sommaire
présidence de M. Guy Fischer
2. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président.
financement de la réalisation des aires d'accueil des gens du voyage
Question de M. Dominique Leclerc. - Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité ; M. Dominique Leclerc.
Question de Mme Bernadette Dupont. - Mmes Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité ; Bernadette Dupont.
Question de M. Louis Souvet. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; Louis Souvet.
difficultés de mise en oeuvre du passeport électronique
Question de M. Thierry Foucaud. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; Thierry Foucaud.
exécution du budget alloué à l'enseignement technique agricole
Question de Mme Françoise Férat. - M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Mme Françoise Férat.
défense de la vocation européenne de strasbourg
Question de M. Roland Ries. - Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie ; M. Roland Ries.
recours abusifs contre des décisions concernant l'urbanisme
Question de Mme Josette Durrieu. - Mmes Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie ; Josette Durrieu.
conditions d'organisation des « technivals »
Question de M. Rémy Pointereau. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; Rémy Pointereau.
taxe sur les véhicules de sociétés
Question de M. Jean-Claude Peyronnet. - Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur ; M. Jean-Claude Peyronnet.
révision tarifaire du service courrier de la poste
Question de M. Gérard Cornu. - Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur ; M. Gérard Cornu.
réglementation applicable aux personnes non pénalement responsables
Question de Mme Anne-Marie Payet. - Mmes Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur ; Anne-Marie Payet.
Question de Mme Marie-Thérèse Hermange. - M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Mme Marie-Thérèse Hermange.
incidences de la fermeture d'un tronçon de la rd 68 à rungis
Question de M. Christian Cambon. - MM. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Christian Cambon.
projet de tangentielle nord sartrouville - noisy-le-sec
Question de Mme Éliane Assassi. - M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Mme Éliane Assassi.
difficultés économiques des esat
Question de M. Georges Mouly. - MM. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités ; Georges Mouly.
financement des établissements d'accueil des personnes âgées dépendantes
Question de M. Gérard Delfau. - MM. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités ; Gérard Delfau.
fermeture de la chasse aux turdidés
Question de M. François Vendasi. - MM. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités ; Nicolas Alfonsi, en remplacement de M. François Vendasi.
Suspension et reprise de la séance
présidence de M. Christian Poncelet
4. Candidature à une commission
5. Immigration et intégration. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
Discussion générale : MM. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ; François Baroin, ministre de l'outre-mer ; François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois ; Georges Othily, président de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine.
présidence de M. Guy Fischer
Mme Éliane Assassi, MM. Denis Badré, Bernard Frimat, Jean-Patrick Courtois, Jacques Pelletier, Mme Muguette Dini.
Organisation de la discussion des articles
MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire.
6. Nomination d'un membre d'une commission
Suspension et reprise de la séance
présidence de M. Roland du Luart
7. Immigration et intégration. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
Discussion générale (suite) : MM. Louis Mermaz, Roger Karoutchi, Jean-Michel Baylet, Adrien Giraud, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Soibahaddine Ibrahim, Mme Bariza Khiari, MM. Christian Demuynck, Jean-Marie Bockel, Jean-Paul Virapoullé, Charles Gautier, Jacques Legendre, Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Lucette Michaux-Chevry, MM. Hugues Portelli, Serge Dassault, André Lardeux, Jacques Peyrat, Jean-Guy Branger.
Clôture de la discussion générale.
M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire.
Renvoi de la suite de la discussion.
8. Dépôt de propositions de loi
9. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
10. Dépôt d'un rapport d'information
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l'intégration des allégements généraux de charges sociales dans le barème des cotisations de sécurité sociale, en application de l'article 56 de la loi de finances pour 2006 n° 2005-1719 du 30 décembre 2005.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires sociales.
3
Questions orales
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
J'informe le Sénat que la question orale n° 1022 de M. Adrien Gouteyron est retirée de l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui, mardi 6 juin, à la demande de son auteur.
financement de la réalisation des aires d'accueil des gens du voyage
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc, auteur de la question n° 1043, adressée à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. Dominique Leclerc. Madame le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés rencontrées par les communes, et plus particulièrement celles de mon département d'Indre-et-Loire, pour financer la réalisation des aires d'accueil des gens du voyage.
Notre département s'est engagé depuis près de quatre ans dans l'application du schéma départemental de ces aires d'accueil publié en juin 2002. Malheureusement, pour différentes raisons, la réalisation de ces aires a pris du retard. Je citerai notamment les réticences de la population sédentaire envers ces projets, les contraintes résultant des règles d'urbanisme ou bien encore les aléas des procédures d'attribution de marchés.
Je pense plus particulièrement au cas précis de la communauté d'agglomération de Tours, à laquelle appartient la ville de Saint-Avertin. Alors que des appels d'offre ont été lancés pour l'ensemble des communes concernées, celui de Saint-Avertin s'avère infructueux pour un seul lot. En conséquence, la mise en chantier de ces aires - six au total pour quatre-vingt-quatre communes - ne peut avoir lieu !
Cet exemple n'est pas le seul, et nombreux sont les groupements de communes ou les communes à se retrouver dans une véritable impasse. Confrontés à l'application de différentes dispositions, ils craignent de ne pouvoir obtenir dans le délai fixé, c'est-à-dire le 30 juin 2006, les subventions nécessaires aux travaux.
D'une part, je citerai la circulaire du 17 décembre 2004 du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, en vertu de laquelle une commune doit au minimum avoir engagé la procédure d'attribution de marchés pour être considérée comme ayant satisfait aux conditions de délai fixées par l'article 2 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage modifiée par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
D'autre part, j'évoquerai l'article 11 du décret du 16 décembre 1999 relatif aux subventions de l'État pour des projets d'investissement, aux termes duquel devient caduque la décision de subvention si, à l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la notification de la subvention, les travaux ne sont pas commencés.
La combinaison de ces deux textes peut parfois s'avérer très restrictive. Ainsi, en Indre-et-Loire, le trésorier-payeur général, consulté par le préfet, a confirmé la position qu'il avait déjà exprimée en mai 2004. Se fondant sur ces deux dispositions, il a réaffirmé que seuls les travaux réalisés dans le délai fixé par l'article 2 de la loi du 5 juillet 2000, et à condition qu'ils soient justifiés par la production de factures attestées par l'ordonnateur pour service fait au 30 juin 2006, peuvent bénéficier de l'aide financière de l'État.
L'application particulièrement stricte de ces textes dans notre département crée un obstacle majeur à la réalisation d'opérations projetées par des communes ou des groupements de communes. Sur les trente-cinq aires inscrites au schéma d'accueil des gens du voyage, seuls onze projets ont reçu une subvention et neuf autres ont fait, à la fin du mois de mars 2006, l'objet d'un dépôt de dossier, qui a été reconnu complet. D'autres projets encore en cours d'instruction sont susceptibles de s'ajouter à cette liste avant le 30 juin prochain.
Ces communes ou groupements de communes savent pertinemment que, même si les entreprises ont d'ores et déjà été retenues et sont prêtes à intervenir, les travaux ne seront jamais finis avant la date butoir du 30 juin 2006. Il serait vraiment regrettable que ces projets soient abandonnés ou reportés sine die. Cela ne manquerait pas de jeter un discrédit supplémentaire sur l'ensemble des élus locaux, aux yeux non seulement de la population sédentaire, mais aussi des gens du voyage.
Aussi, madame le ministre, une nouvelle modification de la loi du 5 juillet 2000 paraissant exclue, pourriez-vous, face aux difficultés constatées, donner aux dispositions de son article 2 une interprétation plus souple que celle qui a été formulée par le contrôle financier déconcentré de notre département ?
Si vous acceptiez une telle proposition, deux solutions seraient envisageables.
La première serait de confirmer les termes de la circulaire du 17 décembre 2004 que j'ai évoquée précédemment, selon lesquels la condition de délai posée par l'article 2 de la loi du 5 juillet 2000 est considérée comme satisfaite si la procédure d'attribution de marchés a été engagée avant l'expiration du délai fixé.
La seconde solution, si vous souhaitez donner à l'application de cet article 2 un contenu juridiquement plus contraignant, serait de poser la condition suivant laquelle les marchés relatifs à la réalisation des aires d'accueil des gens du voyage doivent être notifiés dans le délai fixé.
Ainsi, les conditions d'application de la loi du 5 juillet 2000 ayant été précisées, les subventions accordées resteraient alors régies par les dispositions du décret du 16 décembre 1999.
Je ne sais si ces solutions sauront vous convaincre, madame le ministre, mais il est urgent de lever les obstacles auxquels sont confrontées de nombreuses communes et communautés de communes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le sénateur, depuis six ans maintenant, les collectivités locales et les services déconcentrés de l'État se sont fortement mobilisés pour trouver des solutions. Ils ont surtout adopté des schémas départementaux d'accueil des gens du voyage et les ont mis en oeuvre, en réalisant des aires de grand passage, des aires d'accueil et des terrains familiaux.
Cette mobilisation commence seulement à porter ses fruits : la quasi-totalité des schémas départementaux sont publiés, ce qui signifie qu'ils sont entrés dans une phase de mise en oeuvre. Seuls trois schémas sont en cours de finalisation, à la suite d'annulations pour vice de forme. Par ailleurs, j'ai installé le 14 mars 2006 la commission nationale consultative des gens du voyage, qui suivra la mise en oeuvre de cette politique. Un premier bilan a montré que 18 % des aires prévues sont en service et 25 % d'entre elles sont financées, c'est-à-dire en cours de réalisation.
Pour avoir travaillé, pas plus tard que ce week-end, à l'aménagement d'une aire de grand rassemblement, je peux vous dire que je suis sensibilisée à ce sujet !
La loi fixe un objectif politique aux communes qui sont inscrites dans un schéma départemental d'accueil des gens du voyage, en leur donnant un délai de deux ans après la publication du schéma départemental pour participer à la mise en oeuvre de ces aires. Ces communes s'efforcent d'atteindre cet objectif en mettant à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires d'accueil aménagées et entretenues.
Ce délai peut être prorogé de deux ans pour les communes ayant manifesté, au cours de la période initiale de deux ans, leur volonté de se conformer à leurs obligations. Ce délai est échu ou approche de son échéance dans plusieurs départements. Pour le département d'Indre-et-Loire, il s'achèvera le 30 juin 2006.
À l'issue de ce délai, la loi donne la possibilité aux préfets d'adresser une mise en demeure à la commune qui n'aurait pas respecté ses obligations et, à défaut d'avoir donné suite, de se substituer à la commune pour réaliser l'aire.
La loi précise par ailleurs et de façon distincte que l'État prend en charge les investissements nécessaires à hauteur de 70 % des dépenses engagées dans le délai fixé de deux ans, prorogé éventuellement de deux ans, et dans la limite d'un plafond.
En accord avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je vous confirme, monsieur le sénateur, la nécessité d'apprécier, pour le versement des subventions, ce délai de deux ans, éventuellement prorogé de deux ans, au regard de la seule notion d'engagement de dépenses et non de réalisation effective des travaux, ce qui suppose au minimum que les procédures d'attribution de marchés soient engagées dans ce délai.
Les services de l'État dans le département d'Indre-et-Loire examinent actuellement les conventions de subvention qui ont été signées, afin de rectifier celles qui ne seraient pas conformes à cette disposition.
Enfin, je vous confirme l'engagement des services de l'État à continuer d'apporter tout leur soutien aux communes et rechercher en permanence toutes les solutions offertes par les textes en vigueur, afin de faciliter la réalisation effective des aires que les collectivités locales ont décidé de réaliser.
Je dois vous faire part de la mobilisation du Gouvernement pour parvenir à mettre enfin en place ces aires sur l'ensemble du territoire.
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Madame le ministre, je vous remercie de votre réponse. Il est vrai que, sur le terrain, la mobilisation a été très longue à se mettre en place. Par ailleurs, tous les obstacles que j'ai évoqués tout à l'heure sont réels.
Aujourd'hui, je tiens à vous le dire, la mobilisation, notamment de nos préfets, existe. C'est en concertation avec les services de l'État que je peux vous faire ces propositions. Il faut désormais que les autres services, notamment ceux du trésorier-payeur général, relaient cette volonté politique du Gouvernement et de son représentant.
Conscients de l'acuité du problème, les élus locaux, c'est vrai, ont mis du temps à appréhender l'ampleur du phénomène. Aujourd'hui, dans l'agglomération tourangelle, seules deux aires ne répondent pas aux besoins actuels. C'est la raison pour laquelle nous assistons à une vraie mobilisation de l'ensemble des communes de la communauté d'agglomération et des communautés de communes voisines pour répondre enfin au problème de l'accueil temporaire des gens du voyage.
règles de décompte du temps de travail dans les chambres de veille des établissements sociaux et médico-sociaux
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont, auteur de la question n° 1061, adressée à M. le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes.
Mme Bernadette Dupont. Madame la ministre, pour ce qui concerne les périodes de surveillance nocturne en chambre de veille, le décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 avait prévu que le calcul de la durée légale du travail, dans les établissements et les emplois qu'il vise, se faisait sur la base d'un forfait de trois heures de travail effectif pour les neuf premières heures de présence et d'une demi-heure pour chaque heure au-delà.
Or, par l'arrêt Dellas et autres du 1er décembre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a estimé qu'une réglementation nationale ne pouvait prévoir, s'agissant des gardes effectuées selon le régime de la présence physique, pour les besoins du décompte du temps de travail effectif, un système d'équivalence tel que celui qui est posé par le décret cité.
Le Conseil d'État, dans un arrêt du 28 avril dernier, a annulé le décret, car, si la directive ne fait pas obstacle à l'application des rapports d'équivalence aux durées maximales de travail fixées par le droit national, il ne saurait en résulter une inobservation des seuils et plafonds communautaires pour l'appréciation desquels les périodes de travail effectives doivent être comptabilisées dans leur intégralité, sans possibilité de pondération.
Cette décision revient à supprimer les chambres de veille, structures pourtant adaptées aux caractéristiques des gardes de nuit des établissements d'hébergement permanent où une surveillance de nuit n'est pas nécessaire sur le plan médical. Ses conséquences risquent d'être très problématiques pour le fonctionnement de ces établissements. La rétribution intégrale du personnel embauché pour une présence de nuit, sans aucun caractère éducatif, grèvera sans conteste le nombre de personnes compétentes nécessaires à la présence éducative de jour, lorsque l'on sait que les budgets des établissements médicosociaux sont déjà très contraints.
Je voudrais donc savoir comment vous entendez assurer la sauvegarde du fonctionnement de ces établissements qui, en région parisienne, sont déjà très fortement fragilisés par les difficultés de recrutement de personnel, compte tenu du coût du logement par rapport aux salaires.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Madame la sénatrice, vous avez attiré l'attention du Gouvernement sur les modalités de décompte du temps de travail dans certains établissements sociaux et médicosociaux privés à but non lucratif.
Un décret institue une durée d'équivalence de la durée légale du travail dans les établissements sociaux et médicosociaux gérés par des personnes privées à but non lucratif.
Ce décret prévoit, comme vous le rappelez très justement, que chacune des périodes de surveillance nocturne en chambre de veille est décomptée comme trois heures de travail effectif pour les neuf premières heures de travail et comme une demi-heure pour chaque heure au-delà de neuf heures.
Or ce décret a fait l'objet de plusieurs recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, qui, vous l'avez rappelé également, a saisi la Cour de justice des Communautés européennes, CJCE.
La CJCE n'a pas mis en cause le système des équivalences en tant que tel, mais elle a rappelé que les objectifs fixés par la directive sur le temps de travail étaient respectés dès lors que la durée maximale hebdomadaire de travail - y compris le temps de présence et de veille inactive sur le lieu de travail - n'était pas supérieure à une durée de travail hebdomadaire de quarante-huit heures calculée sur une période de quatre mois.
La CJCE a donc confirmé que le mécanisme d'équivalence prévu par la réglementation française n'était pas contraire à la directive européenne dès lors qu'il intervenait dans les limites des seuils et plafonds communautaires.
Elle a par ailleurs rappelé que la directive européenne ne s'appliquait pas aux conditions de rémunération.
À la suite de la décision de la CJCE, le Conseil d'État, dans son arrêt Dellas du 28 avril 2006, a considéré que le régime d'équivalence institué par le décret ne pouvait faire l'objet d'une censure totale sur le fondement de l'arrêt rendu par la CJCE. Il a ainsi prononcé une annulation partielle du décret en tant que ce dernier ne disposait pas que la durée de travail maximale hebdomadaire de quarante-huit heures en moyenne, calculée heure pour heure, sur une période de quatre mois consécutifs, devait être respectée.
Un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt a été accordé au Gouvernement pour amender ces dispositions réglementaires.
Contrairement à ce que pouvaient craindre les fédérations d'employeurs, le système des veilles nocturnes dans les établissements sociaux et médicosociaux n'est donc pas annulé par l'arrêt Dellas ; il est seulement limité par la durée maximale communautaire. En pratique, les salariés des établissements sociaux et médicosociaux ne pourront effectuer en moyenne plus de deux veilles nocturnes par semaine.
Toutefois, la remise en cause de ce système d'équivalences risque, vous l'avez souligné, d'affecter l'organisation du travail et l'équilibre financier des secteurs concernés.
Si l'arrêt Dellas concerne le secteur médicosocial, cette jurisprudence, par extension, est susceptible de s'appliquer à beaucoup d'autres secteurs : hospitaliers, services de secours d'urgence, police, etc.
Ses conséquences peuvent, dans certains cas, présenter de graves inconvénients pour l'équilibre financier des établissements, le recrutement de nouveaux personnels qualifiés, pour les revenus des salariés eux-mêmes si l'on réduit leur temps de présence non travaillée.
La solution pourrait certes venir de la révision de la directive sur le temps de travail. En effet, la proposition actuellement sur la table du Conseil des ministres européens règle la définition du temps de travail et des gardes inactives dans un sens qui protégerait les systèmes d'équivalence pour les États membres qui les pratiquent. Malheureusement, cette révision est bloquée par le désaccord persistant sur la question dite de l'opt-out.
Le Gouvernement français est donc pris dans un étau entre le souci d'obtenir une révision rapide de la définition du temps de garde et le blocage persistant de la négociation.
En attendant la révision de la directive, il faut donc rechercher une solution nationale avec réalisme et pragmatisme.
Dans un certain nombre de cas où les dépassements de la limite de quarante-huit heures sont peu fréquents, la simple application de l'arrêt du Conseil d'État suffira sans doute. Il laisse une souplesse que l'on peut utiliser.
D'autres cas seront peut-être plus délicats et il ne faut pas s'interdire, pour maintenir le fonctionnement normal de ces secteurs, en attendant que la révision de la définition des temps de garde soit actée à Bruxelles, de recourir temporairement à l'opt-out, lorsque ce serait le seul moyen d'éviter une désorganisation du temps de travail dans les secteurs des soins, de la sécurité et des services d'urgence.
Dans le secteur social et médicosocial, afin d'évaluer précisément les conséquences tant juridiques que budgétaires de cette décision, une concertation sera prochainement engagée avec l'ensemble des partenaires sociaux. À cet effet, ce point sera mis à l'ordre du jour du prochain comité national de l'organisation sanitaire et sociale, le 22 juin prochain.
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont.
Mme Bernadette Dupont. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Cette prochaine concertation va certainement aider les établissements ; je constate donc que la porte n'est pas fermée. Il s'agit néanmoins d'un problème fondamental, car des dépenses supplémentaires sont impossibles non seulement pour ces établissements, qui sont en permanence sur la corde raide, mais aussi pour le ministère des affaires sociales qui les subventionne et pour les conseils généraux qui ne pourront certainement pas augmenter leurs budgets !
transfert des produits de taxe professionnelle générée par la présence d'une gare tgv à un syndicat mixte
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet, auteur de la question n° 1052, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, cette problématique du financement de la ligne TGV Rhin - Rhône et de la solidarité entre collectivités locales s'apparente, de par sa complexité et sa lenteur, à la saga « banane » de l'OMC. Nos collègues de la Délégation parlementaire pour l'Union européenne apprécieront cette comparaison relative tout à la fois à l'immobilisme et au surplace, ce qui n'est pas un moindre des paradoxes pour une ligne à grande vitesse !
Mais reprenons, monsieur le ministre, le débat de cette saga ferroviaire.
Le 27 octobre 1999, le ministre en charge des transports a retenu, à notre grande satisfaction d'ailleurs, l'hypothèse d'une première phase de réalisation de 248 kilomètres entre Villers-les-Pots en Côte-d'Or et Petite-Croix en Territoire-de-Belfort. La branche Est de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône a été déclarée d'utilité publique par décret du 25 janvier 2002.
Cette ligne, qui va améliorer les liaisons sur deux axes majeurs - l'axe nord-sud, avec les liaisons entre, d'une part, le nord-est de la France, l'Allemagne et la Suisse alémanique et, d'autre part, le Couloir rhodanien et Parc méditerranéen, et l'axe est-ouest, avec les liaisons entre l'est de la France, la Suisse alémanique et l'Île-de-France -, va bien évidemment devoir être financée.
Ce projet, qui permettra par là même une amélioration des relations depuis Dijon, Besançon, Belfort-Montbéliard, Mulhouse et Lyon, notamment vers Bruxelles, l'Allemagne, la Suisse, l'Espagne, Paris et la Grande-Bretagne, pour ne citer que les principales destinations, figure parmi les projets prioritaires du réseau trans-Europe de transport.
Les clefs de répartition de cette dépense sont les suivantes : 60 % à la charge du conseil régional, 30 % à la charge des quatre départements - Doubs, Haute-Saône, Jura, Territoire-de-Belfort -, 10 % à la charge de trois communautés d'agglomération - Besançon, Pays de Montbéliard, Belfort -, soit 31,6 millions d'euros.
Cette clef de répartition est le fruit d'une négociation au long cours, comme en témoignent les titres des coupures de presse parus durant les années 2004, 2005 et maintenant 2006.
Par courrier en date du 13 février 2006, en se fondant sur des critères objectifs, le conseil régional de Franche-Comté a proposé de repartir le financement des agglomérations à raison de 41,3 % pour la communauté d'agglomération du Grand Besançon, CAGB, soit 13,05 millions d'euros, 26,09 % pour la communauté d'agglomération du Pays de Montbéliard, CAPM, soit 8,24 millions d'euros, et 32,61 % pour la communauté d'agglomération belfortaine, CAB, soit 10,3 %.
La Communauté d'agglomération du Pays de Montbéliard, que je préside, a accepté, compte tenu de l'enjeu, de porter sa participation à 50 % du montant restant à la charge des agglomérations du Nord Franche-Comté, soit un maximum de 9 217 720 euros au lieu de 8 240 000 euros conseillés par la région. Mais nous lions bien entendu, et fort logiquement, nous semble-t-il, cette majoration à une condition de partage des recettes de la taxe professionnelle générée par l'exploitation de la gare TGV située sur le territoire de la communauté d'agglomération belfortaine. Si tel n'était pas le cas, l'ensemble de ces recettes bénéficierait uniquement à cette dernière.
Ce partage s'effectuerait dans une logique dynamique d'avenir, c'est-à-dire via une structure telle que le Syndicat mixte de l'Aire urbaine, SMAU, qui oeuvre sur les deux territoires de Belfort et de la communauté d'agglomération du Pays de Montbéliard, ce syndicat étant chargé de mettre en oeuvre les espaces communs. C'est aussi, nous semble-t-il, le reflet d'une solidarité active.
Le refus de la communauté d'agglomération belfortaine remet en cause la viabilité du Syndicat mixte de l'Aire urbaine, qui devient de facto une structure à la carte, voire tout simplement une coquille vide. Ce refus prend appui sur la territorialité de l'impôt : la recette appartient au territoire qui la génère ; c'est du moins la réponse que nous obtenons de la part du président de la communauté d'agglomération belfortaine.
Monsieur le ministre, pour conclure ce propos, j'ai l'honneur de vous demander de répondre à la question ici déterminante et qui intéresse, ou intéressera, d'autres collectivités : qu'est ce qui, à l'heure actuelle, s'oppose à ce partage ? Il est bien évident que, s'il n'y a pas d'accord de partage entre Belfort et Montbéliard, cette dernière pourrait refuser de s'acquitter de sa participation financière, comme l'a fait la ville de Vesoul pour sa participation à la gare TGV de Besançon.
Je vous remercie de votre aimable attention.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la situation que vous évoquez est à l'évidence, comme vous l'avez souligné vous-même à la fin de votre intervention, d'intérêt général. Mais elle constitue aussi un cas de figure très complexe.
Il s'agit très concrètement de savoir dans quelles conditions un syndicat mixte, auquel participent des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale, peut bénéficier du produit de la taxe professionnelle généré par un grand équipement, dès lors que c'est non seulement la collectivité où est implanté cet équipement qui participe à son financement, mais l'ensemble des collectivités regroupées dans le syndicat mixte. Il s'agit en quelque sorte d'organiser, comme vous le dites, un « retour sur investissement ».
Comme vous le savez, les syndicats mixtes ne sont pas financés par la fiscalité ; ils le sont par les contributions de leurs membres. La taxe professionnelle que générera la gare TGV prévue dans la commune de Méroux-Moval sera, pour sa part, perçue par la communauté d'agglomération belfortaine.
Dans ces conditions, pour que le surplus de taxe professionnelle puisse bénéficier au syndicat mixte, la réponse pourrait résider dans un ajustement de la contribution budgétaire versée par les membres du syndicat mixte, afin de tenir compte, pour chacun d'entre eux, des recettes fiscales supplémentaires dont ils bénéficient au titre des équipements financés par ce syndicat mixte. Il s'agirait alors de modifier la clé de répartition des contributions de chacune des collectivités pour tenir compte de l'impact de l'implantation de la gare TGV pour la collectivité d'accueil.
J'attire cependant votre attention sur le nécessaire respect du principe d'égalité dans la définition éventuelle de cette nouvelle clé, qui doit être effectuée dans les conditions fixées soit par le statut du syndicat, soit, à défaut, par délibération du comité syndical.
Cependant, dès lors que l'enjeu concerne plus particulièrement, au sein du syndicat mixte, deux établissements publics de coopération intercommunale, deux autres solutions sont ouvertes par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
La première, prévue par l'article 185 de ladite loi, tend à autoriser un EPCI à instituer au bénéfice de ses communes membres, mais également au bénéfice d'un EPCI limitrophe, une dotation de solidarité communautaire, dont le montant est fixé librement par le conseil communautaire, une fois que ce dernier en a arrêté le principe et les critères de répartition à la majorité des deux tiers.
La seconde, qui est sans doute la plus adaptée à la situation que vous avez décrite, est prévue à l'article 189. Lorsqu'un EPCI intervient sur le territoire d'un autre EPCI, pour contribuer à la création ou à l'équipement d'une zone d'activités dont l'intérêt leur est commun, les deux EPCI peuvent s'entendre pour partager la taxe professionnelle acquittée par les entreprises implantées sur cette zone. Les deux EPCI doivent adopter, pour ce faire, des délibérations concordantes.
Monsieur le sénateur, il existe plusieurs formules qui répondent à votre souci de prévoir un partage équitable des retombées fiscales résultant de l'implantation d'un grand équipement. Il est vrai - j'anticipe sans doute votre remarque - qu'aucune de ces solutions ne revêt un caractère contraignant ou automatique. Le partage des bénéfices d'un tel projet repose aujourd'hui, dans le cadre de la législation, sur un accord entre les collectivités concernées. Toutefois, celui-ci doit être d'autant plus recherché qu'il est, en réalité, nécessaire à la réalisation même du projet. C'est pour cette raison que nous pouvons être optimistes pour que les collectivités retiennent l'une des formules que je viens de présenter.
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse, même si elle ne me satisfait pas pleinement ; je n'en attendais d'ailleurs pas d'autre.
Il s'agit surtout d'un accord entre les parties, la loi ne prévoyant rien en la matière. Toutefois, au-delà de l'affectation de la recette produite par l'activité de la gare TGV à un syndicat mixte, je me demande ce qui empêche plus généralement le partage des recettes. Le président de la communauté d'agglomération belfortaine insiste surtout sur le fait qu'il ne peut pas partager la recette produite sur son territoire. Toutefois, il peut là encore s'agir d'un accord, même si l'affectation de la recette se fait au bénéfice non pas du syndicat mixte, mais de la communauté d'agglomération.
Il me semble absolument anormal de nous inviter à participer à la dépense, alors que la recette est importante puisqu'elle s'élève à plus de 3 millions d'euros par an. Avec une telle somme, on peut amortir très rapidement un emprunt. Je déplore donc le fait que l'on puisse nous demander de partager les dépenses sans vouloir partager les recettes.
difficultés de mise en oeuvre du passeport électronique
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 1060, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Thierry Foucaud. Ma question porte sur les passeports électroniques.
Je ne reviendrai pas sur les erreurs passées, le Conseil d'État ayant rappelé le droit, c'est-à-dire la compétence de l'Imprimerie nationale.
La mise en oeuvre du passeport électronique, qui a été institué depuis le 12 avril dernier dans le département de la Seine-Maritime, pose de nombreuses difficultés, tant pour les usagers que pour les communes, voire également pour les services préfectoraux.
S'agissant des communes, permettez-moi de faire, monsieur le ministre, une remarque préalable. Le temps passé à résoudre ces difficultés représente un coût important, sans aucune compensation de l'État. Ces difficultés sont de plusieurs ordres.
En premier lieu, il est désormais obligatoire de fournir notamment la copie intégrale de l'acte de naissance ou l'original de la preuve de nationalité française. Or l'obtention de ces documents est parfois impossible pour les personnes nées à l'étranger. Que peuvent-elles alors faire dans une telle situation ?
En second lieu, les exigences techniques concernant les photographies d'identité sont lourdes, et les instructions à leur sujet sont contradictoires. Il est donc difficile de s'y retrouver.
Les agents des communes font au mieux le travail d'explication auprès des usagers, qui sont mécontents, ainsi qu'auprès des photographes, mais les collectivités ne sont pas particulièrement aidées. Ainsi, le ministère de l'intérieur a envoyé une affiche pour expliquer, à l'appui d'exemples, comment devaient être ces photographies.
Tous les exemples présentés sont sur fond blanc, alors qu'une directive en date du 24 mars 2006 proscrit précisément le fond blanc. Il faut un « fond clair, neutre, uni et en couleur ». Vous exigez par ailleurs, monsieur le ministre, un cadrage très précis, entre trente-deux et trente-six millimètres entre le menton et le sommet du crâne, lequel, nous a-t-on précisé, ne doit pas être confondu avec la base de la racine des cheveux ! On pourrait en rire, mais les retards en matière de délivrance des passeports sont légion.
Par ailleurs, la position de l'axe des yeux fait également l'objet de mensurations strictes. Bien évidemment, les photomatons ne répondent pas à ces exigences techniques. Quant aux photographes qui délivrent des photographies d'identité, ils n'ont pas reçu de directives pour respecter ces cadrages pointilleux. Certains ont été informés par les mairies et se débrouillent tant bien que mal avec ces millimètres, non sans éprouver quelque colère...
Les usagers sont souvent contraints de refaire des photographies. Une personne de ma commune a dû fournir six planches ! Cela représente bien sûr un coût supplémentaire et retarde aussi le délai pour l'obtention du passeport.
Monsieur le ministre, les conséquences peuvent être importantes pour les usagers, puisque certains d'entre eux ont même dû annuler un voyage qui avait été prévu longtemps à l'avance, alors que leurs demandes avaient été déposées dans des délais conformes.
Aujourd'hui, ils sont nombreux à être dans l'attente et à courir le risque de ne pas obtenir leur passeport à temps pour partir. La solution consistant à leur délivrer transitoirement un passeport Delphine sans coût supplémentaire serait bienvenue.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous exprimez vos préoccupations, qui sont d'ailleurs partagées, sur la mise en oeuvre de la réglementation applicable au passeport électronique.
Vous avez tout d'abord évoqué l'impossibilité pour certaines personnes, nées à l'étranger, de produire l'original de l'acte de l'état civil requis pour la délivrance de ce nouveau modèle de passeport ou l'original du titre leur permettant de revendiquer légitimement la nationalité française.
Dans le cadre de ce type de démarche administrative, cette difficulté n'est pas nouvelle, ce qui me conduit à insister sur l'impératif de sécurisation de la procédure de délivrance du passeport électronique.
Il est indispensable d'endiguer le phénomène de la fraude documentaire. Pour ce faire, il est absolument nécessaire de procéder à une analyse de l'original des pièces justificatives et surtout de celles qui permettront de faire un examen approfondi de la possession de la nationalité française par l'usager.
Vous en conviendrez avec moi, j'en suis certain, monsieur le sénateur, l'autorité administrative ne peut se dispenser d'une telle vérification, sauf à vouloir négliger sciemment la sécurité juridique due à nos concitoyens quant aux titres régaliens qui leur sont délivrés.
Toutefois, pour ce qui concerne les personnes nées à l'étranger et qui ne peuvent apporter la preuve directe de leur nationalité française, il a été décidé d'assouplir la règle prévoyant l'exigence systématique d'un certificat de nationalité française, en appliquant le concept de la possession d'état de Français.
S'agissant de la qualité des photographies d'identité, dont vous avez donné les détails avec précision et humour, monsieur le sénateur, je souhaite rappeler que leurs caractéristiques spécifiques, qui sont à l'évidence contraignantes pour l'usager, ont pour origine l'application du règlement européen du 13 décembre 2004 et de la norme ISO qui s'y rattache. Elles ont pour finalité de mettre en oeuvre la technique de la reconnaissance faciale via le recours au composant électronique du passeport.
Afin d'expliciter ces exigences photographiques au public ainsi qu'aux photographes, quel que soit leur statut, les services du ministère de l'intérieur ont choisi la voie d'une concertation régulière avec un consortium représentatif du secteur industriel de la photographie automatique et des artisans photographes.
À ce jour, leurs travaux ont cherché avant tout à privilégier un positionnement adéquat du sujet sur la photo, ce qui a donné lieu à la conception de la planche photographique que vous avez évoquée.
Les premiers enseignements tirés de ce dispositif permettent d'ores et déjà de faire évoluer et d'adapter les outils de communication retenus. De nouvelles réunions sont prévues pour préciser les règles applicables, notamment la couleur de fond autorisée pour les photographies. Les préfectures et les usagers recevront toutes précisions à cet égard.
Enfin, vous souhaitez que soit envisagée la possibilité de délivrer aux usagers, à titre gratuit, un passeport « ancien modèle » dans l'éventualité où leur demande de passeport électronique n'aurait pas pu aboutir à temps pour leur permettre d'effectuer un déplacement à l'étranger. Vous avez d'ailleurs fait allusion à un certain nombre de personnes qui auraient connu cette situation.
Or ce cas n'est aujourd'hui aucunement prévu par les dispositions du code général des impôts définissant la fiscalité applicable au passeport électronique.
En outre, dès lors qu'un site de délivrance se voit équipé de la nouvelle application informatique assurant la gestion du passeport électronique, la possibilité de délivrer des passeports « ancien modèle » n'est plus réservée qu'aux cas d'urgence, soit principalement pour des impératifs humanitaires ou médicaux. Je précise d'ailleurs que ce passeport n'a alors qu'une durée de validité d'un an.
Il ne saurait être envisagé, par une extension de cette possibilité, de contourner l'imprévoyance de certains usagers ou de diminuer la qualité de l'instruction des demandes, dès lors que les préfectures et sous-préfectures ont accompli la démarche de prévenir les usagers de la longueur des délais d'instruction.
Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le ministre, j'ai noté que vous partagiez les préoccupations que je viens d'évoquer, et je comprends votre exigence de sécurisation pour ce qui concerne les actes de l'état civil. Le fait de vouloir assouplir la règle dans certains cas constitue un élément positif.
Toutefois, vous avez parlé de nouvelles réunions concernant la mise en place de ces nouveaux passeports. Quand sont-elles prévues ? Car il faut aller vite !
Par ailleurs, je précise, monsieur le ministre, que les cas que j'ai évoqués concernaient des usagers qui ont demandé à temps leur passeport, mais n'ont pu partir pour l'étranger faute de l'avoir obtenu, les communes et les services préfectoraux ayant fait correctement leur travail.
Je le répète, les charges sont lourdes pour les collectivités. En témoigne la décision du Conseil d'État relative aux conditions de délivrance et de renouvellement des passeports. La commune de Versailles a estimé le coût de la prise en charge de l'instruction des demandes de cartes d'identité à 20 800 euros par an.
Je souhaite que les dispositions nécessaires soient prises afin que les Françaises et les Français souhaitant partir pour l'étranger puissent avoir leur passeport en temps.
exécution du budget alloué à l'enseignement technique agricole
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, auteur de la question n° 1058, transmise à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre, vous ne serez sans doute pas surpris que ma question porte sur l'exécution du budget alloué à l'enseignement technique agricole et sur l'impact réel des 30 millions d'euros de crédits transférés, sur l'initiative des parlementaires, vers le programme « Enseignement technique agricole » dans la loi de finances pour 2006.
L'incertitude règne sur l'affectation des 15 millions d'euros supplémentaires destinés à abonder les crédits de bourses et les dotations des autres « familles » de l'enseignement agricole, ainsi que sur les sommes complémentaires votées par les députés en faveur des maisons familiales rurales.
L'édition du journal La Croix du 4 mai dernier ayant, par ailleurs, annoncé un gel de 4,5 % des crédits de fonctionnement de cette filière, je ne vous cache pas que les responsables des filières privées et publiques m'ont fait part de leurs plus vives inquiétudes. Ils regrettent, à l'instar d'un grand nombre de mes collègues sénateurs, que le vote par le Parlement de crédits soit si peu respecté.
Cette situation ne permettant pas à votre ministère de remédier aux difficultés que j'ai identifiées dans mon rapport budgétaire, je vous serais donc particulièrement reconnaissante de bien vouloir me préciser les conditions d'exécution, à ce jour, du budget de l'enseignement technique agricole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Madame le sénateur, au cours de la discussion de la loi de finances, les crédits de l'enseignement technique agricole ont fait l'objet de discussions importantes, dont vous avez été l'une des actrices. À juste titre, vous m'interrogez sur les suites données aux amendements qui ont été votés.
Tout d'abord, je vous remercie de l'intérêt que vous portez, comme tous les élus, à juste raison, à l'enseignement agricole. C'est un enseignement de qualité, synonyme de réussite scolaire - un taux d'échec bas -, qui permet une réelle insertion professionnelle. Les jeunes qui sortent de l'enseignement agricole, à quelque niveau que ce soit, ont appris des choses très concrètes, sur le terrain, en stage, et ont moins de difficultés à trouver un premier emploi que les autres jeunes issus de l'enseignement classique.
En outre, cet enseignement est en prise avec les territoires ruraux et acteur de leur développement. J'en fais actuellement le constat avec Christian Estrosi dans les projets de pôles d'excellence rurale, qui concernent souvent des établissements d'enseignement agricole.
S'agissant des amendements auxquels vous avez fait allusion, j'ai veillé à ce que les priorités que vous aviez définies soient mises en oeuvre. Ainsi, 15,5 millions d'euros ont été affectés aux maisons familiales rurales, un réseau qui est très présent sur le terrain, comme nous l'avons constaté récemment à l'occasion de leur congrès national.
Les 15 autres millions d'euros sont utilisés, conformément à ce qu'avait souhaité le Parlement, à savoir les bourses, dont l'attribution aux familles se fait sur des critères sociaux, les engagements envers l'enseignement privé à temps plein et, enfin, l'accompagnement éducatif dans l'enseignement public et la formation continue des enseignants.
Vous faites état de ce fameux gel de 4,5 % des crédits de fonctionnement. Ayant été ministre chargé du budget, c'est une mesure que je connais bien. Appliquée dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, elle concerne pratiquement l'ensemble des postes du budget de l'État. Cette mise en réserve traditionnelle, effectuée par le ministre chargé du budget, permet de constituer une provision face à d'éventuels aléas de gestion.
La méthode qui consiste à effectuer les gels de crédits en début d'année est une méthode claire. Auparavant - j'ai moi-même eu l'occasion de recourir à cette méthode - on diminuait sans préavis, en cours d'année, les dotations budgétaires, ce qui entraînait des perturbations très sérieuses pour les services de l'État et ses partenaires.
Cela étant, vous avez raison de souligner que cette mise en réserve, d'un montant de 19 millions d'euros pour le programme « Enseignement technique agricole », diminue notre capacité budgétaire. Aussi, il est très important, dans le cadre de la priorité donnée par le Gouvernement à l'enseignement, que cette mesure de régulation soit levée afin de nous aider à préparer la prochaine rentrée scolaire. C'est ce que j'ai demandé très officiellement au Premier ministre et au ministre délégué au budget.
Madame le sénateur, soyez assurée que l'enseignement agricole bénéficiera de l'ensemble des moyens votés par le Parlement - y compris les moyens supplémentaires -, et soyez aussi assurée de ma volonté et de celle de tous ceux qui me succèderont de conforter ces moyens dans les prochaines années.
Je vous remercie de votre soutien et de celui de vos collègues, qui nous a été très utile au moment de la discussion de la loi de finances. Cet enseignement de réussite mérite le soutien que vous lui apportez.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre, vos propos sont de nature à nous rassurer. Vous avez rappelé l'excellence de l'enseignement agricole, qui va bien au-delà de l'enseignement en tant que tel. J'insiste sur la question du gel de crédits. Vous levez certes une partie de mes inquiétudes. Mais, s'agissant des bourses destinées aux familles les plus modestes, attendre pour leur versement ne fait qu'accentuer certaines difficultés.
La commission des affaires culturelles m'a confié un travail qui donnera lieu à un rapport parlementaire que nous évoquerons sans doute l'automne prochain. Au cours de mes auditions et de mes déplacements sur le terrain, tous les acteurs de l'enseignement agricole m'ont témoigné la grande confiance qu'ils ont en vous, monsieur le ministre. Nous ne pouvons pas les décevoir et tenir les engagements me paraît être de bon aloi.
défense de la vocation européenne de strasbourg
M. le président. La parole est à M. Roland Ries, auteur de la question n° 1071, adressée à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
M. Roland Ries. Madame la ministre, vous le savez, Strasbourg partage avec Genève et New York le privilège d'être l'hôte d'institutions internationales sans être capitale d'État. Ville symbole de la réconciliation franco-allemande, Strasbourg incarne, grâce à la présence du Parlement européen, de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, du médiateur européen ou encore de la Cour européenne des droits de l'homme, une vision décentralisée et démocratique de la construction européenne.
Le président François Mitterrand avait obtenu l'inscription dans les traités du rôle de Strasbourg comme capitale parlementaire. Pourtant, malgré les textes internationaux, la vocation européenne de Strasbourg doit constamment être défendue face aux attaques en règle dont elle est régulièrement l'objet.
Mais cette défense, pour indispensable qu'elle soit, ne saurait constituer à elle seule une politique en la matière. J'ai personnellement rédigé, en 2001, un rapport à ce sujet, que j'ai remis au Premier ministre de l'époque. J'y proposais un certain nombre d'actions à mener pour conforter Strasbourg. Malheureusement, bien peu a été fait depuis lors dans ce domaine, et cet attentisme gouvernemental est d'autant plus regrettable lorsque nous subissons, comme actuellement, une grave bourrasque, dont personne ne peut encore prévoir tous les dégâts collatéraux.
Les adversaires de Strasbourg au Parlement ont évidemment sauté sur l'occasion qui leur était offerte dans le cadre de négociations immobilières entre la ville de Strasbourg et le Parlement européen pour revenir puissamment à la charge. Leur objectif est bien d'instrumentaliser une négociation délicate, dans laquelle la municipalité a sans doute été maladroite, pour accélérer la dérive du Parlement européen vers Bruxelles.
Je considère qu'il appartient à présent au Gouvernement français, au-delà des déclarations de principe, de s'impliquer à la hauteur des enjeux politiques, symboliques et économiques représentés par ce dossier et d'en faire une priorité. Seule une mobilisation véritablement nationale pourra, à mon avis, contrer l'assaut orchestré par les partisans de Bruxelles, dont Strasbourg est aujourd'hui victime dans son rôle de capitale parlementaire de l'Union européenne.
Madame la ministre, la seule reconduction du contrat triennal, même abondé artificiellement par l'État, ne peut à elle seule tenir lieu de politique en faveur de Strasbourg, surtout lorsque cet outil devient de plus en plus un contrat « fourre-tout », une sorte d'appendice au contrat de plan, qui a perdu de vue l'objectif initial, qui était de permettre à une ville de taille moyenne au niveau européen de faire face à ses enjeux internationaux.
Bien sûr, Strasbourg a besoin d'un soutien matériel et financier. C'est une bonne chose de maintenir cet effort. Mais Strasbourg a aussi besoin d'une initiative politique forte. Dans cette perspective, pourquoi, par exemple, ne pas réunir l'ensemble des responsables des partis républicains de notre pays pour bien marquer l'unanimité - j'espère qu'elle existe - de nos formations politiques sur cette question, qui est certes d'intérêt local, mais aussi, et surtout, d'intérêt national ?
Merci de m'indiquer, madame la ministre, ce que le Gouvernement entend entreprendre pour défendre la vocation européenne de Strasbourg.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le sénateur, Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, vous prie de l'excuser de ne pouvoir vous répondre elle-même, étant actuellement en déplacement.
Elle tient, par mon intermédiaire, à vous assurer que la présence du siège du Parlement européen à Strasbourg constitue bien un enjeu majeur pour la France. Les tenues des sessions plénières à Strasbourg et des commissions parlementaires à Bruxelles ainsi que l'implantation des services administratifs à Luxembourg ont été confirmées par le conseil européen d'Édimbourg de 1992, avant d'être consacrées dans un protocole annexé au traité d'Amsterdam.
La France n'entend pas voir cette situation remise en cause.
Au-delà de cette position de principe, les autorités françaises ne restent pas inactives : le soutien à la vocation européenne de Strasbourg est multiforme et se manifeste tant par des efforts financiers importants que par des actions politiques et symboliques. Ainsi, c'est pour continuer à améliorer la qualité de la desserte du Parlement européen que le comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires du 6 mars dernier a agréé les orientations du prochain contrat triennal 2006-2008. L'État participera à hauteur de 100 millions d'euros sur la période à des actions visant principalement à améliorer l'accessibilité de l'agglomération et à consolider le rayonnement européen de la ville.
Ce soutien avait été de quelque 40 millions et 48 millions d'euros lors des précédents contrats, ce qui souligne une progression significative de l'appui financier de l'État.
Dans le cadre de ce contrat, la priorité a été mise - et continuera de l'être - sur la qualité de la desserte de la ville. Des engagements importants ont été pris afin de valoriser la liaison ferroviaire à destination de Strasbourg - dont l'amélioration fait l'objet aujourd'hui de nombreux projets - au départ de Paris - grâce au TGV-Est, qui sera mis en service en 2007 -, de Luxembourg et de Bruxelles - pour lesquels le lancement des travaux en France aura lieu avant 2010 -, et de Francfort - dont l'aéroport est utilisé par de nombreux députés européens -, ou encore par la mise en service du nouveau pont TGV de Kehl, qui est prévue en 2010.
La volonté politique de la France de consolider la vocation européenne de Strasbourg est clairement établie, et c'est dans cet esprit que le Gouvernement s'apprête à signer d'ici à l'été le huitième contrat triennal.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nos efforts pour préserver le siège strasbourgeois sont permanents, et il n'est pas question de faiblir dans notre détermination.
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Je vous remercie, madame la ministre de vos explications. J'ai bien noté l'effort de l'État dans le cadre du contrat triennal.
Je souhaiterais revenir sur un point qui me paraît tout à fait essentiel.
Comme vous l'avez dit à juste titre, on ne peut guère croire à un transfert pur et simple, dans un avenir prévisible, du Parlement européen de Strasbourg à Bruxelles, car les traités sont clairs sur ce point et leur modification suppose l'unanimité ; je n'ai aucune raison de douter que le Gouvernement français s'opposerait à une telle modification.
En revanche, ce que l'on peut craindre, c'est un glissement progressif, insidieux, vers Bruxelles.
De cinq jours à l'origine, la durée des sessions à Strasbourg a été réduite à quatre jours voilà quelques années : les sessions commencent le mardi matin et se terminent théoriquement le jeudi soir. En réalité, très souvent, les députés quittent Strasbourg dès le mercredi soir.
Ne se dirige-t-on pas, en définitive, vers une session mensuelle symbolique d'une seule journée ? Trois charters arriveront de Bruxelles le matin avec les parlementaires et quelques fonctionnaires, et, après trois discours et deux votes, les mêmes avions ramèneront dès le soir tout ce beau monde dans la capitale belge. Formellement, Strasbourg restera le siège du Parlement européen, mais politiquement, le contenu des sessions sera réduit à la portion la plus modeste. Il y a là un vrai danger.
C'est la raison pour laquelle je suggère que soit prise une initiative diplomatique forte, à travers laquelle serait clairement réaffirmée la nécessité de maintenir le Parlement européen à Strasbourg et de lui conférer un rôle politique essentiel, de manière que Strasbourg soit vraiment la capitale parlementaire de l'Europe.
recours abusifs contre des décisions concernant l'urbanisme
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu, auteur de la question n° 1002, adressée à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
Mme Josette Durrieu. Ma question s'adressait à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer. Ne le voyant pas ici, je suppose que Mme la ministre déléguée à la coopération va me répondre.
Ma question porte sur les recours abusifs contre des décisions concernant l'urbanisme. Le groupe de travail qui avait été mis en place sous la présidence de M. Philippe Pelletier a rendu son rapport en janvier 2005. Ce rapport, intitulé « Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d'urbanisme », constate l'existence d'un certain nombre de recours présentant un caractère manifestement abusif. Le groupe de travail s'est longuement interrogé sur les moyens qui pourraient être mis en oeuvre pour sanctionner les auteurs des recours susceptibles de recevoir une telle qualification.
Madame la ministre, j'aimerais donc, dans un premier temps, connaître les moyens qui ont réellement été mis en oeuvre à cet effet.
J'aimerais également savoir si a été établi un recensement des cas dans lesquels l'application du droit en vigueur a permis aux tribunaux d'ordonner la réparation des préjudices causés par ces recours abusifs. Si ce recensement a été effectué et s'il a révélé le caractère insuffisamment dissuasif et réparateur du dispositif actuel, j'aimerais que vous me disiez, madame la ministre, quelles initiatives pourraient être prises sur ce problème essentiel.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Madame la sénatrice, Dominique Perben, qui est actuellement à l'Assemblée nationale, vous prie de l'excuser de ne pas pouvoir vous répondre lui-même.
Vous attirez son attention sur l'augmentation du nombre des recours concernant les décisions prises en matière d'urbanisme, qui a suscité à plusieurs reprises de vives inquiétudes des professionnels et des élus.
Des réflexions ont donc été engagées sur les mesures susceptibles de prévenir les contentieux en matière d'urbanisme. En particulier, le groupe de travail présidé par M. Philippe Pelletier a formulé, dans son rapport de janvier 2005, trente-quatre propositions tendant à améliorer le traitement des recours juridictionnels.
Comme vous le savez, ces propositions s'organisaient en trois groupes : d'abord, des suggestions visant à améliorer les pratiques des services, par exemple des prescriptions sur la qualité des documents d'urbanisme ou sur la formation juridique des instructeurs ; ensuite, des propositions ayant trait à l'organisation de la justice administrative, et qui dépassent le simple cadre de l'urbanisme, propositions qui sont actuellement étudiées par M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer en coordination avec la Chancellerie ; enfin, des mesures législatives touchant au seul droit de l'urbanisme.
Ainsi, des améliorations peuvent être apportées aux dispositifs existants afin d'assurer une plus grande sécurité juridique et de limiter les recours présentant un caractère abusif, sans pour autant remettre en cause le droit fondamental pour nos concitoyens que constitue l'accès à la justice.
Par exemple, la prolongation de la validité des autorisations d'urbanisme pendant la durée de l'instance privera d'effet les recours dilatoires jusqu'à la péremption des autorisations, empêchant ainsi l'exécution d'actes pourtant légaux. Un décret sera prochainement pris en ce sens.
La dizaine de propositions législatives relatives au code de l'urbanisme a été reprise dans le cadre soit du projet de loi portant engagement national pour le logement, actuellement en débat, soit de l'ordonnance de réforme du permis de construire, que le Sénat a ratifiée.
Comme vous le voyez, le Gouvernement met en oeuvre les propositions du rapport Pelletier dans la perspective de la réduction du risque juridique.
En revanche, il n'est pas possible de procéder à un recensement des cas où des recours abusifs ont été sanctionnés, s'agissant de litiges opposant des particuliers entre eux ou des particuliers à des collectivités locales, d'autant que le juge a une conception stricte de l'abus de droit.
Par ailleurs, alors que la discussion sur la légalité des autorisations est examinée devant le juge administratif, celle qui concerne l'indemnisation des recours abusifs a lieu devant le juge judiciaire. Cette double compétence rend difficile une action indemnitaire de la partie s'estimant lésée. Ce problème dépassant le seul cas de l'urbanisme, il nécessite une réflexion d'ensemble.
Dans l'immédiat, le plus efficace semble être de mener à bien la réforme en cours des autorisations d'urbanisme, qui renforcera leur sécurité juridique. En effet, la clarification et la simplification du droit sont le meilleur moyen de réduire les occasions de contentieux.
Tels sont, madame la sénatrice, les éléments de réponse que M. le ministre des transports m'a demandé de vous communiquer.
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Je vous remercie, madame la ministre, des réponses que vous venez de m'apporter.
Le rapport du groupe de travail ayant été rendu en janvier 2005, je comprends parfaitement que les propositions formulées fassent encore l'objet de réflexions et d'études.
Cela étant, comme vous venez de l'indiquer, les dommages causés sur le terrain par les recours abusifs supposent que l'on trouve assez rapidement les réponses législatives à ce problème. Il n'est pas question de renoncer au respect du droit ; il s'agit simplement de limiter les recours abusifs, j'insiste sur cette épithète, et de trouver le juste équilibre en la matière.
Vous avez évoqué, au-delà des procédures administratives, la possibilité pour la partie lésée d'obtenir une indemnisation devant le tribunal de grande instance à la suite d'un recours abusif. Cela prouve bien que les amendes ne sont guère dissuasives et que, à un moment donné, il est nécessaire d'estimer le dommage qui est subi du fait de l'exercice abusif d'un droit.
Par conséquent, madame la ministre, nous avons besoin le plus rapidement possible d'une plus grande lisibilité et de réponses législatives adéquates.
conditions d'organisation des "technivals"
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, auteur de la question n° 1048, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Rémy Pointereau. J'ai en effet souhaité appeler l'attention du ministre de l'intérieur sur les conditions dans lesquelles un technival a été organisé dans le département du Cher et sur le devenir de ce type de manifestations.
Lors du week-end du 1er mai, s'est tenu durant quatre jours dans le Cher, à Chavannes, commune de 169 habitants, un technival sur des terrains agricoles privés, pour la plupart en culture, qui avaient été réquisitionnés par l'État. Cette manifestation, qui a regroupé jusqu'à 82 000 personnes sur environ 120 hectares, a été encadrée par l'État, le souci étant de la sécuriser, ce que l'on comprend tout à fait.
Toutefois, il faut préciser que cet énorme rassemblement s'est effectué contre l'avis du maire de la commune, de la majorité des habitants et des agriculteurs concernés, et même contre l'avis des organisateurs, qui ne souhaitaient pas s'installer sur des terres cultivées.
Certes, on peut se féliciter de la mobilisation et de la qualité de l'engagement des services de l'État autour du préfet du Cher. Ils ont su faire face à l'afflux massif des « ravers » en déployant les moyens nécessaires, alors que se déroulait à trente kilomètres le Printemps de Bourges, manifestation musicale phare et reconnue du département.
Malgré cette mobilisation, on a pu déplorer des incidents, des malaises graves conduisant à des hospitalisations, ainsi, hélas ! qu'un décès dû à une overdose. Car toutes sortes de produits illicites ont circulé en masse par l'intermédiaire de nombreux dealers, en dépit de la présence de policiers, qui ont effectué d'importantes saisies de drogues. Il est à noter qu'un arsenal invraisemblable d'armes a également été saisi. Il convient en outre de signaler que les nuisances sonores se sont fait sentir jusqu'à vingt kilomètres aux alentours.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, je veux souligner le sentiment d'invraisemblable chaos qu'éprouvent la population du Cher et de nombreux élus locaux, qui ne comprennent pas que l'État ménage, en prélevant sur les deniers publics - on évoque environ un million d'euros -, une emprise sur un site constitué de terres agricoles en culture. Ils ne comprennent pas non plus que l'on puisse laisser des jeunes, y compris des mineurs, s'autodétruire en consommant des drogues dures dans un excès de décibels. Point n'est besoin d'évoquer davantage l'effet très négatif de cet événement.
La volonté dont témoigne l'État depuis 2002 d'encadrer ces manifestations est tout à fait louable, car elle a permis d'éviter les dérives encore plus graves observées autrefois. Mais de nombreux points restent à éclaircir aujourd'hui. Doit-on continuer à autoriser ces technivals ?
Si ces manifestations intéressant une catégorie de jeunes deviennent un phénomène annuel, ne pourraient-elles être organisées sur des sites appartenant à l'État, notamment sur des terrains militaires ? Il en existe environ 15 000 hectares dans le Cher, notamment celui du Polygone, qui aurait pu être réquisitionné le temps d'un week-end.
Sur ces différentes questions, je souhaiterais avoir votre avis, monsieur le ministre, afin de rassurer la population et les élus du Cher.
Je tiens, en conclusion, à insister sur les répercussions psychologiques désastreuses qu'a eues, pour les agriculteurs, la dégradation de leurs terres agricoles et que l'indemnisation ne suffit pas à effacer.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous souhaitez connaître les conditions dans lesquelles le technival du Cher s'est tenu le week-end du 1er mai et vous vous interrogez sur le devenir de ce type de manifestations.
Comme vous le savez, depuis 2002, l'État s'est efforcé de nouer un dialogue avec les médiateurs du mouvement « techno » et il s'est engagé dans une politique de réduction des risques de tous ordres, particulièrement à l'égard des grands rassemblements de type « technival ».
Chercher à interdire ces rassemblements aurait été peu réaliste, voire irréaliste, s'agissant d'un mouvement qui compte plus de 300 000 adeptes, composés en majorité de jeunes adultes. Avant 2002, la situation était quelque peu chaotique : il n'existait aucune réglementation couvrant ce type manifestations. Souvenons-nous des difficultés innombrables liées à des envahissements sauvages, suscitant la fureur, bien compréhensible, des élus locaux.
Face à ces rassemblements spontanés de plusieurs dizaines milliers de personnes, sans organisateurs facilement identifiables, il s'agissait pour l'État de prendre les dispositions de sauvegarde nécessaires afin de limiter les risques pour les personnes et les biens, ainsi que les troubles à l'ordre public.
L'accompagnement par les services de l'État de plusieurs technivals a démontré, dans chaque cas, l'intérêt d'être associé le plus en amont possible à ces rassemblements, plutôt que de subir, comme par le passé, leur tenue clandestine, avec tous les risques qui en découlent.
La présence des services de l'État permet aussi, c'est incontestable, de mener une lutte énergique contre les trafics et usages de produits stupéfiants. Au fil des ans, au fur et à mesure que des condamnations exemplaires sont prononcées, le message adressé aux dealers potentiels est de mieux en mieux reçu.
Corrélativement à cette action accrue contre les trafics, des actions de prévention et de surveillance sont mises en oeuvre.
Sur le plan financier, il convient de noter qu'un rassemblement encadré se révèle nettement moins onéreux qu'un technival clandestin. En effet, dans les deux cas, la mobilisation des forces de l'ordre est la même et l'État doit prendre en charge l'indemnisation des dégâts occasionnés. Or un rassemblement clandestin occasionne indiscutablement davantage de dégâts qu'un rassemblement encadré de manière à éviter les débordements.
Il faut aussi rappeler que la charge induite par ces manifestations pour le budget de l'État demeure sensiblement inférieure à celle d'autres rassemblements culturels ou sportifs, pour lesquels d'importantes subventions sont versées.
Ces principes de politique générale à l'égard des technivals étant rappelés, j'en viens à celui qui s'est tenu dans le Cher à l'occasion du week-end du 1er mai.
En ce qui concerne l'utilisation des terres agricoles, une surface de 90 hectares, dont une partie en jachère, a été utilisée. Dans son rôle de garant de l'intérêt général et de l'ordre public à l'échelon local, le préfet a tenu plusieurs réunions avec les exploitants dont les terres étaient réquisitionnées afin d'ajuster le protocole d'indemnisation, avec le concours de la chambre d'agriculture, la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles et les maires des communes concernées.
J'aurai d'ailleurs l'occasion de rencontrer prochainement ces derniers ainsi un certain nombre d'élus du département lors de la réunion de l'assemblée départementale, à laquelle j'ai été convié par vous-même, monsieur le sénateur.
L'indemnisation, qui est en cours, représente environ 100 000 euros. Elle couvre les pertes ainsi que la remise en état du site.
Durant la préparation du site, il a été tenu compte des observations formulées par les agriculteurs. En outre, des aménagements pérennes ont été réalisés, notamment le remblaiement de voies en terre, au bénéfice direct de la commune concernée.
Un état des lieux complet et contradictoire a été réalisé dès le 4 mai et une remise en état intégrale des terrains a été effectuée.
L'information des élus locaux et de la population a été assurée régulièrement avant le technival et pendant tout son déroulement.
S'agissant de l'utilisation de terrains militaires, ceux qu'abrite le département du Cher sont tous utilisés de manière permanente. Pour ce qui a trait plus particulièrement au Polygone de tir, les autorités militaires sollicitées ont fait valoir les dangers résultant de la présence de résidus de munitions et de munitions non explosées.
En matière de prévention des toxicomanies, les services de l'État ont distribué plus de 40 000 dépliants d'information à l'entrée du technival afin de prévenir les jeunes sur les risques qu'ils encouraient. D'autre part, des éthylotests individuels ont été remis aux conducteurs à la sortie du technival, où étaient également postés les représentants de cinq associations de réduction des risques en matière de drogues.
Quatre postes de secours et un poste médical avancé ont été mis en place, ce qui a permis, notamment, de sauver la vie à plusieurs jeunes victimes d'overdose, même si l'on doit déplorer, hélas ! le décès d'une jeune femme par overdose.
S'agissant de l'action répressive, les forces de l'ordre ont procédé à de très nombreux contrôles. Des quantités importantes de produits stupéfiants ont été saisies, dont 8,7 kilogrammes de cannabis, 2 kilogrammes de cocaïne, et 5 875 cachets d'ecstasy. Quarante-quatre personnes trouvées en possession de drogues ont été placées en garde à vue ; quinze ont fait l'objet de peines allant de quatre mois à dix-huit mois d'emprisonnement ferme.
Enfin, contrairement à des rumeurs qui ont circulé et dont la presse s'est fait l'écho, aucun chien n'a été éventré à l'occasion de cet événement.
Dès lors qu'une manifestation rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes, l'État doit assumer ses responsabilités et prendre des mesures d'encadrement nécessaires, quelle que soit la nature du rassemblement. C'est vrai pour les 24 heures du Mans, pour l'Enduro du Touquet, et pour bien d'autres manifestations.
Lors du technival du Cher, l'État n'a pas failli à l'une de ses missions essentielles, celle qui consiste à assurer la sécurité des biens et des personnes.
Je sais, monsieur le sénateur, que c'est là l'une de vos préoccupations majeures. Croyez bien que c'est aussi celle du Gouvernement et du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
J'ai bien compris votre souhait de voir les services de l'État accompagner de telles manifestations, ce qui permet effectivement de prévenir un certain nombre de dérives, plutôt que de les subir. En l'occurrence, l'État n'a pas failli et, je tiens à le souligner, le préfet du Cher s'est fortement investi dans la préparation et le déroulement de ce technival.
Permettez-moi de répondre à votre objection concernant l'utilisation des terrains militaires : s'ils représentaient un danger pour les « ravers », il en serait de même pour ceux qui reprennent régulièrement les chevreuils ou ceux qui effectuent des battues administratives. Or je n'ai jamais vu aucun d'eux sauter sur une mine ou une bombe ! Il me paraît donc souhaitable d'explorer cette piste. Le Polygone n'est pas utilisé pour le tir tous les jours de l'année et il me semble qu'il serait possible de consacrer une centaine d'hectares de ce terrain à cette manifestation. Pour m'y être rendu à plusieurs reprises, au même titre qu'un certain nombre d'élus, je puis témoigner du fait qu'il est sans danger : jamais le moindre accident ne s'y est produit.
taxe sur les véhicules de sociétés
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, auteur de la question n° 1049, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
M. Jean-Claude Peyronnet. Ma question porte sur les transferts aux départements d'une part de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance, la TSCA.
Cette taxe, instaurée par la loi de finances pour 2005, vise à financer une partie des compétences transférées aux départements par la loi du 13 août 2004.
Les départements sont censés recevoir deux fractions du produit de cette taxe : l'une, au taux de 0,91 %, doit être modulable à partir de 2007 ; l'autre a pour objet de neutraliser la réfaction opérée sur la dotation globale de fonctionnement des départements, pour contribuer au financement des services départementaux d'incendie et de secours.
Si ce n'est pas tout à fait une usine à gaz, c'est au moins une « machine à détuber » comme celle que montrait un film populaire où l'on voyait des tubes de dix centimètres émerger d'une machinerie haute de trois étages ! (Sourires.)
J'ai bien noté que des évolutions se sont produites entre le dépôt de ma question et aujourd'hui. Ainsi le veut la « machine à détuber » propre au Sénat, laquelle coupe les questions orales de l'actualité en raison du délai séparant leur dépôt et leur discussion dans l'hémicycle.
Il n'en demeure pas moins qu'on n'y voit toujours pas très clair !
Comme nombre de parlementaires, j'ai été alerté par plusieurs entreprises se plaignant de l'accroissement de la charge que fait peser sur elles la TSCA par rapport à ce que leur coûtait la vignette, à laquelle elle s'est substituée.
Dans mon département, par exemple, une entreprise comprenant un effectif commercial de cinq personnes a enregistré un surcoût de plus de 7 000 euros, somme d'autant plus lourde qu'elle n'est pas déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. L'entreprise se trouve donc doublement pénalisée.
À la suite des interventions de plusieurs élus, le Gouvernement a annoncé le mois dernier - c'est la nouveauté - un allégement de la taxe sur les véhicules des sociétés pour celles qui remboursent des frais kilométriques à leurs employés.
Cependant, le flou continuant à subsister dans ce domaine, je souhaiterais savoir plus précisément où nous en sommes actuellement à cet égard.
Qu'en est-il de l'instruction administrative annoncée par le Gouvernement et destinée à alléger la taxation des entreprises ? S'agit-il d'un aménagement ou, comme l'affirme e quotidien Le Parisien, d'un enterrement ? À ce stade, les syndicats patronaux ont des interprétations divergentes sur ce point.
Pouvez-vous, madame le ministre, nous donner des précisions et nous fournir un calendrier, en particulier s'agissant du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier qui est censé corriger le dispositif ?
Par ailleurs, si la TSCA a pesé plus lourd que la vignette sur les entreprises, n'est-il pas logique d'en conclure qu'elle a rapporté davantage à l'État ? Où est passée la différence ? En tout cas, pas dans les budgets départementaux, qui en sont restés au versement prévisionnel notifié en janvier par les préfets. Le compte n'y est pas !
Ainsi, dans mon département, la Haute-Vienne, le total des versements annoncés au titre des articles 52 et 53 de la loi de finances fait ressortir, entre 2005 et 2006, une perte en ligne substantielle puisqu'elle est de l'ordre de 315 000 euros.
Devant la complexité du système, les services hésitent à se prononcer, restant dans une fourchette entre deux sommes très éloignées : de moins 230 000 euros à moins 400 000 euros. Pouvez-vous, madame le ministre, nous fournir également des éclaircissements sur ce point ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Monsieur le sénateur, je ne sais si je peux vous éclairer sur le « détuyautage » ou le « retuyautage » du système que vous évoquez, mais je vais m'efforcer de vous transmettre les éléments de réponse que Thierry Breton, qui vous prie d'excuser son absence, souhaitait porter à votre connaissance.
Comme vous le savez, la loi de finances pour 2006 a défini le régime de compensation de la suppression de la vignette automobile.
Au titre de la compensation de la perte de recettes liée à cette suppression, les départements bénéficient d'une affectation supplémentaire du produit d'un impôt d'État, la taxe spéciale sur les contrats d'assurances automobile, la TSCA. C'est à ce titre que la fraction du taux de la TSCA tient compte de la compensation aux départements de la suppression de la vignette et de la perte de recettes subséquente.
Ainsi, la compensation servie aux départements, d'un montant de 132,5 millions d'euros, à compter de la loi de finances pour 2006 est exactement égale au produit de la vignette perçu par les départements pour l'exercice budgétaire 2004.
Comme vous le savez, l'État supporte le coût de la différence entre l'augmentation de la part de ses recettes de TSCA qu'il affecte aux départements, soit donc 132,50 millions d'euros, et l'augmentation du produit de la TVS, la taxe sur les véhicules des sociétés, qui s'élève à 118 millions d'euros en 2006.
S'agissant de la compensation, elle est exemplaire puisque l'indexation annuelle de son montant dépendra de la variation de l'assiette de la TSCA, tendanciellement plus dynamique que celle de la vignette : le produit de celle-ci a en effet diminué d'environ 4 % par an de 2001 à 2004, et l'on avait toutes les raisons de penser que cette tendance à la baisse se confirmerait.
Les départements bénéficient donc d'un régime de compensation dynamique de la suppression de la vignette, dont le produit était déclinant.
Enfin, monsieur le sénateur, sachez que, malheureusement, il n'y a pas de « cagnotte cachée » en matière de TVS puisque la réforme adoptée dans la loi de finances pour 2006 a été modifiée afin que la charge fiscale qui pèse sur les entreprises, tout particulièrement sur les PME, ne pénalise pas leur compétitivité.
C'est ainsi que, après un dialogue constructif engagé avec la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, et les commissions des finances des deux assemblées, Jean-François Copé a annoncé trois adaptations significatives de la TVS : tout d'abord, un réajustement du barème kilométrique, qui a triplé, passant de 5 000 à 15 000 kilomètres ; ensuite, un abattement de 15 000 euros ; enfin, une entrée en vigueur progressive de la réforme puisque les entreprises subiront un tiers de l'imposition la première année et deux tiers la deuxième année : c'est seulement au terme de la troisième année qu'elles supporteront l'imposition complète. Elles pourront donc mettre à profit ces trois années pour mener une réflexion stratégique sur la gestion de leur parc automobile.
Ces mesures, qui répondent aux souhaits de nombreuses PME, font que le rendement de la TVS ne devrait pas être supérieur à ce qui était prévu dans la loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Madame la ministre, j'ai bien noté l'exemplarité de la compensation. Je dois cependant vous avouer que, dans les départements, les choses ne sont pas si claires : on n'en est pas encore à corriger l'estimation du versement initial, et c'est là une attente qu'il faudrait combler.
Quant au calendrier, il laisse des perspectives bien éloignées ! J'imaginais que, dès cette année, interviendrait une modification, comme cela est probablement nécessaire. Or, la matière concernée relevant du domaine de la loi, il faudra bien légiférer ! Cela se produira-t-il cette année ou bien au terme d'une période d'expérimentation ? Je l'ignore !
Monsieur le président, si je puis me permettre, nous avons là une illustration du caractère quelque peu figé de la discussion des questions orales. Nous évoquons souvent, hors de l'hémicycle, la nécessité d'adapter nos modes de fonctionnement : sur ce point précis, il y aurait beaucoup à faire. En particulier, le délai entre le dépôt des questions et leur discussion en séance publique pourrait être raccourci, et il devrait être possible d'en modifier le libellé, par exemple jusqu'à huit jours avant leur présentation à l'assemblée, afin que les ministres et nous-mêmes puissions tenir compte de l'évolution des situations.
Il faudrait également établir un véritable dialogue au sein même de la Haute Assemblée, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas ; mais cela suppose que tout le monde joue pleinement le jeu, en particulier que les ministres concernés viennent répondre aux questions.
M. le président. Vous avez été entendu, mon cher collègue : vous aviez posé la question le 18 mai et nous sommes le 6 juin ; le délai est donc relativement court !
M. Jean-Claude Peyronnet. Il s'est passé beaucoup de choses entre-temps !
M. le président. Certes, mais je suis persuadé que votre grande expérience permettra de trouver des solutions correspondant mieux à la volonté des sénateurs et des sénatrices.
révision tarifaire du service courrier de la poste
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, auteur de la question n° 1054, adressée à M. le ministre délégué à l'industrie.
M. Gérard Cornu. Madame la ministre, en tant que parlementaire, je comprends que La Poste ait l'obligation de s'adapter à différentes évolutions pour devenir, dans un environnement concurrentiel, une entreprise compétitive grâce à la modernisation de ses processus et au développement de l'offre de services à ses clients ; de cela nous sommes ici tous convaincus.
Les défis à relever sont nombreux : la mise en place de la Banque postale, la modernisation des réseaux de proximité, et, désormais, l'ouverture à la concurrence en matière de courrier. C'est à ce dernier point que je consacrerai mon propos de ce matin.
Il apparaît que la revalorisation tarifaire du service « collecte et remise du courrier à domicile » engagée à la fin de l'année dernière est lourde de conséquences pour certains clients de La Poste. La majoration du coût qui a été enregistrée a conduit certaines entreprises à subir des hausses exorbitantes alors que, du fait de la spécificité de leur activité ou de la localisation de leur site, elles n'ont pas eu le choix du prestataire.
Pour exemple, dans mon département, une entreprise de machinisme agricole implantée dans une petite commune rurale compte depuis dix ans sur les colis de pièces détachées déposés avec le courrier du matin pour assurer la maintenance des équipements agricoles qui lui sont confiés. Or elle a vu le montant de la prestation passer de 1 300 euros à 2 900 euros à compter du 1er janvier dernier, soit une augmentation de plus de 220 %, au motif que le service du port et de l'enlèvement à domicile dans le secteur professionnel pouvait être fourni par de nombreux autres opérateurs et qu'à défaut d'augmentation La Poste se serait rendue coupable de dumping.
Une telle situation s'explique mal quand elle touche des secteurs géographiques où la concurrence est de fait inexistante, et elle risque d'avoir des répercussions évidentes en termes d'aménagement du territoire.
Les communes rurales sont également affectées par cette importante augmentation des tarifs. Certaines sont contraintes de mettre un terme à ce service, qui leur donnait pourtant entière satisfaction ; c'était d'autant plus vrai qu'il était souvent assuré plus ou moins gratuitement par La Poste.
La situation est donc difficile à gérer à la fois pour les entreprises installées en milieu rural et pour de nombreuses communes rurales qui n'ont pas d'autre solution que de renoncer à ce service. Elle soulève en outre un douloureux problème en termes d'aménagement du territoire.
C'est pourquoi je voudrais savoir quels moyens peuvent être mis en oeuvre, en concertation avec La Poste, pour éviter ces écueils à tout le moins préjudiciables pour l'avenir de nos zones rurales.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Monsieur le sénateur, François Loos, ministre délégué à l'industrie, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence, m'a fourni un certain nombre d'éléments de réponse.
Je rappellerai d'abord ce que fait La Poste, et qu'elle fait bien.
Le service de collecte et de remise du courrier est une prestation unique qui répond partout en France aux besoins des entreprises de toute taille.
La Poste met tout en oeuvre pour renforcer la qualité de cette prestation tout en garantissant le prix le plus juste à ses clients. En particulier, elle s'adapte aux exigences horaires de chacun et assure une expédition quotidienne dans les meilleures conditions de sécurité. Le service de remise précoce, par ailleurs, permet à certains, en particulier aux entreprises, de recevoir leur courrier très tôt le matin et, ainsi, de gérer le plus rapidement possible les demandes qui parviennent par la voie postale.
La Poste est toutefois soumise aux règles de la concurrence, notamment à l'une des pierres angulaires du droit de la concurrence français : le principe selon lequel la vente à perte des produits ou des services est rigoureusement interdite.
En 2006, La Poste a donc proposé à ses clients, pour le service de collecte, une grille tarifaire unique établie sur la base de trois critères objectifs : la tranche horaire ; la tranche de volume maximum, mesuré en nombre de plis ; la tranche de temps d'accès. En ce qui concerne la remise, le service est facturé sur la base d'un devis établi après calcul du coût de revient, celui-ci permettant de déterminer le seuil de revente à perte.
Jusqu'à cette année, certains clients bénéficiaient d'un tarif extrêmement avantageux, voire de la gratuité de la prestation. Le tarif proposé en 2006, lui, est établi à partir de critères objectifs nationaux qui permettent un traitement équitable des clients et qui sont cohérents et conformes aux nouvelles règles de concurrence imposées à l'opérateur.
La hausse survenue en 2006 a été rendue nécessaire, notamment, par la forte augmentation des prix de revient afférents aux transports, en particulier par celle qui frappe les carburants. Les charges de fonctionnement ont également fortement augmenté du fait de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur les déplacements des véhicules utilitaires et sur le renforcement de la sécurité.
La nouvelle grille tarifaire permet à La Poste de couvrir ses coûts de revient sans pour autant répercuter les différences de coûts liées à la zone d'implantation géographique des entreprises, qu'il s'agisse de zones urbaines ou de zones rurales, ces dernières bénéficiant de ce mode de tarification.
À titre d'exemple - les montants sont moins élevés que ceux que vous indiquez dans votre question -, une collecte par La Poste au domicile du client en option « standard » est proposée à 4 euros hors taxes par jour, quelle que soit la zone géographique considérée. Outre le caractère concurrentiel de son tarif, ce service épargne aux entreprises des déplacements quotidiens, générateurs de frais kilométriques, leur permettant également d'optimiser le temps consacré à leur activité.
Par ailleurs, La Poste va renforcer d'ici à 2007 ses engagements sur la qualité de service, grâce au suivi informatisé des tournées, et veiller à la simplification des termes contractuels de ses offres, souvent jugés trop compliqués par ses utilisateurs.
De nouveaux services sont à l'étude, notamment la collecte des plis au siège des entreprises par le facteur ou la collecte à des heures plus tardives pour satisfaire également de nouveaux clients ayant des modes de fonctionnement différents.
Enfin, dans le cadre du projet national de modernisation du courrier, La Poste entend privilégier un dialogue territorial continu pour répondre à la fois à l'objectif de performance qu'elle s'est fixé et, bien entendu, aux missions de service public qui lui incombent, notamment dans les territoires ruraux.
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Madame la ministre, loin de moi d'accréditer l'idée selon laquelle La Poste ne serait pas une entreprise performante : La Poste est, bien sûr, une entreprise performante et, pour demeurer telle, elle doit se moderniser.
Le problème qui se pose est double.
Vous avez fort bien répondu, madame la ministre, sur le volet concernant les entreprises : La Poste ne doit pas vendre à perte, cela me paraît tout à fait justifié. Cela étant, il y a loin de la vente à perte aux augmentations très importantes qu'elle fait subir à certaines entreprises, notamment en milieu rural.
Certes, le milieu rural est plus difficile à desservir que le milieu urbain ; il me semble cependant que nous devons garder à l'esprit une préoccupation d'aménagement du territoire, et c'est sur elle que, à travers ma question, je voudrais attirer l'attention du Gouvernement. C'est aussi le devoir des parlementaires et du Gouvernement que de faire en sorte que l'aménagement du territoire ne soit pas déséquilibré. Il faut bien voir qu'il est des points du territoire où la concurrence est inexistante en matière postale : certaines entreprises n'ont d'autre choix que de s'adresser à La Poste parce qu'il n'y a pas d'entreprise concurrente.
Pour les communes rurales, dont le budget, vous le savez, est très tendu, le service qui était rendu par La Poste était parfait. Ce n'était tout de même pas grand-chose pour le facteur que de prendre les plis de la commune, et le coût n'était pas exorbitant !
Sur ces deux aspects, il me semble que le Gouvernement, avec l'aide du Parlement, pourrait passer des conventions intéressantes avec La Poste, de façon à rendre service à l'ensemble des entreprises et du monde rural.
réglementation applicable aux personnes non pénalement responsables
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 1055, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, en France, trois cents à quatre cents personnes sont victimes de l'irresponsabilité pénale.
Le 14 septembre 2002, M. Dominique Perben, alors garde des sceaux, avait réuni une commission de juristes et de psychiatres, qui avait rendu une note d'orientation.
En décembre de la même année, compte tenu du fort accroissement du nombre des victimes - de 160 % en cinq ans, selon le rapport Burgelin -, M. Perben décidait la rédaction d'un second rapport, conjointement avec le ministère de la santé.
Le rapport Burgelin, remis le 6 juillet 2005, de même que la note d'orientation de décembre 2002 soulignent que « les investigations du magistrat d'instruction sont généralement moins approfondies dès lors que l'article 122-1 paraît susceptible de s'appliquer ».
Les victimes et leur famille déplorent cet état de fait et demandent : que soit tenu un vrai procès déterminant tous les responsables directs et indirects, conformément aux dispositions de l'article 121-3 du code pénal ; que soit défini un véritable statut des victimes avec accès aux soins ; que les malades déclarés irresponsables bénéficient d'un accompagnement médical et social, avec suivi judiciaire, afin d'éviter toute récidive.
Elles souhaitent également que la justice soit gratuite pour les crimes de sang et tentatives de crimes de sang, surtout dans les cas d'irresponsabilité pénale.
Cent cinquante députés de tous bords ont déjà adressé à M. le garde des sceaux une lettre commune ou individuelle appuyant les demandes des victimes, et ce dernier a reçu à maintes reprises les responsables de l'association « Delphine-Cendrine ».
Par ailleurs, certains psychiatres dénoncent eux-mêmes à la barre les insuffisances de l'article 122-1 du code pénal.
L'actualité de ces dernières semaines nous démontre bien les insuffisances de la législation dans ce domaine. En avril dernier, un homme a été assassiné de vingt coups de couteau à la sortie d'une école. Un gendarme présent sur les lieux a également été agressé et son collègue a dû tirer sur le forcené. Or ce dernier avait déjà à son actif deux autres assassinats et une tentative d'assassinat, crimes pour lesquels il avait été déclaré pénalement irresponsable.
Une telle situation est inacceptable : il y va de la sécurité de tous.
En conséquence, je souhaiterais connaître les mesures que M. le garde des sceaux envisage de mettre en oeuvre afin de répondre aux attentes des victimes, attentes que je tiens pour justes et légitimes.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Madame le sénateur, comme vous l'indiquez, la commission Santé-Justice, présidée par M. Jean-François Burgelin, procureur général honoraire près la Cour de la cassation, a recommandé l'instauration d'une audience spécifique statuant sur l'imputabilité de l'infraction commise, sur les intérêts civils et sur le prononcé d'éventuelles mesures de sûreté.
La mise en oeuvre d'une telle proposition reste actuellement à l'étude, en raison de son caractère particulièrement novateur et des modifications législatives comme des besoins en moyens humains, matériels et financiers qu'elle suppose.
M. le garde des sceaux, que je vous prie de bien vouloir excuser, m'a chargée de vous rappeler que, dès lors qu'une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction est motivée par le constat de l'irresponsabilité pénale du mis en examen en raison, par exemple, de l'abolition du discernement de celui-ci, aux termes de l'article 122-1, alinéa 1, du code pénal, le juge doit néanmoins préciser s'il existe des charges suffisantes établissant que l'intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés, et ce en vertu de l'article 177, alinéa 2, du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
De plus, je puis vous informer que, le 23 février 2006, le Premier ministre a nommé M. Jean-Paul Garraud, député de la Gironde, parlementaire en mission auprès des ministres de la justice et de la santé.
Cette mission parlementaire a pour objet d'approfondir et d'expertiser certaines des suggestions de la commission Burgelin, notamment celles qui visent à définir des indicateurs de dangerosité, à créer des équipes « ressources interrégionales » chargées d'évaluer la dangerosité, à mettre en place un centre de documentation psycho-criminologique regroupant les expertises et mentionnant les hospitalisations d'office prononcées sur le fondement de l'article 122-1, alinéa 1, du code pénal.
Un rapport devrait être publié au cours du troisième trimestre 2006.
Enfin, je précise que la consignation dont le dépôt est demandé aux parties civiles qui n'ont pas obtenu l'aide juridictionnelle a pour seul objet de garantir le paiement de l'amende civile qui est susceptible d'être prononcée à leur encontre en cas de dénonciation calomnieuse. Dès lors qu'une décision définitive permet de constater que la constitution de partie civile n'était ni abusive ni dilatoire, donc non constitutive de dénonciation calomnieuse, la somme consignée est restituée.
Il faut également préciser que le juge d'instruction peut lui-même dispenser de consignation la partie civile, et ce en vertu de l'article 88 du code de procédure pénale.
Tels sont les éléments d'information que M. le garde des sceaux m'a demandé de porter à votre connaissance.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse et j'attends avec beaucoup d'intérêt, comme les associations de victimes, les conclusions et les propositions de la mission Garraud, en espérant qu'elles satisferont ces associations, qui demeurent dans l'incertitude et qui aimeraient que la situation soit éclaircie.
qualité des manuels scolaires
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, auteur de la question n° 1027, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1998, dans un rapport intitulé « Le Manuel scolaire », l'inspection générale de l'éducation nationale déplorait vivement, d'une part, que le manuel, « en multipliant rubriques et entrées, en développant la pédagogie au détriment des connaissances, soit non plus une référence mais un puzzle, dont seul le maître a les clés de l'apprentissage » et que, d'autre part, « loin de favoriser la lecture suivie, il renforce la culture du zapping » que véhiculent les technologies modernes.
Lorsqu'on parcourt chez les bouquinistes les manuels classiques avec lesquels nous apprenions à lire et à compter, on s'aperçoit de la différence entre les modes d'apprentissage traditionnels et ceux qu'on applique aujourd'hui aux élèves.
Dans ledit rapport, les inspecteurs généraux préconisaient que le manuel, actuellement outil de luxe complexe, commercial et privilégiant la forme par rapport au fond, redevienne un livre assurant la « cohérence des apprentissages ».
À ce jour, un nombre important de manuels scolaires de très faible qualité, et financés en grande partie par les collectivités territoriales, semblent inadaptés aux besoins des professeurs ainsi que des élèves et, par voie de conséquence, sont inutilisables. Par conséquent, personne n'est satisfait : ni les professeurs ni les collectivités territoriales.
Aux mois de décembre et janvier derniers, plusieurs milliers de parents ainsi que de nombreux professeurs réunis au sein de l'association SOS-Éducation ont d'ailleurs demandé directement aux éditeurs scolaires le retrait immédiat et symbolique de la vente des cinq pires livres de classe, sélectionnés par un comité indépendant de parents et de professeurs.
En conséquence, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir s'il est envisagé de revoir les modalités de sélection des manuels scolaires, sachant que les éditeurs ont une entière liberté éditoriale et que le choix des manuels appartient aux enseignants sous la responsabilité du chef d'établissement, ou du conseil des maîtres dans le premier degré.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Madame la sénatrice, comme je comprends votre question !
M. Gilles de Robien vous prie d'excuser son absence ce matin et m'a demandé de vous communiquer sa réponse.
Comme vous l'avez rappelé, l'inspection générale de l'éducation nationale a en effet évalué en 1998 près de deux cents manuels de l'école primaire, du collège et du lycée, et les conclusions de son rapport sont très critiques.
En souhaitant que les manuels redeviennent pour les élèves des livres de référence et de lecture, moins épais, moins luxueux, et qu'une place soit réservée à d'autres supports comme les documents, les textes, les images et les banques d'exercices, l'inspection générale a formulé un certain nombre de propositions, l'une d'elles portant sur la redéfinition des relations entre le ministère et les éditeurs.
Comme vous le savez, le ministère de l'éducation nationale est chargé de définir les contenus des enseignements et d'élaborer les programmes scolaires qui, pour chaque niveau, fixent les objectifs des enseignements et définissent les connaissances essentielles et les méthodes qui doivent être assimilées par les élèves.
Pour mettre en oeuvre ces programmes, les enseignants choisissent la pédagogie qui leur paraît le mieux convenir aux élèves. À cette fin, les manuels scolaires sont incontestablement des auxiliaires importants. Ils devront, dès cette année, prendre en compte les nouvelles instructions pédagogiques relatives à l'apprentissage de la lecture à l'école primaire.
Comme vous l'avez vous-même rappelé, madame la sénatrice, la liberté des éditeurs ainsi que leur responsabilité en matière de conception et de rédaction des manuels sont entières. En France, les manuels scolaires ne reçoivent aucune certification, ni préalable ni postérieure, du ministre de l'éducation nationale. Le choix des manuels scolaires appartient aux enseignants. La conformité aux programmes nationaux officiels, la rigueur scientifique et le respect des valeurs républicaines sont des critères fondamentaux de leur choix, qui est présenté, sous la responsabilité du chef d'établissement ou du directeur d'école, au conseil d'administration de chaque établissement scolaire, ou au conseil des maîtres pour les établissements du second degré. Cette sélection apparaît comme le meilleur rempart contre l'utilisation des manuels de très faible qualité.
La connaissance des manuels et ouvrages existants et l'initiation à leur bonne utilisation sont intégrées à la formation didactique et pédagogique dispensée aux professeurs stagiaires par les instituts universitaires de formation des maîtres.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais je constate que ce problème de la qualité des manuels scolaires est ancien et qu'il reste d'actualité, car il se posait déjà lorsque j'étais chargée des questions périscolaires à la mairie de Paris, voilà maintenant plus de vingt ans.
Je n'hésite pas à le dire, à la maltraitance familiale et à la maltraitance institutionnelle - nous allons avoir bientôt un rapport sur la protection de l'enfance - peut s'ajouter une maltraitance éducative, et nous n'avons guère progressé dans ce domaine depuis vingt ans. Or, en tant qu'adultes, nous avons une véritable responsabilité à l'égard de nos enfants en la matière.
incidences de la fermeture d'un tronçon de la rd 68 à rungis
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 1044, adressée à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, vous connaissez bien le Val-de-Marne, mais peut-être ne connaissez-vous pas la rue Paul-Hochard, à Rungis. Cette voie est bien connue, en revanche, des milliers d'automobilistes qui l'empruntaient et qui ne l'empruntent plus aujourd'hui puisqu'elle a été fermée à la circulation, cela sans aucune information préalable aux riverains et aux usagers.
Cette voie a un statut tout à fait particulier puisqu'elle est associée au réseau autoroutier et permet l'accès direct à l'autoroute A 6b depuis la zone économique et la zone hôtelière de Rungis et elle est utilisée depuis plus de trente ans par des milliers d'automobilistes.
Pour mieux comprendre comment se pose le problème, je rappellerai simplement ce qui se passe dans ce secteur, dit « zone Delta », qui est au coeur d'un important dispositif d'échanges entre trois autoroutes : l'A 6, l'A 106 et l'A 86.
Ce secteur reçoit d'importants flux de circulation qui sont liés aux pôles d'activité de Rungis : le parc de la SILIC, où se concentrent 12 000 emplois, EURODELTA, la SOGARIS, le parc Médicis, à Fresnes, le parc de la Cerisaie, à Chevilly-Larue, et la zone hôtelière qui, avec une petite dizaine d'hôtels, offre plus de mille chambres.
Il draine aussi un fort trafic de transit depuis les villes limitrophes et en provenance du département de l'Essonne.
C'est en effet dans ce secteur que convergent les deux seuls accès à l'autoroute A 6 depuis Paris vers ces pôles et vers les communes voisines, les seuls accès depuis la province, la seule liaison entre l'A 6 et l'A 86 depuis Paris, ce qui est important pour le sud de l'Île-de-France, ainsi que les accès de l'A 86 depuis Créteil ou Versailles.
Tous ces flux de circulation empruntent un seul et court tronçon de 500 mètres de la route départementale : la voie Paul-Hochard.
Le caractère très sensible de cette configuration a été souligné à de nombreuses reprises devant les représentants de l'État et a fait l'objet de plusieurs réunions.
La fermeture de la voie Paul-Hochard provoque chaque jour de graves difficultés de circulation et des blocages invraisemblables. En effet, la capacité de l'accès à l'A 86 et à l'A 6 depuis la route départementale 65, notamment depuis Chevilly-Larue, ne peut pas absorber la circulation supplémentaire.
En outre, et cela ne fait que renforcer les difficultés des automobilistes, la signalisation directionnelle reste insuffisante. De nombreux automobilistes continuent de pénétrer depuis Rungis dans la zone hôtelière pour se rendre à Paris. En revenant sur la route départementale, ils contribuent encore davantage à sa saturation.
Chaque matin et chaque soir, ce sont des embouteillages sans nom qui rendent cette zone parfaitement invivable, nuisant gravement à la qualité de l'environnement et de l'accueil des résidents des hôtels.
Le maire de Rungis a saisi tour à tour le conseil général du Val-de-Marne, la direction départementale de l'équipement, l'association pour le développement économique du pôle Orly-Rungis, qui joue un rôle fondamental dans la région, ainsi que la presse pour relayer le mécontentement des Rungissois devant la manière dont ce dossier a été abordé et le refus de prendre en compte les réelles difficultés de circulation.
Alors que la direction départementale de l'équipement n'envisageait pas de rouvrir cet accès à l'issue des travaux du Trans-Val-de-Marne, une réunion s'est tenue au Syndicat des transports d'Île-de-France pour examiner trois scénarios possibles : la réouverture de la bretelle de sortie désaffectée, le réaménagement de la voie Paul-Hochard à l'ouest du site et la fermeture définitive de cette voie.
En conclusion de cette réunion, il a été demandé à la RATP de finaliser rapidement les études d'aménagement de la bretelle désaffectée, en concertation avec les services de la direction départementale de l'équipement, afin de ne pas prolonger excessivement la fermeture de la voie Paul-Hochard, l'objectif étant de proposer en juin un aménagement qui puisse faire l'objet d'un avis de l'ingénieur général des routes en septembre.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que cette voie sera bien rouverte dans les meilleurs délais et nous indiquer quelles mesures seront prises pour résoudre cette situation qui pénalise lourdement, croyez-le, le fonctionnement et l'économie de tout le secteur sud du Val-de-Marne ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le sénateur, M. Dominique Perben, ministre des transports, qui vous prie de bien vouloir l'excuser, m'a demandé de vous communiquer, sur un sujet manifestement très sensible pour votre département, les éléments de réponses suivants.
L'achèvement de la desserte Trans-Val-de-Marne par la RATP a nécessité la fermeture pour une durée de six mois de la voie Paul-Hochard, à Rungis, sur la route départementale 68.
Comme vous l'avez rappelé, initialement, il n'était pas prévu de rouvrir cette voie à la circulation à l'achèvement des travaux. En effet, elle supportait un faible trafic, environ 600 véhicules par jour, et de nouvelles voies dimensionnées pour un trafic bien plus important ont été mises en service ces derniers mois dans ce secteur.
Néanmoins, la concertation menée récemment a mis en évidence le rôle de cette voie dans la desserte du marché d'intérêt national de Rungis, et bien au-delà. J'ai donc le plaisir de vous confirmer, au nom de M. Dominique Perben, que cette voie sera rouverte à la fin des travaux.
Les services du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, apportent une attention particulière au plan de circulation et de jalonnement pendant les travaux. Un renforcement de la pré-signalisation a été effectué pour guider au mieux les usagers.
À la décharge des services, il faut reconnaître que les modifications de circulation entraînées par ce type de travaux sont difficilement prévisibles, car les automobilistes, confrontés à la nouveauté, expérimentent les itinéraires disponibles et s'y adaptent progressivement. Cela provoque des reports de trafic fluctuants d'une voie vers une autre. Toutefois, les comptages effectués récemment permettent de prendre des mesures de gestion de trafic afin d'éviter les trop forts désagréments aux usagers, que vous avez déplorés à très juste titre.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Votre réponse me satisfait, monsieur le ministre, et soyez assuré que je la transmettrai aux élus intéressés. Elle montre l'esprit de concertation dans lequel ce dossier a été examiné. L'intervention du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer s'est révélée importante pour remédier à une difficulté qui peut certes paraître ponctuelle dans cet hémicycle, mais qui constitue un problème quotidien pour les milliers d'usagers qui empruntent cet itinéraire.
Je me réjouis également des efforts qui ont été effectués en matière de pré-signalisation. En effet, dans les tissus urbains, dès qu'un itinéraire est neutralisé, les autres sont immédiatement saturés, ce qui provoque de graves perturbations dans nos communes.
projet de tangentielle nord sartrouville - noisy-le-sec
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la question n° 1059, adressée à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
Mme Éliane Assassi. Le projet de tangentielle nord Sartrouville - Noisy-le-Sec revêt un intérêt majeur pour tout le nord de l'Île-de-France, lequel rayonne sur un bassin d'habitat de plusieurs millions de personnes.
Cette infrastructure ferrée permettra de desservir trois départements : les Yvelines, le Val d'Oise et la Seine-Saint-Denis. Je vous rappelle que cet investissement est attendu depuis plus de vingt ans.
Programmé dans un contrat de plan au cours des années quatre-vingt, il a été déprogrammé d'une façon tout à fait injuste, me semble-t-il, au profit de réalisations dans des secteurs de l'Île-de-France pourtant déjà très fortement dotés en infrastructures ferrées.
La liaison Sartrouville - Noisy-le-Sec a enfin été inscrite au contrat de plan 2000-2006, mais les lenteurs des procédures et de la mise en oeuvre du contrat de plan ont fait qu'il a fallu quatre ans pour que le schéma de principe définitif soit adopté.
Le projet acté est de grande qualité puisqu'il prévoit un investissement pour une infrastructure de transport en commun parmi les plus rentables et efficaces qu'il soit possible de réaliser en Île-de-France, comme l'ont d'ailleurs démontré les études réalisées dans le cadre de l'élaboration du schéma de principe.
Ces études ont démontré, si besoin en était, l'intérêt technique de ce projet. Les solutions retenues pour le phasage de ce projet permettent certes de réaliser des investissements rentables, mais elles sont beaucoup moins intéressantes que sa réalisation complète, à laquelle le caractère structurant de cette rocade ferrée confère un taux de rentabilité très élevé.
Cet investissement doit maintenant être enfin mis en oeuvre. Il correspond à des besoins évidents de populations très nombreuses et constitue un élément essentiel pour la requalification et la redynamisation d'un territoire très étendu de notre région-capitale, qui souffre cruellement du manque d'investissements publics.
Eu égard au nombre d'habitants et d'emplois concernés, aux liens qu'il permettrait d'établir avec des pôles majeurs tels que les zones d'emplois de Roissy, de la Plaine-Saint-Denis, du Bourget, de Cergy-Pontoise, le caractère d'intérêt national de ce projet s'impose. Il ne faut plus attendre. Au moment où l'État est en train de préparer les contrats de projets 2007-2013, il faut enfin donner aux populations, aux élus, aux entreprises des assurances quant à la réalisation de cette infrastructure. Les concertations ont eu lieu et les solutions techniques ont été définies.
Alors que de très nombreuses capitales mondiales se dotent en ce moment de nouvelles et importantes infrastructures ferrées, nous ne pouvons laisser la région-capitale de notre pays dans l'attente d'investissements qui auraient dû être réalisés de longue date.
Aussi je demande à M. le ministre des transports de prendre l'engagement que l'État apportera, aux côtés de la région et des départements concernés, bien évidemment, sa part de financement afin que ce projet soit réalisé le plus rapidement possible et sur l'intégralité du parcours de Sartrouville à Noisy-le-Sec.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Madame Assassi, vous avez souhaité interroger Dominique Perben, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence ce matin, sur le projet déjà ancien de liaison tangentielle nord en Île-de-France. J'ai d'ailleurs eu à connaître de ce dossier lorsque j'occupais d'autres fonctions.
Vous avez souligné l'ancienneté du projet, la longueur des procédures et la nécessité d'engager aujourd'hui sa réalisation. Vous souhaitez voir l'État prendre sa part dans cet engagement afin que ce projet soit réalisé le plus rapidement possible.
Comme vous le savez, ce projet a beaucoup évolué au fil du temps. Un premier schéma de principe, approuvé par le conseil d'administration du Syndicat des transports d'Île-de-France à la fin de 2001, développait un projet qui consistait à introduire, sur la grande ceinture, un nouveau service voyageurs de type RER, combiné avec des trains de marchandises. On pensait améliorer, grâce à la création de ce barreau, la connexion avec le port du Havre et l'est de la France, voire avec une partie de l'Europe.
Devant la complexité de ce projet, il a été demandé à Réseau ferré de France d'examiner la pertinence d'une variante utilisant des voies dédiées au trafic voyageurs sur la totalité du parcours.
Ainsi, pendant près de trois ans, Réseau ferré de France a poursuivi ses discussions avec les élus et les habitants pour mettre au point un projet qui devait être économiquement pertinent - sous peine d'être condamné - et socialement bien accepté, car nous sommes d'abord animés par l'intérêt des usagers.
Ce travail commun a conduit, à la fin de 2004, à retenir une variante baptisée « train léger » sur des voies dédiées.
L'État a pris position en faveur de la solution alternative de « train léger » ou de tram-train sur voie dédiée. Une telle solution peut en effet être considérée comme plus évolutive dans la perspective d'une recherche de phasage. Elle permet également d'assurer une meilleure régularité des circulations de voyageurs et d'offrir des fréquences adaptées aux besoins, sans contrainte pour les capacités du trafic de marchandises.
Comme vous pouvez le constater, madame Assassi, le temps écoulé depuis le début du xiie Plan a permis de faire prendre conscience à tous les partenaires du projet que la variante « train léger » était sans doute la plus pertinente. Naturellement, l'absence de réunion du conseil d'administration du Syndicat des transports d'Île-de-France pendant neuf mois a encore retardé le projet et nous en prenons acte.
C'est ainsi que le dossier d'enquête devrait être présenté au conseil du Syndicat des transports d'Île-de-France du 5 juillet prochain, pour une enquête publique attendue à l'automne 2006.
Les contrats de projets pour la période de 2007 à 2013 sont maintenant en cours d'élaboration. L'État souhaite en particulier privilégier et soutenir les projets d'infrastructures lourdes de transport collectif visant à améliorer les déplacements quotidiens dans les grandes agglomérations. C'est une des priorités du Gouvernement.
En Île-de-France, la contractualisation concernera donc en priorité la poursuite des chantiers d'infrastructures lourdes, mais aussi les rocades ferrées en proche ou grande couronne. La tangentielle nord devrait donc être retenue dans ce cadre.
L'élaboration des contrats de projets n'en étant qu'à ses débuts, il est encore trop tôt, vous le comprendrez, madame Assassi, pour que je puisse vous préciser le montant que l'État leur affectera. Toutefois, afin de ne pas différer un projet prioritaire et qui a déjà pris suffisamment de retard, Dominique Perben a demandé à ses services de consacrer, en 2006, 5 millions d'euros à la poursuite des études. C'est la détermination du Gouvernement qui s'exprime par cette dotation importante.
Par ces engagements, j'espère vous avoir convaincue, madame, de la volonté de l'État d'accompagner la réalisation de ce projet de transport collectif au bénéfice de toute la population de l'Île-de-France.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, vous avez bien saisi le sens de mon interpellation et je vous en remercie. Il est vrai que la tangentielle est attendue par les trois départements que j'ai cités tout à l'heure, et plus particulièrement par leurs populations et leurs salariés.
Nous avons été échaudés par les déprogrammations successives, alors qu'il s'agit d'un projet de qualité qui répond à des besoins. C'est la modification des contrats de plan en contrats de projets qui m'a donné l'occasion de déposer cette question.
Un certain nombre d'usagers, de professionnels - des cheminots particulièrement -, d'associations et de formations politiques sont mobilisés autour de ce projet ; ils tiendront une conférence de presse le jeudi 8 juin pour rappeler l'urgence de la réalisation de cette infrastructure ferrée.
J'ai entendu vos arguments et vos propositions que je me permettrai, bien évidemment, de transmettre à celles et ceux qui attendent cette voie ferrée. Vous m'avez confirmé le caractère prioritaire de ce dossier : croyez bien que j'ai retenu cet élément important.
difficultés économiques des esat
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 1034, adressée à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.
M. Georges Mouly. « Le dispositif législatif et réglementaire sur l'emploi en milieu ordinaire issu de la loi du 11 février 2005 valorise le recours des entreprises ordinaires à la sous-traitance au profit des centres d'aide par le travail et des entreprises adaptées.
« Ces structures trouveront également auprès des différentes administrations de nouveaux débouchés, les fonctions publiques étant désormais incitées financièrement à remplir leur obligation d'emploi, que ce soit par le recrutement direct de travailleurs handicapés ou, indirectement, par l'achat de prestations auprès de ces structures. »
C'est en ces termes, monsieur le ministre, que votre collègue M. Philippe Bas concluait un courrier en date du 20 avril dernier relatif à la situation des entreprises adaptées, assurant du soutien apporté par le Gouvernement au secteur adapté ou protégé, parallèlement à son action en faveur du développement du travail en milieu ordinaire.
Ce soutien est effectif, concret, fort : c'est le constat que, avec d'autres, je fais sur le terrain.
Mais, aujourd'hui, les établissements et services d'aide par le travail, les ESAT, ex-CAT, et les entreprises adaptées subissent de plein fouet les aléas de la croissance ainsi que la concurrence des pays émergents. Chacun le sait, nombreuses sont les entreprises adaptées qui rencontrent des difficultés pour trouver des débouchés ou mettre à disposition leurs travailleurs.
Les efforts consentis par le Gouvernement, attentif aux situations particulièrement délicates, sont bien réels, je l'ai dit. Cependant, tous ces établissements ont besoin en urgence d'une bouffée d'oxygène ; tel est l'écho du terrain que je souhaite transmettre.
Un recours massif du secteur ordinaire, privé et public, à la sous-traitance au bénéfice du secteur protégé ou adapté pourrait constituer une solution. Il rapprocherait ainsi deux types de préoccupations : celles du secteur du handicap, qui connaît des soucis budgétaires, et celle des chefs d'entreprise ou des administrations publiques, qui doivent, pour les uns, faire face à des difficultés économiques pas toujours compatibles avec l'obligation d'emploi de 6 % de travailleurs handicapés et, pour les autres, prendre en compte une culture nouvelle dont les conséquences ne seront effectives que dans quelques années, en raison de la progressivité sur cinq ans de la cotisation due en cas de non-respect de l'obligation d'emploi.
La loi de 2005 a bien introduit une valorisation de la sous-traitance avec un coefficient de 2 000 pour les contrats de sous-traitance ou de 1 600 pour les contrats de mise à disposition. Une minoration de ces coefficients, en allégeant la contribution due en cas de non-respect de l'obligation d'emploi, aurait très vraisemblablement un effet positif sur les carnets de commandes des structures adaptées et les relations entre le secteur du handicap et le milieu ordinaire.
En dehors des contraintes purement économiques, le recours à la sous-traitance et la mise à disposition sont sécurisants pour le chef d'entreprise ou l'administration, qui peuvent compter sur l'encadrement de la structure et se familiariser progressivement avec la problématique du handicap.
Au total, offrir un emploi aux personnes handicapées dont le projet personnel intègre la dimension professionnelle, directement, en milieu ordinaire, ou indirectement, dans les ESAT ou les entreprises adaptées, est bien un objectif essentiel. Les pouvoirs publics se doivent de sauvegarder l'existence des structures et entreprises adaptées, sans lesquelles les possibilités d'emploi pour nombre de personnes handicapées disparaîtraient.
Ne pourrait-on envisager une minoration des coefficients, qui représenterait une sorte de bonus aux entreprises et administrations, ou, comme le proposent certains établissements, une majoration du coût des prestations de travaux ou de fournitures qui serait déductible de la contribution versée au fonds collecteur par l'entreprise ou l'administration ? À défaut, et pour ne viser que la sous-traitance, l'alignement du coefficient qui lui est attribué sur celui de la mise à disposition ne serait-il pas souhaitable ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le sénateur, la loi du 11 février 2005 répond à une demande légitime de participation des personnes handicapées à la vie sociale.
En garantissant des droits nouveaux, elle donne corps au principe de non-discrimination mais aussi à celui de libre choix. Elle favorise l'insertion professionnelle, élément d'épanouissement personnel mais aussi d'autonomie pour chacun. Elle a ainsi renforcé les incitations au recrutement de travailleurs handicapés en milieu ordinaire.
Elle a aussi conforté les structures de travail protégé que sont les CAT et les ateliers protégés, devenus entreprises adaptées. Ces structures offrent en effet une voie originale d'accès à l'emploi, voie que je qualifierai aussi de précieuse, pour nombre de nos concitoyens fragilisés par le handicap. Le statut de leurs employés a été amélioré : accès à de nouveaux droits sociaux pour les travailleurs de CAT, rémunération ne pouvant être inférieure au SMIC pour les salariés de ces entreprises adaptées.
Comme vous le signalez, ces structures, qui sont des entreprises de main-d'oeuvre, affrontent souvent une concurrence renforcée qui exige d'elles non seulement la conquête de nouveaux marchés pérennes, mais aussi des efforts de productivité.
Loin de rendre plus difficile la réalisation des défis que je viens d'évoquer, la loi de 2005 devrait au contraire aider les entreprises adaptées à les relever. Si le renforcement de l'obligation d'emploi pour les entreprises ordinaires et les employeurs publics a pour objet d'améliorer le recrutement direct des travailleurs handicapés en entreprise ordinaire, la loi a également pris en compte la nécessité de favoriser l'insertion professionnelle de façon adaptée pour ces travailleurs handicapés.
Le dispositif législatif et réglementaire relatif à l'emploi en milieu ordinaire valorise, comme vous le demandez monsieur le sénateur, le recours des entreprises ordinaires à la sous-traitance au profit des CAT et des entreprises adaptées, que ce soit par l'achat de prestations ou la mise à disposition de travailleurs handicapés.
CAT et entreprises adaptées trouveront également auprès des différentes administrations de nouveaux débouchés, celles-ci étant désormais incitées financièrement à remplir leur obligation d'emploi, que ce soit par recrutement direct de travailleurs handicapés ou, indirectement, grâce à l'achat de prestations auprès de ces structures. Une circulaire d'accompagnement de la mise en place du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique a d'ores et déjà insisté sur la possibilité pour les administrations de s'exonérer en partie de leur obligation d'emploi grâce au recours à la sous-traitance.
Je veux enfin vous redire que le Gouvernement agit pour répondre aux difficultés rencontrées par certaines de ces structures, que vous évoquiez à l'instant.
En ce qui concerne les entreprises adaptées, Philippe Bas a présenté le 9 février dernier un plan de soutien à la modernisation et au développement des entreprises adaptées pour faire face aux situations d'urgence : 10 millions d'euros de crédits supplémentaires ont ainsi été mobilisés par rapport à 2005.
La signature d'une convention pour 2006-2008 entre l'État et l'Union nationale des entreprises adaptées traduira concrètement le soutien apporté à ce secteur. L'objectif est de rechercher de nouveaux secteurs d'activité, d'informer ces entreprises des soutiens qu'elles peuvent obtenir et de développer la formation de leurs dirigeants et la qualification de leurs salariés, afin d'assurer la reconnaissance de leurs acquis.
En ce qui concerne les CAT, le Gouvernement a prolongé la concertation préalable à la rédaction du décret sur la réforme de l'aide au poste, à la demande des associations du secteur. Toutes les garanties sont donc données aux associations pour que l'équilibre financier de ces structures ne soit pas menacé par cette réforme, bien au contraire.
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly. Je remercie M. le ministre des précisions données qui, pour l'essentiel, rappellent la loi que nous avons votée et les améliorations qu'elle contient. Tout cela est bien connu.
S'agissant de la politique en faveur des handicapés, nous devons nous faire l'écho de ce que nous entendons sur le terrain et de ce que nous constatons. D'où l'exigence apparente de nos questions.
Le Gouvernement a pris les mesures que vous avez mentionnées et reste à l'écoute des parties concernées. Je ne doute pas que, si d'autres problèmes se présentent, il fera le nécessaire pour apporter les solutions comme il a su le faire jusqu'à ce jour.
financement des établissements d'accueil des personnes âgées dépendantes
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, auteur de la question n° 1047, adressée à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je veux attirer votre attention sur les lourdes conséquences sanitaires et sociales du désengagement financier de l'État dans le financement des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.
S'agissant plus particulièrement de l'Hérault, la situation devient alarmante. En effet, le schéma gérontologique adopté par le conseil général et approuvé par le ministère prévoyait la création de 1 870 places dans les maisons de retraite pour la période 2003-2007. Ce chiffre important résulte du retard pris par notre département, qui connaît un taux d'équipement inférieur à la moyenne nationale, alors que la progression démographique est toujours aussi forte. Ainsi 80 000 Héraultais, soit 8 % de la population, ont plus de soixante-quinze ans.
Or, sur les vingt-cinq établissements programmés, seuls trois recevront le financement de l'État en 2006. Il s'agit de ceux de Puisserguier, Creissan et Montady.
Cela signifie que, pour 2007, les projets approuvés par l'instance de décision, et souvent déjà en chantier, ne sont plus assurés de recevoir le financement de l'État que nécessite leur ouverture. J'en rappelle la liste, qui est longue : Maraussan, Marsillargues, Murviel-lès-Montpellier, Pérols, Abeilhan, Aspiran, Jacou, La Grande-Motte, Boisseron. Ce sont ainsi neuf communes qui sont concernées.
S'agissant des dossiers prévus pour 2008, dont la liste est encore plus longue - ils sont au nombre de quinze : Nissan-lez-Enserune, Thézan-lès-Béziers, Le Crès, Aniane, Cazouls-lès-Béziers, Mèze, Grabels, Castelnau-le-Lez, Vendargues, Lunel-Viel, Cournonsec, Sérignan, Villeveyrac, Montpellier -, on n'a aujourd'hui aucune assurance de voir l'État s'engager pour la partie qui le concerne, celle des soins.
Beaucoup de ces projets, dans les circonstances actuelles, risquent de ne pas voir le jour ou, en tout cas, de ne pas être menés à bien comme il avait été prévu initialement en fonction des nécessités dûment constatées. Si rien n'est fait, certains de ces projets perdront le bénéfice de leur autorisation et une procédure nouvelle devra être réengagée. C'est inacceptable dans la mesure où le Premier ministre a de nouveau annoncé un renforcement des mesures financières en faveur des personnes âgées.
Une fois encore, l'Hérault est victime d'une démographie galopante, mais la solidarité nationale n'est pas au rendez-vous.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, quel plan de rattrapage compte mettre en oeuvre le Gouvernement pour permettre au conseil général de faire face à cette mission et pour rassurer les municipalités qui se sont engagées en faveur de ces opérations d'intérêt général, assez souvent en mettant à disposition le foncier et presque toujours en participant aux garanties d'emprunt.
Je ne doute pas qu'au lendemain de ce lundi de Pentecôte, dit « journée de solidarité », vous serez à même de me donner quelques informations positives qui amélioreront la situation que je viens de décrire.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le sénateur, la situation du département de l'Hérault, dans lequel Philippe Bas s'est rendu le 23 janvier dernier, a été prise en compte dans le cadre de la finalisation du programme d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie. Ce document, qui a fait l'objet d'une validation régionale le 23 mai dernier, a été transmis à la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.
Ce programme fait ressortir deux éléments majeurs concernant le département de l'Hérault : d'une part, le financement exceptionnel, dès 2005, de 239 places de services de soins infirmiers à domicile, financement qui a reçu une extension sur la totalité de l'année en 2006 ; d'autre part, le financement de 118 places en 2006.
Ce plan de rattrapage est en cours d'exécution. Il s'agit là d'une première étape, nous en avons bien conscience. La portée de ce plan sera d'ailleurs amplifiée par le plan « Solidarité grand âge », annoncé par le Premier ministre le 26 mai dernier et qui sera détaillé dans les semaines à venir par Philippe Bas.
À cet instant, je crois important de rappeler que consentir de tels efforts est rendu possible par l'instauration de la journée de solidarité. Ainsi, je me suis rendu hier dans plusieurs établissements accueillant des personnes âgées afin de mettre en exergue les effets concrets de la mise en oeuvre de ce dispositif. On peut certes débattre de ses modalités - la souplesse qui avait été demandée l'an dernier a été accordée par le biais de nouvelles mesures -, mais il faut souligner que les 2 milliards d'euros collectés nous permettent non seulement de rattraper notre retard, mais aussi, tout simplement, d'être à la hauteur des exigences posées en termes de prise en charge du handicap ainsi que de la dépendance.
Cela étant, les quelques centaines de places dans les services de soins infirmiers à domicile que je viens d'évoquer étaient bien sûr attendues. Bien évidemment, les besoins sont aujourd'hui très importants dans un département comme l'Hérault, dont la démographie est très dynamique, voire « galopante », pour reprendre le terme que vous avez employé, monsieur le sénateur, mais le rôle de la CNSA est de rééquilibrer l'offre sur l'ensemble du territoire national. J'ai la conviction que la caisse a commencé ce travail cette année et que, à cet égard, le département de l'Hérault n'a pas été oublié.
En tout état de cause, je puis vous assurer que, au-delà de ces premières étapes, nous continuerons dans les années à venir dans la même direction, mais avec des moyens renforcés grâce à la journée de solidarité.
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, l'occasion ne se prête pas à un débat sur les modalités et le bien-fondé du dispositif de la journée de solidarité.
Quoi qu'il en soit, s'agissant du sujet qui nous occupe ce matin, je vous dirai d'emblée que vous ne m'avez en rien rassuré.
Les moyens, d'ailleurs très insuffisants, qui ont été accordés en 2005 relèvent du passé. Pour cette année, il est question, dites-vous, de financer 118 places de services de soins infirmiers à domicile ; pour ma part, j'en dénombrais 108, mais la prise en compte de l'accueil temporaire et de l'accueil de jour doit permettre d'expliquer un tel écart.
Cependant, ce qui me préoccupe, monsieur le ministre, ce sont les 530 ou 540 places programmées initialement pour 2007 et les 780 places prévues pour 2008, au sujet desquelles vous ne m'avez rien dit. Ces chiffres n'ont pas la même ampleur que ceux que vous avez cités, et l'effort qu'il faudra accomplir dans les deux années qui viennent est sans commune mesure avec celui que vous avez évoqué.
Cela étant, vous avez indiqué que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie doit se saisir du dossier et consentira un effort. Nous attendons avec beaucoup d'impatience le résultat de cette réflexion.
En outre, vous avez affirmé que le plan « Solidarité grand âge » annoncé par le Premier ministre et auquel j'ai fait allusion permettra d'amplifier, selon vos propres termes, l'effort de la CNSA. Soit, monsieur le ministre, mais quand, et à quelle hauteur ? Voilà très exactement les questions que se posent le conseil général de mon département, les acteurs du secteur sanitaire et social ainsi que les municipalités, qui, je le répète, se sont très souvent engagées et se trouveront dans une situation difficile vis-à-vis de la population si les projets qu'elles ont lancés ne voient pas le jour dans les délais qui avaient été annoncés initialement.
fermeture de la chasse aux turdidés
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, en remplacement de M. François Vendasi, auteur de la question n° 1051, adressée à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
M. Nicolas Alfonsi, en remplacement de M. François Vendasi, auteur de la question. Cette question a pour objet la date de fermeture de la chasse aux turdidés, qui concerne les dix-sept départements de l'arc méditerranéen, et plus particulièrement les deux départements de la Corse, où la pratique de la chasse est trois fois supérieure à la moyenne nationale.
C'est ainsi que, dans notre région, plus de mille permis de chasse ne sont pas renouvelés, en moyenne annuelle, compte tenu du fait que la chasse aux turdidés s'arrête le 10 février, alors que les études scientifiques réalisées prouvent qu'elle pourrait être prolongée de dix jours.
Le prédécesseur de Mme le ministre de l'écologie et du développement durable avait pris des engagements de publication d'un arrêté ministériel prenant en compte les travaux scientifiques que je viens d'évoquer. Respectueuse de ces engagements, Mme le ministre a, par arrêté du 31 janvier 2006, reporté du 10 au 20 février la date de fermeture de la chasse aux turdidés dans les dix-sept départements du sud-est de la France.
Or, saisi par des associations de protection de la nature, le juge des référés du Conseil d'État a suspendu cet arrêté par une ordonnance qui a reconnu que la condition tenant à l'urgence de la suspension était remplie.
Le Conseil d'État a jugé en effet que le respect de la directive du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages impliquait, en principe, une clôture de la chasse aux turdidés au 31 janvier, sans pour autant exclure un recoupement jusqu'au 10 février au plus tard.
Il a, par ailleurs, rappelé que l'étude dont se prévalait l'administration pour justifier la prolongation de la chasse jusqu'au 20 février ne suffisait pas à remettre en cause cet état de la jurisprudence, rendue au vu d'un ensemble d'études scientifiques portant sur les mouvements migratoires des oiseaux.
Le 20 mars dernier, le ministère de l'écologie et du développement durable a proposé au Conseil national de la chasse et de la faune sauvage un projet de fermeture, y compris pour les turdidés, au 20 février pour les dix-sept départements en cause. Or l'arrêté du 24 mars dernier revêt un caractère partiel, dans la mesure où il n'évoque pas la date de fermeture.
Dans ces conditions, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous m'indiquiez quelles mesures le Gouvernement entend proposer pour que les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux turdidés soient dorénavant prises en adéquation avec les recherches scientifiques que j'ai évoquées.
Par ailleurs, compte-t-il confirmer la date du 20 février pour la fermeture de la chasse aux turdidés par la prise d'un arrêté qui devrait permettre de clarifier la situation sur le plan juridique et de mettre un terme à la confusion actuelle, même si le Conseil d'État est appelé à statuer sur le fond ?
Je vous remercie par avance, monsieur le ministre, des précisions que vous pourrez nous apporter.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le sénateur, .la question que vous avez soulevée passionne les chasseurs du sud-est de la France, et personne ne méconnaît les efforts qu'ils déploient pour améliorer les milieux naturels que fréquentent les oiseaux migrateurs. Mme Nelly Olin m'a chargé de vous faire part de la réponse suivante.
Comme vous le savez, l'arrêté du 31 janvier 2006 fixant au 20 février la date de fermeture de la chasse des quatre grives et du merle noir dans dix-sept départements du Sud-Est a été suspendu par le juge des référés du Conseil d'État le 8 février dernier.
Cette suspension a pour effet de maintenir en vigueur l'arrêté du 17 janvier 2005 fixant au 10 février la date de fermeture de la chasse sur l'ensemble du territoire national.
L'arrêté du 31 janvier 2006 qu'a pris la ministre de l'écologie et du développement durable s'appuie sur des études réalisées au long de plusieurs années par l'Institut méditerranéen du patrimoine cynégétique et faunistique et validées par l'Observatoire national de la faune sauvage et de ses habitats, et sur celles qui ont été conduites par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage.
Le juge des référés a cependant considéré que les informations nouvelles dont se prévaut l'administration n'étaient pas suffisamment probantes pour, dans le cadre d'une procédure d'urgence, infléchir une jurisprudence du Conseil d'État.
Il a ainsi considéré que seul un examen au fond par la section du contentieux permettrait d'apprécier pleinement la validité des nouveaux éléments fournis.
Le jugement sur le fond est attendu pour les mois à venir. Rien, s'agissant de la chasse aux turdidés, ne rendait donc nécessaire la signature d'un nouvel arrêté de fermeture, la procédure contentieuse n'étant pas close.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Nous attendons l'arrêt du Conseil d'État.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
4
CANDIDATURE À UNE COMMISSION
M. le président. J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires culturelles, à la place laissée vacante par M. André Labarrère, décédé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
5
Immigration et intégration
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration (nos 362, 371).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF. - M. Adrien Giraud applaudit également.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'évoquerai d'abord en quelques mots la mémoire d'un parlementaire qui faisait honneur à la République : Gérard Léonard, décédé à l'âge de 60 ans.
C'est, pour nous qui étions ses amis, pour sa famille politique et, au-delà, pour tous ceux qui l'ont connu, un bouleversement. Connu pour son sérieux, son assiduité, son extrême rigueur et sa très grande honnêteté, il a fait preuve d'un grand courage. Cet homme, d'origine modeste, qui aimait tant être parlementaire, a fait honneur à sa famille politique, au Parlement et, d'une certaine façon, à la République.
Il ne m'appartient pas, monsieur le président, de faire l'hommage d'un député devant la Haute Assemblée, mais chacun comprend qu'il est des moments dans la vie politique où on peut être autorisé à parler avec le coeur, je le fais en cet instant. J'ai souhaité faire ce geste pour sa mémoire et pour sa famille.
Cela n'a que peu de rapport avec le discours que je vais maintenant prononcer, mais cela en a un avec la vie, et c'est peut-être ce qui compte le plus.
M. le président. Le Sénat tout entier vous remercie, monsieur le ministre d'État, de l'hommage que vous venez de rendre à notre collègue décédé.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le projet de loi qui a été voté le 17 mai par l'Assemblée nationale est désormais entre vos mains.
Le 9 juin 2005, lors de la convention sur l'immigration d'une grande formation politique, en l'occurrence l'UMP, j'avais annoncé une nouvelle politique d'immigration pour la France, avec comme objectif de rompre avec des décennies de faux-semblants.
Un an plus tard, presque jour pour jour, le texte que je vous présente consacre cette nouvelle politique, autour d'une idée fondamentale : l'immigration choisie.
À ceux, nombreux, qui me déconseillaient de déposer un projet de loi sur l'immigration en raison de la proximité des élections, je veux répondre que, bien au contraire, dans une démocratie, la responsabilité d'un gouvernement est de traiter les questions fondamentales qui préoccupent nos compatriotes ! Nul ne peut douter que l'immigration est l'une de ces questions.
À ceux, toujours nombreux, qui me disaient de ne surtout pas parler d'immigration, je veux répondre que, dans notre République, il est impératif de débattre afin de ne pas faire le jeu des extrêmes et pour agir. Précisément, sans doute l'avez-vous observé, a lieu dans notre pays, depuis plusieurs semaines, un débat apaisé sur l'immigration.
Pour une fois, la discussion tourne non pas autour du concept, utilisé par les extrêmes, de l'immigration zéro, mais autour de la notion d'immigration choisie. De ce débat de société, ouvert et pragmatique, le Gouvernement veut retenir trois leçons.
Tout d'abord, le projet de loi répond à une attente certaine des Français. Je pense que la réforme est comprise et acceptée par une grande majorité d'entre eux.
Les sondages valent ce qu'ils valent. Quand ils sont mauvais, ils nous sont adressés sans hésitation. Alors, quand ils sont intéressants, peut-être pouvons-nous les évoquer. Un sondage paru dans Le Figaro du 10 mai dernier montre que, selon 60 % des Français, les règles fixées pour encadrer l'immigration ne sont pas satisfaisantes. Il est intéressant de noter que 56 % des Français de sensibilité de gauche partagent ce point de vue.
Peut-être pourrait-il être un point de consensus : le statu quo nous est interdit.
Qui pourrait dire, aujourd'hui, que la situation de la France est satisfaisante en matière d'immigration ? Personne ne peut soutenir cette idée de bonne foi.
Aurais-je dû me contenter du statu quo qui prévalait depuis 2002 ? C'était la politique de l'autruche ! La voie du changement profond était indispensable. Au regard de l'intérêt national, il n'y avait pas d'autre voie possible. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
À partir du moment où tout le monde est d'accord pour refuser le statu quo, je suis bien obligé de regarder les suggestions des opposants au texte du Gouvernement. Que proposent-ils ? Rien ! Un vide sidéral !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le projet du parti socialiste se contente, en l'état actuel des choses, avant, il est vrai, les débats devant la Haute Assemblée, de vouloir abroger la réforme. D'ailleurs, à l'Assemblée nationale, les seules propositions du parti socialiste ont été - c'est son droit - des amendements de suppression. Il n'a présenté aucun amendement de modification.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le texte est tellement mauvais !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'était un retour au statu quo, comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le seul sujet de débat sur l'immigration au parti socialiste concerne la question des régularisations. Entre M. Fabius qui veut la régularisation générale et M. Strauss-Kahn qui ne veut pas en entendre parler,...
M. Jacques Mahéas. M. Sarkozy a sa carte du parti socialiste ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...entre Mme Royal qui ferait un candidat de droite somme toute acceptable (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP. - protestations sur les travées du groupe socialiste), puisqu'elle veut supprimer les 35 heures et qu'elle considère que je ne suis pas assez ferme, en tout cas acceptable s'agissant des prémisses... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Après tout, j'ai toujours pensé qu'il fallait que la droite républicaine sache s'élargir. Mme Royal veut nous rejoindre,...
Mme Raymonde Le Texier. Qu'est-ce qu'il en sait ?
M. Pierre-Yves Collombat. Les RG l'ont informé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...bienvenue au club ! Nous ne la refusons pas, d'autant qu'elle vient sur nos idées. Pour notre part, en effet, il n'est pas question d'aller sur les siennes.
Du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale et qui se poursuit au Sénat, je veux tirer une deuxième grande leçon, qui tient à la méthode de la réforme.
J'ai souhaité, en amont du projet de loi, dialoguer avec des personnalités d'horizons différents.
M. Jacques Mahéas. S'il n'a rien à dire, qu'il le dise !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. J'ai entendu les propositions qui se sont exprimées, qu'elles viennent des représentants du monde universitaire, syndical, associatif, économique, ou religieux. En effet, je ne suis pas de ceux qui pensent que les religions n'ont pas le droit de donner une opinion...
M. Jean-Louis Carrère. Quelle conception de la laïcité !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...y compris si cette opinion n'est pas identique à la mienne. Après tout, dans le débat français, ceux qui prennent la parole alors qu'ils n'ont rien à dire sont si nombreux...
M. Jacques Mahéas et Mme Raymonde Le Texier. N'est-ce pas ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...qu'il n'est pas choquant que ceux qui sont porteurs d'un message puissent le délivrer. À cet égard, je veux le rappeler, la laïcité est non pas la négation des religions mais le droit pour chacun de croire, d'espérer et de transmettre sa foi.
M. Gérard Delfau. Ou de ne pas croire !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. À l'Assemblée nationale, nous avons consacré quatorze séances et cinquante-quatre heures de débat à la discussion de ce texte ; six cent dix amendements ont été déposés, cent quatre-vingt-neuf ont été votés, dont un certain nombre émanaient de la gauche non socialiste.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Trois ou quatre ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Quinze ! On verra si la gauche sénatoriale veut faire mieux.
En France, aucun sujet n'est plus complexe ni plus sensible que l'immigration. Cela prouve que, dans notre pays, on doit pouvoir débattre de sujets complexes et difficiles...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas sans arrêt ! Pas tous les ans !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...sans brader, le moins du monde, les principes et les valeurs de notre République.
Pendant des années, le thème de l'immigration a été laissé à l'extrême gauche et à l'extrême droite. Au final, nous avons l'extrême droite la plus forte et l'extrême gauche la plus puissante d'Europe. (M. Christian Demuynck opine.) Pourquoi ? Parce que lorsque les partis républicains, de gauche comme de droite, désertent le terrain des idées et refusent, par une forme de lâcheté, de complaisance, d'immobilisme, de classicisme, de conservatisme, d'évoquer des sujets qui préoccupent les Français, ces derniers, désespérés, se tournent vers les extrêmes. Non pas que les extrêmes suscitent l'espoir, mais parce que les partis républicains suscitent le désespoir en refusant obstinément de parler de sujets qui concernent la vie quotidienne des Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Mahéas. C'est la deuxième loi en la matière au cours de la même législature !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. La réforme est donc indispensable dans une démocratie vivante. Que l'on en appelle à la « rupture », comme moi, ou au changement, comme d'autres, peu importe : il ne peut y avoir de statu quo.
Par ailleurs, la France ne peut continuer à être le seul pays à qui l'on dénierait le droit de choisir qui peut venir sur le territoire de la République et qui n'y est pas souhaité.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Déterminer et choisir sa politique d'immigration, c'est choisir le visage de la France à l'horizon des trente années qui viennent.
M. Yannick Bodin. Tu parles !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Troisième idée, la réforme de l'immigration passe par le renouveau de nos liens avec l'Afrique.
La moitié des 900 millions d'Africains a moins de dix-sept ans. Le destin de l'Afrique et celui de l'Europe sont liés. L'échec de l'Afrique aujourd'hui sera le désastre de l'Europe demain.
Un sénateur de l'UMP. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pour cela, nous devons avoir le courage de porter un autre message à l'endroit de nos amis Africains. Il ne suffit pas d'être bouleversé comme nous l'avons tous été par l'image de milliers de migrants africains qui tentent de gagner les îles Canaries dans des conditions effroyables, bien souvent au prix de leur vie.
Plusieurs décennies après la décolonisation, nous devons d'abord dire à l'Afrique qu'elle ne peut pas être exonérée de sa propre responsabilité dans une forme d'échec économique. L'échec ne vient pas uniquement des autres et, tant que l'on n'aura pas le courage de tenir ce discours de la responsabilité et du respect, il n'y aura aucune chance que l'Afrique s'en sorte durablement.
Ensuite, la jeunesse du monde est d'abord africaine. Avec 450 millions de jeunes de moins de dix-sept ans, il faut avoir le courage de dire que l'Afrique a besoin de ses élites et que l'Europe ne peut pas recevoir toute la jeunesse africaine. C'est une évidence, et il s'agit non pas d'égoïsme, mais de bon sens, de lucidité et du sens de la responsabilité. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
Mme Hélène Luc. L'Afrique a besoin de garder ses cadres !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Naturellement, l'Europe doit être ouverte et la France doit continuer à accueillir, ne serait-ce que pour la francophonie, des Africains. Mais le fait de laisser penser que l'on peut recevoir tout le monde, dans n'importe quelles conditions, alors que nous n'avons pas d'emploi et pas de logement pour tout le monde, c'est un comportement irresponsable qui nous prépare des lendemains extrêmement douloureux ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
J'ajoute que nombre de leaders africains, notamment le président Wade, sont très réservés sur les conséquences d'une politique d'émigration sans contrôle, car ils ont parfaitement compris qu'ils avaient besoin de leurs élites pour développer leur pays.
Mme Raymonde Le Texier. Eh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Dès lors, la réforme que je vous propose répond à une impérieuse nécessité.
L'augmentation des flux migratoires est le reflet d'un monde en pleine transformation. Le nombre de migrants dans le monde est passé de 75 millions en 1965 à 175 millions aujourd'hui, et l'Europe est devenue la première terre d'accueil des flux Sud-Nord.
L'immigration s'impose comme un enjeu fondamental dans toutes les grandes démocraties européennes et, comme par hasard, tous nos partenaires de l'Union ont fait le choix de la réforme profonde.
Peut-être le groupe socialiste sera-t-il intéressé de savoir que le gouvernement socialiste de Tony Blair a réformé à quatre reprises, au cours des dix dernières années, la législation britannique sur l'asile et sur l'immigration. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Bizet. Eh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. L'Espagne a changé trois fois ses lois sur l'immigration depuis 2000,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour régulariser !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...avec un gouvernement de droite ou avec le gouvernement socialiste de M. Zapatero, dont le ministre de l'intérieur me disait la semaine dernière qu'ils allaient doubler le nombre de reconduites à la frontière en demandant à la France si elle était d'accord pour organiser des voyages aériens groupés de retour. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Hélène Luc. Ils vont régulariser !
M. Jacques Mahéas. Demi-vérités !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ce que les socialistes espagnols ont compris, peut-être les socialistes français pourraient-ils en prendre conscience ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je me réfère également à la réforme profonde du système allemand d'immigration, entrée en vigueur le 1er janvier 2005 et conçue par le socialiste M. Schröder.
M. Jean-Louis Carrère. C'est une obsession !
M. Jean-Pierre Sueur. Adhérez au parti socialiste !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. La question de la réforme de la politique d'immigration n'est donc ni de droite ni de gauche, elle se pose à toutes les démocraties européennes, car le statu quo, en France comme ailleurs, ne peut pas durer.
Nos compatriotes savent que l'immigration est une chance, pour des raisons à la fois économiques et démographiques. Je ne suis nullement gêné de l'affirmer ! L'histoire de la France, c'est l'histoire d'un pays qui s'est ouvert, qui a accepté la diversité et qui, sans doute mieux que d'autres, a su la gérer. Les sociétés meurent de la consanguinité et du repliement, pas de l'ouverture, du mélange et de la diversité.
Attention, nos difficultés proviennent non pas de l'immigration en soi, mais de son absence de maîtrise depuis trente ans !
M. Jean-Louis Carrère. Attention à l'UMP !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Il faut maintenant dire la vérité : nous n'avons pas connu de politique de l'immigration depuis trente ans.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et Pasqua, tout de même !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Les lois Pasqua étaient inutiles !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pour ceux qui connaissent la République et son organisation, Charles Pasqua n'était pas en charge de l'immigration...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Et en 1993 ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...pour la simple raison qu'il n'y a jamais eu, depuis la Libération, un ministre en charge de la totalité du dossier de l'immigration. C'est justement l'un des grands problèmes de l'organisation administrative et politique française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre-Yves Collombat. Le Premier ministre s'appelait Jean-Pierre Raffarin !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Depuis trente ans, la France laisse entrer chaque année sur son territoire, à l'aveuglette, des centaines de milliers de personnes, sans se préoccuper de leur devenir.
Mme Raymonde Le Texier. Qui était le ministre de l'intérieur ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le drame de l'immigration en France, c'est que beaucoup de nouveaux arrivants se trouvent sans logement, sans emploi. Il manque à notre pays des emplois et des logements...
Mme Raymonde Le Texier. Ah, vous avez remarqué !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...et le taux de chômage des personnes originaires de certains pays peut atteindre 30 %, voire 40 % !
Les conséquences de cet état de fait peuvent conduire à de véritables tragédies. Aucun de nous ne peut se satisfaire de ce qui s'est passé à Paris, capitale de la France,...
M. Jean-Louis Carrère. Socialiste ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...les 25 et 29 août 2005. Je n'ai pas envie de plaisanter sur cette tragédie, qui a entraîné la mort de vingt-quatre personnes originaires d'Afrique ! Je suis arrivé sur les lieux en compagnie du maire de Paris et je me souviens de douze jeunes enfants qui avaient été asphyxiés et qui semblaient dormir, sur douze civières. Eh bien, ces enfants vivaient dans des squats, dans des taudis insalubres, sans perspective, sans emploi et sans logement !
M. Jacques Mahéas. Il faut construire des logements sociaux à Neuilly-sur-Seine !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Qui oserait dire que la France est généreuse lorsqu'elle laisse entrer des gens qui n'ont d'autre espoir que de vivre misérablement, dans des taudis, au risque, pour certains, d'y mourir brûlés ? Si c'est votre conception de la générosité, ce n'est pas la nôtre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
M. Jacques Mahéas. À part des ambassadeurs, il n'y a personne à Neuilly-sur-Seine !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Et que dire des indulgences coupables qui ont trop longtemps conduit à tolérer les pratiques les plus contraires à nos valeurs ?
Que dire d'un pays qui compte quelque 20 000 familles polygames, ce qui représente environ 120 000 personnes ? J'emploie à dessein le mot « polygamie », même s'il gêne dans le débat public, parce que c'est une réalité inacceptable sur le territoire de la République française ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est interdit par la loi depuis longtemps !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le fait d'avoir été élevé dans des familles polygames, sans structure familiale, a pesé d'un poids extrêmement lourd dans le destin brisé de ces enfants de la République française déracinés et emportés par la spirale de la violence.
Comment des populations qui n'ont ni travail ni logement dignes de ce nom et qui, surtout, ne parlent pas notre langue, peuvent espérer s'intégrer ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne devons pas nous cacher la vérité. La Cour des comptes a parfaitement analysé la gravité de la situation dans son récent rapport sur l'accueil des migrants : « La situation d'une bonne partie des populations issues de l'immigration la plus récente est plus que préoccupante. Outre qu'elle se traduit par des situations souvent indignes, elle est à l'origine directe ou indirecte de tensions sociales ou ethniques graves, lourdes de menaces pour l'avenir. » On ne saurait mieux dire !
Après trente ans d'aveuglement devant l'enjeu crucial de l'immigration, il ne faut pas s'étonner de subir des violences dans nos banlieues, avec des enfants qui sont devenus français par le droit du sol, mais dont l'origine se trouve dans une politique d'immigration non maîtrisée depuis trente ans.
Mme Raymonde Le Texier. Il ne manquait plus que cela !
M. Bernard Frimat. Quel amalgame !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une honte !
Mme Éliane Assassi. Non, ce n'est pas la vérité !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Les vingt-sept nuits d'émeutes que nous avons connues en octobre et en novembre sont directement le produit de la panne de notre système d'intégration, qui est aujourd'hui en faillite.
Mme Raymonde Le Texier. Là, nous sommes d'accord !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. La vérité, c'est que les petits-enfants des immigrés arrivés dans les années soixante sont Français mais qu'ils se sentent souvent moins Français que leurs grands-parents, qui pourtant ne l'étaient pas !
Mme Raymonde Le Texier. C'est exact !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Cette réalité, nous devons la regarder en face et en tirer toutes les conséquences. Face à elle, les Français ne supportent pas les combats idéologiques d'arrière-garde qui n'ont aucun sens au regard de cet enjeu planétaire, universel.
L'immigration zéro est un mythe dangereux.
Mme Raymonde Le Texier. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. La France n'a pas vocation à être repliée sur elle-même, la consanguinité serait synonyme de déclin national. En outre, l'immigration zéro, quand bien même on la voudrait alors qu'elle n'est pas souhaitable, est impossible à mettre en oeuvre.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est donc une impasse et le Gouvernement n'a aucune difficulté à lui tourner résolument le dos.
Mais, pas plus que l'intolérance des partisans de l'immigration zéro, nous ne devons accepter l'extrémisme des partisans de l'immigration sans limite. Je ne crois pas que les hommes soient interchangeables, que les frontières soient illégitimes, et que l'on puisse faire table rase de son passé et de sa culture.
À travers l'immigration choisie, c'est donc une troisième voie que nous préconisons.
Pour la première fois sous la Ve République, un ministre est responsable de l'ensemble des questions de l'immigration. En Europe, quinze ministres sur vingt-cinq sont en charge du dossier de l'immigration. En France, l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin le sait bien, trois ministères étaient chargés de l'immigration : le ministère des affaires étrangères, dont le souci est le rayonnement de la France, le ministère des affaires sociales, dont le souci est la générosité, et le ministère de l'intérieur, dont le souci est l'ordre public.
Je n'ai naturellement pas la prétention de vous présenter un texte parfait, qu'il conviendrait d'adopter en l'état, mais j'ai la conviction de vous présenter un texte équilibré : ferme à l'endroit de ceux qui ne respecteront pas les règles du jeu et juste à l'égard des personnes qui demandent à venir en France en suivant les règles d'admission que nous fixons.
Depuis quatre ans, je m'efforce de redresser la barre d'un navire à la dérive. L'expression est forte, mais je veux que les choses soient claires. En mai 2002, la situation que nous avons trouvée était dramatique - et je pèse mes mots. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. L'héritage, évidemment !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ce n'est pas une question d'héritage, c'est une question de chiffres !
M. Yannick Bodin. Clearstream ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...s'étaient accrus d'un tiers entre 1997 et 2002. Sur la même période, les demandes d'asile avaient quadruplé, c'est-à-dire que, moins il y avait de dictatures dans le monde, plus il y avait de demandes d'asile en France ! La zone d'attente de Roissy débordait de tous côtés et le hangar de Sangatte se présentait, dans toute l'Europe, comme le symbole honteux du chaos migratoire français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l'UC-UDF. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas mieux !
MM. Robert Bret et Guy Fischer. Maintenant, ils sont dans la rue !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Avec Jean-Pierre Raffarin, nous avons fermé Sangatte, et ce ne fut pas simple !
J'ajoute qu'aucun ministre de l'intérieur, entre 1997 et 2002, n'avait jugé utile de se rendre à Sangatte,...
Mme Raymonde Le Texier. Zorro est arrivé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...pas plus que le ministre de la justice. Mme Martine Aubry non plus, pourtant élue à quelques kilomètres « Cachez ce sein que je ne saurais voir », on préfère parler de la misère de loin plutôt que de la regarder en face ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
MM. Dominique Braye et Christian Cambon. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je ne prétends pas que dans le Calaisis la situation est aujourd'hui devenue simple. Cependant, auparavant elle était honteuse !
Mme Hélène Luc. Qu'est-ce que ça a réglé ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je m'étonne d'ailleurs que la totalité des organisations politiques de gauche n'aient pas salué le progrès qu'a constitué la fermeture du hangar,...
M. Paul Raoult. Ce n'est pas un progrès, c'est une régression !
M. René-Pierre Signé. Un leurre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...même si je dois préciser que le maire communiste de Calais a été remarquable de loyauté et d'honnêteté en soutenant mes efforts. Je rends donc hommage à M. Hénin, et à l'habileté du député de la circonscription, M. Jack Lang, qui a tenu à m'accompagner lors de chacun de mes déplacements et à soutenir avec beaucoup de loyauté la politique de fermeture de Sangatte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je veux être honnête : il ne sera pas dit que tous, au parti socialiste, avaient choisi de fermer les yeux !
M. Dominique Braye. Royal-Lang, même combat !
M. Jean-Louis Carrère. On a les champions que l'on mérite !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. En votant la loi du 26 novembre 2003, vous avez donné au Gouvernement de nouveaux outils de lutte contre l'immigration irrégulière.
Je rappellerai seulement que le nombre des reconduites à la frontière exécutées a doublé en trois ans : c'est encore bien insuffisant !
M. Guy Fischer. Ça promet !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. L'objectif fixé pour cette année est de 25 000 reconduites.
Je veux souligner que l'Espagne, qui compte 42 millions d'habitants, a expulsé l'an passé 50 000 personnes. Or, en ayant plus que doublé le nombre des expulsions, la France reconduit 25 000 personnes à la frontière et notre pays compte 62 millions d'habitants !
M. Jean-Louis Carrère. Les Espagnols ont expulsé Aznar !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. De même, la généralisation des visas biométriques va représenter une étape décisive dans la lutte contre l'immigration clandestine pour une raison simple : on entre en France de façon légale et on s'y maintient de façon illégale !
C'est toute la question du visa de tourisme de trois mois. On entre en France avec un visa de tourisme de trois mois, on perd ses papiers et, en même temps, la mémoire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les empreintes ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Faute de mémoire et de papiers, il est difficile raccompagner une personne à une adresse.
L'avantage du visa biométrique est qu'il permettra, grâce à une empreinte digitale, de rendre la mémoire à ceux qui l'ont perdue ! De plus, cela constituera une preuve pour les pays qui refuseraient de récupérer leurs ressortissants.
M. Bernard Frimat. Vous l'avez déjà dit il y a trois ans !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Voilà pourquoi les visas biométriques sont un élément essentiel de la maîtrise de l'immigration clandestine.
Autre résultat encourageant : le flux global de l'immigration régulière est stabilisé, pour la première fois depuis dix ans. Le nombre des premiers titres de séjour délivrés, hors ressortissants communautaires, a même légèrement baissé en 2005, pour atteindre 164 234 titres.
J'ajoute que la réforme du droit d'asile, que vous avez votée, a eu des effets très positifs. Nous continuons à accueillir des réfugiés, mais nous décourageons les personnes qui ne demandent l'asile qu'à des fins dilatoires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous découragez même vos partisans !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ainsi, les délais d'examen des dossiers sont passés de plus de deux ans en 2002 à huit mois aujourd'hui.
M. René-Pierre Signé. Vous découragez les demandeurs !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est un chiffre incontestable ! Une personne qui demandait l'asile en 2002 attendait la réponse deux ans. Aujourd'hui, elle attend huit mois. Certes, cette attente est sans doute encore trop longue, mais elle a diminué de près de 2,5 fois par rapport à votre époque !
M. Jean-Louis Carrère. Si vous continuez, ils auront la réponse avant d'avoir demandé l'asile !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, il est intéressant de connaître les chiffres, car ils montrent aux parlementaires que vous êtes combien les lois qui sont votées servent et produisent des résultats. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le nombre total de demandeurs était de 82 000 en 2002. Il est passé à 65 000 en 2004. Il est en dessous de 60 000 en 2005. Il continue de diminuer fortement en 2006. Cela signifie que les détournements de la procédure d'asile diminuent.
La France veut continuer à être une terre d'accueil pour tous les persécutés du monde, mais elle ne veut pas que l'on détourne une procédure généreuse, au détriment de ceux qui sont menacés et en faveur de ceux qui, ne subissant aucune menace, se tournent vers l'asile politique parce qu'ils se sont vu refuser toutes les autres formes d'immigration !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait, et ça me paraît normal !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Voilà la réalité d'une politique d'immigration républicaine et raisonnable.
M. René-Pierre Signé. Votre vérité !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Malgré les progrès accomplis, la situation est encore loin d'être satisfaisante.
Un sénateur socialiste Oh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. L'immigration « pour motif familial » occupe une place très importante dans les flux migratoires : près de la moitié des cartes de séjour sont délivrées à ce titre, soit 82 000 cartes en 2005. Trop souvent, le motif familial recouvre une régularisation déguisée.
Je ne remets bien sûr pas en cause le droit d'un père à faire venir sa famille en France.
M. Jacques Mahéas. Ah ! Quand même !
Mme Gisèle Printz. C'est bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Cependant, la vie de famille d'un étranger en France ne se conçoit que si certaines conditions de ressources et de logement sont réunies. On ne fait pas venir sa famille en France si l'on n'a pas les moyens de la loger décemment et de la faire vivre de façon correcte : c'est un principe républicain ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l'UC-UDF.) Toute autre politique est déraisonnable !
L'accueil de familles en l'absence de ressources et d'un logement adapté conduit à des situations ingérables de détresse et d'exclusion. Aujourd'hui en France, la réglementation permet de faire venir une famille de sept personnes dans un appartement de moins de soixante et un mètres carrés !
La réforme que je vous propose mettra fin à de telles incongruités, dans l'intérêt de la cohésion sociale et des familles.
En parallèle, l'immigration pour motif de travail reste à un niveau marginal : 11 500 cartes de séjour délivrées à ce titre en 2005.
La situation est invraisemblable : nous accueillons quasiment sans limite des gens pour lesquels nous n'avons ni logement ni travail, et nous ne faisons pas venir en France des gens pour lesquels nous aurions et un logement et du travail !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. N'importe quoi ! Ils sont où les logements et le travail ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est un système perdant-perdant : on ne fait pas venir ceux qui pourraient et qui voudraient travailler, et on fait venir ceux qui n'ont aucune perspective d'intégration ! (Mme Raymonde Le Texier s'exclame.)
Voilà pourquoi nous devons transformer profondément la politique française de l'immigration.
Cette nouvelle politique que le Gouvernement vous propose s'inspire de quelques exemples étrangers.
M. René-Pierre Signé. Pourquoi toujours aller voir ailleurs ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas comparable !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non plus !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...en Allemagne, aux Pays-Bas - grande démocratie (M. Michel Dreyfus-Schmidt opine) -, des idées innovantes ont été expérimentées et mises en oeuvre.
J'ai souhaité en tenir compte, non pour copier tel ou tel système étranger, mais pour retenir les idées qui me semblent pouvoir être adaptées à notre pays.
Pourquoi ce qui aurait réussi chez les autres ne pourrait être évalué chez nous ? Pourquoi faudrait-il qu'en matière d'immigration nous expérimentions exclusivement ce qui ne fonctionne pas ? Pourquoi les réussites extraordinaires des autres pays dans le domaine de l'immigration ne deviendraient-elles pas également celles de la France ?
L'histoire et la géographie ont façonné notre rapport à l'immigration. Nous ne sommes pas un État continent comme le Canada, ni une île comme la Grande-Bretagne. Nous sommes un État méditerranéen, qui a des liens particuliers avec l'Afrique et qui regarde au loin, vers l'outre-mer, cher François Baroin, et vers les terres francophones.
Il s'agit, pour nous, non de transposer en France un exemple étranger, mais de définir, ensemble, un nouveau modèle d'immigration, qui s'enrichirait des expériences des autres.
Je vous propose de définir ce modèle en partant de trois principes fondamentaux : l'immigration choisie,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...l'affirmation d'un lien entre intégration et immigration,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...et le codéveloppement.
Le premier principe, c'est l'immigration choisie.
Je sais que cette expression a suscité quelques polémiques.
J'y répondrai d'abord par une question : la France peut-elle rester longtemps le seul pays au monde qui subit l'immigration et qui ne la revendique pas ? Pourquoi la moitié des prix Nobel américains sont-ils originaires de l'immigration ? Pourquoi la France est-elle passée très largement à côté de l'immigration asiatique, qui a d'ailleurs d'assez remarquables qualités d'intégration ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est ça ! Allez habiter dans le XIIIe arrondissement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pourquoi la France continue-t-elle à accueillir des étudiants dont, pour partie, on ne veut nulle part ailleurs dans le monde et laisse-t-elle partir les meilleurs étudiants au bénéfice des démocraties anglo-saxonnes ? Pourquoi, quand on aime son pays, serait-on condamné parce qu'on veut pour lui le meilleur ? Vouloir le meilleur de l'immigration pour la France, ce n'est pas être contre la France et son histoire, c'est au contraire revendiquer pour la France la réussite des autres ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l'UC-UDF.)
Dans mon esprit, d'ailleurs, l'immigration choisie, c'est une immigration régulée, organisée, assumée, en tenant compte des capacités d'accueil de la France et des intérêts des pays d'origine.
Mme Hélène Luc. Vous avez entendu le président du Mali ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Réfléchir aux capacités d'accueil de la France et aux secteurs d'activité où nous avons des besoins n'est-ce pas cela le devoir des responsables politiques ? Réfléchir aux besoins des pays d'émigration, n'est-ce pas cela la véritable générosité ?
Mon intention est de bâtir une nouvelle politique par laquelle l'arrivée des migrants en France sera voulue, acceptée, préparée par les autorités de l'État, soit parce que le migrant aura fait valoir son droit à venir s'installer en France pour des raisons familiales, soit parce que le Gouvernement aura souhaité la venue d'un étranger - étudiant ou professionnel -en raison de sa compétence, de son talent et de sa motivation.
L'immigration choisie, c'est donc d'abord la possibilité, pour l'État, de se fixer des objectifs quantifiés d'immigration, pour déterminer la composition des flux migratoires, préalable à l'intégration des migrants à la société française.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport que Malek Boutih - homme respectable mais dont je ne partage pas toutes les idées - a rédigé sur l'immigration, pour le parti socialiste. J'en conseille la lecture au groupe socialiste du Sénat.
Mme Raymonde Le Texier. C'est insupportable !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. L'auteur de ce rapport propose l'instauration de quotas. Eh bien, entre les quotas que veut Malek Boutih et les objectifs quantifiés que le Gouvernement vous propose, il n'y a vraiment pas de quoi se livrer une bataille idéologique !
Nous devons, entre gens responsables, définir une politique qui s'appliquera pour les trente, quarante ou cinquante ans à venir ! Voilà le devoir de responsables politiques digne de ce nom !
La différence entre le quota et l'objectif quantifié est que le quota s'applique à l'unité près tandis que l'objectif quantifié est un ordre de grandeur qui apporte la souplesse nécessaire à toute politique d'immigration.
Le deuxième principe, c'est l'affirmation d'un lien étroit entre intégration et immigration.
Depuis des décennies, des experts - ou prétendus tels - nous répètent que les questions d'immigration et d'intégration doivent être dissociées pour ne pas stigmatiser les nouveaux arrivants.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui a dit ça ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Or on en a plus qu'assez d'entendre parler de stigmatisation ! À force de dire qu'il ne faut stigmatiser personne, on stigmatise tout le monde, ce qui donne lieu à un certain nombre de mesures ridicules, telle l'interdiction d'avoir des fichiers par origine et par nationalité. Lorsqu'on n'est pas capable d'établir un diagnostic, on ne peut apporter le bon remède pour faire face aux difficultés d'un pays.
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. En quoi le fait de dire qu'il y a tant d'immigrés originaires d'Europe de l'Est, tant d'immigrés originaires d'Afrique ou tant d'immigrés originaires d'Asie stigmatiserait-il ces populations ?
En revanche, l'absence de classements obscurcit le débat sur l'immigration et empêche la France de voir les problèmes en face. En conséquence, elle les subit.
J'ajoute qu'en proposant pour la première fois un projet de loi qui associe l'immigration et l'intégration, nous avons décidé de briser ce tabou.
Pour moi, il ne fait aucun doute que l'immigration et l'intégration sont deux enjeux étroitement imbriqués.
Comment peut-on espérer s'intégrer en France sans parler un mot de français ? Comment trouver un travail, organiser une vie sociale, élever ses enfants ? C'est impossible, bien entendu !
Désormais, pour obtenir un droit au séjour durable, il faudra manifester sa volonté de s'intégrer,...
Mme Hélène Luc. Ils ne demandent pas mieux !
M. Christian Demuynck. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les Africains parlent Français !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Auront un droit de séjour durable ceux qui feront des efforts pour s'intégrer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Et ceux qui feront des efforts pour s'intégrer, ce sont ceux qui parleront notre langue !
Si on ne parle pas notre langue et qu'on ne fait pas d'effort pour s'intégrer, on n'aura pas un droit au séjour durable sur notre territoire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Bravo !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les Asiatiques ne parlent pas Français, contrairement aux Africains !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Il faudra aussi, c'est bien le moins, s'engager à respecter les lois et les valeurs de la République.
Les étrangers ont des droits. Ils ont aussi des devoirs.
Le premier de ces devoirs est d'aimer le pays qui les accueille, et de respecter ses valeurs et ses lois.
M. Jacques Mahéas. C'est du Le Pen !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Quelqu'un qui ne respecte pas nos lois, quelqu'un à qui nos lois ne plaisent pas, quelqu'un qui n'aime pas la France est parfaitement respectable. Mais il n'est pas condamné à venir en France, il peut aller ailleurs !
M. Dominique Braye. On va l'aider !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. L'exigence de la communauté nationale est assez simple : celui qui veut résider durablement dans notre pays doit, pour le moins, le respecter et, au mieux, l'aimer. Lorsque l'on est accueilli, on a le devoir de respecter ceux qui vous accueillent.
Le troisième principe de la réforme est que la politique d'immigration de la France doit s'inscrire dans une véritable stratégie de codéveloppement.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pour choisir l'immigration, pour réussir l'intégration, la France doit construire des partenariats avec les pays d'origine.
Je réfute totalement l'idée selon laquelle l'immigration choisie serait synonyme de « fuite des cerveaux ». J'en apporte la preuve.
Aujourd'hui, tout le monde le sait, les migrants les plus compétents et les plus talentueux partent vers le continent américain, tandis que les moins formés sont accueillis en Europe.
Mme Gisèle Printz. Pour quelle raison ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Les chiffres de la Commission européenne sont accablants : « 54 % des immigrés originaires du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, titulaires d'un diplôme universitaire, résident au Canada et aux États-unis, tandis que 87 % de ceux qui n'ont pas achevé leurs études primaires ou secondaires se trouvent en Europe ».
Au nom de quoi devrions-nous continuer à accepter que les mieux formés aillent développer le Canada et les États-unis et que l'Europe n'accueille que ceux qui n'ont pas terminé leurs études primaires ou secondaires ? Voilà pourquoi il faut changer notre politique de l'immigration !
Mme Hélène Luc. Vous oubliez les médecins maghrébins qui sont dans les hôpitaux !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je ne me résous pas à cette situation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
La France a longtemps entretenu une tradition d'accueil des élites des pays du Sud. Je souhaite renouer avec cette tradition.
Je vous propose donc de faciliter la venue en France d'étudiants, d'artistes, d'intellectuels, de sportifs, de créateurs d'emplois, qui pourront apporter à notre pays leurs talents et acquérir, en retour, une expérience utile à leur pays d'origine.
Cette politique devra bien entendu tenir compte de la situation des pays d'origine.
Accueillir en France quelques ingénieurs chinois ou informaticiens indiens ne va certainement pas ralentir la croissance phénoménale de ces deux pays, les plus peuplés de la planète.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ne parlent pas français !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. En revanche, je suis résolument hostile, par exemple, à toute forme d'immigration définitive des médecins et professionnels médicaux des pays d'Afrique, qui ont tant besoin d'eux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Raymonde Le Texier. Vous êtes le seul à être soigné par un médecin français !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Selon un rapport récent de l'Organisation mondiale de la santé, « l'Afrique supporte 24 % du fardeau des maladies et ne possède désormais que 3 % du personnel sanitaire ».
L'honneur de notre pays est de lutter contre ce pillage scandaleux et de participer à la formation de médecins africains. Tel est mon objectif : contribuer à former les élites des pays en développement, dans la perspective d'un retour.
L'avenir est aux migrations de mobilité, qui permettront aux migrants d'acquérir en France une formation, peut-être même une expérience professionnelle, et de les mettre ensuite au service du développement de leur pays d'origine.
Nous avons donc l'intention de placer au coeur de notre action une grande politique de codéveloppement, pragmatique et ambitieuse, qui permettra de fournir aux jeunes des régions les plus démunies une alternative à l'émigration et de contribuer ainsi à la modernisation et au décollage de leur pays. À la suite de plusieurs contacts avec le président Wade, nous lancerons prochainement une expérience pilote avec le Sénégal.
Pour mettre en place la nouvelle politique d'immigration, nous avons besoin des nouveaux instruments juridiques tels que définis par le projet de loi.
Je veux souligner que nous avons été très attentifs à ce que le projet de loi respecte, comme il se doit, les exigences constitutionnelles. Tel qu'il a été soumis à l'Assemblée nationale, le texte que je vous présente a été approuvé par l'assemblée générale du Conseil d'État, ce qui est une garantie.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Il poursuit cinq objectifs.
Premier objectif : une maîtrise quantitative de l'immigration.
Pour y voir clair, il faut d'abord prévoir. C'est pourquoi, dorénavant, le Gouvernement définira chaque année, dans un rapport remis au Parlement, des objectifs chiffrés sur le nombre de migrants que la France souhaite accueillir, en distinguant les grandes catégories de titres de séjour par motifs : travail, études, séjour familial.
La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel ne nous permet pas d'inscrire expressément dans la loi que le rapport qui sera remis au Parlement comportera de tels objectifs, dès lors qu'ils ne sont pas normatifs mais seulement prévisionnels. Aussi, au nom du Gouvernement, je prends devant vous un engagement solennel : le prochain rapport au Parlement comprendra pour la première fois ces objectifs quantitatifs prévisionnels définis en fonction des capacités d'accueil de notre pays et de ses besoins.
Dans le même esprit, le projet de loi affirme que la délivrance d'un visa de long séjour, par un consulat, devient la condition préalable à l'immigration en France. Voici un principe fondamental : sans visa de long séjour délivré par un consul, il ne peut y avoir, sauf exception, de carte de séjour délivrée par un préfet. Le moins que l'on puisse attendre d'un pays, c'est qu'il délivre la carte de séjour avant que l'étranger vienne sur son territoire plutôt qu'après qu'il soit arrivé. Ce point devrait faire consensus !
Quel parlementaire, quelle que soit son ancienneté, pourrait me dire qu'il est normal qu'il n'y ait jamais eu de débat sur la politique d'immigration de la France ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On ne fait que ça !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Quel parlementaire pourrait considérer comme normal que le Parlement ne soit jamais saisi de la politique d'immigration d'un Gouvernement, que celui-ci soit de gauche ou de droite ? Qui pourrait comprendre que la souveraineté nationale qui s'exprime ici n'ait pas son mot à dire sur la politique d'immigration, surtout quand on sait son importance pour l'avenir ?
M. Gérard Delfau. On ne vous a pas attendu !
Mme Raymonde Le Texier. On l'a fait mille fois !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Cette situation est terminée. Désormais, vous aurez à en débattre chaque année. C'est un grand progrès démocratique ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l'UC-UDF. - M. Gilbert Barbier applaudit également.)
Deuxième objectif : les conditions de l'immigration familiale.
Je vous invite à réformer les règles du rapprochement familial, au service d'un objectif précis : s'assurer que toutes les conditions sont réunies pour que la famille puisse s'intégrer dans notre société.
Cette réforme s'applique d'abord à la procédure du regroupement familial. Le migrant qui souhaite faire venir sa famille devra séjourner régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, et non plus un an, durée indispensable pour préparer l'arrivée de son conjoint et de ses enfants. Il devra aussi être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille, je le précise, par les ressources de son seul travail et non par celles des prestations sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Les conditions de délivrance des cartes de séjour pour motifs de « vie privée et familiale » seront précisées. L'étranger présent dans notre pays devra justifier de l'ancienneté, de la stabilité et de l'intensité de ses liens en France, de la nature de ses liens avec la famille restée dans son pays, de ses conditions d'existence en France ainsi que de son insertion dans notre société.
Je vous propose de mieux lutter contre les mariages de complaisance, dont le seul objet est de procurer un titre de séjour et, à terme, la nationalité au conjoint d'un Français.
Ce n'est pas une vue de l'esprit. Le mois dernier, la police a interpellé quarante-sept personnes appartenant à une filière d'organisation de mariages de complaisance...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme par hasard !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Maintenant, il suffit d'avoir Internet !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pour mettre en relation des ressortissants nord-africains avec des Françaises en situation précaire, les entremetteuses percevaient 9 000 euros versés par le client étranger. Tel est donc le prix d'un mariage de complaisance. C'est le prix d'achat d'une épouse française qui donnera droit automatiquement à une carte de séjour et, quelques années plus tard, à la nationalité française. Il est temps d'en finir avec ces automatismes destructeurs ! (Mme Paulette Brisepierre applaudit.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Trois mesures permettront de le faire.
L'étranger qui n'a qu'un visa de tourisme ou qui est en situation irrégulière pourra toujours se marier avec un Français, mais ce mariage ne lui donnera pas automatiquement droit à vivre en France. Avant d'obtenir une carte de séjour, il devra obtenir un visa de long séjour, délivré par le consul dans son pays d'origine.
Ce n'est qu'après trois ans de vie commune, et s'il fait la preuve de son intégration, que le conjoint de Français pourra obtenir une carte de résident de dix ans.
Enfin, la durée de vie commune requise avant de devenir Français sera portée à quatre ans.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pourquoi pas à cinq ou six ans !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Dans le même esprit, pour mieux lutter contre les détournements des allocations familiales, dans l'intérêt des enfants, les députés ont souhaité, à l'unanimité, prévoir la mise sous tutelle des allocations versées à des familles dont le père vit en état de polygamie.
Ce ne sont que des mesures de bon sens ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
Troisième objectif : mieux accueillir les étudiants, les talents, les actifs, qui désirent venir en France.
Nous proposons, d'abord, la création d'une carte de séjour « compétences et talents », d'une durée de trois ans. Elle sera délivrée à des personnes dont la présence est une chance pour la France.
Il est nécessaire, ensuite, de faciliter l'accueil en France des étudiants en leur donnant la possibilité d'acquérir une première expérience professionnelle dans la perspective du développement de leurs pays d'origine.
Il me paraît impératif, enfin, d'assouplir les conditions de recrutement à l'étranger dans des secteurs et des bassins d'emploi qui souffrent de pénuries de main-d'oeuvre. Je pense à l'hôtellerie-restauration, à l'agriculture ou au bâtiment.
Quatrième objectif : réussir l'intégration des immigrés.
Il s'agit de définir, de manière cohérente et progressive, un véritable parcours d'intégration : de l'arrivée en France jusqu'à l'installation durable. Pour cela, la signature d'un contrat d'accueil et d'intégration sera rendue obligatoire pour toutes les personnes entrant en France légalement afin d'immigrer de manière durable.
Ce contrat ne sera pas un papier que l'on signe et que l'on oublie. L'étranger prendra des engagements à l'égard de la société qui l'accueille : apprendre la langue française, respecter nos lois. En contrepartie, le contrat comportera des engagements de l'État à l'endroit de l'étranger : formation linguistique et civique, première orientation dans les démarches pour s'adapter à la société française.
Mme Raymonde Le Texier. Fin de la discrimination !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Lorsque l'étranger demandera, après plusieurs années en France, à bénéficier d'une carte de résident de dix ans, il devra prouver qu'il s'est bien intégré. Cette « condition d'intégration », vérifiée par les préfets après avis des maires, comprendra trois éléments : l'engagement personnel de l'étranger à respecter les principes de la République française, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de notre langue. En l'occurrence, je ne fais que reprendre le contrat d'intégration qu'avait lancé François Fillon lorsqu'il était ministre des affaires sociales.
Le parcours d'intégration comprendra donc plusieurs rendez-vous : la signature du contrat d'accueil et d'intégration à l'arrivée en France, la vérification de l'intégration effective avant, troisième et dernière étape, la délivrance de la carte de résident de dix ans.
La généralisation des cérémonies d'accès à la citoyenneté pour accueillir les nouveaux Français s'inscrit dans la même logique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela se fait déjà !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. On ne devient pas Français par hasard : on le demande, on le devient, on l'assume et on le respecte.
M. Jean-Paul Virapoullé. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le cinquième objectif du projet de loi porte sur la question de l'immigration outre-mer. François Baroin s'exprimera tout à l'heure sur ce sujet.
Pour conclure, permettez-moi de vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que le Gouvernement attend du débat au Sénat.
Je me réjouis que des amendements équilibrés adoptés à l'Assemblée nationale aient d'ores et déjà permis de renforcer les droits des étrangers. Je pense à l'allongement du délai de recours contre les décisions d'obligation de quitter le territoire français et à d'autres dispositions.
Le Gouvernement se montrera ouvert aux propositions que le Sénat fera, à son tour, dans un esprit d'équité, grâce au travail approfondi et remarquable conduit par la commission et par son rapporteur François-Noël Buffet.
Le débat parlementaire sera également l'occasion de préciser la question, très délicate, des régularisations.
Je refuse, avec la plus grande fermeté, les opérations de régularisation globales d'étrangers sans papiers telles que les gouvernements socialistes les ont pratiquées en 1981, en 1990 et en 1997. (M. Michel Dreyfus-Schmidt proteste.) Ces opérations sont très dangereuses,...
M. Dominique Braye. Néfastes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... car elles ont un effet d'appel d'air. Le migrant régularisé fait venir sa famille. Il indique à ses amis, dans son village, que l'émigration vers la France est possible. Des filières se créent. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.) Et, dans les pays d'origine, le signal est bien reçu : la frontière est ouverte !
D'ailleurs, après les trois opérations de régularisation massives faites par les socialistes, qui oserait dire aujourd'hui qu'il n'y a plus de clandestins ? (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.)
Mme Raymonde Le Texier. Vous verrez après votre texte !
M. Jean-Louis Carrère. C'est grotesque !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Comment mieux démontrer que ce fut une politique de gribouille. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Les Espagnols, qui ont régularisé 570 000 clandestins au premier semestre de 2005, le savent bien. Cela n'a fait qu'encourager les milliers de malheureux migrants africains qui traversent le Sahara dans l'espoir d'obtenir des papiers en Espagne.
Mme Raymonde Le Texier. Quand on n'a plus rien à perdre...
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Qui peut me dire que les 570 000 régularisations espagnoles ont empêché le drame des barbelés de Ceuta et Mellila ?
Ceuta et Mellila ont été la réponse à la régularisation massive de 570 000 migrants clandestins. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Les Italiens le savent également,...
Mme Hélène Luc. Ils vont régulariser !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...eux qui régularisent des centaines de milliers de personnes tous les deux ou trois ans. Mais il entre toujours plus de clandestins dans ce pays et il faut donc procéder à des régularisations toujours plus nombreuses. D'ailleurs, le nouveau gouvernement italien vient d'annoncer une nouvelle régularisation de 500 000 clandestins !
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Jamais autant de clandestins n'ont quitté les 3 000 kilomètres de côtes libyennes pour atteindre l'Italie !
La régularisation globale crée les conditions d'un appel d'air, que plus personne ne peut gérer par la suite.
Hostile aux régularisations globales, je suis également opposé aux régularisations automatiques.
M. Didier Boulaud. La fermeture de Sangatte n'a réglé aucun problème !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je voudrais vous proposer de sortir des logiques d'automaticité, qui constituent un appel d'air et un encouragement à la clandestinité. C'est pourquoi je propose d'abroger le système des régularisations automatiques après dix ans de séjour illégal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est 15 ans !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. D'ailleurs, on se demande bien pourquoi un seuil des dix ans devrait constituer une barrière !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. C'est vrai, cinq années seraient suffisantes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Par ailleurs, il est tout de même curieux pour des parlementaires et pour un gouvernement d'instituer une règle tendant à récompenser la clandestinité.
En vertu d'un tel principe, celui qui échappe à la loi et au contrôle pendant dix ans gagne le droit à la régularisation automatique !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est 15 ans !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Et que faites-vous de la prescription ?
Mme Raymonde Le Texier. Franchement, vous êtes mal placé pour invoquer les valeurs de la République !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est pourquoi je vous propose la suppression de cette règle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
M. Pierre-Yves Collombat. Et l'amnistie ?
Mme Raymonde Le Texier. Oui, parlez-nous de l'amnistie !
M. Dominique Braye. Ça leur fait mal !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Cependant, je suis convaincu que la prise en compte de certaines situations humanitaires est absolument nécessaire.
C'est pourquoi, conformément à un amendement présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, le présent projet de loi consacre la possibilité pour le préfet de délivrer une carte de séjour à titre exceptionnel.
Ainsi, la Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ça manquait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...composée à parité de fonctionnaires et de responsables associatifs, est créée.
Cette nouvelle instance pourra être saisie pour avis sur des dossiers individuels par le ministre de l'intérieur, lorsque ce dernier sera lui-même saisi d'un recours hiérarchique.
J'ai souhaité qu'elle soit, en outre, saisie du cas des étrangers présents illégalement en France depuis plus de dix ans. Ces personnes auront droit à ce que leur dossier soit examiné par la Commission.
De surcroît, la Commission émettra un avis sur les critères de l'admission exceptionnelle au séjour. Cela permettra, et c'est très important, d'harmoniser les pratiques préfectorales pour qu'il n'y ait pas de différences de traitement selon les départements. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur est trop bon !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est donc dans cet esprit que j'aborde la question de la présence dans notre pays de familles d'étrangers en situation irrégulière et dont les enfants sont scolarisés.
Plusieurs sénateurs socialistes. Ah !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est une question difficile. D'ailleurs, si ce n'était pas le cas, le problème aurait été réglé depuis de nombreuses années. J'observe qu'il ne l'a pas été ; c'est donc bien que la question n'est pas simple. Elle appelle une réponse équilibrée.
À cet égard, je tiens à indiquer de manière solennelle devant la Haute Assemblée que nous devons prendre garde à ne pas encourager des filières d'immigration illégale. Il serait irresponsable que la France devienne le seul pays au monde où la scolarisation d'un enfant donnerait automatiquement un droit de séjour aux parents, et ce sans aucun autre critère.
Il suffirait alors d'entrer en France illégalement et d'y scolariser un enfant le lendemain pour avoir droit à un titre de séjour ! En effet, l'inscription dans une école est, je le rappelle, de droit !
Mme Hélène Luc. Encore heureux !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ni les maires ni les écoles maternelles ou primaires ne peuvent refuser une inscription.
En acceptant une telle régularisation automatique,...
Mme Raymonde Le Texier. Nous permettrons à des enfants de survivre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...vous créeriez une nouvelle filière d'immigration en France, que vous ne pourriez ensuite plus contrôler !
Ainsi, il suffirait qu'un enfant d'une famille venue clandestinement en France soit inscrit dans l'une de nos écoles pour que celle-ci obtienne immédiatement un droit de séjour.
Mme Raymonde Le Texier. Quelle horreur !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je ne peux pas imaginer qu'un seul groupe politique de la Haute Assemblée puisse proposer à un gouvernement, quel qu'il soit, une stratégie qui serait à ce point suicidaire !
Mais, dans le même temps, le devoir d'humanité nous impose de prendre en compte des situations qui ne permettent pas d'envisager un retour forcé vers le pays d'origine.
À l'automne dernier, j'avais demandé aux préfets de ne pas éloigner, durant l'année scolaire, les étrangers ayant un enfant scolarisé.
Alors que les vacances scolaires approchent, j'ai donné aux préfets deux séries d'instructions.
M. Yannick Bodin. Apparemment, vous commencez à être inquiet !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. D'abord, je leur ai demandé de proposer systématiquement aux familles concernées, au cours du mois de juin, une aide au retour volontaire.
Il est nécessaire que chaque famille dispose de manière personnalisée de toute l'information utile pour choisir de retourner dans son pays d'origine, si elle le souhaite, lorsque l'année scolaire sera achevée. Le « pécule » proposé n'est pas négligeable : il s'élève à 3 500 euros pour un couple, auxquels s'ajoutent 1 000 euros par enfant. Certaines de ces familles choisiront de regagner leur pays au bénéfice de cette aide. Ce sera très bien ainsi.
Ensuite, et c'est la seconde instruction, j'ai demandé aux préfets envisager l'admission exceptionnelle au séjour de certaines de ces familles au regard de critères d'ordre humanitaire.
Mme Hélène Luc. Pour cela, il a fallu que des familles et des jeunes manifestent !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ainsi, lorsqu'un enfant étranger est né en France, ou y est arrivé en très bas âge, et qu'il est scolarisé dans notre pays, il serait très cruel de reconduire de force dans un pays dont il ne parlerait pas la langue et avec lequel il n'aurait aucun lien.
M. Yannick Bodin. Surtout quand un comité de soutien est mobilisé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Dans ce cas, le pays d'origine n'est pas celui de l'enfant, dont les véritables attaches sont en France. Son départ serait alors vécu comme une véritable expatriation et comme un déracinement.
Mme Hélène Luc. Ça, c'est clair !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Par conséquent, je demande aux préfets d'être très attentifs à la situation des parents de tels enfants.
Mme Raymonde Le Texier. Quel humaniste !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. L'admission exceptionnelle au séjour doit alors être envisagée au cas par cas. La Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour aidera les préfets dans cette démarche nécessaire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Merci aux associations !
M. Yannick Bodin. Le maire d'Evreux ? Même à Evreux ?
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je suis désolé que cette décision juste et humaine, au lieu d'être soutenue par le parti socialiste, nous vaille sa gêne manifeste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas. Remerciez plutôt les associations !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Cela n'a d'ailleurs que peu d'importance.
Cela montre, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, que vous évoquiez de tels cas pour les exploiter de manière politicienne, et non pour régler un problème humanitaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
M. Dominique Braye. De toute façon, personne n'était dupe !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Il me paraît important que les débats de la Haute Assemblée nous permettent de disposer de nouveaux outils de codéveloppement.
Je fais pleinement confiance au Sénat pour être imaginatif et constructif sur ce sujet essentiel.
M. Didier Boulaud. Manifestement, vous commencez à vous inquiéter ! Vous faites moins le fier-à-bras qu'à l'accoutumée !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le système de la carte de séjour « compétences et talents » peut être amélioré.
Je ne verrais que des avantages à ce que cette carte ne soit délivrée aux ressortissants des pays en voie de développement que dans le cadre d'un accord de partenariat entre la France et le pays d'origine.
De même, le moment est, me semble-t-il, venu de mieux mobiliser l'épargne des migrants à des fins d'investissement. C'est l'une des clés du codéveloppement. Aujourd'hui, les transferts de fonds des migrants sont utilisés à 80 % à des fins de consommation. La grande question qui nous est posée est la suivante : comment transformer cette épargne pour la diriger vers l'investissement productif ?
Il faut envisager la mise en place de produits financiers spécifiques en faveur de l'investissement des migrants dans leur pays d'origine avec un régime fiscal privilégié.
À cet égard, je voudrais faire une proposition. L'argent des migrants travaillant en France ne pourrait-il pas être exonéré d'impôt sur le revenu s'il était réinvesti dans leur pays d'origine ? (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.) Ce serait, je le crois, un puissant facteur de codéveloppement, ainsi qu'une invitation, pour ces migrants, à ne pas couper les liens avec le pays d'origine et à préparer leur retour. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je fais confiance au Sénat pour apporter une contribution décisive à la mise en oeuvre de cette idée ambitieuse.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui va se dérouler dans cet hémicycle sera donc déterminant pour façonner le visage de la France dans les trente ans à venir. Le moment est venu d'assumer sans tabou un véritable choix de société.
Le Gouvernement propose un chemin ambitieux et exigeant. Je souhaite que le Sénat adopte ce projet de loi après l'avoir enrichi de son expérience, de sa compétence et de sa générosité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de présenter devant la Haute Assemblée, après M. le ministre d'État, les dispositions relatives à l'immigration clandestine en outre-mer.
En effet, le titre VI de ce projet de loi concerne non pas l'immigration régulière en outre-mer, mais bien cette immigration illégale, dont les proportions sont sans commune mesure avec la métropole.
Ce sont des situations humaines inacceptables et parfois tragiques. Chacun le sait, des hommes, des femmes et des enfants prennent désormais des risques insensés sur des embarcations de fortune, tentent de rejoindre les côtes françaises et y trouvent parfois la mort.
Ce sont des filières clandestines, qui déstabilisent des territoires fragiles et bouleversent les équilibres sociaux et économiques ultramarins. Comment ne pas évoquer les constructions illégales à Cayenne - n'est-ce pas, monsieur le président Othily - ou les bidonvilles de Mayotte ?
Ce sont des comportements individuels qui portent atteinte à notre pacte social. Que penser, par exemple, des femmes mahoraises qui refusent la scolarisation de petits anjouanais ? C'est dire l'état d'exaspération, pour ne pas dire plus, de la société mahoraise dans sa globalité face à la situation à Mayotte.
Ce sont des proportions de clandestins qui poseront à terme - pourquoi le taire ? - la question de la souveraineté française sur ces territoires. En effet, selon certaines estimations, les étrangers en situation irrégulière représentent plus du tiers de la population à Mayotte, et ce niveau atteint désormais près de 25 % en Guyane.
Ce sont également des situations inacceptables, qui engendrent la violence et parfois même la mort. En présence de M. le ministre d'État, je tiens à rappeler et à saluer la mémoire des agents des forces de l'ordre récemment tués dans l'exercice de leurs fonctions en Guyane.
Soyons lucides : la France n'a pas suffisamment anticipé la proportion des flux migratoires auxquels elle doit aujourd'hui faire face en outre-mer. Elle n'a donc pas réagi à temps.
Il faut être conscient de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Ni l'armée française ni la police dans sa globalité ne suffiront à surveiller l'ensemble si vaste des côtes et des fleuves de Guyane. On ne pourra pas ériger de barrières autour de la Guadeloupe, de la Martinique ou de Mayotte, mettre en place un dispositif de barbelés autour de ces îles !
Il nous faudra mener une politique fondée sur le triptyque que Nicolas Sarkozy vient d'évoquer, c'est-à-dire un renforcement de l'arsenal juridique, une action diplomatique vigoureuse et des mesures de codéveloppement et de partenariat là où c'est utile, pour permettre à ces candidats à l'immigration de bien comprendre le message de la France sur nos territoires ultramarins. Nous n'avons pas les moyens économiques et sociaux, notamment en termes de logement, d'accueillir dignement ces personnes, du moins de manière conforme à l'image que nous nous faisons tous des valeurs de la République.
Il nous faut donc agir rapidement. Comme l'a rappelé à juste titre le rapporteur M. Buffet, la prise de conscience du phénomène est encore récente. L'urgence de la situation exige également la mise en place d'un dispositif juridique musclé et renforcé.
La concertation préalable avec les élus est indispensable sur nos territoires. Les propositions qui sont faites résultent du travail très important fourni par le comité interministériel de contrôle de l'immigration, qui est présidé par le Premier ministre, et des propositions de la mission d'information sur la situation de l'immigration à Mayotte, que j'avais souhaitée et qui s'est rendue sur place sur l'initiative de la conférence des présidents de l'Assemblée nationale.
Ces propositions résultent également de votre commission d'enquête sur l'immigration clandestine, dont je salue l'ensemble des membres. Cette commission a apporté un éclairage très précieux. En effet, elle a alerté la société française sur la réalité d'une situation que je m'étais pour ma part efforcé de dénoncer avec respect, mais également avec beaucoup de force. Ses travaux ont éclairé les débats dans l'élaboration de ces dispositions.
Permettez-moi simplement de rappeler le cadre juridique dans lequel vous serez amenés à intervenir. Là encore, les mesures qui vous sont proposées s'inscrivent pleinement dans notre cadre constitutionnel.
Ainsi, l'article 73 de la Constitution, qui concerne les départements et les régions d'outre-mer, dispose que la législation peut faire « l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
S'agissant de Mayotte, l'article 74 de la Constitution - ce n'est pas à des membres de la Haute Assemblée que je le rappellerai - permet d'élaborer une législation conforme aux intérêts propres de cette collectivité, ce qui peut bien sûr nous amener à aller plus loin dans les dispositifs législatifs dérogatoires au droit commun applicables constitutionnellement en outre-mer.
Bien évidemment, au nom du principe d'identité législative, l'intégralité du projet de loi présenté par Nicolas Sarkozy s'appliquera aux départements d'outre-mer ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Enfin, il vous est proposé, conformément à l'article 38 de la Constitution, d'autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires à l'application des dispositions de ce projet de loi dans les collectivités d'outre- mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Naturellement, là aussi s'agissant de la méthode, pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les îles Wallis-et-Futuna, il sera procédé à une consultation préalable des assemblées délibérantes, avec le souci constant du consensus nécessaire à la vie politique et sociale en outre-mer.
Dans le même esprit de respect des institutions locales et des autorisations accordées préalablement par le Parlement, le Gouvernement vous demandera de ratifier un certain nombre d'ordonnances relatives aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers et au droit d'asile.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous expliciter rapidement les grandes lignes des mesures législatives que nous vous présentons, ainsi que les objectifs pour l'outre-mer.
Il s'agit, en premier lieu, de faciliter, pour les forces de l'ordre, la recherche et l'interpellation des clandestins, en luttant contre les filières organisées.
Des contrôles d'identité en vue de lutter contre l'arrivée de clandestins seront désormais permis dans une bande terrestre bien déterminée en Guadeloupe - nous en avons parlé lors de mon récent déplacement - et à Mayotte - nous l'avons également abondamment commenté avec M. le Premier ministre, lors de son déplacement à la Réunion. Cette mesure sera expérimentée pour une durée de cinq ans, au terme de laquelle un bilan sera effectué. Il est en effet logique de se donner des rendez-vous pour évaluer l'application des politiques publiques. De même, des contrôles sommaires des véhicules pourront être effectués dans des conditions similaires.
Le combat contre les filières sera intensifié. C'est le sens des propositions gouvernementales, enrichies par le débat à l'Assemblée nationale. Les forces de l'ordre disposeront désormais d'un fondement juridique pour détruire, en Guyane, les embarcations fluviales non immatriculées. En Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte, il sera possible d'immobiliser les véhicules terrestres, autres que particuliers naturellement, servant à transporter illégalement des clandestins.
Par ailleurs, afin de tenir compte des particularités géographiques de Mayotte, le projet de loi vise à porter de quatre à huit heures le délai dont disposent les forces de l'ordre pour procéder à l'interpellation des clandestins et à leur placement en centre de rétention administrative.
L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté, dans un souci de cohérence, un amendement visant à porter à huit heures la durée maximale pendant laquelle les véhicules faisant à Mayotte l'objet d'une visite sommaire peuvent être immobilisés. Le Gouvernement était favorable à cette initiative, et, si la Haute Assemblée le souhaite, il accompagnera cette démarche.
Ce projet de loi modernise, en second lieu, notre droit afin de rendre nos procédures administratives plus efficaces. Il s'agit de se donner enfin les moyens de faire face à la pression migratoire, de gérer avec plus de cohérence les mesures d'interdiction du territoire et d'expulsion, ainsi que d'adopter une démarche volontariste de lutte contre le travail clandestin.
Ainsi, le projet de loi vise à étendre le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière à l'ensemble des communes de la Guadeloupe. Cette mesure, déjà applicable dans la commune de Saint-Martin, sera, là encore, expérimentée pendant une durée de cinq ans. À ceux qui s'interrogent, qui s'inquiètent, qui considèrent que cette mesure est trop dérogatoire, je réponds : « Regardez ce qui s'est passé en Guyane. Nous devons aller plus loin. Pourtant, un outil existe. Regardez ce qui se passe à Saint-Martin. Compte tenu de l'évolution de la situation et sa dégradation, nous devons maintenir cet effort. » Donnons-nous donc rendez-vous dans cinq ans. Nous verrons alors si, grâce à une maîtrise plus rigoureuse des flux migratoires, mais aussi en fonction de la situation d'Haïti, laquelle est instable, nous avons obtenu des résultats satisfaisants, qui nous permettront alors de débattre à nouveau de ces dispositions.
Ce texte prévoit, de plus, l'extension à l'ensemble du territoire de la République des mesures d'interdiction du territoire, de reconduite à la frontière et d'expulsion prononcées en outre-mer. Il prévoit aussi de limiter l'autorisation de travail accordée à l'étranger sur le fondement d'un titre de séjour au seul département pour lequel elle a été délivrée. Ce point, même s'il est technique, est important. Il est éclairant sur la nécessité d'évoluer dans un cadre juridique renforcé.
Enfin, j'ai souhaité, après de nombreuses discussions au sein du Gouvernement, renforcer la lutte contre le travail clandestin. Cette pratique, qui, jusqu'à maintenant, il faut bien le dire - je parle sous le contrôle des représentants mahorais au Sénat - était plus ou moins tolérée à Mayotte, doit cesser. On ne peut se plaindre de l'immigration clandestine et, dans le même temps, y avoir recours pour son usage privé. Ce type de comportement n'a plus sa place dans notre République.
Un débat anime vigoureusement la société mahoraise concernant son évolution vers la départementalisation. Il faut, à l'occasion de l'examen de ce texte, permettre, sous l'autorité de M. le ministre d'État, d'appliquer des contrôles avec une plus grande rigueur et de limiter les abus en matière d'exploitation des travailleurs clandestin.
À l'issue de nos débats, ce projet de loi rendra applicable les mesures de contrôle contre le travail dissimulé prévues par le code du travail de la collectivité départementale de Mayotte aux employés de maison, qui s'en trouvaient jusqu'à présent exclus. Les inspecteurs du travail seront sollicités.
Enfin, sous le contrôle du juge, les officiers de police judiciaire seront autorisés à procéder à des visites domiciliaires, à perquisitionner et à saisir des pièces à conviction sur les lieux de travail, même lorsqu'il s'agit de locaux habités. Il faut être allé sur place pour se rendre compte que ces outils juridiques sont nécessaires.
Je précise que l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi, a approuvé une forte augmentation, de cent à mille fois le SMIC horaire en vigueur à Mayotte, du montant des amendes administratives pouvant être infligées par le préfet aux employeurs de travailleurs clandestins, à défaut de poursuites judiciaires. Nous allons travailler à la fois en amont et en aval.
Personne ne l'ignore sur ces travées, nous proposons, après un vif débat, de modifier à Mayotte les règles de reconnaissance de paternité, dans l'esprit de ce qu'a évoqué M. le ministre d'État tout à l'heure.
Afin de lutter contre ces reconnaissances de complaisance accordées moyennant finances, le projet de loi prévoit de mettre à la charge solidaire du père ayant reconnu un enfant les frais de maternité de la femme étrangère en situation irrégulière. Je n'évoquerai pas la désormais célèbre maternité de Mamoudzou, la plus active de France, où ont lieu plus de 8 000 naissances par an. Sachez qu'entre 60 % et 70 % de ces naissances sont le fruit de femmes qui, soit pour des raisons de santé ou de protection personnelle, soit pour des raisons évidemment liées à l'accomplissement de la fin de leur grossesse, soit peut-être avec d'autres intentions, ont souhaité accoucher à Mamoudzou, à Mayotte. Par ailleurs, des filières parallèles se sont développées.
Il est également prévu une réforme de la procédure dite de « dation de nom », qui emporte les mêmes effets que la reconnaissance d'un enfant et qui connaît une augmentation exceptionnelle. Le nombre de dation de nom - cette procédure permet d'entrer dans les dispositifs que chacun connaît - a en effet été multiplié par quatre entre 2000 et 2005.
Le projet de loi renforce par ailleurs les pouvoirs du procureur, qui pourra s'opposer à l'enregistrement de la reconnaissance de paternité ou demander une enquête lorsque des indices sérieux laissent présumer une reconnaissance frauduleuse.
Enfin, est prévu un renforcement des sanctions pénales à l'encontre des tentatives de reconnaissance et des reconnaissances frauduleuses de paternité à Mayotte. Cela n'existait pas. Le texte, si vous le votez, permettra une très sérieuse avancée en la matière ; il est très attendu, sur place, à Mayotte.
Dans un même esprit, l'Assemblée nationale a approuvé un amendement tendant à supprimer la compétence du cadi en matière de mariage. Celui-ci sera désormais - cela peut surprendre ! - célébré à la mairie par l'officier de l'état civil. Elle a également approuvé, dans un souci d'amélioration de la vie quotidienne, des mesures visant à faciliter l'obtention de la possession d'état de Français à Mayotte.
Pour conclure sur les mesures concernant l'outre-mer, il est utile de préciser que l'examen du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration a été l'occasion, à l'Assemblée nationale, d'enrichir le texte du Gouvernement sur plusieurs points.
Tout d'abord, l'outre-mer est concernée par des dispositions qui modifient le droit commun. Je pense en particulier à un amendement adopté en première lecture qui vise à calquer les sanctions contre les reconnaissances frauduleuses d'enfant sur les dispositions concernant les mariages blancs que Nicolas Sarkozy a présentées avec beaucoup de pertinence et force arguments et exemples. Ainsi, le fait de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. C'est l'article 63 du projet de loi. Cet article prendra pleinement effet dans les départements d'outre-mer, où il sera d'une grande utilité.
Concernant le volet spécifiquement ultramarin, sur le modèle des commissions mises en place en Guyane et à la Réunion, le projet de loi prévoit, à la suite d'un amendement parlementaire, la création en Guadeloupe et à la Martinique d'un observatoire chargé d'apprécier l'application de la politique de régulation des flux migratoires et des conditions d'immigration, puis de proposer les mesures d'adaptation.
Enfin, un amendement visant à permettre de relever les empreintes digitales des étrangers non admis sur le territoire de Mayotte a été approuvé par l'Assemblée nationale.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a encore quelques mois en métropole, on ne parlait pas ou on parlait peu, en tout cas trop peu, de l'immigration irrégulière outre-mer.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. François Baroin, ministre. On n'en connaissait ni l'ampleur ni les conséquences sur son tissu social, sur son système éducatif ou sur l'insécurité et sur les menaces à terme. Lorsque la densité de population est très élevée, comme à Mayotte, qui compte près de cinq cents habitants au kilomètre carré, ou à la Guadeloupe, où la densité de population atteint trois cents à trois cent cinquante habitants au kilomètre carré. (Mme Lucette Michaux-Chevry opine) et que l'on vit sur une île, le pacte républicain et la cohésion sociale y ont plus de signification que partout ailleurs en termes d'équilibre et donc de maîtrise des politiques publiques.
Ce débat sur l'immigration irrégulière en outre-mer, je l'ai souhaité et je l'ai lancé en conscience et en responsabilité. Il a animé vigoureusement la société française et l'opinion publique ultramarine. Je me réjouis que, seulement quelques mois après, nous prenions des mesures législatives qui viendront compléter les actions déjà entreprises avec M. le ministre d'Etat, sous l'autorité de M. le Premier ministre, pour renforcer les moyens humains et matériels de lutte contre l'immigration clandestine.
Il est évident que nous ne pourrons pas lutter efficacement contre l'immigration irrégulière sans réévaluer les outils de coopération avec les pays dont le niveau de développement est inférieur au nôtre. En effet, le différentiel de niveau de vie entre ces pays et le nôtre - de un à cinq, parfois de un à sept - pousse ces populations à venir en France, pays mythique pour elles. Par ailleurs, ces populations sont attirées par des garanties de meilleure protection. Or nous n'avons pas, nous n'avons plus les moyens de les accueillir. Les avons-nous seulement eus un jour là-bas ? Je n'en suis pas certain.
Dans tous les cas, en outre-mer, la question tourne non pas autour d'une immigration choisie - qui est un véritable projet politique - mais autour d'une vraie maîtrise et d'un coup d'arrêt aux flux migratoires, que nous ne pouvons plus tolérer sur ces territoires. Pour cela, nous devons veiller à mieux coordonner nos différents instruments d'intervention. Il s'agit d'un chantier majeur pour les années à venir, qui doit être mené de pair avec une action diplomatique vigoureuse, comme je l'évoquais tout à l'heure.
Si, au sein de la République, la liberté est la règle, il n'y a naturellement pas de liberté sans règle. Ce message s'adresse à toutes celles et à tous ceux qui souhaitent vivre sur notre territoire. C'est un double message, qui allie fermeté et humanité.
C'est à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il appartient d'approuver ou non ces nouvelles règles. Je souhaite bien sûr que vous les approuviez. Elles sont attendues par nos concitoyens ultramarins, qui sont très attentifs aux débats parlementaires, tant à l'Assemblée nationale, lors de l'examen en première lecture du projet de loi, que désormais au Sénat.
Bien évidemment, je serai attentif à toutes vos suggestions, à tous vos amendements. Je sais combien la Haute Assemblée est attentive à l'outre-mer, qui attend beaucoup de votre part. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu'en 2003 le Parlement commença à débattre de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, l'immigration était l'une des questions de société sur lesquelles la confiance de nos compatriotes dans l'État s'était le plus effondrée.
Les carences, voire l'inexistence, de notre politique migratoire devenaient un handicap lourd face à l'émergence d'un monde de plus en plus ouvert à la libre circulation des biens et des idées et traversé de mouvements migratoires puissants.
Le Gouvernement a construit sa politique migratoire autour de quatre axes principaux : restaurer le droit d'asile, aider et inciter les étrangers à s'intégrer, lutter contre l'immigration clandestine et harmoniser les politiques européennes d'immigration.
Trois ans plus tard, des progrès significatifs ont été obtenus sur ces quatre fronts. Le propos n'est évidemment pas de conclure que tous les problèmes ont été résolus, que l'immigration clandestine a été endiguée ou que la politique d'intégration des étrangers est pleinement satisfaisante.
Mais un certain nombre de principes, voire d'évidences, ont retrouvé un sens et une réalité qu'ils avaient perdus. Ainsi avait-on oublié que le droit d'asile n'est pas un moyen parmi d'autres de se maintenir illégalement sur le territoire français.
Concernant la lutte contre l'immigration clandestine, le doublement, depuis 2002, du nombre des reconduites à la frontière rappelle que l'éloignement constitue la pierre de touche des politiques de contrôle de l'immigration : sauf à renoncer en fait à tout contrôle de l'entrée et du séjour des étrangers sur son territoire, l'État doit en effet savoir afficher sa détermination, au besoin par la contrainte mais dans le respect du droit des personnes, à mettre fin au séjour irrégulier.
De la même façon, la création d'une condition d'intégration républicaine dans la société française en vue de la délivrance d'une carte de résident consiste simplement à exiger d'une personne qui souhaite bénéficier d'un droit au séjour durable un gage de son intégration. La carte de résident concrétise la reconnaissance de cette volonté d'intégration.
Cette politique équilibrée et assumée a permis de sortir du débat stéréotypé entre « immigration zéro » et ouverture totale de nos frontières. Les conditions d'un débat de fond, rationnel et dépassionné semblent désormais réunies. C'est dans cet esprit que la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, créée le 27 octobre 2005, a mené ses travaux, avec un souci d'objectivité et pour faire tomber un certain nombre d'idées reçues.
Ce climat favorable est le préalable, dans une seconde étape, au passage d'une politique de maîtrise des flux à une politique de pilotage des flux.
Le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration se veut l'instrument de cette nouvelle politique. Modifié par l'Assemblée nationale, il comprend cent seize articles regroupés en sept titres. Deux principaux traits le caractérisent : la continuité et la rupture.
Continuité, tout d'abord, avec la politique qui a été engagée depuis trois ans. Le projet de loi consolide la lutte contre l'immigration irrégulière, en métropole et dans les territoires ultramarins, et mène à son terme la généralisation du contrat d'accueil et d'intégration ainsi que celle de la condition d'intégration pour la délivrance de la carte de résident.
Rupture, ensuite, avec le tabou de l'immigration dite de travail. Depuis 1974, l'immigration de travail a pratiquement cessé dans notre pays et aucun gouvernement n'a remis en cause ce dogme depuis trente ans. Un grand nombre de nos concitoyens assimilent à tort - mais qui peut le leur reprocher tant le message politique est brouillé ? - cette fermeture de nos frontières avec « l'immigration zéro ».
Le projet de loi brise ce tabou et met en place des instruments diversifiés pour attirer les meilleurs talents en France et satisfaire des besoins ciblés de l'économie française en main-d'oeuvre. À côté d'une immigration régulière « au fil de l'eau », de nature familiale essentiellement, notre pays doit pouvoir attirer également des étrangers répondant à des besoins identifiés.
Les travaux économiques démontrent que l'immigration est un moteur de la croissance, qui peut être optimisé en fonction du niveau de qualification des immigrés. En rouvrant l'immigration de travail, il s'agit de réhabiliter une vision positive de l'immigration par rapport à une représentation trop souvent malthusienne.
Une critique fréquente à l'encontre de cette politique d'immigration sélectionnée est qu'elle déposséderait les pays pauvres de leurs richesses humaines.
M. Bernard Frimat. C'est vrai !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Votre rapporteur, qui fut également celui de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, sous la présidence de M. Georges Othily, est très sensible à ces remarques. Mais elles semblent exagérées car elles relèvent, en partie, d'une conception datée de l'immigration et du développement économique.
Il y a place, sans aucun doute, pour une immigration mutuellement bénéfique.
Un nouveau défi se pose : passer de la maîtrise des flux migratoires à leur pilotage, en progressant dans la lutte contre l'immigration irrégulière.
Il existe un préalable. La lutte contre l'immigration irrégulière est une condition nécessaire à la mise en place d'une politique migratoire crédible, quelles que soient ses orientations par ailleurs.
À cet égard, la capacité d'un État à éloigner les étrangers en situation irrégulière sur son territoire est primordiale. À défaut, les clandestins sont d'autant plus incités à entrer sur le territoire national, quel que soit le moyen employé, que le risque d'être éloigné est faible.
Sans une politique d'éloignement ferme, l'intérêt de distinguer les étrangers selon qu'ils sont en situation régulière ou situation irrégulière disparaît. Et sans cette distinction, la politique d'intégration des étrangers en situation régulière se construit sur du sable.
Refuser d'éloigner, c'est s'obliger à régulariser ou à jouer le « pourrissement » en maintenant indéfiniment dans la précarité et la clandestinité les étrangers en situation irrégulière.
Tenir ce discours, ce n'est pas signifier son indifférence à de nombreux drames humains. Un clandestin - faut-il le rappeler ? - n'est pas un criminel. C'est même souvent une victime. En effet, l'immigration clandestine est de plus en plus la proie de réseaux criminels.
Lutter contre l'immigration clandestine, cela signifie également lutter contre le travail illégal et la criminalité organisée et protéger des êtres humains contre des traitements contraires à la dignité humaine.
C'est, enfin, dans des situations extrêmes, comme en Guyane, à Mayotte ou en Guadeloupe, une nécessité pour préserver la paix civile et pour écarter le risque d'une déstabilisation sociale.
Depuis trois ans, des progrès ont été accomplis.
La loi du 26 novembre 2003 a offert de nouveaux instruments juridiques pour contrôler la délivrance des visas et les entrées aux frontières, pour lutter contre le travail illégal ou pour éloigner les étrangers en situation irrégulière. La loi du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile a réduit les délais d'examen des dossiers de demande d'asile et étendu la garantie des droits. Des moyens financiers et humains ont accompagné ces réformes. La mobilisation de tous les services est sans précédent.
Les premiers résultats sont positifs, même s'il est encore trop tôt pour porter un jugement définitif. Plusieurs réformes commencent seulement à porter leurs fruits, voire à être mises en oeuvre, telles que le développement - tant attendu - des visas biométriques.
Ces efforts doivent évidemment être amplifiés.
Tout d'abord, des efforts restent à faire pour mieux cerner le phénomène et l'ampleur de l'immigration clandestine.
Ensuite, les actions déjà entreprises ne doivent pas être interrompues. Sans les récapituler toutes, l'exemple de la lutte contre le travail illégal illustre bien l'importance de la continuité dans la mise en oeuvre d'une politique.
De manière générale, l'immigration clandestine outre-mer constitue un défi en soi. La prise de conscience de l'urgence de la situation dans plusieurs de ces territoires est encore récente et ouvre un chantier d'envergure.
L'outre-mer démontre également, à l'extrême, que les réponses à l'immigration irrégulière sont à trouver, à moyen-long terme, du côté de la coopération régionale et de la politique de développement avec les pays source de l'immigration. La commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine s'est spécialement attachée à recenser les moyens efficaces de cette politique, plaçant beaucoup d'espoirs dans le codéveloppement. Je tiens d'ailleurs à saluer la proposition faite aujourd'hui concernant le fameux projet de compte épargne, qui pourrait être utilement débattue et mise en place.
L'immigration régulière « au fil de l'eau » constatée aujourd'hui se caractérise par des flux élevés.
L'immigration familiale est très importante, contrairement à l'immigration dite de travail, qui est beaucoup plus faible.
Cependant, à cette immigration familiale importante s'ajoute une immigration détournée.
Reconnu traditionnellement par le législateur comme le signe incontestable d'une intégration réussie et durable, le mariage entre un Français et un ressortissant étranger permet à ce dernier d'obtenir un titre de séjour et, s'il le souhaite, la nationalité française selon des modalités simplifiées par rapport à la procédure de naturalisation.
Chaque année, environ 270 000 mariages sont célébrés en France, dont 45 000 mariages mixtes, et 45 000 mariages célébrés à l'étranger - la quasi-totalité entre un ressortissant français et un ressortissant étranger - sont transcrits sur les registres de l'état civil français.
En définitive, près d'un mariage sur trois, du moins pour ceux qui sont enregistrés en France, est un mariage mixte et la moitié des titres de séjour est délivrée à des ressortissants étrangers de conjoints français.
S'il importe de ne pas jeter un doute systématique sur ces unions mixtes, celles-ci étant même une preuve forte d'intégration, la hausse très rapide du nombre de mariages mixtes célébrés à l'étranger doit nous alerter sur de possibles mariages de complaisance ou forcés.
Les reconnaissances de paternité fictive constituent une deuxième catégorie de fraudes destinées à permettre l'obtention d'un titre de séjour.
D'autres abus de procédure sont également constatés. Ainsi, l'utilisation de la procédure des « étrangers malades » connaît une véritable explosion. Cela dit, ce point mérite d'être analysé avec une grande prudence.
Il convient donc de réhabiliter une vision positive de l'immigration.
Coincée entre la lutte contre l'immigration clandestine et une gestion purement administrative des flux migratoires, l'immigration légale en France souffre d'une image dégradée. Trop souvent perçue à tort comme une charge, elle est une chance pour notre pays à condition de l'inscrire dans un projet.
Il faut renforcer l'intégration et transmettre les principes de la République française.
Trop longtemps, notre pays s'est refusé à mettre en place une politique d'intégration construite estimant que, d'une part, cela stigmatiserait les étrangers et que, d'autre part, la République française avait su mener cette politique d'intégration par le passé. Or force est de constater que certains vecteurs puissants de l'intégration, comme le travail, ne fonctionnent plus aussi bien.
Depuis 2003, le Gouvernement a engagé ce nouveau chantier en dessinant les contours d'un parcours d'intégration pour les étrangers arrivant en France. Le contrat d'accueil et d'intégration proposé à chaque primo-arrivant admis au séjour en vue d'une installation durable est aujourd'hui pratiquement généralisé à l'ensemble du territoire.
L'aspect symbolique du contrat d'accueil et d'intégration est au moins aussi important que les formations dispensées dans le cadre de ce contrat.
L'immigration, comme je l'ai dit, doit être mutuellement bénéfique.
La France a renoncé, depuis de nombreuses années, à recourir à l'immigration de travail pour satisfaire des besoins de main-d'oeuvre. Depuis 1995, le flux annuel de nouveaux travailleurs permanents ressortissants de pays tiers à l'Union européenne est compris entre 4 000 et 7 000 personnes, à l'exception d'un pic en 2001 avec près de 9 000 personnes. Depuis 2001, leur nombre a tendance à baisser. Toutefois, malgré cette baisse, il faut noter que la part des ouvriers qualifiés augmente aussi bien en valeur absolue qu'en valeur relative.
Ce gel s'explique principalement par la situation du marché de l'emploi, les directions départementales de l'emploi, du travail et de la formation professionnelle opposant quasi automatiquement la situation de l'emploi à toute demande d'introduction d'un travailleur salarié.
Il y a donc place pour une immigration de travail en sus de l'immigration actuelle. Il faut cesser de se priver de cet apport bénéfique de main-d'oeuvre sous le prétexte que les flux migratoires seraient déjà élevés.
Au contraire, l'immigration de travail devrait permettre de revaloriser l'image globale de l'immigration dans notre pays.
Les théories économiques démontrent que l'immigration est a priori un facteur positif pour la croissance, et que l'impact sur le PIB par habitant croît en fonction de la proportion d'actifs parmi les étrangers et de leur niveau de qualification.
La structure actuelle de nos flux migratoires n'est donc pas optimale du fait d'une immigration essentiellement familiale et peu ou pas qualifiée.
De nombreuses personnes entendues par votre rapporteur ont émis des critiques sur le risque d'un pillage des pays pauvres de leurs travailleurs qualifiés, pillage qui saperait les fondements de leur développement économique.
Consciente de ces risques, la commission est toutefois convaincue que, si cette immigration de travail est pilotée de manière raisonnée et modérée, les conditions d'une immigration avantageuse pour tous pourraient être réunies.
En premier lieu, l'époque où l'immigration de travail était une immigration de peuplement est partiellement révolue. Qu'il s'agisse de Polonais ou de ressortissants d'un pays du Maghreb, de plus en plus d'immigrés émigrent temporairement afin de franchir un palier social avant de revenir dans leur pays. L'immigration est à la fois mondiale et mobile, notamment en ce qui concerne les travailleurs qualifiés. Les pays d'origine bénéficieront donc d'un retour d'expérience.
Si ces étrangers proviennent d'un pays lui-même en plein développement, la probabilité qu'ils retournent dans leur pays après quelques années est encore plus forte. Tel est le cas en particulier des ressortissants des nouveaux États membres. Une proportion élevée de nos besoins en main-d'oeuvre moyennement qualifiée devrait pouvoir être satisfaite de cette façon.
Une politique plus volontariste allant dans le sens d'une des recommandations formulées par la commission d'enquête du Sénat est aussi envisageable. Celle-ci prévoit d'inclure dans les accords de développement conclus par la France des clauses destinées à faciliter le retour des travailleurs qualifiés étrangers dans leurs pays d'origine.
En deuxième lieu, il n'est pas exclu que l'immigration de travail qualifié enclenche des dynamiques propres dans les pays d'origine. De la même façon qu'en France l'accueil d'une immigration de travail qualifié revaloriserait la perception de l'immigration en général, l'émigration de travailleurs qualifiés, de chercheurs ou d'étudiants de haut niveau devrait relancer l'attrait des études et des formations qualifiées dans les pays d'origine. Ainsi, des travaux économiques ont montré que le recours massif de la Grande-Bretagne à des infirmières sud-africaines a eu pour effet de susciter un engouement nouveau pour cette profession en Afrique du Sud.
En troisième lieu, une immigration de travail signifie des transferts d'argent vers les pays d'origine d'un montant plus important. Ces transferts pourraient devenir un levier financier important du codéveloppement à condition qu'ils soient orientés vers des investissements.
Enfin, comme le relève la commission des lois de l'Assemblée nationale dans le rapport qu'elle a établi sur ce projet de loi, la critique du pillage des pays pauvres ne prend pas suffisamment en compte le fait que les diplômés de ces pays sont sur le marché mondial des diplômés. Par conséquent, s'ils ne viennent pas travailler en France, ils ne resteront pas pour autant dans leur pays d'origine. Ils partiront vers d'autres pays peut-être moins soucieux des enjeux de codéveloppement.
Au-delà de ces observations d'ordre général, je soulignerai, sans toutefois entrer dans le détail, que le projet de loi vise d'abord à consolider la maîtrise des flux et le processus d'intégration, et met l'accent sur la lutte contre l'immigration irrégulière ouvrant ainsi deux chantiers importants.
En matière de régularisation, l'article 24 du projet de loi vise à supprimer la régularisation automatique des étrangers en situation irrégulière justifiant de dix années de résidence habituelle ininterrompue en France. L'article 24 bis, introduit par l'Assemblée nationale à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par le Gouvernement, remplace ce mécanisme de régularisation automatique par une procédure d'admission exceptionnelle au séjour.
Concernant les mineurs isolés, l'article 24 du projet de loi tend à permettre la délivrance d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à l'étranger qui a été confié depuis l'âge de seize ans au service social de l'aide à l'enfance, sous réserve qu'il ait suivi une formation sérieuse et qu'il ait fait preuve d'une volonté d'insertion dans la société française.
Le titre III du projet de loi est consacré aux mesures d'éloignement.
Pour simplifier le contentieux administratif en matière de droit des étrangers et rendre plus efficaces les procédures d'éloignement sans porter atteinte aux garanties offertes aux étrangers, les articles 36 et 41 du projet de loi visent à coupler dorénavant les décisions concernant le refus d'un titre de séjour avec une obligation de quitter le territoire français.
L'article 42 du projet de loi, modifié par un amendement de la commission des lois de l'Assemblée nationale, tend à supprimer la possibilité de prendre des APRF, des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, notifiés par voie postale. Une telle demande a d'ailleurs été fortement exprimée lors des auditions menées par notre commission. Dans ces conditions, seuls les APRF notifiés par voie administrative, c'est-à-dire à la suite d'une interpellation, subsisteraient.
D'autres mesures concourent également à lutter contre l'immigration irrégulière.
Ainsi, la lutte contre le travail illégal est renforcée, en ciblant particulièrement les employeurs. Les articles 13 et 13 bis visent à autoriser l'échange de données entre les différentes administrations chargées de lutter contre le travail illégal. L'article 15 bis tend à autoriser les agents chargés de contrôler le respect de la réglementation du travail à faire appel à des interprètes assermentés à l'occasion de leur contrôle.
En ce qui concerne la situation dramatique de l'outre-mer, sans revenir sur les chiffres que nous connaissons bien et la situation de ces territoires, qui est apparue au grand public depuis peu de temps, le projet de loi comprend plusieurs dispositions spécifiquement applicables aux collectivités ultramarines.
À ce titre, je rappelle que les articles 73 et 74 de la Constitution reconnaissent la spécificité de la législation applicable outre-mer.
Il s'agit tout d'abord de renforcer les dispositions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers outre-mer. Les articles 70, 71, 72 et 78 du projet de loi prévoient ainsi de renforcer les mesures de contrôle et d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, mesures que nous aurons bien sûr l'occasion d'évoquer au cours de la discussion.
Des dispositifs particuliers sont prévus en matière de droit civil et de droit du travail dans la collectivité départementale de Mayotte, afin de tenir compte de la situation tout à fait spécifique de ce territoire et de le préparer également à sa départementalisation.
L'intégration est la condition impérative d'un séjour durable en France. C'est la raison pour laquelle l'article 4 du projet de loi tend à rendre obligatoire le contrat d'accueil et d'intégration, son respect effectif étant pris en compte lors du premier renouvellement du titre de séjour. La commission permettra, sur ce point extrêmement important, d'apporter, par voie d'amendements, des améliorations à ce dispositif.
Cette volonté de s'assurer de l'intégration de l'étranger conduit également à modifier les conditions du regroupement familial.
L'article 30 du projet de loi prévoit ainsi d'allonger à dix-huit mois le délai pour présenter une demande de regroupement familial.
L'article 31 vise à exclure des ressources du demandeur prises en compte pour le regroupement familial divers revenus de transferts limitativement énumérés. Il prévoit également le respect par le demandeur des principes qui régissent la République française.
Cette volonté explique aussi la modification d'un certain nombre de dispositifs permettant l'acquisition de la nationalité française.
La lutte contre les détournements de l'immigration légale constitue bien entendu l'un des grands axes du projet de loi, en particulier à travers la fraude documentaire. L'article 2, puis les articles 27 et 28 visent à combattre le détournement de procédure.
Il s'agit également de mettre en place un traitement plus efficace de la demande d'asile.
L'article 64 du présent projet de loi prévoit de pérenniser la compétence du conseil d'administration de l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, compte tenu de l'adoption, le 1er décembre 2005, de la directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres qui, tout en autorisant la constitution de listes nationales de pays d'origine sûrs, ouvre la possibilité d'une liste communautaire de pays d'origine sûrs.
L'article 65 vise à donner aux centres d'accueil pour demandeurs d'asile, les CADA, un statut juridique propre.
Par ailleurs, il s'agit de rouvrir - et c'est une rupture - l'immigration de travail, qui est une immigration dynamique et prospective.
L'article 10 du projet de loi prévoit qu'une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » peut être octroyée, sans que la situation de l'emploi soit opposable, pour l'exercice d'une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement.
Il faut, bien sûr, attirer les talents : c'est l'intérêt, nous l'avons vu, de notre pays.
Concernant les étudiants, l'article 6 du projet de loi tend à permettre la délivrance d'une carte de séjour « étudiant » d'une durée de quatre ans aux étudiants admis à suivre en France une formation en vue de l'obtention d'un diplôme au moins équivalant au mastère.
S'agissant des étrangers hautement qualifiés ou ayant des compétences particulières, l'article 12 du projet de loi tend à créer un titre de séjour d'un genre nouveau, la carte « compétences et talents ».
En outre, afin de nourrir la dimension partenariale entre la France et le pays d'origine, un amendement adopté à l'Assemblée nationale précise que, lorsque le titulaire de cette carte est ressortissant d'un pays de la zone de solidarité prioritaire, il s'engage à apporter son concours à une action de coopération ou d'investissement économique définie par la France avec le pays dont il a la nationalité.
Le texte vise également à faciliter la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union européenne.
Le projet de loi n'arrive pas nu, puisqu'il a été modifié par des amendements adoptés à l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, il s'agit de la création d'une commission nationale des compétences et des talents.
Ensuite, la mise en place d'une commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour constitue un élément tout à fait positif.
Par ailleurs, grâce à l'adoption de plusieurs amendements, l'Assemblée nationale a souhaité mieux protéger les femmes immigrées contre la polygamie, l'excision ou les violences conjugales.
L'accession à la citoyenneté française est valorisée. En adoptant plusieurs articles additionnels - je pense aux articles 59 bis, 60 bis, 60 ter et 60 quater -, l'Assemblée nationale a rendu obligatoire l'organisation d'une cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française. Par amendement, la commission des lois du Sénat proposera de généraliser un tel dispositif.
Tel est, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis. Nous aurons à examiner 511 amendements, dont 73 émanent de la commission.
Avant de conclure, je me félicite à nouveau des déclarations relatives aux enfants scolarisés. La procédure annoncée aujourd'hui paraît très positive.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'avez pas soutenu ces démarches !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous voulez tout supprimer !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le signe donné en matière de codéveloppement constitue également un élément important.
Telles sont les conditions dans lesquelles ce projet de loi est soumis à notre assemblée, qui pourra à son tour l'améliorer à l'occasion de l'examen des amendements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine.
M. Georges Othily, président de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine que j'ai eu l'honneur de présider a été guidée tout au long de son minutieux travail par le souci constant de rendre compte avec pertinence et objectivité de réalités éprouvant notre humanisme.
Derrière la froideur statistique des chiffres de l'immigration illégale, qu'elle soit clandestine à proprement parler ou irrégulière, se cachent autant de trajectoires individuelles marquées par le déracinement, la misère, l'isolement et, trop souvent, l'exploitation de cette détresse par des réseaux criminels très bien organisés.
À l'instar de ce que relevait la Cour des comptes dans son rapport public particulier consacré à l'accueil des immigrants et à l'intégration des populations issues de l'immigration, le phénomène de l'immigration clandestine revêt un impact social considérable, qui dépasse le seul champ de nos politiques migratoires. La France, qui est traditionnellement une terre d'accueil des étrangers, ne peut plus faire l'économie d'une réflexion globale et systémique sur le processus d'intégration de ces individus venus d'ailleurs pour jouir de notre modèle républicain.
Pour parvenir à une vision globale de ces phénomènes, la commission d'enquête a procédé à cinquante-sept auditions, mais aussi à de nombreux déplacements en France, en outre-mer et à l'étranger, afin de se rendre compte par elle-même des réalités du terrain. Tout naturellement, la réflexion s'est concentrée sur l'adaptation de nos moyens juridiques, administratifs, voire diplomatiques à la nouvelle réalité de l'immigration en France.
Au terme de ce travail, la commission a formulé quarante-cinq recommandations. Je souhaite insister plus particulièrement sur un point qui a retenu toute notre attention : le manque criant de fiabilité des indicateurs rendant compte de la réalité de l'immigration clandestine. Si, par définition, celle-ci ne peut être officiellement comptabilisée, il n'en reste pas moins vrai que notre outil statistique est inadapté aux faits que le législateur doit réguler.
Les estimations actuelles - 200 000 à 400 000 clandestins - restent trop imprécises pour définir des dispositifs efficaces. De plus, l'outil dont nous disposons est, en l'état, incompatible avec les exigences européennes d'harmonisation. Nos travaux ont donc logiquement abouti à proposer sa réforme profonde, en permettant notamment, sous le contrôle rigoureux de la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, une interconnexion des fichiers administratifs comportant des données relatives aux étrangers en situation irrégulière.
La commission d'enquête a longuement insisté, dans ses conclusions, sur la nécessité de renforcer en premier lieu le volet juridique et financier destiné à tarir en amont les flux. Le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration constitue une amorce de réponse à cette problématique, qui est également la plus complexe à traiter, car elle met en jeu des moyens très divers : contrôle de l'entrée sur le territoire, lutte contre la fraude, politique d'aide au développement.
La maîtrise de l'accès au territoire français reste la clef de voûte de notre politique migratoire, particulièrement dans nos représentations diplomatiques et consulaires. À cet égard, celle-ci a sans aucun doute largement bénéficié de la modernisation de notre législation au cours des dernières années, notamment en matière de contrôle de la délivrance des visas de court séjour.
Parallèlement, l'européanisation croissante des politiques d'immigration permet une meilleure coopération entre des États ayant à connaître de flux d'immigration presque comparables - je pense à l'Espagne, à l'Italie, au Royaume-Uni ou à l'Allemagne. Dans ce cadre, l'harmonisation du contrôle de l'utilisation des visas, en particulier le visa biométrique, contribuera à l'allégement des procédures, mais aussi à leur plus grande efficacité.
Néanmoins, la crédibilité du contrôle aux frontières induit le renforcement des moyens logistiques alloués à la police aux frontières, laquelle constitue maintenant le chef de file d'une véritable police de l'immigration. Il est impératif que nos forces de l'ordre soient à même de lutter à forces égales avec les réseaux de criminalité organisés qui profitent de la détresse humaine.
La commission d'enquête a souhaité rappeler avec force qu'aucune politique d'immigration ne saurait occulter la coopération avec les pays de provenance des populations. Principe très souvent rappelé, mais trop souvent oublié, l'aide au développement demeure un facteur important de tarissement des flux de personnes. Il s'agit ici de traiter au fond les raisons qui conduisent des milliers de personnes à laisser derrière elles leurs racines : les initiatives de codéveloppement mises en place par le ministère des affaires étrangères doivent être approfondies.
Second volet étudié par la commission d'enquête, le traitement des clandestins présents sur notre sol se décline selon trois axes : la lutte contre la transformation de l'entrée régulière en séjour irrégulier, la lutte contre les pourvoyeurs de moyens permettant le maintien en France et, enfin, les moyens pour mettre fin au séjour illégal.
Sur ce point, nous avons été particulièrement préoccupés par le contrôle du retour des titulaires de visas. Nous avons proposé que soient mis en place des visas en forme de diptyque susceptibles d'assurer un contrôle plus efficace et, à terme, de rendre plus difficile, grâce aux potentialités qu'offrira le système européen d'information sur les visas, le passage du court séjour au séjour irrégulier.
Pour ce qui concerne le droit d'asile, la loi du 10 décembre 2003 avait pour objet de tarir une source importante du séjour irrégulier : les déboutés du droit d'asile. La commission d'enquête a souhaité que l'application de cette réforme concilie la maîtrise des délais de procédure avec le renforcement des garanties accordées aux demandeurs d'asile.
Parallèlement, la lutte contre le travail clandestin et les marchands de sommeil a d'ores et déjà abouti à une mobilisation inédite de l'ensemble des services concernés. La commission d'enquête a cependant souhaité que l'application des sanctions se fît avec une plus grande célérité, afin de concentrer la répression sur les responsables des réseaux.
Monsieur le ministre d'État, l'ensemble de ces considérations ne sauraient faire oublier un phénomène beaucoup plus inquiétant, tant par son ampleur que par son impact ; je veux parler de l'immigration clandestine de masse qui frappe l'outre-mer français, et particulièrement la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte.
Ces collectivités ultramarines sont beaucoup plus exposées en raison de contraintes géographiques et géopolitiques bien sûr, mais aussi de la plus grande perméabilité des frontières ou de la proximité avec des pays sources. L'effort de rattrapage sur les moyens alloués à l'Hexagone doit être non seulement poursuivi, mais encore renforcé.
Les conséquences socioéconomiques de l'immigration illégale de masse sont potentiellement explosives : engorgement des services publics, travail clandestin, installation anarchique des populations, insalubrité, voire violences et graves troubles à l'ordre public. La commission d'enquête a estimé positives les dispositions du présent projet de loi tendant, pour Mayotte, à lutter contre l'obtention frauduleuse de titres de séjour, voire de la nationalité française. Cependant, la Guadeloupe et la Guyane restent les parents pauvres de ce texte.
Monsieur le ministre d'État, je monte aussi à cette tribune pour me faire le porte-parole du mécontentement croissant de la population guyanaise, excédée par les atermoiements des gouvernements successifs face aux conséquences de l'immigration irrégulière massive qui frappe cette région. La rhétorique grandiloquente ne suffit plus ; les actes deviennent urgents, chaque jour un peu plus.
Monsieur le ministre d'État, je viens vous rappeler que vous étiez venu en Guyane décorer de la Légion d'honneur et promouvoir à titre posthume le lieutenant Jean-Richard Robinson, un policier lâchement assassiné en service par des clandestins. Je viens vous rappeler également que deux gendarmes ont été tués par des clandestins. Tout récemment, dans la réserve naturelle des Nouragues, deux gardiens ont été lâchement assassinés par des clandestins. Les chercheurs d'un camp du CNRS tout proche ont repris leur activité il y a deux jours avec des gendarmes, mais l'inquiétude demeure.
Je ne viens surtout pas signifier que tous les immigrés clandestins sont des meurtriers potentiels. Je veux simplement témoigner auprès de vous et de la Haute Assemblée de la grande déception des Guyanaises, des Guyanais et de leurs élus devant le projet de loi que vous nous proposez. En son état actuel, le projet de loi s'appliquerait in extenso à l'ensemble des départements français, y compris ceux de l'outre-mer, en application de l'article 73 de la Constitution.
Le dispositif a minima que vous proposez pour la Guyane n'est pas acceptable. La France hexagonale n'est certainement pas confrontée, comme nous, aux mêmes problématiques, ni à leur caractère comminatoire.
Des clandestins abattent lâchement des membres des forces de l'ordre, les ressources minières sont pillées par des étrangers clandestins, la pression démographique de l'immigration - régulière ou non - met en péril l'équilibre socioéconomique de la Guyane.
La situation devient intolérable. C'est l'ordre public lui-même qui est maintenant en péril.
Posons-nous la question de savoir s'il n'y a pas dysfonctionnement dans les services de l'État : justice, services de police et de gendarmerie, affaires étrangères. L'État en a d'ailleurs bien conscience, puisqu'il a chargé un préfet d'en établir un diagnostic. Aujourd'hui, des citoyens veulent se faire justice eux-mêmes. Des collectifs spontanés se sont déjà formés pour raser des habitations illégales et en expulser les habitants sans titre.
L'intolérance n'a pourtant pas sa place sous ces latitudes équatoriales ou tropicales, pas plus que dans l'océan Indien.
La Guyane se dressera toujours devant tout tribunal de la « bien-pensance » qui l'accuserait d'intolérance et de xénophobie. Car porter une telle accusation serait ignorer comment s'est forgée notre identité : nous sommes tous débiteurs de l'immigration.
L'histoire de notre pays est celle de rencontres : entre des peuples, des cultures, des croyances, des langues, des traditions. Cette terre, originellement habitée par des Amérindiens, a été façonnée par des vagues d'immigration successives.
L'installation, en 1643, des premiers colons français à ce qui allait devenir Cayenne, fut rapidement suivie des premières vagues d'esclaves, qui constituèrent la première immigration de masse. L'institution coloniale et esclavagiste, malgré l'intermède abolitionniste de la Révolution, arracha des milliers d'hommes et de femmes à l'Afrique. Ces derniers furent contraints, sous le fouet du maître, de recréer ici une nouvelle socialisation qui participa à l'éclosion d'une identité guyanaise. Ce mélange de rapports de force et de violence engendra le premier embryon de société pensée sur ces terres équatoriales.
L'histoire nous enseigne aussi que toutes les tentatives institutionnalisées de peuplement par les différents gouvernements se sont soldées par des échecs pour le développement de la Guyane. Déjà en 1763, l'expédition de Kourou conduite par Choiseul s'acheva sur un désastre et la mort de plus de 6 000 des 10 000 colons, tués par les maladies et les fièvres. Le bagne, alimenté par les flots de prisonniers venus de l'Hexagone, contribua lui aussi, à sa façon, aux flux d'immigration vers la Guyane.
Nous n'avons pour autant de leçons à recevoir de personnes, car nous sommes toujours prêts à accueillir les populations en difficulté. L'immigration chinoise, syro-libanaise ou sainte-lucienne a trouvé en Guyane un nouveau lieu d'épanouissement. Après l'éruption de la montagne Pelée en 1902, des milliers de Martiniquais vinrent trouver refuge chez nous. Une ville entière, Montjoly, fut construite pour eux, et ils oeuvrèrent au développement de leur terre d'accueil. Les descendants de ces réfugiés sont toujours parmi nous et se considèrent, je l'espère, comme des Guyanais à part entière.
Dans les années soixante-dix, peu de nations de la Caraïbe souhaitaient accueillir les réfugiés haïtiens fuyant la terreur du régime de Duvalier. La Guyane a été pour eux une terre d'accueil. En 1977, les Mông persécutés par Pol Pot et les Khmers rouges trouvèrent eux aussi, en Guyane, une terre hospitalière et bienveillante ; encore que, à cette époque, la majorité des élus n'avait pas apprécié la méthode employée par le Gouvernement.
La Guyane est ouverte à l'étranger depuis des siècles. Cependant, monsieur le ministre d'État, la philosophie de votre texte n'est pas la nôtre, et nous ne pouvons accepter que le Gouvernement reste sourd à nos légitimes doléances en ne consacrant aucune mesure spécifique à la Guyane. La situation est pourtant pressante : une région comptant de 35 % à 40 % d'étrangers ne peut rester sans rien faire, sauf à marginaliser, à terme, sa population dans son propre pays. Si le débat en France hexagonale se concentre sur la question de l'immigration choisie, notre approche est bien différente.
En 1990, le Premier ministre déclarait : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde. » Mais, ajoutait-il, « elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ». La Guyane en a déjà trop pris. Ce n'est pas l'immigration en tant que telle qui rend la situation intolérable, mais ce sont bien ses excès et les problèmes qu'ils engendrent nécessairement.
L'afflux massif de clandestins a provoqué l'extension de bidonvilles autour de Cayenne, alors que cette image devrait appartenir à un temps révolu. François Mitterrand, alors Président de la République, en visite en Guyane, avait même dit que « l'on ne peut pas continuer à tirer des fusées sur fond de bidonvilles ». Le satellite Hélios permet aux îles Canaries, région ultrapériphérique, de repérer les clandestins qui entrent sur leur territoire. Pourquoi le même dispositif ne pourrait-il être utilisé en Guyane, région également ultrapériphérique, mais d'où partent les fusées et les satellites ?
Les problèmes sont connus et clairement délimités. Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale n'est venu que corroborer et mettre à jour des éléments que tous connaissent là-bas. Malheureusement, l'ombre tutélaire du Conseil constitutionnel désarme le bras du législateur. Fausse excuse ! L'étude attentive de la jurisprudence du Conseil montre pourtant que celui-ci n'accorde pas aux étrangers en situation irrégulière un droit d'accès et de séjour en blanc-seing. Mieux, dans une décision de 1993, il a admis le principe que la particularité des flux migratoires combinée à l'éloignement et à l'insularité, ainsi qu'aux contingences spéciales des collectivités d'outre-mer, pouvaient justifier que le législateur prévoie des dispositifs particuliers pour ces dernières. Cette disposition avait été prise pour la Guyane. Pourquoi ne pas poursuivre ?
C'est ainsi, monsieur le ministre d'État, qu'il faut accorder une carte de séjour « vie privée et familiale » aux étrangers vivant en Guyane depuis plus de dix ans, ainsi qu'aux personnes ayant eu une pièce d'identité, un passeport, qui, à la demande de renouvellement, se voient refuser ledit renouvellement.
Depuis 1945, près de soixante-douze lois sur l'immigration ont été votées. Ce chiffre est à lui seul un constat d'impuissance et d'aboulie de l'État. Dans sa célèbre conférence, faite en Sorbonne le 11 mars 1882, intitulée : « Qu'est-ce qu'une nation ? », Ernest Renan soulignait que, comme l'individu, la nation est « l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements ». Elle traduit aussi un « consentement, un désir clairement exprimé de continuer la vie commune ». Mieux encore, « l'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie ».
Or les clandestins d'aujourd'hui n'ont pas choisi la nation. Nul désir pour eux de lier leur existence au cours du fleuve du passé, du présent et du futur commun. Leurs motivations ne relèvent pas d'un désir de construire avec nous la Guyane, ou la France, en contrepartie de l'hospitalité que nous leur donnons. Seul l'appât du gain des prestations sociales les fait se lever chaque jour. La protection sociale guyanaise n'a pas pour vocation de financer l'aide au développement de nos voisins !
Monsieur le ministre d'État, vous conviendrez que je me vois obligé de déposer une série d'amendements...
M. Georges Othily, président de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine. ... afin d'améliorer les dispositions relatives à l'outre-mer, et particulièrement en Guyane.
Soyez persuadé que c'est une nécessité pour que notre pays retrouve la sérénité qui faisait de lui un pays béni des dieux.
Monsieur le ministre d'État, soyez assuré de mon soutien, car l'avenir et le développement de la France nous demandent tout à la fois fermeté, vigilance et humanisme. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
(M. Guy Fischer remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;
Groupe socialiste, 67 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous occupe réforme pour la énième fois l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.
Ce n'est pas simplement à mes yeux « une réforme de plus » il s'agit là d'un changement radical, profond, de l'approche de l'immigration de notre pays. Et ce n'est pas la régularisation de 720 familles étrangères que vous annoncez, monsieur le ministre d'État, qui va gommer la dureté de votre texte et en modifier la nature profonde.
Ce texte, largement inspiré de la politique prônée par l'Union européenne en la matière, tourne définitivement le dos à nos valeurs les plus sacrées, les plus ancrées dans notre République, et qui ont pour nom : solidarité, fraternité, coopération, respect du « vivre ensemble ».
On s'éloigne ici vraiment de la France terre d'asile, de la France patrie des droits de l'Homme.
Latente dans la loi du 26 novembre 2003, l'orientation du Gouvernement est désormais clairement écrite.
C'est en effet la première fois que l'on désigne officiellement l'immigration légale, c'est-à-dire celle qui est liée à la vie privée et familiale, comme étant une immigration « subie » à laquelle il faudrait substituer une immigration « choisie ».
Ce changement lexical est loin d'être anodin. Il a pour conséquence directe de s'attaquer aux droits fondamentaux d'un certain nombre de personnes ; je pense notamment au droit au séjour par le mariage ou encore au regroupement familial, pourtant déjà réduit à plusieurs reprises, sans parler de la remise en cause du droit d'asile.
Nous sommes donc amenés à légiférer de nouveau alors que nous ne disposons d'aucun bilan, d'aucune évaluation quant à l'application des deux lois votées en 2003, la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et la loi relative au droit d'asile.
Mieux ! Nous légiférons alors même que les décrets relatifs aux lois précédentes n'ont pas tous été pris !
M. Gérard Delfau. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner du fait que l'on ne dispose pas non plus d'une étude d'impact relative aux nouvelles dispositions prévues dans votre texte. C'est également la première fois qu'un gouvernement propose deux réformes sur le même sujet au cours d'une même législature, alors qu'il n'y a pas eu d'alternance politique. Oui, monsieur le ministre d'État, l'immigration n'est pas un sujet tabou. Mais quel est ce besoin qui vous anime pour en parler à deux reprises en deux ans et demi à peine ?
Pour ma part, j'y vois un rapport avec un certain calendrier politique. En réalité, cette deuxième réforme de la législature concernant l'immigration est présentée par un « ministre candidat » à l'élection présidentielle de 2007...
M. Pierre Hérisson. En voilà un scoop !
Mme Éliane Assassi. ....qui n'hésite pas à stigmatiser l'étranger, à en faire le bouc émissaire des maux de notre société.
M. Jean-Claude Peyronnet. C'est un autre scoop : Braye aime Ségolène !
Mme Éliane Assassi. Oui, une grande majorité de nos concitoyens a des craintes face au chômage, face à la montée de la délinquance et des dérives communautaristes. Mais, au lieu de surfer sur ces craintes, comme vous le faites, monsieur le ministre d'État, il serait plus utile de montrer l'influence des idées et des mouvements xénophobes qui a conduit cette partie de la population de notre pays à faire porter sur la seule immigration la responsabilité des souffrances qui sont les siennes.
Or, loin de vous engager dans cette voie, vous tenez un discours qui vous permet tout à la fois d'occulter les véritables questions sociales de notre pays, de faire passer la politique ultralibérale du Gouvernement avec toutes les régressions sociales et antidémocratiques qui vont avec, et de flatter un électorat qui est habituellement sensible aux thèses défendues par l'extrême droite en vue de vous faire élire en 2007 à la tête du pays.
Monsieur le ministre d'État, comme l'écrit si bien Joseph Conrad, l'auteur du célèbre roman Au coeur des ténèbres, « les ambitions sont légitimes excepté celles qui s'élèvent sur les misères ou les crédulités de l'Humanité ». (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Et vos ambitions sont illégitimes quand elles vous conduisent à utiliser un drame comme celui qui a endeuillé des familles locataires de logements insalubres pour justifier votre loi. Remplacez donc les taudis et relogez les familles convenablement ! Ce serait plus simple, plus juste et plus légitime !
Avec votre loi, vous adoptez une attitude à la fois irresponsable et dangereuse, car - et vous le savez - les électeurs préfèrent en général toujours l'original à la pâle copie !
M. Dominique Braye. Ce n'est pas gentil pour Ségolène !
M. Bernard Frimat. Taisez-vous cinq minutes, monsieur Braye !
Mme Éliane Assassi. J'ai l'habitude, mon cher collègue !
Votre projet de loi est donc très dangereux, pour les étrangers d'abord, mais aussi, au-delà, pour tous les salariés, pour tous les citoyens, pour l'ensemble de la société. Il constitue un tel recul historique s'agissant des droits des étrangers que plus de six cents organisations et associations se sont mobilisées pour le combattre et obtenir son retrait.
Il faut dire la vérité aux Français. Au nom de cette immigration « choisie », vous vous attaquez en réalité, monsieur le ministre d'État, à des droits et à des libertés qui ont une valeur constitutionnelle, et qu'il est utile de rappeler. Je veux parler du respect de la vie privée, du droit à mener une vie familiale, de la dignité, du droit d'asile, de l'intérêt supérieur de l'enfant. Vous vous attaquez de la sorte à toute une série d'engagements que notre pays a pris sur les plans tant national qu'international. Et c'est peu de dire que votre projet de loi est entaché d'inconstitutionnalité, un point que ne manquera pas de développer ma collègue Nicole Borvo lorsqu'elle défendra la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité !
Par ailleurs, votre projet de loi est également un non-sens. D'un côté, vous allez empêcher des personnes ayant vocation à vivre en France de s'y installer durablement, vous allez refouler du territoire des personnes qui sont là depuis très longtemps et, de l'autre, vous allez « choisir » des catégories de personnes triées sur le volet.
Quant à l'efficacité du dispositif proposé, permettez-moi d'avoir de sérieux doutes. En effet, faire croire à l'ensemble de nos concitoyens que votre texte permettra de stopper l'immigration n'est que mensonge, et vous le savez pertinemment, monsieur le ministre d'État. Cela fait vingt-cinq ans que la France n'est plus un pays d'immigration massive. Mais, plutôt que de regarder loin devant, vous avez les yeux rivés sur le rétroviseur et vous déformez le réel en confondant volontairement la situation d'aujourd'hui et les conséquences du passé.
Ce faisant, vous occupez le terrain politique pour mieux faire oublier les échecs de ce gouvernement, qu'il s'agisse des revers électoraux qu'il a subis depuis 2002, du rejet de la Constitution européenne dont on vient de fêter le premier anniversaire, du retrait du CPE, le fameux contrat première embauche, sans oublier l'affaire Clearstream, qui discrédite un peu plus son action.
Loin d'être d'une quelconque efficacité, votre projet de loi va surtout créer de nouveaux cas de sans-papiers et des situations administratives inextricables comme à l'époque des lois Pasqua où les situations de personnes ni expulsables ni régularisables, les fameux « ni-ni », se sont multipliées.
D'un point de vue économique, les mesures proposées vont surtout se révéler très efficaces pour le patronat, lequel va pouvoir faire librement et unilatéralement - avec bien évidemment votre accord - son marché à l'étranger en fonction des besoins de l'économie libérale, qui est uniquement préoccupée par la baisse des coûts du travail ; il pourra de même disposer d'une main-d'oeuvre idéale, à savoir sans droits, à bas salaire, donc précarisée et corvéable à merci, facile à encadrer et à surveiller, et niveler par le bas les conditions de travail de l'ensemble des salariés, étrangers comme nationaux.
Toutefois, on oublie souvent de dire que, selon un rapport des Nations unies paru en 2002, le fait de stopper net l'immigration reviendrait à imposer aux salariés de travailler jusqu'à soixante-dix-sept ans dans un certain nombre de pays européens. De la même façon, on omet de rappeler la contribution des étrangers actifs - et déclarés - à notre système de retraite.
Le débat sur l'immigration n'est qu'un des aspects des effets du libéralisme dans la mesure où il fait le lien entre le démantèlement des droits économiques et sociaux dans notre pays et la situation des étrangers en France. Chaque étape du processus de privatisation et de déréglementation de l'économie, chaque atteinte portée aux droits sociaux aura été accompagnée d'un renforcement de la défiance à l'égard des populations immigrées.
Cette approche économique, utilitariste et opportuniste, de l'étranger ne peut que conduire à l'échec. De même qu'une lecture univoque de la libre circulation des personnes dans la logique de la mondialisation ne peut que conduire à des crises et des conflits.
Je ne peux que déplorer le fait que notre pays continue d'avoir, comme dans les années soixante, une politique d'immigration reposant sur les besoins de son économie, au lieu d'ouvrir de nouvelles perspectives en matière de coopération internationale où le respect des droits et des libertés fondamentales constituerait le préalable à toute législation relative aux flux migratoires.
Je ne peux que regretter que notre pays continue comme dans les années soixante de mener une politique d'immigration fondée sur les seuls besoins de son économie. C'est une vision qui reproduit les mécanismes de la domination de l'exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs, nationaux et immigrés, au profit exclusif du capitalisme. Cette acceptation de la « libre circulation des travailleurs », loin de favoriser le développement des hommes, revient en réalité à piller les pays du Sud de leurs matières premières et, maintenant, de leur matière grise, à savoir la part de leur population la plus active, la plus dynamique, réduisant dès lors quasiment à néant leurs possibilités de développement sur place.
Après la précarité économique, votre texte organise la précarité généralisée du droit au séjour pour les migrants et leur famille. En rendant optionnelle la délivrance de la carte de résident, en faisant disparaître la possibilité de régulariser des étrangers présents en France depuis plus de dix ans, en allongeant systématiquement tous les délais requis pour obtenir un titre à raison du mariage, d'une naissance, du regroupement familial, en augmentant les possibilités de retrait d'un titre de séjour, en exigeant un visa « long séjour » pour les conjoints de Français, en durcissant les conditions de ressources et de logement pour ce qui concerne le regroupement familial, vous allez non seulement précariser un grand nombre de personnes, mais aussi, et surtout, en plonger une bonne partie dans l'irrégularité et l'insécurité administrative, économique et sociale.
Avec de telles mesures, les marchands de sommeil, les réseaux mafieux et autres employeurs de main-d'oeuvre en situation irrégulière, ont de beaux jours devant eux !
Votre texte est un tissu d'idées reçues, qui veut conforter la figure de l'étranger indésirable, représentant une menace. Cessons de laisser croire que la France est à l'aube d'une invasion et que l'Europe serait un continent agressé, qui doit défendre ses frontières. Pour vous et vos amis, l'étranger est toujours suspecté d'être un délinquant du droit du séjour ou du droit au travail, d'être fraudeur lorsqu'il se marie ou reconnaît un enfant, lorsqu'il se rend dans sa famille ou qu'il la fait venir en France. Vous faites ainsi peser une suspicion généralisée sur tous les mariages mixtes, les reconnaissances de paternité et le regroupement familial. Demain, il ne fera pas bon tomber amoureux d'un étranger, ni avoir des enfants avec lui. Heureusement, monsieur le ministre d'État, que, vous comme moi, sommes nés il y quelques décennies de cela ! Vous vous rendez compte, nous aurions pu ne pas exister... (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Avec votre loi, ceux qui obtiendront des papiers devront faire preuve d'une exemplarité à toute épreuve dans leur couple puisque le titre de séjour leur sera retiré si les époux se séparent pendant les quatre années qui suivent le mariage. Or, lorsque l'on sait que, dans notre pays, deux tiers des couples, en moyenne, se séparent au terme de trois ans de vie commune, cela ferait presque sourire si le sujet n'était pas aussi grave !
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Le regroupement familial tel qu'il est régi par votre texte va surtout précariser les femmes dans la mesure où environ 80 % des personnes qui rejoignent leur conjoint sont les épouses.
Par ailleurs, il faut noter que, en matière de politique de l'immigration, le Gouvernement se défausse complètement sur les maires, qu'il s'agisse des attestations d'accueil, du contrôle de la validité des mariages et des reconnaissances de paternité, des conditions de logement et de ressources nécessaires pour bénéficier du regroupement familial, de la vérification de la bonne intégration des personnes à la société française, de l'organisation d'une cérémonie d'accueil en mairie, et je ne suis pas exhaustive.
Comment les élus trouveront-ils le temps d'assumer toutes ces nouvelles prérogatives ? Au détriment de quelles autres missions les assumeront-ils ? L'égalité de traitement des citoyens sera-t-elle assurée d'une commune à une autre ? A-t-on tout simplement demandé aux maires leur avis ? Si l'on y ajoute les mesures contenues dans un autre projet de loi, que vous connaissez bien, mes chers collègues, à savoir celui sur la prévention de la délinquance des mineurs, qui fera du maire le « shérif local », il me semble que cela fait beaucoup de charges supplémentaires pour les collectivités locales, et ce sans aucune compensation.
M. Gérard Delfau. C'est trop !
Mme Éliane Assassi. Les enfants ne sont pas épargnés par votre politique d'immigration dévastatrice, ils en sont même les premières victimes. Comment peut-on étudier lorsque ses parents sont menacés d'expulsion et que l'on est donc soi-même menacé ?
Nombreux sont celles et ceux qui s'élèvent contre vos choix politiques en la matière. C'est d'ailleurs grâce à l'énorme mobilisation lancée notamment par le Réseau éducation sans frontières, RESF, que vous faites aujourd'hui preuve, monsieur le ministre d'État, de mansuétude à l'égard de 720 familles étrangères composées de parents d'enfants nés en France. Nous prenons acte de vos déclarations. Cependant, elles ne peuvent suffire quand on sait que plus de 10 000 enfants vivront toujours sous la menace d'une expulsion du territoire.
Je veux ici saluer l'action de ce réseau qui vous a fait prendre conscience de la dureté de votre texte. En proposant l'organisation de parrainages, RESF a décidé de placer tous ces enfants sous la protection d'élus et de citoyens. Ce faisant, cette association a fait le choix de l'accueil et de la solidarité, de la lutte commune pour une société plus juste, riche de ses diversités.
Depuis la semaine dernière, je suis la co-marraine d'une jeune étudiante sans papiers menacée d'expulsion à la fin de son année scolaire. Je le dis avec force - même si c'est politiquement incorrect -, je préfère avoir quelques problèmes avec la justice plutôt que d'en avoir avec ma conscience ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Quel courage !
Mme Éliane Assassi. Je protégerai donc cette jeune fille comme toutes celles et ceux qui ont cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
M. Dominique Braye. Mais quel courage !
Mme Éliane Assassi. Avec mon groupe, nous avons d'ailleurs déposé un amendement, qui vaut mieux qu'une simple circulaire, visant à garantir le droit à l'éducation scolaire des enfants étrangers au- delà du 30 juin 2006.
Votre projet précarise également les garanties procédurales en matière de droit des étrangers, avec la création d'une nouvelle mesure d'éloignement du territoire, l'obligation de quitter le territoire français. Les décisions concernant le refus de séjour et celles concernant l'éloignement se trouvent ici regroupées, ce qui ne permettra plus de prendre en compte la situation des personnes en fonction de leur droit au séjour, de leur souhait de repartir volontairement et des conséquences découlant d'un retour forcé au regard de leurs droits fondamentaux.
Cette réforme de l'éloignement institue une procédure de recours contentieux spécifique avec pour seul objectif la réduction du délai de recours. Les possibilités de contester les décisions de l'administration devant les tribunaux vont se trouver restreintes, laissant aux préfectures toute latitude pour appliquer leur pouvoir discrétionnaire, source d'arbitraire.
Loin de désengorger les tribunaux administratifs, saisis de recours contentieux à la fois contre les décisions de refus de séjour et contre les mesures de reconduite, le système proposé se révèle être en réalité d'une grande complexité. Il va de surcroît contribuer à généraliser le recours au juge unique en matière de droit des étrangers.
Les étrangers sont déjà considérés comme des citoyens de seconde zone, et vous en faites à présent des justiciables de seconde zone, ce qui est inadmissible !
Quant à l'outre-mer, on assiste à la mise en place d'un véritable régime dérogatoire au droit commun, comme s'il s'agissait d'une terre d'exception. La situation si compliquée soit-elle outre-mer ne peut, à mon sens, justifier l'instauration d'un régime d'exception : recours non suspensif en matière de reconduite à la frontière étendu à l'ensemble de la Guadeloupe, visite sommaire des véhicules, élargissement des possibilités des contrôles d'identité.
De plus, le droit d'asile n'est pas épargné par votre réforme. Déjà, malmené par la loi du 10 décembre 2003 de M. Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, le droit d'asile l'est encore un peu plus avec votre texte, monsieur le ministre d'État. On voit bien là que - quelles que soient les querelles intestines, les batailles de pouvoir au sein de la majorité de l'UMP à la veille de l'élection présidentielle -, ...
M. Roger Karoutchi. Et à gauche, avec Ségolène ?
Mme Éliane Assassi. ... vous êtes tous unis quand il s'agit d'appliquer la politique ultralibérale qui se fait contre les personnes.
Votre texte crée ici sciemment une confusion entre l'exercice d'un droit inaliénable, celui du droit d'asile régi par la convention de Genève pour des personnes en danger fuyant leur pays, et la question de l'immigration. La loi de 2003 a introduit la notion de « pays d'origine sûr » à laquelle nous sommes opposés, je le rappelle, puisqu'elle constitue une restriction supplémentaire au droit d'asile.
Une liste nationale des pays d'origine sûrs a été établie par l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans l'attente d'une liste européenne. Mais, comme vous vous êtes aperçus que la liste européenne allait être moins étendue que la liste établie par l'OFPRA, vous vous êtes précipités pour modifier une fois de plus la législation, afin de prévoir la coexistence de ces deux listes !
Quant à l'allocation temporaire d'attente créée par la loi de finances pour 2006 dans le but de restreindre les droits des demandeurs d'asile - texte qui n'est pas encore entré en application, faute de décrets -, vous proposez déjà d'augmenter les cas d'exclusion de son bénéfice.
Mais la remise en cause du droit d'asile ne serait pas complète si l'on ne s'attaquait pas au statut des centres d'accueil pour demandeurs d'asile, les CADA, qui ne devront accueillir dorénavant que les personnes admises au séjour au titre de l'asile ou dont une demande d'asile est en cours d'examen auprès de l'OFPRA, ou de la Commission des recours des réfugiés, la CRR.
La mission d'insertion, qui est la mission première des centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, n'est pas évoquée dans le texte.
À cet égard, la circulaire du 21 février 2006 concoctée par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur pour faciliter notamment les conditions d'interpellation d'étrangers dans un centre d'hébergement et à sa proximité, me fait craindre que la seule solution proposée aux déboutés du droit d'asile soit une reconduite à la frontière.
Votre projet impose aux associations et aux organismes qui assurent aujourd'hui l'hébergement des demandeurs d'asile un contrôle étroit du public accueilli - pas de réfugiés, pas de déboutés - et prévoit de sanctionner lourdement les organismes gestionnaires récalcitrants.
J'en viens à présent à l'intégration, car on l'aurait presque oublié, le présent projet de loi concerne aussi l'intégration.
Alors parlons de l'intégration à la sauce UMP !
Notion floue par excellence - quelle différence doit-on faire entre insertion, intégration, respect des principes de la République ? -, source d'arbitraire - les maires et les préfets n'auront-ils pas une grande liberté pour récompenser ceux qui méritent ou non des papiers ? -, cette indéfinissable condition d'intégration se trouve généralisée dans ce texte.
Le contrat d'accueil et d'intégration, qui devient obligatoire, n'est en réalité qu'un contrat de mise sous surveillance, un contrat de suspicion et de précarisation accrue.
En réalité, l'intégration ne vous sert qu'à constituer une condition supplémentaire, donc un obstacle, à la régularisation de nombre de situations administratives. Alors que depuis 1984 - année de création de la carte de résident de dix ans - l'accès à un titre de séjour de longue durée était un instrument légal d'intégration de dizaines de milliers de migrants, on assiste, depuis le vote de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, à un retournement majeur dans la conception de l'intégration, retournement amplifié aujourd'hui par votre réforme.
Dorénavant, la délivrance d'un titre de séjour devient la « récompense » de l'intégration. Or l'intégration suppose que la législation sur les séjours soit un minimum stable afin de permettre aux individus de s'ancrer véritablement dans le pays d'accueil en les préservant des aléas et de la précarité.
En outre, l'intégration ne va-t-elle pas au-delà de l'apprentissage de la langue du pays d'accueil et du rappel des valeurs de la société française ? Ne résulte-t-elle pas d'une politique volontaire en matière économique, culturelle et sociale, permettant à chacun de trouver sa place au sein de la communauté nationale ? Ne suppose-t-elle pas, enfin, l'octroi, par exemple, du droit de vote aux étrangers, que les élus communistes réclament en vain depuis des années ? Ne suppose-t-elle pas la régularisation de celles et de ceux que l'on appelle les « sans-papiers », à l'instar de ce qui s'est passé en Espagne et, plus récemment, en Italie ?
Que vous le vouliez ou non, on ne change pas les trajectoires migratoires à coup d'articles de loi. D'autres choix sont possibles et nécessaires. Il n'y a aucune fatalité en l'espèce.
Plutôt que de s'attacher à fermer les frontières aux peuples du Sud, pourquoi ne pas s'atteler à la mise en place de vraies coopérations qui s'attaqueraient, au Nord comme au Sud, à l'Ouest comme à l'Est, à la primauté des marchés financiers sur le développement et l'emploi et qui iraient à l'encontre de la guerre économique et à la mise en concurrence des hommes et des peuples qui en découlent ?
Il faut permettre aux pays d'émigration d'avoir les moyens de se développer pour conserver dans leur région d'origine les populations pour lesquelles émigrer est un choix par défaut, un choix forcé ou un non-choix.
Oui, l'homme a des milliers de raisons de ne pas migrer, de rester dans son pays. Le plus souvent, il ne quitte pas les siens par plaisir ; le plus souvent, il fuit la guerre, la dictature, la misère et la faim.
M. Dominique Braye. Exactement !
Mme Éliane Assassi. Le plus souvent aussi, il choisit le pays où il a les meilleures chances de réussir et non de devenir le meilleur délinquant. Il va là où la société est la plus fluide, la plus attentive aux capacités de chacun. Si c'est la France, pour ma part, j'en suis fière, monsieur Braye !
Si nous avons vraiment la préoccupation de ces peuples, alors annulons la dette des pays en voie de développement, ...
MM. Dominique Braye et Jean-Patrick Courtois. Chirac l'a fait !
Mme Éliane Assassi. ...développons les coopérations, échangeons, plutôt que de choisir unilatéralement, instaurons une taxe sur les transactions financières, consacrons 1 % de notre PIB à des actions de coopération.
M. Dominique Braye. C'est facile de faire des cadeaux avec l'argent des autres !
Mme Éliane Assassi. Finissons-en avec une autre idée reçue : les immigrés venant de régions pauvres transfèrent souvent vers leurs familles restées au pays des sommes supérieures à l'aide au développement attribuée par les États comme la France. L'Office des migrations internationales, l'OMI, évalue ainsi à plus de 200 milliards de dollars l'argent rapatrié chaque année par les immigrés dans leur pays natal. Vous avouerez que ce n'est pas rien !
J'en arrive à la fin de mon propos. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
Bien évidemment, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre le présent projet de loi.
M. Dominique Braye. Ça, c'est une surprise !
Mme Éliane Assassi. Ils le font - n'en déplaise à certains - en faisant preuve d'une grande responsabilité. Il ne s'agit pas seulement ici de faire acte de résistance : notre vote est un acte républicain car il réaffirme les valeurs de notre République : la liberté, l'égalité, la fraternité, auxquelles j'ajoute la solidarité. (M. Dominique Braye rit.)
Et que nous soit épargné le coup du bon sens populaire qui, dans la bouche de celles et de ceux qui défendent ce texte, a surtout le goût du populisme.
M. Dominique Braye. Elle a l'air d'y croire !
Mme Éliane Assassi. Ce texte, profondément inhumain, pervers et dangereux, s'inscrit naturellement dans le projet de société ultralibéral de la droite et de son gouvernement. Ce texte est une véritable entreprise de démolition du statut des étrangers, doublée d'un renforcement du contrôle et de la surveillance des populations étrangères, surveillance guidée par l'obsession sécuritaire.
Ce texte est un laboratoire d'attaques qui vont toucher l'ensemble des nationaux, puisque tous vivent sur le même sol, se côtoient, travaillent ensemble, vont à l'école ensemble.
Nous ne pouvons laisser faire. Tout au long du débat, nous démontrerons la nocivité de ce texte non seulement pour les étrangers, mais, au-delà, pour l'ensemble du peuple de France.
Nous avons évidemment déposé des amendements de suppression. Néanmoins, nous ferons quelques propositions pour essayer d'améliorer ce qui pourrait l'être. Mais je réaffirme avec force notre condamnation de ce texte dont, monsieur le ministre de l'intérieur, vous êtes peut-être l'auteur, mais qui est la propriété de tout le Gouvernement et, bientôt, de toute la droite parlementaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, c'est banal, cela a été dit à de nombreuses reprises, mais je le répète d'emblée : votre projet revient sur un vrai sujet.
Les migrations sont en effet toujours vécues de manière dramatique par ceux qui y sont acculés, tant il est vrai que l'on ne quitte jamais de gaieté de coeur ses proches et ses racines. Elles suscitent souvent des passions dans les pays d'accueil, dont les habitants, généralement guère à l'aise avec cette question, préfèrent fuir le débat et font trop vite de l'immigré un bouc émissaire tout trouvé pour nombre de leurs maux : insécurité, chômage, difficultés à trouver un emploi, une place en crèche, poids des impôts, par exemple.
Quel maire n'a jamais entendu de telles réactions ? Et qui, cependant, parmi nous, ne mesure les risques de dérapage et, en même temps, sa responsabilité lorsqu'il entend réclamer que soit donnée la « priorité aux nationaux » ou préconiser le repli sur soi ou le protectionnisme ?
Ce sujet est extraordinairement sensible aux yeux de nos compatriotes et pour notre société.
C'est un vrai sujet pour la famille humaine, qui ne peut voir indifféremment deux cents millions des siens emportés par ces déracinements - monsieur le ministre d'État, j'arrondis le chiffre de cent soixante-dix que vous nous avez donné tout à l'heure.
C'est un vrai sujet aussi pour les fragiles équilibres de notre monde, remis en cause par des inégalités de développement qui se creusent sans cesse, par la multiplication qui s'ensuit de guerres ouvertes ou de conflits plus obscurs mais non moins épouvantables.
C'est un vrai sujet enfin pour notre pays, que nous aimerions voir toujours à la hauteur de sa réputation de terre d'accueil, même si, dans le même temps, la pression n'a jamais été aussi forte, alors que les difficultés des temps limitent nos moyens.
À une vraie question, il faut une ou de vraies réponses.
Monsieur le ministre d'État, des réponses, vous nous en proposez. C'est même le deuxième texte que nous examinons sur le sujet, et de manière tellement rapprochée que toutes les mesures d'application du premier ne sont pas encore publiées.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Denis Badré. Celui-ci pourra-t-il entrer en vigueur d'ici à un an ? Si, grâce à nos amendements, qui sont excellents (Sourires), nous arrivons à un bon texte, ce serait bien. Mais ne rêvons pas : le temps est compté !
Au demeurant, la sensibilité et la complexité du sujet devraient plutôt nous pousser à prendre le temps - s'agissant notamment des textes d'application - de procéder aux réflexions nécessaires et à nous entourer de toutes les précautions voulues. Nous pensons vraiment qu'en ce domaine où s'exacerbent déjà de profondes passions, il serait sage de nous mettre au moins à l'abri de celles que font naître les temps électoraux. Donner le temps à la réflexion permettrait d'ailleurs d'approfondir certains aspects d'une politique qui ne peut qu'être très largement interministérielle pour être équilibrée et comprise par tous, même si vous la coordonnez, monsieur le ministre d'État.
Nous regrettons enfin que vous n'apportiez pas davantage de réponses à la question incontournable des clandestins, déjà largement évoquée par notre rapporteur, François-Noël Buffet.
Élus locaux, nous en avons tous rencontré, de ces clandestins. Et nous savons qu'il n'est pas facile de briser le cercle vicieux selon lequel il faut des papiers pour prétendre à un emploi ou à un logement - mais pas à une place à l'école -, et il faut un emploi et un logement pour espérer des papiers ! Tout cela est une incitation au travail au noir, au logement informel, inavouable. Bref, c'est l'impasse.
À cet égard, un maître mot doit nous guider : déconcentration. Si les principes généraux doivent évidemment être nationaux, on ne juge bien que de près. Et c'est possible de le faire.
Je veux ici rendre hommage à l'engagement humain et responsable des préfets saisis de tels dossiers. Monsieur le ministre d'État, vous en connaissez beaucoup plus que moi au plan national, bien sûr, mais vous connaissez notamment ceux qui se sont succédé dans notre département aussi bien que moi, et vous savez quelle attitude responsable et humaine ils ont sur ce type de sujet. Tel est le cas de tous ceux que nous avons rencontrés au cours des dernières années. Responsabilisez-les et faites leur confiance ! Je pense qu'ils feront du bon travail, notamment avec les élus locaux.
Mes collègues Muguette Dini et Adrien Giraud interviendront tout à l'heure pour vous alerter sur un certain nombre de points très précis ; je ne m'arrête donc qu'un instant pour vous livrer quelques observations.
Malgré son titre, votre projet de loi traite beaucoup plus d'immigration que d'intégration ; c'est sans doute dommage. Comment gérer les problèmes que posent les regroupements familiaux sans sacrifier le droit à vivre en famille ? Est-il possible de combattre les usages abusifs du droit d'asile sans remettre celui-ci en cause ? Surtout, est-il encore justifié de développer une politique nationale d'immigration pour un État membre d'une Union européenne qui a effacé ses frontières intérieures ?
Quelles que soient les difficultés que vit l'Union, je n'imagine pas un instant que l'on puisse revenir sur cette réalité. Il faut donc la prendre en compte et s'inscrire dans ce contexte.
Je me place donc maintenant dans ce contexte européen.
La stratégie de Lisbonne souligne à juste titre la nécessité de développer notre effort de recherche si nous voulons pouvoir continuer à rivaliser avec nos concurrents les plus en avance. Ce faisant - puisque cette politique ne peut que porter ses fruits -, nous resterons dans la course parmi les pays les plus en avance, mais, avec eux, nous distancerons toujours davantage ceux qui sont en retard. Le fossé se creusera de plus en plus entre les pays en avance et ceux qui sont en mal de développement.
Il est donc non moins impératif de coupler avec une politique scientifique européenne résolue une politique de coopération et de développement non moins résolue, cohérente, complète, visant au développement des pays les plus pauvres. Georges Othily ne disait pas autre chose à l'instant.
Nous progresserons alors sur deux des sujets qui sont au coeur des préoccupations de nos compatriotes, à savoir l'immigration et les délocalisations. Ces deux sujets ne peuvent être dissociés l'un de l'autre. J'y reviendrai lorsque je traiterai tout à l'heure des flux d'immigration choisie.
Lorsque je parlais d'interministérialité, à l'instant, c'est en particulier à cette dimension du développement que je pensais. C'est en intervenant ainsi, à la source des difficultés, que nous pourrons vraiment justifier une politique d'immigration et d'intégration, lui donner du sens et l'équilibrer. Et, comme toute politique d'immigration, une politique efficace de développement ne peut plus être qu'européenne.
L'Européen convaincu que je suis redit ici qu'il verrait d'ailleurs dans l'annonce et dans la mise en oeuvre d'une telle politique au niveau européen une très belle occasion de faire redémarrer l'Europe. Cela conduirait en effet les États à relativiser les enjeux de leurs débats actuels pour se retrouver enfin autour d'un objectif d'intérêt commun évident, au moins aussi important aujourd'hui que l'était la paix en 1950. Les jeunes pourraient trouver là une occasion de relever le vrai défi opposé à leur génération. La construction européenne, enfin, renouerait avec son idéal.
J'ajoute que je serais vraiment heureux que ce soit la France qui en fasse la proposition. Tournant le dos à l'arrogance qui a pu lui être reprochée, comme à un quelconque sentiment de culpabilité, elle reprendrait alors naturellement, sur un vrai sujet de fond, sa place d'ouvreur au service de ses partenaires et de l'Union.
Il est clair qu'il ne peut s'agir simplement de relever la part de PIB consacrée à l'aide au développement, mais qu'il faut fonder une politique digne de ce nom sur une prise de conscience globale. Il faut avoir à l'esprit, d'une part, que les guerres sont toujours plus chèrement payées par les pays pauvres, d'autre part, que lorsque nos pays développés cèdent à la facilité des déficits publics, ils préemptent les disponibilités financières internationales et en privent ceux qui en auraient le plus besoin, enfin, qu'en limitant l'accès à nos marchés, nous poussons les plus pauvres à sacrifier protection sociale et environnement.
Je pourrais allonger cette liste en montrant que nombre de nos politiques aggravent la situation et en évoquant le manque d'eau potable, les carences en termes d'éducation, de santé, de protection sociale, de démocratie ou de liberté, ou encore la lutte contre la corruption. Mais vous auriez peut-être le sentiment que je m'éloigne du sujet. En réalité, c'est bien de cela qu'il nous faut débattre maintenant. C'est cela que nous aurions aimé trouver dans votre texte.
Pris par l'urgence, vous êtes allés directement au traitement des conséquences. Même s'il est électoral, et peut-être justement parce qu'il est électoral, le temps n'était-il pas venu d'aller au fond de la question ?
Je ferai une petite remarque en passant : « choisir » ses immigrés va à l'encontre de tout ce que je viens de dire. Ceux dont les compétences nous intéressent sont en général les mêmes dont leurs pays d'origine ont le plus grand besoin. Entendons donc ce que les dirigeants africains vous ont dit la semaine dernière, message que vous avez d'ailleurs repris dans votre intervention, monsieur le ministre d'État. Cela ne devrait pas être trop difficile : leur discours ne ressemble-t-il pas en effet, à s'y méprendre, à celui que nous tenons nous-mêmes pour déplorer la « fuite de nos cerveaux » vers des pays plus attractifs que le nôtre ?
Tout est relatif en ce bas monde. Nous éprouvons donc une certaine difficulté à nous situer. Puisse ce texte nous y aider.
Pour ce qui nous concerne, au-delà d'une politique d'immigration qui est, selon vos propres termes, la solution, il nous faut surtout une politique générale, rendant notre pays attractif pour les meilleurs, d'où qu'ils viennent. Nous aurons gagné lorsque les meilleurs jeunes Français partis aux États-Unis faire un post-doctorat, choisiront de revenir en France à l'issue de leur séjour, au lieu de céder aux sirènes locales. Nous aurons gagné lorsque, comme vous le disiez tout à l'heure, les jeunes Indiens choisiront d'emblée de s'arrêter en France ou en Europe plutôt que d'aller directement à Boston.
Je mise beaucoup, pour y parvenir, sur les relations bilatérales renforcées qu'il convient d'établir avec les pays d'origine des migrants. Vous y avez insisté tout à l'heure, mais j'y reviens. Ces relations sont indispensables si nous voulons pouvoir parler vraiment un jour d'immigration « choisie » par les uns et par les autres, par les migrants et par les pays d'accueils, et non pas par nous seuls.
Pour conclure, je dirai simplement que, s'il est évidemment nécessaire de clarifier les règles et d'instaurer de la rigueur dans notre façon de gérer l'immigration, il nous faut nous méfier d'approches au premier degré qui donneraient, dans l'instant, l'illusion d'un progrès.
Cette rigueur dans les procédures et dans leur application est indispensable si nous voulons réconcilier les Français avec la tradition d'accueil de leur pays. Simplement, n'oublions jamais que tout ce qui précarise les hommes défait la société, et que tout ce qui précarise les peuples met le monde en danger. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Si votre ambition, monsieur le ministre de l'intérieur, était d'éviter le consensus entre la majorité actuelle et l'opposition, je vous donne acte que vous avez parfaitement atteint votre objectif.
Mes collègues socialistes et moi-même exprimerons donc, tout au long de nos débats, les raisons de notre désaccord.
Pour la seconde fois au cours de cette législature, vous nous présentez un texte réformant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers et le droit d'asile. Pourquoi cette obsession à vouloir faire du statut des étrangers un débat central de la vie politique ? N'y aurait-il pas mieux à faire pour le Gouvernement dans le contexte économique et social particulièrement complexe que connaît la France ?
L'accueil fait à votre projet de loi devrait, monsieur le ministre d'État, vous inviter à la prudence et à la réflexion. Votre projet n'est approuvé ni par les Églises ni par les organisations qui ont mis au coeur de leur travail, l'accueil et l'intégration des étrangers et des demandeurs d'asile. Votre périple africain récent a permis de mesurer le rejet dont il est l'objet.
Le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme nous apprend que, si l'on peut constater une diminution des actes racistes et antisémites - qui ne s'en réjouit pas ici ? -, en revanche, on constate « une augmentation inquiétante du pourcentage des personnes qui s'avouent racistes, une radicalisation des opinions hostiles aux étrangers, et un essoufflement dans la mobilisation contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie ».
Cette banalisation du sentiment xénophobe est inquiétante. La France a malheureusement toujours connu des courants de pensées et des mouvements qui ont fait de l'étranger le bouc émissaire des difficultés de notre pays. Tout ce qui vient renforcer cette contre-vérité doit être combattu. Je crains, monsieur le ministre, que votre texte, en prétendant briser les tabous, ne participe au contraire à la montée du sentiment xénophobe par une démarche qui, de fait, présume que le demandeur d'asile ou le candidat à l'immigration est un fraudeur qu'il faut démasquer et réprimer.
Votre projet de loi s'affiche comme une rupture et prétend incarner une vision nouvelle de l'immigration. Celle-ci se caractériserait par le rapprochement entre immigration et intégration, la substitution d'une immigration choisie à une immigration subie. Elle s'illustrerait par le contrat d'accueil et d'intégration et la création de la carte « compétences et talents ».
Accueil, intégration, compétences, talents, sont des termes positifs, utiles pour la communication, mais ils n'expriment pas, à nos yeux, la réalité de votre projet de loi.
Votre conception de l'intégration commence là où celle-ci peut servir les mesures de contrôle de l'immigration. Les manquements éventuels à ce contrat constitueront autant d'opportunités pour précariser les détenteurs de titre de séjour. Je remarque d'ailleurs que pas un seul titre, pas un seul chapitre n'est consacré plus particulièrement à l'intégration. Même en matière d'asile, il n'est plus fait mention du rôle moteur d'intégration que peuvent jouer les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile, les CADA.
Vous avez fait de la formule « immigration choisie », par opposition à « immigration subie », le slogan publicitaire habile de votre projet. Qui, en effet, préfère subir plutôt que choisir ? Dépassons, si vous me le permettez, ce simplisme.
Doit-on comprendre que tous les étrangers qui sont arrivés sur notre territoire antérieurement à votre projet de loi étaient des « immigrés subis » ? Si nous dressions la liste de tous ces « immigrés subis », qui, pour certains d'entre eux, sont devenus français, et de leurs descendants, nous y trouverions des noms parmi les plus illustres de celles et ceux qui ont fait et font encore la gloire et la réputation de la France.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Bernard Frimat. Le jury du dernier festival de Cannes a décerné le prix d'interprétation masculine aux acteurs du film Indigènes, du cinéaste français Rachid Bouchareb. Ce film retrace l'épopée de la libération de la France par l'armée d'Afrique et met l'accent sur une page de notre histoire trop vite oubliée. Ces « indigènes » répondraient-ils aux critères de la carte « compétences et talents » ou feraient-ils partie de l'« immigration subie » ?
Mardi prochain, quand l'équipe de France de football disputera son premier match du Mondial, l'amateur de football que vous êtes, monsieur le ministre d'État, s'interrogera-t-il pour savoir combien, parmi eux, sont descendants d'immigrés subis ? (M. Roland Courteau rit.) Les trois plus grands joueurs de l'histoire du football français ne sont-ils pas Raymond Kopa, d'origine polonaise, Michel Platini, d'origine italienne, et Zinédine Zidane, d'origine algérienne ?
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Bernard Frimat. Si votre projet avait existé, leurs pères auraient-ils bénéficié de la carte « compétences et talents » ? Sans doute pas (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), et nous n'aurions pas aujourd'hui l'occasion de revendiquer les fils de ces « immigrés subis » comme gloires nationales.
Votre carte « compétences et talents » nous apparaît comme un artifice pour doter votre projet d'une image d'ouverture ; elle risque de ne servir que d'alibi à un pillage de matière grise.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Bernard Frimat. Loin de cette golden card de l'immigration, votre projet se caractérise essentiellement, pour nous, par un durcissement de la législation actuelle. Nous sommes là pour parler clairement, et vous voyez que je me livre à cet exercice.
Or nous pensons que réduire la politique d'immigration aux seuls durcissements législatifs, à la mise en cause permanente des étrangers et au recul de leurs droits fondamentaux ne constitue pas, en soi, la solution au problème de l'immigration clandestine. Sous couvert de lutte contre cette immigration-là, votre projet de loi dégrade la situation des étrangers en situation régulière. Cette déstabilisation de la vie quotidienne peut aussi atteindre nos compatriotes qui, de par leur ascendance, sont susceptibles d'être identifiés comme étrangers et, au premier rang d'entre eux, nos compatriotes originaires de l'outre-mer.
L'essence même de votre projet de loi est de rendre plus difficiles l'entrée et le séjour des étrangers et des demandeurs d'asile. Le leitmotiv de votre projet, qui confine à l'obsession, est d'augmenter les formalités, d'allonger les délais et de réduire les droits.
En matière de délais, je salue votre systématisme. Chaque fois qu'il existe une condition de délai pour bénéficier d'une mesure favorable, vous l'allongez. Dans le même temps, chaque fois que l'étranger en situation régulière bénéficie d'un droit, vous précarisez sa situation en allongeant le délai qui en permet l'octroi. Ainsi, il faudra dix-huit mois au lieu de douze pour engager la procédure du regroupement familial, quatre ans de vie commune au lieu de deux pour solliciter l'accès à la nationalité française par mariage.
L'obligation d'obtenir un visa de long séjour comme condition préalable au séjour achèvera de bloquer le système, car nos consulats seront, par manque de moyens, dans l'impossibilité de les délivrer dans des délais normaux.
La manière dont vous rendez aléatoire le regroupement familial démontre clairement que c'est cette immigration-là qui est, pour vous, subie et que vous voulez tarir. La France peut, en conséquence, se préparer à collectionner les condamnations pour infraction à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Loin d'améliorer l'existant, votre texte nous apparaît contre-productif. Il va inévitablement créer de nouvelles catégories de personnes qui, contraintes à l'irrégularité, ne seront ni régularisables ni expulsables. À cette précarisation de l'immigration régulière, vous ajoutez une rigueur accrue vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière.
L'immigration clandestine concerne avant tout l'outre-mer. Cette situation exige un traitement spécifique qui, tout en respectant les droits fondamentaux, comprenne des mesures adaptées à l'ampleur du phénomène. Celles-ci auraient dû faire l'objet d'un projet de loi autonome déconnecté du contexte migratoire de la métropole. La situation de l'outre-mer, sur laquelle nous déposerons peu d'amendements, ne peut en effet servir de prétexte pour restreindre sur tout le territoire les droits des étrangers.
Vous avez fait des statistiques de l'exécution des reconduites à la frontière l'alpha et l'oméga de votre politique de lutte contre l'immigration clandestine. Chaque préfet a des objectifs à respecter et son pouvoir de régularisation individuelle est sous votre contrôle strict.
Votre texte vise donc logiquement à accélérer le rythme de la politique d'éloignement, même au prix d'une réduction des possibilités de recours vis-à-vis des décisions de l'administration. Il nous paraît indispensable que l'étranger à qui l'on oppose un refus de titre de séjour ou qui est débouté du droit d'asile puisse, avant d'être l'objet d'une reconduite à la frontière, faire valoir tous ses droits de recours, y compris celui de contester, devant le juge, le pays vers lequel l'administration veut le renvoyer.
Il est également indispensable que le juge du contentieux des étrangers puisse remplir sa mission dans les conditions de collégialité qui assurent à la fois l'indépendance et la qualité de la justice rendue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Bernard Frimat. Nous nous opposons à ce qu'une justice d'abattage rendue par des magistrats honoraires devienne le lot commun réservé au contentieux des étrangers.
La suppression de la mesure permettant de régulariser les étrangers qui apporteraient la preuve qu'ils vivaient en France depuis dix ans nous semble particulièrement choquante. Vous la présentez comme le refus de donner une prime à l'illégalité et comme la volonté d'empêcher un « appel d'air ».
Vos arguments sont faibles. Le nombre de régularisation de ce type se situe aux alentours de 3 000 par an ; c'est peu pour un appel d'air ! De plus, faire jouer la prescription au bout de dix ans n'est pas une mesure exorbitante si on la compare aux durées de prescription de notre droit pénal.
La presse se fait régulièrement l'écho de la situation dramatique de jeunes, scolarisés quelquefois depuis plusieurs années, confrontés subitement à une menace d'expulsion. Quand un tel cas survient, vous le savez, il est ressenti par les camarades de classe du jeune étranger, par leurs parents, par leurs professeurs, comme une injustice et une agression insupportables.
Votre initiative visant à recommander aux préfets de surseoir aux expulsions jusqu'à la fin de l'année scolaire va dans le bon sens, nous le reconnaissons, bien qu'elle soit insuffisante. Mais où est la cohérence dans le fait d'expulser des jeunes en pleine période de formation pour les renvoyer dans un pays que la plupart d'entre eux ne connaissent plus, et où ils n'ont aucun repère ? La République est-elle menacée par leur présence en France ? Ne peut-on permettre à l'école de la République de développer des compétences et des talents dont la France sera la première à bénéficier ? Monsieur le ministre d'État, il faut mettre un terme à la chasse à l'enfant ; elle déshonore notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
À cet égard, les propos que vous avez tenus devant nous cet après-midi ouvrent peut-être une perspective. Une circulaire fondée sur la clémence est une piste intéressante, mais trop aléatoire et discrétionnaire à nos yeux. C'est une question qui doit échapper au risque d'arbitraire, pour être réglée par la loi. Nous ferons des propositions sur ce point.
Dans le même mouvement, ne pensez-vous pas que la France se grandirait si elle interdisait la présence de mineurs, voire de bébés, dans les centres de rétention ? Il s'agit tout simplement d'humanité, du respect des droits fondamentaux de la personne.
Monsieur le ministre d'État, en dépit des efforts louables du rapporteur, votre projet de loi ne peut que rencontrer notre opposition résolue. Il m'incombait de vous en faire part.
Dans cette enceinte, nous savons tous, et vous mieux que personne, que votre texte ne vise pas à régler la question de l'immigration. Même s'il est adopté au bénéfice de la procédure d'urgence, il ne pourra pas produire ses effets avant la fin de la législature. Mais cela est secondaire !
M. Raymond Courrière. Oui !
M. Bernard Frimat. Le candidat que vous êtes souhaite un texte d'affichage en vue de la campagne électorale présidentielle. (Eh oui ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Ce projet de loi constitue pour nous une raison supplémentaire et fondamentale de vous empêcher d'assumer, un jour, les fonctions de chef de l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par évoquer la confiance retrouvée des Français.
Je m'explique : en 2003, alors que j'étais le rapporteur de la commission des lois sur votre premier texte relatif à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, j'ouvrais mon propos en rappelant que, lors de votre audition par la commission, monsieur le ministre d'État, vous aviez dressé le constat suivant : « L'immigration est l'une des questions de société à propos de laquelle la confiance de nos compatriotes dans l'État s'est le plus effondrée ».
Ce constat, je l'avais fait mien, considérant qu'il était la conséquence du renoncement de notre pays, depuis plusieurs années, à définir une politique migratoire.
Que de chemin parcouru en moins de trois ans ! Évidemment, personne ne croit que tout est réglé et que les problèmes sont derrière nous.
En revanche, nos concitoyens ont acquis la certitude suivante : lorsque les politiques entendent se donner les moyens de prendre à bras-le-corps les problèmes qui se posent, sans idées préconçues et avec une volonté indéfectible, les solutions ne sont jamais loin.
Cela pourrait vous sembler une lapalissade, et pourtant nos concitoyens avaient fini par s'habituer au fait que leurs élus adoptent la posture du défaitisme pour justifier leur renoncement.
Aujourd'hui, si les Français retrouvent confiance, même s'ils ont conscience du chemin qui reste à parcourir, c'est un peu grâce à votre ténacité, monsieur le ministre d'État. Et ce n'est pas rien, parce notre action a retrouvé un cap, qui a été suivi d'effets.
Un nouvel état d'esprit s'est instauré.
Grâce aux bases qui ont été jetées, non seulement nos concitoyens ont retrouvé confiance dans l'action publique, mais aussi les législateurs que nous sommes peuvent aborder ce sujet de l'immigration de manière plus sereine.
En effet, depuis plus de vingt ans, la France a été privée d'un débat de fond, rationnel et dépassionné, sur l'immigration.
La réplique a été tenue trop longtemps par les démagogues des deux extrêmes, les uns appelant à l'immigration zéro, irréaliste et en aucun cas souhaitable pour la France, qui s'est toujours enrichie et oxygénée grâce aux apports des autres cultures, les autres déclinant un discours angélique, laissant croire que notre pays pourrait supporter les flux migratoires sans contrôle, malgré le chômage structurel qu'il connaît.
Depuis 2002, l'action pragmatique du Gouvernement a démontré qu'il était possible de sortir de ce débat schizophrène et de mener une politique volontariste et décomplexée : une immigration choisie par un contrôle rigoureux des entrées étant le pendant légitime des mesures tendant à une intégration réussie.
Je reviens sur les lois de 2003.
Se voulant pragmatique pour répondre à l'émergence d'un monde à la fois de plus en plus ouvert et en pleine explosion démographique, la politique migratoire menée par le Gouvernement depuis 2002 a reposé sur quatre piliers.
Le premier visait à se doter d'instruments nouveaux pour lutter avec efficacité contre l'immigration clandestine, préalable à toute réhabilitation d'une doctrine de l'immigration en France.
Ainsi, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a prévu la répression pénale de la traite des êtres humains ; le rétablissement de l'encadrement du certificat d'hébergement, supprimé en 1998, donnant ainsi aux maires la possibilité de participer à ce contrôle ; le renforcement des mesures contre les mariages blancs ; la constitution en délit l'organisation et la participation à une telle union ; la création d'un fichier d'empreintes digitales des demandeurs de visa ; l'allongement de la durée maximale de rétention de douze à trente-deux jours.
Dans la continuité, le deuxième pilier de notre politique migratoire consistait à redonner un sens à la notion d'asile. Le droit d'asile est l'un des plus beaux principes de notre République, l'un de ceux qui honorent le plus notre nation et qui participent à notre aura sur la scène internationale.
Mais devait-on accepter qu'il soit dévoyé, sous prétexte qu'il aurait été tabou d'aborder le sujet ? Devait-on accepter de voir l'expression « droit d'asile », désignant un droit fondamental, rimer dans l'esprit de nos concitoyens avec celle de « procédure de maintien illégal sur notre territoire », tant elle a été détournée de son noble objet ?
Pour éviter que la France ne rompe un jour avec sa tradition, il fallait aménager ce droit. Nous l'avons fait dans le cadre de la loi du 10 décembre 2003 relative au droit d'asile, en prenant toute une série de mesures : le remplacement de l'asile territorial, institué en 1998, par un régime de protection subsidiaire d'un an renouvelable ; l'introduction de nouveaux critères d'évaluation des demandes d'asile, comme les notions de pays d'origine sûr et d'asile interne ; l'unification des procédures d'asile en faisant de l'OFPRA l'unique organisme de traitement des demandes ; la rationalisation des procédures d'examen des demandes afin de limiter à moins de six mois leur traitement.
L'action du Gouvernement s'est également concrétisée par des actes forts ne nécessitant pas de recourir à la loi.
Le troisième pilier a donc consisté à mener des politiques, européenne et bilatérales, afin d'harmoniser nos procédures et de définir des filières d'immigration sûres.
Ces dispositifs produisent leur effet puisque, pour reprendre l'exemple de l'aéroport de Roissy, le nombre de placements effectués a diminué de 33 % entre 2003 et 2004. Plus généralement, le nombre de reconduites effectives à la frontière a augmenté de 40 % en 2004 par rapport à 2003 et doublé depuis 2002.
C'est parce que le Gouvernement a fait le choix de la plus grande fermeté à l'encontre de ceux qui entendaient abuser de la générosité de la France que, parallèlement, nous avons pu conduire une politique d'ouverture et d'intégration.
Le quatrième pilier de cette politique vise justement l'accompagnement des primo-arrivants afin de favoriser leur intégration.
À ce titre, la création du contrat d'accueil et d'intégration fait ses preuves en guidant ces immigrés dans un parcours les menant à la délivrance d'un titre de séjour de longue durée.
Cette intégration républicaine se fait au mérite. Il n'y a rien de choquant à cela, bien au contraire. Cette politique est juste, car elle favorise ceux qui font des efforts pour réussir leur installation durable en France.
Après ce rappel historique, venons-en au présent projet de loi.
En effet, nous sommes réunis aujourd'hui non pas pour nous adresser des félicitations, mais parce que, si les choses vont mieux, nous ne sommes encore qu'au début du chemin à parcourir.
Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage ! Les nouvelles mesures engendrent d'autres fraudes. Entre les gendarmes et les voleurs, la course-poursuite ne s'arrête jamais.
Par exemple, alors que la lutte contre les mariages blancs commence à faire sentir ses effets, de nouveaux détournements apparaissent, concernant notamment les cas de reconnaissance de paternité. À Mayotte, leur nombre a quintuplé !
On assiste également à une explosion des demandes de titres de séjour fondés sur la procédure d'étranger malade : elles ont été multipliées par vingt-huit en six ans !
Ce nouveau texte confirme donc, en l'amplifiant, la politique qui est menée depuis 2002. Son titre même conjugue Immigration et Intégration. La corde est raide et l'équilibre, précaire. Mais ce n'est qu'en conjuguant fermeté avec justice que nous réconcilierons nos concitoyens avec l'immigration.
Encore faut-il éviter de transformer ces deux idées fortes en idées faibles.
C'est tout l'enjeu du présent texte que de porter deux idées fortes : poursuivre notre lutte contre l'immigration irrégulière en colmatant les failles de notre dispositif et accentuer le processus d'intégration des immigrés réguliers.
Il s'agit de concilier fermeté et justice.
Ce texte est un bon projet, parce qu'il satisfait à cette double exigence. Il apporte des réponses fermes, rapides et efficaces, pour consolider la maîtrise des flux, et il demeure juste et humain, pour répondre aux exigences auxquelles nous sommes confrontés.
Ferme, oui, ce texte l'est, parce que le bon sens commande qu'un pays connaissant un taux de chômage aussi élevé et une telle pénurie de logements sociaux doit pouvoir contrôler ses flux migratoires par une politique d'objectifs quantitatifs prévisionnels.
Ferme également, parce que l'immigration familiale en tant que source principale d'immigration ne doit pas exonérer ses bénéficiaires du respect de certaines règles. Ce sont donc ceux qui s'intégreront le mieux, par la maîtrise de notre langue, le respect de nos lois et de nos valeurs, qui pourront faire venir leur famille.
Le parent s'installant sur notre sol et sollicitant le regroupement familial doit faire l'effort d'ouvrir la voie à sa famille. Par sa propre intégration, il favorisera celle de ses enfants.
Dans les faits, la demande de regroupement familial dans le délai de dix-huit mois sera conditionnée par le renouvellement préalable du titre de séjour du demandeur, lui-même obtenu par la preuve des efforts d'intégration que ce dernier aura accomplis.
Ferme, ce texte l'est aussi parce qu'il n'y a aucune raison pour que le mariage d'un étranger en situation illégale avec un Français implique ipso facto l'attribution du droit au séjour.
Ferme encore, parce que la délivrance au conjoint de la carte de résident de dix ans sera soumise à des conditions d'intégration et interviendra au bout de dix ans. En quoi est-il choquant de considérer que le mariage n'exonère pas du respect de certaines règles d'intégration ?
Si l'on souhaite devenir résident, il faut accepter les règles du lieu où l'on se rend.
Ferme, ce texte l'est surtout parce qu'il n'y a aucune raison de maintenir le principe, aberrant, selon lequel un étranger ayant réussi à se maintenir de façon irrégulière en France pendant dix ans gagnerait, en sorte de récompense, le droit à une régularisation automatique. Non seulement cette disposition entretenait l'incitation à la fraude, mais elle donnait également une prime à la clandestinité.
Mais ce texte est également juste : il fait le pari du mérite, en considérant qu'il convient de ne pas traiter les étrangers de manière uniforme.
Il est juste, car il encourage les bonnes pratiques en favorisant le maintien sur notre territoire de ceux qui jouent le jeu de l'intégration.
Il est juste et humain, parce que le préfet dans le département pourra régler, au cas par cas, les situations humanitaires les plus terribles en octroyant un titre de séjour.
Il est juste et humain, parce qu'il protège mieux les femmes immigrées contre la polygamie (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), ...
Mme Annie David. Trop, c'est trop !
M. Jean-Patrick Courtois. ...mais aussi contre l'excision ou les violences conjugales qui, sur notre sol, sont intolérables.
Sur mon initiative, et avec votre accord, monsieur le ministre d'État, la loi de 2003 avait déjà prévu de donner la possibilité au préfet de décider de ne pas retirer à un conjoint de Français ou d'étranger sa carte de séjour temporaire si la rupture de la vie commune était imputable à des violences.
Dans le même esprit, le présent projet de loi tend à renforcer également la protection de ceux qui, avant tout victimes de réseaux criminels, sont entrés en France et ont permis la mise en cause de proxénètes ou de marchands de sommeil en portant plainte contre eux.
Ce principe, que j'ai porté initialement en tant que rapporteur du projet de loi pour la sécurité intérieure, est aujourd'hui étendu afin que les personnes concernées, essentiellement des femmes, bénéficient d'une carte de droit commun leur permettant de s'engager dans une nouvelle vie sur notre territoire, qui les accueillera.
Ce texte est juste, parce que les immigrés qui travaillent sont favorisés par rapport à ceux qui vivent des prestations sociales. En effet, il n'y a rien de scandaleux à considérer qu'une immigration doit être principalement conditionnée par le travail. Comment prétendre réconcilier les Français avec l'immigration, si cette dernière est principalement assimilée à la course aux revenus de l'assistance ?
Plus les étrangers présents sur notre sol travailleront, plus ils seront qualifiés, plus nos compatriotes pourront considérer alors l'immigration comme un vecteur d'enrichissement réciproque, de partage bénéfique.
Il s'agit d'aller vers une immigration choisie et désirée, et je veux insister sur ce point.
Ce texte est juste, parce que, pour la première fois depuis le début de la crise économique de 1973 et donc depuis l'apparition d'un chômage structurel dans notre pays, nos frontières sont rouvertes pour une immigration du travail.
M. Charles Gautier. Tu parles !
M. Jean-Patrick Courtois. En n'opposant plus la situation de l'emploi à l'introduction de main-d'oeuvre étrangère, nous donnons à notre pays la chance d'avoir une immigration diversifiée.
Tel est le principal enjeu de l'ensemble de notre politique migratoire.
La fermeté que nous appelons de nos voeux n'est pas un repli sur soi. Elle était le préalable à une politique d'immigration choisie et acceptée par nos concitoyens.
Mes chers collègues, c'est parce que nous avons fait la preuve que nous ne tolérerions aucun laxisme en matière d'immigration irrégulière que nous pouvons à présent passer à une nouvelle phase : celle d'une immigration encouragée par les pouvoirs publics, avec l'assentiment de nos compatriotes - chose qui aurait été encore impossible voilà seulement quatre ans -, pourvu qu'elle soit source d'échanges et pleine de promesses pour le développement respectif de nos pays.
Mes collègues insisteront plus spécifiquement sur les différents aspects de ce très dense projet de loi, notamment les sénateurs d'outre-mer, qui apporteront à notre débat l'éclairage de leur expérience quotidienne des situations les plus dramatiques qui existent dans leurs collectivités. Je ne déflorerai donc pas le sujet.
Monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, parce que ce texte répond avec pragmatisme à la problématique de l'immigration et de l'intégration et parce qu'il entend apporter des réponses qui jetteront dans les années à venir les bases d'une nouvelle immigration fondée sur le choix d'une communauté de destin, notre groupe votera ce texte tel qu'il sera enrichi par nos travaux, plus particulièrement par les pertinentes propositions de notre excellent rapporteur, François-Noël Buffet, qui reprennent un certain nombre des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la France, depuis toujours, est une terre d'accueil. Elle doit le rester, et je vous remercie, monsieur le ministre d'État, de l'avoir rappelé au début de votre propos.
Mais les temps ont changé !
La liberté de circulation des personnes, inscrite dans l'Acte unique européen de 1986, s'est effritée devant la réalité brutale d'exodes massifs porteurs de violence, de xénophobie, de racisme et de désespoir.
Les pays du Nord craignent aujourd'hui que l'accélération du rythme auquel la mondialisation déploie ses diasporas ne bouleverse leurs équilibres déjà fragilisés par les défis du xxie siècle.
Parmi ces défis, l'immigration et l'intégration sont indissociables, tant elles se donnent mutuellement sens. Dans un avenir déjà proche, elles seront l'un des sujets fondamentaux et omniprésents du débat public.
Angélisme et naïveté ont trop longtemps prévalu. Les législations successives en matière de politique de l'immigration ne suffisent plus. La rencontre des temps et des géographies a grossi les nombres et accéléré les rythmes. L'immigration n'est plus une richesse, elle produit dans nos villes des colères et des peurs qui nous enjoignent de penser autrement nos politiques.
Le temps est venu d'élaborer une politique de l'immigration qui en finisse avec le clivage immigration-intégration, dans une législation à la fois soucieuse de la tradition humaniste d'accueil inscrite dans notre Constitution et suffisamment forte pour s'opposer à toute tentative de violation de nos lois et de nos valeurs, dans une législation qui soit entre devoir moral et observance républicaine !
Je souhaite que nous débattions de ce projet de loi par-delà les convenances et les faux-semblants, parce que les migrations internationales et la maîtrise des flux seront dans ce siècle le point de rupture ou le point d'harmonie entre les peuples.
L'échec des politiques de l'immigration constaté ces dernières années et les désordres coûteux qui en ont découlé ne sont pas seulement le fruit de l'immigration elle-même : ils sont davantage le résultat de la manière dont nous l'avons traitée.
Mon propos n'est pas ici de dénigrer le projet de loi : il est d'en souligner le bien-fondé, mais aussi les risques, étant acquis, ainsi que l'affirmait déjà en 1990 Michel Rocard, dont j'étais alors le ministre de la coopération et du développement, que la France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais qu'elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. Cette citation reste à mes yeux très pertinente.
La France doit-elle « choisir » ses immigrés ? Pour beaucoup d'entre nous, monsieur le ministre d'État, là est la pierre sur laquelle achoppe ce nouveau texte. Le terme me paraît mal choisi : on aurait parlé d'« immigration organisée », ce serait mieux passé.
M. Gérard Delfau. Hé oui !
M. Jacques Pelletier. Comment expliquer en effet à un adolescent d'Afrique qui risque sa vie sur les barricades de Ceuta que la France lui refuse « ce droit de vivre dignement » auquel il aspire, parce qu'il n'a pas les qualifications ou les compétences requises ?
Il serait vain et dangereux d'envisager la liberté comme le privilège de quelques-uns.
Bien sûr, talents et compétences sont les bienvenus. Un pays a tout à gagner à accueillir des scientifiques, des sportifs, des artistes, qui tissent entre les peuples un lien social de qualité et contribuent en même temps au rayonnement de notre pays et de notre langue. Gardons-nous cependant de trop d'élitisme. Il y a aussi dans les rues de Ceuta, et d'ailleurs, des jeunes dont l'intelligence et le courage valent bien des diplômes. Faudrait-il que les diktats économiques nous conduisent à mettre sur le marché des hommes et des femmes labellisés « bons » ou « mauvais » émigrés ?
Le principe d'une loi est non pas de diviser, mais de réunir, et le prix de la diversité fait la richesse de nos sociétés. En outre, tout en privant les pays du Sud des talents et des compétences dont ils ont un besoin bien plus important que le nôtre, nous n'empêcherions pas pour autant les gamins de Ceuta et d'ailleurs de tenter leur chance, encore, encore et toujours.
En conséquence, je proposerai dans un amendement que la carte « compétences et talents », accompagnée d'un engagement de retour, ne puisse bénéficier que d'un seul renouvellement.
L'exil n'est pas un choix ! Le droit à la vie et à la liberté, ce principe premier qu'énonce l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, nous enjoint de ne pas nous abriter derrière un arsenal uniquement répressif qui ne se justifierait qu'à partir de données quantitatives et occulterait les raisons profondes de l'émigration. Le partage des richesses contient aujourd'hui le devoir d'hospitalité.
À partir du même constat, et considérant que la suppression de la disposition qui permet la régularisation d'un étranger en situation irrégulière depuis plus de dix ans ne fera pas baisser significativement les chiffres - il semble que, actuellement, 3 000 personnes environ bénéficient chaque année de cette procédure -, je souhaite que les critères à partir desquels la commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour rendra son avis soient vraiment explicites, souples et évolutifs.
Devant cette aventure humaine, l'Europe et les pays tiers doivent nous accompagner. Comment imaginer une politique de l'immigration qui ne soit pas européenne ? Étant donné que l'écart entre Nord et Sud continuera d'alimenter la pression migratoire, il serait sage que les nations de l'Europe se retrouvent dans une stratégie migratoire commune pour conduire une action qui, à terme, pourrait revivifier une Europe à la recherche d'un nouveau souffle et revisiter par la même occasion la grande idée européenne en inscrivant cette action dans le respect des droits humains fondamentaux.
Pour ce qui est de l'aide au développement, nous connaissons suffisamment la perméabilité des frontières autant que la vanité des contrôles pour constater que le lien réel entre immigration et aide au développement n'autorise plus à agir sur la première sans tenir compte de la seconde. Face à l'immigration, le codéveloppement est vraiment la priorité des priorités !
Nous ne pourrons sans doute pas tarir l'immigration à la source, mais nous pouvons permettre à des populations parmi les plus défavorisées - pour lesquelles, je le répète, l'exil n'est pas un choix - de continuer à vivre chez elles dans des conditions normales. Cela suppose bien sûr une politique d'aide au développement énergique autant qu'une politique diplomatique ferme.
Nous savons de quoi ces populations ont besoin : d'une école, d'un hôpital, d'une démocratie, d'un État de droit ! C'est là ce que beaucoup d'entre elles n'ont pas. Cela favoriserait le dialogue entre le Nord et le Sud, alors que celui-ci est aujourd'hui abusé par des marchands de rêves, qui font payer aux plus démunis, parfois de leur vie, ce qui pour eux signifie un avenir : des papiers, un emploi, une famille. Nous pourrions alors construire avec eux une politique de l'immigration dans une gestion commune, sur la base d'intérêts et d'avantages réciproques.
À ce propos, je vous félicite, monsieur le ministre d'État, d'avoir commencé à discuter sur le terrain avec les responsables africains : c'est la seule façon de faire avancer le dossier.
Ce projet de loi doit être du reste l'occasion d'élaborer des dispositifs innovants en matière d'aide au développement en faveur des pays du Sud. Ainsi, l'amendement que je défendrai visera à permettre le renforcement de la contribution que les étrangers exerçant une activité professionnelle en France peuvent apporter au développement de leurs pays.
Je ne peux pas, monsieur le ministre d'État, passer en revue toutes les mesures envisagées.
Le dossier de l'immigration doit échapper aux partis et aux ambitions. Rassemblons-nous, comme le souhaitent les Français. Sans doute devrait-il en être ainsi de nos projets, débattus au mépris des conjectures, votés et amendés dans la raison et par l'expérience : gardons-nous, pour séduire, d'inspirer de la crainte ou de faux espoirs à ceux que nous vantons.
Ce texte, légitime, est perfectible, donc amendable. Dans l'union, je souhaite, monsieur le ministre d'État, que vous accueilliez avec bienveillance nos amendements. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi nous invite à légiférer sur deux sujets complémentaires : l'immigration et l'intégration.
Pour la première fois, un gouvernement prend en compte la nécessité de lier ces deux notions et voit - enfin ! - dans l'intégration un « objectif prioritaire d'une immigration réussie ».
Des événements récents, mais aussi de plus anciens, montrent que, ces dernières décennies, nous n'avons pas pris la mesure de l'importance d'une vraie politique d'intégration, considérant que tout étranger arrivant en France devait s'y sentir automatiquement chez lui. Cela n'a pas été le cas, et il est désormais de notre devoir de permettre à tout étranger arrivant en France de s'insérer dans notre société sans être victime de stigmatisation, de rejet, ou de discriminations.
Le projet de loi a pour ambition de lutter contre l'immigration dite « subie ». Pourtant, les chiffres annoncés nous montrent clairement que la majeure partie des personnes qui rejoignent notre territoire le font dans le cadre de la vie privée et familiale. Les dispositions phare de ce texte ne concernent donc qu'une part infime des étrangers qui, chaque année, entrent en France régulièrement. Au mieux, ou au pire, selon l'angle d'approche, elles ne repousseront les regroupements familiaux que de six mois ou d'un an, sans faire baisser de façon significative le nombre annuel d'immigrés.
Au contraire, la déstabilisation des liens familiaux que va engendrer ce projet de loi nous inquiète. En modifiant les règles actuelles, il risque en effet de faire augmenter considérablement le nombre des sans-papiers et d'accroître ainsi la précarité que connaît une partie des étrangers vivant sur notre sol.
Faute de temps pour balayer l'ensemble du projet de loi, je me contenterai d'évoquer trois points qui me tiennent à coeur : le contrat d'accueil et d'intégration ; la protection des femmes étrangères ; la carte de séjour « compétences et talents ».
Si j'apprécie à sa juste valeur la création du contrat d'accueil et d'intégration, je pense qu'il ne va pas encore assez loin, en particulier dans l'accompagnement et le suivi des primo-arrivants, bien après la signature du contrat.
C'est pourquoi il me paraît indispensable d'enrichir ce texte par des mesures qui pourraient favoriser l'action des associations. On sait que celles-ci sont déjà des relais efficaces pour répondre aux difficultés quotidiennes que rencontrent les étrangers qui arrivent sur notre territoire. On pourrait faire mieux en passant avec elles des conventions ou des contrats d'objectifs leur permettant d'aller plus loin encore dans l'aide à l'intégration. Cela impliquerait, bien sûr, un accroissement des moyens que nous nous devons de leur fournir.
Ce « contrat d'accueil et d'intégration » que vous nous proposez d'adopter, monsieur le ministre d'État, est l'occasion d'affirmer notre attachement au respect des valeurs de notre République. À ce titre, il me paraît particulièrement important que les femmes étrangères en soient signataires afin qu'elles puissent prendre conscience que, dans notre pays, hommes et femmes sont égaux et bénéficient des mêmes droits.
Ce contrat permet ainsi d'affirmer que, si nous respectons les coutumes et les traditions des immigrés venus de pays où les cultures sont différentes, nous ne pouvons tolérer que ces dernières, pratiquées en France, puissent porter atteinte à la liberté, à l'intégrité et à la dignité des femmes telles que les conçoit notre République.
J'ai bien noté, monsieur le ministre d'État, que, devant l'Assemblée nationale, vous avez fermement marqué votre intention d'être particulièrement sévère à l'égard des hommes qui seraient tentés d'empêcher que leurs épouses, leurs soeurs ou leurs filles bénéficient de ce contrat.
L'aide à la promotion et à l'émancipation des femmes est d'autant plus importante que c'est par elles que passe essentiellement l'éducation des enfants.
Leur permettre l'accès à la langue, à la connaissance de leurs droits, à la lecture et à l'écriture du français, c'est aussi leur donner une ouverture sur le monde, sur leur pays d'accueil, et leur permettre de mieux préparer leurs enfants à s'y sentir à l'aise.
Il est évident que, là encore, les associations joueront un rôle primordial.
Ces femmes étrangères doivent aussi être protégées.
Des amendements votés par les députés vont dans ce sens. Nos collègues ont ainsi prévu la protection des femmes contre les conséquences de la polygamie, en privant de l'immunité familiale les hommes faisant venir illégalement une co-épouse, et en permettant le versement des prestations familiales par l'intermédiaire d'un « tuteur aux prestations familiales » ; la protection des femmes victimes de proxénétisme ; la protection des femmes contre les violences conjugales, en consacrant le principe du non-retrait du titre de séjour à la victime, en cas de rupture de la vie commune pour violence.
Nous devons aller encore plus loin et imposer à l'autorité administrative de procéder au renouvellement de ce titre, car nous ne pouvons ignorer le risque majeur que court une femme renvoyée au pays, après rupture du lien conjugal, et qui peut être considérée là-bas comme ayant « déshonoré » sa famille.
La France ne peut prendre le risque d'être complice d'éventuelles sanctions et il convient d'assurer la protection de ces femmes, victimes de violences, en leur permettant de se maintenir sur le territoire français.
Toutes ces mesures de protection vont dans le bon sens. Il n'en est pas de même de la carte de séjour « compétences et talents ».
Cette disposition du projet de loi nous paraît particulièrement inquiétante et la carte de séjour « compétences et talents » telle que vous la présentez suscite beaucoup d'interrogations.
Sur quels critères exacts sera-t-elle délivrée ? Qui sera en mesure d'approuver les compétences et les talents ? Qui sera en mesure de décider que ces compétences et ces talents sont plus dignes d'intérêt et de confiance chez telle ou telle personne ?
Comment allez-vous expliquer aux pays d'origine qu'on facilite l'expatriation de leurs meilleurs éléments ? Le président du Sénégal a d'ailleurs manifesté son inquiétude en rappelant ce que coûtait à son pays la scolarité d'un jeune et d'un étudiant.
Comment peut-on enfin être certain qu'après trois ou six ans l'étranger talentueux et compétent, qui aura acquis une expérience supplémentaire en France, ne la quittera pas pour un autre pays accueillant, le Canada, les États-Unis ou l'Australie, par exemple ?
Au nom du groupe UC-UDF, j'ai déposé deux amendements de suppression, le premier visant l'article 1er, le second, l'article 12. Ces articles introduisent une disposition sur laquelle nous ne pourrons vous suivre si votre projet de loi est maintenu en l'état.
Faute de temps, je ne développerai pas les autres points tout aussi importants et qui nous posent problème.
Il s'agit de l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale, à travers l'obligation faite au conjoint de présenter un visa de long séjour, ou du durcissement des conditions du regroupement familial.
Il s'agit également - c'est un point plus important encore - de l'abrogation de la possibilité de délivrer un titre de séjour aux étrangers prouvant leur présence en France depuis au moins dix ans.
Cette disposition va enfoncer dans la précarité perpétuelle des étrangers qui ne repartiront probablement jamais dans leur pays.
La solution d'une commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour ne nous semble pas satisfaisante.
Nous souhaiterions que soient préservées les dispositions actuelles, qui permettent une reconnaissance automatique des attaches personnelles, nouées par un étranger ayant résidé plus de dix ans dans notre pays et vivant une intégration de fait.
En effet, on voit mal comment une commission nationale serait en mesure d'examiner des dossiers individuels.
Si la compétence d'une commission devait toutefois être maintenue, il nous semblerait plus pertinent de confier cette mission aux commissions départementales, plus à même d'examiner les situations particulières d'étrangers justifiant d'une ancienneté de séjour sur le territoire, d'attaches familiales ou de situations humanitaires ou exceptionnelles.
Nous avons donc déposé des amendements qui ont pour objectif de réduire la distance entre la prise de décision et les situations de terrain.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre d'État, si plusieurs dispositions de ce projet de loi vont dans un sens qui nous convient, nous ne sommes pas favorables à tous ses aspects.
Nous regrettons, en particulier, qu'il ne prenne pas suffisamment en compte une nécessaire approche globale des rapports Nord-Sud et l'aide au développement des pays d'où partent les émigrés qui arrivent sur notre territoire.
Ce n'est qu'au travers de cette coopération, qui devrait d'ailleurs se faire à l'échelle européenne, que les étrangers pourront aussi choisir et non subir l'expatriation. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
Organisation de la discussion des articles
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, pour la bonne organisation de nos travaux, je souhaiterais vous soumettre dès maintenant, pour que chacun puisse s'organiser, plusieurs demandes que la commission des lois a évoquées ce matin, lors de sa réunion consacrée à l'examen des amendements extérieurs.
Premièrement, nous souhaiterions réserver l'examen de l'article 1er après l'examen de l'article 12, car il tire les conséquences des autres articles.
Deuxièmement, nous souhaiterions réserver l'examen des articles 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l'article 22 jusqu'après l'examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l'article 32 ; il s'agit en effet de la transposition de directives et il paraît préférable d'avoir d'abord le débat de principe.
Troisièmement, enfin, aux articles 7 et 24 sont regroupés en discussion commune respectivement vingt-cinq et trente-neuf amendements ; c'est une pratique à laquelle nous sommes habitués mais qui a pu surprendre certain membre de votre gouvernement, monsieur le ministre d'État. (Sourires.)
En commission, les auteurs des amendements portant sur l'ensemble de chacun des deux articles, qui ont entraîné cette mise en discussion commune, ont admis que nos débats seraient mieux structurés si nous examinions tout d'abord séparément ces amendements-là. Cela nous permettrait ensuite des discussions communes réduites plus intelligibles sur chaque partie des articles 7 et 24.
M. le président. En application de l'article 44, alinéa 6, du règlement, le président de la commission des lois demande donc la réserve, d'une part, de l'article 1er jusqu'après l'article 12, d'autre part, des articles 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l'article 22 jusqu'après les amendements tendant à insérer des articles additionnels après l'article 32.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve formulée par la commission des lois ?
M. le président. La réserve est ordonnée.
En outre, le président de la commission des lois a demandé l'examen séparé, d'une part, de l'amendement n° 287 de Mme Eliane Assassi, tendant à la rédaction globale de l'article 7, d'autre part, des amendements identiques nos 169 et 348, respectivement de M. Bernard Frimat et de Mme Eliane Assassi, tendant à la suppression de l'article 24.
Il s'agit d'éviter la mise en discussion commune « automatique » de vingt-cinq amendements sur l'article 7 et de trente-neuf amendements sur l'article 24, et de clarifier ainsi nos débats.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
6
NOMINATION D'UN MEMBRE D'UNE COMMISSION
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires culturelles.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Annie Jarraud-Mordrelle membre de la commission des affaires culturelles à la place laissée vacante par André Labarrère, décédé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Immigration et intégration
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous défendons, et cela ne vous étonnera pas, une autre approche de l'immigration que celle du Gouvernement, une approche que nous voulons fidèle aux traditions qui ont fait l'honneur de la France aux meilleures périodes de son histoire. Nous défendons une politique qui serve à la fois le rayonnement de la France, les intérêts de notre pays et ceux de la communauté internationale.
C'est dans ce sens, monsieur le ministre, que nous aimerions vous voir agir comme gouvernement de la France et comme représentant de l'un des États membres de l'Union européenne.
Nous vous proposons donc une autre politique.
Notre première proposition est de prendre en compte la situation et les intérêts des pays d'où part l'immigration, et cela dans trois directions : en répondant aux impératifs politiques, au respect des droits de l'homme dû aux immigrés et au besoin de développement économique de leur pays.
S'agissant tout d'abord des impératifs politiques, les trois pays du Maghreb, en premier lieu l'Algérie, et les pays de l'Afrique subsaharienne francophone sont unis à nous par des liens historiques que nous ne pouvons défaire unilatéralement pour nous replier dans une forteresse, alors que nous leur avons tant demandé dans le passé en termes humains, politiques, militaires, diplomatiques, et qu'ils sont aujourd'hui spoliés par la spéculation internationale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Louis Mermaz. Pour ce qui est, ensuite, du respect des droits de l'homme, ces valeurs universelles et intangibles sont affirmées dans la Convention européenne des droits de l'homme et dans la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, conventions auxquelles nous sommes partie prenante. Or votre gouvernement n'honore pas la parole donnée par la France lorsque, dans le présent projet de loi, vous portez atteinte au droit de vivre en famille en établissant que le regroupement familial ne pourra désormais être sollicité qu'après dix-huit mois de résidence, avec des critères de logement et de ressources revus à la hausse. Je vous demande d'ailleurs combien de temps s'écoule entre la demande et l'autorisation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bonne question !
M. Louis Mermaz. Vous n'avez pas honoré la parole de la France en voulant chasser, à partir du 4 juillet prochain, les enfants dont les parents sont sous le coup d'une menace d'expulsion du territoire. Devant la mobilisation des enseignants, des parents, de nombreux élus, vous vous êtes ravisé, mais jusqu'à quel point ? Nous attendons du Gouvernement des explications précises à ce sujet.
Enfin, vous ne respectez pas les droits de l'homme lorsque vous vous obstinez à enfermer toujours plus d'étrangers dans les centres de rétention administrative, dont plusieurs sont dans un état innommable - promiscuité, surpopulation avec l'allongement des délais de rétention -, à dresser des obstacles de toutes sortes devant les personnes retenues qui voudraient faire valoir leurs droits.
Le troisième axe d'une politique qui répondrait à la situation et aux intérêts des pays d'où part l'immigration réside dans le développement économique de ces pays, sans lequel rien ne sera possible s'agissant de la question qui nous occupe.
Or là aussi vous tournez délibérément le dos à ce qu'il convient de faire. La carte de séjour dite « compétences et talents » conduira à piller les pays francophones de leurs élites et à en faire les subalternes de notre économie. C'est la poursuite en ce début de siècle du pacte colonial dans des aspects particulièrement prédateurs.
M. Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal, secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie, considère que ce dispositif est « politiquement et moralement inacceptable ».
Le Premier ministre du Niger, M. Hama Amadou, a déclaré le 19 mai dernier dans une interview à l'Humanité : « Quand un pays ami, avec lequel nous entretenons des liens historiques et culturels aussi profonds, se met en tête de pratiquer une politique qui consiste à le délester de ses meilleurs cerveaux et lui laisser les peu ou pas qualifiés, ceux qu'ils considèrent comme des inutiles [...] il y a quelque chose de manifestement choquant et d'insultant dans ce tri ».
Oui, nous assisterions à la poursuite, sous des formes nouvelles, du vieux pacte colonial et à la transposition en France, comme dans d'autres pays de l'Union européenne qui ont oublié aujourd'hui les engagements pris en 1999 au Conseil européen de Tampere, des pratiques qui ont cours aux États-Unis en matière d'immigration et qui privilégient l'entrée sur leur territoire des hommes et des femmes hautement qualifiés dont leur économie a besoin, sans se soucier de la situation dans le reste du monde.
Notre deuxième proposition consiste à donner la priorité à l'intégration des étrangers qui vivent et travaillent chez nous, y compris, bien entendu, aux ressortissants des pays extérieurs à l'Union européenne. Dès lors qu'ils résident légalement sur notre territoire, leur statut juridique doit se rapprocher de celui de nos ressortissants.
Je dénonce donc à nouveau les entraves supplémentaires au regroupement familial, les nouveaux obstacles opposés à celles et à ceux qui veulent se marier. Dans le cas des mariages mixtes, il faudrait désormais justifier de trois ans de mariage au lieu de deux pour pouvoir demander une carte de résident de dix ans, l'étranger perdant cette carte en cas de séparation dans les quatre ans qui suivent le mariage.
Par ailleurs, est-ce favoriser l'intégration des étrangers vivant sur notre sol que de leur imposer un interminable délai de quatre ans, au lieu de deux, avant de pouvoir demander la nationalité française ?
Après cela, vous pouvez toujours proposer l'organisation de cérémonies d'accueil - qui existent déjà, d'ailleurs - oui, d'accueil, à l'issue d'un parcours épuisant, aléatoire et humiliant.
En fait, le durcissement de la législation, au lieu de faciliter l'intégration, va déstabiliser et fragiliser un peu plus les familles étrangères.
La circulaire ministérielle du 21 février dernier, adressée aux préfets et aux procureurs, explique dans les moindres détails les modalités d'interpellation des étrangers, parmi lesquels figurent les personnes sans titre de séjour ou ne disposant plus que d'un titre périmé, et les déboutés du droit d'asile. Pas un endroit n'échapperait désormais à cette traque : salles d'attente ou halls d'accueil des hôpitaux, véhicules, guichets des préfectures, sièges d'associations, foyers et centres d'hébergement.
Ainsi l'angoisse monte-t-elle, même chez les migrants qui ne sont pas concernés par ce projet de loi parce qu'ils ont des papiers, un travail, un logement. Il devient de plus en plus difficile de s'intégrer dans une société bardée de lois et de règlements, une société de plus en plus inhospitalière.
Reste la situation délicate et douloureuse des sans-papiers qui, dans la plupart des cas, sont des personnes dont les visas et les titres de séjour sont désormais périmés. Jusqu'alors, après dix ans de présence en France - excusez du peu ! -, ils bénéficiaient d'une régularisation automatique et sortaient enfin, eux et leur famille, de la clandestinité et de la précarité : travail pénible, logement sordide, santé déficiente. Eh bien, ce sera terminé ! Les régularisations éventuelles seront faites au cas par cas par les préfets, sur avis des maires, avec le risque d'incohérence et d'arbitraire que l'on imagine.
Notre troisième proposition concerne les flux migratoires.
Il faut bien entendu combattre et réprimer la traite des êtres humains et sévir énergiquement contre les organisations mafieuses en s'efforçant de les atteindre à la tête. Mais il convient de se garder d'introduire dans notre législation un système de quotas, même camouflé. Or le Gouvernement voudrait présenter chaque année au Parlement un rapport sur la politique d'immigration fixant des objectifs quantitatifs sur le nombre de migrants autorisés à entrer en France. Sur quels critères ? L'être humain serait, selon les besoins du marché, réduit à sa seule force de travail, avec la perspective de rémunérations et de conditions de vie bien entendu inférieures à celles des ressortissants du pays d'accueil.
Il importe par ailleurs de se garder de la pratique des charters européens et de l'ouverture de camps de regroupement et d'internement des immigrés dans un certain nombre de pays d'Afrique, disposition qui tourne le dos aux engagements qui ont été pris à Tampere.
S'agissant des flux migratoires, nous proposons que notre pays s'engage sur une autre voie et entraîne l'Union européenne dans une grande politique de codéveloppement, qui. seule permettra de réguler les flux, de parvenir à des échanges équilibrés entre des pays devenant progressivement des partenaires. L'entrée graduelle des pays du Maghreb dans une zone d'échanges économiques commune avec l'Union européenne permettrait à terme d'inverser les tendances actuelles, dans l'intérêt des deux rives de la Méditerranée.
Notre quatrième proposition consiste à accorder un respect absolu au droit d'asile.
Or les dispositions que vous proposez dans le présent projet de loi aggravent celles qui ont déjà été arrêtées dans la loi du 10 décembre 2003, laquelle permet le renvoi des déboutés du droit d'asile dans des pays ou des régions prétendument sûrs, selon une liste arrêtée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, et appelée à s'allonger et à s'étoffer le moment venu d'une seconde liste dressée par l'Union européenne. Et maintenant, vous voulez soumettre les demandeurs d'asile relevant de cette liste, aux termes d'un projet de décret, à une procédure prioritaire qui, en cas de refus de l'OFPRA, ne leur laisserait plus que quinze jours pour saisir la Commission des recours des réfugiés.
Enfin les centres d'accueil des demandeurs d'asile, les CADA, ne recevraient plus les étrangers relevant de cette procédure prioritaire : ni les réfugiés ni les déboutés. Pour faire bonne mesure, vous voulez soumettre à l'avenir les associations et les organisations gestionnaires à une surveillance administrative et policière, avec menaces de sanctions lourdes à l'encontre des personnels et des organismes qui refuseraient de participer à cette répression.
Mais où est le respect des conventions internationales et de notre propre Constitution ? Non, il faut revenir au respect absolu du droit d'asile !
Une politique de l'immigration devrait au contraire viser à raffermir les liens entre la France et l'Afrique, dans le respect d'un passé commun.
Pour y parvenir, il faudrait renforcer dans les consulats les moyens en personnels, afin d'instruire correctement et rapidement les demandes de visas. Or vous avez au contraire décidé d'organiser un embouteillage monstre par les nouvelles dispositions de délivrance sur place des visas de long séjour.
Il faudrait aussi donner plus de souplesse aux allers et retours entre la France et les pays tiers, mettre fin, dans les préfectures, aux interminables heures d'attente auxquelles sont astreints les demandeurs de titre de séjour, développer la coopération en mettant un terme au pillage des matières premières et des productions agricoles des pays sources de l'immigration.
Il faut enfin aider à l'équipement et au développement économique de ces pays et former sur place les personnels nécessaires à ce développement.
Le Gouvernement a échoué dans le règlement du problème de l'immigration. Il a cru, à tort, que la solution pouvait être ramenée au tout répressif. Ainsi, il a abouti au maintien, voire à l'augmentation du nombre de clandestins voués à l'exploitation, à la détresse, à la misère. Oui, le Gouvernement a échoué, ici comme dans le domaine de la sécurité !
Les opérations « coup-de-poing », les rodomontades, l'affichage n'ont jamais fait une politique. La gesticulation ne remplacera jamais l'action en profondeur, concertée et réfléchie.
Le Gouvernement présente un second projet de loi sur l'immigration, dans la foulée du précédent, deux ans et demi plus tard. Il se vante de viser le chiffre de quelque 25 000 reconduites aux frontières par an, mais la moitié des reconduites concerne l'outre-mer, où les droits de l'homme sont d'ailleurs tout autant bafoués. Ainsi, 7 500 reconduites sont effectuées depuis la seule île de Mayotte. Devant l'Assemblée nationale, M. Christian Estrosi a avancé le chiffre de 40 000 reconduites. Voilà qui serait nouveau !
Le présent projet de loi est détestable à plus d'un titre, dans sa substance bien sûr, mais aussi dans ses motivations, puisqu'il a pour objet de placer les prochaines élections sur un terrain que le Gouvernement croit favorable à ses intérêts et de recycler les voix d'extrême droite à son profit. Peu importe, dans ces conditions, que le Parlement et la majorité actuelle subissent un véritable dévoiement des institutions.
Toutes ces raisons nous conduiront donc à nous opposer fermement à un projet de circonstance, de surcroît liberticide. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est l'avantage, ou la force, du débat parlementaire : je ne vais pas prononcer le discours que j'avais préparé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chouette !
M. Roger Karoutchi. En effet, à la fois parrain d'un certain nombre de filleuls issus de l'immigration, dans la ville de Nanterre, mais aussi, en parallèle, inspecteur général en histoire, je me sens interpellé par les propos qui ont été tenus par divers orateurs sur les responsabilités de la France, sur le fameux « pacte colonial », sur le passé, sur ce que nous devons dire ou ne pas dire, etc.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh là là !
M. Roger Karoutchi. Attendez, je n'ai pas encore commencé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais nous craignons déjà ce que vous allez dire !
M. Roger Karoutchi. N'ayez pas peur, cela va même vous plaire !
Quand le ministre d'État dit qu'il n'y a pas eu de politique d'immigration claire en France, depuis une trentaine d'années, il a raison.
M. Jacques Peyrat. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Or cette période a connu des gouvernements de droite et de gauche. Par conséquent, tout le monde porte sa part de responsabilité et doit l'assumer. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ne nous lançons pas seulement des invectives ! Essayons d'échanger des idées !
À quoi étaient liées les politiques migratoires de la France jusqu'à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aux besoins de l'industrie !
M. Roger Karoutchi. Ne faites pas mon discours à ma place !
La réponse est simple : il y avait un empire colonial. Chacun en pense ce qu'il veut, mais, après la guerre, les immigrés étaient, pour l'essentiel, issus de cet empire. Et la France avait forcément une responsabilité historique - plusieurs orateurs de gauche l'ont rappelé - à l'égard d'un certain nombre d'États, anciennement colonies françaises, qui entretenaient avec notre pays des liens humains, militaires, historiques, etc., nés au cours des deux guerres mondiales.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et des liens linguistiques !
M. Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. Jacques Peyrat. D'amitié !
M. Roger Karoutchi. Et d'amitié !
Avec les textes de Pierre Mendès-France et de Guy Mollet, la France de la fin des années cinquante - en meilleur état que celle d'aujourd'hui dans certains domaines - a commencé à s'interroger sur ses capacités à ouvrir complètement ses frontières, à être le réceptacle d'un « peuple-monde ».
Mme Éliane Assassi. La France en avait besoin !
M. Roger Karoutchi. Pierre Mendès-France, Guy Mollet, comme d'autres, ont répondu par la négative à cette question. Pendant de longues années, nous avons mené une réflexion quasi impériale sur l'immigration.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'était le plein-emploi !
M. Roger Karoutchi. Puis est arrivée la crise économique du début des années soixante-dix. Et nombreux sont ceux, à gauche comme à droite, qui se sont demandé si cette responsabilité historique pouvait encore être assumée dans un pays où le chômage croissait de manière régulière et où les conditions d'accueil des immigrés étaient de plus en plus difficiles, parce que la situation sociale était de plus en plus rude pour tout le monde.
J'entends dire que la situation actuelle n'est pas acceptable, qu'il y a de plus en plus de clandestins, etc. Or ces phénomènes ne sont pas apparus en trois ou quatre ans, ni même en cinq ou dix ans ! Tous les gouvernements successifs, de gauche et de droite, portent une part de responsabilité en la matière.
Cette situation n'est plus admise par la majorité des Français. Qu'il faille traiter aujourd'hui ce sujet de manière humaine est une évidence. Je considère que les mesures prises par le Gouvernement respectent cet impératif.
Le Gouvernement souhaite maîtriser les flux. Cette ambition est légitime dans la mesure où nous ne sommes plus, en France, dans une situation idyllique, mythique, rêvée, dans laquelle on peut croire qu'il est possible d'ouvrir largement les frontières. Le débat porte sur les conditions dans lesquelles la situation peut changer, tout en respectant les droits de l'homme et les principes d'humanité, parce que le contexte politique et humain s'est modifié.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce qu'a dit tout à l'heure M. Frimat sur l'ouverture au monde. Mais il y a aujourd'hui neuf cents millions d'Africains, un milliard d'Indiens, et je pourrais citer d'autres cas. Il est certain que la France de soixante millions d'habitants n'a pas la capacité économique, financière, sociale ou humaine de dire : « déshérités du monde, vous pouvez tous venir ! »
M. Bernard Frimat. Je n'ai jamais dit cela !
M. Roger Karoutchi. Je n'ai pas dit que vous l'aviez dit !
Personne ne peut reprocher aux populations des pays en difficulté de vouloir améliorer leur sort ! Par conséquent, nous sommes aussi dans l'obligation de faire du codéveloppement, mais avec mesure, discernement et en coresponsabilité : oui à la réduction de la dette, oui à des pactes de croissance bilatéraux avec les pays en voie de développement pour faire en sorte, justement, que les populations locales trouvent des emplois et aient un avenir sur place.
On m'oppose le risque de « piller les meilleurs » ! Sachez qu'aujourd'hui les « meilleurs » des pays africains, d'Inde ou d'ailleurs ne viennent pas en France : ils partent aux États-Unis, au Canada, en Australie !
Les temps ont changé, la France a changé, mais elle est capable de passer de vrais accords avec les pays concernés du Maghreb ou d'Afrique noire sur les politiques migratoires, pour attirer par un certain nombre de mesures ceux qui ont du talent et des compétences, tout en faisant en sorte que le pays en voie de développement concerné bénéficie d'un retour et que nous établissions un pacte de croissance avec lui.
Mais dire aujourd'hui aux Français que nous ne pouvons ni ne devons rien faire pour limiter ou mieux contrôler les flux migratoires ne ferait qu'aggraver les tensions ; nous le savons tous, et bien des gens à gauche le disent aujourd'hui sans tabou.
Nous avons ainsi le choix entre un discours idéologique - mais il n'y a pas de « peuple-monde » - et un discours plus pragmatique, qui est celui du Gouvernement : nous ne renions ni les droits de l'homme, ni les grands principes, ni ce qu'a fait et ce qu'a été la France, ce qu'elle incarne ; mais nous savons également que nous ne pouvons pas, seuls, rendre le monde meilleur et plus beau. La France peut toutefois y prendre sa part avec le codéveloppement, le pacte de croissance, une politique de régulation qui fasse en sorte que, en France aussi, y compris dans les quartiers les plus difficiles, tout le monde retrouve le sens de la tolérance et de la responsabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, légiférer sur la question de l'immigration engendre toujours un climat passionnel. Néanmoins, ce sujet ne doit pas être tabou : compte tenu des enjeux, il est important qu'il ne soit pas écarté du débat démocratique. Il ne l'est d'ailleurs pas, il faut le reconnaître, puisque le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration est soumis à notre discussion trois ans après l'adoption de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.
On peut quand même s'interroger sur les raisons qui vous poussent à proposer deux textes de même nature, sur un sujet difficile et polémique, au cours d'une seule législature. J'ai entendu des interprétations diverses, d'ailleurs, de la part des intervenants qui m'ont précédé.
Parce que l'immigration est une question sensible qui, bien souvent, catalyse certains extrémismes, il revient aux républicains responsables de s'évertuer à tenir un langage de vérité permettant de vaincre les préjugés.
Il nous faut d'abord rappeler que « l'immigration zéro » est illusoire. On en a pourtant beaucoup parlé ces dernières années. Tout au long de son histoire, la population française s'est enrichie de nombreux apports extérieurs, rendant le concept de Français de souche complètement infondé, désuet.
Forte d'une longue tradition d'accueil, d'un niveau de développement qui la hisse parmi les pays les plus riches, symbole des libertés démocratiques, la France a toujours connu une pression migratoire. Ce serait donc tromper les Français que de leur faire croire à la perspective d'une diminution réelle de l'immigration.
C'est pourquoi, afin de rassurer nos concitoyens, il est aussi important de combattre un deuxième préjugé, celui qui consiste à dire que l'immigré ferait augmenter le chômage quand il travaille et qu'il pèserait sur les comptes sociaux quand il est sans emploi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il a toujours tort !
M. Jean-Michel Baylet. En effet, toute augmentation de population, qu'elle soit due ou non à l'immigration, agit mécaniquement sur l'offre et la demande. La protection de l'emploi est donc un faux problème, et l'on peut d'ailleurs noter que, depuis l'arrêt en 1974 de l'immigration professionnelle, le taux de chômage a, hélas ! été multiplié par quatre. Et les différents gouvernements qui se sont succédé sont concernés par ce constat.
En conséquence, les radicaux pensent que l'immigration ne doit pas être regardée, comme c'est trop souvent le cas, comme un fardeau ou comme une menace pour la cohésion sociale, même s'il existe, c'est vrai, des problèmes dramatiques dans certains quartiers où réside une forte population immigrée.
Cela étant, monsieur le ministre, ces difficultés sont avant tout le reflet de l'échec de la politique du gouvernement actuel, même si, au risque de surprendre, je pourrais m'associer dans une certaine mesure aux propos tenus par l'orateur précédent quand il soulignait l'échec des politiques des différents gouvernements. Quoi qu'il en soit, je ne chercherai pas à polémiquer, car telle n'est pas la tradition de cette maison.
En tout cas, le défaut d'intégration renvoie à une action publique inefficace dans les domaines du logement, de l'éducation, de la ville et de la jeunesse. La crise des banlieues de novembre dernier est une illustration de ces échecs.
En outre, la permanence de comportements discriminatoires, nés de préjugés tels que ceux que j'évoquais au début de mon propos, compromet gravement le sentiment d'intégration et le désir même de participation des immigrés à la vie du pays. Or le moins que l'on puisse dire, monsieur le ministre, c'est que ce projet de loi ne va rien arranger quant aux conditions de vie des immigrés, bien au contraire.
Tout d'abord, vous voulez, pour notre pays, une immigration choisie. Cette logique instrumentale s'oppose à la tradition d'hospitalité de la France, que nous devons assumer et qui est tout à notre honneur. En cela, cette logique ne s'inscrit pas dans le droit fil de la République fraternelle. Cette option est d'autant plus malvenue que la population d'immigrés est stable depuis trente ans, à hauteur de 6 % à 7 % de la population totale.
Alors, pourquoi ce texte, un texte qui organise le pillage des talents, la déstabilisation des familles et l'abandon des clandestins à leur sort ?
La réorganisation des différents documents de séjour, rendus plus restrictifs d'une façon générale, consiste à privilégier une catégorie d'immigrés. Vous souhaitez avant tout attirer les élites des pays en développement, ce qui est condamnable lorsqu'il s'agit, en contrepartie, de fermer la porte à tous les autres. Où est l'humanité dans une telle démarche, selon laquelle il y aurait les bons immigrés d'un côté, et les mauvais de l'autre ? Dans l'environnement international, vous pratiquez le tri sélectif entre une immigration jetable et une immigration recyclable.
Des voix se sont élevées, jusque sur le continent africain, pour dénoncer ce choix. L'instauration d'une échelle de valeur permettant de trier les immigrés n'est pas concevable au pays des droits de l'homme, monsieur le ministre, surtout lorsque l'on sait que rien n'empêchera ceux qui n'ont pas de diplôme de traverser les frontières.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr ! C'est de la poudre aux yeux !
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le ministre, en poursuivant votre objectif de combattre l'immigration subie, vous prévoyez de nombreuses dispositions qui seront lourdes de conséquences pour les familles.
Ainsi, alors qu'il ne concerne chaque année que 25 000 personnes, le regroupement familial sera rendu plus difficile. Avant de pouvoir faire venir sa famille, l'étranger devra attendre dix-huit mois, au lieu de douze actuellement, et démontrer qu'il pourra la faire vivre sans recourir aux minima sociaux. Pourtant, le droit de mener une vie familiale normale a été constamment réaffirmé par les textes, et se trouve protégé par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or, en tendant à durcir les conditions du regroupement familial, le présent projet de loi méprise ce principe.
Comme si cela ne suffisait pas, les modifications des conditions de délivrance de plein droit de la carte de séjour « vie privée et familiale » visent à compliquer la vie de ceux qui ont fait le choix d'un mariage mixte.
Toutes ces mesures vont finalement plonger des conjoints et des enfants dans la clandestinité, car ils feront tout, naturellement, pour rejoindre leur famille. Ils gonfleront alors les rangs des clandestins, que vous n'épargnez d'ailleurs pas non plus, monsieur le ministre, avec la suppression du mécanisme de régularisation automatique qui éloignera la possibilité, pour un clandestin installé en France depuis dix ans, d'obtenir un titre de séjour. Les situations de détresse vont se multiplier.
Une fois de plus, je le constate, la précarité est au coeur de la politique gouvernementale ; une fois de plus, la répression sert de boussole. Ces mesures ne feront que marginaliser les immigrés déjà installés, sans pour autant dissuader les plus déshérités de vouloir gagner des pays comme le nôtre, qui font tout de même toujours figure d'eldorado.
Dans un monde globalisé, la priorité, pour limiter l'immigration, me semble être plutôt de mettre en oeuvre une politique ambitieuse de coopération, à l'échelon européen autant que possible. Il faut encourager véritablement le codéveloppement pour aider les pays pauvres à l'être moins, et les peuples opprimés à se libérer. Dans cette optique, il est nécessaire de s'interroger sur la façon de préserver la dignité de l'homme au regard des mouvements migratoires.
Plutôt que d'essayer de contrôler ce qui est incontrôlable, il nous faut trouver les moyens d'une bonne politique d'intégration, où l'humanisme prendrait le pas sur les craintes et les égoïsmes. Restons fidèles aux valeurs de notre République, que je ne retrouve pas dans toutes les dispositions de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Giraud.
M. Adrien Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais indiquer en préambule que je suis de ceux qui côtoient au quotidien l'immigration clandestine.
Ce texte important, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, présente à mes yeux un double mérite.
Tout d'abord, il vise à réguler et à maîtriser, dans le cadre de la loi républicaine, ces mouvements migratoires qui sont, avec les problèmes de l'énergie, l'un des grands défis, l'un des enjeux majeurs de notre époque. Aucune région du monde n'échappe à ce phénomène.
Tantôt massives à la frontière mexicaine des États-Unis, tantôt sporadiques à travers les étendues désertiques du Sahara, les migrations humaines affrontent tous les dangers des traversées maritimes, dans le détroit de Gibraltar, dans le canal du Mozambique, sur les rivages de l'archipel des Canaries.
Ce constat préoccupant, nous le faisons presque tous les jours à Mayotte, territoire qui subit depuis de longues années, et dans un climat d'exaspération croissante de la population, une véritable invasion, d'origine comorienne pour l'essentiel, et très majoritairement clandestine.
C'est pourquoi le second mérite du texte aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat est de comporter plusieurs dispositions intéressant l'outre-mer français qui prennent en compte ses situations et ses problèmes spécifiques.
Je tiens à remercier très chaleureusement - c'est le mot qui convient lorsque l'on évoque l'outre-mer ! - tous nos collègues sénateurs membres de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine qui ont bien voulu participer à la mission d'information et d'étude à Mayotte avant d'en faire rapport et de présenter des propositions à notre assemblée, s'agissant des conséquences lourdes de cette immigration, mal contrôlée sur place et encore plus mal maîtrisée.
J'ai parlé de spécificités locales : elles sont évidentes à Mayotte et appellent, de toute urgence, la mise en oeuvre d'une politique d'ensemble, bien adaptée à nos particularismes.
Il faut, avant toute chose, constater les progrès continus de Mayotte depuis une vingtaine d'années, dont nous nous félicitons. Soyons clairs : ces progrès économiques, sociaux, sanitaires et éducatifs sont, à l'évidence, la conséquence très directe de la volonté exprimée et constamment réitérée, par les Mahorais, de demeurer au sein de la République française, alors que les Comoriens ont choisi librement l'indépendance lors d'un référendum.
On parlait, à l'époque, de « vent de l'Histoire ». Ces mêmes Comoriens reprochent aujourd'hui aux Mahorais d'y avoir résisté, et n'hésitent pas à traverser la mer en kwasa kwasa pour rejoindre Mayotte et bénéficier des progrès, de la liberté et des principes démocratiques.
Pour leur part, les Mahorais ont lucidement refusé - et j'ai été l'un des acteurs de cet épisode - de s'engager dans ce qui nous était apparu comme une aventure sans issue. De ce combat, souvent difficile, pour le progrès et le développement, pour la liberté et la paix, Mayotte commence à percevoir les premiers résultats, encore timides mais certains. Nous ne saurions admettre qu'une telle perspective soit anéantie par des dérèglements d'une immigration étrangère d'une ampleur exceptionnelle et dont la clandestinité accroît encore les dangers.
Mes chers collègues, je le dis aujourd'hui très simplement, mais avec gravité : l'immigration en provenance des pays voisins pose à Mayotte une question de survie.
Les chiffres, tout d'abord, donnent la mesure du poids démographique de l'immigration étrangère : même si ce type d'évaluation demeure sujet à caution, on estime aujourd'hui à 60 000 le nombre des étrangers vivant à Mayotte, soit plus du tiers de la population totale ; quant au nombre des clandestins, il serait de 45 000, c'est-à-dire les trois quarts de l'effectif des étrangers à Mayotte.
L'afflux de nouveaux immigrants clandestins risque de conduire à bref délai, suivant l'expression figurant dans le rapport de la mission parlementaire, « à une situation démographique explosive », et ce en dépit des reconduites à la frontière, qui représentent, nous dit-on, le quart des opérations de cette nature réalisées dans l'ensemble français.
Force est de constater qu'au regard du flux continu des nouveaux arrivants chaque année ce bilan des reconduites à la frontière demeure très insuffisant, le plus souvent faute de moyens soit de rétention administrative, soit de transport.
Un autre facteur de la croissance à terme de la démographie mahoraise réside dans le nombre de naissances déclarées par des femmes comoriennes venues à Mayotte dans l'espoir que leurs enfants pourraient ainsi acquérir la nationalité française. Telle est, en effet, la motivation principale de ces personnes qui croient, à tort, que le simple fait de naître à Mayotte suffit à conférer à l'enfant la nationalité française.
L'on ne saurait, enfin, ignorer que de nombreuses procédures fictives et abusives de reconnaissance de paternité de jeunes Comoriens modifient sensiblement la situation démographique de Mayotte, dont le territoire exigu de 375 kilomètres carrés supporte aujourd'hui une densité de population très élevée, de l'ordre de 425 habitants au kilomètre carré.
Les conséquences de ces déséquilibres sur le système hospitalier et sur nos dispensaires, en situation quasi permanente de surcharge, ont été maintes fois analysées. De même, nos écoles, en dépit des efforts cumulés de l'État et du conseil général de Mayotte, présentent des insuffisances continuelles, en termes de nombre de places ou de qualité d'enseignement, devant l'afflux des demandes issues de la population immigrée.
Mais à ces coûts visibles, il faut, de plus en plus, ajouter les coûts invisibles résultant des dommages causés notamment à l'environnement mahorais : les parlementaires en mission ont pu voir sur le terrain les conditions déplorables d'habitat dans ces villages d'immigrés comoriens.
On peut comprendre, dans ces conditions, l'exaspération de la population mahoraise, qui attribue, non sans raison, l'augmentation visible de la délinquance à la présence trop nombreuse des irréguliers et des clandestins.
Il est devenu urgent de définir et de mettre en oeuvre une politique d'ensemble susceptible de conjurer les risques de toute nature liés au refus et au rejet de cette immigration clandestine par les Mahorais.
Il importe d'abord de prendre conscience de la situation particulière de Mayotte, qui se trouve au sein d'une région à la fois très pauvre et très peuplée. Il faut redire que les avancées de l'économie et de la société mahoraises continuent d'exercer inévitablement un effet d'attirance sur les populations étrangères voisines, soucieuses de mieux vivre et avides de libertés à la française.
Ces considérations commandent la définition d'une politique à long terme, qui traite aussi bien les causes que les conséquences de ces pressions migratoires.
Tout d'abord, il convient de perfectionner et de mieux coordonner les instruments de lutte contre l'immigration clandestine et ses filières, qu'il s'agisse de la surveillance côtière et maritime, du contrôle des identités ou de la vérification des moyens de transport. Nos forces de police et de gendarmerie, que je tiens à remercier pour leur dévouement, doivent être dotées des moyens humains et techniques les plus adéquats. Nos procédures administratives concernant la rétention ou les reconduites à la frontière doivent être rendues plus efficaces.
Je veux aussi indiquer à M. le ministre de l'outre-mer combien j'approuve les dispositions du projet de loi visant à améliorer les dispositifs relatifs aux actes de l'état civil à Mayotte, où se multiplient, depuis quelque temps, les faux papiers. Ce travail de longue haleine est lancé depuis plusieurs années ; il doit être poursuivi et développé.
Mais l'essentiel réside évidemment dans la relance et l'approfondissement de la politique française de coopération régionale. La Réunion et Mayotte doivent devenir des pôles dynamiques, dans le cadre rénové de véritables contrats de partenariat incluant et conjuguant à la fois actions de développement et maîtrise de l'émigration, éducation, santé et formation des hommes.
Telle est, selon nous, la véritable signification du codéveloppement, qui ne peut procéder que de responsabilités partagées.
La multiplication des flux migratoires apparaît, en définitive, comme l'une des manifestations de la mondialisation, c'est-à-dire de l'élargissement considérable des échanges de biens, de services et de personnes. Une telle évolution est également favorisée par les facilités de transports et les communications modernes.
Mais ce sont surtout les écarts de développement entre pays, régions et continents qui, en s'aggravant, risquent d'entraîner, à l'avenir, de véritables exodes de populations.
Déjà les frontières se ferment de plus en plus. La question du développement des pays pauvres et émergents reste plus que jamais d'actualité. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui est la trente-huitième réforme proposée sur l'immigration depuis 1980. Il survient moins de trois ans après l'adoption de votre première loi sur l'immigration, alors que cette dernière n'a encore fait l'objet d'aucun bilan ni d'aucune évaluation.
Ce nouveau texte illustre les motivations qui animent des ambitions présidentielles. Dans cet unique objectif, vous vous lancez dans une course effrénée pour rabattre les voix des électeurs à la droite de la droite.
Disons-le franchement, cette loi est avant tout une loi d'affichage, une loi de marketing politique. Votre Gouvernement tente de faire croire que notre pays « subit » une immigration, qui apparaît comme une sorte d'invasion continue d'étrangers. Ainsi, vous créez la peur, pour ensuite rassurer par un discours démagogique et populiste.
Or la vérité, monsieur le ministre, c'est que la France, quels que soient les gouvernements, de droite comme de gauche, a toujours choisi son immigration et ne l'a jamais subi. Il faut le dire au peuple français !
Si vous le permettez, effectuons un petit travail de mémoire, salutaire à tout le monde. La France n'a jamais subi l'immigration lorsque celle-ci prenait le visage de soldats marocains, algériens ou sénégalais venus combattre pour sa libération. La France n'a jamais subi l'immigration, bien au contraire, lorsqu'elle a choisi de faire venir massivement des migrants pour sa reconstruction sociale et économique.
Vous nous dites qu'il n'y a jamais eu de politique d'immigration. Il serait plus juste de dire que cette politique d'immigration n'a pas été efficace.
En 1974, après avoir fermé les frontières à l'immigration, on a cherché à diminuer la population étrangère en fixant comme objectif le retour de 35 000 personnes par an. Cette politique du chiffre ne vous dit rien ? On ne s'est pas gêné pour « jeter le citron une fois pressé ». Avez-vous oublié le million du retour de Giscard, en 1977 ?
La France n'a jamais subi l'immigration, lorsque, à la suite du soutien de nos dirigeants à de nombreux dictateurs qui massacrent et appauvrissent leur peuple, on a créé l'asile territorial, statut précaire pour les victimes qui cherchent une protection.
Le droit français en matière d'immigration n'a jamais été laxiste. Il n'a jamais octroyé des droits supplémentaires aux migrants étrangers, bien au contraire ! Encore récemment, il a retiré le droit de vote des commerçants et artisans étrangers aux élections professionnelles.
Un autre fait démontre que cette loi n'est qu'une loi d'affichage. Vous prétendez qu'elle permet non seulement de combattre l'immigration clandestine, mais aussi de favoriser l'intégration des migrants. Or la réalité contredit vos arguments. En effet, cette loi « fabriquera » de nouveaux clandestins et brisera des familles entières. Elle produira davantage de précarité et d'exclusion, et sera à l'origine de toujours plus d'inégalités et d'injustices.
Ce texte conforte votre dynamique qui consiste à déstabiliser la situation juridique des migrants installés régulièrement en France. Vous créez une multitude de statuts nouveaux permettant d'assigner à résidence pour une durée illimitée.
Cette déstabilisation passe notamment par la suppression du renouvellement de plein droit de la carte de résident. Vous poussez dans la pire insécurité juridique des familles entières qui, de facto, sont installées légalement en France depuis plus de dix ans.
Cette déstabilisation est encore renforcée par l'instauration du retrait automatique des différents titres de séjour dès que la moindre condition d'éligibilité disparaît. Vous procédez ainsi à la quasi-suppression du droit au séjour.
Un autre aspect de votre projet de loi doit être mis en lumière : l'arbitraire renforcé de l'administration, qui décide au cas par cas, sur la base de critères flous que vous nommez « à titre exceptionnel » ou « à titre humanitaire », sans aucune définition juridique précise.
Ainsi, vous confortez de façon exorbitante le caractère discrétionnaire des pouvoirs de l'administration, en affaiblissant le principe de souveraineté de l'État exprimé dans la loi.
Outre la déstabilisation du statut des migrants en situation régulière, vous mettez en place des mécanismes qui vont produire encore plus de clandestinité et d'exclusion.
Parmi ces mécanismes figure l'abrogation du droit à régularisation au bout de dix ans de présence sur le territoire. Cette question doit requérir toute notre attention. En effet, le Gouvernement n'a eu de cesse de faire croire que cette disposition représentait une sorte d'appel d'air aux migrants clandestins : ceux-ci déferleraient en hordes invasives dans le but de bénéficier de ce dispositif, qui serait une faille dans notre droit.
Or la réalité est tout autre ! D'une part, cette disposition ne concerne que 2 500 à 3 000 personnes, donc un nombre infime de migrants. D'autre part, vous faites croire que ce que l'on appelle la « régularisation au fil de l'eau » constituerait une sorte de prime à la clandestinité. Quelle ineptie !
Comme si des milliers de personnes, en Afrique, au Maghreb ou en Asie, mettaient en oeuvre des stratagèmes consistant à tout faire pour entrer clandestinement en France et y résider pendant plus de dix ans, sans le moindre statut légal, dans la plus grande précarité sociale et humaine, victimes de toutes les exploitations. Feraient-ils tant de sacrifices pour attendre une hypothétique régularisation au bout de ce long et douloureux parcours au but d'ailleurs incertain ?
Connaissez-vous la difficulté, pour ces « clandestins », d'acquérir les preuves de leur présence en France ? Soyons sérieux, monsieur le ministre, il s'agit non pas d'une prime, mais simplement d'une reconnaissance de leur intégration, et surtout de leur volonté de vivre dans la dignité.
En plus de cette disposition, vous restreignez, ou plutôt vous faites disparaître, toute une série de droits et garanties inhérents aux conventions signées par la France, au mépris de nos engagements internationaux, toujours avec la même tactique : la tromperie !
Vous nous faites croire qu'il s'agit d'harmonisation de directives européennes. Ces dernières seraient-elles contraires à la Convention européenne des droits de l'homme ?
Avec cette même apparente humanité, vous nous faites croire que vous avez supprimé la double peine, alors que vous l'avez en fait maintenue, y compris pour les non expulsables ou les malades. J'ai d'ailleurs plusieurs cas à vous soumettre, si vous le désirez !
D'un côté, vous voulez nous laisser penser que vous vous souciez de l'intégration des étrangers résidant régulièrement, alors que vous ne faites que compliquer les conditions d'intégration. On ne peut pas se contenter de mettre en oeuvre un contrat dit « d'accueil et d'intégration », d'ailleurs annoncé sans moyens financiers ni garanties juridiques, pour faire croire que l'on oeuvre en faveur de l'intégration des résidents étrangers. Où sont donc, par exemple, ces droits politiques qui permettraient cette meilleure intégration ?
D'un autre côté, vous durcissez au maximum les conditions d'accès à la nationalité française. Et vous osez motiver l'ensemble de ces dispositions iniques en partant du préalable de suspicion généralisée de l'étranger. Comme si tout ce qu'il fait est entaché d'une présomption de culpabilité et de mensonge : faux étudiant, faux touriste, faux malade, faux conjoint, faux parent, etc. Cette présomption ne se limite d'ailleurs pas aux actes du migrant : elle s'étend également à tout Français qui veut l'épouser, le reconnaître comme parent, ou tout simplement lui venir en aide.
Comme preuve supplémentaire de votre arbitraire, nous apprenons ce matin la régularisation de huit cents familles dont les enfants sont scolarisés. Nous ne pouvons que nous satisfaire de cette décision, en espérant qu'elle sera plus effective que l'abolition de la double peine.
Néanmoins, celle-ci révèle bien votre comportement : dans un premier temps, faire peur en faisant régner l'insécurité ; dans un second temps, attribuer, distribuer ou confisquer, sanctionner, selon votre bon vouloir. Sachez que le fait du prince n'est pas digne d'une République démocratique !
Vous agitez aussi ostensiblement l'argument du désengorgement de l'administration. Mais, dans les faits, ce texte ne désengorgera en rien les services de l'État. Bien au contraire, il va non seulement déplacer les contentieux, mais aussi en créer de nouveaux. Le travail des préfectures ne sera pas allégé parce que vous supprimez les notions d'octroi et de renouvellement de plein droit de certains titres de séjour. Vous en rajoutez en multipliant les catégories de cartes de séjour, donc les situations différentes à traiter.
De plus, parce que les commissions actuelles fonctionnent mal, vous créez de nouvelles « commissions-gadgets ». Savez-vous qu'un récent rapport, remis à M. Raffarin, accuse la France d'une grave maladie : la « commissionnite » ?
Vous allez faire peser sur les administrations préfectorales un fardeau de travail supplémentaire. Il en sera de même pour les services consulaires à l'étranger ; les ambassades seront, elles aussi, submergées en termes de travail et de contentieux à venir.
En instaurant l'obligation de produire un visa de long séjour, dont les refus seront encore plus nombreux en raison des conditions à remplir, vous procédez au déplacement du contentieux du séjour vers le contentieux du refus de visa. À cela s'ajouteront les procédures de recours à l'obligation de quitter le territoire.
Ainsi, par votre loi, vous contribuerez à l'engorgement des tribunaux administratifs, auquel s'ajoute une légitimité contestable, en imposant un juge unique, contrairement au principe de la collégialité. En fait, il s'agira d'un droit d'exception pour les exclus et les plus fragiles, les pauvres, les jeunes, les handicapés. Vous instaurez alors une justice à double vitesse.
Cette loi démontre également d'autres contradictions de votre discours prétendument humaniste : d'un côté, vous annoncez que vous préparez une France ouverte sur des partenariats de codéveloppement avec des pays pauvres ; de l'autre, vous instaurez des mécanismes qui permettront de piller encore plus les pays du Sud:
Vous instaurez une nouvelle forme de « colonisation », qui transforme les pays du Sud en self-service de main d'oeuvre et de cerveaux à bas prix. La France continue à être la prédatrice des ressources naturelles des pays du Sud, notamment d'Afrique, où elle a d'ailleurs longtemps soutenu - et elle continue de le faire - des dictateurs. Désormais, vous allez piller leurs ressources intellectuelles et humaines, qui sont les plus précieuses, leurs plus brillants étudiants et leurs rares chercheurs.
Après l'adoption par votre majorité d'une loi proposant de reconnaître le caractère positif de la colonisation, vous continuez dans la même logique en réinstaurant une gestion coloniale de l'immigration.
Hier, on se rendait en Algérie, au Maroc, au Congo ou en Indochine afin de faire venir en France les plus endurants, les plus costauds, les moins contestataires. Désormais, seront systématiquement arrachés à ces pays les plus intelligents et les mieux formés, aux frais du pays d'origine, c'est-à-dire ceux dont ces pays ont le plus besoin.
En faisant croire que vous rouvrez les frontières à l'immigration du travail, vous procédez, en réalité, à une politique sélective et utilitariste de l'immigration. Seul compte l'étranger qui peut rapporter quelque chose à la France, au mépris des intérêts des pays du Sud.
Alors, de quel codéveloppement parlez-vous : celui de la France ou celui des pays sous-développés ?
Désormais, un Malien, une Pakistanaise, un Marocain ne devrait plus résider en France parce qu'humain, mais juste en tant qu'ingénieur, médecin, cuisinier, maçon ou plombier, et parce que nous en avons besoin. Et dans quelles conditions ? Nous savons qu'ils sont souvent largement moins bien payés que les Français qui occupent les mêmes postes, comme le montre l'exemple des médecins étrangers !
Enfin, monsieur le ministre, je tiens à vous dire devant notre assemblée que, si votre projet de loi présente un danger pour les droits et les libertés des migrants, il constitue également une épée de Damoclès pour tous les Français ! Ce texte porte atteinte non seulement à la dignité des étrangers, mais aussi aux droits fondamentaux et aux libertés de valeur constitutionnelle, comme le droit d'asile, le respect de la vie privée ou le droit de vivre en famille.
Vous vous appliquez à faire reculer tous ces droits pour les étrangers. Mais sachez que l'on ne peut impunément remettre en cause les droits fondamentaux et les libertés des uns, en l'occurrence des migrants, sans porter atteinte, in fine, aux droits et aux libertés des autres, c'est-à-dire des Français. En restreignant radicalement le droit au mariage, au divorce ou les conditions de naturalisation, chaque fois que les droits des migrants régressent, ce sont les droits de tous qui reculent peu à peu !
Pour conclure, monsieur le ministre, le projet de société que vous nous proposez, c'est non pas la France de la rupture, mais la France des fractures : fractures entre riches et pauvres, entre Français et étrangers, entre les personnes qui méritent votre attention et celles qui en sont indignes, qui ne méritent que violences, humiliation et mépris !
Monsieur le ministre, cette France-là, cette France qui ne ressemble pas à la France d'aujourd'hui, ni à celle de demain - du moins je l'espère -, mais qui ressemble à la France d'hier, une époque bien triste de notre histoire, nous, les Verts, nous la refusons. Sachez que nous la combattrons partout, jusqu'au bout, dans toutes les institutions et dans toutes les rues de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Soibahaddine Ibrahim.
M. Soibahaddine Ibrahim. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration vise à la maîtrise des flux migratoires dans notre pays.
Après la loi du 26 novembre 2003, qui avait pour objectif la lutte contre l'immigration irrégulière, le présent texte, qui entend privilégier une immigration « choisie », est fondé sur l'analyse selon laquelle « l'immigration demeure aujourd'hui sans rapport avec les capacités d'accueil de la France et ses besoins économiques ».
Si l'immigration irrégulière est une réalité inacceptable dans l'Hexagone, elle l'est encore davantage en outre-mer, en raison de son ampleur et de ses conséquences néfastes.
Ainsi, alors que l'on estime à 400 000 le nombre de clandestins qui vivent sur le territoire national, ils sont 35 000 en Guyane, soit 25 % de la population, 5 000 à 10 000 en Guadeloupe, soit 2 % de la population, et entre 50 000 et 60 000 à Mayotte, où la situation est la plus préoccupante, soit 30 % de la population. Avec une proportion identique, écrit François Baroin, la France métropolitaine compterait dix-huit millions de clandestins !
Il s'ensuit, pour Mayotte, l'engorgement des services publics d'éducation et de santé, la saturation des terrains sportifs ainsi que du centre pénitentiaire, le développement du travail clandestin et de trafics en tous genres, la prolifération de zones d'habitat illégal, précaire et insalubre, la montée de la violence et des tensions sociales, ainsi que la multiplication des drames en mer. Les quatre commissions parlementaires d'information et d'enquête qui se sont rendues à Mayotte entre septembre 2005 et février 2006 dressent le même constat.
Face à cette situation explosive, la réponse de l'État doit être ferme, solidaire et humaine.
La fermeté, d'abord, consiste à renforcer les moyens matériels et humains affectés au contrôle et à la surveillance de nos frontières maritimes, dont on connaît la porosité. En plus des mesures déjà prises par le ministre de l'intérieur, le Premier ministre a annoncé l'installation d'un troisième radar à Mayotte, auquel il faudra ajouter un hélicoptère, comme le suggère la commission d'enquête du Sénat, afin de mieux surveiller ce bras de mer de quatre-vingts kilomètres qui sépare Mayotte de l'île d'Anjouan, l'île comorienne la plus proche, et intercepter les embarcations des passeurs de clandestins qui souvent se mêlent, dans cette zone, à celles des pêcheurs.
J'en viens, ensuite, à la solidarité. La lutte contre l'immigration irrégulière est une mission régalienne de l'État, mais bien souvent, à Mayotte, ce sont les collectivités territoriales, en particulier les communes, qui assument l'essentiel de la charge résultant de cet afflux de population.
À Mayotte, dans l'enseignement du premier degré, les enfants de parents étrangers en situation irrégulière représentent 30 % des effectifs à l'école élémentaire et 25 % à l'école maternelle. Cet afflux d'enfants supplémentaires amplifie les rotations de classes et réduit à vingt-quatre heures trente l'enseignement hebdomadaire, au lieu des vingt-six heures fixées par la loi.
Afin de résorber le déficit en salles de classe et d'absorber la poussée démographique, il faudrait prévoir cinquante classes nouvelles par an pendant au moins cinq ans et cent quatre-vingts classes maternelles pour pouvoir accueillir tous les enfants âgés de trois à cinq ans.
Par ailleurs, les terrains sportifs sont saturés : pour satisfaire les besoins dans ce domaine, il faudrait construire, au cours des cinq prochaines années, vingt-quatre plateaux polyvalents et douze terrains de football pour un coût de revient prévisionnel de 12 millions d'euros. Les dépenses de construction, d'entretien et de mise aux normes des équipements scolaires et sportifs sont hors de portée des finances locales.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, dans le cadre des prochains contrats de développement, il faudra alléger ces charges pour les collectivités locales, grâce à une clé de répartition exceptionnelle et à l'augmentation de la DGF des communes.
Enfin, il faudra faire preuve d'humanité.
En effet, la lutte contre l'immigration irrégulière ne doit pas se limiter à l'augmentation du nombre de reconduites à la frontière et au renforcement des moyens juridiques. Nous devons aussi, parallèlement, encourager les retours volontaires dans les pays d'origine, régulariser les immigrés qui peuvent l'être, notamment pour des besoins économiques, mais aussi donner la possibilité aux cent trente-neuf demandeurs d'asile est-africains de vivre décemment dans l'île de Mayotte, puisqu'ils ont la liberté de circuler.
S'agissant de la coopération régionale, j'ai bien noté, monsieur le ministre, que l'aide de la France en faveur de l'Union des Comores va augmenter de 60 % et que l'Union européenne va débloquer 15 millions d'euros par an pour la refonte complète du système éducatif de ce pays, parallèlement à l'appui de la stabilisation des institutions et à la construction d'un État de droit. Cela va dans le bon sens !
Cependant, compte tenu de l'état de délabrement des Comores, de la nécessité d'accompagner la transition démocratique en cours et, dans le même temps, de réduire sans délai la forte pression migratoire qui s'exerce sur Mayotte, il faut, à mon avis, aller au-delà de la coopération bilatérale. Je plaide pour un plan Marshall en faveur des Comores, sur la base d'un financement européen et international, coordonné par la France.
Ce plan prendrait la forme d'un contrat pluriannuel de développement d'une durée de dix à quinze ans, ayant pour objectif la relance de la croissance, de l'ordre de 5 % par an, et la réduction de la pauvreté de 50 % à l'horizon 2015. Le coût des besoins urgents est estimé à 315 millions d'euros.
Ce plan comprendrait un programme de rattrapage économique, une mise à niveau juridique, indispensable, et un plan d'adaptation des finances publiques ; sa mise en oeuvre nécessiterait des personnels d'encadrement et de gestion du développement.
Plusieurs pays ont déjà exprimé leur volonté de participer à cet effort, tels que la Chine, la Libye et les bailleurs de fonds réunis à l'île Maurice en 2005, avec une promesse de contribution de 216 millions d'euros.
Cette réponse équilibrée est de nature à accroître l'efficacité de notre action contre l'immigration irrégulière, à alléger les charges des collectivités locales et à contribuer à renforcer l'influence française dans la région de l'océan Indien.
Sous le bénéfice de ces observations, monsieur le ministre, je voterai sans hésitation votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'approche d'une échéance électorale, M. le ministre d'État agite le spectre d'une immigration qui serait nuisible pour la France, au plus grand bénéfice de l'extrême droite, dont il reprend les slogans les plus démagogiques.
Les inquiétudes de nos concitoyens sont légitimes, mais leur cause n'est pas l'immigration : c'est l'entreprise de précarisation systématique et de communautarisation de la question sociale que lui et sa majorité mènent depuis 2002.
M. le ministre d'État avait déjà évoqué la polygamie pendant les émeutes et je relève qu'il vient d'en reparler dans sa présentation liminaire. Pour lui, comme pour moi, la loi est celle du pays d'accueil ; elle ne saurait donc s'adapter à des valeurs qui ne sont pas les nôtres.
Comme M. le ministre d'État ne dit rien par hasard, il monte en épingle un phénomène somme toute marginal : 99,99 % des personnes de confession musulmane vivant en France ne sont pas polygames.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Bariza Khiari. En insistant sur ce point, il laisse accroire de manière subliminale qu'une certaine religion serait la cause des maux de notre société.
Ce ne sont pas les citoyens français de confession musulmane qu'il faut encore stigmatiser ; ils n'ont que trop souffert des amalgames et des discriminations en tous genres. C'est le pacte républicain qu'il faut rétablir ; c'est le « vivre-ensemble » qu'il faut revivifier ; c'est un cadre laïc et rigoureux qu'il faut faire respecter.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Bariza Khiari. M. le ministre d'État focalise ainsi les inquiétudes des Français sur les populations les plus précarisées et prétend que la France doit choisir son immigration. Ce faisant, il désigne « en creux » à la vindicte des Français la mauvaise immigration, celle des « immigrés subis ».
Si les critères draconiens et les procédures ubuesques qui nous sont proposés avaient existé dans le passé, jamais mes propres parents n'auraient pu immigrer et je ne parlerais pas à cette tribune aujourd'hui. Comme le grand-père d'Arnaud Montebourg, mon propre père ne parlait que l'arabe. Vous avez donc devant vous le produit de l'immigration subie. Compte tenu de l'accueil qui m'a été fait par le président du Sénat et par l'ensemble de mes collègues, j'ai la faiblesse de penser qu'Éliane Assassi, Alima Boumediene-Thiery et moi-même nous manquerions à cette assemblée.
Mme Bariza Khiari. Vous aussi, monsieur le ministre, probablement ! Après tout, ne sommes-nous pas tous, à un stade ou à un autre, des enfants d'immigrés ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Selon M. le ministre d'Etat, l'immigration choisie consiste à relancer une forme d'immigration de travail.
Le dispositif qui nous est soumis précarise un peu plus les travailleurs étrangers ; il les soumet à l'arbitraire le plus inacceptable.
De plus, la politique de quotas déguisés sera inefficace. L'expérience a montré, en Allemagne et en Espagne, que les politiques de quotas sont inopérantes.
Les quotas de travailleurs qualifiés ne sont jamais atteints et ceux des travailleurs non qualifiés créent un appel d'air qui débouche sur un afflux d'immigrés clandestins.
Inefficaces, les politiques de quotas témoignent surtout d'une vision de l'homme que nous rejetons avec force.
Le projet de loi introduit une distinction insupportable entre les étrangers économiquement profitables et toute la misère du monde, qu'on ne peut assumer. Mais, souvent, on oublie la suite de la phrase de Michel Rocard : la France doit prendre fidèlement sa part de cette misère !
Qu'en est-il, en effet, des talents et compétences des autres migrants ?
L'immigration choisie, c'est l'aveu d'une conception de l'individu réduit à sa force de travail et à sa rentabilité.
L'immigration choisie, c'est aussi une nouvelle insulte qui est faite à tous les demandeurs d'emploi, français ou étrangers.
Dans une conjoncture de chômage de masse, alors même que la jeunesse vient de hurler son désir de travailler dans des conditions normales, M. le ministre d'État nous explique que la France manquerait de bras et de cerveaux !
Ce projet de loi est le symbole des choix du Gouvernement : renoncement à offrir aux jeunes des formations en adéquation avec le marché du travail ; choix de ne pas mener de réelle politique de l'emploi et de la croissance ; choix de ne pas intégrer les jeunes Français issus de l'immigration, qui souffrent de discriminations à l'embauche, au logement, et jusque dans leurs loisirs ; renoncement également à l'ambition de renforcer la place de la France dans le monde, puisque le Gouvernement a déjà, par circulaire, durci les critères d'admission des étudiants étrangers.
L'immigration choisie se fera au détriment de ceux qui sont considérés comme des mauvais immigrés. Elle se fera également au détriment des Français, puisque, sous prétexte de lutter contre les mariages blancs, M. le ministre d'État jette le soupçon sur tous les couples mixtes. Il fait du droit d'asile une coquille vide. Il vide de son sens le regroupement familial. Après l'entreprise sans usine et l'usine sans ouvriers, M. le ministre d'État est en train d'inventer l'immigré sans famille !
Ce projet de loi généralise également l'arbitraire administratif via la remise en cause du cadre légal des régularisations. Un étranger pourra se voir retirer un titre de séjour si l'administration estime qu'il ne répond plus aux critères.
En imposant la possession d'un visa de long séjour comme condition préalable à l'obtention de tout titre de séjour, sous prétexte de double contrôle, M. le ministre d'État va plus loin : il institue un double risque pour les étrangers, un double arbitraire, qui n'est pas sans rappeler la double peine qu'il a prétendu abolir, mais qui subsiste dans les faits.
De plus, dans une circulaire qui organise une véritable traque aux étrangers irréguliers, il précise, avec un cynisme incroyable, comment piéger les requérants au droit d'asile ou à un titre de séjour dans les préfectures ou à leur domicile.
Pourtant, les défis ne manquent pas. Les trois enjeux-clés du moment - cohérence des politiques d'immigration, intégration et codéveloppement - sont superbement ignorés.
M. le ministre d'État ne fait rien pour remédier au manque de cohérence des politiques de l'immigration et aux lacunes de leur pilotage, comme cela a été souligné par la Cour des comptes, dans son rapport de novembre 2004. Il obscurcit même les procédures en multipliant les titres de séjour et en laissant à la discrétion de l'administration des décisions qui ont une incidence sur la vie de familles entières.
Le deuxième enjeu, plus important encore, comme nous l'ont montré les émeutes de novembre dernier, c'est l'intégration.
Ce texte s'intitule : « Projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration ». Ce devait être de l'ironie de la part de M. le ministre d'État, puisque nous ne voyons nulle trace d'une volonté d'intégration.
La généralisation du contrat d'accueil et d'intégration n'est pas mauvaise en soi, mais elle n'est que poudre aux yeux eu égard aux enjeux réels de l'inclusion des immigrés. Comment oser parler d'intégration quand aucun dispositif d'accompagnement n'est prévu pour la formation, l'emploi ou le logement ?
En précarisant les parcours de séjour des étrangers en France et en ne prenant pas de mesures d'envergure de lutte contre les filières d'immigration clandestine, la politique du Gouvernement entraîne notre pays dans le sens inverse. Et il y a malheureusement fort à parier que se créera ainsi un regain d'immigration clandestine.
Enfin, en tentant d'accaparer la matière grise des pays en développement, le Gouvernement ne fait qu'accroître le pillage des ressources humaines de pays déjà plongés dans les plus grandes difficultés.
En stigmatisant une fois de plus les immigrants avant une échéance électorale, M. le ministre d'État persiste donc dans sa volonté de diviser la société française. Cette loi est symbolique de ses conceptions ultralibérales, peu soucieuses de la dignité humaine. M le ministre d'État subordonne les droits de l'homme à la conjoncture économique. Pour la seconde fois en trois ans, il accentue la répression sur les étrangers, alors même que les décrets d'application de sa précédente loi n'ont pas tous été pris. C'est la preuve que cette nouvelle législation n'est pour lui qu'un outil de communication politique.
Ce projet de loi est inhumain, et il ne vise qu'à alimenter les peurs et les fantasmes, voire à détourner les inquiétudes des Français de leur vraie cause, c'est-à-dire l'échec patent de la politique du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face aux arguments démagogiques et caricaturaux que la gauche tente d'opposer au projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), les Français, dans leur immense majorité, droite et gauche confondues, ont su déceler la basse et préjudiciable polémique politicienne en apportant leur soutien à ce texte.
Au-delà, ils ont exprimé leur satisfaction, parfois même leur soulagement de voir enfin un gouvernement prendre à bras-le-corps une question structurante de notre société que les majorités successives, de droite comme de gauche, ont malheureusement occultée depuis trente ans.
Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, qui est particulièrement concerné par cette question de l'immigration et surtout par celle de l'intégration du fait de sa mixité culturelle, religieuse et sociale, que j'affirme ici comme étant une richesse, j'ai pu apprécier la formidable attente et surtout l'implication de mes concitoyens.
J'en veux pour preuve la pétition départementale de soutien à ce projet de loi qui, en seulement deux week-ends, a recueilli sur les marchés plus de mille signatures. Et il ne s'agit pas d'une pétition « bidon » : y figurent les noms, les prénoms et les adresses des signataires ! Je vais vous remettre cette pétition, monsieur le ministre, et vous pourrez constater qu'elle a été signée par un nombre non négligeable de personnes d'origine étrangère.
Mme Éliane Assassi. Ce n'est pas de la démagogie, cela ?
M. Christian Demuynck. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une preuve supplémentaire du caractère positif de ce texte non seulement pour la France, mais également pour les immigrants.
Dans la continuité de cette pétition, et afin de me faire le messager de mes concitoyens au sein de cette assemblée, j'ai demandé à ceux-ci de me faire part de leurs remarques, suggestions et interrogations, sur la base d'une synthèse des principaux points du texte que je leur avais transmise. Leurs réponses ont dépassé mes espérances et me confortent dans l'idée que les Français s'intéressent réellement à la politique et à l'avenir de leur pays. Nous entendons trop souvent dire qu'ils s'en détournent. C'est faux ! S'ils se désintéressent des politiques, ce sont des politiques partisanes et stériles. En revanche, ils veulent que leurs responsables politiques apportent des remèdes aux maux qu'ils connaissent.
Après avoir soigneusement étudié chacune des réponses qui m'ont été transmises, je puis vous assurer que ce projet de loi est perçu comme un véritable remède au mal que constitue l'immigration sous sa forme actuelle ; j'insiste sur ce dernier point pour que mon propos ne soit pas mal interprété.
Cette consultation a révélé sans ambiguïté un soutien qui doit vous conforter, monsieur le ministre, dans l'idée que vous êtes sur le bon chemin. Ce texte apparaît ferme et juste aux Français, car il aborde le problème de l'immigration de manière pragmatique et globale.
Malheureusement, compte tenu du temps qui m'est imparti aujourd'hui, je ne pourrai pas évoquer en détail certains points du projet de loi qui me paraissent fondamentaux, tels que le renforcement de l'aide économique aux pays en voie de développement et de la coopération.
Lorsque certains, sur ces travées ou ailleurs, vous taxent d'extrémisme parce que vous proposez une loi de bon sens, monsieur le ministre, les Français, eux, vous encouragent. Faut-il y voir de l'extrémisme ? Non, au contraire, cela m'apparaît on ne peut plus responsable et constructif !
C'est justement parce que rien n'a été fait depuis des décennies, parce qu'on a laissé une immigration anarchique se mettre en place, et surtout parce qu'aucune mesure favorisant l'intégration n'a été instaurée, que l'incompréhension s'est développée entre les communautés, que des problèmes de délinquance ont émergé, favorisant ainsi les extrémismes politiques et amenant - dois-je vous le rappeler ? - Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002.
Permettez-moi d'anticiper et de penser que ceux qui critiquent aujourd'hui vos propositions sur l'immigration abonderont sûrement demain dans votre sens.
L'exemple de Mme Royal, qui condamnait hier vos suggestions en matière de prévention et de répression de la délinquance juvénile et qui défend aujourd'hui les mêmes idées,...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce ne sont pas les mêmes idées !
M. Christian Demuynck. ...me donne à penser que vous êtes un précurseur et qu'il faut laisser un peu de temps aux socialistes pour en arriver à vos idées. Ils les reprendront demain à leur compte, j'en suis persuadé, en vous reprochant peut-être d'ailleurs, monsieur le ministre, de n'être pas allé assez loin.
Les Séquano-dyonisiens qui ont répondu à ce questionnaire aiment la France. C'est pour cela qu'ils vous approuvent. Ainsi, si la nationalité française se mérite, si son obtention est soumise à un certain nombre de conditions telles que la langue, l'acceptation des règles de notre République, et si un véritable cérémonial l'accompagne, alors l'immigré sera non seulement intégré, mais également conscient et imprégné du pays auquel désormais il appartient. Cela renforcera notre identité nationale et notre patriotisme, terme d'ailleurs galvaudé alors qu'il m'apparaît fondamental.
Cette reprise en main de l'immigration, qui doit effectivement être choisie et non plus subie, associée à un souci d'intégration, doit s'accompagner d'un changement des mentalités.
De tout temps, l'immigration a été bénéfique à la France, il ne faut pas l'oublier. Or, avec le laisser-aller de ces dernières années, la perception qu'ont les Français de l'immigration est très négative ; ils ne la voient plus qu'au travers du prisme de cette immigration que j'ose qualifier de « parasitaire », puisqu'elle ne profite ni à l'immigré ni à la France !
M. Bernard Frimat. Des parasites !
Mme Éliane Assassi. Cela va leur faire plaisir !
M. Christian Demuynck. Pour enfin valoriser une immigration choisie et enrichissante pour l'immigré et pour la France, il faut, comme vous le proposez, résorber le flux migratoire actuel en mettant en place un système gagnant-gagnant et mettre un terme aux abus liés notamment au regroupement familial, aux mariages mixtes, qui ne sont généralement pas motivés par la volonté de construire quelque chose en France.
L'enjeu de ce projet de loi va bien au-delà de notre politique migratoire, puisque de nombreuses questions découlent de l'immigration, telles que celle de la délinquance.
Dans un département comme la Seine-Saint-Denis, le taux de délinquance est élevé.
Mme Éliane Assassi. Amalgame !
M. Christian Demuynck. De tristes événements le rappellent trop souvent, donnant une image négative et réductrice de ce département pourtant si riche du fait de sa diversité.
S'il convient de se garder des raccourcis ou des amalgames, il n'est pas interdit de s'interroger sur le lien qui est couramment fait entre immigration et délinquance. Non pas parce que la propension à la délinquance est plus forte chez un immigrant ou chez un fils d'immigrant, mais seulement, bien souvent, parce que l'immigration non contrôlée engendre des situations de misères qui sont propices à la délinquance.
Mme Éliane Assassi. C'est scandaleux !
M. Christian Demuynck. De la même manière, l'intégration non aboutie conduit souvent à un manque de repères, à un complexe identitaire, auxquels la violence et le larcin peuvent malheureusement apporter une réponse.
Mme Éliane Assassi. On va faire circuler votre discours en Seine-Saint-Denis !
M. Christian Demuynck. C'est la vérité !
Mme Éliane Assassi. C'est une série d'amalgames !
M. Christian Demuynck. Absolument pas ! Je suis un élu de la Seine-Saint-Denis et je reçois régulièrement les jeunes qui sont en situation de grande difficulté !
Mme Éliane Assassi. Et alors, nous aussi ! Mais nous n'en tirons pas les mêmes conclusions !
M. Christian Demuynck. J'ai le droit de m'exprimer et je continuerai de le faire !
Mme Éliane Assassi. Nous n'avons pas les mêmes valeurs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est insupportable !
M. Jacques Peyrat. Vous aussi, vous êtes insupportables, et pourtant on vous écoute !
M. Christian Demuynck. Venez dans mon département ! Vous verrez comment je gère la ville et les contacts que j'ai avec les jeunes issus de l'immigration ! Ensuite, on discutera de ce qui est insupportable ou non ! Parlez de ce que vous connaissez !
M. le président. Mes chers collègues, dans cette assemblée, on respecte l'orateur !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. À condition qu'on nous respecte !
M. Christian Demuynck. Mais je vous respecte, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Charles Gautier. Pas par vos propos !
M. Christian Demuynck. En effet, comment un jeune peut-il s'en sortir si, pour des raisons diverses, il ne sait quasiment ni lire, ni écrire, ni compter ? Quoi qu'il en soit, il est incapable de trouver un emploi !
Monsieur le ministre, j'insiste lourdement sur ce point, même s'il ne fait pas directement l'objet de ce texte : la mobilisation doit être totale pour redonner espoir à ces jeunes aujourd'hui désoeuvrés, sans réelle perspective d'avenir et qui, plus grave encore, se sentent exclus de notre société.
Face à cela, le discours de ceux qui voudraient que la France se coupe du monde, rejette ceux qui ne seraient pas de « sang pur », repose sur cette vision tronquée de l'immigration et doit être condamné avec force par l'ensemble des responsables politiques que nous sommes.
L'histoire nous a enseigné que toute société vivant refermée sur elle-même était amenée à disparaître. Ceux-là même qui disent aimer la France nous proposent en réalité de la condamner à mort.
Nous ne devons donc pas avoir peur de l'immigration : si elle est contrôlée, limitée, que les conditions d'accueil et d'intégration sont réunies et que ce processus d'intégration est lié à l'assimilation des valeurs qui font notre identité, alors elle peut permettre à notre société d'évoluer, de s'enrichir, sans pour autant y perdre en identité.
C'est ce que propose - enfin, ai-je envie de dire - votre projet de loi, monsieur le ministre, qui appréhende dans sa globalité cette question ô combien ! complexe et jusqu'ici taboue. C'est pourquoi je tiens à vous remercier d'avoir eu le courage d'aborder la question de l'immigration et, surtout, de l'avoir liée à celle de l'intégration.
L'enjeu est réel, puisque le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration se propose de tenir compte de la diversité française et de son évolution naturelle. Au nom de mes concitoyens de Seine-Saint-Denis, je voterai ce texte, et je compte sur vous, monsieur le ministre, pour le faire appliquer de la meilleure manière possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin, la politique d'immigration de la France n'est plus une question taboue et fait débat.
Maire de Mulhouse, je connais bien - comme beaucoup d'entre vous dans vos départements respectifs - la réalité de l'immigration. Je sais ce qu'elle nous a apporté de constitutif de notre identité au fil des siècles, d'irremplaçable. Mais je sais aussi les difficultés croissantes d'intégration, les phénomènes de ghettoïsation, de repli identitaire, qui ont notamment comme origine l'absence d'une organisation durable et structurée de l'immigration.
Certains diagnostics sont partagés, du moins sur le terrain. Ils ne valent pas accord nécessaire sur les solutions proposées par la droite. Ils constituent en revanche un défi pour la droite, qui se trouve aujourd'hui en échec sur cette question, mais aussi pour nous, la gauche.
Par-delà la nécessaire critique du projet de loi, il nous faut proposer un discours et une pratique à la hauteur des enjeux. Nous opposer, oui, mais en donnant une perspective plutôt qu'en restant sur un statu quo inacceptable.
Rappelons d'abord quelques principes simples : le mythe de l'immigration zéro a vécu, l'arrêt des flux migratoires n'est ni possible ni souhaitable. Il nous faut donc définir une politique ouverte, humaine et raisonnée, mais aussi ferme, de maîtrise des flux migratoires.
M. Jean-Marie Bockel. L'élaboration de normes communes européennes, déjà esquissées en matière de droit d'asile, se fait encore attendre. Le travail d'harmonisation nécessaire est lent et difficile. Il reposera aussi sur le succès de politiques, encore largement du ressort national, qui auront fait leurs preuves.
Pour prendre un exemple, en matière d'immigration familiale, il nous faut trouver la bonne mesure entre responsabilité et générosité. Les critères retenus doivent favoriser une insertion réelle dans la société française. Attention à ne pas installer de nombreux étrangers dans une instabilité juridique multipliant les sans-papiers, qui ne seraient ni régularisables ni « expulsables » ! En tant que maires, nous sommes régulièrement confrontés à ces situations inextricables.
Évitons aussi, par un système trop compliqué, de faire surgir régulièrement le mauvais et éternel débat des régularisations massives, qui ne règleront rien, au contraire ! Autant la régulation de l'immigration est nécessaire et légitime, autant la rhétorique de l'immigration choisie installe une ambiguïté, voire un fantasme de contrôle absolu, qui n'existe nulle part.
M. Bernard Frimat. Très bien !
M. Jean-Marie Bockel. Attention à ne pas mettre en place un mécanisme trop lourd et trop complexe, qui pourrait devenir une machine à clandestins !
Permettez-moi, au-delà du nécessaire devoir de critique d'un texte critiquable, de plaider pour une politique d'immigration concertée. Qu'elle soit qualifiée ou non qualifiée, qu'elle vise à une intégration durable ou à la meilleure fluidité des échanges et des nécessaires allers-retours, la nouvelle politique de l'immigration qui reste à définir devra reposer à la fois sur une prévision dynamique des besoins, un système clair et transparent d'évaluation des candidatures à l'immigration et la valorisation des possibilités réelles d'insertion.
En fait, plutôt que des quotas - ce qui constitue mon seul point de désaccord avec le très bon rapport de Malek Boutih -, il faut définir une règle du jeu avec des critères connus et acceptés, qui apportera enfin, avec rigueur et souplesse, la clarification tant attendue, à l'instar d'ailleurs de ce qui se passe dans de nombreux pays démocratiques, y compris en Europe.
Il ne faut pas faire entrer la réalité dans des cases sous peine de rigidité, de bureaucratie, loin des besoins réels. Il importe au contraire que la définition de cette règle du jeu, de cette méthode, fasse l'objet, après évaluation et débat réguliers, d'une concertation périodique à tous les niveaux, c'est-à-dire au sommet - l'État, le Gouvernement, le Parlement - et à la base - acteurs économiques, sociaux -, et d'un dialogue tourné enfin vers le codéveloppement avec les pays d'émigration.
Oui, une politique d'immigration de la France clairement définie et intelligemment appliquée contribuera à relancer une intégration à la française actuellement en panne. Chacun pourrait citer des exemples, que nous vivons au quotidien malgré tous les efforts que nous faisons dans nos villes pour réussir cette intégration. Aujourd'hui, la situation sur le terrain n'est pas bonne et je ne la vois pas s'améliorer depuis quatre ans.
Pour réussir, il faut de la détermination, de la clarté, de la fermeté et de la générosité. Mais il faut aussi que la politique proposée soit comprise par tous et donc acceptée, ici et ailleurs.
Pour y parvenir, sans angélisme ni démagogie, il reste du travail à accomplir tant à droite, dont la démarche actuelle n'est pas aussi fédératrice qu'il le faudrait sur un tel sujet - il est des moments où l'on devrait pouvoir se retrouver sur l'essentiel - qu'à gauche. En effet, il faut que notre critique utile des faiblesses et des risques de votre texte soit bien vite confortée par un projet clair, lucide, conforme à nos valeurs, les valeurs de la République, et effectivement applicable à cette question majeure pour la cohésion de la France, afin que l'on puisse à nouveau un jour dire, en étant compris dans notre beau pays et dans nos cités, que l'immigration est une chance pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour bien comprendre le problème de la maîtrise des flux migratoires, il faut avoir présent à l'esprit ce qui s'est passé sur notre planète depuis au moins un siècle : la population mondiale a triplé.
J'ai connu le monde qui exploitait sans compter les ressources dans le cadre d'une croissance continue. J'ai connu l'Europe d'après-guerre, qui était coupée en deux par le mur de Berlin. Aujourd'hui, je constate que le défi démographique mondial est le premier défi à relever. Dès lors, vouloir examiner le problème des flux migratoires en France uniquement par le petit bout de notre lorgnette nationale reviendrait à dénaturer ce problème, qui est d'ordre mondial.
J'ai connu une Europe protectrice et prospère. J'ai également connu une Europe entrant aveuglément dans la mondialisation au point de devenir l'espace le plus libéral qui soit ; c'est Mandelson qui le dit ; l'Europe « hypermarché » ne protège plus ses producteurs. Or, grâce à Schengen, je vois des gens qui quittent l'Afrique, qui arrivent en Espagne, et qui peuvent ensuite circuler.
Vouloir faire de ce projet de loi un concentré de vices, c'est nier une réalité que nous subissons depuis de nombreuses années sans appliquer de solutions pragmatiques. Ce texte n'est ni un concentré de vices ni un concentré de vertus ; c'est une approche pragmatique et adaptée à la France de solutions qui sont appliquées dans de grands pays démocratiques. Je vais d'ailleurs vous donner un exemple de ce que je suis en train de mettre en place à la Réunion.
En 1981, l'alternance s'est produite, et c'est tant mieux ! La gauche triomphante a alors pris deux décisions en matière d'immigration.
Tout d'abord, elle a dit aux Domiens de retourner vivre et travailler au pays. Comme 12 000 jeunes par an arrivent sur le marché du travail et qu'il y a 5 000 emplois, le nombre de chômeurs a augmenté et plusieurs générations se sont retrouvées concentrées dans les logements. Résultat : en 1991, le quartier du Chaudron a connu une explosion sociale !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Et voilà !
M. Jean-Paul Virapoullé. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons rétabli la mobilité vers l'Europe. Aujourd'hui, nous sommes en train de la mettre en place vers l'Australie.
Ensuite, la gauche a prôné le regroupement familial. Résultat : un appel d'air a concentré dans les banlieues plusieurs générations. Ainsi, vingt-deux nationalités différentes se sont retrouvées dans une même classe face à un instituteur ou à une institutrice n'ayant pas l'expérience professionnelle pour enseigner à ces enfants. Et au nom du « vivre ensemble », de la justice, de la générosité, et avec un peu d'hypocrisie aussi, on a annoncé qu'ils allaient réussir, puisqu'ils étaient en France et qu'ils avaient droit à la scolarité obligatoire.
Croyez-vous qu'en se retrouvant dans une classe du primaire où l'on parle vingt-deux langues différentes et face à un instituteur qui n'a pas d'expérience professionnelle un enfant a les mêmes chances de réussir que lorsque la carte scolaire lui permet de suivre un enseignement dans une école du 6e ou du 5e arrondissement de Paris ? Il est bien évident que non !
M. Jean-Paul Virapoullé. Je le dis aux faux Samaritains : ne nous donnez pas de leçons de vertu ! Nous ne prétendons pas que cette loi résoudra tous les problèmes.
M. Bernard Frimat. En cela, vous avez raison !
M. Jean-Paul Virapoullé. Elle ne résoudra pas le problème de l'appauvrissement des continents les plus pauvres. Mais, en la matière, la gauche ne peut pas donner de leçon à la droite.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il mélange tout !
M. Jean-Paul Virapoullé. Je vous le rappelle, les accords de Marrakech dans le cadre du dérèglement du commerce ont été signés sous la présidence de François Mitterrand, qui était un président de gauche. (Mme Lucette Michaux-Chevry approuve.)
Le cycle de Doha a été mis en place sous une présidence française de gauche. Les gouvernements socialistes et communistes ont signé tous les accords de l'OMC. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Cela vous fait sourire, mais vous devriez en avoir honte !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Quel est le rapport ?
M. Jean-Paul Virapoullé. Moi, je suis favorable à une autre mondialisation : une mondialisation loyale, qui respecte les hommes. Celle-là n'est pas loyale !
Lorsque l'on autorise un continent comme la Chine, qui n'est pas un régime démocratique, à jouer avec la monnaie, à ne pas respecter les droits de l'homme, à faire travailler des enfants dans des conditions inhumaines, on aboutit à supprimer des pans entiers de notre économie. Ces accords-là doivent être revus ! Ils sont la source de l'appauvrissement des pays africains.
Quand on a supprimé les quotas en matière de textiles dans l'accord multifibre, que s'est-il passé ? Les pays du Maghreb et l'île Maurice ont vu leurs usines fermer.
Ce soir, j'ai entendu prononcer le mot « codéveloppement » aussi souvent que l'on dit « amen » dans une cérémonie religieuse. Mais ce terme ne veut rien dire ! L'Europe avait créé le statut des États ACP, Afrique, Caraïbes et Pacifique. (Mme Lucette Michaux-Chevry approuve.)
M. Pierre-Yves Collombat. Les accords ACP, c'est Claude Cheysson !
M. Jean-Paul Virapoullé. Grâce à ce statut, ces États avaient des quotas de production, et l'Afrique « sortait la tête de l'eau ».
Dans le cadre de l'OMC, on a fait disparaître le statut ACP. Aujourd'hui, au nom de l'OMC, on tue la banane martiniquaise et le sucre de l'île Maurice.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne faut pas exagérer : ce n'est pas la gauche qui a inventé l'OMC !
M. Jean-Paul Virapoullé. Mon cher collègue, c'est sous la présidence de François Mitterrand que l'OMC a pris son ampleur !
M. Pierre-Yves Collombat. Et cela a beaucoup changé avec la droite !
M. Jean-Paul Virapoullé. Si j'avais le temps, je citerai les dates et les noms de ceux qui ont signé.
Certes, nous y avons participé, mais c'est vous qui avez la plus grande part du péché ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Il faut que les choses soient claires !
Et lorsque j'ai vu que c'est vous qui aviez signé les accords de Marrakech, je suis tombé à la renverse !
Pourquoi cette loi s'impose-t-elle aujourd'hui ? Elle ne traite pas le problème sur le plan mondial, ni même sur le plan européen. En effet, quand nous avons signé les accords de Schengen, qui tendent à instituer la libre circulation entre les pays d'Europe, nous aurions dû prévoir un dispositif pour protéger nos frontières maritimes. Or tel n'a pas été le cas !
Certes, une coordination européenne existe, mais elle n'est pas suffisamment efficace. Nous avons besoin - ce sera ma suggestion, monsieur le ministre - d'une coordination européenne efficace au niveau de nos frontières maritimes, afin que ce qui se passe aujourd'hui à Ceuta, à Melilla ou aux Canaries n'arrive plus.
Par ailleurs, si nous ne faisons rien sur le plan national, nous aboutirons à l'effet inverse de l'objectif de cohésion et d'intégration qui a été exprimé sur les travées de cette assemblée. En effet, cela suppose l'équilibre. Cela suppose que chaque famille puisse vivre dans un logement. Cela suppose que les enfants puissent aller à l'école, apprendre à lire, à écrire, à compter, à parler français, apprendre un métier et travailler. Cela suppose un traitement personnalisé. Un flux anarchique ne permet pas d'adapter un traitement personnalisé et favorise les ghettos, où les enfants seront exploités par des réseaux de dealers et des trafiquants de toutes sortes, et vous en ferez contre leur gré les gangsters de demain !
Par conséquent, ne jouons pas les faux Samaritains ou les hypocrites : cette loi permet de réelles avancées en termes d'intégration et de cohésion sociale dans notre pays !
M. Bernard Frimat. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Paul Virapoullé. De ce point de vue, nous devons la soutenir, notamment le fait d'imposer des critères de choix en matière d'immigration.
Je me suis récemment rendu à Perth, en Australie, sur l'invitation du gouvernement de l'État du Western Australia. Mes hôtes m'ont tenu le discours suivant : « Cent Réunionnais sont venus étudier chez nous. Ils s'intègrent bien. Désormais, nous ouvrons un bureau à Perth et notre objectif est de mille étudiants. »
Toutefois, ils m'ont bien précisé que je ne pourrais pas être concerné parce que j'étais âgé de plus de quarante ans et qu'ils n'acceptaient pas les personnes ayant dépassé la quarantaine. Car ils ont établi une grille : sont pris en compte l'âge, le métier que l'on souhaite apprendre, le niveau de qualification et la nationalité du pays d'origine. Celui qui obtient le nombre de points requis est accepté. En revanche, l'étudiant qui ne fréquente pas la faculté est raccompagné à l'avion.
J'ai expliqué cela aux étudiants réunionnais, aux jeunes de ma commune. Ils ont alors exprimé le souhait d'ouvrir un bureau d'emploi à Perth.
Qu'y a-t-il là de raciste, de rétrograde ou d'inhumain ? Un pays d'accueil a le droit de passer une convention humaniste avec une personne qui souhaite s'y installer. C'est précisément ce que propose Nicolas Sarkozy dans son projet de loi !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Pas du tout !
M. Jean-Paul Virapoullé. Lorsqu'un individu souhaitera venir travailler chez nous, le consul donnera son accord s'il y a effectivement du travail.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais non ! Ce n'est pas au consul que cette mission est confiée !
M. Jean-Paul Virapoullé. C'est l'immigration maîtrisée !
Ensuite, si cet individu qui travaille en France souhaite être rejoint par sa femme et ses enfants, la loi prévoit qu'il faudra examiner s'il dispose ou non d'un logement, s'il vit du trafic de drogue ou du fruit de son travail. S'il vit du fruit de son travail, s'il dispose d'un logement et s'il remplit toutes les conditions humaines pour pouvoir accueillir sa femme et ses enfants, ceux-ci seront acceptés. On lui demande simplement, à l'instar de tous les pays du monde, de respecter la loi !
Comment y voir du racisme, de l'électoralisme ou des arrière-pensées ? Ce que nous faisons aujourd'hui, vous auriez dû le faire hier !
Cette loi est adaptée pour la Métropole. En revanche, s'agissant de Mayotte et des départements d'outre-mer, elle ne va pas assez loin. Je suis d'accord avec mes collègues Adrien Giraud et Soibahaddine Ibrahim : Mayotte est dans une situation exsangue ! Si l'on est démocrate, on doit comprendre que les Mahorais ont voté pour rester français, comme nous-mêmes nous sommes battus pour le demeurer. À partir de ce moment-là, il n'y a pas de raison qu'ils soient envahis et que l'équilibre social de leur pays soit détruit.
Je souscris donc tout à fait aux propos qu'a tenus notre collègue Soibahaddine Ibrahim sur la nécessité de développer les Comores, de protéger Mayotte et de mettre en place des dispositifs adaptés en Guadeloupe et en Guyane.
En effet, avec sa marée verte et sa marée bleue, la Guyane est sur le point d'être asphyxiée. Bientôt, il y aura plus d'étrangers que de Guyanais, y compris des étrangers violents, issus de pays tels que le Guyana, notamment de ses prisons. Faites un tour le soir à Cayenne sur la place des Palmistes et vous pourrez constater le danger qui y règne !
Mes chers collègues, nous avons été élus pour faire le bonheur d'un peuple : celui de France. Cela signifie que nous devons non pas rejeter les autres peuples, mais les accepter avec humanisme, générosité et réalisme.
La charité ne consiste pas à remplir hypocritement un devoir d'accueil mal conçu. Nous devons traiter les autres comme nous aimerions être traités nous-mêmes ! C'est pourquoi je soutiendrai ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite souligner une particularité intéressante de ce texte.
La précédente loi sur le même sujet est entrée en application voilà trois ans. Elle était censée régler les problèmes de l'immigration clandestine et de la double peine. Pourtant, aucun bilan de sa mise en oeuvre n'a été établi. Pis encore, certains décrets indispensables à l'application de ce texte ne sont jamais parus.
Si une nouvelle loi portant exactement sur le même sujet est nécessaire, c'est bien parce que la première n'a pas été efficace. Dès lors, on peut se demander si on a vraiment cherché à la rendre efficace.
La double peine, qui était censée ne plus exister, continue cependant à toucher de nombreux étrangers. Quant à la notion de « pays d'origine sûr », elle reste inacceptable. Il faut un examen au cas par cas, en fonction des particularités de chaque demande. Sinon, on assiste à une rupture du pacte républicain.
Monsieur le ministre - en fait, je m'adresse au ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ; vous lui transmettrez mes propos -...
M. Charles Gautier. Je le sais, mais je vais faire allusion à des propos qui ont été tenus par le ministre d'État. Votre délégation ne va pas jusqu'à vous attribuer ses propos.
M. Charles Gautier. Le ministre d'État évoque souvent les incendies des squats parisiens de l'été dernier. Mais, curieusement, dans ce projet de loi, rien n'est prévu pour le logement des familles de demandeurs d'asile ou en situation irrégulière. Dès lors, avec ou sans ce projet de loi, de tels drames pourront se reproduire.
En fait, vous cherchez seulement à détourner l'attention des Français de vos propres échecs et de ceux de votre gouvernement. Je dis bien « vos propres échecs » ! En effet, en matière de sécurité, vos propos n'ont cessé d'attiser une violence urbaine déjà perceptible. Ils ont peut-être réussi du point de vue de l'audimat, mais ils n'ont rien réglé sur le fond.
J'évoque également les échecs du Gouvernement, car celui-ci n'agit qu'en faveur des privilégiés, précarisant dans le même temps toujours plus les plus fragiles.
Ce projet de loi s'inscrit dans la même veine. Vous précarisez les gens honnêtes au motif que quelques-uns fraudent. Ce n'est pas normal, mais c'est maintenant devenu une habitude de votre gouvernement.
De nombreuses critiques ont été exprimées précédemment par mes collègues. C'est pourquoi je me limiterai à quelques points précis.
Lorsque vous tentez de nous expliquer vos mesures afin de rendre plus difficile l'acquisition de la nationalité française pour les conjoints de Français, vos propos sont caricaturaux ! Grâce à un discours simpliste et démagogique, auquel nul ne peut spontanément s'opposer, mais qui est en réalité basé sur des contrevérités, la vie des couples mixtes va devenir une angoisse de chaque instant. Même sur les travées de l'UMP, certains trouvent que vous allez trop loin !
Il en est de même s'agissant du regroupement familial : vous revenez quarante ans en arrière ! Vous nous ramenez à l'époque où la France faisait venir des hommes seuls pour pallier le besoin de main d'oeuvre pendant les Trente glorieuses.
En outre, la pire des dispositions du texte est sans doute la carte de « travailleur temporaire », qui autorise des étrangers à venir travailler en France pour une durée de trois ans, mais à la condition qu'ils ne résident pas plus de six mois par an en France. Que sont-ils censés faire le reste du temps ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois. Ce sont des saisonniers !
M. Charles Gautier. Mes chers collègues, dans tout ce projet de loi, l'immigré est réduit à sa seule force de travail. L'employeur a donc une toute puissance sur l'employé, qui est menacé d'expulsion si son contrat cesse. Les églises chrétiennes se sont d'ailleurs exprimées sur ce point : elles se sont dites touchées par de telles mesures, qui marquent une rupture avec les traditions humanistes de l'accueil des étrangers en France.
Pour nous, monsieur le ministre, vos assertions sur l'immigration « subie » et l'immigration « choisie » sont tout à fait scandaleuses.
Immigration « choisie », dites-vous ? Mais par qui est-elle choisie ? Et pour qui ? Choisir, c'est trier. C'est dégradant sur le plan des valeurs humaines.
Immigration « subie », dites-vous ? Mais elle l'est toujours, monsieur le ministre. Car ceux qui quittent leur pays le font toujours à contrecoeur, poussés par la misère. Ils sont à la recherche de ce qu'ils n'ont pas chez eux.
En réalité, monsieur le ministre, vous nous présentez un projet de loi qui, comme à votre habitude, n'a qu'un objectif électoraliste d'affichage ; vous cherchez à flatter l'opinion publique.
En revanche, ce texte dissimule des mesures restreignant les possibilités d'intégration et de séjour des étrangers en France.
Je prendrai pour preuve les déclarations publiques de M. le ministre d'État sur les quotas. Or ceux-ci ne sont même pas mentionnés dans le projet de loi. On sait pourquoi ! C'est tout simplement parce que le Conseil constitutionnel risquait de censurer de telles dispositions.
Pour finir, monsieur le ministre; on peut se demander pourquoi votre texte s'intitule : « Projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration ». L'intégration, tout le monde semble l'avoir oubliée ! Quelle est la mesure qui concerne l'intégration dans ce texte ? Le contrat d'accueil et d'intégration ne peut pas, me semble-t-il, remplir ce rôle. Devant l'absence de moyens proposés, nous sommes sceptiques sur la formation dont vous proposez l'institution.
Combien de projets de loi de circonstances, uniquement destinés à préparer les esprits pour les campagnes électorales à venir, envisagez-vous encore ? Vous utilisez l'État à des fins partisanes. Ce texte en est une illustration flagrante ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'est jamais facile de débattre publiquement des conditions dans lesquelles nous accordons ou nous refusons l'entrée dans notre pays. Notre tendance naturelle est évidemment d'accueillir, de nous ouvrir, et plus particulièrement lorsqu'il s'agit de pauvres et de démunis.
Et pourtant, nous savons bien que nous ne pouvons pas accueillir tous ceux qui se présentent alors qu'il n'y a pas de travail pour tous les Français.
Faire une différence entre le compatriote et l'étranger, c'est naturel. Ce n'est pas de la xénophobie, à condition, bien sûr, que les critères mis en avant soient exempts de racisme.
Puisque nous ne pouvons pas recevoir tous ceux qui demandent à venir vivre et travailler chez nous, il faut choisir dans la clarté. C'est la tradition de la République.
Je lisais récemment la remarquable biographie que M. Salomon Malka a consacrée à Emmanuel Lévinas, ce grand philosophe français né en Lituanie il y a exactement cent ans. Voici ce qu'il écrit : « En ces années d'entre-deux-guerres, la France n'a pas seulement vocation de refuge pour les migrants économiques, politiques, intellectuels venus de l'autre Europe. Et son magistère n'est pas que culturel. Elle représente un modèle d'émancipation et un idéal d'intégration. » Le mot est déjà là. « Devenir français, c'est entrer dans un pacte de langue, de civilisation et de valeurs qu'incarne la République. » C'est bien ce à quoi aspire Lévinas, qui déclare vouloir rejoindre « une nation à laquelle on peut s'attacher par l'esprit et par le coeur, autant que par ses racines ».
L'ambassadeur de France en Lituanie, consulté sur son cas, porte le jugement suivant : « Il résulte tant du dossier que des renseignements verbaux fournis par M. Lévinas qu'il s'agit d'un sujet remarquable. Dans ces conditions, la naturalisation de M. Lévinas présente pour la France un intérêt certain. »
Lévinas avait choisi la France, mais la France l'avait aussi choisi.
L'immigration choisie s'inscrit bien dans la tradition républicaine. Elle ne devrait pas choquer et, pourtant, elle pose problème.
En ma qualité de secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, j'assistais récemment à Ouagadougou à la réunion de son assemblée régionale Afrique. Il y avait là douze délégations de parlements francophones d'Afrique et je dois dire que nous avons eu un débat assez vif. Quand nous voyons dans l'immigration choisie le contraire de l'immigration subie, c'est-à-dire illégale, nos amis africains y voient un tri élitiste, le choix des meilleurs au profit unique de l'ancienne métropole.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme nous !
M. Jacques Legendre. C'est le rôle de la francophonie que d'être le lieu de débats sincères où s'opposent des intérêts légitimes.
Nos collègues du Mali, même s'ils ne l'avouent pas explicitement, défendent la possibilité pour leurs électeurs de venir travailler en France, légalement ou illégalement, car ils ont besoin des sommes gagnées en France et en Europe...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. La voilà, la réalité !
M. Jacques Legendre. ... par les travailleurs maliens pour leur développement et l'équipement de leurs villages au Sahel.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Jacques Legendre. Nous devons être conscients de ce que représenterait pour ces hommes courageux la perte de telles ressources, mais cela ne veut pas dire que nous devons accepter que ces ressources soient gagnées dans l'illégalité. En revanche, nous devons en tenir compte dans notre politique d'aide au développement. Et voilà où apparaît le co-développement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n'apparaît pas dans le projet de loi !
M. Jacques Legendre. Nous en parlons souvent. Mais le faisons-nous suffisamment et efficacement ? La question ne s'adresse pas seulement au ministre de l'intérieur. Je suggère que nous parlions plutôt d'immigration « acceptée » que d'immigration « choisie ».
Quant à l'argument du pillage des cerveaux africains, je dirai sincèrement qu'il me semble souvent marqué d'une certaine hypocrisie. En effet, de nombreux étudiants africains, formés en français et aux méthodes françaises, formulent le souhait de pouvoir travailler en France, comme d'autres le font au Canada ou aux Etats-Unis, quand ils se sont laissés attirer par les universités américaines.
Oui, il faut permettre aux étudiants francophones, pas seulement africains, de travailler chez nous, car il est possible de faire coïncider leur intérêt, celui de notre pays et celui de leur pays d'origine, à condition qu'ils puissent ensuite repartir chez eux avec l'expérience acquise chez nous.
Et ne nous y trompons pas : la francophonie s'étiolera au XXIe siècle si le choix de se former en français n'ouvre pas la possibilité et ne donne pas une priorité pour travailler en France ou dans les entreprises françaises. Encore faut-il également que nous adoptions enfin une politique dynamique d'accueil des étudiants étrangers.
M. Jacques Legendre. Certains en Afrique ont compris ce projet de loi comme un refus d'accueillir en France des étudiants. Ce n'est évidemment pas le cas !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Si, c'est le cas !
M. Jacques Legendre. Nous devons refuser les faux étudiants, mais accueillir chez nous plus d'étudiants du monde entier, boursiers pour certains, étudiants à leurs frais pour beaucoup d'autres, parce qu'ils nous auront choisis sur ce marché très concurrentiel des études supérieures.
Dans ce domaine, nous sommes encore hésitants, timorés et souvent contradictoires. J'ai pu vérifier la réalité du parcours du combattant imposé par nos services à des élèves ou étudiants africains désirant venir étudier en France, à leurs frais et avec des ressources vérifiées. Ce n'est pas raisonnable ! (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
Mais cela ne relève pas seulement de vous, monsieur le ministre. Il faut, là aussi, être pratique et réaliste. Pourquoi hésitons-nous à faire de l'enseignement supérieur, comme l'Australie et le Canada, un élément essentiel de notre rayonnement, mais aussi de notre balance des paiements ?
M. Jean-Paul Virapoullé. Bravo !
M. Jacques Legendre. J'ai commencé par évoquer la tradition républicaine de l'accueil, ce qu'elle permet à l'autre, mais également ce que la République attend de l'autre. Permettez-moi, pour terminer, de vous dire, et je suis convaincu que c'est votre conviction, que la France a besoin de l'Afrique, comme l'Afrique a besoin de la France.
Certains pays nous sont clairement étrangers. D'autres, en particulier en Afrique, ont choisi d'être indépendants - et nous devons, nous comme eux, tirer les conséquences de ce choix - mais gardent pour nous une empathie particulière. Cette relation particulière explique la difficulté d'un débat comme celui-ci, s'agissant de nos amis de l'Afrique et de la francophonie.
Respecter l'Afrique, quarante-cinq ans après les indépendances, c'est avoir avec elle une relation adulte, qui repose sur le respect réciproque, y compris en matière d'immigration. C'est justement dans la sincérité de cette relation adulte que nous vérifierons la permanence de notre amitié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons devrait d'abord avoir une dimension internationale. Vous l'avez dit, mais vraiment pour la forme ! En effet, les dispositions qu'il contient sont contradictoires avec toute solidarité internationale. L'Afrique et les Africains sont la cible de votre projet de loi, non vos partenaires.
Perçu du sud, le discours de la France envers l'Afrique est marqué par la duplicité. Versant francophonie, le propos ruisselle de fraternité, d'humanité. On célèbre l'union de tous ceux « qui ont le Français en partage ». Versant réforme du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le ton change : la venue des familles des Africains de France est indésirable. L'intention matrimoniale des conjoints étrangers de Français est systématiquement mise en doute. Le droit au séjour des migrants pauvres est fragilisé à l'extrême. Le séjour illégal devient un délit imprescriptible.
Les Africains ne supportent plus le double langage de la France. Ils vous ont dit, et ils nous ont dit, monsieur Legendre, à quel point ils ont été humiliés, révoltés par le discours que leur a tenu le ministre de l'intérieur. (M. Jacques Legendre fait un signe de dénégation.) Celui-ci a d'ailleurs dû réviser son propos, le temps de sa visite au Mali et au Bénin, et parler non plus d'immigration « choisie », mais d'immigration « concertée ». Et puis, ce soir, on est revenu à l'immigration choisie. Décidément, le double langage est vraiment de rigueur !
Les Français qui connaissent la condition de migrants ne peuvent être que scandalisés, eux aussi, par les dispositions que nous devons examiner. Qui d'entre nous, Français établis hors de France, supporterait, dans son pays d'accueil, la réciprocité des mesures prises par la France à l'encontre de ses immigrants ? Je pense en particulier au droit de vivre en famille, dont aucun pays au monde ne nous prive !
M. Bernard Frimat. Absolument !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je dirai un mot personnel sur la durée de validité des cartes de séjour. Comme mes compatriotes établis hors de France, j'ai longtemps vécu à l'étranger, en Tunisie, sous le régime de la carte de deux ans. Le passage à la carte de séjour et de travail de dix ans a changé notre vie. C'était une mesure de réciprocité à la suite de la création de la carte de résident par le gouvernement de Pierre Mauroy en 1982. Les démarches pénibles, et parfois humiliantes, au commissariat sont totalement sorties de nos esprits. Nous nous sommes sentis stabilisés et protégés. De ce fait, nous avons mieux accepté de nous adapter à une société qui nous était vraiment étrangère ; nous avons accepté de travailler à rester nous-mêmes tout en nous intégrant.
Je l'affirme : la carte de résident de dix ans en France, comme la carte verte aux Etats-Unis, sont les vrais outils d'intégration, car ils sécurisent l'étranger et rendent possible le lent travail d'adaptation psychologique et affectif qui est le lot du migrant. Cette carte est la condition de l'intégration, non une récompense, comme vous la concevez.
Par ailleurs, vous opposez la migration familiale à la migration de travail, alors que les familles ont vite fait de se transformer en travailleurs.
Comment les nounous africaines de nos blondinets parisiens sont-elles arrivées en France, si ce n'est au titre du regroupement familial ? Et les assistantes de vie, africaines elles aussi, de nos personnes âgées ? Personne ne les a « choisies » ! Elles ont rejoint leur famille, gagnent leur vie et jouent un rôle de plus en plus irremplaçable. Demandez l'avis de leurs employeurs blancs ! Quant à leurs enfants, ils vaincront les handicaps et les discriminations et mêleront leurs forces et leur intelligence à celles de nos enfants.
Un autre point mérite d'être abordé : cette loi est-elle applicable ? Est-elle destinée à être appliquée ? Vu de l'étranger, c'est non !
De nombreux consuls - plus de la moitié d'entre eux, d'après une lettre envoyée récemment au ministère des affaires étrangères - s'inquiètent ouvertement de la capacité de leurs services à faire face à l'alourdissement programmé de leurs missions.
Depuis 1986, la gestion des communautés françaises est devenue secondaire par rapport au contrôle migratoire. Le contrôle de la validité des mariages absorbe, depuis le décret de mars 2005, le temps et l'énergie des agents, au détriment de leurs autres missions. À nombre de visas constant, la généralisation du visa biométrique de court séjour doublera le temps de travail des services. (M. le président de la commission des lois se montre dubitatif.) C'est ce que disent plusieurs ambassadeurs !
Dans un contexte déjà tendu, l'établissement de visas de long séjour pour les conjoints de Français, pour les demandeurs de la carte « compétences et talents », pour les stagiaires, pour les volontaires internationaux - et j'en passe ! -, s'ajoutant au renforcement maniaque des contrôles, conduira à la thrombose des consulats. Les délais administratifs seront interminables et viendront s'ajouter à ceux que le projet de loi allonge à plaisir. On délivrera donc moins des différents types de visas. Mais n'est-ce pas là, en réalité, votre but, monsieur le ministre ?
En conclusion, je rappelle que les migrations ont toujours été douloureuses, dramatiques pour ceux qui s'y risquent, surtout s'ils sont pauvres, et difficiles pour les peuples d'accueil. Mais rendre systématiquement plus précaire la vie des étrangers en France ne rendra pas plus simple, plus paisible et plus prospère la vie des Français. C'est une illusion qu'il est facile de vendre, mais c'est une impasse.
La sécurité et l'avenir de l'Europe passent par le développement de l'Afrique. Monsieur le ministre de l'intérieur, la France a besoin de l'Afrique, contrairement à la déclaration provocante que vous avez faite au Mali. Et pour sortir du sous-développement, l'Afrique a besoin de ses migrants. Ce sont eux, en effet - vous l'avez dit, monsieur Legendre -, qui aident le plus leur pays d'origine par leurs apports financiers, dont les montants sont bien plus élevés que celui de l'aide publique au développement dont nous nous glorifions.
Alors - et, là, j'oserais à peine parler de « codéveloppement », si je n'empruntais pour finir les mots d'un grand Africain -, plutôt que de vieillir et de nous appauvrir derrière des barricades illusoires, créons des richesses communes, préparons un avenir qui nous soit commun - la planète est si petite et si menacée -, imaginons avec nos partenaires africains un véritable codéveloppement, pas un alibi. L'avenir, c'est ce que propose le Béninois Albert Tévoédjéré : « Les investissements pour l'invention commune et la maîtrise commune des infrastructures déficientes, pour l'eau, l'énergie et les communications sur tout le continent africain. Cette politique de codéveloppement que nul n'ose, c'est elle qui maîtrisera le flux migratoire. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a construit sa politique migratoire autour de quatre axes : restaurer le droit d'asile, aider et inciter les étrangers à s'intégrer, lutter contre l'immigration clandestine, harmoniser la politique européenne d'immigration.
Or j'ai le sentiment que, depuis quelques heures, nous parlons de l'immigration irrégulière comme d'un phénomène tout à fait normal. L'étranger en situation régulière sur le territoire français bénéficie de toutes les mesures de précaution, d'encadrement, de formation dont il a besoin. Mais les propositions drastiques que propose le Gouvernement, à juste titre d'ailleurs, sont nécessaires pour endiguer l'immigration clandestine qui dénature l'image de la France. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
J'ai beaucoup entendu parler de « coopération ». Ayons le courage de reconnaître que, dans ce domaine, notre pays a été exemplaire. La France, que ce soit en Afrique, dans les Caraïbes ou le Pacifique, a participé très largement aux fonds de coopération, et ses contributions financières ont été remarquables.
La France a mené une politique d'intervention humanitaire d'excellence dans la Caraïbe. Elle a, dans ce domaine, une longue histoire de générosité, de fraternité et de solidarité, mais elle ne peut plus, aujourd'hui, se permettre de mener des actions comme celles qu'elle a pu mettre en oeuvre autrefois.
Par ailleurs, il faut rappeler le rôle joué par notre pays - et nous devons en être fiers - lorsque des catastrophes naturelles se sont produites dans le monde. Ainsi, la France a été le seul pays à intervenir sur l'île de Montserrat, lors de l'éruption volcanique de la Soufrière.
M. Jean-Paul Virapoullé. C'est vrai !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Les Américains et les Anglais ont déposé leurs aides humanitaires dans l'île de Sainte-Lucie, que les Français sont allés récupérer afin d'aider cette terre abandonnée.
Prenons l'exemple d'Haïti.
Haïti, terre autrefois française, est devenue le pays le plus pauvre du monde. Certes, la France y conduit des actions tant aux niveaux économique et culturel que dans le domaine de la santé. De surcroît, n'oublions pas que c'est l'intervention de la France auprès des instances communautaires qui a permis à Haïti de bénéficier des fonds de coopération et du fonds européen de développement, malgré l'instabilité politique qui y règne.
Traiter du problème de l'immigration clandestine est donc pour moi l'occasion inespérée de parler du grave problème d'Haïti. En effet, dans cette île francophone, à une heure et demie de vol de la Guadeloupe, les États-unis, le Canada, l'Allemagne introduisent des politiques abracadabrantes, au détriment de la réalité locale. Dans ce domaine, la France, à travers les régions et les départements d'outre-mer, essaie de rétablir un juste équilibre.
Il est donc pour nous, Antillais, inacceptable de voir ce peuple, qui a partagé avec nous la longue histoire de la France, qui a été sur les champs de bataille, alimenter les filières clandestines de travailleurs que l'on retrouve chez nous, parfois entassés à dix ou quinze, dans une pièce de deux mètres sur trois.
Est-ce faire preuve de générosité de la part de la France que de permettre à des travailleurs affamés de se trouver dans nos îles et d'habiter dans des pièces sans eau, sans électricité ?
Est-ce faire preuve de fraternité que de contraindre des hommes à se cacher la journée et à ne sortir que le soir parce qu'ils sont arrivés chez nous clandestinement, sur des barques, dans des conditions difficiles, ou qu'ils circulent dans des véhicules sans assurance ?
Est-ce faire preuve de fraternité et de respect envers nos institutions que de garder sur notre territoire des Haïtiens en situation irrégulière, qui s'y maintiennent grâce à l'existence de structures parallèles ?
Nous ne pouvons tolérer que, à travers l'immigration clandestine sur les territoires français d'outre-mer, ce vivier de travailleurs clandestins qui survivent dans des conditions inacceptables, soit entretenue une véritable exploitation de l'homme par l'homme.
Ce texte ne saurait être parfait. Incontestablement, tout comme le monde bouge, il doit pouvoir évoluer. J'approuve les mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre ces fléaux. Je soutiens l'intensification du combat contre les filières clandestines, notamment la multiplication des contrôles par les forces de l'ordre, qui commencent déjà, dans les territoires d'outre-mer, à produire des résultats, les actions de saisie des barques qui accostent la nuit de façon clandestine et l'immobilisation des véhicules terrestres.
J'ai beaucoup entendu parler de « coopération », de « codéveloppement ». La France a créé, sur l'initiative d'Alain Juppé, alors Premier ministre, l'Association des États de la Caraïbe afin d'établir une coopération de Cuba à l'Amérique du Sud et tenter ainsi de traiter les problèmes de codéveloppement. Quels en furent les résultats ?
Tout à l'heure, M. Jean-Paul Virapoullé a évoqué l'Australie. Mais, mon cher collègue, pour avoir le droit de séjourner dans la petite île de la Dominique, qui représente le quart de la Guadeloupe et est à cinq minutes de vol de Basse-Terre, il faut répondre à certains critères, car le Gouvernement est résolu à ne pas tolérer l'immigration clandestine.
Du reste, c'est un illustre ancien premier ministre socialiste qui, en visite à la Guyane, voilà déjà fort longtemps, avait dit, se rendant compte des conséquences de l'immigration dans ce département : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde. » C'est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut citer la phrase en entier !
Mme Alima Boumediene-Thiery. « ...mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ! »
Mme Lucette Michaux-Chevry. J'ai le texte parfaitement en mémoire !
Je considère qu'ouvrir des chantiers pour le codéveloppement est indispensable. Mais nous sommes confrontés aujourd'hui à une situation dramatique - n'ayons pas peur de le dire - qui prend racine dans le sentiment de certains Français de ne plus être chez eux. Les Domiens se sentent parfois considérés comme des étrangers sur le sol français.
Dans le passé, pour nous, Domiens, qui connaissions l'exclusion à travers les séquelles de l'esclavage entretenu par certains riches propriétaires békés, aller en métropole, c'était trouver une France généreuse où nous étions considérés comme tout le monde. Aujourd'hui, si l'on est un peu « coloré », il faut presque présenter sa carte d'identité pour que l'on vous croie Français !
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
Mme Lucette Michaux-Chevry. La France a ouvert de façon trop brutale ses portes, ce qui a provoqué un choc des ignorances. Alors que certains Français ne connaissent pas réellement la France, le Domien qui, depuis l'enfance, connaît tous les méandres de la Seine, de la Loire, de la Garonne, « Cerisiers roses et pommiers blancs », se sent étranger en métropole, dans son propre pays.
Il faut avoir le courage politique de gérer ce problème, en imposant des conditions drastiques à l'entrée en France, en obligeant au respect de nos lois et de notre réglementation, en ne tolérant pas que, sur notre sol, des étrangers en situation irrégulière fassent ce qu'ils ne feront jamais sur leur propre territoire. Tel est le sens de ce texte.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel méli-mélo !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Cela peut paraître compliqué, mais il le serait encore plus de laisser vivre sur notre sol des hommes et des femmes dans les conditions actuelles.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de prendre l'exemple de Port-au-Prince, capitale surpeuplée d'Haïti, où le régime Duvalier a fait venir toute la population et s'est entouré des gardes du corps nécessaires à une politique inhumaine.
Aujourd'hui, plutôt que de dire : « Dehors les Haïtiens ! », notre rôle, à travers les actions que nous menons, est d'apporter des solutions. Ainsi, nous travaillons actuellement, à la demande du ministre de l'intérieur, avec le nouveau président haïtien René Préval, à décongestionner Port-au-Prince et à permettre aux Haïtiens de retourner dans les zones rurales, afin de relancer l'agriculture, qui a été la fierté de ce pays, la pêche, le reboisement. Nous nous efforçons également de favoriser les échanges afin que les Haïtiens, qui sont riches sur le plan culturel, qui comptent de nombreux peintres et sculpteurs, apportent à la France leur savoir-faire.
C'est ce partage, cette coopération bilatérale, humaine, réfléchie, que nous devons promouvoir ensemble si nous voulons conserver un minimum d'exigence humanitaire, valeur fondamentale qui a fait la force de notre pays, la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le thème de l'immigration est devenu l'un des moteurs des peurs françaises de ces dernières décennies, c'est qu'il est corrélé avec d'autres débats sur la sécurité, l'emploi ou l'identité nationale. Reprendre ce débat en le retirant au quasi-monopole exercé durant vingt ans par l'extrême droite est un enjeu politique majeur, qui justifie que les partis de gouvernement abordent enfin sans complexe cette question.
Le législateur est dans sa mission lorsqu'il intervient sur de tels sujets. La gouvernance des flux migratoires est en effet - aujourd'hui encore plus qu'hier - l'un des attributs essentiels de la souveraineté. De même, le législateur est au coeur de ses missions lorsqu'il définit les conditions d'intégration dans la communauté nationale ou de l'accès au marché du travail.
Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que le problème des flux migratoires n'est pas un problème purement national, qu'il est aujourd'hui mondial et qu'il doit être appréhendé à l'échelle européenne. Non seulement l'Union européenne est compétente en la matière mais, surtout, lorsque l'immigration clandestine concerne de nombreux États membres, à commencer par nos voisins immédiats, il est illusoire de penser régler le problème nationalement si nos voisins adoptent en la matière des politiques contradictoires avec la nôtre.
Enfin, avant d'être un problème d'ordre public, l'immigration est d'abord un problème humain, celui de millions d'hommes et de femmes chassés de leur pays par la misère et attirés non seulement par l'image de prospérité et de liberté que renvoient les États européens, mais aussi par la volonté de rejoindre leurs compatriotes qui les ont précédés. Ces hommes, ces femmes, ces enfants qui franchissent nos frontières et frappent à nos portes sont des êtres humains, nos égaux en dignité et en respect, et nous ne pouvons pas les traiter autrement qu'en les faisant bénéficier de nos droits et de nos procédures.
Légiférer en la matière réclame donc réalisme et équité : il faut écouter les élus locaux, qui sont quotidiennement confrontés à ces situations, et le monde associatif, qui humanise des situations souvent douloureuses.
Le phénomène n'est pas nouveau, mais, d'un point de vue juridique, il est longtemps resté en friche.
Depuis des siècles, la France est un pays d'immigration et l'immigration « sauvage » a toujours été le modèle dominant. Faute de politique migratoire définie par l'État, les migrants sont venus en France par leurs propres moyens, souvent clandestinement, avant que leurs familles ne les rejoignent.
Voilà quarante ans, jeune bénévole, j'ai connu des travailleurs portugais - ils sont aujourd'hui mes amis -, qui sont rentrés en France dans des camions-citernes, avec la menace d'être jetés en prison s'ils étaient pris par les polices de Salazar ou de Franco. Leurs femmes et leurs enfants les rejoignaient plus tard, franchissant les Pyrénées en soudoyant des passeurs. Hébergés dans des foyers, ou dans des bidonvilles, ils trouvaient - c'était le temps de la croissance - du travail au noir chez des patrons sans scrupule, avant d'être tôt ou tard régularisés.
L'immigration traditionnelle vers la France depuis plus d'un siècle, c'est cela ! Des millions de personnes à la recherche de travail et de liberté sont ainsi venus dans notre pays.
Aujourd'hui, la situation n'a pas fondamentalement changé ; l'immigration « sauvage » reste la règle, même si elle utilise tous les biais légaux possibles. En tant que maire d'une commune de banlieue, je signe presque chaque jour quatre ou cinq attestations d'hébergement pour des séjours de courte durée, alors que bien peu des bénéficiaires repartiront dans leur pays.
Des différences majeures caractérisent pourtant l'immigration actuelle. Une minorité de migrants vient chercher du travail, qui est devenu une denrée rare, notamment pour les emplois non qualifiés. Beaucoup sont d'abord des ayants droit, qui vivent davantage des prestations sociales que des revenus du travail.
Par ailleurs, leur intégration est plus difficile : leurs croyances et leurs modes de vie sont souvent différents du modèle français dominant, ce qui les contraint à une adaptation culturelle et sociale parfois difficile.
« Nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde », avait reconnu en son temps Michel Rocard ; cette citation a souvent été reprise. De même, nous ne pouvons faire des promesses que nous ne pourrons pas tenir. Un devoir de réalisme s'impose donc à nous.
Parallèlement, nous n'avons pas le droit de favoriser la fraude et le trafic : que dire lorsqu'il nous est demandé, comme cela s'est récemment produit dans ma commune, de donner la priorité au relogement de squatters en situation irrégulière, au détriment de personnes très modestes, souvent immigrées, qui attendent depuis des années un logement social auquel elles ont droit ?
Le législateur doit donc en permanence distinguer le bon grain de l'ivraie, ceux qui veulent travailler et ceux qui trafiquent, qu'il s'agisse des allocations familiales, de faux baux ou de travail clandestin, ceux qui partagent ou veulent partager nos valeurs et font tout pour s'intégrer - c'est l'immense majorité des travailleurs immigrés - et les autres.
Il est vrai que cette distinction n'est pas toujours évidente. Pensons à ces femmes africaines sans papier des quartiers difficiles, qui ont souvent un réel désir de s'émanciper par le travail et l'intégration et qui doivent élever seules leurs enfants. Pensons également à ces hommes polygames qui travaillent, s'occupant réellement de leurs femmes et de leurs enfants ; j'en connais plus d'un dans ma commune. À leur façon, ils sont intégrés à notre société et leurs enfants, à coup sûr, le seront également.
Le devoir de l'État est donc de tout faire pour intégrer ces populations dans notre monde du travail et dans notre système de valeurs.
Pourquoi la France est-elle le pays d'Europe le plus sensible ou l'un des plus sensibles sur ce sujet ?
Tout d'abord, la société française est crispée, vieillissante, et a peur de l'autre. Du refus de l'Europe au refus de l'étranger, plus d'un signe traduit cette tentation chez nombre de nos compatriotes.
Cette attitude négative n'est que le côté obscur d'un besoin d'identité, de repères stables, alors que dominent le relativisme et la perte de sens. Ce délitement culturel et social est ressenti d'autant plus fortement que les institutions dont la mission est justement d'intégrer peinent toujours plus à jouer leur rôle, qu'il s'agisse de l'école, de l'armée ou des institutions religieuses.
Cette perte de cohérence et de capacité d'intégration se manifeste d'ailleurs par le décalage croissant entre citoyenneté politique, citoyenneté juridique et citoyenneté sociale.
Que de temps perdu à laisser la société se désagréger et l'immigration se développer de façon incohérente ! L'héritage des années socialistes est lourd. L'absence de politique de codéveloppement - le remplacement brutal de Jean-Pierre Cot par Christian Nucci fut symbolique ! -, de politique de l'immigration, de politique de l'intégration, tant dans les projets que dans les moyens, n'a fait qu'aggraver des tendances qui se dessinaient déjà.
Dans les années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, il était tabou, « lepénisant », de parler des problèmes d'intégration liés à l'immigration, même si Laurent Fabius avait déclaré que « le Front national donnait de mauvaises réponses à de bonnes questions ».
Quant à la fuite des élites africaines, elle n'a pas commencé en 2006, avec ce projet de loi ; elle a toujours été la règle, même si la perte de l'attrait intellectuel de la France a limité cette tendance.
Face à une crise aussi profonde, même s'il est nécessaire de légiférer, une seule loi peut-elle suffire ?
Légiférer en la matière exige de suivre une méthode cohérente. Il s'agit tout d'abord de respecter l'ordre logique.
L'aide au développement est prioritaire si l'on veut limiter efficacement et humainement l'immigration sauvage. De même, une politique systématique d'intégration de ceux qui sont déjà en France est indispensable pour intégrer à leur tour les nouveaux arrivants. Pour que la politique de contrôle des flux migratoires soit efficace sur le long terme, elle doit être la conséquence et non le préalable de ces deux politiques.
« L'immigration choisie » doit l'être conjointement par l'État destinataire et par l'État d'origine. En effet, immigration et développement sont compatibles : les immigrés contribuent au développement du pays d'accueil et du pays d'origine, pour peu que nous facilitions, comme nous vous le proposerons, mesdames, messieurs les sénateurs, le réinvestissement dans le pays d'origine.
Il convient d'agir à l'échelle européenne et, par subsidiarité, à l'échelle nationale.
Bien sûr, la question est de savoir comment on peut définir des politiques publiques à vingt-cinq, surtout au lendemain de l'échec du traité constitutionnel. Comment relancer l'aide au développement, comme à la grande époque des traités de Lomé, avant que l'Europe ne se tourne vers l'Est dans les années postcommunistes ? C'est à la France de proposer aux États européens de regarder à nouveau vers le Sud, en y consacrant des moyens et en y apportant des méthodes radicalement nouvelles.
De toute façon, l'élaboration d'une législation purement nationale à l'heure des régularisations massives et irresponsables aux portes de la France risque de n'être très vite qu'un mur de papier. Peut-on définir seul une politique migratoire ? Oui, si l'Europe n'agit pas, mais sa mise en oeuvre se fera avec difficulté, faute de moyens, et ses effets seront limités et transitoires.
Pourtant, l'action entreprise depuis 2002 commence à donner des résultats.
Un bilan de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a été dressé le 2 mars dernier et les résultats sont à saluer. Si l'on ne prend pas en compte les citoyens de l'Union européenne, on a pu constater, pour la première fois, la baisse du nombre des titres de séjour délivrés.
Ce nouveau projet de loi devra donner à cette tendance des bases durables.
Il convient, d'abord de renforcer l'intégration, grâce au contrat d'accueil et d'intégration et, surtout, aux conditions d'obtention de la carte de résident.
Il s'agit, ensuite, de renforcer la professionnalisation de l'immigration, le travail ou les études devant à nouveau être les bases sur lesquelles on apprécie la volonté des étrangers de séjourner sur le territoire français.
Il faut, enfin, renforcer les contrôles, notamment pour lutter contre les fraudes, tout en respectant les droits de la personne.
Les risques que comporte le texte ne doivent cependant pas être sous-estimés, notamment en ce qui concerne sa mise en oeuvre.
Faut-il agir sur les effets ou sur les causes ? Si l'on veut être efficace, il est nécessaire d'oeuvrer en faveur autant du codéveloppement que du contrôle de l'immigration.
Il convient également de ne pas tomber dans une démarche utilitariste, en définissant ensemble, avec les pays d'origine et le monde associatif, le bien commun en la matière.
L'étranger ne doit pas être considéré comme un moyen : nous devons veiller à ne pas porter atteinte à ses droits en tant que personne.
Au cours de cette lecture au Sénat, le projet de loi devra donc être amélioré.
S'agissant du codéveloppement, des accords de partenariat bilatéraux devront constituer le cadre obligatoire d'une démarche partagée entre pays d'origine et pays d'accueil.
L'approche européenne est également à approfondir, en transposant fidèlement, et en temps utile, les directives de l'Union européenne, qui doivent être !a norme, le droit français n'en étant que le complément subsidiaire.
Enfin, le projet de loi doit respecter le droit, et notamment les principes fixés par la Convention européenne des droits de l'homme.
Nous devons donner à ce texte sa vraie place, en considérant qu'il pose des jalons.
En attendant 2007 et un projet global centré sur le codéveloppement, un partenariat indispensable avec l'Afrique doit définitivement tourner la page du népotisme postcolonial.
Il s'agit d'oeuvrer pour une politique européenne de codéveloppement et de maîtrise de l'immigration, notamment avec les pays de l'arc méditerranéen, en n'oubliant pas que le contrôle de l'immigration se fait non seulement aux frontières métropolitaines, mais aussi aux frontières ultramarines.
Monsieur le ministre, ce projet de loi est nécessaire, car nous ne pouvons pas attendre que les vingt-cinq États membres de l'Union européenne se mettent d'accord dans cinq ans ou dix ans. Il est également courageux, car il ose aborder ce sujet en face. Il n'a été critiqué que par ceux qui n'avaient pas d'autres solutions à proposer, sinon le laisser-aller qui a conduit les Français à l'exaspération et de nombreux immigrés à la précarité (M. Bernard Frimat proteste.). Au demeurant, il doit être considéré comme une étape vers une politique ambitieuse en matière de codéveloppement et une politique européenne de maîtrise des flux migratoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de revenir sur certains points de ce projet de loi.
J'aborderai tout particulièrement quelques problèmes pratiques relatifs aux mariages, aux hébergés et aux nomades. C'est mon expérience de maire qui me guide. Je dois souvent traiter de ces questions, sans en avoir les moyens, comme d'autres de mes collègues, d'ailleurs.
Concernant les mariages entre un Français ou une Française et un étranger ou une étrangère non européen, le fait d'obtenir automatiquement la nationalité française au bout de quatre ans est souvent l'une des raisons principales de ces unions.
M. Charles Gautier. Il ne croit pas à l'amour !
M. Serge Dassault. La suppression de l'obtention automatique de la nationalité française réduirait considérablement le nombre de ces mariages.
J'interviendrai sur ce sujet lors de l'examen de l'article 2 du projet de loi, car il faut en finir avec le principe d'obtention automatique de la nationalité française sous prétexte de mariage.
Pour un maire, il est choquant de marier un Français ou une Française avec un étranger ou une étrangère qui vit sans visa depuis plusieurs années parfois. Ce dernier ou cette dernière est hors-la-loi et devrait être reconduit à la frontière avant le mariage.
Monsieur le ministre, à l'article 1er, vous définissez en long et en large les dispositions générales relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France, mais vous semblez ignorer le cas des étrangers sans visa qui restent en France après avoir été hébergés, sans être inquiétés outre mesure, et qui veulent se marier. Quand on signale le cas au procureur de la République pour avoir son avis sur le fiancé ou la fiancée, en général il ne répond pas. Selon la loi, cela signifie aujourd'hui que, dans ce cas, il est d'accord, alors que cet étranger est peut-être un délinquant.
Le mariage ne devrait pas avoir lieu sans réponse du procureur. Qu'il dise « oui » ou qu'il dise « non », mais qu'il réponde ! Aujourd'hui, en l'absence de réponse, le maire est obligé de procéder au mariage au bout d'un mois ; c'est tout à fait anormal.
Cela m'amène à évoquer le cas des hébergés, qui a été traité dans la loi de 2003, mais qui, à mon sens, n'est pas ou peu abordé dans votre projet de loi.
En principe, un maire ne peut pas refuser l'obtention d'un visa de séjour de trois mois au maximum à un membre de la famille ou à un ami, si les conditions de logement sont suffisantes ; c'est la seule condition.
Mais rien n'est fait pour contrôler le départ de l'hébergé. En effet, aucune mention n'est portée sur son passeport des dates d'entrée et de sortie supposées, comme cela se passe aux États-unis. En outre, aucune sanction n'est prévue à l'encontre ni de l'hébergé ni de l'hébergeant. Il n'est pas encore muni de ce passeport biométrique dont M. le ministre parlait tout à l'heure et qui serait ici bien utile. Des contrôles de police au domicile de l'hébergeant, ou à défaut du facteur si la police ne peut intervenir, devraient permettre systématiquement de vérifier si l'hébergé est bien parti.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parti où ?
M. Serge Dassault. Dans le cas contraire, il devrait y avoir des sanctions immédiates.
Quand ces hébergés clandestins se manifestent pour se marier à la mairie, on est obligé de procéder au mariage, car il faut, paraît-il, marier des personnes qui s'aiment, même si leur différence d'âge est importante. Seulement le fiancé clandestin aurait dû être expulsé avant le mariage, sa présence en France étant illégale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et la liberté du mariage !
M. Serge Dassault. Cela serait fortement dissuasif pour éviter ce genre de mariage et, de plus, ce serait parfaitement légal.
Concernant les gens du voyage, il faudrait, dès leur arrivée dans une commune, faire procéder par la police ou la gendarmerie à des contrôles d'identité pour savoir d'où ils viennent. Ce n'est pas le cas. Un contrôle fiscal et financier devrait - pourquoi pas ? - être aussi exercé lorsque le luxe de certaines voitures ou caravanes contraste manifestement avec leur absence totale de revenus.
M. Charles Gautier. Hors sujet !
M. Serge Dassault. Les gens du voyage devraient aussi acquitter obligatoirement auprès de la commune qui a payé les installations un droit de passage ou de présence sur tout terrain aménagé à leur profit. L'abus de résidence des gens du voyage devrait également être sanctionné.
Un maire de mon département m'a récemment informé que, sur son canton, quatre communes au moins « bénéficient » de cette présence, totalisant ainsi près de quatre cents caravanes.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ils sont Français !
M. Serge Dassault. Les services de gendarmerie sont dehors toutes les nuits, dit-il, et le climat général est selon lui détestable. Une trentaine de caravanes se sont installées, suite à un coup de force, dans sa propre commune. Alors que faire ? Personne ne bouge...
Enfin, il faudrait traiter le cas plus délicat des étrangers sans carte de séjour, vivant en colonie dans leurs véhicules. Ils stationnent totalement illégalement sur un terrain délaissé d'une commune. Ce ne sont pas des gens du voyage, car ils ne se déplacent pas ; ils restent là. C'est le cas actuellement dans le département de l'Essonne, et sans doute dans d'autres. En effet, des Roumains se sont installés sur un terrain ; ils saccagent l'environnement, coupent des arbres, en brûlent certains, et établissent un véritable camp. Ils vivent sans hygiène et apparemment sans ressources. Tout appel au préfet reste sans effet. Alors que faire ?
Dans le même temps, on voit les mendiants se multiplier dans les communes. Cela mécontente fortement nos administrés, qui s'étonnent qu'aucune autorité ne se manifeste pour régler ce problème dont la gravité ne peut qu'empirer. C'est pourquoi je proposerai dans les prochains textes sur la sécurité intérieure, notamment le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, des amendements sur ce sujet.
C'est de l'immigration clandestine caractérisée. Un contrôle à la frontière devrait empêcher ce genre d'invasion, d'autant qu'ils ne doivent quand même pas passer inaperçus !
A ce sujet, je voudrais vous lire le texte que m'a récemment envoyé l'un de mes administrés : « Monsieur le maire, j'aimerais savoir si vous avez les moyens de faire déménager le camp de nomades qui grossit de jour en jour. Au début, il y avait des caravanes ; maintenant, ils construisent des cabanes, sans parler des détériorations et des saletés. Le matin, quand je prends le RER, on se croirait dans les pays de l'Est.
« J'espère qu'en tant que sénateur-maire vous avez assez de poids pour mettre fin à cette situation qui empire de jour en jour.
« J'en parle en mon nom, mais également pour tout le voisinage. »
Je n'ai pas malheureusement pas le pouvoir qu'il m'attribue. Je peux intervenir, mais apparemment sans beaucoup d'effet. Enfin, il faut quand même essayer !
En tout cas, j'estime que nous devons décider ce qu'il convient de faire en pareil cas : soit on les expulse, car ils n'ont rien à faire là, soit on les accueille et on leur donne des logements, voire du travail. Mais il n'y en a pas pour nous, donc pas pour les autres. Il faut néanmoins agir et ne pas laisser perdurer une situation qui pourrait rapidement empirer et créer beaucoup de difficultés. Je voudrais bien savoir ce que le préfet peut faire.
Concernant le regroupement familial, j'ai cosigné avec mon collègue Jean-Patrick Courtois deux amendements qui sont essentiels.
Le premier vise l'intégration des étrangers et de leur famille. Après dix-huit mois de présence sur notre sol, tout étranger qui veut être rejoint par sa famille doit respecter les principes fondateurs de notre République, notamment la liberté de conscience et la liberté individuelle. Des familles sont parfois regroupées et les droits des enfants, des femmes, sont quelquefois bafoués par la polygamie. Pour rendre l'intégration possible, il faut que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République soient pleinement respectés, ce qui n'est pas souvent le cas.
Le second amendement remet le maire au centre de la procédure de regroupement familial, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. En effet, le maire est l'homme de terrain. Il a un vrai contact avec les étrangers qui veulent bénéficier du regroupement familial. Si ces derniers ne respectent pas les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qui sont indispensables pour leur intégration, comme le respect des biens et des autorités, le maire est alors le mieux placé pour avertir l'autorité administrative compétente en la matière.
J'aimerais bien que, d'une façon générale, le maire ait un peu plus d'autorité pour assurer la sécurité. Aujourd'hui, contrairement à ce que croient les administrés, il a peu de pouvoir à ce sujet. « Monsieur le maire, vous savez tout faire. Par conséquent, vous pouvez empêcher cela. » Grave erreur, malheureusement ! Le maire n'a pas tous les pouvoirs qu'on lui prête.
Voilà les remarques et les quelques propositions que je voulais faire, monsieur le ministre, sur ce projet de loi dont j'apprécie d'ailleurs l'ensemble des dispositions.
Permettez-moi de vous rappeler, monsieur Sarkozy,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'est pas là !
M. Serge Dassault. ... que vous avez déclaré cet après-midi « vouloir utiliser les méthodes qui réussissent ailleurs ». Ah ! Comme c'est bien ! Il a totalement raison et il faudrait étendre cette volonté à beaucoup de secteurs, car il y a beaucoup à apprendre d'un grand nombre de pays qui réussissent dans les domaines où nous ne sommes peut-être pas brillants ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Aristide Briand affirmait : « L'art politique n'est que de concilier le désirable avec le possible ». Cette réflexion, issue de sa longue expérience, pourrait s'appliquer à ce projet de loi qui tente d'approcher un équilibre toujours très difficile à trouver sur des sujets aussi sensibles que l'immigration et l'intégration des immigrés. C'est la raison pour laquelle je voterai ce texte que personne n'a la prétention de croire parfait, mais qui est sans doute ce qui est possible dans le contexte actuel, sous réserve de quelques amendements auxquels j'apporterai mon soutien.
Les controverses suscitées par ce texte ont montré que l'angélisme, d'une part, l'histrionisme, d'autre part, ont de beaux jours devant eux. Pourtant, deux nécessités rendent indispensable la régulation des mouvements migratoires. Bien sûr, ceux-ci sont inévitables pour des raisons démographiques et économiques, ce qui rend obsolète le rêve de l'immigration zéro, mais l'immigration est nécessaire pour notre développement, ce qui rend stupide l'absence de régulation et le maintien de la situation actuelle, laquelle est l'un des grands obstacles à la réussite de l'intégration.
À partir du moment où l'on ne peut ni endiguer, ni se passer des migrations, il faut donc essayer de les réguler.
Ceux qui, comme moi, sont attentifs à la pensée de l'Église catholique sur les sujets de société se sont interrogés pour savoir dans quelle mesure les réserves exprimées par l'épiscopat pouvaient orienter l'appréciation à porter sur ce texte.
Le souci d'humanisme et de charité est tout à fait louable et trop rare dans notre société ; aussi ne peut-on que le partager. Il m'a paru nécessaire de me référer au catéchisme de l'Église catholique qui, dans son paragraphe 2241, affirme : « Les nations les mieux pourvues sont tenues autant que faire se peut d'accueillir l'étranger en quête de sécurité et des ressources vitales qu'il ne peut trouver dans son pays d'origine. »
D'autres critiques émanant d'autres origines évitent d'être accompagnées de contre-propositions précises, sauf quelques-unes fondées sur un narcissisme moral qui consiste à dire : « Regardez comme je suis généreux avec ce qui n'est pas à moi. »
M. Jean-Pierre Sueur. Procès d'intention !
M. André Lardeux. Vous vous sentez visé, mon cher collègue ?
Ceux qui ont cette position ont tendance à confondre l'État avec la planète, la citoyenneté avec l'humanité. Tout le monde ne peut pas devenir citoyen français !
Les solutions proposées sont-elles moins conformes à l'impératif d'humanité que la situation présente ? Il est permis de ne pas le penser pour l'essentiel.
Laisser faire, c'est en grande partie accepter le jeu de passeurs sans scrupules ou de négriers exploiteurs de main-d'oeuvre corvéable à merci.
Laisser faire, c'est souvent légitimer, à défaut de légaliser, mariages de complaisance et polygamie. Monsieur le ministre, vous renforcez le rôle des consulats ; il faudra très certainement les doter des moyens humains convenables, aussi bien en quantité qu'en qualité.
Adapter le nombre de nos hôtes à nos capacités d'accueil et d'emploi est un impératif pour nous-mêmes, mais aussi pour ceux qui sont accueillis et qui doivent l'être dans des conditions décentes. Si l'on veut vraiment réussir leur intégration, il est indispensable de réguler les mouvements migratoires, sinon les immigrés connaîtront des situations de plus en plus indignes sur le plan humain et cela suscitera des réactions de rejet de plus en plus fortes, avec toutes les conséquences dramatiques que l'on peut envisager.
Il ne faut pas se contenter de parler des droits ; il faut aussi parler de devoirs. C'est ce qui élève l'homme au dessus de l'animal, car faire son devoir, c'est être libre. La France doit accueillir dans des conditions convenables les étrangers, mais ceux-ci, en contrepartie, doivent choisir la France pour s'y amalgamer.
Parmi les critiques émises, deux méritent particulièrement d'être examinées et sont d'ailleurs liées. Elles concernent l'aide au développement et la sélection des diplômés. Ce sont les plus fondées. Mais on ne réglera pas la question de l'aide au développement dans le cadre d'une loi, sauf à se contenter d'incantations. Les réponses à la dimension internationale des problèmes migratoires relèvent de la concertation entre États ou grands ensembles d'États.
A cet égard, on ne peut que regretter l'incohérence des pays européens qui pratiquent des mesures de régularisation à la « va comme je te pousse », sans souci d'accorder leurs violons, et se trouvent par la suite confrontés à des problèmes insolubles, comme nos amis espagnols qui ont oublié que « Dieu se rit de ceux qui déplorent des effets dont ils continuent de chérir les causes ».
On doit également s'interroger sur nos politiques d'aide au développement, quand elles existent, ce qui n'est pas toujours le cas ; les politiques agricoles et commerciales du Nord sont-elles une des causes des mouvements migratoires ? Peut-être.
Nos déficits publics, résultat du profond égoïsme de nos sociétés à l'égard des générations futures, sont-ils conformes à la solidarité que nous devrions manifester vis-à-vis des pays en développement ? Pas plus que nous ne devons financer notre prétendu modèle social à crédit, nous ne pouvons assurer une aide efficace au développement à crédit. En effet, le transfert de richesses vers les moins favorisés doit être réel et non virtuel. Si nous n'agissons pas sans tarder sur les causes des mouvements migratoires, et la France ne peut pas le faire seule, « le pas des mendiants fera trembler la terre » !
S'agissant des immigrés qualifiés, la réciprocité me semble nécessaire et être la règle de base pour résoudre cette question.
Vous avez, monsieur le ministre, essayé de répondre aux difficultés à venir sur un sujet éminemment sensible ; votre essai mérite d'être tenté, et je souhaite que l'application de cette loi soit la plus efficace et la plus humaine possible.
En dépit de ce que pensent les adeptes du multiculturalisme, l'amour de la France ne se négocie pas, et nul n'est tenu d'être Français. La logique du laisser-faire en matière d'immigration conduit à la ségrégation dans la mesure où ses considérants sont hostiles à l'unitaire et à l'universel. On ne peut pas superposer indéfiniment des « différences » sans se soucier du principe d'unité qui leur permettra de cohabiter ensemble. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Peyrat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Front national !
M. Jacques Peyrat. Bah !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, du moins ceux qui sont agréables, mon temps de parole est limité ; on m'a menacé de sanctions terrifiantes si je dépassais les trois minutes qui me sont accordées ! Je ne vous lirai donc pas le beau discours que j'avais préparé. Toutefois, comme dans une cour d'assises, j'aurais souhaité que le tenu pour lu figurât au plumitif. Je me contenterai donc de faire deux remarques.
Tout d'abord, à cette heure avancée de la nuit, je vous livrerai une anecdote.
Je rentre du Canada où j'ai visité les villes jumelles de la ville de Nice. J'ai été reçu à Ottawa par le président de la commission des affaires étrangères du Sénat. Entouré de quatre ou cinq de ses collègues, il m'a posé la question suivante : « vous qui venez d'un pays qui est spécialiste dans le domaine de l'immigration, quelles sont les recettes que nous pourrions appliquer à notre pays ? » Je lui ai répondu, astucieusement, me semble-t-il, en ces termes : « vous qui êtes le représentant d'un pays spécialiste de l'immigration, dites-moi quelles sont vos recettes en la matière ? »
En vérité, cela signifie que le Canada est en train de revoir la question de l'immigration,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allons bon !
M. Jacques Peyrat. Mais oui !
... alors qu'il compte 32 millions d'habitants pour un pays dix fois grand comme la France. Les Canadiens se posent donc, eux aussi, des questions, tout comme les Australiens, d'ailleurs.
Par ailleurs, le maire de Mulhouse a tenu des propos qui étaient, eux, au moins agréables à entendre ; je n'y ai vu aucune insulte larvée ni aucun mépris latent. Il a tout simplement affirmé que, en tant que maire, il a vu petit à petit l'immigration augmenter, comme je le constate également moi-même à Nice depuis onze ans. Cela signifie-t-il que la présence de ces frères, qu'ils soient d'Afrique, d'Asie ou du Proche-Orient, soit insupportable pour l'esprit, l'idéologie ou l'amour de nos concitoyens ? Pas du tout ! Cela veut dire tout simplement que la charge de la vie en collectivité devient infernale pour un maire.
Plus cette immigration s'intensifie, plus il faut construire de logements et les entretenir, plus il faut prévoir de lits dans les hôpitaux, alors que l'on cherche précisément à en fermer quelques-uns, estimant que leur taux de remplissage n'est pas suffisant pour pouvoir continuer à donner des soins. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Il faut des écoles plus vastes, et il revient au maire, au conseil général et à la région de construire des écoles, des collèges et des lycées. Il faut également revoir la question des haltes-garderies et des maternelles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous dis qu'il n'a pas changé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est incroyable !
M. Jacques Peyrat. Bref, tout cela a un coût considérable et, disons-le très clairement, nos populations - en tout cas, la mienne - ne l'acceptent pas de gaieté de coeur.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Soyons alors malthusiens et fermons tout !
M. Jacques Peyrat. Une de nos collègues a parlé très agréablement de ses origines. Souffrez que je vous dise, à mon tour, madame, qui je suis : je ne suis ni immigré, ni fils d'immigré ; je ne suis pas originaire des DOM-TOM, d'une île du Pacifique ou de l'Atlantique, je suis de ce pays, la France. Et il faut que je pense aussi à la France. C'est même le mandat qui m'a été confié, que la République m'a confié.
Sénateur de la République, maire d'une grande ville française, je suis obligé de mettre mes opinions personnelles de côté pour faire respecter la loi républicaine lorsqu'elle a été forgée.
Mme Bariza Khiari. Moi aussi !
M. Jacques Peyrat. Mais, lorsqu'elle ne l'est pas, il faut l'améliorer, et là, je suis à vos côtés, monsieur le ministre.
M. Bockel a indiqué que l'immigration constitue une chance pour la France. Mais la France est-elle une chance pour l'immigration ? Si nous parvenons à instaurer un équilibre, à faire en sorte que les uns et les autres y trouvent leur compte, peut-être par le biais de la loi, nous aurons réussi là où les autres ont échoué !
Monsieur le ministre, comme le disait Sénèque, « ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles. » M. le ministre d'État a osé, vous avez osé, nous serons à vos côtés pour oser ensemble ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Après Le Pen !
M. Jacques Peyrat. C'est étonnant, vous êtes d'un spirituel ! J'en suis stupéfait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous aussi !
M. Jacques Peyrat. Mais je ne me suis pas allié avec ceux qui ont fait cent millions de morts !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui sont-ils ?
M. Jacques Peyrat. Vous les représentez !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous en prie ! Qui représentez-vous ? Ceux qui ont enterré la République ?
M. Jean-Guy Branger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais m'exprimer ici non seulement en ma qualité de sénateur, mais également en tant que membre suppléant de la délégation parlementaire française de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, membre de la commission des migrations.
J'ai d'ailleurs été, à plusieurs reprises, rapporteur, et M. Nicolas Sarkozy m'a fait l'amitié d'inaugurer une audition parlementaire que j'ai organisée ici, au Sénat, pour nos collègues européens.
S'agissant de la question de l'immigration, je distinguerai deux aspects que nous devons concilier, à savoir, d'une part, l'importance et le rythme des flux vers l'Europe et, d'autre part, les règles de l'accueil des immigrés et les politiques d'intégration.
Quant à l'importance et au rythme de ces flux, j'affirme nettement avec Nicolas Sarkozy que la distinction entre immigration régulière et immigration irrégulière est fondamentale.
Ceux qui croient que l'on peut, et même que l'on doit, dans un souci humanitaire, abolir toute distinction se trompent, et je dirai même qu'ils rendent un mauvais service à ceux qu'ils voudraient protéger. Est-il aussi besoin de préciser qu'une pression migratoire rendant impossible toute intégration socio-économique des nouveaux migrants déstabilise les régions d'accueil, avec le risque de provoquer des troubles comme ceux que nous avons connus à l'automne 2005 et, simultanément, fait augmenter le nombre des votes d'extrême droite exprimant le refus ?
J'ai encore en mémoire la déclaration de M. Harlem Désir lors d'une grande émission politique de la télévision : « Pour assurer une intégration harmonieuse des immigrés, il faudrait stopper l'immigration. » Cette déclaration date de 1983 ! Personne ne pourra me contredire !
M. Jean-Guy Branger. À l'opposé de cette thèse, et en excipant du déficit démographique déjà constaté dans plusieurs États européens, d'aucuns voudraient que l'Europe accueille tantôt vingt millions, tantôt cinquante millions d'immigrés d'ici à 2050.
Pour diverses raisons, nous savons que les migrants venus du Sud, et spécialement du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne, ne choisiront pas pour destination les pays nordiques. Je vous laisse imaginer la difficulté d'assurer une intégration harmonieuse de ces millions de migrants nouveaux en France, en Espagne, à Malte ou encore, par exemple, en Sicile !
À l'heure où nos États connaissent déjà un fort taux de chômage et s'orientent vers une qualification toujours plus grande de leur main-d'oeuvre, avons-nous les moyens de résoudre les problèmes du Sud par une immigration massive sur le territoire européen ? Ma réponse est négative mais, pour autant, je ne préconise pas la fermeture des frontières.
Je suis de ceux qui soutiennent une vigoureuse politique de codéveloppement, spécialement en faveur de l'Afrique.
En tant que membre de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et membre de la commission de l'égalité des chances pour les hommes et les femmes à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je voudrais insister sur le fait que les politiques doivent toujours être dirigées en premier lieu vers les femmes et les jeunes filles.
Le mythe de la famille africaine élargie n'a-t-il pas vécu ? Peut-il couvrir l'abandon des enfants des rues ou les risques mortels encourus par les candidats aux migrations illégales ?
Nous avons connu nous-mêmes, en Europe, des familles très nombreuses. Aujourd'hui, chacun aspire à un développement personnel. Croyez-vous que les jeunes Africains n'y aspirent pas ? Allons-nous longtemps croire et laisser croire que l'immigration en Europe est la seule solution pour résoudre leurs propres difficultés ?
Les politiques ont le devoir de veiller à l'avenir, et l'avenir, ce sont les femmes africaines qui le feront. Chaque jeune fille scolarisée apprendra à lire à ses enfants, à les soigner. L'éducation des filles est le seul facteur de maîtrise de la fécondité. Garantir l'éducation d'une famille moins nombreuse, c'est le gage d'une famille plus heureuse. Les organismes de coopération au développement, majoritairement composés d'hommes, sont encore largement insensibles aux difficultés que rencontrent les mères, sur lesquelles repose tout le poids des conséquences non seulement économiques et sociales, mais également personnelles, que représente une natalité qui est, à mes yeux, parfois d'un autre âge.
Le second aspect que je voudrais évoquer concerne l'approche juridique des flux migratoires.
En côtoyant les représentants des quarante-six États du Conseil de l'Europe, j'ai appris que les mesures proposées par notre ministre de l'intérieur sont les plus favorables des grands États européens. Plusieurs études de législation comparée réalisées au Sénat le démontrent.
Ainsi, la Belgique de se doter d'une nouvelle loi visant essentiellement les fraudes au régime d'acquisition de la nationalité belge. Édictée par un gouvernement de gauche, elle va très au-delà des dispositions qui nous sont aujourd'hui soumises. Il en va de même pour le gouvernement travailliste de Grande-Bretagne, qui vient de voter une loi en la matière.
Nous nous accordons tous à dire que le régime français doit d'abord respecter les droits de l'homme mais, s'il ne fait pas une distinction entre les fraudeurs et ceux qui respectent les lois, c'est tout le régime qui est discrédité, ce dernier fonctionnant alors comme un appel à la fraude et une incitation aux phénomènes de rejet mutuel.
N'oublions pas que nous sommes garants non seulement des droits de l'homme pour toute personne présente sur le territoire français, mais aussi de la paix sociale à laquelle ont droit tous nos concitoyens.
Avant de conclure, je veux rappeler, mes chers collègues, que la France accorde chaque année la nationalité française à 150 000 personnes environ.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-Guy Branger. Pas un pays de l'Union européenne ne procède à la même démarche.
Oui, avec ce projet de loi, la France reste un grand pays généreux. Ce projet est courageux, empreint d'une grande lucidité, et n'est pas démagogique. Vous proposez, monsieur le ministre, de donner tout ce que vous pouvez ; c'est bien de ne pas proposer ce que l'on ne peut pas donner. Monsieur le ministre, votre projet de loi sera adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par vous !
M. Jean-Guy Branger. Par la majorité !
M. Bernard Frimat. Comme le CPE !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Cet après-midi, le ministre d'État a rappelé combien il avait souhaité que ce projet de loi soit à la fois ferme et juste, et ce autour de trois grands principes : l'immigration choisie ; l'affirmation d'un lien étroit entre l'intégration et l'immigration ; l'inscription de la politique de l'immigration dans une vraie stratégie de codéveloppement.
C'est autour de ces trois grands principes que les articles du projet de loi, que nous aborderons demain, ont été définis.
Je veux d'abord remercier votre rapporteur, François-Noël Buffet, du travail d'analyse et de proposition tout à fait remarquable qu'il a su conduire au sein de la commission, sous la présidence de Jean-Jacques Hyest. Monsieur le rapporteur, vous avez démontré avec talent que vous partagiez l'ambition du Gouvernement de promouvoir une vision positive de l'immigration. Le Gouvernement, vous le savez, se montrera favorable à la plupart des soixante-treize amendements que vous avez très justement proposés et qui améliorent le texte.
Je sais le soin scrupuleux qu'apporte la Haute Assemblée à assurer le respect des droits des étrangers. Cette préoccupation est aussi celle du Gouvernement, qui se montrera très ouvert aux améliorations que vous proposez s'agissant, notamment, des délais de recours juridictionnels ou des conditions dans lesquelles les mineurs se voient désigner un administrateur en zone d'attente.
M. Othily, en sa qualité de président de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, nous a fait part des enseignements très utiles qu'il a tirés de cet important travail. L'explosion de l'immigration clandestine à Mayotte, mais aussi en Guyane et en Guadeloupe, compromet l'équilibre de ces territoires. François Baroin, au banc du Gouvernement, aura l'occasion de répondre point par point aux interrogations que vous avez soulevées.
Le projet de loi comporte d'ores et déjà, en ce qui concerne la Guyane, des mesures facilitant les efforts opérationnels des forces de police et de gendarmerie. Je pense aux visites sommaires de véhicules ou à la possibilité, pour le procureur de la République, d'ordonner la destruction d'embarcations fluviales non immatriculées ou l'immobilisation de véhicules terrestres.
Surtout, je veux souligner l'importance de notre action opérationnelle. En Guyane, au premier trimestre 2006, les instructions données au préfet par le ministre d'État ont porté leurs fruits : nous avons expulsé deux mille trois cents clandestins, ce qui représente une hausse de 160 % par rapport au premier trimestre de 2005. Les chiffes démontrent que le volontarisme produit des résultats, même si beaucoup reste à faire pour que ces territoires d'outre-mer retrouvent leur sérénité.
Mme Assassi s'est montrée, comme à l'accoutumée, une oratrice aussi passionnée que peu convaincante. Je ne me placerai pas sur le terrain polémique qui est le vôtre, madame la sénatrice, mais sur celui des faits, en relevant trois voeux, parmi vos propos, qui me semblent exaucés.
« Relogez les familles actuellement hébergées dans des taudis ! », demandez-vous. C'est ce que nous faisons.
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je prendrai deux exemples.
Le 14 avril 2005, vingt personnes trouvent la mort dans l'incendie de l'hôtel Paris Opéra. Les survivants - trente adultes et trente enfants - ont tous été relogés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par la mairie !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Voici un second exemple. Hélas ! le 26 août, l'incendie du boulevard Vincent Auriol faisait dix-sept morts. Nous avons relogé, sans délai, cent trente-neuf personnes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait agir auparavant !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous n'attendons pas ces tragédies pour agir !
Permettez-moi de vous dire que dans notre pays, et conformément aux lois de la République, la politique du logement relève prioritairement de la compétence des maires ou des présidents de communautés d'agglomération.
Mme Éliane Assassi. Pourquoi alors prétendez-vous avoir relogé ces gens ? C'est la mairie de Paris qui l'a fait !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Dois-je rappeler à la Haute Assemblée que, plus que tout autre, le Gouvernement développe un ambitieux plan de logement social ?
« Luttez contre les marchands de sommeil ! », demandez-vous encore. Je partage votre souhait. Aussi, je ne doute donc pas que vous voterez l'excellent amendement n° 141 rectifié, présenté par MM. Goujon et Karoutchi, qui va précisément dans ce sens.
Vous appelez le Gouvernement à développer « une vraie coopération avec l'Afrique ». Jean-Pierre Brard, à l'Assemblée nationale, avait émis le souhait que des mécanismes d'aide à l'épargne en faveur des migrants soient définis. L'amendement déposé par M. Pelletier et plusieurs de ses collègues permettra précisément de créer un « compte épargne développement », auquel le Gouvernement sera pleinement favorable. Je ne doute pas, madame Assassi, que les sénateurs assis sur les travées de gauche auront à coeur de le voter s'ils veulent mettre leur vote en accord avec leurs intentions affichées !
M. Badré a rappelé l'attachement de son groupe à la politique européenne. Nous partageons cette exigence européenne, avec pragmatisme.
Ainsi, c'est dans le cadre européen que nous concevons notre action en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Le déploiement des moyens de l'agence FRONTEX, avec des patrouilles communes en Méditerranée, le développement de la biométrie dans les consulats et la création d'un système d'information sur les visas, le VIS, sont autant d'initiatives pour lesquelles, à Bruxelles, la France est au premier rang.
Pas plus tard que vendredi, à Luxembourg, où je représentais le ministre de l'intérieur, la France a obtenu un résultat considérable. Voilà plusieurs mois que nous essayons d'obtenir de la part de nos partenaires européens, essentiellement l'Espagne et l'Allemagne, l'autorisation de faire passer le coût des nouveaux visas biométriques de 35 à 60 euros afin de faire face à l'augmentation des dépenses y afférentes, de mutualiser - j'en reparlerai un peu plus loin - l'action de nos consulats à l'intérieur du périmètre de Schengen et, enfin, que nos forces de sécurité intérieure puissent utiliser l'ensemble du fichier Schengen ii avec les dix nouveaux pays entrants, notamment dans le cadre du contrôle de l'immigration clandestine.
La France a acquis sur ces différents points un vote unanimement favorable des partenaires de Schengen et des vingt-cinq. Il appartiendra bien sûr au Parlement européen de ratifier ces décisions dans les semaines qui viennent.
C'est aussi dans le cadre européen que nous menons des opérations d'éloignement. Je pense aux trente-quatre vols groupés que nous avons organisés depuis 2002 avec les gouvernements britannique, allemand, néerlandais ou espagnol.
L'Europe, c'est aussi, en matière d'immigration, un cadre de réflexion commune. Le « Livre vert » que la Commission européenne a récemment consacré à l'immigration économique est très proche, dans ses préconisations, de ce qui est proposé dans le présent projet de loi, avec les cartes « compétences et talents » et l'ouverture raisonnée du marché du travail.
M. Frimat a fait part, comme chacun s'y attendait, de l'opposition des sénateurs socialistes à la réforme qui vous est proposée. Je ne peux qu'en prendre acte : nos approches sont, il est vrai, très différentes. Nous revendiquons totalement cette différence.
Votre critique des objectifs quantitatifs d'éloignement que le ministre d'État a demandé aux préfets de respecter illustre parfaitement l'ampleur du désaccord. Entre 1997 et 2002, Lionel Jospin avait décidé de laisser filer l'immigration clandestine, comme on abandonne un navire à la dérive.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est faux !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. La régularisation massive de 1997 a été suivie d'un très faible nombre d'expulsions - six à sept mille par an. Nous avons tout simplement triplé ces chiffres, pour une raison évidente, mais qui vous avait échappé : force doit rester à la loi. Or, sauf exception, l'illégalité d'un séjour en France reste une illégalité. À quoi cela servirait-il d'avoir des papiers si l'étranger sans-papiers a les mêmes droits que l'étranger en situation régulière ?
M. Jacques Peyrat. Évidemment !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est précisément parce que nous sommes fermes sur les principes que nous pouvons nous montrer ouverts et humains dans leur application. C'est précisément parce que nous refusons les régularisations globales que nous pouvons, comme le ministre d'État l'a rappelé dans son discours, envisager des admissions exceptionnelles au séjour, à titre humanitaire, pour prendre en compte, notamment, la situation de certains enfants scolarisés en France et dépourvus d'attache avec le pays dont ils ont la nationalité.
Notre politique est équilibrée et les Français la soutiennent. Nous sommes fermes à l'endroit de ceux qui ne respectent pas les règles de la République,...
M. Bernard Frimat. Guy Drut !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...mais justes à l'égard de ceux qui manifestent leur volonté d'aimer la France, de respecter ses valeurs, de s'intégrer à la vie de la cité.
Merci à Jean-Patrick Courtois du plein soutien qu'il a apporté au projet de loi, fort de l'expérience qui est la sienne en tant que rapporteur de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. Je le remercie en particulier d'avoir souligné l'importance de l'immigration de travail et la nécessité absolue de construire un vrai parcours d'intégration, comme le projet de loi le permet.
Le président Pelletier a souligné, avec l'autorité qui est celle d'un ancien ministre de la coopération, l'importance stratégique d'une bonne articulation entre la politique d'immigration et la politique de développement.
Je tiens d'ores et déjà à marquer le plein soutien du Gouvernement à deux amendements très importants que vous avez présentés, monsieur le sénateur.
Nous pensons, comme vous, que la carte « compétences et talents » ne doit être renouvelable qu'une fois lorsque son titulaire est originaire d'un pays en voie de développement. C'est ce à quoi vise l'amendement n° 106 rectifié bis.
Surtout, je tiens à indiquer que le Gouvernement se montrera favorable à l'amendement n° 510 rectifié quinquies, très novateur, que vous présentez avec un grand nombre de vos collègues, issus des groupes du RDSE, de l'UMP et de l'UC-UDF. La création d'un « compte épargne développement » concrétisera notre volonté d'aider vigoureusement les pays d'émigration - notamment ceux de l'Afrique subsaharienne - sur le chemin du développement.
Permettez-moi, enfin, de vous remercier, monsieur le sénateur Pelletier, du soutien que vous avez apporté au mécanisme de la Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour. Vous avez souligné que cette instance devait contribuer à définir des critères d'admission au séjour explicites, souples, évolutifs. Telle est précisément notre intention.
Mme Dini a fait part de plusieurs propositions du groupe de l'UC-UDF pour lesquelles je tiens d'ores et déjà à la remercier.
En matière de regroupement familial, l'Assemblée nationale a adopté, sur l'initiative de Jean-Christophe Lagarde, un amendement permettant de moduler les conditions de ressources du demandeur en fonction de la taille de sa famille. Le président Mercier a présenté un amendement qui tend à améliorer le texte voté par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement y est favorable.
De même, nous nous félicitons de la réflexion que le groupe de l'UC-UDF a conduite pour améliorer le dispositif de l'admission exceptionnelle au séjour, défini à l'article 24 bis du projet de loi. Le Gouvernement sera très ouvert à vos amendements n°s 116 rectifié et 119 rectifié, qui permettront aux commissions départementales du titre de séjour de jouer à nouveau un rôle utile dans l'examen de certains de ces dossiers.
Je veux dire à M. Mermaz que nous pouvons, bien sûr, avoir des désaccords sur des options politiques. Mais essayons, pour la hauteur du débat démocratique, d'éviter de nous donner des leçons. Le respect des droits de l'homme n'est heureusement pas le monopole des élus de gauche. C'est le bien commun de tous les Républicains. Le présent projet de loi a été examiné par l'assemblée générale du Conseil d'État. N'est-ce pas une garantie du respect des libertés publiques ?
Je me garderai bien en outre, contrairement à vous, de me prévaloir de déclarations faites par tel ou tel responsable étranger et sorties de leur contexte. La politique d'immigration de la France, c'est au Parlement français qu'elle se définit ! Nous dialoguons avec des responsables de pays étrangers, mais chacun doit rester à sa place. C'est au Parlement de la France et à lui seul qu'il appartient de choisir la loi de la République.
Précisément, ce projet de loi prend en compte l'impérieuse nécessité du codéveloppement avec les pays d'origine. Le Gouvernement attend sur ce sujet décisif que chacun prenne ses responsabilités. Nous organisons une vraie circulation de compétences, dans l'intérêt de notre pays et dans celui des pays d'origine.
Monsieur Karoutchi, je vous remercie d'avoir brillamment rappelé dans quel contexte historique s'est définie, au fil des décennies, la politique d'immigration.
La vérité, c'est que les gouvernements n'ont pas fait de vrais choix depuis trente ans. La vérité, c'est que ce projet de loi rompt avec des décennies pendant lesquelles le débat a été confisqué par les extrêmes : « l'immigration zéro » d'un côté, « l'immigration sans limite » de l'autre.
Oui, notre choix consiste à assumer une régulation de l'immigration en nous dotant de nouveaux outils : des objectifs quantitatifs ; des cartes de séjour accueillantes pour les actifs, les talents ; enfin, des mécanismes de codéveloppement.
Monsieur Baylet, il n'est pas interdit de présenter deux projets de loi sur l'immigration au cours d'une même législature. En 2003, des outils de lutte contre l'immigration clandestine ont été mis en place : biométrie, rétention administrative, etc. En 2006, une stratégie d'immigration choisie est définie, qui suppose un effort d'intégration et une volonté de codéveloppement.
J'ai bien noté que vous mettiez l'accent sur l'intégration, et vous avez raison de souligner l'échec de nombreux gouvernements sur cette question. Avec la signature du contrat d'accueil et d'intégration, ainsi que la délivrance de la carte de résident subordonnée à l'intégration réussie, notre projet, pour la première fois, prévoit un vrai parcours d'intégration pour les immigrés qui souhaitent s'installer durablement en France.
Respecter les principes et les lois de la République et maîtriser la langue française, voilà les deux piliers de l'intégration.
Je dirai un mot, enfin, sur le regroupement familial. Vous nous parlez de droit européen. Parlons-en ! Notre réforme est en tout point conforme à la directive européenne de 2003.
Madame Boumediene-Thiery, je ne répondrai pas aux outrances qui vous tiennent lieu d'arguments, ni à cette longue et lassante énumération polémique. Je voudrais néanmoins corriger un point, qui me paraît particulièrement scandaleux. Je refuse, en tant que membre d'un gouvernement républicain, de vous laisser accuser d'arbitraire l'action des préfets et de l'administration ! Nous vivons dans un État de droit. Les fonctionnaires qui le servent sont trop attachés aux valeurs de notre République pour accepter d'être calomniés ! Je vous demande de les respecter !
Madame Khiari, vous nous avez rappelé que vous étiez une enfant d'immigré. Nous sommes un certain nombre, dans cet hémicycle, à être dans ce cas. Personnellement, je le dis avec émotion, je suis fils et petit-fils d'immigrés italiens.
Mon grand-père, arrivé à Nice au début du siècle dernier, aura attendu presque trente ans avant de pouvoir obtenir la nationalité française pour lui-même et ses enfants devant le syndic de Nice-Ouest et le préfet des Alpes-Maritimes. Il a dû démontrer qu'il était capable, par le fruit de son labeur, d'apporter sa contribution à la création de richesse et d'emplois, ainsi qu'à la cohésion sociale de notre pays. Il a également dû prouver que ses enfants avaient appris à l'école de la République à lire, écrire et parler le français correctement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec votre projet de loi, il ne serait pas resté en France !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il aura fallu trente ans pour que mon grand-père puisse être fier et digne de faire partie de cette grande communauté républicaine qu'est la France.
Donc, en tant qu'enfant d'immigré, je suis bien placé -comme vous, madame Khiari - pour affirmer, en défendant les convictions et les valeurs qui sont les miennes, qu'une immigration choisie par rapport à une immigration subie correspond parfaitement aux valeurs de la République française.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une honte d'entendre cela !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Alors, pourquoi nous faire ce procès d'intention en prétendant que nous chasserions sur les terres de l'extrême-droite ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parfaitement !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Madame Khiari, une immigration choisie, c'est une chance pour la France ; une immigration subie, c'est une chance pour l'extrême-droite ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Il semblerait que vous n'ayez pas retenu la leçon de 2002, dont vous avez été la première, avec vos amis socialistes, à faire les frais. C'est parce que vos gouvernements ont fait preuve de naïveté pendant de nombreuses années que, malheureusement, nous avons eu à subir un candidat d'extrême-droite au second tour d'une élection présidentielle. Pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas l'intention d'être naïfs ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
La France n'est pas une terre en jachère. Elle a des règles, et chacun doit les respecter. C'est ce que nous expliquons dans ce texte de loi. Ainsi, nous devons lutter contre la polygamie.
Oui, le Gouvernement est favorable à la mise sous tutelle des allocations familiales des familles polygames. Un amendement en ce sens a d'ailleurs été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, et le représentant de votre groupe, M. Dray, a approuvé cette initiative. (Mme Bariza Khiari s'exclame.)
Messieurs Giraud et Ibrahim, je vous remercie de vous être faits, avec force et conviction, les porte-parole de Mayotte. Vous avez rendu hommage à la détermination du Gouvernement pour prendre « à bras le corps », si j'ose dire, les considérables difficultés auxquelles l'île de Mayotte est confrontée.
Nous avons décidé de faire des efforts opérationnels : l'objectif de 12 000 expulsions en 2006 pourra être atteint grâce à un renforcement des effectifs policiers, des moyens de transports, et un équipement radar. Ce projet de loi prévoit également de mettre en place des outils juridiques, notamment pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et le travail illégal.
Monsieur Demuynck, je vous sais gré de vous être fait l'écho des attentes directement exprimées par les habitants de Seine-Saint-Denis,...
Mme Éliane Assassi. De Neuilly-Plaisance !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...qui vous font confiance, parce que vous êtes un élu de terrain.
Oui, notre projet de loi est un texte de bon sens que les Français comprennent et dont ils approuvent les orientations. (M. Bernard Frimat s'exclame.) Par exemple, le contrat d'accueil et d'intégration comporte un ensemble de droits et de devoirs. Il était temps qu'un gouvernement le généralise.
Monsieur Bockel, je suis sensible à votre intervention mesurée et à la préoccupation qui vous anime, comme tout maire de bon sens à la tête d'une grande communauté : proposer plutôt que critiquer et défendre le statu quo.
La politique d'immigration concertée que vous préconisez est-elle si éloignée de la nôtre :...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La vôtre n'est pas concertée !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...des objectifs permettant d'anticiper et de prévoir ; une « règle du jeu » fixée aux immigrés, comme un contrat d'accueil et d'intégration ; une immigration positive, qui, si elle est régulée, peut être une chance pour la France ?
En tout cas, je vous remercie de votre pragmatisme. Je ne doute pas un seul instant que, tout au long de ce débat, vous formulerez un certain nombre de propositions pour enrichir ce texte.
Monsieur Virapoullé, merci d'avoir mis en perspective le débat que nous entamons.
La mondialisation est la réalité de notre temps. Notre projet de loi intervient alors que se développent des flux de populations, de capitaux et d'informations. C'est un fait que nous prenons en compte, en tentant d'organiser ces flux, non pour construire une « ligne Maginot », mais pour réguler, choisir, anticiper l'immigration clandestine.
Outre-mer, la Réunion - vous l'avez rappelé -, Mayotte et la Guyane enregistrent un pourcentage d'immigration clandestine bien supérieur à ce que nous connaissons en métropole. Comme François Baroin et moi-même ne cessons de le dire, il nous est très difficile d'imaginer un seul instant ce que pourrait représenter une telle immigration sur le continent.
Nous sommes donc tout à fait conscients des difficultés énormes qui sont les vôtres. Il était indispensable que, dans ce texte, nous mettions un certain nombre d'outils à votre disposition.
Je vous remercie d'avoir évoqué Schengen, sujet qui me passionne également et que j'ai abordé tout à l'heure. Je ne peux que vous approuver lorsque vous proposez que l'espace Schengen soit étendu, au-delà des limites des seuls pays du continent européen, aux frontières maritimes.
Les événements qui ont eu lieu à Ceuta et Melilla et ceux qui se déroulent en ce moment aux Canaries ont poussé l'Espagne à faire appel à une mutualisation des moyens de l'Union européenne afin de pouvoir lutter contre les flux qui arrivent d'Afrique sub-saharienne.
Monsieur Virapoullé, vous avez raison, nous devons oeuvrer dans ce sens au sein du Conseil des ministres européen, pour que la notion de frontière maritime soit prise en compte et que l'ensemble de nos territoires et départements d'outre-mer soient intégrés à la même démarche.
Vous avez fait référence, en matière de conventions d'accueil, à l'Australie : les conditions de dignité et de respect y sont une exigence. Devrions-nous être la dernière grande démocratie au monde qui accueille des immigrés sans pouvoir leur proposer un travail et un logement décent ? Nous avons décidé de mener une politique choisie pour remédier à cette situation. Le contrat d'accueil et d'intégration en sera l'un des outils.
Je souhaiterais donner des explications à M. Gautier concernant les décrets d'application de la loi du 26 novembre 2003. Vingt-neuf décrets d'application devaient être pris : vingt-six ont été publiés ; le vingt-septième a été approuvé par le Conseil d'État le 30 mai et sera publié cette semaine ; le vingt-huitième est examiné ce mois-ci par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL ; le vingt-neuvième a pris du retard, mais il sera publié lorsque le projet informatique qui le sous-tend aura avancé au sein de la direction générale de la police nationale, la DGPN.
Donc, les vingt-neuf décrets d'application de la loi de 2003 ont tous été pris, à un près.
M. Bernard Frimat. Il vous a fallu trois ans !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Legendre, vous avez fait part à la Haute Assemblée des débats qui se sont tenus au sein des organisations de la francophonie, et je vous en remercie. Nous avons, à l'endroit de l'Afrique et des Africains, un devoir de franchise et d'amitié. Si M. le ministre d'État a engagé cette démarche, c'est tout simplement parce que 65 % des immigrés en France sont Africains. Nous avons un destin partagé.
Ce projet de loi est l'occasion de définir concrètement des outils de codéveloppement : accueil des étudiants, circulation d'actifs, mobilisation de l'épargne des migrants pour faciliter son investissement en Afrique.
Madame Cerisier-ben Guiga, connaissez-vous un seul ministre français qui ait souhaité aller expliquer aux dirigeants et aux peuples d'Afrique, dès le vote d'une loi sur l'immigration, le sens de sa réforme ? Eh bien, Nicolas Sarkozy, en homme d'État conscient de ses responsabilités et en ami de l'Afrique, a engagé cette démarche d'écoute et de dialogue, qui permet aujourd'hui d'enrichir le projet de loi. Je pense, notamment, à l'amendement de M. Pelletier concernant le « compte épargne codéveloppement ».
Madame Michaux-Chevry, merci d'avoir fait entendre la voix des Antilles ! Vous avez souligné cette contradiction qui existe entre l'immigration choisie de la Dominique et l'immigration clandestine en provenance d'Haïti, qui a perduré parce que nous ne nous étions pas donnés, jusque-là, les moyens de pouvoir la contrôler. Votre soutien au projet de loi, avec détermination, témoigne de ce que nous présentons un texte utile pour les Français d'outre-mer.
Monsieur Portelli, je tiens à vous remercier d'avoir analysé très attentivement le projet de loi et cherché à le compléter de manière efficace. Le Gouvernement sera favorable à plusieurs de vos amendements, en particulier à l'amendement n° 81, qui vise à préciser que la carte « compétences et talents » ne sera délivrée à des ressortissants de pays en voie de développement que dans le cadre d'accords de partenariat entre la France et le pays d'origine. Nous reviendrons ultérieurement sur cet amendement important.
Monsieur Dassault, le projet de loi prévoit trois mesures pour mieux lutter contre les mariages de complaisance.
Tout d'abord, l'étranger ne possédant qu'un visa de tourisme ou se trouvant en situation irrégulière pourra toujours se marier avec un Français, mais ce mariage ne lui donnera pas automatiquement le droit de vivre en France.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ensuite, avant que lui soit octroyée une carte de séjour, il devra obtenir un visa de long séjour délivré par le consul dans son pays d'origine. (Mme Eliane Assassi s'exclame.) Ce n'est qu'après trois ans de vie commune, et s'il fait la preuve de son intégration, que le conjoint de Français pourra obtenir une carte de résident de dix ans.
Enfin, la durée de vie commune requise avant de devenir Français est portée à quatre ans.
Par ailleurs, je vous remercie, monsieur le sénateur, pour les deux amendements que vous avez déposés, avec M. Courtois, sur le regroupement familial.
Monsieur Lardeux, je vous remercie également de votre soutien.
Je vous indique que, à la suite des accords intervenus au sein de l'Union européenne, les conditions d'accueil dans nos consulats seront améliorées.
En outre, et surtout, la mutualisation des moyens techniques en matière de biométrie nous permettra de disposer de moyens beaucoup plus efficaces pour lutter contre l'immigration clandestine.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais le ministère des affaires étrangères est pauvre comme Job !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Peyrat, je vous remercie d'avoir opportunément rappelé, en votre qualité de maire, la nécessité de mieux définir les conditions de logement des étrangers venus en France dans le cadre du regroupement familial.
Nous savons à quel point les maires sont démunis pour apprécier si celui qui aspire à regrouper les membres de sa famille autour de lui est en mesure de les loger dans des conditions décentes.
C'est pourquoi ce texte donne aux maires l'autorité et les moyens de contrôler que l'accueil de la famille s'effectue de manière digne et respectable.
Monsieur Branger vous avez insisté sur la nécessité de donner aux femmes issues de l'immigration toutes les chances de l'intégration. (Mme Nicole Borvo s'esclaffe.)
C'est là une ambition majeure du Gouvernement avec le contrat d'accueil et d'intégration, qui comportera un volet de formation civique.
J'observe d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, que demander à une personne souhaitant venir et demeurer en France de signer un contrat d'accueil et d'intégration par lequel elle s'engage au minimum à parler et écrire correctement la langue française au terme d'une période de cinq ans, de respecter les règles républicaines de notre pays, notamment, pour les femmes, de se soumettre à l'obligation de prendre une photographie d'identité à visage découvert pour l'établissement des pièces d'identité, sont autant d'exigences qui non seulement ne sont pas dépassées, mais qui paraissent raisonnables et équilibrées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Ce sont les règles de notre pays ! En signant ce contrat, les femmes étrangères qui seront accueillies chez nous dans des conditions dignes et respectables pourront être regardées et respectées comme n'importe quelle autre femme en France. Nous sommes attachés à ce principe d'égalité entre les hommes et les femmes, parce qu'il fait partie de l'idéal de la République française.
Enfin, j'ajoute que ce texte a pour avantage premier de « tordre le cou » à l'idée absurde de l'immigration zéro, qui repose sur des fantasmes et sur la peur. Il montre que la France n'est pas fermée et que les Français ont besoin du concours des autres.
Pour autant, la France n'est ni un motel ni une gigantesque auberge de jeunesse où l'on rentre sur sa bonne mine ! Nous revendiquons donc, après beaucoup d'efforts réalisés en ce sens, le droit de mettre de l'ordre dans les flux migratoires.
Je le sais bien, ce mot « ordre » rend certains hystériques. Personnellement, il ne me fait pas peur. Car l'ordre, c'est la condition de la justice.
Dès lors, je le réaffirme, nous réclamons pour la France le droit de choisir sa politique, au lieu de subir l'absence de toute politique.
En réalité, trois choix sont possibles : celui de l'extrême droite, les barbelés ; celui de la gauche, un vaste terrain vague ; (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)...
M. Bernard Frimat. Vous êtes ridicule !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...et le nôtre, tout simplement un portique de sécurité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Pierre Sueur une proposition de loi relative à la législation funéraire.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 375, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Bernard Murat une proposition de loi instituant un taux de TVA de 2,1 % applicable aux fruits et légumes.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 376, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
9
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les instructions consulaires communes adressées aux représentations diplomatiques et consulaires de carrière, en liaison avec l'introduction d'éléments d'identification biométriques et de dispositions relatives à l'organisation de la réception et du traitement des demandes de visa.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3159 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil conformément à l'article 222, paragraphe 2, du traité pour l'adoption par la Slovénie de la monnaie unique au 1er janvier 2007.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3160 et distribué.
10
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président. J'ai reçu de Mme Josette Durrieu un rapport d'information fait au nom des délégués élus par le Sénat sur les travaux de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la deuxième partie de la session ordinaire (2005-2006) de cette Assemblée, adressé à M. le président du Sénat, en application de l'article 108 du règlement.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 377 et distribué.
11
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 7 juin 2006 à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 362, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration ;
Rapport (n° 371, 2005-2006) de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Délai limite pour les inscriptions de parole
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat sur le Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 13 juin 2006, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 7 juin 2006, à une heure trente-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD