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souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Liban
M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune, d'une délégation de députés du Liban, composée de M. Walid Eido, M. Hussein Hajj-Hassan, M. Yehia Hadji Djerdjian, M. Antoine Ghanem et M. Sélim Salhab, qui séjournent en France à l'invitation du Sénat.
Cette visite s'insère dans le cadre des relations interparlementaires qui, depuis plusieurs années, connaissent une particulière vitalité, grâce, notamment, au programme de coopération signé entre nos deux assemblées.
En votre nom à tous, et à titre personnel, je tiens à assurer à travers vous l'ensemble du peuple libanais de notre sincère amitié et de notre soutien dans la poursuite des réformes engagées pour la survie de l'identité libanaise et l'affermissement de l'État de droit. Cordiale bienvenue, chers amis ! (M. le Premier ministre, Mme et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent chaleureusement.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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RAPPELS AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l'article 36 de notre règlement.
Je voudrais vous demander solennellement, en vertu des pouvoirs qui vous sont conférés par l'article 93 du règlement du Sénat, de rappeler à l'ordre le sénateur Dominique Braye. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
En effet, pendant que M. Muzeau s'exprimait pour le groupe communiste républicain et citoyen, M. Braye a crié : « À Moscou ! » - c'est chez lui une habitude - et il a ajouté : « PC dissous ! » -, ce que je traduis par un appel à la dissolution du parti communiste français.
Monsieur le président, si la pensée et la parole sont libres, dans les limites de la loi, il reste que, dans chacune des deux enceintes du Parlement, tout parlementaire se doit d'être républicain.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de rappeler M. Braye à l'ordre et, d'avance, je vous en remercie.
M. Roland Muzeau. Très bien !
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, madame Borvo Cohen-Seat.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour un rappel au règlement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je sais que la demande formulée à l'instant par ma collègue présidente du groupe CRC est très délicate, monsieur le président, mais il est vrai que l'attitude de notre collègue Braye est constamment insupportable,...
M. Philippe Dallier. Il n'y a pas que lui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... vous le savez bien et nous le savons tous.
Cela s'est produit cet après-midi, comme c'est le cas lors de chaque séance de questions d'actualité au Gouvernement, notamment pendant l'intervention de notre collègue Thierry Repentin, qui était excellente, qui intéressait tout le monde (Rires sur les travées de l'UMP.), mais que beaucoup n'ont pas pu entendre du seul fait que M. Braye, comme d'habitude, braillait !
Dès lors, je me joins à la demande qui vient d'être faite. C'est sans doute le seul moyen d'intervenir, monsieur le président, afin que, au moins, vous menaciez notre collègue d'un rappel à l'ordre d'abord, quitte à passer aux actes ensuite, s'il continue dans cette voie, mais je crains bien qu'il ne lui soit pas possible de faire autrement !
M. le président. Mon cher collègue, je vous donne également acte de votre rappel au règlement.
Je profite de cette occasion pour demander aux présidents de tous les groupes de bien vouloir intervenir auprès de leurs collègues pour leur demander de veiller à leur comportement lors de ces séances de questions d'actualité.
En effet, celles-ci font l'objet d'une diffusion télévisée et nous ne donnons pas la meilleure image de notre institution dans certaines circonstances.
Il est vrai que certains interviennent de façon plus virulente que d'autres, mais qu'apportent donc ces interventions aux débats ? Quelle image donnent-elles de nous ? Et les enfants qui nous regardent ?
Pendant un temps, le débat était serein : nous entendions les questions, puis les réponses, et cela montrait que nous étions l'assemblée de la sagesse, de la réflexion et du sérieux.
Par conséquent, que chacun fasse un effort ; de telles interventions intempestives n'apportent rien aux débats, elles ne font plaisir qu'à leurs auteurs, et encore !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le plus dur et le plus constant, c'est M. Braye !
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COMMUNICATION DU MéDIATEUR DE LA RéPUBLIQUE
M. le président. L'ordre du jour appelle la communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Médiateur de la République dans l'hémicycle.
(M. le Médiateur est introduit dans l'hémicycle avec le cérémonial d'usage.)
Monsieur le Médiateur de la République, cher Jean-Paul Delevoye, je suis heureux de vous souhaiter, au nom de tous mes collègues, une très cordiale bienvenue dans cet hémicycle que, par ailleurs, vous connaissez fort bien, pour avoir été tour à tour sénateur et membre du Gouvernement.
Vous venez pour la deuxième fois présenter au Sénat le rapport annuel, très attendu, de la Médiature de la République.
Le Sénat attache une grande importance à la résolution des difficultés rencontrées au quotidien par les citoyens dans leurs relations avec l'administration.
Nous attendons avec intérêt les propositions de réforme que vous ne manquerez pas de nous soumettre. Cette séance solennelle a, certes, été instituée par la loi, mais l'homme de terrain que vous êtes a souhaité que ce dialogue se poursuive de manière informelle avec ses anciens collègues. Je vous remercie de cette aimable proposition, qui montre votre souci d'établir une relation la plus étroite possible entre les élus de la nation et vous-même.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, a bien voulu répondre à ce souhait en organisant le mercredi 12 avril à dix heures une audition publique ouverte à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs, ainsi qu'à la presse et au public, dans la perspective d'une retransmission sur notre chaîne, Public Sénat.
Vous avez la parole, monsieur le Médiateur de la République.
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remettre officiellement le rapport annuel de la Médiature de la République. (M. le Médiateur de la République remet à M. le président du Sénat un exemplaire dudit rapport.) Mon intervention en séance publique sera prolongée par une réunion de travail avec la commission des lois. Je remercie son président d'avoir bien voulu organiser cette rencontre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'essaierai de présenter de façon concise les quelques éléments de réflexion que nous avons voulu porter à votre connaissance dans ce rapport.
Nous avons reçu l'année dernière quelque 60 000 dossiers, dont 54 000 ont été traités par les trois cents délégués présents sur le terrain et 6 000 par les 90 personnes qui travaillent au siège de l'institution, à Paris.
Nous avons souhaité non seulement répondre aux réclamations qui nous étaient adressées, mais également en comprendre la teneur et dégager quelques réflexions sur les relations que nos concitoyens entretiennent avec l'administration. Nous nous sommes intéressés aux dossiers qui étaient recevables, donc qui entraient dans notre domaine de compétence, mais aussi à ceux qui ne l'étaient pas.
À l'évidence, l'année 2005 a été marquée par de très nombreuses réclamations relatives aux catastrophes naturelles, aux sécheresses et aux amendes. En ce qui concerne l'institution judiciaire - l'actualité y fut sans doute pour quelque chose -, les plaintes ont porté plus sur les dénis de justice que sur les délais.
S'agissant du domaine social, de nombreuses réclamations avaient pour objet les indus, mais aussi les maladies professionnelles, notamment celles qui sont liées à l'amiante. En ce qui concerne les agents publics, les réclamations ont essentiellement porté sur les retraites.
En examinant les demandes irrecevables, notamment de caractère privé, j'ai été extrêmement surpris par la montée des tensions dans les relations entre les personnes, en particulier au sein même des familles, ou entre voisins.
Par ailleurs, de nombreux citoyens se sentent quelque peu écrasés par les systèmes bancaires ou les organismes sociaux. C'est l'éternelle fable de la Fontaine ! Nombre de nos compatriotes, que nous avons qualifiés de « citoyens perdus », sont aujourd'hui complètement désarçonnés. Nous trouvons même parmi eux des agents publics en activité qui expriment leur besoin d'être accompagnés dans leur demande de mutation au sein de grandes administrations. Les fonctionnaires en congé de longue durée ou en arrêt maladie posent des problèmes particuliers.
Nous sentons bien que le fossé est en train de se creuser entre les citoyens avertis et les autres.
Les citoyens avertis sont minoritaires parmi ceux qui s'adressent à nous. Leurs dossiers sont extrêmement structurés et des cabinets de conseil très avisés cherchent à utiliser ou à instrumentaliser le Médiateur de la République afin que les textes juridiques soient interprétés en leur faveur.
Les autres, de plus en plus nombreux, ne savent pas à qui s'adresser pour recevoir une aide lors de moments de détresse personnels, liés notamment à une rupture avec leur famille, la société ou l'administration fiscale.
Nous sommes en train d'adapter notre dispositif, de sorte que nos délégués sur le terrain soient présents non plus seulement sur les lieux de pouvoir, mais aussi dans les centres d'accès au droit et dans les maisons de justice et du droit ; nous devons être attentifs au développement de ceux-ci.
Plus de la moitié des rencontres ou des demandes de rendez-vous avec nos délégués ne concernent pas le traitement d'un problème : les citoyens cherchent à s'informer, à se faire orienter, à mieux connaître leurs droits.
Nous avons réussi 76 % de nos médiations. Nous utilisons les pouvoirs d'inspection que nous a conférés la loi : l'année dernière, nous avons visité les centres de recouvrement des amendes de Rennes et de Nantes ; cette année, nous inspecterons les administrations chargées de l'utilisation des fichiers STIC, système de traitement des infractions constatées, et JUDEX, système judiciaire de documentation et d'exploitation, c'est-à-dire, respectivement, la police et la gendarmerie.
Pour la première fois, nous avons utilisé notre pouvoir d'injonction en demandant à l'État de payer une amende infligée par la Cour européenne des droits de l'Homme, qu'il ne réglait pas car les administrations concernées ignoraient qui devait en supporter le poids.
S'agissant des nouveaux dispositifs que nous mettons en oeuvre, nous avons créé une cellule d'urgence, développé notre présence dans les établissements pénitentiaires et rencontré le président de l'Association des départements de France, afin que nos délégués soient présents dans les maisons départementales du handicap. Enfin, nous élaborons une méthode de médiation directe.
J'attire votre attention sur la présence des délégués dans les prisons. Je suis de ceux qui pensent que la privation de liberté n'est pas la privation de l'accès au droit.
Nous avons envoyé dix délégués dans dix établissements pénitentiaires. Le directeur de la maison d'arrêt des Baumettes nous a laissé entendre que l'annonce de l'arrivée du délégué du Médiateur de la République avait fait baisser de près de 50 % les violences, ...
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. ... tout simplement parce que le fait d'être écouté apaisait les relations entre l'administration pénitentiaire et les détenus.
Cette expérience a produit un autre résultat inattendu : notre déléguée, une jeune femme remarquable, docteur en droit, a réglé d'un coup cinquante dossiers de renouvellement de cartes de séjour. En effet, selon les procédures en vigueur, la personne concernée doit se présenter physiquement devant la commission préfectorale, ce qui est particulièrement difficile quand on se trouve dans un centre de détention.
Notre déléguée est ainsi parvenue à rapprocher les détenus de l'administration pénitentiaire. Alors que les premiers accusaient la seconde de ne pas favoriser le renouvellement des cartes de séjour, notre déléguée a pu montrer que l'administration pénitentiaire n'était en rien responsable du problème. Celui-ci était imputable à une procédure, que nous sommes parvenus à faire modifier, ce qui a apaisé les esprits.
S'agissant toujours de notre pouvoir de réforme, nos délégués sur le terrain nous ont fait part d'une situation d'injustice, signalée par l'administration pénitentiaire et certains professeurs de droit, qui durait depuis des années : paradoxalement, les prévenus qui détenaient des droits sociaux lors de leur entrée en maison d'arrêt les perdaient systématiquement lorsqu'ils étaient remis en liberté.
Nous avons porté ce problème à la connaissance du ministre chargé des affaires sociales, qui était en train de préparer le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et en quelques semaines cette injustice a été corrigée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour ne pas abuser de votre temps, je me contenterai à présent de mettre en lumière certains éléments du rapport.
Tout d'abord, l'analyse des courriers de réclamation que nous recevons permet de mieux comprendre les évolutions de notre société. Nous avons mis en place un pôle de recherche et de développement, en lien direct avec la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg, la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg et certaines universités.
Ces courriers révèlent aujourd'hui soit la confiance que nos concitoyens accordent aux institutions, soit la méfiance dans lesquelles ils les tiennent. Ou bien ceux-ci acceptent la force du droit, ou bien ils la récusent et revendiquent le droit à la force.
À l'évidence, nous vivons aujourd'hui un moment très délicat : le choix entre le dialogue, la décision de confier le règlement de son problème à un tiers, ou le résoudre soi-même. Ce débat entre violence et dialogue est aujourd'hui au coeur de notre société.
Ensuite, nos concitoyens refusent tout sentiment d'arbitraire : aucune décision n'est plus acceptée si elle n'est pas expliquée, même si elle n'est pas forcément comprise et peut être contestée.
Nous sommes surpris de constater que nos concitoyens nous remercient quand nous leur expliquons pourquoi ils ont tort dans leurs réclamations. Nous devons donc faire preuve de pédagogie si nous voulons rapprocher le citoyen de l'administration.
Par ailleurs, nous observons une montée très forte du sentiment d'injustice. Nous devons y être extrêmement sensibles à un moment où l'on revendique de plus en plus de libertés individuelles et où l'on prononce de plus en plus d'interdits collectifs. Nos concitoyens sont nombreux à penser que le système - dans lequel j'inclus les syndicats, les fonctionnaires et les politiques - se protège et impose sa propre logique.
Cette situation nous préoccupe beaucoup, car nous avons le sentiment que les citoyens, pour se faire rendre justice, et surtout pour trouver un droit qui réponde à leurs attentes, tendent de plus en plus à se tourner vers des institutions qui leur semblent plus à l'écoute de leurs problèmes, plus proches de la réalité de leur vécu, plus efficaces, plus rapides, plus à même de prononcer des condamnations sévères, c'est-à-dire le tribunal médiatique.
Aussi, les auteurs des courriers qui nous sont adressés sont de plus en plus nombreux à indiquer que, si nous ne leur donnons pas satisfaction, ils écriront à M. Courbet. Si nous n'y prenons pas garde, la nécessaire distanciation par rapport à l'événement, l'indispensable recul face à l'émotion suscitée par une affaire grave disparaîtront. Si, demain, nous faisons le choix de la réactivité, de la rapidité, de la force de frappe médiatique, au détriment du temps de l'administration et du temps politique, nous risquons de céder à l'émotionnel, au lieu de confronter les convictions.
Un autre point à souligner est que nul n'est censé ignorer la loi, ni ses droits. Nous devons être très attentifs au fait qu'aujourd'hui plus personne ne connaît la loi, sauf quelques spécialistes, et que beaucoup de personnes ignorent leurs droits. Cette situation, que nous livrons au débat politique, est préoccupante.
À un moment où le désenchantement des idéaux se traduit par le sentiment de l'inutilité des devoirs, donc des efforts entrepris pour une réussite collective, l'administration, quand elle prend ses décisions, a tendance à se réfugier dans l'exigence de la perfection et dans la protection des droits.
Aussi, le citoyen, membre d'une communauté politique, est-il peu à peu remplacé par l'usager, qui exige des droits pour sa protection personnelle et revendique même celui de contester la loi. Ceux qui s'adressent à nous sont de plus en plus nombreux à nous écrire que, certes, ils conduisent sans permis, mais qu'ils ont bien le droit de nourrir leur famille.
Le rôle du Médiateur de la République est donc de concilier la mission du fonctionnaire, qui est d'appliquer la loi, celle de l'autorité, qui doit la faire respecter, avec la légitimité de la contestation, qui refuse la règle de la vie collective au nom d'une exigence individuelle, arguant qu'un tel comportement correspond à un choix personnel.
Nous sommes là confrontés à une rupture du « vivre-ensemble », chacun craignant l'autre, au refus des devoirs pour s'abriter derrière des droits qui excluent de plus en plus autrui. Nous risquons de voir apparaître une société atomisée, qui deviendra toujours plus répressive, ainsi qu'un individu de moins en moins citoyen et de plus en plus consommateur, qui cherchera à transformer les institutions de la République en prestataires de services, au point de considérer les syndicats et les partis politiques comme de simples moyens pour faire carrière.
Si nous n'entravons pas cette évolution, ce sera la fin des valeurs républicaines que portent nos institutions. Nous devons être attentifs au risque de voir apparaître des citoyens du monde qui seraient en même temps des consommateurs locaux.
Notre système administratif lui-même semble parfois, dans cette exigence de la perfection, faire primer le respect des procédures sur l'efficacité et la pertinence des décisions.
Nous devrons également y être attentifs, au moment où notre régime politique, pour reprendre une expression de M. Badinter, cesse d'être une démocratie de conviction pour basculer dans une démocratie d'émotion.
De même, le conflit entre le respect de la loi et les injonctions de la conscience individuelle deviendra de plus en plus aigu. Ainsi, la loi interdit au citoyen de recevoir l'étranger sans papiers, tandis que sa religion oblige le chrétien à nourrir celui qui a faim. L'opposition entre les exigences de la loi et celles de la conscience creusera le fossé entre le citoyen et le politique. L'une des fonctions de la médiation est, me semble-t-il, de retrouver le chemin du dialogue.
Nous allons proposer à la commission des lois la classification de nos rapports selon trois axes : les abus de droits, les conflits de droits, les ruptures de droits. Peut-être allons-nous même demander au politique de retrouver toute sa noblesse, en faisant en sorte qu'il précède le droit, plutôt qu'il ne le subisse et que la pédagogie nécessaire pour trouver le chemin du juste anime les réformes.
Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de toutes les réformes que vous avez fait aboutir. J'évoquerai notamment les mesures de lutte contre les mariages forcés, l'aménagement de l'allocation aux adultes handicapés, le droit de vote des personnes majeures mises sous tutelle, la coordination de la médecine sécurité sociale et de la médecine du travail, mais aussi la récupération de leurs droits à indemnités journalières par les prévenus libérés.
Toutefois, de nombreux problèmes demeurent. À ce titre, je tiens à exprimer mon inquiétude s'agissant de la protection des personnes vulnérables. Il faudra réformer le régime des tutelles et des curatelles.
Mme Michelle Demessine. Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Il faudra aussi aborder la question du surendettement. Paradoxalement, la France fait partie des pays ayant le taux d'épargne le plus élevé et le taux des ménages surendettés le plus haut. L'équilibre entre le monde des prêteurs, celui des emprunteurs et celui des vendeurs ne me semble pas nécessairement respecté.
Nous devrons réfléchir à la responsabilité pénale d'un certain nombre de grands décideurs politiques et administratifs par rapport au problème de l'amiante.
Il conviendra également de s'interroger sur l'adaptation de nos textes à l'évolution de la société.
Enfin, il faudra relever tout ce qui, dans les textes, peut parfois aboutir à fragiliser les droits de la défense. Par exemple, nous devons actuellement résoudre le problème du statut des interprètes traducteurs. De plus en plus de personnes étrangères vivent sur notre territoire. Or, lorsqu'une fragilité du statut est constatée, les droits de la défense s'en trouvent affaiblis. Les interprètes traducteurs peuvent être réquisitionnés par le ministère de l'intérieur ou par le ministère de la justice : ils obtiennent quarante euros d'un côté, treize euros de l'autre. Et, selon le niveau de revenus, ils sont soumis à cotisations sociales ou non. Cette instabilité est préjudiciable non seulement aux intéressés, mais aussi aux structures administratives.
Voilà ce que je voulais dire, de façon trop brève, simplement pour vous éclairer sur les problèmes que j'ai découverts au sein de la Médiature, sur cette humanité permanente qui est au coeur des dossiers. Les crimes commis sont souvent contraires au bon sens.
Aujourd'hui, nous devons veiller tout particulièrement à ce que notre système administratif et politique accompagne et comprenne les attentes de notre société, plutôt que d'imposer sa logique.
Lorsqu'un ouvrier démarre sa carrière, que l'amiante est reconnue comme une maladie professionnelle, et que, vingt-cinq ans après, s'il change de métier, le nouveau système social ne reconnaît pas sa maladie professionnelle, on protège le système, pas l'individu. Or tout le sens de notre démarche est d'assurer la protection de l'individu. (Applaudissements.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le Médiateur de la République, de votre action. La véritable noblesse de l'élu, c'est d'accepter l'impopularité au nom de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je vous fais remarquer que la parité est respectée dans cet hémicycle : il y a autant d'hommes que de femmes !
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le Médiateur de la République, votre rapport d'activité permet chaque année aux parlementaires qui vous saisissent d'apprécier la qualité de nos services publics.
Les réclamations qui vous sont adressées peuvent en effet contenir des motifs d'insatisfaction sérieux quant à l'exécution des missions de service public non seulement par l'administration centrale, mais aussi par les administrations locales, qui disposent de nouvelles prérogatives du fait de la décentralisation.
Ces dysfonctionnements n'ont pas pour source unique la méconnaissance de certaines règles ou de certains droits par les fonctionnaires exerçant ces missions de service public. Ils proviennent aussi des insuffisances ou de la complexité de certains textes.
Monsieur le Médiateur de la République, vous invitez l'ensemble des pouvoirs publics - Gouvernement, Parlement, justice - à la même démarche d'exigence. Votre rapport annuel illustre fort bien le rôle d'aiguillon que vous exercez à cet égard, un rôle d'autant plus précieux que l'évaluation des politiques publiques est parfois négligée dans notre pays. Toutefois, des progrès sont réalisés, notamment avec la loi organique relative aux lois de finances.
Il arrive que l'on préfère l'empilement des textes, dans une logique d'affichage qui n'épargne aucune législature, à l'examen approfondi de leur nécessité ou de leur bonne insertion dans le droit existant. Peut-être serait-il préférable de ne pas parler de cela aujourd'hui...
Toutefois, les 60 000 affaires que vous avez reçues en 2005, dont plus de 32 200 constituent des réclamations, ne visent qu'une très faible proportion de la masse des décisions administratives prises chaque année dans notre pays. Il s'agit d'une part réduite, certes, mais non négligeable puisque l'on ne doit vous saisir qu'en dernier recours.
Il faut reconnaître que, globalement, l'administration fonctionne assez bien. Elle est honnête et généralement compétente, mais elle est aussi soucieuse de perfectionnisme. Or la perfection ne s'accompagne pas nécessairement de l'efficacité.
Vous indiquez cependant que la logique selon laquelle on ne doit saisir le Médiateur qu'en dernier recours connaît des exceptions. Certains citoyens vous saisissent en effet dès qu'ils rencontrent une difficulté, y compris d'ordre privé, ou pour un motif largement étranger au strict respect de leurs droits. Il faut sans doute y voir le signe que le Médiateur de la République est aujourd'hui une autorité connue et reconnue.
Les avantages d'une telle notoriété dépassent de loin ses inconvénients. Ou, si l'on peut dire, vous savez faire des inconvénients de cette reconnaissance un avantage.
Votre rapport annuel explique ainsi que certaines réclamations sont sans fondement ou interviennent avant que toute autre démarche ait été entreprise auprès de l'administration visée.
Comme vous le dites fort bien, il faut savoir dire non, tout en faisant preuve de pédagogie, afin de réduire le sentiment d'arbitraire ou d'injustice et de conforter la légitimité de l'action administrative.
L'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers, et l'on ne saurait laisser instrumentaliser une autorité indépendante comme la vôtre sans menacer la confiance des citoyens dans leur administration.
À cet égard, la vigilance du Médiateur quant à la recevabilité des réclamations est indispensable à la pertinence de ses interventions et à l'affirmation de son rôle dans notre cohésion sociale.
J'avais relevé l'année dernière la part considérable des saisines directement adressées aux services centraux de la Médiature, sans passer par l'intermédiaire d'un député ou d'un sénateur. Celle-ci s'élevait alors à 32 % ; elle s'établit en 2005 à 45,8 %. Près de la moitié des réclamations reçues par votre siège vous sont donc adressées directement par courrier postal ou électronique.
Il est souhaitable - je sais que certains n'en sont pas convaincus - que la saisine directe soit bientôt reconnue par la loi, sans remettre en cause la saisine par l'intermédiaire d'un parlementaire. Ces deux voies sont en effet complémentaires. M. Pelletier ne me démentira pas. (M. Jacques Pelletier approuve.)
Cette demande de proximité touche d'ailleurs en premier lieu vos trois cents délégués, qui ont eu à traiter 25 782 affaires en 2005. Ainsi, 90 % des affaires traitées par vos services sont locales.
Vous avez d'ailleurs eu le souci, monsieur le Médiateur, d'assurer la présence de vos délégués dans des lieux où l'accès au droit doit être mieux garanti : les quartiers en difficulté et les prisons.
Vous avez largement évoqué la question des prisons. À cet égard, je me réjouis que vous rejoigniez les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les prisons : être incarcéré ne signifie pas être privé de droits. Cette expérimentation, qui devrait faire l'objet d'une évaluation dans quelques mois, devrait être riche d'enseignement sur les besoins des prisons françaises en matière d'accès au droit.
Monsieur le Médiateur, votre mission vous assure une connaissance aiguë des difficultés que peuvent rencontrer nos concitoyens en raison de l'excessive complexité du droit ou de son inadéquation à certaines évolutions de la société. Aussi le législateur ne manque-t-il pas de prendre son inspiration dans vos propositions de réformes, dont vingt-huit ont été satisfaites en 2005.
J'évoquerai la lutte contre les mariages forcés. La proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple comporte des mesures tendant à harmoniser l'âge minimal du mariage à dix-huit ans pour les filles comme pour les garçons, et permet au procureur de la République d'ouvrir l'action en nullité pour vice du consentement.
Dans le cadre de la loi de sauvegarde des entreprises, le bénéfice de l'assurance garantie des salaires, l'AGS, a été étendu, comme vous le souhaitiez, aux salariés des personnes physiques exerçant une profession libérale.
Vous avez évoqué également la couverture maladie des détenus et prévenus libérés. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 leur permet de recouvrer leurs droits lors de leur libération.
Enfin, parmi les réformes que vous souhaiteriez voir aboutir dans un proche avenir, je retiens le nécessaire renforcement des garanties relatives à la consultation des fichiers de police judiciaire à des fins administratives.
Il est vrai que la tardive mise à jour des fichiers STIC et JUDEX conduit à des imbroglios considérables pouvant être très préjudiciables en cas d'enquête administrative préalable à un recrutement, par exemple.
Votre rapport évoque également les difficultés posées par l'attribution des prestations familiales en cas de résidence alternée. Nous avons organisé des auditions sur le droit de la famille la semaine dernière. Le sous-directeur des prestations familiales de la caisse d'allocations familiales a émis un avis réservé. J'espère qu'il ne s'agit pas de difficultés administratives, car le service public est au service des citoyens, et non l'inverse !
Peut-être pourrons-nous trouver des solutions en ce qui concerne la garde alternée, même si, outre les problèmes administratifs, ce dispositif pose quelques difficultés juridiques. Je ne doute pas, monsieur le Médiateur, que vous y contribuerez.
Vous proposez par ailleurs de revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui refuse au juge la possibilité de relever d'office un moyen de droit tiré de la violation du droit de la consommation. Les problèmes de consommation étant de plus en plus nombreux, cette possibilité permettrait de pallier la méconnaissance, par les consommateurs ne recourant pas à un avocat devant les juridictions d'instance, du droit de la consommation.
Cette proposition peut être rapprochée d'autres demandes que vous formulez pour corriger les effets indésirables du traitement du surendettement. Nous avons beaucoup légiféré, peut-être trop et trop vite, sur ces sujets et il conviendrait de procéder à une évaluation avant de réformer la législation. La procédure de rétablissement personnel, notamment, ne semble pas avoir donné tous les résultats escomptés. La Banque de France, qui connaît bien ces dossiers, est très réceptive aux arguments que vous avez développés.
Le trait commun de toutes ces réformes, abouties ou en cours, est de renforcer l'effectivité du principe d'égalité, de corriger les incongruités, voire les failles de notre droit.
Monsieur le Médiateur, vous avez évoqué un point qui nous tient à coeur : la protection des incapables majeurs. En effet, nous réclamons depuis de nombreuses années une réforme en la matière. Cela me paraît une priorité législative : nous devons impérativement moderniser la loi sur les tutelles et les curatelles. Tous les jours, parlementaires, élus locaux, et vous-même, nous nous trouvons confrontés à des situations catastrophiques pour les familles et les personnes handicapées.
Vous avez accepté de venir devant la commission des lois le 12 avril prochain pour approfondir nos échanges sur ces questions lors d'une audition ouverte à tous nos collègues ; je ne doute pas que ceux-ci seront très nombreux.
Le dialogue qui s'établit entre votre autorité et le Parlement promet d'assurer plus efficacement la protection des droits fondamentaux et la cohérence de notre ordre juridique. Je vous remercie, monsieur le Médiateur, d'y contribuer largement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Robert Badinter applaudit également.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)