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RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour un rappel au règlement.
M. Bernard Frimat. J'admire le talent divinatoire de M. Emorine : il évoque une proposition du président de séance, avant même que celui-ci ne l'ait faite ! (Sourires.)
Je tiens tout de même à rappeler, monsieur le président, que l'article 32 de notre règlement prévoit que nos travaux commencent à neuf heures et demie le mardi.
Nous avons eu ce matin un débat dont tout le monde peut louer la qualité. Aucun orateur n'a dépassé son temps de parole, tout s'est déroulé de façon correcte, les interventions étaient fondées et elles se sont fait l'écho d'opinions diverses. La logique serait donc de continuer et de ne pas priver aujourd'hui le Sénat de la suite du débat.
Je constate que les opérations de communication qui se sont déroulées ici même et dont la qualité peut être discutée ont directement pour conséquence de nous empêcher de terminer l'examen de cette proposition de résolution dans la continuité de la discussion générale, ainsi que l'exigerait la moindre honnêteté intellectuelle ! Pour une première, c'est une réussite !
Tout le monde sait l'importance du débat qui nous occupe aujourd'hui. Nous traitons d'un point essentiel sur lequel nous devons dégager les impostures, mettre les choses au clair et lever tous les doutes sur les positions de chacun !
Le Gouvernement prendra la position qu'il souhaite, mais je tiens à faire remarquer que notre discussion sur cette proposition de résolution semblait devoir avoir une certaine importance pour le 22 mars. Et voilà que, de manière tout à fait illogique, on nous propose d'en terminer le 23 mars au soir !
Il s'agit là, monsieur le président, d'une négation du travail de la Haute Assemblée. Je vous demande d'en faire part au président du Sénat.
Pourquoi le Gouvernement, qui a la maîtrise de l'ordre du jour, ne décalerait-il pas d'une heure ou d'une heure et demie le débat sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école ? Il a ainsi le pouvoir de nous permettre de faire sérieusement, cet après-midi, notre travail de parlementaire.
En fait, la prochaine fois, monsieur le président, il vaudra mieux que j'intervienne auprès de Michel Drucker et de Thierry Ardisson : ayant l'oreille de M. le président, ils feront en sorte que nos travaux se déroulent dans des conditions correctes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Monsieur Frimat, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Je transmettrai au président du Sénat les termes de votre intervention. Je partage votre sentiment : il faudrait au moins encore deux bonnes heures pour terminer l'examen de ce texte. La conférence des présidents sera saisie.
Pour ce qui est de l'ordre du jour prioritaire de cet après-midi, force m'est de vous dire qu'il ne sera ni modifié ni retardé.
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NOMINATION DE MEMBRES DE COMMISSIONS
M. le président. Je rappelle au Sénat que le Groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires culturelles et une candidature pour la commission des affaires économiques
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
M. Jean Besson membre de la commission des affaires culturelles, en remplacement de M. Jean-Pierre Bel, démissionnaire;
M. Jean-Pierre Bel membre de la commission des affaires économiques, en remplacement de M. Jean Besson, démissionnaire.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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RAPPELs AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, mon rappel au règlement s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le ministre, tout le monde le sait, les lycéens, qui sont les premiers concernés par votre projet de loi, manifestent contre ce dernier. Or, des associations de parents d'élèves relèvent que, dans de nombreux établissements, des chefs d'établissement exercent des pressions sur les lycéens pour les empêcher de manifester.
M. Dominique Braye. Ils les aident plutôt !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, pouvez-vous me dire si cela est vrai ?
M. Dominique Braye. Ils essaient plutôt de les envoyer dans la rue !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Peut-être faut-il faire un rapprochement entre cette situation et ce qui s'est passé le 8 mars dernier ; et cela m'amène à vous poser ma deuxième question.
Le 8 mars dernier, tout le monde le sait, des violences ont été commises dans de nombreux endroits par des individus que l'on appelle communément des « casseurs », qui se sont introduits dans la manifestation. Monsieur le ministre, comment se fait-il que les forces de l'ordre aient laissé ces personnes commettre des actes d'agression ?
M. Dominique Braye. C'est scandaleux de dire cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous savons que cela n'est pas nouveau. Je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, ce qui s'est passé à l'occasion de manifestations ...
M. Dominique Braye. C'est scandaleux !
Mme Hélène Luc. Laissez Mme Borvo s'exprimer !
M. le président. Monsieur Braye, faites un effort !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Braye, vous dites parfois des choses qui sont inacceptables de mon point de vue, et je vous laisse parler !
M. Dominique Braye. C'est inacceptable de s'en prendre ainsi aux forces de l'ordre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Même si c'est inacceptable, laissez-moi parler, ...
M. Dominique Braye. Ce sont des mensonges !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... car ce que je dis est su de tous ; cela ne doit donc pas vous surprendre !
Souvenons-nous donc des manifestations contre le contrat d'insertion professionnelle, le CIP, qui se sont déroulées en d'autres temps et au cours desquelles des jeunes ont subi des violences et ont été blessés. Monsieur le ministre, vous savez fort bien que la police - et c'est tout à son honneur, car ce n'est pas le cas partout - peut, lorsqu'elle le veut, empêcher des perturbateurs de faire irruption dans les manifestations, ...
M. Dominique Braye. Ah oui ? On essaie de se rattraper !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...mais cela ne fut pas le cas le 8 mars dernier.
M. Dominique Braye. Vous attaquez la police !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si des dispositions ont été prises aujourd'hui, pourquoi ne l'ont-elles pas été ce jour-là ? Je vous demande donc, monsieur le ministre, d'intervenir auprès du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales pour que toute la lumière soit faite sur le comportement de la police le 8 mars dernier.
M. Philippe Goujon. C'est scandaleux !
M. Dominique Braye. Cela n'appelle pas de réponse !
M. Philippe Goujon. Provocation !
M. le président. Ecoutez-vous les uns les autres, mes chers collègues ! Faites preuve de sérieux, soyez responsables !
M. Dominique Braye. Ils sont irresponsables !
M. le président. Qu'est-ce que cela apporte de « brailler » dans l'hémicycle ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. M. Braye braille !
M. le président. Cette remarque vaut également pour vous, monsieur Signé ; alors, n'applaudissez pas !
La parole est à Mme Annie David, pour un rappel au règlement.
Mme Annie David. Mon rappel au règlement a trait à l'organisation de nos travaux.
Rarement un débat parlementaire d'importance n'aura été introduit par une campagne publicitaire. Or, monsieur le ministre, c'est ce que vous avez décidé de faire avec votre texte en payant, sur les subsides de votre ministère, un encart dans la presse. Ce résumé, ce raccourci, devrais-je même dire, caractérise bien la précipitation dans laquelle vous tentez d'enfermer notre débat.
En le limitant à quelques points controversés par des centaines de milliers de lycéens, d'enseignants et de parents, vous semblez justifier la clôture prématurée de la discussion parlementaire. Cet encart publicitaire ressemble fort à un « Circulez, il n'y a rien à voir », empreint d'inquiétude face à l'émergence du vrai débat démocratique autour du savoir, de la réussite de tous et des moyens pour y parvenir.
Ainsi, monsieur le ministre, s'agissant de vos objectifs, pourquoi ne pas avoir mis en première ligne la réduction des moyens accordés à l'école, puisque ce ne sont pas moins de 50 000 postes qui ont été supprimés depuis trois ans ?
Monsieur le président, ce projet de loi est important. Le nombre d'orateurs inscrits dans la discussion générale, le nombre d'amendements déposés par la commission saisie au fond - plus de 130 - et par les groupes, le débat engagé au sein des autres commissions elles-mêmes, qu'il s'agisse ou non d'une loi de programmation, tous ces éléments concourent de toute évidence à exiger un débat approfondi, un aller et retour entre les assemblées.
Or, la déclaration d'urgence et la précipitation qui prévaut pour l'examen de ce texte, initialement prévu le 22 mars, marquent une volonté de passer en force pour couper court au débat qui s'engage tant dans le pays que dans les deux chambres. Il s'agit là d'un dévoiement inadmissible de nos institutions.
Monsieur le président, quelle justification trouve le bicamérisme, si cher à votre coeur, si la navette parlementaire est supprimée, la discussion se clôturant au sein d'une commission mixte paritaire qui tranchera les derniers points en suspens, en dehors de tout compte rendu public ?
Rarement la déclaration d'urgence n'aura été utilisée de manière aussi politicienne, une attitude qui ne sied pas à la sérénité qui doit habiter le Gouvernement de la République. Je vous demande donc, monsieur le président, d'agir pour que l'urgence soit levée sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
Le simple fait que se pose la question de la programmation - je vous rappelle que les commissions des affaires culturelles et des finances proposent de modifier le titre du projet de loi en l'intitulant « projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école » -, rend insupportable, sur le plan démocratique, le fait que l'Assemblée nationale ne puisse être saisie, dans la plénitude de ses pouvoirs, du projet de loi modifié par le Sénat.
J'attends une réponse claire de votre part, monsieur le président, et également de la vôtre, monsieur le ministre, pour qu'il soit mis fin à un déni flagrant de démocratie.
En tout état de cause, je demande une suspension de séance pour protester contre les conditions dans lesquelles les débats sont organisés au Parlement et pour permettre aux autorités, aux commissions, au président et au Gouvernement, de se concerter pour savoir comment lever la déclaration d'urgence sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Je vous rappelle, madame David, que la déclaration d'urgence est une prérogative constitutionnelle du Gouvernement.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, ce qui s'est passé ce matin dans l'hémicycle m'oblige à appeler solennellement votre attention et à vous rappeler d'une certaine manière le règlement.
Ce matin, en effet, était prévu un débat important sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, dite directive « Bolkestein ». Etaient en discussion les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques et du Plan sur plusieurs propositions de résolution.
La séance aurait dû commencer à neuf heures trente. Nous aurions alors disposé du temps nécessaire pour qu'ait lieu un débat riche et fructueux sur un sujet important pour l'avenir de notre pays et de l'Europe, dans le contexte que chacun ici connaît. Or, l'émission de MM. Drucker et Ardisson, qui a nécessité deux jours de préparation, a transformé l'hémicycle et a repoussé le début de nos travaux à dix heures trente.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Jean-Pierre Bel. Malgré cela, monsieur le président, nous avons conduit les travaux. A la suspension de la séance, à douze heures cinquante, après deux heures de discussion générale, il nous a été dit que nous ne pouvions poursuivre, c'est-à-dire examiner les amendements qui avaient été déposés, ni, a fortiori, procéder au vote de cette résolution, et que la suite du débat était reportée au 23 mars. Or, l'intérêt même de ces discussions était de donner un avis au Président de la République et au Gouvernement avant le Conseil européen qui se tiendra le 22 mars prochain !
Monsieur le président, il est vraiment urgent, selon nous, de souligner avec une grande solennité qu'il faut restaurer le crédit de cette assemblée en rappelant ce qu'elle est, c'est-à-dire la représentation d'élus de la nation qui doivent s'exprimer sur des sujets de première importance.
Notre assemblée était tout à fait dans les temps pour mener un fructueux débat ; elle était même la première à aborder le sujet. Or, avec ce contretemps, elle ne pourra donner son avis sur ce sujet, alors que l'Assemblée nationale le fera cet après-midi.
A un certain moment, il faut faire le départ entre ce qui relève de la politique de la communication et ce qui relève de la politique dans le sens noble du terme !
M. Michel Charasse. La politique en tant qu'institution !
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, au nom de mon groupe, j'élève une protestation solennelle et forte (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste) sur le déroulement de nos travaux et sur le fait que notre assemblée est privée de la possibilité de s'exprimer sur un sujet de première importance. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Chauveau applaudissent également.)
M. le président. Monsieur Bel, la séance a été suspendue ce matin alors que plus de deux heures de discussion étaient encore nécessaires pour mener le débat à son terme !
Vous avez fait allusion à la manifestation télévisée d'hier soir. Je vous ferai remarquer que cette émission, qui a été regardée par plus de cinq millions de téléspectateurs (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE) et au cours de laquelle ont pu s'exprimer les représentants de tous les groupes, a, de l'avis général, valorisé notre institution.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Le Sénat n'est pas fait pour cela !
M. le président. Interrogez ceux qui y ont participé !
M. Bernard Piras. C'est du spectacle !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est honteux !
M. Yannick Bodin. Ce n'est pas le Cirque d'hiver, ici !
M. le président. En ce qui concerne la discussion des conclusions du rapport sur la directive Bolkestein, je vous indique que nous reprendrons le débat lors d'une toute prochaine séance.
M. Michel Charasse. Ce sera trop tard !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai à l'interpellation dont j'ai été l'objet concernant les conditions de sécurité de la manifestation du 8 mars dernier.
Il est tout à fait indigne d'accuser, comme vous le faites, madame Borvo Cohen-Seat, les forces de police : elles accomplissent un travail extrêmement difficile dans des conditions qui sont très pénibles (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) et qui, pour une large part, dépendent de la qualité de l'organisation de la manifestation.
Les forces de police ont procédé à cinquante interpellations au lendemain de la manifestation du 8 mars et à soixante-dix interpellations avant la manifestation d'aujourd'hui, afin que les lycéens puissent s'exprimer dans les conditions qu'exige la démocratie.
Le Gouvernement n'a jamais fait l'amalgame entre les casseurs et ceux qui manifestent.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n'ai pas dit cela !
M. François Fillon, ministre. Ce n'est pas rendre service à notre pays que de montrer du doigt la police qui, encore une fois, a fait de son mieux dans des conditions très difficiles.
Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler que d'autres manifestations, qui ont eu lieu dans d'autres temps, ne se sont pas toujours passées de la meilleure façon qui soit !
M. Gérard Le Cam. Et Malik Oussekine !
M. François Fillon, ministre. Naturellement, les Français qui souhaitent manifester doivent pouvoir le faire en toute sécurité. Cela suppose toutefois que non seulement les conditions d'organisation des manifestations mais aussi les relations entre les organisateurs et la police soient les meilleures possibles. C'est le cas pour la manifestation d'aujourd'hui ; cela ne l'était manifestement pas pour celle du 8 mars. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Et la suspension de séance demandée par Mme Annie David ?...
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Avenir de l'école
Suite de la discussion d'un projet de loi d'orientation déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'avenir de l'école (nos 221, 234, 239).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à travers ce projet de loi d'orientation, la nation a rendez-vous avec son école.
L'école est au coeur de tous les enjeux et de toutes les préoccupations qui engagent notre avenir. Elle est au croisement de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être demain. C'est dire que tout projet sur l'école porte en lui une ambition pour la France.
Cette ambition s'organise, à mes yeux, autour de trois axes.
D'abord, l'axe de la liberté intellectuelle : dans un environnement qui risque d'être « standardisé », « formaté », les prochaines générations doivent être dotées des clés culturelles de cette liberté. Elle signe en effet, depuis le siècle des Lumières, la singularité française.
Ensuite, l'axe de la responsabilité citoyenne : dans un monde que je pressens chahuté et conflictuel, les vertus républicaines seront primordiales. Nos enfants doivent être éduqués au « vivre ensemble ».
Enfin, l'axe de l'ouverture et de l'adaptation : dans un espace mondialisé et au coeur d'une Europe élargie, notre jeunesse doit être préparée à être acteur et non pas otage des mutations économiques, technologiques et sociales de son temps.
Brillante, républicaine, moderne : voilà la France de demain, telle que je la vois. C'est bien autour de ce dessein que le Président de la République, le Premier ministre et la majorité entendent préparer l'école !
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation est le fruit d'un large débat poursuivi sur près d'une année. Il s'inspire des travaux menés par la commission Thélot dont je tiens à saluer la qualité. Je rends hommage à l'engagement du Sénat dans l'organisation de ce débat sur l'avenir de l'école, puisqu'il a abrité dans ses murs les réunions de la commission et que, sur l'initiative du président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, il a apporté, le 21 janvier 2004, sa propre contribution dont je salue la richesse et la qualité.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces compliments adressés au Sénat !
M. François Fillon, ministre. Il les mérite, monsieur le président !
Ce projet de loi d'orientation a fait l'objet d'une concertation nourrie avec les organisations syndicales et les fédérations de parents d'élèves. Il est enfin le résultat d'une réflexion plus personnelle, développée dans le cadre des nombreux contacts que j'ai pu nouer avec les membres de la communauté éducative.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous voilà maintenant saisis de ce projet de loi d'orientation, dont le contenu est précisé et enrichi par l'excellent rapport de votre collègue, M. Jean-Claude Carle. Je remercie aussi, pour la pertinence de son analyse, M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis de la commission des finances.
J'adresse mes chaleureux remerciements à la commission des affaires culturelles, à son président et aux membres de la majorité qui ont collaboré à la préparation de ce projet de loi d'orientation.
Depuis que ce texte est connu, des critiques contradictoires lui ont été adressées, même s'il est intéressant d'observer qu'aucune alternative globale ne lui est véritablement opposée.
Ces critiques ne doivent être ni dédaignées ni rejetées d'un revers de la main. Elles sont symptomatiques des fortes interrogations qui parcourent le système éducatif. Mais elles sont aussi et surtout révélatrices des lignes de fond qui traversent la société française.
L'école est le miroir de la nation, de ses querelles passées et de ses projections futures. Elle est le reflet de nos espérances individuelles et collectives. Elle est à la jointure de nos tensions libérales et égalitaires, de nos exigences privées et publiques. Elle est à la fois le réceptacle de nos dérives sociétales et de nos illusions sociales. Elle est l'épicentre des services publics. Elle est la colonne vertébrale de l'unité nationale.
Toucher à l'école, la changer, c'est, d'une certaine manière, remuer tout cela !
Dès lors, tout indique, jusqu'à preuve du contraire, que le chemin tranquille et consensuel de la réforme de l'école n'existe malheureusement pas. Nombre de mes prédécesseurs, de droite comme de gauche, en firent le constat.
Aujourd'hui, sans grande surprise, ce projet de loi d'orientation suscite des crispations et des manifestations.
Je ne néglige pas la voix de ceux qui ont entre quatorze et dix-huit ans et dont certains des messages généreux ne me semblent pas contredire l'esprit de ce texte. Mais, dans une démocratie, le pouvoir n'est pas dans la rue. En République, si le Gouvernement entend naturellement l'expression légitime des désaccords, la décision revient au Parlement. C'est à lui seul, en tant que représentant de la nation, qu'il appartient de débattre et de trancher, par la loi, la question de l'école. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour moi, la détermination républicaine ne s'oppose ni à l'écoute ni au dialogue. Je l'ai déjà montré, je crois.
A la question des options, sur laquelle certains lycéens percevaient un risque pour les sciences économiques et sociales, j'ai répondu favorablement. Sur les points acquis dans le cadre des travaux personnalisés encadrés - ils sont, je le rappelle, maintenus en classe de première -, j'ai indiqué qu'ils pourraient être pris en compte dans la notation du baccalauréat. Sur la réforme du baccalauréat elle-même, j'ai dit que je n'avancerai pas tant que les craintes et les malentendus ne seraient pas dissipés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation s'inscrit dans la continuité de l'histoire de ce grand service public qu'est l'éducation nationale. Il reprend certains objectifs de la loi d'orientation de 1989 - votée elle aussi, madame David, selon la procédure d'urgence -, laquelle s'inscrit dans l'esprit de la réforme Haby de 1975 et en conserve des éléments très importants.
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. François Fillon, ministre. La volonté de conduire 80 % d'une génération au niveau du baccalauréat est ainsi confirmée. Notre pays a, en effet, besoin d'hommes et de femmes mieux formés : il ne peut plus accepter de laisser 150 000 jeunes sortir chaque année du système scolaire sans aucun bagage ! C'est pourquoi 100 % des jeunes Français devront avoir un diplôme ou une qualification reconnue.
La France aura également besoin, pour s'affirmer dans la compétition internationale, d'un plus grand nombre d'ingénieurs, de chercheurs, de cadres supérieurs publics et privés. Le projet de loi d'orientation fixe donc un nouvel objectif : atteindre 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur. Plus que jamais, nous cherchons à élever le niveau de formation de notre nation.
Cette continuité que je revendique exige cependant de faire prendre un tournant à notre école. En effet, en dépit de ses succès, malgré le dévouement des enseignants, derrière la façade égalitaire, les faits sont là : depuis dix ans, ses résultats stagnent et les discriminations sociales persistent.
Pourquoi cet état de fait, alors même que le budget que nous consacrons à l'éducation est l'un des plus élevés d'Europe, alors même qu'en quinze ans le nombre d'enseignants a progressé de 100 000 pendant que le nombre d'élèves diminuait de 500 000 ?
C'est que nous n'avons pas redéfini les priorités de l'école, ses buts, son organisation, ses pratiques !
Aujourd'hui, je vous propose de nous y atteler.
Le projet de loi fait de la transmission des connaissances et des compétences fondamentales la mission centrale de l'école. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la définition d'un ensemble de connaissances et de compétences indispensables qui doivent être acquises à la fin de la scolarité obligatoire, le tout étant couronné par l'examen national du brevet.
La notion de « socle », qui reprend l'une des propositions du rapport de la commission Thélot, ne doit pas donner lieu à malentendu. Il s'agit non pas, comme d'aucuns le prétendent, de l'instauration d'un minimum éducatif, mais de la volonté d'assurer à tous les élèves les conditions de l'accès à une citoyenneté réfléchie et de donner à chacun les moyens d'ouvrir les portes de la culture.
Ceux qui qualifient improprement le socle de « SMIC culturel » ne sont manifestement pas allés à la rencontre des 150 000 jeunes dont je parlais à l'instant.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Tout à fait !
M. François Fillon, ministre. Ils passent sous silence ces 80 000 jeunes qui savent si peu lire, écrire et compter à leur entrée en sixième. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Ecoutez, à gauche !
M. François Fillon, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, une éducation sans priorités claires, c'est une éducation dont l'essentiel échappe aux enfants qui n'ont pas la chance d'être nés là où il faut. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Charles Revet. On les oublie, ceux-là !
M. François Fillon, ministre. Pour tout dire, c'est une éducation qui, derrière une vitrine uniforme et idéalisée, est en réalité élitiste.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle honte !
M. François Fillon, ministre. Ce socle sera le tremplin qui, aujourd'hui, fait défaut à notre système éducatif et qui, demain, permettra à tous les élèves de poursuivre, plus loin, de façon plus assurée, leur scolarité.
J'affirme que ce socle est l'instrument de la qualité des savoirs transmis à tous, et qu'il est aussi celui de la justice au regard des savoirs réellement acquis par tous !
Bien sûr, nous pourrions aisément faire croire que l'école peut continuer à prodiguer tous ses enseignements sans aucune distinction dans les objectifs affichés. Bien sûr, nous pourrions élargir à l'infini ce socle afin de ne froisser personne... Ce serait commode, mais ce serait lâche, aussi.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. François Fillon, ministre. J'assume ce choix, car il est au coeur de la relance de notre système éducatif. Si, depuis une dizaine d'années, nous plafonnons autour des 60% de bacheliers, c'est parce que, au milieu du parcours, entre l'entrée en sixième et la sortie vers le baccalauréat, il manque une étape solide.
Les connaissances et les compétences retenues dans le socle sont celles qui nous sont apparues comme indispensables à la vie dans la société d'aujourd'hui et à l'accès à la culture universelle : la langue française, d'abord, puis les mathématiques, les éléments d'une culture humaniste et scientifique permettant l'exercice de la citoyenneté, une langue vivante étrangère et, conséquence nécessaire de la grande mutation technologique de la seconde moitié du XXe siècle, la maîtrise des technologies de l'information et de la communication.
Ce socle des indispensables, ce socle maîtrisé par tous, crée une obligation, celle de tout entreprendre pour atteindre le résultat voulu. Cela suppose une nouvelle stratégie destinée à épauler les élèves qui éprouvent des difficultés pour acquérir ce socle.
Tel est l'objet des programmes personnalisés de réussite scolaire.
Ces programmes, qui visent à mettre en place, à tous les moments de la scolarité obligatoire, dès le début de l'école primaire, des parcours personnalisés, ont une double fonction : empêcher que des obstacles sérieux n'aboutissent à un échec rendant inévitable le redoublement ou, lorsque le redoublement se révèle nécessaire, faire en sorte qu'il ne se limite pas à une simple répétition inutile pour l'élève.
Au titre de ces programmes personnalisés de réussite scolaire, trois heures de soutien hebdomadaire par semaine en petits groupes devront pouvoir être proposées aux élèves qui en auront besoin.
Sur la base de groupes de huit élèves, et pour tous ceux qui sont repérés en difficulté lors des évaluations, les besoins sont estimés à 321 millions d'euros pour l'école primaire et à 396 millions d'euros pour le secondaire.
Mais la finalité de la scolarité obligatoire ne se limite pas à l'acquisition du socle des indispensables. A côté de ce socle, toutes les disciplines apportent leur contribution essentielle à la formation de l'élève, à la constitution de sa personnalité, à sa vie de citoyen et à la préparation de son parcours professionnel.
Au-delà de la scolarité obligatoire, l'objectif général que le projet de loi assigne au lycée est de conduire, au travers de ses trois voies, un plus grand nombre de jeunes au niveau du baccalauréat.
Le baccalauréat professionnel pourra ainsi être préparé en trois ans ou en quatre ans. Les lycées généraux et technologiques proposeront, après une seconde générale, des séries recentrées sur un certain nombre de disciplines dominantes.
Dans les séries générales et technologiques, il faudra que les élèves puissent acquérir des connaissances approfondies et maîtriser des méthodes complexes dans les principales disciplines afin de favoriser la poursuite d'études à l'université.
Là encore, l'ambition est de faire accéder le plus grand nombre d'élèves à la haute culture scientifique, économique et sociale, ainsi que littéraire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez entre vos mains le premier projet de loi sur l'éducation qui affirme aussi clairement l'ambition européenne de la France et de son système éducatif.
Au sein de l'Europe du XXIe siècle, je ne puis situer la France qu'au premier rang. Or toutes les comparaisons internationales montrent que notre pays obtient des résultats médiocres dans le domaine de la maîtrise des langues vivantes.
Cette situation n'est plus acceptable, parce qu'elle met en péril la réussite individuelle des jeunes Français aussi bien que la réussite collective du pays.
Elle est préjudiciable à la France en ce qu'elle lui interdit d'occuper pleinement sa place dans le monde, mais elle est préjudiciable aussi à tous les Français individuellement en ce qu'elle limite leurs possibilités de participer au développement des échanges internationaux dans les domaines culturel, scientifique et économique.
C'est pourquoi il est proposé dans le rapport annexé un plan résolu en faveur de l'enseignement des langues, plan qui s'est inspiré d'ailleurs sur plusieurs points de l'important rapport que M. Jacques Legendre a présenté, au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, en novembre 2003 et intitulé : Pour que vivent les langues... : l'enseignement des langues étrangères face au défi de la diversification.
Je veux vous rappeler les mesures essentielles que contient le projet de loi à cet égard.
Le concours de professeur des écoles comportera désormais une épreuve obligatoire de langue vivante. L'enseignement des langues sera recentré sur la compréhension et l'expression orale. Cet enseignement débutera à l'école primaire en CE1. Au collège, la continuité sera assurée avec la langue apprise à l'école, et une seconde langue sera proposée, non plus en classe de quatrième mais dès la classe de cinquième. Au collège et au lycée, l'enseignement des langues sera dispensé en groupes réduits, organisés non plus par classe, mais par niveau de compétence. Les baccalauréats binationaux, de même que les sections européennes et internationales, seront développés.
Financièrement, le dédoublement des groupes de langue est la mesure la plus lourde de ce projet de loi d'orientation, et l'une des plus importantes aussi, avec l'apprentissage de la seconde langue vivante dès la classe de cinquième.
Pour que nous puissions assumer notre ambition en termes d'encadrement, 10 000 équivalents temps plein sur cinq ans devront être prévus.
Sur cette question des langues, donc, une amélioration décisive de notre système éducatif va s'enclencher.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec l'expression « éducation nationale » résonnent en écho deux principes : instruire, mais aussi rassembler la nation.
Amour de la France, citoyenneté, mérite, autorité, laïcité, égalité et fraternité : ces mots, ces usages, il est du devoir de l'école de les faire partager, de les faire respecter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
Contrairement à certains, je ne crois pas que ces valeurs soient surannées. Bien au contraire, dans ce monde désordonné où s'insinuent la violence, les communautarismes, les haines racistes ou antisémites, le projet républicain est plus que jamais contemporain.
Entre l'école et la République, il existe un pacte indissoluble que j'entends renforcer.
Ainsi que l'affirme le deuxième article du projet de loi que j'ai voulu : « La Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».
Cette mission est confiée à tous les membres de la communauté éducative, et elle doit être vécue par tous les élèves dans l'exercice même de leur scolarité comme un apprentissage de la citoyenneté.
La citoyenneté, cela commence, chez l'élève comme chez l'adulte, par l'adoption d'un ensemble de comportements responsables, respectueux de soi et d'autrui ainsi que des règles de la vie commune, et cela aboutit à la recherche de l'intérêt général et au souci du bien commun.
La citoyenneté, c'est comprendre très tôt que les droits entraînent des devoirs.
Ceux qui ont construit l'école de la République, et qui se situaient dans le prolongement de tous les efforts éducatifs antérieurs, le savaient bien : l'école a une fonction éducative, c'est-à-dire que l'éducation a une fonction morale.
Concrètement, les enseignements, comme l'apprentissage des règles à respecter dans tous les établissements, seront l'occasion de mettre en oeuvre les valeurs de tolérance et de respect des autres, l'égalité des femmes et des hommes, la civilité dans les comportements. C'est ce que je veux promouvoir en intégrant une note de vie scolaire dans le brevet rénové des collèges.
M. Pierre Martin. Très bien !
M. François Fillon, ministre. La violence et la délinquance n'ont rien à faire à l'école. Parce qu'elles s'attaquent prioritairement aux plus faibles et aux plus démunis sur le plan social, nous les combattrons sans aucun état d'âme, en nous inspirant de l'excellent rapport de M. Christian Demuynck sur le violence à l'école, dans lequel votre collègue énumère toute une série de mesures pour enrayer cet engrenage inacceptable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est notamment pourquoi j'ai décidé, avec les ministres de l'intérieur et de la justice, de multiplier les relations de travail entre les établissements scolaires, les forces de police et de gendarmerie, la justice et les associations.
Les élèves qui perturbent gravement le déroulement des classes seront pris en charge et seront encadrés par des dispositifs relais dont le nombre sera accru. Ainsi, deux cents classes relais de plus chaque année pendant cinq ans sont prévues, ce qui représente 13 millions d'euros supplémentaires par an.
Parmi les valeurs de la République, l'une d'entre elles est vitale : l'égalité des chances. Pour moi, l'école est là pour briser, pour transcender les barrières sociales.
Nous nous en donnons les moyens.
C'est ainsi que je propose de tripler les bourses au mérite accordées sur critères sociaux aux élèves qui obtiendront de bons résultats au brevet national ou au baccalauréat. Le nombre des bénéficiaires de cette mesure devrait augmenter de 50 000 en trois ans, ce qui représente un effort supplémentaire de 17 millions d'euros par an.
L'égalité des chances, c'est aussi offrir aux élèves en situation de handicap une scolarisation en priorité dans l'établissement scolaire le plus proche de leur domicile. C'est pourquoi le nombre des unités pédagogiques d'intégration pour les handicapés devrait être augmenté de deux cents par an pendant cinq ans, de façon à atteindre l'objectif de 1 000 unités affiché dans le rapport, ce qui représente 16 millions d'euros de dépenses supplémentaires par an.
L'égalité des chances consiste encore, pour l'école, à assurer sa mission de prévention et de surveillance sanitaire ainsi que l'éducation à la santé. Pour cela, le projet de loi prévoit la présence d'une infirmière ou d'un infirmier dans chaque établissement du second degré.
M. François Fillon, ministre. Pour atteindre cet objectif, il faut prévoir le recrutement de 1 520 personnels nouveaux, ce qui correspond à 304 de plus par an pendant cinq ans, soit un effort annuel supplémentaire de 10 millions d'euros.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Où sont les moyens pour tout cela ? Pas dans le budget, en tout cas !
M. François Fillon, ministre. Certains, mesdames, messieurs les sénateurs, ont cru pouvoir affirmer que ce projet de loi restait bien silencieux sur les questions pédagogiques.
C'est tout à fait inexact !
Le projet de loi a, au contraire, pour objet de donner à la pédagogie toute sa place, mais, il est vrai, rien que sa place.
M. Adrien Gouteyron. C'est le bon sens même !
M. François Fillon, ministre. Il s'agit d'abord de dépasser l'opposition stérile des savoirs et de la pédagogie, de mettre les connaissances à la première place, de se centrer sur les savoirs et les savoir-faire les plus importants.
Il s'agit ensuite de mettre clairement la pédagogie au service tant de l'acquisition des savoirs par les élèves que de la transmission des connaissances et des compétences par les enseignants.
Les programmes personnalisés de réussite éducative, les groupes de compétences en langues, la création des conseils pédagogiques, la présence, dans le cahier des charges national de la formation des maîtres, d'un volet consacré à l'adaptation à des publics hétérogènes, l'inscription dans la loi du principe de la liberté pédagogique, qui n'y figurait pas jusqu'à présent, sont autant d'éléments qui font de cette loi une grande loi pédagogique.
Dans ce domaine, notre texte tend à affirmer plusieurs principes.
Tout d'abord, la pédagogie vise en priorité à soutenir les élèves en difficulté, à individualiser les modalités de l'enseignement et à rechercher les moyens de l'adapter à la diversité des classes.
Ensuite, le choix des méthodes pédagogiques relève de la responsabilité de chaque enseignant. Conformément à la tradition scolaire française, réaffirmée avec solennité à travers l'inscription dans la loi du principe de la liberté pédagogique, l'enseignant est considéré comme un « maître », dont la compétence, fondée sur la maîtrise des savoirs à enseigner, s'étend naturellement à la manière de les enseigner.
Cependant, l'autorité pédagogique de l'enseignant doit, évidemment, s'exercer dans le cadre des programmes et s'enrichir de la concertation et du travail en équipe, que la création du conseil pédagogique dans les établissements publics locaux d'enseignement, les EPLE, a pour fin d'organiser et de promouvoir. Elle doit bénéficier des conseils et du suivi des corps d'inspection.
Enfin, dans la formation des maîtres, il s'agit également de redéfinir les liens entre la pédagogie et les savoirs. C'est pourquoi j'ai proposé que la formation initiale des enseignants soit confiée à l'université : aujourd'hui autonomes et souvent livrés à leur propre logique, les instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, prendront le statut d'école intégrée aux universités, comme c'est le cas, d'ailleurs, dans la quasi-totalité des pays développés.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. François Fillon, ministre. L'Etat fixera, dans un cahier des charges national - c'est une nouveauté - le contenu de la formation initiale des enseignants, qui sera réorientée sur deux ans autour de trois volets : la formation disciplinaire, la formation pédagogique et la formation du fonctionnaire du service public de l'éducation.
La formation continue des enseignants sera, elle aussi, recentrée sur l'échange de pratiques pédagogiques performantes et l'approfondissement disciplinaire. En plus des dispositifs déjà existants, tout enseignant pourra bénéficier, sur présentation d'un projet personnel de formation, d'un crédit d'heures de l'ordre de vingt heures par an.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi vise à affirmer l'importance de la pédagogie et à en préciser la portée dans les classes, dans les établissements scolaires et dans les instituts universitaires de formation des maîtres.
Avec ce texte, nous misons sur la force et la capacité du service public de l'éducation à assumer ces nouvelles orientations.
Sur le terrain, j'ai, comme vous, croisé tant de professeurs et de chefs d'établissements, motivés, passionnés, ajustant leurs méthodes, inventant, construisant l'école de demain ! J'ai confiance dans l'école de la République, j'ai confiance dans son aptitude à relever les défis de son temps.
Si l'éducation nationale ne continue pas à s'adapter, ne répond pas aux aspirations des Français, n'obtient pas tous les résultats qu'on en est en droit de lui demander, alors, elle est en péril.
C'est pourquoi il n'est pas acceptable d'opposer la logique du service public avec la poursuite de la qualité, ni de prétendre qu'avoir des objectifs, développer une stratégie et évaluer des résultats serait incompatible avec la culture du service public. Il n'est pas davantage acceptable de laisser dire que mieux gérer le système éducatif, c'est vouloir le brader ou l'asservir à la loi du marché.
M. Jean-Luc Mélenchon. Personne n'a dit cela !
M. François Fillon, ministre. La modernisation du service public passera par des contrats d'objectifs plus clairs entre l'établissement scolaire et l'académie et par un ciblage des moyens, là ou l'échec scolaire est le plus flagrant. Ce sera le cas, notamment, pour les programmes personnalisés de réussite scolaire. Elle passera également par une meilleure utilisation des ressources humaines en matière d'aide et de remplacement des professeurs absents.
Cette question des remplacements de courte durée est devenue, pour les élèves et leurs parents, le symbole d'un blocage peu admissible de l'institution scolaire. Alors que personne n'a jamais osé aborder ce sujet quasi tabou, nous vous proposons de nous y attaquer.
Tout professeur absent pourra être remplacé par l'un de ses collègues de l'établissement exerçant dans sa discipline ou dans une autre discipline si aucune autre solution n'est possible. L'intervention des enseignants dans ce cadre donnera naturellement lieu au paiement d'heures supplémentaires.
La modernisation du service public passera aussi par la simplification des niveaux de décision entre les rectorats, par les inspections académiques et les services centraux, et par la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances.
Un Haut conseil de l'éducation donnera au Gouvernement des avis sur les questions relatives à la pédagogie et aux programmes, à l'organisation et aux résultats du système éducatif ainsi qu'à la formation des enseignants.
Partout, il s'agit de passer progressivement d'une logique quantitative à une logique plus réactive, plus qualitative. Il faut désormais promouvoir une meilleure répartition des moyens et une meilleure gestion des ressources humaines en fonction d'objectifs lisibles et régulièrement évalués.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la rénovation du service public de l'éducation et la réussite de tous les élèves, qui est un objectif ambitieux, ne se décrètent pas.
Chacun a son rôle à jouer.
Il appartient au Gouvernement d'évaluer la situation et de tracer les grands axes de progression : c'est ce que nous faisons ici en prévoyant 2 milliards d'euros et le recrutement de 150 000 enseignants d'ici à cinq ans.
Il revient, ensuite, à tous les acteurs de ce grand service public auquel notre pays confie ce qu'il a de plus précieux, l'avenir de ses enfants, de se mobiliser autour d'objectifs partagés.
C'est ainsi que l'éducation nationale poursuivra sa marche en avant.
Telles sont les priorités définies dans ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, dont je suis convaincu qu'il contribuera à assurer à la France un avenir à la hauteur de ses ambitions.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, contrairement à ce qui est parfois, et même souvent, dit, les réformes d'ampleur de l'éducation nationale sont peu nombreuses : ce n'est que tous les quinze ans, environ, que la nation, par l'intermédiaire de ses élus, a rendez-vous avec son école.
M. Adrien Gouteyron. C'est vrai !
M. François Fillon, ministre. Ce rendez-vous, nous y sommes. Dans cette longue histoire de l'école, j'ai l'honneur d'agir dans le prolongement de nombre de mes prédécesseurs, dont certains furent illustres. Ils ont voulu l'école de la République, ils l'ont faite. Avec ce texte, j'ai le sentiment ne pas être infidèle à l'esprit universel qui était le leur. (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Vous venez de rappeler, monsieur le ministre, les éléments essentiels de la démarche du Gouvernement et les propositions contenues dans ce projet de loi sur l'avenir de l'école.
Ce texte répond à une attente, celle des milliers de Français, de tous horizons, qui, participant à la consultation voulue par le Président de la République, se sont exprimés, au cours de 26 000 réunions publiques, sur ce qu'ils attendaient de notre école pour demain. Ce grand débat, organisé sous l'égide de la commission présidée par Claude Thélot, a permis de mobiliser la nation tout entière sur ce sujet stratégique pour son avenir, donnant ainsi tout son contenu à l'affirmation qu'il faut sans cesse répéter : l'avenir de l'école se décide aujourd'hui.
La commission des affaires culturelles a été pleinement associée à cette démarche, puisque trois de ses membres, Jean-Claude Carle, aujourd'hui rapporteur, Annie David et Monique Papon, ont activement participé à ses travaux.
Tous ces avis, toutes ces contributions ont été transcrits dans Le Miroir du débat et la commission Thélot en a fait la synthèse. Son rapport, intitulé Pour la réussite de tous les élèves, a été remis au ministre de l'éducation nationale le 6 avril dernier : c'est le message adressé par nos compatriotes aux responsables politiques que nous sommes pour une nouvelle école républicaine.
Comme l'ont indiqué le président et des membres de la commission lorsque nous les avons auditionnés, ce rapport est une expression collective et trace des pistes pour accompagner l'évolution de l'école, remédier à ses carences actuelles et, de ce fait, éclairer les rédacteurs de la future loi.
Le Gouvernement s'est immédiatement mis au travail à partir de ces propositions en élaborant ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, qui vient aujourd'hui devant la Haute Assemblée.
Je salue votre courage politique, monsieur le ministre, de vous être livré à ce difficile exercice pour synthétiser et transcender ces milliers d'avis exprimés. Il est de moins en moins facile de préparer un projet de loi de réforme de l'école et nombre de vos prédécesseurs ont reculé devant les réactions, les manifestations ou les grèves suscitées par leurs projets. L'histoire nous montre que l'acte de légiférer sur l'école - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - ne se produit que tous les quinze ans : Jules Ferry en 1881, Marcel Astier en 1919, Michel Debré en 1959, René Haby en 1975 et Lionel Jospin en 1989...
Cependant, nous ne pouvions négliger la situation difficile de notre école, décevoir l'espoir de nos concitoyens, qui se sont exprimés et ont, en quelque sorte, passé commande pour une école rénovée : éduquer et former notre jeunesse en donnant à chacun sa chance et en s'efforçant de ne laisser personne sur le bord du chemin.
Il s'agit, non pas d'une révolution, mais d'une nécessaire évolution souhaitée par tous. Nous avons, à partir d'un constat, l'obligation, l'impérieuse nécessité, avec réalisme et fermeté, de porter remède aux dysfonctionnements de l'école et de la projeter dans le XXIe siècle.
C'est ce à quoi vous vous êtes attaché, et, par votre projet, le « contrat France 2005 », vous avez le mérite de proposer des solutions à ce constat d'échec qui sanctionne notre système scolaire.
Il est, en effet, insupportable que 150 000 jeunes quittent l'école négativement, sans formation de base, sans qualification et, de ce fait, sans réelle chance d'insertion professionnelle et sociale.
La perception par les jeunes de cette absence d'avenir entraîne des dérives publiques tout à fait regrettables, même si, le plus souvent, elles sont amplifiées, voire exploitées. Il n'en demeure pas moins que la jeunesse exprime sa perception des difficultés réelles du présent et ses inquiétudes tout aussi réelles pour l'avenir.
La communauté nationale, tout particulièrement celle des adultes, a une responsabilité majeure dans ce domaine.
Quatre orientations se sont dégagées du débat national, quatre défis prioritaires pour l'école de demain, qui sont des chantiers incontournables.
La référence à l'égalité des chances ne suffit plus ; il faut l'organiser, et vous vous y efforcez, monsieur le ministre, d'une façon qui est non plus incantatoire mais concrète, en vous attaquant aux racines profondes de cette situation.
Notre système éducatif, a, en fait, peu évolué au cours des décennies précédentes.
Il est vain de penser que tous les enfants, à situation sociale comparable, peuvent atteindre des niveaux scolaires, voire universitaires, identiques : peut-on imaginer que tous les enfants, tous les adolescents, tous les adultes, pour prendre l'image du sport, aient la même capacité à courir, sauter, jouer au football avec le même talent et atteindre les performances des meilleurs et des plus doués ?
L'évocation de l'égalité de tous les individus par rapport à la performance est une tromperie, sauf à tirer vers le bas l'ensemble et, par conséquent, à pénaliser les meilleurs.
En revanche, il est de notre devoir impérieux de mettre en place tous les systèmes utiles pour faire émerger tous les talents dont l'épanouissement peut être contrarié par l'origine sociale ou par l'aptitude même des enfants, qui est plus ou mois facile à révéler et à mettre en valeur.
Il faut ouvrir l'école au plus grand nombre, organiser l'émergence des talents, soutenir les plus défavorisés ou les plus fragiles...
Mme Hélène Luc. C'est pour cela qu'on veut donner des bourses au mérite !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. ...et faciliter l'orientation en fonction des capacités de chacun, non par la négative, comme c'est trop souvent le cas actuellement.
Il faut désormais mieux prendre en compte la diversité des capacités et des situations. Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, s'y emploie.
Les Français demandent à l'école de donner à leurs enfants une culture générale et des compétences minimales, de prendre en compte leur diversité, d'améliorer la gestion du système éducatif et de répondre aux défis de l'ouverture à l'international de la France.
Je laisse à M. le rapporteur le soin de développer ces thèmes et de montrer comment le projet de loi d'orientation tente d'y apporter une réponse.
Quoi qu'il en soit, nous adhérons totalement à vos propositions essentielles, monsieur le ministre : maîtrise d'un socle de connaissances de base ; lutte contre l'échec scolaire par un soutien personnalisé ; développement de l'enseignement des langues vivantes, dès le CE1 pour la première langue, à compter de la cinquième pour la seconde.
J'ajouterai que, bien qu'elle ait disposé de délais très courts, ce qu'elle a déploré, la commission des affaires culturelles a préparé l'examen de ce texte avec soin et avec sérieux. Elle avait heureusement anticipé le calendrier et débuté ses consultations dès le dépôt du projet de loi d'orientation, le 12 janvier dernier.
La commission a procédé à une cinquantaine d'auditions, si l'on y inclut celles de son rapporteur, qui a été très studieux pendant la semaine des vacances parlementaires du mois de février. Je confirme que nous avons rencontré l'ensemble des organisations représentatives des enseignants, des chefs d'établissement, des parents d'élèves et des lycéens, ainsi que de nombreux spécialistes de l'éducation.
Permettez-moi, enfin, d'évoquer deux points particuliers du projet de loi.
En premier lieu, j'ai eu l'honneur l'an dernier d'être le rapporteur du projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. J'avais moi-même demandé au cours du débat que ce texte s'accompagne d'un effort important en matière d'enseignement du fait religieux - et donc d'une adaptation de la formation des enseignants en ce sens - afin d'améliorer la connaissance critique des religions et de favoriser la compréhension mutuelle entre les différentes cultures et traditions de pensée. C'est de l'ignorance, en effet, que naît l'intolérance ; c'est sur ce terrain que prospèrent les extrémismes.
J'approuve donc l'initiative, dont la force symbolique est très grande, de notre collègue député M. Jean-Pierre Brard, visant à introduire l'enseignement de l'histoire du fait religieux.
En second lieu, j'aborderai les dispositions relatives à la réforme des instituts universitaires de formation des maîtres, marquant la volonté - cela est bien normal - de les intégrer aux universités. C'est un réel progrès, même si subsistent un certain nombre de difficultés, sur lesquelles notre rapporteur reviendra.
A cet égard, nous constatons tous que la réflexion n'a pas été suffisamment poussée sur la question de l'articulation entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Des membres de la commission Thélot avaient déjà regretté cette frontière fixée à leur champ d'investigation. Et les nombreuses personnes que nous avons auditionnées ont déploré que nous ne nous attaquions pas à cette question, tout particulièrement à l'inacceptable taux d'échec en première année d'université.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Le 29 janvier dernier, à l'occasion d' « Objectif emploi » organisé par le Sénat, les participants avaient mis en avant cette question. La commission « Défis éducatifs » avait proposé que, dès le secondaire, les élèves soient mieux informés des possibilités qu'offre l'enseignement supérieur, afin d'éviter les erreurs d'aiguillage qui conduisent à l'échec et à un gâchis inacceptables. Ce qui est vrai pour les étudiants et pour les élèves l'est également pour les professeurs des classes préparatoires et du premier cycle de l'enseignement supérieur.
Certes, le projet de loi d'orientation fixe au système éducatif l'objectif de faire obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur à 50 % d'une classe d'âge - contre 38 % aujourd'hui. L'organisation de ce niveau est donc, de ce fait, absolument à revoir.
La commission des affaires culturelles souhaite, monsieur le ministre, que la réflexion soit approfondie dans des conditions sereines, loin de toute agitation de la rue, en vue de sortir de cette impasse.
Elle a fait de nombreuses autres propositions, que son rapporteur va maintenant vous présenter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)