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NOMINATION de membres d'ORGANISMEs EXTRAPARLEMENTAIREs
Mme la présidente. Je rappelle que les commissions des affaires culturelles, des affaires sociales et des finances ont proposé des candidatures pour quatre organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- M. Philippe Richert membre du conseil d'administration de la société France 3, membre du Haut conseil des musées de France et membre suppléant de la commission du fonds national pour l'archéologie préventive ;
- Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Marc Juilhard et M. Jean-Jacques Jégou membres du comité de surveillance du fonds de financement des prestations sociales des non salariés agricoles.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Philippe Richert.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Prévention et répression des violences au sein du couple
Suite de la discussion et adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport de M. Henri de Richemont, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur :
- la proposition de loi, présentée par M. Roland Courteau et plusieurs de ses collègues, tendant à lutter contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples par un dispositif global de prévention, d'aide aux victimes et de répression,
- et la proposition de loi, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues, relative à la lutte contre les violences au sein des couples.
Dans la discussion des articles nous en sommes parvenus à l'examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels avant l'article 1er.
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par Mme Dini, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 411-5 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« ... ° Lorsque le demandeur est mineur. »
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'amendement repoussant l'âge légal du mariage, adopté par le Sénat voilà quelques heures, ne réglera pas le cas de tous les mariages forcés.
Une jeune fille étrangère résidant en France, mariée selon le droit coutumier dans son pays pendant les vacances, n'aura pas la possibilité d'empêcher son mari de la rejoindre en vertu de l'article L.411-5 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile.
L'amendement n° 24 a pour but de reculer l'âge de cette arrivée au moins jusqu'à la majorité de la jeune fille, ce qui peut laisser à cette dernière le temps de réagir et de trouver, en France, l'aide nécessaire à une action en annulation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement vise, afin de lutter contre les mariages forcés, ce qui est un objectif tout à fait louable, à interdire le regroupement familial lorsque la personne cherchant à faire venir son conjoint en France est mineure.
Toutefois, il ne peut viser qu'un demandeur étranger. Or, le risque de mariage forcé afin de faire obtenir des papiers au conjoint étranger concerne essentiellement des femmes françaises ou binationales.
La commission des lois a considéré que cet amendement portait une atteinte disproportionnée à la vie familiale. En effet, en vertu de l'article 3 du code civil, et à défaut de convention bilatérale contraire, les personnes étrangères ont droit au respect de leur statut personnel en France, pour autant que ce dernier ne soit pas contraire à l'ordre public français, lequel, je vous le rappelle, s'oppose uniquement à la reconnaissance des mariages de jeunes filles non pubères célébrés à l'étranger.
Ainsi, dès lors que le mariage a été valablement célébré à l'étranger, le droit français ne peut pas contester sa légalité. On ne peut donc pas empêcher une jeune femme mariée de faire venir son conjoint en France ; c'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Le Gouvernement l'avis de la commission.
Madame Dini, je comprends bien l'objet de cet amendement, dont je mesure toute la pertinence pour éviter les mariages forcés et leurs conséquences.
Néanmoins, puisque nous avons engagé une réflexion très large sur les femmes et l'immigration, je vous suggère de retirer pour l'instant cet amendement afin que nous examinions la disposition qu'il prévoit à l'occasion de propositions actuellement à l'étude concernant la contrainte pour mariage ou le délai de prescription pour les mutilations sexuelles. Cet amendement mérite en effet d'être reconsidéré, avec les réserves qui viennent d'être exprimées, sous un angle élargi.
M. le président. Madame Dini, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Muguette Dini. Je ne retirerai pas mon amendement parce que je considère que l'on recule sans cesse. Aujourd'hui, alors que nous débattons d'une proposition de loi sur les violences faites aux femmes, nous ne faisons rien pour ces jeunes femmes qui résident en France, de sorte qu'elles pourront toujours être victimes de tels actes.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Il est question là non pas de violences, mais de l'interdiction faite à une jeune femme, légalement mariée dans son pays d'origine, de faire venir son conjoint. Il y a simplement une présomption de violences. Mais, à partir du moment où une jeune femme étrangère a été légalement mariée dans son pays d'origine et où le droit français respecte son statut personnel, au nom de quoi, en l'absence de violences établies, pourrait-on lui interdire de faire venir son mari ?
Si la commission des lois s'est opposée à cet amendement, c'est parce que l'on ne peut pas considérer comme une violence le fait qu'une jeune femme mineure résidant en France se soit mariée légalement dans son pays. C'est la stricte application du droit de son pays !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est comme les Françaises qui se sont mariées à seize ans avant que l'âge de la majorité ne passe à dix-huit ans ...
M. le président. L'amendement n° 34, présenté par Mmes Mathon, Borvo Cohen-Seat, Assassi, David, Luc et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un plan national d'action contre la violence à l'égard des femmes est mis en oeuvre pour la période 2005-2008.
Ce plan doit intégrer des actions visant à améliorer l'accueil, l'accompagnement et la protection des victimes, la formation des professionnels concernés, à éviter le classement sans suite des plaintes et à développer la prévention, notamment à l'intention des jeunes.
La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous discutons d'une loi qui ne doit pas être en décalage avec la réalité vécue par les femmes. Or, je crains, pour le moment, qu'elle ne le soit.
La souffrance liée aux violences a été relatée ici, mais cela ne peut traduire toute la souffrance physique que subissent les femmes et leurs enfants quand elle n'entraîne pas leur mort ...
Qui pourra dire que l'Etat ne peut pas faire ce que réalisent bénévolement des associations ? La question est-elle d'ordre réglementaire ? Est-elle d'ordre législatif ? Si nous en avons, toutes et tous, la volonté, quelque chose pourra changer dans la loi, laquelle doit être appliquée en termes tant de formation des personnels que de moyens financiers.
Je citerai l'exemple d'un département que je connais bien, le Val-de-Marne, pour illustrer ce qui reste à faire et ce qui manque dans la loi pour aller plus loin.
Le conseil général du Val-de-Marne a créé un observatoire de l'égalité et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Il accorde d'importantes subventions aux quatre associations qui jouent un rôle primordial en la matière et que, en ma qualité de présidente de cet observatoire, j'ai longuement écoutées avec mes collègues femmes et le président du conseil général. Le conseil général participe à la commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes, créée par M. le préfet du Val-de-Marne.
De son côté, le tribunal d'instance de Créteil a créé l'unité de consultation médico-judiciaire de Créteil, qui accueille, en liaison avec les comités locaux de sécurité, les femmes victimes de violences.
Les membres de la sous-commission « Suivi des plaintes et prise en charge judiciaire » proposent de mieux lier leur réflexion à celle du conseil départemental de prévention de la délinquance.
Des initiatives, relatives aux problèmes de la mixité, ont été prises, en un an, dans vingt-deux collèges, sous l'impulsion de M. l'inspecteur d'académie.
Un travail a été engagé avec l'ordre des médecins sur la question du secret professionnel, les praticiens souhaitant s'exprimer publiquement dans leur journal professionnel.
La question des mains courantes revient de façon récurrente dans les conversations. Les mains courantes sont en effet un moyen de suivre préventivement les victimes. Des instructions sont données dans les commissariats pour reprendre contact avec ces dernières après une main courante.
Le parquet des mineurs est lui-même en cours de réorganisation afin d'améliorer la prise en charge, par le secteur protection de l'enfance, des victimes de violences infligées dans le cadre familial.
Les magistrats du siège sont interpellés par l'article L. 220-1 du code civil, qui prévoit l'expulsion du mari violent du logement. Des questions se posent, madame la ministre, quant à l'intervention des forces de police pour expulser le mari et à l'endroit où le conduire. La prise en charge des auteurs de violences devient une question à laquelle il faut aussi apporter des réponses. Quelle prise en charge pénale prévoyez-vous ? J'ajoute que, depuis l'adoption de cette nouvelle disposition légale, aucune demande d'expulsion n'a été enregistrée dans le département du Val-de-Marne.
Des informations doivent donc être données aux préfets et aux parquets à cet égard.
En conclusion, je voudrais dire que, afin de prévenir la violence faite aux femmes et de lutter contre ce phénomène, il est essentiel d'élaborer et de mettre en oeuvre des politiques conçues dans un cadre global, en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés.
Ces politiques doivent être impulsées par un plan national d'action contre la violence à l'encontre des femmes. Ce plan serait le cadre idéal pour proposer des politiques cohérentes sur l'ensemble du territoire, en coordonnant l'action des différentes institutions, associations et professionnels concernés par la lutte contre les violences faites aux femmes.
Puisque le Gouvernement prend enfin conscience de l'urgence qu'il y a à combattre les violences faites aux femmes, il lui faut aujourd'hui prendre ses responsabilités et, dans le souci d'une plus grande efficacité, encadrer au niveau national la lutte contre ces violences.
C'est pourquoi il convient d'adopter notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Cet amendement vise à instituer un plan national d'action contre la violence à l'encontre des femmes. Or, la préoccupation tout à fait légitime exprimée dans ce texte apparaît satisfaite par le plan global de lutte contre les violences faites aux femmes que vous avez présenté, madame la ministre, lors du conseil des ministres du 24 novembre 2004. Pour la première fois, ce plan réunissait dans un ensemble cohérent les dispositions indispensables pour mieux répondre aux difficultés rencontrées par les femmes victimes de violences.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Ameline, ministre. Le Gouvernement n'a pas attendu le dépôt de cette proposition de loi pour s'engager résolument sur un terrain que Mme Luc connaît bien pour s'en occuper depuis longtemps. Je suis tout à fait au courant, madame, des expériences que vous avez citées, mais je confirme que le Gouvernement a élaboré un plan global pour l'autonomie, en dix mesures, plan qui est en cours d'application et dont je suis disposée à vous parler quand vous le souhaiterez : je suis en effet prête à rendre des comptes précis sur l'évaluation de ces dispositifs.
Toujours est-il que je ne vois ni comment ni à quel titre nous reviendrions sur un principe qui est déjà concrétisé et qui, comme en témoignent les exemples que je vous ai cités voilà quelques instants, se traduit déjà dans les faits par un certain nombre d'actions.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, pour explication de vote.
Mme Hélène Luc. Madame la ministre, j'ai sous les yeux l'article 220-1 du code civil, publié au Journal officiel du 27 mai 2004 et entré en vigueur le 1er janvier 2005.
Mais la question que je vous ai posée à propos de l'intervention des forces de police a été soulevée par M. le préfet. Tous les participants à la réunion du 7 mars dernier l'ont posée, parce qu'aucune solution n'est avancée.
Je sais bien, madame la ministre, que vous vous souciez de ce problème et qu'une campagne télévisée est organisée sur votre initiative. Nous nous en sommes d'ailleurs entretenues. Mais il faut reconnaître que nous sommes bien loin des mesures qu'il faudrait prendre pour changer les choses d'une manière radicale.
Toutes ces femmes qui vont voir les permanents des associations et les élus n'en peuvent plus. Le problème a été évoqué longuement au sein de la délégation aux droits des femmes. Il faut cesser de pousser les femmes à quitter leur domicile, avec leurs enfants, alors même que ce sont les maris les agresseurs.
M. Henri de Richemont, rapporteur. On est d'accord !
Mme Hélène Luc. Par conséquent, que faut-il prévoir pour accueillir ces hommes, qu'ils soient conjoints, concubins ou pacsés ?
Telle est bien la question : comment aller plus loin et plus vite ?
M. le président. L'amendement n° 36, présenté par Mmes Mathon, Borvo Cohen-Seat, Assassi, David, Luc et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Le ministère de l'Intérieur, dans son recensement des crimes et délits, édite des statistiques sexuées.
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Si nous disposons aujourd'hui d'éléments d'analyses, de renseignements et d'études sur les violences conjugales, c'est essentiellement grâce au travail des associations. Elles ont été les premières, en effet, à être confrontées à des femmes victimes de violences au sein de leur couple. Le travail de terrain effectué par ces associations nous a donc donné une première connaissance de ce phénomène, plus ou moins bonne, mais en tout cas perceptible.
Par ailleurs, c'est grâce à l'enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France que nous disposons de chiffres précis, alors que les statistiques de la justice et de la police n'en représentent qu'une infime proportion.
A l'heure actuelle, nous sommes confrontés au problème suivant en matière de recensement de ces violences : les associations ne sont pas en mesure - et ce n'est d'ailleurs pas leur rôle - de recenser à l'échelon national les victimes de violences selon leur sexe. Les statistiques éditées par le ministère de l'intérieur, dans son recensement des crimes et délits, ne sont pas sexuées. Il n'existe donc aucun instrument statistique national permettant de distinguer si la victime de violences, et plus spécifiquement de violences conjugales, est un homme ou une femme.
L'existence de statistiques sexuées est pourtant primordiale, en termes aussi bien de lutte contre ces violences, que de prévention de ces dernières.
De telles statistiques permettraient un réel dépistage des situations de violences et, par là même, la définition d'actions et de politiques publiques mieux adaptées, ainsi que de mesures de prévention plus appropriées qu'elles ne le sont aujourd'hui, parce que plus pertinentes. Elles donneraient également une idée plus juste de l'ampleur réelle du phénomène. La lutte n'en serait donc que plus efficace.
Je tiens tout de même à préciser que la délégation aux droits des femmes a émis cette recommandation dans son rapport sur la lutte contre les violences au sein des couples.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Cet amendement vise à faire établir par le ministère de l'intérieur des statistiques sexuées dans le recensement des crimes et délits.
Cette disposition appelle a priori des réserves dans la mesure où la proposition de loi traite de la violence au sein du couple en tant que tel, même si, à l'évidence, les femmes sont les premières victimes.
D'ores et déjà, le ministère de la justice détient des statistiques permettant de recenser les condamnations pour lesquelles la circonstance aggravante liée à l'état de concubin ou de conjoint a été retenue.
Cela étant, la commission s'en remet à la sagesse du Sénat et souhaite entendre l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Ameline, ministre. Je partage la première partie de l'argumentation développée par M. le rapporteur.
J'ajoute que le ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, qui est totalement sensibilisé à ce sujet, procède actuellement à la mise en place, au sein des services du ministère, d'un nouveau projet informatique de traitement des informations sur les infractions, lequel sera opérationnel avant la fin de l'année 2006.
Cette version beaucoup plus sophistiquée de l'outil statistique actuel s'inscrit tout à fait dans l'esprit des recommandations, que je tiens à saluer, de la délégation du Sénat aux droits des femmes.
Parallèlement, l'observatoire national de la délinquance doit introduire, à ma demande, l'analyse sexuée dans le domaine des violences.
J'ai également demandé à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, ou DREES, du ministère des solidarités, de la santé et de la famille, d'élaborer une étude « violence et santé » qui tiendra compte de ces critères.
Comme vous le voyez, là encore, le Gouvernement a d'ores et déjà engagé les travaux répondant à l'objet de cet amendement, en s'appuyant sur toutes les informations qui ont été exprimées tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale et les associations.
Par conséquent, considérant que cet amendement, qui ne relève d'ailleurs pas non plus du domaine législatif, n'a pas de raison d'être, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 36.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
Après l'article 132-79 du code pénal il est inséré un article 132-80 ainsi rédigé :
« Art. 132-80. - Dans les cas prévus par la loi, les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.
« La circonstance aggravante prévue au premier alinéa est également constituée lorsque les faits sont commis par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-80 du code pénal par les mots :
dans un délai de cinq ans suivant la date à laquelle le divorce est devenu définitif ou suivant la rupture du concubinage ou du pacte civil de solidarité
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai également l'amendement n° 2, l'amendement n° 1 étant un amendement de repli par rapport à ce dernier.
Le texte proposé pour l'article 132-80 du code pénal dispose, dans son premier alinéa, que, « dans les cas prévus par la loi, les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ».
Si cet alinéa nous paraît acceptable, le second l'est moins. Il maintient, en effet, la circonstance aggravante prévue au premier alinéa lorsque les faits sont commis non plus par le conjoint, mais pas l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.
Il nous semble que le maintien, sans condition de délai, de cette circonstance aggravante pose problème en créant en quelque sorte une indissolubilité du lien conjugal, du lien de concubinage, ou du pacte civil de solidarité. Cette disposition nous paraît peu opportune.
En effet, on peut imaginer l'hypothèse où un couple, qui a été pacsé pendant quelques semaines, serait confronté, dix ans, vingt ans ou quarante ans plus tard, à un différend n'ayant rien à voir avec son ancienne vie de couple, et se verrait néanmoins appliquer cette circonstance aggravante.
C'est la raison pour laquelle nous proposons d'assortir cette disposition d'une condition de délai,qui serait de cinq ans, avec l'amendement n° 1, et de cinq ans prorogés, « le cas échéant, jusqu'à la majorité du plus jeune enfant né de l'union du couple durant la période du mariage ou du concubinage ou du pacte civil de solidarité », avec l'amendement n° 2.
Nous estimons que les circonstances aggravantes auront suffisamment matière à s'appliquer dans des hypothèses où elles seront effectivement liées à la vie de couple.
M. le président. Le sous-amendement n° 26, présenté par M. Zocchetto, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par l'amendement n°1 pour compléter le second alinéa de cet article, remplacer le chiffre :
cinq
Par le chiffre :
sept
Ce sous-amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 2, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-80 du code pénal par les dispositions :
dans un délai de cinq ans suivant la date à laquelle le divorce est devenu définitif ou suivant la rupture du concubinage ou du pacte civil de solidarité. Ce délai est prorogé, le cas échéant, jusqu'à la majorité du plus jeune enfant né de l'union du couple durant la période du mariage ou du concubinage ou du pacte civil de solidarité.
Cet amendement a déjà été défendu.
Le sous-amendement n° 27, présenté par M. Zocchetto, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par l'amendement n°2 pour compléter le second alinéa de cet article, remplacer le chiffre :
cinq
Par le chiffre :
sept
Ce sous-amendement n'est pas soutenu.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements nos 1 et 2 ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Ce sujet a donné lieu à d'amples discussions au sein de la commission des lois.
Plusieurs magistrats ont rappelé, à l'occasion de leur audition par la commission, que les violences conjugales s'exerçaient en général dans les premiers temps de la rupture, et qu'il n'était donc pas souhaitable d'envisager de maintenir la circonstance aggravante éternellement.
J'ai proposé de limiter cette circonstance aggravante à cinq ans. La commission n'a pas retenu cette proposition et a préféré supprimer ce délai, mais elle s'est prononcée en faveur de l'amendement n° 2.
En effet, la disposition proposée est cohérente, puisque les violences conjugales sont généralement liées à la nécessité des membres des couples de se rencontrer pour des sujets tels que l'éducation des enfants ou le paiement de la pension alimentaire. On peut penser que, à la majorité des enfants, ces questions disparaissent et les raisons de violences diminuent. Par conséquent, si la circonstance aggravante est l'une des avancées de ce texte, son maintien pour une durée illimitée paraît excessif à la commission.
Par conséquent, en tant que rapporteur, j'indique que la commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 2 et défavorable sur l'amendement n° 1.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Ameline, ministre. Rien ne me paraît justifier de limiter dans le temps l'application de la circonstance aggravante. La violence reste toujours illégitime.
De même, aucune raison ne me semble devoir légitimer l'atténuation de la responsabilité de l'auteur, alors même que le comportement violent perdurerait.
Ce qui pose problème est par conséquent, me semble-t-il, non pas la durée du délai, mais son existence même. Dans ce domaine, il convient de faire confiance au juge qui apprécie ce type de situation.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Compte tenu de la rédaction de la commission, la circonstance aggravante est automatique et ne permet pas au juge de l'écarter.
C'est la raison pour laquelle, dans le cas où une violence interviendrait cinquante ans après la rupture, pour un motif n'ayant rien à voir avec l'ancienne vie commune, la circonstance aggravante s'appliquerait ipso facto. Cela nous paraît excessif. Pourquoi faut-il laisser cette circonstance aggravante perdurer alors que le juge n'a pas le pouvoir d'appréciation, compte tenu de la rédaction actuelle du texte ?
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je suis attaché à la logique juridique : ce qui importe, c'est de savoir si les violences perdurent, que ce soit dans le cas des conjoints ou des anciens conjoints.
Or il se trouve que, le soir même du jour où la commission avait décidé de ne pas fixer de délai, malgré les efforts remarquables de plaidoirie déployés par le rapporteur en faveur d'un délai de cinq ans, un homme a tué son ancienne épouse dont il était séparé et qu'il pourchassait de foyer en foyer depuis sept ans.
Mme Luc a évoqué tout à l'heure, à juste titre, les plaintes et les efforts qui devaient être faits pour assurer la protection des victimes.
En réalité, le problème tient au fait que les violences persistent. Il s'agit de savoir si l'on admet que la circonstance aggravante s'applique ou non aux anciens conjoints. Si elle s'applique, pourquoi fixer un délai ? Hélas, la haine et la violence peuvent durer plus de cinq ans.
Pour ma part, je comprends mal que les circonstances aggravantes ne s'appliquent plus après ce délai de cinq ans.
M. Lecerf a indiqué que cette situation est souvent liée aux enfants. En effet, un homme refusant catégoriquement le divorce demandé par son ex-épouse peut persécuter cette dernière pendant des années.
La logique juridique commande que la peine soit fixée en tenant compte des circonstances aggravantes.
Si cela n'a aucun lien avec le mariage, le juge n'en tiendra pas compte. L'exemple que vous avez pris, monsieur Lecerf, est quelque peu caricatural. Comment raisonnablement penser que, dans un couple pacsé pendant deux mois, l'un des deux commettrait un acte de violence envers son partenaire, alors qu'ils sont séparés depuis quarante ans ?
Pour ma part, j'ai cité un exemple concret. Il peut arriver que les violences durent plus de cinq ans.
Par conséquent, quels que soient les efforts consentis par notre collègue Jean-René Lecerf, nous ne devons pas accepter un délai. S'il n'y a plus de violences après les premières années, alors, progressivement, il n'y aura plus de crainte, et l'aggravation de la peine ne pourra être retenue. A partir du moment où l'on accepte l'aggravation de la peine pour les ex-conjoints, seules comptent les violences commises.
Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, que ce n'est pas parce que l'on a divorcé - la pérennité du lien est plus délicate s'agissant du PACS ou du concubinage - que les liens ont complètement disparu. Les liens affectifs peuvent encore exister. On le sait, certains divorces sont extrêmement conflictuels, et ils peuvent conduire certains êtres à faire preuve de violence.
L'aggravation de la peine étant l'un des éléments essentiels du texte que nous allons adopter, il serait dommage de prévoir une limite dans le temps.
M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour explication de vote sur l'amendement n° 1.
Mme Michèle André. Nous avons effectivement longuement débattu de cette question. Pour ma part, je soutiens la position de M. Hyest et de Mme la ministre. En effet, c'est le principe qui compte.
Même si le fait n'est pas commun, il n'est pas rare de voir un ex-conjoint poursuivre en permanence, avec toute son animosité, une femme qui l'a quitté au seul prétexte qu'elle l'a quitté, que la chose qu'elle était s'est dérobée et qu'il n'a plus de prise sur elle.
Comme les personnes que nous avons auditionnées l'ont indiqué, on peut parfois considérer que le moment difficile se concentre sur le temps de la rupture et sur l'éducation des enfants. Mais le problème lié à l'éducation des enfants est que l'on ne tient compte que de la majorité de l'enfant. Or, certains pères ont du mal à admettre que, à sa majorité, l'enfant n'est pas toujours pour autant autonome. Nous le savons tous, il faut continuer de payer une pension, de s'occuper de ce jeune adulte et de lui apporter des soins.
Je considère donc que nous devons nous en tenir à une position de principe. C'est une avancée considérable pour de nombreuses femmes ; ...
Mme Dominique Voynet. Tout à fait !
Mme Michèle André. ... elles seraient déçues que nous nous arrêtions à cette petite marche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. J'ai bien entendu les arguments avancés par M. Hyest et par Mme la ministre.
Toutefois, je veux dire que la plupart des violences à l'égard des femmes sont commises par des personnes qui ne sont ni conjoints, ni concubins, ni pacsés. Je pense notamment à l'amoureux déçu, celui qui a été rejeté et qui est généralement l'auteur des violences. Celui-là ne verra pas sa peine aggravée alors qu'il aura agressé, tué celle qui se refuse à lui. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Michelle Demessine. Ça n'existe plus !
Mme Dominique Voynet. C'est du cinéma !
M. Patrice Gélard. En revanche, l'ex-mari qui sera l'auteur de violences, certes impardonnables, verra sa peine aggravée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Le système ne me paraît donc pas suffisamment étayé juridiquement.
De surcroît, le mariage et le PACS - pour ce qui concerne le concubinage, c'est quelque peu différent - sont des contrats qui, à un moment donné, n'existent plus. Dans ces conditions, au-delà du contrat, comment maintenir des liens entre des personnes qui n'ont plus de liens contractuels ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas des liens, des violences !
M. Patrice Gélard. J'admets la possibilité de maintenir les circonstances aggravantes cinq ans après le divorce ou la rupture du concubinage ou du PACS, ou jusqu'à la majorité des enfants ; mais au-delà, les personnes sont des étrangers l'un envers l'autre.
Mme Gisèle Printz. Ah non !
Mme Michelle Demessine. Ce n'est pas vrai du point de vue juridique !
M. Patrice Gélard. Mais si ! Et nous créons une inégalité entre, d'une part, une personne mariée, un pacsé ou un concubin qui va commettre des violences à l'égard de sa conjointe et, d'autre part, une personne qui s'est fait des idées et va tuer celle qui se refuse à lui. Or les deux sont dans la même situation. A mon sens, cela constitue une inégalité de traitement.
En conséquence, je soutiens l'amendement de M. Lecerf.
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Je veux tout d'abord préciser que cet amendement dépasse les clivages politiques.
Je reprendrai les propos de M. Badinter, qui a donné, à mon avis, le meilleur exemple, en disant ceci : imaginons deux antiquaires qui ont été pacsés quelques semaines et qui, vingt ans, trente ans ou quarante ans plus tard, ont une dispute à l'occasion de la vente d'un objet qu'ils souhaiteraient tous deux pouvoir commercialiser.
A partir du moment où ils ont été pacsés, la circonstance aggravante pourra être invoquée alors même que cela n'a strictement rien à voir avec le couple qu'ils ont formé des années auparavant. Le législateur crée donc une rupture flagrante d'inégalité devant la loi.
Dans ce cas - et je rejoins là un peu les propos de M. le rapporteur -, si le juge pouvait au moins dire que la circonstance aggravante ne joue pas, ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il en tient compte !
M. Jean-René Lecerf. ... puisque le délit n'est nullement lié au couple qu'ils ont formé, ce serait un moindre mal.
Toutefois, le libellé du texte proposé pour l'article 132-80 du code pénal est tel que le juge est totalement enfermé par l'obligation de retenir les circonstances aggravantes : « La circonstance aggravante prévue au premier alinéa est également constituée lorsque les faits sont commis par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. »
Il s'agit donc bien là, je le répète, d'un problème de principe. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon. Monsieur Gélard, votre intervention me laisse à penser que vous allez défendre le crime passionnel.
M. Patrice Gélard. Mais non !
Mme Josiane Mathon. Cela y ressemble beaucoup !
Nous avons élargi la disposition aux ex-conjoints, aux ex-concubins et aux ex-pacsés. C'est un fait reconnu. Si l'on prévoit un délai, cela signifie que l'on ne les reconnaît plus comme tels, ou que l'on ne les reconnaît comme tels que pendant un certain temps.
Toutefois, les liens perdurent au-delà de la fin du mariage ou d'une vie commune ; la violence peut aller beaucoup plus loin. Il est donc nécessaire de protéger les femmes contre leur ex-conjoint qui va continuer de les poursuivre ; il est absurde de prévoir un délai, parce que cette situation peut durer très longtemps.
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Je retire l'amendement n° 1, monsieur le président. (Mmes Dominique Voynet et Gisèle Printz applaudissent.)
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Roland Courteau. Bravo !