PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Madame la ministre, nous voici à la veille d'un nouveau Conseil européen, et il est bon que le Parlement soit appelé à vous faire connaître ses attentes. D'autant que ce Conseil a été présenté par le Premier ministre comme historique. Il le sera si la France et ses partenaires en ont la volonté. Vous me connaissez : j'aimerais évidemment que ce soit le cas. Mais j'ai quelques doutes. Je ne suis pas certain que les conditions soient vraiment réunies pour que se manifeste une volonté politique réelle et partagée, susceptible d'inscrire ce Conseil dans l'histoire.
Que s'est-il passé depuis le 29 mai dernier ? Aux yeux de l'opinion publique, assez peu de choses ! En tout cas pas de quoi rassurer ceux qui croient que l'Europe de Robert Schuman et de Jean Monnet doit poursuivre sa construction avec l'inspiration et le souffle renouvelé qu'exige un monde difficile.
Bien sûr, il n'y a pas de plan B ! Mais nous savions qu'un tel plan ne pouvait exister que comme argument de campagne, argument bien triste, au demeurant.
La candidature de la Turquie a été officiellement lancée et le travail sur des directives est toujours assez peu lisible pour le grand public.
L'Europe essaie de survivre, sans avoir de grand message à délivrer, ni aux Européens ni au monde. Elle survit, car nul ne pourra tuer, me semble-t-il, ce merveilleux projet de paix et de liberté que la France et l'Allemagne ont offert à notre vieux continent tourmenté, torturé, exsangue de l'après-guerre.
Donc, elle gère ! Si je parle de l'Europe en disant « elle », c'est bien parce que je ne peux plus dire « nous », la France et ses partenaires, « nous » les Européens. L'Europe, c'est de nouveau a minima « Bruxelles », cette entité un peu abstraite, bureaucratique, budgétivore, bouc émissaire pratique pour tous les membres de l'Union qui ne veulent assumer ni leurs contradictions ni leurs incapacités
L'Union avance quand elle est vivante chez tous ses membres, quand elle est portée par tous, quand elle est enracinée dans la confiance des Européens, et au premier chef des Français.
Réapprenons donc à parler de l'Europe en disant « nous ». Ce jour-là, nous aurons gagné !
Le 29 mai, pour de multiples raisons, la France a stoppé un élan. Ceux de ses partenaires qui avaient déjà dit oui se sont trouvés eux-mêmes arrêtés net à cause de nous, contre leur gré. Ne nous étonnons pas qu'ils nous en veuillent et que notre autorité en Europe soit atteinte. Il fallait que nous nous fassions un peu oublier. C'est fait ! Aujourd'hui, nous devons nous remettre comme les autres, et parmi eux, sans arrogance, au service de l'Europe.
Or, madame la ministre, les Français n'entendent toujours pas vraiment la France parler de l'Europe. Ils ne l'entendent plus suffisamment parler à l'Europe. Ils ne l'entendent pas non plus parler au monde avec l'Europe.
Avant le 29 mai, les Français ont débattu avec passion de l'Europe, du pourquoi, du comment, du quoi, du jusqu'où. Et puis, du jour au lendemain, on a parlé d'autre chose. Le livre était refermé sur les passions soulevées, sur l'attente exprimée. Silence ! D'autres préoccupations nous appelaient sans doute.
N'avions-nous pourtant pas dit aux Français que, sur nombre de sujets aussi lourds que l'emploi et les délocalisations, la sécurité intérieure et extérieure, la compétitivité ou la recherche, les vraies solutions durables passaient par l'Europe ?
Madame la ministre, avec mes collègues de l'UDF, nous voulons continuer à y croire. La France a mis l'Europe en panne. Il lui faut aujourd'hui, avec autant d'humilité que de courage et de détermination, renouer avec l'histoire, avec sa propre histoire, dont la construction européenne est partie intégrante et sans doute l'une des plus belles pages.
Faute de pouvoir aller suffisamment vite vers l'Europe politique que le monde attend, essayez au moins, à Londres, de remobiliser les responsables politiques des États de l'Union. Il faut qu'ils affirment haut et clair qu'ils croient plus que jamais en cette communauté de destin qu'est l'Union. Alors, le sommet aura été historique.
Madame la ministre, nous préférons qu'il n'apporte rien de directement concret s'il peut jeter les bases d'un nouveau départ solide en 2006. À quoi bon s'obliger à boucler à n'importe quel prix, pour reprendre l'expression de M. le ministre, un dossier aussi lourd que celui des perspectives financières ? Un communiqué présentable n'est pas une fin en soi. Nous sommes au temps où la volonté politique doit à nouveau parler sur le fond des choses. Il faut « fixer le cap » et mettre à la voile, avant de chercher de manière plus ou moins hasardeuse à « doubler un cap » inconnu.
Ce que le Royaume-Uni n'aura pas fait, ceux que l'on appelle les « petits » et les « nouveaux » pays, qui nous apportent une flamme européenne intacte, le feront, et ce sera une bonne chose. Acceptons qu'ils nous apportent leur part d'Europe, qu'ils portent leur part de la responsabilité commune.
Nos partenaires ont chacun leur idée de l'Europe. Vivons ce pluralisme comme une richesse. Après la visite que vous venez de faire en Autriche, madame le ministre, visite à laquelle vous avez eu l'amabilité de m'associer, le président du groupe d'amitié France-Autriche que je suis est assez confiant. L'Autriche va très certainement nous proposer une grande présidence. Sachons rester à ses côtés. Ce qui n'aura pas été fait à Londres le sera à Vienne, capitale incontestée de la diplomatie.
Je ne m'attarderai pas sur le détail de l'ordre du jour du Conseil.
Gardons-nous de considérer la question de la Macédoine comme marginale. Elle est au contraire symbolique en un temps où il faut redessiner le « projet ». L'Europe est la solution pour les Balkans. Mais pour prendre en compte l'intérêt de l'Union comme de chacun des pays des Balkans, il faudra évidemment savoir donner du temps au temps et traiter à fond tous les problèmes. Simplement, la Macédoine nous attend : plus l'échéance sera éloignée, plus le message initial que nous enverrons devra être fort et porteur de signification et d'espoir. C'est ce que la Macédoine attend aujourd'hui, comme l'ensemble des pays des Balkans.
Je cite, pour mémoire, les problèmes de taux réduits de TVA. Au cours des derniers jours et des dernières nuits, nous avons tout dit à leur sujet.
Je m'arrêterai plutôt sur le dossier des « perspectives financières », sans toutefois le reprendre dans le détail. Mon rapport sur l'article du projet de loi de finances qui fixe notre contribution pour 2006 détaille suffisamment largement, me semble-t-il, nos analyses. Et je crois, madame le ministre, que vous les faites vôtres.
Vous savez donc tout le mal que je pense du système budgétaire européen. Arrêter de nouvelles perspectives sur d'aussi mauvaises bases nous fera repartir pour six ans en boitant. J'aimerais que la difficulté à conclure soit saisie pour que l'on reprenne vraiment la question sur le fond. Elle est d'importance ; elle est vraiment politique.
Il faudra un jour sortir d'un système dans lequel le budget européen voit ses recettes votées par les Parlements nationaux et ses dépenses décidées par le Parlement européen. La démocratie comme les citoyens ne peuvent s'y retrouver.
Cette manière de faire sert simplement les thèses des fanatiques de la désunion, de la confrontation des intérêts nationaux particuliers, des « retours-nets », des chèques britanniques. Rien de communautaire dans tout cela ! J'indiquerai simplement que le coût, pour la France, du chèque britannique est identique à celui du passage au taux réduit de la TVA sur la restauration, à savoir 1,5 milliard d'euros.
Il faut aujourd'hui rendre sa place à l'intérêt commun, véritable moteur de l'Union. Si le sommet ne réaffirme que cela, il restera dans l'histoire. Le temps n'est plus au marchandage et aux mauvais accords. Reprenons de la hauteur !
La mise en évidence de l'intérêt commun est le principe de l'Union ; il sous-tend le projet européen. Pourquoi ne pas proposer que l'on parle de « perspectives politiques » de l'Europe, là où l'insuffisante implication, voire parfois la démission des politiques, amène à marchander des « perspectives financières » qui n'ont de perspectives que le nom.
On doit aussi reprendre une véritable réflexion politique sur une PAC - choix de société au service de tous les consommateurs européens et non des seuls agriculteurs français - fondée sur le principe de la préférence communautaire. J'en ai souvent parlé, je n'y insiste donc pas. C'est possible, et il faudra le faire, comme le disait M. Haenel tout à l'heure.
Enfin, c'est toujours pour des raisons politiques que je proposais, le 30 novembre dernier, de mettre au coeur de notre projet une nouvelle stratégie de Lisbonne, plus lisible, plus porteuse d'avenir, qui réponde à la préoccupation centrale des Européens : l'emploi.
Cette proposition pourrait être structurée autour de deux axes : une politique scientifique et européenne pour rester compétitif par rapport à nos concurrents développés ; une politique d'aide au développement pour réduire les déséquilibres économiques et sociaux du monde, et pour nous permettre d'apporter notre contribution au développement des pays moins développés.
L'Europe attend toujours la France. Il nous faut réparer la brisure du 29 mai en remettant le sens de l'intérêt commun au service du projet de paix que nous avons offert au monde il y a cinquante ans, de ce projet de paix que nous devons continuer à construire, quoi qu'il arrive. N'oublions jamais que c'est ce que nous pourrons léguer de meilleur à nos enfants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les sommets européens qui se tiennent à Bruxelles à l'issue de chaque période de présidence vont-ils devenir la manifestation régulière de la crise de l'Union européenne, l'illustration périodique de son impuissance ?
Après une présidence luxembourgeoise dont tous les observateurs avaient souligné la qualité, le sommet de juin dernier s'est achevé par un double échec institutionnel et budgétaire.
À la veille d'un nouveau sommet, toutes les conditions semblent réunies pour que l'Union européenne s'enfonce davantage dans la crise.
Sauf bouleversement de dernière minute, il semble que l'on peut tenir pour acquis l'échec total de la présidence britannique, qui n'a fait progresser l'Union européenne sur aucun des dossiers en suspens. Loin de rechercher un intérêt général européen, cette présidence s'est engagée, à chacune de ses interventions, dans la défense prioritaire de ses intérêts nationaux.
Qu'il s'agisse de la dernière proposition britannique d'un budget européen à 1,03 % du revenu national brut, ou de la défense d'un régime dérogatoire permanent en matière de durée hebdomadaire du temps de travail, le Royaume-Uni a davantage cherché, me semble-t-il, à imposer son point de vue qu'à trouver les compromis nécessaires dans l'intérêt de l'Union.
L'approfondissement de la crise européenne est patent. Mais cette situation ne correspond-elle pas à un aboutissement souhaité par certains États membres, qui privilégient la réduction de l'ambition européenne, et se contenteraient de l'existence d'une simple zone de libre-échange avec un niveau minimal des normes sociales et environnementales ?
On constate donc, et nous le regrettons, l'incapacité de l'Union européenne à formuler une ambition commune se traduisant par des réalisations concrètes. En revanche, chaque sommet européen apporte son lot de déclarations générales et généreuses renvoyant à une stratégie de Lisbonne supposée construire une Europe du progrès social, de la compétitivité et de l'emploi. La réalité de l'Europe est tout autre et apporte un démenti permanent à ces discours lénifiants.
De fait, chaque État campe sur une position qui réclame à l'Union européenne l'optimisation de son intérêt national. Cet état d'esprit, qui n'est que l'ultime avatar de la théorie thatchérienne du juste retour, est un facteur de destruction de l'Union européenne. Comment, en effet, croire que de la somme d'intérêts nationaux particuliers, d'ailleurs contradictoires, se dégagera un intérêt général européen ?
Tant que cette démarche s'imposera, l'Europe sera en panne et s'avérera incapable de relever les défis auxquels elle est, en tout état de cause, confrontée.
Le premier défi est celui de l'élargissement.
L'heure n'est plus aujourd'hui à s'interroger sur le bien-fondé de l'élargissement à l'Est ; si cette question a pu apparaître à certains comme pertinente, elle est néanmoins aujourd'hui dépassée. Il faut donc réussir l'élargissement, et pour cela développer les efforts nécessaires pour réduire les écarts de développement. Ce que l'Union européenne a su faire hier vis-à-vis de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande et de la Grèce, il faut le reproduire avec les nouveaux arrivants.
C'est pour cette raison que les perspectives financières pour 2007-2013 doivent se situer à un niveau suffisamment ambitieux. Il est illusoire de croire qu'un budget européen fixé à 1,03 % du RNB puisse permettre à la fois de relever le défi de solidarité avec les nouveaux États membres, de maintenir un niveau suffisant pour une politique de cohésion dans l'ancienne Europe des quinze, et de développer des politiques européennes dans des secteurs d'avenir.
La dernière proposition britannique est particulièrement affligeante et doit rencontrer de la part de la France un refus catégorique. La conséquence de ces propositions de perspectives financières rabougries serait le démantèlement de plusieurs politiques européennes et, au premier rang d'entre elles, de la politique des fonds structurels.
Conclues sur le dos des nouveaux États membres qui, devant l'urgence de leurs besoins, seraient obligés d'accepter une version minimale, ces perspectives financières britanniques détermineraient en réalité comme horizon européen la fixation du chèque britannique au niveau le plus élevé compte tenu des contraintes politiques. C'est inacceptable !
La France, premier contributeur au chèque britannique, ne doit pas, à Bruxelles, se laisser enfermer dans un tête-à-tête franco-britannique, où la politique agricole ne serait que la monnaie d'échange d'un rabais, justifié hier, mais qui s'apparente et s'apparentera de plus en plus à un pactole, à une rente, tandis que le Royaume-Uni est devenu l'un des pays les plus riches de l'Europe.
Il est donc nécessaire que la France - en a-t-elle la volonté ? - plaide pour un financement équitablement réparti du budget de l'Union. Dans le même temps, elle doit affirmer sa volonté que ce budget permette de financer au bon niveau de véritables politiques communes.
Si nous souhaitons qu'un accord soit trouvé, il ne doit pas l'être au prix d'un démantèlement des politiques communes, car un tel accord mettrait en réalité un terme à une véritable ambition européenne. Si tel était le cas, la prolongation de la discussion budgétaire s'imposerait comme une nécessité.
Au défi de l'élargissement s'ajoute le défi des institutions. Là encore, un constat s'impose : la quasi-incapacité du Conseil européen à prendre des décisions. Les procédures de décision, qui avaient atteint leurs limites avec l'Europe des Neuf, puis des Douze, puis des Quinze, se révèlent aujourd'hui totalement inadaptées à l'Europe des Vingt-cinq. Le droit de veto, corollaire de la règle d'unanimité, permet à chaque État de bloquer une avancée commune pour marchander l'obtention d'un avantage particulier. L'Europe y perd sa crédibilité et se condamne à l'immobilisme, voire à sa déconstruction.
Il faut accepter les résultats du référendum en France, mais il faut aussi remettre en chantier, le plus rapidement possible, un nouveau processus de décision adapté à l'Europe des Vingt-cinq. C'est essentiel pour ceux qui souhaitent la construction d'une véritable union.
Un Conseil inefficace et sans capacité de décision laisse le champ libre à la Commission européenne pour développer des orientations de plus en plus libérales. On peut craindre que cela n'aboutisse à une dérive autoritaire de la Commission européenne - et de son président -, dont le programme législatif pour 2006 exprime très clairement la volonté d'aller plus avant dans la déréglementation.
L'initiative prise par la Commission de simplifier la législation communautaire n'est pas automatiquement, à nos yeux, synonyme de progrès. Nous attendons pour les citoyens européens des garanties pour que cette initiative ne soit pas le masque d'une opération généralisée de déréglementation. Or jamais le marché, aveugle à long terme par définition, ne pourra être le moteur de politiques vitales pour la construction européenne.
Dans de nombreux domaines, tels que l'environnement, l'énergie, l'harmonisation fiscale et sociale, nous avons besoin d'une législation européenne qui redonne confiance aux citoyens européens et les protège.
Prompte à retirer certaines directives, la Commission européenne montre en revanche beaucoup de lenteur sur d'autres domaines, pourtant sensibles, comme la directive « Services ». La récente évolution du débat sur ce sujet au Parlement européen, qui a vu Mme Evelyne Gebhardt s'abstenir sur son propre rapport lors de la réunion de la Commission « marché intérieur » du Parlement européen, nous inquiète.
Nous attendons que, sur ce point précis, la France s'exprime avec netteté et fermeté, qu'en conséquence elle exige de nouveau le retrait de la directive « Services » et sa remise à plat intégrale au moment où la tentation de passer en force existe à la Commission européenne.
Il faut abandonner le principe du pays d'origine qui aboutira, comme l'a très bien signalé la Confédération européenne des syndicats, à « mettre en concurrence inégale les prestations de services, créant de nouvelles formes de discrimination inacceptable et mettant en péril les emplois au lieu d'en créer de nouveaux ».
La nouvelle rédaction de la directive « services » doit exclure de son champ d'application les services sociaux, l'eau et tous les services économiques d'intérêt général. Il faut donc que, préalablement à toute nouvelle directive sur les services, l'Union européenne ait adopté une loi-cadre sur les services publics.
Madame la ministre, la France doit clairement exprimer son refus de voir le logement social, les services à la personne, l'enseignement supérieur traités par l'Europe comme n'importe quels services marchands.
En conclusion, je veux réaffirmer, au nom du groupe socialiste, qu'une Europe forte et volontaire est plus que jamais nécessaire aujourd'hui pour résister au grand vent de la mondialisation libérale.
Les citoyens croiront de nouveau à l'Europe quand leurs propres États concevront ensemble un projet social au bénéfice des Européens.
Mes chers collègues, puisse le sommet de Bruxelles marquer un pas dans cette direction ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, et M. Denis Badré applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le Premier ministre l'a indiqué hier, dans son intervention devant l'Assemblée nationale, et ainsi que l'a rappelé le ministre des affaires étrangères voilà un instant, le Conseil européen de cette semaine est d'une importance capitale pour l'Europe. Vos différentes interventions montrent de façon plus qu'éloquente que vous partagez cette analyse.
Avant de répondre aux questions que vous avez posées, permettez-moi de vous dire, à mon tour, l'importance de notre débat d'aujourd'hui, qui s'inscrit dans le cadre de l'association étroite de la représentation nationale aux processus de décision européens que le Gouvernement a entendu promouvoir, conformément au souhait du Président de la République.
Philippe Douste-Blazy vous a rappelé les décisions prises. Moi-même, je m'en réjouis. Elles sont importantes pour notre débat démocratique. Je vous rejoins sur ce point, monsieur Bret.
Je remercie aussi de leur intérêt ceux d'entre vous avec lesquels nous avons effectué un premier déplacement à Bruxelles voilà quinze jours. Poursuivons !
La représentation nationale doit prendre toute sa part dans la construction européenne, et je veux vous redire avec force que le Gouvernement a besoin de votre soutien. Je remercie d'ailleurs les différents orateurs de la qualité de leur intervention.
Revenons sur les questions à l'ordre du jour du Conseil européen, objet du présent débat.
J'aborderai tout d'abord le point concernant les perspectives financières. Vous l'avez tous dit, il s'agit de l'enjeu majeur de ce Conseil européen.
L'Europe politique que nous appelons de nos voeux, l'Europe forte et solidaire, passe aujourd'hui d'abord par un budget, car un budget exprime nos choix.
Comme vous le savez, l'enjeu de ces négociations concernant la période 2007-2013 est bien le financement de l'Europe élargie.
Nous avons besoin d'un budget qui permette de respecter les accords déjà passés, par exemple sur le financement de la politique agricole commune jusqu'en 2013 - nous y tenons tous, le président Serge Vinçon et les autres intervenants l'ont souligné -, un budget qui permette aussi de lancer des politiques nouvelles ou des projets nouveaux - recherche, compétitivité -, de répondre aux préoccupations concrètes de nos concitoyens - sécurité, citoyenneté, justice -, d'assurer le rattrapage économique et social des nouveaux États membres.
Cela signifiera, concrètement, que la contribution de la France au budget augmentera. Nous le savons, et nous sommes prêts à l'assumer, si c'est pour un bon budget correspondant à notre vision de l'Europe. C'est pourquoi nous avions accepté le « paquet Junker ». Un bon budget, c'est un excellent investissement dans l'avenir, dans la stabilité et la prospérité du continent européen. Mais nous devons partager équitablement le coût de cet investissement.
Or les dernières propositions britanniques que nous avons reçues, voilà quelques heures, ne répondent pas à ces exigences, comme vous l'a dit Philippe Douste-Blazy.
Je vous confirme notre grande préoccupation. Les modifications apportées s'apparentent à un simple démarchage à l'intention de quelques-uns pour essayer d'emporter leur adhésion. D'ailleurs, je dis « démarchage », mais je pourrais dire « marchandage ». Ce n'est pas ainsi que l'on aboutira à un accord, et ce n'est pas non plus ainsi que l'on fera l'Europe.
En ce qui concerne le chèque britannique, qui est la clé de la négociation, la présidence ne fait aucun mouvement, tant sur le mécanisme lui-même que sur son montant. Ainsi, ses propositions sont identiques aux précédentes, qui ne constituaient pas une base de négociation, de l'avis général.
Je veux rappeler pourquoi le maintien du chèque en l'état n'est pas acceptable.
D'abord, plus rien ne le justifie aujourd'hui ! Le Royaume-Uni, qui était, en 1984, l'un des pays les plus pauvres de la Communauté - le huitième sur dix -, est aujourd'hui l'un des plus riches - le troisième sur vingt-cinq. La PAC représentait alors 70 % du budget européen ; elle n'en représentera plus que 33 % en 2013. Les arguments de 1984 ne tiennent donc plus.
Ensuite, si rien ne change et si le mécanisme du chèque n'est pas modifié, son montant ne cessera de croître. En effet, comme le chèque correspond à un pourcentage du budget, à chaque fois que ce dernier augmente, le chèque augmente aussi mécaniquement. Ainsi, avec les propositions britanniques, il atteindrait plus de 50 milliards d'euros sur la période 2007-2013, ce qui correspond quasiment au montant prévu pour le budget européen de la recherche dans les dernières propositions.
Si les règles actuelles du calcul du chèque étaient maintenues, le Royaume-Uni serait exonéré de sa juste part dans le financement de l'élargissement. C'est pourquoi la France n'a eu de cesse de rappeler qu'une réforme du mécanisme du chèque britannique était essentielle, de façon à ce qu'au moins le Royaume-Uni prenne sa juste part dans le financement de l'élargissement, ce qui est l'intérêt de tous, et pas seulement celui de notre pays.
Et cette réforme doit être durable : nous ne devons pas avoir à renégocier ce principe simple de solidarité financière à chaque nouvel élargissement.
Pour conclure sur les perspectives financières, disons les choses simplement et clairement : dans le futur budget de l'Union européenne, le Royaume-Uni doit prendre sa juste part des dépenses d'élargissement, comme tous les autres États membres. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas, et nous le regrettons : le calcul actuel du chèque britannique ne conduit pas le Royaume-Uni à participer équitablement au financement de l'élargissement.
Dans la proposition révisée, le calcul du chèque est inchangé. Dès lors, le Royaume-Uni ne paierait qu'un tiers des dépenses qui lui incombent pour financer l'intégration des nouveaux États membres, alors que tous ses partenaires en assumeraient 100 %. Est-ce normal ? Est-ce justifiable ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Non !
Mme Catherine Colonna, ministre déléguée. Et ce n'est pas un abattement forfaitaire et temporaire, comme celui qui nous est proposé, qui règle ce problème de principe.
Il est donc indispensable de revoir le mécanisme de calcul du chèque pour que chaque État membre prenne sa juste part des dépenses d'élargissement. Pour cela, comme l'a suggéré la présidence luxembourgeoise en juin dernier, et comme nous l'avons également proposé la semaine dernière, il suffit d'enlever les dépenses d'élargissement de la base de calcul du chèque.
Nous ne sommes plus en 1984 : l'Europe a changé ; elle s'est élargie. Tirons-en les conséquences !
J'appelle votre attention sur un dernier élément : le montant de la réduction du chèque découlera de ce nouveau mécanisme de calcul ; il n'a pas à être fixé à l'avance ou de façon discrétionnaire.
Je souhaite donc que la proposition de la présidence soit substantiellement améliorée sur ce point central. Le Royaume-Uni doit prendre ses responsabilités dans le fonctionnement de l'Union élargie, qu'il a voulue comme nous tous.
Je note qu'une unanimité s'est dégagée aujourd'hui à ce sujet, y compris M. Frimat, et je vous en remercie.
Vos interventions ont également porté sur d'autres sujets qui, pour la plupart, sont également inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen.
S'agissant de la Macédoine et, d'une façon plus générale, de l'élargissement, je veux d'abord rappeler les progrès significatifs accomplis par la Macédoine, que je devrais appeler de son nom officiel provisoire « Ancienne République Yougoslave de Macédoine », dans le cadre du processus de stabilisation.
Nous ne pouvons qu'encourager la Macédoine à poursuivre dans cette voie. Nous savons combien la perspective européenne est indispensable pour garantir la stabilisation de cette région, qui reste fragile, comme en témoignent la situation au Kosovo et les débats entre la Serbie et le Monténégro.
C'est en novembre 2000 que cette perspective a été reconnue, sous la présidence française. Et c'est la France, mesdames, messieurs les sénateurs, sous l'impulsion du Président de la République, qui a renversé le cours des choses dans les Balkans, en 1995, en conduisant la communauté internationale à une autre attitude, plus digne et plus efficace à la fois. En ce 14 décembre 2005, jour du dixième anniversaire des accords de Paris, je veux dire que la France a sauvé l'honneur de nos démocraties.
Mais avant de savoir s'il faut reconnaître à la Macédoine le statut de candidat, comme l'avis de la Commission du 9 novembre nous y invite, nous devons prendre en considération la situation de l'Union européenne et le projet que nous nourrissons pour l'Europe, ainsi que la capacité d'absorption de l'Union, qui est l'un des critères de Copenhague.
Philippe Douste-Blazy l'a très bien expliqué devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, comme il l'avait dit à nos partenaires lundi dernier, à Bruxelles.
Les interventions de MM. Vinçon, Haenel et de Montesquiou, que j'ai écoutées avec attention, montrent que cette préoccupation est partagée.
Un premier débat a eu lieu sur ce sujet lundi dernier. Ce n'est pas si fréquent ! Il y en aura un autre en 2006 ; nous l'avons souhaité et nous l'aurons ! Car au-delà du cas de la Macédoine, il est devenu capital de conduire une véritable réflexion sur le processus d'élargissement en tant que tel. La discussion devra porter sur les frontières de l'Union européenne et sur son identité, laquelle ne se réduit pas à une simple question de géographie.
S'agissant de la solidarité avec l'Afrique et de l'immigration, Philippe Douste-Blazy a répondu à vos interrogations, monsieur Bret.
Pour ce qui est de la TVA, vous le savez, lors du Conseil Écofin du 6 décembre, il n'y a pas eu de consensus. Ce sujet sera donc à l'ordre du jour du Conseil européen.
Comme le Premier ministre l'a dit hier devant la représentation nationale, et Philippe Douste-Blazy l'a rappelé tout à l'heure, la France est déterminée à obtenir un résultat concret. Nous gardons comme objectif l'obtention rapide d'un accord global à Bruxelles, qui permette de continuer à appliquer des taux réduits pour le bâtiment et les services à domicile et de pratiquer des taux réduits pour la restauration.
Rappelons, une nouvelle fois, que la baisse de la TVA à 5,5 % a créé plus de 40 000 emplois dans les services d'aide à la personne et dans le secteur du bâtiment. Monsieur Retailleau, 40 000 emplois, ce n'est pas subsidiaire !
Par ailleurs, il est acquis qu'en l'absence d'accord avant le 1er janvier nous pourrons maintenir le statu quo : nous ne serons pas obligés de relever le taux de TVA à cette date dans le secteur du bâtiment.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter à la veille de ce Conseil européen qui, vous l'avez compris, s'annonce difficile, même si je veux vous confirmer, une nouvelle fois, la détermination du Gouvernement à trouver un accord sur le budget. Car sans budget, l'Europe n'avancera pas ; nous n'avancerons pas, monsieur Badré.
Souhaitons donc, avec le président Hubert Haenel, que l'esprit européen souffle demain et après-demain à Bruxelles. Nous en avons bien besoin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 126 et distribuée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Monsieur le ministre d'État, je vous prie d'excuser l'absence du président du Sénat qui, répondant d'ailleurs à l'une de vos invitations, participe en ce moment à une réunion. Il m'a demandé d'exprimer ses regrets de ne pas présider cette séance.