PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. M. le Président a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :
« Monsieur le Président,
« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux assistants maternels et aux assistants familiaux.
« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter le Sénat à désigner ses représentants au sein de cette commission.
« J'adresse ce jour, à M. le Président de l'Assemblée nationale, une demande tendant aux mêmes fins.
« Veuillez agréer, monsieur le Président, l'assurance de ma haute considération.
Signé : Jean-Pierre RAFFARIN »
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l'article 12 du règlement.
6
Pouvoirs de police en mer
Adoption définitive d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant certaines dispositions législatives relatives aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de police en mer (nos 253, 280).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, face aux risques liés aux activités conduites en mer, ou à partir de la mer, le ministère de la défense est aujourd'hui un acteur de première ligne pour préserver la sécurité des Français et les intérêts de notre pays.
Qu'il s'agisse de prévention d'actions terroristes venant de la mer, qu'il s'agisse de lutte contre l'immigration clandestine, de lutte contre le narcotrafic ou de pêche illicite, nos armées, et notamment la marine nationale, seules ou en coordination avec les autres administrations, effectuent un travail dont l'efficacité mérite d'être soulignée.
L'activité du premier trimestre 2005 peut d'ailleurs le confirmer s'il en était besoin. Ainsi, en matière de lutte contre l'immigration clandestine, le Patrouilleur La Rieuse a récemment procédé, au large de Mayotte, à l'arraisonnement d'une embarcation de clandestins ; au titre de la lutte contre le narcotrafic, un Falcon a repéré un navire de pêche vénézuélien suspect qui a été transféré aux douanes françaises ; en février et mars, quatre navires pratiquant la pêche illicite ont été interceptés au large de la Guyane Française et déroutés.
Les moyens juridiques d'action de nos armées peuvent être encore accrus dans ces domaines, pour améliorer leur efficacité. C'est précisément l'objet du projet de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui à la Haute Assemblée, au nom du Premier ministre.
Il vise à intégrer au droit français un certain nombre de progrès du droit international. Force est en effet de constater que le dispositif juridique jusqu'alors applicable a démontré ses limites.
Ainsi, la loi du 15 juillet 1994 prévoit les mesures de coercition que l'Etat peut mettre en oeuvre en vertu du droit international de la mer : l'arraisonnement des navires, la visite à bord, le déroutement.
Jusqu'à présent, la marine nationale ne pouvait toutefois exercer ses prérogatives à l'égard de navires étrangers que sous certaines conditions. Dans le cas le plus général, elle ne pouvait agir que si les navires suspects entraient dans ses eaux territoriales. En haute mer, elle ne pouvait intervenir que s'ils étaient soupçonnés de piraterie, de transport d'esclaves ou d'émissions radios non autorisées.
Certains accords internationaux permettent d'aller au-delà de ce « droit commun ». C'est en particulier le cas des mesures d'entraide prévues par la convention de Vienne contre le trafic de stupéfiants.
Dans ce cas, il est permis de prendre des mesures à l'encontre de navires étrangers, y compris en haute mer, à condition d'avoir une délégation de l'Etat du pavillon et, lorsqu'ils sont dans des eaux territoriales autres que les nôtres, par délégation de l'Etat côtier concerné.
Il faut bien reconnaître que tout cela demeure très restrictif.
Un exemple suffira à illustrer les limites d'action qu'impose le droit actuel. En mars 2002, une frégate française déployée en Méditerranée n'a pu, face à un cargo transportant des migrants clandestins, que l'accompagner jusqu'aux eaux territoriales italiennes. Ce sont alors les autorités italiennes qui ont procédé à l'arraisonnement, au contrôle et au débarquement de l'équipage. Même avec l'accord de l'Etat du pavillon du cargo, le commandant de la frégate française ne disposait pas des outils juridiques lui permettant d'intervenir directement, tout simplement parce que la loi de 1994 ne prévoyait pas ce type d'action dans le cadre de la lutte contre l'immigration illicite.
Il convenait donc de prévoir ces situations dans la loi française. Tel est l'objet du présent projet de loi, qui complète et renforce les dispositions de la loi de 1994.
Il permettra désormais à l'Etat de prendre des mesures de coercition à l'égard de tout navire en cas de soupçons de trafic de stupéfiants ou de trafic de migrants.
La marine nationale pourra ainsi intervenir, y compris dans les eaux territoriales d'un Etat étranger, sous réserve de la signature d'un accord ad hoc.
Le nouveau texte établit également la compétence des autorités françaises en matière de recherche, de constatation, de poursuite et de jugements d'infractions dans les cas de trafic illégal de migrants et de stupéfiants. Lorsqu'elles concernent des navires n'arborant aucun pavillon ou sans nationalité, ces mesures s'appliquent automatiquement. Dans le cas contraire, elles sont naturellement subordonnées, soit à l'assentiment de l'Etat du pavillon, soit à des accords internationaux.
En ce qui concerne la lutte contre le trafic de stupéfiants, la loi permettra, ce qui est important, d'étendre les mesures d'entraide aux Etats non partie à la Convention de Vienne, sur la base d'accords particuliers entre la France et l'Etat du pavillon.
Un premier accord a d'ailleurs déjà été conclu en avril 2003 pour la coopération en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants dans les Caraïbes. Il est en cours de ratification.
La nouvelle loi répondra également à l'augmentation de l'immigration clandestine par voie maritime, que l'on constate sur pratiquement toutes les mers. Elle facilitera la mise en oeuvre par l'Etat français des mesures prévues par le protocole de Palerme, ratifié par la France et entré en vigueur le 28 janvier 2004.
Ainsi, ce sont simplement les moyens juridiques d'une action qui sont aujourd'hui élargis en vue de renforcer l'efficacité de la marine nationale.
Après l'adoption de ce projet de loi par le Parlement, la France sera dotée d'un outil juridique permettant à la marine nationale, à la gendarmerie, aux douanes et aux affaires maritimes de lutter plus efficacement contre les activités illicites dans la plupart des espaces maritimes.
Ce sera une contribution à la sécurité de l'ensemble de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Boyer, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le principe de la liberté de navigation et son corollaire, l'exclusivité de la loi du pavillon, reste un impératif essentiel pour une puissance maritime comme notre pays.
Vous l'avez rappelé, madame la ministre, ce principe ne connaît que de rares exceptions qui portent sur les actes de piraterie, la traite des esclaves et les émissions de radio non autorisées.
Ces infractions, réprouvées par la coutume et incriminées par la convention de Montego Bay font de tout navire qui s'y livre, un bâtiment réputé sans pavillon.
Le droit international a toutefois apporté plusieurs aménagements au principe de la loi du pavillon pour lutter contre deux formes de criminalité en mer : le trafic de stupéfiants et le trafic de migrants.
Les Etats se sont accordés sur la nécessité d'une coopération internationale pour lutter contre ces trafics. Le trafic de migrants et le trafic de stupéfiants ne permettent pas de déroger à la règle du pavillon, l'accord de l'Etat du pavillon étant toujours requis, mais cet accord est facilité et autorise une intervention sur les navires en infraction.
En droit interne, les modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs en mer sont définies par la loi du 15 juillet 1994. Cette loi a été adaptée une première fois en 1996 pour tenir compte des dispositions particulières, issues de la convention de Vienne, contre le trafic de stupéfiants.
En la matière, elle permet l'exercice de pouvoirs de contrôle et de coercition et elle déroge aux règles de la procédure pénale pour tenir compte des spécificités de la police des stupéfiants en haute mer. Elle habilite ainsi les commandants de bord à rechercher, à constater des infractions et à prendre les mesures nécessaires pour qu'une suite judiciaire puisse leur être donnée.
Le présent projet de loi nous propose une nouvelle adaptation de la loi de 1994 pour deux raisons principales.
D'abord, la pratique a fait apparaître le besoin de préciser la loi du 15 juillet 1994 pour assurer la sécurité juridique des opérations effectuées en mer.
Ensuite, la signature du protocole du 15 décembre 2000, relatif à la lutte contre le trafic de migrants ouvre de nouvelles possibilités d'intervention contre cette infraction, qu'il convient de transposer en droit interne.
Les précisions de nature à assurer la sécurité juridique des opérations peuvent être appréciées au regard de l'arrêt de la Cour de cassation, rendu le 15 janvier 2003, sur l'arraisonnement du Winner.
Le Winner, navire battant pavillon cambodgien - le Cambodge étant un Etat non partie à la Convention de Vienne - a été arraisonné par un bâtiment de la marine nationale au mois de juin 2002, après que le Cambodge eut donné son accord à cette intervention.
Prenant appui sur la convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer, la Cour de cassation a validé cette opération, faisant primer l'accord de l'Etat du pavillon.
Le présent projet de loi, en supprimant toute référence à la convention de Vienne, élargit les possibilités d'intervention à tout navire dont l'Etat du pavillon aurait sollicité ou agréé l'intervention des autorités françaises.
Il précise également que, pendant la durée du transit nécessaire aux opérations de déroutement, les agents de l'Etat dûment habilités peuvent prendre les mesures de coercition nécessaires et adaptées en vue d'assurer la préservation du navire et de sa cargaison, ainsi que la sécurité des personnes se trouvant à bord.
Dans un deuxième temps, le projet de loi tire les conséquences en droit interne des possibilités nouvelles ouvertes par le droit international. Ces possibilités sont de deux ordres.
Tout d'abord, en vertu d'accords régionaux pris sur la base de la convention de Vienne, des Etats peuvent s'entendre sur la possibilité pour des navires d'autres Etats d'intervenir dans leurs eaux territoriales pour réprimer le trafic de stupéfiants.
L'accord signé à San José, le 10 avril 2003, entre les pays continentaux ou insulaires de la Caraïbe est, pour le moment, le seul exemple. Il prévoit la possibilité pour les Etats de donner leur accord a priori pour l'intervention des autres parties sur un navire battant leur pavillon ou dans leurs eaux territoriales. Dans ce dernier cas, l'Etat intervenant agit sur délégation de l'Etat ayant donné son accord.
Le présent projet de loi élargit donc le champ d'intervention des autorités habilitées aux navires situés dans les espaces maritimes sous souveraineté d'un Etat étranger, en accord avec ce dernier.
Deuxième possibilité ouverte récemment par le droit international : l'intervention en haute mer sur des navires battant pavillon d'un autre Etat pour lutter contre le trafic de migrants. Cette possibilité fait l'objet de l'insertion dans le texte d'un titre spécifique et reprend, s'agissant de la lutte contre le trafic de migrants, des dispositions similaires à celles qui sont en vigueur pour la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Le champ d'application est identique : il couvre les navires battant pavillon d'un Etat qui a sollicité l'intervention de la France ou agréé sa demande d'intervention, ainsi que les navires n'arborant aucun pavillon ou sans nationalité. Le présent texte habilite les personnels chargés de la surveillance en mer à prendre les mesures de contrôle et de coercition prévues par la loi. Le commandant peut également faire procéder à la saisie des objets ou des documents liés aux infractions et ordonner le déroutement d'un navire. Tout comme pour le trafic de stupéfiants, le projet de loi établit la compétence des juridictions françaises lorsque des accords internationaux le prévoient ou avec l'accord de l'Etat du pavillon.
Ce texte s'applique en métropole, mais aussi à Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. Cette précision est utile dans la mesure où les infractions commises en mer concernent tout particulièrement ces territoires.
L'Assemblée nationale n'a que peu modifié ce texte, essentiellement par des amendements rédactionnels. Elle a ainsi tenu compte de la codification, intervenue récemment, du titre Ier`de la loi du 15 juillet 1994 au titre II du Livre V du code de la défense. Elle a apporté certaines précisions de nature à sécuriser la procédure en prévoyant, par exemple, que l'absence de remise d'une copie du procès-verbal à la personne intéressée en matière de trafic de migrants n'entache pas pour autant la procédure de nullité. Cette précision est rendue nécessaire par la difficulté d'identification des passeurs en matière de trafic de migrants.
Elle a également adopté deux amendements de fond, prévoyant la possibilité pour le procureur de la République d'ordonner, dans les collectivités d'outre-mer, la destruction des embarcations dépourvues de pavillon ayant servi à commettre les deux types d'infractions visés par loi, le trafic de stupéfiants et le trafic de migrants. Cette mesure de destruction, dont l'effet est très dissuasif, est mise en oeuvre depuis quelque temps en Guyane pour l'orpaillage clandestin. Cette procédure, strictement encadrée puisque placée sous le contrôle du procureur, ne sera donc pas systématique.
Le présent projet de loi conforte et complète de façon opportune le dispositif existant en opérant les transpositions nécessaires du droit international. Il vient à l'appui du mouvement engagé depuis plusieurs années d'une protection renforcée de nos approches maritimes, de plus en plus soumises à des risques et menaces d'ordre écologique, économique ou sécuritaire.
La commission des affaires étrangères a souscrit à cet objectif en émettant un avis favorable sur le projet de loi, assorti des amendements adoptés par l'Assemblée nationale.
Je bornerai donc mon propos à trois remarques.
La première, c'est que l'exercice par I'Etat de la police concerne bien sûr la marine nationale au premier chef, en raison de sa capacité d'intervention en haute mer et de son action spécifique de sauvegarde maritime. La codification de la loi de 1994 dans le code de la défense ne doit cependant pas faire passer au second plan le caractère nécessairement interministériel du dispositif de protection de nos approches maritimes, lequel implique le ministère des transports, mais aussi celui de l'économie, des finances et de l'industrie, ministère de tutelle de la douane. Il s'agit d'un modèle de coopération entre administrations qui doit être conforté et dont la communauté d'objectifs est à souligner.
Ma deuxième remarque, c'est que la dimension internationale des trafics appelle une coopération renforcée, notamment à l'échelle européenne, mais aussi avec nos partenaires de la rive sud de la Méditerranée. Nos partenaires européens n'ont certes pas tous une façade maritime, mais ils sont exposés aux conséquences des trafics par voie de mer. Or la coopération douanière et policière reste insuffisante et peu structurée. Nous devons donc constituer un réseau de coopération plus dense et plus efficace.
Le projet de loi de ratification de l'accord de San José, déposé à l'Assemblée nationale à l'automne dernier, devrait être transmis prochainement au Sénat afin de rendre effective et plus efficace la coopération esquissée dans la Caraïbe en matière de lutte contre les stupéfiants. Il constitue un véritable modèle.
Enfin, dans ma troisième remarque, je mettrai l'accent sur l'importance du renseignement maritime. Sans information sur les navires et leur cargaison, les dispositions que nous adoptons aujourd'hui risquent de rester vaines. Là encore, un vaste espace reste ouvert pour une coopération accrue entre nos administrations et avec nos partenaires européens pour faire face à des menaces communes.
Marquant son accord avec les objectifs du présent projet de loi et leur formulation, ainsi qu'avec les modifications apportées par l'Assemblée nationale, dont l'examen a du être à plusieurs reprises repoussé, votre commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;
Groupe socialiste, 23 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, originaire d'une région dont la mer constitue l'une des caractéristiques principales, j'attache bien entendu, vous le comprendrez, un grand intérêt à un sujet aussi capital que la sécurisation des espaces maritimes, sachant que beaucoup de Bretons sillonnent les mers.
M. Pierre-Yvon Trémel. Très bien !
M. Philippe Nogrix. Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui permet d'adapter la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer aux évolutions du droit international maritime, comme l'a rappelé notre excellent rapporteur.
En vertu d'accords internationaux, l'Etat français peut être amené à exercer certaines mesures coercitives à l'encontre de navires étrangers en haute mer, par délégation de l'Etat du pavillon, ou dans les eaux territoriales d'un Etat étranger, par délégation de l'Etat côtier.
Pour s'adapter à ces évolutions du droit international, le projet de loi répond à trois objectifs : élargir le champ d'intervention de l'Etat, renforcer les pouvoirs de l'Etat en matière de lutte contre les trafics maritimes de stupéfiants et psychotropes, enfin, ajouter un titre spécifique à la loi de 1994 pour renforcer les pouvoirs de l'Etat en matière de lutte contre l'immigration illicite par mer.
Le groupe UC-UDF du Sénat partage le souci du Gouvernement de modifier notre législation pour rendre plus efficace la lutte contre les trafics illicites en tous genres, notamment les trafics de stupéfiants ou d'immigrants clandestins effectués par voie maritime.
Il faut, en effet, mettre les moyens dissuasifs les plus efficaces à la disposition des services compétents pour aider ces derniers à remplir leurs différentes missions, difficiles mais indispensables, en vue d'assurer la sécurité de notre territoire et de nos citoyens.
L'augmentation de l'usage régulier de drogues est particulièrement préoccupante - nous le constatons tous -s'agissant notamment, hélas ! des drogues dites « dures », dont la consommation a tendance à se banaliser chez les jeunes.
Plusieurs études montrent malheureusement que la consommation de cocaïne et de médicaments psychotropes a augmenté de façon très significative, et ce pas seulement pour une première expérience, comme c'était le cas autrefois, - « juste pour voir », disaient les jeunes -, mais pour une consommation régulière.
Il faut donc, à tout prix, essayer de limiter au maximum l'introduction par voie maritime de ces véritables poisons pour notre jeunesse.
Je le répète, la réussite de cet objectif passe par la signature de conventions bilatérales entre Etats, vous le savez bien, madame la ministre.
Or, à ce jour, un seul accord de coopération régionale a été signé, à San José, le 10 avril 2003.
Le projet de loi portant ratification de cette convention n'a pas encore été discuté au Parlement. Il est donc souhaitable que ce texte soit inscrit rapidement à l'ordre du jour des deux assemblées, et je ne doute pas, madame la ministre, que vous y veillerez, car ce sujet est extrêmement préoccupant.
Je souhaite également mettre l'accent sur la nécessité de renforcer la lutte contre les réseaux de migration illicite.
Malheureusement, les images des journaux télévisés nous rappellent que les côtes européennes, et plus particulièrement sur le pourtour méditerranéen, celles de la Grèce, de l'Italie et de l'Espagne, sont trop fréquemment le lieu de véritables drames humains.
Voilà quelques jours encore, six morts étaient à déplorer sur la côte sud de la Sicile.
Nos territoires sont également concernés, en particulier nos territoires et départements d'outremer, Mayotte en particulier, qui concentre un flux migratoire très important, mais qui est aussi, malheureusement, le lieu de nombreux drames. Au début du mois de mars, à la suite du chavirage d'un bateau transportant des migrants, ont été comptabilisés, hélas, quatre morts et une trentaine de disparus.
Nous ne pouvons rester sans lutter contre le développement de tels trafics organisés en réseaux et dont les responsables, avides du gain qu'ils en escomptent, sont peu scrupuleux des conditions de confort et de sécurité de leurs passagers très vulnérables.
Renforcer la lutte contre la migration illicite par voie de mer est une mesure de sécurité intérieure, bien sûr, mais c'est aussi une mesure à caractère humanitaire, car s'attaquer aux trafiquants, c'est tenter de mettre un terme à ces filières particulièrement intolérables.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons qu'approuver ce projet de loi. Néanmoins, en guise de conclusion, je souhaite appeler votre attention, madame la ministre, sur trois aspects importants.
D'abord, il semble indispensable que, parallèlement au renforcement de notre législation, les pays membres de l'Union européenne fassent de réels efforts pour mettre en commun les moyens dont ils disposent et que la synergie prenne tout son sens également dans ce domaine.
Sur quelque mille tonnes de cocaïne produites chaque année en Amérique du Sud et en Amérique centrale, près d'un tiers sont acheminés vers l'Europe par la voie maritime. Une optimisation de la lutte contre le trafic de stupéfiants passe indiscutablement par la mise en oeuvre de programmes d'action communs à l'échelon de l'Union européenne.
Ensuite, il semble également important de renforcer nos liens avec les forces de police et les douanes des pays d'origine des trafics. Ces dernières sont d'ailleurs très souvent demandeuses d'un développement des coopérations avec d'autres Etats concernés, car ce type de délinquance dépasse en règle générale le cadre géographique d'un seul Etat.
Les trafics de la drogue sont le plus souvent l'oeuvre de réseaux mafieux très bien organisés, à dimension internationale, usant des armes technologiquement les plus avancées, ce qui justifie que des moyens exceptionnels et inhabituels soient mis en place pour les combattre. C'est une véritable guerre que nous avons à mener contre les membres de ces réseaux, qui connaissent les armes les plus destructrices et les plus efficaces.
Les Etats doivent donc s'impliquer non seulement par la surveillance des espaces maritimes, mais également par la signature de conventions de coopération bilatérale ou multilatérale ; je n'insisterai jamais assez sur le caractère particulier de la lutte contre les deux méfaits que je viens d'évoquer.
Enfin, madame la ministre, la corrélation entre les ambitions affichées et les moyens humains prévus pour remplir ces nouvelles missions est un aspect majeur, qu'il ne faudra pas négliger dans nos budgets. A cet égard, le groupe UC-UDF compte sur votre ténacité.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, la commission vous a chargé, avec M. Jean-Guy Branger, de préparer un rapport d'information sur l'action de l'Etat en mer. Ce document devrait permettre de dresser un état des lieux très utile des moyens dont les douaniers et les gendarmes disposent pour remplir leurs missions. Un certain nombre d'entre eux s'inquiètent légitimement d'une restructuration programmée de leurs services. Qu'en sera-t-il ? Une fois encore, nous comptons sur vos arbitrages et votre détermination.
Après ces quelques remarques, je terminerai mon propos en rappelant, madame la ministre, que le groupe UC-UDF votera le texte que vous nous soumettez aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, modifiant la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui montre la volonté du Gouvernement d'apparaître résolument décidé à renforcer la lutte contre les activités illicites commises en mer.
Si nous comprenons les objectifs visés dans ledit projet, nous ne pouvons manquer de relever que les moyens proposés pour les atteindre sont beaucoup moins clairs et qu'ils mettent en exergue le fossé béant existant entre les intentions louables exprimées par le Gouvernement et les actions qui sont effectivement réalisées.
Pour illustrer cette contradiction, je prendrai l'exemple des douanes, dont le présent projet de loi vise à renforcer les compétences et les missions. Or, dans le même temps, une réforme du ministère de l'économie et des finances prévoit un remodelage complet des administrations exerçant leurs missions dans le cadre de l'action de l'Etat en mer, réforme qui diminuera fortement les moyens accordés aux douanes françaises.
Alors que le Gouvernement affiche l'ambition de lutter plus efficacement contre les trafics illicites dans la plupart des espaces maritimes, il supprime parallèlement à l'un des acteurs essentiels de la surveillance aéromaritime française et communautaire les moyens qui lui sont octroyés pour lutter contre ces trafics. C'est incompréhensible et inacceptable.
La recherche effrénée d'économies budgétaires ainsi que la volonté de vouloir rationaliser à outrance les moyens navals en présence se heurtent donc de plein fouet aux objectifs affichés par ailleurs de lutter contre les trafics illicites en tous genres.
La restructuration néfaste en cours est d'autant plus incompréhensible que les résultats de l'activité de l'administration des douanes sont sans cesse en hausse dans une Union européenne où la criminalité économique et financière croît en permanence. Il semble que la sécurité des populations ne soit plus une priorité du Gouvernement, qui privilégie la recherche du profit et élimine ce qui peut y faire obstacle.
Ainsi, sur 317 unités de surveillance terrestre des douanes, 124 ont d'ores et déjà été supprimées. Par ailleurs, 35 brigades de recherches, ainsi que des structures importantes de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, sont vouées au même sort.
Aujourd'hui, la fonction de renseignement est assurée par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, chargée du démantèlement des grands réseaux de trafics illicites, et par les brigades régionales de recherches, les BRR, pour la collecte active du renseignement. Ces dernières sont reconnues comme étant des unités particulièrement performantes de leur administration dans la lutte contre tous trafics. Pourtant, selon le projet de restructuration en cours à Bercy, il est question de les supprimer, à l'exception de celles de la Corse et de l'outre-mer. C'est également incompréhensible, car le renseignement constitue un pilier indispensable pour démanteler les réseaux internationaux et combattre les organisations criminelles.
Ce projet de restructuration suscite donc des craintes très vives, qui sont tout à fait justifiées. S'il était réalisé en l'état, c'est tout l'édifice douanier qui s'écroulerait, et près de 200 emplois disparaîtraient.
Dès lors, comment surveiller, madame la ministre, l'ensemble de la façade maritime atlantique en diminuant fortement les moyens des douanes, dont l'efficacité a pourtant été démontrée dans la lutte contre les trafics illicites ?
Vous comprendrez, dès lors, que nous ne pouvons voter ce texte, dont les objectifs affichés sont contrecarrés par les réformes en cours à Bercy. Vous ne pouvez méconnaître, madame la ministre, que ces deux réformes sont en totale contradiction, une contradiction qui révèle que tous les discours volontaristes tenus par votre gouvernement resteront, dans les faits, lettre morte.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons aujourd'hui au Sénat un jour exceptionnel pour la mer : réflexion prospective concernant nos atouts maritimes dans le cadre d'un colloque organisé toute la journée, examen en fin d'après-midi de deux textes relatifs à la mer.
Hélas ! nous sommes toujours confrontés au même paradoxe : une nation qui a une grande ambition maritime, mais des parlementaires trop peu nombreux dans cette enceinte pour en parler !
M. François Trucy. Il y a la qualité !
M. Pierre-Yvon Trémel. Nous sommes sauvés ! (Sourires.)
M. Gérard Le Cam. Il y a un Breton !
M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Et même un Berrichon ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre-Yvon Trémel. Le projet de loi qui nous est soumis constitue une mise à jour de notre arsenal juridique en matière d'action maritime. Le droit de la mer doit évoluer pour faire face aux risques nouveaux et aux nouvelles modalités des risques traditionnels.
« La mer, la mer, toujours recommencée », écrivait déjà fort justement Paul Valéry...
Ce projet de loi vise à modifier la loi du 15 juillet 1994. Il s'agit, pour l'essentiel, d'adapter notre législation aux différentes modifications intervenues dans le droit international de la mer et, comme l'a relevé notre rapporteur, de permettre à notre pays de déroger, dans certains cas, à la règle du pavillon prévalant dans les espaces ne relevant pas de sa juridiction.
Ces dernières années, nous avons constaté une augmentation du nombre des trafics illicites en mer et nous savons que le narcotrafic, la piraterie, la traite d'esclaves, le transport illicite de migrants, le terrorisme, peuvent avoir dans cet espace gigantesque la possibilité de se développer. Cela vient s'ajouter aux risques dits « traditionnels » des activités maritimes avec les accidents de mer, la pollution notamment.
Je tiens à vous remercier, madame la ministre, de nous avoir fait parvenir un document intéressant, intitulé « Sauvegarde maritime, une dimension de sécurité renouvelée ». Nous y trouvons en effet de très utiles informations sur l'évolution des trafics illicites en mer.
L'exigence de sécurité à l'égard des risques provenant de la mer ne cesse de croître. La France a la particularité de posséder un espace maritime très vaste, sur plusieurs océans. En effet, l'espace maritime français s'étend sur près de onze millions de kilomètres carrés. Notre devoir de vigilance, à la hauteur de cette présence mondiale, est donc considérable.
En conséquence, il s'agit de doter la France d'un cadre juridique rénové pour lutter efficacement contre les trafics illicites dans l'espace maritime. Cette oeuvre législative est nécessaire, et nous la soutenons. Elle doit se réaliser en étroite concertation avec les membres de l'Union européenne et dans un esprit de coopération avec les pays riverains de la Caraïbe, du Pacifique, de la Méditerranée, de l'Atlantique ou de l'océan Indien.
Dans notre pays, le fondement juridique de l'intervention des services de l'Etat et de la marine nationale est la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer.
On l'a rappelé, ce texte a mis en place des procédures de contrôle et de coercition à l'encontre de navires étrangers, procédures que le droit international rend possibles, y compris en haute mer, dans des cas tels que la piraterie, le transport d'esclaves ou les émissions radiophoniques non autorisées.
A la suite de l'adoption de la convention de Vienne, il a été complété par des mécanismes d'entraide internationale à l'encontre de trafics illicites de stupéfiants en mer. Tel a été l'objet de la loi du 13 mai 1996.
Aujourd'hui, il apparaît nécessaire d'aller plus loin et de renforcer les moyens juridiques et opérationnels. Ce projet de loi vise donc à doter la France d'un cadre juridique adapté permettant à ses moyens hauturiers ou côtiers - la marine nationale, la gendarmerie, les affaires maritimes, les douanes - de lutter plus efficacement contre les trafics illicites dans l'espace maritime.
Soyons clairs : les évolutions du droit international qui sont abordées dans ce texte visent concrètement à ouvrir aux Etats de nouvelles possibilités d'intervention dans les espaces maritimes ne relevant pas de leur souveraineté.
Nous constatons que le texte qui nous est proposé recueille un accord politique assez large. Cette adaptation des outils juridiques qui encadrent les actions de la marine devrait rendre plus efficace la lutte que mène l'Etat français contre les activités illicites commises en mer.
Je souhaite donc, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, vous interroger, madame la ministre, sur des questions importantes que soulève incontestablement son application.
Je formulerai trois remarques, accompagnées de trois interrogations.
La première remarque a trait à la sauvegarde maritime et aux moyens qui lui sont consacrés.
Compte tenu des nouveaux risques apparus ces dernières années, l'action de l'Etat en mer s'exerce dans un cadre de coordination renforcée, formalisée par le décret du 6 février 2004 relatif à l'organisation de l'action de l'Etat en mer.
La protection des approches maritimes est une oeuvre collective : le dispositif est, par nature, interministériel et la marine nationale en est le pivot central. Au sein de ce dispositif, les pouvoirs de coordination des préfets ont été renforcés.
La marine nationale remplit une mission de sauvegarde, qui vise à la fois à assurer la protection des approches maritimes du territoire national, à exercer la pleine souveraineté dans les eaux territoriales et à maîtriser les risques liés aux activités maritimes.
Les activités de service public de la marine nationale concernent environ 2 000 marins, et ses moyens sont conséquents : 70 bâtiments, qui vont des frégates aux vedettes légères utilisées par les douanes ou la gendarmerie maritime en passant par les patrouilleurs, ainsi qu'une trentaine d'avions et d'hélicoptères. Ces fonctions constituent aujourd'hui plus d'un quart de l'activité de la marine nationale.
Madame la ministre, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur l'exécution de la loi de finances de 2005 et sur la loi de programmation militaire en cours - incertitudes relevées notamment dans le rapport de notre collègue député Guy Teissier -, vous sera-t-il possible de tenir tous les engagements budgétaires nécessaires pour que la marine nationale puisse affronter la perspective d'un accroissement prévisible du nombre de ses activités de service public ?
Ma deuxième remarque a trait à l'évolution du droit international de la mer et à l'action de la France en la matière.
La convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay, constitue la pierre angulaire sur laquelle repose la législation actuelle.
Des évolutions sont bien sûr possibles - certaines ont d'ailleurs déjà eu lieu -, et le texte présenté par le Gouvernement aujourd'hui en est la preuve.
Certains Etats souhaitent une plus grande régulation et un plus grand contrôle des activités maritimes, allant même jusqu'à proposer un droit d'intervention direct non seulement en haute mer, mais également dans les eaux territoriales étrangères.
L'existence d'Etats défaillants ou incapables de faire respecter le droit dans leurs mers territoriales peut créer des situations de risque ou favoriser l'action de « voyous de la mer ». Faut-il alors élargir le droit d'intervention ?
N'oublions pas non plus que certains pays, tels les Etats-Unis par exemple, étendent déjà leurs contrôles en mer au-delà de leurs eaux territoriales.
En conséquence, quelle est la position de la France en la matière, madame la ministre ? Quelles sont vos propositions en matière de réforme du droit international de la mer ? Des négociations en ce sens existent-elles déjà au sein de l'Union européenne ?
Ma troisième remarque concerne un service qui exerce des missions spécifiques en mer : la douane ; les orateurs qui m'ont précédé en ont déjà parlé.
Nous savons que les douanes jouent un rôle important dans le cadre des actions maritimes conduites par l'Etat, en particulier dans le domaine du renseignement et du travail de recherche en amont, lequel permet de démanteler des réseaux ou d'empêcher des trafics.
Les actions de traque du narcotrafic dans les Caraïbes, mais aussi en Méditerranée ou ailleurs, imposent à la marine nationale une coopération avec les douanes et la police ainsi qu'une coopération internationale poussée. Le service garde-côtes des douanes est un acteur majeur de l'action du service public en mer.
Par ailleurs, les douanes participent également aux missions de sécurité intérieure et de protection de l'environnement en contrôlant et en observant les flux transfrontaliers de personnes, de marchandises, de capitaux.
Or les douanes, dont les compétences et les missions seront accrues avec ce projet de loi, sont actuellement victimes d'une réforme qui tend à planifier une forte diminution de leurs moyens.
Dans cette restructuration en cours est d'abord prévue une réforme du dispositif de renseignement de la douane, c'est-à-dire la suppression de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, chargée du démantèlement des grands réseaux de trafics illicites, ainsi que la disparition dans plusieurs régions, notamment dans celles qui sont situées sur la côte Atlantique ou encore dans la Manche - j'en parle en connaissance de cause - des brigades régionales de recherches.
Cette diminution des moyens portera atteinte au service public de surveillance aéromaritime assuré par la douane française pour la protection et la sauvegarde du territoire français et européen.
Enfin, troisième et dernière question, madame la ministre, la réforme de la douane envisagée par le Gouvernement va-t-elle permettre aux services douaniers d'exercer toutes leurs missions de lutte contre tous les trafics, notamment économiques et fiscaux, sur mer ?
J'en arrive à ma conclusion. Nous savons que, dans le domaine de l'action en mer, les domaines à couvrir sont nombreux : les pêches et la protection de nos ressources halieutiques, l'assistance aux marins en péril, la lutte contre le narcotrafic, contre l'immigration clandestine et contre le trafic des êtres humains, mais aussi la prévention en matière de terrorisme et, sur un autre plan, la protection face à l'accroissement des risques liés au transport maritime de matières dangereuses.
Ainsi, la surveillance du trafic en mer, depuis la terre comme à partir des airs, requiert la mise en oeuvre constante de moyens considérables. Le dispositif de sécurité aux frontières maritimes de l'Union européenne exige une meilleure coordination de nos politiques et une mutualisation de nos moyens.
Nous ne pouvons plus envisager d'assurer la sécurité aux frontières de manière isolée et strictement nationale. Dès maintenant, pour faire face à des besoins croissants en matière de sécurité maritime, il faut continuer à rechercher des solutions européennes.
Merci, madame la ministre, de continuer, pour votre part, à travailler dans ce sens.
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons un texte particulièrement important pour la sécurité intérieure et extérieure de notre pays et celle de nos concitoyens, la sécurité en mer étant une préoccupation tout aussi majeure que la sécurité sur terre, surtout pour un pays comme la France, véritable puissance maritime et côtière.
Ce projet de loi doit nous permettre d'adapter les outils juridiques qui encadrent les actions de l'Etat français, afin de rendre plus efficace la lutte qu'il mène contre les activités illicites commises en mer.
Concrètement, ce texte vise à permettre à l'Etat de prendre à l'égard de tout navire des mesures de coercition, mais aussi de recherche, de constatation, de poursuite et de jugement d'infractions dans les cas de trafics de stupéfiants et de trafics de migrants. L'article 99 de la convention de Montego Bay évoque la « traite des esclaves ».
Le Gouvernement va ainsi doter la France d'un cadre juridique solide pour lutter efficacement contre les trafics illicites dans la plupart des espaces maritimes. C'est un objectif clair et précis auquel nous apportons, madame la ministre, notre soutien plein et entier.
En adoptant une législation interne destinée à rendre effectives les dispositions du droit international, la France, qui dispose d'un espace maritime de près de 11 millions de kilomètres carrés et de 5 500 kilomètres de côtes, a fait le choix de s'impliquer fortement dans la mise en place et dans le renforcement d'une véritable politique répressive en mer, au nom des impératifs de la sécurité maritime.
Sans implication ni intervention des Etats, le droit de la mer est aujourd'hui insuffisant pour lutter efficacement contre les trafics en tous genres et pour rendre les mers et les océans plus sûrs. Son extrême complexité a favorisé l'émergence de très nombreux risques difficiles à contrôler et l'apparition de nouveaux fléaux face auxquels il est impératif que la communauté internationale s'organise efficacement.
Prenons l'exemple - qui n'a rien d'exotique - des actes de piraterie sur les navires, qui ont été multipliés par trois en quelques années : 445 attaques en 2003, et plus encore en 2004.
Nous connaissons tous ces comportements qui perturbent la sécurité en mer et l'intégrité du milieu marin, que ce soit la piraterie, les conflits de pêche, la contrebande, le terrorisme, les trafics de stupéfiants ou les trafics de migrants, sans oublier, bien sûr, les pollutions maritimes.
La répression de ces fléaux relève de la responsabilité des Etats.
Madame la ministre, l'exemple que vous avez cité en Méditerranée est révélateur et bien explicite de l'inutilité qu'il y a à contrôler si l'on ne peut agir pour contrer et pour empêcher.
En adaptant la loi du 15 juillet 1994, le présent projet de loi permet à la France de prendre des mesures de contrôle et de coercition à l'égard de tout navire soupçonné de trafic de stupéfiants ou de trafic de migrants, tant dans les eaux territoriales françaises qu'en haute mer.
Mais la France pourra également agir à l'intérieur de la mer territoriale d'un Etat étranger - par délégation de l'Etat côtier ou de l'Etat du pavillon -, sur le fondement d'accords internationaux ad hoc. Ainsi, la situation que nous avons connue en Méditerranée pourra être évitée.
Par ailleurs, les pouvoirs des autorités françaises en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants sont élargis, et toute référence à la convention de Vienne de 1988 est supprimée.
Il s'agit d'une avancée intéressante, car cela permettra de fonder des mesures de contrôle et de coercition sur d'autres instruments internationaux, notamment sur les accords de coopération régionale comme celui qui a été signé le 10 avril 2003 à San Jose sur la répression du trafic illicite aérien et maritime dans la Caraïbe.
Enfin, il était indispensable de définir dans la loi le cadre d'intervention des moyens de l'Etat dans la lutte contre ces trafics.
Il s'agit d'une avancée tout à fait remarquable qu'il faut saluer à sa juste mesure. L'immigration clandestine par voie maritime, qui recouvre à la fois le phénomène des passagers clandestins et le transport collectif de réfugiés, c'est-à-dire le trafic d'êtres humains, est un réel fléau auquel la France, avec l'Italie, est particulièrement exposée depuis plusieurs années.
Le trafic illicite de migrants est le fait de réseaux criminels qui se livrent à une véritable traite des êtres humains dans des conditions indignes qu'il est nécessaire et urgent de combattre. Par ailleurs, il engendre pour les filières qui s'y livrent des profits gigantesques, comparables à ceux des trafics de drogue ou d'armes.
Nous assistons d'ailleurs à un phénomène assez étonnant : les trafiquants de drogue ont changé de « métier » puisqu'ils se livrent à présent au trafic d'êtres humains, plus rémunérateur et moins risqué s'agissant des peines encourues.
Dans l'ensemble, les dispositions relatives au trafic de migrants sont similaires à celles qui sont en vigueur pour la lutte contre le trafic de stupéfiants, et leur champ d'application est identique. Nous pouvons espérer que cela servira à arrêter, ou en tout cas à freiner ce trafic.
Il était important de donner une base juridique à l'application d'une politique répressive en mer.
Mais ce texte ne se borne pas à transposer l'accord international dans le droit interne, puisqu'il apporte des précisions procédurales bienvenues et ne cantonne pas leur champ d'application aux seuls Etats parties au protocole de Palerme.
Permettez-moi enfin, madame la ministre, même si certains s'inquiètent des budgets et des problèmes matériels - notamment en matière de renseignement -, de saluer ici le travail admirable effectué par le personnel de la marine nationale en haute mer, par celui des douanes, de la gendarmerie maritime et des affaires maritimes, qui sont les maîtres d'oeuvre sur le terrain de cette politique de sécurité maritime. Nous les en félicitons !
Madame la ministre, ce projet de loi est un excellent texte qui témoigne de votre volontarisme et de votre engagement, dont nous vous remercions. Il répond à un besoin juridique en comblant un vide préjudiciable à l'efficacité des services en charge de la surveillance des mers. Il précise également la portée et les conditions d'application d'un texte international et donne enfin une base juridique à la prévention d'une activité qui salit l'image des océans.
Ainsi, madame la ministre, si la convention des Nations unies de 1982, dite de Montego Bay, réaffirme le principe de la liberté des mers, il n'en reste pas moins que, comme le dispose notre code, la liberté de chacun s'arrête où commence celle d'autrui, y compris celle de pouvoir protéger notre pays et notre population.
Renforcer la protection de notre espace maritime, de plus en plus soumis à des menaces et à des risques de tous types, c'est un objectif que le groupe UMP soutiendra par le vote favorable et enthousiaste qu'il exprimera sur ce texte tout à l'heure, en espérant que tous nos collègues en feront autant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer l'excellent travail qui a été accompli par les rapporteurs, ainsi que la qualité de la réflexion et de la contribution de chacun des intervenants, qui tous connaissent bien les problèmes de la mer.
Le présent projet de loi étend une capacité juridique. En effet, quels que soient les moyens mis à la disposition des personnels qui travaillent en haute mer, s'ils n'ont pas le droit d'agir, ces moyens ne leur servent à rien. Nous donnons donc une capacité juridique à ces personnels, qu'ils soient militaires ou douaniers.
Vous avez posé, les uns et les autres, un certain nombre de questions auxquelles je voudrais répondre.
Tout d'abord, M. le rapporteur a insisté sur la coopération entre les administrations. J'ai moi-même effectivement souligné l'importance de cette coopération, car c'est d'elle aussi que résulte l'efficacité. Il faut additionner, mais aussi diversifier les moyens ; c'est ce qui nous permettra d'envisager tous les cas de figure et de faire face à toutes les situations.
Vous avez évoqué ensuite, monsieur le rapporteur, ainsi que d'autres intervenants, la nécessité d'une coopération renforcée avec les pays européens. C'est l'un des rôles de l'Europe - rappelé dans le projet de traité constitutionnel - que de pouvoir renforcer notre capacité commune à nous protéger contre les intrusions d'un certain nombre de trafics. Cette problématique est au coeur même des dispositifs européens matérialisés dans le projet de traité constitutionnel qui sera soumis à référendum le 29 mai prochain.
S'agissant de la coopération avec les pays du sud de la Méditerranée, j'ai été conduite, au mois de décembre 2004, à réunir au ministère de la défense cinq des pays du sud de l'Europe - la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et Malte -, et cinq pays du Maghreb - la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, l'Algérie et la Libye -, dans une perspective de réflexion et de travail en commun pour protéger les approches maritimes, en particulier contre les trafics de stupéfiants et les trafics de migrants illégaux, ainsi que contre le risque terroriste.
Vous avez également insisté, avec d'autres intervenants, sur l'importance du renseignement en matière maritime.
Le besoin de coopération est évident en la matière. Très souvent, nous intervenons sur des renseignements qui nous sont fournis non seulement par d'autres services que les nôtres, mais aussi par d'autres pays. Et c'est souvent dans le pays d'origine que nos propres services dans ce pays, voire les services de ce pays, nous fournissent l'indication que tel ou tel navire est suspect et contient probablement une cargaison suspecte. Cette coopération doit être entretenue, voire développée, parce qu'il est toujours plus facile de contrôler si l'on a des indications sur ce que l'on cherche et sur l'endroit où chercher.
M. Nogrix a souhaité que la ratification de la convention de San Jose puisse intervenir rapidement. C'est une nécessité, et je souhaite, pour ma part, que cette ratification puisse être soumise le plus tôt possible au vote des deux assemblées.
M. Nogrix a également souligné le besoin de coopération à la fois entre pays européens - la réponse que je viens de donner à M. le rapporteur devrait le rassurer à ce propos - et avec les pays où naissent les trafics. Je partage son sentiment : sur ce dernier point, je le répète, le renseignement est l'un des éléments qu'il nous faut développer.
Dans ce domaine, la coopération avec un très grand nombre de pays est de plus en plus grande. Je pense, par exemple, à certains pays d'Amérique latine, qui sont conscients que les trafics non seulement fondent leur développement sur des situations instables, mais également accompagnent et entretiennent des crises. Je pense également à l'Afghanistan, où, j'ai eu l'occasion de le dire ici même, le trafic de drogue est l'une des causes qui entretiennent, dans certaines régions, un système complètement autonome et indépendant du gouvernement central.
Une aide réciproque se développe donc en la matière et les gouvernements prennent de mieux en mieux la mesure de ces problèmes.
M. Nogrix a ensuite évoqué les moyens budgétaires, de même que MM. Le Cam et Trémel. Sur ce sujet, je voudrais apporter un certain nombre de précisions.
En ce qui concerne le budget du ministère de la défense, je suis parfaitement consciente que des moyens sont nécessaires lorsque l'on souhaite confier des missions supplémentaires aux personnels ou en renforcer l'efficacité. Tel est l'objet de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008, qui vise à rattraper les insuffisances budgétaires résultant en particulier des cinq années précédentes, qui avaient fait prendre du retard à un certain nombre de programmes, notamment dans le domaine maritime, et qui avaient empêché que soit assuré le maintien en condition opérationnelle, le MCO.
La marine est certainement l'une des armes qui ont le plus souffert de l'insuffisante réalisation de la loi de programmation militaire 1997-2002.
C'est la raison pour laquelle je veille à l'application stricte de la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008. Ainsi, la loi de finances initiale pour 2005 sera totalement respectée, conformément à l'intention du Gouvernement. Je me réjouis d'ailleurs que le Premier ministre ait eu l'occasion de le rappeler très brillamment la semaine dernière : cela devrait ôter tout doute en la matière, puisque les arbitrages sont déjà rendus.
M. Le Cam s'est inquiété à la fois de la baisse des moyens financiers accordés aux douanes françaises et de la restructuration de cette administration.
Je rappelle, même si ce dossier est traité par un autre ministère que le mien - mais la solidarité gouvernementale m'autorise à en parler -, que le déploiement des moyens aériens et maritimes des douanes n'a pas été modifié depuis trente ans. Avouez que la situation a tout de même évolué durant cette période ! Peut-être eût-il été bon, dans les années passées, de se prononcer sur l'adaptation des moyens aux besoins qui s'exprimaient !
Un projet de réforme est aujourd'hui en cours. MM. André Boyer et Jean-Guy Branger ont été chargés de préparer un rapport d'information sur l'action de l'Etat en mer, qui devrait notamment apporter des réponses en ce qui concerne la réforme des moyens maritimes de la douane. En la matière, il convient d'apprécier la présence à la mer effective des bâtiments des douanes et non le seul nombre des unités affectées à ces missions : il faut faire le départ entre la théorie et la mise en oeuvre.
Le premier projet de schéma directeur est aujourd'hui axé sur la réforme des douanes et sur une meilleure efficacité opérationnelle. Il a été présenté aux représentants syndicaux par les directeurs régionaux des douanes. Nous sommes donc dans une phase de concertation, mais il serait anormal d'affirmer que les négociations sont achevées ou de se réfugier dans le passé. En trente ans, la situation a changé, et des adaptations s'imposent certainement.
J'ai déjà répondu aux interrogations de M. Trémel en ce qui concerne les prétendues incertitudes sur la loi de programmation militaire et sur la loi de finances initiale pour 2005. J'espère l'avoir rassuré. Je retiens d'ailleurs de son intervention, comme peut-être de celle de M. Le Cam, que le projet de loi de finances initiale pour 2006 - puisqu'il sera, lui aussi, en parfaite conformité avec la loi de programmation militaire - recueillera sans doute son approbation !
M. Gérard Le Cam. Pour ce qui me concerne, c'est moins sûr ! (Sourires.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. M. Trémel m'a également interrogée sur le droit international de la mer et sur la question des Etats défaillants.
Je rappelle que la reconnaissance des droits des Etats côtiers sur leurs eaux territoriales est un principe fondamental du droit international de la mer. En tout état de cause, les interventions ne pourraient donc se faire que sur vis-à-vis d'Etats jugés vraiment défaillants. Or le problème se pose beaucoup plus souvent dans les « zones grises » que dans les eaux territoriales des Etats défaillants, et il ne peut se résoudre que dans le cadre d'une intervention des Nations unies. La question se révèle donc beaucoup plus complexe et sa solution ne peut se réduire à un « il faut faire » ou à un « il n'y a qu'à » !
S'agissant des douanes, monsieur Trémel, je pense vous avoir répondu.
Vous m'avez demandé si la réforme permettrait aux services douaniers d'exercer toutes leurs missions. Son objet est bien de renforcer leur possibilité d'exercer l'ensemble des missions !
Je remercie M. Del Picchia d'avoir approuvé le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui. Je partage tout à fait son avis sur les profits considérables que génèrent les trafics de drogue et les trafics de migrants. Très souvent, d'ailleurs, ils sont nettement supérieurs aux propres budgets nationaux des Etats d'origine, ce qui contribue à fragiliser un peu plus ces derniers.
Je lui sais tout particulièrement gré d'avoir salué l'ensemble des personnels qui agissent en haute mer. Cette reconnaissance à l'égard des personnels accomplissant ce travail, souvent dans des conditions difficiles, s'est d'ailleurs exprimée sur l'ensemble des travées de cette assemblée. En leur nom, je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.