sommaire
Présidence de M. Adrien Gouteyron
3. Retrait du bureau du Sénat d'un projet de loi
4. Modification de l'ordre du jour
5. Etat de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé.)
MM. Nicolas About, auteur de la question ; Guy Fischer, Marcel Deneux, Mme Patricia Schillinger.
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Philippe Richert
Mmes Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Odette Herviaux, Christiane Kammermann, Marie-Christine Blandin.
M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
6. Modification de l'ordre du jour
8. Emploi de la langue française. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. Jacques Legendre, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication ; Mme Anne-Marie Payet, MM. Yannick Bodin, Philippe Marini, Ivan Renar.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
M. Jean-Pierre Sueur.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 5
Amendement no 1 de M. Philippe Marini. - MM. Philippe Marini, le rapporteur, le ministre, Ivan Renar. - Retrait.
M. Yannick Bodin.
Adoption de l'article.
Adoption de la proposition de loi.
9. Mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire. - Débat de contrôle budgétaire sur un rapport d'information (Ordre du jour réservé.)
MM. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice ; Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Pierre-Yves Collombat.
MM. le président, le garde des sceaux.
MM. Roger Karoutchi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
M. le garde des sceaux.
Clôture du débat.
10. Dépôt d'une proposition de loi
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
COMMUNICATION
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en tout état de cause, nous devrons suspendre nos travaux à onze heures cinquante, pour que ceux d'entre nous qui le souhaitent puissent assister à l'hommage aux sénateurs et aux membres du personnel morts pour la France, qui aura lieu à midi en haut de l'escalier d'honneur, en présence des membres du bureau.
Nous reprendrons nos travaux à l'issue de cette cérémonie.
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retrait du bureau du Sénat d'un projet de loi
M. le président. M. le Premier ministre a fait connaître le 9 novembre 2005 à M. le président du Sénat qu'il retirait du bureau du Sénat, pour le déposer sur celui de l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif au retour à l'emploi et au développement de l'emploi (n° 64, 2005-2006), qui avait été déposé le 8 novembre 2005.
Acte est donné de cette communication.
4
Modification de l'ordre du jour
M. le président. J'informe le Sénat que la question n° 839 de M. Michel Billout est retirée de l'ordre du jour de la séance du mercredi 16 novembre, à la demande de son auteur, et que la question n° 831 de M. Christian Cambon est inscrite à l'ordre du jour de cette même séance.
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État de préparation de la france face aux risques d'épidémie de grippe aviaire
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About à M. le ministre de la santé et des solidarités sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire.
M. Nicolas About demande à M. le ministre de la santé et des solidarités de bien vouloir lui faire connaître l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire, que le monde scientifique juge désormais plus que vraisemblable. Il souhaite savoir si des mesures de prévention sont déjà mises en oeuvre, compte tenu notamment de la survenance de cas avérés d'oiseaux infectés par le virus grippal d'Asie du Sud-Est sur le territoire européen, et si les pouvoirs publics envisagent de mener une campagne d'information publique sur cette maladie.
Au-delà de ces mesures préventives, et dans l'hypothèse d'un déclenchement de la pandémie, quelles sont les actions que le Gouvernement prévoit d'engager pour contrôler la propagation de la maladie, pour assurer, dans les délais nécessaires, l'approvisionnement de la population en médicaments rétroviraux, dispositifs de protection et vaccins et pour traiter les malades ?
La parole est à M. Nicolas About, auteur de la question.
M. Nicolas About. Monsieur le ministre, le 6 octobre dernier, vous avez présenté, devant la commission des affaires sociales, les principales mesures du plan national de lutte contre la grippe aviaire et cette audition a montré le très grand intérêt que nous portons, depuis plusieurs mois déjà, à cette question.
La progression de l'épizootie en Asie, l'apparition des premiers cas avérés de la maladie en Europe centrale et les incertitudes liées à la mutation possible du virus H5N1, qui le rendrait transmissible d'homme à homme, font craindre le pire aux scientifiques et alimentent l'inquiétude de nos concitoyens, qui sont tenus quotidiennement informés de la moindre évolution du mal par des médias attentifs.
Cette situation justifie aujourd'hui votre présence, monsieur le ministre, afin de répondre aux questions que se posent légitimement les élus de la nation sur les mesures prévues par les pouvoirs publics pour préserver les Français d'une catastrophe sanitaire et, dans l'hypothèse où celle-ci surviendrait, en limiter les effets.
Permettez-moi d'abord de rappeler quelques données scientifiques, afin de circonscrire le phénomène sans dramatiser sa portée. Si des millions d'oiseaux et des centaines de mammifères - chats, tigres et léopards - ont déjà succombé à la maladie, cent vingt-quatre personnes seulement - oserais-je dire ! - ont été contaminées à ce jour par le virus H5N1, depuis son apparition en 1997. Et soixante-trois d'entre elles sont mortes, le plus souvent en raison de complications respiratoires aiguës. Il s'agit majoritairement d'éleveurs de volailles en Thaïlande et au Vietnam, c'est-à-dire de personnes en contact étroit, fréquent et prolongé avec des oiseaux atteints par la maladie.
A ce jour, malgré quelques cas suspects, la preuve n'est pas établie d'une contamination directe d'homme à homme. Le risque d'une pandémie directement due au virus H5N1 actuel semble donc pouvoir être écarté.
En revanche, une mutation lui permettant d'acquérir les caractéristiques d'un virus humain est possible, tout comme sa combinaison avec un virus grippal humain existant. Ce nouveau virus pourrait alors déclencher une véritable épidémie, d'autant plus dévastatrice que ce virus associerait l'agressivité de la composante aviaire et le haut degré de contagiosité du virus humain. Un tel scénario s'est déjà produit, notamment lors de l'épidémie de grippe espagnole de 1918, qui a provoqué plus de 50 millions de morts, dont 300 000 en France, et qui, on le sait maintenant, était d'origine aviaire.
Les spécialistes s'accordent aujourd'hui pour considérer comme très probable la mutation ou la recombinaison du virus et, donc, la pandémie humaine qui en résulterait. En effet, le H5N1 est désormais présent chez certains mammifères, comme le porc, qui sont susceptibles d'être touchés également par un virus grippal humain. En outre, l'élimination de tous les oiseaux domestiques, à Hong Kong, en 1997, n'a pas permis d'endiguer sa progression. Ce virus est aujourd'hui endémique dans les élevages de volailles du sud-est asiatique et se répand massivement chez les oiseaux migrateurs, qu'il est utopique de penser exterminer. Enfin, il gagne en virulence, si bien que toutes les tentatives de vaccination animale se sont soldées par un échec. Cette remarque doit rester très présente à notre esprit, pour l'avenir, en cas de transmission du virus d'homme à homme.
Le nombre toujours plus important de pays touchés - des cas sont aujourd'hui avérés en Russie, en Turquie et en Roumanie, c'est-à-dire aux portes de l'Europe -, la puissance du virus et sa présence chez les oiseaux migrateurs indiquent que la France n'échappera pas à l'épidémie si les caractéristiques du virus se modifient. Il convient donc de s'y préparer au mieux pour éviter le scénario catastrophe annoncé par l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, qui prévoit, si aucune action n'est entreprise pour contrôler l'expansion de la maladie, la contamination de 9 millions à 21 millions de Français, ce qui entraînerait 91 000 à 212 000 décès.
Toutefois, il n'est pas de fatalité en la matière, notamment pour un pays développé comme le nôtre : les conséquences de la catastrophe annoncée seront moindres si une politique pragmatique de prévention est menée.
En effet, nos atouts sont bien réels. Depuis le bilan dévastateur de la grippe espagnole, notre capacité à identifier rapidement et de façon parfaitement fiable un nouveau virus et, par conséquent, la possibilité de créer un vaccin adapté se sont largement améliorées. En outre, nous disposons de médicaments antiviraux encore efficaces, notamment l'oseltamivir, plus connu sous le nom de Tamiflu, qui permettent de prévenir la maladie ou d'en atténuer les effets s'ils sont pris dans les heures suivant les premiers symptômes.
Il existe également un dispositif épidémiologique performant, piloté par l'InVS et le bien nommé réseau GROG, groupes régionaux d'observation sur la grippe, qui devrait nous permettre de connaître rapidement les premiers cas de grippe dus au nouveau virus dans la population française.
Face à ces atouts, le point faible de la politique de lutte contre une pandémie probable de grippe aviaire tient à l'incertitude existant sur la nature du futur virus, notamment sur sa capacité de contagion d'homme à homme, qui conditionnera l'efficacité des mesures prévues. Toutefois, le risque potentiel justifie, à lui seul, les mises en garde de l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, et la mobilisation des pouvoirs publics français.
Il s'agit, d'abord, d'éviter que la pandémie ne touche notre pays, ce qui, on l'aura compris, paraît difficile. Des mesures de prévention et de protection existent malgré tout et c'est sur cet aspect de la situation, monsieur le ministre, que portent mes premières questions.
En ce qui concerne la seule épizootie de grippe aviaire, quelles sont les mesures prévues en matière de protection des élevages de volailles, notamment ceux qui sont organisés en plein air et pour lesquels cette caractéristique justifie une appellation d'origine contrôlée ?
Les premières estimations laissent entendre que plus de 20 000 emplois pourraient être menacés dans ce secteur d'activité. Certaines entreprises se trouvent déjà en difficulté, du fait d'une diminution importante de la vente de volaille, de 20 % à 25 % selon les estimations. Dès lors, envisagez-vous, monsieur le ministre, de lancer une campagne d'information à destination du grand public, pour rappeler que la consommation de volaille ne présente aucun danger ?
En cas d'épizootie avérée sur notre territoire, comment procèdera-t-on à l'élimination, sans risque pour la santé publique ni pour l'environnement, des volailles contaminées ? Un système de juste indemnisation des éleveurs a-t-il été envisagé ? On sait en effet qu'une indemnité compensatoire par bête abattue qui serait jugée trop faible par rapport au prix du marché pourrait favoriser la non-déclaration de cas, la contrebande et la revente clandestine d'oiseaux contaminés. Ainsi la progression de l'épizootie a-t-elle été plus rapide au Vietnam qu'en Thaïlande, en raison de la quasi-absence d'indemnité pour les éleveurs.
Enfin, la chasse aux oiseaux migrateurs, dont les plumes, en dispersant des particules de fiente, transmettent la maladie, sera-t-elle interdite, ou bien pensez-vous plus opportun d'encourager l'élimination de ces oiseaux ?
Pour ce qui touche à la protection de la France face à un risque venu de l'extérieur, dans quelle mesure est-il possible de contrôler l'entrée sur le territoire national des animaux et des individus porteurs du virus ?
Par ailleurs, les ressortissants français qui pourraient être touchés par la maladie dans un pays étranger seront-ils rapatriés, au risque de contaminer leur entourage, notamment le personnel soignant, ou seront-ils soignés sur place ?
A cet égard, je souhaite rappeler que le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, dernière épidémie humaine mortelle connue, dont le virus était pourtant moins contagieux que celui de la grippe saisonnière, s'est étendu à une trentaine de pays en un temps record, du fait d'un seul passager contaminé arrivant de la province de Canton à Hong Kong.
Une question essentielle se pose également en matière de vaccination contre la grippe saisonnière : faut-il la rendre obligatoire cette année, ne serait-ce que pour les professionnels de santé, les personnes à risque telles que les personnes âgées, les jeunes enfants ou les personnes immunodépressives ? Faut-il également le rendre également obligatoire pour tous ceux qui devront maintenir leur activité en cas de crise sanitaire, à savoir les forces de l'ordre, les pompiers, les enseignants, certains fonctionnaires et les commerçants qui vendent des biens de première nécessité ? Une telle campagne pourrait d'ailleurs être doublée d'une vaccination de ces populations contre le pneumocoque, afin de limiter les risques de complications respiratoires mortelles liées à une mutation du virus de la grippe.
Plusieurs arguments plaident, selon moi, en faveur d'une telle mesure.
Tout d'abord, on peut en attendre la diminution du nombre de grippes ordinaires en cas d'apparition de la pandémie et, par conséquent, un diagnostic plus rapide du nouveau virus, ce qui permettra une prise en charge immédiate des malades et évitera la prescription inutile d'oseltamivir à des personnes qui n'en auraient pas besoin.
Ensuite, il en résulterait sans doute un moindre risque de combinaison entre le virus aviaire et le virus grippal humain, si ce dernier est moins présent dans la population.
Enfin, on peut penser qu'une telle mesure favorisera le développement durable, par les laboratoires, des capacités de production de vaccins antigrippaux, indispensables pour qu'un vaccin spécifique soit produit rapidement et à grande échelle.
En outre, une réflexion plus large mérite d'être conduite sur la possibilité de vacciner l'ensemble de la population française, dans l'hypothèse d'une pandémie aviaire déclarée. A cet égard, est-t-il prévu de favoriser une vaccination prépandémique contre le virus H5N1 non muté ? Ce vaccin aura-t-il une efficacité quelconque sur l'homme, alors qu'il n'en a pas sur les animaux ?
S'agissant de l'usage des médicaments antiviraux, de nombreuses questions se posent également.
Par exemple, convient-il de limiter dès à présent la prescription d'oseltamivir, de façon à conserver les stocks pour une éventuelle pandémie ?
Doit-on favoriser la prise préventive d'antiviraux pour les personnes les plus exposées au risque de grippe aviaire ? Quel risque de résistance du virus une utilisation abusive d'antiviraux en cette période de grippe ordinaire fait-elle courir ? Ces médicaments cesseraient-ils d'être véritablement efficaces s'ils devaient être pris, ensuite, de manière curative ?
Sur le volet préventif de l'épidémie, il importe enfin d'examiner les implications financières. Vous comprendrez que la commission des affaires sociales, qui est chargée de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, s'en préoccupe. Aujourd'hui, une somme de 600 millions d'euros a été débloquée sur le budget de l'assurance maladie pour faire face aux dépenses relatives à la mise en oeuvre du plan national de lutte contre la grippe aviaire.
Monsieur le ministre, cette somme sera-t-elle suffisante en cas de pandémie pour couvrir non seulement les dépenses supplémentaires de masques, de médicaments antiviraux et de vaccins, mais aussi celles qui sont destinées, par exemple, à assurer la sécurité des pharmacies et des hôpitaux ? Si une « rallonge » budgétaire se révélait nécessaire, serait-elle prélevée sur le budget de l'Etat au titre de sa fonction régalienne de protection de la population ?
Par ailleurs, il est nécessaire d'organiser une réaction internationale coordonnée face à la menace pandémique. Il s'agit avant tout de faire preuve de solidarité, mais aussi de bien mesurer que la protection de notre pays sera d'autant mieux assurée que la contagion sera maîtrisée dans les pays où le virus nouveau apparaîtra.
En ce sens, si le virus H5N1 mute dans une autre partie du globe, en Asie du Sud-est par exemple, la France ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur les moyens de venir en aide aux pays touchés. Il est à craindre, en effet, que les pays qui n'ont pu endiguer à ce jour l'épizootie, en raison de l'absence d'un système de surveillance sanitaire vétérinaire efficace, ne soient également les premiers touchés par la pandémie.
L'apparition de la grippe aviaire nécessitera la mise en place de mesures de sécurité sanitaire pour les populations locales et pour ceux qui auront séjourné dans ces pays. De tels dispositifs avaient été déployés en 2003, lors de l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, et avaient permis, en trois mois, son éradication. Je pense notamment aux mesures de restriction des déplacements ou de quarantaine.
Il conviendra alors que la France s'implique dans les actions de distribution d'antiviraux et de matériels de protection à ces pays, ainsi que dans des opérations d'aide à la recherche et à la production de vaccins, qui pourront débuter avec l'identification du nouveau virus.
A cette fin, qu'a prévu la communauté internationale ? Dans quelle mesure, et pour quelle enveloppe budgétaire, la France s'est-elle engagée à intervenir ? L'Union européenne est-elle impliquée dans ces opérations ?
A titre préventif, ne conviendrait-il d'ailleurs pas d'aider les pays les plus touchés par l'épizootie, en favorisant l'indemnisation des éleveurs et l'abattage des bêtes malades ? Cela présente selon moi l'intérêt d'alléger ces économies faiblement développées d'une charge qu'elles pourraient trouver trop lourde au regard de préoccupations hypothétiques de santé publique bien éloignées de leur objectif de subsistance.
Par la suite, la mise en oeuvre de mesures d'urgence dans les premiers pays touchés sera, je le rappelle, essentielle pour ralentir la progression de l'épidémie et limiter le nombre de victimes. Cela laissera également aux laboratoires le temps de concevoir, puis de produire, le vaccin adéquat en quantité suffisante.
Ma dernière série de questions est peut-être plus complexe encore, monsieur le ministre, et je vous prie de m'en excuser. Elle concerne les mesures qui sont envisagées au moment où la pandémie fera son apparition en France.
Deux hypothèses sont concevables. La première, optimiste, suppose que le vaccin a déjà pu être mis au point, dans le cas où la pandémie serait apparue à l'étranger et où sa progression aurait pu être ralentie. La seconde, plus défavorable mais peut-être plus probable, envisage l'absence de vaccin disponible.
Dans les deux cas, l'urgence consistera à éviter les occasions de transmission de la maladie. Quelles seront les mesures à prendre en matière de fermeture des lieux publics, écoles, administrations, entreprises, moyens de transport... ? Comment seront conciliés les impératifs de sécurité sanitaire avec le maintien du minimum de vie économique indispensable aux besoins de la population ?
Il s'agira, ensuite, de traiter les malades et de protéger leur environnement. La France disposera, nous a-t-on dit, au début de l'année 2006, de 14 millions de doses de Tamiflu, dont une partie « en vrac ». Ce stock sera-t-il suffisant en cas de pandémie, notamment si le médicament doit aussi être utilisé de manière préventive ? Le service pharmaceutique de l'armée est-il vraiment en mesure de conditionner rapidement sous forme de cachets l'oseltamivir qui serait conservé « en vrac » ?
Si les besoins devaient être supérieurs aux réserves, les laboratoires français seront-ils à même de compléter la fabrication assurée par le laboratoire Roche, qui possède le brevet du Tamiflu ?
Dans le même ordre d'idée, les 200 millions de masques respiratoires FFP2 qui devraient être disponibles à la fin de l'année seront-ils suffisants en cas de pandémie, alors que leur utilisation n'est efficace que pendant six heures ? Les capacités de production nationales seront-elles à même de répondre à une explosion de la demande ?
Je souhaite également vous interroger, monsieur le ministre, sur la sécurité des personnes et des biens dans un contexte de crise.
Dès lors que les stocks d'antiviraux, de masques respiratoires et de matériel de protection sont, par définition, limités, avez-vous fixé des critères de priorité pour leur distribution, par exemple en faveur du personnel soignant et des forces de l'ordre ?
Le risque d'un mouvement de panique en cas d'épidémie est élevé. Comment sécuriser la distribution de médicaments et de masques, notamment par les officines ? Aura-t-on d'ailleurs les moyens de contrôler les produits de contrebande ou de contrefaçon, qui circulent déjà - nous en avons la preuve -, par exemple sur Internet ?
Par ailleurs, les personnels soignants et les hôpitaux se trouveront en première ligne et risquent de faire l'objet de harcèlement ou de menaces, surtout si, comme le prévoit le plan national de lutte contre la grippe aviaire, seuls les 5 % des malades les plus atteints auront accès à l'hôpital. On imagine mal des parents rester sereinement à leur domicile avec un enfant contaminé sans exiger au plus vite, et par tous les moyens, que des soins lui soient dispensés par un médecin de ville, probablement débordé, ou à l'hôpital.
Les services de santé disposeront-ils alors d'un dispositif de sécurité adapté, de façon à permettre une organisation optimale des soins à domicile et à l'hôpital ?
En outre, de quelle manière sera organisée la campagne de vaccination lorsqu'un vaccin aura été trouvé ? Obéira-t-elle également à des règles de priorité au profit de certains publics ?
La France aurait réservé par avance 40 millions de doses de vaccin de ce type. Cette quantité sera-t-elle suffisante si, comme cela semble évident, un rappel est nécessaire pour assurer l'efficacité du traitement ?
Enfin, la question centrale porte sur le délai de disponibilité d'un vaccin efficace mis au point à partir du virus muté. Est-il réellement concevable que celui-ci puisse être créé, testé et fabriqué en moins d'un an ? Le médecin que je suis reste malheureusement sceptique.
Telles sont, monsieur le ministre, les nombreuses questions que pose aujourd'hui la mise en oeuvre du plan national de lutte contre la grippe aviaire et sur lesquelles nous attendons des réponses. Je souhaite, pour ma part, que soit scrupuleusement respecté le principe de précaution, au moment où l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, déclare qu'il ne s'agit pas de savoir si la pandémie aura lieu, mais quand. Il convient toutefois d'éviter de créer une psychose chez nos concitoyens, qui nuirait à l'efficacité des mesures de prévention et à la prise en charge des éventuels malades.
Les modalités selon lesquelles notre pays, que je souhaite fidèle à sa tradition humaniste, interviendra en faveur des pays touchés par la pandémie méritent également d'être discutées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la mesure où Nicolas About vient de nous présenter un exposé excellent et exhaustif de la situation et comme je partage le temps de parole dévolu au groupe CRC avec ma collègue Gélita Hoarau, je serai bref.
Le risque de pandémie existe. Nous savons que le virus est très contagieux chez les oiseaux et que le virus de la grippe saisonnière mute très rapidement.
Cette menace est suffisante pour que nous exigions au minimum non seulement une information claire à destination de la population, qui doit être associée aux décisions, mais surtout des moyens financiers suffisants.
En effet, selon David Nabarro, coordinateur des agences des Nations unies concernées par l'épizootie, « l'urgence sanitaire mondiale est de juguler la maladie chez les animaux ». Il estime les sommes nécessaires à 180 millions de dollars.
A ce jour, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, n'aurait réuni qu'une trentaine de millions de dollars. L'urgence sanitaire est donc de trouver, dans les semaines qui viennent, les 150 millions de dollars qui manquent. La conférence internationale qui vient de se tenir au siège de l'OMS s'est engagée à dégager des moyens financiers de l'ordre d'un milliard de dollars.
En outre, cette menace de pandémie révèle une nouvelle fois les écarts de niveau de vie et de conditions sanitaires à l'échelon mondial.
Il faut véritablement offrir aux pays du Sud - que ce soit en Afrique ou en Asie - la chance de sortir du sous-développement. Il est évident que, si le Sud n'a pas les moyens de lutter contre la maladie, c'est la planète entière qui en souffrira.
Plus encore, il s'agit de répondre rapidement à la question de savoir qui fabriquera les médicaments et les vaccins.
En raison des menaces de pandémie, les ventes de Tamiflu par le laboratoire suisse Roche se sont élevées à 553 millions d'euros. Je pense d'ailleurs que ce montant doit être revu à la hausse.
Aujourd'hui, ce laboratoire ne peut pas faire face à la demande, mais il est propriétaire du brevet. Il a néanmoins apporté quelques réponses. Depuis 2001, les accords de Doha acquis de haute lutte pour l'accès au médicament contre le sida dans les pays du Sud prévoient la possibilité pour des Etats d'ignorer un brevet afin de produire des médicaments génériques. C'est le système de la licence obligatoire.
Or, de son côté, le laboratoire Roche parle de licence « volontaire », ce qui lui permettrait de choisir les laboratoires qui produiraient les médicaments et de fixer les prix. Des choix, notamment avec sept ou huit entreprises, sont en train de se dégager et les négociations avec les Etats en passe d'aboutir.
Il nous paraît donc très important d'exiger que les vaccins soient produits sous la responsabilité des Etats garants de la santé publique et que cette production ne soit pas laissée au libre choix de l'industrie pharmaceutique. De notre point de vue, le laboratoire Roche devrait abandonner son brevet. Tous les pays, notamment les plus pauvres, doivent avoir accès aux médicaments et aux vaccins.
Ce médicament antiviral pose bien d'autres questions encore, auxquelles il faudra répondre.
Il n'est pas possible d'accroître la charge financière publique sans s'interroger sur la réelle efficacité des médicaments qui sont massivement achetés. Je tiens à rappeler que ce sont les assurés sociaux qui, par leurs cotisations, financent l'achat des médicaments antiviraux, donc du Tamiflu.
Mais ce médicament est-il réellement efficace ? Nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous nous confortiez.
Je tiens juste à rappeler que, le 11 février 2004, la Commission de la transparence a évalué l'efficacité du Tamiflu dans le traitement de la grippe. Le service médical rendu a été estimé « insuffisant ». Il y a là une véritable question à laquelle nous aimerions que vous nous répondiez. Il s'agit certes d'une étude sur l'efficacité du Tamiflu dans le cadre de la grippe et non de la grippe aviaire, mais cela incite tout de même à prolonger les évaluations.
En outre, nous examinerons ici même, la semaine prochaine, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS, pour 2006.
Les menaces de pandémie posent, bien entendu, la question du nombre de médecins, d'infirmiers et d'hôpitaux. Il faut, dès aujourd'hui, stopper les fermetures de lits, de services et d'hôpitaux, car la population ne comprendrait pas que les structures ne correspondent à la réalité des risques encourus. Au contraire, il faut envisager de conforter les structures hospitalières, voire d'en rouvrir certaines.
Enfin, il est malheureusement à craindre que cette menace de pandémie ne serve de révélateur à la politique sociale et de santé du Gouvernement.
Les sans-papiers, les sans domicile fixe et les précarisés sont de plus en plus nombreux aujourd'hui. Ils seront également les premiers touchés, parce qu'ils échappent le plus souvent à la prévention et n'ont pas les moyens d'accéder à un système de santé de plus en plus individualisé. (M. Nicolas About acquiesce.)
C'est pourquoi, au-delà de l'indispensable prévention, il faut de nouveau garantir un système de santé solidaire et efficace, doté de moyens à la hauteur des enjeux auxquels il doit faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. -M. Nicolas About applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sommes-nous menacés par un risque réel de pandémie ? Sommes-nous victimes d'un mouvement de panique aussi irrationnel que criminel pour toute la filière avicole ? Faut-il stocker du Tamiflu et craindre les pigeons ou jouir de la saveur d'un poulet rôti ? En un mot, quelle maladie a-t-on le plus de chance d'attraper : la grippe aviaire ou la « précautionnite » aiguë ? (Sourires.)
A cette question centrale pour le débat qui nous occupe, bien rares sont les Français susceptibles de répondre aujourd'hui avec aplomb. Depuis un mois, les informations les plus floues et les plus contradictoires circulent sur ce thème, alimentant la peur, gonflant sans doute le chiffre d'affaires de quelques laboratoires pharmaceutiques inspirés.
Mais que sait-on au juste du risque de pandémie ? Les associations de consommateurs s'interrogent toujours. Plusieurs éléments semblent acquis. Le virus H5N1 ne menace l'homme que dans des circonstances très marginales. Il ne se transmet qu'à des êtres humains en contact très étroit avec des oiseaux.
Cette contamination est très rare : en deux ans, moins de 70 décès dus au H5N1 ont été recensés dans le monde, alors que des millions de volailles ont été touchés. Lorsqu'elle se produit, la contamination se fait par voie respiratoire et par les yeux.
En revanche, la consommation de viande ou d'oeuf ne peut pas être un facteur de transmission du virus lorsque les aliments en question sont cuits.
Le virus ne se transmet pas d'homme à homme.
A l'aune de ces informations, le risque paraît restreint et les mesures de confinement des élevages de plein air sont, me semble-t-il, exagérées. Dans mon département, que vous connaissez, monsieur le ministre, la fédération des chasseurs de la Somme les a dénoncées, ainsi que l'interdiction de l'utilisation et du transport des oiseaux élevés par les chasseurs pour attirer, par leurs cris, leurs congénères sauvages. L'objet de l'opération est d'éviter les contacts entre ces volatiles et des oiseaux migrateurs porteurs du virus. Ces dispositions ont finalement empêché les chasseurs de la Somme de jouer à plein leur rôle de « vigies de la faune et de l'avifaune ».
M. Nicolas About. C'est un débat.
M. Marcel Deneux. Cela revient à ignorer le fait que les chasseurs pourraient être en mesure, avec leurs oiseaux, de détecter le moindre indice d'apparition du virus sur tout le territoire départemental. Peut-être des aménagements seraient-ils souhaitables. Il y a là une occasion perdue d'accroître le rôle social des chasseurs.
Le confinement des oiseaux appelants se justifie-t-il, dans la mesure où ils peuvent être utilisés comme d'excellents indicateurs sanitaires ? Envisagez-vous d'abroger l'arrêté de confinement au profit d'un système de veille sanitaire mieux adapté, autorisant l'usage de ces oiseaux ? C'est, monsieur le ministre, ma première question.
Les spécialistes craignent que, dans l'avenir, un porc ou un être humain n'attrape le H5N1 alors qu'il est déjà atteint par le virus de la grippe humaine. Dans ce cas de figure, le virus de la grippe aviaire pourrait muter et devenir transmissible d'homme à homme. La pandémie serait possible, une pandémie semblable à celle qui ravagea le monde au sortir de la Première Guerre mondiale.
Serions-nous alors en mesure de lutter contre elle ? C'est à cette question qu'il faut répondre, si possible avec précision.
Afin de lutter contre un tel risque, peu probable mais réel, le Gouvernement a déclaré avoir constitué un stock de 14 millions d'antiviraux de type Tamiflu.
Or, deux questions se posent. D'abord, le Tamiflu est-il efficace ? Ensuite, dans l'affirmative, les stocks constitués sont-ils suffisants ?
L'efficacité du Tamiflu semble en effet très relative. Le médicament doit être administré dans les quarante-huit heures qui suivent l'exposition au virus.
M. Nicolas About. Voire dans les douze heures !
M. Marcel Deneux. Cet antiviral, produit par le laboratoire Roche, agit en théorie sur tous les sous-types de virus grippal, y compris celui de la grippe espagnole de 1918.
Mais son efficacité sur un virus pandémique n'est pas avérée. En sait-on plus sur l'utilité des stocks de Tamiflu, sur les quantités nécessaires pour faire face à une éventuelle pandémie majeure ?
Par ailleurs, plusieurs laboratoires travaillent à l'élaboration de vaccins. Ces travaux sont-ils utiles, dans la mesure où aucun vaccin ne peut être mis au point avant l'apparition du virus pathogène ?
Je poserai une dernière question, qui est sans doute la plus angoissante. Si un virus comme celui de la grippe espagnole refaisait son apparition, serions-nous en mesure de le combattre efficacement ? Les chiffres que j'ai pu recueillir à ce sujet sont des plus contradictoires. Selon certains, les antiviraux suffiraient à sauver des millions de vies. En revanche, selon les scénarios les plus alarmistes, 175 millions de personnes pourraient en mourir. Là-dessus, le public mérite d'être éclairé ; il doit l'être.
M. About a posé une série de questions ; je ne veux pas les répéter, mais j'attends avec intérêt vos réponses, monsieur le ministre. Disposez-vous d'éléments concrets, garantissant une forte crédibilité aux décisions prises et leur bonne adéquation à la situation réelle de la France ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier mon collègue M. Nicolas About d'avoir posé cette question orale avec débat à M. le ministre de la santé et des solidarités sur un sujet si important.
Ce n'est pas encore la psychose de la grippe aviaire, mais l'inquiétude grandit. Selon les experts, une pandémie de grippe est inévitable et peut-être imminente. Un responsable de l'OMS a déclaré que la question n'est pas de savoir si une nouvelle pandémie grippale peut arriver, mais quand. Dans quelques jours, quelques mois ou quelques années ?
Face à une telle menace, il y a urgence pour que chaque pays mette au point, en prévision et en vertu du principe de précaution, des plans de lutte pour limiter les contagions, organiser la prise en charge des personnes infectées et maintenir les activités indispensables à la bonne marche de la collectivité.
En France, l'enjeu est de taille. D'après les prévisions de l'Institut de veille sanitaire, une pandémie grippale d'origine aviaire pourrait toucher 9 millions à 21 millions de personnes et être responsable de nombreuses hospitalisations - entre 455 000 et 1,1 million - et de 91 000 à 212 000 décès !
Bien que ce scénario « catastrophe » ne soit pas d'actualité, les autorités sanitaires ne peuvent plus ignorer de tels risques.
Même si les autorités françaises ont mis en place un « plan national de lutte contre une pandémie grippale », la volonté d'être informé est tout à fait légitime. La plus grande transparence est le meilleur moyen de lutter contre une quelconque psychose.
Effectivement, à l'heure actuelle, des problèmes apparaissent déjà. Ainsi, la découverte du virus de la grippe aviaire en Roumanie et en Turquie a relancé les craintes d'une épidémie humaine.
Même si ces pays ont pris des mesures sanitaires telles que l'abattage d'un grand nombre de volailles et malgré des déclarations rassurantes à la population, l'arrivée de ce virus a provoqué, dans ces deux pays, une ruée dans les pharmacies et l'épuisement, en quelques heures, du stock de l'antiviral Tamiflu.
Aujourd'hui, en France, en raison de la couverture médiatique et des rumeurs, le Tamiflu n'est déjà plus disponible.
Il est important de faire passer l'information, en précisant qu'il est inutile de se précipiter dans les pharmacies pour essayer d'obtenir du Tamiflu. En outre, il est formellement déconseillé d'acheter ces produits sur Internet, sous peine de se retrouver avec un médicament cher et totalement inefficace en cas de véritable épidémie.
Mme Patricia Schillinger. Avez-vous agi en ce sens, monsieur le ministre ?
Nous pouvons comprendre l'inquiétude de nos concitoyens, car, permettez-moi de le dire, en l'absence d'une information claire délivrée par les autorités, des désordres sont apparus. Ainsi, la Commission européenne a expliqué que le virus de la grippe aviaire n'était pas présent en Roumanie, avant de revenir, dès le lendemain, sur ses déclarations. Le public se tourne par conséquent vers les médecins généralistes et les pharmaciens. Il est donc important de faire preuve de plus de transparence en matière de communication.
Par ailleurs, je tiens à préciser que, dans notre pays, le Tamiflu est exclusivement délivré sur prescription médicale et qu'il ne peut être délivré que lorsqu'une épidémie de grippe aviaire est avérée. Pourquoi, ce médicament n'est-il quasiment plus disponible aujourd'hui dans les pharmacies ? Le Gouvernement a-t-il pris des mesures ?
Alors que médecins et pharmaciens, c'est-à-dire les soignants de première ligne, sont submergés par les questions de leurs patients sur la grippe aviaire, pourquoi ne bénéficient-ils d'aucune consigne, d'aucun matériel pédagogique ? Chaque jour ouvrable, les médecins accueillent un million de personnes et les pharmaciens trois millions.
Face à une pandémie, les médecins seront-ils prêts ? Au lieu de leur annoncer le nombre de morts à craindre, ce qui constitue une donnée abstraite, il serait préférable, pour qu'ils prennent mieux conscience du problème, de leur expliquer qu'ils vont devoir prendre en charge 300 patients supplémentaires par semaine.
M. Nicolas About. C'est vrai !
Mme Patricia Schillinger. Le Gouvernement et les autorités de santé doivent donc planifier cette situation et donner les moyens et les outils pour y faire face.
Ce dont la population a surtout besoin maintenant, c'est d'informations simples, pesées, concrètes, objectives et à la portée de tous. En effet, la transparence n'est ni l'alarmisme ni la dissimulation.
J'ai une autre interrogation. Si le virus devenait transmissible d'homme à homme, quelle serait exactement la stratégie française anti-pandémie ? Le plan national de lutte contre ce fléau, régulièrement mis à jour, serait-il suffisant ?
Actuellement, l'objectif est d'éviter toute épidémie animale en France, ou au pire de la contenir et de l'éradiquer, tout en prévenant toute transmission humaine. Pour ce faire, le plan prévoit de renforcer les mesures de surveillance des volailles françaises, de prévenir les importations des pays infectés et d'informer les professionnels de santé et le grand public, en particulier les voyageurs se rendant en Asie ou en revenant.
A ce stade du plan, j'insiste sur le rôle essentiel que les vétérinaires auront à jouer pour améliorer la détection précoce de la grippe aviaire. L'échange rapide et l'analyse d'échantillons de virus peuvent apporter une réponse immédiate. Accroître la prévention nationale et le soutien aux services vétérinaires, plus particulièrement dans les pays en voie de développement, me paraît donc fondamental.
S'il y a épidémie, différentes mesures devront obligatoirement être prises : contrôle et fermeture d'établissements publics et privés, restriction des déplacements, réquisition de tous les moyens de communication nécessaires, ainsi que de tous les locaux et moyens de transport utiles.
Le plan prévoit également la constitution d'un stock important d'antiviraux, essentiellement de Tamiflu, et de masques, ainsi que des pré-commandes de vaccins.
A la fin de l'année 2005, la France devrait ainsi disposer d'un stock de 140 millions de doses de Tamiflu, permettant de soigner quatorze millions de personnes, à raison de deux doses quotidiennes pendant cinq jours, et de quelques centaines de milliers de boîtes de Relenza. Monsieur le ministre, en cas d'épidémie, la France aura-t-elle d'un stock suffisant de Tamiflu ?
De plus, une souche de virus H5N1 résistante au Tamiflu, mais sensible au Relenza, a été découverte au Vietnam.
Dans le cas où le Tamiflu ne serait pas efficace, le Gouvernement a-t-il prévu un stock important de Relenza ? Certains experts estiment qu'il conviendrait de compléter les stocks nationaux de Tamiflu par des stocks équivalents de Relenza. L'utilisation ciblée de médicaments antiviraux et la mise en place de mesures d'isolement permettraient d'éviter une hécatombe, à condition de réagir suffisamment vite.
En outre, comment faire la différence entre une grippe aviaire et une grippe classique ? Existe-t-il des moyens de diagnostic rapide permettant de distinguer les deux cas ?
Comme le soulignent les chercheurs, « l'efficacité de la politique d'endiguement de la pandémie dépend du recensement des cas cliniques et de la vitesse avec laquelle les médicaments antiviraux sont délivrés ».
En effet, si les médicaments doivent être pris précocement, dans les quarante-huit heures suivant les premiers symptômes, la distribution devra être organisée de façon rigoureuse.
Même s'il est impossible de prévoir le moment exact où surgira la pandémie, il est urgent de s'y préparer. Aujourd'hui, le virus ne peut pas prendre l'homme par surprise, car l'alerte est générale et la surveillance internationale. Chaque pays se doit d'établir un principe de précaution.
En cas de pandémie, ce sont, dans un premier temps, les antiviraux qui joueront un rôle important, puis les vaccins. Les problèmes d'approvisionnement et d'inégalité d'accès devront être résolus avec une urgence particulière.
Si l'on ne peut prévoir ni la date de la prochaine pandémie ni sa gravité, les précédents historiques montrent que de tels événements provoquent toujours une explosion du nombre de cas et de décès, entraînant une paralysie temporaire des services publics et de la productivité économique. Le Gouvernement doit donc se préparer à transformer les services de santé, y compris les unités d'urgence et de soins intensifs, et à augmenter le nombre de places dans les morgues, afin de faire face à un accroissement soudain et considérable des besoins.
Une autre conséquence sera l'absentéisme accru, qui touchera tous les secteurs de l'activité économique, et une réduction temporaire des capacités des services publics essentiels, concernant les soins de santé, la police, les transports, l'eau, le gaz, l'électricité, les télécommunications, la défense, les prisons. Seront concernés aussi les parlementaires.
Pour éradiquer une pandémie, outre la constitution de stocks de médicaments, il faut prévoir d'autres mesures, telles que des exercices de simulation, la mise en quarantaine d'une zone ou un isolement. Monsieur le ministre, sommes-nous prêts à prendre de telles mesures ?
Il ne faut pas oublier que, dans la plupart des hôpitaux, les services restent centrés sur la gériatrie, la pédiatrie, les maladies cardio-vasculaires et la chirurgie. De nombreux services infectieux ayant été fermés, le niveau de préparation a baissé. Ainsi, les infirmières en milieu hospitalier ont-elles reçu les consignes vestimentaires d'usage pour prendre en charge un malade contagieux. Des chambres d'isolement existent bien, mais leur nombre est insuffisant, tout comme les capacités d'accueil, qui seront très limitées.
Par ailleurs, nos hôpitaux ultramodernes doivent évoluer : souvent constitués de grands bâtiments monoblocs, ils sont moins bien conçus que les structures pavillonnaires d'autrefois, qui permettaient de limiter les risques de transmission de l'infection. Avons-nous les moyens suffisants pour réagir rapidement ?
La lutte contre une pandémie ne se fait pas qu'au niveau national, il faut également aider les pays en voie de développement. En effet, prévenir une pandémie, c'est également aider les pays confrontés à des épizooties de grippe aviaire à s'en débarrasser et à stopper celles-ci avant qu'elles ne s'étendent ou, pis, qu'elles ne se transforment, d'où l'importance d'une action et d'une mobilisation internationales.
Monsieur le ministre, quel est votre plan pour les Français établis à l'étranger ?
Même si des déclarations de bonnes intentions marquent une avancée en termes de coopération avec les pays en voie de développement, elles demeurent cependant limitées. Il faut aider ces pays à planifier leur propre production de vaccins, évaluer les possibilités de leur transférer les techniques de fabrication et mettre au point des projets pilotes.
Si l'épidémie surgissait aujourd'hui, la production actuelle d'antiviraux permettrait de couvrir les besoins de 2 % de la population. Même si les laboratoires Roche entendent augmenter leur production, nous sommes loin de pouvoir offrir un traitement au monde entier !
Concernant la production de vaccins, les mêmes problèmes se posent, d'autant plus que, à la différence des antiviraux, ces produits ont une durée de vie très limitée.
Monsieur le ministre, avez-vous débloqué des fonds pour les pays en voie de développement ?
Pour conclure, j'insiste sur le fait qu'il faut engager une action déterminée en matière de protection et de prévention contre une éventuelle et future pandémie de grippe humaine. Cela relève de la responsabilité du Gouvernement de dégager des moyens importants et de s'appuyer sur le système français de santé publique, sur la sécurité sociale, les hôpitaux publics et militaires, qu'il faut maintenant coordonner de manière active.
Le Gouvernement doit assurer une information transparente et régulière de tous les acteurs politiques, de santé, mais également de l'opinion publique. Seule une transparence totale permettra de lutter contre une quelconque psychose et de préparer la façon dont nos concitoyens devront se conduire. Il faut conjuguer prévention, veille sanitaire, politiques publiques et solidarité internationale. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, comme je l'avais annoncé, nous allons interrompre nos travaux pendant vingt minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à douze heures dix.)
(M. Philippe Richert remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About à M. le ministre de la santé et des solidarités sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est au nom du groupe UMP que je m'exprime.
Comme beaucoup de nos collègues, comme beaucoup de nos concitoyens aussi, n'étant pas experts, nous nous interrogeons avec le souci de comprendre. Des lectures et des rencontres avec des experts nous ont également aidés dans notre démarche.
Que comprendre et que sait-on ?
Premièrement, le virus de la grippe aviaire, nous disent les experts, existe depuis très longtemps.
M. Nicolas About. Toutes les grippes sont aviaires !
Mme Marie-Thérèse Hermange. En 1997, à Hong Kong, il est apparu pour la première fois sous une forme hautement pathogène, tuant les poulets en quarante-huit heures, avec un taux de mortalité voisin de 100 %. Cet épisode a coïncidé avec la première flambée humaine de dix-huit cas grippaux, dont six mortels.
Deuxièmement, le virus de la grippe aviaire, lorsqu'il atteint un animal, est particulièrement virulent et mortel. Selon les experts, ce virus qui, pour le moment, ne touche que l'animal a d'ores et déjà entraîné des catastrophes économiques dans les pays les plus touchés.
Ainsi, lors des flambées asiatiques du virus au début de l'année 2004, 120 millions d'oiseaux d'élevage sont morts. Les conséquences économiques ont été dramatiques, car une part importante des volailles est élevée dans de petites fermes rurales qui procurent aux familles une source importante de revenus et 30 % de l'apport en protides alimentaires total. Les pertes économiques ont été évaluées à 10 milliards de dollars.
Troisièmement, le dernier congrès des vétérinaires vient de nous rappeler - je m'étonne d'ailleurs que ce sujet n'ait pas fait l'objet de communications plus importantes - que nous pouvons manger de la volaille cuite ou même crue, ...
M. Nicolas About. C'est vrai !
Mme Marie-Thérèse Hermange. ... à condition qu'il s'agisse bien du virus de la grippe aviaire animale, parce que le patrimoine génétique de la grippe aviaire contaminé est celui du patrimoine génétique de l'ADN du poulet.
De plus, même si une volaille contaminée par le virus de la grippe animale est mutée avec le virus humain, il serait possible de manger cette volaille à condition de la cuire, puisque ce virus meurt à la cuisson.
M. Nicolas About. Et même dans l'estomac.
Mme Marie-Thérèse Hermange. En conséquence - et le président de notre groupe y tient beaucoup -, il convient de faire un effort de communication en la matière, afin d'aider, notamment à l'approche de Noël, la filière aviaire française, pénalisée par la baisse très nette - de l'ordre de 25 % - de la consommation de volailles dans notre pays. C'est encore pire en Italie, où la baisse est de 40 % et où un très maladroit message a été diffusé concernant des sportifs de haut niveau qui ne consommeraient désormais plus de volailles.
La polémique sur les oeufs crus provoquée par l'EFSA, organisme de sécurité alimentaire européen, n'a rien arrangé. Cela démontre bien l'indispensable effort de communication et de sérénité dont nous devons faire preuve pour ne pas créer plus de dégâts encore.
M. Nicolas About. Tout à fait !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Quatrièmement, les experts nous disent que ce virus H5N1 est un virus qui affecte l'animal. En effet, si le virus ADN n'a pas la clef ADN de mon patrimoine génétique, il ne peut affecter ma cellule. C'est comme si l'on voulait ouvrir la porte de la Banque de France avec la clé de son appartement ! En d'autres termes, il ne semble pas possible que, génétiquement et physiquement, le virus de la grippe aviaire puisse se coupler avec le virus de la grippe aviaire humaine, donnant lieu à un nouveau virus.
M. Nicolas About. Ça, ce n'est pas sûr !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Les seuls virus animaux qui se transmettent à l'homme sont, m'a-t-on dit, des zoonoses, c'est-à-dire des virus possédant à la fois le patrimoine génétique de l'animal et le patrimoine génétique de l'homme. Le dictionnaire nous indique que la rage, la brucellose, la tuberculose sont des zoonoses. Il n'est pas fait mention de la grippe aviaire.
Ainsi, selon le docteur Margaret Chan qui travaille pour l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, le virus aviaire H5N1 possède aujourd'hui deux des trois caractéristiques d'un virus pandémique : il est inconnu du système immunitaire humain ; il lui manque la possibilité d'être transmis facilement d'homme à homme.
M. Nicolas About. Mais il l'a été de l'animal à l'homme !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Dans ces conditions, comment une recombinaison en un virus transmissible à l'homme est-elle possible ? Est-ce en raison du progrès scientifique, qui permettrait la mutation de ce virus ?
Si tel était le cas, on comprendrait que, depuis le début de l'épidémie, un peu plus d'une centaine de cas humains, dont une soixantaine de décès, d'après l'OMS, aient été confirmés, qui seraient la conséquence d'une contamination de l'animal à l'homme.
Lors de votre audition par la commission des affaires sociales du Sénat, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que, dans l'hypothèse d'une recombinaison du virus avec transmission interhumaine, le nombre de cas pourrait être important dans notre pays. Selon une modélisation réalisée par l'Institut de veille sanitaire, on pourrait constater, en l'absence d'intervention, 200 000 décès et un million d'hospitalisations.
Les chiffres ainsi annoncés sont très impressionnants et amènent nos concitoyens à se poser bon nombre de questions. Comment le virus peut-il muter ? Saurons-nous le contenir, le réduire, s'il devenait tout à coup transmissible à l'homme ? Sommes-nous prêts à affronter la réalité d'une pandémie humaine ?
Sous votre impulsion, monsieur le ministre, le Gouvernement a doté la France d'un plan de lutte contre une éventuelle pandémie. Je ne reviendrai pas sur les mesures vétérinaires qui ont été évoquées par mes collègues, ni sur les dispositions de portée concrète qui ont été prises sur le plan sanitaire, si ce n'est pour demander comment la population, notamment les personnes d'origine étrangère, en sera informée, y compris au sein, par exemple, des structures de la protection maternelle et infantile.
En ce qui concerne les masques, je poserai exactement la même question que M. Nicolas About. Des commandes d'un volume important ont été passées, nous avez-vous dit, monsieur le ministre. Certains hôpitaux ont d'ores et déjà été livrés, mais quels seront les critères de priorité ?
S'agissant des médicaments existants, plusieurs interrogations sont en suspens.
Dispose-t-on de preuves de l'efficacité des antiviraux, les informations étant, à cet égard, parfois contradictoires ? Est-il vrai que, pour être efficaces, ils doivent impérativement être administrés dans les quarante-huit premières heures ? Comment les médecins sauront-ils à quel moment ils devront les prescrire ? Ne prend-on pas le risque de favoriser le développement de résistances ?
En outre, a été évoquée à plusieurs reprises l'importance d'organiser la distribution de ces médicaments. Eu égard à la psychose qui a provoqué une ruée dans toutes les pharmacies pour se procurer les antiviraux, les fameux Tamiflu et Relenza, la décision de confier à l'armée la conservation et la distribution des stocks semble bien entendu judicieuse, tant il est vrai qu'il apparaît dangereux de faire peser sur les pharmaciens d'officine une telle responsabilité, et les risques qui l'accompagnent. Cependant, je souhaiterais connaître la façon dont ce dispositif est mis en place en vue d'assurer le conditionnement et l'acheminement des médicaments en toute sécurité et avec rapidité, sans oublier, bien évidemment, l'outre-mer, ni les Français installés à l'étranger.
Par ailleurs, des scientifiques ont affirmé qu'un certain nombre de molécules étaient disponibles mais qu'elles n'avaient pas été commercialisées, n'étant pas assez rentables. Existe-t-il des pistes à explorer sur ce plan ?
Concernant le vaccin, vous avez rappelé, monsieur le ministre, que de six à huit mois seraient nécessaires pour élaborer un vaccin efficace et en diffuser les premières doses. D'ores et déjà, les laboratoires pharmaceutiques s'entraînent sur les souches connues du virus, telles que H5N1, ou même sur le virus de la « grippe espagnole », qui serait du même type.
Certains évoquent en outre la possibilité de vaccins ADN, qui pourraient être fabriqués plus facilement. Qu'en sait-on ? En effet, comme l'a souligné M. Deneux, comment fabriquer un vaccin contre un virus qui n'existe pas ?
Je voudrais aussi aborder le problème de la vaccination contre le virus de la grippe saisonnière. Alors que l'on est certain de son inefficacité contre la grippe aviaire (M. Nicolas About s'étonne), tous les records de vaccination sont actuellement battus. Cela permet de programmer l'augmentation de la capacité de production d'un futur vaccin par les laboratoires. S'agissant des personnes vaccinées qui présenteront certains symptômes révélateurs, les professionnels de santé pourront soupçonner plus rapidement le virus de la grippe aviaire, éventuellement recombiné. Enfin, si le nombre de malades atteints de la grippe saisonnière reste limité, la probabilité que des personnes servent de « creuset » pour l'apparition d'un nouveau sous-type viral se réduira.
Toutefois, nous avons consommé beaucoup plus vite que prévu le stock des vaccins fabriqués pour l'année en cours. Or, pour le moment, on ne sait pas si les personnes à risque ont anticipé la vaccination ou si c'est un autre public qui s'est fait vacciner. Dans la seconde hypothèse, le risque de pénurie est réel. Cette situation est regrettable et nécessite, me semble-t-il, que l'on lance un appel à la raison.
De plus, en cas de risque de mutation du virus vers une forme humaine, des mesures extrêmes ont été évoquées, notamment par M. About : fermeture des écoles, arrêt des transports, suspension des activités professionnelles afin de limiter les possibilités de transmission du virus. Ce seraient là de très graves décisions, lourdes de conséquences sur le plan de la vie économique, qui risqueraient de déboucher sur une crise économique d'une ampleur dramatique. Il ne faudrait pas que la paralysie du pays provoquée par de telles décisions puisse avoir des conséquences encore plus graves que la pandémie elle-même, sachant que de telles mesures ne feraient que retarder celle-ci de quelques semaines, selon un expert de Londres.
Mon avant-dernière observation concernera l'importance de la communication dans l'information du public, d'une part - j'ai évoqué tout à l'heure les conclusions du congrès international de vétérinaires qui s'est tenu voilà trois semaines, dont la population n'a absolument pas été informée -, dans la réussite de la riposte à une éventuelle pandémie, d'autre part.
En effet, il est important de comprendre la réalité des risques de transmission sans s'affoler pour autant, d'adapter ses comportements à l'évolution de la situation, d'adhérer aux mesures d'intérêt collectif en termes de bon usage des masques, des antiviraux et des vaccins.
C'est sans aucun doute sur cette communication que nos efforts, ainsi que ceux des médias, doivent porter, afin que chacun puisse disposer de toute l'information nécessaire pour agir de façon sereine, cohérente et efficace devant le risque. Il ne faut ni affoler ni entrer dans le déni. Une grande transparence est donc nécessaire. A cet égard, certains s'interrogent sur la médiatisation importante de cette maladie. Là encore, le traitement de l'information doit être maîtrisé, et les journalistes doivent prendre leur part de responsabilités.
Enfin, monsieur le ministre, la réelle question n'est-elle pas la suivante : au regard de ces nouveaux virus - notamment ceux du SRAS et de la grippe aviaire - et des progrès scientifiques, quelle stratégie politique, au sens global du terme, doit être conduite à l'échelon mondial ? Parce que ce type de virus n'a besoin d'aucun visa pour franchir nos frontières, nous devons lutter tous ensemble, sur le plan mondial, contre sa diffusion, avec, je le répète, sérénité, mais aussi efficacité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer l'initiative de M. Nicolas About, qui est à l'origine de ce débat nécessaire sur la grippe aviaire.
Nous sommes devant le risque d'une catastrophe sanitaire majeure dont la survenance est encore incertaine. C'est là une situation sans précédent.
Par son action, l'homme peut encore agir pour éloigner la menace, alors que, communément, nous ne faisons trop souvent que réagir à des fléaux déjà inscrits dans la réalité. Cette capacité d'anticipation est un atout majeur.
Cela étant, je voudrais attirer votre attention sur la réalité, à l'échelle de la Réunion, d'une véritable catastrophe sanitaire qui, d'ores et déjà, fait des ravages : je veux parler du Chikungunya.
Ce mot de la langue swahili qui signifie, en français, « les os brisés » recouvre une maladie qui engendre des douleurs articulaires aiguës, invalidantes, et qui peut durer plusieurs mois. Si la maladie n'est pas reconnue comme mortelle, la DRASS, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales, vient cependant de révéler qu'elle peut déclencher de graves complications neurologiques, notamment des encéphalites.
Ainsi, deux cas d'encéphalite ont été formellement établis, et deux autres sont qualifiés de « hautement probables » par l'Institut Pasteur. Dans l'un des cas avérés, il s'agit d'une encéphalite développée par un nourrisson, à la suite de la transmission du virus de la mère à l'enfant.
A la Réunion, à l'heure actuelle, plus de 4 000 personnes sont officiellement atteintes par la maladie. Mais, selon d'autres sources, ce seraient 20 000 personnes qui seraient contaminées, et les cas de contamination se dénombrent encore journellement : plus de cent sont détectés chaque semaine.
Nous sommes donc devant une véritable épidémie. Un médecin de la DRASS a déclaré qu'il faut s'attendre à ce que cela devienne endémique. Selon un journal local, « la certitude d'une explosion de l'épidémie avec le retour de la saison cyclonique prend une tournure de fatalité ».
Alerté, à mon sens un peu tardivement, le ministre de l'outre-mer, M. François Baroin, a demandé à M. le préfet de la Réunion de présenter un plan départemental de lutte renforcée, ce qui a été fait.
Toutefois, ce plan, reposant pour l'essentiel sur les moyens humains que peuvent mobiliser les communes, ne nous semble pas à la mesure des besoins. Il y a lieu, compte tenu de la gravité de la situation, présente et à venir, d'élaborer à l'échelon de l'Etat un vaste plan d'éradication de l'épidémie, comme celui qui fut mis en oeuvre dans les années cinquante contre le paludisme, la Réunion ayant été citée en exemple à cet égard. Un service de prophylaxie dense et efficace avait alors eu raison de cette maladie.
Il conviendrait d'en faire autant cette fois-ci. Cela suppose que les communes, si elles doivent être sollicitées, voient leurs moyens renforcés par ceux de la DRASS, ainsi que par des moyens exceptionnels de l'Etat. On pourrait également mobiliser des jeunes filles et de jeunes hommes par le biais de contrats aidés, sous la responsabilité de la DRASS.
A partir de ces expériences, nous pourrions ainsi créer un véritable service de veille sanitaire et social, qui pourrait également prévenir le danger de la grippe aviaire.
Enfin, comme le Chikungunya est une maladie qui nous vient des pays du sud-ouest de l'océan Indien, l'expérience réunionnaise pourrait servir à nos voisins immédiats, dans le cadre d'une opération sanitaire souhaitée par tous, notamment par nos partenaires de la Commission de l'océan Indien.
Les Réunionnais ont observé avec une certaine perplexité la mauvaise publicité faite à un cas de grippe aviaire non avéré dans leur île, alors qu'ils ont le sentiment que tout n'est pas mis en oeuvre pour juguler l'épidémie du Chinkungunya. Il y a là non seulement un danger pour la santé publique, mais aussi une perte économique et sociale que la Réunion ne peut accepter, liée à l'immobilisation pendant plusieurs mois de milliers de travailleurs.
Dans ce contexte, vous comprendrez, monsieur le ministre, que vos réponses sont très attendues aujourd'hui par les Réunionnais.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les remarques que je voulais formuler à l'occasion de ce débat. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le ministre, comme mes propos risquent de paraître terre à terre après toutes les considérations qu'il nous a été donné d'entendre sur la santé humaine, je tiens d'emblée à préciser que je partage tout à fait les préoccupations de mes collègues Patricia Schillinger, qui m'a précédée à cette tribune, et Marie-Christine Blandin, qui interviendra après moi.
J'aurais pu, vous le comprendrez, m'adresser à M. le ministre de l'agriculture, mais c'est en votre qualité de ministre délégué auprès du ministre des solidarités que je vous interpelle, ce matin.
Mon intervention ne concernera que l'aspect économique de ces graves problèmes que pose l'éventuel risque d'une éventuelle pandémie, qui n'existe pas encore à la différence du risque d'épizootie que nous avons déjà connu, y compris en Europe, sans qu'il donne lieu à cette surenchère sécuritaire qui précipite dans une crise bien réelle et très profonde toute une filière agricole et agroalimentaire : celle de la volaille.
C'est cette situation qui a conduit, la semaine dernière, un journal spécialisé à titrer : « la volaille victime de l'inconséquence politique et de l'incontinence médiatique ». Ce jugement est certes très sévère, mais on peut le comprendre lorsque, comme moi, on représente un département, le Morbihan, où l'agroalimentaire et l'élevage, notamment de la volaille, représentent le socle du développement économique et de l'équilibre du territoire.
M. Nicolas About. Il faut manger du poulet : c'est délicieux !
Mme Odette Herviaux. Exactement !
On comprend d'autant mieux l'amertume, voire la colère de ceux qui, en bout de chaîne - éleveurs, salariés des industries agroalimentaires -, vont faire et font déjà les frais de cette psychose que, parallèlement, la voix des experts n'arrive pas à se faire entendre pour lever les doutes sur la qualité sanitaire de nos produits.
Naturellement, d'autres secteurs économiques risquent, eux aussi, d'être touchés mais dans une moindre mesure, du moins à l'heure actuelle : la restauration, la restauration collective, le tourisme et l'aéronautique.
Quelques-uns de mes collègues se sont également inquiétés du sort réservé à tous les ressortissants français de l'étranger et ont cherché à savoir s'il était prévu de prendre des mesures spécifiques pour assurer leur protection sanitaire.
Seuls le secteur pharmaceutique et les laboratoires, ce qui semble normal, profitent de cette situation : certains ont vu leur vente de vaccins multipliée par trois, et l'un des grands groupes déjà cités comptabilise déjà 225 millions d'euros de bénéfices supplémentaires cette année !
Alors même que nous n'avons toujours aucune preuve scientifique de contamination d'être humain à être humain,...
M. Nicolas About. On s'interroge...
Mme Odette Herviaux. ...on semble vouloir tout mettre en oeuvre, à grands renforts de médias, pour montrer que, cette fois-ci, on a bien anticipé.
Bien sûr - et je ne cesserai de le répéter -, le principe de précaution est une bonne chose, surtout lorsqu'il y a risque avéré ! Mais permettez-moi de vous demander comment vous comptez intervenir là où, a contrario, les problèmes sont réels, là où se recensent les premières victimes économiques.
A ce propos, il m'apparaît nécessaire de faire le point sur ce qui se passe depuis quelques semaines dans la filière volaille.
La consommation a baissé en moyenne d'environ 25 %, voire, selon d'aucuns, de 30 %. Selon les types de volailles, leur signe de qualité, leur présentation - entiers, frais ou congelés, en découpe ou en plats préparés -, cette baisse peut atteindre 50 %, tandis que les cours ont chuté jusqu'à 40 % ! Ce matin même, je lisais que le groupe LDC, leader européen, qui commercialise des marques connues comme Loué ou encore Le Gaulois, parlait d'un risque de perte de plus de 10 millions d'euros.
Pendant ce temps, bizarrement - et c'est la ménagère qui vous parle -, dans certaines grandes surfaces de ma région, les rayons « volailles » sont pratiquement vides et il est très difficile de trouver du poulet label : comprenne qui pourra... Serait-il intéressant de liquider les stocks et de faire baisser les prix en diminuant les commandes ? La question se pose.
Alors, oui, monsieur le ministre, les seules victimes chez nous sont, d'abord, les salariés intérimaires, déjà licenciés, peut-être, ensuite, les autres salariés du secteur agroalimentaire et, bien sûr, les éleveurs, dont certains ont vu leur vide sanitaire entre deux lots passer de quinze jours à cinq semaines, ce qui se traduit mathématiquement pour eux par trois semaines supplémentaires sans revenus.
Dans le secteur des poules pondeuses, le Comité national pour la promotion de l'oeuf dit carrément « stop » aux créations d'élevages et s'apprête à enquêter sur le nombre de places disponibles. La production d'oeufs en France est pourtant soumise, dans son ensemble, à l'obligation de marquage.
M. Nicolas About. Et il faut des oeufs pour faire les vaccins.
Mme Odette Herviaux. Qu'est-il prévu de faire, monsieur le ministre, pour aider tous ceux qui seront victimes de cette chute des ventes et de ces restructurations ?
Pourtant, nous le savons tous ici, nos producteurs sont des professionnels sérieux et compétents qui ne prendraient jamais de risques inutiles, car ils savent bien qu'ils seraient encore une fois les premiers touchés.
Chez nous, certains éleveurs, qui ont fait le choix du haut de gamme, du label, des circuits courts enregistrent peu ou pas de baisse de leurs ventes. Cette confiance des consommateurs avertis ne doit pas être remise en cause par des décisions ou des discours qui utiliseraient la peur de nos concitoyens.
M. Nicolas About. Tout à fait !
Mme Odette Herviaux. En revanche, il est temps de prendre des mesures pour aider une filière où le laisser-faire entraînera des restructurations « à la hussarde » dramatiques, avec la disparition de nombreux éleveurs, déjà en difficulté, et de certaines entreprises agroalimentaires.
Nous savons tous que cette crise fragilise plus certains industriels que d'autres qui auront peut-être l'opportunité de reprendre des sociétés ou des parts d'activité de grands groupes ! Ceux-là, bien sûr, ne sont pas forcément pressés de demander des mesures visant à préserver les emplois salariés et les éleveurs intégrés, ce qui fait dire à certains syndicats que cette pandémie, éventuelle pour le moment, n'est qu'un prétexte à de nouveaux licenciements et à une restructuration à bon compte dans une filière déjà grandement fragilisée.
Concernant le nécessaire principe de précaution et les exercices de simulation, je souhaite attirer votre attention sur ce qui s'est passé la semaine dernière à Kergloff, petit bourg finistérien d'environ 900 habitants, qui a vu sa population pratiquement doubler du jour au lendemain et qui a fait la une de tous nos journaux régionaux.
Bonne nouvelle, monsieur le ministre, le bilan y a été positif : notre région est prête à réagir si, par malheur, l'épizootie y démarrait ! Tout semble avoir fonctionné comme prévu, sous l'oeil attentif de 110 ou 130 journalistes - on ne sait plus - qui, dans la bousculade générale, n'ont malheureusement favorisé ni le sérieux requis ni l'image rassurante que le milieu agricole est en droit de souhaiter.
Mais j'ose espérer que, dans un cas réel, la circulation des personnes serait limitée. A ce constat, j'ajouterai cette petite information supplémentaire, prise à la source : certains camions de ramassage laitier n'auraient pas été « décontaminés », oubli fâcheux sachant que ce sont eux qui circulent le plus de ferme en ferme !
En outre, les éleveurs craignent que tout ce tapage, à force d'être surmédiatisé, ne fasse qu'accentuer la psychose ambiante. Les combinaisons, les masques, les pédiluves et autres instruments de précaution parlent encore à nos populations rurales qui ont connu, voilà quelques années, la fièvre aphteuse ou la peste porcine et qui sont capables de faire la part des choses. Mais ces images relayées à grand renfort de médias risquent de jouer sur la peur de consommateurs ignorants des mesures de prophylaxie et des normes sanitaires rigoureuses de l'élevage français en général.
Pour conclure, monsieur le ministre - et c'est, à travers vous, au ministre des solidarités que je m'adresse -, je redirai que précaution, prévention et transparence sont bien sûr nécessaires, tout comme une communication claire sur la qualité de nos produits, en direction des consommateurs, mais surtout qu'il y a urgence à prendre des mesures efficaces en faveur de toute cette filière volaille, notamment dans les régions ou les départements où elle est particulièrement importante. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, récemment, le Président de la République, M. Jacques Chirac, a reçu le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé et a proposé l'aide de la France pour les pays exposés au risque de grippe aviaire, en soulignant l'urgence d'une réaction internationale face à l'épidémie.
On a retenu de cet entretien que la question n'était pas de savoir si une pandémie de grippe aviaire était possible, mais quand elle se déclarerait.
Nous sommes donc face à deux problèmes : premièrement, le problème immédiat de la protection des hommes vis-à-vis des animaux ; deuxièmement, le risque de transmission du virus d'homme à homme.
En tant que sénateur des Français de l'étranger, sachant que les foyers d'influenza aviaire sont en Asie du Sud-Est, je m'interroge sur le sort de nos compatriotes en Indonésie -1974 personnes -, au Cambodge - 2465 personnes -, au Vietnam - 855 personnes - et en Thaïlande - 5092 personnes -, ces quatre pays totalisant une soixantaine de morts sur les 112 personnes contaminées.
La propagation du virus H5N1 de la grippe aviaire dans les pays au-delà de l'Asie du Sud-Est confirme l'alerte lancée par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, selon laquelle la maladie constitue un problème international exigeant une réponse à l'échelle mondiale.
Le virus, qui se propage actuellement vers l'Ouest le long des routes des oiseaux migrateurs, est désormais arrivé aux portes de l'Europe. A ce rythme, il devrait atteindre très prochainement le Moyen-Orient et certains pays d'Afrique.
Certaines données montrent que le virus, ayant trouvé une niche écologique chez les volailles, est maintenant endémique dans plusieurs parties d'Asie.
Le risque de nouveaux cas humains va persister, de même que le risque d'émergence d'un virus pandémique.
Des flambées se sont déclarées de façon récurrente malgré des mesures de lutte énergiques, y compris l'abattage de plus de 140 millions de volailles.
Le virus peut être combattu et maîtrisé si les pays et la communauté internationale travaillent en étroite coopération et mettent en place des programmes efficaces de vigilance et de lutte.
Les manifestations du virus chez les animaux doivent faire l'objet d'un dépistage précoce, les volailles infectées doivent être abattues et les animaux à risque vaccinés. Réduire l'influenza aviaire chez les animaux contribue directement à protéger la santé humaine.
En outre, la propagation éventuelle du virus aux pays africains serait une catastrophe, étant donné le manque d'infrastructures sanitaires et vétérinaires.
Les pays touchés en Asie du Sud-Est ont montré que le virus peut être circonscrit avec succès.
La Thaïlande a obtenu une réduction considérable des foyers en investissant massivement dans la lutte contre la maladie chez les volailles, qui passe par l'abattage, une surveillance améliorée et une recherche active de la maladie.
Au Vietnam, une meilleure hygiène dans les exploitations, de meilleures pratiques agricoles, le contrôle des mouvements de volailles et des campagnes de vaccination ont été mis en place pour réduire la fréquence des flambées d'influenza aviaire.
Plusieurs pays comme la Malaisie, la Corée du Sud et le Japon ont éliminé la maladie rapidement dès l'apparition de nouveaux foyers.
Pour gagner la bataille contre la grippe aviaire, les contacts étroits entre humains, volailles domestiques et oiseaux sauvages doivent être limités ; les poulets, les canards et autres espèces domestiques doivent être séparés ; les oiseaux sauvages doivent être tenus à l'écart de la production avicole autant que possible ; les marchés d'animaux, et plus particulièrement les marchés flottants d'Asie du Sud-Est, où règne la promiscuité entre les animaux sauvages et les animaux domestiques, doivent être surveillés de très près.
Compte tenu du caractère imprévisible de l'évolution de la menace, il faut pouvoir disposer d'un système d'alerte précoce sensible pour déceler les premiers signes de changement dans le comportement du virus.
Dans les pays à risque, les systèmes d'information épidémiologique et les capacités des services sanitaires, vétérinaires et de laboratoire sont malheureusement faibles.
La plupart des pays touchés ne peuvent indemniser suffisamment les agriculteurs en cas d'abattage de volailles, ce qui décourage le signalement des flambées épidémiques dans les zones rurales où la grande majorité des cas humains se sont déclarés. Les services vétérinaires ont souvent du mal à atteindre ces zones.
La pauvreté rurale perpétue les comportements à haut risque, y compris l'abattage traditionnel à domicile et la consommation d'oiseaux malades.
Les pays touchés et la communauté internationale doivent investir davantage et de toute urgence dans un soutien aux services vétérinaires pour pallier leur insuffisance dans de nombreux pays pauvres.
Les pays à risque et la communauté internationale doivent agir sans délai pour maîtriser la grippe aviaire à la source, donc chez les animaux, car la meilleure possibilité de collaboration internationale, dans l'intérêt de tous les pays, se présente avant le début de la pandémie, c'est-à-dire maintenant.
Dans ce contexte difficile, monsieur le ministre, quelles sont les mesures prises pour établir la coopération internationale requise ?
En cas de flambée de la pandémie dans les zones concernées, quelles sont les mesures envisagées pour l'organisation des rapatriements d'urgence des Français établis hors de France ?
Des mises en quarantaine seront-elles prévues pour nos compatriotes dans ces régions ou une fois de retour sur notre territoire ?
Quel est le niveau de réserve de médicaments antiviraux et de masques pour les Français de l'étranger ?
Nos compatriotes de l'étranger sont-ils suffisamment informés et peut-on compter sur la mise en oeuvre d'un plan de sécurité spécifique ?
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'apporter votre éclairage sur ces mesures préventives et sanitaires prises en faveur de nos compatriotes expatriés. (Applaudissements.)
M. Nicolas About. C'est très important !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs, quand on regarde le dispositif français, inscrit dans la coopération européenne et attentif aux recommandations de l'OMS, médias, élus ou spécialistes arrivent à la même conclusion : la France se prépare bien mais n'est pas prête. Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques que j'ai élaboré avec le député Jean-Pierre Door met d'ailleurs en évidence la réelle mobilisation des pouvoirs publics, mais sa fragilité si d'aventure se déclarait une pandémie. Malgré les efforts, tout plan d'urgence repose sur un contexte sanitaire, social, culturel, et c'est sans doute là que le bât blesse.
Dans les années trente, Fleming déclarait : « tous les microbes seront battus avant l'an 2000 » ; depuis les années soixante, une confiance excessive dans la toute-puissance des antibiotiques...
M. Nicolas About. Et même avant !
Mme Marie-Christine Blandin. ...- je rappelle qu'ils n'ont pas d'effet sur les virus - a conduit à des choix architecturaux hospitaliers incompatibles avec la prévention et la contention d'une épidémie.
On a renoncé aux « pavillons des contagieux », structures isolées qui évitaient le contact répété entre malades de tous types de pathologies. Quelques exceptions demeurent, comme le service du professeur Mouton à Tourcoing, dans lequel ont été mis au point un équipement et une stratégie irréprochables.
Mme Marie-Christine Blandin. Mais ailleurs, les rares chambres d'isolement potentiel sont, hélas ! au coeur de l'hôpital. Un accueil et des circulations séparés s'avèrent impossibles, non seulement pour des raisons structurelles, mais aussi du fait de l'état sinistré des ressources humaines.
Le maintien des malades à domicile sera la règle, mais personne ne peut ignorer l'impact déterminant des premiers cas qui se présenteront à l'hôpital. Et une épidémie pourrait être le tragique révélateur de la précarité des moyens des hôpitaux.
Ce maintien à domicile m'amène à aborder le second point faible du plan « pandémie grippale » : c'est son élaboration assez dogmatique, où l'on sent l'esprit « militaire » centraliser des propositions, certes éclairées de la compétence des scientifiques, mais peu nourries de dialogue.
A-t-on pensé, par exemple, au circuit des plumes souillées pour couettes et oreillers ? Les déclinaisons sur le terrain risquent de buter sur des réalités quotidiennes non prises en compte. Les vertus de la démocratie participative auraient pourtant pu qualifier avec profit ce plan.
Bien entendu, il n'est pas question de saisir toute la société pour une pandémie dont l'arrivée reste totalement hypothétique. Mais associer un panel d'habitants, d'élus locaux, de professionnels d'un territoire pour une réflexion commune sur la faisabilité aurait été bienvenu. Je parle non pas de l'exécution d'un exercice de simulation, mais de l'élaboration en amont.
L'exemple type du professionnel de santé réquisitionné qui ne peut pas quitter son domicile parce que ses enfants en bas âge sont là, l'école ayant été fermée, appelle nécessairement des réponses.
Mme Marie-Christine Blandin. Si le recours aux étudiants pour assurer la garde est bienvenu, c'est nécessairement au maire que reviendra la tâche organisationnelle : quelle liste de contacts, quels préparatifs, quel repérage des transports ? Voilà des questions pour les usagers d'un territoire, à commencer par les élus locaux. Il est des choix qui semblent très efficaces sur le papier dans un bureau, à Paris, mais que « l'intelligence collective » peut qualifier, infléchir ou même remettre en cause si l'environnement local les rend impraticables. Faute de quoi, c'est à l'usage qu'un arbitrage autoritaire peut révéler des incohérences.
L'ordre d'enfermer toutes les volailles fut de ceux-là, puisque certains éleveurs n'avaient pas la place pour le faire, puisque d'autres, en le faisant, contrevenaient aux obligations de leur label. Travailler le sujet en amont avec quelques-uns d'entre eux aurait sans doute permis de trouver des solutions satisfaisantes et d'éviter quelques jours d'errements. Cet épisode est une alerte pour les arbitrages prévus pour la population en cas d'épidémie : mesurons la faisabilité avec les intéressés.
De plus, l'enfermement des volailles domestiques, qui préserve de la contamination par le contact avec la faune sauvage, présente d'autres inconvénients : la proximité inédite, l'état de stress des organismes accoutumés à la liberté, l'homogénéité des races favorisent des déséquilibres somatiques propices à la mutation virale, ce qui est à redouter.
Je voudrais maintenant m'éloigner de l'urgence, celle-ci ayant été largement évoquée.
Une pandémie est certes le résultat de la virulence d'un microbe, et la mutation possible d'un H5N1 en germe compatible avec les oiseaux, les hommes, et la contagion d'homme à homme sont des facteurs de risques réels et graves. Mais l'apparition et la diffusion d'une pandémie sont aussi profondément dépendantes de l'état de la société, de sa solidarité et de sa culture.
Nos pays nantis ont bien écouté l'OMS.
M. Nicolas About. Et son organisation !
Mme Marie-Christine Blandin. Ils n'ont pas été aussi attentifs aux messages de la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, et de l'OIE, l'Organisation mondiale de la santé animale. Ceux-ci alertaient sur le risque de ces millions de poulets et de canards élevés en Orient, les uns contre les autres, sans vaccination, en contact étroit avec les nourrisseurs et les vendeurs, tous en situation précaire, dans une hygiène déplorable, et aujourd'hui peu enclins à déclarer un animal malade...
M. Nicolas About. Bien sûr !
Mme Marie-Christine Blandin. ...parce que leur survie économique en dépend, et le tout dans des pays parfois peu zélés, tant ils manquent de protéines. Ces organismes nous ont alertés sur le devoir impératif de solidarité vétérinaire et sanitaire.
Demain, nous, pays riches, devons aussi nous assurer de la fabrication de médicaments et de vaccins pour ces pays démunis. La fortune du laboratoire Roche et la plus forte hausse hier au CAC 40 du groupe Sanofi-Pasteur le permettent.
J'ajouterai la nécessité d'un conservatoire des espèces aviaires si abattage massif il devait y avoir. Voilà pour la solidarité Nord-Sud.
Je terminerai par trois domaines où le Gouvernement laisse, hélas ! des friches : la culture scientifique, la culture pastorienne, la culture de solidarité.
La culture scientifique en France, portée à bout de bras par des associations fragilisées, n'est pas assez prise en compte par le Gouvernement. Comment s'étonner, dans un tel contexte, que, dès les premières alertes des médias, les gens ont oscillé entre croyances fallacieuses et indifférence ignorante ?
Les éleveurs en ont fait injustement les frais, car les consommateurs, ignorant les notions les plus élémentaires de contagion et les méthodes les plus simples de stérilisation, se sont détournés du poulet rôti et du magret de canard.
En revanche, là où il y a risque accru, quand les poulaillers industriels sont voisins des porcheries, on n'explique pas aux gens comment le cochon pourrait devenir l'incubateur naturel d'une recombinaison génétique entre virus de grippe humaine et virus de grippe aviaire.
Le savoir scientifique est un droit dont le bon usage et le partage régulier éloignent les peurs irrationnelles et les comportements à risque.
Dans notre illusion d'une technologie toute puissante, nous avons aussi oublié Pasteur et l'hygiène associée. A l'école, on enseigne peut-être encore l'utilité du lavage des mains... mais il n'y a ni le temps ni les lavabos pour le faire dès le collège.
Et l'on préfère proclamer des normes et des nombres de masques - certes indispensables - avant les crises, plutôt que de mobiliser l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INPES, sur de simples schémas expliquant la contagion par la toux ou la stérilisation d'un tissu humide dans un four à micro-ondes.
Pensons aussi pédagogie : nos aéroports affichent des avertissements en anglais, en français et en chinois, mais ne disposent pas d'infographies parlantes pour tous sur les premiers symptômes nécessitant une consultation.
La culture la moins sollicitée est enfin celle de la solidarité. La façon honteuse dont le Tamiflu a disparu des pharmacies est un bel exemple d'individualisme, si ce n'est d'égoïsme coupable. En effet, si ce médicament antiviral est aujourd'hui inutile dans les armoires de ceux qui l'ont acquis, il manque à ceux qui ont contracté la grippe actuelle et dont l'organisme fragile ou vieillissant nécessite cet appui pharmaceutique.
La solidarité, c'est aussi veiller par la bonne information des personnes les plus concernées, les médecins généralistes, à faire taire les rumeurs. Il n'est pas normal que le docteur de ma voisine lui confirme qu'il n'y a plus de Tamiflu parce que la France aurait tout envoyé aux Chinois !
Une épidémie, voire une pandémie, ne peut s'enrayer par une simple gestion de santé publique et de sécurité civile. La solidarité locale sera fondamentale. C'est tout un état d'esprit à reconstruire, les dégâts de la canicule nous le rappellent : solidarités intergénérationnelles, dispositifs ruraux, entraide de quartiers, anticipation d'un appui précoce, spécifique pour les plus fragiles - SDF, foyers d'accueils, SAMU social, sans-papiers.
La diffusion de cette culture relève aussi de la responsabilité d'un plan de pandémie grippale : les médecins, les élus locaux ont besoin d'avoir des informations scientifiques, des indications stratégiques actualisées et des incitations à un dialogue plus serein pour éclairer précisément leurs patients inquiets, et préparer des réponses moins individualistes, si par hasard la possible recombinaison génétique d'un virus H5N1 le rendait apte à la contagion d'être humain à être humain. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier M. Nicolas About et la Haute Assemblée de l'initiative qui a été prise à l'issue de l'audition du 6 octobre dernier au sujet de la grippe aviaire devant la commission des affaires sociales. Cette question orale avec débat nous permet de rendre compte devant les sénateurs d'un certain nombre de questions que se posent nos concitoyens. Je vais tenter d'être exhaustif et de répondre le plus précisément possible aux nombreuses questions qui ont été posées.
Je voudrais également indiquer que nous sommes là dans un véritable exercice de démocratie parlementaire. Vous connaissez mon attachement aux relations entre le Gouvernement et la représentation nationale, et je suis soucieux de pouvoir échanger avec vous, au-delà des travaux de la commission des affaires sociales, afin de vous rendre compte de l'action du Gouvernement sur ce dossier, et ce régulièrement, à chaque fois que vous le souhaiterez.
Il a été question de culture, notamment dans l'intervention de Mme Blandin, et je pense aussi que nous devons développer une véritable culture du risque en matière sanitaire, ce qui suppose d'accroître l'information et son corollaire, la transparence.
Tout d'abord, face aux risques, le Gouvernement a élaboré un plan « pandémie grippale », présenté en conseil des ministres dès le mois d'octobre 2004 et qui figure sur le site du ministère de la santé depuis 2005.
Ce plan distingue deux phases : une phase pré-pandémique et une phase pandémique.
La phase pré-pandémique recouvre deux étapes : l'étape initiale, dans laquelle nous sommes actuellement, où le virus H5N1 peut se transmettre de l'animal à l'homme, même si, aujourd'hui, sur le territoire français, nous ne connaissons pas de cas d'épizootie, c'est-à-dire d'épidémie animale ; ensuite, l'étape intermédiaire, avec transmission d'homme à homme mais limitée, et je rappelle qu'une telle transmission n'a été constatée nulle part sur la planète.
La phase pandémique correspond, elle, à la propagation rapide et massive du virus dans le cadre d'une diffusion mondiale.
La classification du plan français évoluera très prochainement pour se caler sur celle de l'OMS, qui distingue six phases allant de l'absence d'épizootie à la pandémie.
En cas de pandémie, l'Institut de veille sanitaire estime qu'en l'absence d'intervention et de préparation - j'insiste sur ces termes - le nombre de malades pourrait, au fil des mois, s'élever en France de 9 millions à 21 millions et que, toujours en l'absence d'intervention et de préparation - j'insiste de nouveau sur ces termes -, le nombre de décès pourrait s'établir entre 91 000 et 212 000.
Pendant la phase pré-pandémique, dans laquelle nous nous situons, l'objectif est d'éviter l'introduction du virus par le biais d'animaux infectés ou de personnes contaminées et, si cela s'avère impossible, de retarder au maximum sa diffusion.
Du point de vue animal - nombreuses ont été les questions en la matière -, des mesures ont été prises.
Tout d'abord, nous avons interdit l'importation d'oiseaux de volière, de compagnie ou de concours, ainsi que de volailles vivantes, d'oeufs à couver et de porcs vivants en provenance des pays touchés par l'épizootie.
Ensuite, nous avons renforcé la surveillance des oiseaux migrateurs susceptibles de contaminer les élevages, ainsi que celle des élevages domestiques. Cette surveillance s'opère sur le territoire national, mais nous avons également souhaité, en liaison avec l'Office international des épizooties, l'OIE, qu'une surveillance toute particulière s'exerce sur les circuits d'oiseaux migrateurs pendant l'hiver en Afrique, afin d'être avertis le plus tôt possible en cas de mortalité particulière, avant que les oiseaux ne repartent et ne remontent vers les courants traditionnels de migration en direction de l'Europe.
Enfin, nous avons diffusé des mesures de protection des élevages disposant d'un parcours en plein air - ne pas nourrir ni abreuver les animaux à l'extérieur - et des élevages fermés - ne pas abreuver les animaux ni nettoyer leurs bâtiments avec des eaux provenant de plans d'eau extérieurs.
Si l'épizootie devait se développer en France, la stratégie consisterait à stopper la propagation du virus dans les populations de volailles, à restreindre les risques d'exposition de l'homme, grâce - certains d'entre vous l'ont rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs - à de bonnes pratiques professionnelles telles que le respect des règles d'hygiène ou l'utilisation de vêtements et de matériel adéquats, et à recommander des mesures complémentaires de protection des professionnels.
Du point de vue de la santé humaine, il s'agit de renforcer le contrôle sanitaire dans les plates-formes aéroportuaires internationales, en veillant à l'information des voyageurs, au contrôle du fret, ainsi qu'à la formation des cellules médicales pour la détection et la prise en charge des cas suspects et de leur contact.
Si nous devions entrer dans la phase pandémique, notre objectif serait de limiter la contamination pour permettre au système de santé de prendre en charge un nombre important de patients et de produire dans les meilleurs délais le vaccin.
Cette réponse reposera en amont sur l'information adaptée des professionnels de santé et de la population. Pendant la crise, elle s'appuiera sur une mobilisation graduée des moyens de lutte médicale, en privilégiant - la question m'a été posée tout à l'heure - la prise en charge ambulatoire et en réservant l'hospitalisation aux cas les plus graves.
Des mesures de réduction des contacts sociaux seraient également mises en oeuvre, en particulier dans les collectivités d'enfants : d'expérience, nous savons que la grippe saisonnière chute pendant les périodes de vacances scolaires.
En application de ce plan, la France s'est donc préparée activement à faire face à la situation.
Dès la fin de l'année 2004, le ministère de la santé, sous l'impulsion de Philippe Douste-Blazy, a commandé 13,8 millions de traitements antiviraux Tamiflu, qui seront disponibles à la fin de l'année. Au moment où je vous parle, mesdames, messieurs les sénateurs, 9 millions de traitements sont déjà en notre possession.
Nous avons également commandé 2 millions de doses de vaccin pré-pandémique H5N1, qui seront également disponibles au début de l'année 2006. Le Gouvernement a par ailleurs réservé 40 millions de doses de vaccin pandémique, à fabriquer en cas de crise sanitaire, soit 28 millions de doses à Sanofi-Aventis et 12 millions de doses à Chiron.
Enfin, un premier stock de 50 millions de masques de protection FFP2 a d'ores et déjà été livré dans deux cents quatre-vingt-dix hôpitaux sur notre territoire. Et, pour répondre à l'une de vos interpellations, mesdames, messieurs les sénateurs, je précise que par territoire j'entends la métropole ainsi que les départements et les collectivités d'outre-mer, car si, outre-mer, la compétence de santé revient aux exécutifs locaux, j'ai souhaité que l'ensemble des moyens de protection y soient disponibles, avant toute régularisation juridique : il n'est pas question que ce genre de contrainte retarde la préparation de tout ou partie du territoire national !
M. Nicolas About. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Dès mon arrivée au ministère de la santé, j'ai souhaité renforcer notre mobilisation face à ce risque.
J'ai participé à un exercice gouvernemental national le 30 juin dernier. Plusieurs questions m'ont été posées à ce sujet et je vous indique donc que cela nous a permis d'anticiper, mais aussi et surtout de bien veiller au caractère opérationnel des décisions que nous avons à prendre. Cet exercice, qui regroupait un très grand nombre d'acteurs, a été particulièrement instructif puisque nous avons pu en retirer quatre grands enseignements.
Tout d'abord, il nous faut nous doter d'une stratégie d'information adaptée à chaque étape de la crise, basée sur la transparence et la responsabilisation.
Ensuite, il nous faut former tous les responsables : politiques, administratifs, professionnels et associatifs.
De surcroît, il nous faut prévoir les moyens d'assistance et de prise en charge des ressortissants français à l'étranger.
Enfin - le Président de République l'a récemment souligné et le Premier ministre l'a appelé de ses voeux à la tribune de l'ONU -, il nous faut appeler à la coopération et à la mobilisation européenne et internationale.
Je me suis également rendu cet été sur la plate-forme de Roissy, pour m'assurer du renforcement des mesures prévues par le plan en matière de contrôle.
Des mesures d'information, notamment la distribution de plaquettes aux passagers des vols directs en direction des zones affectées ainsi que l'affichage fixe et électronique -régulièrement actualisé - dans les terminaux sont déjà mises en oeuvre.
Je souhaite que nous allions plus loin, que nous formions davantage encore les personnels navigants et les personnels au sol, mai aussi que nous puissions créer des spots d'information à diffuser sur l'aéroport et dans les avions en cas de crise. Ce projet, en liaison avec l'INPES et les aéroports concernés, aboutira d'ici à la fin de l'année.
J'ai également demandé que soit renforcé le service de contrôle sanitaire aux frontières, qui dépend de la DDASS de Seine-Saint-Denis et qui est chargé de vérifier la mise en oeuvre des actions de prévention et de former le personnel aéroportuaire.
J'ai aussi visité l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui est l'un des hôpitaux de référence impliqués dans la prise en charge des malades en cas de menace de pandémie, voire de bioterrorisme, pour m'assurer que les mises aux normes ont été effectuées et pour dialoguer avec les différents acteurs hospitaliers.
Devant la progression de l'épizootie en Eurasie, le Président de la République a demandé au Gouvernement, le 25 août dernier, d'appliquer pleinement le principe de précaution à l'égard de la grippe aviaire afin que chaque Français soit protégé ou puisse être soigné. Il a rappelé que le renforcement de notre état de préparation ne devait rencontrer aucune sorte d'obstacle, qu'il soit de nature économique ou financière.
Il a été décidé de renforcer l'ensemble du dispositif de prévention et de surveillance de l'épizootie, et un ensemble de décisions ont été prises par le Premier ministre.
Outre la désignation le 30 août d'un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, en la personne du professeur Didier Houssin, les mesures visent, notamment, à porter les réserves de médicaments antiviraux et les moyens de protection individuelle au niveau nécessaire pour assurer la santé de tous les Français.
Pour répondre à la question de Nicolas About, le stock de 50 millions de masques de protection FFP2 sera porté à 200 millions d'ici au début de l'année. La capacité nationale de production de masques sera développée, en vue d'assurer l'approvisionnement dans les meilleurs délais en cas de pandémie.
Dès le mois de janvier prochain, un premier atelier débutera sa production dans le Nord. Trois autres ateliers suivront dans le courant de l'année, de façon à pouvoir produire 140 millions de masques en 2006 et 400 millions de masques dès 2007. La production mondiale, je vous le rappelle, est actuellement de 600 millions de masques par an.
Nous avons souhaité nous doter d'une telle capacité de production afin non seulement de couvrir nos besoins, mais également de nouer des contacts avec certains de nos voisins en leur faisant savoir qu'ils peuvent s'approvisionner en masques sur le territoire européen.
Quant aux vaccins contre le virus pandémique, ils ne pourront être produits qu'à partir du moment où le virus existera. Ils ne sont donc actuellement pas en cours de fabrication. Toutefois, d'après les scientifiques et les industriels, ces vaccins sont en mesure d'être produits dans un délai de six à neuf mois après la déclaration de la pandémie. Cette question leur a été posée de façon récurrente, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, et leur réponse a toujours été constante.
Le Gouvernement pense que ces délais ne relèvent en rien de l'affichage et qu'ils correspondent effectivement à des étapes très précises. Je pense notamment au vaccin pré-pandémique, que le Gouvernement français a d'ores et déjà commandé - et non réservé - et qui permettra de booster la production industrielle et pharmaceutique. Il s'agit là d'un point important.
Pour assurer, s'il en était besoin, la vaccination de toute la population, le Gouvernement souhaite aller au-delà des 40 millions de vaccins déjà réservés, soit jusqu'à 62 millions de vaccins.
En vu d'effectuer ces réservations complémentaires, le délégué interministériel, sur mes recommandations, vient d'écrire à cinq laboratoires pharmaceutiques pour obtenir leurs propositions.
Concernant les réserves de médicaments anti-viraux, elles seront portées à un niveau supérieur à celui qui existe actuellement, même si l'OMS indique que la France compte aujourd'hui parmi les pays les mieux préparés. Je n'en dirai pas plus, mais il est intéressant de noter que l'OMS juge favorablement l'action française.
M. Nicolas About. C'est vrai !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ces médicaments anti-viraux sont, dans l'attente des vaccins, le moyen de traiter les personnes qui pourraient être atteintes par la maladie ou y être directement exposées.
Le niveau des stocks de Tamiflu, je le répète, sera de 14 millions à la fin de l'année. Il sera, je tiens à vous le dire officiellement, mesdames, messieurs les sénateurs, accru de 10 millions de traitements supplémentaires en 2006 et 2007.
Il s'agit de Tamiflu en vrac, qui pourra être transformé en gélules en moins de deux mois par la pharmacie centrale des armées. Nous avons dès le départ passé un contrat avec le laboratoire Roche, ce qui permettra à la France d'être livrée plus tôt que les autres pays. Nous sommes également en contact avec un certain nombre de pays voisins qui, avec l'accord du laboratoire Roche, souhaitent bénéficier du savoir-faire français en la matière pour commander du Tamiflu en vrac.
La péremption de ces stocks de vrac est de dix ans.
Par ailleurs, les négociations que j'ai entamées dès mon arrivée au ministère de la santé pour acquérir des quantités importantes de Relenza, autre anti-viral utilisable contre le virus de la grippe aviaire, sont sur le point d'aboutir. J'ai tendance à croire que, en la matière, il vaut mieux avoir plusieurs cordes à son arc !
M. Nicolas About. D'autant qu'il y a résistance à l'un et pas à l'autre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Voilà pourquoi, très tôt, j'ai souhaité que nous augmentions nos commandes de Tamiflu, mais aussi que nous manifestions un intérêt marqué pour le Relenza.
Ainsi, 9 millions de traitements au Relenza s'ajouteront aux 24 millions de Tamiflu, ce qui nous donnera un stock de 33 millions de traitements anti-viraux.
La couverture de 25 % de la population préconisée par l'OMS sera ainsi largement dépassée. Cela nous permettra de prévenir efficacement tous les risques de résistance et de mettre en oeuvre des stratégies plus souples, plus adaptables, en fonction des caractéristiques du virus et de la pandémie.
En ce qui concerne l'efficacité du Tamiflu, question qui revient périodiquement et que vous avez évoquée à différentes reprises, mesdames, messieurs les sénateurs, l'OMS comme les experts scientifiques nationaux et internationaux s'accordent à dire que les anti-viraux, aujourd'hui, sont les seuls médicaments efficaces. Cependant, il faut savoir que l'efficacité de ce traitement dépend des conditions de sa prise : la dose doit être suffisante et administrée le plus tôt possible, à savoir dans les quarante-huit heures.
La Haute autorité de santé a considéré - et je réponds là à M. Fischer - que le service médical rendu par le Tamiflu était insuffisant pour en justifier la prise en charge. Cela étant, les études sur lesquelles ce constat repose portaient sur la grippe saisonnière. Or certaines personnes sont vaccinées et le Tamiflu est aujourd'hui relativement peu prescrit.
Le problème se pose dans des termes différents lorsqu'on a affaire à des situations extraordinaires, notamment en cas de pandémie, impliquant un virus à la fois plus agressif et plus contagieux. Dans de tels cas, nous le savons, les anti-viraux comme le Tamiflu représentent la seule réponse médicamenteuse possible. D'ailleurs, l'ensemble des pays qui se préparent pour faire éventuellement face à la grippe aviaire se tournent, comme l'a fait la France, vers le Tamiflu.
En tout état de cause, ces anti-viraux empêchent la survenue de complications et permettent de diminuer le taux de décès.
L'Etat, comme vous le souhaitez, monsieur Fisher, est bien le garant de la santé publique et joue le rôle de « bouclier sanitaire », car si nous avons, bien sûr, le souci de protéger les plus exposés et les plus fragiles, en cas de pandémie, c'est toute la population qu'il conviendra de protéger ou de traiter, sans établir quelque priorité que ce soit. L'ensemble des acteurs publics travaillent donc ensemble avec ce souci de l'intérêt général.
Par ailleurs, des mesures additionnelles de protection contre l'épizootie, consécutives à la confirmation de la présence du H5N1 en Turquie et en Roumanie, ont été mises en oeuvre le 25 octobre 2005, en cohérence avec les recommandations de la Commission européenne.
Dans les vingt-six départements présentant un risque particulier de contact avec les oiseaux migrateurs, il a été décidé que les volailles seraient maintenues à l'intérieur des bâtiments et que les élevages de plein air demeureraient confinés, à moins que des mesures protectrices d'effet équivalent ne soient prises.
Le renforcement des mesures protectrices applicables depuis août 2005 a également été mis en oeuvre - mangeoires et abreuvoirs à l'intérieur, non-utilisation des eaux superficielles pour les oiseaux -, de même qu'a été organisé le dépistage à grande échelle des oiseaux sauvages et domestiques, impliquant le contrôle des cas de mort suspecte. S'y ajoutent des systèmes de détection précoce dans les zones à risques.
En outre, l'utilisation et le transport des oiseaux appelants pour la chasse sont interdits. A ce sujet, la veille passive des chasseurs, sur lesquels nous nous appuyons beaucoup, comme l'a rappelé M. Deneux, est un élément important : nous leur demandons de nous signaler tout cas suspect de groupe d'oiseaux morts. Nous leur rappelons aussi les précautions à prendre pour la manipulation des oiseaux, notamment le port de gants.
Je précise à Mme Schillinger que les mesures de protection vis-à-vis des espèces animales ont été particulièrement renforcées, en coordination avec les services du ministère de l'agriculture et les services vétérinaires des collectivités locales.
Nous avons le souci, face à l'hypothèse d'une pandémie, de renforcer la préparation dans les collectivités et départements d'outre-mer, car tous les territoires de la République, en fonction de leurs spécificités, doivent être prêts à affronter une telle pandémie dans les meilleures conditions.
Il est vrai que l'île de la Réunion a connu trois cas suspects, mais la réponse des autorités sanitaires a montré l'efficacité de notre dispositif de veille : la suspicion tenait au fait que les personnes concernées revenaient de Thaïlande et qu'elles y avaient été au contact d'oiseaux ; or, pour la première fois, le test pratiqué sur des personnes s'est révélé positif au H5N1.
La procédure implique que, dans une telle situation, un nouveau test soit effectué par l'un des deux laboratoires nationaux de référence. En l'occurrence, c'est le laboratoire de l'Institut Pasteur de Paris - l'autre est le laboratoire de l'Institut Pasteur de Lyon - qui en a été chargé, et celui-ci a indiqué que ces personnes n'étaient pas affectées par le virus H5N1.
Néanmoins, il nous a paru important, à partir du moment où nous avions connaissance de ces cas, d'informer la population sur place : je préférais en effet que le ministère de la santé délivre cette information plutôt que de laisser une quelconque rumeur répandre l'inquiétude à partir de l'existence de ces cas suspects. C'est donc au nom de la transparence et en vertu du principe de précaution que nous nous avons décidé de faire état de ces trois cas.
J'ai ensuite demandé à un membre de la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire de se rendre à la Réunion pour savoir précisément comment les choses s'étaient passées et pour envisager les leçons qui pourraient être tirées de cette alerte.
Il me paraît également utile de souligner l'importance d'une coopération sanitaire à l'échelle régionale, notamment dans le cadre de la Commission de l'océan Indien, car il nous faut développer notre capacité d'anticipation sur tout le territoire.
J'ajoute que la façon dont nous nous préparons sera forcément riche d'enseignements pour faire face à un certain nombre de menaces émergentes, voire déjà présentes dans nos sociétés : je pense au bioterrorisme ou au risque d'autres épidémies auxquelles nous pourrions être confrontés.
Mme Hoarau a notamment évoqué, à propos de la Réunion, le chikungunya, affection virale qui ressemble beaucoup à la dengue et qui est transmise par les mêmes moustiques. Pour y faire face, les pouvoirs publics souhaitent à la fois s'équiper en matériel de désinsectisation - le ministère de la santé a d'ores et déjà débloqué à ce titre 12 000 euros, auxquels viendront s'ajouter 40 000 euros - et renforcer les services de la DRASS en contrats aidés pour accroître le niveau de mobilisation sociale par des actions d'éducation à la santé sur le terrain. Nous travaillons actuellement avec le ministère de l'outre-mer sur cette question, parce que nous avons bien conscience qu'il nous faut mieux observer pour mieux détecter et mieux sensibiliser pour mieux prévenir.
Je voudrais insister sur la communication, qui est un volet capital de la gestion de crise, tant en amont que pendant la crise.
Un plan de communication est en cours de réalisation afin de préparer l'opinion publique à la possibilité d'une pandémie, en l'informant notamment sur l'état de préparation du pays et sur les mesures de protection individuelles.
A travers les associations professionnelles, les instances ordinales et les syndicats, les médecins sont associés à cet effort de pédagogie. Il s'agit, comme le disait Mme Hermange, d'adapter les réponses à la situation et de développer une véritable culture du risque dans notre pays.
Nous pouvons, j'en suis persuadé, informer sans affoler, mais il nous faut pour cela mener des campagnes d'information en direction non seulement du grand public, mais aussi de l'ensemble des professionnels de santé : ceux-ci se trouvant en première ligne, ils doivent disposer de l'information, de la formation et de la protection.
Je mesure que, dans ce domaine, la concertation avec les professionnels de santé est une condition d'efficacité opérationnelle. C'est pourquoi je vais rencontrer cet après-midi l'ensemble des organisations représentatives de médecins et de pharmaciens afin d'évaluer avec eux leurs besoins en matière de formation et d'information, mais aussi de prendre en considération leurs besoins et leurs attentes face à une possible pandémie.
Je rencontrerai également dans les jours qui viennent l'ensemble des représentants des professionnels paramédicaux ainsi que les élus locaux, de façon à aller au plus près du terrain et à faire en sorte que ce plan soit empreint du souci du détail. Mettons à profit le temps dont nous disposons pour nous préparer au mieux face à ce risque de pandémie !
Vis-à-vis du grand public, nous avons une exigence, la transparence, et un double impératif, l'information et la pédagogie. Vous avez raison de le souligner, madame Schillinger, c'est l'une des clefs en matière de veille sanitaire et de prévention.
Au passage, je tiens à préciser que le vaccin contre la grippe saisonnière n'est pas le vaccin contre la grippe aviaire, et il n'y a pas lieu, aujourd'hui, de nous détourner des objectifs que nous nous sommes fixés : en France comme dans les autres pays européens, la vaccination vise avant tout à protéger certaines populations cibles, à savoir les personnes âgées, les personnes victimes d'affections de longue durée, ou encore les professionnels de santé qui sont amenés à se trouver au contact des patients. Certaines personnes cherchent déjà à se protéger contre la grippe aviaire alors que nous ne sommes même pas en présence d'une épizootie sur notre territoire : ils n'ont aucune raison de le faire ! De la même façon, il ne sert à rien, aujourd'hui, de se faire prescrire du Tamiflu, puisque nous ne sommes pas confrontés à un risque de grippe saisonnière.
Si nous nous trouvions face à une pandémie grippale de type aviaire, c'est l'Etat qui, ayant constitué des stocks de Tamiflu et de Relenza, les ferait dispenser par les professionnels de santé aux malades qui en auraient besoin, et cela gratuitement.
Je tiens à appeler les uns et les autres à l'esprit de responsabilité : il n'est nul besoin de solliciter aujourd'hui des mesures de protection individuelles. Elles n'ont pas lieu d'être !
Comme l'ont souligné M. About, Mme Hermange et Mme Herviaux, il faut se garder d'oublier les difficultés auxquelles pourrait être confrontée durablement la filière avicole.
Concernant l'indemnisation des éleveurs, la Commission européenne, récemment sollicitée par le ministre de l'agriculture, a évoqué les possibilités d'aide à la filière avicole, notamment en cas d'épizootie.
Depuis le mois de septembre, le ministre de l'agriculture a reçu à plusieurs reprises l'ensemble des directions départementales des services vétérinaires et des représentants de la filière avicole pour les informer de l'évolution de la situation épizootique et leur rappeler les règles d'hygiène et de précaution, mais aussi, tout simplement, pour entretenir le dialogue.
Les associations de consommateurs ont également été reçues pour faire le point sur les mesures de précaution envisagées et rassurer leurs adhérents quant à l'absence de danger que représente la viande de volaille vendue dans le commerce. En lien étroit avec le ministère de l'agriculture, le Centre d'information des viandes a mis en place un numéro vert, le 0800 292 292, ainsi qu'une brochure d'information destinée aux consommateurs. Il y est notamment rappelé qu'en France il n'y a à ce jour, chez les volailles, aucun cas de grippe aviaire dû au virus H5N1 originaire d'Asie.
Je précise également que le label « élevé en plein air » est maintenu. Au demeurant, même si une volaille était infectée, dès lors qu'elle serait cuite - 70 degrés suffisent -, le virus serait détruit, sans même parler de l'action des sucs gastriques. Nous n'avons donc pas à modifier en quoi que ce soit nos habitudes alimentaires en ce qui concerne la consommation de volaille.
A l'échelon communautaire, des mesures ont été prises sans délai pour interdire l'entrée de produits ou d'oiseaux pouvant présenter un risque de contamination.
Il convient d'ailleurs d'amplifier les initiatives internationales, car la pandémie ne connaît pas les frontières. Du reste, les problèmes de santé ignorent toujours les frontières.
D'après l'Organisation mondiale de la santé, la France est un des pays les mieux préparés. Cela nous crée le devoir de regarder au-delà de nos frontières : nous avons une responsabilité en la matière et il nous échoit de proposer notre assistance technique aux pays exposés. Le 31 août dernier, le Président de la République a rencontré le directeur général de l'OMS pour affirmer cette volonté de la France.
Nous souhaitons renforcer les structures multilatérales pour lutter contre l'épizootie dans les pays touchés et développer les capacités logistiques d'intervention en urgence dans les foyers de départ d'une pandémie, car c'est à la source qu'il faut s'attaquer au problème. Au cours du mois dernier, j'ai ainsi successivement rencontré le docteur Lee, directeur général de l'OMS, M. Diouf, directeur de la FAO, et le docteur Vallat, directeur général de l'OIE.
Le Premier ministre a affirmé la volonté de la France sur ce point à l'Assemblée générale des Nations unies, le 14 septembre dernier, en insistant sur la nécessaire coordination des actions par les institutions multilatérales.
Au niveau de l'Union européenne, la France plaide pour que soient développées un certain nombre d'interventions visant à renforcer les capacités de réaction et d'entraide des Etats membres. Notamment, lors du conseil informel des ministres de la santé européens, le 21 octobre, à Hertfordshire, j'ai émis, au nom du Gouvernement français, un certain nombre de propositions.
La première concerne la mise en place, à l'échelle de l'Union, de capacités de production d'antiviraux, de vaccins et de masques, après avoir identifié les différents goulets d'étranglement, qu'il s'agisse des matières premières, de la fabrication et du stockage des produits en vrac, de la transformation ou de la logistique d'approvisionnement. D'ailleurs, la création d'un stock stratégique communautaire d'antiviraux, en sus des stocks nationaux déjà constitués, a été proposée par le commissaire Kyprianou.
J'ai également proposé l'instauration d'une protection mutualisée des ressortissants de l'Union européenne à l'étranger, incluant la formation sur place de médecins référents et la constitution de stocks de moyens de protection, avec des procédures logistiques et une doctrine d'utilisation communes.
Je me rendrai en Asie du Sud-Est, au Vietnam et en Chine du 19 au 23 novembre prochain. En effet, comme vous le soulignez, madame Kammermann, il est important d'informer et de rassurer la communauté des Français de l'étranger, notamment les 10 000 Français vivant dans des pays touchés par des contaminations humaines.
Je m'assurerai sur place des structures de soins existantes, du niveau de réponse en cas de pandémie, mais je souhaite aussi envisager ce qui reste à faire, notamment pour organiser au mieux les rapatriements, dans l'hypothèse où ceux-ci s'avéreraient nécessaires, ainsi que l'isolement et le suivi médical des personnes susceptibles d'être affectées.
Le ministère des affaires étrangères, en liaison avec le ministère de la santé, est en train d'équiper ses postes diplomatiques - et en priorité ceux d'Asie du Sud-Est - en masques de protection et en traitements antiviraux à la hauteur des besoins estimés sur place.
Par ailleurs, l'ensemble des médecins référents de nos ambassades en Asie reçoivent une formation spécifique sur la grippe aviaire. Les ambassadeurs et les personnels de nos postes bénéficient également d'une information approfondie, ce qui leur permet notamment de sensibiliser toute la communauté française résidant en Asie.
S'agissant du rapatriement des ressortissants français à l'étranger, vous soulignez à juste titre, madame Kammermann, la nécessité d'une mobilisation des services de l'Etat.
Le plan mis en place, dont l'actualisation est voie d'achèvement, prévoit que les personnes pourront rentrer en France et y bénéficier d'un suivi médical tant que les contaminations n'auront pas atteint un niveau épidémique. Si l'épidémie était déclarée, il est hautement probable que les liaisons aériennes seraient provisoirement interrompues. Cependant, l'affrètement d'avions destinés à des rapatriements spécifiques est envisagé, selon des modalités en cours de finalisation dans l'actualisation du plan. Et, en cas de retour, le ministère de l'intérieur serait chargé d'identifier les capacités de quarantaine, en lien avec la délégation interministérielle.
La lutte contre l'épizootie est également envisagée sous forme d'aide technique et d'expertise pour la compensation des dommages économiques afin d'inciter à une transparence précoce en cas de foyer épidémique.
Afin d'anticiper au mieux les situations de crise et d'améliorer leur gestion, nous avons besoin de pouvoir y être confronté directement. Nous mènerons donc en commun, les 23 et 24 novembre, un exercice contre la pandémie grippale, baptisé Common ground, afin de tester la coordination des Etats européens. J'ai tenu à ce que cet exercice soit assuré par les ministres eux-mêmes car, si la responsabilité est bien évidemment celle de tous, la responsabilité politique est primordiale en la matière.
Il faut également répondre très clairement aux appels à don qui ont été effectués. La conférence des donateurs s'achève d'ailleurs aujourd'hui à Genève et la Banque mondiale a chiffré l'ensemble des besoins pour aider les pays peu équipés à faire face à l'épizootie et à une éventuelle pandémie.
Dans l'immédiat, les besoins urgents pour renforcer les capacités de réponse sont chiffrés à 80 millions de dollars. La France s'est aussitôt engagée à verser 10 millions d'euros, soit 12 millions de dollars.
Nous avons en outre décidé d'envoyer quatorze experts supplémentaires auprès de l'OIE, de la FAO et de l'OMS afin de renforcer les capacités d'intervention sur le terrain, auquel il faut ajouter la mobilisation du réseau des jeunes chercheurs et des doctorants travaillant sur ces sujets, qui pourraient être mis à disposition dans le cadre de la coopération internationale.
Mme Hermange, Mme Schillinger et M. Fischer ont souligné la nécessité d'une stratégie internationale. Les initiatives que nous prenons répondent pleinement à cette exigence.
Nous comptons continuer à prendre de telles initiatives, car il faut protéger davantage les pays du Sud, qui ne disposent pas des mêmes moyens ni de la même efficacité en matière de veille sanitaire et de protection de leur population : dans quel monde vivrions-nous si nos pays n'avaient vocation qu'à protéger leurs ressortissants sans se soucier de ce qui peut se passer sur le reste de la planète ?
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, le plan de mobilisation devra sans cesse être réactualisé et celui qui sera finalisé dans les jours à venir ne sera jamais définitif, nous continuerons à l'améliorer tant que nous le pourrons.
Nous comptons également sur la participation de l'ensemble des élus, au premier rang desquels les parlementaires, qui ont très tôt manifesté leur intérêt sur ces questions. Ils pourront bien entendu interroger le Gouvernement, mais également enrichir le plan par leurs remarques et leurs propositions, dont nous tiendrons compte à chaque fois.
Le Gouvernement présentera une nouvelle version du plan avant la fin du mois de novembre. Par la suite, celui-ci continuera à évoluer en fonction du progrès des connaissances et des innovations thérapeutiques et vaccinales.
Nous devons être conscients qu'il faut faire preuve de beaucoup d'humilité en la matière et qu'un certain nombre de paramètres ne seront connus qu'au moment où surviendra la pandémie : même si les efforts déjà réalisés sont considérables, la préparation à une telle éventualité devra toujours être complétée. Ainsi, nous ne savons pas aujourd'hui quelles sont les populations les plus fragiles face au risque pandémique, et nous ne pouvons qu'émettre des hypothèses. Je le répète, seule la réalité nous permettra d'être réactifs !
Toutefois, mieux que réagir, nous pouvons anticiper. Et, je le répète, notre plan de préparation ne peut pas et ne doit pas avoir un caractère définitif. Nous continuerons à l'améliorer chaque fois que cela sera possible.
En ce qui me concerne, je me ferai un devoir d'informer régulièrement la représentation nationale sur un sujet qui concerne chacun d'entre nous et qui doit tous nous mobiliser. Nous nous situons dans le cadre du principe de précaution, dans la culture de la prévention, et le Gouvernement est à la disposition du Parlement sur ce sujet essentiel.
Je vous remercie donc, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir su témoigner votre préoccupation de si belle façon ce matin. (Applaudissements.)
M. le président. Merci, monsieur le ministre, des précisions détaillées que vous avez bien voulu apporter à la Haute Assemblée ainsi que de la vigilance et de la précaution dont fait preuve le Gouvernement.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures trente-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement, demande que le Sénat siège le mardi 15 novembre au matin pour la suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
Acte est donné de cette communication.
Cette lettre fait suite au souhait exprimé lors de notre dernière conférence des présidents par M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, d'utiliser pour le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale cette matinée laissée libre par le report à mercredi des questions orales.
En conséquence, le Sénat commencera sa séance du mardi 15 novembre à dix heures et la poursuivra à seize heures et le soir pour la suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
7
COMMission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation agricole.
« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter le Sénat à désigner ses représentants au sein de cette commission.
« J'adresse ce jour à M. le président de l'Assemblée nationale une demande tendant aux mêmes fins.
« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.
Signé : Dominique de Villepin »
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l'article 12 du règlement.
8
Emploi de la langue française
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (nos 27 [2005-2006] et 59 [2004-2005].)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y onze ans déjà - le 4 août 1994 exactement -, était promulguée la loi relative à la langue française, plus connue sous le nom de « loi Toubon », du nom de son promoteur, alors ministre de la culture et de la francophonie.
J'ai eu l'honneur de rapporter ce projet de loi devant notre Haute Assemblée, au nom, déjà, de la commission des affaires culturelles. Le Gouvernement avait choisi de le présenter d'abord devant le Sénat, et nous en étions évidemment honorés.
Il s'agissait de rendre efficace un dispositif de protection de l'usage du français en France destiné à succéder à la loi dite « Bas-Lauriol », votée jadis à la quasi-unanimité par le Parlement mais dont l'application était très limitée et qui était donc devenue obsolète.
Je m'attendais de nouveau à un moment d'unanimité autour de la cause de notre langue commune. Il n'en fut rien : M. Toubon et sa loi furent brocardés, suspectés de vouloir se livrer, peut-être avec autoritarisme, à une Saint-Barthélemy des termes étrangers entrés dans notre langue.
Il est utile d'affirmer de nouveau ici avec force que le problème de la langue française n'est pas essentiellement de retrouver sa pureté, mais de veiller à ce que des domaines entiers de l'activité humaine ne cessent pas, même en France, d'être exprimés en français.
Si le français chez nous cesse d'être communément utilisé par le monde scientifique, par la communauté financière, s'il n'est pas présent dans les nouvelles technologies, croit-on vraiment qu'il conservera longtemps son statut de langue à rayonnement international ? Croit-on vraiment qu'il continuera à être appris, aimé dans le monde entier ?
A travers le statut de notre langue, ce qui est en cause c'est l'image que nous nous faisons de notre culture, de notre capacité à dialoguer avec les autres, à inventer, à faire vivre des concepts qui traduisent notre perception des valeurs.
Nous éprouvons des difficultés à percevoir ce lien entre l'importance attachée à la place du français en France et son maintien ou son déclin à l'étranger, alors qu'il est évident.
Une telle loi dérange, car elle n'a d'efficacité que si elle est effectivement appliquée. Et nous sommes pris ici entre deux exigences contradictoires : nous sommes attachés, bien évidemment - et très profondément -, à la liberté d'expression, celle qui permet à chacun de s'exprimer dans sa langue avec les mots de son choix, mais nous sentons aussi la nécessité de sanctionner l'abandon de l'usage de notre langue quand, en se généralisant, ce délaissement porte atteinte au statut, voire à l'existence de la langue.
Parce qu'ils étaient minoritaires ou très menacés dans leurs Etats respectifs, les Flamands, les Catalans, les Québécois, à l'encontre respectivement du français, de l'espagnol et de l'anglais, ont adopté - et imposé - des politiques linguistiques très strictes... mais qui se sont révélées efficaces. Nous ne sommes pas - ou pas encore ? - dans leur situation, mais nous devons veiller à l'application de la loi sur la langue.
Constatons d'abord avec satisfaction qu'après l'avoir brocardée nos compatriotes sont sur le point d'accepter la loi Toubon : les associations de consommateurs ont maintenant pleinement conscience de la nécessité de garantir aux acheteurs une bonne information en français, qu'il s'agisse de l'étiquetage ou du mode d'emploi des produits. Un sondage réalisé par la SOFRES en 2000 montrait que 93 % des personnes interrogées jugeaient utiles, voire très utiles, les dispositions de la loi Toubon relatives à l'obligation d'assurer l'information du consommateur en français. C'est un fait que nous devons conserver à l'esprit, à l'heure où la Commission européenne exerce des pressions pour amener notre pays à atténuer cette règle et à admettre que les consommateurs pourraient tout aussi bien être informés par des pictogrammes !
Le rapporteur que je suis ne saurait accepter une telle régression, et il invite le Gouvernement à ne pas céder aux pressions excessives exercées sur ce sujet par la Commission.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jacques Legendre, rapporteur. Quant au monde du travail, au départ peu mobilisé pour la défense du français, il découvre le caractère discriminant que peut représenter pour les salariés l'usage de plus en plus fréquent de l'anglais dans l'entreprise et ses représentants n'hésitent plus à se prévaloir des dispositions de la loi garantissant l'usage du français sur les lieux de travail.
Ces évolutions méritent d'être saluées. Elles montrent que les dix années qui se sont écoulées depuis l'adoption de la loi Toubon ont contribué à ancrer ce texte dans l'opinion et dans notre jurisprudence.
Fallait-il donc en rester là ? Notre collègue Philippe Marini n'en a pas jugé ainsi. Il a déposé une proposition de loi relative à l'emploi de la langue française qui a pour objet d'apporter d'utiles compléments au dispositif de la loi Toubon.
Cette proposition vient à son heure. Elle est utile, parce que depuis dix ans le monde a évidemment beaucoup évolué et qu'il faut, par exemple, étendre le domaine de la loi aux nouvelles technologies de l'information, encore balbutiantes en 1994. Par ailleurs, l'expérience déjà longue des difficultés d'application de la loi nous fait souhaiter corriger ses faiblesses, pour renforcer son efficacité.
Ces dispositions privilégient un certain nombre de secteurs sensibles, comme ceux de l'Internet et de la communication électronique, de l'apparence de nos rues à travers la multiplication des enseignes, ou du monde de l'entreprise en général. Elles abordent aussi le problème global du contrôle de l'application effective de la loi.
Ce choix me paraît tout à fait pertinent, et si les dispositions que la commission des affaires culturelles vous propose d'adopter sont souvent formulées dans des termes un peu différents de ceux de la proposition de loi initiale, je crois que nous partageons avec M. Marini une même vision des buts à atteindre.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Jacques Legendre, rapporteur. Notre premier objectif est de garantir que les prescriptions linguistiques posées par l'article 2 de la loi Toubon relative à la protection du consommateur s'appliquent bien au monde du numérique et du commerce électronique, dont le développement est spectaculaire.
Faut-il compléter la loi pour préciser que les prescriptions de l'article 2 sont applicables aux messages informatiques dès lors qu'ils ne sont pas exclusivement conçus pour des personnes de nationalité étrangère ?
La commission ne l'a pas jugé nécessaire, car les termes actuels de la loi sont suffisamment généraux pour couvrir aussi le monde du numérique, comme le confirme d'ailleurs la circulaire d'application de 1996. Le problème nous semble résider davantage dans l'application de la loi que dans sa lettre, sous réserve d'une actualisation ponctuelle, qui fait l'objet de l'article 1er.
Celui-ci confirme que les obligations de la loi Toubon relatives à la publicité s'appliquent bien à toute forme de publicité par voie électronique, de façon à lever l'ambiguïté qui pourrait résulter de l'entrée en vigueur de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Dorénavant, en effet, celle-ci réserve la qualification de communication audiovisuelle aux seuls services de radio et de télévision et érige en notion distincte la communication publique par voie électronique. L'article 1er de la présente proposition de loi a donc pour objet de compléter les mots « publicité parlée, écrite et audiovisuelle » par les mots « ou par voie électronique ».
Le premier alinéa de l'article 2 a pour objet de compléter l'article 3 de la loi Toubon qui, dans sa rédaction actuelle, impose le français dans la formulation des inscriptions sur la voie publique, mais en dispense, par omission en quelque sorte, les enseignes. Cette exception, dictée par le respect de la liberté du commerce, a pu contribuer à alimenter un certain laxisme dans l'application de la loi. D'où l'éviction du français, et parfois même de l'alphabet latin, de la façade de certaines de nos rues.
Soucieux de préserver le droit du commerçant de choisir librement la dénomination sous laquelle il exerce son activité, la commission a retenu un dispositif souple imposant la traduction ou, à défaut, l'explicitation des termes étrangers utilisés dans la formulation d'une enseigne, cette notion d'explicitation étant, je le reconnais, nouvelle.
Encore cette obligation ne s'imposera-t-elle que lorsque les termes de l'inscription seront susceptibles de contribuer à l'information du consommateur, afin de proportionner la contrainte à l'objectif d'information.
Le second alinéa de l'article 2 confirme que l'obligation d'employer le français pour l'information des voyageurs s'impose dans les transports internationaux, dès lors qu'ils ont pour provenance ou destination le territoire national.
Certes, cette obligation résultait déjà implicitement de la rédaction actuelle de l'article 3 de la loi Toubon, qui vise tout « moyen de transport en commun ». Mais les tentations récurrentes de certaines compagnies aériennes de s'affranchir de cette prescription justifient qu'elle soit réaffirmée dans la loi de façon à la fois solennelle et explicite.
Les articles 3 et 4 ont pour objet d'imposer aux dénominations sociales des sociétés inscrites au registre du commerce les mêmes obligations de traduction ou d'explicitation que celles qui sont envisagées pour les enseignes, afin de ne pas laisser le français disparaître complètement du nom que les entreprises se choisissent.
Pour améliorer le respect effectif des dispositions de la loi Toubon, la commission vous suggère, avec l'article 5 de la proposition de loi, d'étendre aux associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs la capacité d'exercer les droits reconnus à la partie civile et déjà dévolus aux associations de défense de la langue française.
Sur ce point, la commission s'est écartée du dispositif élaboré par l'auteur de la proposition de loi, qui préconisait d'autoriser, sous certaines conditions, les agents assermentés des associations de défense de la langue française et des consommateurs à constater les infractions commises en violation de plusieurs dispositions de la loi Toubon. Votre rapporteur avait examiné avec sympathie cette disposition, mais la commission n'a pas voulu s'engager dans cette voie, considérant que ces pouvoirs de police devaient rester l'apanage des agents publics.
L'article 6 apporte une retouche à l'article L. 122-39-I du code du travail, tel qu'il résulte de l'article 9 de la loi de 1994. Cette disposition rend obligatoire l'emploi du français dans la rédaction de « tout document comportant des obligations pour le salarié, ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail ». Elle tempère cette règle par deux exceptions portant respectivement sur les documents destinés à des étrangers et sur les documents reçus de l'étranger.
Cette seconde exception paraît aujourd'hui trop largement définie : qu'ils proviennent ou non de l'étranger, les documents rédigés en langue étrangère sont également susceptibles d'être une source d'incompréhension et de gêne pour les salariés français ; en outre, la mondialisation, la multiplication des groupes internationaux et le développement des communications électroniques contribuent à une augmentation sensible du nombre des documents reçus de l'étranger.
Pour éviter que l'exception prévue par la loi de 1994 n'ouvre une brèche trop importante dans un dispositif qui répond, entre autres, à des préoccupations de sécurité dans le travail, nous proposons de la restreindre aux documents provenant de l'étranger et destinés à des salariés qui soient véritablement à même de les comprendre, dans la mesure où leur emploi nécessite une parfaite connaissance de la langue concernée.
L'article 7 a pour objet d'inciter les entreprises à réfléchir à leur politique linguistique et d'ériger les pratiques linguistiques en élément du dialogue social à l'occasion de la présentation devant le comité d'entreprise d'un rapport sur l'utilisation de la langue française.
Nous proposons de ne rendre ce rapport obligatoire que dans les entreprises et les groupes de plus de cinq cents salariés, qui disposent des structures adéquates et qui ne rencontreront donc pas de problèmes pour ce faire. Dans les autres sociétés, la présentation d'un tel rapport serait facultative et répondrait à une demande expresse du comité d'entreprise ou des délégués du personnel.
L'article 8 vise à imposer une rédaction en français des convocations et des procès-verbaux des comités d'entreprises, de façon, bien sûr, à garantir la bonne information des salariés.
Enfin, avec l'article 9, nous proposons de compléter l'article 22 de la loi Toubon pour prévoir que le rapport annuel au Parlement sur la langue française peut donner lieu à un débat parlementaire, les différentes administrations concernées par ses dispositions étant tenues de contribuer à sa réalisation.
Au moment de conclure cette intervention liminaire, je voudrais dire avec force combien le débat de ce jour me paraît « politique », au meilleur sens du terme.
En veillant au respect de notre langue chez nous, nous proclamons aussi notre respect de toutes les langues, qui sont l'expression de la diversité humaine. Si nous voulons faire respecter l'usage du français, nous devons, en contrepartie, respecter toutes les autres langues. C'est pourquoi nous nous sommes tous mobilisés pour soutenir l'adoption à l'UNESCO de la Convention sur la diversité culturelle. Car nous savons bien qu'il n'y a pas de diversité culturelle si la diversité linguistique est remise en cause.
Les vingt-cinq pays de l'Union européenne ont approuvé cette convention à l'UNESCO. Puisse l'Union européenne s'en souvenir quand elle habille un respect de façade de l'égalité des langues européennes derrière un recours de moins en moins dissimulé à l'anglais comme langue de communication usuelle.
Cette préoccupation qui est la nôtre a aussi une dimension politique parce qu'elle tend à répondre à ce que l'historien Pierre Nora a qualifié de « non-dit national » au lendemain du rejet, le 29 mai, du projet de Constitution européenne.
Je partage son analyse et je voudrais, ici, en citer quelques passages.
Interrogé sur une possible crispation nationale, M. Nora répond : « Les Français ne veulent plus mourir pour la patrie, mais la France est devenue une notion patrimoniale. La nation à laquelle les Français sont attachés, au XXIe siècle, s'enracine dans des formes culturelles. Pensez au succès [...] que connaissent [...] les Journées du patrimoine ! Mais dans "patrimoine" il y a "patrie", et c'est l'épaisseur de cette nouvelle relation à l'identité nationale qui n'a été ni enregistrée ni prise en compte par les gouvernants. » Et il ajoute : « La langue [...] est certainement un élément fondamental de l'expression nationale. »
Aujourd'hui, en adoptant la proposition de loi présentée par M. Marini et amendée par notre commission, nous démontrerons notre volonté de donner à notre langue toute sa place au coeur de notre identité et de lui garder aussi ce rôle irremplaçable d'instrument de notre présence et de notre dialogue avec le monde. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le contexte des violences qui ont déchiré notre tissu social urbain ces douze derniers jours, cette proposition de loi porte sur un sujet que j'estime majeur pour nos valeurs et pour notre pays : il s'agit de notre langue, ce bien commun grâce auquel nous pouvons débattre, dialoguer, argumenter, nous comprendre, le cas échéant nous opposer en toute liberté, en recourant à ce « merveilleux outil » célébré par Léopold Sédar Senghor.
Oui, ce sont des liens profonds qui unissent la langue, la République et la démocratie. Ils sont inscrits dans notre droit, dans notre Constitution. Vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, depuis la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, l'article 2 de la Constitution dispose : « La langue de la République est le français. »
Notre langue nous aide à construire la cohésion sociale de notre nation. C'est par la langue que se forment les citoyens de toutes origines, qu'ils acquièrent une histoire et une culture, qu'ils éprouvent le sentiment de la communauté à laquelle ils appartiennent, qu'ils forment leurs projets, qu'ils bâtissent l'avenir, qu'ils expriment leur volonté de vivre ensemble.
La langue est également le premier instrument d'insertion sociale et professionnelle. C'est pourquoi la politique de la langue française a toute sa place dans la politique culturelle de la France.
Notre langue porte assurément l'héritage d'une longue histoire et je tiens à cet égard à vous rendre hommage, monsieur le rapporteur, pour la qualité et la précision du brillant panorama que vous brossez dans votre rapport : sans remonter jusqu'aux serments de Strasbourg qui scellent, en 842, non plus en latin mais dans chacune de leurs langues respectives, l'alliance entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, vous faites oeuvre remarquable d'historien autant que de législateur.
En France, la langue est affaire d'Etat, parce qu'elle symbolise et cimente son unité. Elle est affaire de droit : il y a un droit de la langue, qui est aussi un droit à la langue, c'est-à-dire le droit, pour tout citoyen, de recevoir une information et de s'exprimer dans sa langue. Elle est affaire de loi parce que la France a choisi d'affirmer ce droit dans un cadre législatif et réglementaire cohérent, dont vous retracez l'histoire et l'architecture et dont la pierre angulaire est la loi du 4 août 1994, dite « loi Toubon ».
Cette loi ne correspond en aucune manière à un réflexe de défense identitaire. Ce n'est pas une machine de guerre contre les autres langues parlées sur notre territoire, notamment contre l'anglais, dont elle autorise l'emploi mais à la condition que celui-ci s'accompagne d'une formulation en langue française. Encore moins vise-t-elle à instaurer je ne sais quelle « police de la langue », comme ses détracteurs, en la caricaturant, l'ont à tort prétendu.
Dès lors que « la langue de la République est le français », tout citoyen a un droit imprescriptible à faire usage de la langue française dans toutes les circonstances de la vie sociale. Il revient aux pouvoirs publics de créer les conditions d'exercice de ce droit, au bénéfice de la communauté nationale dans son ensemble.
Certes, notre langue elle-même ne cesse d'évoluer : c'est d'ailleurs une bonne chose, car cela signifie que nous n'avons pas pris de retard. Une telle évolution est nécessaire pour décrire et interpréter notre monde, pour répondre aux demandes de nos concitoyens, pour s'adapter à notre vie, aux évolutions technologiques liées à la société de l'information, aux évolutions sociales liées au développement des échanges et des flux migratoires dans le cadre de la mondialisation.
La diversité linguistique contribue assurément au rayonnement de la diversité culturelle, que la communauté internationale vient de faire entrer dans le droit international, en adoptant, le 20 octobre dernier, la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison d'établir un certain parallèle ou une certaine symétrie entre cette mobilisation de la communauté internationale en faveur de la diversité culturelle et la nécessité d'y faire écho au sein de l'Union européenne. Pour parvenir à ce beau résultat, les vingt-cinq Etats membres ont marqué, sans faille, leur unité au cours de toute la négociation. Cela crée évidemment une dynamique logique nouvelle au sein de l'Union européenne : ce que nous avons obtenu de la part de la communauté internationale doit évidemment s'appliquer avant tout au sein même de l'Union.
Un monde monolingue serait un monde irrémédiablement appauvri, sans racines et sans avenir.
Mon prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon, avait fort justement ressenti le besoin d'évaluer la loi Toubon, dix ans après son adoption. Aussi avait-il confié à M. Hubert Astier, inspecteur général de l'administration des affaires culturelles, le soin de dresser le bilan de l'application de ce texte et de formuler des propositions visant à l'améliorer.
L'une des toutes premières décisions que j'ai prises en arrivant au ministère fut de confirmer cette mission, dont les conclusions me furent remises au début de cette année. Elles ont contribué à orienter la communication sur la politique de la langue française que je fis le 17 mars dernier en conseil des ministres. Je m'étais alors assigné trois objectifs : sensibiliser le corps social aux enjeux de la langue française ; garantir le droit de nos concitoyens à faire usage du français, langue de la République, sur le territoire national ; mettre la politique de la langue française au service de la cohésion sociale.
Monsieur Marini, en déposant cette proposition de loi, vous vous inscrivez dans cette perspective : vous souhaitez compléter la loi Toubon dans certains domaines où elle n'a pas produit tous ses effets.
Je tiens à saluer votre initiative, d'autant que vous avez la sagesse de ne pas bousculer l'équilibre de la loi Toubon, tout en lui apportant quelques ajustements. Vous la renforcez en tirant d'utiles enseignements du rapport sur l'emploi de langue française que le Premier ministre, au nom du Gouvernement, remet chaque année aux assemblées.
L'apparente diversité des dispositions contenues dans votre proposition de loi, qui touchent à la fois la communication électronique, le paysage de nos villes, les transports, la vie de l'entreprise, la consommation, fait apparaître un fil conducteur : le souci de garantir à nos compatriotes ce droit au français, que j'évoquais à l'instant, et d'en améliorer le contrôle et l'application.
L'article 1er clarifie notre droit. En précisant que la publicité par voie électronique n'échappe pas aux prescriptions de l'article 2 de la loi Toubon, vous prenez en compte les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, laquelle distingue la communication audiovisuelle et la communication au public par voie électronique. Cette précision utile, à droit constant, n'élargit donc pas le champ d'application de la loi, qu'elle maintient en l'état.
Je sais que le paysage de nos villes est un sujet auquel les élus que nous sommes sont particulièrement sensibles. En prévoyant que les enseignes puissent, dans certains cas, être accompagnées d'une traduction ou d'une explicitation en français, vous contribuez, monsieur Marini, à la lutte pour la cohésion sociale, voire à la lutte contre la constitution de véritables « ghettos linguistiques » au coeur même de nos cités.
Les transports constituent un autre sujet sensible pour nos compatriotes. Il me paraît en effet essentiel de prévoir qu'une information en langue française soit fournie dans les moyens de transports internationaux en provenance ou à destination de notre pays, conformément d'ailleurs aux conventions internationales sur le transport aérien. Cela permet tout simplement d'entretenir aussi le goût pour notre langue.
Pour les dénominations sociales des entreprises, la rédaction prudente de votre proposition de loi permet de lutter contre certains usages qui desservent notre langue et ne contribuent pas à assurer l'information du public, tout en respectant le libre établissement et la libre circulation des prestataires de services.
Le droit à la langue s'étend également au monde du travail. Il est important que certains documents clefs pour l'information des salariés et des actionnaires, tels que l'ordre du jour et les procès-verbaux des délibérations des comités d'entreprise, puissent être disponibles dans une langue compréhensible par tous.
Par ailleurs, il est fait obligation aux chefs d'entreprise de soumettre pour avis aux comités d'entreprise un rapport sur l'utilisation de la langue française. Cela les incite à considérer la politique linguistique comme faisant partie de la bonne marche de leur entreprise et du dialogue social. Dans sa sagesse, la commission a limité cette obligation aux seules entreprises de plus de cinq cents salariés.
Enfin, la proposition soumise à votre Haute Assemblée, dans la rédaction adoptée par la commission, a également l'ambition de renforcer les conditions d'application de la loi Toubon, et ce de deux manières. D'une part, il est prévu d'élargir à des associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile, c'est-à-dire d'ester en justice. D'autre part, il est prévu de renforcer la capacité du Gouvernement à informer le Parlement sur l'application de la loi.
Je ne peux évidemment qu'être favorable à ces mesures, d'autant que c'est à mon ministère, comme vous le savez, qu'il revient d'établir, au nom du Premier ministre, le rapport annuel sur l'emploi de la langue française.
C'est donc avec confiance que j'aborde cette discussion, persuadé que cette proposition de loi, en l'état, répond à l'attente de nos concitoyens, qui sont très attachés à la loi Toubon - vous venez de le rappeler, monsieur le rapporteur -, parce qu'ils y voient l'une des plus sûres garanties apportées à la diversité culturelle et à la démocratie.
Vous rappelez aussi fort opportunément, dans votre rapport, les observations qu'a pu formuler la Commission européenne sur la loi précitée et tout particulièrement sur son article 2 concernant l'information des consommateurs.
Consciente de la nécessité de satisfaire aux principes qui régissent le droit communautaire, la France, dans un dialogue constructif avec la Commission, a trouvé un point d'équilibre dans la publication d'une instruction de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes permettant à ses services de contrôler l'application de la loi, en parfaite conformité avec la jurisprudence communautaire.
Cet équilibre, dont je comprends qu'il ne satisfasse pas pleinement la commission - qui le juge « cependant acceptable à titre transitoire » dans son rapport écrit -, nous permet de concilier le respect de nos engagements européens, notamment la libre circulation des biens et des services, avec la protection et l'information des consommateurs -, qui sont, en France comme ailleurs, de plus en plus exigeants - et l'emploi de la langue française sur le territoire français, qui est au coeur même de la loi du 4 août 1994.
Je relève que vous êtes attaché au caractère intangible de ce principe posé par la loi, en particulier dans son article 2.
La réflexion me paraît donc devoir être poursuivie, d'autant que, vous le savez, le Conseil d'Etat est saisi par les associations de défense de la langue française de l'instruction du 26 avril 2005. Il me semble donc utile d'attendre la décision de notre plus haute juridiction administrative pour évaluer précisément notre situation juridique au regard de la conciliation de la loi française, de la nécessaire protection des consommateurs et de nos engagements européens.
Dans un espace européen caractérisé par le plurilinguisme, Umberto Eco n'a t-il pas écrit que la traduction est la langue commune de l'Europe ? Comment mieux encourager nos concitoyens à s'ouvrir aux autres langues européennes que de leur permettre de se sentir en confiance dans leur propre langue ? C'est d'ailleurs l'exigence même des Européens convaincus que nous sommes : si nous voulons que nos concitoyens à aucun moment ne décrochent dans cette aventure politique exceptionnelle, il faut tout simplement qu'ils aient le sentiment que leur identité proche est protégée par l'Union européenne au lieu d'être mise à mal par la mondialisation ou par une excessive marchandisation de la vie politique, économique, sociale ou culturelle.
A cet égard, je suis heureux de saluer dans cet hémicycle, dominé par les figures de nos plus grands législateurs, la belle initiative prise par le secrétaire perpétuel honoraire de l'Académie française, M. Maurice Druon, visant à créer un comité pour la langue du droit européen, afin de conforter le droit romano-germanique en Europe. J'ai accepté avec enthousiasme de siéger à ce comité !
La France n'est pas isolée dans la démarche qui vous est proposée. L'initiative sénatoriale, à laquelle je suis favorable, au nom du Gouvernement - sous le bénéfice des observations que je viens de vous exposer -, tend à renforcer la place de notre pays parmi ceux qui se donnent les moyens de défendre, de promouvoir leur langue et leur culture, et qui sont de plus en plus nombreux.
Sur notre modèle, nombre de pays en Europe se dotent de législations garantissant l'emploi de leur langue nationale. Ces pays sont très attentifs aux évolutions que nous apporterons au dispositif français, comme le seront les soixante-trois Etats de l'Organisation internationale de la francophonie.
En nous engageant dans la voie d'une consolidation de notre politique de la langue, comme vous nous y incitez, nous adressons à ces pays un message de confiance en l'avenir du français et en sa capacité à décrire les visages changeants du monde.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à quatre mois du lancement du festival francophone en France, qui permettra à nos compatriotes de découvrir les mille facettes de la création dans les pays qui partagent notre langue, votre vote sera aussi un message de solidarité et de confiance en l'avenir de la France. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;
Groupe socialiste, 14 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française concrétise l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, en vertu duquel « la langue de la République est le français ».
Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif. La langue française est un élément essentiel de notre patrimoine national. L'Etat a la charge de la défendre C'est aussi un vecteur essentiel d'intégration.
Cependant, la question doit se poser de savoir comment défendre ce patrimoine linguistique sans sombrer dans un conservatisme inadapté et passablement ridicule. Il faut certes défendre le français, mais pas le figer. De tout temps, notre langue s'est construite d'apports.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Anne-Marie Payet. A l'heure de la mondialisation, cette évolution ne peut que s'accentuer.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Anne-Marie Payet. C'est à l'aune de cet impératif qu'il nous appartient de juger les dispositions de la loi Toubon.
Cette loi a adopté une position très libérale en autorisant la présentation conjointe de traductions, à la condition que la présentation en français soit aussi intelligible que celle qui est effectuée en langue étrangère.
Parallèlement à cette disposition, de nombreuses situations ont été prévues dans lesquelles les exigences linguistiques cèdent le pas devant d'autres intérêts généraux tels que, par exemple, la liberté d'expression et de communication.
Par ailleurs, le législateur de 1994 s'est intéressé à tous les aspects de la vie française, tant culturels qu'économiques et sociaux.
Si ces dispositions nous semblent équilibrées, il n'en est pas de même des articles de la présente proposition de loi.
Avec les meilleures intentions du monde, M. Marini nous suggère d'instituer une obligation d'usage du français pour tous les messages informatiques, dès lors qu'ils ne sont pas exclusivement conçus pour des personnes de nationalité étrangère. Doit-on vraiment légiférer sur cette question ?
Le législateur doit-il intervenir pour que le moindre message d'erreur soit libellé dans la langue de Molière ? A notre avis, la question se pose.
Une autre des propositions de notre collègue réside dans l'obligation de traduire toutes les enseignes et devantures de locaux commerciaux avec des caractères de taille équivalente à ceux qui sont employés pour la version étrangère. Une telle mesure s'impose-t-elle ? Relève-t-elle de la loi ? Veut-on dénaturer Chinatown ? Nous nous interrogeons toujours.
Au-delà de la question de savoir si de telles mesures relèvent bien de la compétence législative, une autre interrogation, bien plus grave, se profile. L'objet de la présente proposition de loi est la défense de notre langue. Mais, en déposant ce texte, défend-on la langue de la manière la plus adéquate ? Est-ce, par exemple, en obligeant les chefs d'entreprise à présenter un rapport annuel au comité d'entreprise sur l'usage du français dans la structure que l'on défendra au mieux notre patrimoine linguistique ?
La valorisation de la langue française passe, à notre avis, par l'élaboration d'un projet de société bien plus large que par une courte énumération de « mesurettes cosmétiques ».
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument ! Bravo !
Mme Anne-Marie Payet. Pour faire aimer le français, il faut faire aimer la France.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Anne-Marie Payet. Et, pour faire aimer la France, il faut que cette dernière offre à chacun des possibilités d'intégration et d'épanouissement.
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut dire cela à M. Sarkozy !
M. Philippe Marini. Oui, je vous en prie ! C'est vraiment incroyable !
Mme Anne-Marie Payet. Défendre le français, c'est non pas changer les devantures des vitrines du quartier chinois, mais faire aimer toutes les formes d'expression écrites ou orales sur l'ensemble du territoire national et à l'étranger.
J'insiste d'autant plus sur ce point que je viens d'apprendre que trois jeunes élèves de mon département ont été primés au concours national de poésie organisé par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Et c'est la jeune Emilie Souprayen-Coutaye, âgée de onze ans, qui a obtenu le premier prix.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Très bien !
Mme Anne-Marie Payet. Défendre le français, c'est aussi mettre l'accent sur la francophonie. Défendre le français, c'est aussi faire comprendre qu'une bonne maîtrise de la langue est un atout majeur pour trouver sa place dans la société. Par les temps qui courent, c'est une réflexion qui ne nous semble pas vaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 4 août 1994, dont une révision nous est proposée par notre collègue M. Marini, ne saurait faire l'objet d'un long débat entre nous. Si notre langue est attaquée ou maltraitée, notre devoir est de la défendre et, au-delà, de la promouvoir.
Je voudrais rappeler en cet instant que cette loi est le fruit d'un cheminement politique qui va au-delà des alternances : un projet de loi avait été préparé en 1992 par notre collègue Mme Tasca, alors ministre délégué à la francophonie et, en 1994, M. Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, a inscrit son action dans cette continuité.
L'innovation principale de la loi de 1994 résidait dans la création de sanctions pénales.
Même si l'on peut toujours s'interroger sur l'influence de mesures de coercition sur l'évolution d'une langue, on peut néanmoins dresser un bilan de la loi aujourd'hui. Il est sans doute suffisant en matière de protection des consommateurs; mais il l'est moins dans le domaine du travail et de l'emploi, et des insuffisances demeurent concernant les colloques scientifiques et les relations internationales.
Rappelons que cette loi comporte principalement des dispositions rendant obligatoire l'usage de la langue française, notamment dans les relations de commerce et de services, dans les services publics, dans l'enseignement, dans les relations relevant du droit du travail, lors des manifestations, etc. Ces dispositions concernent tant l'écrit que l'oral. La proposition de M. Marini durcit ce dispositif pour ce qui a trait aux relations commerciales et de services.
Il semble aujourd'hui nécessaire de mettre en oeuvre un suivi plus rigoureux de l'application de ladite loi dans les entreprises et dans l'administration des affaires sociales et du travail. Par exemple, si l'organisation de colloques en langue anglaise peut paraître compréhensible dans le milieu de la recherche médicale ou de la recherche fondée sur les sciences exactes, la France est en droit de faire reconnaître une réelle spécificité dans le domaine des sciences sociales. Dès lors, pourquoi ne pas utiliser le français lors de colloques portant sur ce sujet ? L'intérêt des analyses en sciences sociales s'accommode fort bien de la langue nationale, puis de la traduction pour exprimer l'originalité de la contribution.
La loi Toubon a sans doute permis certains progrès et a favorisé la diffusion de la langue et le rayonnement de la culture française.
Les entreprises en ont été les vecteurs, et cela doit continuer. Il en est ainsi notamment de l'industrie française du luxe, ou d'une entreprise comme Air France, qui, à bord de ses avions, propose des films en français et des sous-titres français pour les films étrangers. Mais encore faudrait-il qu'Air France et toutes les compagnies aériennes touchant notre sol n'omettent pas de faire leurs annonces en français !
M. Jacques Legendre, rapporteur. Tout à fait !
M. Yannick Bodin. Je voudrais maintenant exprimer un regret.
La loi Toubon, même si elle a su montrer certains mérites, n'est que l'un des éléments de la politique publique de défense et de promotion de la langue française. Surveiller et sanctionner l'emploi de la langue est sans doute utile, mais le projet est court si nous en restons là !
Cette loi ne saurait trouver sa juste mesure qu'avec une politique volontariste de généralisation de la pratique du français sur notre territoire, d'une pratique de qualité et pour tous. Une telle politique devrait également favoriser la diffusion culturelle à l'étranger. La meilleure manière de défendre la langue est de la pratiquer, de l'enseigner, en France d'abord puis à l'étranger. Il faut donc aller plus loin !
En cet instant, nous défendons notre langue. Mais nous devrions passer d'une attitude défensive à une attitude offensive, et commencer par promouvoir la langue chez nous, dans nos quartiers, auprès de nos jeunes, en particulier auprès de ceux qui se sentent exclus de la République.
L'intégration passe par la langue, et d'abord avec l'éducation nationale, mais aussi par les associations de quartiers.
Il existe, dans notre système éducatif, des moyens qui permettent la maîtrise de la langue française, parlée, lue et écrite, facteur essentiel d'intégration sociale, d'insertion professionnelle et d'épanouissement personnel. Cependant, ces moyens sont insuffisants. Regardez le résultat aujourd'hui !
Par exemple, concernant l'accueil et la mise à niveau des enfants de migrants, les prestations de formation varient beaucoup selon les départements et sont inférieures aux besoins réels des populations.
M. Jacques Legendre, rapporteur. C'est vrai !
M. Yannick Bodin. Le rapport 2005 sur l'emploi de la langue française nous révèle que les départements qui ont expérimenté les mesures systématiques d'accueil et de formation - entre 180 heures et 600 heures - utilisent les crédits dévolus à la mission générale d'insertion. Je cite ce rapport : « Or ces crédits sont de plus en plus difficiles à mobiliser compte tenu des problèmes budgétaires de cette mission ».
Un effort particulier doit être engagé en faveur des jeunes, et ce dans le cadre scolaire. Or, et je l'avais déjà dit à cette tribune voilà quelques mois, la loi Fillon n'a rien fait pour améliorer les conditions d'enseignement dans les ZEP, les zones d'éducation prioritaires. Rien de nouveau n'a été proposé pour aider ces jeunes dont les besoins augmentent.
Le programme personnalisé de réussite scolaire ne peut suffire à ces jeunes pour s'intégrer si les moyens financiers et humains ne suivent pas. Or le budget 2006 ne fait que confirmer les craintes que j'émettais au printemps dernier : les zones d'éducation prioritaires ne sont plus prioritaires !
Certes, le Premier ministre vient de nous informer de mesures nouvelles. Alors, attendons les actes.
La plupart de ces jeunes se sentent exclus. Or le premier facteur d'intégration dans notre société est la langue nationale. Comment ne pas se sentir citoyen de seconde zone quand on pratique mal la langue de notre pays ? L'illettrisme est une dimension réelle de l'exclusion. Nous avons un devoir de promotion de la langue française, en donnant les moyens de son apprentissage correct là où elle est mise à l'épreuve, à commencer par nos quartiers, nos collectivités.
Dans le projet de loi de finances pour 2006, huit cents postes d'enseignants mis à disposition des associations sont supprimés, alors que la subvention du ministère de l'éducation nationale avait diminué en 2005.
Par ailleurs, la suppression des emplois-jeunes met en grave difficulté les associations éducatives complémentaires de l'enseignement public, et l'école publique elle-même.
Ces associations sont des relais efficaces auprès des adultes qui ont besoin de cours d'alphabétisation. Leur travail est important pour l'apprentissage du français, notamment pour les femmes immigrées. Or, non seulement les subventions sont en baisse, mais certaines associations qui consacraient l'essentiel de leur activité à l'apprentissage de la langue française ont été contraintes de fermer leurs portes. Et pourtant, ne s'agit-il pas, là aussi, de la défense de l'emploi de la langue française ?
Nous connaissons les drames, que l'actualité nous révèle chaque jour, dans nos villes et nos banlieues. Nous cherchons des solutions.
Une première mesure en faveur de l'intégration s'impose : répandre la pratique de la langue française à tous les niveaux. Là aussi, le Premier ministre a annoncé le rétablissement des subventions malencontreusement supprimées. C'est tant mieux, mais, là encore, nous attendons les actes.
Promouvoir la langue française sur le sol national est essentiel, mais cette action doit être prolongée à l'échelon international. Ne soyons pas sur la défensive face aux autres langues alors que nous avons un magnifique moyen pour être plus offensif : le monde francophone.
La francophonie - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre - est une des pièces essentielles du rouage institutionnel pour la défense de notre langue.
Or, si on nous appelle aujourd'hui à nous prononcer sur une loi défendant l'emploi de la langue française, il nous faudra demain voter le budget 2006 pour la francophonie alors que les crédits sont en diminution.
M. Jean-Pierre Sueur. Et voilà !
M. Yannick Bodin. Où est ici la cohérence du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y en a pas !
M. Yannick Bodin. Les crédits des deux programmes intitulés « Rayonnement culturel et scientifique » et « Français à l'étranger et étrangers en France » passent de 346 millions d'euros attribués l'année dernière à 335 millions d'euros prévus pour 2006. Et l'on prétend défendre la langue française ? L'animation du réseau francophone va, à elle seule, perdre plus de 30 millions d'euros et le service public d'enseignement à l'étranger devra se contenter d'un budget amputé de 12 millions d'euros.
Et pourtant, la France doit être à l'avant-garde si elle veut que l'emploi de la langue française soit assuré et défendu dans les pays francophones.
Pour conclure, les modifications de la loi qui nous sont proposées aujourd'hui entrent dans une logique de défense de la langue française : le groupe socialiste les soutiendra.
Néanmoins, je voudrais insister sur le fait que cette loi ne peut être qu'un des instruments d'une politique volontariste de diffusion de la langue française, sur le sol français d'abord, à l'étranger ensuite, et donc par des moyens suffisants donnés à l'enseignement et aux associations d'éducation populaire, aux structures de promotion de la langue comme les alliances françaises et les centres culturels, ainsi que par une implication auprès de nos partenaires francophones.
L'objet même de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui devrait nous conduire à faire en sorte que la France reste à l'avant-garde de la défense de la langue française et de la promotion de son usage dans la francophonie et partout dans le monde.
La langue française se défend, certes, mais elle se vit au quotidien avant tout. A nous de l'accompagner dans sa pratique et son rayonnement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini. Tout d'abord, monsieur le ministre, je voudrais vous remercier de votre écoute, du temps que vous avez bien voulu consacrer à ce sujet, de votre présence aujourd'hui et de votre soutien à cette démarche.
Je voudrais ensuite particulièrement remercier le rapporteur de la commission des affaires culturelles, Jacques Legendre, par ailleurs secrétaire général de l'assemblée parlementaire de la francophonie, qui, depuis très longtemps, s'efforce de conjuguer tous les moyens nécessaires, avec les convictions que nous lui connaissons, pour que le français conserve et développe toute sa place dans le monde.
La présente proposition de loi est très modeste ; il s'agit d'adapter sur quelques points, plus de dix ans après son vote, la loi Toubon, en respectant l'ordre public international - c'est-à-dire le droit communautaire -, par exemple dans le domaine des marques et de la propriété industrielle.
La voie est parfois étroite, mais nous nous sommes efforcés, et la commission des affaires culturelles a très précisément ajusté le dispositif, de bien raisonner en termes d'explicitation pour les consommateurs francophones, afin que les dispositions ici préconisées ne contreviennent pas au droit communautaire.
La commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, a fait un travail tout à fait remarquable. Grâce à ce travail d'audition, de concertation, vous avez abouti à un texte dans lequel l'auteur de la proposition de loi se retrouve tout à fait.
Vous y avez même ajouté quelques initiatives, notamment en matière de transport aérien, et je ne puis qu'y être sensible.
Je voudrais souligner à mon tour, après l'orateur du groupe socialiste, que cette démarche ne saurait être perçue comme défensive ou purement défensive.
Certes, la langue est le creuset de notre citoyenneté - le ministre l'a rappelé - et nous pouvons le réaliser encore davantage aujourd'hui. Si la république a un sens, si elle refuse les communautarismes, si elle propose des valeurs universelles, c'est bien à partir de notre langue : le français.
Au demeurant, monsieur le ministre, je voudrais rappeler que l'idée de ces quelques dispositions m'est venue de la pratique de trois fonctions que j'exerce.
D'abord, la fonction de maire, qui est à la base de tout, car elle nous met en contact avec les réalités les plus diverses de la société.
Quand un maire voit se multiplier des enseignes qui ne sont plus francophones, quand il les voit se répandre sur les façades des immeubles, sur les devantures, et quand il voit cette situation évoluer d'année en année, il se pose bien sûr des questions. Quand il entend les plus jeunes s'exprimer, quand il constate combien ils sont conditionnés « culturellement parlant » par une mondialisation largement anglo-saxonne, là aussi le maire se pose des questions. Quelle sera notre société ? Quelle sera la réalité de cette diversité culturelle dans le monde de demain ou d'après-demain ?
Nous devons non pas gérer « à la petite semaine » mais essayer de nous interroger sur ce que sera l'environnement de nos enfants, de nos petits-enfants, dans vingt ans, trente ans, cinquante ans ou cent ans.
Mes chers collègues, nous devons être capables de léguer notre langue, si cela est possible, encore plus belle, encore plus forte que lorsqu'elle nous a été remise.
Président du groupe interparlementaire France-Québec, je ne pouvais, là aussi, qu'être très sensible à cette priorité de la langue française, facteur d'identité et de citoyenneté.
Quel plus bel exemple en effet, monsieur le ministre, sur une échelle multiséculaire, que celui de cette société québécoise qui sait être fidèle à ses origines et à ses traditions tout en étant extrêmement ouverte au monde d'aujourd'hui ? Il n'est nulle société plus ouverte économiquement, socialement, j'allais dire « sociétalement », que cette société québécoise. Nous le savons par tous les développements qu'elle a connus dans les domaines des arts et des prestations culturelles. Combien d'artistes francophones nous viennent du Québec, qui a su un jour se réveiller, s'ouvrir dans une révolution tranquille, et qui a su se doter d'une charte de la langue française !
En vérité, l'idée de ces quelques dispositions m'est venue il n'y a pas si longtemps, à la table du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin qui recevait le Premier ministre québécois Jean Charret dans le cadre des réunions annuelles entre les premiers ministres québécois et français. Nous en sommes venus, dans le cours de la conversation, à parler de ces rues de certains quartiers de Paris où il est possible de parcourir plusieurs centaines de mètres sans voir aux devantures des magasins ou sur les enseignes un mot de français, ni même parfois un mot articulé en caractère latin.
N'en déplaise à Mme Payet, le génie de notre pays et de sa capitale réside dans le fait que les français francophones puissent comprendre ce qui est écrit sur les murs et aux devantures des magasins ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Cela paraît relever du bon sens.
Sans excès, et avec la volonté de demeurer les plus ouverts possibles vis-à-vis du monde d'aujourd'hui, nous devons prendre quelques dispositions pour ajuster, pour actualiser, un peu plus de dix ans après son adoption, la loi Toubon.
Il est vrai que nos enfants et nos petits-enfants seront de plus en plus façonnés par les instruments informatiques et électroniques. Il est vrai que la toile mondiale, par beaucoup des expressions qui lui sont propres, véhicule l'anglais. Celui-ci peut traduire une volonté d'ouverture, de confrontation d'idées dans le monde entier, et a sa raison d'être, comme d'autres langues. Cependant, si l'anglais est imposé par une simple force mécanique à des usagers francophones, il y a lieu de s'interroger, et c'est ce que nous avons fait, en accord avec la commission des affaires culturelles.
Enfin, ayant le plaisir d'accompagner M. Jacques Legendre aux réunions de l'assemblée parlementaire de la francophonie, je suis souvent frappé par les exigences qu'expriment nos collègues francophones des pays d'Afrique, voire d'Asie.
Des Vietnamiens, des Maliens ou des Libanais nous demandent d'être plus exigeants, de nous montrer de meilleurs défenseurs de notre langue, qui - ils tiennent à le préciser - est aussi la leur dans le monde d'aujourd'hui.
Bien entendu, et je suis mille fois d'accord avec vous, monsieur Bodin, soyons offensifs ! Je prendrai quelques exemples.
Nous devons soutenir le réseau des centres culturels et des alliances françaises dans le monde, qui est tout à fait remarquable et peut nous inspirer de la fierté.
Je relaterai encore une anecdote avant de quitter cette tribune.
Il n'y a pas longtemps, en mission avec le bureau de la commission des finances du Sénat, M. du Luart et moi-même avons eu le plaisir, à Shanghai, de nous rendre tous les deux à l'Alliance française. (M. Roland du Luart opine.) Nous avons éprouvé une très grande fierté à voir combien était grand, dans ce monde nouveau, très largement anglophone, l'appétit pour le français d'une minorité agissante de jeunes, d'une belle minorité.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Nous avons vu l'ampleur des sacrifices que de jeunes Chinois et, surtout, de jeunes Chinoises consentent pour apprendre le français. Lorsque nous leur avons demandé pourquoi elles apprenaient le français, certaines d'entre elles nous ont répondu que c'était aussi parce que, si l'anglais va de soi dans le monde d'aujourd'hui, il faut faire plus pour être performant dans cette Chine qui ne cesse de se développer : le français, c'est l'exigence, la difficulté, la littérature, l'une d'entre elles nous ayant même dit : « C'est la langue de l'amour ! ». (Applaudissements.)
Soyons offensifs, soutenons sans complexe nos réseaux francophones à l'étranger.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, cette semaine ont été annoncées des dispositions pour créer - enfin ! - une chaîne d'information internationale à la française. Certes, elle n'a pas vocation à ne s'exprimer qu'en Français...
M. Jacques Legendre, rapporteur. C'est normal !
M. Philippe Marini. ...si elle veut être efficace et pertinente sur tous les continents. Cependant, elle véhiculera des façons de penser, des concepts, des idées à la française nous représentant toutes et tous, malgré nos diversités, ou, peut-être, grâce à nos diversités.
M. Yannick Bodin. Avec TF1, il y a tout de même des risques !
M. Philippe Marini. Il n'est pas absurde que, la même semaine, au Sénat, grâce à ces quelques modestes dispositions, nous réaffirmions l'utilité de défendre nos valeurs, notre culture, notre langue.
La défense de la langue française doit nous fédérer, nous unir, et permettre à nos concitoyens de s'exprimer et de participer. De ce point de vue, le rôle des associations - vous en évoquiez certaines, monsieur Bodin - doit être valorisé et les Français résidant en France, à commencer par les Français intégrés et assimilés venus d'autres cultures, doivent se considérer comme comptables et responsables de cette langue qui est notre patrimoine commun.
Je terminerai mon intervention en évoquant le concours d'orthographe organisé par la ville de Compiègne, que j'ai l'honneur d'administrer. Chaque année, ce concours, qui comporte trois niveaux, distingue des jeunes issus de l'immigration et, qui plus est, de milieux extrêmement modestes : ils savent que le fait de manier correctement la langue française leur donne le maximum de chances pour s'intégrer et bien faire leur chemin dans la vie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux que me réjouir de l'intérêt et de l'attention portés à la langue française.
J'ai aussi trouvé beaucoup de pertinence à certains des nouveaux articles proposés, je pense en particulier aux mesures relatives aux messages informatiques sur Internet, qui est un puissant instrument de diffusion de l'anglais à travers la planète.
Dans le même temps, je dois vous avouer ma perplexité, car j'ai l'impression que plus on légifère sur la langue française, plus son emploi régresse.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument ! Là est le problème !
M. Ivan Renar. La loi Toubon, votée il y a onze ans, n'a pas permis d'endiguer la lente mais régulière érosion du français dans le monde. Pour autant, je ne veux pas dire que la loi est inutile, mais comment peut-elle être respectée quand l'Etat français lui-même est le premier à manquer à ses obligations et devoirs en la matière, comme le rappelle de façon pertinente M. le rapporteur dans son rapport écrit ? D'autant que les nouvelles propositions me paraissent bien défensives et ne tendent qu'à corriger des usages de plus en plus ancrés dans la vie ?
M. Jean-Pierre Sueur. Effectivement !
M. Ivan Renar. Plutôt que de s'attaquer aux causes, on se limite aux effets. Malgré la progression de l'anglais dans le langage courant et dans le monde entier, j'estime que le français a vocation à demeurer une grande langue internationale, mais, hélas ! elle souffre d'une insuffisance de moyens budgétaires et humains pourtant indispensables à son rayonnement mondial et à son développement.
Cela étant, je suis convaincu que la meilleure façon de promouvoir la langue française consiste aussi à sortir de la logique de la citadelle assiégée et du débat franco-français.
C'est sur la scène mondiale et par la promotion de la diversité culturelle et de la pluralité linguistique que nous atteindrons l'objectif de renforcer la langue de Molière.
Le combat en faveur de la langue française passe par la défense de la cause du plurilinguisme.
M. Jacques Legendre, rapporteur. C'est vrai !
M. Ivan Renar. La diversité linguistique est un véritable patrimoine commun de l'humanité, aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l'ordre du vivant. Sa protection est un impératif éthique, notamment face à l'hégémonie de l'anglo-américain et à la menace d'uniformisation que celle-ci constitue. Langues de tous les pays, unissez-vous ! Pas contre l'anglo-américain, qui est une langue comme une autre, mais qui doit pas être au-dessus des autres.
Si l'anglo-américain s'affirme comme étant la langue internationale et confirme toujours plus sa prégnance, c'est aussi parce qu'il est la langue d'un système socio-économique et culturel dominant et arrogant.
C'est donc aussi sur le terrain de la pensée, de l'esprit, des idées, de la création artistique, des modes de vie, des représentations du monde que se mène ce combat.
Pour des centaines de millions d'hommes et de femmes, le français dans le monde est la langue des droits de l'homme, de la liberté et de la citoyenneté.
A cet égard, il est particulièrement révélateur de constater que les Américains se sont farouchement mobilisés, quasiment seuls, face à l'ensemble des nations, pour tenter de faire capoter la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle.
Les quotas mis en place pour la chanson française sur nos ondes sont des dispositions tangibles. Si nous voulons que la langue nationale soit le lieu le plus évident de la communauté nationale, du corps social, de l'égalité des chances, et donc de l'intégration comme du rayonnement de notre culture et de nos savoir-faire, le politique se doit de programmer les moyens de son enseignement et de sa diffusion nationale et internationale.
Le cinéma français, la littérature, la presse, la musique, l'enseignement supérieur, les domaines scientifiques, les radios et les chaînes de télévision doivent être les conservatoires et les laboratoires intelligents de notre langue et de son développement « naturel et adapté », d'autant que si les langues vivent, s'enrichissent, évoluent, il n'y a aucune fatalité à leur déclin.
Promouvoir l'usage du français suppose avant tout des mesures incitatives et le renforcement en moyens budgétaires des leviers sur lesquels il repose.
Je pense, en particulier, à l'école et à la télévision, qui devraient être les deux véhicules fondamentaux de promotion du français, en France comme à l'étranger. Je dis « devraient » parce que le chantier est encore devant nous.
A propos de la loi Toubon, que nous actualisons partiellement en quelque sorte, Alain Rey déclarait déjà : « Quand la loi s'adresse à des adultes en matière de langue, elle met la charrue devant les boeufs. Tout ce qu'on peut faire pour modifier la perception de la langue dans une société, c'est par l'école, et uniquement l'école. » Voici ce que pouvait dire André Malraux : « Les enfants, là est la clé du trésor. »
Que dire de notre éducation nationale, qui privilégie l'apprentissage de l'anglais au détriment de toutes les autres langues, d'ailleurs toutes en net recul, pour ne pas dire en voie de disparition, dans les cours ? Comment s'étonner que les Italiens, les Portugais, les Russes, les Allemands, boudent l'apprentissage du français, quand nous ignorons nous-mêmes délibérément leur langue, et je ne parle pas de l'arabe ou du chinois ?
Pour ma part, je reste attaché aux propositions du groupe de travail sénatorial sur l'enseignement des langues vivantes étrangères dont le rapport - vous vous en souvenez, monsieur Legendre, puisque vous en étiez l'auteur ! - préconisait de placer l'anglais en deuxième langue, parce que de toute façon, nous n'échapperons pas à l'anglais.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Tout à fait !
M. Ivan Renar. Par ailleurs, n'est-il pas paradoxal de constater la diminution, depuis plusieurs années, des heures d'enseignement du français dans les établissements du second degré ? Comment s'étonner du fossé qui se creuse entre les élèves qui s'approprient Le Cid ou Notre-Dame de Paris, et les autres, qui n'accèdent pas à ces textes, perçus comme une langue étrangère ! Nous n'avons pas le droit de les déshériter de ce patrimoine, qui appartient à tous.
Picasso le répétait à l'envi : « L'art, c'est comme le chinois, ça s'apprend ! »
Dans ce contexte, comment ne pas déplorer la réduction des moyens dévolus à la place de l'art à l'école, alors qu'ils étaient déjà bien dérisoires ?
« Ouvrons des lieux de culture, nous délivrerons des ghettos ! » La tragédie des violences urbaines d'aujourd'hui apporte une lumière crue à ce que disait Victor Hugo il y a plus d'un siècle.
Plutôt que d'instaurer une police de la langue, inspirons-nous de l'action exemplaire de certains créateurs !
Ainsi, le cinéaste Abdellatif Kechiche, dans son film l'Esquive, nous fait découvrir les lettres de noblesse dont chaque jeune est porteur. Les professionnels du cinéma ont attribué cette année le César du meilleur film à ce réalisateur car son oeuvre témoigne, par le verbe insolent de Marivaux, que le langage est bien un pouvoir dès lors qu'il est maîtrisé.
L'homme est langage et il ne naît véritablement au monde qu'avec la capacité de s'exprimer.
Oui, plus que jamais - et l'actualité nous le rappelle cruellement ! - nous avons besoin des artistes et des arts à l'école.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Ivan Renar. Renforcer le rayonnement du français, c'est aussi renforcer les moyens de France Télévisions, de Radio France, de l'AFP, de RFI, de TV5.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Ivan Renar. Les médias écrits et parlés sont déterminants dans la diffusion de notre langue, des oeuvres de nos créateurs, mais aussi essentiels pour une autre lecture du monde.
De même, cessons de démanteler les centres et instituts culturels à l'étranger, d'autant que l'attrait pour la langue française, loin d'être moribond, ne fait que croître, non seulement dans les pays francophones - bien évidemment, monsieur Marini ! - mais aussi dans des pays comme l'Inde, la Chine ou la Slovaquie !
Affaiblir l'apprentissage du français, en particulier en Europe, revient à renoncer, à terme, à ce qu'il demeure la langue officielle des instances européennes. C'est donc renoncer à l'influence de notre pays non seulement en Europe, mais aussi à l'échelle de la planète.
En conclusion, je reprendrai un extrait d'un texte de Jean-Luc Lagarce dans lequel ce qu'il énonce à propos de l'art a, selon moi, partie liée avec les enjeux de notre débat sur l'emploi du français, et je le fais en pensant à mon ami M. Jack Ralite, qui nous en avait donné lecture lors d'une réunion de la commission des affaires culturelles :
« Une société, une cité, une civilisation qui renonce à l'art, qui s'en éloigne, au nom de la lâcheté, la fainéantise inavouée, le recul sur soi, qui s'endort sur elle-même, qui renonce au patrimoine en devenir pour se contenter, dans l'autosatisfaction béate, des valeurs qu'elle croit s'être forgées et dont elle se contenta d'hériter, cette société-là renonce au risque, elle oublie par avance de se construire un avenir, elle renonce à sa force, à sa parole, elle ne dit plus rien aux autres et à elle-même. »
Je crois que nous pourrions appliquer à la langue française ce que dit Jean-Luc Lagarce de la création artistique.
L'analyse de M. Jacques Legendre, rapporteur permanent et vigilant de la législation sur l'emploi de la langue française, a contribué à éclairer la proposition de loi de M. Marini, mais aussi à la faire amender dans le bon sens par la commission des affaires culturelles.
C'est pourquoi, malgré mes craintes quant au caractère uniquement incantatoire de cette proposition de loi, nous voterons pour.
Toutefois, afin que ce texte ne reste pas un voeu pieux, nous veillerons à ce que les dispositions du budget 2006 et des budgets suivants prévoient les moyens de sa mise en application.
Monsieur le ministre, la preuve du pudding, ou plutôt « poudingue », c'est qu'on le mange ! (Sourires.)
Il faut donner les moyens matériels et humains à tous ceux qui oeuvrent pour la promotion de la langue française, non pas pour adopter une position de repli quasi identitaire, mais afin de rappeler en permanence, face aux communautaristes et aux intégristes de toutes sortes, que nous faisons partie d'une même communauté qui s'appelle l'humanité.
La France, si elle a encore à apprendre du monde, a encore à lui apporter. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur le président, mesdames, messiers les sénateurs, je ferai quelques brèves remarques.
Je dirai tout d'abord à Mme Anne-Marie Payet qu'il est légitime et nécessaire de faire en sorte que les nouvelles technologies ne perturbent pas un certain nombre de principes essentiels, et notamment le recours à la langue française. Mais pour cela, nous devons réagir, comme nous le faisons au sein de la commission générale de terminologie et de néologie, afin que tous les nouveaux termes nécessaires aux échanges sous toutes leurs formes soient labellisés et créés en français le plus rapidement possible. C'est une course contre la montre, qui, lorsqu'on la gagne permet de rendre compatibles l'usage de la langue française et les nouvelles technologies. Ne pas nous préoccuper des systèmes d'information et des nouvelles technologies, ce serait tourner le dos à de nombreuses difficultés.
Avant que j'exprime une quelconque autosatisfaction, de l'eau aura coulé sous les ponts. Toutefois, compte tenu de certains propos que j'ai entendus dans cette conjoncture, j'exprimerai le voeu que chacun partage la fierté de l'ensemble des Françaises et des Français à la suite de l'adoption, par la quasi-intégralité de la communauté internationale, de la convention sur la diversité culturelle.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Très juste !
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Si nous avons perdu des combats, nous en avons gagné d'autres ! En l'occurrence, seuls deux Etats ont voté contre cette convention. Certes, nous pouvons toujours considérer que nous sommes les plus nuls de la planète. Mais, à certains moments, il faut reconnaître nos réussites sans arrogance mais dans une logique de respect de la diversité.
Par ailleurs, j'aimerais vous faire part d'une expérience personnelle, que j'ai vécue hier après-midi.
J'avais lu dans un journal qu'une expérience particulièrement intéressante était menée par l'éducation nationale dans un collège de Villiers-Le-Bel, dans le Val-d'Oise, tout proche de Paris : des élèves y ont écrit de petits livres relatant l'histoire de leur ville pendant les deux premières guerres mondiales et la guerre d'Algérie.
J'ai donc invité ces jeunes au ministère, hier après-midi, pour une discussion sans tambour ni trompette à laquelle n'avait été convié aucun journaliste, et sans que j'aie fixé de règle ou opéré de sélection préalable.
Aucun, parmi ces jeunes, n'avait les yeux bleus ou les cheveux blonds. Mais ils étaient tous merveilleusement bien intégrés et heureux.
Je citerai deux de leurs témoignages, et tout d'abord celui d'un garçon, qui vit en France depuis quatre ans. Il s'exprime dans un français absolument parfait et a envie de devenir acteur. Je ne sais pas ce que l'avenir lui réservera, mais je sais simplement qu'il est un représentant heureux, détendu et impertinent de cette jeunesse de France, que l'éducation nationale sait accompagner, former et éduquer.
Une jeune fille, ensuite, également auteur d'un de ces livres et aujourd'hui lycéenne, m'a expliqué quant à elle qu'elle était bien dans sa peau et que, si les évènements actuels devaient perdurer, elle prendrait la tête d'une manifestation afin de montrer que la jeunesse n'est pas faite sur un seul modèle.
Je cite ces exemples afin que, tout en ayant parfaitement conscience des difficultés les plus extrêmes qui se présentent à nous, nous sachions aussi donner un coup de chapeau à ce qui fonctionne.
Je ne me permettrai pas de vous donner des conseils, mesdames, messieurs les sénateurs, mais voilà ce que je fais lorsque je me déplace à l'étranger : au moment de préparer mes déplacements, je demande à chaque fois à l'ambassadeur de France du pays que je visite de prévoir un temps de dialogue avec des professeurs de français,...
M. Jacques Legendre, rapporteur. Très bien !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. ...simplement pour les saluer, les écouter et savoir ce dont ils ont besoin. Ainsi, comme le disait Yannick Bodin, nous pouvons éviter d'avoir une vision restrictive et étroite des réalités.
Cette largeur de vue est présente dans le rapport et la proposition de loi de Philippe Marini, qui s'est concentré sur un certain nombre de points opérationnels précis.
Il est évident que la politique de la langue française concerne aussi notre rayonnement culturel, celui des centres culturels et de ce réseau que nous nous efforçons en permanence de développer. C'est la raison pour laquelle je me suis rendu vendredi dernier à la Nouvelle-Orléans. En effet, s'il y a un lieu, aux Etats-Unis et dans le monde, qui symbolise la culture, la présence françaises et la francophonie, c'est bien cette ville.
M. Yannick Bodin. Ce qu'il en reste, malheureusement !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Justement, monsieur Bodin, nous avons fait des propositions très précises et concrètes afin que le rayonnement artistique et culturel de la Nouvelle-Orléans ne s'éteigne pas.
Il est évident que nous devons relever des défis redoutables. Et il nous faut mener ces projets à bien, pour ne jamais avoir le sentiment de devenir des « ultra-minoritaires ». Car lorsqu'un pays ou un peuple, quel qu'il soit, se laisse gagner par cette conviction, alors la logique de l'intégrisme, de la protection excessive et des dérapages peut l'emporter.
Nous devons donc assumer une politique rayonnante de la langue en tant que valeur, non pas d'arrogance, mais d'échange, de rayonnement et de force.
Vous m'avez entendu parler maintes fois des statistiques établies par l'UNESCO sur la concentration excessive d'un certain nombre de grandes activités culturelles et artistiques dans le monde. Pour autant, il ne s'agit pas de priver de droit de cité certaines de ces activités, mais d'assurer un meilleur équilibre entre les différentes formes d'expression.
Ces propositions y concourent et j'espère, comme M. Ivan Renar, et je le remercie d'avance de son vote positif, qu'il s'agira non pas d'incantations, mais de mesures précises s'insérant dans le dispositif global, que nous nous efforçons de promouvoir.
Cela signifie aussi que nous devons soutenir la présence artistique française à l'étranger, comme nous le faisons dans de nombreux pays.
Ainsi, lorsque l'on regarde les statistiques concernant la présence du cinéma français en Italie, par exemple, on s'aperçoit que celui-ci représente moins de 3 % de l'ensemble des films projetés, alors même que des liens si forts unissent nos deux pays !
Nous devons donc réagir et, à ce moment-là, le vote positif de M. Ivan Renar ne préludera pas à une incantation, mais à la mobilisation nécessaire de chacun d'entre nous. Il s'agit d'un enjeu national essentiel ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - M. Ivan Renar applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Dans le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, les mots : « ou audiovisuelle » sont remplacés par les mots : « audiovisuelle ou par voie électronique ».
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Après le premier alinéa de l'article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« Dès lors qu'ils sont susceptibles de contribuer directement ou indirectement à l'information du consommateur sur la nature des biens, produits ou services proposés, les termes étrangers utilisés dans la formulation d'une enseigne doivent être accompagnés d'une traduction ou d'une explicitation en français. »
« Toute annonce faite dans un moyen de transport collectif en provenance ou à destination du territoire national, et destinée à l'information des voyageurs, doit comporter une formulation complète en langue française.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a dit M. Yannick Bodin, nous allons bien entendu voter cette proposition de loi.
Mais je souhaite vous faire part de quelques réflexions à l'occasion de l'examen de l'article 2. Celui-ci prévoit en effet que toute inscription en langue étrangère sur une enseigne ou sur la devanture d'un local commercial doit comporter une traduction en langue française de taille équivalente.
Je pose donc une question très concrète : que va-t-il se passer pour les pressings ? Après le vote de cette proposition de loi, faudra-t-il, par exemple, ajouter sur l'enseigne du pressing de la rue de Tournon l'inscription, au même format, « nettoyage à sec » ?
Or, en consultant Le Petit Robert, j'ai constaté, à la page 2062, que le mot « pressing » avait été introduit dans la langue française en 1935 !
M. Philippe Marini. Dans ce cas, il n'y a pas de problème !
M. Jean-Pierre Sueur. De nombreux mots étrangers font partie de la langue française depuis longtemps.
M. Philippe Marini. Ils y sont, ils y restent !
M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi, « shampoing » date de 1877 et « shopping » de 1804. Quant au « pudding », cher aux habitants de Boulogne-sur-Mer, et dont parlait à juste titre M. Ivan Renar, c'est un très vieux mot français puisqu'il date de 1678 !
A partir de ces quelques exemples, je voulais simplement vous faire observer, mes chers collègues, que le débat que nous avons actuellement existe depuis les origines de la langue française.
M. Robert Del Picchia. Personne ne dit le contraire !
M. Jean-Pierre Sueur. Notre langue a été élaborée à partir d'un latin considéré comme vulgaire, car il n'avait pas les qualités du latin authentique.
Puis sont arrivés des quantités de mots - car les mots, comme l'usage de la parole, sont libres ! -, et notre langue a fait de très nombreux emprunts aux langues celte, francique, à l'arabe, etc. Et, à toutes les époques, il s'est trouvé des gens pour dire que c'était très grave et que notre langue était en péril.
Ainsi, comme nous l'apprend Bernard Cerquiglini, auteur de l'Autobiographie de l'accent circonflexe, lorsque l'accent circonflexe, originaire de Hollande, a été introduit dans la langue française, les puristes de l'époque ont crié au scandale, en arguant que cette nouveauté hollandaise allait dénaturer et déformer la langue française.
Puis, trois ou quatre siècles plus tard, ce sont également des puristes qui, alors que certains évoquaient la possibilité de supprimer l'accent circonflexe dans des mots où il figurait par erreur, leur ont opposé que la pureté de la langue française en serait affectée !
Il s'agit donc d'un éternel débat.
Nous devons donc accepter le fait, une fois pour toutes, que les langues sont des êtres vivants et que toutes les langues vivantes s'enrichissent d'apports extérieurs. Notre langue enrichit elle-même, par l'apport de ses mots, de très nombreuses langues dans le monde.
M. Robert Del Picchia. Personne ne dit le contraire !
M. Jean-Pierre Sueur. Peut-être n'est-il pas inutile de voter ces dispositions.
Ce sera en revanche totalement inutile, comme l'ont dit plusieurs orateurs, si l'on n'y consacre pas les moyens nécessaires. En effet, monsieur le ministre, lorsque l'on visite certains pays étrangers et que l'on voit les sommes qu'ils consacrent aux centres culturels ainsi qu'à la présence culturelle et linguistique, en finançant des laboratoires de langue ou en rénovant les centres culturels, par exemple, on comprend que la vraie question est là. Mais elle réside aussi dans l'image que la France veut donner d'elle-même. Il est vrai que la France a donné une forte image d'elle-même lors de certaines périodes. Réflechissons-y.
Il n'est pas question ici d'ériger des barrières, des frontières, d'instituer un protectionnisme linguistique comme il y a un protectionnisme économique ou des limites à la circulation des personnes. En effet, ce n'est pas ainsi que cela fonctionne. Cela fonctionne parce qu'il y a une volonté forte, parce que la France a quelque chose à dire au monde et parce qu'elle consacre des moyens à la francophonie. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
L'article L. 123-1 du code de commerce est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« III. Dès lors que sont utilisées, dans la formulation d'une dénomination sociale inscrite au registre, des vocables étrangers indiquant la nature de l'activité de l'établissement concerné, ils doivent s'accompagner d'une traduction ou d'une explicitation en français. » - (Adopté.)
Article 4
L'article L. 210-2 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les vocables étrangers utilisés le cas échéant dans la formulation d'une dénomination sociale doivent être assortis d'une traduction ou d'une explicitation en français, dès lors qu'ils sont susceptibles de fournir une indication sur la nature de l'activité de la société. » - (Adopté.)
Article 5
Dans l'article 2-14 du code de procédure pénale, après les mots : « dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » sont insérés les mots « ainsi que toute association visée à l'article L. 421-1 du code de la consommation. » - (Adopté.)
Article additionnel après l'article 5
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Marini, est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 2-14 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Outre les procès-verbaux des officiers ou agents de police judiciaire ou des agents mentionnés à l'article 16 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, la preuve de la matérialité de toute infraction aux dispositions des articles 2, 3, 4, 6 et 7 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 précitée peut résulter des constatations d'agents assermentés désignés par les associations visées à l'alinéa précédent ou par les associations de consommateurs visées à l'article L. 421-1 du code de la consommation. Ces agents sont agréés par le ministre chargé de la culture dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Je rappelle que la loi Toubon avait permis aux associations de défense de la langue française agréées par le ministère de la culture de se porter partie civile pour faire sanctionner certaines des infractions à la loi.
La commission des affaires culturelles nous propose, et c'est une excellente initiative, d'étendre le champ de cette capacité à se porter partie civile.
Toutefois, le dispositif concerné ne peut être toujours efficace car, pour que ces associations se portent partie civile, il est nécessaire que les faits soient établis et que la question des preuves soit réglée.
Or, sauf lorsqu'elles parviennent à obtenir l'intervention rapide des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les associations, pour établir ces preuves, doivent faire appel au dispositif lourd et coûteux des huissiers de justice pour la constatation des infractions.
C'est la raison pour laquelle j'avais souhaité, dans le texte initial de ma proposition de loi, confier à certains membres de ces associations des pouvoirs de constatation des infractions, au terme d'une procédure précise d'assermentation et avec un agrément ministériel, à l'instar de ce qui se fait déjà au profit des agents des sociétés d'auteurs, selon l'article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle. Il ne s'agit que de pouvoirs de constatation, il ne s'agit pas de demander à ces personnes de juger des suites à donner à ces infractions.
Ce dispositif avait été approuvé et appelé de ses voeux par le ministre de la culture, et avait fait l'objet d'une communication lors du conseil des ministres du 17 mars 2005.
Me fondant sur cette approche favorable, j'ai donc préparé le présent amendement, afin de réinsérer cette disposition dans la proposition de loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Legendre, rapporteur. Avec cet amendement, M Marini reprend une disposition qui était en effet inscrite à l'article 6 de sa proposition de loi et auquel la commission a substitué un autre dispositif, figurant dorénavant à l'article 5 dont nous débattons.
Ces deux dispositions, celle qui a été présentée par M. Marini et celle qui a été proposée par la commission, procèdent d'un commun souci de rendre plus effectif le respect des dispositions de la loi Toubon.
Le dispositif élaboré par M. Marini a pour objet d'autoriser sous certaines conditions les agents assermentés des associations de défense de la langue française et de défense des consommateurs à constater les infractions commises en violation de plusieurs dispositions de la loi Toubon.
En tant que rapporteur de la commission des affaires culturelles, j'avais examiné cette proposition avec sympathie. J'avais relevé que les pouvoirs reconnus à ces acteurs associatifs, pouvoirs qui restent certes exceptionnels en droit français, étaient bien encadrés. En effet, seules certaines associations régulièrement déclarées et agréées avaient la possibilité de désigner ces agents, qui devaient en outre être agréés par l'autorité administrative.
La commission n'a pas suivi le rapporteur sur ce point, car elle n'a pas voulu s'engager dans cette voie, la constatation des infractions à la loi Toubon devant, selon elle, rester le fait d'agents publics.
Pour améliorer le contrôle effectif des dispositions de la loi, la commission a donc choisi d'étendre aux associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs la capacité d'exercer les droits reconnus à la partie civile déjà dévolus aux associations de défense de la langue française.
Ces associations sont au nombre de dix-huit. Elles sont déjà habilitées à exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs. Leur intervention contribuera à renforcer la pression exercée par le secteur associatif en faveur du respect effectif de la loi Toubon.
Par cohérence avec la position qu'elle avait prise lors de l'examen de la proposition de loi, la commission a donc émis un avis défavorable sur le présent amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tous le souci de donner un caractère effectif à l'application de la loi que vous votez.
Il est vrai que j'avais évoqué votre perspective dans la communication du conseil des ministres du 17 mars 2005.
Cette proposition soulève cependant de nombreuses difficultés juridiques.
D'abord, parce que la qualité d'agent public est évidemment requise et que, même s'il y a une procédure de sélection, d'agrément, les personnes assermentées ne deviendraient pas pour autant des agents publics et, dès lors, se pose la question de la capacité de ces personnes à constater des infractions.
Ensuite, vous mesurez parfaitement que, partant d'une possibilité de constat des infractions à la langue française, beaucoup d'autres associations constituées ad hoc pourraient vouloir constater d'autres choses. Nous entrerions alors dans un processus qui nous déborderait totalement.
C'est pourquoi il me semble que le point d'équilibre auquel est parvenue la commission rejoint l'objectif du Gouvernement.
Dans le texte adopté par votre commission, il est choisi d'étendre aux associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs la capacité d'exercer les droits reconnus à la partie civile déjà dévolus aux associations de défense de la langue française.
Il s'agit d'un progrès. Cela permettra de renforcer l'effectivité du contrôle de l'application de la loi, sans pour autant franchir les lignes jaunes de l'incertitude juridique.
Dans ces conditions, la rédaction proposée par la commission des affaires culturelles comporte un équilibre satisfaisant pour le Gouvernement. Les incertitudes juridiques sont levées. Cette disposition permet une mise en oeuvre plus simple. Elle donne au législateur les moyens de répondre à la préoccupation que partage le Gouvernement : une application stricte de la loi.
C'est pourquoi, compte tenu de ces précautions juridiques, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, car il approuve la rédaction présentée par la commission.
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, contre cet amendement.
M. Ivan Renar. Ce sujet risque malheureusement de rompre cette belle et inhabituelle unanimité. Pour ma part, je souhaiterais que M. Marini retire son amendement. M. le ministre n'est pas allé jusque-là, mais je présume qu'il sera d'accord avec moi.
En effet, si la possibilité, pour les agents assermentés des associations, de procéder au constat de certaines infractions ne relève pas d'une volonté d'instituer une quelconque police linguistique, volonté dont je ne soupçonne pas M. Marini, celui-ci justifie tout de même son amendement par la reconnaissance de la compétence des associations de consommateurs en matière de sanction des infractions à la loi Toubon, dans la mesure ou les prescriptions linguistiques de cette dernière tendaient notamment à garantir le droit des consommateurs à une information compréhensible, ce qui relevait manifestement de leur champ de préoccupation.
En commission, j'ai eu l'occasion d'exprimer mon accord avec l'objectif de cette disposition : améliorer le respect effectif de la loi.
Toutefois, je suis convaincu que cet objectif doit être atteint en stimulant les moyens actuels de contrôle.
En effet, le renfort des associations en question exigera de leur part un effort financier et humain particulier. Or nous savons que le financement du maillage associatif d'utilité publique est une peau de chagrin. D'ailleurs, les associations de consommateurs, comme les associations de défense de la langue, travaillent peu sur ces sujets en raison de la réduction de leurs moyens.
Par ailleurs, en ce domaine comme dans beaucoup d'autres, il me semble que la meilleure tactique est la pédagogie, plutôt que la répression.
La solution présentée par la commission des affaires culturelles et par son président, M. Valade, me paraît donc être la bonne, et je rejoins sur ce point M. le ministre. La commission propose d'étendre aux associations de consommateurs les compétences actuellement reconnues aux associations de défense de la langue française par l'article 2-14 du code de procédure pénale, afin de leur permettre d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions aux dispositions des textes pris pour l'application des articles 2, 3, 4, 6, 7 et 10 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994, relative à l'emploi de la langue française.
Cette méthode me semble préférable. Il ne faut pas prendre le risque de donner des pouvoirs de police à des personnes qui, par ailleurs, ne le souhaitent pas du tout. Ne nous dirigeons pas non plus vers la création de ce que l'on appelle, dans d'autres pays, des comités de vigilance.
La position adoptée par la commission est donc une position de sagesse, qui permet de régler le problème pour le moment. Je ne crois d'ailleurs pas qu'il y ait un jour besoin d'aller plus loin dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. J'ai bien entendu les observations qui ont été faites.
Ma préoccupation est que les dispositions de la loi Toubon et les nouvelles mesures insérées dans la proposition de loi ne restent pas lettre morte. C'est un souci d'efficacité. Il y a en effet trop de textes qui ne sont pas appliqués. Dans le domaine de la défense de la langue française, mon propos n'est pas théorique.
M. Philippe Marini. L'idée est donc en quelque sorte d'utiliser la citoyenneté au travers des associations, en permettant à celles-ci d'apporter leur concours au respect de la loi.
Je comprends bien cependant que, malgré le précédent des sociétés d'auteurs, cela semble soulever des difficultés et que cette idée n'est peut-être pas tout à fait mûre.
Je souhaiterais demander une précision à M. le ministre. Compte tenu des textes tels qu'ils sont actuellement rédigés, des agents de police municipale, par exemple, pourraient-ils constater la non-conformité d'enseignes ou de devantures ? C'est une question concrète, que je me permets de poser en tant que maire.
Si vous me répondez, monsieur le ministre, que des agents de police municipale seraient susceptibles de constater de telles situations, permettant ainsi notamment aux associations agréées de se porter partie civile sur la base de faits ainsi constatés, je considérerai que votre réponse a un caractère positif et que ce sujet pourrait être réexaminé au cours de la navette.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Effectivement !
M. Philippe Marini. Je comprends que conférer de tels pouvoirs à des personnes privées, même agissant pour le compte d'associations agréées, et quand bien même ces personnes seraient elles-mêmes assermentées, puisse heurter quelques habitudes.
Quant à moi, qui considère qu'il y a un peu trop de fonctionnaires, j'estime qu'il n'est pas mauvais d'utiliser des personnes privées ; cela a le mérite de ne rien coûter au budget de l'Etat, ce qui, d'un certain point de vue, peut être un progrès, mais refermons cette parenthèse : je ne veux provoquer personne.
En ce qui concerne la capacité, pour des agents de police municipale par exemple, de constater la non-conformité à la loi d'une enseigne ou d'une devanture, j'aurais été heureux de disposer de quelques éléments avant de déterminer le sort à réserver à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur le sénateur, vous m'obligez à un exercice difficile puisque, si mon objectif non totalement avoué est en effet de vous amener à considérer comme logique le retrait de votre amendement, il me faut vous répondre avec beaucoup de franchise et de vérité.
Aujourd'hui, ce sont les fonctionnaires de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et ceux de la direction des douanes et droits indirects qui ont la charge de faire appliquer la loi. Au cours de l'année 2004, environ 10 000 contrôles ont eu lieu, ce qui n'est pas un chiffre négligeable. Les instructions de contrôle sont, vous le savez, données par les ministres en fonction de diverses orientations et priorités.
Dans le cadre de la lutte contre le travail illégal par exemple, c'est ce qu'avec mon collègue Gérard Larcher nous avons fait concernant les artistes et les techniciens pour moraliser les relations de travail dans divers secteurs et faire en sorte que certains abus disparaissent.
Vous pouvez donc avoir l'assurance, monsieur Marini, que les fonctionnaires de l'Etat dont c'est la charge se verront assigner pour mission d'exercer une vigilance accrue pour s'assurer, dès lors que les dispositions de cette proposition de loi qui constituera un immense progrès seront entrées en vigueur, de leur mise en oeuvre concrète.
Chacun voit bien le problème qui se pose avec les termes d'usage courant, par exemple « pressing », cité tout à l'heure. Quand un mot est français, il est français...
M. Jean-Pierre Sueur. Qui décide qu'il l'est ?
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur Sueur, ne nous faites pas passer pour des ringards ! Nous ne le sommes pas, et le problème est bien plus important. L'objectif n'est pas l'intégrisme, il est de faire en sorte que chaque Française et chaque Français puisse, dans notre pays, comprendre dans sa langue, même si elle change et que les consonances évoluent, un certain nombre de valeurs, de concepts et de renseignements.
S'agissant des vitrines et enseignes, lorsque la loi sera votée, elle devra être appliquée et des agents publics auront pour priorité et pour charge de vérifier qu'elle l'est : les instructions nécessaires seront données par les ministres concernés.
M. le président. Monsieur Marini, acceptez-vous dans ces conditions de retirer l'amendement n° 1 ?
M. Philippe Marini. Je m'achemine vers un retrait, mais je voudrais tout de même rappeler que l'on ne peut pas tout attendre de l'Etat : les élus connaissent les rues de leur ville ! S'il faut attendre qu'une hiérarchie centrale, pyramidale, ministérielle donne les instructions nécessaires...
M. Philippe Marini. Pour ma part, je souhaiterais que les élus soient des éléments moteurs et que les citoyens puissent actionner leurs élus, éventuellement pour leur demander des comptes sur l'application ou la non-application de la loi, car c'est bien d'une exigence citoyenne qu'il s'agit.
Ne voulant pas trop prolonger le débat et attendant avec impatience le rapport de mon ami Roland du Luart sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire, je retire, à ce stade, mon amendement, mais je compte, monsieur le ministre, qu'au cours de la navette nous cherchions des solutions pour mieux associer les élus locaux et moins attendre tout de l'Etat et de ses administrations.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
M. Jean-Jacques Hyest. Je m'apprêtais à intervenir si cet amendement était maintenu, car c'est une monstruosité juridique !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Je partage la préoccupation de M. Marini quant à l'application des textes et je rappelle, mes chers collègues, que nous avons tenu en commission à renforcer la vérification de leur application par les organismes publics en prévoyant à l'article 9 que « les différentes administrations concernées par les dispositions de la présente loi sont tenues d'y apporter leur contribution » et que le rapport qui doit vous être présenté « trace notamment un bilan des procès-verbaux constatant les infractions aux dispositions des textes pris pour l'application de la présente loi. Il précise la nature et l'issue des suites judiciaires qui leur sont réservées, particulièrement dans le cas où les associations visées à l'article 2-14 du code de procédure pénale ont exercé les droits reconnus à la partie civile ».
Autrement dit, alors que jusqu'à présent seules les associations de défense de la langue pouvaient ester en justice, désormais les associations de consommateurs pourront aussi le faire.
En outre, le ministère de la justice aura l'obligation de produire des chiffres qui permettront de savoir si les procureurs ont classé ou poursuivi, et cela chaque année, de manière que nous disposions d'un indicateur pour juger de l'application de la loi et du respect de la volonté du législateur.
Nous n'en sommes pas encore à l'article 9, mais, si j'ai tenu à faire ce rappel à ce moment du débat, c'est précisément pour que la volonté du législateur soit clairement entendue.
M. Philippe Marini. Très bien !
Article 6
Le dernier alinéa de l'article L. 122-39-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Ces dispositions ne sont applicables, ni aux documents destinés à des étrangers, ni aux documents reçus de l'étranger destinés à des salariés dont l'emploi nécessite une parfaite connaissance de la langue étrangère utilisée. »
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour explication de vote.
M. Yannick Bodin. Mon vote sera positif, mais je suis assez dubitatif sur l'avenir de ce nouvel article du code du travail si, dans les entreprises, on met autant de zèle à l'appliquer que l'on en met, par exemple, à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes et à établir chaque année, dans chaque entreprise, les rapports censés faire apparaître l'évolution en termes de salaires, de conditions de travail, etc. Inutile de rappeler ici les statistiques relatives au nombre d'entreprises qui respectent le code du travail : parce que nous y croyons tous, nous allons voter cet article, mais c'est vraiment un acte de foi !
M. Roland du Luart. Ça sauve !
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
I.- Après l'article L. 432-3-2 du code du travail, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 432-3-3 - Dans les entreprises dont l'effectif est supérieur à cinq cents salariés, le chef d'entreprise soumet pour avis au comité d'entreprise un rapport écrit sur l'utilisation de la langue française dans l'entreprise.
Ce rapport trace le bilan de la façon dont l'entreprise s'acquitte des obligations formulées dans la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.
Dans les entreprises dont l'effectif est inférieur à cinq cents salariés, la présentation de ce rapport répond à une demande du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
II.- L'article L. 439-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les obligations définies à l'article L. 432-3-3 s'imposent au comité de groupe. » - (Adopté.)
Article 8
I.- L'article L. 434-3 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'ordre du jour ainsi que le procès-verbal dans lequel sont consignées les délibérations du comité doivent être rédigés en français. »
II.- Après le quatrième alinéa de l'article L. 439-4 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L'ordre du jour ainsi que le procès-verbal dans lequel sont consignées les délibérations du comité doivent être rédigés en français. - (Adopté.)
Article 9
L'article 22 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les différentes administrations concernées par les dispositions de la présente loi sont tenues d'y apporter leur contribution.
Ce rapport trace notamment un bilan des procès verbaux constatant les infractions aux dispositions des textes pris pour l'application de la présente loi. Il précise la nature et l'issue des suites judiciaires qui leur sont réservées, particulièrement dans le cas où les associations visées à l'article 2-14 du code de procédure pénale ont exercé les droits reconnus à la partie civile.
« Ce rapport peut donner lieu à un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat. » - (Adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi n° 59.
(La proposition de loi est adoptée à l'unanimité. -Applaudissements.)
9
MISE en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire
Débat de contrôle budgétaire sur un rapport d'information
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle un débat de contrôle budgétaire sur le rapport d'information établi par M. Roland du Luart, au nom de la commission des finances, sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire (n° 478, 2004-2005).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question des frais de justice figure logiquement en tête du rapport d'information que la commission des finances m'a autorisé à publier à la suite du contrôle budgétaire que j'ai effectué cette année sur la mise en oeuvre de la LOLF au sein des juridictions judiciaires, en ma qualité de rapporteur spécial pour la justice.
Le point de vue que je vais exposer et, surtout, les questions que je vais vous adresser, monsieur le ministre, le seront au nom de la commission des finances, qui a adopté mon rapport à l'unanimité. J'attends donc avec grand intérêt vos réponses dans la perspective de mon prochain rapport budgétaire.
Les frais de justice - expertises, écoutes téléphoniques, interprétariat notamment - sont, comme vous le savez, mes chers collègues, les dépenses laissées à la charge du budget de l'Etat dès lors qu'elles n'incombent pas à une partie à une procédure.
Ces dépenses, qui incluent aussi les frais d'enquête des officiers de police judiciaire, les OPJ, connaissent un taux de progression de plus en plus élevé. Après avoir augmenté de 30 % en deux ans, entre 2001 et 2003, les frais de justice ont connu un bond de presque 23 % au cours de la seule année 2004, pour laquelle la dépense s'est élevée à 419 millions d'euros.
Difficiles à évaluer précisément en amont, les frais de justice, jusqu'à présent évaluatifs, vont devenir limitatifs dans le cadre de la LOLF, applicable dans sa totalité à partir de l'exercice 2006, donc pour le projet de loi de finances que nous allons aborder dans quelques jours.
Les trois quarts des frais de justice ont trait à la procédure pénale : les frais médicaux représentent 25 % de cette dépense et les réquisitions d'opérateurs téléphoniques 27 %.
Pourquoi une telle évolution ?
A l'origine des frais de justice, doit aussi être évoquée une législation instable, particulièrement depuis une bonne dizaine d'années, coûteuse et mal évaluée quant à son impact financier, comme mon rapport écrit en donne quelques exemples.
Je sais que, sur ce point, la responsabilité est partagée entre le Gouvernement et le Parlement. Toutefois, les instruments d'évaluation du coût des mesures législatives sont plus entre les mains de l'administration que de celles du Parlement. Aurons-nous enfin droit désormais à une étude d'impact financier, sincère et sérieuse à l'occasion de chaque réforme ?
A ce sujet, vous n'ignorez pas que l'instabilité législative en matière pénale est coûteuse en moyens. Est-il vraiment nécessaire de réformer le code pénal chaque année ?
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Il faut aussi évoquer les dérives d'une « gestion à tâtons » des frais de justice. Le prescripteur a pu parfois penser qu'il disposait d'un « droit de tirage » sans limite, puisque les crédits en cause étaient évaluatifs. Faut-il vraiment mettre sur écoute un téléphone portable volé ?
Je note cependant une prise de conscience positive au sein des juridictions, laissant espérer un infléchissement de l'évolution. Il faut souligner ce point, que j'ai relevé lors de mes nombreux entretiens avec des magistrats et des greffiers : leur prise de conscience est bien réelle.
Certes, le champ des expertises et leur coût ont évolué sensiblement, et cela ne peut être occulté. Cependant, sans remettre en cause la « liberté de prescription du magistrat », il faut bien reconnaître, comme l'a fait en septembre 2004 votre prédécesseur, M. Dominique Perben, que la gestion des frais de justice pourrait être améliorée, grâce, en particulier, à la connaissance des coûts par les magistrats et à l'introduction de l'appel à la concurrence.
Dans le projet loi de finances pour 2006 comme dans les précédents, la justice a bénéficié d'une priorité. Or, sur l'exercice 2004- je parle donc non pas des prévisions, mais des réalisations -, pas moins de 90 % de l'augmentation des crédits effectivement consommés pour le fonctionnement des services judiciaires ont été absorbés par la majoration des dépenses de frais de justice : 78 millions d'euros de progression en 2004 !
Il faut donc être clair : la LOLF n'a fait que révéler l'urgence du redressement de la dérive des frais de justice. A défaut de ce redressement, à quoi bon poursuivre l'augmentation du budget de la justice ?
Dans votre présentation du budget de la justice, il est écrit que « dans un contexte budgétaire contraint, la justice demeure une priorité pour l'Etat, avec une augmentation de 4,6 % à périmètre constant ».
Monsieur le garde des sceaux, on peut, dès lors, se demander où se situe la priorité, si une grande partie de l'augmentation des crédits destinés aux juridictions est absorbée par celle des frais de justice.
Les magistrats expriment la crainte de ne plus pouvoir diligenter des enquêtes dès lors que l'enveloppe de crédits limitatifs serait épuisée. Une telle perspective doit en effet être repoussée, car la justice est due à tous les citoyens, douze mois sur douze et 365 jours par an ! Mais, pour écarter cette crainte, il nous faut un budget sincère, comme l'exige l'article 32 de la LOLF.
J'ai précisément fait valoir, dans mon rapport, qu'il convenait, transparence budgétaire oblige, de mettre fin à une habitude de sous-estimation des frais de justice lors de la présentation du projet de loi de finances de l'année. Le montant des crédits proposés devra désormais être respecté en exécution.
L'écho favorable que la Chancellerie a réservé à mon rapport publié le 14 septembre dernier, auquel j'ai été très sensible, me laissait espérer une évaluation réaliste des frais de justice dans le projet de loi de finances pour 2006, présenté deux semaines plus tard.
Vous comprendrez donc ma déception de constater qu'il n'en était rien, alors même que les crédits sont maintenant limitatifs. J'ai retracé dans mon rapport d'information, à la page 9, les chiffres de l'évolution de ces dépenses depuis 1999, en distinguant la dotation initiale de la dépense effective.
Pour 2004, dernier exercice clos, on a dépensé 419 millions d'euros. Et nous sommes sur la base d'une augmentation de plus de 20 % par an, précisément 22,87 % en 2004.
Or, dans le projet de loi de finances pour 2006, les crédits de frais de justice ne « s'élèvent », si je puis dire, qu'à 370 millions d'euros. Comme on nous l'explique dans la même présentation, « une mesure d'ajustement à hauteur de 12 millions d'euros est prévue au titre de l'évolution tendancielle de frais de justice et que ce montant pourra être complété en gestion 2006, dans une limite estimée de 50 millions ».
Monsieur le garde des sceaux, est-il transparent de prévoir sur les crédits de provision gérés par Bercy une partie, insuffisante au demeurant, des frais de fonctionnement des juridictions, alors même que le compte spécial « Provisions » n'a, en l'occurrence, de justification que pour les accidents très souvent dramatiques, comme le fut l'incendie du tunnel du Mont-Blanc ?
De plus, on est très loin du compte. Sur la base d'une majoration qui serait, par hypothèse, limitée à 20 % l'an, nous arriverions à 600 millions d'euros pour 2006, à comparer aux 370 millions d'euros que vous nous annoncez.
Monsieur le garde des sceaux, je souhaite d'abord une explication précise sur votre évaluation budgétaire. La commission des finances n'ignore pas les contraintes du budget de la France, mais pourquoi sous-évaluer, tout en disant que les frais de justice seront payés de toute façon ? A quoi cela sert-il ?
Il nous faut tous ensemble, et vous le premier, contribuer positivement au développement de la culture de gestion au sein des juridictions, alors même que cette sous-estimation est déjà déplorée dans les palais de justice.
Est-il possible que la politique de maîtrise des frais de justice, politique fort opportunément engagée par la Chancellerie, porte effectivement ses fruits dès le tout début de l'année 2006, c'est-à-dire dans deux mois ? Il me semble que la politique de la Chancellerie en la matière constitue plutôt une oeuvre de longue haleine. Monsieur le garde des sceaux, peut-on raisonnablement espérer pour l'exercice prochain l'essentiel des économies à attendre des nouvelles orientations ?
En ma qualité de rapporteur spécial, je serai tenu de prendre en compte vos engagements de cet après-midi lorsque je rapporterai votre projet de budget devant la commission des finances, le 17 novembre prochain. Je suis donc très impatient de vous entendre, car je ne demande qu'à accompagner et à encourager votre démarche de maîtrise des frais de justice.
En effet, il n'est pas trop tard pour rectifier le tir durant la procédure budgétaire en cours. A défaut, je ne doute pas que notre nouveau droit d'amendement sur les crédits serait mis à contribution !
La première solution serait la meilleure, car vous pourriez majorer les crédits de la mission, ce qui serait plus satisfaisant que de compter sur Bercy pour « abonder en cours de gestion ».
La transparence exige l'annonce des vrais chiffres, avec une bonne imputation dès le départ. Vous m'avez compris, 50 millions d'euros ne suffiront pas à l'affaire. Et il faudra trouver une compensation financière à l'augmentation de crédit. Or, les crédits pour l'aide juridictionnelle sont peut-être aussi sous-estimés et le niveau d'emploi des greffes est insuffisant pour répondre aux exigences de gestion fixées par la LOLF.
Je n'oublie pas non plus les difficultés du budget du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », qui traîne un long passif à apurer. Cette difficulté ne doit pas nous empêcher de faire notre devoir et, dans les limites de l'article 40 de la Constitution, je ferai aussi mon possible pour rendre ce budget encore plus sincère.
Ainsi, une initiative de votre part constituerait un signal positif pour les juridictions. Tel est le sens de mon appel de ce jour que, j'en suis sûr, vous comprendrez comme une manière positive de soutenir votre démarche de maîtrise des frais de justice dans le cadre constitutionnel de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, je m'inquiète de la prise en charge par le budget de votre mission, monsieur le garde des sceaux, des frais de justice engagés par les services de police et de gendarmerie. L'indépendance de l'autorité judiciaire commande que les dépenses faites sous l'autorité d'un juge soient financées par votre mission. En revanche, on peut se poser la question pour les frais de justice diligentés « hors sphère » de la justice. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
En effet, si des marges de progression sensibles existent, la Chancellerie a engagé, je le sais, un effort de rationalisation louable que je tiens à saluer. Le « plan de bataille » du ministère de la justice est exposé en détail dans mon rapport d'information écrit, auquel je vous renvoie.
Je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez donc dresser un bilan de la mise en oeuvre de ce « plan de bataille ».
Je vais maintenant évoquer, plus brièvement, les incidences pour la justice judiciaire de la sortie des juridictions administratives de la mission « Justice ». Je sais, en effet, que notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis, souhaite exposer le point de vue de la commission des lois, qui n'a pas encore eu l'opportunité de le faire, et je crois savoir que nos points de vue sont très proches.
Il a donc été créé une mission « Conseil et contrôle de l'Etat », rassemblant non seulement la Cour des comptes et les autres juridictions financières, mais aussi le Conseil d'Etat et les autres juridictions administratives ainsi que le Conseil économique et social
Cet arbitrage, incontestable pour la Cour des comptes, profite donc aussi à l'ensemble des juridictions financières, c'est-à-dire les chambres régionales des comptes, et des juridictions administratives, c'est-à-dire les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs. De ce fait, les juridictions administratives ont été sorties de la mission budgétaire « Justice ».
Les conséquences d'une telle décision sur les juridictions judiciaires ne me semblent pas avoir été totalement évaluées. La tentation d'éclatement de la mission « Justice » ne peut être écartée, comme diverses réactions le laissent imaginer. Des exemples en ce sens sont cités dans mon rapport d'information.
Notre collègue Yves Détraigne m'a convié, la semaine dernière, à une audition du premier président de la Cour de cassation. M. Guy Canivet a évoqué l'intérêt qu'il y aurait, selon lui, à procéder à une scission du programme « Justice judiciaire » en deux programmes distincts, l'un pour les activités proprement juridictionnelles, correspondant à celles du siège, et l'autre concernant les moyens accordés au parquet.
Dans le cadre de notre concertation habituelle avec la commission des lois, je laisse le soin à son rapporteur pour avis d'évoquer plus longuement ce point.
Je me pose seulement une question. Les conséquences que cela entraînerait pour l'organisation judiciaire seraient importantes. Peut-on régler une telle matière dans un cadre budgétaire, ou le traitement de cette question de fond ne doit-il pas, au contraire, précéder l'examen de ses conséquences sur le plan budgétaire ?
L'indépendance de la justice judiciaire est-elle moins précieuse que celle de la justice administrative ? Comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, la commission des finances a peu apprécié la sortie des juridictions administratives de la mission budgétaire « Justice », opérée dans le but affiché de préserver les spécificités de ces juridictions, alors même que l'article 64 de la Constitution garantit l'indépendance de l'autorité judiciaire et que son article 66 fait de cette autorité la gardienne des libertés individuelles.
La commission des finances a donc préconisé le regroupement dans une seule mission des juridictions judiciaires et administratives, ce qui n'empêcherait pas, bien au contraire, la nécessaire adaptation de certaines règles budgétaires à leurs spécificités.
En réponse à certaines interrogations exprimées au sein des juridictions judiciaires, le 23 mai 2005, votre prédécesseur, Dominique Perben, a indiqué que le Premier ministre lui avait exprimé son accord « pour poser le principe qu'il n'y ait plus de gel imposé aux juridictions judiciaires, au même titre que pour les juridictions administratives et financières ». En d'autres termes, un même régime financier spécifique serait accordé aux juridictions financières, administratives et judiciaires. Celui-ci les protégerait en particulier de mesures de gel.
Ces assurances ne semblent pas avoir atténué l'émotion ressentie au sein de certaines juridictions. C'est pourquoi il me semble que la situation nouvelle a brouillé quelque peu l'image de la LOLF dans les juridictions judiciaires.
Quoi qu'il en soit, pouvez-vous nous indiquer très précisément, monsieur le garde des sceaux, quelles règles dérogatoires seront accordées aux juridictions judiciaires ? Des textes en ce sens seront-ils pris et, si oui, leur publication interviendra-t-elle avant l'ouverture de l'exercice budgétaire 2006 ?
Le temps me manque pour évoquer aussi longuement qu'elle le mériterait la déconcentration : certains se demandent si la LOLF ne va pas parfois conduire à une reconcentration, ce qui serait alors pour le moins paradoxal.
Il est possible que le sentiment d'une reconcentration au niveau des cours d'appel, sentiment exprimé par certains magistrats que j'ai rencontrés et dont je rends compte dans mon rapport d'information, corresponde à une insuffisance de capacité de gestion au niveau des tribunaux de grande instance. Il me paraît nécessaire, pour répondre à cette préoccupation, que ces tribunaux « fassent le poids » en termes de capacité de gestion et puissent ainsi contribuer à un dialogue de gestion renforcé avec les cours d'appel.
J'ai tenu à recueillir le sentiment des coordinateurs et des personnels exerçant au sein des services administratifs régionaux, les SAR, que j'ai rencontrés. Il me semble que ces acteurs de terrain témoignent d'une réelle volonté de répondre aux changements de procédure induits par la LOLF, quelle que soit la difficulté de la tâche. En revanche, coordinateurs et personnels exerçant dans les SAR expriment quelques inquiétudes quant aux moyens dont ils disposent pour répondre au « défi » qui leur est lancé.
Monsieur le garde des sceaux, vous l'avez compris, à toutes ces interrogations, nous attendons, de votre part, des réponses !
Pour conclure provisoirement, je dirai que la LOLF, dans la justice comme ailleurs, bouscule les habitudes. Les conditions accélérées de sa mise en oeuvre ne simplifient pas les choses, ne permettant pas une suffisante concertation et une bonne circulation de l'information.
Encore faut-il encourager ce mouvement et ne pas sous-estimer les frais de justice dans le projet de loi de finances pour 2006. Le signal a été fort mal compris. Je sais que vous allez remédier au problème, monsieur le garde des sceaux et, à l'avance, je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le garde des sceaux, je voudrais vous dire dans quel esprit nous avons souhaité ce débat.
Depuis le début de l'année 2005, la commission des finances estime de son devoir de veiller à ce que la LOLF puisse être l'instrument de la maîtrise de la dépense publique et contribuer à ce cercle vertueux tendant à réduire les déficits publics et à répondre aux préoccupations de nos concitoyens.
Les rapporteurs spéciaux se livrent à des missions d'investigation qui font l'objet de rapports d'information. Depuis le début de l'année, nous avons ainsi pu soumettre à discussion, au sein de la commission, un certain nombre de ces rapports.
Il nous est apparu qu'un dialogue en séance publique, à l'occasion des « fenêtres parlementaires », pouvait constituer un bon usage de cette faculté laissée à chacune des chambres d'organiser un débat avec le Gouvernement. Il peut, certes, s'agir de l'examen de propositions de loi, mais cela peut aussi concerner les suites à donner à tel ou tel rapport d'information.
C'est la raison pour laquelle, après que Roland du Luart eut présenté un excellent rapport d'information sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire, nous avons estimé qu'il était judicieux de pouvoir en discuter aujourd'hui avec vous, monsieur le garde des sceaux.
Un tel débat n'est d'ailleurs pas le premier du genre, puisque, au printemps dernier, nous avons eu l'occasion de débattre avec certains de vos collègues du Gouvernement du statut de la Sopexa, ainsi que de la gestion immobilière du Quai d'Orsay. En outre, pas plus tard qu'hier, nous discutions de la gestion de la dette publique. Ainsi, le présent débat est le quatrième à être organisé dans le cadre de la mise en oeuvre de la LOLF.
Je vous remercie infiniment, monsieur le garde des sceaux, de vous être prêté à cet exercice. C'est pour nous une façon de préparer la discussion du projet de loi de finances. Nous souhaitons en effet pouvoir nous porter garants de la sincérité des comptes publics, ainsi que le prévoit la loi organique relative aux lois de finances. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Avant de répondre plus complètement à M. du Luart, je répondrai brièvement à M. le président de la commission des finances pour souligner que ce type de débat n'existe pas dans l'autre chambre. J'apprécie la démarche du Sénat en ce qu'elle nous permet - et le rapport rédigé par M. du Luart le prouve - d'approfondir tel ou tel sujet et d'éviter le discours budgétaire un peu convenu où les problèmes ne sont souvent que survolés.
Vous avez incontestablement mis l'accent sur le sujet le plus important pour l'équilibre du budget de la justice ; j'en ai moi-même fais la priorité numéro un.
Mes réponses ont évolué avec le temps, car la situation m'inquiète moins que voilà quelques semaines. Et ce que je vais vous dire maintenant, monsieur le président de la commission, ne saurait être considéré comme insincère.
Il est vrai qu'il existe une part de volontarisme, mais vous savez bien, vous qui avez été ministre des finances, que, sans volontarisme, il n'y a pas de finances publiques possibles !
Telle est la réponse que je souhaitais vous apporter à cet instant du débat.
Par ailleurs, je salue très sincèrement le travail approfondi réalisé à la fois par la commission des finances et par la commission des lois, dont M. Détraigne va maintenant présenter le rapport. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes très sensibles à vos propos.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le rapport d'information de notre collègue Roland du Luart me donne l'occasion, en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois sur le budget de la justice, de vous faire part à mon tour des réflexions qui sont les nôtres sur les conditions de mise en oeuvre de la LOLF au niveau de l'institution judiciaire quelques semaines seulement avant que nous abordions l'examen au fond du budget de la justice pour 2006.
Les premiers commentaires auxquels je voudrais me livrer, monsieur le garde des sceaux, portent sur les contours de la mission « Justice ».
Je remarque, en premier lieu, que la justice administrative fait l'objet d'un sort particulier par rapport à la justice judiciaire, ainsi que l'a d'ailleurs souligné mon collègue Roland du Luart. En effet, la justice administrative constitue désormais un programme au sein d'une mission intitulée « Conseil et contrôle de l'Etat », qui est rattachée directement au Premier ministre, alors que, jusqu'à présent, les crédits de la justice administrative figuraient, comme ceux de la justice judiciaire, au sein du budget du ministère de la justice.
Or un tel choix nous paraît critiquable à plusieurs titres.
Tout d'abord, il convient de rappeler qu'il a été fait par le Gouvernement sans aucune concertation avec le Parlement. Voilà moins d'un an, au moment où je présentais à cette même tribune mon rapport sur le budget de la justice pour 2005, la justice administrative constituait encore l'un des six programmes de la mission « Justice » et il n'était pas envisagé de rattacher ce programme à une autre mission.
Ensuite, ce choix nous semble contestable au regard de l'esprit même de la LOLF. En effet, l'article 7 de la loi organique du ler août 2001 précise « qu'une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie ». Or la justice administrative et la justice judiciaire ne sont-elles pas les deux versants d'une même politique publique consistant à rendre la justice ?
En ayant sorti le programme « Justice administrative » de la mission « Justice », la nouvelle maquette budgétaire offre en réalité une vision morcelée de cette mission pourtant essentielle de l'Etat.
Soucieuse d'avoir une vue la plus exhaustive possible de ce domaine, la commission des lois du Sénat a, pour sa part, préféré traiter ces deux programmes à l'intérieur d'un même avis budgétaire qu'elle a, au surplus, élargi à d'autres institutions participant à la justice de notre pays, telles que le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice ou la Cour de justice de la République, qui sont inscrites dans la mission "Pouvoirs publics".
Le fait que le Gouvernement justifie cette nouvelle architecture budgétaire au nom de la nécessaire indépendance des juridictions administratives due à leurs spécificités institutionnelles et à leurs fonctions particulières n'a pas paru totalement convaincant à la commission des lois. En effet, dans la mesure où l'on considère que le rattachement des institutions judiciaires au ministère de la justice ne remet nullement en cause leur indépendance, qui est garantie par la Constitution, pourquoi devrait-on considérer que l'indépendance des juridictions administratives serait menacée par un tel rattachement ?
Oserais-je dire, à titre personnel, qu'il y a une certaine crainte que les anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration ne soient plus sensibles que les anciens élèves de l'Ecole nationale de la magistrature à telle ou telle influence ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances et M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est Raminagrobis ! (Sourires.)
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Ce n'est pas possible ! Je suis d'ailleurs moi-même un ancien élève de l'ENA !
Je note, ensuite, que la nouvelle maquette n'a pas laissé les magistrats de l'ordre judiciaire indifférents et qu'elle a suscité des réactions parfois divergentes entre les magistrats du siège et ceux du parquet, comme le rappelle d'ailleurs notre collègue Roland du Luart dans son rapport.
Cette nouvelle maquette, de par le maintien du principe de la cogestion des juridictions judiciaires par le Premier président et le procureur général de la cour d'appel, relance le débat sur cette spécificité de la justice dans notre pays.
Je reconnais que cette cogestion peut être source de lourdeurs et de complexité et impose un dialogue permanent entre le siège et le parquet, que la mise en oeuvre de la LOLF peut, dans certains cas, compliquer. Toutefois, la proposition de la Conférence nationale des Premiers présidents, reprise par le Premier Président de la Cour de cassation que nous avons auditionné la semaine dernière, et qui tend à dédoubler le programme « Justice judiciaire » en deux programmes, l'un retraçant les moyens alloués au siège et l'autre ceux qui sont accordés au parquet, ne me paraît pas pouvoir être mise en oeuvre à ce stade.
En effet, la discussion du projet de loi de finances pour 2006 ne me paraît pas constituer le bon support pour trancher un problème qui porte sur l'un des principes essentiels de l'organisation judiciaire de notre pays, à savoir les relations entre le siège et le parquet.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Certes, je ne nie pas que la question mérite d'être examinée. Toutefois, il n'appartient pas à la nomenclature budgétaire de préjuger l'issue d'un débat institutionnel au cours duquel siège et parquet expriment aujourd'hui des positions divergentes. Ce ne pourrait être qu'après que le Parlement aurait, le cas échéant, tranché cette question de fond qu'il conviendrait d'en tirer les conséquences au niveau de la maquette budgétaire.
Enfin, s'agissant toujours des contours de la mission « Justice », je m'interroge sur la pertinence du regroupement des crédits du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, au sein d'une simple action du programme « Justice judiciaire ».
Cela me paraît traduire imparfaitement la position institutionnelle du CSM, dont le rôle singulier mériterait un traitement budgétaire adapté. La commission des lois considère que sa mission particulière n'est réductible à aucune autre fonction exécutive ou judiciaire et que le rôle d'assistance qu'il joue auprès du Président de la République, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, devrait conduire à inscrire cet organe dans la mission « Pouvoirs publics ».
Je sais que vous ne souscrivez pas à cette analyse, monsieur le garde des sceaux, mais je souhaiterais que vous précisiez votre raisonnement et que vous reconsidériez votre position.
La seconde série de commentaires que je souhaite faire porte sur la difficile maîtrise des frais de justice, sujet qui a fait l'objet de longs développements de la part de Roland du Luart et qui se situe au centre de son rapport.
La commission des lois partage le point de vue de la commission des finances quant à la nécessité de maîtriser ces frais compte tenu de l'accélération des dépenses perceptible depuis 2002 ainsi que du caractère limitatif - et non plus évaluatif - conféré par la LOLF à cette catégorie de dépenses.
Faisant miennes les inquiétudes exprimées par Roland du Luart à propos de la sous-évaluation des frais de justice dans le projet de loi de finances pour 2006, je souhaiterais à mon tour, monsieur le garde des Sceaux, que vous puissiez nous donner une information précise sur le montant des dépenses prévisibles pour l'an prochain.
A ce propos, je tiens à attirer votre attention sur la nécessité d'accompagner tout projet de réforme, notamment en matière de procédure pénale, d'études d'impact afin de permettre au législateur de mieux prendre en compte les conséquences financières des mesures qu'il vote.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Roland du Luart, rapporteur. Cela est fondamental !
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. En effet, la loi du 9 mars 2004 ne comprend pas moins de onze mesures qui tendent à accroître les frais de justice en matière pénale ; je pense, par exemple, aux frais de location de camions ou d'entrepôts pour des opérations d'infiltration, à ceux qui concernent les écoutes téléphoniques dans les nouvelles hypothèses d'intervention du juge des libertés et de la détention et du procureur de la République dans le cadre des enquêtes de flagrance, ou encore à la possibilité de prise en charge des frais de déplacement des victimes en cours d'enquête.
Je pourrais également citer d'autres lois coûteuses en termes de frais de justice, telles que la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ou encore celle du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Toutes ces mesures sont de nature à alimenter l'inflation des frais de justice. Dès lors, pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, vous engager à éclairer le Parlement sur l'effet qu'aura dans ce domaine chaque réforme que vous nous soumettrez désormais ?
En outre, j'ai la conviction qu'une meilleure maîtrise des frais de justice nécessite une évolution de l'approche de ceux-ci au sein de la magistrature et la prise de conscience individuelle de l'impact financier des mesures ordonnées par chaque magistrat.
Une telle évolution ne me paraît d'ailleurs pas inconciliable avec la liberté de prescription des juges. Au contraire, elle est, à mes yeux, plus conforme à l'esprit de la LOLF, qui place au premier plan l'efficacité de la dépense.
Je souhaiterais donc savoir, monsieur le garde des sceaux, de quelle manière les magistrats seront sensibilisés à la maîtrise de ce poste budgétaire.
L'Ecole nationale de la magistrature consacre-t-elle du temps à cette problématique dans le cadre de la formation des auditeurs de justice ? Quelles sont les mesures prises pour sensibiliser les magistrats en fonction à cet impératif ? La formation continue aborde-t-elle cette question ?
Enfin - et ce sera ma dernière remarque au sujet des frais de justice - il me semble qu'une réflexion sur l'amélioration de la maîtrise de ces frais ne saurait être engagée sans que le périmètre des dépenses imputées sur ce poste budgétaire soit redéfini.
Les juridictions semblent avoir des difficultés à comprendre la nomenclature des dépenses figurant aujourd'hui sous la catégorie des frais de justice, compte tenu de la très grande - pour ne pas dire « trop grande » - hétérogénéité que cette catégorie recouvre. Cette situation donne parfois lieu à des erreurs d'imputation qui nuisent à la bonne gestion et au suivi de ce poste budgétaire et ce constat milite, me semble-t-il, en faveur d'une clarification de ce qui constitue véritablement les frais de justice et d'un recentrage de leur périmètre.
Cette démarche me paraît d'autant plus nécessaire qu'elle permettra de simplifier non seulement les tâches de gestion des frais de justice, mais aussi et surtout le suivi des dépenses engagées.
Certaines catégories de dépenses sont, en effet, financées sur ces crédits, alors qu'elles n'ont aucun rapport avec ceux-ci, et ne devraient donc plus y être incluses. Ce point peut, il est vrai, paraître mineur compte tenu du fait que ces charges représentent une part marginale de l'enveloppe allouée aux frais de justice, soit moins de 10 % des dépenses en volume. Toutefois, cette observation prend toute son importance dans la mesure où certaines d'entre elles sont en très forte progression depuis quelques années ; je pense, notamment, à la rémunération des délégués du procureur qui interviennent de plus en plus dans la procédure pénale.
Il me semblerait plus logique d'imputer la rémunération de ces acteurs désormais incontournables sur les dépenses de personnel, à l'instar de ce qui prévaut pour les indemnités allouées aux assesseurs des tribunaux pour enfants ou les vacations versées aux juges de proximité.
De même, il ne paraît pas cohérent de financer sur les frais de justice les indemnités allouées aux jurés d'assises, indemnités qui représentent tout de même 5 % des frais de justice en matière pénale.
Une réforme des modalités de rétribution des différents intervenants extérieurs au monde judiciaire, mais qui participent à l'activité juridictionnelle, pourrait-elle être envisagée ?
Mes derniers commentaires porteront sur les services administratifs régionaux, les SAR, qui apportent une aide précieuse aux chefs de cour dans le cadre de leurs fonctions de gestion.
A compter du 1er janvier 2006, l'ensemble des chefs de cours d'appel bénéficieront du transfert de la qualité d'ordonnateurs secondaires des dépenses des juridictions et de la responsabilité des marchés publics relatifs au fonctionnement courant, d'une part, des cours elles-mêmes et, d'autre part, des juridictions situées dans leur ressort. Ces compétences étaient auparavant, rappelons-le, exercées par les préfets.
Pour exercer ces nouvelles fonctions, les chefs de cours seront aidés par les SAR, chargés de les assister au quotidien et d'assurer les tâches résultant des orientations qu'ils ont définies.
Dans ce contexte, un alourdissement de la charge de travail des SAR à compter de l'année prochaine paraît prévisible. Ces derniers devront, d'une part, assumer les tâches liées à l'ordonnancement qui leur seront transférées par les préfectures et, d'autre part, développer le contrôle de gestion, qui constitue la contrepartie nécessaire de l'autonomie et de la responsabilisation accrue des gestionnaires.
Or je constate qu'il n'est malheureusement nullement envisagé, dans le projet de loi de finances pour 2006, de renforcer les SAR, qui devront absorber à effectifs constants, soit 763 agents, un surcroît de travail important. L'expérimentation menée dans neuf cours d'appel devrait pourtant avoir permis aux services de la Chancellerie de prendre la mesure de l'accroissement des charges engendrées par la mise en oeuvre de la LOLF et d'évaluer les moyens supplémentaires qui doivent être mis à leur disposition.
Pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous éclairer sur les raisons pour lesquelles aucun effectif supplémentaire n'est inscrit au projet de loi de finances pour 2006 ? Le groupe de travail mis en place en février 2005 afin de conduire une réflexion sur le rôle des SAR et sur la position des coordonnateurs placés à leur tête a-t-il déjà rendu ses conclusions ? En outre, pourriez-vous nous indiquer précisément si vous envisagez de prendre des mesures particulières pour rendre plus attractifs les emplois dans les services administratifs régionaux ?
Tels sont, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les points sur lesquels je voulais intervenir au nom de la commission des lois à l'occasion de ce débat. La mise en oeuvre de la LOLF dans le domaine de la justice soulève certes de nombreuses interrogations, mais cela ne doit pas être interprété comme un signe négatif. Je rejoins en cela le rapporteur spécial de la commission des finances.
La réaction des acteurs de l'institution judiciaire démontre leur volonté de s'adapter aux exigences nouvelles imposées par la culture de la performance et de l'efficacité induite par la LOLF.
La LOLF n'en est qu'à ses débuts. Aussi, et compte tenu de toutes les questions soulevées, je forme des voeux pour que l'on ne fige pas, dès le projet de budget pour 2006, la maquette budgétaire de la mission « Justice » et pour que celle-ci ne soit pas fermée aux évolutions qui pourraient apparaître nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;
Groupe socialiste, 23 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais, en cette heure vespérale (Sourires), prolonger dans trois directions les réflexions suscitées par le très intéressant rapport de Roland du Luart.
Tout d'abord, notre collègue souligne que la LOLF agit plus comme un révélateur et un amplificateur des problèmes préexistants que comme un créateur de difficultés nouvelles. De ce point de vue, l'apport de la LOLF est très positif : pointer très clairement, de manière chiffrée, les problèmes réels est un progrès.
Plus généralement, la LOLF me paraît révélatrice des changements profonds du système judiciaire et de la hiérarchie de ses objectifs. Nous n'avons d'ailleurs peut-être pas toujours pleinement conscience de ces évolutions. Permettez-moi donc de vous en rappeler quelques-unes.
Il s'agit d'abord de la multiplication des textes, une inflation législative sans étude d'impact en termes budgétaires. Tout le monde dénonce cette tendance, mais tout le monde s'y prête, parfois à tort, parfois avec raison.
On a ainsi l'impression d'élaborer des lois pour un monde sans pesanteur, sans se préoccuper de leur application. L'intendance est censée suivre.
A ce sujet, j'ai été assez intrigué, monsieur le garde des sceaux, par votre réponse à Mme Elisabeth Guigou, lors du débat sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Vous aviez en effet déclaré : « Je m'étonne que Mme Guigou estime que la démocratie exige qu'on se donne immédiatement les moyens des mesures qu'on veut faire voter. »
Le terme « immédiatement » n'est peut-être pas approprié, mais ce n'est pas une raison pour le remplacer par « jamais » !
Permettez-moi de vous citer très rapidement deux exemples, que vous connaissez d'ailleurs certainement.
J'ai lu que la loi du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants aurait entraîné 25 000 consultations médicales supplémentaires.
De même, les lois Perben comportent au moins onze mesures ayant un effet direct sur les frais de justice.
La judiciarisation de l'application des peines constitue une charge de travail supplémentaire considérable pour le juge concerné, mais également pour le parquet et pour le juge des libertés et de la détention.
La deuxième caractéristique des évolutions de notre système judiciaire concerne le mouvement inéluctable vers une justice où la preuve matérielle et les conclusions de l'expertise technique prennent progressivement la place de l'aveu. Si cette tendance est positive, elle est également coûteuse.
En effet, comme l'ont souligné les deux intervenants précédents, une bonne part de l'accélération de l'augmentation des frais de justice est due aux frais d'expertise tant dans le domaine médical, notamment génétique, que dans celui de la téléphonie mobile.
L'utilisation de fichiers de plus en plus lourds à produire et à exploiter et le traitement des données issues des communications créent des charges financières supplémentaires. Le coût des interceptions sur les réseaux mobiles a triplé entre 2001 et 2003.
Le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme comporte des dispositions qui susciteront de nouvelles demandes en matière de traitement des informations vidéo, donc de nouveaux frais. On peut dès lors s'interroger sur le financement de ces mesures. Les moyens nécessaires seront-ils prélevés sur le budget de la mission « Justice » ou sur celui de la mission « Sécurité » ? En tout état de cause, il faudra bien que quelqu'un paie !
Dans ces conditions, la question de la tarification de certaines prestations se pose nécessairement.
Permettez-moi à ce sujet de rappeler certaines des préconisations émises et des actions déjà lancées : faire davantage appel à la concurrence et demander aux opérateurs téléphoniques des « gestes commerciaux ». Ainsi la Chancellerie a-t-elle déjà obtenu une baisse de 10 % du coût de ses communications.
Certes, mais nous pourrions également vérifier si certains opérateurs ne profitent pas de leur position dominante.
A ce propos, je citerai notre collègue Yves Détraigne : « Il est parfois difficile de porter un jugement sur les tarifs appliqués, faute de connaître les coûts réels des recherches effectuées ».
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. Qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! La litote est évidente.
A 9,15 euros la demande d'identification d'un abonné, les opérateurs téléphoniques ne doivent pas perdre d'argent ! Ne serait-il pas possible de leur imposer, dans le cadre de l'attribution des licences, des obligations de service public en matière de justice ?
La loi a imposé aux opérateurs une redevance inférieure à ce qui aurait été obtenu d'une mise aux enchères des licences : ce serait la contrepartie d'obligations de service public en matière de couverture du territoire. Je constate que les intéressés ne s'acquittent de ces obligations qu'avec un zèle modéré.
Peut-être pourrait-on leur imposer des obligations de service public en matière d'expertise et de demande de renseignements entrant dans le cadre d'une enquête de police ou d'une instruction judiciaire ! Si tous les opérateurs y étaient soumis, il n'y aurait pas de distorsion de concurrence et la règle sacrée serait respectée.
De même pourrait-on peut-être, en matière biologique, développer les laboratoires publics.
Cette évolution technique, qui semble inéluctable, s'agissant de l'administration des preuves, devient de plus en plus onéreuse.
La troisième caractéristique de l'évolution de notre système judiciaire a trait au développement de procédures nouvelles, alternatives aux poursuites, comme la composition pénale, ou d'un type nouveau, comme la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC.
Ces procédures présentent, certes, un intérêt, notamment la composition pénale, mais elles sont chères. Pour avoir participé à la mission d'information relative aux procédures accélérées de jugement en matière pénale, j'ai pu observer que le coût de la celle-ci, qui suppose l'intervention de délégués du procureur, personnes physiques ou associations, était souvent évoqué : une telle externalisation est onéreuse.
La CRPC ne permet pas non plus de faire des économies de temps en termes de magistrats.
Le quatrième aspect de l'évolution actuelle du système judiciaire, que j'évoquerai assez rapidement, puisque nous le connaissons tous, est assez paradoxal : on développe les procédures alternatives et, dans le même temps, on recourt de plus en plus souvent à l'incarcération.
Le recours systématique à ce type de réponse pénale est non seulement contestable, mais également coûteux. Sauf évidemment à accepter la situation honteuse des prisons de la République ; je n'insiste pas, vous connaissez le problème aussi bien que moi.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous allez encore me dire : « les socialistes ceci, les socialistes cela... ».
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le garde des sceaux, essayons d'aller au-delà de ce type de réponses stéréotypées !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous nous dites - c'est d'ailleurs votre réponse habituelle - que l'on n'a jamais fait autant d'efforts pour construire des prisons. Manifestement, les efforts sont encore plus grands pour produire des prisonniers !
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Vos propos sont scandaleux, monsieur Collombat !
M. Pierre-Yves Collombat. Le taux actuel d'occupation des prisons - 110 % - n'est--il pas scandaleux ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faudra nous expliquer le sens de votre affirmation : on fait manifestement des efforts encore plus grands pour produire des prisonniers !
M. Pierre-Yves Collombat. J'en viens au deuxième point de mon intervention.
Compte tenu des conditions dans lesquelles elle est appliquée, la LOLF ne révèle pas seulement les problèmes judiciaires : elle les accentue.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est faux !
M. Pierre-Yves Collombat. Dans la situation actuelle, une contradiction peut apparaître entre les impératifs de bonne gestion et l'objectif d'administration d'une bonne justice
L'un des principaux problèmes est l'importance de plus en plus grande du rôle du procureur par rapport à celui du juge du siège. Cela est lié au développement des procédures alternatives et accélérées de jugement. Là encore, je me réfère aux travaux de notre mission d'information.
Le procureur a non seulement une palette de procédures plus étendue, ce qui augmente d'autant sa liberté de manoeuvre, mais, dans ces nouvelles procédures, il dispose également d'un pouvoir de « quasi-préjugement », pour reprendre les termes du procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Louis Nadal.
Ainsi que cela a été évoqué, confier l'ordonnancement des dépenses du programme « Justice judiciaire » conjointement au Premier président et au procureur général de chaque cour d'appel renforcera encore la tendance que je viens de décrire, qui n'est pas sans poser de problèmes. En effet, le procureur ne bénéficie pas d'un statut aussi protecteur vis-à-vis de sa hiérarchie que le juge du siège.
Permettez-moi de citer la délibération unanime de la Conférence nationale des Premiers présidents de cour d'appel du 2 juin 2005 : « Une telle situation ne garantit manifestement pas l'indépendance des juges. »
Le risque principal est que les mesures de rationalisation, dans un pays qui se traîne en queue du peloton européen pour ses efforts budgétaires en matière de justice, ne soient pas des instruments de bonne gestion, mais simplement une manière de réaliser des économies.
On ne peut qu'adhérer à l'objectif de rationalisation du fonctionnement des services de l'Etat et de recherche de la meilleure allocation possible de l'argent public.
Là où des expérimentations de la LOLF ont été réalisées, des résultats intéressants ont pu être observés. Des économies sont sans doute possibles, par une responsabilisation des prescripteurs en matière d'expertises diverses. Mais jusqu'où ?
Quelle signification peut avoir un système de « bonus-malus », selon le niveau de restrictions que les magistrats s'imposent, comme l'expérience est paraît-il tentée ? A un moment, l'objectif de rationalisation budgétaire, de complémentaire à celui d'administration d'une bonne justice, lui devient opposé.
Outil de transparence et de modernisation de l'Etat, la LOLF risque donc, dans un contexte de restrictions budgétaires, de devenir un moyen commode de réduire les dépenses et les coûts.
Quelques % de 1 %, ce que représentent les services judiciaires dans le budget de l'Etat, cela ne fait que quelques 10 millièmes ! En tout cas, ce n'est pas suffisant pour faire face à la judiciarisation accélérée de la société et aux évolutions que j'ai évoquées précédemment.
La fongibilité, asymétrique ou pas, n'a d'intérêt que dans la mesure où des crédits ne sont pas utilisés. Ceux-ci peuvent alors servir utilement là où ils font défaut. Mais quand il en manque partout, on ne fait que déshabiller Pierre pour habiller Paul. De positif, l'effet de la fongibilité devient négatif.
Aux dires des orateurs précédents, chaque projet de loi doit être accompagné d'une étude d'impact. Je ne peux qu'applaudir ! Les évaluations doivent être sincères et réalistes. Là aussi, je ne peux qu'applaudir ! Des réserves doivent être constituées pour faire face aux imprévus et aux évolutions incertaines. J'applaudis encore ! Mais si le montant global des crédits disponibles est insuffisant, rien ne changera !
Les évaluations sincères des besoins réels ne manquent pas ; je vous renvoie à la loi d'orientation et de programmation pour la justice, qui prévoyait la création de 10 000 postes, dont 950 juges de l'ordre judiciaire et 3 500 fonctionnaires et agents des services judiciaires. De même, le rapport Warsmann préconise la création de 2 500 emplois d'agents de probation.
A l'évidence, l'exécution de la loi d'orientation et de programmation a pris un important retard, retard qu'accentue le projet de loi de finances pour 2006. En effet, avec 250 équivalents temps plein travaillés pour l'ensemble du budget de la justice et 93 magistrats de l'ordre judiciaire, nous serons loin du compte.
S'agissant des frais de justice, je serai bref, car les orateurs précédents y ont fait allusion : ils sont manifestement sous-évalués. Les besoins pour 2006 sont en effet évalués à 600 millions d'euros. Ils seront abondés à hauteur de 370 millions d'euros. Or nous avons déjà dépensé 419 millions d'euros en 2005.
Il est faux de croire que la croissance de certains frais de justice ne résulte que d'une facilité que se donnent enquêteurs et magistrats. C'est le produit d'une évolution fondamentale.
Dans un tel contexte, face à une demande de complément d'enquête, d'expertise, qu'est-ce qui l'emportera ? Est-ce l'objectif de maîtrise budgétaire ou bien celui d'administration d'une bonne justice ?
Se posent donc non seulement la question de l'indépendance du juge, mais aussi celle d'une justice efficace.
J'en viens au troisième point de mon intervention : les objectifs, la mesure des performances réalisées et les indicateurs de résultats, qui constituent des innovations tout à fait intéressantes. Ceux-ci posent la question des limites de la philosophie managériale qui sous-tend la LOLF.
Les objectifs retenus dans le projet de loi de finances pour 2006 sont de deux types très différents.
Il s'agit d'abord de généralités de bon sens, qui sont autant de truismes : « rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables, améliorer la réponse pénale et son exécution ».
Il s'agit ensuite d'objectifs techniques, facilement appréhendables : « maîtriser la croissance des frais de justice pénale, accélérer la délivrance des bulletins du casier judiciaire ». Mais leur signification en termes de justice est particulièrement problématique.
Si l'on peut s'entendre sur ce que seraient des délais raisonnables et les mesurer, à quoi reconnaît-on des « décisions de qualité » ? Nos réformateurs restent muets sur ce point, pourtant essentiel !
J'aurais tendance à dire qu'une justice de qualité est d'abord une justice « juste » ! Mais que signifie « juste », me répondrez-vous ? Qu'est-ce qu'une décision de qualité ? Est-ce une décision acceptée par les principaux intéressés ? Par exemple, on pourrait la mesurer par le taux d'appel. Cela semble de bon sens.
Or on observe que les taux d'appel sont très variables selon le type de contentieux et de délits. Globalement, d'une juridiction à l'autre, ils varient de 1 à 2 en matière pénale et de 1 à 2,5 en matière civile. Ces taux ne peuvent donc être utilisés pour mesurer la qualité des décisions d'un TGI.
Les taux d'appel dépendent de nombreux facteurs, sur lesquels le TGI n'a aucune prise, par exemple la culture locale. Ainsi, lorsque je me suis rendu à Bastia, dans le cadre de la mission d'information relative aux procédures accélérées de jugement en matière pénale, il m'a été expliqué que les recours y étaient nombreux parce que l'on est toujours innocent ! (Sourires.)
Les taux d'appel dépendent également de la jurisprudence de la Cour d'appel et de la durée des procédures. Longues, les procédures sont généralement dissuasives. Sont également dissuasives les jurisprudences dont les taux d'aggravation des peines sont élevés. Dans certaines cours, que je ne citerai pas, on fait très peu appel parce que l'on sait que la peine risque fort d'être aggravée.
Ainsi, les taux d'appel mesurent plus le modus operandi des cours d'appel que la qualité du travail des TGI.
A cet égard, permettez-moi de lire la conclusion d'un article paru en décembre 2001 dans Infostat justice : « Il serait donc illusoire d'espérer une interprétation univoque d'un taux d'appel global, en considérant par exemple qu'un faible taux d'appel serait le signe d'une bonne justice en premier ressort. »
Une décision de qualité serait-elle donc une décision acceptée par la vox populi médiatique ? Vous conviendrez avec moi que c'est souvent le contraire ! Est-ce une décision qui fait une place minimale à la détention provisoire ? Cette question n'est même pas évoquée.
Même un objectif apparemment facile à quantifier, comme « améliorer l'exécution des décisions pénales », n'est pas facile à interpréter, l'usage de la détention provisoire facilitant l'exécution des peines.
Ces difficultés, me direz-vous, ne résultent pas de la mise en place de la LOLF : elles tiennent à la complexité du domaine concerné ; en approfondissant notre réflexion, en « peaufinant » nos indicateurs, nous trouverons une solution. Probablement ! Mais, là où le problème se pose vraiment, c'est lorsque, pour entrer de force dans le cadre managérial, on en vient à privilégier l'accessoire au détriment de l'essentiel.
Cela me fait penser à ce que répondait Alfred Binet, l'inventeur des tests d'intelligence, à ceux qui lui demandaient : « Qu'est-ce que l'intelligence ? ». Il répondait : « C'est ce que mesure mon test » !
Qu'est qu'une bonne justice ? C'est ce que mesurent les indicateurs : les délais de réponse, le nombre de dossiers moyen par juges, l'ancienneté des stocks, le taux de rejet par le casier judiciaire national, etc.
Ces critères ne sont pas seulement imparfaits - tout critère est imparfait ! - ; ils sont la marque d'un choix, particulièrement contestable, de ce que serait une justice de qualité. C'est l'indicateur qui définit la justice et non plus la nature de la justice qui commande l'indicateur !
De fait, cela revient à privilégier le soin apporté au traitement des affaires simples, au détriment des affaires complexes, à la délinquance banale plutôt qu'à la délinquance financière. Ces choix ne sont pas que techniques, ils sont politiques.
En tout cas, réduire les erreurs matérielles et la « productivité » des magistrats ne peut constituer qu'une amélioration, certes utile, mais marginale de l'institution judiciaire.
Dans sa conclusion, le rapporteur spécial souhaite que « la réflexion sur la qualité des décisions juridictionnelles soit approfondie ». On ne peut qu'être d'accord !
Les indicateurs sont plus des révélateurs de dysfonctionnements que des compteurs de performance. S'il est utile, par exemple, de repérer des délais de traitements aberrants ou des distorsions importantes entre le nombre de dossiers traités par magistrats, afin d'y remédier, prétendre mesurer la qualité de la justice rendue avec de tels indicateurs chiffrés est non seulement un leurre, mais une tromperie susceptible d'entraîner de graves dérives.
Telles sont les quelques réflexions que le rapport stimulant de notre collègue m'a inspirées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je signale à la Haute Assemblée que la durée de l'intervention du représentant du groupe socialiste est inférieure d'une minute au temps de parole qui lui a été imparti par la conférence des présidents.
M. Roger Karoutchi dispose de trente-trois minutes.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, à quelle heure se terminera ce débat ? J'ai l'impression qu'il va se prolonger au-delà de l'heure du dîner.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances et M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Mais non !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Or je ne suis pas disponible ce soir.
Le Sénat devrait prévenir le Gouvernement de la durée d'un débat ! On m'avait parlé d'une heure et demie ; nous en sommes très loin : ce sera plutôt trois heures.
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous rappeler que la durée des débats est fixée par la conférence des présidents, en présence du ministre délégué aux relations avec le Parlement. Il ne m'appartient pas de revenir sur ses décisions. Je fais simplement en sorte que soit respecté le droit d'expression des différents groupes.
Cela dit, je pense que ce débat devrait s'achever vers dix-neuf heures trente.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le garde des sceaux, je vous rassure tout de suite : deux excellents rapporteurs s'étant déjà exprimés, mon intervention ne durera pas plus de sept à huit minutes.
Je concentrerai ma réflexion sur deux points majeurs : la place réservée aux juridictions administratives dans l'architecture « LOLFienne », d'une part, la dérive des frais de justice, d'autre part.
En premier lieu, notre groupe partage totalement les vues du rapporteur, qui traduit d'ailleurs les inquiétudes de la commission des finances sur la sortie du programme « Juridictions administratives » de la mission « Justice ».
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Si nous comprenons parfaitement la méthode qui a présidé à cette redistribution, nous regrettons la décision finale.
La création de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat » ne devait pas nécessairement impliquer cette sortie du programme « Juridictions administratives » de la mission « Justice ».
Initialement, il avait été prévu que les juridictions financières soient rattachées à Bercy ; les juridictions administratives auraient été rattachées à la Chancellerie, tandis que le Conseil économique et social aurait constitué à lui seul une mission monoprogramme.
Nous adhérons totalement à la sortie du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la sphère de Bercy. En effet, en raison de la nature propre de contrôle de la Cour des comptes, il n'était pas sain qu'elle reste sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances.
M. Roger Karoutchi. En outre, dans la mesure où les chambres régionales des comptes étaient, du point de vue de leur gestion tant administrative que financière, liées à la Cour des comptes, il était légitime de les maintenir au sein d'un même programme.
C'est d'ailleurs l'opiniâtreté, il est important de le souligner, du Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, qui a permis de réaliser cette sortie, aussi utile à l'indépendance de celle-ci qu'à l'équilibre des pouvoirs. M. Séguin avait en effet rappelé, le 19 janvier dernier, dans son allocution à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée de la Cour des Comptes, que le rôle constitutionnel de celle-ci était « de faire en sorte que l'équilibre voulu par le constituant ne soit pas faussé au détriment de l'un des deux pouvoirs ».
Pour autant, la création d'une mission « Conseil et contrôle de l'Etat » regroupant le Conseil économique et social ainsi que les juridictions financières ne devait pas, à notre sens, entraîner une intégration des juridictions administratives au sein de cette mission par un parallélisme des formes assez douteux.
S'il était essentiel, nous le concevons, que les juridictions administratives demeurent au sein d'un même programme, dans la mesure où il existe une certaine symétrie entre le bloc « Cour des comptes, chambres régionales des comptes », d'un côté, et le bloc « Conseil d'Etat, tribunaux administratifs », de l'autre, il ne nous semblait pas évident, en revanche, que cette symétrie engendre une fusion des juridictions administratives dans cette mission et que le maintien de celles-ci dans la mission « Justice » conserve toute sa pertinence.
La mission « Conseil et contrôle de l'Etat » rattachée à Matignon n'aurait pas eu moins de sens avec deux programmes qu'avec trois, dans la mesure où, initialement, le Conseil économique et social aurait, de toute façon, fonctionné de manière isolée.
En revanche, la sortie des juridictions administratives nous semble pénalisante pour l'ensemble de la justice judiciaire...
M. Roger Karoutchi. ... et, tout d'abord, en raison des risques d'éclatement de la justice judiciaire. En effet, les perpétuelles dichotomies « parquet-siège » ou « pénal-civil » contribuent à brouiller le message d'unité de notre justice. La sortie de la justice administrative ne peut que renforcer cette tendance à l'éclatement, alors même que nos concitoyens attendent un message fort donnant plus de lisibilité à l'ensemble de notre justice.
Voilà les quelques observations qu'au nom de mon groupe je souhaitais faire sur cette question, en soulignant qu'il nous aurait semblé utile d'adresser ce signal au monde judiciaire.
Je souhaite maintenant évoquer la difficile question de l'évolution exponentielle des frais de justice.
Notre excellent rapporteur a mis en lumière cet accroissement notable qui dévore, quasiment à lui seul, l'ensemble de la progression du budget de la justice depuis plusieurs années. En effet, il est légitime que nous trouvions décevant que l'ensemble des efforts financiers réalisés chaque année depuis 2002 en faveur du budget de la justice soit presque absorbé par ces seuls frais de justice.
Ainsi, les frais de justice ont augmenté de 11 % en 2002, de 17 % en 2003 et de 23 % en 2004, pour représenter 90 % de l'augmentation des crédits, alors que le volume des affaires n'augmente assurément pas dans les mêmes proportions.
L'effort financier consenti chaque année par nos concitoyens pour augmenter les moyens de la justice judiciaire pourrait donc leur sembler vain, alors qu'ils attendaient une justice plus efficace et plus proche de leurs préoccupations.
Evidemment, il n'est pas dans mon propos de critiquer les magistrats et les officiers de police judiciaire, qui prescrivent des actes essentiels au déroulement d'une enquête et qui utilisent le plus souvent avec rigueur les moyens qui leur sont alloués.
Bien sûr, ainsi que l'ont souligné Roland du Luart et, bien avant lui, en commission et en séance publique, le président Jean Arthuis, il est souhaitable de sensibiliser tous les acteurs à ces questions budgétaires et au coût de ces actes pour les contribuables. De ce point de vue, je ne doute pas que la mise en oeuvre de la LOLF contribuera à accentuer ce processus de responsabilisation financière, déjà plus engagé qu'on ne veut bien souvent le dire.
Mais l'honnêteté nous impose de souligner notre responsabilité en tant que législateurs.
Depuis vingt ans, nous avons adopté dix-huit réformes de la procédure pénale, apportant, chacune, leur lot de nouveaux dispositifs utiles mais coûteux : indemnités versées aux jurés d'assises ; mise en oeuvre du fichier national automatisé des empreintes génétiques ; dépistage des stupéfiants au volant ; opérations d'infiltration ; frais d'écoutes téléphoniques ; prise en charge des frais de déplacement des victimes, etc.
De la même manière que nous ne renions pas les progrès de la médecine et en acceptons le coût, nous devons, si nous prétendons doter notre justice des moyens technologiques modernes, en assumer les coûts correspondants.
Toutefois, à l'heure où nous nous apprêtons à étendre encore les fichiers judiciaires et à généraliser les bracelets électroniques, nous devons avoir conscience du coût conséquent de chacune de ces mesures.
Il est donc grand temps que le législateur se responsabilise en amont, lorsqu'il adopte des dispositifs, mais aussi qu'il ne reproche pas aux magistrats d'utiliser, en aval, ces mêmes dispositifs. La responsabilisation financière de l'un doit être le pendant de la responsabilisation financière de l'autre.
Le très prochain débat budgétaire sur la mission « Justice » devra nous permettre d'éclairer plus en profondeur les pistes que nous entendons développer pour utiliser au mieux les crédits alloués à la justice, à la double fin d'en améliorer l'efficacité et de répondre aux aspirations de nos concitoyens, qui attendent plus de transparence dans le fonctionnement du monde judiciaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, je comprends que vous appréciiez la sérénité du Sénat et ses débats décalés tandis que le Gouvernement décrète l'état d'urgence, avec les conséquences que l'on sait sur les libertés. Alors que vous donnez des instructions aux magistrats afin qu'ils ne soient pas trop laxistes, je trouve, pour ma part, très utile que le Sénat se préoccupe des budgets dévolus à la justice.
Cela étant, le rapport qui nous a été présenté est très intéressant. De quoi est-il question ? De l'explosion des frais de justice, de la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice », de la déconcentration des crédits au niveau des cours d'appel et de la mesure de la performance dans le domaine de la justice judiciaire.
A titre liminaire, je tiens à vous faire part de mon inquiétude face à l'obsession du Gouvernement de vouloir à tout prix apprécier la performance dans le domaine de la justice. Cela s'est notamment traduit par le projet d'instaurer une prime aux résultats pour les magistrats, à laquelle nous nous étions totalement opposés.
Aujourd'hui - sans doute le tollé a-t-il été trop important - nous n'entendons plus parler de cette prime aux résultats. Mais le fond demeure : culture de gestion et mesure de la performance sont devenues les maîtres mots du budget de la justice.
Les magistrats eux-mêmes s'inquiètent de cette difficile mesure de la performance et se sont interrogés, lorsqu'ils ont été entendus par le rapporteur, sur la signification des « indicateurs de qualité » s'agissant des décisions juridictionnelles. Nous partageons leurs interrogations et craignons aussi que le non-respect de ces indicateurs de performance ne soit sanctionné par une réduction des moyens. Nous aimerions, monsieur le garde des sceaux, être rassurés sur ces points.
J'en viens maintenant aux deux points qui ont particulièrement attiré notre attention dans ce rapport, à savoir l'explosion des frais de justice et la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice ».
Les frais de justice ont en effet explosé ces dernières années. La justice souffre globalement d'un manque de moyens, ainsi que tout le monde ne cesse de le souligner, et les frais de justice en absorbent une grande partie.
Quelles sont les causes de ce phénomène ? Le rapport en relève deux.
La première serait l'attente toujours plus grande des citoyens à l'égard de la justice. Ils demandent que de plus en plus de moyens soient mis en oeuvre en matière d'investigation et de « recherche de la vérité ». Quoi de plus normal ? Il est difficile d'aller contre la volonté des citoyens en la matière.
La seconde cause de l'augmentation des frais de justice serait l'évolution de la législation qui, comme le dit M. le rapporteur, « n'est pas sans incidence sur celle des frais de justice ». C'est le serpent qui se mord la queue !
En effet, il est souligné à plusieurs reprises que ces frais connaissent une forte augmentation essentiellement depuis 2002, notamment en raison des nombreuses lois pénales qui ont été votées durant cette période. Chers collègues de la majorité, pourquoi votez-vous tant de lois pénales ? Seriez-vous schizophrènes ? (M. Roger Karoutchi s'exclame.)
Citons quelques chiffres qui illustrent ce propos. Les frais de justice ont augmenté de 22,87 % en une seule année, entre 2003 et 2004. Par ailleurs, les frais pénaux représentent à eux seuls 74 % des frais de justice.
Parallèlement à ce constat chiffré, le rapporteur énumère les lois qui ont une incidence sur ces frais : la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence - va-t-on critiquer le fait que l'on se soit attaché à la présomption d'innocence ? Ce n'est d'ailleurs pas cette loi, sur laquelle le Parlement est revenu, qui va nous coûter de l'argent - la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, la loi du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'emprise de stupéfiants et, enfin, la loi Perben II du 9 mars 2004.
Le rapporteur prend également comme exemple le fichier national automatisé des empreintes génétiques, qui ne cesse de subir depuis sa création en 1998 de multiples extensions de son champ d'application, ce qui entraîne bien évidemment une augmentation des frais. Cela va continuer avec la multiplication des fichiers.
Un certain nombre de problèmes se trouvent ainsi posés.
Tout d'abord, il n'est pas acceptable qu'en 2004 environ 90 % de l'augmentation des crédits consommés pour le fonctionnement des services judiciaires aient été dévorés par la majoration des frais de justice.
Ensuite, il est incompréhensible que le Gouvernement ne prenne pas en compte cette réalité pour réajuster le budget de la justice pour 2006. En effet, depuis l'exercice 2003, la sous-évaluation des frais de justice est incontestable, et nous la constatons une fois encore pour 2006. Le Gouvernement a fixé son évaluation des frais de justice à 370 millions d'euros, alors que ces frais se sont élevés à 419 millions d'euros en 2004 et que leur progression annuelle est d'environ 20 %. C'est incroyable !
C'est pourquoi je ne me réjouirais pas aussi vite que le rapporteur de la progression régulière du budget de la justice, puisque cette progression est finalement absorbée par des frais sous-évalués.
M. Roland du Luart, rapporteur. C'est ce que j'ai dénoncé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dois-je rappeler que la France se classe au vingt-troisième rang européen en termes d'effort consenti pour le budget de la justice ? Il n'y a pas de quoi se glorifier ! Bien que, cette année, il soit encore en progression, nous ne pouvons que regretter les choix budgétaires qui sont faits.
Je prendrai l'exemple du nombre de postes de magistrats. Nous sommes loin d'atteindre les objectifs fixés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002. Le nombre de postes effectivement crées pour 2006 est de 263, ce chiffre correspondant à la différence entre les emplois existant en 2005 et ceux qui sont prévus pour 2006, ce qui est bien insuffisant au regard des besoins dans les juridictions, que tout un chacun ne cesse de souligner. Ce n'est pas ainsi que l'on réduira les délais dans lesquels sont rendus les jugements ! C'est pourtant l'une des préoccupations du Gouvernement et de sa majorité.
Je n'évoquerai pas les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse - surtout en ce moment ! - puisque les moyens de prévention fondent au profit des moyens de répression.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors, comment faire ? Cessons de multiplier les lois pénales qui brouillent et la loi et les moyens !
Dernier exemple en date : la mise en place du bracelet électronique, adoptée par le Parlement dans le cadre de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui sera votée sous peu, n'est pas budgétisée.
Monsieur le garde des sceaux, n'avez-vous pas déclaré : « Je me débrouillerai pour avoir l'argent ». Ah bon ! On se débrouille pour trouver l'argent, mais il ne faut pas dépenser trop !
Le rapporteur préconise pour sa part de faire en sorte que, désormais, les magistrats connaissent le coût des mesures qu'ils diligentent. Cela devrait d'ailleurs s'appliquer à toutes les lois que nous votons. Il est donc proposé de faire appel à la concurrence, pour diminuer les coûts. En général, c'est le contraire, la concurrence coûte plus cher.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je préférerais, à l'instar de mon collègue Pierre-Yves Collombat, que l'on parle, même si le service public n'existe plus, d' « obligation de service public ». Ce serait plus intéressant.
Mon groupe a catégoriquement critiqué la LOLF.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je ne sais pas comment vous l'expliquer ! Etes-vous pour l'opacité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n'ai donc aucun problème pour critiquer la méthode qui consiste, lorsque l'on voudra augmenter les dépenses sur un programme, à réduire les crédits sur un autre programme au sein de la même mission.
Je souhaiterais maintenant intervenir sur le deuxième point qui a particulièrement attiré mon attention : la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice ».
Alors que, jusqu'à cette année, les juridictions financières que sont la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes relevaient de Bercy et que les juridictions administratives relevaient du ministère de la justice, à partir de 2006, elles relèveront toutes du ministère de l'économie et des finances.
Au-delà des problèmes que cela peut engendrer entre les élèves de l'Ecole nationale de l'administration et ceux de l'Ecole nationale de la magistrature, il en est un de principe : je crois à l'indépendance de la justice et je regrette profondément que la juridiction administrative, dont l'indépendance a pourtant été reconnue, ne relève plus de la Chancellerie. J'aimerais, sur ce point également, obtenir quelques éclaircissements ; j'ai l'impression que l'on fait là une erreur.
Telles sont, monsieur le garde des sceaux, les remarques que je voulais formuler sur ce rapport, au demeurant fort intéressant et dont nous aurons l'occasion de reparler au moment de l'examen du budget de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur les propos liminaires que j'ai tenus à la suite de l'intervention du président de la commission des finances sur l'opportunité et sur la qualité de ce débat, qui a vu M. le rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis aborder un problème, celui des frais de justice, qui a pris un tour nouveau, les montants atteints n'étant plus du tout ce qu'ils étaient auparavant, en raison notamment de l'évolution des techniques.
Il nous est donc aujourd'hui permis, grâce au Sénat, de réfléchir ensemble à cette question, ce qui éclairera bien entendu le débat sur le projet de budget qui se déroulera prochainement.
Je voudrais tout d'abord remercier M. du Luart de me fournir l'occasion d'exposer très concrètement, devant la représentation nationale, la situation des frais de justice, et de mettre les choses au clair sur un sujet qui a suscité de nombreuses interrogations et donné lieu à une polémique souvent excessive.
Je m'efforcerai, au préalable, de dresser un panorama des mesures prises par le ministère de la justice afin de s'adapter à la mise en place de la LOLF.
Le ministère de la justice est un acteur de la révolution culturelle de la LOLF, que j'appelais, pour ma part, depuis longtemps de mes voeux. En tant que député puis président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, j'ai en effet toujours soutenu cette initiative de bonne gestion, qui trouve enfin sa concrétisation cette année.
Pour s'y préparer, le ministère de la justice a mis en place dès 2002 une politique de formation de ses agents. Je participerai moi-même prochainement à une séance de formation des chefs de cour qui deviennent ordonnateurs secondaires. Il me semble en effet primordial de responsabiliser les gestionnaires territoriaux du service public de la justice, car c'est sur eux que reposeront les efforts de transparence et de bonne gestion de ce budget.
A l'heure actuelle, l'organisation de budgets opérationnels de programme a été finalisée, les applications de gestion nécessaires à la mise en oeuvre de la LOLF ont été modifiées, le bilan de l'expérimentation de la LOLF s'est révélé positif et a montré la capacité de la justice à mieux employer ses crédits.
Pour ne prendre qu'un exemple, la direction des services pénitentiaires de Rhône-Alpes-Auvergne expérimente la globalisation des crédits depuis le 1er janvier 2004. Ce nouveau mode de gestion lui a permis de dégager près de 2,4 millions d'euros, soit 2,4 % de son budget global. Grâce à ces économies, cette direction a financé la rénovation d'établissements pénitentiaires, qui ont pu, par exemple, rénover leurs parloirs pour améliorer l'accueil des familles. La mise en oeuvre de la LOLF au ministère de la justice sera un moyen non pas de reconcentration, mais, au contraire, de décentralisation.
Je voudrais également vous faire remarquer que la mise en place de la LOLF s'effectue à moyens constants et à effectifs inchangés.
Par ailleurs, vous avez souligné, messieurs les rapporteurs, le coût des réformes pénales pour les finances publiques.
A cet égard, je tiens à préciser que je ne souhaite pas contribuer à l'inflation législative. Je suis attaché à la stabilité juridique et je ne présenterai, en matière pénale, que des textes que j'estime indispensables pour assurer la sécurité des citoyens. C'est le cas de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, dont la deuxième lecture a eu lieu ici même voilà quelques semaines. A cet instant, je voudrais remercier les membres de la commission mixte paritaire, dont le travail a permis aux deux assemblées d'aboutir à des conclusions communes.
Je voudrais enfin ajouter, sur ce sujet, qu'il est facile de déplorer que l'on élabore sans cesse des lois et que cela entraîne une inflation législative, en particulier dans le domaine pénal. Je ferai observer que nous vivons à une époque où le terrorisme, le grand banditisme, le blanchiment d'argent ont pris des proportions nouvelles.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Qu'aurait-on dit si la France ne s'était pas dotée de moyens juridiques comme l'infiltration, qui coûte cher en frais de justice, de capacités d'écoute, qui requièrent l'utilisation de techniques beaucoup plus modernes qu'auparavant, et donc beaucoup plus coûteuses, ainsi que de toutes les mesures qui figurent dans la loi dite « Perben II » ?
Il était indispensable d'élaborer des textes contre le grand banditisme et le terrorisme, même si je reconnais que près de 500 articles du code pénal et du code de procédure pénale s'en sont trouvés modifiés. Personne, dans les deux assemblées, à droite comme à gauche, ne pourrait prétendre le contraire. Il était donc nécessaire que nous adaptions notre code pénal, eu égard au défi qu'affrontent les pays développés.
En tout état de cause, la LOLF nous permettra de rationaliser les études d'impact des projets législatifs. Cette mission rentre dans les attributions du nouveau secrétaire général du ministère de la justice, qui veillera particulièrement à l'exactitude et à la cohérence de ces évaluations.
La LOLF permettra enfin de rendre les actions de la justice plus transparentes et plus performantes. Des indicateurs de résultat ont été élaborés, qui constitueront des outils de jugement pour le Parlement. Je donne rendez-vous au début de l'année 2007 pour vous rendre compte de ma gestion.
A ce point de mon propos, je voudrais indiquer à Mme Borvo Cohen-Seat, qui a été choquée par la référence à la notion de performance, que nous parlons ici non pas des décisions de justice, mais du budget. Il s'agit bien de performance en termes de qualité de gestion budgétaire du ministère, en aucun cas d'un critère s'appliquant aux décisions de justice. Cette référence est commune à tous les ministères et à d'autres domaines de la vie du pays, et nous l'avons gardée.
N'oublions pas, cependant, que les conséquences de la mise en oeuvre de la LOLF sont plus importantes, sur le plan budgétaire, pour la justice que pour les autres ministères, du fait de la transformation des crédits évaluatifs en crédits limitatifs.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Près de 20 % du budget de la justice sont concernés par ce changement dans le projet de loi de finances pour 2006.
M. du Luart et la plupart des orateurs m'ont interrogé sur le montant des frais de justice. Je confirme que la somme budgétée est fidèle à la réalité du travail des juridictions ; je vais m'en expliquer.
L'augmentation des frais de justice est liée à l'accroissement de l'activité des juridictions et, comme je le disais à l'instant, à l'utilisation des nouvelles technologies. Ainsi, les frais de justice ont progressé de 20 % par an depuis 2001, pour atteindre 420 millions d'euros dépensés en 2004 et 490 millions d'euros attendus en 2005.
Cela étant, j'ai mis en place un plan de maîtrise des frais de justice, qui nous a déjà permis d'économiser 22 millions d'euros, et il apparaît que le total des dépenses engagées à ce titre pour 2005 devrait être plus proche de 470 millions d'euros que des 490 millions d'euros attendus. On voit bien que les frais de justice ont atteint un palier - cela vaut d'ailleurs aussi pour les dépenses liées à l'aide juridictionnelle -, et cette évolution, jointe à la mise en concurrence des opérateurs et au souci qu'auront les prescripteurs de choisir, à qualité comparable évidemment, la solution la moins coûteuse, fait que la prévision de dépenses inscrite dans le projet de budget est probablement réaliste. Jusqu'à présent, ces dépenses n'étaient pas anticipées, elles étaient subies.
Depuis ma nomination, je me suis saisi de cette problématique des frais de justice. Je dois avouer que, au début, j'ai mal réagi devant les attentes du ministère chargé du budget, auquel j'ai fait comprendre que l'on ne pouvait faire pression sur les magistrats, en particulier sur les juges du siège, l'indépendance des décisions de justice devant être respectée.
Telle a été, je le reconnais, ma première réaction, puis, chemin faisant, en discutant avec les Premiers présidents, les procureurs généraux, bref avec tous les responsables de nos juridictions et de nos cours, j'ai bien senti que chacun était demandeur d'un peu de réalisme, réalisme qui manquait auparavant pour la bonne raison qu'il n'y avait pas de mise en concurrence des prestataires.
Alors qu'une dépense de 600 millions d'euros avait été annoncée initialement pour 2005 au titre des frais de justice, elle sera donc sensiblement inférieure à 500 millions d'euros. J'indiquerai d'ailleurs à Mme Borvo Cohen-Seat que ce poste englobe aussi, pour partie, l'indemnisation des victimes. Ce sont là des dépenses qui ne sont guère contestables, et des procès extrêmement importants, comme celui du tunnel du Mont-Blanc, affectent la ligne budgétaire dédiée aux frais de justice.
Je voudrais dire enfin, sur ce sujet, que je sens aujourd'hui une prise de conscience parmi les magistrats et les officiers de police judiciaire prescripteurs. N'oublions pas, en effet, que près de la moitié des frais de justice sont engagés par les officiers de police judiciaire, c'est-à-dire par des personnes qui ne sont pas des fonctionnaires du ministère de la justice. Chacun est maintenant informé, me semble-t-il, de la réalité des coûts. Le montant des dépenses devrait correspondre, grosso modo, à ce que nous prévoyons.
Seulement 370 millions d'euros ont donc été inscrits au projet de budget. En effet, le plan de maîtrise des frais de justice, qui nous a déjà permis d'économiser, je l'ai dit, 22 millions d'euros, permettra, dès 2006, de réaliser une économie globale d'au moins 62 millions d'euros.
On pouvait en effet constater, s'agissant de ces dépenses, des tarifs souvent abusifs imposés sans discussion par des prestataires,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. ... comme l'ont souligné MM. les rapporteurs, une absence de mise en concurrence pour certains frais ou encore un système comptable qui déresponsabilisait les acteurs.
Je voudrais vous présenter des exemples concrets des premiers résultats que nous avons obtenus.
Une mise en concurrence des frais d'empreinte génétique, cet été, nous a permis de passer d'un tarif moyen de plus de 150 euros à un tarif de 85 euros. L'économie ainsi réalisée s'élève à 3 millions d'euros.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. En matière d'écoutes téléphoniques, nous ferons dès l'année prochaine une économie de 3 millions d'euros en installant des lignes permanentes dans les services de police et de gendarmerie, au lieu de recourir à l'installation de lignes provisoires faisant l'objet d'une location.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. En outre, 2 millions d'euros ont été économisés dans le domaine de la location de matériel d'écoutes, grâce à la mise en concurrence des prestataires.
Enfin, jusqu'à présent, lorsque la justice demande un renseignement à un opérateur téléphonique, une somme forfaitaire de 9 euros lui est facturée. Nous avons fixé des tarifs avec les opérateurs, afin de les rapprocher du coût réel. Ainsi, les renseignements déjà en leur possession seront facturés au prix de 3,8 euros, et les demandes plus complexes à celui de 20 euros. L'économie qui sera obtenue peut être évaluée à 14 millions d'euros.
Vous remarquerez que les économies réalisées seront compatibles avec la liberté de prescription des magistrats, qu'elles n'entraveront en rien. Il n'a jamais été question que cette dernière soit mise en péril. J'ai simplement dit qu'en faisant appel à la responsabilisation de tous nous choisirons, à qualité comparable, la prestation la moins chère. C'est là une démarche qui n'était même pas envisagée voilà ne serait-ce qu'un an.
Je compte également sur les efforts des chefs de programme dans chaque juridiction ; je les ai mobilisés sur ce sujet. Ils disposeront l'an prochain d'une enveloppe globale incluant les frais de justice, et auront toute latitude pour décider de l'emploi des crédits et des équivalents temps plein travaillé mis à leur disposition.
Je voudrais insister en outre sur un point que peut-être le Sénat n'a pas perçu dans cette logique impitoyable de la LOLF : si nous devions dépenser plus, au titre des frais de justice, que ce qui a été budgété - vous avez bien noté, monsieur du Luart, que 50 millions d'euros pourraient être mobilisés en cas de dépenses exceptionnelles et viendraient alors éventuellement s'ajouter aux 370 millions d'euros dont j'ai parlé tout à l'heure -, ce surcroît serait prélevé sur les crédits des services judiciaires.
Les chefs de cour et de juridiction sont prévenus : ils devront payer les frais de justice, mais si ces derniers dépassent le montant initialement prévu, ce sera évidemment au détriment des crédits de fonctionnement. Leur indépendance n'est donc nullement remise en cause dans cette affaire ; il s'agit de savoir quelle est, pour les chefs de cour et de juridiction, la meilleure manière d'affecter les moyens dont ils disposent, dans une dyarchie qu'il est évidemment tout à fait souhaitable de conserver, sous peine de rompre, beaucoup plus gravement que budgétairement, l'équilibre de notre magistrature ; j'y reviendrai tout à l'heure.
M. le rapporteur pour avis s'inquiète de la charge de travail des services administratifs régionaux. Depuis trois ans, nous les avons renforcés de 314 agents, de sorte qu'aujourd'hui leur effectif total est de 1125 agents.
J'ai demandé aux chefs de cour de résorber en priorité les vacances de postes dans ces services pour faire des SAR des services autonomes, dotés d'effectifs et d'un budget propres. Les postes de responsable de service seront augmentés d'une catégorie et reclassés dans le grade ou l'échelon immédiatement supérieur. Il appartiendra d'ailleurs aux seuls chefs de cour et de juridiction, et non pas à la Chancellerie, de flécher, parmi les postes créés mis à leur disposition, les postes de fonctionnaires de catégorie C, notamment, vers les SAR. Nous entendons ainsi accroître la responsabilisation de ces gestionnaires.
Conformément au souhait de MM. Karoutchi et Détraigne, la LOLF permet de responsabiliser chacun des acteurs de la justice sur les coûts budgétaires. En tant que chefs de budget opérationnel de programme, les chefs de cour et de juridiction assumeront la responsabilité de leur gestion devant moi, responsable de la mission « Justice », et je vous rendrai, à mon tour, des comptes sur cette gestion.
Au-delà des crédits inscrits pour la mission « Justice », le Premier ministre a validé la possibilité de mobiliser 50 millions d'euros de dépenses exceptionnelles de frais de justice sur le programme « dépenses accidentelles et imprévisibles » de la mission « Provisions ». Ce dispositif se justifie au moins pour la première année de mise en oeuvre de la LOLF. Nous pouvons réaliser des économies, mais nous ne pouvons prédire, malheureusement, toutes les catastrophes susceptibles d'entraîner des frais de justice. C'est, me semble-t-il, l'objet de ce programme que de financer ce surcoût éventuel.
Comme vous le voyez, le plan d'économies ajouté au fonds exceptionnel permettra de payer l'intégralité des frais de justice.
Je voudrais maintenant répondre à une interrogation sur les juridictions judiciaires.
L'architecture budgétaire doit garantir l'indépendance constitutionnelle de l'autorité judiciaire, qui comprend les magistrats du siège et ceux du parquet. Mais la justice n'est efficace que si ces deux catégories de magistrats travaillent de manière complémentaire. A cet égard, les réunions que j'organise régulièrement, dont la dernière en date réunissait les procureurs généraux et les premiers présidents, prouvent à l'évidence que, le plus souvent, les responsables des cours s'entendent, et s'entendent bien !
La séparation en deux programmes serait plutôt source de blocage. En outre, elle ne permettrait pas à la représentation nationale de disposer d'une vision cohérente de l'action de l'autorité judiciaire, tant dans le domaine civil que dans le domaine pénal. Par ailleurs, elle aurait des effets négatifs dans la gestion du poste des frais de justice. Des risques de doublons apparaissent dès que les ordonnateurs secondaires sont séparés.
La création de ces deux programmes entraînerait de très sérieuses complications en matière non seulement de gestion des services communs, mais également de gestion des ressources humaines, des sites immobiliers ou des applications informatiques. De même, la réduction de la taille du budget opérationnel de programme que constitue une cour d'appel dans le cadre de chaque programme limiterait les possibilités de fongibilité des crédits. Ce serait ainsi un principe fort de la modernisation de la gestion des finances publiques, initiée par la LOLF, qui serait mis à mal.
Je tiens à signaler que l'ordonnancement conjoint entre le siège et le parquet, applicable à compter de 2006, fonctionne déjà dans les cours d'appel expérimentales sans porter atteinte à la liberté de prescription des magistrats.
Enfin, le Premier ministre a décidé de ne pas soumettre les services judiciaires aux gels budgétaires, et d'alléger les contrôles a priori des contrôleurs financiers. Cette décision est entrée en vigueur dès le mois de juillet dernier.
Je voudrais, avant de conclure, répondre en quelques mots à M. Collombat, qui a embrassé dans une ample intervention tous les problèmes de la justice. Ne voyez dans mon propos aucune intention polémique, monsieur le sénateur ; je suis totalement sincère quand je me félicite de l'initiative récente d'un grand hebdomadaire. Oui, lancer une pétition sur les prisons me semble une bonne idée, et elle peut même m'aider. En effet, je souhaite avoir le maximum de crédits, tenir le cap fixé par la loi d'orientation et de programmation pour la justice et faire en sorte que nous puissions maintenir le rythme soutenu de notre action en faveur de l'humanisation des prisons.
Pour autant, quand j'ai redit, ici même, que nous n'avions eu, depuis les années quatre-vingt, que trois programmes de création de prisons - le programme Chalandon, le programme Méhaignerie et le programme Perben -, je ne cherchais pas plus la polémique : c'est la stricte vérité ! Il n'y a jamais eu d'autres programmes.
M. Pierre-Yves Collombat. C'est tout ce que vous avez retenu de mon propos ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je demande donc que chacun, faisant un retour sur soi-même, assume sa part de responsabilité et prenne l'engagement de maintenir, demain, en cas d'alternance du pouvoir, ce rythme de création de places, qui seul permettra à la France d'avoir des prisons dignes de la démocratie qu'elle incarne à nos yeux.
Vous avez également reproché au Gouvernement, monsieur Collombat, de créer plus de détenus que de places de prison. C'est, là encore, une idée que je souhaiterais vous ôter de la tête, car elle est fausse. En effet, la France compte 93 détenus pour 100 000 habitants, soit moins que l'Allemagne, moins que l'Italie, moins que l'Espagne, moins que les pays du Benelux et moins que la Grande-Bretagne. Autrement dit, contrairement aux idées reçues, on emprisonne moins dans notre pays que dans les pays voisins, qui comptent tous une centaine de détenus pour 100 000 habitants.
Cela, personne ne le sait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si, on le sait !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous êtes tous convaincus du contraire.
Ce matin encore, à l'Assemblée nationale, un député communiste m'a même fait cette remarque, qui n'a pas manqué de me surprendre, ...
M. Pierre-Yves Collombat. Nous parlons de la surpopulation carcérale, c'est-à-dire du rapport entre le nombre de détenus et le nombre de places de prison. Vous parlez, vous, du taux d'incarcération : ce n'est pas la même chose !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. S'il y a surpopulation carcérale, c'est parce que, pendant de nombreuses législatures, aucune place de prison n'a été créée. Vous pourriez avoir la décence de ne pas nous contraindre à vous le rappeler !
M. Pierre-Yves Collombat. J'en ai parlé une demi-minute !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Eh bien, il ne fallait pas ! Quand on n'a rien fait, la simple décence veut que l'on garde le silence !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous ne parlez que de ça !
M. Pierre-Yves Collombat. Comme toujours, c'est la langue de bois ! La LOLF pose de vrais problèmes, discutons-en !
M. Pierre-Yves Collombat. Personne ne détient la vérité !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si, les chiffres, et ils sont indiscutables : vous n'avez créé aucune place de prison. Je suis désolé d'y revenir, mais, s'il y a une vérité, elle est à chercher dans les chiffres ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Il ne faut pas exagérer, monsieur Collombat. Je vous le répète : vous n'avez rien fait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui a sorti de prison des gens qui n'avaient rien à y faire ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Les discours, c'est autre chose et, là, je le reconnais, vous êtes prix d'excellence, mais, pour les réalisations, il n'y a plus grand monde !
M. Collombat m'a reproché d'avoir dit à Mme Guigou, à l'Assemblée nationale, que les moyens financiers n'étaient pas importants. Je tiens à lui préciser- cela nourrira sa réflexion d'ici à sa prochaine intervention sur le budget de la justice -que ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit qu'il ne fallait pas que l'obtention des moyens soit un préalable au vote de la loi. Si tel était le cas, on ne voterait aucune loi !
S'agissant du bracelet électronique mobile, je tiens également à dire, quitte à décevoir ses partisans, que, pour le prochain exercice, il ne coûtera malheureusement pas bien cher. En effet, il faudra d'abord l'expérimenter et ensuite préparer l'appel d'offres public, ce qui prend au moins six mois. Autant dire que ce ne sont pas les crédits à inscrire dans le budget 2006 pour le bracelet électronique mobile qui m'inquiètent !
L'année prochaine, en revanche, vous serez en droit de m'interroger sur les sommes inscrites à ce titre dans le projet de loi de finances et, alors, nous en parlerons.
Puisque vous avez abordé le sujet, je vais aussi vous répondre - tant pis, il ne fallait pas m'en parler ! - que Mme Guigou, qui n'avait pas retenu grand-chose de son prédécesseur, M. Jacques Toubon, avait cependant été très bien inspirée de reprendre son idée de suivi socio-judiciaire. Sauf, que, pour le coup, elle n'a jamais inscrit un sou pour faire fonctionner ce nouveau dispositif !
Ce matin, j'ai entendu vos collègues du parti socialiste à l'Assemblée nationale déclarer que nous devions faire en sorte qu'il n'y ait plus aucune sortie sèche de prison, et j'ai applaudi.
Puisque vous êtes très forts pour les paroles, mettez aussi de l'argent pour financer vos belles et généreuses idées...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais c'est vous qui êtes au Gouvernement !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pour notre part, dans la proposition de loi sur laquelle le Sénat et l'Assemblée nationale sont tombés d'accord, nous prévoyons précisément des mesures pour éviter ces sorties sèches, surtout si sont concernés les auteurs de certains crimes ou de certains délits.
A M. Karoutchi, je dirai que j'ai beaucoup apprécié son discours, mais que je lui exposerai en tête-à-tête les raisons pour lesquelles je ne le commente pas. (Sourires.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, la nation réalise un effort substantiel pour la justice. Elevée au rang priorité budgétaire, la justice se doit d'être plus efficace et plus transparente.
Le ministère de la justice est entré avec confiance dans l'ère de la maîtrise de son budget. Vous pouvez compter sur moi pour que les bénéfices concrets de la LOLF se fassent sentir dès cette année. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Le débat est clos.
10
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président. J'ai reçu de MM. Roger Karoutchi, Jacques Blanc, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Christian Cambon, Jean-Claude Carle, Gérard César, Christian Cointat, Jean-Patrick Courtois, Mme Isabelle Debré, MM. Robert Del Picchia, Michel Doublet, Mme Bernadette Dupont, MM. André Ferrand, Alain Fouché, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Patrice Gélard, François Gerbaud, Francis Giraud, Philippe Goujon, Mme Adeline Gousseau, MM. Georges Gruillot, Hubert Haenel, Michel Houel, Soibahaddine Ibrahim, Alain Dufaut, Robert Laufoaulu, Jean-René Lecerf, Jackie Pierre, Henri de Raincourt, Philippe Richert, Mme Esther Sittler, MM. Louis Souvet, Yannick Texier, François Trucy et Alain Vasselle une proposition de loi relative au fonctionnement des groupes d'élus.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 74, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
11
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 14 novembre 2005, à quinze heures et le soir :
Discussion du projet de loi (n° 63, 2005-2006) de financement de la sécurité sociale pour 2006, adopté par l'Assemblée nationale.
Rapport (n°73, 2005-2006) de MM. Alain Vasselle, Dominique Leclerc, André Lardeux et Gérard Deriot, fait au nom de la commission des affaires sociales
Avis (n°71, 2005-2006) de M. Jean-Jacques Jegou, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 14 novembre 2005, à onze heures ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat sur les fonds concourant au financement de la sécurité sociale, les fonds de solidarité vieillesse, FSV, et les fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, FFIPSA : lundi 14 novembre 2005, à onze heures ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat sur l'assurance maladie : lundi 14 novembre 2005, à onze heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 14 novembre 2005, à onze heures.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Projet de loi portant engagement national pour le logement (n° 57, 2005 2006) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 18 novembre 2005, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : vendredi 18 novembre 2005, à douze heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD