'hommage que nous venons de rendre à notre collègue ; nous y sommes très sensibles.
Mes chers collègues, conformément à la tradition, en signe de deuil, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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DÉPÔT DE RAPPORTS DU GOUVERNEMENT
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport étudiant la possibilité de créer un programme qui regroupe les crédits de la gendarmerie du transport aérien au sein de la mission budgétaire Transports, en application de l'article 158 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Conformément à la loi de finances pour 2006, il sera transmis à la commission des finances. Il sera disponible au bureau de la distribution.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, conformément à l'article 52 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.
Ce rapport donnera lieu à une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, le lundi 6 novembre, à quinze heures.
5
DÉPÔT D'UN RAPPORT EN APPLICATION D'UNE loi
M. le président. J'ai reçu M. Jean-Marie Rolland, président du conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, le Fonds CMU, le rapport annuel d'activité pour 2005 du Fonds, conformément à l'article R. 862-8 du code de la sécurité sociale.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.
6
DÉPÔT DE RAPPORTS SUR LA MISE EN APPLICATION DE LOIS
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports sur la mise en application des lois suivantes :
- loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique ;
- loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 ;
- loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;
- loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ;
- loi n° 2005-706 du 27 juin 2005 relative aux assistants maternels et assistants familiaux ;
- loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption ;
- loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale ;
- loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier sera transmis à la commission des lois et les suivants à la commission des affaires sociales. Ces documents seront disponibles au bureau de la distribution.
7
souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'albanie
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans la tribune officielle, d'une délégation de députés de l'Assemblée de la République d'Albanie, en visite dans notre pays. (M. le garde des sceaux, Mme la ministre déléguée au commerce extérieur, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Cette délégation, composée de façon pluraliste et conduite par M. Fatos Beja, vice-président de l'Assemblée, a rencontré le groupe France-Albanie, que préside notre collègue Bernard Fournier.
La discussion a notamment porté sur le rapprochement européen de l'Albanie, pays francophile et francophone.
Je forme des voeux pour que le séjour des membres de la délégation réponde à leur attente et je leur souhaite, en mon nom personnel et au nom du Sénat tout entier, la plus chaleureuse bienvenue. (Applaudissements.)
8
Fiducie
Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission
Ordre du jour réservé
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi de M. Philippe Marini instituant la fiducie (n°11 ; n°178, 2004-2005).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée au commerce extérieur, mes chers collègues, c'est pour moi un grand honneur d'être le rapporteur, au nom de la commission des lois, de la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini instituant une fiducie.
Le droit romain connaissait trois types de fiducie : la fideicommis, la fiducia cum amico et la fiducia cum creditore, c'est-à-dire la fiducie-gestion ou la fiducie-sûreté.
La fiducie permet, dans une relation triangulaire, qu'une personne - le constituant - transfère tout ou partie de son patrimoine à une autre personne - le fiduciaire -, dans l'intérêt d'une troisième - le bénéficiaire.
La notion de fiducie se rapproche de la notion de trust, bien connue dans les pays anglo-saxons, qui permet de faire gérer par un tiers une partie d'un patrimoine en faveur d'un bénéficiaire.
Le transfert de propriété que permet la fiducie est limité dans son usage et dans le temps. Il s'agit d'opérer un transfert dans un patrimoine distinct, appelé « patrimoine fiduciaire » ou « patrimoine d'affectation ».
Le droit français a toujours été attaché au principe d'unicité et d'indivisibilité du patrimoine. C'est pourquoi la fiducie y est demeurée inconnue et n'a jamais été intégrée dans le code civil.
Les notions de trust et de fiducie sont présentes dans presque tous les pays anglo-saxons et elles ont même attiré des pays de tradition civiliste comme le Luxembourg ou le Québec, qui ont tous deux introduit la fiducie dans leur droit.
La fiducie a une très mauvaise image en France. Il semble en effet que l'opacité sulfureuse du trust anglo-saxon ait nui à l'acceptation de son principe dans notre pays : c'est la raison pour laquelle, depuis maintenant quinze ans, tous les projets et propositions de loi qui visaient à créer une fiducie en France ont avorté.
Je rends donc hommage à Philippe Marini, qui a déposé une proposition de loi visant à créer une fiducie à la française, ainsi qu'aux services des ministères de la justice et du commerce extérieur, puisque le Gouvernement a constitué un groupe de travail conjoint dont les travaux ont permis d'élaborer un avant-projet. En qualité de rapporteur de la commission des lois, j'ai bien entendu travaillé aussi bien sur la proposition de loi de M. Marini que sur l'avant-projet du Gouvernement.
Si la proposition de loi de M. Marini vise bien à créer une fiducie, celle-ci prohibe toute libéralité, exige, par conséquent, une contrepartie, prévoit la neutralité et la transparence fiscales, afin de répondre aux préoccupations légitimes du Gouvernement. Les règles de transfert de propriété sont donc encadrées pour permettre une transparence absolument totale.
Notre collègue prévoit d'ailleurs que toute personne, physique ou morale, peut être le constituant ou le fiduciaire puisqu'il n'introduit aucune limitation relative à la qualité des personnes susceptibles d'être l'un et l'autre.
Comme je le rappelais tout à l'heure, c'est donc sur les bases de cette proposition de loi et de l'avant-projet du Gouvernement que la commission des lois a été appelée à rédiger un nouveau texte. Elle s'est attachée à ne pas « trahir » l'esprit des propositions initiales, afin de faire de la fiducie un instrument juridique souple et attractif par rapport au droit anglo-saxon. Je suis sûr, madame la ministre, que vous souscrivez à cet objectif. Car, malheureusement, toutes les personnes que nous avons entendues, qu'il s'agisse d'hommes d'affaires, d'avocats, de banquiers ou d'assureurs, nous ont indiqué que, compte tenu de l'absence de ce dispositif en droit français, il fallait aller à l'étranger pour pouvoir créer une fiducie.
Nous avons donc voulu un texte souple et attractif, limitant les règles impératives, afin de favoriser la liberté contractuelle.
Monsieur le garde des sceaux, vous craignez que, par le biais de la fiducie, les règles relatives aux successions ou aux libéralités ne puissent être contournées. C'est la raison pour laquelle nous avons maintenu la prohibition de la fiducie-libéralité. La notion de contrepartie est donc requise pour que ce risque soit écarté et que la fiducie s'insère en toute légitimité dans notre dispositif légal et réglementaire.
Le texte proposé ne distingue pas la fiducie-gestion de la fiducie-sécurité, mais il est bien évident que le contrat de fiducie pourra servir soit à la gestion soit à la constitution de sûretés.
Madame la ministre, nous avons également insisté sur le principe de neutralité fiscale et de transparence. En effet, c'est le constituant qui reste redevable de l'impôt sur le revenu et, le cas échéant, de l'impôt de solidarité sur la fortune. Par conséquent, tout risque d'évasion fiscale se trouve absolument écarté par ce principe de transparence fiscale que nous avons voulu affirmer et que nous retrouvons, cher Philippe Marini, dans vos propres propositions.
Nous appliquons le système fiscal de la société de personnes : il n'y aura donc pas de droit d'apport s'agissant du transfert au fiduciaire, ce qui permet une grande souplesse.
En définitive, qui pourra être constituant ? C'est l'une des vraies questions posées, car la proposition de loi n'apporte aucune précision sur ce point. Pour notre part, je le répète, nous avons considéré que toute personne physique ou morale pourrait être constituant.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez peur...
M. Henri de Richemont, rapporteur. ... que ce texte ne permette de contourner la loi portant réforme des successions et des libéralités, dont nous avons débattu ici au mois de mai dernier.
Vous nous direz sûrement tout à l'heure que, avec le mandat à titre posthume et les libéralités graduelles et résiduelles, point n'est besoin de prévoir que le constituant puisse être une personne physique.
Or, selon la commission des lois, une personne physique peut également avoir besoin de constituer une fiducie-sûreté ou même une fiducie-gestion. Il n'y a aucune raison d'écarter la possibilité pour une personne physique d'être constituant.
En effet, tout risque de violation de la loi portant réforme des successions et des libéralités est écarté à partir du moment où la prohibition des libéralités est maintenue.
Quant au risque d'évasion fiscale, madame la ministre, il est absolument écarté aussi puisqu'une transparence totale est assurée.
Telle est la position de la commission.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Henri de Richemont, rapporteur. M. Marini n'apportait, dans sa proposition de loi, aucune précision sur l'identité du fiduciaire. J'ai alors proposé que tout membre d'une profession réglementée puisse assurer cette fonction.
Nous avons notamment engagé un débat avec les représentants de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Paris et de la Conférence nationale des barreaux, sur le point de savoir s'il fallait permettre aux avocats d'être fiduciaires. En effet, le règlement intérieur du barreau de Paris et de la CNB prévoit une telle possibilité. Or les avocats nous ont indiqué que, en l'état actuel de leurs réflexions, il leur était impossible de renoncer à leurs règles déontologiques sur le secret professionnel.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En raison du blanchiment !
M. Henri de Richemont, rapporteur. À partir du moment où nous proposions que tout le monde puisse être fiduciaire, il nous paraissait difficile de prévoir une réglementation différente pour les seuls avocats. Ces derniers ayant considéré qu'il n'était pas encore temps, pour eux, d'être soumis aux mêmes règles que les autres fiduciaires, nous avons renoncé à introduire cette disposition, que j'appelais pourtant de mes voeux.
Nous avons donc repris - un peu à regret, je dois le dire - l'avant-projet du Gouvernement, lequel prévoit que seules des entités financières, des établissements de crédit ou des entreprises d'assurance peuvent être fiduciaires. Cette précision vous rassurera, madame la ministre, puisque ces entités sont soumises à la tutelle de votre ministère et contrôlées par vos services.
Par ailleurs, nous avons prévu la possibilité de nommer un « protecteur ». Cette appellation a déplu à M. Badinter, qui a déposé un amendement visant à introduire un terme plus juridique.
En ce qui concerne le patrimoine fiduciaire, il est bien évident que toute créance née de la gestion ou de l'administration du contrat de fiducie ne peut s'appliquer que sur le patrimoine fiduciaire. Toutefois, il est possible que celui-ci soit insuffisant pour répondre aux créances éventuelles nées de la gestion.
C'est la raison pour laquelle il a été prévu un patrimoine subsidiaire. Dans la logique de transparence que nous préconisons, nous proposons que ce patrimoine subsidiaire soit le patrimoine du constituant, ce qui, madame la ministre, permet de donner toute assurance à vos services en cas de dette fiscale. Vous aviez en effet exprimé l'inquiétude que l'administration fiscale, en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, ne puisse pas se retourner contre quelqu'un d'autre. Le patrimoine subsidiaire sera donc le patrimoine du constituant, ou celui du fiduciaire s'ils en sont convenus tous les deux. Il est bien évident que les créanciers pourront se retourner contre le patrimoine du constituant, sauf accord entre le constituant et le fiduciaire pour qu'il en aille autrement.
Nous avons en outre prévu un régime de sanctions efficace pour prévenir toute libéralité, avec un droit de mutation à titre gratuit, au cas où l'on viendrait à utiliser le contrat de fiducie pour tourner la réglementation, ainsi que des possibilités de contrôle et de communication pour rassurer vos services, madame la ministre.
De plus, pour lutter contre le blanchiment, nous avons donné la possibilité à TRACFIN, la cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins, d'intervenir, même en l'absence de communication.
Monsieur le garde des sceaux, vous craignez un contournement des droits sur les successions. Madame la ministre, vous soulevez le risque d'évasion fiscale. En définitive, les multiples garde-fous, sanctions et règlements que nous vous proposons dans ce texte sont de nature à apaiser vos inquiétudes respectives.
Enfin, nous avons introduit une innovation par rapport à la proposition de notre collègue Philippe Marini, en consacrant le recours à un « agent des sûretés ». Selon les avocats du comité Paris-Europlace que nous avons auditionnés, un problème en cas de pluralité de créanciers et de syndication bancaire se pose, et il convient de donner la possibilité à un tiers, à un agent des sûretés, de constituer, gérer et réaliser les sûretés pour le compte de l'ensemble des créanciers.
Monsieur le garde des sceaux, j'aurai besoin tout à l'heure d'éclaircissements, car il est bien évident que ce dispositif ne peut avoir d'intérêt que si l'agent des sûretés est dispensé d'inscrire ces sûretés pour le compte de tous les différents créanciers. Si vous nous dites que, malgré cela, il faut continuer à inscrire les sûretés pour le compte de tous les créanciers, l'agent des sûretés ne sert à rien. Or notre intention n'est pas de légiférer pour rien !
M. Henri de Richemont, rapporteur. Je vous demande donc de nous apporter des précisions sur ce point.
Tels sont les principaux éléments de ce texte dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur.
Cela étant dit, j'exprimerai une inquiétude.
Hier, dans la presse, j'ai lu que le Sénat s'intéressait certes à la fiducie, mais que le texte en discussion suivrait un chemin cahoteux et qu'il ne serait finalement même pas examiné par l'Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Qui a dit cela ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, nous voulons être rassurés sur ce point, car nous avons beaucoup travaillé tous ensemble sur ce texte important.
Il me paraît fondamental que la fiducie puisse être intégrée dans le droit français pour répondre à l'attente des professionnels et faire en sorte que la France soit un pays attractif, afin que les professionnels n'aillent pas chercher à l'étranger les instruments juridiques dont ils ne disposent pas chez nous.
Je vous demande donc de nous donner des assurances sur le sort de ce texte, que le Sénat va, comme souvent, adopter dans un esprit consensuel, tout en reprenant bien entendu l'essentiel de nos propositions.
Il s'agit de rendre la fiducie intéressante et d'éviter que ce mécanisme ne puisse être vidé de sa substance. Nous espérons que cette notion fondamentale sera rapidement intégrée dans notre droit positif, à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Ce serait une très bonne chose pour tout le monde et surtout une très bonne chose pour la France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le bicentenaire du code civil a été l'occasion d'engager une profonde rénovation de notre législation.
Ainsi, la loi du 26 mai 2004 a réformé le droit du divorce et l'ordonnance du 4 juillet 2005 celui de la filiation. Plus récemment, j'ai engagé la réforme du droit civil dans ses aspects patrimoniaux, afin de le rendre à la fois plus efficace et plus attractif.
Le droit des successions a ainsi fait l'objet d'une importante réforme par la loi du 23 juin 2006, à laquelle M. Henri de Richemont, aujourd'hui rapporteur du texte sur la fiducie, a largement, activement et précieusement participé, ce dont je le remercie à nouveau.
En effet, cette loi a adapté notre droit aux évolutions de la société en donnant plus de liberté à nos concitoyens pour organiser leur succession. Elle a ainsi permis de faciliter et de simplifier la gestion du patrimoine successoral en rendant possible la désignation d'un mandataire pour gérer ou administrer les biens, cette désignation pouvant être opérée à l'avance, du vivant du détenteur du patrimoine.
Ce dispositif permet, par exemple, au responsable d'une unité économique de désigner de son vivant une personne de confiance chargée d'administrer l'entreprise, le temps que ses enfants soient capables de la reprendre.
Il permet également de confier la gestion d'un bien - un immeuble, un compte-titres, etc. - à un tiers, chargé d'en verser les revenus nécessaires au maintien du niveau de vie de l'héritier souffrant d'un handicap.
Au total, cette réforme a permis de moderniser notre droit des successions, qui était devenu, au fil des ans, obsolète.
Dans le même temps, j'ai également mené à bien la modernisation du droit des sûretés. En effet, le droit commun des sûretés était, dans une très large mesure, issu du code civil de 1804.
L'ordonnance du 23 mars 2006 offre de nouveaux outils modernes et efficaces aux acteurs économiques pour garantir leurs créances. Monsieur le rapporteur, cela répond au souci que vous avez tout à l'heure exprimé concernant la fiducie, si celle-ci était étendue aux personnes physiques.
Pour mémoire, je rappelle que, désormais, un gage sans dépossession peut être consenti à un créancier et permet au débiteur de conserver l'usage de la chose qu'il affecte en garantie de son obligation.
Par ailleurs, l'assiette du gage a été élargie puisque celui-ci peut désormais porter sur des choses fongibles et des choses futures.
Les modes de réalisation de cette sûreté ont également été facilités par la reconnaissance de la validité du pacte commissoire, qui permet aux parties de convenir que le bien affecté en garantie demeurera la propriété du créancier en cas de défaillance du débiteur, sans l'intervention du juge.
Enfin, de nouveaux instruments ont été intégrés dans le code civil, notamment en matière de sûretés immobilières, avec la création de l'hypothèque rechargeable et du prêt viager hypothécaire.
Ainsi, en peu de temps, plusieurs réformes fondamentales ont été conduites par la Chancellerie. Elles traduisent la volonté du Gouvernement de moderniser notre droit dans l'intérêt des citoyens et des acteurs économiques.
La proposition de loi instituant la fiducie qui vous est soumise aujourd'hui, grâce à l'initiative heureuse de M. Philippe Marini, que je tiens à remercier, et au travail remarquable de votre rapporteur, M. Henri de Richemont, s'inscrit dans la même dynamique. Elle participe de cette démarche de modernisation de notre droit, qui nous est chère, et répond à l'objectif de renforcement de l'attractivité de notre territoire, que nous partageons avec Mme Christine Lagarde.
En effet, le droit français ne connaît pas - toujours pas, serais-je tenté de dire - d'institution inspirée du trust anglo-saxon, qui permet à une personne de transférer des biens à une autre, le trustee, laquelle aura pour mission de gérer ces biens dans l'intérêt des bénéficiaires. Or le trust, utilisé depuis le Moyen-Âge en Angleterre, connaît aujourd'hui un essor remarquable, non seulement dans des pays qui relèvent de la sphère anglo-américaine, tels que les États-unis, le Canada, l'Australie -, mais aussi dans des pays de tradition romano-germanique, tels que l'Allemagne, la Suisse, le Luxembourg ou, plus récemment encore, en Italie, auxquels j'ajouterai la Province du Québec.
Face à ce mouvement inéluctable, la France ne doit pas demeurer en retrait. L'ouverture des frontières et l'internationalisation des échanges rendent indispensable la création d'un outil comparable, afin de permettre aux investisseurs familiers du trust anglo-saxon de se sentir en confiance avec le droit français, souvent trop mal connu de nos partenaires internationaux.
Par ailleurs, les entreprises françaises ont, paradoxalement, souvent recours à des trusts étrangers, faute de pouvoir disposer d'un instrument adapté en droit interne ; la place de Londres en sait quelque chose ! Cette situation est regrettable puisqu'elle entraîne une délocalisation des opérations financières hors de nos frontières. Mais elle n'est toutefois pas inéluctable !
S'agissant de l'institution d'une fiducie « à la française », une précision me paraît d'abord devoir être apportée : il ne s'agit pas de remédier à la carence du droit français en important « tel quel » le trust anglo-saxon. Une telle option n'est ni envisageable ni souhaitable, tant le trust est marqué par l'empreinte de la common law, système fort éloigné de notre droit, ce dernier puisant ses racines dans le droit romain.
En conséquence, si l'instrument proposé doit présenter des similitudes avec le trust anglo-saxon, j'attache une particulière importance à ce que le texte qui sera définitivement adopté crée une institution réellement française, respectant notre tradition juridique propre.
La proposition de loi qui vous est soumise s'inscrit dans cet esprit. Le texte fait en effet référence non pas au trust, mais à la fiducie, une institution qui trouve ses racines dans le droit romain.
La fiducie y existait, à ma connaissance, monsieur le rapporteur, non pas sous trois, mais sous deux formes : la première consistait à transférer en pleine propriété à un tiers de confiance des biens que celui-ci devait gérer ; dans la seconde, le débiteur transférait en garantie à son créancier la propriété d'un bien qui lui était restituée après apurement de sa dette.
Je ne peux donc que me réjouir de la renaissance d'une institution directement issue du droit romain.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. J'en viens maintenant au contenu de la proposition de loi.
La fiducie se présente comme une opération par laquelle une personne - le constituant - transfère des biens ou des droits à une autre personne - le fiduciaire - avec pour mission de les gérer dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires.
Cette proposition permet donc à une personne de transférer, par contrat, la propriété de tout type de biens ou de droits à un fiduciaire et d'en fixer la destination dans la plus grande liberté contractuelle possible.
En précisant que la fiducie trouve sa source principalement dans le contrat, la proposition de loi la soumet au droit général des obligations, nouvelle preuve de son enracinement dans notre tradition juridique.
À cet égard, il est envisagé d'insérer les dispositions civiles de la fiducie dans le livre III du code civil, entre les dispositions consacrées au mandat et celles qui sont relatives à la transaction.
Le principe de liberté contractuelle, indispensable pour assurer la souplesse de cet instrument, sera donc au coeur de ce nouveau contrat. Ainsi, les parties auront toute latitude pour organiser comme elles le veulent leur relation fiduciaire : fixer les obligations de chacun, prévoir les modalités de fin de la fiducie, désigner expressément le bénéficiaire ou seulement permettre sa détermination.
La fiducie s'inscrit donc parfaitement dans notre droit des contrats.
Elle n'en est pas moins porteuse d'innovations, la plus remarquable étant sans nul doute la consécration de la notion de patrimoine d'affectation.
En effet, les biens remis en fiducie formeront un patrimoine autonome, qui ne sera plus celui du constituant, mais qui ne s'intégrera pas non plus à celui du fiduciaire. Dès lors, les procédures collectives qui pourraient être ouvertes au bénéfice du constituant ou du fiduciaire n'affecteront pas les biens remis en fiducie. Il s'agit là d'une innovation majeure dans notre droit, qui était marqué, depuis le XIXe siècle, par le principe de l'unité du patrimoine.
La proposition de loi offre ainsi une nouvelle institution juridique moderne, d'une grande souplesse et qui pourra trouver des utilisations très variées.
Par exemple, la fiducie pourra servir comme sûreté pour garantir l'exécution d'une obligation, avec toute l'efficacité que confère la propriété. C'est la « fiducie-sûreté » qui est ici consacrée.
Elle pourra également être utilisée pour confier la gestion de biens ou de certaines activités d'une entreprise à un tiers de confiance. C'est la « fiducie-gestion ».
Mais ce ne sont pas là les seuls motifs de satisfaction que j'ai à exprimer : la proposition de loi comprend en outre plusieurs mesures garantissant une utilisation raisonnable et contrôlée de ce nouvel instrument.
Tel est le cas du régime fiscal appliqué à la fiducie. Afin d'empêcher la constitution d'une fiducie par une personne aux seules fins d'échapper à ses obligations fiscales, un régime de neutralité a été mis en place. Ainsi, pour les impôts directs, les résultats de la fiducie seront imposés sur le patrimoine du constituant pendant la durée du contrat de fiducie et tant que les biens n'auront pas été transmis à un bénéficiaire. Seuls les impôts liés à l'activité du fiduciaire seront payés par celui-ci, telles la TVA, la taxe professionnelle ou la taxe foncière. Mais je laisse à Christine Lagarde le soin de développer ce point particulier.
Tel est le cas également de la limitation de l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés, tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Un tel dispositif est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent. La proposition de loi rejoint donc la préoccupation du Gouvernement de cantonner l'usage de cet instrument aux professions qui ont une compétence particulière en matière de gestion de patrimoine.
Tel est encore le cas des mesures destinées à assurer la publicité des fiducies, mais aussi de la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des autorités de contrôle, fiscales et judiciaires. Ces dispositions reçoivent l'entière approbation du Gouvernement. Elles sont de nature à assurer la plus grande transparence à ce nouveau mécanisme et permettent ainsi d'éviter que la fiducie ne devienne le vecteur d'activités frauduleuses.
Tel est, enfin, le cas de l'exclusion de la fiducie-transmission appelée aussi « fiducie-libéralité ». Cette interdiction est nécessaire, mais peut-être pas suffisante, comme nous le verrons dans un instant, pour éviter la remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions, notamment les atteintes au principe de la réserve héréditaire, que la récente réforme des successions a certes assoupli, mais maintenu.
Si, sur tous les points que j'ai précédemment évoqués, le Gouvernement approuve la proposition de loi qui vous est présentée, il est une question qui a suscité débat, celle du constituant personne physique : le Gouvernement souhaite cantonner la fiducie aux personnes morales, alors que votre rapporteur envisage de l'étendre aux personnes physiques.
Toutefois, sur cette question également, je me réjouis que nous soyons en mesure - c'est du moins ce que je crois ! - de trouver un accord. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, d'avoir examiné avec bienveillance, ce matin, les amendements déposés en ce sens par le Gouvernement ; j'espère qu'ils seront adoptés par le Sénat.
Permettez-moi simplement de rappeler les raisons pour lesquelles le Gouvernement est opposé à l'extension de la qualité de constituant aux personnes physiques.
Tout d'abord, je ne crois pas qu'il y ait de réels besoins en ce sens pour les personnes physiques. Je considère au contraire qu'une telle extension risquerait de compromettre l'efficacité des apports issus de la réforme du droit des sûretés. Elle pourrait par ailleurs encourager les situations de fraude au droit des successions et au régime de protection des majeurs incapables.
Je l'ai dit, l'ordonnance du 23 mars 2006 a réformé en profondeur le droit des sûretés en offrant aux personnes physiques une palette rénovée et diversifiée d'instruments pour garantir le recouvrement des créances et faciliter leur accès au crédit. Cette réforme a été accompagnée de mesures particulières prises en faveur des personnes physiques les plus vulnérables, afin d'assurer un équilibre entre les intérêts en présence. C'est ainsi que le pacte commissoire a été écarté en matière de crédit à la consommation et que la garantie autonome a été fortement cantonnée en matière de bail d'habitation.
Admettre l'extension de la fiducie au profit des personnes physiques aurait pour conséquence de rompre le juste équilibre apporté par cette réforme. La cohérence de notre droit pourrait s'en trouver affectée.
Par ailleurs, je crains que la prohibition de la fiducie-libéralité, sur laquelle nous sommes pleinement d'accord, ne soit contournée par l'extension de la fiducie aux personnes physiques et qu'elle n'ouvre ainsi la voie à une remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions.
À cet égard, je me permets de vous rappeler que l'un des obstacles majeurs auxquels s'est heurtée jusqu'à présent l'introduction de la fiducie en droit français résidait dans la crainte que celle-ci ne serve de mécanisme de fraude à maintes dispositions d'ordre public. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce dispositif n'a pas été adopté plus tôt par le Parlement français. Si nous voulons aller jusqu'au bout, allons-y lentement, mais sûrement !
Le cantonnement de la possibilité de constituer une fiducie aux seules personnes morales permet, en revanche, de lever ces réticences.
Enfin, le droit français connaît un régime spécifique de protection des majeurs incapables, qui exige l'intervention du juge afin de leur assurer une meilleure protection.
La gestion des biens des incapables par le biais d'une fiducie serait plus opaque et rendrait plus complexe, voire impossible, le contrôle des comptes par le juge des tutelles.
En résumé, pour les trois ordres de raisons que je viens d'invoquer, l'extension de la fiducie aux personnes physiques paraît inopportune et sa limitation aux seules personnes morales ne nuira nullement à son attractivité.
Même limitée aux constituants personnes morales, la fiducie représentera déjà une réelle avancée pour les opérations commerciales ou de financement international, principaux domaines dans lesquels le besoin de fiducie se fait sentir.
Permettez-moi de conclure mon propos en tirant les leçons du passé.
Vous n'ignorez pas le sort qui fut réservé aux précédents textes sur la fiducie, qui étaient parfois très ambitieux, trop sans doute puisqu'ils ont tous échoué ! Je forme avec vous le voeu qu'il n'en sera pas de même pour cette proposition de loi et j'entends bien qu'elle aille à son terme, monsieur le rapporteur ! La malédiction qui a jusqu'à présent marqué toute tentative d'introduction de la fiducie en droit français doit être conjurée...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Jetez du sel ! (Sourires.)
M. Pascal Clément, garde des sceaux. ...par notre volonté commune de prouver la capacité de notre droit à évoluer, à s'adapter aux exigences d'une société moderne tout en respectant ses traditions juridiques.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est en ce sens qu'a oeuvré votre commission des lois sous l'égide de son rapporteur, M. Henri de Richemont, que je remercie une nouvelle fois de son pragmatisme et de son efficacité, ainsi que M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, je souhaite affirmer ma satisfaction et mon émotion, en tant que ministre en charge de l'attractivité de notre territoire, de voir cette proposition de loi instituant la fiducie venir en discussion devant la Haute Assemblée. Croyez-le bien, monsieur le rapporteur, je désire ardemment que nous puissions enfin voir aboutir une innovation juridique dont j'entends parler, ne serait-ce qu'à titre professionnel, depuis plus de vingt ans.
Je ne reviendrai pas sur la portée du texte s'agissant de nos concepts de droit civil ; M. le garde des sceaux a rappelé avec talent combien ce texte était profondément novateur. Pour ma part, je soulignerai à quel point la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, grâce aux efforts conjugués de son auteur, M. Marini, et de son rapporteur, M. de Richemont, viendra combler un manque important dans la panoplie de nos outils économiques. J'insisterai sur les éléments d'attractivité et sur les garde-fous auxquels le Gouvernement est attaché dans son approche de la fiducie.
En évitant les écueils qui, par le passé, se sont trouvés sur sa route, la proposition de loi fait de la fiducie un outil économique essentiel, qui manque aujourd'hui à notre droit des affaires.
L'amélioration de la compétitivité de notre droit concourt, à mon sens, à l'amélioration de notre compétitivité économique et à l'attractivité du territoire français. À ce titre, deux approches complémentaires s'imposent : la première consiste à créer des outils souples, standards, qui prennent en compte les besoins actuels et futurs ; la seconde tend à moderniser notre droit chaque fois que celui-ci se révèle inadapté.
L'accompagnement de l'innovation financière et le renforcement de la compétitivité de notre droit des affaires, renforcement engagé par la réforme du droit du crédit, témoignent de la nécessité de ces démarches, et l'introduction en droit français de la fiducie participe de ce mouvement.
L'objet de cette proposition de loi est de proposer un outil souple, à même de répondre aux situations très variées que rencontrent les professionnels.
Certes, notre droit actuel comporte déjà des mécanismes d'inspiration fiduciaire, mais leur utilisation reste très limitée. Je pense à certains instruments financiers, plus spécifiquement les mécanismes de titrisation, le plan d'épargne retraite populaire, le PERP, ou l'assurance vie. En revanche, notre droit ne compte pas de texte général sur la fiducie, mettant en place un outil standard souple, qui s'adapterait aux besoins actuels et futurs des professionnels.
Introduire en droit français le concept de fiducie est un objectif ancien. Les pouvoirs publics ont depuis longtemps pris conscience qu'il manquait en France un outil financier comparable au trust anglo-saxon. Il n'est que de considérer les différents projets et propositions qui ont été élaborés au fil des vingt ou vingt-cinq dernières années sur ce sujet, et qui encombrent certainement les tiroirs de votre bureau, monsieur le garde des sceaux !
C'est vrai, la fiducie semble frappée d'une espèce de malédiction : toutes les tentatives pour l'introduire en droit français ont jusqu'à présent échoué. Est-ce faute de volonté politique ? Vous pouvez être assuré, monsieur le rapporteur, que ni M. le garde des sceaux ni moi-même n'en manquons ! Sans doute est-ce dû à une excessive ambition à l'égard d'un concept dont la simple introduction dans notre droit constitue une évolution juridique majeure.
M. Philippe Marini. C'est vrai !
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. En consacrant la notion de patrimoine d'affectation, véritable patrimoine autonome, la fiducie fait en effet évoluer le principe de l'unité du patrimoine. Parce qu'elle touche à des règles fondamentales de notre droit, certains ont pu avancer que celui-ci ne pouvait accueillir cette institution issue des pays de common law, ce qui a entraîné le rejet des textes antérieurement présentés.
Mais la fiducie n'est pas le trust, et M. le rapporteur comme M. le garde des sceaux viennent de nous rappeler que cette institution était issue du droit romain. Elle a, du reste, été accueillie par de nombreux États dont le droit ne s'inspire pas du système anglo-saxon de common law : le Québec, la Louisiane, la Suisse, le Luxembourg... Que je sache, le droit des obligations suisse n'a pas été bouleversé par l'existence de la fiducie en droit suisse !
L'introduction de la fiducie dans notre droit est désormais devenue une nécessité, car l'absence de texte général a créé un vide juridique, qui a plongé la France dans un isolement pénalisant. Faute de pouvoir disposer d'un instrument adapté en droit interne, les entreprises françaises sont souvent dans l'obligation d'avoir recours à des montages étrangers, fondés majoritairement sur des trusts.
Or une telle situation est nocive à bien des égards.
Premièrement, elle contribue à légitimer un discours, que d'aucuns se prêtent à véhiculer, sur l'inadaptation du droit français à la vie économique moderne. Je n'ai pas besoin ici d'insister sur le caractère partiel et partial de telles analyses, qui ignorent délibérément les atouts du droit français, sa sécurité juridique et son cadre institutionnel.
Il n'en reste pas moins vrai que, dans un contexte de compétition économique mondiale, toute occasion de moderniser notre droit doit être saisie pour offrir les meilleures chances à nos entreprises et améliorer encore notre attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers, surtout lorsqu'il s'agit de comparer les vertus de notre système aux leurs, à l'aune de divers sondages, critères et appréciations relatifs aux atouts du territoire français.
Deuxièmement, l'obligation de délocaliser les montages fiduciaires à l'étranger constitue un handicap pour les cabinets de services juridiques et financiers installés en France. Cette situation nuit évidemment à leur développement, diminue leur influence et se traduit inéluctablement, même si c'est dans une mesure toute relative, par moins d'emplois et de richesses en France.
Troisièmement, si les grandes entreprises ont facilement recours à des mécanismes étrangers et peuvent faire appel aux services de correspondants situés dans les pays étrangers considérés, il n'en est pas de même pour les petites et moyennes entreprises, qui se trouvent souvent, faute de moyens, privées d'un instrument pourtant indispensable à leur croissance.
Il est donc devenu impérieux de parvenir, enfin, à introduire cette fiducie tant attendue dans notre droit. M. Philippe Marini, par ailleurs rapporteur général de votre commission des finances, s'est saisi de cette question ; je l'en remercie vivement.
Les expériences passées auraient pu décourager bien des bonnes volontés. Beaucoup de mauvaises fées ou de mauvais génies s'étaient penchés sur le berceau de la fiducie depuis des années. Nous ne comptons plus les projets qui avaient échoué contre des obstacles divers : le principe de l'unicité du patrimoine, l'obligation de préserver les droits des créanciers, la nécessité d'éviter l'évasion fiscale, l'image sulfureuse de certaines institutions trustales au regard du blanchiment de l'argent sale.
M. Robert Badinter. Oui !
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Les enseignements de ces échecs me semblent avoir été tirés, aussi bien par l'auteur de la proposition de loi que par le rapporteur, avec lequel nous avons eu des échanges, je dois le dire, extrêmement approfondis et fructueux. Monsieur le rapporteur, je tiens à souligner votre implication, votre esprit de compromis et votre souci de l'efficacité.
C'est grâce à vos efforts conjugués, monsieur le rapporteur, monsieur Marini, que quelque bon génie semble s'être penché sur ce texte pour doter la fiducie de nombreux éléments très attractifs.
Ainsi, cette proposition de loi offre une grande souplesse : elle n'est pas cantonnée à une finalité déterminée. Sous la seule réserve de l'interdiction de son utilisation à des fins de transmission à titre gratuit, il appartiendra aux parties au contrat d'en déterminer, sans autre exclusive, l'usage qu'elles souhaitent lui donner. C'est donc le principe de la liberté contractuelle, auquel le Gouvernement est particulièrement attaché, qui prévaut dans ce texte.
On sait que la question fiscale est essentielle pour ce type de dispositifs : elle peut être une source aussi bien d'échec que de dérives. À cet égard, le parti que vous avez pris me semble sage : la fiducie, telle que vous l'avez conçue, n'est ni un trust ni un instrument de fiscalité ; elle est bien un outil juridique.
Dans ces conditions, l'ensemble des règles fiscales applicables résulte du choix d'un régime fiscal lui-même attractif - celui des sociétés de personnes -, avec l'application favorable du principe de neutralité fiscale, que ce soit en matière d'imposition des bénéfices, des plus-values, de droits d'enregistrement ou de TVA.
S'agissant de l'impôt sur les bénéfices, ce régime fiscal très favorable cumule une absence d'imposition au moment du transfert des actifs dans le patrimoine fiduciaire ou en cas de retour des biens transférés. Le fiduciaire détermine la quote-part de résultat qui est taxée chaque année chez le constituant. En particulier, s'il s'agit d'un déficit, celui-ci s'imputera sur le résultat propre du constituant.
En matière de droits d'enregistrement, les actes relatifs au contrat de fiducie sont soumis à un simple droit fixe ou à la taxe de publicité foncière à taux réduit lorsque le contrat porte sur des immeubles ou sur des droits réels immobiliers. Le retour de tout ou partie du patrimoine fiduciaire au constituant ne donnerait pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière.
Dans le cadre de sa gestion courante, l'activité exercée en fiducie est soumise à une fiscalité de droit commun, s'agissant par exemple des droits de mutation à titre onéreux, de la TVA, comme de la taxe professionnelle.
Vous avez également su conjurer les mauvaises fées en proposant la création d'une fiducie irréprochable sur plusieurs aspects, conformément à la position très ferme que la France a maintes fois exprimée dans les diverses enceintes internationales traitant de ces sujets.
Ainsi, la protection des droits des créanciers est assurée. En cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, sauf s'ils déclinent expressément cette possibilité, les créanciers disposeront d'un patrimoine subsidiaire, celui du constituant ou celui du fiduciaire suivant les dispositions du contrat de fiducie.
Par ailleurs, la création d'un protecteur, la compétence et la surface financière exigée du fiduciaire en font un outil sûr et fiable pour les constituants qui y auront recours. En effet, la proposition de loi limite l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Ce point est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux nécessaires à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent.
Enfin, la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des instances de lutte contre le blanchiment est aussi de nature à répondre à cette problématique.
Un point a néanmoins suscité des discussions particulièrement nourries entre nous : celui de la possibilité laissée à des personnes physiques de constituer des fiducies.
Vous savez que le Gouvernement a déposé des amendements en vue de réserver la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, amendements auxquels, je l'espère, la commission des lois sera favorable.
Je tiens à insister auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les enjeux liés à cette question délicate, mais essentielle, si nous souhaitons voir aboutir ce projet.
Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement a souhaité réserver ce nouvel instrument aux seuls constituants personnes morales, raisons qui viennent de vous être exposées par M. le garde des sceaux. Je souhaite simplement insister à nouveau sur le fait que l'une des clés du succès de ce texte réside dans le fait que, contrairement à ceux qui l'ont précédé, il se fixe un objectif clair : instaurer un outil souple et évolutif à l'usage des professionnels, notamment les petites et moyennes entreprises, pour les besoins de leur activité économique. Il s'agit non pas de mettre en place un instrument étriqué, mais de répondre de manière pragmatique aux besoins des acteurs concernés, qui ont été entendus.
Autant le besoin des entreprises à l'égard de la fiducie est clairement démontré par la pratique, autant celui des personnes physiques ne l'est pas. Il n'a notamment pas été mis en évidence par les praticiens concernés au cours des travaux du groupe de travail co-animé par le ministère des finances et la Chancellerie.
Je note par ailleurs que, sur un plan pratique, les personnes morales sont accoutumées à assumer des obligations déclaratives précises. Il est relativement aisé d'assurer, à leur égard, le principe de neutralité fiscale. En revanche, le suivi d'un patrimoine d'affectation chez des personnes physiques entraînerait des obligations déclaratives lourdes pour ces dernières et le risque d'utilisation de la fiducie à des fins de transmission à titre gratuit serait sans doute démultiplié.
Dans ces conditions, et compte tenu non seulement de l'avis émis par les praticiens, mais aussi de l'absence de manifestation de besoin évident lors des consultations précédemment évoquées, on ne voit pas bien quel serait l'usage d'un nouvel instrument de gestion patrimoniale à destination des personnes physiques, instrument dont vous reconnaîtrez avec moi qu'il ne serait probablement pas à la disposition du Français moyen ou du patrimoine moyen.
À tort ou à raison, la question de la fiscalité des personnes physiques viendra vraisemblablement s'inscrire dans ce débat, au risque, hélas, de brouiller le message et l'objet de l'instrument que nous essayons de mettre en place.
L'extension de la fiducie à l'égard des personnes physiques, sans nécessité démontrée, soulèverait ainsi des difficultés et des risques de dérives que l'interdiction de la fiducie-libéralité ne suffit pas à elle seule à éviter. Ce choix modifierait très substantiellement le cadre et l'ampleur de cette réforme, au risque, sans doute, de la faire échouer une fois de plus, comme l'a souligné M. le garde des sceaux, au bénéfice d'un débat probablement beaucoup plus idéologique et également infructueux.
Eu égard à l'innovation historique que constitue l'introduction de la fiducie dans notre droit, il nous semble prudent, à ce stade, de nous en tenir aux mesures qui, nous le savons, correspondent à une demande identifiée de nos opérateurs économiques et dont les conséquences sont parfaitement maîtrisables.
Tel est l'objet des amendements que le Gouvernement a déposés sur ce texte et qui recueilleront, je l'espère, votre assentiment, monsieur Marini, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur.
Comme je l'ai indiqué, la fiducie n'est pas un trust. Elle est un instrument non pas fiscal mais juridique. Elle est un outil souple et efficace, concourant largement à l'amélioration de l'attractivité du droit français et de notre économie.
Grâce à l'initiative que vous avez prise, monsieur Marini, grâce aux travaux de la commission des lois, de son président et de son rapporteur, le Sénat est amené aujourd'hui à examiner un texte instituant un instrument nouveau, souple et évolutif, capable de répondre aux attentes des professionnels.
Cette proposition de loi démontre la capacité de notre pays à s'inspirer, sans les copier, des exemples étrangers, à moderniser son cadre juridique sans le bouleverser, à s'adapter à la mondialisation sans pour autant renoncer à son identité, en se réappropriant, tout simplement, la fiducie.
Sous la réserve exprimée concernant les personnes physiques et correspondant aux amendements déposés par le Gouvernement, celui-ci apportera tout son soutien à ce texte, qui constituera sans nul doute une étape essentielle dans la modernisation de notre droit économique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Robert Badinter
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens d'emblée à souligner tout l'intérêt que m'inspirent la fiducie et le trust. J'ai toujours considéré que notre pays était en retard dans ce domaine et j'estime que les innovations qui nous sont proposées aujourd'hui sont insuffisantes. Je pense que ces mesures arrivent beaucoup trop tard et que la raison de ce retard tient non à une sorte d'échec intellectuel, mais à une certaine timidité, voire à un certain conservatisme.
Je rappelle que la première proposition élaborée sur le sujet remonte à 1989, que la deuxième, beaucoup plus articulée, date de 1992 et la troisième, de 1994. Entre 1989 et 1994, différents gouvernements se sont succédé, mais, toujours, la même résistance s'est manifestée.
Aujourd'hui, j'ai entendu le Gouvernement, dans une admirable envolée d'autosatisfaction, chanter ses propres louanges, ce qui, en effet, est la meilleure façon d'être assuré d'en recevoir, surtout dans une enceinte parlementaire. Qu'il me soit tout de même permis de signaler - ce n'est un secret pour personne dans le monde juridique - qu'un groupe de travail composé d'éminents spécialistes, notamment de M. Witz, était à l'oeuvre à la Chancellerie. Ses travaux auraient pu déboucher sur un avant-projet de loi qui aurait été examiné par le Conseil d'État. Une telle procédure aurait présenté bien des avantages : elle aurait permis, en particulier, de disposer d'observations utiles sur les problèmes de droit et de fiscalité qui peuvent se poser. Nous en aurions ensuite débattu. Mais tel ne fut pas le cas.
Cela étant, monsieur le garde des sceaux, vous me permettrez de vous dire, en souriant, qu'il est minuit moins cinq, moins cinq mois, s'entend, et qu'à examiner le programme des travaux parlementaires d'ici aux prochaines échéances électorales, je ne vois pas très bien à quel moment vous auriez pu loger l'examen d'un tel texte...
En fait, c'est uniquement à l'initiative et à l'ardeur de notre collègue M. Marini que nous devons aujourd'hui de voir le Gouvernement applaudir, ou plutôt s'applaudir.
Je tiens aussi à signaler le travail tout à fait sérieux accompli avec grande compétence par notre rapporteur, M. de Richemont. Il a eu à coeur d'améliorer autant que possible la proposition de loi qui nous est soumise. De ce fait, nos vues se sont rapprochées.
Nous nous trouvons donc en présence d'une proposition intéressante de la commission, proposition que nous soutiendrons, mais à la condition qu'elle soit strictement respectée dans son esprit.
J'ai dit que les mesures qui nous étaient aujourd'hui proposées étaient tardives. Ce retard serait, selon certains, dû à des raisons d'ordre politique. À titre personnel, je ne partage pas ce point de vue.
Un mouvement européen favorable à la généralisation de la fiducie, ou plus exactement du trust, existe bel et bien, et depuis quelque temps déjà. Ainsi, une résolution du Parlement européen en date du 15 février 2001 a prévu l'harmonisation des droits européens, notamment pour ce qui concerne le trust. De même, le 6 juin 2002, au moment où commençait l'actuelle législature, a été adoptée une directive concernant les contrats de garantie financière, qui constituent en fait le point essentiel de nos travaux d'aujourd'hui, mais le Gouvernement n'a fait aucune diligence pour introduire ce texte dans le droit français.
On ne peut donc pas dire qu'il se soit précipité vers les horizons fiduciaires avec l'enthousiasme que vous mettez aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, à en décrire la splendeur !
Mieux vaut tard que jamais, dit-on ! Cependant, si nous suivons les propositions du Gouvernement, je crains fort que l'instrument dont la création est ici envisagée, et qui est selon moi tout à fait nécessaire dans le droit français, ne comble pas nos espérances.
Le trust ou la fiducie, sans entrer dans le détail du jus communis ni remonter jusqu'à la fiducie romaine, ont partout une double finalité.
Relevons, tout d'abord, une finalité d'ordre financier, qui a toujours été prise en compte. Il s'agit, notamment, de garantir des ouvertures de crédit au profit d'agents économiques. Ces mécanismes offrent aux établissements financiers une incomparable sûreté, au sens générique du terme, dans la mesure où un propriétaire se trouve évidemment dans la meilleure situation possible de sûreté.
La seconde finalité, très importante, est d'ordre familial ou même, tout simplement, humain. On n'est pas toujours disposé, par exemple, à recourir au droit des tutelles afin de prendre en considération la situation particulière de tel ou tel enfant, plus ou moins favorisé par la nature, que l'on veut pouvoir aider. Traditionnellement, dans les États inspirés par le droit anglo-saxon, mais aussi dans la quasi-totalité des États de l'Europe continentale, c'est également à cela que sert la fiducie ou le trust.
Or cette seconde finalité a été perdue de vue par le Gouvernement. De ce fait, il nous présente, sans justification convaincante, une version purement financière de la fiducie, qui permettra uniquement à des personnes morales, établissements de crédits et sociétés commerciales, d'être parties au dispositif. Bref, c'est une sûreté qui bénéficiera strictement au marché du crédit.
Or cela ne paraît nullement correspondre à la nécessaire modernisation dont je suis comme vous, monsieur le garde des sceaux, partisan, alors même que, à mes yeux, la fiducie n'est en aucune façon un monstre juridique par rapport à notre droit.
Vous dites que l'on crée la notion de patrimoine d'affectation. Or il s'agit simplement de prendre à l'intérieur d'un patrimoine des éléments déterminés pour les affecter à un usage particulier. Cela s'est toujours fait !
Quant à la finalité humaine de la fiducie, dont le caractère est si précieux, elle est escamotée plus pour des raisons qui tiennent à la défiance que pour des raisons véritablement juridiques : il y a une sorte d'obsession selon laquelle la fiducie servirait à la fraude, et c'est cela qui paralyse littéralement le progrès du droit. La fiducie est considérée comme l'instrument permettant je ne sais quel détournement de patrimoine ou escamotage, notamment en matière d'impôt sur la fortune. Il est certain que l'on ne peut pas avancer à partir d'un tel postulat !
Au demeurant, force est de constater que les professionnels de la fraude trouvent dans la situation qui prévaut actuellement à cet égard en Europe toutes les ressources nécessaires pour se livrer à ce genre d'escamotages. Nous en connaissons tous des exemples.
J'en reviens à la fiducie, telle que vous la concevez. Prenons les trois acteurs de cette convention. Tout d'abord, vous prétendez limiter les constituants aux personnes morales. Je ne peux pas comprendre pourquoi on interdirait aux personnes physiques de constituer, à l'intérieur de leur patrimoine, ce patrimoine d'affectation !
En effet, il n'y a pas de problème d'incapacité ici. Prenons l'exemple d'un patrimoine immobilier d'importance : pourquoi ne pas placer dans une fiducie des éléments de ce patrimoine ? Pourquoi excluez-vous du dispositif les personnes physiques ? Quelle fraude redoutez-vous ? Pourquoi consentir à une telle paralysie ?
Je n'ai pas besoin de dire, pour en revenir aux considérations que j'évoquais tout à l'heure, qui relèvent d'ailleurs de l'entretien plus que de la libéralité, qu'il est possible de prendre une partie d'un patrimoine d'actions pour l'affecter à l'entretien particulier de tel ou tel membre de la famille, moins avantagé que les autres à tous égards par la nature.
En ce qui concerne le constituant, comme M. Marini, comme la commission des lois, nous pensons qu'il ne faut pas avoir cette timidité, ce soupçon permanent. Il faut affirmer clairement que le constituant est une personne physique ou une personne morale ; n'excluons personne.
S'agissant du fiduciaire, nous rencontrons une difficulté. Au départ, on pourrait se demander, au vu des exemples étrangers, pourquoi exclure les personnes physiques compétentes et exerçant des professions qui garantissent leur rigueur et leur compétence. Mais si, comme la commission le souhaite, nous allons dans cette direction, nous nous heurtons à la frilosité des avocats, à ma surprise, je dois le dire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils ne veulent pas l'accepter !
M. Robert Badinter. Monsieur le garde des sceaux, une aimable pression aurait pu éventuellement les amener à reconsidérer une position qui ne me semble pas aller dans le sens de leur intérêt. Nous aurions sans doute pu trouver des voies d'accommodement. Mais s'ils ne veulent pas, on ne peut à l'évidence les contraindre.
Concernant les sociétés de professionnels, en particulier les notaires, pourquoi réduire ainsi le champ de compétence, pour, finalement, ne garder que des établissements financiers dont on connaît la liste ? Cela engendrera inévitablement une restriction du recours à la fiducie.
Certes, un pas en avant est fait, mais, selon moi, il n'est pas suffisant. Je regrette d'intervenir en premier. J'aurais souhaité que s'exprime en cet instant le véritable père de cette innovation, M. Marini. Au cours de nos débats, nous tenterons d'améliorer - je ne parle pas de quelques rectifications ou modifications de forme - ou de conserver l'équilibre atteint par la commission des lois. J'anticipe là ce que sera la position du Gouvernement ; nous verrons ce que décidera le Sénat.
Pour ma part, je salue cette innovation. Encore faut-il ne pas l'affliger d'une excessive timidité. Nous savons tous - même si nous ne nous en rendons pas assez compte - qu'aujourd'hui il existe en France un véritable marché du droit et que, si certaines places sont attractives, d'autres le sont moins. Il faut y penser, car, du point de vue économique, l'importance de ce marché du droit est considérable.
M. Philippe Marini. Absolument !
M. Robert Badinter. Récemment, aux Etats-Unis, j'ai pu mesurer ce que représente, en termes de prélèvement sur le PNB, le montant du marché du droit : il y a de quoi être stupéfié !
Négliger l'attractivité de ce que j'appellerai la place juridique de Paris est une erreur, même si cette tendance est en quelque sorte enracinée dans nos traditions. Il faut avoir le courage de le dire : la mondialisation existe, à nous de la maîtriser, d'en tirer les profits et faisons en sorte, ce qui est essentiel, que les avantages qui en sont tirés soient répartis conformément à la justice sociale. La répartition constitue, selon nous, la clef de voûte.
Enfin, je dirai à M. Marini que si ce qu'il nous a présenté était plus attractif que ce qui sera retenu, je le regretterais. Je souhaite, pour ma part, que le Sénat conserve à sa proposition les belles couleurs que la commission a su lui donner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, mes chers collègues, ceux qui m'ont précédé à cette tribune ont eu l'occasion de rappeler que la fiducie, connue du droit romain, a été introduite depuis longtemps dans le droit de plusieurs pays de tradition civiliste. Ils ont également rappelé que toutes les tentatives d'introduction de cette institution en droit français, depuis 1992, surtout, mais même depuis 1989, ont échoué, au motif principal qu'elle remettait en cause le principe de l'unicité du patrimoine.
Cependant, force est de constater que cette situation ne préjuge en rien de l'utilité et de la nécessité de ce dispositif, notamment en matière d'efficacité économique et de gestion du patrimoine. L'absence de la fiducie, il faut en être conscient, constitue aujourd'hui un handicap en termes d'attractivité pour notre pays.
Comme M. Henri de Richemont l'a souligné dans son rapport très complet mais aussi très subtil - car la tâche n'était pas facile -, si la fiducie était réellement introduite en droit français, elle constituerait une innovation juridique considérable permettant de faciliter la constitution de sûretés et la gestion de biens pour le compte d'autrui.
Certes, des dispositifs tendent déjà à initier un semblant de fiducie. Je pense notamment à la titrisation, au prêt sur titres, au réméré, et aux cessions de créances, que l'on appelle « cessions-Dailly ». Cependant, ces dispositifs restent cantonnés à des domaines particuliers du droit.
En outre, la fiducie permettrait utilement de concurrencer le trust anglo-saxon, auquel un certain nombre de nos entreprises, cherchant à assurer des opérations de financement complexes, ont recours, puisque notre droit national n'offre pas ce genre d'instrument et que nos frontières, en matière juridique et financière, sont totalement perméables.
L'utilité d'un tel dispositif n'est donc pas discutable et nous saluons de façon unanime - du moins, je l'espère - l'initiative de M. Philippe Marini, dont la perspicacité, les qualités de rédacteur mais aussi de négociateur avec un certain nombre d'administrations nous permettent de discuter du sujet ce soir.
Pour ma part, je voudrais insister sur deux conditions qui me semblent impératives pour rendre le dispositif de la fiducie réellement opérant et pour lui donner un véritable intérêt sur le plan économique et sur le plan juridique.
Ces deux conditions sont reprises dans le texte adopté par la commission et ne devraient pas être remises en question. En premier lieu, le texte qui nous est présenté prévoit un cadre juridique unitaire pour la fiducie, en n'opérant pas de distinction entre la fonction de gestion et la fonction de sûreté que pourraient assigner les parties au contrat de fiducie. En second lieu, le texte ouvre ce mécanisme juridique tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales, quel que soit, d'ailleurs, le mode d'imposition de ces dernières.
Ces deux caractères nous apparaissent comme étant d'autant moins discutables que de très nombreuses garanties ont été prévues ou ajoutées par la commission des lois.
Je tiens notamment à rappeler que toute utilisation de la fiducie à des fins de libéralités est interdite dans cette proposition de loi et que le constituant reste le seul redevable des droits d'enregistrement, des taxes de publicité foncière ainsi que des impôts directs, nonobstant le transfert intervenu, permettant ainsi d'assurer la totale neutralité fiscale du dispositif.
Nous avons eu le souci, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, d'assurer un maximum de sécurité au dispositif. Ainsi, le texte prévoit que la qualité de fiduciaire est réservée à des personnes soumises à de strictes règles de contrôle et de transparence et offrant des garanties de solvabilité. Il prévoit également que le constituant a la possibilité de nommer celui que l'on a appelé sans doute un peu rapidement un « protecteur » de la fiducie - je sais que M. Badinter proposera une autre dénomination -, du moins une tierce personne chargée de s'assurer de la préservation de ses intérêts. Le texte prévoit, enfin, l'instauration de mécanismes de contrôle et de sanction efficaces contre les utilisations de la fiducie à des fins illicites, puisque telle est toujours la crainte sous-jacente dès lors qu'il est question de fiducie.
Compte tenu de toutes ces garanties, et sans préjuger de ce que sera la réforme des tutelles - que nous attendons - en ce qui concerne la gestion des biens des personnes vulnérables, restreindre la qualité de constituant aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés serait extrêmement réducteur et diminuerait nettement la portée et l'utilité de ce texte novateur. Or ce texte milite pour une plus grande efficacité économique, objectif auquel le Gouvernement ne peut que souscrire.
En effet, si le texte qui nous est soumis était modifié dans le sens annoncé par le Gouvernement, il exclurait la qualité de constituant pour les personnes physiques mais aussi pour les sociétés civiles non soumises à l'impôt sur les sociétés.
De la même façon, nous ne pouvons pas abandonner l'utilisation de la fiducie à des fins de gestion, encore une fois pour des raisons de liberté contractuelle et, surtout, d'efficacité économique, alors que toutes les garanties nécessaires pour lutter contre l'évasion fiscale et le blanchiment de capitaux ont été prises.
Il ne faut pas, aujourd'hui, se tromper d'objectif. La présente réforme du droit français ne vise pas à créer un gadget pour faire plaisir à quelques financiers de haut vol ou juristes internationaux. Elle tend à nous procurer des atouts et de nouvelles possibilités juridiques afin que nous fassions jeu égal avec la concurrence internationale.
L'attractivité de notre territoire dépend non seulement de la législation fiscale et du coût du travail, mais aussi des possibilités et des garanties offertes par notre système juridique - M. Badinter et Mme le ministre ont parlé du « marché du droit » : il est réel et se diffuse de plus en plus - en termes de création d'entreprise, de gestion et d'investissements internationaux.
Vous l'aurez compris, restreindre la fiducie aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, dans un contexte européen, suscitera une grande déception pour la majorité d'entre nous.
Il est vrai que, pour être acceptée, une réforme d'envergure ne peut se faire que par étapes.
M. François Zocchetto. S'il est un dispositif qui doit reposer sur la confiance, c'est bien la fiducie.
M. François Zocchetto. Par ailleurs, nous sommes lucides, nous connaissons les contraintes du calendrier parlementaire, liées aux caractéristiques de notre Constitution. Nous imaginons donc très bien ce qui pourrait arriver si l'examen de ce texte prenait un peu de retard - je ne vais pas reprendre le terme de « malédiction » ! - ou si tout n'était pas fait par les uns et par les autres pour qu'il soit poursuivi dans les semaines à venir.
Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, nous serons donc évidemment très attentifs à ce que nous vous confirmiez l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il convient à tout le moins que nous contribuions ce soir à faire franchir une première étape au dispositif de la fiducie, de façon que de nouvelles étapes puissent être franchies le plus rapidement possible, au bénéfice des investissements et de l'emploi sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat a pour rôle de contribuer à l'élaboration de la loi et, par là même, à la modernisation de notre système juridique et à l'attractivité juridique de notre territoire.
Nous nous sommes efforcés d'agir en ce sens à différentes reprises. Ainsi, la récente transposition de la société européenne en droit français provient d'une initiative parlementaire du Sénat, menée conjointement par la commission des lois et par la commission des finances.
En ce qui concerne la fiducie, nous espérons également aboutir, dans les prochains mois, au moins à l'acclimatation de ce concept en droit français. À cet égard, j'insisterai d'abord sur l'historique récent, en déroulant la liste des tentatives sur ce sujet.
Le premier avant-projet de loi date de 1989 : il a été soumis à consultation, sans accéder au stade de projet de loi.
Le projet de loi du 20 février 1992 se voulait plus ambitieux et exhaustif : il consacrait plus explicitement la fiducie-sûreté et complétait opportunément l'avant-projet précédent. C'est en raison d'un désaccord sur les dispositions fiscales, interne aux administrations, que ce texte est resté en sommeil.
Un dernier avant-projet de loi a été présenté au début de 1995, mais son examen s'est arrêté au stade du Conseil d'État.
Depuis lors, plus aucune initiative n'a émergé des cercles gouvernementaux, quelle qu'ait été la majorité politique aux affaires. Au demeurant, mes chers collègues, les propos que nous avons entendus depuis le début de ce débat montrent qu'il n'y a pas d'idéologie dans cette affaire. Aussi bien nos collègues Robert Badinter et François Zocchetto que Mme le ministre et M. le garde des sceaux ont insisté sur ce point : il s'agit bien de technique juridique, d'un concept juridique et, au-delà, d'un moyen pour renforcer l'attractivité de notre système juridique.
Pour ma part, j'ai considéré, au second semestre 2004, voyant le temps passer, qu'il fallait faire quelque chose. J'ai donc pris l'initiative, de manière informelle, de convier à une série de réunions des universitaires, des directeurs juridiques, des avocats, des représentants d'organisations d'entreprises, afin de reprendre ce sujet et d'écouter les remarques des uns et des autres en vue de la rédaction d'une proposition de loi.
Entre-temps, il faut le dire, la fiducie s'est, de manière « innommée », introduite chaque jour un peu plus dans notre système juridique, au travers de plusieurs instruments : le gage de compte d'instruments financiers, la réserve de propriété, la convention de portage, certains modes de cession de créances comme les cessions qui portent le nom de notre ancien et remarquable collègue Etienne Dailly, ainsi que les fonds communs de créances. Tout cela est proche du concept de fiducie, mais résulte de législations ou de réglementations parcellaires et spécifiques.
De la même manière, d'ailleurs, il est bon d'indiquer que notre pays a signé le 26 novembre 1991 la convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, il faudra bien un jour ratifier cette convention, mais c'est, bien sûr, un autre sujet !
Monsieur Clément, votre prédécesseur, M. Dominique Perben, a bien voulu, après le dépôt de ma proposition de loi en février 2005, réunir au printemps de la même année un groupe de travail auquel j'ai été associé et qui m'a auditionné. Il a rassemblé des personnes de grand talent et de grande compétence et il a entendu les différents points de vue. Il a représenté, pour la première fois, une approche à caractère interministériel. Si je ne me trompe, les résultats de ce groupe ont été extrêmement proches des principales options figurant dans ma proposition de loi.
À ce stade, je voudrais remercier le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, qui a accepté d'inscrire ce thème à l'ordre du jour du séminaire gouvernemental sur la compétitivité de mai 2006. Depuis lors, nous avons pu faire cheminer le projet.
Comme il se doit, la commission des lois a reçu pleine compétence pour expertiser cette innovation. Je suis heureux de saluer ses efforts et de remercier tout particulièrement son président, Jean-Jacques Hyest, ainsi que son rapporteur, notre excellent collègue Henri de Richemont.
M. Philippe Marini. La lecture du rapport écrit le prouve, l'analyse a en effet été menée en profondeur et en peu de temps : le nombre d'auditions a été considérable et la nécessaire pluralité des approches a été respectée. Ainsi, le travail de synthèse qui nous est soumis nous permet, enfin, d'introduire dans notre droit la fiducie « à la française ».
J'insisterai donc, d'abord, sur les principes que j'ai retrouvés dans les conclusions de la commission des lois et qui sont identiques à ceux que j'avais moi-même proposés, puis sur les novations qui ont été opportunément introduites par cette commission. J'en viendrai, ensuite, au point en débat, c'est-à-dire à l'extension à donner à ce nouveau régime juridique, avant de conclure sur quelques indications concrètes relatives aux utilisations que nous pourrons faire, je l'espère, de ce concept de fiducie à la française.
En ce qui concerne les principes communs, je les citerai en quelques mots : prohibition de la fiducie à des fins de transmission d'un patrimoine à titre gratuit ; ouverture de la qualité de constituant aux personnes physiques comme aux personnes morales ; neutralité fiscale par l'imposition du constituant, la fiducie étant une institution totalement transparente sur le plan fiscal.
Ainsi, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, le constituant demeure fiscalement titulaire des droits mis en fiducie et est donc, à ce titre, redevable de l'impôt. Cela permet d'évacuer tout débat et tout soupçon sur le risque d'évasion fiscale en la matière.
Par ailleurs, certaines novations ont été, à mon sens, très opportunément introduites par la commission des lois et, en particulier, par son rapporteur.
Il s'agit, en premier lieu, d'un régime « unitaire » pour la fiducie, qui n'opère pas de distinction entre la fonction de sûreté et la fonction de gestion.
Il s'agit, en deuxième lieu, du recours aux principes du droit commun, pour ménager un espace aussi vaste que possible à la liberté contractuelle et pour limiter autant que faire se peut les dispositions impératives.
Il s'agit, en troisième lieu, de la limitation du droit de poursuite des créanciers au seul patrimoine fiduciaire.
Il s'agit, en quatrième lieu, de l'introduction de différents points techniques de nature à accroître les garanties : la consécration du recours en droit français à un « agent des sûretés », particulièrement utile pour les crédits syndiqués qui sont aujourd'hui placés en règle générale sous le régime britannique, ou l'instauration de la faculté pour le constituant de nommer, quelle que soit sa dénomination définitive, un « protecteur » de la fiducie chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts et, surtout, de la conformité aux objectifs et aux finalités qu'il souhaite.
S'agissant, mes chers collègues, du point qui fait encore débat, la commission des lois, notamment son rapporteur, propose un arbitrage qui me semble équilibré.
D'un côté, elle accepte de limiter la qualité de fiduciaire aux seuls organismes financiers réglementés et soumis à un régime strict de lutte contre le blanchiment des capitaux, c'est-à-dire les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Contrairement à ce qui est indiqué dans ma proposition de loi, la commission a estimé qu'à l'heure actuelle des éléments importants font défaut pour que la qualité de fiduciaire soit ouverte à toute personne physique ou morale et qu'il est nécessaire de limiter cette qualité à des personnes soumises à des règles de contrôle et de transparence strictes et présentant des garanties réelles en termes de solvabilité.
Toutefois, la commission des lois souhaite qu'une réflexion soit engagée, si j'ai bien compris, dans un avenir proche, afin d'aboutir à une extension rapide aux professions juridiques réglementées, pour autant que ces dernières soient associées à ce mouvement. À l'instar de M. Badinter, j'espère que la réflexion sera mise à profit pour qu'une telle ouverture soit obtenue aussi rapidement que possible, car celle-ci serait véritablement conforme aux intérêts bien compris des professions en question.
Dans le cadre de cet équilibre, la commission des lois préconise l'ouverture de ce nouveau mécanisme juridique qu'est l'institution fiduciaire tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Comme cela a été souligné, il est vrai que la fiducie doit d'abord constituer dans les relations d'affaires commerciales et financières internationales un outil utile pour permettre de réaliser des opérations qui ne peuvent se faire actuellement que par le biais du trust anglo-saxon.
Parmi bien d'autres exemples, je prendrai celui du groupe Alstom, qui est certainement significatif, voire emblématique : dans le cadre de sa récente restructuration, ce groupe a été conduit à créer un trust anglo-saxon, alors même que l'État venait d'entrer dans son capital.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument ! Il y a aussi Peugeot !
M. Philippe Marini. Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, sur le fond des choses, je partage le sentiment qui a été largement exprimé tant par la commission des lois que par MM. Badinter et Zocchetto. Pour autant, pacta sunt servanda : il vaut mieux privilégier un mouvement qui soit sérieusement entamé, qui a des conséquences concrètes, comme je vais m'efforcer de le montrer en conclusion, plutôt que de voter pour un objet juridique plus proche de l'idéal, mais dont la concrétisation risquerait fort de se heurter...
M. Philippe Marini. ...à des inconvénients, des incompréhensions et des aléas qui seraient susceptibles de compromettre son chemin.
J'accepte donc, par avance, de me rallier aux amendements du Gouvernement portant sur le champ du constituant, tout en souhaitant que le débat ne soit pas clos pour autant et qu'il soit possible, au vu de l'expérience, de revenir sur cet aspect important.
Il faut rappeler que les enjeux en la matière sont réels, en termes de compétitivité de nos centres de décision.
Vous savez, mes chers collègues, que le Sénat a souhaité créer une mission d'information, commune à trois commissions, sur la notion de centre de décision économique. En effet, un très grand nombre de conséquences, pour l'ensemble des professions de services, mais aussi pour l'emploi et l'investissement, sont liées à la capacité de maintenir, de retenir, de développer et de multiplier sur notre territoire des centres de décision économique.
Aujourd'hui, bien des opérations financières d'envergure échappent au droit français alors même qu'elles concernent des sociétés ou des groupes de sociétés qui peuvent être qualifiés, sans abus de langage, de français, ou dont les sièges sont situés en France.
En l'absence de mécanismes fiduciaires à large champ d'application en droit français, bien des sociétés cherchent dans les panoplies de droits étrangers ce dont elles ne disposent pas dans notre propre droit, ce qui se traduit par des transferts de fonds de la France vers l'étranger, mouvements eux-mêmes générateurs d'activités économiques et financières hors de notre pays.
Je citerai six exemples concrets d'utilisation possible de la fiducie, telle qu'elle serait définie si nous adoptions les amendements du Gouvernement.
Il s'agit, premièrement, de la création de structures permettant de garantir des engagements futurs, tels que des engagements de retraite ou des engagements financiers liés à la dépollution de sites industriels ; des montants considérables de capitaux sont en jeu.
Le deuxième exemple concerne la mise en place d'opérations d'épargne salariale. Certains droits étrangers ne connaissent pas nos systèmes de fonds communs de placement d'entreprises : la fiducie peut constituer un instrument permettant d'assurer de telles opérations dans le cadre d'un actionnariat direct.
Troisième exemple : la création d'une structure ad hoc de gestion de participations au sein d'un groupe de sociétés rendrait inutile la création d'une société holding possédant son propre actionnariat. Grâce à cette fiducie de type contractuel, on pourrait donc aboutir au même résultat qu'avec la holding, tout en évitant les lourdeurs administratives qui y sont afférentes.
Le quatrième exemple concerne la création d'une structure de gestion dans le cadre d'un rapprochement d'entreprises. Si une opération de concentration se produit, mais est conditionnée par la décision d'une autorité publique, l'autorité communautaire de la concurrence, par exemple, la société acquise pourra être gérée temporairement dans le cadre d'une fiducie, afin que cette gestion s'effectue indépendamment du nouvel actionnaire.
Le cinquième exemple est la création d'une structure de defeasance : un ensemble de dettes et d'actifs sont transférés à un fiduciaire chargé du service de la dette.
Quant au sixième exemple, qui est largement appliqué, nous l'avons tous à l'esprit, il concerne la capacité de créer une structure permettant d'isoler un ensemble d'actifs à titre de sûreté.
Cette liste d'exemples vous montre que, dans le domaine du droit économique, financier et commercial, la fiducie a un large rôle à jouer.
En conclusion, je forme le voeu que nous parvenions à concrétiser rapidement cette avancée. En effet, si nous avions pris cette mesure il y a quinze ans, la compétitivité de notre droit et la localisation des centres de décision sur notre territoire seraient certainement plus proches de nos ambitions. Il n'y a donc pas de temps à perdre.
Je vous demande donc, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, de nous donner toutes les assurances nécessaires de la volonté du Gouvernement - dès lors que, dans un souci de réalisme, nous partagerions en tout point son approche - d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, afin qu'il soit intégré le plus vite possible dans notre droit positif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. François Zocchetto applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Marini, d'inspiration gouvernementale...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !
Mme Josiane Mathon-Poinat. ...et concoctée de nouveau par M. le rapporteur, a pour objet d'introduire la fiducie dans le droit français et de permettre ainsi le transfert de biens ou de droits du patrimoine d'une personne, le constituant, vers celui d'une autre personne, le fiduciaire, pour le bénéfice d'une troisième, le bénéficiaire.
La fiducie trouve son origine lointaine dans une institution juridique du droit romain. Elle avait alors une triple fonction : la gestion d'un patrimoine pour pallier l'inexistence en droit romain de certains contrats, tels que les contrats de dépôt ou de prêt d'usage ; la transmission d'un patrimoine pour léguer un patrimoine à une personne déterminée, à charge de le remettre à un tiers, mécanisme utilisé pour éviter certains obstacles juridiques à la gratification directe d'un héritier ou légataire ; la garantie d'une créance pour transférer à un créancier la propriété d'un bien qu'il s'engageait à restituer lorsque le débiteur avait acquitté la dette, que l'on peut définir en quelque sorte comme la naissance du gage ou de l'hypothèque.
La fiducie connut encore un certain succès au Moyen Âge, à l'époque des Croisades. Elle permettait aux seigneurs de transmettre la propriété de leur domaine à un tiers, à charge pour celui-ci de le lui restituer à son retour, ou de le remettre à ses héritiers s'il venait à périr en Terre sainte.
La fiducie s'est maintenue quelque temps dans notre ancien droit, sous la forme d'affidiation en matière de libéralités à cause de mort, comme un engagement pris par un héritier ou un légataire de gérer le bien du défunt, puis de le restituer à un tiers. Mais elle a ensuite été totalement ignorée de notre code civil.
La fiducie a en revanche connu un succès considérable dans les droits anglo-saxons, sous la forme de trust.
Le trust est l'acte par lequel une personne transfère des biens à une autre personne, afin que cette dernière les administre ou en dispose d'une manière déterminée en faveur d'un ou plusieurs tiers. Il aboutit à séparer la gestion et le contrôle de biens de la jouissance des profits que ceux-ci procurent. Ce système est largement utilisé dans l'ensemble des pays de common law.
Le droit français, sans pour autant l'institutionnaliser, utilise cependant ce système sous de multiples formes, telles que les fonds communs de placement, ou fiducie-gestion, les fondations, ou fiducie-libéralité, et la cession de créances professionnelles à titre de garantie, couramment appelée « cession-Dailly », ou fiducie-sûreté.
À trois reprises - en 1989, 1992 et 1994 -, le législateur français a tenté d'introduire la fiducie dans le code civil. L'échec de ces réformes peut aisément s'expliquer par la crainte que la fiducie ne soit utilisée comme un instrument de dissimulation fiscale ou comme un outil qui faciliterait le blanchiment d'argent.
Le risque en matière de blanchiment de capitaux existe en effet bel et bien. Il a d'ailleurs été relevé lors de la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment des 7 et 8 février 2002.
Il était ainsi souligné dans la déclaration finale de cette conférence : « Une lutte efficace contre le blanchiment et la délinquance financière impose de pouvoir reconstituer l'historique des mouvements de capitaux. La traçabilité des opérations et des donneurs d'ordre est donc un objectif prioritaire mais elle se heurte à plusieurs obstacles, parmi lesquels l'opacité de certaines entités juridiques - fiducies, établissements, fondations, sociétés en commandite ».
A priori, la proposition de loi prend en compte les préconisations de cette conférence pour éviter tout risque en matière de blanchiment. Les dispositions du code monétaire et financier ainsi que celles du code pénal relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux seront automatiquement applicables. Quant à l'établissement de crédit ouvrant un compte au nom du fiduciaire, il devra s'assurer de l'identité réelle des bénéficiaires et de la licéité de certaines sommes.
Mais si le fiduciaire est lui-même un établissement de crédit, le contrôle sera-t-il vraiment efficient et objectif ?
La fiducie apparaît malheureusement comme un cadre propice à d'éventuels abus en matière de dissimulation fiscale et de blanchiment, rendus notamment possibles aussi longtemps que le secret bancaire ne sera pas levé.
La situation serait la même si la fiducie était étendue aux personnes physiques, comme le souhaite la commission : la tentation serait grande pour les détenteurs de gros patrimoines d'utiliser la fiducie comme un montage financier fiscalement lucratif.
Notre crainte est confirmée par les dispositions du texte selon lesquelles seuls pourront être fiduciaires les établissements de crédit, les sociétés d'assurances ou les entreprises d'investissements.
Plus généralement, que permettra l'introduction dans notre droit de la fiducie ?
Les petites entreprises, qui connaissent des difficultés, seront tentées de confier une partie de leur patrimoine à des organismes financiers, voire incitées à le faire. Le risque est donc réel qu'elles se trouvent littéralement dépouillées de leurs actifs au profit de grands groupes.
Par ailleurs, nous sommes plus que réservés à l'idée que la fiducie puisse être détournée à des fins de tutelle auprès de personnes vulnérables. Bien que non prévue par la proposition de loi d'origine, cette forme plus ou moins parallèle de tutelle était déjà envisagée par M. Philippe Marini dans son exposé des motifs.
La commission des lois a décidé d'étendre explicitement la fiducie aux personnes physiques. Elle estime en effet qu'il n'y a pas lieu d'exclure d'office du dispositif les personnes physiques qui pourraient utiliser ce mécanisme afin de constituer des sûretés ou de gérer leur patrimoine.
Nous sommes, sur ce point, doublement embarrassés.
D'une part, cette proposition de loi, si elle était adoptée dans les termes souhaités par la commission, entraînerait la création d'un substitut de tutelle qui serait exercée par des organismes financiers en dehors de tout contrôle du juge.
Nous ne pouvons bien évidemment souscrire à un tel dispositif. Selon nous, les établissements de crédit ou les sociétés d'assurances ne sont pas les personnes morales les plus compétentes pour apporter un soutien à des personnes vulnérables, qui éprouvent justement de grandes difficultés à gérer leurs biens et leurs relations avec leur établissement bancaire. Un tel mécanisme nous semble donc dangereux pour ces personnes en difficulté et il est pour le moins inadapté.
D'autre part, nous attendons du Gouvernement qu'il nous présente prochainement une réforme du régime des tutelles. Cette réforme est d'ailleurs très attendue tant par les familles et les associations que par le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui demande un examen imminent de ce texte. Quant au Conseil économique et social, il souhaite voir aboutir rapidement cette réforme.
Tous, qu'ils soient concernés de près ou de loin par cette réforme, demandent le renforcement des droits de la personne placée sous tutelle et des contrôles sur ses biens, bref, qu'elle soit replacée au centre du système de protection.
Certes, il n'est pas prévu que la fiducie s'applique aux personnes pouvant relever de la tutelle ou de la curatelle. Néanmoins, le texte risque de déséquilibrer le rapport de force qui existe entre le fiduciaire et la personne physique, au détriment de cette dernière. L'esprit de la présente proposition de loi est fort éloigné de celui qui doit animer la nécessaire réforme du régime des tutelles.
Le dispositif proposé ne présente pas les garanties suffisantes qui permettraient d'affirmer que la personne concernée est protégée contre d'éventuels abus de gestion de la part du fiduciaire. En tout état de cause, ces personnes n'ont pas, par définition, les moyens d'exercer un contrôle sur la gestion de leurs biens, et ce texte ne les protège pas suffisamment.
Notre position est claire : les ambiguïtés du régime de la fiducie tel qu'il nous est présenté nous conduisent logiquement à voter contre cette proposition de loi, largement modifiée par la commission. En effet, ni le texte initial de M. Marini ni celui de M. le rapporteur, même modifié par les amendements du Gouvernement, ne nous satisfont. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Au terme de ce débat très riche, qui concerne un sujet difficile mais porteur d'avenir, je souhaite faire quelques observations.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez longuement évoqué l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous souhaitons bien entendu que cette ordonnance puisse être ratifiée dans les meilleurs délais, car nous sommes extrêmement attentifs aux innovations qu'elle contient, notamment le crédit garanti par une hypothèque rechargeable.
La commission des lois de l'Assemblée nationale avait souhaité que le cautionnement ne soit pas intégré. Sans doute faudra-t-il se pencher aussi sur ce problème.
La mention des sûretés à l'article 16 ne saurait valoir ratification implicite.
Monsieur Badinter, j'ai trouvé votre intervention excellente, sauf sur un point. Quand vous déplorez que tel texte n'ait pas été examiné par le Conseil d'État, que faites-vous de l'initiative parlementaire ? Faut-il vous rappeler que le législateur a aussi la capacité de faire des propositions ? Je partage au moins un souvenir avec Philippe Marini, celui d'avoir vu le Parlement à l'origine de la société européenne, elle aussi source d'attractivité du droit français. Il fallait quand même le faire, et cela a été fait grâce à l'initiative parlementaire. On pourrait donner d'autres exemples. De ce point de vue, le Parlement, le Sénat en particulier, est dans son rôle.
Notre commission souhaitait étendre largement la fiducie aux personnes physiques. Les plus ardents partisans de la fiducie étaient hostiles au mandat posthume, ce qui me paraît intellectuellement contestable puisque les deux dispositifs vont un peu dans le même sens. Et, même si comparaison n'est pas raison, je pense qu'il doit y avoir un certain parallélisme.
Quoi qu'il en soit, il est évident que certains obstacles fiscaux, certains sujets tabous doivent être levés. Le débat ne serait pas tout à fait le même aujourd'hui si certaines craintes étaient dissipées. Voulez-vous que je vous le dise clairement, s'il n'y avait pas un impôt qui paraît de plus en plus contestable,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ...nous ne nous poserions pas les mêmes questions sur le risque de détournement !
Les exemples donnés par M. le rapporteur, d'ailleurs repris par M. Marini, le prouvent : même limitée aux personnes morales, la fiducie présente un intérêt non négligeable pour les sociétés, pour les sûretés, certes, mais aussi pour la gestion.
Il est évident, monsieur le garde des sceaux, que nous poursuivrons la réflexion en ce qui concerne l'extension du dispositif aux personnes physiques. La prochaine réforme des tutelles nous en donnera peut-être l'occasion.
Dans ce domaine, les expériences n'ont pas manqué. Monsieur le garde des sceaux, vous vous souvenez des obstacles que nous avions rencontrés en 1992 - vous étiez alors membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale - et qui ne nous ont pas permis d'aboutir. Aujourd'hui, nous avons une chance de faire progresser les choses en adaptant cette notion de fiducie dans le droit français. Ne serait-ce que pour cela, notre travail ne sera pas inutile, à condition, monsieur le garde des sceaux, que le texte soit définitivement adopté avant la fin de la législature. (M. Philippe Marini applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je remercie l'ensemble des intervenants et souligne au passage à Mme Mathon-Poinat qu'il s'agit bien d'une proposition de loi, et non d'un projet de loi déguisé que nous aurions voulu soustraire de la voie traditionnelle du Conseil d'État. Toute la difficulté de l'exercice tient au fait qu'un ministère bien connu de nous a toujours considéré que ce type de concept juridique qu'est la fiducie comporte des risques de non neutralité fiscale. C'est ce qui explique le retard formidable pris avant d'adopter ce moyen, pourtant indispensable pour un grand pays.
Comme M. Marini l'a fait observer, cet outil juridique est d'ailleurs tellement utile que, récemment, une grande affaire française est allée faire son montage à Londres au vu et au su de tous. Et tout le monde a trouvé cela très bien ! Sauf que si nous ne sommes pas capables de répondre aux besoins de nos grandes entreprises, qu'on le dise, et elles seront de moins en moins nombreuses à avoir leur siège social à Paris ! Nous savons d'ailleurs combien d'entreprises inscrites au CAC 40 nous menacent de quitter le territoire national si nous ne mettons pas à leur disposition, outre les outils juridiques, les outils fiscaux adéquats - que je laisse à Christine Lagarde le soin de présenter. Et tout le monde sait que nous en sommes fort loin !
Cette fois-ci, mesdames, messieurs les sénateurs, nous tenons le bon bout.
D'abord, je crois comprendre qu'un accord se dessine pour limiter la fiducie aux personnes morales, évitant ainsi de prêter le flanc à la critique sur le thème de l'évasion fiscale ou du détournement de l'impôt de solidarité sur la fortune.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Il n'y a pas de risque !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pour les personnes physiques, on verra plus tard. Laissons à d'autres époques le soin de faire évoluer les choses !
Ensuite, il est clair que l'application du principe de la neutralité fiscale, évidemment fondamentale aux yeux de Bercy, veut qu'il revienne au constituant, et non au fiduciaire, de payer l'impôt.
Voilà les deux points fondamentaux qui nous permettent selon moi de prospérer.
Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous en donne l'assurance : si ce texte est voté dans l'esprit que vous avez les uns et les autres décrit, il devrait être très vite inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et, ainsi, s'intégrer dans notre droit. Ce serait un grand progrès.
Alors, de grâce, que l'obsession fiscale ne vienne pas mettre de bâtons dans les roues de ce débat ! Il n'y a pas, madame Mathon-Poinat, la moindre envie de détourner quoi que ce soit. Les nouveaux moyens prévus dans la loi portant réforme des successions et des libéralités et dans l'ordonnance sur les sûretés viennent répondre aux objections de ceux qui souhaitent l'extension de la fiducie aux personnes physiques. Ainsi, tout est réuni pour faire évoluer le droit français. J'en remercie par avance le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
CHAPITRE Ier
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Article 1er
Il est rétabli, dans le livre troisième du code civil, un titre XIV intitulé : « De la fiducie », comprenant les articles 2011 à 2030 ainsi rédigés :
« TITRE XIV
« DE LA FIDUCIE
« Art. 2011. - La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires.
« Art. 2012. - La fiducie est établie par la loi ou par contrat. Elle doit être expresse.
« Art. 2013.- Le contrat de fiducie est nul s'il procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité est d'ordre public.
« Art. 2014. - Seuls peuvent avoir la qualité de fiduciaires les établissements de crédit mentionnés à l'article L. 511-1 du code monétaire et financier, les institutions et services énumérés à l'article L. 518-1 du même code, les entreprises d'investissement mentionnées à l'article L. 531-4 du même code ainsi que les entreprises d'assurance régies par l'article L. 310-1 du code des assurances.
« Art. 2015. - Le constituant ou le fiduciaire peut être le bénéficiaire ou l'un des bénéficiaires du contrat de fiducie.
« Art. 2016. - Sauf stipulation contraire du contrat de fiducie, le constituant peut, à tout moment, désigner un protecteur chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts dans le cadre de l'exécution du contrat et qui peut disposer des pouvoirs que la loi accorde au constituant.
« Art. 2017. - Le contrat de fiducie détermine, à peine de nullité :
« 1° Les biens, droits ou sûretés transférés. S'ils sont futurs, ils doivent être déterminables ;
« 2° La durée du transfert, qui ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans à compter de la signature du contrat ;
« 3° L'identité du ou des constituants ;
« 4° L'identité du ou des fiduciaires ;
« 5° L'identité du ou des bénéficiaires, ou à défaut les règles permettant leur désignation ;
« 6° La mission du ou des fiduciaires et l'étendue de leurs pouvoirs d'administration et de disposition.
« Art. 2018. - À peine de nullité, le contrat de fiducie et ses avenants sont enregistrés dans le délai d'un mois à compter de leur date au service des impôts du siège du fiduciaire, ou au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n'est pas domicilié en France.
« Lorsqu'ils portent sur des immeubles ou des droits réels immobiliers, ils sont, sous la même sanction, publiés dans les conditions prévues aux articles 647 et 657 du code général des impôts.
« La transmission des droits résultant du contrat de fiducie et, si le bénéficiaire n'est pas désigné dans le contrat de fiducie, sa désignation ultérieure doivent, à peine de nullité, donner lieu à un acte écrit enregistré dans les mêmes conditions.
« Art. 2019. - Un registre national des fiducies est constitué selon des modalités précisées par décret en Conseil d'État.
« Art. 2020. - Lorsque le fiduciaire agit pour le compte de la fiducie, il doit en faire expressément mention.
« De même, lorsque le patrimoine fiduciaire comprend des biens ou des droits dont la mutation est soumise à publicité, celle-ci doit mentionner le nom du fiduciaire ès qualité.
« Art. 2021. - Le contrat de fiducie définit les conditions dans lesquelles le fiduciaire rend compte de sa mission au constituant. Le fiduciaire rend compte de sa mission au bénéficiaire et au protecteur désigné en application de l'article 2016, à leur demande, selon une périodicité fixée par le contrat.
« Art. 2022. - En cas de disparition du constituant en cours d'exécution du contrat de fiducie, le fiduciaire peut demander la révision du contrat dans les conditions prévues aux articles 900-2 à 900-7.
« Art. 2023. - Dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire, à moins qu'il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs.
« Art. 2024. - L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n'affecte pas le patrimoine fiduciaire.
« Art. 2025. - Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d'un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine.
« En cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire.
« Le contrat de fiducie peut également limiter l'obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire. Une telle clause n'est opposable qu'aux créanciers qui l'ont expressément acceptée.
« Art. 2026. - Le fiduciaire est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission.
« Art. 2027. - Si le fiduciaire manque à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés, le constituant, le bénéficiaire ou le protecteur désigné en application de l'article 2016 peut demander en justice la nomination d'un fiduciaire provisoire ou solliciter le remplacement du fiduciaire. La décision judiciaire faisant droit à la demande emporte de plein droit dessaisissement du fiduciaire.
« Art. 2028. - Le contrat de fiducie peut être révoqué par le constituant tant qu'il n'a pas été accepté par le bénéficiaire.
« Après acceptation par le bénéficiaire, le contrat ne peut être modifié ou révoqué qu'avec son accord ou par décision de justice.
« Art. 2029. - Le contrat de fiducie prend fin par la survenance du terme ou la réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme.
« Il prend également fin de plein droit si le contrat le prévoit ou, à défaut, par une décision de justice, si, en l'absence de stipulations prévoyant les conditions dans lesquelles le contrat se poursuivra, la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie. Il en va de même si le fiduciaire fait l'objet d'une liquidation judiciaire ou d'une dissolution, ou disparaît par suite d'une cession ou d'une absorption.
« Art. 2030. - Lorsque le contrat de fiducie prend fin en l'absence de bénéficiaire, les droits, biens ou sûretés présents dans le patrimoine fiduciaire font de plein droit retour au constituant.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 2011 du code civil, remplacer le mot :
opération
par le mot :
contrat
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'un problème de terminologie et d'amélioration rédactionnelle. Plutôt que le terme d'« opération », très générique et source d'équivoque, peu souhaitable dans ce domaine, mieux vaut appeler la fiducie par sa véritable dénomination, celle de « contrat ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. En effet, M. Badinter ne nous propose pas de supprimer l'article 2012 du code civil, qui dispose que la fiducie est établie par la loi ou par contrat. Dès lors, le mot « opération » est approprié.
M. le président. Monsieur Badinter, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Robert Badinter. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Après le texte proposé par cet article pour l'article 2013 du code civil, insérer un article 2013-1 ainsi rédigé :
« Art. 2013-1.- Seules peuvent être constituants les personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les sociétés. Les droits du constituant au titre de la fiducie ne sont ni transmissibles à titre gratuit, ni cessibles à titre onéreux à des personnes autres que des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés ».
II. - Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 2022 du code civil.
III. - Après les mots :
survenance du terme
rédiger comme suit la fin du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 2029 du code civil :
, la réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme ou en cas de révocation par le constituant de l'option pour l'impôt sur les sociétés.
IV. - Après le texte proposé par cet article pour l'article 2030 du code civil, insérer un article 2031 ainsi rédigé :
« Art. 2031. - En cas de dissolution du constituant, lorsque les ayants droit ne sont pas des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, le patrimoine fiduciaire ne peut être attribué à ces ayants droit ès qualités avant la date à laquelle le contrat de fiducie prend fin. Dans cette situation, les droits des ayants droit au titre de la fiducie ne sont pas transmissibles à titre gratuit entre vifs ni cessibles à titre onéreux. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. S'agissant de cet amendement, Mme le ministre apportera des précisions sur le volet fiscal. En ce qui me concerne, j'aborderai l'aspect juridique.
Nous partageons tous un objectif : introduire la fiducie dans notre droit pour offrir aux acteurs économiques un outil comparable aux trusts notamment afin d'attirer les investisseurs et d'éviter la délocalisation des opérations financières à l'étranger.
Nous sommes tous ici préoccupés de préserver les dispositions d'ordre public du droit commun. C'est la première raison pour laquelle nous voulons limiter la fiducie aux seuls constituants, personnes morales.
En outre, depuis la réforme du droit des successions, les personnes physiques disposent désormais d'outils efficaces, qui peuvent faciliter la gestion des patrimoines et l'accès au crédit.
Je rappelle aussi que nous avons créé le mandat posthume et rénové les libéralités graduelles et résiduelles dont a parlé M. le rapporteur.
Par ailleurs, l'exclusion des personnes physiques répond à un impératif de protection. Comme vous le savez, dans le cadre de la réforme des sûretés, des garanties ont été prévues en faveur des personnes physiques. Il ne faut pas qu'elles puissent être contournées par un recours à la fiducie.
S'agissant de la protection des personnes, je pense en outre tout particulièrement aux majeurs incapables et aux héritiers réservataires dont les droits doivent impérativement être respectés. Or si nous ouvrions la fiducie aux personnes physiques, ils pourraient être lésés. C'est la deuxième raison pour laquelle nous ne voulons pas d'une extension de la fiducie aux personnes physiques.
La troisième raison d'exclure les personnes physiques de la fiducie répond à un impératif fiscal. La fiducie ne saurait constituer un outil d'optimisation fiscale pour les personnes physiques. Or, je ne crois pas que la crainte de la nullité des fiducies soit suffisante pour se prémunir contre ce risque, monsieur Badinter.
Par cet amendement, le Gouvernement vous propose de tirer les conséquences civiles de la limitation de la fiducie aux personnes morales en supprimant l'article 2022 du code civil relatif à la révision judiciaire du contrat de fiducie, qui n'a plus lieu d'être, et en modifiant les articles 2029 et 2031, qui touchent à la fin de la fiducie.
L'exclusion des personnes physiques constitue un facteur d'équilibre du nouveau dispositif, auquel votre assemblée s'est montrée constamment sensible au cours de ses travaux.
C'est pourquoi je vous demande avec insistance d'adopter cet amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'aborder l'aspect de l'attractivité et, par ce biais, d'évoquer les questions fiscales.
Si nous nous accordons sur le fait d'exclure l'utilisation de la fiducie aux fins de transmission à titre gratuit d'un patrimoine, la question de l'utilité d'un instrument juridique pour les personnes physiques se pose bien évidemment.
Autrement dit, est-il nécessaire d'offrir aux particuliers la possibilité de créer un patrimoine d'affectation ? Cette question a été longuement évoquée dans le cadre du groupe de travail sur la fiducie, animé conjointement par les services de la Chancellerie et par ceux du ministère de l'économie et des finances, et qui a entendu de nombreux professionnels de ces matières.
Or, soit par timidité à l'égard de cet instrument, soit par crainte de le faire échouer par manque d'ambition, les professionnels eux-mêmes ne nous incitent pas à aller dans cette direction et n'ont pas mis en évidence un réel besoin en matière de gestion du patrimoine.
En termes d'attractivité, dès lors que les professionnels eux-mêmes semblent ne pas faire état de ce besoin, on peut s'interroger sur les mesures prises par le Gouvernement dans ce domaine.
Monsieur le président de la commission des lois, vous avez évoqué une mesure à laquelle nous pensons tous, qui ne sera pas mentionnée lors de ce débat. Nous avons fait quelques efforts dans le cadre de la loi de finances pour 2006, notamment avec le bouclier fiscal, qui plafonne à 60 % de l'intégralité de l'imposition la charge fiscale supportée par les personnes physiques, et le taux marginal d'imposition de 40 %. Enfin, en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, sont exonérés à concurrence des trois quarts de leur valeur les titres détenus par les salariés et par les mandataires sociaux.
L'ensemble de ces mesures, les professionnels et les personnes physiques le disent, sont de nature à améliorer l'attractivité du territoire français sans qu'il faille étendre le mécanisme de la fiducie aux personnes physiques.
M. Badinter a évoqué la nécessité d'ouvrir ce mécanisme pour améliorer l'attractivité du territoire français. Je pense à d'autres mesures qui seraient de nature à renforcer considérablement l'attractivité du territoire. Il est préférable d'intégrer dans l'arsenal juridique français la fiducie en l'état dans cette première étape pour laquelle, M. le garde des sceaux l'a dit, nous tenons le bon bout. Efforçons-nous d'aller jusqu'à terme, plutôt que de poursuivre un objectif beaucoup plus ambitieux, auquel il faudrait renoncer en cours de route.
C'est la raison pour laquelle les services de Bercy encouragent également vivement votre Haute Assemblée à suivre les recommandations du Gouvernement s'agissant de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. On a beaucoup parlé d'attractivité du territoire et du droit français, mais, demain, il faudra plutôt parler de spécificité du droit français ! Vous avez cité, madame la ministre, tous les pays qui ont introduit la fiducie dans leur droit ; si l'amendement du Gouvernement devait être adopté, la France serait le seul de ces pays...
M. Robert Badinter. Le seul, en effet !
M. Henri de Richemont, rapporteur. ...à interdire aux personnes physiques d'être constituants.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Provisoirement !
M. Henri de Richemont, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, je dois vous avouer que la commission a été quelque peu étonnée de lire dans l'objet de l'amendement puis de vous entendre dire à l'instant que le constituant personne physique serait contraire à l'ordre public.
Nous avons en effet pris soin de cadrer le dispositif et de prévoir des garde-fous. D'une part, dès lors qu'il y a transparence et neutralité fiscales, c'est le constituant qui doit payer tous les impôts et il n'y a donc pas de risque d'évasion fiscale. D'autre part, à partir du moment où on interdit toutes libéralités, il n'y a pas de risque d'atteinte à la réserve.
Il n'en reste pas moins que, pour des raisons qui sont les vôtres, vous souhaitez, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, écarter les personnes physiques de la fiducie. Pour notre part, nous sommes des élus du peuple proches du terrain, et nous connaissons l'adage « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ». Or j'ai bien compris, monsieur le garde des sceaux, que vous vous engagiez, si le Sénat adoptait votre amendement, à ce que l'Assemblée nationale examine la présente proposition de loi avant la fin de l'année...
M. Henri de Richemont, rapporteur. Vous confirmez cet engagement, et j'en prends acte !
Comme j'ai bien compris aussi que, si le Sénat repoussait votre amendement, la proposition de loi irait aux oubliettes et puisqu'il me paraît très utile d'introduire la fiducie dans notre droit, j'en viens finalement à penser qu'il vaut mieux voter cet amendement afin que l'Assemblée nationale examine la proposition de loi avant la fin de l'année.
Ainsi, nous disposerons d'un texte que nous pourrons élargir ensuite aux personnes physiques afin de nous doter d'un dispositif cohérent, attractif et intéressant qui évitera à notre pays d'être le mouton noir de l'Europe.
La commission avait émis un avis de sagesse, mais la sagesse peut être ou positive ou négative. J'opte pour une « sagesse positive » et je vous invite, mes chers collègues, à prendre acte de l'engagement de M. le garde des sceaux et à voter en faveur de l'amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. M. le rapporteur a excellemment souligné que l'exclusion des personnes physiques du recours à la fiducie constituerait une admirable exception française, puisque, système du trust ou fiducie, nous serions seuls dans ce cas ! Au regard des impératifs du marché juridique, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une originalité souhaitable.
Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit de la nécessité d'ouvrir la fiducie aux personnes physiques ou sur ce qu'en ont dit les uns et les autres, de l'auteur de la proposition de loi jusqu'au président et au rapporteur de la commission des lois, mais, avec un certain sourire, je ne peux m'empêcher de constater qu'il y maintenant des « sagesses positives » et des « sagesses négatives » et que M. le rapporteur était aujourd'hui d'humeur à passer d'une sagesse négative à une sagesse positive alors que la commission avait simplement décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Nécessité fait loi !
M. Robert Badinter. Cela n'a jamais paru la meilleure des réponses, tout au moins en ce qui concerne le droit français !
Vous modifiez, monsieur le rapporteur, la position de la commission ou, plutôt, vous défendez maintenant une position personnelle en vous fondant sur la promesse faite par M. le garde des sceaux concernant le calendrier parlementaire.
M. Robert Bret. Les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
M. Robert Badinter. Je prends acte de cette promesse, mais je ne suis pas assuré, connaissant le déroulement des fins de sessions parlementaires à l'achèvement d'une législature, que la « force des choses », comme aurait dit Saint-Just, vous permette de la tenir, monsieur le garde des sceaux.
En tout état de cause, nous, membres du groupe socialiste, nous maintenons notre position, car il n'est pas concevable d'introduire la fiducie en droit français en lui retirant ce qui constitue un de ses attraits essentiels.
Avec regret, nous ne voterons par conséquent pas pour le texte qui nous est présenté... sauf si, dans sa sagesse, la Haute Assemblée rejoignait la sagesse de la proposition originelle de M. Marini et de la position initiale de la commission des lois.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, sur le texte proposé pour l'article 2013 du code civil.
M. Robert Badinter. Je tiens à attirer l'attention sur les conséquences de la formulation retenue pour le nouvel article 2013. En effet, il s'agit d'annuler le contrat de fiducie s'il procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire, mais il peut se trouver des situations dans lesquelles l'intention libérale ne vaut pas pour la totalité de la fiducie.
Par exemple, dans le cas où la totalité d'un portefeuille d'immeubles est mise en fiducie mais que certains revenus de la fiducie vont à un bénéficiaire, personne physique déterminée - on pense évidemment à l'entretien d'une personne handicapée -, l'intention libérale ne porte que sur une partie de la fiducie.
L'article 2003 tel qu'il est rédigé conduirait cependant à procéder à l'annulation de la totalité de la fiducie, ce qui ne me paraît pas conforme aux souhaits de ceux qui approuvent le texte et mériterait donc, monsieur le garde des sceaux, d'être modulé dans le cours des travaux parlementaires.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 2016 du code civil, remplacer le mot :
protecteur
par le mot :
tiers
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Mes chers collègues, vous ne trouverez ni dans la table des matières du code civil, ni dans les dictionnaires de vocabulaire juridique le mot « protecteur ».
Il serait plus simple d'utiliser le mot « tiers » et de se référer à la mission donnée à ce tiers, qui est une mission de protection. Je propose donc que nous remplacions le mot « protecteur », qui, dans certains milieux, à une très mauvaise résonance, par le mot « tiers », qui a l'avantage à la fois de renvoyer à une notion connue dans le droit et d'être d'une neutralité absolue.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. M. Badinter a raison : le terme imagé « protecteur » n'a en effet rien de juridique, et la commission a donc émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Sagesse pure ! (Nouveaux sourires.)
Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le troisième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 2017 du code civil, remplacer les mots :
quatre-vingt-dix-neuf ans
par les mots :
trente-trois ans
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans est compatible avec la continuité des personnes morales, mais il s'agit ici d'une opération complexe qu'il nous paraît souhaitable de limiter à trente-trois ans.
J'avais dans un premier temps estimé que « trente-trois ans, renouvelables deux fois » constituait une solution adaptée puisqu'elle permettait de vérifier au bout de trente-trois ans - ce qui est déjà très long - où en était la fiducie. Mais les observations au cours des discussions qui ont suivi à la commission des lois m'ont conduit à considérer qu'il valait mieux fixer une durée maximale de trente-trois ans et reconsidérer ensuite ce qu'il allait advenir, d'où la version actuelle de l'amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article 2020 du code civil, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Nul ne peut être fiduciaire s'il a été l'objet d'une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise, d'une mesure d'interdiction d'exercer une activité professionnelle de gestion de droits d'autrui, d'une mesure de faillite personnelle, s'il a violé des obligations prévues au titre VI du livre V du code monétaire et financier, ou s'il a subi une condamnation pénale ou une sanction professionnelle pour des faits contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs. Une personne morale ne peut pas être partie à des contrats en qualité de fiduciaire si l'un de ses mandataires sociaux a été soumis à de telles peines.
« La violation de ces dispositions entraînera la nullité de la fiducie et une sanction pénale à l'encontre du fiduciaire. »
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 5 est retiré.
L'amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. Dans la seconde phrase du texte proposé par cet article pour l'article 2021 du code civil, remplacer le mot :
protecteur
par le mot :
tiers
II. En conséquence, procéder à la même modification dans la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article 2027 du même code.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'un amendement de conséquence.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES À LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX
Article 2
Le septième alinéa de l'article L. 562-2-1 du code monétaire et financier est ainsi rédigé :
« 6° La constitution, la gestion ou la direction de fiducies régies par les articles 2011 à 2030 du code civil ou par un droit étranger ou de toute autre structure similaire. ». - (Adopté.)
CHAPITRE III
DISPOSITIONS FISCALES
Section I
Enregistrement et publicité foncière
Article 3
I. - Le 1 de l'article 635 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 8° Les actes constatant la formation, la modification ou l'extinction d'un contrat de fiducie, et le transfert de biens ou droits supplémentaires au fiduciaire dans les conditions prévues par l'article 2018 du code civil. ».
II. - Après l'article 668 du même code, il est inséré un article 668 bis ainsi rédigé:
« Art. 668 bis. - Pour la liquidation des droits d'enregistrement et de la taxe de publicité foncière, la valeur de la créance détenue sur une fiducie est évaluée à la valeur vénale réelle nette des biens mis en fiducie ou des biens acquis en remploi, à la date du fait générateur de l'impôt. ».
III. - Le sixième alinéa de l'article 1115 du même code est ainsi rédigé :
« Pour l'application de la condition de revente, les transferts de droits ou de biens dans un patrimoine fiduciaire et les apports purs et simples effectués à compter du 1er janvier 1996 ne sont pas considérés comme des ventes. ».
IV. - À l'article 1020 du même code, les mots : « et 1133 ter » sont remplacés par les mots : «, 1133 ter et 1133 quater ».
V. - Après l'article 1133 ter du même code, il est inséré un article 1133 quater ainsi rédigé :
« Art. 1133 quater. - Sous réserve des dispositions de l'article 1020, les actes constatant la formation, la modification ou l'extinction d'un contrat de fiducie, ou constatant le transfert de biens ou droits supplémentaires au fiduciaire sont soumis à un droit fixe de 125 €.
« Toutefois, les dispositions de l'article 1020 ne s'appliquent pas aux actes constatant le retour de tout ou partie du patrimoine fiduciaire au constituant. ».
VI. - Après l'article 1378 sexies du même code, il est inséré un article 1378 septies ainsi rédigé :
« Art. 1378 septies. - Pour l'application des droits d'enregistrement, les droits du constituant résultant du contrat de fiducie sont réputés porter sur les biens formant le patrimoine fiduciaire. Lors de la transmission de ces droits, les droits de mutation sont exigibles selon la nature des biens et droits transmis. ». - (Adopté.)
Article 4
Après l'article 792 du code général des impôts, il est inséré un article 792 bis ainsi rédigé :
« Art. 792 bis. - Lorsqu'il est constaté une transmission dans une intention libérale, de biens ou droits faisant l'objet d'un contrat de fiducie ou des fruits tirés de l'exploitation de ces biens ou droits, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent sur la valeur des biens, droits ou fruits ainsi transférés, appréciée à la date de ce transfert. Ils sont liquidés selon le tarif applicable entre personnes non parentes, mentionné au tableau III de l'article 777.
« Pour l'application des dispositions mentionnées à l'alinéa précédent, l'intention libérale est notamment caractérisée lorsque la transmission est dénuée de contrepartie réelle ou lorsqu'un avantage en nature ou résultant d'une minoration du prix de cession est accordé à un tiers par le fiduciaire dans le cadre de la gestion du patrimoine fiduciaire. Dans ce dernier cas, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent sur la valeur de cet avantage. »
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Après le texte proposé par cet article pour l'article 792 bis du code général des impôts, insérer un article 792 ter ainsi rédigé :
« Art. 792 ter. - Dans le cas mentionné à l'article 2031 du code civil, lors du transfert, à la fin du contrat, du patrimoine fiduciaire aux personnes physiques ou aux personnes morales non soumises à l'impôt sur les sociétés, ayants droit du constituant, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent sur la valeur des biens ou droits objets de la fiducie, appréciée à la date de ce transfert. Ils sont liquidés selon le tarif applicable entre personnes non parentes, mentionné au tableau III de l'article 777. »
II. - En conséquence, au premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
il est inséré un article 792 bis ainsi rédigé
par les mots :
sont insérés deux articles 792 bis et 792 ter ainsi rédigés
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Cet amendement tire les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés dans le cas particulier où le constituant disparaît à la suite d'une dissolution, quelles que soient les circonstances à l'origine de cette dernière, qu'il s'agisse d'une liquidation judiciaire ou d'une dissolution amiable.
Dans cette situation, le contrat de fiducie survit mais il peut exister parmi les ayants droit du constituant des personnes physiques. Il est donc nécessaire d'appréhender sur le plan fiscal les flux entre le patrimoine fiduciaire et ces ayants droit personnes physiques.
Cet amendement a pour objet de prévoir que le retour des biens, au terme du contrat de fiducie, dans le patrimoine des ayants droit se verra appliquer les droits de mutation à titre gratuit.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Il s'agit d'un « verrouillage » fiscal dans le prolongement de l'amendement n° 1 rectifié, voté à la demande du Gouvernement pour exclure les personnes physiques du champ d'application de cette loi. Puisqu'il s'agit toujours de la même disposition, la commission maintient sa position : sagesse.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Je perçois la préoccupation du ministère du budget, mais je voudrais être bien certain qu'il ne s'agit pas d'acharnement et comprendre précisément quelles situations sont visées.
Dès lors que le constituant ne peut être qu'une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés, dans quelle mesure ces dispositions peuvent-elles s'appliquer ? Si j'ai bien compris, elles ont vocation à sanctionner tellement lourdement les personnes qui pourraient se trouver dans une certaine situation qu'on n'imagine pas qu'elles puissent s'y retrouver... Sait-on précisément ce que l'on vise ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Comme je l'indiquais tout à l'heure, nous avons en vue ici les situations où une société personne morale constituante se trouve dissoute.
En effet, quand cette société disparaît, tombe sous le coup d'une liquidation judiciaire ou connaît une dissolution amiable, il faut naturellement en gérer les conséquences fiscales.
Je vous rassure, monsieur Zocchetto, ce n'est pas de « l'acharnement thérapeutique fiscal » ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Section II
Impôts directs
Article 5
Il est inséré dans le titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts, un chapitre Ier quinquies intitulé « Régime applicable aux titulaires de droits au titre d'une fiducie » et comprenant les articles 204 C à 204 F ainsi rédigés :
« CHAPITRE Ier quinquies
« Régime applicable aux titulaires de droits au titre d'une fiducie
« Section I
« Le transfert de biens ou droits en fiducie
« Art. 204 C.- Le transfert de biens ou droits dans un patrimoine fiduciaire n'est pas un fait générateur d'impôt sur le revenu à la condition que le fiduciaire inscrive, dans les écritures du patrimoine fiduciaire, les biens ou droits transférés pour leur valeur nette comptable figurant dans les écritures du constituant si ce dernier est une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel. Lorsque cette dernière condition n'est pas satisfaite, les plus ou moins-values et, plus généralement, les gains ou pertes sont déterminés, en cas de cession à titre onéreux au bénéficiaire ou à un tiers des biens ou droits en cause, par référence à la valeur d'acquisition des biens ou droits par le constituant.
« Section II
« Le résultat du patrimoine fiduciaire
« Art. 204 D.- I. - Le bénéfice de la fiducie est imposé à la fin de chaque exercice ou année civile au nom de chaque titulaire d'une créance au titre de celle-ci proportionnellement à la valeur réelle des biens ou droits mis en fiducie par chacun des titulaires appréciée à la date du transfert des éléments dans le patrimoine fiduciaire.
« II. - Lorsque la créance au titre de la fiducie est inscrite à l'actif d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à cette créance est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par le titulaire de la créance et selon un régime de bénéfice réel. Dans tous les autres cas, la part de bénéfice est déterminée et imposée en tenant compte de l'activité de la fiducie.
« Toute variation ou dépréciation du montant de la créance au titre de la fiducie demeure sans incidence sur le résultat imposable du titulaire de cette créance.
« Section III
« Le résultat de cession des créances au titre de la fiducie
« Art. 204 E.- En cas de transmission à titre onéreux de la créance au titre de la fiducie, il est fait application des règles applicables aux cessions des biens ou droits formant le patrimoine fiduciaire.
« Les plus ou moins-values et, plus généralement, les gains ou pertes sont déterminés par rapport, selon le cas, à la valeur d'acquisition des biens ou droits par le constituant initial ou, en cas de transmission par ce dernier de sa créance au titre de la fiducie, à la valeur d'acquisition de cette créance par le nouveau titulaire ou, en cas de transmission à titre gratuit, à la valeur de cette créance retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit.
« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, lorsque la créance au titre de la fiducie est inscrite à l'actif d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale, ou agricole, sa cession est imposée dans les conditions prévues aux articles 39 duodecies et suivants. La plus-value est alors calculée à partir de la valeur nette comptable des éléments qui figuraient dans les écritures du constituant au jour du transfert dans le patrimoine fiduciaire.
« Section IV
« Le retour des biens ou droits
« Art. 204 F.- Le retour de biens ou droits dans le patrimoine d'un titulaire d'une créance au titre de la fiducie n'est pas un fait générateur d'impôt sur le revenu lorsque la condition suivante est satisfaite :
« a. Si le titulaire de la créance est une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel, il inscrit les biens ou droits en cause pour leur valeur nette comptable figurant dans les écritures du patrimoine fiduciaire ;
« b. Dans tous les autres cas, le titulaire prend, dans l'acte constatant le retour, l'engagement de déterminer, en cas de cession ultérieure des biens ou droits, les plus ou moins-values et, plus généralement, les gains ou pertes par référence, selon le cas, à la valeur d'acquisition des biens ou droits transférés initialement en fiducie ou, si le titulaire n'est pas le constituant initial, à la valeur d'acquisition de sa créance ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, à la valeur de cette créance retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - Après le 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, il est inséré un 1 bis ainsi rédigé :
« 1 bis. En cas de cession de titres ou droits reçus dans les conditions prévues à l'article 792 ter, le prix d'acquisition de ces titres ou droits s'entend de leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit prévus à l'article 792 ter précité. »
II. - Après le 6° du V de l'article 150-0 D bis du même code, il est inséré un 7° ainsi rédigé :
« 7° En cas de cession de titres ou droits mentionnés au 1 bis de l'article 150-0 D, à partir du premier janvier de l'année du transfert des titres ou droits cédés du patrimoine fiduciaire aux ayants droit. »
III. - Le I de l'article 150 VB du même code est complété par l'alinéa suivant :
« En cas de cession d'un bien ou d'un droit mentionné aux articles 150 U à 150 UB, reçu lors du transfert du patrimoine fiduciaire aux ayants droit, à la fin du contrat de fiducie, le prix d'acquisition est égal à la valeur de ce bien ou de ce droit telle qu'elle est stipulée dans l'acte. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. L'amendement n° 8 vise à tirer les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, telle qu'elle résulte de l'amendement n° 1 rectifié, adopté tout à l'heure par le Sénat.
Il tend à remplacer le dispositif fiscal prévu pour les personnes physiques par des dispositions de coordination, rendues nécessaires lorsque les ayants droit d'un constituant qui fait l'objet d'une dissolution ne sont pas soumis à l'impôt sur les sociétés.
Il s'agit donc ici de définir le prix d'acquisition à partir duquel se calculent les plus-values immobilières ou sur titres lorsque les biens cédés proviennent d'un patrimoine fiduciaire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Cet amendement tend à tirer les conséquences fiscales de la restriction à la qualité de constituant. Il s'agit d'une disposition de coordination avec l'amendement n° 1 rectifié du Gouvernement. Et comme la commission est cohérente avec elle-même, elle s'en remet de nouveau à la sagesse de notre assemblée !
M. le président. En conséquence, l'article 5 est ainsi rédigé.
Article 6
Au chapitre II du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est ajouté une section IX ainsi rédigée :
« SECTION IX
« Fiducie
« 1ère Sous-section
« Constitution du patrimoine fiduciaire
« Art. 223 V.- I. - Les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins values résultant du transfert dans un patrimoine fiduciaire de biens et droits inscrits à l'actif du bilan du constituant de la fiducie ne sont pas compris dans le résultat imposable de l'exercice de transfert si les conditions suivantes sont réunies :
« 1° Le contrat de fiducie répond aux conditions prévues aux articles 2011 à 2030 du code civil ;
« 2° Le constituant est désigné comme le ou l'un des bénéficiaires dans le contrat de fiducie ;
« 3° Le fiduciaire doit respecter les engagements, pris dans le contrat de fiducie, suivants :
« a. Inscrire dans les écritures du patrimoine fiduciaire les biens ou droits transférés ainsi que les amortissements et provisions de toute nature y afférents ;
« b. Se substituer au constituant pour la réintégration des provisions et résultats afférents aux biens ou droits transférés dont la prise en compte avait été différée pour l'imposition de ce dernier ;
« c. Calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l'occasion de la cession des immobilisations non amortissables qui ont été transférées dans le patrimoine fiduciaire d'après la valeur qu'elles avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant ;
« d. Réintégrer dans les bénéfices imposables au titre du patrimoine fiduciaire les plus ou moins-values dégagées lors du transfert de biens amortissables. La réintégration des plus-values est effectuée par parts égales, dans la limite de la durée initiale du contrat de fiducie, sur une période de quinze ans pour les constructions et les droits qui se rapportent à des constructions ainsi que pour les plantations et les agencements et aménagements des terrains amortissables sur une période au moins égale à cette durée. Cette période est de cinq ans dans les autres cas.
« Toutefois, la cession d'un bien amortissable entraîne l'imposition immédiate de la fraction de la plus-value afférente à ce bien qui n'a pas encore été réintégrée.
« En contrepartie, les amortissements et les plus-values ultérieurs afférents aux éléments amortissables sont calculés d'après la valeur d'inscription dans les écritures du patrimoine fiduciaire ;
« 4° Les éléments autres que les immobilisations transférés dans le patrimoine fiduciaire doivent être inscrits dans les écritures du patrimoine fiduciaire pour la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant.
« À défaut, le profit correspondant à la différence entre la valeur d'inscription dans les écritures du patrimoine fiduciaire de ces éléments et la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant est compris dans le résultat imposable de ce dernier au titre de l'exercice au cours duquel intervient le transfert dans le patrimoine fiduciaire.
« II. - Les droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues aux 1 et 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier sont assimilés à des éléments de l'actif immobilisé, amortissables ou non amortissables dans les conditions prévues à l'article 39 duodecies A.
« Pour l'application du c. du 3°, en cas de cession ultérieure des droits mentionnés à l'alinéa précédent qui sont assimilés à des éléments non amortissables ou de cession du terrain, la plus-value est calculée d'après la valeur que ces droits avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant.
« Ces dispositions s'appliquent aux droits afférents aux contrats de crédit-bail portant sur des éléments incorporels amortissables d'un fonds de commerce ou assimilé.
« III. - Pour l'application du présent article, les titres du portefeuille dont le résultat de cession est exclu du régime des plus ou moins-values à long terme conformément à l'article 219 sont assimilés à des éléments non amortissables de l'actif immobilisé.
« 2ème Sous-section
« Dispositions applicables durant le contrat de fiducie
« 1° Résultat du patrimoine fiduciaire
« Art. 223 VA.- Le bénéfice imposable de la fiducie est déterminé selon les règles applicables au bénéfice réalisé par le titulaire d'une créance au titre de celle-ci et imposé au nom de ce titulaire.
« En cas de pluralité de titulaires, le bénéfice de la fiducie est imposé au nom de chaque titulaire proportionnellement à la valeur réelle du ou des biens ou droits mis en fiducie par chacun des constituants à la date à laquelle celui-ci a transféré des éléments dans le patrimoine fiduciaire.
« 2° Situation du constituant
« Art. 223 VB.- Toute variation ou dépréciation du montant de la créance ou des créances au titre de la fiducie demeure sans incidence sur le résultat imposable du titulaire de cette créance.
« Art. 223 VC.- Pour l'application du code général des impôts et de ses annexes, le chiffre d'affaires provenant de la gestion du patrimoine fiduciaire s'ajoute à celui réalisé par le constituant.
« En cas de pluralité de constituants, le chiffre d'affaires est réparti proportionnellement à la valeur réelle du ou des biens ou droits mis en fiducie par chacun des constituants à la date à laquelle celui-ci a transféré des éléments dans le patrimoine fiduciaire.
« 3ème Sous-section
« Fin de la fiducie
« Art. 223 VD.- I. - En cas de cession ou d'annulation de tout ou partie de la créance constatée au titre du contrat de fiducie, les résultats du patrimoine fiduciaire sont déterminés, à la date de cession ou d'annulation, dans les conditions prévues aux articles 201 et suivants et imposés au nom du cédant.
« La différence entre le prix de cession de la créance et le prix de revient n'a pas d'incidence sur le résultat imposable du cédant.
« II. - Les dispositions du I s'appliquent également en cas de cessation ou de dissolution du titulaire de la créance, en cas de résiliation ou d'annulation du contrat de fiducie ou lorsqu'il prend fin.
« Art. 223 VE.- Les dispositions de l'article 223 VD ne s'appliquent pas en cas de transfert de la créance réalisé dans le cadre d'une opération bénéficiant des dispositions prévues à l'article 210 A.
« Art. 223 VF.- I. - Par exception aux dispositions de l'article 223 VD, lorsque le contrat de fiducie prend fin, les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins-values résultant du transfert des biens ou droits du patrimoine fiduciaire au constituant ne sont pas compris dans le résultat imposable de l'exercice de transfert si les conditions suivantes sont réunies :
« 1° Le contrat de fiducie prend fin sans liquidation du patrimoine fiduciaire ;
« 2° Le constituant doit respecter les engagements suivants :
« a. Inscrire à son bilan les biens ou droits transférés ainsi que les amortissements et provisions de toute nature y afférents ;
« b. Se substituer au fiduciaire pour la réintégration des provisions et résultats afférents aux biens et droits transférés dont la prise en compte avait été différée pour l'imposition du patrimoine fiduciaire ;
« c. Calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l'occasion de la cession des immobilisations non amortissables qui lui ont été transférées d'après la valeur qu'elles avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire ;
« d. Réintégrer dans ses bénéfices imposables les plus ou moins-values dégagées lors du transfert de biens amortissables. La réintégration des plus-values est effectuée par parts égales sur une période de quinze ans pour les constructions et les droits qui se rapportent à des constructions ainsi que pour les plantations et les agencements et aménagements des terrains amortissables sur une période au moins égale à cette durée. Cette période est de cinq ans dans les autres cas.
« Toutefois, la cession d'un bien amortissable entraîne l'imposition immédiate de la fraction de la plus-value afférente à ce bien qui n'a pas encore été réintégrée.
« En contrepartie, les amortissements et les plus-values ultérieurs afférents aux éléments amortissables sont calculés d'après la valeur d'inscription à son bilan ;
« 3° Les éléments autres que les immobilisations doivent être inscrits au bilan du constituant pour la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire. À défaut, le profit correspondant à la différence entre la valeur d'inscription au bilan du constituant de ces éléments et la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire est compris dans le résultat imposable de ce dernier au titre de l'exercice au cours duquel intervient le retour des biens au constituant.
« II. - Pour l'application du I, les engagements mentionnés au 2° du I sont pris dans l'acte constatant le transfert des biens ou droits du patrimoine fiduciaire au constituant ou, à défaut, dans un acte sous seing privé ayant date certaine, établi à cette occasion.
« III. - Les droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues aux 1 et 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier sont assimilés à des éléments de l'actif immobilisé, amortissables ou non amortissables dans les conditions prévues à l'article 39 duodecies A.
« Pour l'application du c du 2, en cas de cession ultérieure des droits mentionnés à l'alinéa précédent qui sont assimilés à des éléments non amortissables ou de cession du terrain, la plus-value est calculée d'après la valeur que ces droits avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire.
« Ces dispositions s'appliquent aux droits afférents aux contrats de crédit-bail portant sur des éléments incorporels amortissables d'un fonds de commerce ou assimilé.
« IV. - Pour l'application du présent article, les titres du portefeuille dont le résultat de cession est exclu du régime des plus ou moins-values à long terme conformément à l'article 219 sont assimilés à des éléments non amortissables de l'actif immobilisé.
« 4ème Sous-section
« Obligations déclaratives incombant au fiduciaire ès qualité
« Art. 223 VG.- La fiducie fait l'objet d'une déclaration d'existence par le fiduciaire dans des conditions et délais fixés par décret.
« Art. 223 VH.- Le fiduciaire est tenu aux obligations déclaratives qui incombent normalement aux sociétés soumises au régime fiscal des sociétés de personnes défini à l'article 8.
« Art. 223 VI.- Pour l'application du code général des impôts et de ses annexes, les états retraçant les écritures du patrimoine d'affectation sur l'exercice tiennent lieu de bilan et de compte de résultat pour chaque patrimoine fiduciaire. »
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article 223 VA du code général des impôts, insérer un article 223 VA bis ainsi rédigé :
« Art. 223 VA bis. - Dans le cas visé à l'article 2031 du code civil, le bénéfice imposable de la fiducie est déterminé selon les règles applicables aux bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés. L'impôt dû est calculé dans les conditions mentionnées au I de l'article 219 et acquitté par le fiduciaire. Cet impôt est établi et contrôlé comme l'impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Là encore, il s'agit d'un amendement de coordination, qui vise à tirer les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales dans le cas particulier où le constituant disparaît à la suite d'une dissolution, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une liquidation judiciaire ou d'une dissolution amiable.
Dans ce cas, en effet, le contrat de fiducie survit, mais il peut se trouver parmi les ayants droit du constituant des personnes physiques.
Or l'imposition du résultat fiscal de la fiducie au nom de ses ayants droit serait complexe en termes de gestion, puisque de très nombreuses personnes physiques pourraient se trouver concernées. Aussi, cet amendement tend à prévoir que le résultat du patrimoine fiduciaire sera non pas imposé au nom de ses ayants droit, mais soumis chaque année à un impôt analogue à l'impôt sur les sociétés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont. Il s'agit là encore d'un amendement de coordination, pour lequel la commission émet le même avis que précédemment et s'en remet donc à la sagesse de notre assemblée.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
L'article 54 septies du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au I, les références : « 210 B et 210 D » sont remplacées par les références : « 210 B, 210 D et 223 VF » ;
2° Le II est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il en est de même des plus-values dégagées sur des éléments d'actif non amortissables résultant du transfert dans ou hors d'un patrimoine fiduciaire et dont l'imposition a été reportée par application de l'article 223 V ou de l'article 223 VF. Lorsque l'imposition est reportée en application de l'article 223 V, le registre est tenu par le fiduciaire qui a inscrit ces biens dans les écritures du patrimoine fiduciaire. » ;
b) Au deuxième alinéa, après les mots : « de l'actif de l'entreprise », sont ajoutés les mots : « ou du patrimoine fiduciaire ». - (Adopté.)
Section III
Taxe sur la valeur ajoutée
Article 8
I. - Dans le 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts, les mots : « et les travaux immobiliers » sont remplacés par les mots : «, les travaux immobiliers et l'exécution des obligations du fiduciaire ».
II. - L'article 257 du même code est ainsi modifié :
1° Le 6° est ainsi rédigé :
« 6° sous réserve du 7° :
« a) Les opérations qui portent sur des immeubles, des fonds de commerce ou des actions ou parts de sociétés immobilières et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux ;
« b) Les cessions de droits au titre d'un contrat de fiducie représentatifs de biens visés au premier alinéa et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux. » ;
2° Dans le 1 du 7°, il est inséré un b bis ainsi rédigé :
« b bis) Les cessions par le constituant, dans le cadre d'un contrat de fiducie, de droits représentatifs de biens visés aux a) et b). » ;
3° Dans le troisième alinéa du 2 du 7°, après les mots : « des droits sociaux », sont insérés les mots : « ou des droits résultant d'un contrat de fiducie ».
III. - Après le f du 1 de l'article 266 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« g. Pour les prestations effectuées un fiduciaire, par la rémunération versée par le constituant ou retenue sur les recettes de l'exploitation des droits et biens du patrimoine fiduciaire. ».
IV. - Le b de l'article 268 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'opération est réalisée par un fiduciaire, les sommes mentionnées aux deux précédents alinéas s'apprécient, le cas échéant, chez le constituant. ».
V. - Après l'article 285 du même code, il est inséré dans le code général des impôts un article 285 A ainsi rédigé :
« Art. 285 A. - Pour les opérations relatives à l'exploitation des biens ou droits d'un patrimoine fiduciaire, le fiduciaire est considéré comme un redevable distinct pour chaque contrat de fiducie, sauf pour l'appréciation des limites de régimes d'imposition et de franchises, pour lesquelles est retenu le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble des patrimoines fiduciaires ayant un même constituant. ». - (Adopté.)
Section IV
Fiscalité locale
Article 9
I. - L'article 1476 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'activité est exercée en vertu d'un contrat de fiducie, elle est imposée au nom du fiduciaire. ».
II. - Le début du 2° de l'article 1467 du même code est ainsi rédigé :
« Dans le cas des titulaires de bénéfices non commerciaux, des agents d'affaires, des fiduciaires pour l'accomplissement de leur mission et des intermédiaires de commerce employant moins de cinq salariés (le reste sans changement) ».
III. - Après l'article 1518 B du même code, il est inséré un article 1518 C ainsi rédigé :
« Art. 1518 C. - Les transferts et transmissions résultant de l'exécution d'un contrat de fiducie sont sans incidence sur la valeur locative des biens concernés. ».
IV. - L'article 1400 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« IV. - Lorsqu'un immeuble a été transféré en application d'un contrat de fiducie, la taxe foncière est établie au nom du fiduciaire. ». - (Adopté.)
Section V
Droit de contrôle et droit de communication
Article 10
I. - Après le troisième alinéa de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'un contrat de fiducie ou les actes le modifiant n'ont pas été enregistrés dans les conditions prévues à l'article 2018 du code civil, ou révélés à l'administration fiscale avant l'engagement de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'un contribuable qui y est partie ou en tient des droits, la période prévue au troisième alinéa est prorogée du délai écoulé entre la date de réception de l'avis de vérification et l'enregistrement ou la révélation de l'information. ».
II. - L'article L. 13 du même livre est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les fiducies, en la personne de leur fiduciaire, sont soumises à vérification de comptabilité dans les conditions prévues au présent article. ».
III. - L'article L. 53 du même livre est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En ce qui concerne les fiducies, la procédure de vérification des déclarations déposées par le fiduciaire pour le compte de ces dernières est suivie entre l'administration des impôts et le fiduciaire. ».
IV. - Dans la section IV du chapitre premier de la première partie (partie législative) du même livre, il est ajouté un V ainsi rédigé :
« V. Fiducie
« Art. L. 64 C. - Sans préjudice de la sanction de nullité prévue à l'article 2013 du code civil, les contrats de fiducie consentis dans une intention libérale au sens de l'article 792 bis du code général des impôts, et qui conduisent à une minoration des droits au titre de tous impôts et taxes dus par l'une quelconque des personnes parties au contrat ou en tenant des droits, ne peuvent être opposés à l'administration, qui est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. »
V. - Le deuxième alinéa de l'article L. 68 du même livre est complété par les mots : «, ou, pour les fiducies, si les actes prévus à l'article 635 du code général des impôts n'ont pas été enregistrés ».
VI. - Après le 1° bis de l'article L. 73 du même livre, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° ter Le bénéfice imposable des fiducies lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 223 VH du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal par le fiduciaire ; ».
VII. - Après l'article L. 96 E du même livre, il est inséré un article L. 96 F ainsi rédigé :
« Art. L. 96 F. - Le fiduciaire, le constituant, le bénéficiaire, ou toute personne physique ou morale exerçant par quelque moyen, un pouvoir de décision direct ou indirect sur la fiducie, doivent communiquer sur sa demande à l'administration des impôts tout document relatif au contrat de fiducie, sans que puisse être opposée l'obligation de secret prévue à l'article 226-13 du code pénal. » - (Adopté.)
Article 11
Le dernier alinéa de l'article 1729 du code général des impôts est complété par les mots : « ou en cas d'application des dispositions de l'article 792 bis ». - (Adopté.)
CHAPITRE IV
DISPOSITIONS COMPTABLES
Article 12
I. - Les éléments d'actif et de passif transférés dans le cadre de l'opération mentionnée à l'article 2011 du code civil forment un patrimoine d'affectation. Les opérations affectant ce dernier font l'objet d'une comptabilité autonome chez le fiduciaire.
II. - Les personnes morales mentionnées à l'article 2014 du code civil établissent des comptes annuels conformément aux dispositions des articles L. 123-12 à L. 123-15 du code de commerce.
III. - Le contrôle de la comptabilité autonome mentionnée au premier alinéa est exercé par un ou plusieurs commissaires aux comptes nommés par le fiduciaire, lorsque le ou les constituants sont eux-mêmes tenus de désigner un commissaire aux comptes. Le rapport du commissaire aux comptes est présenté au fiduciaire. Le commissaire aux comptes est délié du secret professionnel à l'égard des commissaires aux comptes des parties au contrat de fiducie.
IV. - Les dispositions des I et II sont précisées par un règlement du comité de la réglementation comptable. - (Adopté.)
CHAPITRE V
DISPOSITIONS COMMUNES
Article 13
Le constituant et le fiduciaire doivent être résidents d'un État de la Communauté européenne ou d'un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale en vue d'éliminer les doubles impositions qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale. - (Adopté.)
Article 14
Lorsque le contrat de fiducie a pour objet de couvrir des risques d'assurance ou de réassurance, les dispositions de la présente loi s'appliquent sous réserve des dispositions du code des assurances. - (Adopté.)
Article 15
Les documents relatifs au contrat de fiducie sont transmis, à leur demande et sans que puisse leur être opposé le secret professionnel, au service institué à l'article L. 562-4 du code monétaire et financier, aux services des douanes et aux officiers de police judiciaire, aux autorités de contrôle compétentes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, à l'administration fiscale et au juge, par le fiduciaire, le constituant, le bénéficiaire ou par toute personne physique ou morale exerçant, de quelque manière que ce soit, un pouvoir de décision direct ou indirect sur la fiducie.
Ces documents sont exigibles pendant une durée de dix ans après la fin du contrat de fiducie. - (Adopté.)
Article 16
Après l'article 2328 du code civil, il est inséré un article 2328-1 ainsi rédigé :
« Art. 2328-1.- Toute sûreté réelle peut être inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l'obligation garantie par une personne qu'ils désignent à cette fin dans l'acte qui constate cette obligation. » - (Adopté.)
Article 17
Le code civil est ainsi modifié :
1° Après l'article 468, il est inséré un article 468-1 ainsi rédigé :
« Article 468-1.- Les biens ou droits d'un mineur ne peuvent être transférés dans un patrimoine fiduciaire. » ;
2° L'article 1424 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« De même, ils ne peuvent, l'un sans l'autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire. » ;
3° L'article 1596 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les fiduciaires, des biens ou droits composant le patrimoine fiduciaire. ».
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer les 1° et 2° de cet article.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il s'agit d'un amendement de coordination qui, là encore, tend à tirer les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés.
Cet amendement a pour objet de supprimer les dispositions relatives à la protection des biens des mineurs et des époux, qui avaient été insérées dans le code civil en raison de l'extension de la fiducie aux personnes physiques.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. L'article 17 des conclusions du rapport de la commission contenait de bonnes dispositions ! En vertu de celles-ci, les mineurs n'auraient pu apporter de biens à un fiduciaire, et les couples mariés sous le régime de la communauté n'y auraient été autorisés que sous réserve de l'accord des deux époux.
Toutefois, ces belles dispositions - nous les regretterons ! (Sourires) - n'ont plus lieu d'être dès lors que l'amendement n° 1 rectifié du Gouvernement a été adopté. La commission s'en remet donc à la sagesse de notre assemblée.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Je m'interroge sur les sociétés civiles, car certaines d'entre elles peuvent être soumises à l'impôt sur les sociétés. Sommes-nous vraiment sûrs qu'elles ne sont plus concernées par ce dispositif ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Mon cher collègue, aux termes de l'amendement n° 1 rectifié, qui a été voté tout à l'heure, seules les personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les sociétés pourront constituer des fiducies.
Toute SCI, ou société civile immobilière, qui fait le choix de se trouver assujettie à l'impôt sur les sociétés pourra donc être constituante.
M. François Zocchetto. Même si elle est détenue par des personnes mineures ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Tout à fait, dès lors qu'elle fait le choix d'être soumise à l'impôt sur les sociétés.
M. le président. Je mets aux voix l'article 17, modifié.
(L'article 17 est adopté.)
Article 18
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Le II de l'article L. 233-10 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 5° Entre le fiduciaire et le bénéficiaire d'un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant »
2° Le I de l'article L. 632-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 9° Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire en application des articles 2011 et suivants du code civil ». - (Adopté.)
Article 19
Les conséquences financières entraînées par l'application des dispositions de la présente loi sont compensées à due concurrence par une majoration de la contribution prévue à l'article 527 du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Il ne peut qu'être favorable, monsieur le président !
M. le président. En conséquence, l'article 19 est supprimé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 178.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Philippe Richert.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants
Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de M. André Lardeux, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi relative aux droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants présentée par M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 18 ; n° 483, 2005-2006).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objet d'organiser le partage des prestations familiales entre les deux parents, en cas de résidence alternée de leurs enfants.
La résidence alternée a été reconnue officiellement par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. Elle est choisie au terme de 10 % environ des 70 000 divorces impliquant des mineurs qui sont prononcés en France, et concerne donc 12 000 enfants de plus chaque année.
Dans ce cadre, les enfants résident alors alternativement chez chacun de leurs parents, le plus souvent selon un rythme hebdomadaire.
Ce mode de résidence implique que les parents s'entendent ou, à tout le moins, respectent une répartition équitable des charges liées à l'entretien de l'enfant, en tenant compte des avantages fiscaux et sociaux qui atténuent ces charges.
La loi de finances rectificative pour 2002 a prévu que les avantages fiscaux pouvaient être répartis entre les parents grâce au partage du quotient familial se rapportant aux enfants. En revanche, les prestations familiales restent attribuées en intégralité à l'un des deux parents. Le choix de l'allocataire est normalement effectué d'un commun accord entre eux, mais, si cet accord se révèle impossible, les caisses d'allocations familiales versent les prestations à celui des deux ex-conjoints qui avait la qualité d'allocataire avant le divorce.
Le fait est que le droit de la sécurité sociale ne s'est pas adapté à l'évolution du droit de la famille et n'a pas tiré les conséquences de la reconnaissance de la résidence alternée.
C'est la raison pour laquelle les auteurs de la proposition de loi proposent un partage des prestations familiales en deux parts égales en cas de résidence alternée, sauf si la convention homologuée par le juge, par laquelle les parents règlent les questions relatives à l'autorité parentale, ou la décision du juge lui-même en décident autrement.
À l'appui de leur proposition, ils invoquent un avis de la Cour de cassation du 26 juin dernier dans lequel la Cour estime qu'en cas de résidence alternée on peut considérer que les enfants sont à la charge des deux parents et que, de ce fait, ils ouvrent droit aux prestations familiales au titre de l'un comme de l'autre.
Cependant, j'observe que la solution ici proposée va beaucoup plus loin que ne l'exigerait en réalité la Cour.
D'une part, le texte prévoit un partage des prestations familiales, quel que soit le type de résidence alternée, c'est-à-dire que celle-ci soit ou non « égalitaire ». Or la Cour précise que la résidence alternée doit être effective et équivalente pour que l'enfant puisse être considéré comme étant à la charge de ses deux parents, au sens du code de la sécurité sociale, et écarte a contrario tout partage quand la charge de l'enfant n'est pas répartie de façon équitable entre les parents.
D'autre part, le texte impose un partage systématique de toutes les prestations familiales, selon un modèle unique - la division en deux parts égales de leur montant -, alors que la Cour encadre ce partage en le subordonnant à des adaptations en fonction de la situation des parents et des règles propres à chaque prestation.
Quelques exemples concrets permettent de mesurer le caractère excessivement simpliste de la solution proposée.
Prenons l'allocation de parent isolé : ne serait-il pas singulier de diviser ce minimum social entre les deux parents, sans considération du fait que l'un d'entre eux pourrait en réalité ne pas remplir la condition d'isolement qui conditionne l'attribution de cette allocation ?
Les prestations sous condition de ressources soulèvent également un grand nombre de difficultés : dans la majorité des cas, les ressources des deux parents ne seront pas équivalentes et n'ouvriront pas forcément droit aux mêmes prestations ou alors à des prestations qui ne seront pas nécessairement d'un montant identique. S'il faut déterminer le droit à telle ou telle prestation, quelles ressources les caisses d'allocations familiales devront-elles retenir ? L'addition des ressources des deux parents, même si ceux-ci sont séparés ? Les ressources de l'un ou de l'autre ? Mais alors, comment choisir celui des deux parents qui servira de référence ?
Un problème supplémentaire se pose pour l'allocation de logement familial, puisque son attribution non seulement est soumise à une condition de ressources, mais encore dépend de critères liés au logement lui-même. Or, par définition, des parents séparés n'occupent pas le même logement.
On le voit, même si une solution doit être apportée au vide juridique créé par le développement de la résidence alternée dans l'attribution des prestations familiales, le dispositif doit impérativement être adapté à chaque prestation.
C'est d'ailleurs le sens de la démarche qu'a adoptée le Gouvernement. Ainsi, au printemps dernier, il a mis en place un groupe de travail chargé, d'une part, d'étudier les prestations familiales pouvant faire l'objet d'un partage entre des parents séparés, d'autre part, d'identifier les difficultés juridiques et pratiques d'un tel partage.
Grâce à ces travaux, une première étape sera proposée dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour le partage des seules allocations familiales. La rédaction retenue, même si elle ne répond pas à toutes nos interrogations, est bien plus satisfaisante que celle de la présente proposition de loi, car elle fait référence à une mise en oeuvre effective et équivalente de la résidence alternée et permet de préciser les modalités de répartition des parts ouvrant droit au bénéfice de ces allocations, notamment dans le cas des familles recomposées.
Pour les autres prestations, le groupe de travail poursuit ses réflexions. Dans ces conditions, il serait prématuré de poser le principe d'un partage de toutes les prestations.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, de rejeter l'ensemble de cette proposition de loi.
Avant de conclure, et bien que ce ne soit pas directement l'objet de la proposition de loi sur laquelle la commission se prononce aujourd'hui, je voudrais rappeler les critiques dont fait l'objet la résidence alternée.
En effet, plusieurs spécialistes de l'enfance dénoncent l'effet néfaste qu'elle peut avoir au plan psychologique sur l'enfant, notamment lorsqu'il est très jeune, dans la mesure où elle contrarie ses besoins de stabilité et de repères.
Il s'agit en outre d'un mode d'organisation contraignant et coûteux, puisque chaque parent doit être en mesure de loger ses enfants dans des conditions permettant une scolarisation continue.
Si l'on obligeait les parents à subir les mêmes changements, cela leur poserait sans doute beaucoup de problèmes ! (Mme Janine Rozier applaudit.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On peut essayer !
M. André Lardeux, rapporteur. Ne nous étonnons pas, alors, qu'il en soit de même pour les enfants.
La résidence alternée implique une collaboration constante entre les parents, parfois difficile à nouer en cas de séparation très conflictuelle. Ces contraintes font que ce mode de garde concerne en grande majorité des couples aisés, qui se séparent par consentement mutuel.
Cinq ans après sa reconnaissance officielle par la loi, il me paraît indispensable que l'on évalue les conséquences de cette pratique, non au plan financier, mais au regard des conséquences de la garde alternée sur la vie et sur le comportement des enfants concernés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, j'ai souhaité intervenir dans ce débat afin d'exposer clairement les raisons pour lesquelles la commission des affaires sociales a rendu des conclusions négatives sur la proposition de loi de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
Cette position est en effet suffisamment rare - elle est même inédite pour la commission des affaires sociales - pour justifier qu'elle soit expliquée.
Je ne reviendrai pas sur les nombreux arguments techniques présentés par le rapporteur, André Lardeux, qui sont, me semble-t-il, imparables. On ne peut en tirer qu'une seule conclusion : sur le strict plan de leur mise en oeuvre, les propositions qui nous sont faites sont réellement inapplicables en l'état.
Il se trouve que je préside le conseil de surveillance de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF. À ce titre, en prévision de notre débat de ce soir, j'ai interrogé ses responsables pour connaître leur sentiment sur l'éventualité du partage de toutes les prestations familiales légales que sert la Caisse. Ils m'ont exprimé leurs plus vives réserves.
Pour mémoire, il existe neuf prestations différentes, qui, pour certaines d'entre elles, viennent d'ailleurs d'être évoquées : la prestation d'accueil du jeune enfant, les allocations familiales, le complément familial, l'allocation de logement, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, l'allocation de soutien familial, l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation de parent isolé et l'allocation journalière de présence parentale.
Cette énumération montre bien qu'à l'évidence certaines de ces prestations sont par nature « non partageables ».
De plus - je conviens que ce n'est pas un argument décisif, mais le législateur se doit d'en tenir compte -, la gestion des prestations familiales par les caisses d'allocations familiales se trouverait grandement complexifiée si elle devait intégrer le calcul supplémentaire du partage des sommes entre les parents, le contrôle du bien-fondé de leur attribution et le dédoublement des procédures de versement, assortis des frais qui en découleraient forcément.
Cette charge, de surcroît, s'alourdirait au fil des ans avec l'augmentation constatée du taux des divorces et, parallèlement, l'accroissement du nombre des familles recomposées, lequel rendrait encore plus ardu le calcul des droits.
Je vous rappelle que, chaque année, environ 12 000 enfants supplémentaires entrent dans le champ de la garde alternée. On peut aussi évoquer le cas de ceux qui, au bout de quelque temps, retrouvent un mode de résidence plus classique auprès d'un seul parent, au profit duquel il faudrait alors rétablir le paiement intégral des prestations familiales.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Évidemment !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bref, ce dispositif risquerait d'être source de sérieuses difficultés d'application.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Au moment où le Parlement commence l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, dans le contexte que nous connaissons de l'exigence d'une bonne gestion des comptes sociaux, de la recherche d'économies et de la meilleure affectation possible des ressources disponibles, je ne crois pas qu'il soit opportun d'alourdir les coûts de fonctionnement pesant sur la branche « famille ».
Dans le même souci de ne pas rendre plus rigides encore des procédures qui le sont déjà suffisamment, je vous rappelle que, lorsqu'un juge fixe le montant de la pension alimentaire d'un enfant, il tient compte des revenus de chaque parent, en incluant les prestations familiales qui s'y ajoutent. Prévoir dans la loi le partage de ces prestations par moitié risque de rouvrir un certain nombre de dossiers sur lesquels l'accord des parents peut être remis en cause si l'on modifie les bases de calcul.
On m'objectera sans doute que, le plus souvent, dans 70 % des cas environ, lorsque l'on retient le principe d'une garde alternée, la convention prévoit qu'il n'y a pas lieu à versement d'une pension alimentaire. J'en conclus que, dans 30 % des cas, il y a donc bien fixation d'une pension, qu'il faudrait peut-être recalculer, et que la donne pourrait se trouver changée pour les 70 % des cas où elle n'a pas été retenue au départ.
Est-il vraiment nécessaire de multiplier les causes potentielles de conflits lorsqu'ils ont été évités jusqu'alors ? Je ne le crois pas.
Pour autant, et c'est sur ce point que je voudrais conclure, la commission des affaires sociales en adoptant cette position n'a nullement pour objectif de refuser aux pères divorcés ou séparés de faire valoir leurs droits vis-à-vis de leurs enfants et la reconnaissance de leur statut. Si je parle des pères, c'est que nous savons bien qu'en pratique ce sont eux qui, le plus souvent, éprouvent le sentiment d'être, en quelque sorte, mis à l'écart et niés dans leur paternité.
J'ai été autrefois l'auteur d'une proposition de loi relative à la prestation compensatoire en cas de divorce, rapportée par M. Hyest au nom de la commission des lois en février 1998 et dont le texte définitivement voté a été promulgué le 1er juin 2000. Je me suis alors profondément investi dans la cause des pères pour avoir vu, autour de moi, de nombreux cas d'injustice flagrante. Je crois toutefois que la solution proposée par Michel Dreyfus-Schmidt d'un partage par moitié de toutes les prestations familiales n'est pas la réponse qu'il convient d'apporter, même si j'en mesure parfaitement l'intérêt symbolique.
Nous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir sur cette question très prochainement, puisque le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoit lui-même d'organiser le partage des droits entre les parents séparés ou divorcés, mais pour les seules allocations familiales et dans le strict respect du principe d'adéquation à la charge effective de l'enfant par chacun de ses parents.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un cavalier !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et, pour être parfaitement honnête - M. le ministre délégué connaît mon sentiment sur ce point -, même dans cette forme simplifiée, très en deçà des ambitions de la présente proposition de loi, le dispositif envisagé ne serait pas si simple à mettre en oeuvre, ni même souhaitable, à mes yeux.
Je souhaite donc que la réflexion se poursuive sur ces questions de société délicates, dont il convient de prendre l'exacte mesure et dont l'évolution doit nous conduire à prendre en compte, avant toute chose, l'intérêt supérieur de l'enfant. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;
Groupe socialiste, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Esther Sittler.
Mme Esther Sittler. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir a été inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée par la conférence des présidents mercredi dernier. Elle a fait l'objet d'un rapport de la commission des affaires sociales dès le jeudi.
Je tiens à féliciter notre rapporteur ainsi que ses collaborateurs pour leur efficacité, qui nous permet de débattre dans les meilleures conditions ce soir.
Il est proposé, dans ce texte, une solution à la délicate question de la répartition des prestations familiales en cas de résidence alternée après un divorce. Ce système, qui donne la possibilité aux enfants de vivre tantôt chez le père, tantôt chez la mère, après la séparation des parents, a été instauré par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.
Sur les 130 000 nouveaux divorces prononcés chaque année, la garde alternée en concernerait environ 10 000, selon le ministère de la justice. Dans 80 % des cas, soit la grande majorité, les demandes de garde alternée sont formulées conjointement par les deux parents. Lorsqu'un seul la demande, elle est retenue dans 25 % des cas.
J'en viens au problème des allocations familiales.
Alors que les deux parents assument parfois tous deux la charge effective de l'enfant, seul l'un des deux peut être allocataire, a priori celui qui percevait précédemment l'allocation. La seule possibilité offerte par la CNAF est d'alterner le bénéficiaire, par exemple par période d'un an, ce qui n'est pas très satisfaisant.
Le code de la sécurité sociale n'a donc pas tiré les conséquences du nouveau dispositif de la garde alternée.
La situation paraît d'autant moins équitable qu'une solution a été trouvée sur le plan fiscal. La loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 prévoit en effet qu'« en cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf dispositions contraires dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord des parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et l'autre parent. Ils ouvrent droit à une majoration de 0,25 part pour chacun des deux premiers et de 0,5 part à compter du troisième ».
La justice a ainsi été saisie de plusieurs cas, en matière sociale, où l'un des deux parents, le plus souvent le père, se sentait lésé par la situation.
Attaché à trouver une solution, monsieur le ministre délégué, vous avez engagé une réflexion sur le sujet au mois de mai dernier. Un groupe de travail a été formé pendant l'été, réunissant en son sein des représentants de la CNAF et des associations familiales ainsi que des magistrats. Les experts ainsi rassemblés n'ont pu que constater à quel point la question était en effet extrêmement complexe et délicate.
Toutes les prestations familiales ne peuvent être traitées de la même façon, les conditions posées variant d'une prestation à l'autre. Ainsi, les prestations sous condition de ressources peuvent-elles être partagées sans qu'il soit tenu compte des revenus respectifs des parents séparés ? Et selon quelles modalités ?
Les prestations soumises à des conditions spécifiques - l'isolement pour l'allocation de parent isolé - ou liées à l'exercice d'une activité professionnelle - comme la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE - peuvent-elles être partagées, et selon quels critères ? Comme l'a très bien expliqué M. le rapporteur, il faut éviter d'aboutir à des situations juridiques inextricables.
La question se pose également pour les allocations familiales qui sont universelles. Lorsque la garde alternée est égale entre le père et la mère et que les relations sont demeurées sereines, le partage ne devrait pas poser de problème.
C'est évidemment beaucoup plus complexe lorsque la durée de la garde et/ou les ressources du père et de la mère sont différentes. D'autres paramètres peuvent aussi venir s'ajouter, comme le fait que l'un des parents ou les deux aient fondé une autre famille.
Il y a eu des cas où les CAF ont dû suspendre le versement des allocations familiales parce que les parents se déchiraient et ne pouvaient se mettre d'accord lors du jugement sur le destinataire des prestations.
Des juristes se sont également inquiétés du risque, réel, de demande de révision du niveau de la pension alimentaire afin de compenser la perte financière d'un partage des allocations familiales si l'un des parents ne joue pas le jeu. Que faire également dans l'hypothèse où la pension alimentaire n'est pas versée ?
Il convient donc d'être très prudent afin de ne pas commettre de nouvelles injustices.
Or les auteurs de la présente proposition de loi proposent une solution unique : celle du partage des prestations familiales en deux parts égales en cas de résidence alternée, sauf si les parents se sont entendus pour en convenir autrement dans le cadre de la convention homologuée par le juge. Ils évoquent, dans leur exposé des motifs, un avis de la Cour de cassation saisie par un tribunal des affaires de sécurité sociale qui a permis, l'été dernier, le partage en faveur d'un père qui demandait que son droit soit reconnu.
Or, comme nous venons de l'exposer, la situation est complexe et impose des réponses diverses et circonstanciées.
Le texte ainsi soumis à notre examen n'apparaît, par conséquent, pas applicable en l'état. Une réflexion technique est indispensable pour examiner au cas par cas chaque prestation, l'opportunité de son partage et ses modalités.
C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle a abouti le groupe de travail mis en place par le Gouvernement, qui poursuit sa réflexion. Une solution semble toutefois avoir été trouvée s'agissant du cas spécifique des allocations familiales.
En effet, l'article 65 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 devrait permettre de reconnaître la qualité d'allocataire à chacun des deux parents séparés, sous certaines conditions précisées par décret en Conseil d'État, lorsqu'il y a partage de la charge effective de l'enfant.
Pour toutes ces raisons, l'initiative de nos collègues apparaît prématurée. C'est pourquoi le groupe UMP votera les conclusions présentées par notre excellent rapporteur proposant très sagement de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt a pour objet de permettre un partage des allocations familiales entre les deux parents séparés ou divorcés qui auront choisi la garde alternée pour leurs enfants.
Ces dernières années, la pratique de la garde alternée s'est développée. Reconnue officiellement par la loi du 4 mars 2002, elle concerne aujourd'hui environ 10 % des 70 000 cas de divorce prononcés chaque année. Le plus souvent, l'alternance s'effectue à un rythme hebdomadaire.
Mais elle ne s'est pas forcément développée de la même manière chez tous les couples divorcés. En effet, des disparités existent dans le choix d'une garde alternée selon le niveau social des parents.
Dans son rapport, la mission d'information sur la famille et les droits de l'enfant de février 2006 fait état que « si seuls les parents relativement aisés choisissent la résidence alternée, c'est qu'elle induit un certain nombre de contraintes matérielles et de surcoûts ».
Choisir la garde alternée n'est donc pas qu'une question philosophique ou éducative, et repose également sur les moyens financiers dont disposent les deux parents. Occupent-ils un appartement suffisamment équipé pour recevoir leurs enfants une semaine sur deux ? Ont-ils la possibilité de satisfaire les besoins essentiels à l'épanouissement de leurs enfants ?
Si ce mode de garde apparaît plutôt favorable aux enfants, il nécessite toutefois une assise financière certaine. Les parents qui ont de faibles revenus devraient-ils pour autant renoncer à opter pour la garde alternée ?
Dans certains domaines, des mesures d'accompagnement ont été prévues, comme le partage du quotient familial en matière fiscale ou l'inscription de l'enfant sur la Carte vitale de chacun des parents.
En revanche, les allocations et les autres prestations familiales ne pouvaient être versées qu'à un seul parent. Sans compter toutes les aides dont l'attribution est liée à la perception des allocations familiales.
La question du partage des allocations familiales s'est donc posée de manière concrète à un moment donné.
Cependant, le code de la sécurité sociale ne prévoit absolument pas ce partage, puisque, dans toutes les situations, il ne vise qu'une seule personne bénéficiaire. Et même si la CNAF a adapté quelque peu ses procédures de règlement, les caisses restaient tributaires de décisions de justice.
En juin dernier, la Cour de cassation est venue éclairer une situation qui devenait de plus en plus obscure pour les parents séparés ayant opté pour la garde alternée.
Dans son avis du 26 juin 2006, la Cour de cassation considère en effet que, désormais, en cas de résidence alternée, « le droit aux prestations familiales [sera] reconnu alternativement à chacun des parents en fonction de leur situation respective et des règles particulières à chaque prestation ».
Néanmoins, la situation, bien que partiellement éclaircie d'un point de vue juridique, n'est pas complètement clarifiée sur le plan pratique.
Tout d'abord, tant que la référence expresse à la garde alternée du ou des enfants n'est pas insérée dans les articles L. 513-1 et R. 513-1 du code de la sécurité sociale, le vide juridique continue plus ou moins d'exister.
Les deux parents devraient pouvoir être allocataires non pas alternativement, mais continuellement. En effet, je le disais en introduction, opter pour la garde alternée a un coût, que les deux parents doivent assumer.
Par ailleurs, d'un point de vue très concret, des difficultés d'application vont apparaître. Les prestations familiales correspondant à la composition de la famille à charge, la prise en compte des partages de garde se révélera forcément complexe.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Eh oui !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Que se passera-t-il, par exemple, dans le cas des familles recomposées ? Le parent qui déciderait de revivre en couple continuerait-il de percevoir les allocations familiales ?
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Bien sûr !
Mme Josiane Mathon-Poinat. De même, si le père et la mère sont tous deux bénéficiaires, pourront-ils percevoir les autres prestations, comme les allocations de logement ou l'allocation de rentrée scolaire ?
Toujours est-il que le principe du partage des allocations familiales entre le père et la mère est a priori acquis, puisque le Gouvernement a décidé de l'introduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.
C'est d'ailleurs l'un des arguments utilisés par la commission des affaires sociales pour conclure au rejet de la présente proposition de loi.
Nous demandons néanmoins au Gouvernement de nous présenter, dès aujourd'hui, les mesures concrètes qu'il envisage de prendre en cas de partage des allocations familiales, sans attendre l'examen par notre assemblée du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le Gouvernement s'engage-t-il à permettre, une fois le code de la sécurité sociale modifié dans sa partie législative, une application effective de ce partage ?
Souhaitant que les deux parents soient allocataires des prestations familiales, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier et le Sénat et la conférence des présidents qui a accepté, pour une fois, d'inscrire à l'ordre du jour de la séance mensuelle consacrée à l'ordre du jour réservé une proposition de loi émanant du groupe socialiste.
Je rappelle en effet que, en la matière, contrairement à ce qui prévaut à l'Assemblée nationale, où chaque groupe dispose, en quelque sorte, d'un « droit de tirage », le Sénat prétendait jusqu'ici choisir lui-même entre les propositions de loi de l'opposition celles qui seraient inscrites à l'ordre du jour et celles qui ne le seraient pas.
Pour une fois, donc, on a accepté une proposition de loi choisie par le groupe socialiste, celle précisément dont nous discutons, et je tiens à en remercier de nouveau et la conférence des présidents et le Sénat tout entier.
Je voudrais remercier également, non sans un soupçon d'ironie, la commission des affaires sociales de son rapport, même si je note que le rapporteur avait déjà été désigné, si j'ai bien compris, lorsque la commission s'est réunie... Voilà sur la forme !
Sur le fond, maintenant, je constate que le rapporteur, rejoint en cela par M. le président de la commission, formule des observations totalement inadmissibles. Tout d'abord, il s'interroge : la garde alternée est-elle une bonne chose pour les enfants ? Il semblerait que non ! Et puis, il faut avoir les moyens...
Or, vous le savez tous, il est évidemment souhaitable que les deux parents aient la possibilité d'accueillir les enfants, ce qui vaut pour la garde des enfants en général et non plus seulement pour la garde alternée. Mais le rapporteur nous dit, non sans un certain mépris, que la garde alternée n'intéresse après tout que les gens qui ont les moyens...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si, cela a été dit, monsieur le président de la commission !
J'ai d'ailleurs sous les yeux l'intervention du rapporteur : « Bien que ce ne soit pas directement l'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, je voudrais rappeler les critiques dont fait l'objet cette modalité d'organisation de la résidence alternée des enfants de parents séparés ou divorcés. En effet, de nombreux spécialistes de l'enfance dénoncent l'effet néfaste qu'elle peut produire pour l'enfant sur le plan psychologique, notamment lorsqu'il est très jeune, car elle contrarie ses besoins de stabilité et de repères. »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Notre rapporteur est le spécialiste « famille » de la commission !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le ministre délégué, vous qui avez constitué un groupe de travail sur cette question afin qu'une solution durable soit apportée au problème de la garde alternée, vous devez être très intéressé par les affirmations du rapporteur, en particulier celle-ci : « Il s'agit en outre d'un mode d'organisation contraignant et coûteux, puisque chaque parent doit être en mesure de loger ses enfants dans des conditions permettant une scolarisation continue. Tout cela suppose une collaboration constante entre les parents, parfois difficile à nouer en cas de séparation très conflictuelle ». Dans ce dernier cas, bien évidemment, la garde alternée n'existe pas !
Mais je poursuis ma citation : « Ces contraintes font que la résidence alternée concerne en grande majorité des couples aisés, qui se séparent par consentement mutuel. » Des couples « aisés », mes chers collègues ! Et je n'invente rien, ce sont les termes du rapporteur, extraits de son rapport rédigé avant même que la commission ne sache qui serait désigné comme rapporteur !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est notre rapporteur pour la famille !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah bon ? C'est comme ça que cela se passe au sein de la commission des affaires sociales ? En général, le rapporteur est désigné par la commission. C'est du moins ce qui se pratique au sein de la commission des lois, vous vous en souvenez certainement, pour y avoir siégé longtemps, monsieur About !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. J'ai beaucoup appris à votre contact, mon cher collègue !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous êtes trop aimable, monsieur le président de la commission !
Cela étant dit, afin de vous convaincre, monsieur le ministre délégué, et au-delà, je l'espère, nos collègues, permettez-moi de rappeler les propos que j'avais tenus le 21 novembre 2001, lors de la discussion générale de la proposition de loi relative à l'autorité parentale :
« Un autre point nous paraît important, qui ne figure ni dans le texte de l'Assemblée nationale ni dans celui de la commission des lois du Sénat, en matière d'autorité parentale alternée. Elle n'est pas forcément paritaire et, à l'évidence, [...] cela suppose qu'elle soit possible, c'est-à-dire que l'enfant puisse continuer à fréquenter la même école et que les parents habitent l'un près de l'autre. [...] Quoi qu'il en soit, aucune disposition n'est prévue quant au devenir des avantages fiscaux, familiaux et sociaux. Il faudrait que ces avantages fiscaux, familiaux et sociaux fassent l'objet d'un partage, sur lequel les parents se mettraient d'accord ou qui serait arrêté par le juge lui-même.
« Si, par hypothèse, les deux parents disposent des mêmes ressources, qu'ils habitent l'un près de l'autre et qu'ils exercent une autorité parentale alternée, qui touchera éventuellement les allocations familiales ? Qui percevra l'indemnité de rentrée scolaire ? Le texte est muet sur ce point ! C'est pourquoi nous proposons un amendement qui prévoit que le partage sera ordonné ou mentionné dans la convention proportionnellement à ce que sera éventuellement l'autorité parentale alternée. »
C'était, je le répète, le 21 novembre 2001 ! M. Laurent Béteille, alors rapporteur de la commission des lois, s'était opposé à cette disposition : « Je ne suis pas persuadé que cette solution soit adaptée, disait-il. En effet, il y a lieu de ne pas figer la situation afin de respecter l'autonomie des parents s'agissant des conventions qu'ils prévoient pour décider des modalités d'exercice de l'autorité parentale et fixer la pension alimentaire. Par conséquent, la commission est défavorable à ce sous-amendement. »
La ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées d'alors y était très favorable et avait émis un avis en ce sens. Je rappelle qu'il s'agissait de Mme Ségolène Royal.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Elle était favorable à la garde alternée !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dinah Derrick, alors présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, y était également favorable. Car, oui, mes chers collègues, une femme socialiste présidait alors la délégation, mais, dès que notre collègue nous a quittés, la majorité a repris cette présidence !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Plus exactement, le groupe centriste !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dinah Derrick précisait alors que le sous-amendement que nous avions déposé répondait « à un souhait de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes qui avait été voté à l'unanimité des personnes présentes, lesquelles représentaient tous les groupes. »
Notre regrettée collègue poursuivait en ces termes : « Il s'agit d'une question fondamentale. Si l'on veut s'orienter vers la garde alternée, il faut effectivement répondre aux préoccupations des parents en matière de répartition des avantages fiscaux et sociaux. »
Je souligne à votre attention, mes chères collègues, vous qui êtes très nombreuses dans l'hémicycle, que la délégation aux droits des femmes avait soutenu, à l'unanimité, cette proposition. C'est elle qui revient en somme aujourd'hui devant le Sénat.
S'agissant des réflexions de votre groupe de travail, monsieur le ministre délégué, nous pensons, pour notre part, qu'il est inutile d'en attendre plus longtemps le résultat sachant que le sujet est très simple et qu'il a déjà fallu bien du temps avant que la Cour de cassation ne mette un terme à la résistance des tribunaux des affaires de sécurité sociale.
Et vous êtes de cet avis, vous l'avez dit et écrit. De plus, mais la commission des affaires sociales, dans sa majorité, l'a sans doute totalement oublié, vous avez prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 un article 65 qui dispose ceci : « En cas de résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des parents telle que prévue à l'article 373-2-9 du code civil, mise en oeuvre de manière effective, les parents désignent l'allocataire. Cependant, la charge de l'enfant pour le calcul des allocations familiales est partagée par moitié entre les deux parents, soit sur demande conjointe des parents, soit si les parents sont en désaccord sur la désignation de l'allocataire. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent alinéa. »
Nous sommes d'accord avec vous sur le principe d'un décret en Conseil d'État, monsieur le ministre délégué.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais je vous renvoie sur ce point au texte de nos deux amendements : nous prévoyons comme vous un décret en Conseil d'État.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Comme ce décret ne sortira jamais...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En général, on ne les voit jamais !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On pourra discuter sur la question de savoir s'il convient de limiter le décret aux seules allocations familiales, ou bien s'il doit s'appliquer à toutes les prestations familiales, ce qui est beaucoup plus compliqué, je le reconnais. En revanche, en ce qui concerne les allocations familiales, les choses sont très simples...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est faisable, mais ce n'est pas simple !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela ne devrait pas soulever de difficultés, qu'il s'agisse d'un partage par moitié ou d'un partage proportionnel à la durée de la garde.
Par ailleurs, monsieur le ministre délégué, permettez-moi de vous le dire, cet article 65 ainsi introduit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale est évidemment un cavalier.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si ! Encore une fois, la mesure ne coûte rien !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Si, pour les caisses !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je persiste : la mesure n'a pas de coût pour la sécurité sociale. Je tenais donc à vous mettre en garde sur ce point.
Je vous rappelle que tout le monde a été d'accord sur le bien-fondé de cette mesure, à commencer par le Médiateur de la République. Et nombreux sont ceux qui l'ont réclamée !
Surtout, je tiens à attirer votre attention sur le fait que la garde alternée peut parfois concerner les grands-parents, voire des tiers. En vous référant aux seuls parents dans l'article proposé, vous ne réglez que partiellement le problème.
Les amendements que nous avons présentés sur la présente proposition de loi sont d'ailleurs rédigés en ce sens.
Le premier tend à insérer, à la fin du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale, les mots : « les prestations familiales sont, sous la même réserve, dues aux personnes physiques qui assument la charge effective et permanente de l'enfant, au prorata des temps de résidence respectifs. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent alinéa. »
Le second amendement vise à rédiger comme suit la fin du texte proposé par l'article 2 pour l'article L. 521-2 du code de la sécurité sociale « à proportion du temps de résidence de l'enfant, aux personnes qui en assument la charge effective et permanente. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent alinéa. »
Voilà donc, à mon avis, un problème simple : la Cour de cassation et le Conseil d'État sont unanimes sur ce point. Cette question concerne 10 % des divorces prononcés et ne devrait entraîner aucune difficulté, dès lors que nous nous référons non pas aux parents, mais aux personnes - encore une fois, ce ne sont pas nécessairement les parents qui sont concernés - et qu'un décret en Conseil d'État détermine ce qui peut être partagé ou non.
Voilà, monsieur le président, les explications que je voulais donner au Sénat : j'espère avoir convaincu les uns set les autres que, avec les amendements que nous avons déposés, la question est désormais simple.
Vous affirmez, monsieur le ministre délégué, que votre mesure n'est pas un cavalier. Selon nous, un risque subsiste ; nous nous permettons de vous le signaler. Ce risque disparaîtrait si le Sénat adoptait la solution que prévoient nos amendements, tout en confortant finalement votre propre position.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Le sujet qui nous retient ce soir est d'importance, et je voudrais, pour commencer, saluer l'inspiration de la proposition de loi qui fait l'objet de ce débat.
La question du partage des allocations familiales se pose en effet depuis longtemps, en cas de séparation des parents, lorsque ceux-ci ont adopté un mode de garde alternée entre les domiciles des deux parents.
Cette question se résout certes en pratique lorsque le juge aux affaires familiales doit calculer le montant de ce qu'il est convenu d'appeler la pension alimentaire qui est versée par celui des deux anciens conjoints dont les revenus sont supérieurs à ceux de l'autre.
Dans ce cas de figure, le juge apprécie en effet l'ensemble des ressources de chacun des deux parents et peut et même doit tenir compte des ressources provenant des prestations familiales. Si bien que, on le voit, il est déjà tenu compte des prestations familiales dans le calcul du montant de l'obligation alimentaire.
Il est cependant exact que ces règles peuvent paraître complexes et que de nombreux ex-conjoints peinent à comprendre que les allocations familiales ne soient pas également partagées quand la charge de l'enfant est également partagée entre les deux, surtout dans le cas, fréquent, où chacun des deux parents dispose de ressources comparables.
C'est pourquoi, il y a plusieurs mois déjà, j'ai engagé une réflexion avec la Caisse nationale d'allocations familiales. Cette réflexion, entamée avant même l'avis de la Cour de cassation, s'est poursuivie par la mise en place d'un groupe de travail qui devait examiner l'ensemble de ces questions.
Chacun des orateurs qui se sont succédé à la tribune l'a en effet souligné, il n'est pas simple de déterminer quelles seront les prestations qui seront éligibles à un partage et dans quelle mesure ce partage aura lieu, alors que la garde alternée peut être partagée sur un rythme hebdomadaire, une semaine chez l'un, une semaine chez l'autre, mais aussi sur un rythme moins simple, quatre jours d'un côté, trois jours de l'autre. Des différences se font alors jour entre la charge assumée par chaque parent.
La question n'est pas simple non plus de savoir si l'on doit appliquer les dispositions nouvelles uniquement aux séparations ou divorces qui auront lieu après leur adoption ou si elles peuvent être appliquées à l'ensemble des parents qui élèvent leurs enfants sous le régime de la garde alternée.
Toutes ces questions ont été examinées dans le cadre de ce groupe de travail, composé non seulement de représentants de la CNAF, de représentants du ministère, mais aussi d'avocats, de magistrats et même du Médiateur de la République, qui s'est penché sur cet important dossier.
La réflexion du groupe de travail a bien progressé. Elle se poursuit. Elle sera menée à son terme dans les prochaines semaines.
D'ores et déjà, j'ai souhaité que le projet de loi de financement de la sécurité sociale puisse comporter une première disposition, qui me paraît relever du bon sens et qui ouvre un droit d'option.
La règle actuelle serait maintenue, sauf si les deux parents décidaient un partage des allocations. En cas de désaccord entre eux, s'ils voulaient adopter une autre formule que celle de l'allocataire unique sans pour autant savoir comment répartir les prestations, ils pourraient s'en remettre à leur juge.
Pourquoi cela figure-t-il dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, monsieur Dreyfus-Schmidt ? Tout simplement parce que les caisses d'allocations familiales, qui ont déjà consenti de gros efforts pour l'amélioration du service des familles, auront certainement de nouvelles dépenses à assumer dans la mise en oeuvre de cette réforme, qui représente un coût de gestion substantiel.
M. Philippe Bas, ministre délégué. C'est d'ailleurs pourquoi, tout à l'heure, M. le président de la commission des affaires sociales s'inquiétait des difficultés d'organisation que cette réforme pouvait susciter, difficultés confirmées par les gestionnaires de la branche « famille ».
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. À juste titre !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Par conséquent, ces dispositions, que j'aurai l'honneur de vous présenter dans quelques semaines, ont toute leur place dans la loi de financement de la sécurité sociale.
Après avoir rendu hommage à l'inspiration qui nous est commune, monsieur Dreyfus-Schmidt, vous l'avez vous-même souligné, j'ai le devoir de vous dire que le Gouvernement ne peut retenir la proposition de loi en l'état.
En effet, d'une part, vous englobez toutes les prestations familiales, y compris les prestations soumises à conditions de ressources, pour lesquelles un partage serait pour le moins difficile à envisager et, d'autre part, au lieu d'ouvrir une simple option, vous fixez une règle dont le caractère très automatique nous paraît, lui aussi, emporter de redoutables conséquences.
Je ferai donc une suggestion. Pourquoi ne pas reprendre ce débat à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, sur les bases, plus restreintes certes, du texte qui vous sera alors proposé, mais que la Haute Assemblée pourra à loisir amender, le cas échéant dans le sens de ce que vous proposez, monsieur Dreyfus-Schmidt ?
Pour toutes les raisons précédemment invoquées, le Gouvernement a le regret de devoir émettre un avis négatif sur cette proposition de loi, tout en insistant sur la qualité du travail de la commission des affaires sociales et de son rapporteur et en saluant, de nouveau, la légitime ambition qui a inspiré l'auteur de l'initiative. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Explications de vote
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires sociales tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à M. Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avons déposé des amendements sur notre propre proposition de loi ; ne serait-il pas normal de les mettre aux voix ? Au cas où le Sénat les adopterait, la commission pourrait nous donner alors sa position.
Si nous procédons autrement et que les conclusions négatives de la commission sont adoptées, la proposition de loi sera de ce fait rejetée, et nos amendements auront perdu tout objet.
Ou alors convenons que, même si les conclusions de la commission étaient adoptées, il serait encore possible de modifier le texte que nous proposons.
J'ai bien entendu M. le ministre délégué ; M. le ministre délégué m'a entendu. Je n'y reviendrai pas.
En revanche, quand je faisais observer que ce ne sont pas nécessairement les parents qui sont concernés, vous ne m'avez pas répondu sur ce point. Peut-être me donnerez-vous acte du bien-fondé de mon observation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué. Monsieur le sénateur, prenons l'article 373-2-9 du code civil, adopté il y a quelques années pour permettre la garde alternée.
Que prévoit cet article ? « La résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux. »
M. Gérard César. C'est clair !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Il me semble que le texte du code civil répond très directement à la question que vous souleviez : les règles de la garde alternée,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais la jurisprudence ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. ...telle qu'elle est régie par le code civil, ne s'appliquent qu'à une garde alternée au domicile de chacun des deux parents, à l'exclusion de tout autre domicile. Je n'invente rien, ce sont les termes du code civil.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voyez la jurisprudence !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, puisque vous vous inquiétez de la procédure ici suivie, permettez-moi de vous rappeler les termes du c de l'alinéa 6 de l'article 42 du règlement, que vous connaissez sans doute mieux que moi, vous qui avez présidé tant de nos séances. On y lit que, « si les conclusions négatives de la commission sont rejetées, le Sénat est appelé à discuter le texte initial de la proposition ».
Voilà ce que prévoit très explicitement le règlement du Sénat, qu'il m'incombe d'appliquer, sans chercher à innover.
Je vais donc tout à l'heure d'abord mettre aux voix les conclusions négatives de la commission et, si et seulement si celles-ci sont rejetées par le Sénat, la proposition de loi sera effectivement discutée et, avec elle, les amendements.
La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Comme le groupe de l'UMP tout entier, je me prononcerai contre cette proposition de loi en votant les conclusions négatives de la commission.
Néanmoins, monsieur le ministre délégué, j'aimerais aller au-delà. Vous avez constitué un groupe de travail chargé d'étudier les modalités d'une possible répartition de l'ensemble des prestations familiales entre les parents ayant la garde alternée de l'enfant. Avez-vous, dans le même temps, mis en place une mission ou demandé des études pour connaître l'évolution psychologique des enfants qui vivent, ou plutôt subissent la garde alternée ? Ce dernier aspect me semble plus important !
Il a beaucoup été question aujourd'hui des intérêts financiers des parents, mais à aucun moment n'a été évoqué l'intérêt de l'enfant. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous vous êtes fortement appuyé sur l'avis de la Cour de cassation du 26 juin 2006 pour étayer votre proposition.
Or, vous le savez parfaitement, « la règle de l'unicité de l'allocataire prévue à l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale ne s'oppose pas à ce que, lorsque la charge effective et permanente de l'enfant est partagée de manière égale », et c'est la seule modalité de partage évoquée par la Cour, « entre les parents, en raison de la résidence alternée et de l'autorité parentale conjointe, le droit aux prestations familiales soit reconnu alternativement à chacun des parents [...]. »
Heureusement, la Cour de cassation pose cette condition de répartition égale ! Sinon, si le prorata qui a été souhaité dans l'un des amendements devait être appliqué, imaginez la complexité des cas. Songez à ces enfants qui sont pour un dixième du temps chez l'un et pour neuf dixièmes chez l'autre ; songez à ces parents que leur métier amène à s'absenter durant certaines périodes... Quel serait le coût de la répartition des prestations ? Les caisses d'allocations familiales seraient dans l'impossibilité de l'assumer !
La Cour de cassation l'a clairement indiqué, n'est concerné que le cas où « la charge effective et permanente de l'enfant est partagée de manière égale ». Je crois donc, mon cher collègue, qu'il ne faut pas regretter votre amendement, qui, malheureusement, ne sera pas débattu.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué. Monsieur Milon, il ne s'agissait pas ce soir de savoir s'il était opportun de favoriser ou, au contraire, de contrarier le développement de la garde alternée, non, il n'était question que des éventuelles modalités de répartition, entre les parents séparés, des allocations familiales et, plus généralement, des prestations familiales dans le cas d'une garde alternée.
La question que vous soulevez, après M. le rapporteur, n'en est pas moins judicieuse : dans quels cas la garde alternée est-elle favorable à l'enfant et dans quels cas lui est-elle défavorable ? À cet égard, il serait en effet très pertinent, après quelques années d'application de la loi, de procéder à une évaluation de cette pratique. En ce qui me concerne, je suis tout à fait ouvert à ce que nous en discutions ensemble.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires sociales, tendant au rejet de la proposition de loi.
(Ces conclusions sont adoptées.)
M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
10
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président. M. le président du Sénat a reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la fonction publique territoriale.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 21, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
11
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'identification des commandes, témoins et indicateurs des véhicules à moteur à deux ou trois roues (version codifiée).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3262 et distribué.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Action commune du Conseil 2006/.../PESC du ... modifiant et prorogeant l'action commune 2005/190/PESC relative à la mission intégrée « État de droit » de l'Union européenne pour l'Irak, EUJUST LEX -PESC IRAK État DE DROIT-.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3263 et distribué.
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DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. André Rouvière un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention pénale sur la corruption (n° 450, 2004-2005).
Le rapport sera imprimé sous le n° 23 et distribué.
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DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Philippe Marini un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur un projet de décret d'avance reçu par la commission le 11 octobre 2006, en application de l'article 13 de la LOLF.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 22 et distribué.
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ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 18 octobre 2007, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 3, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie ;
Rapport (n° 6, 2006-2007) de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques ;
Avis (n° 7, 2006-2007) présenté par M. Philippe Marini au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Projet de loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer (n° 359, 2005-2006) ;
Projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer (n° 360, 2005-2006) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 27 octobre 2006, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 23 octobre 2006, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD