5
NOMINATION D'UN MEMBRE D'UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
M. le président. Je rappelle que la commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Paul Girod membre du Haut conseil du secteur public.
6
Avenir de l'école
Suite de la discussion d'un projet de loi d'orientation déclaré d'urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Bodin, Assouline, Dauge, Guérini, Lagauche, Mélenchon, Repentin et Signé, Mme Tasca, M. Todeschini, Mme Voynet et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 179, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'avenir de l'école (n° 221, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, auteur de la motion.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'avenir de notre école, priorité de notre nation, mérite bien mieux qu'un débat faussé et tronqué. Oui, elle a besoin d'une réforme, monsieur le ministre, mais d'une réforme visant à pérenniser et non à détruire ce que toutes les lois sur l'école ont, depuis soixante ans, eu pour ambition : élever le niveau général et ouvrir à tous les enfants les portes du savoir.
Parce qu'il y a supercherie, mensonge, incohérence, démagogie, précipitation et danger, tant sur la forme que sur le fond de ce projet de loi, nous vous demandons de le retirer.
Je vais m'en expliquer dans un instant, mais je souhaite au préalable vous dire combien il me semble difficile de se prononcer sur ce texte.
En effet, nous ne pouvons débattre ici dans de bonnes conditions au regard du difficile contexte socio-économique actuel, mais surtout par respect du mandat qui est le nôtre.
Nous sommes, en tant que parlementaires et acteurs législatifs, les représentants de la nation, du peuple souverain et, dans cet hémicycle, nous sommes aussi souvent des élus locaux. Les lois que nous votons doivent répondre aux préoccupations des milliers de Français, jeunes ou moins jeunes, qui, depuis un an, manifestent régulièrement leur colère face au mépris dont ils sont victimes, crient leurs craintes et protestent contre la vision ultralibérale qui anime ce gouvernement aveugle et sourd.
M. le Premier ministre a eu un jour un propos malheureux, voire révélateur du diktat auquel obéit son équipe de ministres, d'ailleurs souvent rappelée à l'ordre par le Président de la République, devenu pour un temps le sage populiste du libéralisme gouvernemental.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est un facteur d'équilibre !
M. Jean-Marc Todeschini. « Ce n'est pas la rue qui gouverne ! » avait lancé le Premier ministre. Or la rue est dans son droit, celui d'alerter, de demander qu'on se préoccupe d'elle.
Ce gouvernement n'a pas le monopole de l'intelligence, de la détermination de ce qui est bon ou mauvais. Un gouvernement responsable présente, dans un climat de confiance et de concertation, des réformes dont l'objet est d'améliorer le quotidien des citoyens en favorisant l'égalité des chances et la solidarité.
Après avoir exclu la rue de la politique au sens premier du terme, c'est-à-dire de la gestion de la Cité, vous portez atteinte au Parlement, dont vous mésestimez le rôle, jusqu'à faire fi, j'ose le dire, de son existence. Ces propos ne sont pas gratuits ; ils sont, malheureusement, tout à fait justifiés.
Depuis le week-end dernier, en effet, dans l'ensemble de la presse quotidienne, nous voyons défiler des pages de publicité annonçant la loi et ses grandes lignes de façon subliminale, en évoquant simplement de bonnes intentions. Or il me semble que nous sommes réunis ici pour en discuter. De qui se moque-t-on, monsieur le ministre ?
Ces raisons motivent par conséquent notre question préalable, qui trouve aussi son sens au regard de la forme et du fond du projet de loi.
J'évoquerai tout d'abord sa forme.
Vous avez déclaré l'urgence sur ce texte au seul motif qu'il fallait couper court à la pression de la rue, au désaveu que suscite votre réforme et que vous témoigne toute la communauté éducative. Vous aurez beau dire le contraire, personne n'est dupe, même pas votre majorité ! C'est en tout cas ce qui ressort des débats à l'Assemblée nationale.
Bien que ce désaveu soit flagrant, vous le considérez avec un dédain certain. C'est la preuve de ce que nous dénoncions depuis longtemps : les débats sur l'avenir de notre école n'étaient qu'un trompe-l'oeil destiné à masquer la vision libérale et rétrograde du Gouvernement sur notre système éducatif. Il s'agissait d'une caution ! Autant de débats, d'énergie dépensée réduits à néant, balayés d'un revers de main ; un rapport et des avis ignorés.
Le rapport Thélot devait annoncer la loi d'orientation. Il n'est pas pris en compte dans votre projet de loi. Pourtant, il présentait les deux défis que l'école doit relever.
Le premier concerne le passage de la massification à la démocratisation de l'enseignement. Après l'égal accès à l'enseignement, il faut, en effet, offrir aux jeunes une égalité réelle des chances de réussite.
Le second défi est le renouvellement de près de la moitié des enseignants dans les dix ans qui viennent, renouvellement qui pose de manière urgente la question du recrutement et de la formation de milliers de nouveaux enseignants.
Ces deux défis sont ignorés. Et qu'on ne nous réponde pas que nous n'avons pas lu le projet de loi ! Celui-ci n'est qu'un tissu de bonnes intentions, aucun moyen n'est consacré à leur concrétisation.
De plus, ce projet de loi ignore le rapport Thélot dans la mesure où, à aucun moment, il ne lie inégalités sociales et échec scolaire. De même, il ne comporte rien s'agissant du délicat passage du second degré à l'enseignement supérieur. Comment, dès lors, faire en sorte que la moitié d'une classe d'âge accède aux diplômes de l'enseignement supérieur, alors même que le taux d'échec au DEUG est, on le sait, supérieur à 45 % ?
Des avis ignorés, les compétences de certains spécialistes et professionnels des questions éducatives remises en cause : le Conseil supérieur de l'éducation s'est majoritairement prononcé contre ce texte.
Qu'importe son avis, n'est-ce pas monsieur le ministre ? C'est vous qui décidez seul ! Pis encore, comme ce n'est pas très gentil de s'opposer à vous, il sera sanctionné ! Car sanction il y a bien, avec contrôle politique en arrière-plan.
Vous allez mettre en place une sorte d'autorité administrative indépendante qui sera compétente pour se prononcer, à votre demande, dans les domaines de la pédagogie, des programmes, de l'évaluation des connaissances des élèves, de l'organisation et des résultats du système éducatif, et de la formation des enseignants. Il s'agit du Haut conseil de l'éducation, destiné à se substituer à deux instances actuelles : le Haut conseil de l'évaluation de l'école et le Conseil national des programmes.
Ces deux instances étaient composées de personnalités qualifiées, enseignants et chercheurs, et de représentants des acteurs, partenaires et usagers de l'école que sont les syndicats, les associations de parents d'élèves et les élus.
Voilà cinquante-six personnes à la riche expérience qui vont se voir remerciées de leur travail en étant remplacées par neuf autres. Il s'agira - cela va de soi ! - d'experts, qui seront « indépendants et d'une grande neutralité » puisqu'ils seront désignés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale...
Par cette composition contestable, vous orchestrez une véritable reprise en main politique des outils d'évaluation de notre système éducatif et de mise en oeuvre des politiques éducatives.
De surcroît, devant la dilution des missions de ce Haut conseil de l'éducation, on peut dire que ce dernier risque fort d'être poussé à l'inactivité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Et si tant est qu'il puisse être actif, il ne pourra guère être impartial, car vous consacrez ici un principe que le droit interdit : ce Haut conseil sera juge et partie ; il va évaluer lui-même l'application des programmes qu'il déterminera !
Par la création de ce nouvel organe, vous faites peser le discrédit sur le travail mené par une partie de la communauté éducative. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Et que dire de l'autre partie, celle que vous méprisez : les parents, les élèves, les élus, les enseignants ?
Aux parents vous refusez la coresponsabilité éducative qu'ils demandent. Ces parents qui manifestent occupent bon nombre d'établissements scolaires - c'est le cas notamment dans mon département où ils squattent nuit et jour collèges et lycées pour en refuser la fermeture.
Les élèves, quant à eux, veulent avoir les mêmes chances quels que soient leur lycée et le quartier dans lequel ils vivent. La seule réponse que vous apportez à l'inquiétude de ces jeunes pour leur avenir, c'est l'éternel procès en manipulation. Qui, monsieur le ministre, pourrait parvenir à manipuler près de 165 000 lycéens pour qu'ils battent le pavé ? Ils n'obéissent qu'à eux-mêmes et à leur intelligence ! (Applaudissements sur les mêmes travées.) Ils ne sont dupes de rien. Ils se préoccupent de leur devenir, et c'est heureux ! Ils sont responsables. Ce qui vous gêne c'est qu'ils vous le prouvent depuis plusieurs semaines, et hier encore.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. De moins en moins !
M. Jean-Marc Todeschini. Soyez aussi responsable qu'eux en retirant votre projet de loi !
Les élus fournissent depuis vingt ans, dans leurs collectivités, des efforts financiers pour le fonctionnement du système éducatif. Ces collectivités ont souvent compensé - et de façon efficace - les défaillances, voire le retrait de l'Etat. Aujourd'hui, alors qu'elles ont investi massivement dans leurs écoles élémentaires, collèges et lycées, vous fermez des filières et des établissements.
Quant aux enseignants, ils sont devenus vos souffre-douleur. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Vous aviez commencé avec la réforme des retraites, vous enfoncez maintenant le clou avec la suppression de milliers de postes. Pis encore, vous avez une fâcheuse tendance à les taxer d'immobilisme !
Que dire de la date de publication du rapport de la Cour des comptes qui, sans aucune information précise quant aux tâches réelles de la plupart des enseignants concernés, jette ceux-ci en pâture à l'opinion publique, en laissant supposer que nombre d'entre eux seraient payés à ne rien faire ?
Salissez, salissez, il en restera toujours quelque chose... Même si le président de la Cour des comptes s'est senti obligé d'intervenir après les commentaires qui ont été repris en boucle par les médias !
Dites-le clairement ! Votre majorité s'efforce de le dire à demi-mot : elle n'aime pas les enseignants, en général. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Contre-vérité !
M. Jean-Marc Todeschini. Votre projet de loi méprise ainsi la communauté éducative et va même au-delà : il méprise la Constitution. Plusieurs des dispositions qu'il comportait avant son examen à l'Assemblée nationale étaient inconstitutionnelles. Votre propre majorité, monsieur le ministre, vous a alerté sur le caractère réglementaire de certaines mesures et sur les risques d'inconstitutionnalité qu'elles encouraient.
C'est dire combien votre projet est dangereux, et défaillant ! Vous avez déposé de nombreux amendements pour faire basculer ces mesures dans un rapport annexé de trente-cinq pages qui accompagne le texte soumis au Sénat.
A quoi rime ce catalogue où figurent orientations et objectifs sur de très nombreux aspects de la politique éducative, telle la proportion de filles dans les séries scientifiques, d'enfants de familles défavorisées accédant au baccalauréat, d'apprentis dans les lycées professionnels, par exemple ?
Ces objectifs ne représentent pas le coeur de votre projet, ce que nous regrettons. En les reléguant au second plan, en les inscrivant dans une annexe qui n'a aucune valeur normative, aucune force de loi, vous nous prouvez que l'école n'est pas pour vous une priorité. Vous nous révélez ainsi votre vraie vision de l'école !
Vous nous confirmez ce que nous savions et dénoncions depuis trois ans. Vous aurez beau essayer de nous convaincre du contraire, les faits sont là, monsieur le ministre.
Éventuellement, en faisant d'énormes efforts, nous aurions pu vous croire si ce texte n'arrivait pas après que vous eûtes orchestré le plus grand et le plus long plan social jamais connu. En trois ans, ce sont près de 90 000 postes qui ont été supprimés : enseignants, aides éducateurs, surveillants, et j'en passe !
Votre priorité, c'est la casse du service public de l'éducation.
M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ne craignez-vous pas d'être excessif ?
M. René-Pierre Signé. C'est très sévère !
M. Jean-Marc Todeschini. Vos discours sont charmeurs et démagogiques. Sur le terrain, en effet, des réformes sont menées parallèlement à nos débats ; j'y reviendrai.
Votre projet de loi est bel et bien mensonger. Il est aisé de s'en rendre compte : il suffit de feuilleter les pages du texte, à la recherche des moyens financiers qu'il consacre à la bonne application des mesures qu'il comporte. Rien, absolument rien ! On ne trouve guère que quelques éléments de programmation disparates, ajoutés par voie d'amendements parlementaires, et qui ne lient pas le Gouvernement puisqu'ils figurent dans le rapport annexé.
Néanmoins, vous avez avoué, en d'autres lieux, que le financement de cette coquille vide nécessiterait 2 milliards d'euros. Ce serait plutôt le double, monsieur le ministre ! D'où proviennent ces 2 milliards, car la loi de finances pour 2005 ne contient pas même un centime d'euro à ce titre ?
Faute de moyens garantis, votre projet est voué à l'échec, et l'école est bien loin de pouvoir répondre à de nouveaux défis. Il convient donc de retirer ce texte.
M. Christian Demuynck. C'est affligeant !
M. Jean-Marc Todeschini. Cette absence de moyens, ces objectifs relégués au second plan, sans réelle valeur, témoignent de votre vision libérale de l'école, de votre conception même du droit à l'éducation.
M. Christian Demuynck. Quelle tristesse ! C'est lamentable !
M. Jean-Marc Todeschini. Or le droit à l'éducation est un droit universel, garanti à chacun, bon ou mauvais, quelle que soit son origine sociale. Mais, dans votre projet de loi, vous le conditionnez à la réussite des élèves, et dans le même temps vous supprimez les travaux personnels encadrés, alors qu'ils sont considérés comme une innovation majeure pour faire réussir le plus grand nombre. C'est illogique et inacceptable !
Vous faites peser sur les élèves la responsabilité de leur échec, en ajoutant aux inégalités sociales des inégalités scolaires. Tout le monde sait que la majorité des élèves en échec scolaire est issue de milieux défavorisés.
M. Christian Demuynck. Pas tous !
M. Jean-Marc Todeschini. Avec cette conception intolérable, vous allez exclure du droit à l'éducation près d'un million d'enfants vivant sous le seuil de pauvreté. L'école ne peut résorber à elle seule les inégalités sociales, mais elle peut fortement contribuer à les réduire. Ce n'est pas en tout cas le chemin que vous avez choisi.
M. Jean-Marc Todeschini. Non, ce n'est pas le chemin que vous avez choisi, car, dans ce projet de loi, vous subordonnez l'orientation des élèves aux besoins prévisibles de la société et de l'économie. C'est la demande économique qui régulera l'offre de formation ! C'est intolérable ! Votre vision de l'école est bien libérale ; elle tend vers la marchandisation de notre système éducatif. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Nous la refusons violemment.
Vous contestez ces propos certainement parce que leur véracité vous gêne, vous dérange !
Pour vous, cette loi est nécessaire et elle est riche. Riche, oui, mais en carences et en supercherie.
Riche en carences : elle est muette sur les ZEP, la poursuite d'une politique d'éducation prioritaire n'étant guère mentionnée que dans un paragraphe de l'annexe, dépourvue de valeur législative.
Rien non plus sur l'intégration, la réduction des inégalités, le suivi personnalisé des élèves en difficulté, la démocratisation de l'accès aux qualifications.
Rien sur le lien entre l'école élémentaire et le collège, entre le collège et le lycée, entre enseignement scolaire et enseignement supérieur.
Rien sur la scolarisation à deux ans. Vous renoncez à cette scolarisation alors qu'il est pourtant largement démontré que, même si ce n'est pas la panacée, une scolarisation précoce, dès l'âge de deux ou trois ans, représente un atout supplémentaire pour la réussite scolaire dans certains milieux.
Rien sur la formation des enseignants, si ce n'est quelques articles qui réforment le seul fonctionnement des IUFM, lesquels seront désormais assimilés à des universités et intégrés, dans chaque académie, à une seule université. Quid de leur autonomie financière et pédagogique ? Quid de la professionnalisation de la formation ? Je souhaite me tromper, mais je pense qu'avec votre projet de loi la formation initiale et continue des enseignants du premier degré sera l'objet d'une régression sans précédent. Je n'ose même pas évoquer celle des professeurs du second degré tant votre projet fait l'unanimité contre lui sur ce point.
Riche en supercheries, car, d'un côté, vous charmez par vos discours de façade mensongers et, de l'autre, vous menez des réformes parallèles qui sont aux antipodes de vos paroles.
Sur le terrain, l'application de votre budget pour 2005 fait fureur. Les décisions de fermetures de classes et de suppressions de filières d'enseignement professionnel ainsi que de postes d'enseignants tombent comme à Gravelotte. La liste s'allonge !
Comme l'a dit Ivan Renar,...
M. Christian Demuynck. Ce n'est pas une référence !
M. Jean-Marc Todeschini. ... les académies qui connaissent des situations économiques difficiles en termes d'emploi et de réindustrialisation sont les plus grandes perdantes, à l'image de celles de Lille et de Nancy-Metz. Même les académies qui enregistrent une croissance démographique sont également victimes d'une hémorragie de postes.
Après toutes les suppressions de postes non directement visibles, aujourd'hui, monsieur le ministre, pour fermer une classe, le nombre des enfants de deux ans n'est même plus pris en compte dans les effectifs, et ce sans aucune concertation avec les élus locaux, contrairement à la volonté que vous avez exprimée devant nous de vouloir agir avec eux.
MM. Henri de Raincourt et Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, son temps de parole est épuisé !
M. Jean-Marc Todeschini. Vous vous défaussez de vos responsabilités, en envoyant au charbon et en première ligne recteurs et inspecteurs d'académie pour assumer la maîtrise d'oeuvre de ce grand chantier de démolition. Ils se sentent jugés et sont « à cran ». Votre vision est loin d'être partagée par certains d'entre eux,...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Je conclus, monsieur le président.
...car ils ne disposent plus de moyens suffisants pour accomplir correctement leurs missions.
Début mars, Mme la rectrice de l'académie de Toulouse, dont je salue le courage et l'éthique professionnelle, a démissionné en s'expliquant ainsi : « La raison de ma démission réside, aujourd'hui, dans la difficulté de plus en plus certaine à assurer une continuité dans le discours pédagogique que j'ai porté... et dans la capacité à affirmer une cohérence entre des ambitions affichées et des actes posés concrètement. »
La coupe est pleine, monsieur le ministre, et personne n'est dupe : vos discours enjôleurs sont bien loin des réalités du terrain ; votre projet de loi est une supercherie permettant de vous donner bonne conscience.
L'image que vous voulez donner à la France est à l'image de la société que vous préparez avec le gouvernement Raffarin, fondée sur l'individualisme, la compétition, la concurrence et la marchandisation. Tout y passe, même notre école !
L'école de la République mérite mieux que cette réforme tronquée, examinée dans la précipitation, sans le moindre respect envers les partenaires sociaux, la communauté éducative et la représentation nationale. Cette réforme ébranle les fondations de notre école, celles-là même qui en ont fait sa renommée, son histoire, son héritage.
Face au danger que fait courir ce projet de loi, mes chers collègues, nous vous demandons de voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.- Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Henri de Raincourt. Que de modération dans ce discours ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Les auteurs de cette motion avancent trois motifs qui sont, à mon sens, très contestables.
Tout d'abord, ils considèrent qu'une partie de la réforme a été retirée par le Gouvernement. Or cela ne concernait que certaines dispositions du rapport annexé relatives au baccalauréat.
Ensuite, ils estiment qu'une grande partie des dispositions du projet de loi revêt un caractère réglementaire. Certes, le champ législatif en matière d'éducation est relativement restreint, mais il était important que le Parlement soit saisi du dossier à travers ce projet de loi.
De plus, sans vouloir être cruel, je soulignerai que nombre des amendements que la commission a examinés ce matin relèvent eux-mêmes du domaine réglementaire.
Enfin, les auteurs de la motion affirment qu'aucun financement n'est prévu pour l'année 2005. Il n'aura échappé à personne que le budget pour 2005 a déjà été adopté.
M. David Assouline. Il faut un collectif budgétaire !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Toutefois, les éléments de programmation introduits dans le rapport annexé traduisent de façon visible l'engagement pris par le Gouvernement à partir de 2006. Par conséquent, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, l'efficacité des mesures sera perceptible dès la rentrée 2006.
Pour conclure, monsieur Todeschini, vous avez affirmé que nous n'aimions pas les enseignants. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
MM. Jean-Marc Todeschini et David Assouline. C'est vrai !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Non, cela est faux ! Monsieur Todeschini, vous n'avez pas le monopole de l'estime pour les enseignants. L'estime que nous leur portons est au moins égale à la vôtre et elle est sûrement moins intéressée ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. Cela vous gêne !
M. David Assouline. Vous avez été critiqués par les jeunes et par les enseignants !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. David Assouline. Vous n'aimez ni les jeunes, ni les enseignants !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. René-Pierre Signé. Vous n'aimez pas les fonctionnaires en général !
M. François Fillon, ministre. Je me contenterai de répondre, si M. Signé veut bien me laisser m'exprimer,...
M. Josselin de Rohan. C'est beaucoup lui demander !
M. François Fillon, ministre. ... aux arguments juridiques invoqués pour justifier cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. Henri de Raincourt. Le reste n'a pas d'intérêt !
M. François Fillon, ministre. On voudrait, à travers cette question préalable, faire croire que le présent projet de loi rassemble des dispositions dépourvues de portée normative et des dispositions qui auraient pu être prises par décret. Si tel était le cas, pour quelles raisons le parti de l'opposition à toute idée de réforme en la matière mobiliserait-il tant d'énergies pour y faire obstacle ?
En réalité, loin d'être une « coquille vide », ce texte traduit pleinement l'ambition du Gouvernement de dépasser les corporatismes les plus hostiles au changement, pour mettre en place les instruments qui permettront d'assurer une meilleure réussite des élèves dans une école plus juste, plus efficace et plus ouverte.
Personne ne peut de bonne foi reprocher au projet de loi d'être dépourvu de caractère législatif, car, pour l'essentiel, il rassemble des dispositions qui modifient la partie législative du code de l'éducation. Or je rappelle que celle-ci, adoptée par une ordonnance du 15 juin 2000, a été ratifiée par la loi du 14 avril 2003, qui a consacré la valeur législative de ces dispositions.
L'opposition voudrait nous faire croire aujourd'hui que ces articles de loi, dont elle n'a jamais contesté la valeur législative tant qu'ils codifiaient à droit constant les dispositions de la loi du 10 juillet 1989, ne pourraient pas être modifiés par la loi. Ce n'est pas sérieux ! Il suffit d'ailleurs de passer rapidement en revue les articles du projet de loi pour s'en convaincre.
Quant au rapport annexé, il s'agit d'une technique législative qu'on critique d'autant plus facilement qu'on n'est pas d'accord avec les orientations qu'elle fixe. Or une telle technique n'est pas nouvelle : la loi du 10 juillet 1989 approuvait un rapport annexé, celui-là même qui plaçait l'élève au centre du système. Je ne vois pas quel changement constitutionnel intervenu depuis lors justifierait que ce qui était possible sous le gouvernement de M. Jospin ne le serait plus aujourd'hui !
M. Henri de Raincourt. C'est un mystère !
M. David Assouline. Ce n'était pas une réforme !
M. François Fillon, ministre. Le groupe socialiste voudrait nous faire croire que le Parlement se trouve finalement dessaisi de ses droits, à savoir approuver par le vote de la loi les orientations générales guidant l'action de l'Etat dans un domaine majeur comme celui de l'éducation nationale.
Pourtant, comme vous le savez, il existe des lois d'orientation depuis 1963, année de la première loi d'orientation agricole sous la Ve République.
L'Assemblée nationale a souhaité ajouter au projet initial des dispositions de programmation. Cet ensemble d'objectifs, désormais largement quantifiés, nous rattache clairement à la catégorie des lois de programme explicitement prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution. Cet alinéa permet d'associer dans un même texte des dispositions législatives classiques et l'énoncé d'objectifs qui sont de nature à orienter durablement l'action du Gouvernement et, en l'espèce, de l'ensemble des personnes qui oeuvrent pour l'éducation nationale, premier des services publics, celui qui commande non seulement l'avenir individuel des Français, mais aussi notre capacité collective de répondre aux grands enjeux économiques et sociaux.
Les éléments de programmation ne préjugent certes pas des décisions budgétaires à venir. Leur place dans le rapport annexé ne vaut d'ailleurs pas engagement au même titre que la loi de finances.
Mme Hélène Luc. Comment ferez-vous, alors, s'il n'y a pas d'engagement financier ?
M. François Fillon, ministre. J'y vois cependant la matérialisation des objectifs qui vous sont proposés. Ils expriment un engagement politique fort du Gouvernement et de la majorité, qu'il nous reviendra de traduire en actes aussi bien dans la loi de finances annuelle qu'au travers des mesures réglementaires et de gestion qu'appellera la mise en oeuvre de la loi.
Pour terminer, je voudrais présenter toutes mes excuses à M. Renar. J'ai dit tout à l'heure que son exposé était un peu excessif et ne concernait pas vraiment le texte que je vous soumets. A l'évidence, après l'exposé que nous venons d'entendre, celui de M. Renar apparaît...
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Nuancé !
M. François Fillon, ministre. ... très mesuré et très nuancé ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) Il avait en outre au moins l'avantage de contenir quelques propositions.
Mme Hélène Luc. A la fin du débat, vous reconnaîtrez que nous avons raison !
M. François Fillon, ministre. En vérité, depuis plus de sept heures que cette discussion est engagée, nous n'avons entendu aucune proposition sérieuse de la part du parti socialiste, et l'intervention de M. Todeschini n'était qu'une suite d'invectives et d'insultes à l'égard du Gouvernement et de la majorité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. François Fillon, ministre. Permettez-moi, monsieur Todeschini, de vous rappeler ce qu'écrivait Aragon : « Il ne suffit pas de dire non, encore faut-il proposer quelque chose. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. David Assouline. C'est ce que nous ferons avec nos amendements !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 179, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 117 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 159 |
Pour l'adoption | 120 |
Contre | 196 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme David, MM. Renar, Ralite, Voguet et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 171, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires culturelles, le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, adopté à l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence (n° 221, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Jean-François Voguet, auteur de la motion.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous ici, l'école, l'avenir de nos enfants et de notre jeunesse sont des sujets de préoccupation majeurs pour nos concitoyens. Leurs craintes et leurs exigences sont toujours très fortes, car chacun a bien conscience que c'est au sein de notre école que se joue largement la vie future de cette génération en devenir.
Nous savons que chaque parent investit une part importante de lui-même dans son enfant, avec une volonté farouche de dépassement, pour que sa progéniture vive mieux que lui, qu'elle ait une appréhension élargie du monde, qu'elle profite d'un bagage culturel plus important que lui.
A travers cet investissement, le parent, le citoyen, tente de s'affranchir de ses propres ignorances et des ségrégations dont il a pu être la victime.
Cette espérance est partagée par tous les membres de notre société. C'est un élément fondateur du pacte républicain qui nous rassemble, du pacte social qui nous unit.
Ainsi, cette volonté commune s'exprime dans notre Etat républicain, en faisant de l'éducation nationale une priorité, un pilier essentiel, pour fonder l'égalité entre les citoyens.
De ce fait, quand le législateur décide de se pencher sur cette importante question, il doit s'entourer des avis à la fois les plus divers et les plus autorisés. Il doit se mettre en position d'écoute, ce qui signifie qu'il lui faut entendre toutes les opinions et ne pas en rester à ses propres options.
Le sujet est trop grave pour devenir l'enjeu d'un combat idéologique dévastateur. Avec une telle attitude, c'est tout l'édifice de concertation qui s'effondre, pour ne laisser place qu'à la colère et à l'opposition de ceux qui ont été écoutés, sans doute, mais qui n'ont pas été entendus.
Et pourtant, nous en sommes là !
Après des mois de consultation, vous devez faire face, monsieur le ministre, à un vaste mouvement de protestation, que vous tentez de prendre de vitesse et de réduire en choisissant la pire des solutions : l'épreuve de force.
Ainsi, c'est au cours de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale que vous avez déclaré l'urgence, afin d'en permettre l'application dès la rentrée prochaine. Cet aspect vous aurait-il donc échappé au moment où vous avez déposé ce projet de loi ?
Non ! Vous avez déclaré l'urgence pour tenter de faire passer votre texte avant que la protestation ne se développe. Votre crainte est même si grande que vous avez accéléré son dépôt sur le bureau du Sénat, au risque de dévaluer la mission de notre assemblée.
Le refus d'entendre un autre avis, l'urgence que vous avez déclarée et l'accélération de nos travaux que vous avez exigée m'amènent naturellement, au nom de mon groupe, à demander le renvoi de ce texte à la commission, de manière que nous puissions travailler sérieusement.
La sagesse sénatoriale, reconnue et acceptée par tous, est indissociable d'un certain temps de réflexion et il aurait donc fallu que nous prenions du temps pour examiner un tel projet de loi.
En effet, sur un sujet aussi important, la commission des affaires culturelles - ce n'est pas votre faute, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission - n'a mené que vingt-six auditions.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Cinquante !
M. Jean-François Voguet. Alors que bon nombre de lycéens sont descendus dans la rue, nous n'avons reçu aucun de leurs représentants.
Nous nous apprêtons à réformer les IUFM et à les rattacher aux universités. Or nous n'avons reçu aucun directeur d'IUFM ni aucun président d'université !
Par ailleurs, ce projet de loi vise notamment à supprimer le Conseil national des programmes et le Haut conseil d'évaluation de l'école. Or nous n'avons entendu aucun membre de ces organismes ! J'ai pourtant en mémoire des rapports, en particulier de ce Haut conseil, sur les raisons de l'échec scolaire au collège et sur les redoublements, rapports dont les conclusions auraient été intéressantes pour la commission. Serait-ce parce que ces avis ne correspondaient pas à ceux qui sous-tendent ce projet de loi qu'on n'a pas jugé nécessaire de les soumettre à notre réflexion ?
C'est sans doute pour les mêmes raisons que nous n'avons reçu aucun membre du Conseil supérieur de l'éducation ni du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. En effet, ces deux prestigieux organismes ont émis des avis négatifs sur cette réforme.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par ces quelques exemples, je crois avoir fait la démonstration, certes rapide, que le travail en commission est loin d'être terminé : c'est la deuxième raison qui motive notre demande de renvoi.
Par ailleurs, permettez au nouveau sénateur que je suis d'exprimer son étonnement devant les conclusions de notre commission. En effet, toutes les personnes que nous avons reçues ont fait part de leurs craintes, pour le moins, devant les réformes proposées, certaines formulant leurs critiques, voire leur rejet du texte. Aucune ne semble avoir été entendue. J'avoue ne pas comprendre !
En tant que maire, je puis vous dire que, si l'autorité municipale agissait de la sorte, n'écoutant pas les avis émis par les représentants de la population et même, parfois, de l'opposition, la contestation, dans nos communes, serait permanente.
Je sais que, dans cette assemblée, siègent bon nombre de maires. Pourquoi, dès lors, n'avons-nous pas, ici, la même attitude et la même écoute que dans nos villes ?
Monsieur le ministre, en déclarant l'urgence sur ce texte, vous avez, d'une certaine façon, reconnu que notre éducation nationale était malade et qu'il était nécessaire de prendre rapidement des décisions.
Oui, des mesures d'urgence s'imposent ! C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de retirer votre projet de loi, afin de le remettre sur le métier. En attendant, nous pourrions voter un collectif budgétaire, afin de redonner à l'éducation nationale, dès la prochaine rentrée, tous les moyens que, depuis deux ans, elle a perdus.
En prenant une telle décision, vous donneriez à toute la communauté éducative le signe de votre mobilisation en faveur d'une réforme en profondeur, que beaucoup attendent et dont notre pays, vous le savez, a besoin. Je parle non pas d'une réforme à la va-vite et sans moyens, mais d'une réforme ambitieuse, que nous sommes tous prêts à soutenir.
Comme l'écrivait Montesquieu, « pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux ». Or, depuis des semaines, la protestation grandit contre les mesures que vous soutenez. Toutes les organisations représentatives de la communauté éducative - et vous savez combien une telle unanimité est rare - vous ont dit leurs craintes, voire leur opposition sur tel ou tel aspect de votre réforme.
Vous leur répondez que vous êtes sensible à leurs remarques, mais vous ne bougez pas d'un pouce, vous ne modifiez en rien votre projet de loi, vous restez sourd aux inquiétudes qui s'expriment.
C'est à cause de votre attitude que l'ensemble de votre texte est aujourd'hui remis en cause.
Certes, devant la protestation grandissante, vous avez déclaré que la réforme du baccalauréat était repoussée, ce dont je vous donne acte. Cela étant, vous maintenez dans votre projet de loi tous les éléments qui permettront finalement de mettre en oeuvre cette réforme. Grâce à l'effet d'annonce que constitue le retrait de la réforme du baccalauréat, vous espériez sans doute masquer le fait que vous l'aviez déjà transformé. En effet, en supprimant les TPE, ce sont les conditions de préparation, de passage et, donc, d'obtention de ce diplôme qui sont d'ores et déjà modifiées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi pose un réel problème de lisibilité quant à ses objectifs. En effet, l'exposé des motifs et les ambitions affichées sont en total décalage par rapport au projet de loi lui-même.
En regard de l'ambition de réussite pour tous, sont proposées des exigences réduites et rabougries pour le plus grand nombre, fondées sur une sélection sociale renforcée et sur une sélection par l'échec qui ne dit pas son nom et dont la responsabilité est rejetée, le cas échéant, sur l'élève et sa famille, en dédouanant l'institution républicaine.
Certes, nous savons bien que, à Lisbonne, il a été décidé d'« optimiser », et non d'augmenter, les moyens donnés pour l'éducation et la formation. Mais vous savez bien que, en réduisant les moyens accordés à l'éducation nationale, vous diminuez les chances de réussite des élèves les plus en difficulté et vous prenez un risque certain pour le plus grand nombre.
Votre seul espoir, c'est que le plus grand nombre dispose, comme le souhaite le MEDEF, des compétences minimales nécessaires à son « employabilité », dans des emplois précaires, peu qualifiés et faiblement rémunérés. Autrement dit, les conséquences pourraient être dévastatrices.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, au nom du groupe CRC, étant entendu que le retrait pur et simple de ce texte serait la meilleure solution, de le renvoyer à la commission afin que celle-ci en fasse une étude plus approfondie et plus sérieuse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce projet de loi est l'aboutissement du grand débat national souhaité par le Président de la République, qui a mobilisé plus d'un million de nos concitoyens au cours des 26 000 réunions qui se sont tenues sur l'ensemble du territoire, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des établissements.
Mme Hélène Luc. Cela n'empêche pas le débat dans les assemblées !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. La commission Thélot en a fait la synthèse dans le Miroir du débat, tout en poursuivant la consultation. A partir de ces travaux, le Gouvernement a préparé un projet qui répond aujourd'hui à de fortes attentes.
Selon un sondage de l'institut CSA rendu public la semaine dernière, 71 % du grand public, 74 % des parents d'élèves et 86 % des enseignants estiment que le système éducatif doit être réformé.
Par ailleurs, je vous rappelle que notre commission a procédé à près de cinquante auditions : vingt-six ont été menées par la commission elle-même et vingt-quatre par M. le président Valade et moi-même. Vous trouverez d'ailleurs dans le rapport la liste de toutes les personnes auditionnées.
Ce travail nous a permis de rédiger quelque 132 amendements, ce qui montre que nous avons tenu compte des remarques qui nous ont été présentées.
A l'issue de la concertation, il vient un moment où il faut faire preuve de courage politique et traduire en mots et en actes la volonté exprimée par les Français. C'est ce que vous faites, monsieur le ministre. Une fois de plus, nous tenons à vous en féliciter et à vous apporter tout notre soutien.
Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, la commission estime que la motion tendant au renvoi à la commission n'est pas fondée et a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 171, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 118 :
Nombre de votants | 324 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 121 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Mme Michèle André remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)