compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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développement et financement des infrastructures de transport

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 4 de M. Alain Lambert à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer sur le développement et le financement des infrastructures de transport.

La parole est à M. Alain Lambert, auteur de la question.

M. Alain Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier la conférence des présidents d'avoir accepté d'inscrire cette question orale avec débat à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée, même si ses reports successifs nous privent aujourd'hui de la présence de M. le ministre des transports, qui s'en est d'ailleurs directement excusé auprès de moi et qui m'a précisé que M. le ministre de l'économie et des finances exprimerait un point de vue commun à leurs deux ministères.

Le Gouvernement a engagé, le 18 juillet dernier, la cession des participations de l'Etat dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes : autoroutes du sud de la France, autoroutes Paris-Rhin-Rhône et SANEF.

Compte tenu de l'importance de cette opération et de ses implications sur l'avenir de nos infrastructures de transport, M. le Premier ministre s'est engagé à ce que le Gouvernement rende compte au Parlement de l'avancement de cette procédure ; il tient parole, et je lui en donne acte.

Ma question orale, qui s'adresse donc au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, porte sur le développement et le financement des infrastructures de transport.

Mes chers collègues, j'ai souhaité, par cette question, soulever l'importance de ce débat pour les bassins de vie et d'emploi dont nous sommes les élus. Nous connaissons tous également l'importance stratégique que représentent les infrastructures de transport pour l'avenir de notre pays, pour son rayonnement, pour sa capacité à jouer un rôle éminent, à aller de l'avant, pour renforcer l'accessibilité de la France et son rôle au coeur de I' Europe.

MM. Breton et Perben se situent dans le contexte de l'annonce faite par M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale concernant la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et de sa volonté d'accélérer la réalisation des contrats de plan Etat-région.

Je souhaite donc interroger le Gouvernement à la fois sur l'accélération de la réalisation de contrats de plan, qui est un point capital pour tous les parlementaires, et sur le moyen d'y parvenir, c'est-à-dire sur le financement, et donc sur la cession des actifs autoroutiers.

Ma question portera d'abord sur le financement des projets d'infrastructures que nous souhaitons pour la France, et que le Sénat comme l'Assemblée nationale réclament en permanence.

Je souhaite savoir comment, dans la durée, le Gouvernement entend doter la France d'infrastructures de transport modernes au bénéfice de nos compatriotes et de nos territoires et comment il compte les financer.

En effet, tous ceux qui, comme moi, se passionnent pour l'aménagement du territoire, tous ceux qui se battent pour le développement économique de leur région, des départements et des pays, tous ceux qui mènent ces combats rêvent de réseaux structurants. Le Gouvernement précédent, auquel j'ai eu l'honneur d'appartenir, s'était fixé des objectifs que le Sénat, après un débat, avait approuvés le 3 juin 2003

Monsieur le ministre, je souhaite que vous nous confirmiez que l'intention du Gouvernement est bien de réaliser le programme que le Sénat avait examiné à l'époque.

Par ailleurs, se pose la question de son financement.

Les sociétés concessionnaires, une fois cédées, ne viendront plus abonder de leurs dividendes l'agence de financement des infrastructures de transport de France, l'AFITF. Dès lors, quels seront les modes de financement programmés pour répondre aux besoins de financement des investissements ainsi identifiés ? Le ministre des transports sera-t-il bien en mesure de disposer de la visibilité, qui peut seule lui permettre d'atteindre des objectifs d'efficacité et de performance sur l'emploi des fonds publics importants concernés ? Enfin, quels projets le Gouvernement souhaite-t-il ainsi financer ?

Les contrats de plan conclus entre l'Etat et les régions sont en cours. Je comprends qu'il s'agit bien de leur donner une nouvelle impulsion. Mais dans quelle mesure cette accélération est-elle envisagée ? En outre, comment concilier cette priorité, politique et juridique, car il s'agit bien d'engagements réciproques - les juristes parlent de contrats « synallagmatiques » -, et la liste des grands projets que je mentionnais précédemment, telle qu'elle a été établie par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin à l'issue de travaux précis et méthodiques ? Je profite d'ailleurs de l'occasion pour saluer M. Raffarin, sous l'autorité duquel j'ai eu l'honneur et le plaisir de servir.

Je rappelle que les choix des projets s'étaient effectués il y a deux ans à la suite d'un rapport d'audit sur les grands projets d'infrastructures de transport établi par le Conseil général des Ponts et Chaussées et par l'Inspection générale des finances, ainsi que d'un rapport de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, la DATAR. Il me semble important que l'investissement public puisse continuer à être ainsi éclairé par des analyses rationnelles et animé par des objectifs clairs. Nous devons rester là aussi, me semble-t-il, dans l'esprit que la LOLF inspire aujourd'hui à toute dépense publique, s'agissant de l'optimisation de l'utilisation de l'argent public.

Enfin, quel avenir voyez-vous pour l'AFITF ? S'agit-il bien d'un renforcement ? Quelles en seront les conditions à court et à moyen terme ?

Je ne doute pas des éléments de réponse que vous pourrez apporter à ces interrogations. Ce seront autant d'illustrations de la détermination du Gouvernement à poursuivre la politique d'investissement que M. le Premier ministre a annoncée et qui va dans le sens de ce qui avait été décidé par son prédécesseur.

Cependant, je souhaite ajouter quelques questions sur le déroulement budgétaire de cette opération de cession.

Il me semble important que la représentation nationale soit éclairée sur ces opérations, financièrement majeures et techniquement complexes, qui vont nous mener aux financements exceptionnels dont l'AFITF a besoin. Aussi, je voudrais que vous puissiez nous esquisser dès aujourd'hui le calendrier et les conditions de réalisation des privatisations envisagées.

Quelles précautions avez-vous prises pour garantir la transparence de cette procédure ? Quels critères retiendrez-vous pour le choix des investisseurs ?

En effet, de ce choix dépend aussi la qualité de la gestion de notre système autoroutier dans l'avenir. C'est donc quasiment un sujet touchant à la vie quotidienne de l'ensemble de nos compatriotes que j'essaie de lancer ce matin à travers cette question orale avec débat.

Je m'interroge enfin sur ce que deviendront, à l'issue de ce processus, les petits actionnaires entrés dans le capital de ces sociétés au cours des dernières opérations d'ouverture du capital. Le Gouvernement préfère-t-il que ces sociétés restent cotées en bourse, comme cela est parfois évoqué ?

Monsieur le ministre, je vous remercie de bien vouloir nous éclairer sur les modes et les moyens de financement des infrastructures de demain pour notre pays. C'est une question centrale pour la Haute Assemblée et pour les territoires que nous représentons. C'est la raison pour laquelle, compte tenu de l'ordre du jour très dense, le Sénat a utilisé la procédure de la question orale avec débat. Vous pourrez ainsi nous fournir les explications que M. le Premier ministre nous avait promises. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur le développement et le financement des infrastructures de transport pourrait être l'occasion d'aborder de nombreux sujets. Il en est ainsi de la décentralisation des routes, dont la carte a été rendue publique cet été.

Sur ce dossier, je tiens à saluer la décision du Gouvernement de renoncer finalement à transférer aux départements quelque 1 800 kilomètres de routes nécessitant d'importants travaux de rénovation auxquels ils auraient dû faire face. En outre, je pense que nous pouvons être confiants sur le montant de la compensation qui sera versée à ce titre aux collectivités territoriales - 185 millions d'euros, sans compter les moyens nécessaires à la rémunération des personnels -, puisque la commission consultative sur l'évaluation des charges et le comité des finances locales lui ont donné un avis favorable.

Restent des inquiétudes, que vous pourrez sûrement dissiper, monsieur le ministre, sur la question du transfert des moyens humains, en particulier celui du personnel d'encadrement des services d'études des directions départementales de l'équipement, auquel les départements tiennent beaucoup.

On pourrait également évoquer l'inquiétant état des voies ferrées françaises mis en évidence par un audit qui vous a été remis le mois dernier, monsieur le ministre. Depuis des années, les moyens consacrés à l'entretien des voies sont insuffisants pour faire face au vieillissement. Sans un effort substantiel de régénération, c'est 60 % du réseau actuel qui devra être fermé d'ici à 2025 !

Mais ce qui nous intéresse avant tout aujourd'hui, c'est, bien évidemment, le dossier de la privatisation des sociétés d'autoroutes et son impact sur le financement des grands projets d'infrastructures.

Le choix de la privatisation est un choix courageux sur le plan politique et justifié au regard de la situation des finances publiques.

C'est en effet le choix du réalisme puisqu'il vise à enrayer la progression de la dette publique, qui, rappelons-le, représente 64 % du PIB en France, et à adresser un signal positif aux autorités européennes concernant notre intention de respecter les critères de Maastricht. Notons, à cet égard, que diminuer la dette publique de 8 milliards d'euros, c'est 400 millions d'euros d'intérêts d'emprunt en moins à verser et autant d'économies pour le budget de l'Etat !

En outre, il faut garder à l'esprit que ce choix est neutre sur le plan financier puisque, si l'on actualise le montant des dividendes qui auraient été perçus par l'Etat d'ici à 2032, date de la fin des concessions en cours, à savoir 40 milliards d'euros, on obtient un chiffre assez proche des 12 milliards d'euros, correspondant au montant attendu des cessions.

Mais, si je soutiens personnellement cette décision, c'est aussi parce que les modalités de cette privatisation me semblent présenter toutes les garanties requises.

Garantie, d'abord, de transparence, avec le choix d'un appel à candidatures plutôt qu'une négociation de gré à gré.

Garantie de la préservation de l'intérêt économique des sociétés vendues, dès lors que les critères de sélection exigent des repreneurs un projet industriel crédible et le maintien d'une structure financière saine.

Garantie pour le marché et les conditions de concurrence en aval, puisque que les marchés de travaux passés par les sociétés d'autoroutes continueront - on nous l'a assuré - à respecter les règles applicables à la commande publique et devront ménager une place aux PME.

Garantie, enfin, pour l'usager, puisque les sociétés d'autoroutes continueront à assurer leur mission de service public, en vertu des contrats de concession qui les lient à l'Etat, lequel reste propriétaire du réseau routier concédé ; un débat a d'ailleurs eu lieu récemment à la télévision sur ce sujet. A ce titre, l'Etat conservera un représentant au sein du conseil d'administration de chaque société et continuera à contrôler l'évolution des tarifs des péages.

Si les modalités de cette privatisation nous rassurent, reste toutefois posée la question centrale des moyens affectés à l'AFITF.

Je tiens, à cet égard, à exprimer l'attachement de la commission des affaires économiques que je préside à cette agence, dont elle avait appelé la création dès le débat sur les infrastructures en juin 2003 et dont elle avait salué l'installation en début d'année. Notre commission était très favorable à l'idée d'affecter à cet établissement des ressources pérennes, seules à même de garantir sa capacité, par-delà les aléas de l'annualité budgétaire, à mettre en oeuvre la « feuille de route » que lui a confiée le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, le CIADT, du 18 décembre 2003, à savoir, d'ici à 2012, une trentaine de grands projets d'infrastructures.

Si l'AFIFT perd les dividendes des sociétés concessionnaires d'autoroutes, elle devrait se voir - si l'on en croit ce qui a été annoncé - affecter une partie non négligeable du produit de leur vente - 4 milliards d'euros en tout -, ce qui, ajouté aux ressources qui lui sont déjà affectées - taxe d'aménagement du territoire, redevances domaniales et fraction du produit des amendes perçues grâce aux radars automatiques -, devrait représenter un budget de 2 milliards d'euros pour 2006, contre 700 millions d'euros environ en 2005.

A ce propos, j'aimerais que vous nous précisiez, monsieur le ministre, selon quelles modalités cette dotation de 4 milliards d'euros sera allouée à l'AFITF. Lui sera-t-elle affectée entièrement dès le budget 2006, ce qui lui donnerait la possibilité de placer cette somme et de l'utiliser sur plusieurs années, ou lui sera-t-elle attribuée par tranches successives sur plusieurs exercices budgétaires ?

Ces financements paraissent suffisants pour faire face à un programme raisonnable de travaux à moyen terme. N'oublions pas, à ce propos, que l'AFITF devra désormais en plus financer le volet « infrastructures de transport » des contrats de plan Etat-région 2000-2006, ainsi que plusieurs programmes d'adaptation des transports en milieu urbain.

Certes, le Gouvernement s'est engagé à ce que cette enveloppe globale de 7,5 milliards d'euros promise d'ici à 2012 à l'AFITF, lors du CIADT de décembre 2003, soit respectée.

Mais qu'en sera-t-il dans une dizaine d'années ?

M. Robert Bret. Bonne question !

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. Sur quelles ressources l'AFITF pourra-t-elle compter pour mener à bien le programme qui lui a été confié au-delà de 2012 et qui comprend des projets de grande envergure, notamment plusieurs lignes TGV, pour un montant total de 20 milliards d'euros ? La question est posée.

M. Robert Bret. Même M. le ministre se la pose !

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. Les besoins de notre pays en infrastructures restent immenses, à la mesure de son importante superficie.

Il s'agit de faire face, bien sûr, à l'accroissement prévisible des trafics, notamment sur la route - plus 50 % dans les vingt prochaines années -, mais aussi de relier les régions enclavées et d'améliorer la fluidité des déplacements dans un monde où la vitesse et l'intégration à des réseaux sont des facteurs de compétitivité de plus en plus déterminants, sans parler des investissements que nécessiterait l'objectif de rééquilibrage des modes de transports de la route vers le rail et la voie d'eau dans le domaine du fret.

Ces besoins vont d'ailleurs bien au-delà du programme de travaux qu'a retenu le CIADT du 18 décembre 2003, même si, convenons-en, sa seule mise en oeuvre serait déjà un grand motif de satisfaction. Mais que dire des projets qui, comme la liaison à grand gabarit Rhin-Rhône - projet dont vous connaissez l'importance pour un élu bourguignon comme moi (Sourires) -, ont été écartés malgré leur indéniable intérêt, parce qu'ils représentaient des sommes à investir hors de portée de nos finances publiques ?

On le voit, la problématique du financement des grandes infrastructures de transport s'inscrit nécessairement dans le long terme. Ce constat, ainsi que la contrainte qui pèse plus que jamais sur les deniers publics, doivent nous inciter à envisager d'autres sources de financements susceptibles d'être mobilisées dans la durée.

Il a beaucoup été question, ces derniers temps, des perspectives offertes par les partenariats public-privé, les PPP. Certes, le démarrage de tels projets semble se faire avec une certaine prudence, sans doute parce que trouver ses marques dans un nouveau cadre juridique prend nécessairement un peu de temps. Mais on peut déjà constater qu'une telle formule a été mise en oeuvre avec succès pour la construction de la liaison ferroviaire à grande vitesse Perpignan-Figueras ou pour celle du viaduc de Millau. Notons, à cet égard, que le projet de loi sur la sécurité et le développement des transports devrait faciliter l'utilisation des PPP dans le domaine ferroviaire, mais aussi dans le domaine fluvial, notamment grâce à une disposition introduite par le Sénat il y a deux jours.

Mais ne conviendrait-il pas aussi de considérer à nouveau le potentiel de financement lié à une adaptation de la tarification des infrastructures routières et ferroviaires ?

Le fait que les ressources qui seraient ainsi dégagées soient affectées à l'AFITF, donc destinées à financer une amélioration des infrastructures de transport, paraît de nature à rendre leur principe acceptable aux usagers.

En outre, il convient de noter que l'Union européenne est favorable à une meilleure prise en compte des coûts dans la tarification des infrastructures de transports, comme l'illustre la réforme en cours de la directive dite « Eurovignette ».

Nous sommes tous convaincus qu'un pays comme le nôtre a besoin d'une politique volontariste en matière d'infrastructures et qu'il lui est nécessaire de s'en donner les moyens, d'autant plus - et cela mérite d'être souligné - qu'une telle politique est aussi porteuse de croissance, par son effet d'entraînement potentiel sur l'ensemble de l'économie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jean Puech, président de l'Observatoire de la décentralisation.

M. Jean Puech, président de l'Observatoire de la décentralisation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question posée par notre collègue M. Alain Lambert concerne le développement et le financement des infrastructures de transport.

Je sais que beaucoup d'entre nous évoqueront la question des autoroutes qui est, bien évidemment, très importante pour l'avenir de nos territoires.

Permettez-moi cependant, au nom de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, de consacrer mon intervention aux conditions du transfert des routes nationales aux départements, qui est prévu par la loi du 13 août 2004 et entré dans sa phase de mise en oeuvre. Ce dossier est en effet au coeur de la problématique des infrastructures de transport.

Dans son principe, ce transfert n'est pas en cause : le Sénat y est favorable et l'a d'ailleurs voté. En revanche, ce qui est en jeu aujourd'hui, ce sont les modalités de son exécution, ainsi que les conditions futures dans lesquelles les conseils généraux auront à gérer cette nouvelle charge.

Dans ces conditions, le rôle de l'Observatoire de la décentralisation apparaît particulièrement important : il lui revient en effet d'examiner les conditions de la mise en oeuvre de ces transferts et d'alerter sur les éventuels problèmes qui pourraient apparaître.

C'est pourquoi, tout en saluant l'action réformatrice du Gouvernement depuis 2002 en matière de décentralisation, à laquelle on ne rend pas suffisamment hommage, je souhaite vous faire part de certaines difficultés de mise en oeuvre de cette importante réforme.

La méthode qui a été retenue pour ces transferts est la bonne. Nous avons demandé, dès la discussion du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, que la détermination du champ des transferts et du montant des compensations fasse l'objet d'une évaluation transparente et contradictoire.

Je peux aujourd'hui témoigner d'une réelle capacité de la part du Gouvernement, ainsi que d'une véritable volonté de transparence. Les travaux de la Commission consultative d'évaluation des charges, laquelle n'avait quasiment jamais été réunie par le passé, en témoignent.

Pour autant, la nature des enjeux, ainsi que la difficulté réelle de l'exercice d'évaluation des transferts à opérer, nous obligent à aller jusqu'au bout de cet exercice. Ce n'est pas faire preuve de défiance que de considérer qu'il demeure encore de nombreuses incertitudes, de même que des désaccords subsistent ; il faut le reconnaître.

Précisément, l'Observatoire de la décentralisation a pour rôle de constater ces divergences pour mieux les réduire. Il faut identifier les problèmes techniques pour éviter qu'ils ne deviennent politiques, voire politiciens.

En l'occurrence, les problèmes sont de plusieurs ordres. Ils concernent, d'abord, le montant des transferts financiers et, ensuite, les effectifs des personnels transférés.

Au printemps dernier, la Commission consultative sur l'évaluation des charges a évalué le montant des transferts financiers à 200 millions d'euros, pour les seules dépenses consacrées au réseau existant.

Or, ce chiffre ne saurait, à lui seul, représenter la totalité des moyens que l'Etat doit transférer aux départements.

Il ne tient pas compte, en effet, de la prise en charge des personnels, ni du montant des investissements futurs. En outre, il ne reflète sans doute qu'imparfaitement la réalité de certaines situations spécifiques, notamment celles des départements ruraux ou des départements de montagne, dans lesquels la charge d'entretien des routes nationales est plus élevée et où des investissements sont nécessaires.

Dans le cadre de la présentation du projet de loi de finances pour 2006, le ministère des finances a rappelé que « les départements bénéficieront du transfert de la totalité des moyens humains et financiers affectés à l'entretien et à la gestion des routes qui leur sont transférées ». Pour autant, le montant exact de ces transferts, notamment pour ce qui concerne la prise en charge des agents des DDE, n'a pas été précisé.

Il est très important de clarifier ces différents aspects. En effet, en me rendant fréquemment sur le terrain, j'ai pu percevoir un certain flottement. Or, si l'on n'y prenait pas garde, cette situation pourrait nuire à la mise en oeuvre des transferts.

En effet, si les départements ont reçu un état des lieux de la voirie transférée, ils n'ont, à ce jour, eu aucune indication concernant les moyens dont ils pourront disposer à l'issue des transferts de charges.

La situation n'est guère meilleure pour les transferts des effectifs. Si, au printemps dernier, dans nombre de départements, a été signée une convention dans laquelle est évalué, par catégorie, le nombre des emplois devant revenir aux conseils généraux dans le cadre de la partition des services, des désaccords demeurent sur l'encadrement.

Ainsi, il n'est pas rare qu'une direction départementale de l'équipement soutienne - contre toute évidence ! - qu'aucun cadre de catégorie A ne travaille pour les routes nationales transférées. Dans d'autres cas, les évaluations sont systématiquement sous-estimées.

Cette situation ne doit plus durer si l'on veut éviter le blocage ! D'ores et déjà, l'incertitude qu'elle entraîne pour les personnels est visible, et chacun attend une clarification.

C'est vrai en particulier dans les départements qui ont prévu d'organiser une « bourse aux postes », à la fin de 2005 ou au début de 2006, afin de permettre aux conseils généraux de désigner les candidats les plus motivés et les plus compétents pour exercer ces nouvelles responsabilités. Avec les retards constatés, c'est tout le processus de réorganisation des services qui est remis en cause dans le temps.

Comment expliquer ces retards et ces blocages ? Il n'est pas inutile de s'arrêter sur ces problèmes tant ils me paraissent exemplaires.

En effet, la loi a été votée au Parlement, sur l'initiative du Gouvernement. Sur le terrain, le dialogue avec les préfets se passe le plus souvent bien. Les blocages se situent donc ailleurs, peut-être à Bercy, s'agissant des aspects financiers des transferts de compétences. En effet, de manière, hélas ! assez prévisible, on constate une volonté de minimiser l'ampleur des charges à compenser.

Aussi, j'en appelle à la détermination et au volontarisme politiques du Gouvernement pour que les transferts de ressources soient non seulement suffisants au regard de l'exigence constitutionnelle, mais également réalistes afin que soient pris en compte les retards d'investissements accumulés par l'Etat dans bien des départements depuis des décennies.

Concernant les transferts de personnels, j'ai eu l'occasion d'observer, comme nombre de mes collègues, les réticences des services locaux de l'équipement à effectuer leur propre partage. Il est vrai qu'ils sont à la fois juges et parties, ce qui, bien évidemment, ne facilite pas les choses.

Mais la situation ne serait pas si complexe si, dans nombre de cas, la gestion des transferts de personnels n'était pas organisée directement par le ministère de l'équipement et ses services déconcentrés, sans passer par les préfets, qui sont pourtant les représentants de l'Etat à l'échelon local.

L'attitude des administrations centrales me semble être pour beaucoup dans les blocages constatés. Les réflexions que je vous livre, monsieur le ministre, reposent sur des observations que j'ai faites dans des départements que je connais bien. Je vous suggère donc d'y mettre bon ordre, monsieur le ministre, afin que nous puissions avancer dans la mise en oeuvre de cette importante réforme.

En effet, les réponses du Gouvernement sont d'autant plus attendues qu'elles nous permettront de poursuivre la mise en oeuvre de l'acte II de la décentralisation, dans un esprit partenarial et confiant. C'est ainsi que nous avancerons positivement.

Monsieur le ministre, je vous fais confiance et je tiens à saluer aujourd'hui, après la publication du volet routier du comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires, le CIACT, qui s'est tenu vendredi dernier, les propositions innovantes du Gouvernement, notamment la mise en oeuvre, pour la première fois, de contrats de partenariat public-privé dans le secteur routier, qui avaient été lancés par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et sont efficacement poursuivis aujourd'hui.

Compte tenu des contraintes budgétaires - ne rêvons pas, elles existent, nous le savons - que nous comprenons, ces partenariats me semblent être la meilleure solution pour permettre à l'Etat de tenir ses engagements sans réserve et sans retard.

Concerné directement par ces décisions, j'apprécie la volonté affichée par le Gouvernement de faire avancer les dossiers qui sont prêts et qui sont importants pour l'économie de tout un territoire.

Nous souhaitons que la mise en oeuvre des partenariats public-privé s'inscrive dans un calendrier qui ne laisse pas de place aux détracteurs, parce qu'il y en aura. Ce qui a été réalisé dans d'autres pays d'Europe doit tout de même pouvoir l'être en France !

Telles sont, monsieur le ministre, les observations dont je souhaitais vous faire part. Je vous suis reconnaissant, par avance, des réponses que vous pourrez me donner sur tous les aspects de ce dossier essentiel pour le développement économique de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviens au sujet principal de notre débat ce matin, à savoir la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Cette décision est, à mon sens, tout à fait contestable, et ce pour trois raisons.

La première est que nous allons fragiliser l'ensemble du système de financement des infrastructures de transport en France. Le système qui avait été mis en place dans notre pays en 1955 a permis d'assurer, sans apport budgétaire important, la réalisation d'un réseau autoroutier moderne, grâce à deux mécanismes principaux.

Le premier était fondé sur le recours à l'usager plutôt qu'au contribuable, c'est-à-dire au péage plutôt qu'à l'impôt.

Le second mécanisme, que l'on a oublié depuis, car il a disparu, était l'adossement. Celui-ci permettait une péréquation entre les différentes sections d'autoroutes, les recettes provenant des plus anciennes d'entre elles, et donc des plus rentables, finançant les sections les plus nouvelles et donc les moins rentables.

Il a fallu mettre fin à ce mécanisme en 2001, pour des raisons de droit européen de la concurrence. Il en est résulté deux conséquences, l'une directe, l'autre indirecte. D'une part - c'est la conséquence directe -, la durée des concessions a dû être allongée, ce qui, au passage, a permis aux SEMCA, les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, d'empocher un petit pactole ; d'autre part - c'est la conséquence  indirecte -, il a rapidement fallu pérenniser le financement de ces infrastructures, notamment en leur affectant les dividendes des SEMCA.

C'est ainsi qu'est née l'AFITF en 2003, comme l'a rappelé M. le président de la commission des affaires économiques. La création de cette agence a été une bonne idée. Le système mis en place est, en effet, doublement vertueux. Tout d'abord, l'AFITF permet non seulement une péréquation entre autoroutes, mais également entre plusieurs modes de transport, y compris des modes alternatifs. Ensuite, elle a permis de pérenniser le financement des infrastructures de transport par les dividendes des SEMCA. Ces ressources sont, pour certaines, extrêmement dynamiques. D'une part, le trafic augmente de 7 % par an ; d'autre part, ces ressources sont destinées à augmenter du seul fait du désendettement des SEMCA à compter de 2018.

Votre décision de privatiser les sociétés concessionnaires d'autoroutes, monsieur le ministre, vient ébranler ce système.

Ce qui est critiquable, monsieur le ministre, ce n'est pas votre préférence pour le présent plutôt que pour l'avenir - on pourrait d'ailleurs discuter à l'infini de la valeur actualisée des dividendes - c'est le principe même de privatisation et ses conséquences en termes de financement à long terme. En effet, les problèmes ne commenceront qu'en 2012. Votre choix est grave, monsieur le ministre. De plus, il intervient au moment même où vous décidez d'élargir le périmètre de financement et d'intervention de l'AFITF.

Ce qui est grave également, c'est que, en sacrifiant le court terme au long terme, vous cédez à cette manie bien française de toujours remettre en cause la règle, ce qui est source d'instabilité. Les décisions prises hier, qui étaient bonnes, me semble-t-il, sont aujourd'hui devenues mauvaises.

Il est toujours possible de se rattraper, monsieur le ministre. Aussi permettez-moi de vous faire une proposition. Dans un rapport datant de 2003, M. Jacques Oudin, alors sénateur, avait estimé à 23 milliards d'euros le montant de l'impôt sur les sociétés que les SEMCA paieront jusqu'à la fin des concessions. Ma proposition est simple, monsieur le ministre : affectez le montant de cet impôt à l'AFITF, tout simplement ! Cela serait, me semble-t-il, économiquement raisonnable et politiquement équitable.

M. Philippe Nogrix. Très bien !

M. Bruno Retailleau. La deuxième raison pour laquelle la décision de privatiser les sociétés concessionnaires d'autoroutes est contestable est que l'on va encourager la monopolisation dans ce secteur, et ce de deux manières.

Tout d'abord, nous allons placer dans les mains de quelques-uns, celles de grandes majors du BTP, l'ensemble du système autoroutier, la construction et l'exploitation. Quid des petites entreprises ?

Ensuite, nous allons mettre un terme à ce qui, en droit européen, se nomme le pouvoir adjudicateur. Lorsque les SEMCA étaient majoritairement détenues par l'Etat, elles étaient des pouvoirs adjudicateurs. A ce titre, elles devaient respecter des règles de mise en concurrence, comme l'a d'ailleurs rappelé le Conseil d'Etat dans un avis en 2002. Cela n'est pas contestable.

Lorsqu'elles seront privatisées, les SEMCA ne seront plus des pouvoirs adjudicateurs et ne seront donc plus soumises aux mêmes règles de concurrence, notamment en termes de publicité et d'appel d'offres, ce qui est dommage. Les coûts des travaux et des péages augmenteront. On constate d'ailleurs que c'est déjà le cas pour Cofiroute, qui est une société entièrement privée. Les montants de ses péages sont en effet de 40 % à 70 % plus élevés que ceux de ses consoeurs.

La troisième raison pour laquelle la décision de privatiser les sociétés concessionnaires d'autoroutes me paraît contestable est que l'on se trompe sur le sens de cette privatisation et sur la ligne de partage entre, d'une part, ce qui relève de la responsabilité de l'Etat et, d'autre part, ce qui relève de celle du secteur privé.

Les privatisations peuvent avoir du sens - et elles en ont souvent - dès lors qu'elles s'inscrivent dans un cadre concurrentiel, dès lors également que le secteur privé peut faire mieux, au moins au même prix, voire à un prix inférieur, que le secteur public. Or tel n'est pas le cas dans le secteur autoroutier, le « gâteau » étant déjà partagé en monopoles géographiques du fait de la réforme de 1994. De plus, il n'y a pas, en la circonstance, d'incertitude pour le secteur privé. Il n'y a pas de risque ! Les augmentations du trafic, les montants des péages, les perspectives de désendettement sont connues. Martin Bouygues l'a d'ailleurs très bien dit : on va transformer les actionnaires en détenteurs d'obligations.

En fait, monsieur le ministre, en privatisant les sociétés concessionnaires d'autoroutes, vous privatisez surtout la rente autoroutière ! Plus grave encore, vous mettez à mal le système d'aménagement du territoire. Chacun se rend bien compte qu'il ne peut y avoir d'aménagement du territoire sans infrastructures. Jean Puech l'a très bien dit. Il ne peut non plus y avoir d'emplois sans infrastructures.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient pour l'Etat des instruments d'aménagement du territoire. Elles réalisaient, via l'AFITF, la péréquation que j'ai décrite tout à l'heure. En ébranlant ce système, on porte un coup à l'aménagement du territoire, au moment où, selon le Conseil général des ponts et chaussées, il reste un peu plus de mille kilomètres d'autoroutes non rentables à réaliser.

S'agissant, par exemple, de l'A 831, qui relie la région Poitou-Charentes à la région Pays de la Loire, on va nous demander une subvention d'équilibre de 50 %. Il y aura les recettes provenant des péages et le produit de l'impôt. Ce sera plus compliqué.

Monsieur le ministre, puisque votre décision est prise, il est indispensable que l'Etat conserve sa fonction régulatrice, au-delà des seuls contrats de concession. La privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes pose la question de l'aménagement du territoire, mais aussi, plus généralement, de la productivité globale de notre économie. (M. Philippe Nogrix applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis satisfait qu'ait été organisé ce débat sur le développement et le financement des infrastructures de transport.

J'espère cependant que, au terme de cette discussion, d'autres propositions sur le sujet pourront être examinées et que le Gouvernement prendra l'engagement de financer de façon pérenne les infrastructures de transport, à la mesure des enjeux économiques et sociaux, et ce bien au-delà de 2007.

Pour commencer, je tiens à vous faire part de mon étonnement sur la conception que la majorité sénatoriale a des droits de l'opposition dans cette assemblée.

Sans être exhaustif, je rappellerai que j'ai proposé en janvier 2005 un projet de résolution sur le troisième « paquet ferroviaire ». Cette question est d'actualité, compte tenu de la position prise par la majorité des députés européens. J'ai ensuite déposé, en avril dernier, une question orale avec débat sur l'avenir du transport combiné. Je me souviens même que la commission des affaires économiques avait alors considéré que cette question devait être débattue en urgence. Les deux sont à ce jour restés sans réponse.

J'ai également interpellé le Gouvernement par une question sur le même thème que celui dont nous avons à débattre aujourd'hui. Elle n'a pas non plus été retenue. La conférence des présidents a préféré inscrire une question orale - pourtant déposée bien après - de mon très honorable collègue Alain Lambert, qui appartient à la majorité sénatoriale, plutôt que celle d'un sénateur membre du groupe communiste républicain et citoyen ou bien du groupe socialiste.

L'initiative parlementaire est-elle uniquement réservée aux sénateurs de la majorité ? Il faut nous le dire, cela nous fera gagner du temps ! (M. Alain Lambert s'exclame.) La pratique de notre assemblée, peu respectueuse des droits de l'opposition, tend à le démontrer.

Quoi qu'il en soit, ce débat devait logiquement avoir lieu à la suite de l'annonce par le Premier ministre, lors de son discours de politique générale, de la privatisation des concessions d'autoroutes, mesure qui remet directement en cause la pérennité des ressources de l'AFITF.

Depuis, un appel d'offres a été lancé, auquel se sont évidemment empressés de répondre les géants du secteur du BTP. Seule la société Bouygues a fait savoir qu'elle ne déposerait pas d'offre, car un tel investissement relève, selon elle, d'une logique essentiellement financière qui ne correspond pas à sa vocation d'entrepreneur. Cette déclaration devrait quand même interpeller le Gouvernement compte tenu de sa démarche plus que généreuse pour les actionnaires des grands groupes financiers...

Ce débat vient également à un moment particulier, puisqu'il se situe en pleine affaire de la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée, la SNCM, que le Gouvernement justifie par le caractère jugé déficitaire de l'entreprise.

Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur ce sujet très emblématique.

M. Alain Lambert. Un scandale !

M. Michel Billout. Avec la SNCM, sont notamment posées la question de la continuité territoriale et celle du rôle de l'Etat, dont c'est en effet l'une des missions. La réponse du Gouvernement en la matière est celle du désengagement.

Après une proposition de privatisation à 100 %, vous avez dû reculer, monsieur le ministre, sous la pression des salariés de la SNCM et en raison de l'émotion suscitée dans la population.

M. Josselin de Rohan. Oui, on peut en parler !

M. Michel Billout. Cependant, une participation minoritaire de l'Etat dans le capital n'assure pas un contrôle suffisant.

M. Robert Bret. Le Gouvernement voulait brader la SNCM aux fonds de pension !

M. Michel Billout. Pourquoi avez-vous refusé, monsieur le ministre, le principe d'une participation de la Caisse des dépôts et consignations, dont c'est tout à fait le rôle, et qui aurait permis une majorité de fonds publics dans le capital de la société ?

M. Josselin de Rohan. Bruxelles aurait-elle accepté ?

M. Michel Billout. Pas plus tard qu'avant-hier, dans cet hémicycle, M. Perben indiquait que la CDC était à ses yeux un partenaire important pour le montage de partenariats public-privé. La SNCM est donc l'exception qui confirme la règle ?

Pour revenir à la question des autoroutes, je souligne que le Gouvernement propose la privatisation de sociétés, cette fois, bénéficiaires. Elles le seront même de plus en plus à l'avenir. Cela s'explique par l'acquittement progressif du remboursement des emprunts et de l'augmentation du coût des péages. En effet, ces remboursements arriveront à échéance en 2018.

Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, le chiffre d'affaires d'Autoroutes du sud de la France, ASF, a augmenté de 7,6 % depuis 1990. On offre ainsi aux grandes entreprises du bâtiment la possibilité d'un investissement sans risque puisque monopolistique et à rendement maximum. Ce sont, en effet, selon ce qu'indiquait, ici même, le ministre Gilles de Robien, 30 milliards d'euros de dividendes qui sont attendus dans les vingt-cinq prochaines années.

J'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez sur une question qui concerne la fixation de la valeur des trois sociétés privatisables. Pourquoi choisissez-vous un taux d'actualisation de base de 8 %, fixé en 1985, alors que le rapport Lebègue du Commissariat général du Plan, rendu public le 21 janvier 2005, le place dans une fourchette de 4 à 6 % ? Or vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, que plus le taux d'actualisation de base est faible plus la valeur du bien est élevée.

Le changement de base de calcul ferait ainsi passer la valeur des trois sociétés à plus de 22 milliards d'euros, soit 10 milliards d'euros de plus que le montant escompté. Serait-ce un nouveau cadeau aux grands groupes financiers ?

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non !

M. Michel Billout. Je me refuse à le croire...

M. Robert Bret. Poser la question, c'est y répondre !

M. Michel Billout. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter quelques précisions à ce sujet ?

Pourquoi donc se priver de revenus aussi importants ?

Plus généralement, quelles sont les véritables raisons de privatiser progressivement l'ensemble du secteur public ? Comment pouvez-vous prétendre, avec l'exemple des sociétés d'autoroutes, que ces raisons ne sont pas purement idéologiques ni liées à la satisfaction des intérêts des catégories sociales les plus aisées ?

Il s'agit, dans la droite ligne de l'accord général sur le commerce et les services et de la directive Bolkestein, qui est loin d'être enterrée, de s'affranchir de la conception de service public en faisant de la marchandisation l'unique modèle d'échanges et de prestations. C'est revenir de cette manière sur une conception traditionnelle du rôle de l'Etat dans notre pays comme garant des services publics, eux-mêmes facteurs de cohésion sociale et d'aménagement du territoire, fondés non sur la notion de rentabilité mais sur celles de l'intérêt général et de la péréquation.

M. Michel Billout. Nombreux, malheureusement, sont aujourd'hui les exemples de désengagement de l'Etat.

Tout d'abord, par la loi de décentralisation, l'Etat transfère des blocs de compétence à la région et aux départements, sans pour autant transférer à ces collectivités les moyens financiers nécessaires à leurs nouvelles missions. Les comptes sont loin d'être équilibrés sur ce chapitre !

De même, dans le domaine ferroviaire, l'Etat se dégage de la partie transport des contrats de plan, dont l'exécution revient maintenant à l'AFITF.

Il se désengage aussi en tentant de déclasser des lignes d'intérêt national sous l'appellation de « trains d'intérêt interrégional », pour obtenir des régions un cofinancement, voire un financement intégral.

Il le fait encore en consacrant dans la loi de finances des crédits de plus en plus minimes au transport, soit 3 % du PIB, alors qu'une étude comparée montre que les autres pays européens accordent à ce secteur des moyens supérieurs.

Pour simple exemple, je rappellerai que les subventions au transport combiné ont été programmées par la loi de finances pour 2005 à hauteur de 16 millions d'euros, alors qu'en 2002 ce financement atteignait 92 millions d'euros ! Dans cette même loi de finances, la contribution de l'Etat aux charges d'infrastructures ferroviaires a diminué de 80 millions d'euros, soit une baisse de 6,4 %.

Ainsi, la question essentielle est posée : comment financer les infrastructures de transports, alors même que l'Etat se désengage financièrement de plus en plus et assume de moins en moins ses missions de service public dans ce domaine ?

Comment va-t-on aujourd'hui pouvoir financer les infrastructures de transports, alors même que l'organisme qui devait prendre en charge ces projets se trouve privé de l'essentiel de ses ressources pérennes au-delà de 2007 ?

Cette décision méconnaît le vote du Parlement, qui avait, dans la loi de finances pour 2005, affecté les recettes des sociétés d'autoroutes au financement des infrastructures de transports.

L'AFITF aurait ainsi dû recevoir en moyenne 1,5 milliard d'euros de recettes des autoroutes par an pendant vingt ans. En lui allouant 11,5 % de la vente escomptée de ce patrimoine pour 2006, soit 1,5 milliard d'euros, le Gouvernement cherche, certes, à tempérer les ardeurs éclairées des parlementaires, mais l'agence n'en bénéficiera qu'une fois. Par la suite, ce sont les actionnaires qui en useront.

L'Etat cède ainsi au privé un patrimoine collectif public d'une valeur considérable, financé par les usagers et les contribuables. Il met fin à la péréquation entre sections rentables et non rentables. Il incite à accentuer le tout routier en appelant à l'augmentation des flux pour accroître les dividendes.

Au regard des enjeux de rééquilibrage entre les différents modes de transports, dans un contexte où les besoins vont augmenter de 60 % pour le transport de personnes et de 40 % pour le fret, cette mesure est contre-performante.

En effet, l'objectif assigné à l'AFITF lors de sa création était, selon le Gouvernement, la promotion d'une politique des transports qui favorise les modes de transports alternatifs à la route, notamment le rail, par le financement des grands projets d'infrastructures tels qu'ils ont été définis lors du comité interministériel d'aménagement du territoire, le CIADT, de décembre 2003. Sans financement suffisant, ces objectifs, que le groupe communiste républicain et citoyen partage, ne seront pas atteints.

Pourtant, les impératifs de préservation de l'environnement, mais aussi la crise actuelle du pétrole, appellent une politique forte en faveur du développement du transport ferroviaire, notamment du fret ferroviaire et du transport combiné.

Ce n'est apparemment pas la volonté du Gouvernement. Au contraire, des plans de repli du fret et du combiné sont présentés. Parallèlement, des mesures favorisant le patronat routier ont été entérinées dans un plan que vous avez présenté le 12 septembre dernier, monsieur le ministre, qui prévoit de nouvelles exonérations de taxe professionnelle sur les poids lourds. Rappelons tout de même que ce plan va coûter 400 millions d'euros sur le budget des transports.

De plus, il s'agit d'un nouveau cadeau puisque la loi de finances pour 2005 prévoyait déjà l'extension du dégrèvement de taxe professionnelle pour les camions de plus de 7,5 tonnes. Cette mesure a coûté 1 milliard d'euros. En tout, c'est donc 1,4 milliard d'euros de cadeau au patronat routier. Il ne s'agit pas là de mesure favorisant le rail au détriment de la route.

Contrairement à la politique menée par le Gouvernement, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen estiment qu'il est temps d'enrayer cette libéralisation dont les effets sur la sécurité, la qualité, l'égalité de traitement, l'aménagement du territoire et l'emploi sont particulièrement néfastes et risquent d'avoir des conséquences irrémédiables.

Dans ce sens, nous demandons donc que le Gouvernement revienne sur sa décision de privatisation des concessions d'autoroutes.

Nous voulons également, comme le recommande l'audit sur l'état des infrastructures de transport ferroviaire, que l'Etat s'engage bien au-delà des 70 millions d'euros actuellement prévus pour rénover ce réseau.

En effet, cet audit pointe très clairement l'état de sous-investissement chronique du réseau ferroviaire français. Il y est précisé que, si le budget de maintenance continue à régresser - au regard de l'inflation -, cela conduira à « la cessation d'exploitation sur 60% du réseau à l'horizon 2025. Ne subsisteront à cette date que les lignes à grande vitesse ainsi que les axes majeurs nationaux et de banlieue ». Ce scénario « va à contresens d'une mobilité durable des personnes et des marchandises en France ».

Dans ce document, il est recommandé au Gouvernement de porter à 3,1 milliards d'euros par an, contre 2,5 milliards d'euros actuellement, la contribution à l'entretien du réseau afin d'en assurer le maintien.

Les sommes à trouver atteignent dont 600 millions d'euros par an, avec un pic à l milliard d'euros entre 2011 et 2015. Ce sont donc 4 milliards d'euros que la puissance publique doit investir pour son réseau.

C'est pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent que le Gouvernement s'engage à fournir à l'AFTIF des ressources pérennes.

Nous estimons également que le Gouvernement doit s'engager à la reprise de la dette de la SNCF et de RFF qui représente 41 milliards d'euros, afin que ces entreprises publiques puissent satisfaire à leurs missions.

Nous souhaitons encore que le Gouvernement s'engage à honorer les contrats de plan entre l'Etat et les régions, qui ont subi tant de retard.

Nous demandons enfin, une nouvelle fois, qu'une étude mesurant l'impact des politiques de libéralisation des transports en Europe sur l'emploi, la sécurité et sur le niveau de développement des réseaux soit réalisée.

Nous jugeons indispensable de mettre en place une véritable politique commune de développement des réseaux transeuropéens de fret ferroviaire, intégrant les objectifs de développement durable, de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire et de développement de l'emploi.

En conséquence, nous estimons fondamental que soient élaborés à l'échelle européenne de véritables plans de financements permettant aux Etats d'entreprendre les investissements nécessaires en matière d'infrastructures nouvelles, de modernisation des réseaux actuels et des nouveaux réseaux dédiés.

Mais ce n'est malheureusement pas dans cette direction que s'engage le Gouvernement, comme il nous l'a encore démontré mardi dernier en faisant ratifier en urgence la libéralisation du fret ferroviaire dans le cadre du projet de loi très prétentieusement intitulé « sécurité et développement des transports ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement du 1er juillet dernier, le groupe UC-UDF avait été le premier à soulever la question du financement des infrastructures de transport, ainsi que de sa pérennité, et à s'interroger sur la pertinence du choix fait par la nouvelle équipe gouvernementale à la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre.

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, ce sujet nous tient à coeur. Je déplore seulement que nous débattions aujourd'hui sur une question qui est déjà tranchée. C'est étrange dans un régime parlementaire ; il n'y aura pas de vote à l'issue de ce débat. Surtout, monsieur le ministre, vous avez déjà demandé aux soumissionnaires du premier tour de vous adresser des offres fermes.

Toutefois, il me semble important de réaffirmer l'opposition du groupe UC-UDF à cette décision, qui privilégie le court terme et est en totale opposition avec les choix opérés par le précédent gouvernement et issus d'une longue réflexion ainsi que d'une concertation suivie avec le Parlement.

En juin et en décembre 2003, le Sénat débattait des infrastructures de transport et de leur financement. Une majorité des sénateurs, notamment notre ancien collègue Jacques Oudin, souhaitait alors un financement dédié, grâce à l'affectation du produit des participations de l'Etat dans les sociétés concessionnaires d'autoroute.

M. de Robien lui-même, dans un gouvernement auquel participait M. de Villepin, sous l'autorité de M. Raffarin, s'était très clairement exprimé en décembre 2003 sur cette question, en ces termes : « Soit on vend tout de suite les sociétés d'autoroutes, et cela fera peut-être du bien immédiatement, mais on risque de le regretter pendant dix, vingt ou trente ans ; soit on ne les vend pas, et on engrange alors pour le compte de l'Etat des dividendes qui permettront de réaliser des infrastructures, notamment de transports alternatifs, pendant dix, vingt ou trente ans. »

M. Philippe Nogrix. C'est bien là le rôle d'un ministre chargé des transports et de l'équipement. A notre sens, la politique d'aménagement du territoire ne se décide pas à Bercy.

Tous ces débats, assez consensuels, inspirèrent la décision du CIADT du 18 décembre 2003 en faveur du maintien des participations de l'Etat dans les sociétés autoroutières. Mais ce qui était bon hier ne l'est plus aujourd'hui, parce que l'on ne tient plus, à Bercy, le même raisonnement qu'à l'époque.

A la suite de cette décision fut créée l'Agence de financement des infrastructures de transport en France, l'AFITF, établissement public chargé de financer la part des contributions publiques incombant à l'Etat dans le cadre de la planification à long terme des infrastructures nationales de transport définie lors du CIADT du 18 décembre 2003.

En décembre 2004, le Parlement votait le projet de loi de finances pour 2005, dont l'article 60 affectait à l'AFITF le produit des participations d'Etat, soit environ 280 millions d'euros. Déjà, à cette époque, un certain nombre de professionnels nous avaient fait part de leurs inquiétudes quant à la pérennité des ressources de l'Agence. En effet, les fonds dédiés aux infrastructures ont tous été supprimés à plus ou moins brève échéance.

Ainsi, trois de nos collègues de l'UMP, MM. Bécot, Besse et Leroy, avaient même déposé un amendement ayant pour objet de transférer à l'AFITF la propriété des participations détenues par l'Etat et l'établissement public Autoroutes de France dans le capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes. En assurant en partie l'autonomie financière de l'AFITF, cet amendement garantissait l'affectation durable de ressources aux infrastructures et la pérennité de l'Agence, mais il n'a pas été adopté.

En revenant sur ces décisions, qui étaient approuvées par la quasi-unanimité non seulement des parlementaires, mais aussi des professionnels du secteur, le Gouvernement sacrifie l'avenir au présent. Tout l'argent retiré de la vente disparaîtra dans le déficit, sans que cela ait d'incidence décisive sur le désendettement. C'est non pas de quelques milliards d'euros dont nous avons besoin pour redresser nos finances publiques, mais d'une politique courageuse et de mesures constructives. Je tiens à le dire, même si cela peut faire sourire certains !

Parallèlement se pose la question de la pérennité du financement des infrastructures de transport. Le comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires de vendredi dernier a apporté les premiers éléments de réponse à cet égard, mais qu'en sera-t-il, comme l'a dit tout à l'heure M. Retailleau, au-delà de 2012 ? Les dividendes des concessions étaient, eux, assurés jusqu'à 2028 ou 2032.

Vous prévoyez en outre, monsieur le ministre, de recourir aux partenariats public-privé, qui vous sont chers, pour assurer le financement de certaines infrastructures. Cependant, pour « armer » de tels partenariats, il est nécessaire que l'Etat s'engage à prendre aussi sa part. Ainsi, pour le projet Seine-Nord, il semblerait que l'insuffisance du financement remette en cause le calendrier initialement établi, ce qui repousse de quelques années la réalisation d'une infrastructure réclamée par les élus locaux et les usagers.

Enfin, comment sera affecté le produit de cette vente, hormis les 4 milliards d'euros alloués à l'AFITF ? On parle de 2 milliards d'euros pour l'Agence de l'innovation industrielle, de 1 milliard d'euros pour l'Agence nationale de la recherche, de 100 millions d'euros pour des travaux intéressant le patrimoine culturel, et même d'une dotation à la politique de la ville... Ne risque-t-on pas de promettre plusieurs fois les mêmes milliards ? (M. Daniel Reiner approuve.)

Dans un second temps, monsieur le ministre, nous tenons à réaffirmer avec force la légitimité du Parlement pour trancher une telle question. Vous vous retranchez derrière un avis du Conseil d'Etat en date des 25 et 29 août, qui n'a été rendu public que cette semaine, sur le site Internet d'un quotidien. Certes, le Conseil d'Etat considère qu'il n'est pas besoin de consulter le Parlement, puisque l'Etat détient directement moins de 50 % du capital de chacune des sociétés d'autoroutes concernées : ASF, Autoroutes du Sud de la France, APRR, Autoroutes Paris-Rhin-Rhône et SANEF, Société d'autoroutes du Nord et de l'Est de la France.

M. Daniel Reiner. C'est spécieux !

M. Philippe Nogrix. Cependant, comme François Bayrou l'a démontré la semaine dernière, Autoroutes de France, établissement public administratif, peut tout à fait être assimilé à l'Etat.

De plus, nous avons le droit, et même le devoir, nous parlementaires, de nous prononcer sur cette question quand 70 % des Français se déclarent opposés à cette vente. Pourquoi court-circuiter le Parlement ? Nous aurions certainement pu éclairer l'opération, ce qui nous aurait permis de mieux défendre les emplois actuels, de mieux protéger les usagers au regard de l'évolution des péages et de rester les véritables décideurs en matière d'affectation des résultats et de réalisation des travaux dans le respect des adjudications.

En conclusion, monsieur le ministre, le groupe de l'Union centriste-UDF, au nom duquel je m'exprime, est résolument opposé au changement de gestionnaires de nos sociétés d'autoroutes dans les conditions aujourd'hui connues.

En revanche, nous tenons à souligner la qualité du travail qui a été accompli par le gouvernement précédent, notamment par MM. Raffarin et de Robien, et qui avait permis d'aboutir à une solution équilibrée permettant à la France de poursuivre la mise en oeuvre d'une politique de transports ambitieuse et prenant en compte la protection de l'environnement. Ce travail avait été présenté au Parlement, qui avait pu donner son avis. A l'UDF, nous voulons garantir le débat et permettre aux parlementaires d'enrichir et de mieux assurer la réussite des politiques et des initiatives du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées socialistes. - M. Bruno Retailleau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier M. Lambert d'avoir posé cette question orale avec débat au ministre chargé des transports, ce qui était d'ailleurs bien naturel s'agissant de développement - point qui a été relativement peu évoqué jusqu'à présent - et de financement d'infrastructures de transport.

La semaine dernière, ce débat a été retiré de l'ordre du jour, et je ne sais d'ailleurs toujours pas pourquoi.

M. Robert Bret. C'était pour avoir une assistance plus nombreuse !

M. Daniel Reiner. Aujourd'hui, le ministre chargé des transports n'est pas présent parmi nous, mais il est vrai qu'il a certainement mieux à faire, à Lyon, que participer à une discussion concernant le secteur des transports...

Quoi qu'il en soit, nous sommes heureux de pouvoir nous exprimer, même s'il ne s'agit que de cela puisque, une fois de plus, le débat qui nous réunit autour de cette question, après celui qui s'est tenu la semaine dernière à l'Assemblée nationale, ne sera pas suivi d'un vote.

En effet, il faut bien le dire, ce fut une grande surprise, pour tous les parlementaires, d'entendre le Premier ministre annoncer, lors de sa déclaration de politique générale, la privatisation totale des sociétés concessionnaires d'autoroutes et de voir, d'un peu loin, le Gouvernement engager le processus dans la précipitation, pendant l'été.

Ce fut pour nous une mauvaise surprise, car nous avions le sentiment que les débats de 2003 avaient permis de bien éclairer la situation. L'annonce de la décision du CIADT de décembre 2003, la création de l'AFITF au 1er janvier 2005, l'affichage des projections de financement de l'ensemble des projets : tout cela concrétisait, au fond, le consensus entre le Parlement et le Gouvernement qui s'était dégagé sur ce sujet. Je voudrais rendre hommage, à cet égard, au précédent Premier ministre, qui était tout à l'heure présent dans cet hémicycle.

De quoi s'agissait-il ? On tirait les leçons du passé, on « sanctuarisait » les moyens de construire et d'équiper le pays. Puis, tout d'un coup, tout s'est brouillé, aux yeux de l'opposition, certes, ce qui, après tout, n'est pas anormal, mais aussi de certains membres de la majorité, qui ont fait part de leurs doutes, de leurs inquiétudes, parfois de leur colère devant une décision brutale. L'un d'entre eux vient encore de s'exprimer en ce sens.

Soyons clairs : à l'évidence, la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes met en péril les moyens à long terme de l'AFTIF, alors que celle-ci est à peine née, fruit d'un consensus suffisamment rare pour être souligné.

Vos dénégations sur ce point, monsieur le ministre - j'ai naturellement lu le compte rendu des débats qui se sont tenus sur ce sujet à l'Assemblée nationale -, n'y feront rien. Pour nous, parlementaires de gauche, du centre ou de droite, qui émettons chaque année un vote sur le projet de loi de finances et qui savons bien que les crédits d'investissement, dans ce domaine en particulier, sont ce qui reste quand on a à peu près tout dépensé et font par ailleurs le plus souvent l'objet d'une attention toute particulière dans le cadre de la régulation budgétaire, faire dépendre les moyens de l'AFTIF du bon vouloir des architectes du budget, année après année, gouvernement après gouvernement, c'est priver d'ores et déjà cette dernière de tout ce qui constituait son essence, à savoir sa visibilité et la lisibilité de son action sur le long terme.

En première analyse, la privatisation des autoroutes ruinera l'espoir de voir réalisées au terme fixé les infrastructures dont notre pays a un urgent besoin, celles qui font le bon aménagement et l'attractivité de notre territoire.

Cela étant, au fond, cette décision ne nous étonne guère, car elle est triplement caractéristique à nos yeux, du point de vue tant du fond que de la forme, de la politique du Gouvernement, notamment en matière de transports : reniement des engagements pris, décision prise selon le « fait du prince », annoncée lors de la déclaration de politique générale, gestion désespérante des finances publiques - « je dépense aujourd'hui les recettes de demain ». Qui nous dit, de surcroît, que les concessions ne seront pas cédées à un prix inférieur à leur valeur ? Ce débat est très actuel.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Je procéderai à un bref rappel historique.

Il me semble que c'est à l'occasion de la préparation du protocole de Kyoto que l'on a commencé à prendre conscience du fait que la maison brûlait. La France s'est alors engagée à réduire ses émissions de dioxyde de carbone d'ici à 2010, ce qui justifie naturellement la mise en place d'une politique volontariste dans le domaine des transports en matière de report modal, politique rendue encore plus nécessaire aujourd'hui dans la période de pétrole cher qui vient de s'ouvrir et que l'on pense devoir être durable.

En clair, dans la mesure où le transport routier est responsable d'une grande partie des émissions de dioxyde de carbone, il convenait de consentir des efforts en faveur des autres modes de transport.

Ces efforts avaient été engagés sous le gouvernement de M. Jospin, au travers des schémas de services collectifs. Je relève d'ailleurs que ces derniers ont été supprimés, dans une très grande discrétion, par une ordonnance du 9 juin 2005, sans qu'ils aient été jamais remplacés par quoi que ce soit d'autre.

En outre, à l'époque, les crédits alloués au secteur ferroviaire dans le cadre des contrats de plan avaient été multipliés par huit, et une agence de financement des infrastructures avait été créée par la loi du 3 janvier 2002 relative à la sécurité des infrastructures et systèmes de transport, loi qui a d'ailleurs constitué le support juridique du décret de création de l'AFITF.

Puis, après le changement de gouvernement intervenu en 2002, Jean-Pierre Raffarin et Gilles de Robien ont fort utilement confié au Conseil général des ponts et chaussées la réalisation d'un audit sur les infrastructures, socle d'un large débat au Parlement qui s'est tenu en juin 2003.

L'idée de la création d'une agence financière alimentée par les dividendes de ce que l'on appelait, selon une formule que je ne trouve pas très heureuse, la « rente autoroutière », avait alors prévalu assez largement au sein de tous les groupes politiques parlementaires. Instituer une recette pérenne au bénéfice de l'Agence devait permettre une visibilité à long terme. Un engagement clair fut pris lors du CIADT du 18 décembre 2003 sur la création de l'AFITF et sur une liste de projets d'investissements.

Toutefois, dans le projet de loi de finances pour 2004, déjà, les engagements de l'Etat n'avaient pas été traduits en chiffres, et il en était notamment résulté un « rognage » des crédits des contrats de plan. On les voit aujourd'hui réapparaître, en quelque sorte, puisqu'il est question que l'AFITF prenne en charge les actions correspondantes, ce qui n'était pas du tout prévu à l'origine. En tout état de cause, le retard de versement ne cesse de s'aggraver, les dotations au bénéfice du report modal sont en régression et le lancement du plan fret ferroviaire, qui a été évoqué à de nombreuses reprises, s'est traduit par la fermeture de dessertes et, malheureusement, par la mise en circulation de milliers de camions supplémentaires.

En 2004 a paru le décret de création de l'AFITF, en pleine discussion budgétaire. Il ne respectait pas entièrement la loi du 3 janvier 2002, qui ne prévoyait que le financement de modes de transport alternatifs à la route. Le ministre annonça en séance publique que 70 % du produit des recettes de l'AFITF serait affecté à ces modes de transport, mais aucun engagement écrit ne put être obtenu. Il réaffirma également l'engagement du Gouvernement d'affecter à l'AFITF les dividendes des sociétés d'autoroutes. Dans la presse, le précédent ministre des transports ne cessait de clamer qu'il avait obtenu une véritable victoire contre Bercy, mais c'était, on le pressentait déjà alors, une victoire à la Pyrrhus.

En 2005, devant les déficits publics galopants - mais ce sont ceux des gouvernements de droite, qui n'ont eu de cesse de faire exploser la dette -, le nouveau Premier ministre procéda à une spectaculaire volte-face à l'occasion de sa déclaration de politique générale, en annonçant la privatisation totale de toutes les sociétés publiques d'autoroutes.

La recette escomptée est de 10 milliards à 12 milliards d'euros, alors que les dividendes autoroutiers pouvaient rapporter, d'après des estimations qui ont été largement publiées, entre 30 milliards et 40 milliards d'euro d'ici à 2030. Même l'UDF a crié à la trahison.

Pourquoi d'ailleurs 10 milliards à 12 milliards d'euros et non pas 15 milliards ou 20 milliards d'euros ? Le doute demeure permis. Un taux d'actualisation qui passe de huit à quatre, etc., tout cela est très étrange et nous inquiète s'agissant de la valeur à laquelle les parts seront cédées.

Vous annoncez une dotation en capital de 4 milliards d'euros en faveur de l'AFITF. Initialement, seul 1 milliard d'euros était prévu, mais vous avez dû reculer devant la grogne des parlementaires, en particulier des parlementaires de la majorité qui sont, naturellement, ceux que vous écoutez le plus.

Par ailleurs, il est désormais question de faire financer le retard des contrats de plan par ces crédits, ce qui revient à l'évidence à détourner l'AFITF de sa vocation originelle.

Monsieur le ministre, vous nous assurez que les recettes sont clairement précisées dans le projet de loi de finances pour 2006, à savoir l'affectation du produit de la redevance domaniale, la taxe d'aménagement du territoire et 40 % du produit des amendes liées aux radars automatiques. Or je rappelle que ladite taxe, créée en 1995, était à l'époque totalement affectée au fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, lequel a été supprimé en 2001. Pourquoi ce qui s'est produit hier ne se reproduirait-il pas demain ?

Personne ne met en doute ce qui est annoncé dans le projet de loi de finances pour 2006. En 2007, nous pouvons supposer que les engagements seront respectés, mais, au-delà, ce qu'un gouvernement a fait, un autre peut parfaitement le défaire ; il n'est même pas nécessaire qu'il ait la même couleur politique.

En définitive, l'AFITF est amputée de ses moyens et la pérennité du financement des infrastructures est menacée, alors même que l'Etat semble ne pas pouvoir assurer le simple entretien de ses infrastructures. Est-il besoin de rappeler l'audit qui a été réalisé sur l'entretien des voies ferrées, mettant en évidence un besoin de plus de 15 milliards d'euros en dix ans, simplement pour remettre en état le réseau ?

Pour compenser ce manque de recettes, vous annoncez comme solution miracle le recours au partenariat public-privé - on se prosterne devant cet autel depuis quelque temps - que vous avez mis en place dans une ordonnance du 17 juin 2004.

Selon des sources non parlementaires, cette nouvelle architecture financière met d'ores et déjà en évidence un manque de 3 milliards à 4 milliards d'euros d'ici à 2012 pour financer les trente projets prévus, et ce sans compter la participation aux contrats de plan. Où les trouverez-vous ? Commanderez-vous un nouvel audit pour justifier l'abandon de certains ?

A titre de comparaison, alors que le programme du CIADT nécessiterait un investissement de quelque 70 milliards d'euros d'ici à 2030 de la part de l'Etat français, l'Etat espagnol prévoit un programme de travaux d'un montant de 250 milliards d'euros, dont 150 milliards à la charge de l'Etat, de 2005 à 2020. Comment imaginer que nous ne puissions pas faire aussi bien que l'Espagne ?

Dans ce contexte, monsieur le ministre, vous devez répondre aux inquiétudes des parlementaires, qu'ils soient dans la majorité ou dans l'opposition. Quelle est la politique du Gouvernement en faveur de la modernisation des infrastructures et de la création de nouvelles infrastructures alternatives à la route ?

La question des transports dans notre pays s'inscrit naturellement dans une dimension européenne. Or parmi les grandes infrastructures de niveau européen qui constituent les réseaux transeuropéens de transports, les Conseils ont défini successivement, en 1994, en 1996 et même ultérieurement, une liste de grands projets dont plusieurs intéressent nécessairement notre pays. Je pense aux grandes lignes ferroviaires que sont le TGV Est européen, le TGV Sud européen en direction de l'Espagne et la liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Aujourd'hui, les discussions au Parlement européen semblent se concentrer davantage sur les questions de libéralisation et d'ouverture à la concurrence que sur les moyens de dynamiser le grand réseau de transports européen qui nous intéresse tous. Le Gouvernement pourrait relancer l'idée de ce réseau qui, pour l'instant, paraît en panne. Je ne citerai pas tous les grands projets, mais ils concernent à peu près toutes les régions de France ; leur utilité est évidente et les parlementaires y sont très attachés.

L'AFITF avait pour vocation de financer à 70 % des modes de transport alternatifs, c'est-à-dire pour l'essentiel le transport ferroviaire et le transport fluvial. Pour ce qui est du transport ferroviaire, nous avons le sentiment que rien ne va plus. En 1997, conformément aux directives européennes de 1991, la France a adopté une nouvelle organisation du système ferroviaire en séparant le réseau, confié à Réseau ferré de France, et l'exploitation, confiée à la SNCF.

Mais le gouvernement Juppé est allé au-delà de la simple obligation de séparation comptable entre le réseau et l'exploitation issue de nos engagements européens. Il avait à l'époque justifié le choix de la création de deux établissements publics comme un moyen de maîtriser la dette ferroviaire, notamment en allégeant la dette de la SNCF. Or, près de huit ans après la mise en place de ce dispositif, le moins que l'on puisse dire est que l'objectif n'est pas atteint.

Le nouveau « triptyque ferroviaire » faisant intervenir l'Etat, RFF et la SNCF est « plombé » pour longtemps par le problème de la dette ferroviaire, qui est passée de 15 milliards d'euros en 1990 à 42 milliards d'euros cette année ; RFF en supporte 25 milliards d'euros, la SNCF 6 milliards. Ce résultat semble en amélioration.

A cette occasion, je rappellerai que le gouvernement Jospin avait stabilisé cette dette jusqu'en 2001. En 2004, les seuls frais financiers supportés par l'ensemble du système ferroviaire représentaient 2,5 milliards d'euros. L'augmentation des dotations de l'Etat pour le désendettement est donc nécessairement insuffisante puisque celles-ci atteindront théoriquement 2 milliards d'euros s'il n'y a pas de régulation budgétaire, ce qui est toujours à craindre. Ce décalage nous conduit immanquablement dans le mur !

Face à ce système qui se dégrade gravement, allez-vous vous résoudre à prendre des mesures à la hauteur du problème ? Le débat de 2003 avait permis d'avancer des pistes intéressantes ; je pense en particulier à l'idée d'une taxation du transport routier, hors autoroutes et péages. Bizarrement, il n'en est plus question aujourd'hui. Une telle recette aurait pourtant pu être affectée à l'AFITF afin de garantir effectivement le report modal.

J'ai déjà évoqué l'insuffisance de l'aide au désendettement de RFF, laquelle s'élevait à 800 millions d'euros l'an dernier, alors que les frais financiers atteignent 1 milliard d'euros. Or j'entends dire - mais peut-être allez-vous le démentir, monsieur le ministre - que l'article 48 du projet de loi de finances pour 2006 va ponctionner par anticipation le patrimoine « inutile » de RFF, évalué à 500 millions ou 600 millions d'euros, de 350 millions d'euros. Cette forme d'expédient - une fois de plus ! - pour boucler le budget prive RFF d'une recette. Avouez qu'il est étrange de se désoler de la dette de RFF et, dans le même temps, de lui retirer les moyens financiers d'exercer ses compétences !

Finalement, ce que vous faites en privatisant les autoroutes, en privant de moyens pérennes l'AFITF, ce n'est jamais qu'une mesure de plus dans une liste noire en matière de transport, et ce dans tous les domaines.

En matière ferroviaire, je citerai le délaissement du fret ferroviaire au profit de la route, l'assassinat budgétaire du transport combiné - 100 millions d'euros voilà cinq ans, 15 millions d'euros aujourd'hui -, les retards colossaux des investissements ferroviaires des contrats de plan, la remise en question des liaisons corail interrégionales, l'accélération de l'ouverture à la concurrence au niveau européen du transport de fret puis du transport de voyageurs - comme si cela allait tout régler - à laquelle, vous le savez, nous sommes résolument opposés.

En matière de transport aérien, j'ai évoqué la privatisation d'Air France, celles d'Aéroports de Paris et des aéroports régionaux.

En matière routière, cela a été largement développé, il s'agit du transfert des routes nationales aux départements sans moyens financiers équitables, sans même parler des transports collectifs urbains auxquels vous avez supprimé des subventions.

Dans ces conditions, comment pourrait-on vous faire confiance ? La ligne est en quelque sorte tracée. Vous allez nous répondre que les ressources de l'AFITF sont garanties pour 2006, voire pour 2007 -  il faut tout de même essayer de tenir quelques promesses d'ici à l'élection présidentielle ! - mais, au total, nous ne vous croirons pas. Selon que l'on soit poète ou naïf, on considérera cela comme une charmante élégie ou un magnifique conte de fées ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur un certain nombre de préoccupations relatives au développement et au financement des infrastructures de transport, préoccupations partagées par mon éminent collègue Hubert Haenel.

« L'Union européenne doit se doter d'infrastructures modernes pour renforcer sa compétitivité. Développer et améliorer les infrastructures sont des éléments clés du nouvel élan pour la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi » : telle était la communication de la Commission européenne de juillet dernier sur la mise en oeuvre des réseaux transeuropéens.

Ce qui vient d'être dit à l'échelle de l'Union européenne peut l'être aussi pour la France. C'est pourquoi je me réjouis de voir le Sénat organiser, à l'instar de l'Assemblée nationale, un débat sur le développement et le financement des infrastructures de transport. Il faut de temps à autre, comme cela a été fait mi-2003, avant le CIADT de la fin de l'année, que le Parlement puisse débattre de cette question qui est l'une des composantes essentielles de l'aménagement de notre territoire et l'une des conditions de notre croissance et de notre compétitivité.

Nous avons tous en mémoire ces leçons d'histoire et de géographie où nos bons maîtres nous expliquaient la politique de Colbert et de quelques autres, nous enseignaient le rôle du développement du chemin de fer dans la révolution industrielle et où nous découvrions le nom de Freycinet. Plus tard, nous avons tous vécu la révolution technologique de la grande vitesse ferroviaire.

Rassurez-vous, mon intention est non pas de refaire l'histoire, mais, en vous faisant part de ces interrogations, de susciter de votre part, monsieur le ministre, les précisions nécessaires qui permettront au Parlement de dégager quelques orientations.

Ma première interrogation, à laquelle j'associe ma collègue Fabienne Keller, retenue à Strasbourg, qui partage cette préoccupation, est relative au mode de financement des infrastructures : le Gouvernement a créé une agence, l'AFITF, dont la présidence a été confiée à notre collègue Gérard Longuet, pour garantir un financement pérenne des infrastructures, nous a-t-on dit. Les incertitudes liées à la privatisation des sociétés d'autoroutes - utilisation des produits de cessions, valeur de cession - ont déjà suscité quelques inquiétudes chez les parlementaires qui ont encore en mémoire la naissance, puis la mort, du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables.

Plus que des assurances, monsieur le ministre, nous souhaiterions obtenir de votre part des engagements sur les ressources de l'Agence au-delà de 2006.

S'agissant de l'emploi de ses ressources, l'Agence s'est vu confier la mission de suppléer l'Etat pour le financement des contrats de plan Etat-région déjà engagés et, j'ose le dire, de certains CPER mal engagés en raison du retard pris.

Compte tenu des sommes affectées aux CPER et aux projets déjà engagés, combien restera-t-il en 2006, monsieur le ministre, pour les projets nouveaux, mode par mode ? Et qu'en sera-t-il au-delà de 2006 ?

J'ai évoqué les CPER et les projets d'infrastructures nouvelles. Sur ces deux questions, je souhaite également, monsieur le ministre, obtenir des précisions de votre part.

S'agissant des CPER, vous comprendrez que les représentants des collectivités territoriales que nous sommes soient particulièrement attentifs à leur devenir. Au-delà de l'achèvement des contrats actuels, quelles sont les intentions du Gouvernement ?

Y aura-t-il une nouvelle génération de CPER ? Dans l'affirmative, quel sera leur contenu et quelle sera leur durée ?

En ce qui concerne les projets nouveaux, monsieur le ministre, l'élue alsacienne que je suis vous interrogera en particulier sur les perspectives de réalisation du barreau Est du TGV Rhin-Rhône et sur la seconde phase du TGV Est européen.

S'agissant du TGV Rhin-Rhône, lors du comité de pilotage qui a eu lieu au début de ce mois, l'Etat a enfin fait connaître le montant de sa participation au financement du premier tronçon de la branche Est Auxonne-Petit-Croix, soit 724 millions d'euros. Mais le compte n'y est pas.

Pour que les travaux puissent commencer au printemps 2006, nous attendons maintenant de vous, monsieur le ministre, la finalisation du protocole d'accord sur le financement.

Avez-vous l'intention de solliciter le concours financier de la région Rhône-Alpes, du département du Rhône et de l'agglomération lyonnaise, qui seront également les grands bénéficiaires de cette infrastructure nouvelle ?

En ce qui concerne le TGV Est européen, la Commission européenne a proposé, au mois de juillet dernier, que l'ensemble du corridor de l'axe ferroviaire Paris-Bratislava soit retenu parmi les six projets prioritaires du futur réseau transeuropéen de transport, le RTE-T.

Sur cet axe, la date pour la réalisation du tronçon Baudrecourt-Strasbourg-Stuttgart, y compris le pont de Kehl, est fixée à 2015.

Le gouvernement français est-il prêt à faire preuve de la même détermination pour la réalisation de la deuxième phase du TGV Est européen qui le concerne, à savoir de Baudrecourt à Strasbourg ?

Je rappelle simplement que, selon les études de la Commission européenne, la réalisation du réseau transeuropéen de transport permettrait d'apporter un surcroît de croissance pouvant atteindre 0,2 à 0,3 point de produit intérieur brut, ce qui correspond à la création d'un million d'emplois permanents.

De plus, la réalisation du réseau permettrait de réduire d'environ 4 % les émissions de gaz à effet de serre, ce qui contribuerait à rapprocher l'Union européenne des objectifs contenus dans le protocole de Kyoto. Je souligne donc, mes chers collègues, qu'en défendant les projets alsaciens je défends aussi les emplois et l'environnement de tous !

La dernière question que je souhaite évoquer concerne l'état de notre réseau ferré.

Comme vous le savez, sur la demande conjointe des présidents de la SNCF et de RFF, un audit a été réalisé sur l'état du réseau ferré national par l'école polytechnique fédérale de Lausanne, sous la conduite du professeur Rivier.

Cet audit a dressé le constat suivant : « La SNCF et RFF (depuis 1997) ont fourni leurs meilleurs efforts pour maintenir l'exploitation et la sécurité ferroviaire sur un réseau très étendu malgré les ressources nettement insuffisantes pour la maintenance (entretien et renouvellement) de l'infrastructure durant les 30 dernières années. » Je rappelle que l'ensemble du réseau ferré national représente 30 880 kilomètres de voies.

Et l'audit conclut : « La seule manière de garantir la pérennité du réseau classique consiste à investir pour rajeunir ce patrimoine. Cette diminution de l'âge moyen est la seule façon durable de maîtriser l'évolution de la qualité du réseau et celle des coûts de maintenance de l'infrastructure à long terme.

« Le maintien de la qualité et des hautes performances du réseau à grande vitesse nécessite un accroissement progressif des ressources destinées à sa maintenance. Les composants des premières lignes construites arrivent en fin de vie et doivent être renouvelés. Leur remplacement engage des sommes importantes. »

Pour maintenir simplement en état l'actuel patrimoine du réseau, 3 milliards d'euros par an seraient nécessaires, soit 500 à 550 millions d'euros de plus que ce qui est dépensé aujourd'hui, selon l'audit.

Vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, une enveloppe de 70 millions d'euros supplémentaires, grâce à la cession de réserves foncières. Le projet de loi de finances que nous examinerons bientôt prévoit la création d'une société de valorisation des biens immobiliers de RFF : une part de ce produit ira effectivement à RFF, qui pourra financer des investissements de renouvellement, mais une part plus importante encore, semble-t-il, sera affectée au budget général de l'Etat.

D'où cette interrogation, monsieur le ministre : la vente des bijoux de famille de RFF ne devrait-elle pas profiter en priorité à la préservation du réseau ferroviaire et de son avenir ?

M. Daniel Reiner. Très bien !

Mme Catherine Troendle. Plus généralement, monsieur le ministre, quelles conclusions entendez-vous tirer de cet audit ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.

M. Yves Krattinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les débats de 2003 ont permis d'identifier d'énormes besoins, à moyen et à long termes, pour que les infrastructures interurbaines de transport répondent aux exigences économiques et de mobilité, ce qui nécessite, d'après TDIE, 142 milliards d'euros sur la période 2003-2020.

En mai et en juin 2003, deux débats de très bonne tenue ont permis aux parlementaires, aux observateurs et aux professionnels de prendre la mesure des besoins importants de notre pays en matière d'infrastructures de transport.

En novembre 2003, un autre débat a eu lieu dans cette assemblée, sur l'initiative de M. le sénateur Oudin, au sujet du financement de ces infrastructures. Celui-ci avait mis le Gouvernement en garde : « L'ensemble du système de financement des transports est conditionné par la conservation ou non, par l'Etat, de la rente autoroutière, et même, monsieur le ministre, de la totalité de la rente autoroutière ! ».

Un consensus s'est cristallisé autour de deux propositions.

Le développement des grandes infrastructures doit être programmé sur le long terme. Une politique des transports ne peut être appréhendée à l'échelle d'un contrat de plan. Les procédures sont longues et complexes. Les investissements sont très lourds ; ils doivent être envisagés et programmés à l'horizon d'une génération.

Pour cela, il faut bénéficier de ressources pérennes, directement affectées à une agence de financement ad hoc. Le financement doit pouvoir se lire à l'avance sur plusieurs années et être assuré par une agence dont les ressources sont consolidées dans la durée.

Le Gouvernement avait organisé ces débats ; il y avait participé, il avait entendu les messages et pris les décisions adéquates. Le ministre de l'équipement et des transports de l'époque avait en effet déclaré ceci : « Notre travail s'oriente également vers l'examen très attentif du considérable potentiel des autoroutes à générer de la ressource : plus d'une trentaine de milliards d'euros d'ici à la fin des concessions en dividendes cumulés ».

L'Agence de financement des infrastructures de transport de France a donc été créée pour financer les projets de long terme.

Pour débuter, elle doit financer, d'ici à 2012, la part de l'Etat pour trente-cinq grands projets à engager prioritairement, selon la décision du comité interministériel d'aménagement du territoire du 18 décembre 2003. Cela représente 22 milliards d'euros de travaux. Le Premier ministre avait annoncé que, sur cette somme, l'Etat fournirait 7,5 milliards d'euros. Gilles de Robien avait, à cette occasion, déclaré à l'AFP : « Ces projets seront financés notamment par les dividendes des sociétés d'autoroutes. »

Selon l'avis des observateurs, monsieur le ministre, le ministère des transports avait, à l'époque, remporté une victoire sur le ministère des finances : ...

M. Yves Krattinger. ...d'abord, le refus de la privatisation des SEMCA ; ensuite, l'affectation à I'AFITF de la part Etat des dividendes, qui était versée jusqu'alors au budget général de l'Etat.

Nous avions salué cet effort comme il le méritait. Toutefois, nous voulions voir fonctionner cette Agence. Que constatons-nous aujourd'hui ?

Les dividendes autoroutiers sur la période 2005-2032 devaient apporter à I'AFITF de 35 milliards à 40 milliards d'euros, selon les estimations. Celle-ci ne disposera plus, désormais, de ressources fiables et croissantes sur le long terme. L'affectation annuelle du produit de la TAT, de la redevance domaniale et d'une partie du produit des amendes de radars ne peut suffire, en volume, à l'alimenter à moyen et long terme.

En tout état de cause, ces recettes étaient affectées ailleurs, dans le budget général de l'Etat ou dans celui des collectivités locales. Là où elles ne seront plus versées, elles manqueront nécessairement.

Monsieur le ministre, le Gouvernement donne l'impression d'avoir repris à son compte la devise du sapeur Camember, qui pour boucher un trou en creusait systématiquement un autre. Le Gouvernement a annoncé le versement à l'AFITF d'une dotation de 4 milliards d'euros, provenant du bénéfice de la vente des parts de l'Etat dans les SEMCA.

Il s'agit d'une ressource ponctuelle, non reconductible, qui correspond presque exactement au montant jugé nécessaire pour respecter les engagements pris par l'Etat dans les contrats de plan Etat-région. En effet, le volet routier a au moins deux ans de retard et le volet ferroviaire trois ans.

L'engagement de l'ordre de 2,5 milliards d'euros que vous avez annoncé récemment, monsieur le ministre, pour achever les contrats actuels, a été estimé insuffisant par les observateurs et partenaires avertis.

Ce chiffre n'intègre pas la totalité des engagements de l'Etat à l'égard des collectivités locales, de RFF et des entreprises, pas plus qu'il n'intègre certains projets relevant de contrats interrégionaux.

Les besoins financiers du volet « transport » des contrats de plan Etat-région et des contrats particuliers s'élèvent, semble-t-il, à près de 4 milliards d'euros : 2,8 milliards d'euros pour la route et 1,2 milliard d'euros pour le ferroviaire.

Ce montage financier doit être mis en relation avec l'annonce de l'allongement probable de la durée de mise en oeuvre de ces contrats jusqu'en 2009.

Le ministre des transports a déclaré, propos rapportés par un grand journal national, que ces moyens permettraient « d'accélérer la réalisation des contrats de plan Etat-régions ». Si cette affectation permet à l'Etat d'honorer ses engagements ordinaires, la décision de vendre les SEMCA va priver I'AFITF de ressources pour sa mission essentielle.

Cela ne nous rassure pas, monsieur le ministre, sur le financement des trente-cinq grands projets, auxquels sont venus s'ajouter, depuis, d'autres projets. Par exemple, cela ne me rassure pas sur la capacité de l'Etat à financer sur la durée la liaison Langres-Delle et la branche Est du TGV Rhin-Rhône.

La vente des parts de l'Etat dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes aurait-elle pour unique objet de permettre au Gouvernement de remplir, en vue des échéances électorales, des engagements retardés depuis maintenant trois ans ?

Votre décision soulève de nombreuses questions. Quel besoin y a-t-il à privatiser les SEMCA ? Quelle sera la valeur ajoutée pour les usagers et pour la nation ? Quel sera le prix de vente ? La maintenance du réseau sera-t-elle assurée demain aussi bien qu'elle l'est aujourd'hui ? L'emploi sera-t-il maintenu dans ces entreprises ?

Les SEMCA sont des sociétés d'économie mixte, dont l'actionnaire majoritaire est l'Etat. Elles fonctionnent aujourd'hui selon les règles du droit privé ; ce ne sont pas des services publics. Elles ne sont donc gênées par aucune contrainte particulière liée à leur statut. Elles s'inscrivent déjà parfaitement dans le cadre d'une délégation de service public.

Dans ces conditions, je ne vois pas ce que la vente des actions apportera comme valeur ajoutée à l'usager et à la nation.

M. Daniel Reiner. Trois sous !

M. Yves Krattinger. La seule différence se situera au niveau du capital et de la destination des dividendes.

Le prix de vente sera-t-il celui qui a été annoncé par le Gouvernement, soit 10 à 12 milliards d'euros, basé sur un taux d'actualisation annuel de l'argent à 8 %, taux dont nous savons tous qu'il date d'un autre temps, ou plutôt celui qui découle des conclusions du rapport Lebègue, repris par le Gouvernement en début d'année 2005, c'est-à-dire une actualisation réaliste de l'argent public à 4 % l'Assemblée nationale, qui conduit à un prix global de cession supérieur à 20 milliards d'euros ?

Le rapporteur du budget à l'Assemblée nationale, un député UMP, prenant en compte un taux d'actualisation annuel proche de 5 %, c'est-à-dire 4 % de loyer de l'argent plus 1 % de risque, et une croissance annuelle du trafic de 2 %, soit une croissance inférieure à ce qu'elle est actuellement, considère que la valorisation doit atteindre 20 à 22 milliards d'euros. Ce n'est pas rien !

La sous-estimation très probable serait-elle aujourd'hui liée à la mise prochaine sur le marché d'actions destinées à augmenter le capital d'une grande entreprise publique ? Nous entrons là dans un « Meccano budgétaire » auquel le Parlement doit s'intéresser.

Monsieur le ministre, quel sera finalement le prix de vente des parts de l'Etat dans les SEMCA ?

On doit craindre enfin pour la maintenance du réseau sur le long terme, surtout à mesure que l'on s'approchera du terme de la concession, comme on doit craindre pour l'emploi dans ces sociétés, devant la recherche du plus grand profit que visent souvent les actionnaires privés.

Il serait beaucoup plus raisonnable que le Gouvernement renonce à son projet pour laisser l'Etat récolter, d'ici à 2032, les fruits des efforts consentis collectivement depuis plus de quarante ans par les usagers et, dans une moindre proportion, par les contribuables, et qu'il décide d'affecter, comme il l'avait prévu en 2003, 2004 et encore au début de 2005, cette rente pérenne et croissante au financement des grands projets dont notre pays a tant besoin.

Cette décision est loin, très loin de faire l'unanimité dans les rangs de votre majorité, monsieur le ministre. Elle correspond à une gestion chaotique des finances de l'Etat.

Le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, pourtant membre de votre majorité, a même jugé la décision de privatisation des SEMCA « contraire à la philosophie économique de l'Etat ».

La stratégie de l'Etat actionnaire s'enfonce dans l'incertitude, et cette gestion chaotique des dossiers essentiels s'étend à plusieurs aspects de la gestion gouvernementale, y compris dans les dossiers d'actualité.

Pour résoudre des problèmes d'intendance de court terme, on laisse en panne le long terme, qui redevient, et pour longtemps, un problème considérable.

Avec la pérennisation des ressources de l'AFITF, l'avenir était assuré. Aujourd'hui, avec des recettes non pérennes et une extension inconsidérée du périmètre d'intervention de l'Agence, c'est le retour à l'incertitude. Comment assurer le financement sur le long terme ? Comment le pérenniser ? Dans son nouveau périmètre, annoncé cet été, l'AFITF va devoir suppléer l'Etat, et ce non seulement pour les trente-cinq grands projets et les opérations qui viennent s'y ajouter, mais aussi pour les contrats de plan Etat-régions, pour le transport collectif urbain, où les besoins sont considérables...

Il y a aussi, en point d'interrogation, d'autres sollicitations potentielles pour l'AFITF, et nous avons entendu tout à l'heure nos collègues de la majorité. Certains pensent à la modernisation et au développement de nos réseaux d'infrastructures de transport ferroviaire, à la suite de l'audit publié le 19 septembre dernier. D'autres souhaitent que le produit des privatisations puisse être affecté au désendettement ferroviaire.

La question se pose donc et se posera encore demain des ressources de l'AFITF, de leur pérennité et de leur affectation.

La taxe d'aménagement du territoire, la fameuse TAT, pas plus que la redevance domaniale, ne permettra pas de tenir les engagements que vous avez pris en termes d'investissements. D'ailleurs, les nouveaux concessionnaires vont très vite réclamer ce que demandaient déjà les anciens, à savoir sa suppression, en échange d'une modération sur l'augmentation du prix des péages.

Quant au produit des amendes de police, il est extrêmement aléatoire au moins à deux égards. Tout d'abord, qu'arriverait-t-il si, ce que tout le monde souhaite, nos concitoyens se mettaient à respecter les limitations de vitesse ? Devrait-on alors abandonner la construction des grands équipements ? Voilà qui serait surprenant !

M. Yves Krattinger. Ce produit est, de surcroît, très volatil. En effet, en application des articles R. 2334-10 à R. 2334-12 du code général des collectivités territoriales, le produit des amendes relatives à la circulation routière est partagé proportionnellement au nombre de contraventions entre les collectivités bénéficiaires. Or l'article 9 de la loi du 12 juin 2003, qui institue les radars automatiques, prévoit que « par dérogation », donc par dérogation seulement, « aux dispositions de l'article L. 2334-24 du code général des collectivités territoriales, le produit des amendes perçu par la voie de systèmes automatiques de contrôle sanction sera versé, de 2004 à 2006, au profit du budget général de l'Etat ».

M. Daniel Reiner. Et pas au-delà !

M. Yves Krattinger. A l'origine, je le rappelle, il s'agissait de financer l'achat et l'installation des radars.

Donc, monsieur le ministre, vous provisionnez l'AFITF avec une ressource qui doit réintégrer les budgets des collectivités territoriales dès 2007.

Dès lors que l'AFITF devient le financeur de la part de l'Etat dans la plupart des infrastructures de transport et que la pérennité de ses ressources n'est plus garantie, des questions se posent sur les conditions de son fonctionnement.

Comment financer de façon pérenne les grandes infrastructures nationales, les projets internationaux, les projets interrégionaux et régionaux liés aux contrats de plan ? Quels seront les critères de choix, et qui fixera les priorités au niveau de ces investissements ?

Quant à l'absence du président de l'AFITF aujourd'hui, elle ne manque pas de nous poser problème. Il devrait nous dire comment, lui, voit l'avenir.

L'AFITF va donc devenir un simple tiroir, sans valeur ajoutée pour la collectivité nationale, si elle ne peut jouer un rôle dans la définition des priorités.

En 2003, le Parlement avait répondu à ces questions ; le gouvernement de l'époque, après avoir écouté et débattu, avait mis en place un système répondant aux attentes. Aujourd'hui, vous prenez une décision qui supprime de fait toutes les avancées nées de la création de l'AFITF et de son mode de financement par les dividendes des SEMCA.

Certes, vous acceptez ce débat sur les infrastructures, mais la décision a déjà été prise. L'un de nos collègues, député de la majorité, l'a dit la semaine dernière à l'Assemblée nationale : « Je crois sincèrement qu'il n'est pas de bonne méthode, lorsque le Parlement a pris des engagements peu de temps auparavant, - c'est le cas ! - de changer ainsi de cap. »

Monsieur le ministre, l'Espagne vient de relancer un grand programme de développement des infrastructures de transport, avec 150 milliards d'euros à la charge de l'Etat. L'Espagne a rattrapé en moins de vingt son retard considérable en la matière sur le reste de l'Europe.

Autre exemple, la Suisse affecte à son fonds d'investissement ferroviaire 700 millions d'euros par an, ce qui, rapporté à notre superficie et à notre population, nécessiterait proportionnellement environ 5 milliards d'euros par an pour notre pays.

Fort des incertitudes qui pèseront désormais sur les ressources, et face aux pressions multiples, je vous le concède, qui s'exercent sur les charges, il est indispensable que le Gouvernement dise de manière concrète et transparente comment il entend aider l'AFITF à répondre aux enjeux qui sont ceux de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous dire d'emblée la fierté qui est la mienne de pouvoir ce matin débattre avec vous de l'avenir et de la modernité de notre pays, tant il est vrai, vous l'avez dit les uns et les autres, et je vous ai bien entendus, que les infrastructures de transport que nous construisons aujourd'hui seront celles qui seront utiles à la France de demain.

Avant d'entrer plus avant dans le vif des réponses aux nombreuses questions qui m'ont été posées, je m'interrogerai devant vous sur l'opportunité de ce débat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat vient à point nommé. Le Premier ministre n'a pas caché son intention de procéder à une analyse approfondie de la situation pour voir dans quelles mesures nous pourrions privatiser les sociétés concessionnaires de service autoroutier. Le Premier ministre l'a dit, et il a été très clair.

M. Philippe Nogrix. Dans un régime parlementaire comme le nôtre, c'est le Parlement qui décide, pas le Premier ministre !

M. Thierry Breton, ministre. Le Premier ministre l'a annoncé sans ambiguïté dans son discours de politique générale. Certains s'en sont émus, d'ailleurs.

M. Philippe Nogrix. Mais enfin, ce n'est pas cela, un régime parlementaire !

M. Thierry Breton, ministre. C'est donc tout naturellement que nous nous sommes donné les moyens d'analyser les conditions de la faisabilité de l'opération.

M. Philippe Nogrix. Il fallait nous mettre en vacances, à ce compte-là !

M. Thierry Breton, ministre. Là encore, sans nous en cacher, nous avons procédé à des consultations, notamment aux ministères des transports et des finances. Comme vous le savez, nous avons reçu dix-huit manifestations d'intérêt. Tout cela a été rendu public.

Je rappelle également, mais j'y reviendrai, que nous avons décidé de charger une personnalité indépendante, M. Fort, ancien secrétaire général de la Commission bancaire, de veiller à ce que tout cela se passe de la façon la plus transparente et la plus équitable possible.

Je vous rappelle enfin que, une fois ces dix-huit manifestations d'intérêt reçues, nous nous sommes mis à la disposition du Parlement pour en débattre et en discuter en toute transparence.

M. Philippe Nogrix. Oui, sans rien changer !

M. Thierry Breton, ministre. Les propositions fermes sont attendues le 7 novembre prochain. A partir de là, mesdames, messieurs les sénateurs, nous verrons bien ce qui est positif ou non, et pour les sociétés concessionnaires de service autoroutier et pour l'Etat, singulièrement pour ses finances publiques.

Cela étant, il y a quand même des propos qui me surprennent, notamment sur la procédure choisie et la nécessité d'un débat parlementaire.

M. Thierry Breton, ministre. S'agissant tout d'abord du cadre dans lequel s'inscrit l'opération, nous avons pris soin de confirmer que toute l'opération relevait du titre III. Autrement dit, un débat parlementaire n'est pas nécessaire.

M. Thierry Breton, ministre. Les bras m'en tombent : qui, le premier, a eu recours au titre III, sinon M. Fabius lui-même ? Monsieur Reiner, vous connaissez M. Fabius, c'est l'un de vos amis, n'est-ce pas ?

M. Philippe Nogrix. Ce n'est pas une raison !

M. Daniel Reiner. De toute manière, ce n'est pas de bonne méthode !

M. Thierry Breton, ministre. Lorsque Laurent Fabius a décidé d'ouvrir le capital des Autoroutes du sud de la France, il a inscrit l'opération dans le cadre du titre III. Y a-t-il eu débat, mesdames, messieurs les sénateurs ? Non, c'était normal : c'était le titre III, donc pas de débat au Parlement !

M. Daniel Reiner. Il ne faut pas refaire la même chose !

M. Thierry Breton, ministre. Mais allons plus loin. Lorsque M. de Robien, un très bon ministre, un ministre UDF, je crois, qui est l'un de mes amis, a décidé de poursuivre dans le même sens et d'ouvrir le capital des autres sociétés en 2004 et en 2005, a-t-il eu recours au titre II ? Non, il a utilisé, lui aussi, le titre III ; c'était normal et il n'y a donc pas eu de débat parlementaire.

Et aujourd'hui, parce que c'est le gouvernement de Dominique de Villepin qui décide d'une opération de même nature, il faudrait utiliser le titre II, alors qu'un ministre socialiste éminent et un ministre UDF encore plus éminent ont estimé, et à juste raison, que cela relevait du titre III ? J'avoue ne pas comprendre.

M. Philippe Nogrix. Nous en avions débattu au Parlement et nous avions pris des décisions !

M. Daniel Reiner. Vous jouez sur les mots, monsieur le ministre !

M. Thierry Breton, ministre. Il y a là une dialectique qui m'échappe. Vous posez des questions de fond et certaines sont très légitimes ; je vais m'efforcer d'y répondre. Mais, de grâce, ne polémiquons pas...

M. Yves Krattinger. Ce n'est pas de la polémique !

M. Thierry Breton, ministre. ... sur des sujets qui n'en valent pas la peine et qui sont hors du droit.

M. Daniel Reiner. A quoi sert le Parlement ?

M. Thierry Breton, ministre. Revenons donc maintenant aux questions posées.

Je remercie d'abord très sincèrement M. Alain Lambert d'avoir pris l'initiative de ce débat sur le développement et le financement des infrastructures de transport, ce qui me donne l'occasion de préciser dans le détail les modalités de l'opération de cession des participations de l'Etat devant le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales de la République.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sans chercher la polémique, je vais répondre à vos questions et tenter de dissiper vos interrogations, dont certaines sont légitimes. Je pense, ou du moins j'espère, que grâce à mes explications vous y verrez plus clair.

Qui plus que le Sénat peut se prévaloir d'une connaissance intime des enjeux du développement équilibré de notre territoire ? Je suis donc heureux de pouvoir expliciter devant vous, ce matin, les choix qui vont traduire l'ambition de la France au sein d'une Europe élargie, en matière d'attractivité et d'accessibilité des territoires pour les hommes, les entreprises, les marchandises et les services.

Cette ambition s'inscrit dans un contexte singulier.

En premier lieu, l'Etat, dont la réforme constitue, nous le savons, une impérieuse nécessité, doit faire face à une conjoncture économique qui n'est pas favorable,...

M. Daniel Reiner. C'est votre responsabilité !

M. Thierry Breton, ministre. ...même si elle se retourne, et à une situation budgétaire particulièrement tendue.

En second lieu, la décentralisation consacre le rôle clef des collectivités locales en matière d'aménagement du territoire. Sans les collectivités locales, leur imagination, leurs initiatives, leurs contributions, où en seraient aujourd'hui nos villes et nos campagnes ? Nonobstant certains discours nostalgiques d'une centralisation dépassée, les collectivités locales ont été les partenaires à part entière de l'Etat dans de nombreux domaines, je tiens à le souligner. Leur engagement est quotidien, au coeur des territoires.

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. Thierry Breton, ministre. Du reste, je me souviens avoir beaucoup appris sur ces questions aux côtés d'un illustre sénateur, René Monory.

Aujourd'hui, nous devons continuer à agir si nous voulons maintenir notre niveau d'équipement et notre rang au sein de l'Union européenne, ce qui me semble l'enjeu le plus important.

J'ai donc écouté vos remarques, vos questions et je vais à présent m'efforcer d'y apporter des réponses.

La politique du Gouvernement est déterminée par l'objectif, fixé par Dominique de Villepin, de créer dans notre pays les conditions d'une croissance forte et durable, d'une croissance en quelque sorte sociale, créatrice d'emplois et qui réponde aux attentes des Français. Les infrastructures de transport que nous concevons et finançons aujourd'hui en sont un facteur déterminant.

A partir de la question de M. Lambert, qui portait sur le développement des infrastructures de transport, vous avez évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, les problèmes liés à la privatisation des sociétés concessionnaires et aux ressources de l'AFITF.

Avant d'en venir plus précisément sur ces points particuliers, je dirai à M. Puech que, s'agissant du transfert des routes aux départements, nous avons tenu compte des préoccupations dont il s'est fait l'écho pour déterminer les compensations financières qui les accompagnent. Ainsi, tous les crédits consacrés à la gestion et à l'entretien des routes transférées seront dévolus aux départements jusqu'au dernier euro. La méthode retenue, qui a fait l'objet d'un avis favorable de la commission consultative sur l'évaluation des charges et du comité des finances locales, est exactement celle que l'Etat utilise aujourd'hui pour répartir les crédits entre les directions départementales de l'équipement en fonction des caractéristiques du réseau dont elles ont la charge. La situation particulière des départements de montagne a été évidemment prise en compte.

Dans ma réponse, je reviendrai sur le financement des infrastructures ; je préciserai comment en pratique nous allons investir, dans chaque région de France, de façon ambitieuse au bénéfice de chacun de nos compatriotes ; j'évoquerai le rôle que joue l'Etat dans le pilotage du fonctionnement de ces infrastructures, des infrastructures routières en particulier ; enfin, je reviendrai sur l'opportunité de céder aujourd'hui les participations de l'Etat dans les sociétés d'autoroute et sur la méthode retenue.

Si nous choisissons d'aller de l'avant dans nos investissements, ce n'est pas par hasard : c'est par conviction. Certains ont prétendu que nous bradions les rentes que les sociétés concessionnaires garantissaient à nos enfants. Je crois au contraire que céder des sociétés concessionnaires pour accélérer notre programme d'investissements, c'est-à-dire mobiliser immédiatement des ressources pour l'avenir, sans attendre trente ans, c'est concevoir une grande ambition pour nos enfants : faire en sorte que leurs parents aient des emplois aujourd'hui, qui feront évidemment la croissance de demain.

Comment financer les infrastructures de transport ?

Le dispositif initial de l'AFITF avait des mérites, je le reconnais. Toutefois, l'affectation des dividendes des sociétés concessionnaires à l'Agence ne permettait pas, à elle seule, de financer les trente-cinq projets retenus par le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003. Or, tel est précisément notre objectif.

Le gouvernement de Dominique de Villepin a même une ambition plus grande encore : le Premier ministre souhaite lancer, dès 2006 ou 2007, certains projets prioritaires dont la liste a été arrêtée par le CIADT du 14 octobre 2005, notamment l'autoroute Bordeaux-Pau, en 2006, et le TGV Aquitaine, en 2007. Nous avons également la volonté, comme l'a exprimé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, d'accélérer l'exécution des contrats de plan Etat-régions, supports des financements des projets régionaux.

M. Daniel Reiner. Accélérer ? Dites plutôt rattraper ! Ils sont en retard !

M. Thierry Breton, ministre. Je ne doute pas que vous soyez d'accord sur cette politique. Pour la financer, le gouvernement a décidé de réaménager l'Agence de financement des infrastructures de transports de France, en la renforçant. Je voudrais d'ailleurs saluer le président Longuet pour son travail à la tête de l'AFITF et le remercier du soutien qu'il apporte au Gouvernement dans ce processus.

Je vais vous rappeler les grandes lignes du dispositif retenu, sur lequel Dominique Perben aura l'occasion de revenir lorsque votre assemblée examinera les crédits de la mission Transports au cours du prochain débat budgétaire.

J'évoquerai dans un premier temps les recettes en fortes augmentation consacrées au financement des infrastructures de transport ainsi que la dotation exceptionnelle prélevée sur le produit de la privatisation des sociétés d'autoroute.

Nous avons souhaité que l'AFITF dispose de ressources importantes, disponibles rapidement et pérennes.

Ces mesures doivent d'abord être à la mesure de notre ambition. En 2006, nous avons prévu de doter l'AFITF d'un budget de 2 milliards d'euros, alors que les financements prévus en 2005 pour les grands projets du CIADT et les contrats de plan Etat-régions se montaient à 1,1 milliard d'euros. Il s'agit donc d'un quasi-doublement, cela mérite d'être souligné.

M. Daniel Reiner. C'est seulement un rattrapage !

M. Thierry Breton, ministre. Ces ressources doivent ensuite être disponibles rapidement car nous souhaitons que les Français voient vite se construire de nouvelles voies ferrées et de nouvelles routes. Pour cette raison, l'Etat apportera à l'AFITF 4 milliards d'euros de dotation en capital grâce au produit de la cession des sociétés concessionnaires de services autoroutiers.

M. Daniel Reiner. C'est bien le moins !

M. Thierry Breton, ministre. Ces ressources doivent enfin être pérennes. Il ne s'agit pas, bien entendu, de lancer un programme unique pour solde de tout compte. Avec les redevances domaniales qu'elle conserve, le produit de la taxe d'aménagement du territoire qui lui sera affecté et une fraction des amendes radar, l'AFITF disposera désormais de 770 millions d'euros de recettes pérennes. Elle continuera, par ailleurs, à bénéficier en 2006 d'une subvention du budget général à hauteur de 394 millions d'euros, donc d'un montant analogue à celui qui a été voté en loi de finances initiale 2005 pour financer le volet transport des contrats de plan Etat-régions. Je rappelle que le montant des dividendes et des redevances domaniales pour 2005 s'élève à 480 millions d'euros : nous passerons bien à l'échelle supérieure.

L'AFITF aura recours, par ailleurs, aux financements innovants. Pour démultiplier l'effet des sommes rendues disponibles, le Gouvernement a décidé, mesdames, messieurs les sénateurs, de recourir dans le secteur des transports aux contrats de partenariat public-privé, dont on a beaucoup parlé ce matin. Le recours à de tels mécanismes modernes est de nature à optimiser le processus d'investissement de l'Etat. La technique des concessions est déjà largement utilisée dans le domaine des transports ; nous allons à présent recourir également aux contrats de partenariat, une première dans ce secteur. J'en attends davantage d'efficacité, des idées nouvelles et une meilleure maîtrise des coûts et des délais.

Qu'allons-nous financer ? C'est la question la plus importante pour nos compatriotes. Nous savons quels projets doivent être financés : ce sont, d'une part, ceux qui sont prévus par les contrats de plan Etat-régions et, d'autre part, les trente-cinq grands projets retenus par le CIADT de 2003. Nous avons à nouveau examiné l'ensemble de la problématique du financement des infrastructures de transport lors du CIADT qui s'est tenu vendredi dernier et nous avons confirmé notre intention d'accélérer la mise en oeuvre des décisions prises en 2003.

La volonté du Premier ministre, qui m'a demandé de vous la rappeler ce matin, est clairement d'accélérer l'exécution des contrats de plan Etat-régions. Je souhaite que les engagements pris par l'Etat dans ces contrats soient tenus. La contrainte budgétaire nous avait conduits à adopter un rythme trop lent, je tiens à le dire, au cours des dernières années. Nous nous donnons aujourd'hui les moyens d'aller plus vite, plus loin.

M. Philippe Nogrix. Très bien !

M. Thierry Breton, ministre. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé d'affecter des ressources spécifiques et complémentaires aussi bien à l'AFITF qu'aux contrats de plan Etat-régions.

L'AFITF consacrera effectivement un milliard d'euros à l'accélération de la mise en oeuvre de ces contrats dès 2006.

M. Daniel Reiner. Pour rattraper leur retard !

M. Thierry Breton, ministre. Les services de l'Etat sont en train de préparer une liste de projets qui pourraient être financés dans ce cadre. Notre volonté est que chaque Français voie près de chez lui se réaliser les travaux routiers, ferroviaires ou fluviaux qui lui seront utiles.

M. Yves Krattinger. C'est du saupoudrage !

M. Thierry Breton, ministre. L'AFITF financera aussi les grands projets du CIATD, comme prévu. La liste de 2003 reste inchangée ; nous accélérons simplement sa mise en oeuvre. Nous avons prévu d'affecter à ces grands projets 7,5 milliards d'euros sur la période 2005-2012, comme prévu là encore.

M. Daniel Reiner. Cela ne suffira pas !

M. Thierry Breton, ministre. Ainsi, trois lignes TGV seront réalisées en même temps, les TGV Est, Rhin-Rhône et Perpignan-Figueras. Cela ne s'était jamais produit dans le passé. Une telle orientation de l'investissement public vers le rail, monsieur Billout, est favorable au développement durable.

M. Philippe Nogrix. Très bien !

M. Thierry Breton, ministre. Monsieur Reiner, vous vous inquiétiez de l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire. Je vous rappelle que c'est à l'époque où M. Gayssot était ministre chargé des transports que la directive ouvrant la concurrence dans le fret ferroviaire a été adoptée !

M. Daniel Reiner. Il s'agissait du fret international !

M. Thierry Breton, ministre. Comme le Premier ministre l'a annoncé le 1er septembre dernier, d'autres grands projets seront lancés dès les mois qui viennent, alors que le calendrier initial prévoyait des délais plus longs, vous le savez.

Pour répondre à votre question, madame Troendle, j'indiquerai que, compte tenu des sommes affectées aux contrats de plan Etat-régions et aux projets déjà engagés, les nouvelles infrastructures envisagées devraient bénéficier d'engagements de crédits importants, soit 327 millions d'euros pour la route, 985 millions pour le rail et 5 millions pour les autoroutes de la mer.

Ainsi donc, comme le Premier ministre l'a indiqué, nous allons poursuivre et accélérer le lancement de la construction de l'autoroute Bordeaux-Pau en 2006 et du TGV Aquitaine en 2007. A ces projets s'ajouteront la desserte par le rail de l'aéroport Charles de Gaulle et l'autoroute ferroviaire Perpignan-Luxembourg. Je mentionnerai également la liaison A4-A86 à l'est de Paris, qui, en mettant fin au plus grand encombrement routier du pays, répondra aux attentes de bien des habitants de l'Ile-de-France. Les négociations entamées avec l'Espagne devraient nous permettre de mettre en place la première autoroute de la mer dès 2006.

Je pense enfin aux transports collectifs urbains, qui sont à la fois pratiques et économes en énergie. Là encore, nous resterons concrets : une dotation de 100 millions d'euros leur sera spécifiquement affectée au sein de l'AFITF.

Vous m'avez également interrogé sur l'état du réseau ferré national. Je réponds ici à la place de Dominique Perben, qui est retenu aujourd'hui à Lyon, où il accompagne le Président de la République.

M. Daniel Reiner. C'est un choix !

M. Thierry Breton, ministre. Il me charge de vous informer que l'audit commandé par Réseau ferré de France à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne a révélé les problèmes actuels d'entretien du réseau ferré national et son vieillissement au cours des vingt dernières années.

Nous avons demandé aux présidents de Réseau ferré de France et de la SCNF d'analyser les recommandations de cet audit et de nous proposer un plan d'action global pour 2006-2010.

M. Daniel Reiner. Ils n'ont pas d'argent !

M. Thierry Breton, ministre. Ce plan devra conduire à définir une nouvelle politique de maintenance du réseau et de nouvelles méthodes de régénération et d'entretien, plus efficaces et plus productives. Il sera mis en oeuvre dans le cadre d'un contrat pluriannuel dont l'Etat sera bien entendu partie prenante.

Comme le système de financement de Réseau ferré de France mis en place en 1997 s'est révélé trop incertain pour donner à cet établissement la visibilité à long terme dont il avait besoin, nous avons mis en place, dès la loi de finances pour 2004, un nouveau dispositif de financement des travaux d'entretien et de régénération qui porte la subvention de l'Etat à Réseau ferré de France de 1,1 milliard d'euros à plus de 2 milliards d'euros. Enfin, sans attendre que ce plan d'action pluriannuel ait été élaboré, la cession accélérée de réserves foncières dans les prochains mois permettra de dégager dès 2006 une enveloppe supplémentaire d'au moins 70 millions d'euros pour accroître l'effort de renouvellement du réseau.

Le nouveau dispositif que nous mettons en place ne revient en rien sur les engagements passés. Au contraire, il les démultiplie. Dominique Perben et moi-même avons seulement voulu trouver de nouvelles ressources de financement et les moyens d'accélérer la réalisation des projets dont la France a besoin.

Pour répondre à la question posée par M. Retailleau, je vous confirme que cette nouvelle politique de financement des infrastructures doit s'accompagner du renforcement du rôle du ministère des transports en matière de régulation du secteur. Dominique Perben a déjà exprimé sa confiance dans la capacité de ses services à relever ce défi, d'autant que les directions du ministère chargé des transports pratiquent déjà une telle régulation ; l'un des enjeux de cette opération est de la faciliter.

S'agissant du pilotage du réseau autoroutier et des grandes orientations à mettre en oeuvre, l'Etat a, bien entendu, la mission particulièrement importante de consolider ses relations avec les différents concessionnaires.

A cet égard, juridiquement, la privatisation des trois groupes ASF, APRR et SANEF ne modifiera en rien les prérogatives de l'Etat en matière de construction, d'aménagement et d'exploitation des autoroutes. En effet, l'Etat restera totalement maître des décisions de principe, qui ne dépendront pas des sociétés privées.

Ainsi, il décidera de la réalisation de nouvelles sections autoroutières, à péage ou non, ou de nouveaux échangeurs sur les autoroutes existantes. En cas de construction d'une nouvelle autoroute, c'est sous la conduite de l'Etat et sous sa seule responsabilité que le tracé sera choisi et que le projet sera étudié jusqu'à la déclaration d'utilité publique : il n'y aura donc aucun changement par rapport aux procédures actuelles.

D'ailleurs, la politique d'aménagement du territoire, je tiens à le souligner, ne saurait souffrir de la nouvelle configuration du secteur autoroutier.

Au reste, le grand changement dans la conception de notre paysage autoroutier ne s'est pas produit cette année. Il est intervenu lorsque M. Fabius a décidé que les sociétés concessionnaires de services autoroutiers seraient cotées.

Par définition, l'introduction d'une entreprise sur le marché financier et sa cotation entraînent l'apparition d'actionnaires minoritaires, qui, comme tous les autres actionnaires, peuvent prétendre à certains droits. Or c'est bien le respect de ces droits qu'il faut assurer. Cela ne change strictement rien au regard de la détention d'actions par l'Etat, que celle-ci soit majoritaire ou minoritaire.

En définitive, le geste symbolique à retenir, c'est celui de M. Fabius, qui a choisi d'ouvrir le capital des sociétés autoroutières à un actionnariat plus large. Pour une fois, nous en convenons, il s'agissait d'une bonne décision.

M. Daniel Reiner. Je n'en suis pas sûr !

M. Thierry Breton, ministre. Pour autant, la relation entre ces entreprises concessionnaires et la puissance publique réside non pas dans l'importance de la détention de capital par l'Etat, mais dans le contrat de concession qui définit notamment les missions de service public.

Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, le vrai débat a eu lieu en 2002. A mon sens, il a déjà été tranché. (M. Daniel Reiner s'exclame.)

M. Philippe Nogrix. Quid du débat de 2003 ?

M. Thierry Breton, ministre. En ce qui concerne les tarifs des péages, la même logique s'applique et aucun changement n'interviendra. Je rappelle qu'ils sont actuellement fixés de trois façons.

Pour les nouvelles sections d'autoroute, les tarifs sont l'un des éléments pris en compte pour choisir le concessionnaire dans le cadre d'une mise en concurrence.

Pour les autoroutes existantes, un contrat d'entreprise est négocié et est conclu, en général, pour une période de cinq ans. L'évolution des tarifs y est fixée en fonction du volume des investissements qui seront réalisés par le concessionnaire sur cette période. Rien ne change puisque tout a été défini en 2002.

Pour les autoroutes existantes ne faisant pas l'objet d'un contrat d'entreprise, les tarifs sont fixés par un arrêté ministériel, donc sous le contrôle total de l'Etat. Ils évoluent au rythme de 0,7 fois l'inflation.

Je le souligne encore une fois, tout cela n'a strictement rien à voir avec la détention d'une part majoritaire ou minoritaire de l'Etat dans le capital des sociétés concessionnaires de services autoroutiers cotées.

Par ailleurs, toutes les obligations de service public des concessionnaires sont consignées dans le cahier des charges de concession et font partie intégrante du contrat conclu avec l'Etat.

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. Thierry Breton, ministre. Avant d'engager la cession des parts de l'Etat dans le capital des sociétés concernées, nous avons souhaité renforcer les obligations à la charge des concessionnaires pour, au final, renforcer le service public. Dominique Perben s'est bien sûr très fortement impliqué dans cette affaire.

Nous avons par ailleurs prévu de modifier sensiblement le fonctionnement de la direction générale des routes, qui doit se consacrer en priorité au contrôle de l'exécution des contrats de concession sur les plans techniques et financiers. Il s'agit en effet d'un aspect absolument essentiel par rapport au service rendu aux usagers.

En outre, le Gouvernement est très attentif au maintien de la concurrence en matière d'attribution des travaux. C'est la raison pour laquelle les cahiers des charges des sociétés privatisées seront modifiés pour maintenir l'obligation de mise en concurrence dans une parfaite transparence. Cela se fera sous le contrôle d'une commission nationale présidée par un membre de la Cour des comptes. Ces sociétés devront elles-mêmes constituer des commissions des marchés, qui comprendront obligatoirement un représentant de mon ministère, plus précisément de la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le quatrième point de ma réponse concerne la cession de nos participations et la méthode employée.

Certains d'entre vous ont contesté non seulement l'opportunité de la décision de privatiser et de céder le solde de nos participations dans certaines sociétés d'autoroutes, mais aussi la méthode qui a été retenue par le Gouvernement. Ils ont dénoncé une opération lancée, selon eux, pendant l'été, « en catimini ». Cette expression ne me paraît pas appropriée : sur ce sujet, je le répète, le Premier ministre s'est exprimé dès les premiers jours de sa prise de fonction et tout a été très clairement annoncé. (M. Daniel Reiner s'exclame.)

Sur la méthode retenue, je vous répète avec force qu'il n'y pas lieu de s'étonner que nous ayons choisi d'agir dans le cadre des dispositions du titre III de la loi du 6 août 1986. C'est tout simplement ce que tout le monde a fait, avec raison d'ailleurs.

M. Philippe Nogrix. Il y a eu un débat en 2003 !

M. Thierry Breton, ministre. Monsieur le sénateur, je vous parle de la procédure employée, qui, comme vous le savez, n'implique aucune obligation de débat ou de vote au Parlement.

M. Daniel Reiner. Supprimons le Parlement !

M. Thierry Breton, ministre. Cela étant, par précaution, nous avons préféré consulter les parlementaires, et le Gouvernement est toujours très heureux de venir discuter avec vous.

M. Thierry Breton, ministre. A la suite de l'annonce faite par le Premier ministre, nous avons étudié les moyens d'agir dans la plus grande transparence. Nous nous en sommes tenus au strict respect des règles de droit s'agissant, il ne faut pas l'oublier, de trois sociétés cotées.

Aussi, au début du processus, tous les éléments d'information utiles, notamment le cahier des charges, étaient disponibles, publiés sur Internet et donc consultables.

Nous sommes aujourd'hui dans la deuxième phase du processus. Bien entendu, certaines données très détaillées et confidentielles sur les sociétés sont protégées pour préserver les intérêts de chacun. Par définition, elles ne sont donc accessibles qu'aux candidats qui décideront de remettre une offre ferme. Tout cela est parfaitement normal, s'agissant d'entreprises cotées dans lesquelles les actionnaires minoritaires ont droit, comme tous les autres, à une protection légitime. Le Gouvernement a simplement cherché à garantir le respect des intérêts de chacun.

En réalité, dix-huit entreprises ont manifesté leur intérêt pour une telle opération dès la première phase de la consultation. Certaines ont ensuite estimé, à bon droit, que cette activité n'était pas de leur ressort, d'autres ont jugé qu'elles étaient prêtes...

M. Daniel Reiner. A gagner des sous !

M. Thierry Breton, ministre. ...à investir dans ces entreprises, afin de participer à leur développement.

Les sociétés ayant fait part de leur intérêt à participer aux différents tours de table ont été invitées le 7 octobre dernier à nous remettre une proposition ferme qui vaudrait, désormais, engagement de leur part. A cet égard, il n'a jamais été dans nos intentions de mener la démarche de manière non transparente. Nous avons simplement veillé au respect de l'autonomie des entreprises concernées, qu'il s'agisse des trois sociétés concessionnaires de services autoroutiers ou des entreprises ayant manifesté de l'intérêt pour tout ou partie d'entre elles.

En tout état de cause, une telle opération est importante à la fois pour les sociétés, mais aussi pour l'Etat. Contrairement à ce que certains ont pensé ou ont laissé croire, il ne s'agit pas de « privatiser le macadam ».

M. Daniel Reiner. Nous n'avons pas dit cela !

M. Thierry Breton, ministre. Je le répète, les sociétés concessionnaires de services autoroutiers détiennent un savoir-faire reconnu, mais évidemment limité à la seule concession qu'elles exploitent.

Comme dans n'importe quel autre domaine, il convient donc de développer ce savoir-faire. Cela passe notamment par l'utilisation des nouvelles technologies, afin de concilier l'informatique avec les technologies de gestion de flux, de régulation automatisée de la circulation et de diffusion de l'information en temps réel. De même, les perspectives ouvertes à propos de la voiture intelligente impliqueront d'encourager la recherche de pointe et le développement d'applications pratiques par les industriels automobiles, pour que nos autoroutes soient équipées de moyens de communication et de suivi en temps réel.

Tous ces investissements sont prévus sur une période de trente ans. A l'évidence, les voitures elles-mêmes évolueront, dans le bon sens j'espère ; je pense notamment à la consommation d'énergie, mais également aux capacités de suivi et de gestion. Mesdames, messieurs les sénateurs, en termes d'investissement, les entreprises dont nous parlons sont de réelles entreprises.

M. Thierry Breton, ministre. Si elles opèrent aujourd'hui sur des portions limitées, il était normal que l'Etat leur donne les moyens de se développer en dehors du cadre de la concession qu'elles exploitent actuellement.

Au final, sur ce sujet, l'Etat a choisi de lancer un appel à candidatures, pour être en mesure, d'une part, d'optimiser son patrimoine, et, d'autre part, de sélectionner les projets qui seront les plus porteurs et les plus favorables aux sociétés autoroutières. Comme pour n'importe quelle autre société, il s'agit non seulement d'assurer à celles-ci un développement en France, mais aussi d'envisager des possibilités d'action un peu plus larges, un peu plus lointaines, c'est-à-dire en dehors du cadre du territoire national.

La gestion de concessions de services autoroutiers est un métier à part entière. Il était naturel d'évaluer les entreprises en mesure de participer à une telle activité, dans l'intérêt, évidemment, des usagers, des clients, mais aussi des salariés.

De même, nous voulons assurer la bonne exécution du service public autoroutier et, partant, sa modernisation constante.

Or l'Etat n'a pas besoin d'être propriétaire des sociétés concessionnaires d'autoroutes pour s'en assurer. Il est d'ailleurs inconcevable de raisonner ainsi puisque ces sociétés sont cotées. Elles ont donc désormais, depuis 2002, un actionnariat diversifié. Le respect du droit des minoritaires interdit tout simplement à l'Etat actionnaire d'utiliser sa position pour agir en tant que régulateur. Encore une fois, ceux qui mélangent aujourd'hui détention du capital et régulation font fausse route. Nous sommes dans un Etat de droit : en l'espèce, le droit s'applique à la puissance publique et aux entreprises, pour assurer la protection des actionnaires minoritaires.

M. Philippe Nogrix. Et les droits du Parlement !

M. Daniel Reiner. L'Etat n'est pas un actionnaire comme les autres !

M. Thierry Breton, ministre. C'est ainsi. Vous pouvez être contre, mais c'est la loi, et nous n'avons pas le droit de nous mettre en dehors de la loi.

Quoi qu'il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, comment pouvez-vous affirmer que les missions de service public ne sont garanties que par l'actionnariat majoritaire de l'Etat, alors que tout dépend du contrat de concession et non de l'actionnaire ? D'ailleurs, les actionnaires minoritaires ont également leur mot à dire s'ils ne sont pas satisfaits de la gestion.

M. Philippe Nogrix. C'est clair !

M. Thierry Breton, ministre. Tous les actionnaires ont des droits identiques, qu'il faut respecter. Je rappelle à cet égard les dispositions du traité de Rome, que nous appliquons évidemment, selon lesquelles il n'y a pas de distinction possible entre les actionnaires. Par conséquent, au nom de quoi le fait que l'Etat détienne une majorité du capital de ces sociétés de services lui donnerait-il des droits particuliers en matière de concession ?

M. Daniel Reiner. Au nom des droits de la majorité !

M. Thierry Breton, ministre. Ces concessions sont définies de façon contractuelle. Cela n'a rien à voir avec une détention majoritaire ou minoritaire par l'Etat dans le capital.

En revanche, c'est en se donnant les moyens de contrôler efficacement la bonne exécution des contrats de concession avec les entreprises que l'Etat s'assurera, quelle que soit sa part dans le capital, que les objectifs de cette politique publique seront atteints.

Avec Dominique Perben, nous avons justement renforcé ces contrats préalablement à la privatisation des sociétés d'autoroute, pour nous assurer que les missions de service public seront donc bien non seulement préservées, mais aussi renforcées.

Nombre d'entre vous se sont interrogés sur l'intérêt financier d'une telle cession par l'Etat. Là encore, je ne veux pas polémiquer, mais je tiens tout de même à relever certaines incompréhensions.

La valorisation de ces sociétés n'est pas un exercice simple, j'en conviens. Les différentes méthodes possibles, traditionnelles ou classiques, ont été évoquées ici même ce matin : il s'agit, entre autres, de la comparaison avec des sociétés voisines, du suivi de l'évolution des cours de bourse, des taux d'actualisation, notamment celui des cash flows.

Mais, sur ce point, excusez-moi de le dire, les bras m'en tombent ! Pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs siégeant à gauche de cet hémicycle, ne vous êtes-vous pas posé les mêmes questions lorsqu'un gouvernement de même tendance politique que la vôtre a décidé de vendre des actions de France Télécom et d'ASF, cette dernière opération ayant été réalisée en 2002 ? Pourquoi soulevez-vous ces questions aujourd'hui, alors que c'est le gouvernement de M. de Villepin qui agit ?

En fait, vous aviez parfaitement raison de ne pas vous interroger lorsque les actions des sociétés précitées ont été vendues puisque la Commission des participations et des transferts, ex-commission de la privatisation, devait présider à l'évaluation.

L'Etat s'est ainsi donné les moyens de vérifier que les cessions de titres se font dans l'intérêt patrimonial de l'Etat. Et je suis bien placé pour savoir que cette commission est très indépendante. Certains s'en souviennent peut-être au sein de cette assemblée : si j'ai été nommé président de Thomson Multimédia, c'est parce que la commission dite « de privatisation » avait estimé, à l'époque, que l'évaluation qui avait été faite n'était pas compatible avec la préservation des intérêts patrimoniaux de l'Etat.

Je vous rassure tout de suite : comme d'habitude, et comme cela eut lieu lorsque M. Fabius a décidé de vendre 49 % des titres d'ASF, c'est la Commission des participations et des transferts qui a vérifié si le taux d'actualisation était bon ; elle s'est prononcée sur le fait de savoir s'il fallait utiliser la méthode des free cash flows ou des discounted cash flows, si les évaluations effectuées avec d'autres cas de figure comparables étaient adéquates. In fine, c'est elle qui appréciera si le prix retenu est juste.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez dormir tranquilles : la Commission des participations et des transferts a été inventée par l'Etat précisément pour assumer ces missions.

Elle veillera et, croyez-moi, elle est constituée d'hommes indépendants et de très grande qualité. C'est elle qui dira s'il faut prendre en considération le rapport Lebègue ou d'autres. Elle légitimera la méthode retenue. Le Gouvernement n'a aucun doute quant à l'avis qu'elle donnera au regard de toutes les opérations qu'elle a déjà traitées.

Pourquoi donc, lorsqu'il s'agit de sociétés concessionnaires de services autoroutiers, faudrait-il se placer en dehors du droit ? J'estime qu'il faut, dans tous les cas de figure, respecter le droit. Je le dis une nouvelle fois, sans polémique. Certes, les autoroutes sillonnent le territoire, et je comprends que la cession d'une partie du capital des sociétés qui les gèrent ait une charge affective pour certains. Cependant, je pense qu'il faut s'en tenir aux principes de droit.

J'en viens aux derniers points qui ont été évoqués.

En ce qui concerne la procédure, je tiens à vous réaffirmer que j'entends traiter ce dossier en toute transparence, comme toujours.

Je sais bien qu'il y a eu débat. La question à laquelle a été confronté le Gouvernement était simple : peut-on essayer de faire mieux tout en préservant l'acquis tant pour nos infrastructures que pour l'Etat ? Nous avons essayé d'apporter une réponse positive.

D'aucuns soutiennent qu'il était judicieux de disposer d'un système qui permette de financer ces infrastructures grâce aux importants dividendes versés par les sociétés en question. A ce propos, monsieur Billout, je me réjouis que vous vous soyez fait l'apologiste des gros dividendes. Je constate que le débat a fait progresser les esprits.

Il est vrai qu'il est bon de réaliser de gros dividendes et de les distribuer aux actionnaires, surtout s'ils doivent être utilisés en partie pour assurer le financement. Pourquoi pas, certes, dans la mesure où ces dividendes sont pérennes ? C'est là que le problème se pose.

En effet, les dividendes ne sont pas une rente. Ils correspondent tout simplement à ce qui reste lorsqu'une entreprise fait des profits. Ce n'est pas un acquis, contrairement à ce que certains ont eu l'air de penser au cours de ce débat.

M. Bruno Retailleau. Où est le risque ?

M. Thierry Breton, ministre. Un dividende n'est pas certain, il n'est pas garanti. Je vais d'ailleurs vous le prouver.

Deux éléments principaux pèsent sur les comptes d'exploitation des sociétés concessionnaires de services autoroutiers.

Le premier, c'est le trafic. Puisque c'est l'usager qui paie, plus le trafic sera important, plus les revenus seront élevés théoriquement. Fort bien !

M. Michel Billout. Il va baisser ?

M. Thierry Breton, ministre. Toutefois, bien malin qui pourra dire à quel niveau de prix se situera le baril de pétrole dans un an, dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans ! Si l'un d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, est à même de me renseigner sur ce point, je suis preneur !

Vous le savez, la TIPP est assise sur le volume de produit consommé. Or, depuis deux ans, son produit diminue, ce qui signifie que les usagers utilisent moins leur voiture. C'est une bonne chose, compte tenu de la situation énergétique. Mais rien ne nous dit que, si la hausse du prix du baril continue, les Français ne vont pas modifier leurs habitudes. On peut en prendre le pari.

Un second élément va grever de façon certaine les résultats des entreprises concessionnaires d'autoroutes.

Contrairement à ce que certains ont affirmé au sein de cette assemblée, les trois sociétés autoroutières dont les titres seront offerts ont été financées non pas par le contribuable mais par l'emprunt, selon la méthode instaurée à l'époque. Le contribuable n'a jamais versé un sou pour financer ces entreprises.

M. Thierry Breton, ministre. Non, elles n'ont été financées que par l'emprunt, je suis désolé de le dire. C'est d'ailleurs pour rembourser cet emprunt qu'a été inventé le principe du péage, qui ne concernait que les tronçons financés par l'emprunt et non par le contribuable, comme c'est le cas des autres infrastructures routières.

M. Daniel Reiner. Il y a eu des subventions sur certains tronçons !

M. Thierry Breton, ministre. Absolument pas ! On ne peut pas dire que c'est le contribuable qui a assuré le financement.

C'est ainsi que ces trois sociétés supportent aujourd'hui une dette très importante qui s'élève à 20 milliards d'euros. Comment la rembourser ? Elle est évidemment obérée par les taux d'intérêts. Certes, la France connaît les taux d'intérêts les plus bas enregistrés tant dans notre pays qu'en Europe. Il faut s'en réjouir, comme je le fais en ma qualité de ministre des finances. Mais, je ne peux pas vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, sur une période de dix ans, de quinze ans ou de vingt ans, les taux resteront à 2 %. Statistiquement, il y a des risques qu'ils remontent. S'ils augmentent d'un point ou de deux points, les dividendes deviendront inexistants parce que le remboursement de l'emprunt réduira à néant le profit.

Je n'affirme pas que ce scénario est certain, mais j'essaie de démontrer qu'un dividende n'est pas une rente, qu'il n'est pas assuré.

La méthode qu'a choisie l'Etat est la suivante. Dès lors que l'on pouvait renforcer le financement de l'AFITF et le rendre pérenne, ce qui a été fait, il est peut-être plus intéressant de disposer dès aujourd'hui des moyens que cette agence peut fournir tant pour l'avenir que pour le remboursement de la dette, tout en s'entourant de toutes les garanties, y compris en ce qui concerne la valorisation opérée par la Commission des participations et des transferts.

J'ai entendu citer la somme de 14 milliards d'euros. On verra si ce sont 12 milliards, 13 milliards ou 14 milliards d'euros qui pourront être obtenu. Le prix retenu sera sans doute significatif si les marchés sont corrects parce que, aujourd'hui, la valorisation est bonne.

D'ores et déjà, 4 milliards d'euros peuvent être dégagés pour financer les infrastructures en question. Cette somme, d'un montant très significatif, va être injectée immédiatement dans l'économie, sans attendre les dix ans qui viennent.

Affecter une part importante des produits de cession au remboursement de la dette, permettez-moi de vous le dire, c'est un devoir du Gouvernement. La dette de notre pays s'élève à près de 1 100 milliards d'euros, et chaque gouvernement, celui-ci comme ceux qui lui succéderont, devra élaborer un programme vigoureux de remboursement de la dette si nous ne voulons pas la laisser en l'état à nos enfants.

M. Thierry Breton, ministre. Certes, ce que nous faisons peut être considéré comme une goutte d'eau par certains, mais il serait irresponsable de considérer qu'un tel remboursement, en raison de son volume, n'a pas lieu d'être. Il faudrait donc ne rien faire et laisser la boule de neige grossir ? Non, mesdames, messieurs les sénateurs, telle n'est pas la volonté de ce gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Daniel Reiner. C'est vous qui creusez la dette !

M. Thierry Breton, ministre. Sachez aussi que 10 milliards d'euros de dettes non remboursés aujourd'hui génèrent, sur trente ans, 30 milliards d'euros avec les intérêts cumulés, au taux d'actualisation de la dette en vigueur à ce jour, qui est de 3,5 % en France.

Le Gouvernement veut être responsable. C'est pourquoi, compte tenu de la situation, il a décidé de trouver des solutions, tout en préservant les missions de l'AFITF, en lui donnant des moyens pérennes de traiter les problèmes auxquels est confrontée la France aujourd'hui.

Il reste un point qui n'a pas été évoqué ce matin, mais sur lequel je voudrais apporter une précision en raison de ce que j'ai pu lire ici ou là.

Le Gouvernement n'a en aucun cas prévu de réaliser un prélèvement exceptionnel de 950 millions d'euros sur les sociétés d'autoroutes, avant la cession des titres. La mention expresse dans le projet de loi de finances pour 2006 de la perception de revenus exceptionnels liée aux résultats des sociétés autoroutières pour ce montant correspond à une opération de nature comptable, parfaitement légitime, voire indispensable, entre l'établissement public Autoroutes de France, c'est-à-dire la maison mère, qui détient une partie des participations de l'Etat dans ces sociétés, et l'Etat. Cet établissement versera automatiquement, lors de la cession, un dividende sur les plus-values dégagées à ce moment, selon le mécanisme classique. Aujourd'hui, ce dividende est estimé à 950 millions d'euros. Cette opération n'affecte nullement la gestion des autoroutes et ne concerne pas leurs comptes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les précisions que je voulais vous apporter pour répondre du mieux possible et sans esprit polémique aux questions que vous avez pu vous poser quant à la cession des titres détenus par l'Etat dans les entreprises concessionnaires de services autoroutiers.

Les objectifs que le Gouvernement s'est fixés sont très clairs : engager un programme ambitieux de réalisation d'infrastructures à l'aide de moyens exceptionnels en mettant en place des ressources pérennes, renforcer les perspectives de développement des sociétés, assurer un meilleur service pour l'usager, réguler le secteur par le biais de contrats de concession renforcés et désendetter l'Etat.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que ces objectifs justifiaient bien la démarche qui a été mise en oeuvre par le Gouvernement et qui sera poursuivie dans la plus grande transparence, je tiens à vous l'affirmer aujourd'hui, au nom du Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)