PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, notre collègue Robert Badinter a eu raison, avant la suspension, de nous rappeler la nécessité de respecter les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Mais c'est justement ces droits et ces libertés que le texte qui nous est soumis vise à préserver, tout en nous protégeant davantage contre le terrorisme. Qui peut nier en effet la nécessité de nous protéger, de façon d'ailleurs précise et limitée, contre l'aggravation d'une menace en constante évolution, à laquelle il nous faut nous adapter en permanence ?
Le terrorisme contre la démocratie : avec ce titre, Jean-François Revel prophétisait ce que nos démocraties devaient connaître au cours des deux dernières décennies. La France a en effet payé un lourd tribut au terrorisme international lors des vagues d'attentats de 1986 et 1995, et leur cortège de victimes, victimes innocentes du fanatisme et de la barbarie.
Certes, notre territoire n'a pas été la cible de terroristes depuis près de dix ans, depuis l'attentat de la station de RER Port-Royal. J'étais alors adjoint au maire de Paris, chargé de la sécurité, et j'avais été bouleversé par l'horreur de cet acte que rien, vraiment rien, ne justifiait.
Si cet état de fait n'est pas le fruit du hasard, il ne signifie nullement que nous sommes aujourd'hui à l'abri de tout acte terroriste.
En effet, depuis vingt ans, aucun des gouvernements qui se sont succédé, de gauche comme de droite - cela a été dit avant moi - n'a cédé aux intimidations et tous se sont dotés de moyens permanents permettant de lutter efficacement.
De la création en 1984 de l'UCLAT, l'unité de coordination de la lutte antiterroriste, à l'adoption de la loi du 9 mars 2004, qui a notamment introduit dans notre droit le mandat d'arrêt européen, en passant par la loi du 9 septembre 1986, qui a jeté les bases de la législation antiterroriste, et la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne de M. Vaillant, qui a facilité les fouilles de véhicules lors des enquêtes préliminaires, le dispositif de lutte contre le terrorisme a été constamment amélioré.
Les services spécialisés de la police et de la justice ont acquis un professionnalisme qui est aujourd'hui unanimement reconnu. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à leur dévouement, qui se traduit par leur disponibilité totale, 365 jours par an, au service de notre sécurité. On ne remercie pas suffisamment ces soldats de l'ombre.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. Philippe Goujon. Malheureusement, notre pays n'est pas à l'abri d'un attentat. La menace est d'autant plus forte que le terrorisme a changé de nature. En effet, les meurtriers d'hier avaient des revendications, les terroristes islamistes d'aujourd'hui - ce sont les plus menaçants - sont des kamikazes. À New York et à Londres, ils n'ont pas hésité à se suicider pour accomplir leurs crimes. À Madrid, une fois débusqués, ils ont préféré mourir. Ils sont en guerre totale et ne souhaitent qu'une chose : que le monde soit débarrassé de ceux qui ne leur font pas totalement allégeance.
M. le ministre de l'intérieur l'a dit avec force : il n'est pas question de céder à la tentation de l'amalgame. Il n'y a en effet rien de commun entre les cinq cents terroristes radicaux islamiques répertoriés et la communauté musulmane qui pratique sincèrement sa religion. Pour cette même raison, il ne peut y avoir de place sur notre sol pour les prêcheurs de haine. Monsieur le ministre délégué, nous vous soutenons et sommes favorables à l'expulsion des prédicateurs islamistes intégristes, qui représentent une menace pour notre pays.
C'est parce que la menace terroriste ne cesse de s'accroître, comme le démontrent d'ailleurs les spectaculaires arrestations intervenues lundi dernier, qu'il faut renforcer et adapter constamment notre dispositif de lutte antiterroriste, adaptation dont témoignent d'ailleurs les multiples textes intervenus au cours des dernières années.
Nous en convenons tous : une guerre est déclarée aux démocraties par un adversaire particulièrement pervers, qui livre un combat à armes inégales.
Dans ces conditions, il est vital que nous gardions un temps d'avance, comme l'a dit fort justement M. le rapporteur de la commission des lois, notre excellent collègue Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Merci !
M. Philippe Goujon. Ce temps d'avance est également celui de la préparation et de l'anticipation, que nous connaissons bien, nous, les élus parisiens.
En effet, le risque terroriste constitue l'une des préoccupations majeures de la capitale, plus particulièrement de la préfecture de police de Paris, laquelle agit en intensifiant tant le renseignement que la surveillance.
La coordination du renseignement à l'échelon régional par le préfet de police, qui facilite les opérations de déstabilisation de la mouvance terroriste, mériterait, selon nous, d'être encore renforcée, comme c'est le cas dans le domaine des violences urbaines, mais il faut aller plus loin que la loi de 1995.
C'est ainsi que, en janvier dernier, des arrestations extrêmement importantes d'individus déjà très engagés dans les filières terroristes ont été effectuées dans le XIXe arrondissement de Paris.
En termes de surveillance, le niveau rouge du plan Vigipirate permet la mobilisation d'effectifs supplémentaires pour la surveillance de points sensibles, dont les réseaux de transport, en liaison étroite avec les entreprises gestionnaires. Par ailleurs, l'affectation de trois cents policiers supplémentaires au service régional de la police des transports, que vous m'avez confirmée, monsieur le ministre délégué, lors de l'examen des crédits de la mission « Sécurité », permettra de réduire encore davantage la délinquance, laquelle est déjà en baisse, grâce aux services concernés.
Je me réjouis également de la mobilisation, à Paris, de 1 550 policiers pour les fêtes, dans les gares et aux abords des grands sites commerciaux. Nous comptons beaucoup sur eux.
Les risques de toutes natures sont le plus possible pris en compte. En effet, le plan de modernisation initial de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, qui nous avait été présenté en 2000, prévoyait la création d'une unité NRBC, nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique. Le gouvernement de l'époque n'ayant pu assurer sa part de financement, la constitution de cette unité avait été différée. C'est le gouvernement actuel qui en aura permis la formation.
Le budget spécial de la préfecture de police pour 2006, voté lundi soir par le Conseil de Paris, prévoit le financement de cinquante-quatre postes supplémentaires de spécialistes, qui permettront d'armer, en permanence, deux chaînes de décontamination, sur les six prévues dans le plan de modernisation de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. C'est très important.
L'enjeu essentiel du projet de loi qui nous est présenté est donc la prévention des actes terroristes. À cet égard, madame Assassi, vous faites selon moi erreur : si ce texte porte atteinte aux libertés, c'est, à mon sens, à celles des terroristes !
Mme Éliane Assassi. Mon pauvre !
M. Philippe Goujon. En aménageant le régime de la loi du 21 janvier 1995, ce texte permettra en particulier de développer le recours à la vidéosurveillance.
Personnellement, compte tenu de mon expérience d'élu parisien et francilien, j'ai une vision très positive de la vidéosurveillance, notamment telle qu'elle a été mise en oeuvre dans les transports en commun. Tous les spécialistes recommandent de façon unanime l'installation d'un système de vidéosurveillance étendu et performant permettant d'identifier les réseaux terroristes, mais également de détecter, à titre préventif, tout comportement inhabituel ou objet suspect.
Les systèmes de vidéosurveillance ont beaucoup aidé les enquêteurs londoniens à identifier les auteurs des attentats du 21 juillet dernier. Par ailleurs, on nous l'a dit, la vague d'attentats qui a frappé Paris en 1995 et 1996 aurait incontestablement été moins longue et moins meurtrière si les transports parisiens avaient été équipés à l'époque de ce réseau étendu et performant de vidéosurveillance.
La commission de sécurité du conseil régional d'Île-de-France, que j'ai un temps présidée, a réalisé une étude démontrant tout l'intérêt de la vidéosurveillance. C'est grâce à ses travaux et à la détermination dont certains ont fait preuve, dont notre collègue Roger Karoutchi, que la région et le STIF, le Syndicat des transports de l'Île-de-France, donc l'État, ont financé l'équipement de la SNCF et de la RATP en milliers de caméras. Les 4 000 bus de la RATP seront ainsi bientôt tous équipés.
Selon un sondage récent, les Parisiens - mais je suis sûr qu'il en est de même pour tous nos concitoyens - sont à 88 % favorables à la vidéosurveillance dans le métro et à 66 % dans les lieux publics.
C'est dans ce domaine qu'il faut aujourd'hui faire porter notre effort, en transposant à Paris - d'autres villes s'en dotent aussi - un système de surveillance inédit, évalué à Westminster, axé sur un repérage à distance d'éventuelles menaces terroristes, d'actes délinquants ou même de problèmes de propreté ou de circulation. Ce système « intelligent » pourrait être adapté dans certains quartiers parisiens de grande affluence, comme celui des grands magasins, le Forum des Halles ou les abords des gares.
Vous le savez, Paris est particulièrement sous-équipé, monsieur le ministre délégué : seules 330 caméras fixes urbaines sont exploitées par la préfecture de police, essentiellement pour surveiller la circulation, d'ailleurs. À cet égard, je déplore le refus de la Ville de Paris, que m'a réitéré l'adjoint chargé de ces questions, de participer au financement d'un plan d'installation de caméras.
M. Jean-Pierre Sueur. On n'est pas au Conseil de Paris, on est au Sénat !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il fait sa campagne parisienne !
M. Philippe Goujon. Il s'agit de la sécurité de la capitale face au terrorisme !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est candidat à la mairie de Paris !
M. Philippe Goujon. La capitale a été plus touchée par le terrorisme que la ville dont vous êtes un élu. Tant mieux pour vous, monsieur Sueur.
Ce plan permettrait pourtant de combler les lacunes les plus flagrantes du système.
Cela étant, le risque terroriste doit figurer parmi les circonstances autorisant l'installation d'un système de vidéosurveillance. Par ailleurs, la qualité des images doit être améliorée.
Bien entendu, toutes les garanties de procédure prévues par la loi de 1995 sont maintenues, dans le droit fil de la décision du Conseil constitutionnel du 18 janvier 1995. Ainsi ce projet de loi permet-il de concilier la prévention des atteintes à l'ordre public, laquelle est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle, et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties, telles la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir.
Le Gouvernement avance avec, chevillée au corps, la conviction de Ihering selon laquelle « la procédure est l'ennemie jurée de l'arbitraire et la soeur jumelle de la liberté ». Ne perdons pas de vue, en effet, mes chers collègues, que la première atteinte aux droits de l'homme, c'est le terrorisme. Aussi est-il nécessaire de renforcer les moyens dédiés au renseignement pour prévenir les actes terroristes.
Grâce à ce texte, les services spécialisés pourront mieux contrôler les déplacements ainsi que les échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste.
Les contrôles d'identité seront facilités dans les trains internationaux, comme l'a rappelé M. le ministre de l'intérieur, et des dispositifs de surveillance automatique des véhicules seront enfin mis en place dans certaines zones à risque.
Par ailleurs, il est absolument nécessaire, pour lutter contre le terrorisme, d'empêcher la fraude documentaire, comme le préconise dans son rapport notre collègue Jean-René Lecerf. En effet, 500 000 cartes d'identité et 100 000 passeports sont volés chaque année en France. Je rappelle que l'auteur du premier attentat contre les tours du World Trade Center à New York était en possession d'un passeport volé.
Toutes les dispositions de ce texte visent donc à accroître l'efficacité de la lutte antiterroriste tout en tournant le dos - il faut insister sur ce point - à une législation d'exception.
Notre pays a fait le choix, jamais démenti, d'une adaptation de notre droit pénal et de notre procédure pénale aux spécificités de cette forme de violence extrême qu'est le terrorisme, et ce dans le cadre général de nos règles de droit.
Aussi faut-il saluer la création, sur l'initiative de M. le rapporteur, d'un groupe de travail sur les modalités d'un contrôle parlementaire des services de renseignement, un tel contrôle étant pratiqué dans presque toutes les démocraties. C'est donc ce gouvernement qui mettra en oeuvre cette ancienne revendication parlementaire, rappelée à l'Assemblée nationale par notre collègue Pierre Lellouche. Ce contrôle constitue en effet la juste contrepartie du renforcement des moyens des services de renseignement intérieur auquel nous procédons ici.
Le souci permanent d'assurer l'équilibre entre l'efficacité et le respect des libertés individuelles qui nous anime nous conduit tout naturellement à répondre aux attentes légitimes des professionnels de la lutte antiterroriste, qu'une délégation de notre commission a rencontrés récemment.
Plusieurs fragilités du dispositif actuel de lutte contre le terrorisme ont ainsi été portées à notre connaissance, au premier rang desquelles figure, ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, la durée trop limitée de la garde à vue.
Il est, en effet, des affaires - certes très rares, comme nous l'ont dit les juges Bruguière et Ricard - pour lesquelles la durée maximale actuelle de la garde à vue, soit quatre jours, se révèle insuffisante. Tel est notamment le cas où l'enquête, voire la garde à vue elle-même, fait apparaître des risques sérieux d'une action terroriste imminente.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C'est vrai !
M. Philippe Goujon. C'est également le cas des affaires dans lesquelles la coopération internationale doit être activée pour s'opposer à l'action envisagée.
Par conséquent, il est justifié de prolonger, sous certaines conditions, et de manière très encadrée, la garde à vue en matière de terrorisme de quatre à six jours.
Dans le même esprit, il est tout aussi légitime d'alourdir le quantum de la peine qui peut être prononcée pour l'incrimination d'association de malfaiteurs à but terroriste. Le passage de dix ans à vingt ans d'emprisonnement permettra d'éviter que des personnes condamnées ne reconstituent des réseaux dès leur libération, comme c'est le cas de l'une des personnes interpellées lundi dernier.
L'allongement de dix ans à quinze ans de la durée au cours de laquelle la déchéance de la nationalité française peut être prononcée après l'acquisition lorsque l'individu a été condamné définitivement pour des faits liés au terrorisme se justifie tant par la longueur des procédures que par la stratégie de recrutement des mouvements fondamentalistes. Et je voudrais particulièrement insister sur ce dernier aspect, monsieur le ministre, au sujet duquel le rapporteur du budget de l'administration pénitentiaire que je suis a été alerté.
En effet, Safé Bourada, terroriste présumé, interpellé dans les Yvelines, expliquait récemment comment il a recruté en prison : « J'ai donné des cours à tous mes codétenus. Il m'est arrivé de convertir des personnes en prison. » Un violeur, un meurtrier et un petit délinquant sont ainsi devenus ses « fidèles », et, dès leur sortie de prison, ils ont ouvert, à sa demande, des cybercafés - on voit bien l'utilité -, des pizzerias et des garages.
Les établissements pénitentiaires comptent 115 détenus condamnés pour des affaires de terrorisme, lesquels sont répartis dans 31 prisons.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. Philippe Goujon. Suivant l'exemple des poursuites, de l'instruction et du jugement, qui, depuis 1986, sont centralisés à Paris, il est proposé de faire de même pour l'application des peines, ce qui constituera un progrès indéniable.
Néanmoins, monsieur le ministre, nous ne pouvons ignorer le prosélytisme auquel les terroristes islamiques se livrent dans nos prisons, phénomène que les récentes arrestations illustrent parfaitement. C'est là un vrai danger auquel nous devons mettre un terme.
À cette fin, il me paraît nécessaire de prévoir des conditions de détention particulières, d'accélérer le programme de brouillage des téléphones portables dans les prisons, comme de développer une formation spécifique des personnels, ou de recourir davantage à la visioconférence pour éviter les transfèrements à hauts risques des terroristes qui mobilisent un déploiement de forces considérable, ainsi que nous avons pu le constater dans la galerie Saint-Éloi, alors que se déroulait une confrontation dans le bureau d'un juge antiterroriste.
Ces propositions pourraient utilement être développées dans le Livre blanc sur le terrorisme, souvent évoqué au cours de ce débat.
Le procès de Lionel Dumont qui vient de s'ouvrir à Douai devrait d'ailleurs nous éclairer sur le parcours d'un converti à l'islam qui bascule dans l'activisme meurtrier, alors même que le palmarès du « gang de Roubaix » auquel il appartenait montre que la délinquance, petite ou grande, finance le terrorisme, sujet qui, je le sais, vous préoccupe, monsieur le rapporteur.
Cela suffit à justifier la possibilité de geler les avoirs financiers détenus ou contrôlés par des personnes qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme, et je sais que cette proposition recueille un certain consensus dans cette hémicycle.
Dans le même esprit, la proposition de notre rapporteur d'élargir et de simplifier le régime actuel des incriminations de non-justification de ressources correspondant au train de vie est particulièrement opportune, tant il est avéré que le produit de la petite délinquance peut aussi financer le terrorisme.
Cette délinquance impliquant aussi des mineurs - M. le ministre de l'intérieur a évoqué le cas d'un jeune de seize ans passeur vers l'Irak -, il est indispensable, comme le propose notre rapporteur, de permettre le jugement des mineurs accusés d'actes de terrorisme par une cour d'assises composée uniquement de magistrats professionnels.
M. Jean-René Lecerf. Très bien !
M. Philippe Goujon. En conclusion, grâce à la continuité de l'action menée par les différents gouvernements - et nul, dans cette enceinte, ne comprendrait que soit rompu le consensus indispensable en ce domaine -, notre arsenal antiterroriste est largement reconnu dans le monde entier pour sa performance.
Il n'en demeure pas moins que la menace multiforme nous contraint à une adaptation constante. L'intégralité de notre territoire vit sous la menace. Des projets d'attentats ont pu être déjoués à Strasbourg et à Lille. Nos intérêts à l'étranger sont aussi la cible des terroristes, comme ce fut le cas à Karachi.
Avec ce projet de loi, le ministre d'État démontre que la sécurité est un concept global, qui justifie, comme il le fait d'ailleurs, de traiter simultanément le terrorisme, les violences urbaines et la délinquance au quotidien. Il y avait urgence à agir. Il le fait avec courage et détermination, et les Français lui en savent gré, car ils espèrent qu'avec lui ils seront protégés et libérés de leurs peurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh là là !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nul d'entre nous ne peut oublier les images du terrorisme, ces images horribles. Nul ne peut méconnaître, ne peut oublier les milliers de victimes du terrorisme, tous ceux qui sont morts ou qui continuent de souffrir dans leur chair.
On dit et on écrit souvent : « les victimes innocentes ». Innocentes, elles le sont bien sûr, toutes ces victimes. Mais quand bien même seraient-elles coupables, auraient-elles quelque chose à se reprocher, qu'elles relèveraient de la justice des peuples libres et de rien d'autre. En aucun cas de cette barbarie.
On dit que le terrorisme est aveugle. Aveugle, il l'est à coup sûr, puisqu'il suffit d'être là, sur le trottoir, dans la rue, sur le quai du métro, d'être là simplement pour être en danger de mort, pour être la cible, pour être tué. Le terrorisme est aveugle en ce qu'il est le contraire de la civilisation et la négation de toute civilisation possible.
Alors, disons, redisons autant qu'il le faudra, que lutter contre la menace et la réalité du terrorisme est une impérieuse nécessité. Rappelons que cette lutte appelle légitimement le soutien de tous.
Redisons qu'il est nécessaire et légitime que tous les élus du peuple, de la nation et de nos collectivités locales apportent, dans le cadre de leurs compétences et dans le respect du droit, leur concours, tout leur concours, au gouvernement en place, quel qu'il soit, pour lutter contre le terrorisme et pour l'éradiquer.
Mais puisque nous disons cela, que nous le disons clairement, affirmant le sens de la responsabilité qui est le nôtre, disons, avec la même force, qu'il importe au plus haut point que l'action contre le terrorisme soit menée dans le respect de l'État de droit et, plus précisément, que, si des dispositions spécifiques doivent être prises, elles doivent l'être à titre nécessairement temporaire. Ce qui relève de la justice doit continuer à en relever, quitte à ce que celle-ci puisse se mobiliser - ce que chacun comprendra et souhaitera - avec la célérité requise et dans les formes appropriées.
Disons, avec autant de force, que, puisqu'il s'agit de terrorisme, puisqu'il est question des mesures exceptionnelles que la lutte contre celui-ci appelle, il faut absolument éviter l'amalgame avec un certain nombre d'autres questions - j'y reviendrai - car, comme le terrorisme est la pire des choses, nous ne pouvons en aucun cas accepter que la lutte contre celui-ci puisse être, si peu que ce soit, instrumentalisée.
Nous en sommes aujourd'hui - et Robert Badinter en a parlé cet après-midi avec toute la conviction que nous lui connaissons - au septième projet de loi contre le terrorisme.
Rappelons-nous.
Il y a eu la loi du 9 septembre 1986, qui a établi une liste d'incriminations et leur a conféré un statut juridique spécial lorsque leur auteur est animé par un mobile tenant au terrorisme. Il y a eu le nouveau code pénal de 1994, qui a élargi la notion d'acte terroriste et a prévu des sanctions plus lourdes. Il y a eu la loi du 22 juillet 1996, qui a créé une nouvelle infraction terroriste autonome, a mis en oeuvre une procédure d'exception, a introduit la déchéance de la nationalité en cas de condamnation pour un crime ou un délit terroriste et a renforcé la condamnation pour atteinte aux personnes dépositaires de l'autorité publique. Il y a eu la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, qui a mis en place pour une période limitée - j'insiste sur ce point - toute une série d'instruments juridiques nouveaux permettant de lutter contre le terrorisme. Il y a eu la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, qui a prolongé ces mesures et en a adopté d'autres. Et il y a eu la loi « Perben II », qui, on s'en souvient, contient toute une série de mesures relatives aux juridictions spécialisées, aux infiltrations, aux interceptions de correspondances et d'images, aux perquisitions et à la garde à vue.
L'arsenal, vous en conviendrez, est déjà considérable. Est-il vraiment indispensable d'ajouter une septième loi en attendant - pourquoi pas ? - la huitième, la neuvième, la dixième ?...
Je ferai observer, alors que l'on proclame constamment l'impérieuse nécessité de prendre les mesures annoncées en urgence, le danger étant ou pouvant toujours être imminent, qu'un nombre significatif de textes d'application des lois que je viens de citer ne sont toujours pas parus, plusieurs années après leur promulgation. Comment expliquez-vous cela, monsieur le ministre ?
Ainsi, les textes d'application de l'article 29 de la loi du 15 novembre 2001 au sujet de la conservation des données détenues par les opérateurs de téléphonie mobile ne sont toujours pas parus.
M. Jean-Claude Peyronnet. C'est incroyable !
M. Charles Gautier. Scandaleux !
M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi en est-il, autre exemple, des dispositifs fixes et permanents de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules qui devaient donner lieu à un décret en Conseil d'État après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, selon les termes de l'article 26 de la loi du 18 mars 2003. On cherchera vainement ce décret puisque, deux ans et demi après la promulgation de la loi, il n'est toujours pas paru. Or on nous avait dit, à l'époque, que c'était d'une extrême urgence.
M. Jean-Luc Mélenchon. Belle démonstration !
M. Robert Bret. On est dans l'affichage !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais au-delà de ces simples remarques, il est deux raisons, monsieur le ministre, pour lesquelles il ne nous semble pas possible de souscrire au texte que vous nous présentez. (M. Pierre Fauchon s'exclame.)
La première tient à la mise à l'écart, dans de nombreux domaines et pour de multiples procédures, de l'autorité judiciaire sans qu'il soit justifié de manière probante que la nécessité ou les modalités de la lutte efficace contre le terrorisme justifient de limiter ainsi les prérogatives de l'autorité judiciaire.
La CNIL a ainsi évoqué « un cadre de police administrative, c'est-à-dire hors du contrôle a priori du juge, permettant ainsi un accès très large à de nombreux fichiers publics ou privés ».
Elle a aussi souligné que des services dépendant du seul pouvoir exécutif pourront, si ce texte est voté en l'état « avoir accès à tout moment et sans aucun contrôle du juge à l'ensemble des informations liées à mon utilisation du téléphone et à ma connexion Internet depuis un an. Qui m'a appelé ? Pendant combien de temps ? Où étais-je à chaque fois que je téléphonais ? Combien de fois me suis-je connecté à Internet ? ».
Nombre de mesures du texte ne respectent pas le principe fondamental de finalité et, par voie de conséquence, celui de proportionnalité, qui devrait caractériser toutes les mesures relatives à la lutte contre le terrorisme. Il risque donc de créer une rupture de l'équilibre entre les droits du citoyen et les prérogatives de l'État, et cela en de très nombreuses circonstances.
Il faut évidemment se donner tous les moyens de lutter contre le terrorisme. Mais cela doit-il conduire à donner à des services administratifs - ce qui, j'y insiste, monsieur le ministre, est sans précédent dans notre pays - le pouvoir de procéder à tout moment à des investigations relatives à la vie personnelle, d'avoir accès à tout fichier et à tout croisement de fichiers et de disposer, à tout moment, de toute information sur les allées et venues de chacun, et ce, je le répète, sans que le contrôle du juge s'exerce ?
Que des procédures menées par l'autorité judiciaire- et elles peuvent évidemment l'être sur l'initiative du pouvoir exécutif - puissent donner lieu à un champ d'investigation très étendu lorsqu'il s'agit de terrorisme, nous le comprenons très bien, nous en sommes d'accord, monsieur le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous dites n'importe quoi, cela se fait sous le contrôle du juge !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais cela ne justifie pas d'étendre très largement ce type d'investigation à l'initiative de services administratifs.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela se fait toujours sous le contrôle du juge ! Monsieur Sueur, vous dites des contrevérités !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est encore la Commission nationale de l'informatique et des libertés qui indique que les dispositions de l'article 7 du projet de loi seraient de nature à porter atteinte à la liberté fondamentale d'aller et de venir.
Le même article 7 permet, au nom de la lutte contre le terrorisme, des mesures exceptionnelles à l'occasion d'« événements particuliers » - qu'est-ce qu'un « événement particulier » ? tous les événements pourront être qualifiés de « particuliers » - ou de « grands rassemblements ». On voit qu'au nom du terrorisme, avec ce dispositif, on étend très largement les procédures d'exception, puisqu'il ne manque dans notre pays ni d'événements particuliers ni de grands rassemblements.
Il est même des cas où l'on s'affranchit sans motif de procédures pourtant reconnues, puisqu'il est prévu dans l'article 5, s'agissant de la question des écoutes téléphoniques, que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité sera dessaisie de ses prérogatives au bénéfice d'une « personnalité qualifiée ».
Sur tous ces points, notre position est claire : les mesures visant le terrorisme ne doivent pas avoir d'autre objet, elles doivent être transitoires et donc être prises pour une durée déterminée, et elles doivent être mises en oeuvre sous le contrôle de la justice.
En outre, alors que vous dessaisissez la justice de certaines de ses prérogatives par la loi, vous la dessaisissez d'une autre manière encore. Je veux parler des frais de justice.
En effet, la lutte contre le terrorisme nécessite des moyens d'investigation très importants. Le coût des expertises en matière téléphonique ou informatique est élevé. Or, vous vous en souvenez, lors de l'examen des crédits de la justice, nous avons protesté contre l'insuffisance des crédits affectés aux « frais de justice » qui permettent de financer ces expertises. Or, bien que le ministère de la justice ait demandé une somme globale de 600 millions d'euros correspondant à l'évaluation des besoins réalisée par ses soins, seuls 370 millions d'euros ont été accordés. Même si on nous a fait miroiter une rallonge de 50 millions d'euros, qui reste hypothétique, les sommes seront largement inférieures aux besoins, et cela a aussi à voir avec la lutte contre le terrorisme.
La seconde raison de notre opposition tient au fait que ce texte, en l'état, se caractérise par un amalgame qui nous paraît inacceptable entre terrorisme et immigration.
Nous tenons à dire, premièrement, qu'il est légitime de prendre des mesures pour lutter efficacement contre le terrorisme, deuxièmement, qu'il est légitime de mettre en oeuvre une politique de l'immigration et, troisièmement, que, dès lors qu'une telle politique est mise en oeuvre, il est logique de lutter contre l'immigration clandestine. C'est donc clair.
Mais il ne faut surtout pas - c'est l'erreur fondamentale - traiter de ces trois questions dans le même texte.
Or faire de la politique de l'immigration l'un des volets de la lutte contre le terrorisme, c'est présupposer qu'il y a un rapport entre l'une et l'autre, ce qui n'est pas fondé. On a ainsi vu des personnes en situation parfaitement régulière, apparemment très intégrées dans le pays où elles étaient, se prévalant de la nationalité propre à ce pays, mettre en oeuvre des actes de terrorisme, chacun le sait.
Cet amalgame a priori est une totale erreur. Il justifie les procès d'intention et des campagnes qui se retournent et se retourneront contre notre pays.
Sur un sujet aussi sensible, notre législation ne doit en aucun cas donner prise à quelque procès d'intention ou à quelque suspicion que ce soit. Il suffit, et c'est beaucoup, qu'elle permette de prévenir le terrorisme, d'identifier ceux qui s'y livrent et de les sanctionner, quelles que soient leur origine géographique et leur nationalité.
Enfin, ce texte donne en fait la possibilité à tout pouvoir de procéder partout, en tout temps, à tout contrôle, de se procurer toute information sur les communications, les déplacements de quiconque. Nous ne pouvons approuver cette généralisation de procédures d'exception et ce dessaisissement permanent de la justice.
Ne serait-ce pas la suprême victoire du terrorisme que de nous conduire à renoncer - Robert Badinter l'a déjà expliqué avec force tout à l'heure - à un certain nombre de règles fondatrices de l'État de droit, non seulement de manière exceptionnelle, mais de surcroît de manière pérenne ?
Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas voter un texte qui pérennise l'amalgame que nous réprouvons fortement et qui est inacceptable, qui pérennise des mesures exceptionnelles et qui supprime un certain nombre de garanties liées à l'action de la justice.
Nous souhaiterions que la discussion qui va s'ouvrir permette à cet égard des modifications importantes. Mais nous craignons qu'il n'en soit pas ainsi, ce qui nous conduira à nous opposer à ce projet de loi, non pas en raison de son objet - la lutte contre le terrorisme -, mais parce que nous pensons qu'il est possible et nécessaire de poursuivre le même objectif dans le respect des règles essentielles de l'État de droit. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est un tissu de contrevérités, monsieur Sueur !
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne m'associerai pas, sur un sujet aussi grave, à un certain nombre de propos qui sont à la limite du procès d'intention et que j'ai entendus à la fin de l'après-midi et en ce début de soirée.
Nous vivons dans un monde extrêmement dangereux. Aux catastrophes naturelles qui surgissent ici ou là, nous avons ajouté les risques technologiques ? En effet, nous avons créé une civilisation qui comporte, à côté de ses bienfaits, toute une série de dangers pour un certain nombre de déplacements. Ainsi, notre industrie comprend dans ses processus toute une série de produits intermédiaires qui ont un caractère dangereux et que nous sommes obligés de transporter.
À cela s'ajoute une menace, qui n'est pas complètement nouvelle : le terrorisme. Ce n'est pas une invention de notre temps, nous l'avons toujours connu.
Nous avons connu des terrorismes idéologiques internes à la France, nous avons connu des terrorismes d'État qui n'ont peut-être pas complètement disparu. Un certain nombre d'affirmations venant d'Iran peuvent éventuellement nous alerter, d'autant plus que nous avons l'expérience du passé en la matière.
Nous avons connu des terrorismes internes avec des revendications irrédentistes variées, qui paraissent presque folkloriques à côté de ce que nous voyons maintenant de la part d'un certain nombre d'individus qui sont dominés non par une idéologie mais par une volonté très claire de prendre en main toute une partie de l'humanité.
Tout à l'heure, M. Badinter soulignait, à juste titre, que la plupart des victimes du terrorisme sont membres de la religion au nom de la pureté de laquelle agissent ou se préparent à agir un certain nombre de ceux dont nous devons faire en sorte que les méfaits ne se répandent pas de manière excessive.
Leur but, en réalité, est très exactement de nous amener là où, en aucun cas, nous ne voulons aller, c'est-à-dire à un choc de civilisations. Ce qu'ils essaient de faire est à la fois de nous inquiéter, de nous désorganiser, de nous paniquer et de faire de nos propres populations des complices involontaires des conséquences de leurs actes. En même temps, ils tentent de conquérir,au sein du monde musulman, une influence, une capacité d'action et de mobilisation qui aboutisse très exactement à ce choc de civilisations, voire à ce choc de religions, que nous ne voulons à aucun prix. C'est en partie de cela qu'il s'agit quand on essaie de voir de quelle manière on peut empêcher un terroriste supposé lambda d'agir où que ce soit et spécialement en France.
L'acte terroriste, comme tous les actes, se déroule en trois temps : avant, pendant et après. Tout cela est lié car, dans l'esprit de ceux qui organisent les attentats, il s'agit d'événements qui, par définition, doivent devenir suffisamment répétitifs pour maintenir la pression sur les populations que nous représentons ici.
L'avant, si l'on veut éviter le drame, c'est l'observation des réseaux. Je ne suivrai donc pas ceux qui disent que la vidéosurveillance ne sert à rien. Selon eux, en effet, elle n'a pas permis, par exemple, le renouvellement d'une tentative d'attentat à Londres. Peut-être. Cependant, tous les enseignements que l'on peut tirer d'une vidéosurveillance bien exploitée avant un événement dramatique ou après un événement bénin mais qui fait partie de ce que les spécialistes considèrent comme un élément de préparation, de recrutement ou d'organisation d'un réseau constituent un moyen préventif de lutte qui peut avoir une certaine efficacité.
M. Philippe Goujon. C'est tout à fait exact !
M. Paul Girod. Ce n'est pas seulement un élément de preuve, c'est aussi un élément d'observation, de préparation, de mise en garde. C'est une des raisons pour lesquelles, concernant la vidéosurveillance, je ne fais pas de procès d'intention au Gouvernement. D'autant que nous avons à opérer collectivement à l'échelon national une mutation de pensée.
Qu'on le veuille ou non, nous sommes face à une forme de « guerre », qui échappe totalement à nos concepts dans la mesure où nous avons été habitués, depuis le traité de Westphalie, à des guerres qui se déroulent entre des gens en uniforme, organisés et agissant au nom d'États. Or nous sommes cette fois-ci en face de gens qui, par définition, n'ont pas d'uniforme, n'agissent pas au nom d'un État puisqu'il s'agit d'une mouvance non étatique et parfaitement diffuse, et qui, bien entendu, cherchent surtout à se dissimuler. Dès lors, il est assez logique que nous réfléchissions en essayant d'avancer dans les méthodes de détection.
J'ai entendu l'argument sur les sept lois successives. Toutefois, ce monde que nous découvrons petit à petit s'adapte à nos ripostes. Il ne me semble pas illégitime d'essayer de garder une longueur d'avance. Nous en avons une en France grâce aux législations successives qui ont mené à la centralisation du système d'instruction,...
M. Robert Bret. Grâce aux renseignements généraux surtout !
M. Paul Girod. ...à la définition des crimes de préparation et à la liaison entre un parquet spécialisé et des services de renseignements qui font école dans le monde. J'ai cru comprendre qu'un certain nombre de pays venaient observer nos méthodes pour s'en inspirer.
Il n'est pas illégitime de chercher à garder cette longueur d'avance. En fonction des leçons que nous pouvons tirer des événements qui se déroulent ici ou là, que ce soit en Indonésie, à Londres, à Madrid ou ailleurs, il ne me semble pas illogique d'essayer en permanence de nous adapter.
Ce projet de loi vise précisément à donner à nos services de police et au parquet les moyens supplémentaires dont nous avons besoin pour protéger des citoyens français, quelle que soit leur origine, et je pense que nous sommes dans notre rôle en le faisant.
Monsieur le ministre, je ne vous chercherai pas de noise ni sur la vidéosurveillance, ni sur la capacité de consultation des fichiers par les services spécialisés, ni sur la traçabilité du parcours des personnes.
M. Paul Girod. S'agissant de la garde à vue prolongée, j'approuve vos projets et je crois que vous avez raison.
M. Paul Girod. Il faut néanmoins faire attention, car certaines difficultés vont se présenter au fur et à mesure de l'application de cette loi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, il faut quand même faire attention !
M. Paul Girod. Il faudra d'abord veiller au risque de débordement. Je suis sensible au fait que vous ayez prévu que les mesures les plus délicates ne s'appliquent que pendant une durée limitée, avec une clause de rendez-vous. Dans trois ans ou dans cinq ans, le Parlement sera amené à réexaminer les dispositions que vous nous soumettez ce soir et que je voterai.
Permettez-moi toutefois une suggestion : peut-être le Gouvernement serait-il bien inspiré, à mi-parcours, de charger deux parlementaires d'origine différente...
Mme Josiane Mathon-Poinat. Un sénateur de l'UMP et un député de l'UMP !
M. Paul Girod. ... d'une mission d'étape, de manière que le Parlement reste d'une certaine façon associé au déroulement des procédures. Une telle disposition serait de nature à désarmer quelques critiques.
Il faudra aussi faire attention aux difficultés techniques. J'en vois plusieurs.
Je citerai, d'abord, l'enchevêtrement de certaines réglementations ou législations. Les opérateurs de télécommunications n'ont pas manqué de nous faire observer que certains textes méritent d'être mieux coordonnés.
Nous en avons d'ailleurs actuellement un exemple précis avec les difficultés que rencontre le Secrétariat général de la défense nationale, le SGDN, pour la préparation du décret relatif à la protection des infrastructures critiques. Les grands opérateurs et le SGDN éprouvent quelques difficultés pour déterminer la ligne de séparation entre ce qui doit être public et ce qui doit rester privé, pour définir l'endroit où s'arrêtent les responsabilités des uns et des autres, notamment en matière de protection des centrales.
De la même manière, certaines décisions prises ne me semblent pas toujours logique. Il en est ainsi s'agissant de l'Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire. Dans la LOLF, nous l'avons rattaché à la direction de la recherche du ministère de l'industrie et nous lui avons affecté comme indicateur de performance le nombre de publications alors qu'il s'agit d'un service dont la moitié au moins des activités est constituée d'interventions. À cet égard, il convient donc de revoir certaines de nos analyses.
Quant à la surveillance des cybercafés, elle est sûrement nécessaire, mais le développement du wifi court-circuitera très vite les possibilités d'exploitation de ce dispositif. Sans doute faudra-t-il une huitième loi, car, là aussi, il sera indispensable de s'adapter à l'évolution des techniques. En effet, nos adversaires potentiels sont parfaitement informés des nouvelles possibilités et ils savent parfaitement les utiliser. Ils l'ont, hélas ! très largement prouvé.
Pour l'instant, nous sommes plutôt dans l'avant. S'agissant de l'après, le vote de la loi de modernisation de la sécurité civile a doté les différents intervenants de moyens d'action supplémentaires.
Certaines initiatives avaient été annoncées par le ministre de l'intérieur, aujourd'hui ministre d'État, je pense en particulier - je me tourne vers M. Legendre - à la création d'un pôle d'entraînement et de perfectionnement de défense civile à Cambrai. Permettez-moi d'insister une nouvelle fois sur ce dossier, comme je le fais chaque fois que je m'exprime du haut de cette tribune,...
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Paul Girod. ...car c'est le seul endroit où l'on parviendra à faire s'entraîner ensemble, à l'échelon national, voire à l'échelon européen - l'Europe étant demandeuse - des intervenants venant de diverses origines, de différentes disciplines, et pas seulement des intervenants publics. Je me permets de rappeler qu'entre 85 % et 95 % des sources de dangers potentiels que peuvent utiliser les terroristes contre nous, qu'il s'agisse de matières chimiques, bactériologiques ou radiologiques - et je ne parle même pas du nucléaire - sont actuellement stockés dans des entreprises privées.
M. Paul Girod. C'est là qu'ils trouveront les éléments qui leur permettront de fabriquer une bombe sale, de provoquer une pollution chimique, c'est là aussi qu'ils trouveront des dépôts à faire sauter.
Tous les intervenants doivent apprendre à travailler ensemble. C'est pourquoi, monsieur le ministre, la mise en place du pôle d'entraînement de Cambrai est une nécessité absolue.
M. Jacques Legendre. Très juste !
M. Paul Girod. Nous devons probablement marquer encore plus que nous ne le faisons notre solidarité à l'égard des victimes. Je présenterai d'ailleurs un amendement sur ce point, afin que les associations de victimes d'événements venant de se produire puissent, sous réserve d'une instruction ou d'une habilitation du ministère de l'intérieur, ester en justice avant le délai de cinq ans. En effet, on ne peut pas attendre cinq ans quand on est confronté à des événements aussi graves que des attentats terroristes.
Monsieur le ministre, j'approuve l'aggravation des peines que vous avez prévue, la centralisation du système de mise en liberté et l'observation des libérations anticipées ainsi que vos idées sur la déchéance de nationalité.
En revanche, s'agissant du gel des avoirs, je reste sceptique. Le terroriste tel que nous le connaissons aujourd'hui, hélas ! n'est pas un homme qui étale ses biens. C'est même tout le contraire. Il s'agit d'un homme qui se dissimule. Les avoirs que vous pourrez saisir avant, si vous repérez un réseau, seront extrêmement modestes. Malheureusement, le terrorisme est une activité économiquement limitée, demandant peu de moyens. Nous avons pu le constater avec les attentats de New York dont la préparation n'a pas demandé des sommes considérables. Je ne suis pas persuadé que vous aurez de grandes perspectives d'efficacité de ce côté, même s'il est satisfaisant de savoir qu'un terroriste ne pourra pas conserver des biens auxquels il est peut-être attaché. J'ai toutefois le sentiment que le caractère quelque peu monastique des vocations ne vous laissera pas beaucoup de moyens d'action.
Sur un sujet aussi grave, il me paraît difficilement concevable qu'un Parlement puisse se diviser. En tout cas, monsieur le ministre, c'est pour vous aider dans la nécessité de nous adapter à l'évolution permanente de ceux que nous avons en face de nous que je vous apporterai mon soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'irai pas par quatre chemins : la gravité de la situation, le devoir de vérité ainsi que l'obligation d'efficacité qui nous lie au peuple nous imposent de refuser toute langue de bois, de parler avec franchise et, surtout, de ne pas créer de peurs supplémentaires qui ne peuvent qu'engendrer des conséquences négatives.
Le sujet est suffisamment grave, il est inutile de vouloir l'aggraver davantage pour justifier d'autres objectifs.
Chaque victime d'un attentat terroriste démontre l'échec de nos systèmes et met notre démocratie en danger.
Le terrorisme est une réalité que l'on doit condamner avec fermeté, une réalité horrible et inacceptable. Une réalité contre laquelle il convient de lutter avec force et vigueur, mais aussi avec efficacité, pour assurer la liberté de nos concitoyens. Nous le savons, la première des libertés est la sécurité de tous.
Le Gouvernement justifie le texte qu'il nous soumet par la volonté de mieux garantir le droit à la sûreté, à l'heure où nous serions en danger en raison d'une menace terroriste imminente.
Néanmoins, la lutte, légitime, contre le terrorisme ne peut en aucun cas justifier le recours systématique à dispositifs pérennes qui portent atteintes à nos droits individuels et à nos libertés fondamentales.
Or, malheureusement, ce projet de loi est placé sous le signe des amalgames, de la confusion, et même du dévoiement.
À ce stade, il est fondamental de rappeler que la notion de sûreté, faisant l'objet de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, désigne la protection des droits et des libertés des individus contre l'arbitraire de la puissance publique.
Or, son utilisation ici marque l'inversion de la logique de notre droit. En effet, les dispositions du projet de loi qui nous est soumis constituent des atteintes ou des restrictions mises en oeuvre par la puissance publique contre les libertés fondamentales des individus, d'où le dévoiement que je dénonçais à l'instant et que nous ne pouvons que condamner.
De plus, ce projet de loi présente un double défaut : il est inutile et dangereux.
Tout d'abord, ce texte est inutile parce qu'il occulte ce qui est actuellement indispensable à une lutte efficace contre le terrorisme, c'est-à-dire la coopération européenne et internationale.
Or, si on en parle beaucoup, on met peu de moyens dans sa véritable mise en oeuvre !
Il convient de rappeler que notre système actuel de lutte contre le terrorisme, qui repose essentiellement sur le renseignement humain, a démontré, malgré ses indéniables défauts, son extrême efficacité. Il est d'ailleurs cité en exemple partout, en Europe comme aux Etats-Unis, qui nous demandent souvent d'intervenir à leurs côtés.
Les juges spécialisés dans la lutte antiterroriste, ainsi que tous les représentants des différents services affiliés que nous avons rencontrés au cours des auditions de la commission des lois nous le disent : nous bénéficions déjà d'un large arsenal législatif qui nous permet d'avoir une marge de manoeuvre importante.
En effet, la loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, prolongée par celle du 18 mars 2003, avait déjà renforcé les dispositions de la loi du 22 juillet 1996 et intégré de nouvelles dispositions de prévention et de lutte contre le terrorisme. Je citerai notamment les visites, perquisitions et saisies de jour comme de nuit, les visites de personnes et des véhicules, les inspections et les fouilles de sacs à mains par des agents de sécurité privée, la consultation des fichiers gérés par la police nationale, la garde à vue de quatre jours, l'interception de correspondances ainsi que la sonorisation et la fixation d'images de certains lieux ou véhicules.
Comme pierre angulaire du dispositif existant, il y a l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Cette incrimination autonome a, elle aussi, fait la preuve de sa grande efficacité.
Je souhaite vous rapporter les propos de M Christophe Chaboud, chef de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'UCLAT, au journal Libération, le 18 octobre 2005 : « Notre stratégie est celle de la neutralisation préventive judiciaire. Les lois antiterroristes votées par le Parlement, mises en place en 1986, puis en 1996, font notre force. On a créé les outils pour neutraliser les groupes opérationnels avant qu'ils passent à l'action. »
L'efficacité de notre système est telle que les Britanniques ont manifesté la volonté de s'en inspirer pour rendre plus efficace leur dispositif de lutte antiterroriste.
L'inutilité de ce projet de loi se retrouve également dans les solutions proposées qui, présentées comme de véritables panacées, ne sont bien souvent que des mesures d'affichage.
Le Gouvernement nous propose d'étendre et de généraliser l'installation de systèmes de vidéosurveillance, y compris dans l'espace public : ce n'est pas sérieux !
Le régime juridique actuel permet déjà le recours à la vidéosurveillance et ce n'est pas en multipliant les caméras à chaque coin de rue que l'on préviendra les attentats.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Les attentats de New York, de Madrid et de Londres sont de funestes témoignages qui nous rappellent cette triste et terrible réalité.
Bien qu'ils aient été filmés par des dizaines de caméras, aucun des terroristes ayant participé aux attentats de New York ou de Londres n'a été entravé dans son action.
En quoi le fait qu'il y ait des centaines de milliers de caméras, derrière lesquelles, le plus souvent, il n'y aura pas d'équipe humaine, pourra-t-il empêcher un terroriste de faire exploser une bombe s'il est décidé à commettre un attentat suicide ?
Vous nous parlez d'un effet dissuasif, mais, malheureusement, rien ne dissuadera le kamikaze qui a décidé de se faire sauter !
Vous me répondrez alors que les enregistrements vidéo serviront aux enquêtes de police. Soit ! Toutefois, il n'apparaît pas non plus, de manière nettement établi, que la vidéosurveillance puisse avoir un rôle déterminant au stade de l'enquête pour l'identification a posteriori de complices ou de coauteurs. En outre, jusqu'à aujourd'hui, elle n'a apporté aucune preuve de culpabilité. Toutefois, même si c'était le cas, vous ne pouvez que reconnaître que le système de vidéosurveillance n'a pas empêché quoi que ce soit, car il n'a rien de préventif.
L'ensemble de ce projet de loi est ainsi truffé de dispositions dont l'application révélera la grande inefficacité.
Cependant, outre le fait qu'il comprend des dispositions relativement peu efficaces contre le terrorisme, ce texte est également porteur de germes liberticides.
Son premier danger est qu'il répond à la volonté constante du Gouvernement de se fonder sur les craintes légitimes des citoyens, pour les instrumentaliser, les manipuler, en vue de faire basculer l'ensemble du pays dans l'état d'esprit d'une nation assiégée, en perpétuel danger de destruction, intérieure ou extérieure.
En conditionnant ainsi l'opinion, on la modèle pour mieux la diriger dans les bras de ceux qui apparaissent alors comme l'ultime rempart contre le chaos et la désolation.
En entretenant les peurs, en travestissant les faits et en stigmatisant toute une population, comme l'a rappelé le président de la Ligue des droits de l'homme lors de son audition par la commission des lois, on instaure ainsi un état de guerre. État de guerre qui légitime en effet le recours pérenne à un droit d'exception, notamment contre cette population que l'on montre du doigt et que l'on discrimine encore un peu plus, tout en voulant légitimer cette discrimination.
Or, je le rappelle, nous sommes non pas dans un état de guerre qui véhicule une logique de haine, mais dans un État de droit. Et c'est dans le cadre de cet État de droit que l'on doit combattre le terrorisme. C'est ce qui fait la grandeur de notre démocratie !
L'un des principaux dangers que comporte le présent projet de loi, c'est la « déjudiciarisation » de la lutte antiterroriste au profit d'une augmentation des pouvoirs de la police administrative.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est faux !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Or, jusqu'à présent, ce qui a caractérisé le système français, ce qui en a fait sa caractéristique principale, c'est que le juge a toujours été au coeur du processus de lutte antiterroriste.
Quand bien même les pratiques de certains d'entre eux leur ont valu d'être qualifiés de « cow-boys » par certains journalistes, la force de notre système antiterroriste, la garantie qu'il ne sombre pas dans l'arbitraire, réside dans l'initiative laissée aux juges pour conduire cette mission.
Des lois Perben à la loi Sarkozy, en passant par la loi Clément, ce gouvernement fait preuve d'une telle crainte et d'une telle défiance à l'égard des juges qu'il multiplie les atteintes à leur indépendance. On peut également noter, au passage, sa suspicion permanente et inacceptable envers les avocats, qui, ne l'oublions pas, appartiennent à un ordre et sont soumis au respect d'une déontologie.
Avec ce projet de loi, vous nous proposez le basculement vers un système antiterroriste où règnent en maîtres, et sans contrôle a priori, les agents de la police administrative, où l'équilibre entre liberté et sécurité sera rompu au profit d'une course vers le tout-sécuritaire.
Comme je vous l'ai déjà dit, on ne peut que constater, à la lecture de ce projet de loi, que le Gouvernement oeuvre pour une pseudo-sécurité, à l'encontre du principe de sûreté qui impose de protéger les citoyens de l'arbitraire des gouvernants.
Outre la mise à l'écart du juge, l'un des meilleurs exemples de cette dérive est constitué par l'éviction de fait de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, dont la majeure partie des recommandations ont été ignorées dans ce projet de loi.
M. Jacques Baudot. C'est faux !
Mme Alima Boumediene-Thiery. L'absence de fait de la CNIL révèle l'absence totale de garanties dans ce projet de loi. Pas, ou peu, de garanties quant au contrôle effectif de la mise en oeuvre des systèmes de vidéosurveillance, notamment par des personnes morales de droit privé.
M. Jacques Baudot. N'importe quoi !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Pas de garanties quant à l'enregistrement, l'utilisation, la destination, la consultation et la conservation des images. Il en est de même pour la consultation croisée des différents fichiers par des agents de police administrative, pouvant donner lieu à la constitution de superfichiers.
Ce projet de loi institue une réquisition administrative, permettant de transmettre les données de connexion conservées par les opérateurs de communication et fournisseurs de services électroniques. Cette réquisition administrative s'oppose de manière frontale à la réquisition judiciaire.
L'aggravation proposée des peines encourues pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » constitue de toute évidence une mesure de pur affichage. En effet, nul n'ignore que les infractions terroristes sont déjà particulièrement et lourdement réprimées et font l'objet d'un régime procédural d'exception.
Cette proposition d'aggravation du dispositif pénal ne nous paraît donc pas nécessaire. Il en va de même pour la prolongation de la garde à vue.
S'il s'agit de rechercher des preuves supplémentaires, on sait que la détention provisoire est d'usage presque systématique en la matière et que sa durée est particulièrement longue. Sa prolongation devrait donc permettre de prévenir un crime imminent, objectif qui ne sera pas atteint avec quelques heures de garde à vue de plus ; en revanche, elle ouvre la voie à d'autres prolongations dont les délais ne connaîtront plus de limites...
Plus grave, ce projet de loi est porteur de confusions, d'amalgames, de mélanges. Mélanges volontaires, pour créer des peurs et des rejets supplémentaires. En effet, plusieurs dispositions nous le prouvent, ce projet de loi mélange lutte contre le terrorisme et lutte contre l'immigration. Cet amalgame est délibéré et entretenu. Il exprime la volonté profonde de criminaliser toujours plus l'immigration.
En juxtaposant des dispositions ayant pour but de combattre le terrorisme et d'autres tendant à lutter contre l'immigration clandestine, ce texte conforte les pires fantasmes qui font de chaque immigré clandestin un terroriste en puissance.
Et que dire de l'élargissement des conditions de déchéance de la nationalité ? En plus d'être totalement inefficace face au terrorisme, cette disposition contribue à la même logique répressive, et non préventive, stigmatise davantage encore une partie de la population dont l'attachement à la France est sans cesse mis en doute.
Je vous rappelle que, lors des auditions de la commission des lois, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris en charge de la section antiterroriste a indiqué que, sur les 100 à 150 personnes aujourd'hui détenues ou inculpées, la grande majorité sont françaises. Or, je pense qu'en France il n'y a pas de distinction entre Français d'origine, Français musulmans, Français convertis ; il n'y a que des Français tout court !
Enfin, puisque nous sommes dans le domaine des fantasmes, je terminerai par le dernier fantasme à la mode, qui circule en ce moment, celui d'un prosélytisme islamique ou islamiste faisant fureur au sein de nos prisons.
Chers collègues, j'ai visité de nombreuses prisons. Samedi dernier encore, je visitais la prison de la Santé. Je peux vous dire que le plus grand danger qui guette les prisonniers n'est pas de se jeter dans les bras d'individus instrumentalisant la religion et exploitant les discriminations et les injustices. Le plus grand danger auquel sont confrontés ces détenus, c'est que le Gouvernement tente de les convaincre qu'ils ne sont pas humains.
En l'absence de personnel spécialisé, de moyens matériels adéquats, c'est leur dignité qu'on leur enlève, c'est la révolte qu'on sème. À force de les faire vivre dans les pires conditions, indignes de notre République, à force d'humiliations, ces personnes « craquent ». Ne nous étonnons pas qu'elles aillent ensuite se réfugier auprès de « fous dangereux » pour trouver protection ou défense. On les aura un peu poussées au désespoir !
Donnons avant tout respect, dignité et moyens pour des conditions de vie décentes dans les prisons, avant d'ériger un cas particulier en généralité et de déguiser des faussetés en vérités, justifiant le système du tout-répressif.
Je conclurai en une phrase : s'il est primordial de lutter contre le terrorisme, n'oublions jamais que notre démocratie ne peut pas se construire au détriment des droits fondamentaux et des libertés publiques qui doivent être garantis par la lisibilité et l'accessibilité de la loi pour tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aucun mot ne peut traduire l'effroi, le dégoût, le sentiment d'impuissance provoqués par les attentats terroristes. Indépendamment du lieu et des personnes, nous sommes solidaires d'une part d'humanité détruite par haine.
Comment réagir ? Réfléchir, agir, partager l'expérience et, pour ce qui nous concerne, légiférer avec vigueur et rigueur, afin de préserver l'équilibre entre, d'une part, la nécessaire mise en oeuvre de mesures efficaces et exceptionnelles pour lutter contre le terrorisme et, d'autre part, la préservation des libertés individuelles défendues par nos sociétés.
Au contraire, accepter que notre société démocratique organise la fin de ses libertés, serait offrir la victoire aux terroristes. Refusons cette capitulation.
Nous abordons ce texte grave au moment où, comme l'a rappelé le ministre d'État, se dessine une évolution positive de la coopération entre États au sein de l'Union européenne, manifestée par l'extradition de Rachid Ramda vers la France, après dix ans d'attente.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !
M. Aymeri de Montesquiou. Cette décision est porteuse d'espoir : il faudra le temps nécessaire, mais les auteurs d'attentats ou leurs financiers auront de plus en plus de mal à échapper à la justice si une Europe solidaire leur fait face.
Monsieur le ministre, avec ce texte, vous avez pour objectif de prendre de vitesse les terroristes. La France a déjà connu plus de 1 500 attaques terroristes et toutes les sources confirment qu'elle peut être, ou est déjà, la cible de graves attentats. Doit-on imaginer que le plan Vigipirate demeure activé en permanence et que nous ne connaissions plus jamais de répit ?
Que prévoit ce projet de loi ? Au-delà de la lutte contre le financement du terrorisme, par une procédure de gel des avoirs, ce texte autorise la mise en place d'outils adaptés au développement infini des nouvelles formes de terrorisme.
Il tend à créer chez ceux qui nous menacent un sentiment d'insécurité entretenu par le réseau de recherche et d'information que vous déployez, concernant aussi bien les déplacements virtuels que les déplacements réels.
Les terroristes usent de la délocalisation permise par les techniques modernes. À cette mobilité physique, on doit répondre par le développement de la vidéosurveillance et le contrôle des déplacements. À la mobilité des télécommunications, on doit répondre par le contrôle des échanges téléphoniques et électroniques. L'application aux cybercafés, lieu cultivant l'anonymat par excellence, est une mesure très bien adaptée.
Quelles sont les garanties fournies à la population pour éviter un éventuel dévoiement de ces mesures ? Comment les citoyens vivront-ils ces surveillances, ce sentiment de traçabilité de leur personne ? La limitation de certaines mesures dans le temps me paraît indispensable, comme c'est le cas pour l'accès des services de police aux données de connexion des opérateurs de communication ou à certains fichiers administratifs. La commission des lois a bien précisé les modalités d'habilitation et de désignation des agents autorisés à accéder à certaines données.
Soyons particulièrement attentifs au volet de la répression et de l'exécution des peines, d'une part, et au sort des victimes, d'autre part. Je m'arrêterai sur l'article 9 qui aggrave la répression de l'association de malfaiteurs à but terroriste. Cette disposition s'inscrit parfaitement dans la logique de prévention de l'action terroriste. Elle réprime le simple projet criminel et peut ainsi contribuer à l'éviter.
Aujourd'hui, la peine d'emprisonnement encourue est de 10 ans, et les peines sont en moyenne de 4 années fermes. Désormais, au regard de la gravité des faits constitués par la préparation d'actes susceptibles d'entraîner la mort, l'aggravation de la peine maximale encourue à 20 ans, et à 30 ans pour les commanditaires, a du sens. Elle intègre aussi la préparation d'actes de terrorisme écologique.
Je soutiens cette démarche et souhaite compléter l'arsenal à l'étape ultérieure, celle où le crime terroriste est commis, en sanctionnant les crimes de terrorisme par une imprescriptibilité et une incompressibilité des peines.
Pour ceux qui sont prêts à tout pour accomplir leur crime, ou pour qui, pire encore, le fait de sacrifier leur vie a un sens dans l'au-delà, ne nous leurrons pas : rien ne peut influencer leur décision de passer à l'acte. Je sais que cette demande n'est pas conforme à notre tradition juridique, mais la situation ne requiert-elle pas qu'on accepte des modifications en raison des circonstances ?
Aux futurs auteurs d'attentats et aux auteurs en liberté, je veux simplement affirmer qu'ils ne connaîtront pas le répit tant qu'ils seront sur le territoire français. Aux victimes et à leurs familles, je veux affirmer l'engagement qu'elles ne seront jamais oubliées. Si nous ne prenons pas de telles dispositions, nos concitoyens s'interrogeront de plus en plus sur le rétablissement de la peine de mort.
Mmes Éliane Assassi et Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh !
M. Aymeri de Montesquiou. J'ai dit « s'interrogeront » ! Nous sommes contre, mais ils s'interrogeront.
Mme Hélène Luc. Il faut garder son sang froid !
M. Aymeri de Montesquiou. Y a-t-il aujourd'hui une alternative à l'acceptation d'un affaiblissement des libertés individuelles afin de renforcer la sécurité collective ?
Gardons en mémoire Globalia, ce roman qui raconte un monde où le terrorisme est instrumentalisé afin de mieux contrôler la population, où il est affirmé que « la sécurité, c'est la liberté. La sécurité, c'est la protection. La protection, c'est la surveillance. La protection, c'est la liberté. » Restons vigilants, nous qui aimons et défendons la liberté. Je vous conseille la lecture de ce roman qui est très inquiétante.
Cette liberté doit être, ce soir, notre ciment. Vous êtes résolu, monsieur le ministre, nous aussi. C'est pourquoi je voterai ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord, au nom de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, et du Gouvernement, remercier M. le rapporteur Jean-Patrick Courtois, et lui exprimer notre gratitude pour le travail très approfondi qu'il a conduit et la grande précision du rapport qu'il a rédigé, malgré des délais très courts imposés par l'urgence.
Nous sommes bien évidemment d'accord sur l'analyse que vous faites, monsieur le rapporteur, de la menace terroriste et des moyens de la combattre. Le Gouvernement, je veux le dire, se montrera très ouvert aux amendements proposés par la commission des lois, en ce qu'ils précisent et enrichissent le projet de loi dans le respect de l'équilibre entre la sécurité et les libertés.
Monsieur Alfonsi, vous avez exprimé le soutien de la majorité du groupe RDSE au projet de loi et je vous en remercie. Depuis 1986 d'ailleurs, comme vous l'avez rappelé vous-même, systématiquement, vous avez veillé à témoigner de votre soutien, quelles que soient les majorités, à tous les textes de loi qui ont constitué des avancées importantes dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
Vous avez parfaitement résumé, me semble-t-il, l'esprit de notre projet : une réponse juridique à la menace terroriste actuelle, dans le respect de la tradition juridique française et la fidélité aux principes de l'État de droit.
Madame Assassi, je ne vous dirai qu'une chose : chacun prendra ses responsabilités.
M. Robert Bret. Notre position se fonde sur l'expérience !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Celle du Gouvernement est de protéger les Français contre une menace terroriste réelle et intense.
Constatant le caractère systématique de vos critiques, ...
M. Charles Gautier. Ne déviez pas de vos propos !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...je ne peux que douter de votre esprit de responsabilité. Comme le sujet est trop sérieux pour prêter à polémique, je m'abstiendrai de tout autre commentaire.
M. Robert Bret. Il vaut mieux !
Mme Éliane Assassi. Ça, c'est responsable !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Zocchetto, je remercie le groupe de l'Union centriste-UDF pour son soutien déterminé à l'action résolue du Gouvernement.
Parmi vos nombreuses remarques, qui témoignent d'une analyse très pertinente, je voudrais souligner un point particulièrement important : la nécessité d'inscrire notre action dans un cadre européen.
Vous vous êtes inquiété du fait que le Parlement européen n'avançait pas à un rythme suffisant concernant la conservation des données. Voilà une douzaine de jours, j'étais à Bruxelles pour le sommet des vingt-cinq ministres de l'intérieur de l'Union européenne pour défendre nos positions au nom du ministre d'État. Aux côtés de l'Espagne, de l'Italie et de la Grande-Bretagne, nous avons contribué largement à faire adopter à l'unanimité des vingt-cinq pays de l'Union européenne, sous la présidence britannique, une motion permettant une avancée importante en matière de conservation des données techniques par les opérateurs de communications. La position arrêtée à cette occasion est de passer de six mois minimum à vingt-quatre mois maximum.
Pour vous rassurer quant à l'inquiétude qui est la vôtre, je veux vous dire qu'aujourd'hui même le Parlement européen s'est prononcé dans le même sens par un vote - je l'indique, car il est très significatif - de 378 voix contre 197. Ce score écrasant permet aujourd'hui au Parlement, dans le prolongement des vingt-cinq ministres de l'intérieur, de progresser sur la directive relative à la rétention des données par les opérateurs de télécommunications.
Qu'on ne me dise pas ici que cela constituerait une privation fondamentale d'un certain nombre de libertés ! La majorité des parlementaires européens et les gouvernements des Vingt-cinq à l'unanimité, alors qu'un grand nombre d'entre eux sont d'obédience politique bien différente, ont souhaité avancer au même rythme et dans des proportions aussi importantes.
Bien que M. Badinter ne soit pas présent, je veux lui dire que j'ai écouté attentivement son analyse, avec le respect qui est dû à l'ancien président du Conseil constitutionnel.
Je tiens à affirmer, avec une certaine solennité que le Gouvernement partage la préoccupation qui est la sienne et qui, en vérité, est celle de tous les démocrates de notre pays. Oui, bien sûr, la lutte contre la barbarie terroriste doit passer par les seules voies légitimes, qui sont les voies du droit. La double exigence que vous avez soulignée, celle de la constitutionnalité de la loi et celle de la nécessité, est aussi la nôtre.
Je tiens à rappeler que la préparation minutieuse de ce projet de loi nous a permis d'entretenir un dialogue fructueux avec le Conseil d'État, dont l'assemblée générale a adopté le projet du Gouvernement, à quelques modifications de rédaction près.
Je tiens également à rappeler que la nécessité de ce texte est exprimée en tout premier lieu par les acteurs de la lutte antiterroriste : magistrats ou policiers.
Vous avez insisté sur la nécessaire stabilité de la loi, je vous en donne acte. Mais je dois souligner que si, depuis 2001, les démocraties ont choisi de moderniser leurs instruments juridiques de lutte contre le terrorisme, c'est précisément pour les adapter aux nécessités du temps. Le terrorisme change de nature et d'intensité. Nous devons garder un temps d'avance, sans rien renier de nos principes. C'est toute l'ambition de ce projet de loi qui vous est proposé.
Vous avez beaucoup fait référence à l'Espagne, en matière de défense des libertés individuelles et, surtout, s'agissant des défis lancés à la démocratie. Permettez-moi, à mon tour, de m'y référer, car, dans ce grand débat qui s'inscrit dans le cadre de l'Union européenne aujourd'hui, aux côtés du gouvernement français, le gouvernement espagnol est l'un de ceux qui est le plus en pointe.
Notamment dans l'exploitation du système d'information Schengen II, qui, avec dix nouveaux entrants, doit prolonger le système d'information de Schengen I, le ministre de l'intérieur espagnol était l'un des plus offensifs sur la possibilité d'exploitation du fichier au-delà des seules polices aux frontières par nos polices de l'intérieur dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Pour nous aussi, l'Espagne est une bonne référence et je remercie M. Badinter de l'avoir souligné.
Monsieur Goujon, je vous remercie de votre entier soutien. J'en retiens un certain nombre points, essentiellement deux.
Vous avez souhaité rendre hommage aux fonctionnaires des services de police antiterroriste. C'est un hommage mérité, auquel ces serviteurs dévoués des Français seront particulièrement sensibles.
En outre, je soulignerai votre expérience d'élu parisien attentif aux moyens dont disposent les forces de police dans la capitale, qui donne beaucoup de poids à votre analyse favorable à un développement de la vidéosurveillance dans les lieux publics. J'aurai l'occasion d'y revenir.
Monsieur Sueur, finalement, nous sommes d'accord sur l'essentiel ! De vos propos je retiens, en effet, que vous souhaitez le respect de l'état de droit, nous aussi, le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire, nous aussi, et des dispositions temporaires dans toute la mesure du possible, nous aussi !
M. Jean-Pierre Sueur. Alors, acceptez nos amendements !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. En revanche, vous nous faites un reproche que je n'accepterai pas : celui de proposer une nouvelle loi alors que, depuis 1986, de très nombreuses modifications législatives sont intervenues. (M. Jean-Claude Peyronnet s'exclame.)
En effet, la menace terroriste évolue ; il semble que cela vous ait échappé ! En 1986, qui imaginait qu'un jour des terroristes « surferaient » sur le Net dans un certain nombre de cybercafés et de lieux publics ? Qui imaginait que, quelques années plus tard, dans le domaine du terrorisme, à partir d'un téléphone portable, on communiquerait par SMS,...
M. Jean-Pierre Sueur. Je n'ai pas dit cela !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...voire que l'on utiliserait les mobiles pour déclencher des détonateurs semant la mort, la haine et la destruction partout.
Monsieur Sueur, il se trouve que nous sommes dans un domaine en mutation permanente et que le devoir du Gouvernement et du législateur est de s'adapter à ces mutations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.) Il semblerait que cela aussi vous ait échappé. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Absurde !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Voyez-vous, en ce qui nous concerne, nous avons fait le choix de garder un temps d'avance, voire une guerre d'avance, dans notre lutte contre le terrorisme.
D'ailleurs, monsieur Sueur, une précision doit vous être apportée. Vous avez évoqué un décret d'application dont la rédaction a été retardée. Il s'agit du décret relatif à la conservation des données de connexion.
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Sachez que, dès son retour Place Beauvau, le ministre d'État s'est étonné de ce retard et a donné des instructions très fermes pour en accélérer la rédaction.
M. Charles Gautier. Zorro !
M. Jean-Pierre Sueur. Qu'avait fait M. de Villepin ? Cela fait partie de la guerre qu'il mène contre M. de Villepin pour l'élection présidentielle ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Goujon. Oh là là !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le décret, dont le Conseil d'État va être saisi ce mois-ci, sera publié dans les premières semaines de l'année 2006.
Monsieur Sueur, lors de la discussion des articles, j'aurais d'ailleurs l'occasion, en ce qui me concerne de manière dépassionnée, de lever certains malentendus.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. Justement !
M. Charles Gautier. C'est vous qui l'avez fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas la peine d'attaquer M. de Villepin, ce n'est pas le sujet !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je regrette l'état d'esprit dans lequel vous abordez ce débat.
Je vous ai écouté, monsieur Sueur, et j'ai eu beaucoup de respect pour vos propos. Essayez d'en avoir un peu pour les miens !
J'aurai l'occasion, disais-je, de lever certains malentendus sur de prétendus amalgames entre immigration et terrorisme, dont je vous laisse l'entière responsabilité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Et l'article 6 ? Ce n'est pas moi qui l'ai écrit, c'est vous !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Paul Girod, je vous remercie d'avoir parfaitement recadré les termes du débat avec bon sens. Cela ne m'étonne pas de votre part.
Je prendrai un seul exemple : l'utilité de la vidéosurveillance. Tout comme l'a fait M. Goujon, je veux rappeler qu'en 2001, après les attentats de New York - j'attire l'attention de chacun, notamment de ceux qui, sur un certain nombre de travées, ont critiqué les moyens que nous nous donnons pour développer davantage l'implantation de réseaux de vidéosurveillance -, ce sont bien les systèmes de vidéosurveillance qui ont permis d'identifier les auteurs, dont M. Mohamed Atta et un certain nombre de ses complices, et par la même de remonter un certain nombre de filières jusqu'en Europe et de les démanteler.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Mme Boumediene-Thiery, Mme Assassi et d'autres orateurs ont critiqué la vidéosurveillance, considérant que ce serait une privation de liberté.
Mme Éliane Assassi. C'est bien une privation de liberté !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Permettez-moi de rappeler que ce sont encore les systèmes de vidéosurveillance qui ont permis, en 2005, d'identifier les commanditaires de l'attentat de Londres !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Que souhaitez-vous ? Que les commanditaires soient toujours en liberté aujourd'hui ? (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Qu'ils continuent à semer la mort, le désastre, et à générer des victimes partout où ils ont l'intention de frapper ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C'est bien résumé !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est cela le souhait que vous avez exprimé à cette occasion ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. Ne soyez pas sur la défensive !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je veux vous dire que telle n'est pas notre vision des choses. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.) Oui, nous voulons assurer la première des libertés, qui est la sécurité de l'ensemble de nos concitoyens.
M. Charles Gautier. Ça, ce n'est pas de la polémique ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je veux vous remercier, monsieur Paul Girod, et je tiens en outre à montrer l'ouverture du Gouvernement sur la nécessité d'évaluer de manière précise, comme vous l'avez souhaité, les effets de la loi. C'est pourquoi nous prévoyons que, chaque année, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l'application de la loi en toute transparence.
Madame Boumediene-Thiery, je vous ai déjà en partie répondu. Vos propos étaient si excessifs qu'ils ne méritent sans doute pas que nous y revenions. (M. Jean-René Lecerf applaudit.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Avouez que vous n'avez pas de réponse !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Considérez que nous réinstaurons aujourd'hui l'état de droit.
Dans le prolongement du propos de M. de Montesquiou, qui a brillamment mis l'accent, avec la sensibilité qui est la sienne, sur les avancées que comporte le projet de loi en matière judiciaire, je tiens à rappeler le plein accord du Gouvernement sur la prolongation de la garde à vue des personnes suspectées de terrorisme, mesure votée sur l'initiative des députés. Ce sont les juges antiterroristes qui nous l'ont demandée, monsieur de Montesquiou.
Vous avez aussi évoqué la nécessaire attention que nous devons consacrer aux victimes du terrorisme. Il s'agit d'un devoir moral. C'est aux victimes du terrorisme que nous devons penser au moment où nous allons commencer la discussion des articles du projet de loi.
La loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, proposée par une autre majorité au lendemain des attentats du 11 septembre, a, comme le rappelait le ministre d'État tout à l'heure à la tribune, facilité les fouilles des véhicules. Dans ce domaine, nous avions souhaité prolonger le processus en 2003. Il se trouve que l'opposition d'aujourd'hui, qui était la majorité d'hier, avait engagé un recours devant le Conseil constitutionnel sur cette mesure qu'en son temps nous avions approuvée !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Effectivement !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ce même texte avait autorisé les perquisitions et les saisies au cours d'enquêtes préliminaires. Ce même texte a autorisé l'utilisation des moyens militaires de déchiffrement et le recours à la visioconférence dans les procédures judiciaires et a modifié diverses dispositions du code pénal relatives à la répression du terrorisme.
Ce que nous proposons aujourd'hui n'est, finalement, qu'une adaptation et un prolongement de mesures que la majorité de l'époque avait proposées et que vous condamnez aujourd'hui.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. De manière très responsable, l'opposition de l'époque avait apporté son soutien total à la majorité et au gouvernement de M. Jospin, parce qu'elle estimait qu'il était de son devoir et de celui de tous les députés et de tous les sénateurs d'unir les efforts, sans esprit polémique, dans un véritable consensus, pour lutter contre l'un des principaux fléaux qui guette nos démocraties en ce début de xxie siècle.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous devriez relire le compte rendu des débats de l'époque tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Sur quelque travée qu'il siège, aucun des orateurs qui est intervenu au cours de la discussion générale n'a hésité à condamner avec la plus grande fermeté tous les actes terroristes.
M. Robert Bret. C'est vrai !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je veux saluer cette position que chacune et chacun d'entre vous a prise et saluer cette volonté farouchement exprimée de lutter avec la plus grande ardeur contre le terrorisme. Cependant, s'agissant des moyens de le combattre avec la plus grande efficacité, chacun n'est pas arrivé à la même conclusion que nous, et je le regrette. Je veux néanmoins espérer que la discussion des articles se déroulera dans un état d'esprit identique à celui qui a animé l'Assemblée nationale et qu'elle permettra à certains d'entre vous d'engager une vraie réflexion de fond sur le sujet pour que nous puissions avancer.
Ce combat et cette guerre sourde et sournoise à laquelle nous avons et aurons, dans les prochaines années, à faire face, qui menacent nos démocraties et, tout simplement, l'ensemble des citoyens qui vivent sur le sol de notre nation et de notre pays, méritent mieux qu'un débat polémique. En tout cas, je veux espérer que la discussion des articles nous permettra, ensemble, d'aller plus loin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Bravo !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 32, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 109, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, la singularité du règlement du Sénat veut que la motion tendant à opposer la question préalable soit débattue après la discussion générale.
M. Patrice Gélard. Nous appliquons le règlement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais cette bizarrerie,...
M. Patrice Gélard. Pourquoi une « bizarrerie » ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...a le mérite de nous permettre de dire au Gouvernement, ce soir comme en d'autres occasions, que le mépris de ceux qui ne sont pas d'accord avec vous n'est pas de bonne pratique parlementaire.
Nous pouvons partager l'horreur qu'inspire le terrorisme, qu'il frappe à New York, à Madrid, à Londres, en Palestine, à Bagdad, à Bali, en Égypte ou ailleurs. Nous l'avons en horreur parce qu'il est la négation des valeurs humaines et parce que aucune cause ni aucun désespoir ne peut justifier le massacre d'innocents.
Mais rien ne peut nous dispenser de voir le terreau qu'offre le monde d'aujourd'hui, où la majeure partie de l'humanité subit souffrances et humiliations. Rien non plus ne peut nous faire oublier que face à des actes aussi ignobles, dont les commanditaires ont souvent été abrités et soutenus par les pays qui les condamnent aujourd'hui, la force des démocraties réside dans le respect des valeurs fondamentales, dans le respect du droit et des libertés.
Hélas ! l'exemple des États-Unis est là pour montrer combien, au nom de l'indispensable lutte contre le terrorisme, le risque existe de basculer dans une justice d'exception. On l'a vu depuis octobre 2001, avec le Patriot Act, reconduit pour quatre ans jeudi dernier. On l'a vu également quand le monde a découvert quelque 550 prisonniers à Guantanamo, soustraits aux dispositions de la convention de Genève. On l'a vu encore à la fin de 2005 avec la confirmation par le Conseil de l'Europe de l'enlèvement et de la détention par la CIA de suspects en Europe, hors de tout contrôle judiciaire. Ces derniers faits ont d'ailleurs conduit mes amis Hélène Luc, Robert Bret et Robert Hue, membres de la commission des affaires étrangères, à demander l'audition de M. Douste-Blazy et la condamnation par celui-ci de ces pratiques intolérables.
Au lendemain des attentats du 7 juillet, le Royaume-Uni s'est doté de dispositifs d'exception dont il ne disposait pas. Dès le mois de septembre, le ministre de l'intérieur a annoncé que la France devait faire de même.
Pourtant, notre pays dispose, depuis les attentats de 1986, d'un arsenal antiterroriste important. C'est à cette date que fut introduit dans le code de procédure pénale un titre relatif aux « infractions en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».
En 1992, le nouveau code pénal entérine et complète ces dispositions. Depuis lors, les actes de terrorisme sont visés à l'article 421-1. La nouvelle procédure d'exception permet ainsi, dans les dossiers de terrorisme, de centraliser les poursuites et l'instruction au tribunal de grande instance de Paris, de prolonger la garde à vue jusqu'à quatre-vingt-seize heures, d'étendre le régime des perquisitions, des visites domiciliaires et des saisies de pièces à conviction et, enfin, de faire juger les personnes soupçonnées d'actes de terrorisme par une cour d'assises spéciale uniquement composée de magistrats professionnels.
Puis la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité a fourni son principal cadre législatif à la vidéosurveillance. Hélas ! ce dispositif, tourné essentiellement vers les sanctions, n'a pas freiné le fanatisme et la France a connu les terribles attentats de 1995.
Pourtant, l'escalade législative a continué dans le même sens, en premier lieu avec la loi du 22 juillet 1996, qui renforce les dispositions d'exception relatives aux perquisitions et prévoit en outre la déchéance de la nationalité pour les personnes coupables d'actes terroristes. Six ans plus tard, l'horreur de l'attentat perpétré le 11 septembre 2001 frappait les esprits de stupeur et obligeait le monde - du moins aurait dû l'y obliger - à s'interroger sur son état, sur la profondeur de ses dysfonctionnements et sur les causes du terrorisme. Hélas ! nous en sommes loin.
En France, sur le plan législatif, le 11 septembre a eu pour effet de pérenniser, au moyen de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, la plupart des dispositions existantes. Alors que cette loi prévoyait que les dispositions d'exception qu'elle contient seraient applicables jusqu'au 31 décembre 2003 - ce qui paraît déjà bien long pour des mesures d'exception -, il était envisagé dès l'automne 2002 de les proroger jusqu'au 31 décembre 2005.
Ce fut fait par la loi Sarkozy du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.
L'adoption de cette loi a privé le Parlement du rapport d'évaluation des mesures de lutte contre le terrorisme, pourtant prévu par la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne et qui devait être présenté à l'échéance du 31 décembre 2003.
Le Gouvernement a donc choisi de pérenniser des dispositions attentatoires aux libertés individuelles sans aucune évaluation de leur éventuelle efficacité.
La question de l'évaluation demeure posée aujourd'hui. En effet, dès 2001, la loi prévoit l'extension des pouvoirs de police en matière de fouilles des véhicules et des personnes, de perquisitions, mais également l'extension des pouvoirs des personnes privées, telles que les gardiens et autres agents de sécurité, ou encore l'allongement du délai d'effacement des données relatives aux communications téléphoniques.
En 2003, ces dispositions sont donc non seulement pérennisées, mais complétées et étendues, à l'image des dispositions relatives aux fouilles de véhicules ou à l'inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG. À coup sûr, on ne verra jamais le rapport, pourtant prévu pour le 31 décembre 2005.
Les dispositions antiterroristes ne présentent plus de caractère exceptionnel depuis la loi du 9 mars 2004, dite loi « Perben II », puisque celle-ci intègre dans la criminalité organisée les actes terroristes. Toutes les dispositions exorbitantes du droit commun applicables en matière de criminalité organisée, et donc de terrorisme, que ce soit celles relatives à la garde à vue, aux perquisitions, etc., ont, de fait, vocation à s'appliquer de façon permanente.
Ce qui, en 1986, était clairement de l'ordre de l'exceptionnel, ne l'est plus en 2005. Aucun rapport d'évaluation n'a été présenté devant le Parlement, alors que toutes les lois le prévoyaient, monsieur le ministre.
Mais est-ce vraiment étonnant ? Toutes ces dispositions se chevauchent, sans parfois que les décrets d'application soient parus et sans attendre que les précédentes lois aient été évaluées. Le Gouvernement n'a pour seule préoccupation que d'aggraver toujours plus les sanctions, de durcir davantage la législation, dans le seul but de faire croire à l'opinion qu'il agit.
Vous comprenez bien pourtant que la question de l'évaluation est essentielle. D'ailleurs, en 2001, il était reconnu que notre arsenal juridique était l'un des plus développés du monde. Or, aujourd'hui, à la suite des attentats de Londres, on nous propose de nouvelles dispositions répressives, alors même qu'un livre blanc, en cours d'élaboration, doit paraître très prochainement. Si jamais ce projet de loi est adopté avant cette parution, un nouveau projet de loi nous sera-t-il soumis, adaptant les dispositions présentées aujourd'hui aux recommandations de ce livre blanc ? Cela ne nous surprendrait guère.
Malgré la succession de lois à laquelle nous assistons depuis vingt ans, la lutte contre le terrorisme souffrirait de lacunes juridiques. Pourtant, nos services de renseignement et de surveillance du territoire, qui sont reconnus pour leur efficacité, ne sont pas demandeurs de nouvelles modifications de la loi.
Le Gouvernement, pour justifier malgré tout ce texte, argue que les menaces ont changé de nature et rendent ainsi nécessaire une énième modification législative. Pourtant, rien dans ce projet de loi n'est novateur en termes d'adaptation à une menace chimique ou biologique, par exemple. Hormis que leur régime d'application est considérablement étendu, les dispositions relatives à la vidéosurveillance, à la consultation de fichiers et à la prolongation de la durée de la garde à vue existent déjà et ne permettent pas d'empêcher une action terroriste. Nous l'avons bien vu à Londres.
En réalité, chaque nouveau texte relatif à la lutte contre le terrorisme érode un peu plus la base de notre édifice des droits fondamentaux. Qu'il s'agisse de l'allongement de la durée de la garde à vue - avec des conséquences sur l'assistance par un avocat -, de la facilitation des perquisitions, de l'extension des écoutes téléphoniques, des interceptions de communications de tout ordre, du fichage généralisé ou encore du développement de la vidéosurveillance, les droits fondamentaux de nos concitoyens pèsent de moins en moins lourd dans la vague sécuritaire que nous subissons.
Mais que valent, il est vrai, à votre sens, la présomption d'innocence et les droits de la défense, dès lors qu'il s'agit de lutter contre le terrorisme ?
Le ministre de l'intérieur nous précise que la menace terroriste serait élevée et justifierait que, quoique foisonnant, l'arsenal législatif doive être renforcé. Cela pose la question de l'appréciation de la menace terroriste : comment et avec quels instruments la mesurer ?
Je rappelle que, pour justifier l'état d'urgence et sa prorogation, le ministre de l'intérieur a notamment affirmé que les violences qu'a connues la France au mois de novembre seraient le fait de bandes organisées, sur fond d'islamisation rampante des banlieues. Cette assertion a pourtant été clairement démentie par la direction centrale des renseignements généraux, qui insiste sur « la condition sociale d'exclus de la société française » des jeunes des banlieues et sur leur « absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société ».
Nous savons tous que la France, à l'instar de n'importe quel pays, n'est pas à l'abri du terrorisme aveugle. Mais quelles sont précisément les justifications du renforcement de notre arsenal répressif ? La lutte contre le terrorisme, c'est surtout une question de coopération internationale. Ce sont la recherche, le renseignement, l'information, la coopération entre les pays et la sanction du financement des activités terroristes.
À cet égard, comme l'a dit tout à l'heure ma collègue Eliane Assassi, que vous avez traitée avec tant de désinvolture, monsieur le ministre, (Oh ! sur les travées de l'UMP)...
Mme Hélène Luc. Ah si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...on sait que l'argent sale est l'une des composantes des actes terroristes. Or, si des décisions ont été prises au fil des années à l'échelle internationale pour tenter de s'attaquer au phénomène du blanchiment, ces pas sont timides et sans effet réel. L'argent de tous les trafics continue de circuler impunément d'une place financière à l'autre.
Notre pays doit agir au sein de l'Union européenne et des institutions internationales pour faire prévaloir des réponses fortes et radicales, à la hauteur du défi auquel notre société continue d'être confrontée.
Il est temps de s'attaquer enfin réellement aux paradis fiscaux et judiciaires. Sait-on que, entre 1960 et 2004, le nombre de paradis fiscaux dans le monde est passé de vingt-quatre à soixante ? L'Europe en accepte de fait douze sur son territoire et la France protège Monaco et Andorre.
Ma collègue Eliane Assassi a fait quelques propositions. J'en ajouterai d'autres : l'obligation de transparence, de déclaration des opérations traitées avec les paradis fiscaux et judiciaires et leurs justifications ; une véritable levée, partout, du secret bancaire ; la traçabilité des revenus et des mouvements de fonds, et l'application du principe « publiez ce que vous payez » ; l'interdiction de la prise en compte, par les places boursières, des comptes consolidés de sociétés non contrôlées ; ou encore l'aide à la reconversion économique des centres off-shore...
Coopération, recherche, renseignement, information, sanction du financement des activités terroristes : ce projet de loi est loin de répondre à ces priorités. Je dirai même qu'il ne s'en soucie guère.
Je ne peux m'empêcher de relever un point commun à toutes les lois qui ont eu pour vocation, entre autres objets, de lutter contre le terrorisme : c'est leur caractère fourre-tout. Bien souvent, les textes comprenant des dispositions de lutte contre le terrorisme contenaient également des mesures diverses relatives à la sécurité et à l'immigration, comme c'est le cas du présent projet de loi.
Déjà, en 1996, le projet de loi de lutte contre le terrorisme prévoyait le renforcement de la répression des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou encore de l'aide à l'entrée et au séjour irrégulier d'un étranger.
La loi de sécurité quotidienne relève de la même logique, comme celle pour la sécurité intérieure ou encore la loi Perben II. Elles visent toutes un très grand nombre d'infractions n'ayant que très rarement de lien entre elles. Quel est le but d'une telle entreprise politique si ce n'est de corseter petit à petit la société ?
Il est d'autant plus inquiétant de constater que la législation d'exception antiterroriste se mêle à un tel enchevêtrement de mesures disparates qu'une législation d'exception fait toujours peser une menace sur les libertés individuelles.
Aujourd'hui, cette menace est d'autant plus grande que ce texte sera adopté sur fond d'état d'urgence. C'est maintenant au tour des régimes d'exception de s'empiler !
D'amalgame en amalgame, le Gouvernement ne cesse d'attiser les peurs, de désigner des boucs émissaires, de stigmatiser des populations. M. Goujon parle clair en faisant un « paquet cadeau » : délinquance, violence urbaine, terrorisme. Tout y est.
D'empilement en empilement répressif, vous mettez en péril le socle démocratique, comme vous mettez à mal le socle social de notre communauté nationale. Vous jouez avec le feu.
Le courage consiste à refuser cette dérive, à refuser le consensus mortifère. En l'absence d'évaluation transparente des moyens actuels disponibles, en l'absence de définition des circonstances exceptionnelles limitées dans le temps, le projet actuel n'est pas acceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cette motion présentée par le groupe CRC tend à opposer la question préalable à l'examen de ce projet de loi. Elle est évidemment contraire à la position de la commission des lois, qui souhaite amender ce texte.
La recrudescence de la menace terroriste suffit à démontrer la nécessité absolue d'un renforcement des moyens alloués aux services spécialisés dans la lutte antiterroriste.
Ceux de nos collègues qui ont assisté aux auditions auxquelles j'ai procédé et qui ont effectué les mêmes déplacements que moi vous le diront, les magistrats et les policiers - je leur rends une nouvelle fois hommage - demandent unanimement des instruments juridiques nouveaux. Les professionnels et les spécialistes souhaitent ce renforcement. À nous de leur apporter la réponse qu'ils demandent.
À mon sens, il n'y a pas d'amalgame entre terrorisme, immigration et délinquance. J'ai expliqué très clairement, à titre personnel, que les nouveaux terroristes étaient souvent de récents convertis, qu'ils pouvaient être des intellectuels et qu'il n'y avait aucun rapport direct entre immigration clandestine et terrorisme.
Ce texte ne fait pas plus l'amalgame avec les violences urbaines du mois de novembre. Ce projet de loi cible au contraire parfaitement, dans la majeure partie de ses articles, la lutte contre le terrorisme.
J'appelle à voter ce texte et donc à rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable. (M. Jean-René Lecerf applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je ne répondrai pas dans le détail à toute une série de remarques que nous avons entendues tout à l'heure et qui me paraissent bien éloignées de la réalité fondant l'action terroriste aujourd'hui.
Mme Hélène Luc. « Éloignées » ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous faites référence en permanence à la seule chose qui compterait à vos yeux : la coopération européenne.
Permettez-moi de vous dire que, pour qu'il y ait une coopération européenne, il faut d'abord que nous nous préparions à engager ce débat avec nos partenaires européens.
Nombre de grandes nations, au sein de l'Europe, sont actuellement en train de légiférer dans ce domaine afin d'intégrer dans leur propre législation, étape après étape, un certain nombre d'avancées significatives.
Je souligne par ailleurs que M. le ministre de l'intérieur ne cesse de formuler des propositions afin que la France soit l'un des pays qui contribue le plus aux avancées réalisées en matière de coopération européenne. Sommet européen après sommet européen, sans compter son action quotidienne dans ses relations avec ses homologues et leurs services, la France est l'un des pays les plus en pointe dans cette coopération européenne en matière de lutte contre le terrorisme.
Madame Nicole Borvo Cohen-Seat, en ayant pour seule référence la coopération européenne dans l'action qu'il y aurait à conduire en matière de lutte contre le terrorisme, vous suggérez un champ d'action particulièrement restreint. En effet, la lutte contre le terrorisme ne se limite pas à la seule coopération européenne.
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas ce qu'elle a dit !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Heureusement, nous ne vous avons pas attendue dans ce domaine : l'action que mène aujourd'hui la France, et plus particulièrement M. le ministre de l'intérieur, est exercée quasiment à l'échelon planétaire avec de grandes nations d'Afrique, d'Amérique et d'Asie.
C'est par ces partenariats entre nos services, entre nos gouvernements que nous pouvons mener une lutte efficace contre le terrorisme. D'ailleurs, avec d'autres grandes nations, nous proposons aujourd'hui la mutualisation d'un certain nombre de nos moyens, comme les techniques biométriques, au service de la lutte antiterroriste.
Vous le voyez, nous conduisons cette action bien au-delà de la seule coopération européenne.
En conséquence, le Gouvernement, dans le prolongement de la commission, sollicite le rejet de cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Le groupe socialiste votera la motion présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC. Après l'intervention de M. Sueur, Mme Borvo Cohen-Seat vient de démontrer que ce projet de loi présente de graves lacunes. D'ailleurs, elle n'a pas simplement parlé de coopération européenne, monsieur le ministre, elle a abordé bien d'autres aspects.
Deux points déterminants ont retenu mon attention.
D'une part, la procédure prévue par ce texte est purement administrative, avec tous les dangers que cela comporte. On ne peut, au nom de l'efficacité, accepter pareilles dispositions.
D'autre part, ce texte n'apporte pas grand-chose sur les moyens nouveaux que nous étions en droit d'attendre, ce qui est un peu contradictoire. Vous avez cité les risques chimique et nucléaire. Il en est bien d'autres qui ne sont pas évoqués dans ce texte.
En revanche, nous nous plaisons à répéter que les décrets d'application, non pas de la loi de 1986, mais de la loi de 2003, n'ont toujours pas été publiés, alors que l'on connaissait l'existence, à cette époque, des cybercafés et des téléphones mobiles.
On a donc l'impression que le projet de loi qui nous est proposé aujourd'hui, dont l'efficacité est probablement très douteuse, est surtout destiné à occuper l'espace politique. D'ici à 2007, nous aurons sans doute, tous les deux ou trois mois, des textes semblables ou très proches, afin que se mette bien en place cet esprit sécuritaire qui semble, hélas ! gagner fortement l'opinion française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ces débats politiciens sont regrettables ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Les magistrats chargés de lutter contre le terrorisme nous ont dit qu'ils disposaient, sous réserve de quelques modifications, des instruments juridiques nécessaires à leur mission. En revanche, on s'est rendu compte que la prévention des attentats méritait que l'on donne aux services spécialisés plus de moyens et de garanties.
M. Paul Girod. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D'ailleurs, mes chers collègues, vous n'avez pas présenté de motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, car vous savez que ce projet de loi respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel en ce qui concerne l'équilibre et la proportionnalité des mesures proposées pour faire face à cette menace.
Je trouve que vous exagérez lorsque vous dites que nous portons atteinte aux libertés au profit de la sécurité. En effet, dire cela, c'est faire très peu confiance aux services spécialisés, qui cherchent non pas à détourner les procédures, mais à être efficaces pour lutter contre le terrorisme.
Leurs vérifications et identifications - je pense aux passages d'avion, qui peuvent susciter une inquiétude plus ou moins importante -, sont nécessaires pour entamer des procédures judiciaires. À cet égard, nous avons eu des débats sur le renseignement et les interceptions de sécurité. Les mêmes garanties seront apportées.
Franchement, certains propos ne correspondent pas à la réalité du texte. Vous êtes d'accord pour lutter contre le terrorisme, mais, en définitive, vous ne voulez pas donner les moyens pour être efficaces, ce qui est regrettable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Robert Bret. C'est une caricature !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non, c'est vous qui caricaturez le texte ! Vous avez tort. D'ailleurs, vos collègues de l'Assemblée nationale ont bien compris que ce texte était nécessaire si l'on voulait prévenir les attentats.
M. Paul Girod. Effectivement !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Une fois qu'ils ont eu lieu, il faut, certes, arrêter les auteurs et réprimer, mais notre but est aussi de prévenir les attentats. Ce texte est nécessaire pour améliorer les conditions dans lesquelles les services spécialisés peuvent les prévenir.
En conséquence, la motion tendant à opposer la question préalable est malvenue. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 32, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC et, l'autre, du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 58 :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 165 |
Pour l'adoption | 119 |
Contre | 209 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 33 rectifié, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5 du règlement du Sénat, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 109, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la motion.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la demande de renvoi à la commission, que je soutiens au nom du groupe socialiste et apparentés, se fonde sur une double constatation. Personne dans cette enceinte, pas plus qu'à l'Assemblée nationale, ne conteste la nécessité absolue de prévenir les actes terroristes...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. Louis Mermaz. ...et, si, par malheur, ils devaient se produire, de punir leurs auteurs avec la plus extrême sévérité.
Mme Hélène Luc. Effectivement !
M. Louis Mermaz. De même, nous sommes unanimes pour dire qu'il importe prioritairement, en cas de malheur, de se pencher sur le sort des victimes, qui ont plus que droit à la solidarité nationale.
Nous sommes unanimes, c'est évident, à condamner des actes terroristes qui sont une tragique régression de l'humanité.
Mais, dans le même temps, nous avons le droit - sinon pourquoi un débat parlementaire ? - de nous poser la question de l'efficacité des mesures qui sont proposées, de veiller à ce qu'elles soient entourées de toutes les garanties - comme il est normal dans une démocratie - et de nous prémunir contre toute dérive ou amalgame qui pourraient porter atteinte aux droits et libertés, même si nous ne faisons pas a priori un procès d'intention au Gouvernement. Nous savons d'ailleurs que le sursaut démocratique est également un moyen de combattre l'horreur du terrorisme.
La lutte contre le terrorisme est aujourd'hui menée sur le plan interne et à l'échelon international. Cela a été dit par d'autres intervenants, tous les gouvernements depuis vingt ans s'en sont préoccupés. L'action de nos services de renseignement, auxquels je rends hommage, a permis de nous prémunir efficacement, depuis l'attentat à la station du RER à Port-Royal en décembre 1996, mais nous savons que nous ne sommes pas à l'abri de nouvelles attaques. Tout a été dit sur la dangerosité des nouvelles formes de terrorisme depuis l'attentat du 11 septembre 2001, et personne ne refusera au Gouvernement le droit d'anticiper sur de telles actions.
Mais nous sommes fondés à nous interroger l'efficacité des mesures qui nous sont proposées. L'on pourrait en discuter interminablement ; il n'y a pas forcément dans cette enceinte de techniciens qui puissent répondre avec sûreté de ces mesures-là. Encore faut-il, au moins, qu'elles ne soient pas payées d'une réduction de nos libertés et qu'elles n'ouvrent pas la voie à des dérives ou à des amalgames qui ne sont d'aucune utilité pour combattre le terrorisme.
On peut discuter à perte de vue de l'utilité de l'extension et de l'exploitation de la vidéosurveillance. Il en faut une, c'est évident !
On peut discuter du stockage des données informatiques et de leur consultation par la police et la gendarmerie. C'est nécessaire, mais dans quelles conditions ?
On peut discuter aussi de l'efficacité des contrôles d'identité plus étendus sur les trains internationaux - là encore, j'y reviendrai brièvement dans un instant -, des traitements automatisés, des données personnelles des voyages internationaux.
Bref, tout cela est discutable et l'on peut aussi se demander si, en fin de compte, une surinformation ne risque pas de constituer un certain handicap pour nos services de renseignement, dont je viens de souligner toute l'efficacité, et si elle ne risque pas de réduire l'intervention proprement humaine.
On connaît des périodes où trop de renseignements, trop de décryptages de bandes conduisent à une situation où les spécialistes sont tout de même noyés sous la matière et perdent de vue l'essentiel.
Il y a donc là matière à réflexion. La commission des lois, malgré l'excellence du rapport de M. Courtois, s'est-elle suffisamment penchée sur ce type de question ?
Mais les risques d'arbitraire et de dérive me semblent bien réels, eux. Des mesures importantes seront prises administrativement. Il y aurait lieu d'en parler longuement. Ils seront évoqués, à l'occasion soit de nos travaux en commission, monsieur le président de la commission des lois, soit de nos discussions en séance publique. Il convient de se poser la question des garanties que pourraient apporter, ou qu'apportent, l'intervention judiciaire ou celle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, si les moyens et la volonté de contrôle existent bien.
Je relèverai : l'exploitation des renseignements fournis par la vidéosurveillance, parfois hors de tout contrôle de la CNIL ; les conditions d'accès des services de renseignement aux fichiers administratifs et aux données recueillies à partir de la vidéosurveillance et des communications électroniques - sous le contrôle de quelle autorité ? - ; le fichage des déplacements ; le relevé photographique des passagers dans les voitures - personnellement, cela ne me gêne pas d'être photographié quand je suis dans ma voiture, mais cela peut en gêner quelques-uns.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cela dépend avec qui on est !
M. Louis Mermaz. Le Gouvernement aurait-il senti tout cela, puisque, à la demande de plusieurs députés, tant de la majorité que de l'opposition, il a promis de mettre en place un groupe de travail et de faire connaître l'état de ses réflexions à la mi-février sur une association du Parlement aux opérations de contrôle et à l'action des services de renseignement ?
Mais nous préférons l'inscription de cet engagement dans le projet de loi, monsieur le ministre, plutôt que de nous contenter d'une déclaration d'intention. Je demande donc à la commission des lois de bien vouloir prendre en compte nos amendements et nous faire des propositions en ce sens.
Nous aimerions aussi prendre connaissance du Livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme, qui est prévu depuis un an maintenant, afin que, après appréciation et discussion, nous puissions éventuellement nourrir utilement le présent projet de loi.
Enfin, et ce n'est pas le moindre sujet d'inquiétude, le projet comporte, à nos yeux, des amalgames, et donc des risques réels de dérive.
Le titre lui-même du projet est très ambigu : pourquoi ajouter à « Lutte contre le terrorisme » les mots « et dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers » ?
D'ailleurs, à la page 31 de son rapport écrit, le rapporteur indique : « D'autres dispositions ne concernent pas directement la lutte contre le terrorisme. »
M. Jean-Pierre Sueur. Et voilà !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme d'habitude !
M. Louis Mermaz. Il vise notamment les articles 6 et 7.
M. Jean-Pierre Sueur. Que font-ils dans ce texte ?
M. Louis Mermaz. À l'article 6, le Gouvernement vise l'immigration dite clandestine en faisant bien entendu l'amalgame entre l'asile politique, droit garanti par la convention de Genève, mais mis à mal par la loi de décembre 2003,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah bon ?
M. Louis Mermaz. ... et l'immigration économique, résultat de la misère qui sévit dans de nombreux pays, à commencer par ceux de la francophonie.
L'article 6 du projet de loi commence ainsi : « Afin d'améliorer le contrôle aux frontières et de lutter contre l'immigration clandestine » Ces mots constituent l'entrée en matière, l'attaque de l'article. L'on est en droit de se demander si ce dernier n'est pas de nature à renforcer une sorte de chasse à l'homme, de recherche du faciès, cette volonté du Gouvernement de faire du chiffre, de remplir davantage nos centres de rétention dans des conditions indignes d'une démocratie, de provoquer davantage d'expulsions, alors qu'il faudrait avoir le courage et l'intelligence d'engager dans ce pays une véritable politique de l'immigration, conforme aux plus hautes traditions de la France...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh !
M. Louis Mermaz. ...et qui puisse ouvrir les portes de l'avenir dans notre pays, dans le cadre de l'Union européenne, sur le plan politique, sur celui de son rayonnement, comme de la sécurité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Que ne l'avez-vous fait !
M. Louis Mermaz. À l'article 7, le Gouvernement vise, outre la lutte contre la criminalité et la délinquance ordinaires, la préservation de l'ordre public - cela a été dit - à l'occasion d'événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes, par décision de l'autorité administrative.
Stendhal, qui admirait la concision des codes français, doit se retourner dans sa tombe devant le vague et l'incertitude d'un tel texte.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il en est mort plusieurs fois !
M. Louis Mermaz. Le Gouvernement songe-t-il aux manifestations à caractère protestataire, revendicatif, ou au désordre des banlieues, dont son impéritie porte une large part de responsabilité ?
En conséquence, nous demandons le renvoi du projet de loi à la commission pour les raisons suivantes : pour que les mesures administratives envisagées, et qui devront concerner uniquement la lutte contre le terrorisme, soient encadrées, chaque fois qu'il sera nécessaire, par l'autorité judiciaire ou par la CNIL ; pour que, à l'article 6, les références à l'immigration dite clandestine et les mesures se donnant cet objet soient supprimées, car nous refusons l'amalgame entre immigration et terrorisme, et je ne suis pas le seul à le souligner, ce qui montre que cette préoccupation n'est pas seulement celle des membres du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen ; pour que l'article 7 soit amputé de tout ce qui a trait à l'ordre public, à l'occasion de ces fameux « événements particuliers », ou de ces « grands rassemblements de personnes », le tout « par décision de l'autorité administrative » ; enfin, pour qu'un article du projet de loi prévoit, à brève échéance, les dates et moyens de contrôle parlementaire sur l'action des services de renseignement.
Bref, nous demandons que soit banni de ce texte tout ce qui aggraverait la mise en condition des Français, qui est déjà largement avancée actuellement et dans laquelle le Gouvernement porte une responsabilité certaine.
Renforcer la sécurité des Français ? Oui ! Nous en sommes tous d'accord, nous le voulons.
Les mettre en condition de tout accepter, y compris la réduction de leurs droits, de leurs devoirs et de leurs libertés ? Jamais !
Mes chers collègues, nous serons tous d'accord sur ce point : la force de la démocratie étant l'une de nos armes principales pour s'opposer efficacement aux menées criminelles des terroristes, nous aimerions pouvoir en appeler à la sagesse et du Sénat et du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En défendant cette motion tendant à demander le renvoi à la commission du projet de loi, M. Mermaz a principalement reproché au texte d'être un « texte fourre-tout » portant diverses dispositions relatives à la sécurité intérieure et à la lutte contre l'immigration clandestine, et de susciter l'amalgame entre terrorisme, délinquance ordinaire et grande criminalité. Bien évidemment, je ne souscris pas à ce reproche.
M. Mermaz a par ailleurs affirmé que la commission n'aurait pas eu le temps de procéder à un examen attentif du projet de loi. Je crois devoir rappeler que nous avons procédé à vingt-deux auditions et que nous avons fait un déplacement au tribunal de grande instance de Paris, auquel l'ensemble des membres de la commission des lois étaient invités. Nous avons beaucoup appris au cours de ces auditions.
Les amendements que j'ai été amené à déposer recueillent l'assentiment des magistrats et des organes spécialisés. L'immense majorité des articles a cette unique finalité, et les spécialistes rencontrés ont fait part de leur satisfaction.
Sur le plan juridique, plusieurs dispositifs sont explicitement réservés aux seuls services de police et de gendarmerie spécialisés dans la lutte antiterroriste. Certes, je le reconnais tout à fait, certains articles visent d'autres finalités que la lutte contre le terrorisme.
Ainsi, l'article 6 dispose que les données à caractère personnel relatives aux voyageurs pourront être utilisées à plusieurs fins, mais dans des conditions différentes selon la finalité poursuivie : il n'y a pas d'amalgame entre ces finalités.
Concernant l'article 7, relatif au contrôle signalétique des véhicules, le dispositif existe depuis 2003 : le projet de loi ne le crée donc pas. Au contraire, il ne fait que l'adapter afin qu'il puisse mieux répondre, notamment, aux besoins spécifiques de la lutte antiterroriste. Les dispositions étrangères à la lutte antiterroriste sont donc très marginales et de faible portée.
En réalité, mes chers collègues, votre proposition de renvoi à la commission ne se justifie pas. Il vous revient, si vous le souhaitez, de déposer des amendements, qui seront étudiés par la Haute Assemblée.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Mermaz, j'ai apprécié le ton mesuré que vous avez adopté, en particulier au début de votre propos.
M. Robert Bret. Il est monté en puissance, ensuite !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il n'est qu'un point sur lequel vous avez été un peu plus virulent, tout comme tout à l'heure M. Sueur, à qui j'ai déjà répondu : il s'agit de l'immigration. Cependant, j'ai l'impression que lorsque vous faites référence à un amalgame entre immigration et terrorisme, c'est un peu vous qui le suscitez. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Robert Bret. C'est le pyromane qui crie au feu !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Très sincèrement, comment est-il possible d'envisager que l'on puisse laisser de côté, dans un projet de loi visant à lutter efficacement contre le terrorisme, le problème de la mobilité, du passage des frontières, des flux ?
M. Philippe Goujon. C'est évident !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est le seul aspect sur lequel je vous ai senti réellement offensif. Pour le reste, il m'a paru qu'en défendant la demande de renvoi à la commission, vous posiez un certain nombre de questions plus que vous ne formuliez l'exigence d'écarter des points précis du texte.
Le projet de loi a été déclaré d'urgence parce que la lutte contre le terrorisme n'a le temps d'attendre pas même le moindre renvoi à la commission. En revanche, la discussion des articles sera l'occasion que réponse soit apportée à chacune des questions que vous venez de soulever.
Je vous propose donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de repousser cette demande de renvoi à la commission : l'accepter risquerait de faire perdre inutilement du temps à la lutte contre le terrorisme, alors que, au contraire, notre pays a besoin de se doter d'urgence d'une législation efficace. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 33 rectifié, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 59 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l'adoption | 120 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans la mesure où nous sommes parvenus à une charnière du débat, je suggère que nous interrompions maintenant nos travaux. En effet, compte tenu de l'heure, nous ne pourrions pas examiner beaucoup d'amendements. Il paraît donc plus raisonnable de commencer la discussion des articles demain matin. (Marques d'approbation.)
M. le président. La suite de la discussion est donc renvoyée à la prochaine séance.