sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
3. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
4. Communication du Gouvernement
5. Candidatures à des organismes extraparlementaires
réforme de la politique agricole commune
Question de M. René-Pierre Signé. - MM. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité ; René-Pierre Signé.
avenir de la filière de production de cognac
Question de M. Henri de Richemont. - MM. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité ; Henri de Richemont.
pérennité de la filière économique et sociale de l'enseignement scolaire
Question de Mme Catherine Morin-Desailly. - Mmes Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer ; Catherine Morin-Desailly.
Question de M. Christian Gaudin. - Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer ; M. Christian Gaudin.
recrudescence de l'immigration clandestine en guadeloupe
Question de M. Jacques Gillot. - Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer ; M. Jacques Gillot.
réforme des aides à finalité régionale proposée par la commission européenne
Question de M. Philippe Leroy. - MM. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire ; Philippe Leroy.
Question de M. Jean-Pierre Godefroy. - M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire.
situation des centres d'information sur les droits des femmes et des familles
Question de M. Gérard Delfau. - Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle ; M. Gérard Delfau.
interdiction en milieu professionnel des éthers de glycol reprotoxiques
Question de M. Roland Muzeau. - Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Roland Muzeau.
statut des personnels des agences postales communales
Question de M. Paul Blanc. - Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Paul Blanc.
finances locales et taxe professionnelle
Question de M. Jean Boyer. - Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Jean Boyer.
réforme de la taxe foncière non bâtie et ressources des communes
Question de M. Claude Biwer. - Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Claude Biwer.
calcul des impôts locaux versés par des personnes handicapées
Question de M. Claude Bertaud. - Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Claude Bertaud.
production et distribution d'énergie en île-de-France
Question de M. Michel Billout. - Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Michel Billout.
répartition des coûts de traitement des déchets
Question de M. Thierry Foucaud. - Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Thierry Foucaud.
Question de Mme Marie-Thérèse Hermange. - M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères ; Mme Marie-Thérèse Hermange.
création d'un centre de la mémoire
Question de M. Daniel Goulet. - MM. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères ; Daniel Goulet.
7. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
8. Modification du titre XV de la Constitution. - Discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
Discussion générale : MM. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice ; Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne ; Bernard Seillier, Bernard Frimat, Bruno Retailleau, Josselin de Rohan, Michel Mercier, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Michel Baylet, Pierre Mauroy.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
MM. Jacques Baudot, Pierre Fauchon, François Autain, Robert Badinter.
Suspension et reprise de la séance
Présidence de Mme Michèle André
M. Hugues Portelli, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean Bizet, Jean-Pierre Masseret, Jacques Blanc, Mme Dominique Voynet, M. Paul Girod.
M. le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.
Mme la présidente.
Motion no 2 de M. Bruno Retailleau. - MM. Bruno Retailleau, le rapporteur. - Rejet.
Motion no 1 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - MM. Robert Bret, le rapporteur, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
9. Dépôt de propositions de loi constitutionnelle
10. Dépôt d'une proposition de loi organique
11. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
HOMMAGE À Rafic Hariri
M. le président. A la demande de M. le président du Sénat et en ma qualité de président du groupe sénatorial d'amitié France-Liban, je tiens à exprimer notre plus vive émotion à la suite de l'attentat qui vient de coûter notamment la vie à Rafic Hariri, ancien Premier ministre du Liban et grand ami de la France.
En cet instant, nos pensées vont aux proches de Rafic Hariri et des autres victimes de cet épouvantable attentat terroriste.
Nos pensées vont aussi au Liban, pays ami, dont les épreuves ne laissent aucun Français indifférent.
3
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les exportations d'armement en 2002 et 2003.
4
COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT
M. le président. M. le président a reçu, par lettre en date du 4 février 2005, le rapport et la délibération relatifs à l'avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur le projet de loi autorisation l'approbation du protocole sur la responsabilité et l'indemnisation en cas de dommages résultant de mouvements transfrontières et de l'élimination de déchets dangereux.
Acte est donné de cette communication.
Ces documents ont été transmis à la commission compétente.
5
CANDIDATURES À des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.
Les commissions des affaires sociales et des affaires économiques ont fait connaître leurs candidats.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
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Questions orales
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
Réforme de la politique agricole commune
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 640, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur les inquiétudes légitimes des agriculteurs face à la réforme de la politique agricole commune.
En effet, la réforme décidée le 26 juin 2003 à Luxembourg va modifier radicalement les modalités de financement du secteur agricole.
Dans la Nièvre, notamment, l'instauration des droits à paiement unique, les DPU, suscite de vives inquiétudes. Outre les modes de calcul assez discutables, l'attribution des DPU, complètement déconnectés du foncier, pénalise les propriétaires non exploitants qui ne pourront louer que des terres sans droits à primes, puisque ces primes seront attribuées à l'exploitant.
Pis encore, à compter du 15 mai 2004, les droits à paiement concernant les terres reprises par un nouvel exploitant sont des droits à acquérir, livrés au marché puisqu'ils sont totalement déconnectés de la terre. Jusque-là, ils étaient gérés par la réserve départementale. Il en résulte donc une pénalisation évidente des jeunes agriculteurs qui auront la double obligation d'acheter ou de louer des terres et d'acquérir des DPU, droits à paiement découplés indispensables.
En résumé, on peut souhaiter, d'une part, que l'on introduise un peu de souplesse dans l'application de cette politique agricole commune, que l'année 2005 soit une année d'expérimentation pour ce qui concerne la conditionnalité et, de ce fait, exempte de toute sanction et, d'autre part, que l'obtention des droits à paiement soit facilitée pour les jeunes agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur le sénateur, en effet, des inquiétudes existent et on peut légitimement se poser un certain nombre de questions.
Dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune, la France a obtenu le maintien des aides de l'ordre de 8 milliards d'euros par an, ce qui représente à peu près 20 % du total des sommes que l'Union européenne consacre à sa politique agricole.
Face à cela ont été mises en place deux nouvelles politiques, à savoir l'écoconditionnalité et les droits à paiement unique. La France, à la différence d'autres pays qui ont opté pour des aides régionales ou nationales ou pour le découplage, a choisi le découplage partiel, les productions, selon le cas, étant liées ou non à des aides.
J'ai considéré comme vous que ce système était complexe. Les organisations professionnelles m'ont fait passer le message. J'ai donc modifié le calendrier de l'année 2005, année de simulation, en donnant trois mois supplémentaires à mes services pour simplifier les DPU et ne pas en faire une usine à gaz, en engageant avec les organisations professionnelles une réflexion sur les notions d'agriculteur et de retraité pour éviter des effets d'aubaine ou de spéculation, ainsi que sur les règles de gestion de la réserve des DPU.
De ce fait, la communication des documents aux agriculteurs se fera avec un certain retard. Prévue en février, elle n'interviendra qu'en juin. Le Gouvernement donnera ensuite six mois aux agriculteurs pour qu'ils puissent avec l'aide des DDA remplir les formulaires afin que les DPU soient mis en paiement comme prévu au mois de décembre 2006.
Il faut que nous favorisions l'installation des jeunes et que nous évitions les phénomènes de spéculation et de rachat de droits. Il convient aussi de faire en sorte que, malgré l'existence de la réserve, les agriculteurs enregistrent le moins de pertes possible en 2006 lorsqu'ils percevront les nouveaux droits à paiement.
Pour ce qui concerne la difficulté de mise en oeuvre de l'écoconditionnalité, j'ai considéré que cette première année d'application était une année d'expérimentation. J'ai donné des instructions aux préfets et aux directeurs départementaux de l'agriculture pour simplifier considérablement le dispositif, en particulier pour que les anomalies mineures soient simplement constatées s'il y a lieu et ne fassent pas l'objet de sanction. Quand apparaîtra un problème de conditionnalité des aides entre un agriculteur et la direction départementale de l'agriculture, il faudra qu'un débat ait lieu et que l'agriculteur ne soit pas automatiquement sanctionné.
En résumé, monsieur Signé, le Gouvernement a la volonté d'appliquer intelligemment et de manière pragmatique les règles environnementales, mais il reconnaît la nécessité de revoir le calcul des DPU pour tenir compte en particulier des problèmes des jeunes et éviter tout effet de spéculation autour de ces droits.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, votre réponse va dans le sens de ce que souhaitent les agriculteurs en matière d'assouplissement des DPU, car ils craignaient que ces droits ne fassent l'objet de spéculation.
Avant le 15 mai 2004, les DPU étaient liés à la terre grâce à la gestion administrative via la réserve départementale. Depuis cette date, cette réserve ne joue qu'un rôle subsidiaire et ne règle que des cas particuliers. De ce fait, les DPU se trouvent sur le marché et peuvent faire l'objet de spéculations.
Monsieur le ministre, vous savez mieux que moi que le nombre de jeunes agriculteurs qui s'installent ne cesse de décroître. En France, la dotation aux jeunes agriculteurs est inférieure aux autres aides européennes accordées en faveur de l'installation. Les pénaliser davantage en leur permettant de louer des terres sans acquérir des DPU, qui sont des droits à paiement et non des primes, me fait craindre une course à l'extension des exploitations et à une réduction du nombre des agriculteurs.
Je me réjouis que vous ayez pris note de cette demande et que vous la considériez comme prioritaire dans votre action pour améliorer l'attribution des DPU.
Avenir de la filière de production de cognac
M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont, auteur de la question n° 647, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.
M. Henri de Richemont. Monsieur le ministre, le 17 décembre 2003, M. le Premier ministre avait reçu une délégation de la filière du cognac conduite par le Bureau national interprofessionnel du cognac, le BNIC. Il s'était engagé à mettre en application les conclusions du rapport de M. Zonta, ancien directeur régional de l'agriculture de la région Poitou-Charentes et ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts.
Dès 1998, les professionnels avaient engagé une réflexion sur l'adaptation nécessaire du vignoble qui se traduisait par des mesures de reconversion et par l'abandon de 8 000 hectares.
Le constat de l'inadéquation des surfaces par rapport aux débouchés est également mis en exergue dans le rapport précité qui préconise l'arrachage de 3 500 à 5 000 hectares.
Cependant, l'idée innovante dudit rapport réside dans la volonté d'assurer un niveau de revenu décent en introduisant un lien entre les surfaces et l'identification des produits qui en seront issus, c'est-à-dire la fin du système de cépage à double fin.
La Commission européenne prévoit une modification de l'OCM vin à l'horizon 2006. Les conclusions du rapport de M. Zonta, notamment celle qui préconise l'arrachage, prennent ainsi toute leur valeur.
Toutefois, l'expérience passée montre que les mesures structurelles ne peuvent aboutir que si des dispositions d'accompagnement incitatives leur sont associées.
Or, il apparaît qu'un niveau d'aide élevé ne constitue pas en soi une mesure incitative suffisante.
Ainsi, monsieur le ministre, j'aimerais savoir si les autorités françaises sont prêtes à demander à Bruxelles la mise en oeuvre de mesures de soutien pour accompagner les adaptations préconisées par le plan de M. Zonta - l'aide au départ ou d'autres dispositions de cette nature -, pour accompagner la réussite de ce plan.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur le sénateur, je voudrais remercier M. de Richemont d'avoir posé cette question. Il est un des parlementaires qui connaît le mieux le problème du cognac, sur lequel nous avons souvent travaillé ensemble.
Nous avons mis en place un plan national pour la viticulture, qui répond à tous les problèmes des vignobles. Ce plan n'est donc pas adapté aux besoins de votre région, j'allais dire de notre région ; il comprend des mesures sociales, conjoncturelles, spécifiques à chaque bassin, des mesures de soutien à l'exportation. Nous pouvons en mettre en oeuvre certaines dans la région des « deux Charentes », mais il faut examiner la situation avec plus de précision.
Mon objectif, monsieur de Richemont, si vous voulez bien le partager, serait que, à un moment où la crise du cognac est moins prégnante, nous mettions en oeuvre le plan Zonta, qui, vous l'avez rappelé, avait reçu l'assentiment des professions et des grands élus, toutes tendances politiques confondues, des deux départements Charentais. Cela est assez rare ! Auparavant, quand un plan était proposé, on rencontrait généralement, à l'intérieur d'un département ou d'une région, des difficultés plus ou moins grandes à l'appliquer.
Ce plan doit nous permettre d'atteindre une production régulée du cognac et de développer de véritables stratégies d'entreprises sur les autres produits tels que les vins de pays, le pineau et le jus de raisin.
Ma volonté, partagée par l'ensemble des protagonistes réunis en 2003 autour du Premier ministre, est donc bien de mettre en oeuvre rapidement le rapport Zonta ; par ailleurs, vous avez raison de le dire, des mesures d'arrachage définitif ou d'aide au départ pour les exploitants plus âgés peuvent être utiles en accompagnement de ce plan général d'adaptation.
Pour ce qui concerne l'arrachage définitif, en plus de la prime communautaire à l'arrachage, que vous avez rappelée, une prime complémentaire nationale peut être financée, notamment par les collectivités territoriales. La mise en place de cette prime complémentaire nécessite une notification pour accord à la Commission européenne. Cet accord a été obtenu, vous le savez, pour le vignoble charentais depuis la campagne 2001-2002. La Commission a également donné son aval, pour 2003 et 2004, à un complément supplémentaire, financé par le Bureau national interprofessionnel du cognac.
Je suis prêt, en application du plan Zonta, à prendre des mesures supplémentaires, comme vous le suggériez dans votre question.
Les exploitants âgés peuvent bénéficier d'aides à la préretraite financées à 50 % par l'Etat et à 50 % par le budget communautaire, dont le montant peut être également majoré par les collectivités territoriales. De même, pour 2005, j'ai obtenu le financement de 500 préretraites.
Si des moyens supplémentaires étaient nécessaires pour les besoins spécifiques de votre région et la mise en oeuvre du plan Zonta, je suis prêt comme à l'habitude, monsieur de Richemont, à travailler avec vous pour trouver une solution.
Mais, pour une fois où nous ne sommes pas dans une crise conjoncturelle, même si la situation n'est pas aussi merveilleuse que nous pourrions l'espérer, profitons-en pour faire les réformes que nous avons tous souhaitées depuis un certain nombre d'années.
Je saisis au vol votre message pour indiquer que nous allons avancer dans la mise en application du plan Zonta.
M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont.
M. Henri de Richemont. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos et de l'engagement que vous avez pris de prendre les mesures qui conviennent pour que le plan Zonta soit une réussite.
Je pense qu'il est également important d'entreprendre une démarche auprès de la Commission européenne pour que celle-ci, en application de l'OMC vin, prenne les mesures nécessaires en parallèle à celles qui ont été prises par le Gouvernement français pour que ces réformes structurelles réussissent.
Vous avez raison de le dire, monsieur le ministre, c'est au moment où le marché est au mieux qu'il faut le faire, car demain il sera peut-être trop tard.
pérennité de la filière économique et sociale de l'enseignement scolaire
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la question n° 636, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l'inquiétude légitime des enseignants de sciences économiques et sociales concernant le maintien de l'enseignement de leur discipline dans le cadre du projet de loi d'orientation sur l'avenir de l'école.
Alors que la filière économique et sociale, la filière ES, anciennement appelée B, a rencontré un succès incontestable auprès des élèves et de leurs parents en raison de la qualité de la formation proposée et des débouchés offerts, les enseignants de cette filière craignent que la suppression de la seconde de détermination, prévue dans le rapport annexé au projet de loi d'orientation, ne conduise à la disparition programmée de cette filière des sciences économiques et sociales.
En effet, la réforme annoncée de la seconde au lycée, en limitant le choix des élèves à un seul enseignement de spécialisation, aurait pour conséquence l'abandon de l'enseignement des sciences économiques et sociales, car le choix d'une deuxième langue vivante s'imposerait de fait aux élèves qui voudraient poursuivre leurs études en série générale. Les sciences économiques et sociales seraient alors réduites à une simple option facultative, ce qui conduirait à terme à un appauvrissement du recrutement de la filière ES, puis, logiquement, à celui des classes préparatoires économiques et commerciales.
En conséquence, je souhaiterais savoir si vous entendez conserver toute sa place à cet enseignement - dont la contribution à l'ouverture des élèves sur le monde, au développement de leur sens critique et à la formation de futurs citoyens est essentielle - en maintenant la présence des sciences économiques et sociales dans le tronc commun dès la classe de seconde générale, en préservant les dédoublements indispensables à la mise en oeuvre d'une pédagogie active et, enfin, en garantissant l'identité et l'attractivité de la filière ES des lycées.
Sur un plan plus général, la réduction du choix à un seul enseignement de spécialisation en classe de seconde, au lieu des deux options actuellement obligatoires et des options facultatives au lycée, touchera des disciplines comme les arts plastiques ou le théâtre, ce qui inquiète l'ensemble de la communauté éducative.
Les annonces faites la semaine dernière ont commencé à rassurer les enseignants : pouvez-vous nous confirmer aujourd'hui les décisions prises ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Madame la sénatrice, je voudrais tout d'abord vous demander de bien vouloir excuser François Fillon, qui, actuellement retenu par d'autres obligations, m'a demandé de le remplacer.
Vous faites écho, madame la sénatrice, aux craintes des professeurs de sciences économiques et sociales de voir moins d'élèves choisir cet enseignement en classe de seconde, lui préférant la deuxième langue vivante, et ce au risque d'un affaiblissement de la série ES.
François Fillon connaît cette inquiétude des professeurs de sciences économiques et sociales qu'il a rencontrés récemment lors d'un colloque au Conseil économique et social et qu'il a eu l'occasion de rassurer.
Dans le rapport annexé au projet de loi d'orientation sur l'avenir de l'école, il est en effet prévu que la classe de seconde conservera son caractère général. Les élèves pourront, en dehors du tronc commun, choisir un enseignement de spécialisation et deux options facultatives alors qu'actuellement il y a en seconde deux enseignements de détermination au choix parmi lesquelles figurent la deuxième langue vivante et une option facultative.
Naturellement, les sciences économiques et sociales auront toute leur place en tant qu'enseignement de spécialisation et il est évident qu'un élève souhaitant se diriger vers la série ES aura tout intérêt à explorer cette nouvelle discipline.
De plus, il est à noter qu'un tel choix ne sera pas en concurrence avec la deuxième langue vivante. En effet, la priorité donnée par François Fillon à l'apprentissage des langues l'a conduit à intégrer l'enseignement de la deuxième langue vivante au tronc commun de la classe de seconde.
Ce qui vient d'être dit pour les sciences économiques et sociales, madame la sénatrice, est bien entendu valable pour les autres enseignements que vous mentionnez, tels que les arts plastiques ou le théâtre.
Enfin, pour dissiper tout motif d'inquiétude sur l'avenir de la série économique et sociale, à laquelle les parents et les élèves sont très attachés, je dirai que cette série est non seulement maintenue par le projet de loi sur l'avenir de l'école, mais qu'elle sera renforcée pour continuer à offrir une formation généraliste ouvrant sur une pluralité d'orientation dans l'enseignement supérieur.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
J'ai noté avec satisfaction les évolutions de ces derniers jours, notamment l'annonce faite par le Gouvernement d'amender son texte initial, à la suite de la mobilisation des enseignants de sciences économiques et sociales que M. François Fillon a rencontrés, en réintégrant la deuxième langue vivante dans le tronc commun de seconde, ce dont je me réjouis.
J'en profite pour valoriser cette filière d'excellence, puisque plus de 63 % des bacheliers titulaires du baccalauréat ES poursuivent des études supérieures.
Je voudrais toutefois attirer votre attention. Les représentants de cette discipline, que nous avons auditionnés en commission des affaires culturelles la semaine dernière, ont manifesté une certaine inquiétude, notamment en ce qui concerne la réduction annoncée du nombre des classes dédoublées au lycée. Ils insistent sur le fait que ces dernières permettent de dispenser une pédagogie différenciée, adaptée en tout cas à cette matière, ainsi d'ailleurs qu'à d'autres.
Par ailleurs, je voulais également attirer votre attention sur l'idée d'introduire dans la filière ES un enseignement de droit et de gestion des entreprises qui risque de créer une confusion avec la filière « sciences et techniques de gestion » de l'enseignement technique.
participation des agents territoriaux aux commissions compétentes pour les délégations de services publics
M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin, auteur de la question n° 643, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Christian Gaudin. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, concerne la participation des agents territoriaux aux commissions compétentes pour les délégations de service public.
La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 15 juin 2004, a annulé une procédure de délégation de service public au motif que la présence d'agents territoriaux au sein de la commission d'ouverture des plis constituait une irrégularité substantielle.
Cet arrêt confirme ainsi les modalités de mise en oeuvre d'une délégation de service public, définies par l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales.
En effet, si le code des marchés publics autorise expressément la participation de certains personnels administratifs dans les commissions d'appel d'offre, l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales ne prévoit que la présence d'élus et de représentants de l'Etat au sein de la commission compétente pour les délégations de service public.
Pourtant, la procédure relative aux délégations de service public est en général plus complexe, sur le plan tant juridique que technique, que la procédure relative aux marchés publics. C'est d'ailleurs pour cette raison que, dans les faits, de nombreux élus souhaitent la présence de fonctionnaires territoriaux à leurs côtés.
C'est pourquoi il paraît nécessaire, pour répondre à une attente légitime des élus, de modifier rapidement l'article L. 1411-5 du code général des collectivités locales, afin de permettre aux fonctionnaires territoriaux d'assister tout au long de la procédure les élus qui le souhaitent.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. Dominique de Villepin, qui, actuellement retenu par d'autres obligations, m'a demandé de vous répondre.
Comme vous l'avez fort justement souligné, l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales ne prévoit que la présence d'élus et de représentants de l'Etat, en l'occurrence le comptable de la collectivité et le représentant du ministre chargé de la concurrence, au sein de la commission compétente en matière de délégation de service public.
Ces agents de l'Etat sont membres de droit de la commission et disposent de voix consultatives. Dans la pratique, afin de leur apporter une aide juridique et technique, des commissions ont cependant autorisé des fonctionnaires territoriaux à assister aux séances. Aux termes d'une jurisprudence constante, les juridictions administratives ont jugé que, lorsqu'une personne étrangère à la commission avait assisté aux réunions de celle-ci, l'irrégularité de la composition de la commission d'ouverture des plis et d'avis était caractérisée et que, par conséquent, tous les actes pris par ladite commission étaient frappés de nullité.
Les règles applicables aux commissions d'appel d'offres pour des marchés publics sont en revanche différentes. Si le comptable public et un représentant du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes peuvent, sur invitation de son président, participer avec voix consultative aux réunions, le décret du 7 janvier 2004 portant nouveau code des marchés publics permet de faire appel au concours d'agents de la personne publique délégante compétents en matière de droit des marchés publics.
Le ministre de l'intérieur est totalement conscient de la complexité juridique et technique grandissante des dossiers examinés par les commissions compétentes en matière de délégation de service public.
Aussi, monsieur le sénateur, en se fondant sur le modèle de ce qui est applicable en matière de marchés publics, le ministre de l'intérieur engagera une réflexion pour permettre, dans le cadre d'une délégation de service public, aux agents de la collectivité délégante d'apporter leur aide aux élus de la collectivité lors des séances de ces commissions.
M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.
M. Christian Gaudin. Je vous remercie, madame la ministre, de l'éclairage que vous avez apporté.
Je suis satisfait que M. le ministre de l'intérieur engage une réforme pour faire évoluer l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, car la complexité des dossiers est telle qu'il est nécessaire que les élus soient assistés de leurs fonctionnaires territoriaux dans ces commissions.
Recrudescence de l'immigration clandestine en Guadeloupe
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot, auteur de la question n° 642, transmise à Mme la ministre de l'outre-mer.
M. Jacques Gillot. Madame la ministre, ma question porte sur les moyens affectés au contrôle et à la maîtrise de l'immigration en Guadeloupe.
A ce jour, on estime que le nombre de personnes vivant clandestinement en Guadeloupe se situe entre 10 000 et 30 000 ; les immigrés clandestins seraient entre 12 000 et 18 000 à pénétrer chaque année dans le département.
Le départ vers la Guadeloupe s'explique essentiellement par les difficultés économiques et politiques que connaissent des îles telles que Haïti ou la République dominicaine.
Quant aux demandes d'asile, elles sont passées de 130 en 2003 à 3 600 en 2004 et concernent en majeure partie des individus installés irrégulièrement sur le territoire et souhaitant régulariser leur situation.
La multiplication des incidents liés à l'immigration clandestine, notamment les naufrages répétés le long des côtes, les reconduites à la frontière et les arrestations d'étrangers en situation irrégulière, suscite une inquiétude grandissante dans l'opinion publique.
Afin d'éviter que cette situation ne soulève des manifestations de xénophobie, des mesures de contrôle et de maîtrise de l'immigration clandestine s'imposent.
Madame la ministre, j'ai pris note du renforcement de l'action dans ce domaine que vous avez indiqué. Je vous demanderai toutefois de m'apporter quelques précisions.
Vous n'avez pas manqué de souligner que ces questions relevaient des compétences régaliennes de l'Etat. Il vous appartient donc d'apporter des indications pour confirmer que la lutte contre l'immigration clandestine demeure une priorité en Guadeloupe.
Ainsi, pouvez-vous m'indiquer précisément les moyens humains, matériels et juridiques que vous entendez affecter au contrôle de l'immigration ?
Les négociations avec la Dominique et Sainte-Lucie prévoient-elles un volet de coopération judiciaire et policière ?
Enfin, êtes-vous en mesure de me communiquer le calendrier de mise en oeuvre des dispositions annoncées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le sénateur, vous estimez que le nombre accru des reconduites à la frontière effectuées en Guadeloupe, qui, pour l'année 2004, s'est élevé à 1 083, résulterait d'une pression migratoire en augmentation. J'y vois surtout le résultat de l'action déterminée menée par le Gouvernement dans la lutte contre l'immigration clandestine.
Vous reconnaissez d'ailleurs vous-même qu'une part importante des demandeurs d'asile recensés à la préfecture en 2004 est constituée d'immigrants irréguliers installés de longue date en Guadeloupe et qui cherchent ainsi à régulariser leur situation.
Pour ma part, je vois donc dans cette évolution la traduction d'une efficacité renforcée de l'action des services de police et de gendarmerie, action qui incite tous ces clandestins se sentant plus menacés qu'auparavant à régulariser leur situation.
Face à la situation que vous décrivez et que je ne conteste absolument pas, le Gouvernement a déjà adopté des mesures concrètes et il a l'intention de renforcer encore son action.
D'abord, l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui a déjà effectué deux missions spécifiques en Guadeloupe, se rendra désormais une fois tous les deux mois dans ce département, ce qui permettra d'auditionner plus rapidement les demandeurs d'asile et d'éviter que ces derniers ne puissent se maintenir durablement sur le territoire alors même que leur demande ne serait pas fondée.
Ensuite, la surveillance maritime de la passe des Saintes, qui est déjà une priorité, sera renforcée.
Le bateau de la direction interrégionale des douanes a assuré une présence de 1 220 heures en 2004, de jour et de nuit, mais cela n'exclut pas l'intervention des autres moyens nautiques de l'Etat, qu'ils relèvent de la PAF, la police aux frontières, de la gendarmerie ou de la marine nationale.
J'ai donné des instructions écrites au préfet de la Martinique, qui, comme vous le savez, est chargé de l'action de l'Etat en mer sur toute la zone des Antilles, pour que la présence des moyens nautiques de l'Etat soit très sensiblement augmentée en 2005 aux abords des côtes de la Guadeloupe.
De même, une mission d'experts évalue en ce moment l'intérêt d'installer un radar de surveillance de cette zone qui connaît une intense circulation maritime.
Enfin, les accords de réadmission sont, de mon point de vue, le moyen le plus approprié pour mener une action efficace de coopération avec les Etats voisins dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine.
A ma demande, des instructions ont été données par le ministre des affaires étrangères afin que les négociations engagées depuis plus d'un an avec la Dominique soient menées à leur terme rapidement.
Je rappelle que des accords de réadmission ont déjà été signés avec plusieurs Etats de la région et qu'ils ont déjà fait la preuve de leur efficacité. J'en ai signé un avec le Surinam en novembre 2004 ; je signerai, lors d'un prochain déplacement en Martinique, l'accord qui a été négocié avec Sainte-Lucie. Je veux d'ailleurs souligner que la négociation avec Sainte-Lucie a été rendue beaucoup plus difficile en raison des mesures prises par le précédent gouvernement, qui avait dispensé les Saint-Luciens de visa sans avoir obtenu de contrepartie.
Par ailleurs, je me félicite que vos collègues députés, Joël Beaugendre et Gabrielle Louis-Carabin, aient déposé une proposition de loi pour que les mesures dérogatoires qui sont actuellement uniquement applicables à Saint-Martin soient étendues à toute la Guadeloupe, en particulier le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière.
Je rappelle que le caractère non suspensif s'attachait auparavant à ces recours dans l'ensemble des départements d'outre-mer ; je déplore que, par la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, dite loi « RESEDA », le gouvernement de M. Jospin ait supprimé, sauf pour la Guyane et pour Saint-Martin, ce dispositif qui permet de donner une pleine efficacité à la procédure de reconduite à la frontière.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement répond par des mesures concrètes aux préoccupations que vous exprimez dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine.
Vous avez eu raison de rappeler que ce sujet relève de la seule compétence de l'Etat, qui n'a absolument pas l'intention de faire preuve du moindre laxisme dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse, car il y a en Guadeloupe une inquiétude grandissante.
Vous avez, certes, annoncé un certain nombre de mesures, mais vous n'avez pas répondu à ma question sur le calendrier, au sujet duquel il serait intéressant que vous nous donniez des précisions.
Si j'interviens aujourd'hui et si des actions concrètes sont annoncées par le Gouvernement, c'est parce qu'il existe un réel problème. Nous souhaitons donc, madame la ministre, que vous nous rassuriez afin que la population ne tombe pas dans une dérive xénophobe qui se dessine.
Réforme des aides à finalité régionale proposée par la Commission européenne
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy, auteur de la question n° 645, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.
M. Philippe Leroy. Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question a trait au régime des aides européennes à finalité régionale, notamment en ce qui concerne le soutien au développement des entreprises.
La politique européenne pour la période 2007-2013, qui est en cours d'étude, vise, en la matière, à remplacer le système en vigueur, en particulier le mécanisme de la prime d'aménagement du territoire.
Si les propositions de la Commission européenne sont adoptées à l'identique, aucun territoire en France ne pourra attribuer d'aides au développement des entreprises, les aides, que l'on peut appeler horizontales ou transversales, relatives, par exemple, à la recherche-développement ou à la formation mises à part. En pratique, cela signifie la disparition de la possibilité de soutenir le développement industriel ou économique.
De plus, les aides publiques à l'investissement des grandes entreprises seront autorisées dans tous les autres territoires européens qui bénéficieront d'un zonage lié à leur produit intérieur brut dans la mesure où celui-ci sera inférieur à 75 % de la moyenne européenne.
C'est évidemment une mesure de solidarité, mais, poussée à l'extrême, cette solidarité aurait de graves conséquences pour un certain nombre de territoires français qui se verraient de fait interdits d'accueillir des entreprises nouvelles et confrontés à la désindustrialisation.
Les autorités françaises ont transmis en juillet dernier une première réponse aux autorités européennes en indiquant que le Gouvernement français allait consulter les collectivités locales à ce propos.
Je sais que le calendrier s'accélère puisque la Commission européenne vient de nous adresser les compléments de proposition et que nous devons rendre notre copie nationale au mois d'avril ou de mai.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous avez pu recueillir l'avis des collectivités et si le Gouvernement français a élaboré des contre-propositions pour que certaines régions françaises qui en ont besoin puissent recevoir ces aides européennes.
Entendez-vous nous communiquer les éléments de vos réflexions ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu attirer l'attention du Gouvernement sur la position des autorités françaises relative aux propositions que nous a transmises la Commission européenne visant à réformer la réglementation des aides publiques aux entreprises pour la période 2007-2013.
Comme vous le soulignez, le projet de révision des règles relatives aux aides à finalité régionale présenté par la Commission européenne aurait des conséquences importantes et très négatives pour le territoire français s'il était adopté en l'état, puisqu'il interdirait à l'avenir aux pouvoirs publics, c'est-à-dire à l'Etat mais aussi aux collectivités, de soutenir l'investissement productif et la création d'emplois des entreprises dépassant la taille de PME.
Comme vous l'indiquez très justement, la prime à l'aménagement du territoire est en effet concernée par le dispositif en question.
Le Gouvernement français a, vous le savez, transmis les premières observations à la Commission européenne au mois de juillet dernier. Dans l'attente de la réception des avis des organisations représentatives des élus locaux, il a exprimé son opposition aux propositions de la Commission, ce qui reste notre position, et sollicité le maintien de la possibilité d'aider les grandes entreprises sur le territoire métropolitain dans la période 2007-2013.
Depuis, nous avons reçu des réponses des représentants des collectivités, notamment de l'Association des maires de France et de l'Association des régions de France, et leurs propositions viennent conforter la position initiale exprimée par le Gouvernement français.
Les discussions ont été engagées sur l'initiative de la Commission, les 1er et 2 février 2005, à ce sujet. La France a réitéré à cette occasion son attachement au maintien de possibilités de soutien aux entreprises sur son territoire.
Avec nos homologues allemands, britanniques et autrichiens, mais sur l'initiative du Gouvernement français, Gilles de Robien et moi-même avons adressé un courrier commun à la Commission pour lui faire part de notre refus de voir appliquer la suppression totale et brutale des aides qu'elle nous proposait.
Avec Gilles de Robien, nous rencontrerons d'ailleurs, le 17 février prochain, Mme Kroes, commissaire chargée de la concurrence, dont les positions gênent le Gouvernement français, pour nous expliquer sur ces questions.
Etant hier au Luxembourg, pays qui assure la présidence de l'Union européenne, j'ai rappelé la position française à mon homologue qui m'a assuré de son soutien.
La Commission européenne a demandé aux Etats de lui transmettre en mars prochain, leur position officielle sur la réforme des aides à finalité régionale. Avec Gilles de Robien nous avons demandé à nos services de rester en contact étroit avec les organisations représentatives des collectivités locales - en l'occurrence essentiellement l'Association des maires de France et l'Association des régions de France, mais aussi l'Assemblée des départements de France - lors de l'élaboration de cette position complémentaire, pour tenir compte des avis qu'ils auront exprimés. Il me paraît en effet indispensable que nous puissions accompagner le développement de nos entreprises dans le cadre d'une politique ambitieuse de compétitivité menée par le Gouvernement et soutenue par les représentants des associations d'élus.
Je peux vous assurer, monsieur le sénateur, que nous demeurerons particulièrement vigilants sur cette question.
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.
M. Philippe Leroy. Je remercie le Gouvernement de son action et je me réjouis de voir qu'elle est conforme aux voeux des représentants des collectivités territoriales. Je ne peux que lui souhaiter une pleine réussite dans ses démarches.
Financement du code ISPS
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 641, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite attirer votre attention sur le financement du code international pour la sécurité des navires et des installations portuaires, le code ISPS.
En effet, depuis le 1er juillet 2004, tous les ports maritimes d'Europe et du monde sont tenus de mettre en oeuvre le code ISPS, approuvé par l'Organisation maritime internationale, l'OMI, en décembre 2002. Mais son application soulève des questions de financement, ce dernier étant à la charge des Etats. En ce qui concerne notre pays, une mission interministérielle devait faire des propositions au cours de l'année 2004.
Dans son rapport rendu en juin, la mission conduite conjointement par l'inspection générale de l'administration, de la police nationale et des finances et le conseil général des ponts et chaussées, insiste sur la nécessité de trouver un mode de financement qui n'introduise pas de distorsion de concurrence entre les ports. Elle propose, à titre transitoire et pour une durée de 3 ans, la création d'une taxe de sûreté portuaire sur les passagers des ferries et les croisiéristes, taxe qui, par exemple, pourrait varier de 2 euros par passager ferry piéton à 5 euros pour les véhicules dont les passagers bénéficieraient alors de la gratuité. Le produit de la taxe serait versé à l'Etat et affecté au financement des ports.
Dans le contexte économique actuel du transport maritime transmanche, cette proposition de financement pose un véritable problème : estimé à 5,9 millions de passagers en 1994, le marché du trafic passager sur le secteur Manche ouest et centrale, c'est-à-dire sur les lignes de Roscoff à Dieppe, a décru en moyenne de 3 % par an depuis 10 ans, pour atteindre 4,3 millions en 2004.
Une taxe supplémentaire sur les passagers risquerait de créer un problème économique pour des entreprises qui doivent déjà faire face à l'augmentation du prix du pétrole et au développement des compagnies low-cost, tant aériennes que maritimes.
A titre d'exemple, sur le port de Cherbourg, il en coûterait, en 2005, plusieurs millions d'euros à une compagnie, alors même qu'elle fait l'effort de reprendre une partie des lignes après le retrait d'un concurrent, annoncé à la fin de 2004 dans des conditions hautement condamnables.
La décision prise pourra donc mettre en cause, non seulement la viabilité de nombreuses entreprises, mais également le maintien de nombreux emplois à terre. C'est pourquoi, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles sont les intentions du Gouvernement sur cette question fort délicate.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, je voudrais tout d'abord vous prier d'excuser François Goulard, qui, n'ayant pu nous rejoindre ce matin, m'a prié de vous répondre à sa place.
Le code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires, adopté par l'Organisation maritime internationale en décembre 2002 et entré en vigueur le 1er juillet 2004, impose aux navires et aux installations portuaires, c'est-à-dire aux terminaux portuaires, d'adopter des mesures de sûreté. Formalisées dans un plan de sûreté approuvé par le Gouvernement, elles visent à protéger le navire, ses passagers et éventuellement sa cargaison vis-à-vis d'actes terroristes. Elles peuvent comprendre, par exemple, pour les navires, des dispositifs de sécurisation des organes sensibles du bâtiment, tels que la passerelle de commande ou la salle des machines ; pour les installations portuaires, la mise en place de clôtures, de badges d'accès, mais aussi de vidéosurveillance, voire de dispositifs de détection d'armes ou d'explosifs.
Il est important de noter à ce stade que le code international ISPS fixe des obligations aux opérateurs, qu'il s'agisse des compagnies maritimes ou des opérateurs de terminaux portuaires. Le rôle de chacun des Etats consiste à approuver les mesures proposées et à en contrôler la bonne mise en oeuvre.
Cependant, le Gouvernement, conscient de l'importance de la charge financière de ces mesures pour les opérateurs et le transport maritime, a demandé aux inspections générales des ministères de l'équipement, de l'intérieur et des finances d'en examiner les modalités de financement. Il a également demandé à cette mission interministérielle d'examiner la problématique du financement du traité franco-britannique du Touquet, relatif à la mise en oeuvre de contrôles frontaliers dans les ports de la Manche et de la mer du Nord.
La mission interministérielle a proposé une première évaluation des coûts induits par les mesures de sûreté, à hauteur environ de 80 millions d'euros par an au niveau national, et confirmé que ces dépenses avaient, pour l'essentiel, vocation à être prises en charge par les opérateurs du transport maritime. Ces mesures de sûreté contribuent en effet également, pour une large part, à l'amélioration des conditions de sécurité, à la prévention des vols, et, plus généralement, à la qualité de l'exploitation.
La mission interministérielle a toutefois estimé que certaines de ces dépenses, notamment les dépenses induites par la sécurisation du transport maritime de passagers et la mise en oeuvre du traité du Touquet, pouvaient justifier un financement public. Compte tenu des contraintes budgétaires, elle a étudié la création d'une ressource nouvelle qui pourrait prendre la forme d'une taxe de sûreté du transport maritime, portant sur les trafics de passagers. Divers scénarios, susceptibles de mobiliser un financement plus ou moins important, ont depuis lors été examinés. Cependant le financement de ces coûts, qu'ils fassent l'objet d'une taxe de sûreté ou qu'ils soient pris en charge par les opérateurs et répercutés ensuite dans leurs tarifs, vient à la charge du transport maritime de passagers, dégradant évidemment l'équilibre économique de cette activité.
Conscient de cet enjeu, le Gouvernement étudie aujourd'hui s'il est réellement opportun d'instaurer une taxe de sûreté ou si ces dépenses pourraient être prises en charge dans le cadre d'un redéploiement budgétaire. Cette question pourrait faire l'objet d'une décision lors du prochain comité interministériel de la mer, programmé pour le deuxième trimestre 2005.
situation des centres d'information sur les droits des femmes et des familles
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, auteur de la question n° 646, adressée à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.
M. Gérard Delfau. Ma question concerne les problèmes budgétaires que rencontrent les centres d'information sur les droits des femmes et des familles. Je m'inquiète en effet de la baisse des crédits prévus dans la loi de finances pour 2005, qui fait suite à la diminution intervenue en 2004, alors même que le versement du financement de l'Etat a été très tardif, en décembre, en Languedoc-Roussillon.
Si cette amputation devait être confirmée, le résultat serait dramatique et un grand nombre des 117 centres de France seraient contraints de licencier. Or, je tiens à vous rappeler, madame la ministre, que ce réseau favorise l'insertion sociale et professionnelle des femmes. Il fournit à titre gratuit une information d'ordre juridique, professionnel, économique, social et familial afin de leur faciliter l'accès à une pleine citoyenneté et à une plus grande autonomie dans leur vie personnelle, toutes missions qui relèvent, bien évidemment, de votre ministère.
Dans le cas de la région Languedoc-Roussillon, plus particulièrement dans l'Hérault, je souligne pour votre information que 2602 femmes ont consulté en 2004 et qu'elles ont souvent été suivies sur plusieurs dossiers : conseils juridiques, conjugaux, sociaux notamment
Je tiens à mettre l'accent sur l'une des actions exemplaires de ces centres de l'Hérault. Ils informent et accompagnent les femmes victimes de violences conjugales dont 180 cas ont été répertoriés en 2003, et 283 en 2004.
A la suite de ces travaux, une expérimentation a été lancée avec un groupe de parole pour les hommes incriminés dans ces violences : il s'agit là d'une expérience unique, conduite en partenariat avec le parquet, la gendarmerie et le centre hospitalier universitaire. Une telle démarche constitue, à l'évidence, une bien meilleure façon d'affronter ces problèmes que la création de places supplémentaires dans les prisons.
Telles sont les raisons de mon inquiétude. En tant que parlementaire et en tant que maire, je tiens à dire que j'ai, depuis longtemps déjà, offert un local et alloué une subvention de fonctionnement à l'antenne du CIDF de ma commune. Je vous demande donc instamment, madame la ministre, de prévoir des moyens constants, de pérenniser les emplois et de faire en sorte que cette action soit, non seulement maintenue, mais encore développée.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Monsieur le sénateur, je suis tout à fait en mesure de vous apporter les apaisements que vous souhaitez sur ce sujet fondamental.
Bien évidemment, ce réseau associatif est incomparable par son efficacité et par le soutien qu'il mérite de la part du Gouvernement. Nous le lui accordons dans le souci qui a toujours été le nôtre de faire en sorte que ces associations de terrain puissent répondre, comme vous venez de le décrire vous-même, aux besoins qui s'avèrent aujourd'hui très pressants en termes d'écoute, d'accueil et de gestion, notamment des questions liées à la violence.
Vous me permettrez de faire, en quelques mots, la démonstration de l'engagement sans faille de mon ministère auprès de ce réseau, et que ce premier chiffre me semble déjà traduire : 45 % de notre budget d'intervention lui a été consacré en 2004. A ce jour, je rappellerai qu'il couvre 115 associations et près de 976 points d'information répartis sur l'ensemble du territoire. Le dynamisme de ces structures n'est plus à démonter. Il se traduit par le nombre très important des personnes accueillies, mais aussi des salariés et des bénévoles, que vous avez évoqué et qui n'a cessé de croître ces dernières années. En 2003, les CIDF ont reçu 657 522 demandes d'information, soit un taux d'accroissement des demandes de 11,54 %, entre 2003 et 2004, près de 300 000 personnes ont été informées individuellement et 31 000 de façon plus collective. Ils emploient 1065 salariés, soit 649 équivalents temps plein, dont 316 juristes et ces instances ont été animées par plus de 600 bénévoles.
Vous indiquez à juste titre, monsieur le sénateur, que ces centres ont pour objet de contribuer à améliorer l'insertion sociale et professionnelle des femmes en leur offrant une information juridique de qualité qui leur permette à la fois d'acquérir une plus grande autonomie dans leur vie personnelle, sociale et économique et d'obtenir une possibilité de promotion professionnelle, leur ouvrant ainsi l'accès à une pleine citoyenneté.
Nous préservons - et c'est le souhait de M. le Premier ministre - cette « richesse » du réseau associatif, notamment à travers le Centre national d'information et de documentation des femmes et des familles, le CNIDFF, qui est la tête de réseau et, bien sûr, tous les CIDF installés dans nos territoires et nos régions, dont la vôtre.
Je tiens donc à réaffirmer devant vous le soutien financier de l'Etat, qui s'accompagne d'ailleurs d'une réorganisation des structures puisque nous avons mis en place un système de cadres contractuels renouvelés permettant d'assurer la pérennité du réseau associatif par le biais d'un partenariat déterminé dans un contrat d'objectifs triennal. Le bilan très positif d'exécution du premier contrat d'objectifs me conduit d'ailleurs à renouveler ma confiance à la tête de réseau puisqu'un deuxième contrat est en passe d'être signé.
S'agissant du soutien financier de l'Etat, je rappelle que la dotation annuelle globale du ministère de la parité et de l'égalité professionnelle s'est élevée à 5 212 345 euros ; elle est restée sensiblement identique ces dernières années en raison de notre souci de rigueur budgétaire. Cependant, cela ne nous empêchera en aucune façon de poursuivre notre soutien au développement des centres locaux ainsi qu'au centre national, qui dispose d'une subvention annuelle de 1 106 000 euros, somme très importante, puisque la part ainsi réservée au CNIDFF représente 32 % des crédits d'intervention nationaux.
Consciente que toute mesure de réduction de ces crédits aurait une incidence forte sur le fonctionnement du réseau, j'ai décidé de maintenir l'effort, en 2005, à hauteur de celui qui a été consenti en 2004.
Vous pouvez donc être pleinement rassuré, monsieur le sénateur, sur la pérennité du soutien financier de l'Etat à cette structure. J'ajoute que nous envisageons même de recruter une trentaine de salariés supplémentaires, ce qui témoigne de notre volonté de donner une stabilité à ces centres en reconnaissance de leur efficacité et de soutenir le réseau associatif en France.
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Madame la ministre, je vous remercie de ces informations.
Je veux tout d'abord m'associer à l'hommage que vous avez rendu à ce réseau, déjà très ancien, qui a été soutenu par tous les gouvernements sans exception, et redire qu'il faut impérativement non seulement le préserver, mais lui donner les moyens de se développer, afin qu'il soit en mesure de répondre aux situations difficiles.
Ensuite, je prends acte de votre engagement de maintenir l'effort budgétaire, en 2005, à un niveau identique à celui de 2004, bien que cette réponse me paraisse quelque peu décevante, ce qui ne vous surprendra pas. Soyez-en assurée, le parlementaire que je suis veillera particulièrement, et tout au long de l'année, à ce que cet engagement, qui est un minimum, soit scrupuleusement tenu, de sorte que, notamment, nous n'ayons pas à constater, comme l'année passée, des retards dans les versements, qui se traduisent par autant de frais financiers supplémentaires venant amputer les ressources de ces centres.
Je forme le voeu qu'à cette reconduction à l'identique que vous annoncez succède, en 2006, un effort sensiblement accru.
interdiction en milieu professionnel des éthers de glycol reprotoxiques
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, auteur de la question n° 637, adressée à M. le ministre délégué aux relations du travail.
M. Roland Muzeau. Ma question s'adresse également à M. le ministre chargé de la santé et de la protection sociale et porte sur la stratégie du Gouvernement concernant la protection des travailleurs exposés couramment à des éthers de glycol dont la toxicité sur la santé humaine est établie.
Comme l'a révélé récemment le premier procès mettant en cause l'utilisation de ces substances chimiques en milieu professionnel, les victimes de l'exposition à ces substances sont, certes, des salariés parents ayant donné naissance à des enfants mal formés ou atteints dans leur capacité reproductive, mais également, et plus directement, la progéniture de ces derniers, faisant apparaître à cet égard le caractère structurant des questions de santé au travail sur la santé publique.
Je n'ose penser, notamment après le drame sanitaire de l'amiante et le scandale des fibres minérales utilisées en remplacement, que les pouvoirs publics puissent continuer de traiter avec légèreté le dossier des éthers de glycol.
L'argument tiré des connaissances imparfaites sur les risques liés à l'utilisation de cette famille de solvants n'est pas recevable. Dans l'affaire de la vache folle, fort heureusement, les pouvoirs publics n'ont pas attendu la preuve absolue pour agir. Comment, dès lors, expliquer que le principe de précaution ne s'applique pas au monde de l'entreprise et du travail, si ce n'est parce que, dans ce domaine, les intérêts économiques, le souci de la rentabilité industrielle et financière l'emportent trop souvent sur l'humain et les enjeux de santé publique ?
Voilà maintenant plus de vingt ans que les premières alertes ont été lancées à l'étranger. La reprotoxicité des éthers de la série E - il s'agit des dérivés de l'éthylène glycol - a été mise en évidence. Certains éthers de la série P seraient également particulièrement dangereux pour l'homme.
Les résultats de diverses études, dont celle de M. Cicolella, ont confirmé les risques particulièrement élevés pour les consommateurs et les travailleurs en cas d'utilisation desdites substances.
A l'échelon européen, si aucune de ces molécules n'est classée comme reprotoxique de catégorie 1, c'est-à-dire comme ayant des effets avérés chez l'homme, neuf molécules sont classées en catégorie 2 en raison des effets reprotoxiques chez l'animal.
Découlent de cette classification des interdictions d'incorporation dans les produits à destination du grand public, des restrictions d'usage, que la France a anticipées et étendues aux produits cosmétiques, produits de santé et produits à usage vétérinaire.
S'ils sont prohibés pour le consommateur, les mêmes éthers de glycol restent pourtant autorisés au travail, alors que - vous le savez - l'exposition dans ce cadre est, par nature, beaucoup plus importante.
S'impose donc, aujourd'hui, une politique de prévention « soft », ou encore a minima, qui est fondée sur le principe de substitution des éthers toxiques par un agent moins dangereux, sous réserve que ce soit techniquement possible, et non plus une politique de prévention primaire, où les risques sont recherchés et supprimés à la source.
Quel est le résultat de cette incohérence en termes de santé publique ? En toute légalité, de trop nombreux salariés restent exposés à ces produits extrêmement dangereux, sans le savoir précisément, dans des secteurs d'activité comme ceux de l'industrie aéronautique, des composants électroniques, de la peinture ou du bâtiment.
Les dispositions prévues spécifiquement en direction des seules femmes enceintes, qui ne peuvent être exposées à ce type de produit, à condition que leur grossesse soit connue, sont également insuffisantes. En effet, comme le dénonce à juste titre le collectif « éthers de glycols », le risque existe autant pour les femmes que pour les hommes et la toxicité pour l'embryon est réelle dès la conception.
Dans ces conditions, vous comprendrez, madame la ministre, que je vous demande de me faire connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre pour véritablement responsabiliser les entreprises et pour faire évoluer la réglementation concernant les éthers de glycol en milieu professionnel, en l'occurrence en interdisant l'utilisation et la commercialisation des substances reprotoxiques.
Ma demande est légitimée, je dois le dire, par l'évolution des connaissances scientifiques en ce domaine. En effet, il n'aura échappé à personne que l'une de deux études épidémiologiques lancées en 2001, qui évalue les conséquences sur la fertilité masculine, conclut à l'existence, « d'une association entre l'exposition professionnelle aux produits contenant des éthers de glycol et une atteinte à la qualité du sperme ».
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur la stratégie de protection des salariés contre les éthers de glycol et, notamment, demandé l'interdiction en milieu professionnel des éthers de glycol toxiques pour la reproduction.
Les éthers de glycol appartiennent à une famille de solvants dont une trentaine environ ont donné lieu à une exploitation industrielle dans différents secteurs, peintures, encres, vernis, colles, cosmétiques, carburants aéronautiques, produits d'entretien et produits phytosanitaires. En l'état actuel des connaissances scientifiques, neuf d'entres eux présentent une toxicité pour la reproduction avérée chez l'animal et ont été classés, à l'échelon européen, dans la catégorie des substances toxiques pour la reproduction de catégorie 2.
Ce classement entraîne automatiquement, en vertu de la réglementation communautaire, dans tous les Etats membres de l'Union européenne, une interdiction d'incorporation dans les produits à destination du grand public.
S'agissant des applications industrielles en milieu professionnel, la stratégie européenne de protection des travailleurs est fondée, en premier lieu, sur l'obligation de substitution, dont le principe figure dans la directive-cadre 89 - 391 du 12 janvier 1989 et est rappelé dans les directives concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents chimiques dangereux - c'est la directive 98-24 du 7 avril 1998 - ou à des agents cancérogènes ou mutagènes - c'est la directive 2004-37 du 29 avril 2004.
Aucun éther de glycol n'a, pour l'instant, été interdit en milieu professionnel dans un Etat membre de l'Union européenne.
En France, le cadre juridique assurant la mise en oeuvre de ces mesures est complet. Il a été modernisé et renforcé par le décret du 1er février 2001 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction de catégories 1 et 2.
Il faut souligner que ce décret va au-delà des dispositions de la directive européenne, puisqu'il s'applique non seulement aux agents cancérogènes et mutagènes, mais aussi aux agents toxiques pour la reproduction. De plus, cette réglementation prévoit des mesures de protection spécifique des femmes enceintes et allaitantes.
Afin de s'assurer de la mise en oeuvre de cette réglementation, les services ont mené une campagne spécifique en 2001, dans le cadre des actions prioritaires de l'inspection du travail. En termes de sensibilisation, plusieurs documents d'information ont été diffusés, avec l'appui de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, et de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, l'INRS. Par ailleurs, des journées d'échanges avec les scientifiques ou à destination des professionnels ont été organisées.
Les initiatives des pouvoirs publics, comme les efforts des industriels en matière de substitution, qui résultent de la réglementation applicable, ont eu un impact important sur l'utilisation des éthers de glycol connus comme dangereux.
Ils offrent des résultats encourageants qui ne désactivent, en rien, la vigilance des autorités publiques.
Ainsi, en France, selon les données disponibles, les éthers de glycol classés comme toxiques pour la reproduction de catégorie 2, ne représentaient plus, en 2002, que 3 % à 4 % des quantités utilisées en 1993.
Par ailleurs, afin de préciser les risques sanitaires que présentent les éthers de glycol, les services ont financé ou fait réaliser plusieurs études. Il s'agit notamment d'une étude de classification et d'évaluation de risques de certains éthers de glycol par l'INRS, de la mise à jour de l'expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, sur les éthers de glycol, d'une étude de l'INSERM relative à la RATP, de plusieurs études de l'INSERM ayant pour objet d'évaluer les effets potentiels sur la reproduction.
L'étude menée auprès des agents de la RATP est finalisée et sa publication officielle, accompagnée des recommandations éventuelles de l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, doit avoir lieu tout prochainement.
L'analyse des résultats de cette étude relève exclusivement des scientifiques. Le principe de la séparation entre, d'une part, l'évaluation indépendante des risques et, d'autre part, sa gestion par les pouvoirs publics, est essentiel à nos yeux.
Selon les conclusions des experts, le ministère chargé du travail prendra les mesures appropriées afin de garantir de façon proportionnée la sécurité et la santé au travail au regard des substances chimiques dangereuses.
L'expertise en France dans ce domaine devrait d'ailleurs être considérablement élargie dans les prochaines années, du fait de la création d'une agence publique compétente en santé au travail. Cette création fera l'objet d'une annonce officielle lors de la présentation du plan Santé au travail par MM. Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher, le 17 février prochain, devant le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels.
Il faut préciser à cet égard que les éthers de glycol évoqués ici ne sont qu'une petite partie des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction de catégories 1 ou 2 utilisées en milieu de travail que cette agence aura à expertiser.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse.
Vous avez fait état de la mission de l'inspection du travail et parlé d'un cadre juridique « complet ».
Il me semble tout de même utile de rappeler que les inspecteurs du travail se heurtent à de réelles difficultés pour accomplir correctement leur mission de contrôle, en raison de leur nombre notoirement insuffisant et de l'extraordinaire dispersion des produits dans les entreprises utilisatrices. Ces dernières appartiennent essentiellement et très massivement à la catégorie des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises, qui emploient 80 % des salariés de notre pays.
Par ailleurs, vous avez rappelé la réglementation actuelle, que le ministre de la santé juge contraignante. Cependant, l'absence de cartographie des entreprises utilisatrices en raison de la dissémination de ces produits vers les entreprises sous-traitantes, l'inexistence de fait de comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail dans ces entreprises, les difficultés rencontrées pour identifier les produits faute d'informations objectives émanant des employeurs, tout cela rend cette réglementation relativement inefficace, à mes yeux comme à ceux des membres du collectif « éthers de glycols ».
Je crains surtout que cette réglementation ne soit démobilisatrice, dans la mesure où les salariés, trop souvent faussement rassurés, risquent de réduire leur vigilance.
Je souhaite donc que nous allions bien plus loin dans les mesures mises en oeuvre, comme le commande l'urgence sanitaire.
statut des personnels des agences postales communales
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, auteur de la question n° 650, adressée à M. le ministre délégué à l'industrie.
M. Paul Blanc. Ma question a trait au statut des personnels des agences postales communales.
Pour accomplir sa mission d'aménagement du territoire, La Poste s'est fixé pour objectif le maintien d'un réseau de 17 000 « points de contact » au moins, tout en adaptant les modes de gestion à leur niveau d'activité respectifs.
Le cadre juridique institué par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, modifiée par la loi du 25 juin 1999, ainsi que par la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations du 12 avril 2000, offre désormais à La Poste la possibilité de prévoir des conventions de prestations avec les collectivités locales.
Les conditions dans lesquelles les prestations postales seront assurées par une commune pour le compte de La Poste, ainsi que les droits et devoirs de chacune des parties seront fixées par convention.
Selon le projet de convention-type actuellement soumis à consultation, « pour assurer le fonctionnement de l'agence postale communale, la commune met à disposition de La Poste un ou plusieurs de ses agents, conformément aux dispositions de la loi du 12 avril 2000. Cet agent est chargé par la commune d'assurer les prestations postales énumérées ».
Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens.
Ces prestations comprennent notamment la gamme des services financiers que propose La Poste, ce qui soulève la question de la manipulation de fonds par des fonctionnaires territoriaux, avec les responsabilités qui en découlent.
Par ailleurs, dans quel cadre d'emplois seront recrutés ou sélectionnés, s'agissant de ceux qui sont déjà employés par les communes, les personnels mis à disposition de La Poste ? S'achemine-t-on vers la création d'un nouveau cadre d'emplois correspondant aux fonctions postales ?
Alors que le Parlement est en train d'examiner le projet de loi relatif à la régulation des activités postales, dont le Sénat sera saisi à partir du 8 mars prochain, et que les personnels concernés expriment leurs inquiétudes, il serait souhaitable que le Gouvernement donne à la représentation nationale et aux élus locaux toutes précisions utiles.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, dans le cadre de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, La Poste doit accorder une attention toute particulière à sa présence territoriale afin d'assurer, comme vous l'avez souligné, un service public de qualité accessible à tous.
Le réseau des bureaux de poste devra répondre aux obligations d'accessibilité au service universel et augmenter son attractivité en s'adaptant à l'évolution des besoins des habitants.
Le projet de loi relatif à la régulation des activités postales, qui est en cours de discussion, prévoit la mise en oeuvre de règles adaptées aux caractéristiques des zones concernées pour assurer la couverture du territoire en services postaux de proximité. Ces règles, fixées après consultation de la commission départementale de présence postale territoriale, ne pourront autoriser, sauf circonstances exceptionnelles, que plus de 10 % de la population d'un département se trouvent éloignés de plus de 5 kilomètres des plus proches accès au réseau de La Poste.
L'organisation interne de La Poste est modifiée et une véritable direction du réseau est créée, chargée de développer toutes les formes de services de proximité aux particuliers et aux collectivités locales. Elle cherchera, dans le respect des contraintes économiques, à renforcer la présence du réseau postal partout où se trouvent les clients, afin de parvenir à la mise en place d'un véritable réseau de proximité.
Dans ce cadre, une nouvelle charte du dialogue territorial, présentée à l'occasion du congrès des maires qui s'est tenu en novembre dernier, prévoit d'intensifier le dialogue local et rappelle les principes qui s'imposeront aux directeurs territoriaux pour prévoir une plus grande anticipation, une plus grande transparence et une recherche des synergies locales.
Les commissions départementales de présence postale territoriale, confirmées dans la loi de régulation postale, au sein desquelles figure un représentant de l'Etat chargé notamment de veiller au bon déroulement des processus d'information et de concertation préalables aux adaptations de la présence postale, constituent le lieu adapté à ce dialogue, et le président de La Poste a demandé le renforcement de ce dispositif institutionnel tout en souhaitant un appui des élus locaux concernés.
S'agissant de la présence de La Poste en région, la stratégie de l'entreprise consiste à choisir la formule pratique la mieux adaptée à chaque situation pour que le déploiement d'un réseau très vaste reste soutenable pour elle ; la panoplie des points de contact est aujourd'hui diversifiée, avec le développement non seulement des agences postales communales, mais aussi désormais des « points poste ».
Les agences postales communales constituent une formule adaptée pour assurer le maintien du service public dans les petites communes : elle est déjà largement adoptée puisqu'il en existe aujourd'hui plus de 1 600. Elles sont gérées conjointement par La Poste et par les communes qui le souhaitent.
Le ministre de l'intérieur et le secrétaire d'Etat à l'industrie ont signé le 15 décembre 2001 une circulaire, adressée aux préfets, portant sur le régime juridique des agences postales communales. Cette circulaire, accompagnée d'un modèle de convention, précise notamment le statut des personnels, titulaires ou non titulaires, qui peuvent être employés dans les agences postales communales. La participation d'agents communaux au fonctionnement du service public postal peut intervenir soit en application de la loi du 4 février 1995 modifiée, soit sur le fondement de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Cette convention de partenariat va être rénovée, afin qu'elle soit plus équitable et plus pérenne, et La Poste a soumis, pour avis, un nouveau projet de convention à l'Association des maires de France au mois de novembre dernier.
Quant aux « points poste », ils sont installés chez les commerçants et sont actuellement au nombre de 500. Ils permettent, grâce à des horaires d'ouverture élargis, le maintien d'un service de proximité adapté aux besoins des utilisateurs. Ils contribuent au maintien d'un commerce rural pluriactif, et la confédération des débitants de tabac y est très attachée.
Sur le plan pratique, une convention-type précise la nature des prestations « courrier » et les services financiers rendus dans ce cadre ainsi que les responsabilités engagées et la rémunération par La Poste des commerçants concernés.
Par ailleurs, une réflexion est conduite sur la mise en place d'un fonds postal national de péréquation territoriale, dont le principe a été inscrit dans le projet de loi relatif à la régulation des activités postales par le Sénat, et confirmé par l'Assemblée nationale. Un groupe de travail, présidé par le sénateur Pierre Hérisson, s'est constitué en liaison avec la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques ; il vient de formuler ses premières propositions sur les modalités pratiques de fonctionnement de ce fonds.
Monsieur le sénateur, La Poste entend demeurer le premier service public de proximité, à l'écoute des besoins de sa clientèle et des évolutions des territoires.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais je dois dire que je reste un petit peu sur ma faim...
Je comprends fort bien la stratégie de La Poste, notamment la nécessité pour elle d'être implantée sur l'ensemble du territoire, mais le fait que le personnel communal doive aujourd'hui manipuler des fonds - certes, pour le compte de La Poste - est en quelque sorte en contradiction avec ce qui est la summa divisio pour l'administration des collectivités locales, à savoir la séparation entre l'ordonnateur et le comptable.
Certes, il est peut-être possible d'instituer des régies, mais l'utilisation de celles-ci est plutôt occasionnelle ; or, en l'occurrence, le personnel communal remplira cette mission à temps complet.
Madame la ministre, lors de l'examen du projet de loi relatif à la régulation des activités postales qui nous sera soumis à partir du 8 mars prochain, je serai peut-être conduit à déposer des amendements visant à clarifier le statut du personnel communal qui sera utilisé dans les agences postales communales.
finances locales et taxe professionnelle
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 651, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Jean Boyer. Ma question porte sur la taxe professionnelle.
Les élus locaux que nous sommes s'interrogent sur les perspectives de la taxe professionnelle au moment où beaucoup d'entre nous préparent leurs budgets respectifs.
En effet, pour bon nombre de collectivités, la taxe professionnelle représente des recettes fiscales importantes. Au prix de nombreux efforts, elle a été le plus souvent harmonisée dans le cadre des nouvelles structures intercommunales. Vous l'avez deviné, je veux parler de la taxe professionnelle unique.
C'est également un formidable levier au service du développement local, permettant à de nombreuses communes ou collectivités territoriales de favoriser la richesse ainsi que les multiples investissements qui en découlent.
La suppression de cet impôt ne risque-t-elle pas d'enlever unilatéralement une marge de manoeuvre dans la conduite des affaires locales ?
Dans le même temps, les entreprises contribuent très largement au poids économique non seulement de nos régions et de nos départements, mais également, disons-le, de nos communes. Toutefois, nous savons tous que ce prélèvement sur nos entreprises est un poids supplémentaire qui vient grever leur compétitivité et leur attractivité.
Plus largement, une réforme de nos contributions directes ou indirectes au niveau tant des entreprises que des particuliers semble indispensable. Il est à craindre que la suppression de la taxe professionnelle et la mise en place de compensations, qui semblent aujourd'hui encore mal définies, dans un contexte isolé, ne conduise à fragiliser nos finances locales.
Au coeur d'un processus d'intégration communautaire de la taxe professionnelle, n'y a-t-il pas actuellement un risque de voir demain nos élus cantonnés dans une seule mission de répartition des dotations de l'Etat ?
La compensation doit pouvoir s'appuyer sur un financement dynamique, laissant une liberté d'appréciation aux collectivités locales, afin d'encourager et de stimuler leurs initiatives et le développement local. Le maintien du lien entre territoire et activité économique est, comme vous le savez, madame la ministre, une assise fondamentale pour l'avenir de toutes nos collectivités.
Quelles mesures de compensation prévoyez-vous d'adopter, et selon quelles modalités d'application, afin d'anticiper l'évolution de nos finances locales ? L'élaboration du budget d'une collectivité nécessite une réflexion permanente qui s'inscrit dans la durée et ne peut se satisfaire d'une réforme ponctuelle, aux résultats encore incertains.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur la réforme de la taxe professionnelle. Vous craignez, en effet, qu'une suppression de la taxe professionnelle ne conduise à fragiliser les finances locales et prive ainsi les collectivités territoriales de leur pouvoir de décision en la matière.
Comme vous le savez, conformément au souhait du Président de la République, le Gouvernement a demandé à une commission présidée par M. Olivier Fouquet de réfléchir à un remplacement de la taxe professionnelle par un impôt plus juste et plus efficace économiquement et qui respecte les conditions suivantes : préserver l'autonomie financière des collectivités territoriales ; maintenir un lien avec l'activité économique des territoires ; éviter tout transfert de charge fiscale des entreprises vers les ménages ; faciliter le développement de l' intercommunalité.
La commission a rendu son rapport à la fin de l'an dernier. Elle propose de supprimer la part actuelle de l'assiette de la taxe professionnelle constituée par les équipements et biens mobiliers.
Par ailleurs, elle suggère de substituer à cette assiette une assiette mixte constituée par la valeur locative foncière et la valeur ajoutée.
S'agissant des collectivités territoriales, la réforme doit respecter le principe constitutionnel de leur autonomie financière. La commission Fouquet propose ainsi que les collectivités votent librement le taux de la part d'imposition assise sur la valeur ajoutée, en respectant toutefois un minimum et un maximum, dans le but d'éviter de trop fortes distorsions d'imposition sur le territoire ainsi que l'accentuation des inégalités régionales.
Par ailleurs, la valeur ajoutée serait répartie entre les territoires selon des critères physiques locaux, tels que les superficies et les effectifs, sans alourdissement des obligations déclaratives des entreprises.
S'agissant de la part assise sur les valeurs locatives foncières, une grande liberté serait également laissée aux collectivités territoriales tout en maintenant un lien avec les taux des autres impositions directes locales.
Il ne s'agit là que de propositions issues d'un rapport qui est un travail de référence, mais qui ne constitue pas le projet de réforme du Gouvernement.
Bien entendu, il n'est pas dans l'intention du Gouvernement d'imposer une réforme de la taxe professionnelle sans recueillir l'avis des principaux intéressés, à savoir les redevables de la taxe et, bien évidemment, les élus locaux.
Hervé Gaymard, Jean-François Copé, Dominique de Villepin et Marie-Josée Roig vont donc consulter très prochainement les représentants des associations d'élus, puis les représentants des organisations professionnelles, afin d'entendre leurs observations sur ces propositions du rapport Fouquet.
Monsieur le sénateur, ce n'est qu'à l'issue de ces consultations que les dispositions relatives à cette réforme seront élaborées, en vue normalement d'être introduites dans le projet de loi de finances pour 2006. Le projet de texte fera également l'objet d'une consultation.
Ce calendrier doit permettre de faire en sorte que la réforme de la taxe professionnelle soit conduite dans la concertation et la transparence, conditions essentielles de sa réussite.
Vous pouvez donc être assuré, monsieur le sénateur, que les inquiétudes que vous exprimez seront prises en compte.
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Je vous remercie très sincèrement, madame la ministre, de ces réponses complètes qui me rassurent sur l'état d'avancement des réflexions du Gouvernement en ce domaine.
réforme de la taxe foncière non bâtie et ressources des communes
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 577, transmise à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.
M. Claude Biwer. Ma question s'inscrit dans le droit-fil de celle de M. Jean Boyer et témoigne aussi de l'inquiétude des élus.
Le 21 octobre 2004, au cours d'un déplacement dans le Cantal, le Président de la République a annoncé le lancement d'une réforme de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, l'objectif étant d'obtenir l'élimination progressive de cette taxe pour les exploitants agricoles et ainsi contribuer fortement à préserver le revenu agricole dans un contexte de plus en plus concurrentiel.
Si cette annonce a réjoui les agriculteurs, elle a également suscité une certaine inquiétude chez les maires de dizaines de milliers de communes rurales, souvent les plus petites.
En effet, s'ils se sentaient, jusqu'alors, peu concernés par le débat autour de la très difficile réforme de la taxe professionnelle dans la mesure où cet impôt ne représente souvent qu'une part infime des recettes de leurs communes, il n'en va pas de même de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Ainsi, les 869 millions d'euros que les communes rurales ont encaissés au titre de cette taxe en 2004 représentent une part importante de leurs recettes, souvent très maigres, surtout dans les plus petites d'entre elles. Il s'agit incontestablement d'une ressource qui compte dans les communes rurales, notamment dans mon département, la Meuse, d'où l'extrême sensibilité des élus ruraux sur cette question.
Madame la ministre, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Quel sera le calendrier de la mise en oeuvre de cette réforme, le chef de l'Etat ayant parlé « d'élimination progressive » ? Par quel impôt cette taxe sera-t-elle remplacée ? En effet, taxer différemment l'activité agricole comme on envisage de le faire pour des activités commerciales, industrielles et de services dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle n'aurait évidemment aucun sens.
Dans ces conditions, on peut supposer que la suppression, pour les collectivités territoriales, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties sera compensée par le transfert d'une fraction d'un impôt national - mais lequel ? - ou bien, plus vraisemblablement, par le versement d'une nouvelle dotation compensatrice.
Si tel devait être le cas, il s'agirait d'un nouveau coup de canif porté à l'autonomie financière et fiscale des communes. Certains estiment même que cette réforme pourrait remettre en cause le fait communal, puisque les maires concernés n'auraient plus beaucoup de responsabilités dans l'établissement de leur budget.
Ainsi un haut responsable de l'Association des maires de France a-t-il affirmé qu'il s'agirait d'un premier pas vers la disparition totale des communes rurales, se demandant même ce qui pourrait rester à celles qui sont intégrées dans des intercommunalités.
Pour ma part, je n'ose croire à ce funeste destin, mais il me paraît évident qu'il est plus aisé d'annoncer des réformes de la fiscalité, surtout de la fiscalité locale, que de les mettre en oeuvre.
Madame la ministre, je souhaite avant tout que le principe constitutionnel d'autonomie financière des communes soit respecté et que les communes rurales n'aient pas à pâtir de cette réforme, ni aujourd'hui ni demain. Pour qu'il en soit bien ainsi, les compensations devraient avoir un caractère historique et être évolutives.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, lors de son déplacement à Murat, le 21 octobre 2004, le Président de la République a annoncé, en présence d'Hervé Gaymard, la nécessité « d'ouvrir avec les représentants des collectivités territoriales une concertation en vue de réformer la taxe foncière sur les propriétés non bâties ». L'objectif de cette réforme viserait la suppression progressive de la taxe pour les exploitants agricoles.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le Gouvernement est très attaché à l'autonomie financière des collectivités locales. C'est ainsi qu'il a soumis au Parlement une modification constitutionnelle visant à garantir cette autonomie financière, ce qui est désormais le cas avec l'article 72-2 de la Constitution.
M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, a mené à bien la mise en oeuvre de ce principe dans une loi organique. Aussi pouvez-vous lui faire une entière confiance pour travailler avec les élus à une réforme qui soit optimale.
Le Gouvernement est conscient que le produit de cette taxe constitue, vous l'avez d'ailleurs rappelé, une recette importante pour les collectivités locales, en particulier pour les communes rurales.
Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur : en cas de suppression de la taxe ou de réduction de son assiette, il va de soi que la réforme devrait respecter l'ensemble des principes relatifs à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Il est donc actuellement prématuré de présenter les grands axes de la réforme de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
En effet, fidèle à sa méthode des « trois D », le Gouvernement entend établir un Diagnostic partagé avec les représentants des collectivités concernées, suivi d'un Dialogue dense ; puis viendra le temps des Décisions.
Aussi je tiens à saluer la tenue de la réunion constitutive, cet après-midi même, au sein de la commission des finances de la Haute Assemblée, du groupe de travail sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Je suis persuadée, monsieur le sénateur, que les travaux de cette commission éclaireront utilement le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Je vous remercie de cette réponse qui m'apporte quelques apaisements, madame la ministre. La réflexion se poursuit donc sur le diagnostic, et peut-être aussi approche-t-on de la décision.
Toutefois, j'insiste sur le fait que les collectivités locales ne sont pas très rassurées. Je suis ravi que la commission des finances du Sénat se saisisse de cette question aujourd'hui même, d'autant que son président, M. Jean Arthuis, qui a coprésidé à mes côtés l'assemblée des maires de mon département, a ainsi pu entendre les inquiétudes que suscite ce projet de réforme.
Je vous remercie d'avoir accepté d'engager cette réflexion et j'espère que nous pourrons, ensemble, trouver les solutions adéquates.
calcul des impôts locaux versés par des personnes handicapées
M. le président. La parole est à M. Claude Bertaud, auteur de la question n° 632, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Claude Bertaud. Ma question s'adresse en effet à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et concerne le paiement des impôts locaux par les personnes handicapées et par celles qui accueillent une personne handicapée à leur domicile.
La place des personnes handicapées est, nous le savons, l'une des questions majeures de notre société. La recherche d'une insertion qui fasse des handicapés des citoyens à part entière est une préoccupation essentielle à laquelle les pouvoirs publics doivent apporter une réponse.
C'est d'ailleurs dans ce cadre que le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont le Parlement a débattu à l'automne dernier, apporte une réponse concrète dans plusieurs domaines. Dans ce cadre, nous ne pouvons qu'être attentifs à tout ce qui facilite le maintien à domicile des personnes souffrant d'un handicap.
J'ai rencontré à plusieurs reprises dans mon département des personnes qui, atteintes d'un handicap, souhaitent pouvoir bénéficier d'un logement fonctionnel au même titre que des personnes valides. Pour ce faire, elles sont souvent obligées de faire construire une nouvelle maison d'habitation adaptée à la présence de l'adulte handicapé ou d'augmenter la surface de leur logement actuel, pour disposer d'espaces de vie aménagés en fonction de leur handicap.
Cette situation prévaut également pour les personnes accueillant une personne handicapée à leur domicile, pour l'aménagement de leur logement.
Ces différentes contraintes se traduisent par des charges financières supplémentaires, d'une part, lors de l'aménagement ou de la construction de la maison et, d'autre part, pour le paiement des impôts locaux, du fait de l'augmentation de la valeur locative qui en résulte.
Ces personnes font souvent part de leur incompréhension face à cette situation et elles souhaiteraient pouvoir bénéficier d'une exonération ou, pour le moins, d'un dégrèvement pour le paiement de la taxe sur le foncier bâti et de la taxe d'habitation, au regard de leur situation.
Je me souviens que, dans une démarche sociale, les parents d'enfants handicapés bénéficiaient, voilà quelques années, d'une exonération de la vignette automobile.
Dans la même logique, il serait être souhaitable d'établir de nouvelles mesures de justice fiscale : le dégrèvement du paiement des impôts locaux au bénéfice des contribuables handicapés ou de ceux qui accueillent à leur domicile une personne handicapée pourrait en être une. Une telle initiative serait de nature à conforter les différentes dispositions mises en place pour faciliter l'insertion des handicapés dans notre société.
Je souhaite donc savoir, madame la ministre, dans quelle mesure le code général des impôts pourrait évoluer à cet égard.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, vous appelez l'attention du Gouvernement sur la situation des personnes handicapées ou des personnes ayant à leur charge une personne handicapée au regard des impôts directs locaux.
Vous souhaitez que ces personnes puissent bénéficier d'un allégement d'impôts locaux pour prendre en compte les aménagements réalisés en vue d'améliorer leurs conditions de vie.
Comme vous le savez, monsieur le sénateur, la politique en faveur des personnes handicapées est une priorité de l'action gouvernementale. Cependant, concernant le point que vous évoquez, la fiscalité directe locale n'apparaît pas comme le support le plus adapté.
En effet, l'installation d'équipements spécifiques n'est pas systématiquement constitutive d'une augmentation de la valeur locative qui, je le rappelle, sert de base d'imposition aux impôts directs locaux. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'un dispositif proche de celui que vous proposez, adopté à l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2005, a été supprimé par le Sénat.
Toutefois, le coût que peut représenter l'achat d'équipements spécifiques pour la vie quotidienne des personnes handicapées est pris en compte au travers de dispositifs fiscaux incitatifs. C'est ainsi que la loi de finances pour 2005 autorise l'application du taux réduit de TVA à certains appareillages et renforce le crédit d'impôt sur le revenu pour les dépenses d'installation ou de remplacement des équipements conçus pour les personnes âgées ou handicapées.
S'agissant de la fiscalité directe locale, la situation des familles dont un ou plusieurs membres sont atteints d'un handicap est également prise en compte.
Tout d'abord, en ce qui concerne la taxe d'habitation, les titulaires de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-3 du code de la sécurité sociale - personnes atteintes d'une invalidité générale réduisant la capacité de travail - sont exonérés de la taxe d'habitation afférente à leur habitation principale, sous réserve de respecter la condition de cohabitation prévue à l'article 1390 du code général des impôts.
Il en est de même des titulaires de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, et des personnes infirmes ou invalides de condition modeste.
En outre, les redevables handicapés ou ayant à leur charge une personne handicapée peuvent, s'ils disposent de revenus modestes ou moyens, bénéficier d'un dégrèvement d'office de la taxe d'habitation afférente à leur habitation principale pour la fraction de leur cotisation qui excède 4,3 % de leur revenu diminué d'un abattement, et ce en application de l'article 1414-A du code général des impôts.
Compte tenu des règles de calcul de ce plafonnement, ce dispositif est, par le biais de la majoration du quotient familial en cas d'invalidité, plus facilement accordé à ces familles qu'aux autres.
En ce qui concerne la taxe foncière sur les propriétés bâties, comme en matière de taxe d'habitation, les personnes titulaires de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-3 du code de la sécurité sociale, ainsi que les personnes de condition modeste titulaires de l'allocation aux adultes handicapés, sont exonérées de la taxe afférente à leur habitation principale.
Enfin, les dépenses engagées par les organismes d'habitation à loyer modéré pour l'accessibilité et l'adaptation des logements aux personnes en situation de handicap sont déductibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
L'ensemble de ces mesures, monsieur le sénateur, permet aux personnes handicapées de bénéficier, à juste titre, d'un allégement significatif du poids de la fiscalité.
M. le président. La parole est à M. Claude Bertaud.
M. Claude Bertaud. Madame la ministre, je vous remercie des éclairages que vous venez de m'apporter. Il me semble nécessaire de communiquer en la matière. En effet, tant les élus que nous sommes que les personnes handicapées dans leur ensemble ne connaissent pas tous les dispositifs que vous venez d'énumérer.
production et distribution d'énergie en ile-de-france
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, auteur de la question n° 644, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Michel Billout. Je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur les conséquences de la fermeture de centrales thermiques à flamme en Ile-de-France.
En effet, sur les trois arrêts d'exploitation de centrales actuellement programmés - il faudrait dire pratiquement achevés -, deux concernent les sites de production situés dans le département de la Seine-et-Marne, à Montereau et à Vaires-sur-Marne.
Ce choix de la direction d'EDF risque de mettre gravement en cause la sûreté de l'alimentation et les conditions d'approvisionnement énergétique de la région capitale, en la privant des ressources énergétiques suffisantes pour garantir la continuité du service.
La disparition programmée des moyens de production en Ile-de-France laisse la région totalement dépendante des moyens de production externe. Cette dépendance n'est pas durablement soutenable, compte tenu de l'importance économique et politique de la région, si une rupture significative intervenait sur les alimentations extérieures. Le réseau des transports, vulnérable par nature, deviendrait alors le talon d'Achille de l'alimentation de la région parisienne. Cette région devrait donc avoir les moyens d'assurer sa sécurité minimale.
De plus, tout au long de l'année, la consommation d'électricité subit de grandes variations, saisonnières, journalières, voire horaires. Ainsi, pendant quelques centaines d'heures par an, on observe sur l'ensemble du territoire une demande très importante de puissance électrique, qui est appelée « puissance de pointe ». Il paraît donc nécessaire de mettre en place de nouveaux moyens de production pour répondre à la demande durant ces périodes.
Afin d'assurer la fourniture d'une électricité de qualité à moindre coût, il est indispensable d'installer ces moyens de production dans les régions où les déséquilibres entre production et consommation sont les plus importants.
Concrètement, la région d'Ile-de-France possède un fort potentiel de développement, ce qui laisse supposer que ses besoins énergétiques - notamment dans le département de la Seine-et-Marne - ne vont cesser de croître dans les prochaines années. Actuellement, la région consomme déjà pour ses propres besoins 17 % de la production nationale, alors qu'elle ne dispose que de 6 % de la puissance installée. Dans cette région, la réponse aux besoins énergétiques devrait être prioritaire.
Par de telles décisions, EDF tourne le dos à un développement industriel de recherche et d'innovation technologique ambitieux permettant de répondre pour les années à venir aux besoins en matière d'emplois et de service public à destination des populations et de l'économie franciliennes.
Il faut réfléchir dès à présent à la mise en place d'unités de production en Ile-de-France, qui soient respectueuses de l'environnement, conçues dans le cadre du développement durable, et qui répondent aux besoins en matière d'énergie. Parallèlement, il convient de lancer très vite les études nécessaires.
Il faut aussi oeuvrer à la diversification des modes de production d'énergie et ne pas tout miser sur le nucléaire, qui comporte des coûts lourds de traitement des déchets et ne peut répondre à l'ensemble des demandes.
Or, à Vaires-sur-Marne, par exemple, où l'activité de production va très prochainement cesser, aucun plan de remplacement n'est actuellement prévu : seule est envisagée la possibilité de conserver une turbine à gaz, dans l'hypothèse d'une réouverture du site à l'horizon 2008, voire 2012. Un projet identique avait déjà été proposé par la direction d'EDF en 1992, mais n'avait pas abouti. Il est donc aujourd'hui plus qu'urgent de lancer les études nécessaires pour qu'un tel plan parvienne enfin à voir le jour.
Le terrain de Vaires-sur-Marne est stratégique : il est bien intégré dans l'environnement urbain et dispose de dessertes ferroviaires et fluviales.
Lors de sa très récente audition par la commission des affaires économiques et du Plan et par le groupe d'études de l'énergie, le président d'EDF, M. Gadonneix, a indiqué que son entreprise envisageait à la fois la fermeture totale de certains sites et le redémarrage d'autres afin d'augmenter la production de 2 000 mégawatts.
Cette orientation pourrait être intéressante, mais le président d'EDF n'a pu indiquer ni les échéances ni les sites retenus, ce qui fait craindre une prise de décision trop tardive.
De plus, il ne revient pas à EDF de définir la politique énergétique de la France : cette responsabilité incombe à l'Etat. L'énergie est un domaine fondamental, qui conditionne l'emploi, les transports, la vie, et nécessite donc une maîtrise publique.
C'est la raison pour laquelle je vous prie, madame la ministre, de nous préciser les projets du Gouvernement pour le maintien d'une production d'énergie suffisante en Ile-de-France. Les citoyens ont réellement besoin d'éclaircissements sur les choix en ce domaine, a fortiori lorsque la mise en concurrence de ce secteur fait craindre que l'offre énergétique soit déterminée non plus en fonction des besoins, mais prioritairement, voire exclusivement, selon des critères de rentabilité financière.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, l'énergie thermique à flamme représente actuellement 3 % à 4 % de la production d'EDF en France. Il s'agit d'une énergie d'appoint, utilisée essentiellement en période de pointe, en complément du nucléaire et de l'hydraulique.
Cette production est assurée par dix-sept centrales thermiques à flamme. Certaines de ces installations, qui ont une quarantaine d'années, atteignent leur fin de vie et toutes posent le problème du respect des normes environnementales. En effet, l'évolution des normes européennes rendra obligatoires, sur certains sites, des investissements extrêmement importants, absolument incompatibles avec la rentabilité de ces centrales.
C'est ce qui a amené EDF à annoncer l'arrêt de la production de certaines de ces centrales d'ici à deux ans, comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur.
Concernant plus spécifiquement les sites de Champagne-sur-Oise, Vaires-sur-Marne et Montereau, l'arrêt s'échelonne entre 2003 et 2005. Le cas de chaque agent sera étudié individuellement afin que celui qui travaille dans l'un de ces sites puisse continuer sa carrière au sein de l'entreprise. Les discussions à ce sujet ont été engagées par EDF avec les partenaires sociaux depuis plusieurs mois.
Chaque salarié bénéficiera d'une solution adaptée et des mesures d'aides à la mobilité prévues par EDF. Il existe en effet un besoin de compétences au sein de l'entreprise, et des possibilités d'intégration sont d'ores et déjà identifiées au sein même du thermique à flamme, dans le nucléaire, l'hydraulique et la distribution.
En ce qui concerne les conséquences engendrées par la fermeture de ces trois sites sur la production énergétique, la question de l'équilibre entre l'offre et la demande doit se traiter à l'échelon national, étant donnée l'étendue du réseau de transport d'électricité.
Il ressort de l'examen du dernier bilan prévisionnel du réseau de transport d'électricité, le RTE, que la question de l'équilibre entre l'offre et la demande ne devrait pas se poser avant 2010. Afin d'anticiper les besoins à cet horizon, EDF a déjà engagé des études de faisabilité concernant une tranche « cycle combiné gaz » et une tranche « charbon propre ». L'entreprise sera ainsi prête, si le besoin s'en faisait sentir, à mettre en place de nouveaux moyens de production qui fassent appel aux meilleures technologies disponibles et soient respectueux de l'environnement.
Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité actualise le bilan prévisionnel, qui sera remis au Gouvernement au cours du premier semestre de l'année 2005. Les services travaillent également au prochain rapport sur la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, qui sera présenté au Parlement dans le courant de l'année. La question que vous soulevez, monsieur le sénateur, fera l'objet d'un examen très attentif dans ce cadre.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la ministre, je vous remercie des précisions que vous venez d'apporter. Néanmoins, je dois l'avouer, elles ne me rassurent pas totalement ! Je n'ai en effet pas le sentiment que cette réflexion prenne réellement en compte la spécificité de la région d'Ile-de-France.
Mais vous avez raison : nous aurons l'occasion de revenir sur cette question lors d'un prochain débat.
répartition des coûts de traitement des déchets
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 630, adressée à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.
M. Thierry Foucaud. Madame la ministre, le financement de la collecte et du traitement des déchets ménagers pèse aujourd'hui lourdement sur les ménages. La contribution de nos concitoyens à ce titre n'a cessé d'augmenter, à tel point que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères est aujourd'hui le quatrième impôt local.
Il y a fort à craindre que cette hausse ne se poursuive, si un nouveau mode de financement n'est pas mis en place très rapidement. D'ailleurs, un grand nombre d'installations, vous le savez, sont arrivées aujourd'hui à saturation et de nouvelles normes sont applicables concernant les déchets d'équipements électroniques et électriques.
L'augmentation de la contribution des ménages est, de l'avis des élus comme de la population, injuste et inefficace. Les protestations sont d'ailleurs nombreuses : la population ne comprend pas que ses efforts en matière de tri sélectif n'entraînent aucune baisse de leur contribution. On peut redouter que ces protestations ne perdurent si, demain, la population doit réduire la quantité de déchets, alors qu'elle paye toujours.
Pour être efficaces, ces politiques - tri sélectif, valorisation et réduction des déchets - doivent faire prendre toutes leurs responsabilités aux industriels et les inciter à produire autrement.
Le projet de décret fixant le barème de prise en charge par les industriels pour la gestion des déchets d'équipements électriques et électroniques, s'il pose certaines obligations dans ce sens, reste largement insuffisant. En effet, il ne prévoit aucun financement pour la mise en place de points de collecte par les collectivités locales. Or ces points de collecte sont indispensables.
Par ailleurs, le nouveau barème de calcul du soutien financier versé par les sociétés Eco-Emballages et Adelphe aux collectivités locales conduit à réduire l'aide aux collectivités les plus performantes.
A ce sujet, lors du 86e congrès de l'Association des maires de France, une résolution a rappelé que les maires souhaitent « que les soutiens financiers versés par les organismes agréés [...] couvrent, à terme, l'intégralité des dépenses de collecte et de traitement des emballages ménagers supportées par les communes. Les maires ont demandé que ces soutiens représentent, à partir du 1er janvier 2005, une moyenne de 12 euros par habitant trieur ».
Certes, une compensation est prévue jusqu'en 2008. Mais qu'en sera-t-il après cette date ?
Je vous demande donc, madame la ministre, quelles mesures le ministre de l'écologie et du développement durable entend prendre pour que la participation des industriels permette de respecter le principe de prévention.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur la participation des sociétés produisant ou important certains biens à l'élimination des déchets issus de ces biens.
Vous soulignez à juste titre l'intérêt de la participation des industriels à l'élimination des déchets issus des biens qu'ils mettent sur le marché. Une telle participation les incite à prendre davantage en compte, dès la conception du produit, une meilleure « fin de vie » de celui-ci. Elle a donc un impact favorable en termes de prévention de la production de déchets.
En revanche, le Gouvernement ne partage pas votre point de vue sur les déchets d'équipement électriques et électroniques et les emballages. Il n'y a pas de recul de l'engagement des industriels pour le financement du traitement de certains flux de déchets, bien au contraire.
Ainsi, s'agissant des emballages, les sociétés agréées ont fait état, dans leur demande d'agrément, d'une augmentation des soutiens aux collectivités, qui passeraient de 300 millions d'euros en 2003 à 500 millions d'euros en 2008.
Il est vrai que, pour certaines collectivités, les simulations montrent que, sans mesure compensatoire, le passage au nouveau barème se traduirait par une diminution des soutiens versés. Le Gouvernement a donc demandé une augmentation de cette compensation, qui sera ainsi égale à 100 % de la différence entre l'ancien et le nouveau barème jusqu'en 2008, hors soutiens expérimentaux.
Par ailleurs, le ministre de l'écologie a souhaité que, au cours du premier semestre de l'année 2008, un bilan des montants effectivement versés soit réalisé afin de le comparer aux prévisions.
Enfin, il faut ajouter que les soutiens à l'optimisation qui ont été introduits dans les agréments répondent justement au souci de ne pas faire subir à nos concitoyens, qu'ils soient contribuables ou consommateurs, des coûts qui ne sont pas justifiés du point de vue écologique.
C'est sur cette base, monsieur le sénateur, que les arrêtés portant agrément des deux sociétés Eco-emballages et Adelphe ont été signés à la fin de 2004.
S'agissant des déchets d'équipements électriques et électroniques, ce dispositif présente un double intérêt.
D'une part, la mise en place de collectes sélectives permettra de traiter ces déchets dans des conditions plus adaptées.
D'autre part, pour répondre à votre légitime préoccupation, monsieur le sénateur, la prise en charge, par les industriels, du traitement des déchets issus de leurs produits les incitera à prendre en compte, en amont, les difficultés que peut poser ledit traitement.
Le projet de décret que vous avez cité prévoit une forte implication des industriels dans le traitement de ces déchets.
Les producteurs seront, en effet, responsables de l'enlèvement des déchets d'équipements électriques et électroniques collectés sélectivement et de leur traitement. C'est l'essentiel du coût de gestion de ces déchets. Par ailleurs, et contrairement à ce que vous indiquiez, ils participeront financièrement aux collectes sélectives réalisées par les communes.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Dans votre réponse, madame la ministre, j'ai senti un certain embarras, mais aussi le signe de la volonté du Gouvernement de faire évoluer la situation.
Je tiens à formuler quelques remarques.
La vocation première d'Eco-emballages est de soutenir les collectivités pour la mise en place du tri sélectif, mais il ne faut pas oublier que cette entreprise verse aujourd'hui des aides à d'autres partenaires et s'investit dans d'autres missions. Cette tendance se trouve renforcée, d'ailleurs, par l'arrêté portant agrément du 1er janvier 2005.
Je ne conteste pas les chiffres que vous avez cités, car ils sont justes ; le montant global de la contribution versée aux collectivités augmente effectivement, puisque, de 300 millions d'euros en 2003, il passera à 500 millions d'euros en 2008. Je tiens toutefois à souligner que le nombre de bénéficiaires augmente lui aussi, d'où un nouveau barème « en escalier ».
L'ancien barème pour l'aide aux collectivités, le barème C, permettait aux collectivités d'accroître leur soutien au financement des tonnages triés. Avec le nouveau barème, la progression se fera par paliers, et, une fois atteint un certain tonnage, l'aide retombera au premier niveau, sans que, dans le même temps, il y ait de quoi récompenser les collectivités locales les plus performantes.
Cela rejoint la remarque que je faisais s'agissant cette fois de nos concitoyens, qui ne comprennent pas qu'on leur demande de trier, et, parallèlement, que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères augmente.
Quant au barème « amont », qui concerne la contribution industrielle, il est sans rapport avec les dépenses des collectivités, mais il est fonction des besoins de financement d'Eco-emballages.
C'est pourquoi, lors de leur 86e congrès, les maires de France ont rédigé une résolution, dont j'ai extrait une longue citation tout à l'heure.
Madame la ministre, il s'agit là d'une question à suivre, d'une question d'ores et déjà d'actualité, à la fois pour les collectivités locales, qui paient très cher, et pour la population, qui pense payer trop cher. Nous pouvons admettre que nos concitoyens supportent une partie des coûts de traitement des déchets, qui doivent être éliminés, mais non qu'aujourd'hui, alors qu'ils ont acquis une culture du tri sélectif, ils payent de plus en plus cher. C'est ce point qu'il faut revoir.
traçabilité des aides apportées aux pays victimes de graves catastrophes naturelles et aux pays en voie de développement
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, auteur de la question n° 648, adressée à M. le ministre des affaires étrangères.
Mme Marie-Thérèse Hermange. La récente catastrophe qui a touché les pays d'Asie du Sud-Est a suscité un vaste mouvement de solidarité tant en France qu'en Europe et dans le reste du monde, élan auquel a largement contribué le ministère des affaires étrangères.
Les particuliers ont fait des dons importants aux diverses organisations non gouvernementales et aux associations. Quant aux Etats, dont la France, ils ont dispensé à la fois des aides de première urgence et des aides programmées sur le long terme.
Nombre de nos concitoyens, maintenant que l'effet médiatique s'est un peu estompé, souhaiteraient une plus grande traçabilité des aides apportées aux pays victimes de ces catastrophes naturelles, qu'il s'agisse de ceux de l'Asie du Sud-Est, de l'Iran, victime, l'année dernière, d'un tremblement de terre, ou bien encore des pays en voie de développement.
En conséquence, nous voudrions savoir s'il est envisagé de leur transmettre les données relatives aux aides dispensées par eux-mêmes ainsi que par l'Etat français, à savoir le montant global des aides immédiates et ultérieures apportées aux pays d'Asie du Sud-Est, les projets précis associés à ces aides, et les responsables de ces projets, la part des aides engagées en faveur de l'Iran, et, d'un point de vue plus général, le pourcentage du budget de la France consacré à l'aide au développement des pays étrangers, hors départements et territoires d'outre-mer.
Par ailleurs, sera-t-il mis à leur disposition des supports d'information et de suivi de ce type d'action, notamment un site Internet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Madame la sénatrice, je suis bien conscient de la nécessité de veiller au suivi et à la transparence de l'aide. Comme vous l'avez souligné, le rythme du coeur et de la solidarité n'est pas toujours à l'unisson du rythme de la reconstruction.
Or, depuis deux ans et demi chargé de l'aide humanitaire d'urgence au sein du Gouvernement, je peux témoigner de ce que les drames se sont succédés.
La dernière catastrophe en date, le tsunami, a suscité la mobilisation très importante des Français, des collectivités locales, des institutions et, bien sûr, de l'Etat. Il est donc important de veiller à une transparence absolue.
Je rappelle que l'aide financière apportée par les pouvoirs publics français s'élève à une cinquantaine de millions d'euros, auxquels s'ajoutent les 300 millions d'euros de facilités de paiement accordées par le ministère des finances et de nombreux dons privés, d'organisations ou de personnes.
Afin de faciliter le suivi et la parfaite transparence de cette aide donnée par le Gouvernement français aux pays touchés par le tsunami, le ministère des affaires étrangères a réuni, sur son site internet, toutes les informations relatives au montant de cette aide et à son affectation, informations qui sont ainsi accessibles à tous.
Ce site ne peut, toutefois, pas encore donner tous les détails de la reconstruction, car les projets sont, à l'heure actuelle, en cours d'élaboration sur la base des besoins que nous avons identifiés sur place.
Par ailleurs, le Premier ministre a nommé un délégué interministériel qui est chargé de coordonner l'action des différents services de l'Etat et d'assurer la liaison avec les organisations non gouvernementales ainsi qu'avec les grandes organisations internationales, au premier chef desquelles les Nations unies et l'Union européenne.
Pour ce qui est de l'aide apportée par les ONG et les collectivités locales, il ne revient pas au ministère des affaires étrangères de rendre publiques les informations qui la concernent : cela relève de leur libre initiative. Cependant, un tableau retraçant les renseignements dont nous disposons sur l'engagement des collectivités locales est disponible sur le site internet du ministère des affaires étrangères, en accord avec ces dernières, ce afin de mieux coordonner toutes les actions.
Nous avons réuni les présidents des assemblées locales, maires, présidents de conseils généraux et de conseils régionaux, et nous avons validé avec eux un système qui permettrait de désigner un pays, une région, un site, un projet clairement défini, un interlocuteur sur place, de façon à obtenir la transparence la plus totale ; nous nous sommes également mis d'accord sur une durée, de trois ans à cinq ans, dans la mesure du possible, pour garantir la pérennité de l'action.
Cet après-midi, au ministère, est organisé un conseil d'orientation d'action humanitaire, de façon que, justement, en toute liberté, et conformément à cet élan de générosité, soient assurées la transparence et la coordination entre les différents acteurs, que ce soit l'Etat, les entreprises, les collectivités territoriales ou les ONG.
J'en viens à l'Iran. A la suite du séisme qui a frappé la ville de Bam, le 26 décembre 2003, le Gouvernement a immédiatement envoyé sur place une équipe de la sécurité civile, un hôpital de campagne et des médicaments. Parallèlement, plusieurs entreprises françaises ont annoncé des dons.
A ce jour, 2,8 millions d'euros ont été recueillis auprès des entreprises françaises, auxquels s'ajoutent 500 000 euros du ministère des affaires étrangères et 160 000 euros du ministère de la culture.
Pour gérer tout cela avec efficacité, un comité franco-iranien de pilotage de l'aide française à Bam a été créé, coprésidé par l'ambassadeur d'Iran à Paris et le ministère des affaires étrangères.
Ce comité a validé les projets et l'argent recueilli a été utilisé pour l'hôpital de Bam, qui compte quatre-vingt-seize lits et que les Iraniens ont d'ailleurs décidé d'appeler dorénavant « hôpital Pasteur ». L'argent a été consacré à l'achat d'équipements médicaux et à la construction de bâtiments pour le personnel de l'hôpital.
L'hôpital sera inauguré vraisemblablement dans le courant du mois par M. Darcos, qui doit se rendre sur place. Un jumelage entre cet établissement et un hôpital marseillais est à l'étude. Je tiens, à ce propos, à saluer l'action du sénateur-maire de Marseille et du conseil municipal pour leur soutien, et je le fais avec d'autant plus de plaisir qu'ils sont aujourd'hui présents dans nos tribunes.
Ces fonds ont également été employés à la numérisation des cartes de la ville et de la citadelle, afin que soit planifiée la reconstruction, à la fourniture de vingt stations portables pour le réseau de détection et de prévention des risques sismiques et, enfin, à un appui en matière d'urbanisme et de restauration du patrimoine. Grâce à notre aide, la ville de Bam a été classée patrimoine en danger de l'humanité par l'Unesco en juin 2004.
Quant à l'aide au développement - Dieu sait si le débat est passionné ! - la France y a consacré, en 2003, 6,4 milliards d'euros, soit 0,41 % de sa richesse nationale, DOM-TOM inclus, et 0,40 %, c'est-à-dire 6,22 milliards d'euros du RNB, hors DOM-TOM.
Je sais à quel point, madame la sénatrice, vous êtes impliquée en ce domaine de l'aide et de l'action d'urgence. Je tiens à vous remercier pour votre soutien.
Dans un souci de traçabilité et de lisibilité totales, le ministère des affaires étrangères a rédigé un rapport d'activité et l'a mis en ligne sur son site internet, ce qui permet ainsi de répondre à de nombreuses questions que se posent nos concitoyens. Ce site devrait comprendre, entre autres, un encadré sur l'aide française à Bam dans sa version 2004.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le secrétaire d'Etat, s'il ne revient pas au ministère des affaires étrangères de communiquer le montant de l'aide apportée par les collectivités locales, vous venez vous-même d'apporter la preuve que, en termes de lisibilité, un projet français peut se révéler porteur lorsqu'il y a un lien entre toutes les institutions : l'hôpital de Bam, en Iran, ne sera-t-il pas désormais dénommé « hôpital Pasteur » ?
Lorsque, voilà trois ans, j'ai élaboré pour l'ONU, à la demande du Président de la République, un rapport à la suite du sommet mondial de l'enfance, pour faire le bilan de notre politique, j'ai constaté à quel point les actions de la France en matière d'aide au développement étaient importantes, mais aussi, en même temps, à quel point elles étaient illisibles, parce qu'elles étaient dispersées et qu'elles traduisaient mal la volonté d'agir, qui, elle, existait bel et bien.
Par ailleurs, vous avez dit que la France consacrait à l'aide au développement 0,41 % de sa richesse nationale. Or, vous savez qu'aux termes des engagements qu'il a souscrits, notre pays se doit d'affecter 0,7 % de son budget à la lutte contre le sous-développement.
Il me paraît d'autant plus important de rappeler ces chiffres qu'une étude comparative réalisée voilà quelques années par un organisme de recherche dépendant de l'UNICEF, le Centre Innocenti, qui est basé à Florence, montre combien les pays du nord de l'Europe aident au développement d'un certain nombre d'autres pays, contribuant ainsi à résoudre des problèmes que rencontre notamment la jeunesse, et, par comparaison, combien nous sommes en retard en la matière.
Je vous incite, monsieur le secrétaire d'Etat, à faire lire cette étude comparative par vos services.
M. le président. Je vous remercie, ma chère collègue, et vous aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, de vos propos, qui auront été appréciés à la fois dans l'hémicycle et dans les tribunes. (Sourires.)
création d'un centre de la mémoire
M. le président. La parole est à M. Daniel Goulet, auteur de la question n° 653, adressée à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Daniel Goulet. Monsieur le secrétaire d'Etat, le jour même de la célébration du 60e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, le 27 janvier 2005, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe était invitée à créer un « centre européen en mémoire des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique », proposé par sa commission des migrations, des réfugiés et de la population, sur le rapport de M. Mats Einarsson, un Suédois.
Il est très vite apparu à la délégation française, qui a unanimement rejeté cette proposition, que la création de ce centre pouvait donner lieu à une ambiguïté fort déplorable, voire à une confusion inadmissible, et, enfin, qu'elle pouvait avoir des effets déstabilisateurs pour la réconciliation européenne, encore fragile.
Il faut se souvenir que ce projet tire son origine de la proposition, formulées par des personnes de souche allemande, chassées des territoires anciennement germaniques ou soumis par le IIIe Reich, de la création d'un « centre contre les expulsions ».
Il est à noter également que la création d'un tel centre avait été rejetée par le Bundestag et clairement repoussée par le chancelier Gerhard Schröder, inquiet de l'émotion qu'elle soulevait en Pologne, notamment au Parlement, ainsi qu'en République tchèque.
Après en avoir délibéré avec beaucoup de difficultés, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe n'a pas adopté ce texte, qui n'a pas recueilli les deux tiers des voix. Il est désormais convenu que ce texte ne pourra être ni de nouveau présenté ni de nouveau débattu.
Or, monsieur le secrétaire d'Etat, il semble que les signataires de cette proposition aient décidé de la représenter et de la faire adopter par les chefs d'Etat lors du troisième sommet du Conseil de l'Europe, qui aura lieu à Varsovie, au mois de mai prochain.
De l'avis de nombreux autres représentants, en dehors de la délégation française, qui avait pris l'initiative du rejet, une telle proposition, si elle apparaissait déjà inopportune à l'heure où l'on célébrait, dans la dignité et la ferveur, le 60e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, est désormais plus que contestable. La réflexion s'est installée parmi les autres délégations européennes. Il ne peut s'agir en la circonstance que d'un amalgame fâcheux et inadmissible.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite savoir quelle sera la position du gouvernement français sur cette importante question lorsqu'il représentera la France, les 17 et 18 mai prochain, lors du troisième sommet du Conseil de l'Europe, à Varsovie.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Monsieur le sénateur, l'année passée et celle qui s'ouvre ont été l'occasion de rappeler à notre mémoire les crimes odieux commis au cours de la Seconde Guerre mondiale. De par l'histoire de ma famille, vous le savez, je suis particulièrement sensible à ces événements.
M. Mats Einarsson, parlementaire suédois membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a suggéré la création d'un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique. Cette proposition, qu'il avance dans son rapport présenté devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, serait destinée à faciliter la réconciliation et la création d'une mémoire européenne commune, à faciliter la prévention des conflits ethniques et à combattre le racisme et la xénophobie.
Le mandat de ce centre porterait sur tous les déplacements de populations passés, présents et futurs. Ce centre mènerait des recherches historiques, élaborerait des matériels pédagogiques, organiserait des conférences et financerait des organisations non gouvernementales.
Ce projet aurait été proposé, toujours selon M. Mats Einarsson, afin d'étendre à l'échelon européen le projet de créer en Allemagne un « centre contre les expulsions ». Il visait à éviter les focalisations sur des situations bilatérales.
Comme vous l'indiquez, monsieur le sénateur, la délégation parlementaire française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, APCE, s'est prononcée contre ce projet.
M. Daniel Goulet. A l'unanimité !
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. En effet.
Ce projet n'a pas recueilli la majorité des voix de l'APCE.
Vous sollicitez, monsieur le sénateur, la position du Gouvernement sur ce point.
La création d'un tel centre, peut, à première vue, sembler constituer un « outil pédagogique » pour situer les événements tragiques qui ont caractérisé l'Europe du XXe siècle.
A l'inverse, la même création peut très clairement contribuer à créer des confusions entre des événements ou des tragédies de nature très différente. Nous ne pouvons risquer d'uniformiser tous ces événements tragiques en oubliant la spécificité de la Shoah.
En particulier, l'année 2005 est marquée par une succession de commémorations à l'occasion du 60e anniversaire de la libération des camps d'extermination. Le document proposé ne distinguait pas assez nettement ces victimes des personnes soumises par ailleurs à des déplacements forcés.
Pour ces raisons, qu'il soit clair, net et précis que nous ne pouvons pas apporter notre soutien à ce projet, tel qu'il est actuellement conçu.
Par ailleurs, je rappelle que, en avril 2004, j'ai représenté la France lors de la conférence de Berlin de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, sur la lutte contre l'antisémitisme. La France a, en outre, accueilli la conférence spéciale de l'OSCE dédiée à la lutte contre les crimes racistes et antisémites sur Internet en mai 2004. A chaque fois, au nom de la France, j'ai défendu la spécificité du génocide des juifs. Notre détermination ne faiblira pas sur ce point.
Je tiens à vous remercier, monsieur le sénateur, de cette question, qui me permet de clarifier une fois de plus, s'il en était besoin, la position du gouvernement français.
M. le président. La parole est à M. Daniel Goulet.
M. Daniel Goulet. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse est claire, nette et sans ambiguïté. Je n'en attendais pas moins de vous et du gouvernement que vous représentez ici. Je vous en remercie, et pas seulement en mon nom.
Que l'on ne se méprenne pas sur la motivation qui animait la délégation française lorsqu'elle a été conduite à s'opposer à l'initiative de la création de ce centre. La délégation ne nie pas la réalité des déplacements de populations, importants et insupportables, qui ont eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, dans une partie du monde qui a beaucoup souffert et dont les habitants n'aspiraient qu'à vivre tranquillement. Il ne faut pas méconnaître ces souffrances. Mais, de grâce, ne faisons pas d'amalgame, ne faisons pas de confusion. Nos contemporains ne l'accepteraient pas.
Une différence doit donc absolument être maintenue en faveur des martyrs de la solution finale, dont nous avons honoré la mémoire il y a quelques jours à peine, ainsi que des résistants qui ont payé de leur vie la libération de leur pays respectif.
7
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que les commissions des affaires sociales et des affaires économiques ont proposé leurs candidats pour deux organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jean-Claude Etienne membre du Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine et M. Michel Bécot membre de la Commission supérieure du Crédit maritime mutuel.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
8
Modification du titre XV de la Constitution
Discussion d'un projet de loi contitutionnelle
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 167, 180).
Comme vous le savez, mes chers collègues, ce projet de révision constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale il y a peu, a pour objet d'adapter notre texte fondamental aux avancées prévues par le traité constitutionnel européen.
Il faut s'en féliciter : ce traité est, pour l'essentiel, le résultat des travaux de la convention sur l'avenir de l'Europe, au sein de laquelle ont siégé nos excellents collègues Hubert Haenel et Robert Badinter, que j'avais désignés pour nous représenter .
Ce traité reconnaît à l'Assemblée nationale et au Sénat, placés sur un pied d'égalité, de nouvelles compétences pour nous permettre d'être plus vigilants quant au respect du principe de subsidiarité, auquel nous sommes tous très attachés. Il y va du juste équilibre dans la répartition des pouvoirs entre les instances européennes et les parlements nationaux.
Si le traité entre en vigueur, au plus tôt le 1er novembre 2006, nous devrons définir au préalable dans notre règlement les modalités pratiques de ces nouveaux mécanismes d'alerte, de recours ou d'opposition qui nous mettent en relation directe avec les institutions européennes.
A nous de faire vivre ces nouvelles prérogatives, conformément aux préoccupations de nos concitoyens, qui veulent une Europe plus proche et mieux comprise d'eux-mêmes.
Avant de donner la parole à M. le garde des sceaux, j'évoquerai également l'organisation de nos travaux sur ce projet de révision constitutionnelle, pour lequel la conférence des présidents a prévu trois jours de discussion, étant entendu que nous avons programmé le vote par scrutin public à la tribune jeudi matin.
En accord avec M. le président de la commission des lois, nos travaux se dérouleront de la manière suivante : cet après-midi et ce soir, nous pourrions procéder à la discussion générale et à l'examen des deux motions de procédure portant sur l'ensemble du projet de loi ; demain, mercredi, l'après-midi et le soir, nous pourrions examiner les articles sur lesquels quarante-huit amendements ont été déposés ; enfin, jeudi matin, à partir de neuf heures trente, pourraient intervenir les explications de vote sur l'ensemble du texte, puis le vote par scrutin public à la tribune.
Je suis persuadé que cette organisation nous permettra de conduire cet important débat dans les meilleures conditions.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre dernier, a pour objet de consolider et de développer les acquis de l'Union européenne.
Ces acquis ont permis à l'Union, qui compte aujourd'hui vingt-cinq Etats membres, de contribuer de manière déterminante à l'émergence, sur notre continent, d'un vaste espace de paix, de prospérité et de liberté, valeurs cardinales au nombre de celles qui sont communes à tous les peuples.
Comme tous les traités, le traité établissant une Constitution pour l'Europe est le fruit d'un compromis, sur la base duquel vingt-cinq Etats aux histoires et aux intérêts particuliers se sont accordés et sont déterminés à unir leurs efforts pour atteindre des objectifs communs qui transcendent leurs différences.
L'enjeu est majeur. En effet, ce n'est pas un traité de plus dans l'histoire de la construction européenne. C'est, sans aucun doute, une nouvelle étape de cette construction.
Le traité innove en améliorant profondément le fonctionnement de l'Union européenne. La consécration du Conseil européen comme institution de l'Union, l'élection d'un président du Conseil européen pour deux ans et demi, la création d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, qui permettra à cette dernière de mieux se faire entendre sur la scène internationale, l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le traité, ce qui conférera aux citoyens de l'Union le plus haut niveau de protection de leurs droits et de leurs libertés, sont quelques exemples emblématiques de cette amélioration.
D'autres dispositions modifient sensiblement l'organisation des compétences et le fonctionnement institutionnel de l'Union, permettant une meilleure lisibilité de l'action d'une Union au sein de laquelle vingt-cinq pays vont travailler et vivre ensemble plus étroitement.
En France, vous le savez, la ratification de ce nouveau traité de Rome se déroulera en deux phases.
La première phase consiste en une révision de notre Constitution. Cette révision est nécessaire pour adapter notre loi fondamentale à celles des stipulations du traité dont le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 novembre 2004, a jugé qu'elles n'étaient pas conformes à son texte actuel.
Lors de la seconde phase, suivant la décision du chef de l'Etat, le peuple français se prononcera directement, par la voie du référendum, sur la ratification par la France du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis a d'abord été élaboré afin de répondre aux incompatibilités existant entre notre Constitution et le traité établissant une Constitution pour l'Europe, sur le fondement des indications figurant dans la décision du Conseil constitutionnel du mois de novembre.
Le Conseil constitutionnel a identifié deux séries de dispositions du traité incompatibles avec notre Constitution.
La première série est relative aux stipulations du traité concernant les compétences de l'Union. Comme en 1992, à l'occasion du contrôle du traité de Maastricht, puis en 1997, lors du contrôle du traité d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel a identifié un certain nombre de stipulations prévoyant de nouveaux transferts de compétences au profit des institutions de l'Union, qui, malgré le principe de subsidiarité, ont pour effet d'affecter les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Sont, à ce titre, notamment visées certaines des stipulations du traité en matière de coopération judiciaire, en matière civile et en matière pénale, mais aussi la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.
D'autres stipulations modifient les règles d'adoption des normes européennes dans des matières ayant déjà fait l'objet de transferts de compétences dans des traités antérieurs et réclament, par voie de conséquence, une révision de la Constitution. Il en est ainsi en ce qui concerne les règles relatives à la structure, au fonctionnement et au domaine d'action d'Eurojust et d'Europol.
La seconde série de stipulations contraires à notre Constitution concerne les nouvelles prérogatives reconnues par le traité aux parlements nationaux : premièrement, la faculté qui leur est ouverte de s'opposer à une décision du Conseil mettant en oeuvre le mécanisme de la clause passerelle générale prévue à l'article IV-444 du traité ; deuxièmement, les pouvoirs reconnus à chaque assemblée parlementaire dans le cadre du contrôle du respect, par les institutions de l'Union, du principe de subsidiarité.
Ces stipulations méritent qu'on s'y arrête quelques instants. En effet, leur objectif est de permettre, comme nous l'avons si souvent demandé, aux parlements nationaux d'assurer un contrôle politique sur les initiatives de la Commission. Pour ce faire, le traité associe directement les parlements nationaux au contrôle de la bonne application du principe de subsidiarité à travers la création de deux procédures.
La première procédure pourra être mise en oeuvre par chacune des assemblées composant notre Parlement. Elle leur permettra, lors de l'examen d'un projet d'acte législatif européen, d'adresser aux institutions européennes un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il est considéré comme susceptible de porter atteinte au principe de subsidiarité.
La seconde procédure permettra, si l'acte est malgré tout adopté, de le déférer à la censure de la Cour de justice de l'Union européenne.
Ce dispositif confère, pour la première fois, un rôle actif aux parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une avancée majeure vers une Europe plus démocratique et plus proche de ses citoyens.
Le projet du Gouvernement, qui a fait l'objet de quelques améliorations lors de son examen par l'Assemblée nationale, est organisé en trois volets.
Le premier volet comprend l'article 1er du projet de loi. Son objet est à la fois unique et simple : il s'agit de lever les obstacles constitutionnels à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Sa rédaction, qui renvoie au traité signé en octobre dernier, est suffisamment générale pour couvrir toutes les inconstitutionnalités que ce traité est susceptible de contenir. L'entrée en vigueur de cet article ouvrira la voie à l'organisation du référendum.
Le deuxième volet est constitué par l'article 3 du projet de loi. Il se distingue des trois autres articles par sa substance, beaucoup plus importante, ainsi que par le fait que son dispositif n'entrera en vigueur, il faut l'avoir à l'esprit, que lorsque tous les Etats membres de l'Union auront ratifié le traité établissant une Constitution pour l'Europe. L'article 3 consiste en une réécriture totale du titre XV de la Constitution, réécriture rendue nécessaire par les modifications profondes qu'induit la mise en oeuvre du traité.
C'est également l'ampleur de ces modifications qui a commandé que ce dispositif n'entre pas en vigueur avant le traité lui-même. Notamment, les nouvelles prérogatives du Parlement français en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité par les institutions européennes ne pourront être mises en oeuvre que lorsque le traité établissant une Constitution pour l'Europe aura été ratifié.
Toutes les modifications apportées au titre XV de la Constitution n'auront pas, pour autant, la même ampleur. Ainsi, les articles 88-1 et 88-2 seront profondément remaniés.
Au moment où le traité entrera en vigueur, le nouvel article 88-1 de la Constitution, qui continuera à consacrer le principe de la participation de notre pays à l'Union européenne, aura également pour objet et pour effet de lever les obstacles constitutionnels à la mise en oeuvre des stipulations de ce traité.
Ces obstacles, comme je vous l'ai indiqué, sont nombreux et divers. Le Conseil constitutionnel n'en a pas présenté une liste exhaustive. Dès lors, il n'était pas nécessaire d'établir, dans la Constitution, comme cela avait été fait en 1992 et en 1999, la liste des domaines dans lesquels la France consent aux transferts de compétences prévus par le traité.
Il est simplement précisé dans le nouvel article 88-1 que la participation de la République française à l'Union européenne s'entend « dans les conditions fixées par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004 ». Cette formulation, semblable à celle qui est utilisée à l'article 1er du projet de loi, produit les mêmes effets : toutes les inconstitutionnalités contenues dans les stipulations de ce traité seront couvertes juridiquement par ce dispositif. Dans le même temps, ce dispositif assurera qu'à l'avenir, si un nouveau traité devait être conclu, les inconstitutionnalités qu'il pourrait contenir imposeraient une nouvelle révision de la Constitution.
La conséquence de ce choix est de faire disparaître les deux premiers alinéas de l'actuel article 88-2, qui, intégrés au nouvel article 88-1, n'ont plus de raison d'être.
Seul le troisième alinéa de l'article 88-2 actuel sera maintenu. En effet, les inconstitutionnalités qu'il a pour objet de couvrir trouvent leur source non pas dans les traités, mais dans des actes de droit dérivé pris par les institutions européennes. Pour assurer leur pérennité et pour que les règles régissant le mandat d'arrêt européen continuent de s'appliquer en France, il est donc indispensable de maintenir cet alinéa dans notre Constitution.
Les articles 88-3 et 88-4 ne faisaient l'objet que de modifications de forme dans le projet initial du Gouvernement.
S'agissant de l'article 88-3, qui prévoit la possibilité - mais c'est aujourd'hui une réalité - de conférer aux citoyens de l'Union européenne, dans certaines conditions, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, le Gouvernement a choisi de faire disparaître la réserve de réciprocité et l'adjectif « seuls » qui figurent au premier alinéa de cet article.
En effet, la réserve de réciprocité, classique dans le cadre du droit international, n'a pas de sens s'agissant d'un dispositif européen.
Quant à l'adjectif « seuls », dès lors que l'article 88-3 ne permet pas d'accorder le droit de vote à des ressortissants de pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne, il est sans utilité juridique.
Ainsi, dans les deux cas, les modifications apportées au texte constitutionnel sont sans portée juridique.
L'article 88-4, en revanche, a été, au terme d'un débat de grande qualité, sensiblement modifié sur le fond par l'Assemblée nationale.
Cet article, vous le savez, impose au Gouvernement de transmettre au Parlement les projets ou propositions d'acte des Communautés européennes ou de l'Union européenne comprenant des dispositions de nature législative et leur permet d'adopter des résolutions à leur sujet.
Outre la suppression de la référence aux Communautés européennes, absorbées par l'Union, la notion de « dispositions de nature législative » a été remplacée par celle de « dispositions du domaine de la loi » pour éviter l'ambiguïté entre les notions d'acte législatif européen et d'acte législatif français. Les mots « domaine de la loi » figurent déjà dans six autres articles de la Constitution de 1958 et permettent, en renvoyant à l'article 34, de dissiper tout risque de confusion.
Mais à ces modifications de forme, d'ordre mineur, l'Assemblée nationale a ajouté, avec l'accord du Gouvernement, une modification de fond relative au champ d'application de cet article.
Le Gouvernement, je le rappelle, n'entend pas qu'à l'occasion de la présente réforme de la Constitution la répartition des compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif, telle qu'elle résulte de la Constitution, soit remise en cause.
Pour autant, le Gouvernement a bien compris la préoccupation des parlementaires quant à la place des assemblées dans le processus d'élaboration de la norme européenne. C'est pourquoi il a pris deux engagements forts.
Le premier s'est concrétisé par le soutien apporté à l'amendement qui a rallié les suffrages des députés. Celui-ci a pour objet de prévoir la transmission obligatoire au Parlement de tous les projets d'acte législatif européen, quel que soit leur contenu. Cela permettra à chaque assemblée parlementaire d'adopter, sur le fond, des résolutions relatives à un projet d'acte législatif européen. Une telle orientation est cohérente avec celle du traité, qui rend les parlements nationaux systématiquement destinataires de ces projets par les institutions européennes elles-mêmes.
Le deuxième engagement du Gouvernement concerne la mise en oeuvre des dispositions de l'article 88-4. La circulaire du 13 décembre 1999 qui organise cette mise en oeuvre sera modifiée ou remplacée. Y figurera la règle selon laquelle, à la demande d'une assemblée parlementaire ou de l'une de ses commissions, les documents qui n'entrent pas dans le cadre de la transmission obligatoire au Parlement devront être transmis, sauf exception. Les avis alors rendus par l'une ou l'autre assemblée devront faire l'objet d'un examen attentif de la part du Gouvernement.
Le Parlement français disposera ainsi de prérogatives d'information et d'action propres à garantir sa participation active au processus d'élaboration de la norme européenne.
Enfin, les articles 88-5 et 88-6 sont totalement nouveaux. Ils ont pour objet de permettre aux assemblées parlementaires françaises de mettre en oeuvre les prérogatives nouvelles que le traité établissant une Constitution pour l'Europe leur reconnaît.
L'article 88-5 a été, avec l'accord du Gouvernement, entièrement réécrit à l'Assemblée nationale. II permettra à chaque assemblée, dans des conditions d'initiative et de discussion fixées par son règlement intérieur, de voter des résolutions lui permettant, d'une part, d'émettre un avis motivé à destination des institutions européennes lorsqu'un projet d'acte législatif européen est susceptible de méconnaître le principe de subsidiarité et, d'autre part, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne dans le cas où l'acte en cause serait tout de même adopté.
Compte tenu des délais relativement brefs dans lesquels ces résolutions doivent intervenir, il est prévu qu'elles puissent être adoptées en dehors des périodes de session. Les termes utilisés doivent permettre à chaque assemblée d'adopter ces résolutions sans inscription systématique à l'ordre du jour d'une séance publique.
Le Gouvernement, qui est tenu informé dans le premier cas, a pour seul rôle de transmettre à la Cour de justice les recours décidés sur le fondement du deuxième alinéa.
L'article 88-6, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, est relatif à la mise en oeuvre du droit de veto reconnu aux parlements nationaux de se prononcer d'une seule voix, y compris lorsqu'ils sont composés de manière bicamérale, contre la mise en oeuvre du mécanisme de révision simplifiée figurant à l'article IV-444 du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Là encore, ce sont les règlements intérieurs des deux assemblées qui devront fixer les modalités procédurales d'adoption de la motion commune votée en termes identiques - j'y insiste - par laquelle le Parlement français pourra faire échec au passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée dans les domaines de compétence matérielle de l'Union européenne.
L'article 88-7 n'appelle pas d'observations particulières puisqu'il est destiné à reprendre les dispositions que l'article 2 du présent projet de loi aura intégrées à l'article 88-5 de la Constitution en attendant l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Ces dispositions font partie du troisième et dernier volet de ce projet de loi, qui comprend les articles 2 et 4 et qui entrera en vigueur même si le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'était pas ratifié par tous les Etats.
Il a pour objet de concrétiser l'engagement pris par le Chef de l'Etat de soumettre au peuple français, par la voie du référendum, toute nouvelle adhésion d'un Etat à l'Union européenne.
Seul le principe de ce recours au référendum sera inscrit dans la Constitution. Les dispositions de l'article 4 du projet de loi, qui présentent un caractère transitoire, n'y figureront pas. Leur objet est de réserver le cas des pays pour lesquels les négociations en vue de leur adhésion ont déjà commencé ou sont sur le point de commencer. Il ne faut pas, en effet, que soient modifiées les règles qui étaient applicables lorsque ont été décidées les négociations en vue de l'adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue de mon propos, je tiens à souligner de nouveau l'importance du projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis.
En adaptant la Constitution de notre pays pour permettre que la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe soit proposée au peuple français, il constitue une étape nécessaire dans le processus qui permettra à la France de poursuivre, avec ses vingt-quatre partenaires, la construction d'une Union européenne seule à même, j'en suis convaincu, de garantir la paix et la prospérité de ses membres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est la cinquième fois que nous sommes amenés à aborder, au Parlement, une révision de la Constitution en relation avec le processus de construction européenne.
A chaque étape de cette construction marquée par la signature d'un traité important, nous devons en effet réviser notre Constitution de telle sorte que le traité en question soit conforme à celle-ci.
C'est de nouveau le cas avec le traité « établissant une Constitution pour l'Europe ».
Relevons au passage que l'expression même de « Constitution pour l'Europe » pose problème dans la mesure où le mot « Constitution » a, chez nous, une signification très précise, qui ne correspond pas tout à fait à ce que l'on entend en l'occurrence s'agissant de la construction européenne, ni d'ailleurs à la notion de Constitution dans le monde anglo-saxon.
En réalité, nous sommes plus en face des « statuts » de l'Union européenne que d'une Constitution à proprement parler. Une Constitution, c'est le propre d'un Etat. Or l'Union européenne, pour l'heure, n'est pas un Etat, c'est une union d'Etats. On a donc quelque peu joué sur les mots, le mot « Constitution » n'ayant pas la même signification dans les vingt-cinq pays.
Le traité établissant une Constitution pour l'Europe compte 448 articles divisés en quatre parties.
La partie I, la plus importante, celle qui nous concerne le plus, a trait aux objectifs fondamentaux et aux institutions de l'Union européenne.
La partie II concerne la Charte des droits fondamentaux de l'Union, proclamée à Nice.
La partie III vise les politiques et le fonctionnement de l'Union.
Enfin, la partie IV comprend les dispositions transitoires et finales.
A ces quatre parties sont annexés deux protocoles qui nous concernent directement : le protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne et le protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Nous reviendrons sur ces deux points lorsque nous aborderons la portée de la révision constitutionnelle qui nous est proposée.
Il ne nous appartient pas, en cet instant, de juger le contenu du traité établissant une Constitution pour l'Europe : nous sommes là pour examiner la conformité de notre Constitution à ce nouveau traité.
A ce point de mon propos, je crois utile de rappeler un certain nombre d'éléments.
La construction européenne s'est opérée jusqu'à maintenant sur les bases du droit international public et non sur les bases d'un droit fédéral en cours de construction, même si certains des Etats membres de l'Union européenne ont d'ores et déjà inscrit dans leur Constitution des éléments de pré-fédéralisme ; c'est le cas, par exemple, du Portugal. Pour notre part, nous n'en sommes pas là : nous avons conservé, pour la construction européenne, les modalités de transposition du droit international en droit interne.
Permettez-moi d'évoquer brièvement ces modalités.
Tout d'abord, aux termes de l'article 52 de la Constitution, c'est le Président de la République qui négocie et ratifie les traités, l'article 53 prévoyant néanmoins que les traités les plus importants ne peuvent être ratifiés qu'en vertu d'une loi, ce que nous ferons éventuellement par la suite, sous la forme d'une loi référendaire.
Cela signifie que nous nous inscrivons dans une conception moniste du droit international, qui apparaît dans l'article 55 de la Constitution, aux termes duquel les traités, dès leur ratification, ont une autorité supérieure à la loi. C'est un point tout à fait important qui explique pourquoi nous n'avons pas eu le même comportement qu'un certain nombre de pays de l'Union européenne ; je pense à la Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou aux Etats scandinaves, qui ont, eux, une conception dualiste du droit international, telle que le droit international ne peut intégrer leur droit interne qu'à condition que ce droit international soit transformé en loi.
Cette conception ne s'inscrit pas dans nos traditions. Chez nous, le droit international s'impose automatiquement, sous réserve de l'intervention du Parlement pour les documents les plus importants. Cette conception moniste s'explique par le fait que les traités ont toujours une autorité supérieure à la loi, mais non pas, j'y insiste, à la Constitution.
Je rappelle par ailleurs les termes de l'article 54 de la Constitution : « Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution. »
Je précise qu'une telle disposition n'a pas un caractère automatique : il suffit ainsi que le Conseil constitutionnel ne soit pas saisi pour que nous ratifiions un traité qui serait contraire à la Constitution. Mais tel n'est pas le cas en l'occurrence.
J'en profite pour répondre aux auteurs de l'une des motions de procédure qui sera défendue tout à l'heure. Ils prétendent qu'il aurait été possible de coupler la ratification du traité et à la modification de la Constitution dans le cadre d'un seul référendum : cela est contraire à l'article 54 puisque celui-ci exige de modifier la Constitution préalablement à la ratification.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Absolument !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Dans la décision qu'il a rendue le 19 novembre 2004 après avoir été saisi par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a rappelé un certain nombre de principes qu'il avait déjà développés dans des décisions antérieures.
Ainsi, le Conseil constitutionnel a fait sienne la primauté du droit de l'Union européenne, en rappelant que ce droit a le caractère des traités internationaux. A partir de là, il a examiné la portée des articles I-5 et I-6 du traité, articles qui, dans une certaine mesure, se contredisent.
Aux termes de l'article I-6, « la Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des Etats membres ». Cela ne paraît-il pas signifier que la Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union priment sur notre Constitution ?
Or le premier alinéa de l'article I-5 pose le principe suivant : « L'Union respecte l'égalité des Etats membres devant la Constitution ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. »
Le Conseil constitutionnel a bien cerné cette contradiction en réaffirmant le principe de la supériorité de notre Constitution sur le droit communautaire. La Cour de Karlsruhe a d'ailleurs adopté une position identique en Allemagne.
Toutefois, un problème se pose, et je suis convaincu que mon excellent collègue Hugues Portelli le soulignera dans son intervention : que se passerait-il si jamais la Cour de justice des Communautés européennes de Luxembourg contredisait la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?
A mon sens, en vertu de l'article I-5, la Cour de Luxembourg ne pourra plus maintenir en l'état sa jurisprudence. Dans le cas contraire, l'Union européenne serait vraisemblablement confrontée à une crise institutionnelle.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il faudrait résoudre cette crise autrement que par les dispositifs actuellement à notre disposition.
En tout état de cause, le 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il n'y avait pas lieu de modifier la Constitution compte tenu de la lecture combinée des articles I-5 et I-6 du traité et a donc confirmé la supériorité de notre Constitution sur le droit communautaire.
J'en viens maintenant, sans reprendre tout ce qu'a dit parfaitement M. le ministre tout à l'heure, aux raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel a estimé nécessaire de réviser notre Constitution, en réaffirmant d'ailleurs une jurisprudence antérieure.
Il faut, tout d'abord, réviser la Constitution parce que le traité prévoit des transferts de compétences dans des matières nouvelles. Certaines sont d'ailleurs évoquées dans la décision : notamment, le contrôle aux frontières, la coopération judiciaire, la création d'un parquet européen.
Il faut, ensuite, modifier la Constitution eu égard à l'institution, par le traité, de nouvelles modalités d'exercice de compétences déjà transférées. A ce titre, le Conseil constitutionnel mentionne le cas d'Eurojust et d'Europol, les initiatives conjointes de saisine d'Eurojust, ainsi que les mesures nécessaires à l'usage de l'euro.
Ces dispositions feront l'objet des articles 88-1 et 88-2 de la Constitution.
Deux autres points appellent une révision de la Constitution, mais ils ne seront pas traités de la même façon. Il s'agit des « clauses-passerelles » spécifiques et de la procédure de révision simplifiée du traité instituée par son article IV-444.
Enfin, il convient de réviser la Constitution eu égard aux nouvelles prérogatives reconnues aux parlements nationaux, ou à chacune des chambres qui les composent, dans les protocoles nos 1 et 2, qui feront l'objet des articles 88-5 et 88-6.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est aujourd'hui soumis comprend deux sortes de dispositions, trois volets, quatre articles et deux innovations juridiques.
J'évoquerai d'abord les innovations juridiques, qui présentent un intérêt non seulement sur le plan théorique, mais aussi sur le plan pratique.
Il convient de souligner l'existence, dans ce texte, d'articles à vocation transitoire et d'articles à vocation définitive.
En effet, les deux premiers articles du projet de loi constitutionnelle « disparaîtront » lorsque le traité établissant une Constitution pour l'Europe aura été ratifié par l'ensemble des Etats membres et « laisseront la place » aux dispositions prévues par l'article 3.
Cette première innovation me paraît tout à fait positive : cela évite d'avoir à réviser la Constitution en deux fois et cela permet d'adapter le texte constitutionnel en fonction de la réalité juridique. (M. le Premier ministre fait son entrée dans l'hémicycle.)
Monsieur le Premier ministre, je vous salue !
La deuxième innovation réside dans le fait que l'article 4 prévoit une disposition constitutionnelle qui ne sera pas inscrite dans la Constitution. Vous me rétorquerez, avec raison, que cela existe déjà : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le préambule de la Constitution de 1946 - et, peut-être demain, la Charte de l'environnement - figurent en effet, non pas dans le texte constitutionnel, mais « à côté », et ont néanmoins valeur constitutionnelle.
Il est d'ailleurs préférable que la disposition prévue à l'article 4, qui a lui-même une vocation transitoire, ne figure pas dans le texte constitutionnel dans la mesure où elle porte sur un cas d'espèce, à savoir l'admission de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie dans l'Union européenne. Rien, en effet, ne permet de justifier l'inscription dans la Constitution d'une disposition aussi précise, qui sera appelée à disparaître le jour où ces trois pays auront effectivement intégré l'Union européenne.
J'en viens maintenant aux deux sortes de dispositions qui figurent dans le projet de loi constitutionnelle.
Une première série de dispositions provient, en réalité, de l'application de la décision du Conseil constitutionnel. Elles ont pour objet de lever les obstacles juridiques à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
A ce titre, seuls les articles 1er et 3 sont concernés, à l'exception des dispositions de l'article 3 insérant un article 88-7 dans notre Constitution.
Mme Hélène Luc. C'est très clair !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Une deuxième série de dispositions résulte, quant à elle, de la volonté politique du Président de la République et du Gouvernement.
Ces dispositions prévoient qu'à l'avenir tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne ne pourra être adopté que par la voie référendaire. Elles figurent à l'article 2 et dans le texte proposé par l'article 3 pour l'article 88-7 de la Constitution.
Il s'agit d'une décision politique importante, répondant à une préoccupation fondamentale des Français. Ces derniers étant en effet directement concernés par l'élargissement de l'Union européenne, ils seront ainsi, à l'avenir, systématiquement consultés par référendum.
J'ai également parlé de trois volets.
L'article 1er, qui constitue le premier volet, vise à compléter la rédaction de l'article 88-1 de la Constitution. Il s'agit, en fait, d'un article « ramasse-tout », destiné à lever l'ensemble des obstacles constitutionnels à la ratification du traité qui nous occupe et permettant de soumettre cette ratification au référendum.
Le deuxième volet, qui est constitué des articles 2 et 4, ainsi que du texte proposé pour l'article 88-7 de la Constitution, a spécifiquement trait au référendum obligatoire s'agissant de l'adhésion de nouveaux Etats.
L'article 2 est également une mesure transitoire, « fongible », puisque ses dispositions seront actualisées et déplacées, en application de l'article 3 du projet, à compter de l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Quant à l'article 4, je l'ai déjà dit, il a pour objet d'exclure de l'obligation du référendum les projets de loi autorisant la ratification des traités d'adhésion à l'Union européenne de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, et donc d'en permettre l'adoption par la voie parlementaire, dans la mesure où ces adhésions ont fait l'objet d'une procédure définie antérieurement à la signature du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Le troisième volet est constitué par l'article 3, qui prévoit la refonte complète du titre XV de la Constitution, de façon à permettre la mise en oeuvre du traité.
Je ne reprendrai pas tout ce qu'a dit parfaitement M. le ministre sur ce point.
L'article 88-1 est refondu, simplifié, et sa portée est généralisée.
L'article 88-2 a donné lieu à un débat important : était-il utile de le maintenir ? Comme le ministre l'a souligné, nous ne connaissons pas les implications ultérieures de la création du mandat d'arrêt européen. En l'espèce, l'avis rendu par le Conseil d'Etat nous incite à beaucoup de prudence. Par conséquent, nous maintenons l'article 88-2, du moins son dernier alinéa actuel.
L'article 88-3 porte sur le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants de l'Union européenne aux élections municipales. Les seules modifications consistent à supprimer la réserve de réciprocité et l'adjectif « seuls », dépourvus de portée juridique.
Les articles 88-4, 88-5 et 88-6 sont capitaux : ils renforcent les compétences de notre Parlement. Nous serons dorénavant systématiquement associés à la construction européenne.
En ce qui concerne l'article 88-4, le texte émanant du Gouvernement a été réécrit après un accord entre les formations politiques de l'Assemblée nationale. Cette nouvelle rédaction me convient parfaitement. En effet, devront être soumis aux assemblées non seulement les projets ou propositions d'acte européen comportant des dispositions qui relèvent du domaine de la loi française, mais également les projets d'acte législatif européen. Le champ d'application retenu est donc plus vaste par rapport au droit en vigueur.
Nous avons tous entendu tout à l'heure l'engagement du Premier ministre... Pardonnez-moi ! Je voulais dire : l'engagement du garde des sceaux...
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... de nous soumettre en outre la quasi-totalité des documents. Pour ce faire, la circulaire en la matière sera modernisée et adaptée.
L'article 88-5 est une innovation totale puisqu'il s'agit de la reconnaissance du rôle de chacune des deux chambres en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité.
Cela étant, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, je me permettrai d'ouvrir une parenthèse sur l'application des articles 88-4 et 88-5.
A l'heure actuelle, plus de 300 projets ou propositions d'acte sont soumis chaque année aux assemblées en application de l'article 88-4, plus de 1000 documents leur étant, au total, communiqués. Naturellement, l'Assemblée nationale et le Sénat ont fait le nécessaire pour que cette masse considérable de documents puisse être traitée correctement.
Or, avec l'extension de la nature des documents concernés par l'article 88-4, avec le nouveau rôle reconnu aux assemblées dans l'article 88-5, nous aurons certainement à faire face à une surcharge de travail importante, qui nous obligera à revoir nos façons de travailler.
Il faudra dégager du temps et des moyens pour que les membres de la délégation pour l'Union européenne et des commissions permanentes, ainsi que les administrateurs qui sont mis à leur disposition, puissent faire face aux missions nouvelles et particulièrement importantes qui leur sont reconnues par cette révision constitutionnelle. Car il ne s'agit pas d'être, cette fois encore, le plus mauvais élève de la classe en ce qui concerne la mise en oeuvre de la législation européenne ! Cependant, ce qui était vrai auparavant ne l'est plus aujourd'hui (M. Robert Badinter manifeste son scepticisme), monsieur le garde des sceaux, puisque nous parvenons maintenant à « digérer » et à assimiler cette législation pratiquement en temps utile.
Il n'en demeure pas moins que nous allons vers quelque chose que nous ne connaissons pas. Permettez-moi de dire que, à l'avenir, nous n'hésiterons pas à mener, s'agissant de la construction européenne, une réflexion constitutionnelle d'ensemble.
En effet, les mécanismes du droit international public deviennent inadaptés au fur et à mesure de la construction européenne et sans doute faudra-t-il un jour inventer d'autres règles.
Concernant le nouveau rôle reconnu au Parlement, qui est considérable, nous devrons donc innover.
Dans un premier temps, vraisemblablement, nous devrons faire évoluer énormément nos règlements pour tout ce qui concerne l'Europe. Mais cela ne suffira peut-être pas. Sans doute serons-nous alors conduits à engager une large réflexion sur ce sujet.
Cette parenthèse étant refermée, j'en arrive à l'article 88-6, qui prévoit que l'Assemblée nationale et le Sénat réunis, et non pas séparés comme dans les articles 88-4 et 88-5, peuvent « s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne selon la procédure de révision simplifiée du traité établissant une Constitution pour l'Europe ».
Par ailleurs, l'article 88-5 dispose que chaque assemblée aura la possibilité de saisir la Cour de justice de l'Union européenne. Cela nous conduira également à innover, à inventer des mécanismes permettant d'assurer le suivi des recours qui seront introduits.
Quant à l'article 88-7, il reprend le dispositif de l'article 2, mais de manière pérenne, en prévoyant que « tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République. »
Ces dispositions ont également donné lieu, au sein de la commission des lois, à des débats importants, car elles créent en réalité une nouvelle catégorie de référendums, s'ajoutant à celles des articles 11 et 89 de la Constitution.
Au demeurant, je tiens à souligner qu'elles sont en parfaite adéquation avec l'article 3 de la Constitution, selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Il n'est donc pas possible de critiquer un tel dispositif.
Il reste qu'il s'agit d'un mécanisme un peu nouveau puisque le Président de la République aura, dans le cadre de l'article 88-7, une compétence liée, ce qui n'est pas le cas dans les articles 11 et 89.
Pour autant, on ne peut pas dire, et M. le garde des sceaux nous a rassurés sur ce point tout à l'heure, que le Parlement ne pourra pas débattre préalablement à l'utilisation de l'article 88-7.
Tout d'abord, ne l'oublions pas, le Parlement a toujours les moyens d'exiger un débat, notamment sous la forme d'une question orale avec débat. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. René-Pierre Signé. Subterfuge !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ensuite, M. le garde des sceaux s'est engagé tout à l'heure à ce que tous les documents demandés par le Parlement lui soient soumis. Par conséquent, en cas de procédure d'admission d'un nouvel Etat, le Parlement sera nécessairement saisi de cette question et en débattra.
Enfin, n'oublions pas non plus que, dans une campagne référendaire, comme dans une campagne électorale, chacun a son mot à dire, ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien ce que nous pensons !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... de telle sorte que la population est parfaitement informée.
M. René-Pierre Signé. L'abstention sera importante !
M. le président. Monsieur le rapporteur, je crois que M. Signé souhaite vous interrompre...
M. René-Pierre Signé. M. le rapporteur a très bien compris mon propos !
M. Jean-Luc Mélenchon. Moi, je veux bien interrompre M. Gélard, monsieur le président !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur Signé, je vous dirai simplement que, dans une démocratie, il est en effet tout à fait dommage que le peuple souverain estime ne pas avoir intérêt à exercer ses droits et à s'exprimer par le biais d'un référendum. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)
En conclusion, le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale répond totalement aux préoccupations exprimées par le Conseil constitutionnel.
Lorsqu'un texte ne pose pas de véritable problème de fond - je pense aux articles 88-1, 88-2, 88-3, 88-4 et 88-6 -, il n'y a pas de raison de le modifier. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai, mes chers collègues, d'adopter ces articles conformes.
Je vous demanderai également d'adopter sans modification les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle, ainsi que les dispositions proposées par l'article 3 pour insérer un article 88-7. En effet, les décisions du Conseil constitutionnel ne portent pas sur ces articles, qui appartiennent à un domaine plus vaste, éminemment politique. Il s'agit en effet de l'élargissement de l'Union européenne et de la compréhension de celle-ci par nos concitoyens.
Il est sans doute dommage que, à chaque étape de la construction européenne, nous n'ayons pas toujours, par le passé, utilisé le référendum.
M. Robert Badinter. Une fois !
M. Patrice Gélard, rapporteur. On est frappé de constater à quel point nos concitoyens ne connaissent que superficiellement l'Union européenne. Or, en tant qu'hommes politiques, nous avons le devoir de les instruire en profondeur, en les motivant et en leur expliquant ce qu'est l'Union européenne, pour qu'ils la comprennent et s'associent à sa construction.
Pour atteindre un tel but, quel meilleur outil que le référendum chaque fois qu'un nouveau traité se présentera, chaque fois qu'un nouvel Etat souhaitera entrer dans l'Union ? Il s'agit d'avancer vers une Europe plus intégrée, vers une sorte de prototype, peut-être vers une esquisse de fédéralisme européen. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UMP et sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je salue à mon tour M. le Premier ministre, qui nous fait l'honneur de participer à nos débats. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il nous faut, aujourd'hui, résister à l'envie de procéder à l'analyse du traité qui va donner une Constitution à l'Europe.
Ayant été membre de la Convention pour l'avenir de l'Europe, j'aurais, bien sûr, aimé le faire. Cependant, tel n'est pas l'objet de notre débat puisque nous évoquerons le traité constitutionnel lors du débat parlementaire qui précédera le référendum.
A présent, il s'agit d'adapter notre propre Constitution afin de rendre possible l'approbation du nouveau traité.
Prenant la parole après le doyen Gélard, orfèvre en la matière, je n'aborderai pas non plus tous les aspects du projet de loi constitutionnelle. Au demeurant, il me paraît clair que ce texte règle de manière satisfaisante les problèmes qu'avait soulevés le Conseil constitutionnel, un texte que les travaux de l'Assemblée nationale ont permis d'améliorer sur quelques points.
Je centrerai donc mon propos sur un aspect à mes yeux capital du projet de révision, à savoir le nouveau rôle européen des deux assemblées.
Durant les débats qui ont préparé la rédaction du traité constitutionnel, un large accord est apparu autour d'une idée lancée, en son temps, par Jacques Delors et selon laquelle ce qui fait l'originalité de la construction européenne, c'est qu'il s'agit de construire non pas d'un Etat fédéral mais une fédération d'Etats-nations. Or une fédération d'Etats-nations est caractérisée par l'association de toutes les légitimités, y compris celle qu'incarnent les parlements nationaux.
C'est la raison pour laquelle siégeaient, au sein de la Convention, non seulement des représentants des gouvernements, de la Commission européenne et du Parlement européen, mais aussi des représentants des parlements nationaux. Je devrais dire qu'il y avait surtout des représentants des parlements nationaux puisque ceux-ci étaient majoritaires.
Par conséquent, si nous voulons, demain, faire vivre cette fédération d'Etats-nations, il est essentiel d'impliquer vraiment les parlements nationaux dans les débats européens.
Nous devons réfléchir à un paradoxe. Nos compatriotes sont, dans leur très large majorité, attachés à la construction européenne. Or le traité constitutionnel - la plupart d'entre nous en conviendront - apporte un progrès dans cette construction. En bonne logique, nous devrions donc être parfaitement confiants quant à l'issue du référendum. Cependant, nous savons tous que ce n'est pas gagné, que beaucoup d'électeurs sont sur la réserve, s'interrogent ou, pis, se désintéressent de la question.
Ce paradoxe tient notamment au fait que beaucoup de nos concitoyens ont le sentiment que l'Europe se fait loin d'eux, au-dessus d'eux, voire sans eux.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vrai qu'elle est loin d'eux !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Force est de constater que le Parlement européen ne suffit pas à faire le lien entre les citoyens et l'Europe. Bien au contraire, comme nous avons pu récemment nous en rendre compte, la participation diminue à chaque élection européenne, ce qui est un autre signe du même malaise.
Cette situation nous donne, à nous parlementaires nationaux, une responsabilité particulière. En effet, la construction européenne a besoin de fils conducteurs pour que le courant passe avec les citoyens. Nous devons être l'un de ces fils conducteurs !
Le contrôle de l'action européenne du Gouvernement est l'une des premières dimensions de ce rôle. Vous le savez, mes chers collègues, la construction européenne transforme les gouvernements en colégislateurs de l'Union, conjointement avec le Parlement européen. Les parlements nationaux doivent donc contrôler la manière dont les gouvernements s'acquittent de ce rôle : c'est l'un des aspects de la légitimation démocratique de l'Union.
Dans ce domaine, depuis une quinzaine d'années, nous avons progressé. En 1989 a été lancée la COSAC, la Conférence des organes spécialisés des assemblées de la Communauté, qui permet une concertation régulière entre les organes chargés des affaires européennes au sein de chaque Parlement. C'est une réelle avancée, car les parlements nationaux, s'ils restent isolés les uns des autres, ne peuvent pas bien contrôler des gouvernements qui, eux, travaillent ensemble.
En 1990, nous avons renforcé le rôle des délégations européennes de chaque assemblée, en gardant malheureusement leur dénomination bizarre, qui évoque un peu les « steppes de l'Asie centrale », qui est incompréhensible pour nos interlocuteurs étrangers.
Lors de la révision constitutionnelle de 1992, le Parlement s'est doté d'un instrument spécifique de contrôle du Gouvernement, à savoir les résolutions prévues à l'article 88-4 de la Constitution.
Cependant, ces progrès ne doivent pas dissimuler que nous restons loin du niveau de contrôle existant chez nos partenaires allemands ou anglais, pour prendre l'exemple de pays comparables au nôtre.
Ainsi, dans le système britannique, le gouvernement adresse aux deux assemblées un mémorandum explicatif dans lequel il fait une première analyse du texte et précise les grandes lignes de son approche. Les assemblées peuvent donc réagir rapidement et prendre position par rapport à l'approche du gouvernement. Ce dernier est également tenu d'adresser régulièrement des rapports aux assemblées sur les suites qu'il a données à leurs prises de position. Ainsi sont réunies les conditions d'un véritable dialogue entre parlement et gouvernement sur les sujets européens. Convenons que, dans notre pays, on en est loin !
Il serait d'ailleurs injuste d'en rejeter la faute sur le seul Gouvernement. Pour mettre en oeuvre l'article 88-4, nous avons imaginé une procédure trop compliquée, trop lente et insuffisamment réactive.
M. Michel Mercier. Très bien !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. En effet, quand nous adoptons une résolution, il est souvent trop tard pour qu'elle puisse être prise en compte. De toute manière, nous n'avons aucun échange avec le Gouvernement sur le suivi de nos résolutions : nous ne savons pas ce qu'elles deviennent !
Avec le traité constitutionnel, avec la révision qui nous occupe aujourd'hui, c'est une nouvelle voie qui s'ouvre.
Pour la première fois - j'ose dire que c'est une petite révolution juridique -, les parlements nationaux joueront un rôle direct dans le processus de décision européen, rôle qu'ils exerceront de manière autonome, indépendamment de leur gouvernement.
En effet, les parlements nationaux seront directement saisis des projets législatifs européens. Ils pourront, dans les six semaines, adresser directement aux institutions européennes des avis motivés sur le respect du principe de subsidiarité : c'est ce que l'on appelle familièrement le « carton jaune ». Dans le même but, ils pourront, le processus législatif achevé, saisir la Cour de justice de l'Union européenne : c'est le « carton rouge ».
Les parlements nationaux auront également, de manière autonome, un droit d'objection en cas d'utilisation de la clause-passerelle qui permet de remplacer la décision à l'unanimité par le vote à la majorité qualifiée.
Ces pouvoirs nouveaux n'ont pas été faciles à obtenir. De fortes réticences se sont manifestées au sein de la Convention, du côté du Parlement européen comme de celui de certains gouvernements. Mais le pas a été franchi.
Les parlements nationaux disposeront désormais d'un instrument qui pourra faire beaucoup pour rapprocher les citoyens et l'Europe. Car l'une des raisons qui éloignent les citoyens de l'Europe, c'est que l'Europe intervient parfois dans des domaines qui ne la concernent en rien, alors qu'au contraire elle n'est pas assez active dans des domaines où elle seule peut être efficace, si bien que l'on ne comprend plus qui fait quoi, ni pourquoi on le fait.
Ce n'est pas à l'Europe de subventionner des orchestres, de surveiller les eaux de baignade ou de réglementer les cages des animaux de laboratoire, pour ne prendre que ces exemples-là. Je ne parle pas de la chasse, monsieur le président ! (Sourires.) Cela, nous pouvons très bien le faire nous-mêmes !
Il est des domaines, en revanche, où il nous faut plus d'Europe : politique internationale, défense, lutte contre la grande délinquance transfrontière, encouragement à la croissance, lutte contre le dumping social et fiscal.
Il convient donc de recentrer l'Union européenne sur ses vraies compétences. Alors, les citoyens la comprendront mieux et, du même coup, s'y retrouveront davantage. Désormais, nous allons pouvoir favoriser ce recentrage. C'est un pouvoir nouveau et, en même temps, ce sera pour nous, parlementaires, une responsabilité importante. Nous serons, dans cette affaire, complètement autonomes, et si nous ne jouons pas efficacement ce nouveau rôle, nous ne pourrons nous en prendre qu'à nous-mêmes.
C'est pourquoi la délégation pour l'Union européenne a déjà eu, à deux reprises, un débat sur la manière dont le Sénat pourrait mettre en oeuvre le « carton jaune » et le « carton rouge ».
Je voudrais rappeler les termes du problème. Nous aurons, chaque année, plusieurs centaines de textes à examiner en vertu du futur article 88-5. Pour faire le tri entre ces nombreux textes, il faudra pouvoir s'appuyer sur des critères, avoir une cohérence, une doctrine et des réflexes. C'est donc forcément un même organe qui devra examiner l'ensemble des textes. Pour procéder à cet examen, cet organe disposera d'un délai strict de six semaines et, pendant ces six semaines, il devra aussi, le cas échéant, chercher des alliés au sein des autres parlements nationaux. Car, pour que la Commission européenne soit tenue de revoir sa copie, il faudra qu'un tiers des parlements nationaux lui adresse des avis motivés.
Nous sommes parvenus à la conclusion que, pour faire face à l'ensemble de ces exigences, la seule solution réaliste et efficace, donc la meilleure, serait de confier à la délégation pour l'Union européenne la responsabilité en première instance du « carton jaune ». On verra ensuite s'il y a lieu d'aller plus loin ! Naturellement, si l'avis de la délégation était contesté, la décision définitive serait élevée de plein droit pour être prise par une autre instance : soit en séance plénière, soit par la conférence des présidents, où sont représentés tous les groupes et toutes les commissions ; toute autre formule pourrait, au demeurant, être envisagée.
Pour le « carton rouge », la décision devrait être prise dans tous les cas en séance plénière ou, en dehors des sessions, éventuellement par la conférence des présidents En tout cas, il faudra bien trouver une solution !
Ainsi, le dispositif serait à la fois efficace et légitime, ce qui permettrait au Sénat de remplir son rôle dans les délais prescrits.
Nous étant largement accordés sur cette formule, nous nous sommes interrogés : cette solution, à supposer qu'elle soit retenue par le Sénat, serait-elle jugée acceptable par le Conseil constitutionnel dès lors que les délégations pour l'Union européenne ne sont pas mentionnées dans la Constitution ? La réponse n'était pas claire. C'est pourquoi, dans un premier temps, conformément à la suggestion qu'avait faite quelques semaines plus tôt le président Christian Poncelet, j'ai proposé que les délégations reçoivent un statut constitutionnel, afin que le Sénat soit libre, en tout état de cause, de choisir le moment venu la formule qu'il jugerait la plus appropriée.
Mais cette solution, forcément controversée, était-elle vraiment nécessaire ? Reprenant pour un temps ma « casquette » d'ancien membre du Conseil d'Etat, j'ai recueilli des avis autorisés. Il en est ressorti une conclusion claire : l'article 3 du projet de loi constitutionnelle habilite le Sénat, ainsi que l'Assemblée nationale, bien sûr, à définir par son règlement les modalités de mise en oeuvre du « carton jaune » et du « carton rouge ». Dans ces conditions, rien n'empêche qu'il confie à la délégation le rôle de première instance, dès lors - et c'est le point capital - qu'il ressortira des travaux parlementaires que le Constituant n'a voulu exclure aucune formule.
Je me tourne donc, d'abord, vers le Gouvernement. Naturellement, ce n'est pas à lui de dire comment le Sénat doit s'organiser ; il n'a pas à entrer dans ce débat. Mais en tant qu'auteur du projet de loi constitutionnelle, il est co-responsable de la bonne interprétation de ce texte. Je souhaite donc, au nom de la délégation, que le Gouvernement nous confirme qu'il a voulu s'en remettre sur ce point au règlement des assemblées, sans vouloir exclure telle ou telle solution.
Et je me tourne maintenant vers la commission des lois. Il ne s'agit pas, je le répète, de définir par avance la solution qui sera retenue le moment venu. Peut-être le Sénat adoptera-t-il une solution complètement opposée à celle que j'ai proposée. Là n'est pas le problème ! Ce que nous souhaitons, c'est que le Sénat conserve le libre choix entre toutes les formules possibles, y compris celle que j'ai proposée, ce qui suppose que l'article 3 soit interprété comme n'excluant a priori aucune formule.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. S'il est ainsi confirmé que toutes les options restent ouvertes, alors, il devient inutile, dans le cadre de cette révision constitutionnelle, de donner un statut constitutionnel aux délégations, le problème que ce changement de statut devait résoudre étant d'ores et déjà réglé.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la construction européenne est désormais au coeur de la vie nationale et elle le sera de plus en plus. Mais notre vie politique et administrative ne s'est pas encore suffisamment adaptée à cette situation. Nous avons l'occasion et le devoir de réduire ce décalage.
Nous devrons faire vivre le futur article 88-5 et mieux faire vivre l'actuel article 88-4. Choisir des formules efficaces incitera le Gouvernement à renforcer son dispositif interministériel européen, tout en permettant un contrôle parlementaire plus approfondi. Un rôle plus actif du Parlement en matière européenne répondra au souhait des citoyens de voir leurs préoccupations mieux relayées tant auprès du Gouvernement qu'auprès de l'Union elle-même.
Le Sénat a un rôle important à jouer en matière européenne, un domaine où il se trouve placé à égalité avec l'Assemblée nationale. S'il parvient à être à la fois enraciné dans les collectivités territoriales et pleinement ouvert sur l'Europe, il pourra être un trait d'union particulièrement utile.
Nous devons envoyer un message aux citoyens : le traité constitutionnel ouvre la voie d'une Europe plus démocratique, où ils seront mieux associés, par l'intermédiaire de leurs représentants, à la vie de l'Union. À nous, mes chers collègues, aujourd'hui en approuvant la révision, demain en utilisant pleinement les possibilités offertes par le traité, de nous montrer à la hauteur de cette tâche. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;
Groupe socialiste, 67 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, je voudrais m'intéresser surtout au rôle de notre Parlement, fondement de la République, dans la perspective d'une nouvelle construction européenne.
Il me semble souhaitable que le Parlement français puisse se saisir des projets de texte des institutions européennes. Plus il pourra intervenir en amont avec le Gouvernement, plus il pourra peser sur les décisions. Il faudrait, de ce point de vue, compléter l'article 88-4 de la Constitution pour créer un droit d'investigation, permettant au Parlement d'avoir accès à tout document émanant d'une institution européenne. Dans cette perspective, la proposition de notre collègue Hubert Haenel tendant à la création d'une commission de l'Union européenne à l'Assemblée nationale et au Sénat me semble la bienvenue.
Il apparaît toutefois nécessaire que la France, pionnière de la construction européenne, améliore ses performances en matière de délai de transposition des directives. C'était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi déposée par le groupe du RDSE en 2001 et visant à réserver une séance mensuelle à la transposition des directives communautaires.
Toujours pour améliorer le fonctionnement de notre démocratie, le Président de la République a souhaité que l'adhésion des futurs Etats soit soumise à référendum. Cette consultation me paraît indispensable et implique, bien sûr, qu'il y ait autant de questions prévues que d'Etats candidats.
Par ailleurs, le traité constitutionnel donne aux Etats membres la liberté de se désengager de l'Union à condition que l'Etat concerné le prévoie dans ses règles constitutionnelles. Or tel n'est pas à ce jour le cas pour la France : pour le moment, notre Constitution ne le permet pas. Il me semblerait opportun d'y introduire cette mesure afin d'apaiser un certain nombre d'inquiétudes.
Se posera aussi le problème du contrôle de la subsidiarité. Comment celui-ci va-t-il s'exercer concrètement ? Si les compétences exclusives de l'Union sont assez clairement énoncées, un grand flou persiste s'agissant des compétences partagées. Plus simplement, la subsidiarité imposerait que soient mieux définies les compétences attribuées aux nations et à l'Union.
Une grande confusion règne sur cette notion de subsidiarité faute d'admettre qu'elle n'est pas principalement procédurale, mais qu'elle est indissociable de l'essence même de la démocratie. La participation des citoyens à l'organisation de leur destin implique que, pour chaque catégorie de problèmes, soit reconnue une compétence au niveau le plus proche du citoyen, dans la mesure, bien sûr, où celui-ci est en mesure de l'assumer seul. C'est l'esprit même de la décentralisation ! C'est aussi un principe d'efficacité. Il est significatif qu'une grande organisation mondiale comme l'Organisation international du travail assoie aujourd'hui leur stratégie de progrès en matière de droit du travail sur cette conception de la subsidiarité. L'Europe devra tôt ou tard s'y résoudre pour être efficace.
Celles et ceux, dont je suis, qui pensent que la réalité nationale est une assise politique, culturelle, économique et sociale incontournable, mais non exclusive, pour les citoyens d'un pays savent que l'attrait que constitue l'Union européenne pour des millions de femmes et d'hommes des nations de l'ancien bloc soviétique comporte bien cette double exigence d'affirmation de soi et de dépassement de soi. Les manifestations dans les rues de Kiev, en décembre dernier, étaient significatives à ce titre.
Comment répondre à l'appel de ces peuples qui ont souvent recouvré la liberté depuis peu de temps, sans aussitôt mépriser leur souveraineté retrouvée et transformer leurs parlements en simples chambres d'enregistrement dont les pouvoirs seraient confisqués au profit de superstructures lointaines ?
Mais cet élargissement à l'Est ne peut pas être contingenté a priori par des critères quantitatifs, nécessairement arbitraires. Après les adhésions de 2004, celles qui se dessinent avec la Croatie, la Bulgarie, la Roumanie en 2007 - et pourquoi pas, demain, l'Ukraine, des pays des Balkans ? - modifieront non seulement la configuration de l'Union, mais également la nature même du projet communautaire.
Les plus chauds partisans des institutions européennes actuelles le reconnaissent eux-mêmes : toute idée d'Europe fédérale à vingt-cinq, demain à trente, est désormais un objectif difficile à atteindre, si ce n'est sous la forme d'une vaste zone de libre-échange et de coopérations renforcées. D'où l'urgence, pour la France, de se recentrer sur la défense de ses intérêts nationaux et de se fixer des objectifs concrets servis par la constitution d'alliances.
Tel est le défi que nous avons à relever aujourd'hui !
C'est en effet au travers des coopérations renforcées que les nations et leurs parlements devraient devenir les véritables acteurs de la nouvelle construction européenne envisagée. Or ces coopérations renforcées prévues par le traité constitutionnel sont inapplicables dans les faits : les Etats doivent réunir au moins un tiers des Etats membres, huit aujourd'hui, dix dans une Europe à trente, pour constituer de telles coopérations. La Commission soumettra, selon son bon vouloir, la proposition au Conseil, qui donnera son autorisation à la majorité qualifiée, et ce après l'approbation du Parlement européen.
De telles initiatives sont condamnées par avance en raison de la complexité de la procédure.
En revanche, il est, à mes yeux, une disposition du traité plus prometteuse, bien qu'elle ne soit prévue pour l'instant que dans le domaine militaire. Il s'agit des coopérations structurées, réservées aux Etats membres remplissant des critères élevés en matière de capacités militaires. Ici, la souplesse et l'efficacité sont de mise. Une telle coopération pourra être lancée à partir du moment où deux Etats le souhaiteront. La liste des Etats participants étant arrêtée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, seuls ces mêmes Etats fondateurs de la coopération structurée pourront se prononcer ultérieurement sur la venue des Etats qui envisageront de les rejoindre.
Mes chers collègues, que le oui ou le non l'emporte en juin prochain, le traité de Nice ou le traité constitutionnel devra tenir compte de ces réalités. Les coopérations nouvelles devront être rendues aussi souples que les coopérations structurées et être ouvertes à d'autres domaines, notamment la politique étrangère, la protection de l'environnement, la recherche, la politique industrielle... Celles et ceux qui voudront aller de l'avant devront avoir la possibilité d'avancer ensemble, quitte à ce que les autres les rejoignent ensuite. Construisons, ainsi, un projet européen souple et novateur !
Ce type de coopérations devra être piloté par les gouvernements et les parlements nationaux des pays membres. Elles permettront ainsi aux parlements nationaux de retrouver le pouvoir qui leur revient de droit puisqu'ils sont l'émanation des peuples, et de faire en sorte qu'ils interviennent davantage dans les prises de décisions. Les parlementaires des différents parlements nationaux devront travailler ensemble dans le cadre d'une COSAC rénovée, qui pourrait devenir à terme un Sénat européen.
Notre Parlement ne doit pas devenir une simple chambre d'enregistrement, mais il lui faut au contraire retrouver sa vocation démocratique fondatrice. La loi reste un élément du bien commun de chaque peuple : lorsque, à partir de ces coopérations, un projet imposera des convergences législatives, les parlements interviendront en amont.
Le ministre allemand des affaires étrangères, M. Joschka Fischer, déclarait en 2002 : « Les Etats-nations sont des réalités indispensables, et plus la mondialisation et l'européanisation créent des superstructures éloignées du citoyen, plus les êtres humains s'accrocheront à la sécurité et à l'abri moral que leur apportent les Etats-nations. »
Pour que notre Europe n'implose pas demain comme a implosé hier le bloc soviétique sous le poids d'une bureaucratie paralysante, et pour qu'elle ne se dissolve pas non plus dans une banale zone de libre échange sans âme, il faut imaginer de véritables fonctions structurantes autour de projets politiques spécifiques. C'est la condition pour que la réalité nationale ne soit pas niée ou, au contraire, considérée comme un absolu indépassable, ce qu'elle ne saurait être. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement soumet à notre discussion son projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution. Notre débat, quel qu'en soit l'intérêt, n'est que secondaire par rapport à celui qui portera, lors du référendum, sur la ratification ou le refus du traité signé à Rome le 29 octobre 2004 par vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne.
Ce débat principal, essentiel pour l'avenir de la construction européenne, les socialistes l'ont tranché, en ce qui les concerne, dans une consultation interne. Cet exercice démocratique exigeant a permis à tous les socialistes, dans le respect des convictions de chacun, de déterminer la position que le parti socialiste adopterait vis-à-vis du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
En cohérence avec ce vote favorable au traité, les sénateurs socialistes, dans leur majorité, répondront oui lors du prochain référendum. Par voie de conséquence, ils voteront dans les mêmes conditions en faveur de la révision constitutionnelle puisque son adoption constitue la condition préalable à la ratification.
Pour autant, monsieur le ministre, votre projet de révision n'est pas pleinement satisfaisant. Certes, vous levez les obstacles d'inconstitutionnalité relevés par la décision de novembre 2004 du Conseil constitutionnel, mais vous ne limitez pas votre projet de révision à ce seul objet. Aux articles 1er et 3, qui permettent de mettre la Constitution en conformité avec cette décision, vous avez ajouté les articles 2 et 4, qui n'étaient en aucune façon exigés par le Conseil constitutionnel.
Le groupe socialiste demandera la suppression de ces articles qui, loin de clarifier le problème des frontières de l'Union, comme certains ont osé le dire, ne font qu'apporter la confusion, en mêlant au débat sur le traité constitutionnel celui qui porte sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Ces articles 2 et 4 abritent des dispositions de circonstance que le Gouvernement propose, par commodité, pour tenter d'aplanir les différends au sein de l'UMP. La vocation de la loi suprême n'est pas de régler ce type de problèmes !
Si la volonté du Gouvernement est bien la ratification du traité, il est indispensable qu'aucun autre sujet ne vienne polluer le débat. Ne pas respecter cette exigence essentielle de clarté fait encourir un risque inutile à la ratification.
De plus, l'adoption de l'article 2 aura pour conséquence de déposséder les futurs présidents de la République de leur liberté d'initiative référendaire et de priver le Parlement de ses prérogatives en matière de ratification des traités. En quoi ces deux dispositions constituent-elles des progrès pour notre système institutionnel et en quoi sont-elles susceptibles d'assurer le succès du oui au référendum ?
Il est regrettable que, pour un enjeu aussi important que celui de la révision de la Constitution, le Gouvernement ait préféré ses intérêts partisans à l'intérêt général.
Les socialistes approuvent le traité constitutionnel parce qu'il marque un progrès réel par rapport à la situation institutionnelle actuelle de l'Union européenne. Cette approbation se conjugue avec une réaffirmation de leur opposition à la politique du Gouvernement, dont les Français peuvent mesurer, à chaque initiative nouvelle, le caractère néfaste.
Notre oui est un oui de gauche, qui s'inscrit dans la tradition des socialistes français et européens, artisans depuis l'origine de la construction européenne.
Résultat d'un compromis, comme tous les textes de cette nature, ce traité n'est pas parfait. Il reste en deçà de nos espérances, mais il ne comporte aucun recul. Au contraire, dans de nombreux domaines, il marque des avancées, si l'on a la rigueur intellectuelle de l'analyser comme il est et de refuser la vision caricaturale qui en est souvent présentée.
Que ce traité rencontre, au demeurant, l'hostilité des souverainistes n'a rien d'étonnant. Hostiles à la construction européenne, ces derniers restent en cela logiques avec eux-mêmes et fidèles à un raisonnement toujours hexagonal, parfois nationaliste.
Quand la réponse possible à la question posée se limite à « oui » ou « non », la nuance est par définition interdite. Il importe d'aller à l'essentiel, et surtout de ne pas choisir sa réponse en fonction d'éventuels compagnons de route dont on préférerait se dispenser. Ce référendum dépassera, chez les tenants du oui comme chez ceux du non, les clivages politiques traditionnels qui divisent nos assemblées. Je respecte les convictions de chacun ; je ne m'interrogerai donc pas sur le fait de savoir s'il est préférable, pour un homme de gauche, de voter oui avec M. Giscard d'Estaing ou de voter non avec MM. Le Pen et de Villiers, s'il est préférable de voter oui avec les socialistes espagnols ou de voter non avec les conservateurs britanniques.
Le traité constitutionnel n'est qu'un cadre. Il ne détermine pas le contenu d'une politique. Il ne définit que le mode d'organisation au sein duquel pourront s'exprimer des orientations politiques différentes, correspondant aux choix affirmés par le peuple souverain lors des élections.
La composition politique du Parlement européen et celle du Conseil européen ne résultent pas d'un traité, fût-il constitutionnel. C'était vrai hier, cela le sera encore demain. La politique menée par l'Union européenne dépendra toujours de l'orientation politique majoritaire au Conseil et au Parlement européen, tout comme la politique menée en France dépend non pas de la Constitution, mais du résultat de nos consultations électorales.
L'Union européenne est le fruit d'un processus de construction, elle a une histoire qui lui permet aujourd'hui d'être un espace de paix après avoir été, des siècles durant, le lieu d'affrontements sanglants. Cette construction qui nous a conduit de l'Europe des six à l'Europe des vingt-cinq, du Marché commun et de l'union douanière au marché intérieur et à la monnaie unique ne s'achèvera pas avec ce traité. Celui-ci n'est qu'une étape supplémentaire et en aucune façon un aboutissement qui serait un carcan.
Il est d'ailleurs curieux que, le plus souvent, les critiques portent sur des articles de la troisième partie du traité. Or certains de ceux-ci ne font que reprendre des articles figurant dans le traité constitutif de la Communauté économique européenne. Acceptés pendant des dizaines d'années, pourquoi deviendraient-ils, à l'occasion d'une consultation référendaire, des menaces pour les citoyens européens ?
Le traité qui sera soumis au référendum ne comporte en lui-même aucune sacralisation d'une politique européenne de droite. Il n'est pas sérieux de le charger a priori de tous les maux, de le rendre responsable des insuffisances de l'Union européenne alors qu'il contient un certain nombre de dispositions qui permettent de construire une Europe plus sociale, une Europe plus démocratique.
M. Serge Vinçon. Très bien !
M. Bernard Frimat. Nous aurons l'occasion de nous exprimer plus complètement sur ces perspectives lors de la campagne référendaire ; je me contenterai donc ici d'une évocation très rapide.
Ce traité est le premier traité européen à donner une existence juridique autonome aux services publics, alors que ceux-ci ne sont définis dans les textes actuels que comme une exception aux règles de la concurrence. C'est un incontestable progrès.
Ce traité donne force juridique à la Charte européenne des droits fondamentaux.
De plus, il introduit, parmi les objectifs de l'Union plusieurs éléments nouveaux, notamment : l'économie sociale de marché ; la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations ; l'égalité entre les hommes et les femmes ; la solidarité entre les générations ; la protection des droits de l'enfant ; la cohésion territoriale ; le respect de la diversité culturelle et linguistique ; le développement durable de la planète ; le commerce libre et équitable ; l'élimination de la pauvreté ; la protection des droits de l'homme. Les socialistes se reconnaissent dans de tels objectifs.
Ce traité comporte aussi des progrès dans l'organisation des institutions de l'Union, pour un fonctionnement plus démocratique : par exemple, l'extension des pouvoirs du Parlement européen, le développement de la codécision.
Dans le même temps, il accorde aux parlements nationaux des pouvoirs de contrôle du principe de subsidiarité. Le citoyen européen participera ainsi, par l'intermédiaire de ses représentants dans les parlements nationaux, au contrôle des lois européennes. A cette disposition vient s'ajouter la reconnaissance d'un droit de pétition, amorce d'une démocratie participative.
M. Robert Bret. Ce n'est vraiment qu'une amorce !
M. Bernard Frimat. Au demeurant, si le traité est un outil nécessaire pour relancer la dynamique d'une Europe élargie, il n'est en lui-même pas suffisant pour atteindre cet objectif. Il doit impérativement s'accompagner d'une volonté d'agir.
A ce propos, je veux redire à cette tribune ce que j'ai affirmé lors du débat budgétaire. Vouloir maintenir le budget de l'Union à 1 % du PIB, comme le proclame le Gouvernement, est incompatible avec le maintien d'une politique ambitieuse de cohésion sociale et territoriale.
M. Jean-Louis Carrère. C'est juste !
M. Bernard Frimat. Il y a une nouvelle fois contradiction entre le discours et la pratique. (MM. Simon Sutour et Jean-Louis Carrère applaudissent.)
Pour conclure, je rappelle la nécessité de dissocier la question référendaire des choix de politique interne du Gouvernement. Il serait dommageable que l'impopularité du Gouvernement, consécutive à une politique que les Français rejettent, ...
M. Jean-Louis Carrère. Eh oui !
M. Bernard Frimat. ... contribue à mettre l'Europe en panne et paralyse les avancées actées dans le traité constitutionnel.
Il reviendra à chaque formation politique de convaincre les électeurs qui lui font confiance. Les socialistes, fidèles à leur identité, s'engageront vigoureusement dans ce combat pour l'avenir, afin de permettre l'adoption du traité établissant une Constitution pour l'Europe. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, depuis une bonne quinzaine d'années, on ne cesse de consentir des abandons de souveraineté de plus en plus importants, au point d'atteindre, avec ce traité, le coeur des compétences régaliennes de l'Etat.
Il est possible de discuter très longuement de la question du principe même de ces abandons de souveraineté ; je reviendrai sur ce point en défendant l'exception d'irrecevabilité. Mais, en fin de compte, et nous devrions tous pouvoir en convenir, mes chers collègues, le juge de paix, ce sont les faits, ce sont les résultats obtenus.
En d'autres termes, la question est de savoir si les transferts de compétences consentis par le peuple français lui ont procuré quelque avantage ou bénéfice. C'est à cette aune, et à cette aune seulement, que l'on doit juger la construction européenne, selon ce que certains appellent, je crois, la « culture du résultat ».
Qu'en est-il vraiment ?
Sur le plan international, l'Union pèse-t-elle aujourd'hui dans le monde plus que les nations européennes prises séparément ?
Sur le plan politique, l'intégration de plus en plus forte des peuples européens a-t-elle augmenté la vigueur de la démocratie ? Certainement pas, comme l'ont montré les dernières élections européennes. C'est d'ailleurs ce déficit démocratique que les citoyens ont sanctionné ; au demeurant, c'est dans les pays de l'Europe de l'Est, qui ont trop longtemps goûté à la souveraineté limitée, que cette sanction a été la plus forte !
Plaçons-nous maintenant sur le terrain économique, qui est le champ de compétence de prédilection, le champ historique de la construction européenne. C'est dans ce domaine que l'intégration est le plus aboutie, avec l'avènement de la monnaie unique, l'euro.
Les efforts consentis par les Français dans les années quatre-vingt dix, avec l'arrimage du franc au deutsche mark, et plus récemment avec le pacte de stabilité, ont-ils eu pour effet d'augmenter la prospérité économique de l'Euroland ? La réponse est non, clairement non !
Le taux de croissance effectif de l'Euroland a toujours été inférieur à son taux de croissance potentiel, mais aussi au taux de croissance réalisé par nos partenaires européens qui ne participent par à l'Euroland. En outre, au cours des trois dernières années, il été de 7 points inférieur aux résultats obtenus par l'économie américaine.
Quant au pouvoir d'achat d'un Européen de la zone euro, il représentait 80 % de celui d'un Américain en 1990 et il n'en représente plus aujourd'hui que 60 %.
Pour ce qui est du chômage, je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler les chiffres, tant ils sont mauvais, contrairement à toutes les promesses faites lors du traité de Maastricht, qui devait être, souvenez-vous, la corne d'abondance !
Ces piètres résultats économiques sont la conséquence de trois erreurs.
La première aura été de négliger ce que les économistes appellent l'existence d'asymétries structurelles entre les pays de l'Euroland.
La deuxième réside dans le pacte de stabilité, qui impose un déficit maximum en bas de cycle, et en vertu duquel les investissements publics productifs ne peuvent être déduites de l'indicateur du déficit.
La troisième erreur, enfin, concerne la Banque centrale européenne, la BCE, dont l'objectif, à savoir la stabilité des prix, ne peut qu'être qualifié de mauvais dans la mesure où il nous a enfermés dans une spirale déflationniste.
Toujours au sujet de la BCE, celle-ci n'a rien fait depuis l'appréciation de 60 % de l'euro en quatre ans. Mais il y a pis ! Savez-vous, mes chers collègues, qu'entre 2002 et la fin de 2004 la BCE a réduit de 40 milliards de dollars ses réserves de change en devises étrangères ? Si elle avait voulu un tant soit peu freiner l'appréciation de l'euro et les délocalisations, elle aurait précisément fait l'inverse !
Avec la Constitution pour l'Europe, y aura-t-il une seule raison pour que cela change ? Malheureusement, je ne le crois pas.
Le pacte de stabilité ne dépend pas de ce texte, même s'il est indéniablement lié à notre système monétaire. Le président en exercice de l'Union, M. Jean-Claude Junker a opposé - vous ne pouvez l'ignorer, monsieur le Premier ministre -, le 18 janvier dernier, une fin de non-recevoir à l'exclusion des blocs de dépenses publiques !
Quant à l'objectif de stabilité des prix, il va désormais être constitutionnalisé par l'article I-30. En outre, l'article III-177 indique que les politiques économiques et monétaires doivent respecter quatre principes au premier rang desquels figure, bien sûr, la stabilité des prix.
Aucun mot sur l'emploi. Comme si, aujourd'hui, la plus grande menace était encore l'inflation et non le chômage !
Que pèsent, face à cela, les quelques déclarations lénifiantes sur l'emploi ou la politique sociale ?
En réalité, tout se tient. J'aborderai tout à l'heure, en présentant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, la méfiance des eurocrates à l'égard des démocraties nationales et de leurs Etats. Le traité, tel qu'il a été rédigé, représente l'exaltation de l'inclination libérale au détriment de l'exigence démocratique à laquelle aurait pu, aurait dû répondre une autre construction européenne, plus intergouvernementale et plus souple.
C'est ainsi que triomphe aujourd'hui l'idée, somme toute très anglo-saxonne, d'une société civile mondiale dans laquelle n'ont aucune difficulté à se rejoindre les tenants d'un libéralisme excessif et ceux d'un socialisme originel. Ces deux courants partagent historiquement la même méfiance vis-à-vis de l'Etat. Ils considèrent tous deux qu'entre l'individu et le monde il n'y a rien, sinon de vagues organisations qui doivent permettre la cohabitation des identités, la suppression de tout cordon protecteur, de toute préférence communautaire et de toute restriction aux échanges, comme le précise l'article III-314 du traité. Bref, ce « logiciel » est celui de la mondialisation.
En outre, cette dérive va malheureusement, me semble-t-il, être accentuée par le nouvel équilibre des pouvoirs.
C'est ainsi que le traité va considérablement renforcer la Commission, qui est la seule dépositaire, dans le traité, du Graal, c'est-à-dire de « l'intérêt européen » au sens de l'article I-26. Or quelle est la philosophie de la Commission ? Elle consiste en une conception débridée du libre échange, dans laquelle on peut importer sans complexe le dumping fiscal, social ou environnemental.
Deux exemples récents sont éclatants, à cet égard.
D'abord, la semaine dernière, c'est Mme Danuta Hübner, commissaire chargée de la politique régionale, qui déclarait vouloir « faciliter les délocalisations en Europe. »
Ensuite et surtout, c'est la directive Bolkestein, qui invente une nouvelle notion, le dumping juridique, en faisant entrer dans le marché concurrentiel les réglementations nationales avec son principe du pays d'origine. Il s'agit là non seulement d'un nouvel appel à la délocalisation, mais aussi d'un facteur d'insécurité juridique qui ne peut en aucun cas créer un climat propice au développement économique.
Cette directive n'est pas, selon moi, un nouvel accident. Le but est toujours le même : la déconstruction des protections nationales et la négation de la notion de territorialité du droit. Son programme génétique est le même que celui de la Constitution : une intégration toujours plus poussée d'un « véritable marché intérieur des services ».
Certes, il est possible, pour des raisons d'opportunité politique, de la mettre sous le boisseau, mais, tôt ou tard, elle réapparaîtra, sans doute après le référendum, tant il est vrai que l'objectif économique est indissociable des objectifs idéologique et juridique.
Comment ne pas évoquer la question de l'adhésion de la Turquie, comme nous y invite explicitement l'article 2 de ce projet de loi constitutionnelle ?
Michel Rocard a eu cette phrase merveilleuse, que je livre à votre appréciation : « Nos opinions publiques renâclent visiblement à la perspective de l'adhésion turque parce qu'elles manquent d'outils intellectuels pour en saisir la nécessité. »
Effectivement, les Français sont, dans leur immense majorité, hostiles à l'adhésion de la Turquie et prennent progressivement conscience que Turquie et Constitution sont deux sujets étroitement liés.
Jean-Louis Bourlanges, comme souvent, a su trouver les mots qui illustrent parfaitement cette liaison à travers sa parabole du contrat de mariage et du choix des époux. Tout est dit : les liens, en fait, entre ces deux sujets sont multiples et je m'en tiendrai aux deux principaux.
Tout d'abord, la Constitution, c'est-à-dire l'approfondissement, constitue la réponse au processus d'élargissement. Cette dialectique - approfondissement, d'un côté, élargissement, de l'autre - a toujours été l'alpha et l'oméga de la Commission.
Dans le cas de la Turquie, le traité a largement anticipé cette adhésion. C'est ainsi qu'on a soigneusement écarté toute référence aux racines judéo-chrétiennes de l'Europe. Quant à la Charte, elle a également prévu une définition très élastique du principe de laïcité. D'ailleurs, la Turquie a été associée à la fois, en amont, aux travaux préparatoires de la convention et, en aval, à la signature à Rome, le 29 octobre 2004, de l'acte final.
L'autre lien concerne la prime de pouvoir formidable que la Constitution accorderont au pays le plus peuplé. L'article de Frédéric Bobay dans le mensuel Economie et prévision, mensuel sérieux, publié par le ministère des finances, est, à ce sujet, très éclairant. Il démontre que la nouvelle règle de vote permettrait à la Turquie de bloquer 75,6 % des décisions du Conseil, contre 55,7 % pour la France. Ainsi, le pays le moins européen deviendrait le pivot de la plupart des décisions européennes, qui couvriront des compétences de plus en plus larges, comme le prévoit la Constitution.
La Turquie deviendra donc de facto le décideur de premier rang en même temps que le premier demandeur de fonds publics européens, pour un montant prévu de 30 milliards d'euros au minimum. Il faut voir là une autre incohérence, un autre problème de compatibilité avec l'objectif du 1 % du budget européen. Mais on comprend mieux la motivation de M. Erdogan !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Retailleau.
M. Bruno Retailleau. L'affaire turque est révélatrice. En effet, tout se passe comme si le modèle supranational institué par le traité cherchait à dépasser la frontière de l'identité européenne.
Et l'on voudrait maintenant nous faire croire que, pour la Turquie, rien n'est joué, que tout se décidera dans dix ans ! C'est faux ! Dans dix ans, il sera trop tard ! En fait, on cherche simplement à rendre le processus d'adhésion irréversible. Or il est absurde de dissocier l'enjeu des limites de l'Europe, de ses frontières, et l'enjeu de son projet politique. Cela, mes chers collègues, est tout simplement impossible ! (MM. Philippe Darniche et Jacques Baudot applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, longtemps, les institutions de l'Union européenne ont fait l'objet d'un procès en carence démocratique. On a dénoncé, à plus ou moins juste titre et avec plus ou moins de vigueur, la construction technocratique de l'Europe, le poids excessif d'une bureaucratie omnipotente et incontrôlée, aussi peu soucieuse de l'opinion publique qu'éloignée des préoccupations des citoyens.
Un Parlement européen qui a pu paraître déconnecté des réalités quotidiennes, un Conseil des ministres prenant des décisions à valeur législative sans aucun contrôle d'une assemblée, une Cour de justice consacrant des extensions de compétences à travers ses arrêts ont ajouté à la confusion ou à l'incompréhension qui entourent les institutions européennes.
Quant aux parlements nationaux, ils se sont bien souvent sentis écartés de la construction européenne, dépossédés de leur pouvoir de contrôle sur l'exécutif ou le processus législatif, réduits à un rôle de transposition de textes sur lesquels ils n'avaient aucune prise.
Le traité établissant une nouvelle constitution pour l'Europe remédie profondément à cette situation.
Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui se sont déroulés en 2002 et 2003 et auxquels nos collègues Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour les affaires européennes, et Robert Badinter ont pris une part très active, ont permis d'inscrire dans le traité des avancées démocratiques remarquables.
Le pouvoir de codécision du Parlement européen dans la législation européenne est étendu à quelque trente-quatre nouveaux domaines d'action, notamment en matière de marché intérieur et de justice et affaires intérieures. La part des textes à l'adoption desquels il est associé passe de 75 % à 95 % de l'ensemble des décisions de nature législative.
Le Parlement obtient une égalité de droit avec le Conseil pour l'adoption de l'ensemble du budget européen et le droit d'approbation sur le cadre financier de la programmation pluriannuelle des finances européennes. Enfin, et surtout, il élit le président de la Commission européenne.
Toutefois, il convient essentiellement de noter que, en vertu du principe d'attribution, l'Union européenne ne peut intervenir que dans la limite de ses compétences et pour autant que celles-ci lui aient été attribuées. Or le fait que l'Union ne dispose pas de la compétence de ses compétences montre bien qu'elle est non pas un état fédéral mais une union d'Etats souverains.
Les deux principes de subsidiarité et de proportionnalité reconnus par le traité relèvent de cette constatation. Ils laissent aux parlements des Etats membres une large marge d'autonomie, car le domaine des compétences partagées ou des compétences d'appui ou de coordination et de complément demeure très large.
Le respect de ces dispositifs est contrôlé par la Cour de justice.
La réforme de notre Constitution a pour objet de rendre nos institutions et nos procédures compatibles avec le traité.
Les remarquables exégèses de ce traité auxquelles se sont livrés le président de la délégation européenne et le rapporteur du projet de loi me conduisent à ne présenter d'observations que sur le renforcement du rôle du Parlement, défini par les articles 88-4, 88-5 et 88-6, ainsi que sur l'article 88-7, relatif au référendum autorisant l'adhésion d'un nouvel Etat à l'Union européenne.
L'article 88-4 a trait au contrôle a priori exercé par le Parlement sur « les projets d'actes législatifs européens ainsi que sur les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi ».
Cette rédaction, que M. le rapporteur a qualifiée de « sage et cohérente », a le mérite de la logique. Certes, elle peut contrevenir à la distinction établie par notre Constitution entre la loi et le règlement, mais il faut convenir que l'exécutif enfreint très régulièrement la limite instituée par la Constitution de 1958 en présentant des projets de loi comportant de nombreuses dispositions qui ressortissent au domaine réglementaire.
Mais il serait surtout difficilement compréhensible d'avoir deux régimes de contrôle différents pour une même catégorie d'actes juridiques. Ce que le Parlement veut apprécier, approuver ou empêcher, c'est bien une loi, appelée à s'appliquer de manière uniforme sur le territoire de l'Union. Les critères du traité définissant la loi doivent donc prévaloir, en l'occurrence, sur les critères qui figurent dans notre Constitution et fixent le domaine de la loi. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative de MM. Floch et Lequiller nous a semblé, dès lors, très opportun.
En revanche, en soumettant à l'appréciation du Gouvernement la transmission des « autres projets - non législatifs -, ainsi que toutes propositions d'actes ou tout document émanant d'une institution européenne », nous ferons surtout preuve de bon sens.
Comme l'a fait remarquer notre collègue Hubert Haenel, le Gouvernement transmet d'ores et déjà aux assemblées parlementaires l'ensemble des documents des Communautés européennes et de l'Union européenne, soit environ un millier de documents chaque année. Malgré la faculté qui leur a été offerte, l'Assemblée nationale et le Sénat, en onze ans, n'ont voté respectivement que cent quarante et une et quatre-vingt-seize résolutions.
En outre, M. le garde des Sceaux nous a indiqué que le Premier ministre s'apprêtait à modifier la circulaire d'application de l'article 88-4 de la Constitution pour préciser qu'il serait « donné suite dans toute la mesure possible aux demandes de communication d'actes qui seraient exprimées par les présidents de chacune des assemblées ou les présidents de leurs commissions permanentes. »
Les assemblées ont bien du mal à gérer le stock actuel de documents. Que feront-elles si on leur demande d'en examiner le double ?
Cependant, il est absolument nécessaire de borner l'espace permettant l'adoption de résolutions par les assemblées afin de garantir les prérogatives réservées par l'article 52 de la Constitution au Président de la République et par l'article 20 au Gouvernement.
L'exécutif, dans la préparation ou l'élaboration de certaines décisions complexes et délicates du Conseil européen, doit bénéficier de la marge d'action et de la liberté de manoeuvre indispensables pour procéder, le cas échéant, aux concessions ou aux compromis nécessaires.
Les motions votées par les assemblées ne sauraient constituer pour le Gouvernement ni des instruments de harcèlement ni des injonctions. C'est pourquoi, comme de l'alcool, on doit en user avec modération. (Sourires.)
De quelle autorité pourrait disposer un ministre engagé dans une discussion difficile si une motion très contraignante, dans sa rédaction comme dans ses attendus, lui assignait une obligation de moyens ou de résultats ou faisait peser sur lui le risque d'un grave désaveu ? Il faut proscrire le mélange des genres : il n'y a d'ailleurs, mes chers collègues, jamais eu de diplomatie parlementaire, car, comme le disait Sieyès, « délibérer est le fait de plusieurs, mais agir est le fait d'un seul. »
Parce que nous ne souhaitons pas que la réforme constitutionnelle modifie l'équilibre entre l'exécutif et le législatif, nous entendons que les motions demeurent des avis ou des voeux strictement motivés et restreints au seul domaine législatif, au sens européen du terme.
Sans préjuger la décision de la Haute Assemblée, il nous semble que la délégation pour les affaires européennes est particulièrement qualifiée pour remplir une tâche de régulation et de synthèse lors de l'examen des textes émanant de l'Union européenne. Comprenant des représentants de toutes les commissions permanentes, elle peut agir en étroite liaison avec celles-ci pour l'instruction et la rédaction des recours éventuels.
Sans une étroite collaboration entre la délégation et les commissions permanentes et sans une répartition nette des tâches entre celle-ci et celles-là, il serait malaisé de mettre en oeuvre un contrôle efficace et rapide des projets législatifs européens. Faisons confiance à la sagesse du Sénat pour rechercher le dispositif le mieux adapté.
Le rapporteur, M. Patrice Gélard, a indiqué, s'agissant de l'article 88-6, que la mise en oeuvre des procédures de révision simplifiée - les « clause-passerelles » - pourrait mettre en cause les conditions essentielles de la souveraineté nationale et donc conduire à une révision implicite de notre Constitution.
C'est au Parlement tout entier et non à une seule assemblée qu'incombe la responsabilité éventuelle de s'opposer à une telle révision.
L'idée baroque selon laquelle l'Assemblée nationale disposerait d'une prééminence dans ce domaine a été justement repoussée car, en matière constitutionnelle, les deux assemblées disposent d'un pouvoir identique.
M. le président. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Au demeurant, la décision du Parlement est lourde de conséquences puisque la seule opposition d'un parlement national suffit à faire échec à la mise en oeuvre de la clause-passerelle. Il s'agit donc d'une procédure solennelle, qui nécessite, dans un souci de parallélisme des formes, un vote identique des deux assemblées.
Les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle disposent que tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne est soumis au référendum par le président de la République.
En pratique, cela signifie que l'adhésion de tout nouvel Etat candidat postérieurement au 1er juillet 2004 sera soumise au référendum. En l'occurrence, le Président de la République aura compétence liée et, à la différence de ce qu'exige la procédure référendaire prévue à l'article 11 de la Constitution, aucun débat parlementaire ne précède la mise en oeuvre du référendum parce qu'aucune alternative n'est possible.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Et voilà !
M. Josselin de Rohan. Certains ont voulu voir dans cette situation une grave atteinte aux choix du Parlement, qui serait totalement écarté du processus d'adhésion.
Il me semble qu'il s'agit d'un faux problème. Si l'on s'en tient au seul exemple de la Turquie, la conférence intergouvernementale de décembre 2004 a prévu un dispositif particulièrement long et complexe de négociation, qui s'étendra sur plusieurs années et qui sera conclu par un référendum.
Quelle procédure plus démocratique peut-on imaginer ?
Le Parlement peut à tout moment s'informer, par la voie de questions ou de débats, sur la négociation en cours. Mieux, il peut mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement s'il estime que les pourparlers ne sont pas conduits de manière suffisamment diligente ou conforme aux intérêts du pays. Nul n'imagine, s'agissant de la Turquie, que son adhésion puisse s'effectuer à la sauvette, sans que la représentation nationale ait été consultée ou éclairée sur cette question.
Mes chers collègues, la révision constitutionnelle à laquelle nous procédons est la cinquième concernant les affaires européennes. Elle témoigne de l'importance et de l'ampleur prises par l'élargissement et le renforcement de l'Union européenne.
Le texte qui nous est soumis, a, en première lecture à l'Assemblée nationale, fait l'objet de compromis sur des points importants, ainsi que d'un vote largement favorable de la part de nos collègues députés.
En votant le projet conforme, ainsi que nous le demande notre rapporteur, nous n'abdiquerons en rien nos prérogatives, mais nous manifesterons notre pleine adhésion à une démarche qui conforte notre volonté de voir la France jouer un rôle majeur dans l'Europe en construction.
Le plus important reste à faire : obtenir que le peuple français vote la Constitution pour l'Europe. Nous nous y emploierons de toutes nos forces.
Dans l'immédiat, le groupe UMP votera sans restriction, réserve ni états d'âme le projet de loi constitutionnelle modifiant le Titre XV de la Constitution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion que nous avons aujourd'hui présente l'immense mérite de marquer le retour de l'Europe non en tant que notion sans limite, un peu « dévertébrée », mais au contraire en tant qu'élément structurant de notre modèle de civilisation.
Bien sûr, ce modèle de civilisation est complexe. Ce n'est pas seulement la paix, la prospérité et les droits de l'homme. C'est aussi est bien autre chose. C'est un modèle politique, social et culturel, que nous avons construit au fil des siècles, fondé sur une philosophie qui place l'homme au centre de tout et où, très naturellement, l'économique est soumis à la fois au politique et au social. C'est ce modèle de civilisation que nous entendons défendre et que nous souhaitons promouvoir. C'est pour cette raison que nous voulons une Europe forte et organisée.
En effet, le traité établissant une Constitution pour l'Europe met en place non seulement des institutions, mais encore une Union européenne plus cohérente, plus visible, fonctionnant de façon plus claire, plus démocratique, dans laquelle tant le Parlement européen que les parlements nationaux retrouvent toute leur place et toute leur importance.
Pour le groupe UC-UDF, le traité constitutionnel est un acte important, fondamental, et nous souhaitons que sa ratification par référendum soit un succès. Nous voulons que ce traité devienne une réalité. C'est forts de cette volonté et de cette certitude que nous entamons l'examen du projet de révision constitutionnelle, avec un désir de liberté dans le débat et un désir de responsabilité dans le résultat.
Le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'est pas un texte banal. Il apporte un certain nombre de progrès, dont je voudrais dire quelques mots avant d'aborder la révision constitutionnelle en elle-même.
Comme tout texte important, ce traité relève du symbole comme il relève du droit. Le symbole n'est pas à négliger. Je sais bien que les mots ne créent pas les règles de droit, mais les mots créent un mouvement vers les règles de droit. Il n'est pas du tout indifférent que l'on ait pu parler à la fois de Constitution et d'Europe ; pour notre part, nous y sommes extrêmement sensibles.
Pour ce qui est des règles de droit, je voudrais simplement insister sur quelques points qui me paraissent fondamentaux.
Tout d'abord, quoiqu'il existe un certain nombre de limites et d'interprétations, pour la première fois, la primauté du droit de l'Union est affirmée dans un texte européen. Il est essentiel que le droit de l'Union s'applique immédiatement et uniformément sur l'ensemble du territoire communautaire. C'est un progrès d'une nature dont on ne peut encore aujourd'hui entrevoir toutes les conséquences, d'autant que le traité constitutionnel dispose que c'est à travers la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes qu'il faut interpréter cette notion.
L'inclusion de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution constitue également un acte très important sur le plan juridique. C'est une chose de proclamer des droits - c'est ce qui a été fait à Nice -, c'en est une autre de les inclure dans un texte de portée normative.
On peut discuter à l'infini sur la question de savoir si l'Union européenne peut entrer dans des catégories juridiques classiques. En fait, je crois que ces dernières ne sont pas adaptées à l'originalité de la construction de l'Union européenne. En revanche, on peut dire que la Constitution prévoit des procédures, des règles qui, sur le mode communautaire, sont considérablement renforcées et vont donc changer complètement les façons de faire, les habitudes des acteurs institutionnels de l'Union européenne.
Désormais, s'agissant des textes législatifs européens, lois ou lois-cadres, deux législateurs sont à égalité de pouvoirs : le Conseil des ministres et le Parlement. C'est la procédure de droit commun, ce que l'on appelait autrefois la codécision. Désormais, il faudra un accord entre ces deux législateurs européens. Au sein du Conseil des ministres lui-même, c'est la règle de la codécision qui deviendra fondamentale, habituelle, de droit commun.
Cela va forcément amener les vingt-cinq Etats à avoir une attitude nouvelle. En effet, au sein du Conseil des ministres, ils devront être capables, de construire des politiques européennes à long terme, d'avoir des alliés, de constituer une coalition. S'agissant d'un organe collégial et législatif, il faudra constituer, au sein de ce Conseil, une majorité comme il en existe dans toute assemblée législative.
Cette notion même de coalition, de majorité, est un élément profondément novateur qui doit nous amener, en droit interne, à de nouveaux types de relations entre le Parlement et le Gouvernement.
Désormais, les Etats membres n'auront plus, seuls, le droit d'initiative. Ils devront trouver des alliés pour proposer des textes de nature législative. Il n'y aura plus de droit de veto automatique ; il y aura une majorité qualifiée.
Tout cela constitue l'apport de la Constitution européenne, et c'est, je crois, ce qui va considérablement changer les méthodes de fonctionnement de l'Union européenne. De ce point de vue, en tant que membres de l'UDF, nous sommes fiers du travail accompli par la convention, par la conférence intergouvernementale, et donc du traité lui-même, car, comme l'ont souligné les orateurs précédents, en plus des modifications de fond qui mettent le Conseil des ministres - organe législatif - à égalité avec le Parlement, des relations nouvelles sont créées au sein de l'Union - c'est l'autre grande nouveauté - entre les parlements des Etats membres et le Parlement européen lui-même.
Je ne reviendrai pas sur l'article 88-4, mon collègue Pierre Fauchon en parlera mieux que je ne pourrais le faire, ni sur le problème de la subsidiarité, dont mon collègue Denis Badré traitera au nom de notre groupe.
Je voudrais m'attarder, en revanche, sur un rôle nouveau des parlements nationaux dans les procédures de révision simplifiée des traités et évoquer les « clauses passerelles ».
Les parlements nationaux auront un rôle essentiel, celui de permettre ou d'empêcher une révision constitutionnelle. C'est une innovation majeure, notamment pour une nation comme la nôtre, dans la mesure où, comme on l'a rappelé il n'y a pas très longtemps à cette tribune, la négociation et la ratification des traités constituaient une compétence réservée de l'exécutif, en l'occurrence du Président de la République.
Ainsi, ce traité établissant une Constitution européenne pourra, si le Conseil le veut et si les parlements nationaux ne s'y opposent pas, être modifié par un processus interne, sans ratification.
Si l'on ajoute au rôle actuel du Parlement au titre de l'article 88-4 ses nouvelles compétences en matière de révision simplifiée et de subsidiarité, on peut dire que la Constitution européenne introduit, au niveau à la fois européen et local, un nouvel équilibre des pouvoirs permettant de concilier le fonctionnement de l'Union et le maintien d'un enracinement dans chacun des Etats. C'est une chose remarquable qui ne peut que recueillir notre soutien.
Nous sommes donc satisfaits de ce traité, mais nous ne le sommes pas béatement, car nous savons bien que l'on aurait pu aller plus loin. Il nous paraît toutefois bien meilleur que tout ce qui a été fait jusqu'à présent, et c'est pourquoi nous voulons que le référendum soit un succès, afin que le traité soit ratifié et qu'il entre en application. Je suis sûr que les acteurs qui seront désignés pour faire fonctionner les institutions dans ce nouveau cadre juridique sauront s'emparer de ces règles et les faire évoluer.
Arrivera-t-on ou non à un Etat fédéral ? Plusieurs d'entre nous semblent craindre une telle issue. Pour ma part, je ne la crains pas, mais je ne crois pas qu'un fédéralisme, au sens classique du terme, soit vraiment nécessaire pour l'Union européenne. La France et l'Espagne, ce n'est sûrement pas le Connecticut, la Saxe-Anhalt ou même la Bavière !
Toutefois, on voit bien que l'on a bâti quelque chose de nouveau, où la primauté du droit européen, évoquée par M. Shoettl dans la note qu'il a faite après la décision du Conseil constitutionnel, est affirmée. Seuls trois éléments distinguent le « mode communautaire », que nous connaissons aujourd'hui, et « le mode fédéral » : le principe de laïcité, le principe d'égal accès aux emplois publics et la saisine du Conseil constitutionnel avec la réponse qui y est donnée dans le mois qui suit. Si la différence ne tient qu'à cela, je l'accepte d'autant plus que les Européens sauront faire vivre sur un mode communautaire, sur un mode intégré, ce qu'il est nécessaire de faire vivre !
Par conséquent, nous sommes favorables à ce traité, je le dis très clairement, et nous prendrons toute notre part dans la procédure de ratification par référendum. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Attendez, mes chers collègues ! N'applaudissez pas trop vite ! (Sourires.)
Maintenant, il faut réviser la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Michel Mercier. C'est l'objet de notre débat.
Il y avait une chose toute simple à faire, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je dirais même d'une simplicité biblique - il est assez normal d'ailleurs que ce soit moi qui fasse référence à la Bible en la matière !(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n'avez pas l'exclusivité ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Mercier. Il suffisait de s'en tenir à la décision du Conseil constitutionnel, qui, je dois le dire, a été d'une habileté suprême dans cette affaire. Chaque fois qu'une vraie avancée figurait dans le traité, le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle figurait déjà en droit interne. Cela a été le cas en ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux de l'Union. Une fois le traité ratifié, le droit européen s'appliquera immédiatement dans notre droit interne, sauf disposition expresse figurant dans notre Constitution.
La Charte des droits fondamentaux, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reprenant à peu près tout ce que contient notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, cette réserve de constitutionnalité ne représente que 0,001 % ! En conséquence, ne boudons pas notre plaisir et constatons que les choses avancent !
Mais le Gouvernement a choisi d'aller plus loin que la décision du Conseil constitutionnel. C'est son droit ! Il a voulu introduire une procédure de référendum obligatoire pour décider de l'adhésion de nouveaux Etats. Enfin, pas de tous : trois sont en dehors du processus, mais l'on pourra toujours recourir à l'article 11 pour décider de leur entrée dans l'Union européenne.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Michel Mercier. Est-ce bien ou non d'avoir prévu ce référendum obligatoire ? J'avoue que je n'aime pas trop lier la compétence du président de la République. Il doit garder sa liberté de jugement le moment venu.
M. le président. C'est la sagesse ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Mercier. Il faut lui laisser la possibilité de décider en fonction de la situation au moment voulu, d'autant qu'il ne s'engage pas à grand-chose : quinze ans, avec le quinquennat, cela fait trois élections !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On ne sait jamais ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. Dans le bulletin de la commission des lois de la semaine dernière, j'ai pu lire - et j'ai constaté que notre rapporteur est toujours excellent ; je veux le remercier, et toute notre assemblée doit faire de même, car il ne refuse jamais les tâches difficiles -...
Un sénateur socialiste. Je ne sais pas si c'est un compliment !
M. Michel Mercier. Donc, d'après le rédacteur du bulletin de la commission - car je ne siège pas dans cette auguste commission - ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On le regrette ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. ... le rapporteur n'a pas exclu que les dispositions proposées puissent, à terme, n'avoir plus de raison d'être. Je me demande si le terme n'est pas déjà atteint et s'il ne vaudrait pas mieux en rester à ce qui était essentiel.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur Mercier, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Michel Mercier. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je voulais simplement dire que peuple souverain peut, à tout moment, réviser la Constitution et modifier ce qu'il a fait !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Mercier.
M. Michel Mercier. Le Congrès aussi, puisqu'il va se prononcer !
Mme Hélène Luc. Alors allons-y !
M. Michel Mercier. En tout cas, le dispositif me semble un peu difficile à appliquer. Il va falloir procéder à un référendum par Etat. Quand plusieurs Etats seront concernés, y aura-t-il plusieurs questions ? N'y aura-t-il qu'une question pour plusieurs Etats ? Il me semble que la rédaction de l'article n'est pas d'une grande clarté ni d'une grande facilité d'application sur le plan politique, mais nous en reparlerons lors de la discussion.
Que faut-il faire maintenant ? Il faut voter, et nous voterons le projet de loi portant révision de la Constitution ici et à Versailles. Mais ce qui compte, c'est naturellement de faire vivre le débat. Nous le ferons ; nous discuterons ; nous entendrons le Gouvernement. Si ce dernier sait nous convaincre, il n'y aura pas de problème. Mais s'il n'est pas très bon, c'est lui qui aura des problèmes ! Nous, nous essaierons de faire tout ce que nous pourrons.
Nous souhaitons véritablement que cette révision constitutionnelle se fasse rapidement et dans les meilleures conditions, afin que ce référendum soit un succès. Ces bonnes conditions exigent l'engagement responsable de tous. C'est naturellement le rôle des forces politiques, et l'UDF agira avec responsabilité dans ce domaine.
Mais le Gouvernement doit prendre sa part dans ce succès. S'il ne peut pas prendre parti dans la campagne, ce que je comprends, il peut créer une bonne ambiance.
Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas ce qu'il fait en ce moment !
M. Michel Mercier. Monsieur le Premier ministre, faut-il à tout prix inscrire à l'ordre du jour du Parlement un grand nombre de textes dont la valeur normative est plutôt faible, dont la forte valeur symbolique est plus forte, mais qui créent plus de problèmes qu'ils n'en résolvent ?
M. Robert Bret. Ça sonne comme une inquiétude !
M. Michel Mercier. Nous nous posons et vous posons cette question. Nous vous demandons d'appréhender la situation en tenant compte de cette observation.
Mes chers collègues, je vous remercie de votre attention. En ce qui me concerne, tout en respectant la liberté de chacun, je préconise l'adoption du projet de loi constitutionnelle et un vote positif au référendum. Mais je souhaite que tous ceux qui sont concernés assument leurs responsabilités afin que ce référendum soit un succès ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le Premier ministre, une seule raison suffirait à justifier le rejet du projet de loi constitutionnelle que vous nous soumettez, parce qu'elle inclut toutes les autres.
En effet, vous nous demandez de constitutionnaliser par avance un texte qui n'existera pour la France que s'il est approuvé par notre peuple à une date non encore fixée !
Le rôle dévolu au Parlement est singulier : soit il est instrumentalisé pour influencer le vote de nos concitoyens, soit il est totalement mineur puisqu'il nous est demandé de voter sur ce que le Conseil constitutionnel a décidé de nous soumettre et qui est loin de recouvrir, vous en conviendrez, l'ensemble des rapports entre le traité constitutionnel et nos institutions, ce à quoi vous ajoutez des considérations de pure opportunité, qui ne clarifient pas, loin s'en faut, l'intervention parlementaire. C'est pourquoi nous rejetons ce projet de loi constitutionnelle, sans même vouloir l'amender.
M. le Premier ministre, cette révision constitutionnelle ne peut être dissociée de l'analyse du traité constitutionnel, n'en déplaise à M. Haenel. Sinon, pourquoi M. le rapporteur ferait-il preuve de tant d'insistance pour obtenir un vote conforme alors que les articles qui nous sont proposés, notamment la création constitutionnelle d'un référendum de troisième type, posent de nombreux problèmes ?
En ce qui nous concerne, nous considérons que le traité étant soumis au référendum, révision et traité doivent être liés. Rien ne vous obligeait à choisir la voie parlementaire pour cette révision. Les dispositions constitutionnelles devaient être soumises au référendum en même temps que le projet du traité constitutionnel européen.
Il s'agit de la même question et il me paraît grave que les parlementaires valident par anticipation le traité constitutionnel au terme d'un débat sur quatre articles de portée limitée, tandis que le débat dans le pays serait mené sur le thème « oui au traité ou le chaos ».
Nos concitoyens, qui vont se prononcer par référendum, ont droit à un débat sur le contenu du traité constitutionnel européen.
Le Parlement va-t-il y contribuer ? Je n'en ai pas l'impression...
La campagne du référendum va-t-elle y contribuer ? Nous le souhaitons, mais nous n'en avons pas l'impression.
A Barcelone, vendredi dernier, nous avons cru entendre vanter par le Président de la République et les dirigeants espagnols les bienfaits d'une Europe porteuse de valeurs communes de paix, de démocratie, de progrès social.
Ces valeurs, ce sont celles de l'Europe à laquelle la jeunesse aspire. Ce sont celles que nous choisissons, nous communistes, parce qu'il y a effectivement besoin d'Europe dans notre monde globalisé.
Nous en avons besoin car, avec la mondialisation, un seul pays ne peut plus, à lui seul, relever des défis dans un certain nombre de domaines pour lesquels le niveau pertinent d'action peut effectivement être le niveau européen. C'est le cas lorsqu'il s'agit de maîtriser les marchés financiers. C'est le cas aussi lorsqu'il s'agit de prévenir les risques écologiques, quand il convient de mobiliser les ressources pour la recherche à l'heure de l'explosion des nouvelles technologies et de la révolution informationnelle.
Notre ambition pour l'Europe comporte une triple facette : une ambition démocratique, une ambition sociale et écologique, une ambition au service d'un monde de paix, proposant une autre stratégie que celle de la globalisation ultra-libérale, de l'unilatéralisme.
Mais est-ce l'expérience que font nos concitoyens et les peuples de l'Europe actuelle avec l'Acte unique européen, le traité de Maastricht, la monnaie unique et la Banque centrale européenne ?
Treize ans après le référendum de 1992, le bilan devrait nous conduire à nous interroger davantage.
Ce sont 65 millions de personnes, dont 17 millions d'enfants, qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté ; 20 millions de chômeurs ; la précarité galopante dans tous les pays européens ; la libéralisation à marche forcée des services publics, les délocalisations, la mise en concurrence des peuples, les dépenses publiques sous la coupe du pacte de stabilité et, à côté de cela, la financiarisation des économies, les énormes profits accumulés.
Notons aussi le rejet des politiques, la désaffection des couches populaires lors des consultations européennes, les replis dangereux et la montée des extrêmes droites dans de nombreux pays.
Les insatisfactions populaires, les colères, les manifestations croissantes de salariés, d'agents publics, de chercheurs, notamment, visent la politique de votre gouvernement, en tous points conformes aux dogmes libéraux européens.
Je suis d'ailleurs très étonnée que des parlementaires qui soutiennent, en toutes circonstances, la politique actuelle du Gouvernement, critiquent le traité européen. D'autres raisons sont sans doute sous-jacentes à une telle prise de position.
Ces dernières années n'ont-elles pas été marquées par une montée en puissance des euro-manifestations, nées des convergences de luttes et d'aspirations des peuples européens ?
Le 19 mars prochain, les eurosalariés manifesteront à Bruxelles pour dire combien ils apprécient l'Europe ultralibérale !
La question vraiment intéressante est donc bien de savoir si le traité constitutionnel apporte un changement, des améliorations à ce que nous connaissons aujourd'hui.
Il n'en est rien. Le traité consacre les traités antérieurs tant dans la partie I, relative aux objectifs, que dans la partie III, dont personne ne parle, curieusement !
Ainsi, dès l'article I-3 portant sur les objectifs de l'Union, est-il précisé que l'Union offre à ses citoyens un marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée » et que le développement de l'Europe est fondé sur une économie de marché « hautement compétitive ». Certes, cette économie de marché hautement compétitive est qualifiée dans le même article de « sociale ». Mais c'est l'unique fois !
Cette pétition de principe ne pèse pas bien lourd face aux références répétées au principe de la libre concurrence.
Au moins à trois reprises, dans les articles III-177, III-178 et III-185, le titre III du traité, dont personne ne parle, affirme que la politique économique est conduite conformément au respect du « principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Ce dernier s'accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux, selon le paragraphe 2 de l'article III-157. L'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux, et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul de ce droit.
De même, je le rappelle, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements des capitaux et de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les dispositions sociales sont subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont ainsi interdites.
Par ailleurs, le traité ne connaît ni les « services publics », ni les « services d'intérêt général ». Il ne parle que des « services d'intérêt économique général » dans les articles II-96, III-122 et III-166.
Alors, comment l'Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses d'investissements utiles, de soutien au pouvoir d'achat ou encore de santé publique ou d'éducation ambitieuse ? Ces politiques se heurteraient au traité constitutionnel.
Le budget européen doit être strictement équilibré, ce qui complète l'interdiction faite à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes.
On ne peut utiliser l'instrument monétaire, l'injection de liquidités dans l'économie portant toujours un risque inflationniste ; or la mission de la Banque centrale européenne est d'assurer la stabilité des prix.
L'indépendance de la Banque centrale européenne interdit aux instances politiques de peser sur elle pour qu'elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou pour toute autre raison. Son refus d'agir aujourd'hui face au cours très bas du dollar, qui facilite les exportations américaines et freine celles des pays de la zone euro, en est une éclatante illustration.
Mettre fin au dumping social se heurte directement à l'unanimité requise pour modifier les règles fiscales, aux termes de l'article III-171.
Si les dispositions précises du traité constitutionnel sont peu évoquées dans les discours, les commissaires européens sont là pour nous les rappeler.
La directive Bolkestein fait aujourd'hui crier au scandale. Rappelons qu'elle a été adoptée voilà un an, qu'elle découle des traités existants et qu'elle s'inscrira parfaitement dans la logique de l'article III-137, qui interdit de restreindre la liberté d'établissement, ou de l'article III-144 en vertu duquel « les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites ».
Ses promoteurs doivent attendre un peu. Pour l'instant, elle soulève quelques remous, mais ses défenseurs reviendront sans doute à la charge après le référendum ! En tout cas, si le traité était adopté, il n'y aurait pas de problème.
La commissaire Danuta Hübner veut faciliter les délocalisations. J'avais cru comprendre que notre gouvernement voulait s'y opposer. Voilà qui correspond parfaitement au traité constitutionnel, qui « exclut toute harmonisation en matière fiscale et sociale ».
En réalité, le traité constitutionnel pérennise et sacralise sous la forme d'une constitution difficilement révisable - et, monsieur le rapporteur, ce choix n'est pas anodin, vous me l'accorderez - des orientations en oeuvre depuis quinze ans, avec les conséquences que l'on peut en attendre dans les domaines sociaux, culturels, éthiques, etc.
Il serait, à ce sujet, intéressant de débattre des rapports entre les grands principes qui sous-tendent la Constitution française, notamment l'égalité, la solidarité, la laïcité, et ceux qui sous-tendent le traité constitutionnel européen, lequel ignore lesdits grands principes, mais cite 88 fois le « marché », 68 fois la concurrence, 176 fois la banque.
Hélas, le Conseil constitutionnel, de jurisprudence constante, ne s'intéresse pas à ces grands principes.
Si les promoteurs du traité constitutionnel parlent peu de la partie III, ils soulignent l'inclusion de la charte des droits fondamentaux dans le traité comme une avancée notable.
Certes, elle figure dans le traité, mais à y regarder de près, elle n'est pas spécialement avancée en termes de droits. C'est la raison pour laquelle nous avions émis des réserves sur cette charte.
Pour ce qui concerne les droits sociaux, elle est en deçà de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui reconnaissait le « droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». Rien de cela ne figure dans la charte des droits fondamentaux de l'Europe.
Le droit au travail n'est pas reconnu ; il est question de droit de travailler et de liberté de chercher un emploi. Quelle avancée !
Le droit de grève est prévu pour les salariés et pour les employeurs, ce qui pour ces derniers s'appelle le lock-out. Combien de combats a-t-il fallu pour l'empêcher en France ? Cela nous renvoie au Chili sous Allende !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La laïcité n'existe pas, alors que les églises et les communautés religieuses sont reconnues comme interlocutrices régulières dans le traité.
Pour ce qui concerne les droits des femmes, la charte s'abstient de toute avancée. Ainsi, « l'égalité entre femmes et hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail » est énoncée à l'article III-210, mais ce texte ne s'applique pas aux rémunérations. Cette disposition figure non pas dans la charte, mais dans le titre III du traité.
Le droit à disposer de son corps, donc la contraception et l'avortement, est absent : aucune avancée pour les femmes du Portugal, de Pologne, d'Irlande.
Le droit au mariage est inscrit, mais pas le droit au divorce. Esclavage et travail forcé sont interdits, mais la prostitution n'est pas explicitement citée.
Surtout, la charte des droits fondamentaux n'est pas contraignante. L'article II-111 précise qu'elle « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles » pour l'Union européenne.
Le document élaboré par le service des affaires européennes du Sénat est convainquant. Selon ses termes, « concrètement, ce n'est pas parce que la charte interdit les traitements dégradants ou le travail forcé que l'Union est habilitée à légiférer sur ces sujets ».
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est le présidium qui a élaboré la charte qui l'indique et qui préconisera ce qu'il faut faire.
On nous dit aussi que le traité constitutionnel introduit le principe de la démocratie participative. Il y a effectivement dans le projet une vingtaine de lignes qui y sont consacrées dans l'article I-47, et en particulier à la pétition signée par un million de citoyens. Mais quelle limite ! Cette pétition permet de soumettre une proposition à la Commission européenne, qui en fait ce qu'elle veut, et la proposition doit de plus se situer dans le cadre strict de l'application de la Constitution.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, le poids de l'Union européenne devrait lui permettre de faire émerger d'autres règles internationales que celles qui sont imposées aujourd'hui par les Etats-Unis et leurs alliés inconditionnels. L'Union devrait s'affirmer comme un grand acteur mondial et jouer un rôle particulièrement actif vis-à-vis des pays du Sud. C'est le souhait de tous les Européens épris de paix, de solidarité et de développement humain.
Le traité constitutionnel, dans son article I-41, précise que la politique de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense communes doit être compatible avec la politique arrêtée dans le cadre de l'OTAN et crée une agence de l'armement. Est-ce franchement la meilleure manière de faire de l'Europe une puissance politique face aux Etats-Unis ? Doit-on voir dans la réunion des ministres de la défense qui s'est tenue à Nice les 9 et 10 février dernier un gage de soutien à la logique d'affrontement et de domination de cet OTAN, sous la houlette américaine ?
Monsieur le Premier ministre, c'est au regard du contenu du traité constitutionnel qu'il faut débattre des pouvoirs des parlements nationaux, et donc du parlement de notre pays que certains ici - je citerai MM. Poncelet, Valade, Vinçon, de Raincourt, de Rohan, Larcher - défendaient en 1992. Le traité constitutionnel limite les pouvoirs des parlements nationaux au choix des conditions dans lesquelles ils prévoient de transposer la loi européenne en droit interne. S'ils estiment que la Commission a outrepassé ses pouvoirs, ces parlements peuvent lui demander de s'expliquer. Les mesures de l'article 3 du projet de révision que vous nous soumettez n'y changent rien.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, c'est au regard du contenu du traité constitutionnel que nous devons nous prononcer ici, au Sénat, et que le peuple devra se prononcer. Si le peuple veut donner ses chances à une Europe sociale, démocratique, de coopération, il dira non.
Ceux qui annoncent le chaos en cas de rejet par notre pays du traité constitutionnel spéculent sur la peur. Si le non l'emporte en France, le projet de traité deviendra caduc et les traités actuels resteront en vigueur. Il n'y a pas de vide juridique ; vous le savez, tout le monde le sait. En revanche, dans ce cas, un débat de fond pourrait enfin se développer à l'échelle de l'Union.
Pourquoi tant de citoyens ne se reconnaissent-ils pas dans ce modèle libéral européen ? C'est une question à laquelle il faudra bien répondre.
Le débat n'est pas entre partisans et adversaires de l'Europe. Le véritable choix est entre l'Europe sociale, démocratique, solidaire et pacifique et l'Europe du capitalisme le plus débridé qu'induit et sanctuarise le traité constitutionnel.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, à ce traité constitutionnel, il faut dire non, afin de lancer le chantier d'un nouveau traité. C'est un non progressiste, solidaire, constructif. Dire non au traité constitutionnel, c'est dire oui à l'avenir de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, pour rendre possible la ratification du nouveau traité établissant une Constitution pour l'Europe, nous devons procéder à une révision constitutionnelle, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel du 19 novembre dernier. C'est l'objet du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.
On peut, et cela a été largement fait depuis tout à l'heure, se contenter de discuter sur les quatre articles du texte. Les rapporteurs nous en ont exposé l'essentiel avec talent. Qu'il s'agisse du contrôle du principe de subsidiarité ou de la faculté donnée au Parlement de s'opposer à une révision simplifiée du traité, il est en effet utile de prendre en compte les remarques formulées par les « sages ».
En ce qui concerne les deux autres articles, qui ne sont pas liés aux obstacles constitutionnels à la ratification du second traité de Rome, nous en connaissons les raisons.
Ainsi, l'obligation de soumettre au référendum les élargissements futurs de l'Union européenne répond surtout à une préoccupation tactique du chef de l'Etat, qui veut, ce faisant, couper court au débat sur la Turquie.
A-t-on cependant bien mesuré les conséquences d'une telle disposition, qui dépossède le Président de la République de sa liberté d'initiative référendaire, qui dépouille le Parlement de cette même compétence ainsi que de sa prérogative de ratification des traités ?
Puisque les articles 2 et 4 visent clairement la Turquie, je veux en parler.
S'agissant de ce pays au riche passé, on peut toujours s'affronter à coups de références historiques pour tenter de convaincre un camp ou l'autre : on peut évoquer l'alliance de Soliman et de François Ier pour les uns, la Pologne sauvant l'empire autrichien de l'invasion turque pour les autres. Mêmes si elles sont opposées, ces réminiscences suffisent à démontrer que la Turquie porte une partie importante de la mémoire européenne et qu'elle a donc sa place dans la « maison commune ».
Ce que l'on peut souligner, et cela est important dans notre débat, c'est que depuis Mustapha Kemal Atatürk, la Turquie est le seul pays de cette région à pouvoir se targuer, malgré des difficultés liées à ses traditions, d'une véritable laïcité reconnue et appliquée.
Intégrée à l'Union, la Turquie contribuerait à faire vivre l'idée laïque dans une Europe dont l'absolue diversité serait ainsi reconnue et garantie. Elle pourrait aussi, grâce aux ressources multiséculaires de sa diplomatie, faire rempart à la propagation des idées intégristes de tous bords.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Les pays candidats à l'adhésion ne sont pas tous animés par la même ambition.
La Turquie ne court pas après une union douanière dont elle dispose déjà. Compte tenu de sa position régionale, elle souhaite participer à un ensemble politique engagé depuis longtemps en faveur de la stabilité : ne lui fermons pas la porte !
Malgré les articles 2 et 4, qui sont, il faut bien le dire, de circonstance, il me semble néanmoins important d'accepter le projet de loi constitutionnelle car, derrière ce passage obligé, se profile le sujet de fond : la puissance de l'Europe. Faut-il laisser l'Europe dans sa forme actuelle avec ses dysfonctionnements, ses manques et ses faiblesses ou au contraire tenter de lui ouvrir de nouvelles perspectives ?
On a tous entendu ceux qui disent que cette Constitution n'en est pas une. Ils ont d'une certaine manière raison. Une véritable Constitution européenne ne peut être que le fruit de la volonté du peuple européen s'exprimant au travers de ses représentants assemblés, revenant à la stricte séparation des pouvoirs, substituant - n'ayons pas peur des mots - une forme étatique nouvelle aux états perclus et sédimentés que l'histoire européenne des conflits entre les nations nous a légués, et replaçant aussitôt les choix essentiels quant aux institutions nouvelles et quant aux grands projets politiques communs sous le contrôle exigeant des citoyens européens.
Tel serait l'esprit d'une vraie Constitution. Vous en conviendrez, nous sommes loin de ce modèle de gestation. Le second traité de Rome est plutôt le fruit d'un compromis, la synthèse d'intérêts parfois contradictoires.
Cependant, nous n'avons pas aujourd'hui de Constitution à graver dans le marbre et, s'il nous en faut une, claire, lisible par les citoyens, réduite à l'essentiel des institutions, pourquoi donc devrait-elle comporter des engagements définitifs sur l'harmonisation sociale, sur la redistribution fiscale, sur la protection de l'environnement, sur les tarifs postaux, sur les droits de l'homme en Chine, sur l'interventionnisme économique, sur le pourcentage du produit européen brut affecté à l'aide au développement... ? J'en passe, la liste serait trop longue ; on lui demande tellement de choses !
Il nous faut plutôt juger le nouveau traité à la lumière de ses principes fondamentaux.
Dans les domaines de la garantie des libertés publiques et du contrôle démocratique nous faisons vers l'avant un pas significatif, et c'est cette avancée que j'approuve sans réserves.
Certes, on pourrait ajouter un peu plus de ceci et un peu moins de cela. Acceptons-le, l'Europe n'est pas parfaite, mais elle est un espace pacifié qui contribue à l'équilibre du monde. Cessons les querelles juridiques pour voir l'essentiel : vingt-cinq peuples vivent aujourd'hui en démocratie, et ce fait est désormais irréversible. Les récentes commémorations de la libération des camps de concentration nous rappellent que, voilà seulement soixante ans, notre Europe vivait sous la botte de la tyrannie. Comme le disait François Mitterrand en 1994, lors de ses adieux personnels au Parlement européen : « J'ai bien vérifié, dans son histoire, la France a fait la guerre à tous les pays européens, je dis bien tous... Et ce temps de la guerre dépassée, la France vous le doit à vous, citoyens européens ».
La construction européenne a apporté la paix : c'est beaucoup. C'est ce constat qui, à mon sens, devra guider notre bulletin de vote lors du prochain référendum.
Ne tournons pas le dos, mes chers collègues, aux souffrances du passé qui nous ont donné un avenir apaisé. La paix n'est jamais définitivement acquise ; elle s'entretient ; elle est un héritage à faire fructifier ! N'oublions pas qu'à chaque instant n'importe quel pays peut s'embraser. Les attentats du 11 septembre 2001 ont rappelé que le tragique et la violence pouvaient atteindre même le plus puissant des pays démocratiques.
Le monde est complexe. Il ne se résume pas, comme on voudrait nous le faire croire, à un choc des civilisations. Ce n'est pas Bush contre Ben Laden. L'Europe ne doit pas, elle non plus, se laisser enfermer dans un schéma manichéen. A quel titre opposer la Turquie musulmane à la vieille Europe chrétienne ? II faut dépasser ces lignes d'affrontement et croire en la paix comme en un objectif toujours à reconstruire.
Parce que l'Europe a cette ambition, dans quelques années, je l'espère, je pourrai dire oui à la Turquie.
Sans hésitation, dans quelques mois, je dirai oui à l'Europe.
Soucieux d'obtenir ces avancées, dans quelques jours, je dirai oui au projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d'un projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.
Cette révision est un préalable à l'adoption du traité, qui est naturellement l'essentiel. Ce traité est déjà au coeur de nombreux débats dans les médias et dans les réunions citoyennes.
L'heure est venue pour les socialistes de préciser leur position : cela a déjà été fait à l'Assemblée nationale et Bernard Frimat l'a fait excellemment aujourd'hui au Sénat.
Je dirai d'emblée, mes chers collègues, que je suis favorable au traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Le choix que nous aurons à faire au mois de juin prochain est en fait assez simple : approuver ou non le traité signé à Rome le 29 octobre 2004 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne. Or je remarque que tout est fait pour contrarier son adoption.
En effet, le débat qui s'engage laisse, pour le moment, nombre de nos concitoyens assez indifférents. Le sujet reste lointain et abstrait pour une grande majorité d'électeurs, ce qui doit nous motiver pour mener une campagne active pour le oui.
En fait, ce débat ne porte pas toujours directement sur les dispositions du traité mais sur des sujets qui ne s'y rapportent pas ou sur des craintes diffuses auxquelles il n'a pas vocation à apporter de réponses.
Nos concitoyens sont préoccupés par la crise sociale qui sourd, le pouvoir d'achat en baisse, la hausse du chômage, les délocalisations, la remise en cause des 35 heures, l'avenir du projet éducatif. Ces préoccupations, liées à la politique libérale du Gouvernement - de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre -, risquent de détourner les couches populaires et défavorisées de l'enjeu propre du scrutin,...
M. Josselin de Rohan. Hors sujet !
M. Pierre Mauroy. ...comme ce fut le cas en 1992 lors du référendum sur le traité de Maastricht, même si des enquêtes sociologiques récentes font état d'une évolution positive des votes populaires en faveur de l'Europe.
Il reste cependant que la poursuite d'une politique de droite, encore aggravée par des réformes impopulaires souvent mal engagées, prédispose les Français à ne se préoccuper que de leur quotidien et même à rendre l'Europe responsable de leurs maux. Le choix des socialistes est de mener une campagne politique et pédagogique pour exprimer leur oui au traité et leur volonté d'un changement radical de la politique économique et sociale, en France et en Europe.
Enfin, le débat est obéré par l'obstination malencontreuse qui pousse certains à vouloir inscrire dans la Constitution, au détour de sa nécessaire révision, des dispositions portant atteinte aux prérogatives du Parlement et à celle des futurs Présidents de la République.
Ces dispositions constituent une dérive inacceptable, en contradiction avec nos principes démocratiques. Elles ne répondent en fait qu'à des considérations politiques d'arrière-plan.
Tout cela ne peut qu'ajouter à la confusion. Je suis donc tout à fait favorable aux amendements de suppression des articles 2 et 4 du groupe socialiste que Robert Badinter, notamment, exposera plus largement tout à l'heure.
Quant à l'application du traité, à sa coloration politique, même si sa facture d'ensemble est moulée dans la réalité libérale qui domine l'Europe actuellement, nous oeuvrons pour que le mouvement soit inversé. Et le traité le permet.
L'avenir ne dépendra que d'une seule volonté, celle des peuples, exprimée par le suffrage souverain, et d'une seule réalité, la représentation politique du Parlement européen.
Mes chers collègues, dans notre débat d'aujourd'hui, comme dans celui que nous allons conduire dans le pays dans les semaines qui viennent, je crois qu'il faut revenir à l'essentiel, c'est-à-dire aux principes fondamentaux qui ont rassemblé les pères fondateurs du projet européen et la génération qui les a suivis, et qui, me semble-t-il, rassemblent encore aujourd'hui les jeunes générations.
Quatre raisons majeures déterminent, selon moi, le vote positif en faveur du traité constitutionnel.
La paix est la première de ces raisons.
Pendant des siècles, des guerres incessantes se sont déroulées sur le continent européen, nourrissant particulièrement une haine ancestrale entre le peuple français et le peuple allemand. Le premier objectif de ceux qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont engagé la construction européenne a été de faire la paix. Ils ont réussi le pari, qui reste unique dans l'histoire, de réconcilier ce qui semblait irréconciliable entre la France et l'Allemagne, et de faire de la relation exceptionnelle qui en est issue la pierre angulaire de la construction européenne.
Je salue ici, sans exclusive, tous ceux qui en ont été les artisans, même si deux grandes familles politiques l'ont particulièrement portée, les démocrates-chrétiens et les socialistes depuis le traité de Rome.
Au bout des engagements, il y a la force du mouvement, de la marche en avant. Il y a ceux qui ont toujours dit non et ceux, majoritaires, qui ont toujours dit oui, et nous, les socialistes, sommes de ceux-là. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE et de l'UC-UDF.)
Le traité qui nous est proposé s'inscrit dans cette démarche. Il consolide la paix entre les peuples européens qu'a scellée, en mai 2004, l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres, qui, il y a peu encore, étaient des démocraties populaires soumises au joug soviétique.
Ce n'est pas l'un des moindres succès de la construction européenne que de voir ces pays, aujourd'hui libérés, frapper à la porte de l'Union européenne.
Pour ma part, ce n'est pas sans émotion, me rappelant les années de la Seconde Guerre mondiale, puis celles de la guerre froide et du Mur de Berlin, que j'ai vu s'ouvrir pour ces peuples une nouvelle ère de liberté, de démocratie et de paix. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Désormais, les peuples qui composent l'Union sont liés par une communauté de destin que le traité constitutionnel concrétise en adaptant les institutions à cette nouvelle donne.
Notre obligation toute première, qui a été une promesse au lendemain de la guerre, est de répondre à leur aspiration à la liberté et à la démocratie.
Notre seconde obligation, qui est pour nous un engagement, sera de leur permettre de vivre mieux dans le progrès et la justice sociale.
Il faut aussi renouer avec la géographie - c'est la deuxième raison - puisque l'Europe a été divisée.
Personne ne peut mettre en doute que, dans sa configuration actuelle, l'Union européenne est contenue dans son espace géographique et que les pays qui sont appelés à la rejoindre appartiennent à cet espace, qu'il s'agisse de la Roumanie et de la Bulgarie, de la Croatie et des autres Etats des Balkans qui aspirent à en être membres un jour.
Je concède que la question se pose pour la Turquie, mais cette question n'est pas celle qui doit nous occuper aujourd'hui. Elle le sera dans quinze ans, et tout dépendra de la capacité de la Turquie d'alors à se hisser au niveau des démocraties européennes en matière de liberté, de droits fondamentaux et de respect des individus.
Le pourra-t-elle ? Je n'en sais rien, et vous non plus, mes chers collègues,...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Personne n'en sait rien !
M. Pierre Mauroy. ...mais je ne ferai pas l'affront à ce grand pays, qui a réussi des avancées fulgurantes, de penser qu'il n'en serait pas capable. Pour le moment, la réponse n'est pas dans le sujet dont nous discutons.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Pierre Mauroy. La troisième raison - et ce n'est pas la moindre - est que l'Europe est une matrice de civilisation, caractérisée par un modèle politique, social et culturel propre, forgé au fil des siècles et qui a irrigué le monde.
Des universités médiévales françaises, anglaises ou italiennes au siècle des Lumières, en passant par la Renaissance, l'Europe a nourri l'univers de ses idées politiques, de ses arts et de ses sciences.
Elle a impulsé un système politique basé sur la liberté, la démocratie et le respect des droits de l'homme. Dans le domaine social, l'Etat-providence y a trouvé son excellence, notamment dans les pays scandinaves mais aussi chez nous et autour de nous, mettant en place des institutions et des politiques assurant la justice et le progrès social.
Même si l'Etat-providence rencontre aujourd'hui des difficultés, inscrivons au palmarès européen les belles réussites de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal et de l'Irlande. De quoi faire rêver bien des peuples du monde !
Enfin, personne ne peut contester que, forte de ses 450 millions d'habitants, l'Union européenne est désormais la première puissance économique mondiale, sans pour autant être uniquement un grand marché.
Notre projet, que n'interdit pas le traité constitutionnel, est d'encadrer les forces du marché par une politique d'harmonisation sociale par le haut. Il reviendra aux peuples concernés de soutenir ce projet d'Europe sociale dans le cadre de leurs combats politiques à venir, dans leur pays et en Europe.
Le traité n'est en aucun cas un obstacle à plus de prospérité et de mieux-être en Europe, bien au contraire ! Cette marche est actuellement contrariée, car le balancier politique européen penche majoritairement à droite. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Eh oui, mes chers collègues ! C'est une évidence. C'est vrai ailleurs et c'est vrai en France, où la politique économique conduit à une croissance trop faible cette année, à l'accroissement du chômage, aux délocalisations et à la précarisation des salariés. Et permettez-moi de faire remarquer que bien des pays en Europe réussissent là où nous, Français, échouons !
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. La responsabilité n'est tout de même pas là celle de l'Europe, mais peut-être celle de ceux qui nous gouvernent...
M. Jean-Louis Carrère. Ils vont dire que c'est la faute de « l'héritage » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Pierre Mauroy. C'est pourquoi les socialistes se démarquent clairement de la politique menée par le Président de la République, par son gouvernement et par vous, monsieur le Premier ministre. En aucun cas, le oui des socialistes au traité constitutionnel ne peut valoir approbation de la politique gouvernementale. (Rires sur les travées de l'UMP.)
MM. Josselin de Rohan et Bruno Sido. On s'en doutait !
M. Pierre Mauroy. Au contraire, nous la combattons avec la plus grande fermeté. Il faut que les choses soient claires devant les Français !
Il ne peut donc pas et il ne doit pas y avoir de confusion entre notre vote favorable au traité, et au projet de loi de révision constitutionnelle qu'il implique, et la politique conduite par le Gouvernement sous l'impulsion du Président de la République.
M. Charles Revet. Il n'y a pas de risque !
M. Pierre Mauroy. Notre oui est un oui socialiste, comme j'ai d'ailleurs eu l'occasion de l'expliquer lors du débat démocratique qui s'est déroulé au sein du Parti socialiste et qui s'est conclu par un vote largement majoritaire des adhérents en faveur de l'approbation du traité.
C'est un oui socialiste parce l'identité européenne est consubstantielle à l'identité socialiste. Rejeter le traité constitutionnel serait en renier une partie importante. J'ai toujours pensé que l'Europe était notre histoire et qu'elle est notre avenir. J'ai toujours agi avec cet objectif aux diverses fonctions que j'ai exercées, et je l'ai fait avec détermination, notamment, permettez-moi de le rappeler, en mars 1983, avec François Mitterrand et Jacques Delors, pour ne pas sortir du « serpent monétaire européen ». Où serions-nous sans cela ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Ensuite, le traité ne comporte aucun recul par rapport aux traités précédents. Il contient même des avancées significatives.
Sur le plan institutionnel, tout d'abord, il renforce la démocratie au sein de l'Union, notamment par l'accroissement des pouvoirs du Parlement européen, par l'extension du vote à la majorité qualifiée et par la création d'un président de l'Union, élu pour deux ans et demi renouvelables une fois.
Sur le plan social, le traité intègre la Charte des droits fondamentaux, qui acquiert ainsi valeur normative. Les compétences de l'Union sont élargies aux politiques de l'emploi, de protection contre les licenciements et d'aides à la reconversion ; les services publics sont reconnus, ainsi que le rôle des partenaires sociaux.
Certes, nous aurions aimé aller plus loin dans la construction d'une Europe plus solidaire, mais, là encore, nous nous sommes heurtés, en particulier, à l'absence d'implication du Président de la République lui-même dans la négociation.
L'important, pour le moment, est que ce texte ne renforce pas le libéralisme qui domine actuellement en Europe et qu'il ne s'oppose à aucune évolution sociale si les Européens le souhaitent.
Je voudrais d'ailleurs rendre hommage au travail remarquable effectué par les socialistes et les sociaux-démocrates européens, ainsi que par bien d'autres qui se sont joints à eux. C'est grâce à eux que certaines avancées ont pu être acquises, avancées qui nous permettent aujourd'hui d'approuver le traité.
Je me sens tout à fait solidaire de leur combat, et c'est pourquoi j'ai envie d'être, avec tous ces socialistes, ces sociaux-démocrates et bien d'autres, au rendez-vous du oui le moment venu.
Au total, les sénateurs socialistes, dans leur majorité, voteront la révision constitutionnelle. Je dis bien : « dans leur majorité ». Nous respectons ceux qui ne le feront pas : ils se sont expliqués, et nous sommes un grand parti démocratique. Vous en aurez sans doute l'illustration lorsque nous voterons. C'est ainsi, et les socialistes vous y ont d'ailleurs habitués. Je pense que c'est une belle leçon de démocratie.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Les socialistes voteront par conséquent ce texte, qui constitue une avancée dans la marche vers l'Europe sociale et l'Europe politique à caractère fédéral qu'ils appellent de leurs voeux.
Pour l'heure, il s'agit de rassembler sur les valeurs fondatrices du projet européen - liberté, égalité, solidarité, démocratie, paix - tous les peuples de l'Union et ceux qui les rejoindront, demain ou plus tard, s'ils adhèrent et mettent en oeuvre sans réserve ces valeurs.
Le traité signé à Rome en octobre dernier le permet mieux que celui de Nice, actuellement en vigueur, dont tout le monde reconnaît les insuffisances et qui resterait en vigueur si, d'aventure, le traité de Rome était rejeté.
Dans tous les pays, la procédure de ratification est engagée. Déjà, la Hongrie, la Slovénie, la Lituanie ont ratifié le traité ; très bientôt suivront l'Italie et l'Espagne, qui sera le premier pays à le faire, dans quelques jours, par référendum. Comment résister à l'appel que tous ces pays européens lancent, tout naturellement, aux Français, qui ont été les premiers dans cette marche européenne ?
Je souhaite que mon pays, la France, ne s'isole pas au sein d'une Union qu'il a largement contribué à construire et je souhaite qu'il ratifie ce texte en juin prochain.
Encore faut-il cependant que le débat soit clair, précis, pédagogique et qu'il ne soit pas « pollué » par des considérations politiciennes. Je souhaite donc que chacun fasse preuve de responsabilité politique et d'honnêteté intellectuelle, et place le débat au niveau qui est le sien : l'avenir de notre pays dans une Europe démocratique, forte sur le plan économique, écoutée dans le monde, solidaire et porteuse d'un message universel de paix. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, avant tout, je prie les sénateurs qui vont s'exprimer après moi de bien vouloir excuser mon absence dans la suite de cette discussion car une réunion me contraint à regagner l'Hôtel Matignon.
Je tiens à dire que j'ai été vivement intéressé par le débat de qualité qui s'est engagé cet après-midi sur un texte particulièrement important, dont je soulignerai à la fois la dimension politique et le caractère juridique.
M. Pierre Mauroy vient de conclure son propos en rappelant qu'il pouvait y avoir plusieurs oui - le sien, le mien -tout en souhaitant les voir, non pas semer la confusion, mais s'additionner.
L'Europe, et c'est un point très important, n'est pas partisane ! Vous l'avez dit et vous avez, monsieur le Premier ministre, agi en conséquence en 1983, comme l'avait fait François Mitterrand et, avant lui, le général de Gaulle avec le Chancelier Adenauer, Valéry Giscard d'Estaing avec le Chancelier Schmidt. Mais il ne faut pas oublier non plus que c'est Jacques Chirac qui, devant le Bundestag en l'an 2000, a avancé l'idée de l'élaboration d'une constitution européenne. C'est pourtant sur la base de cette proposition, lancée avec force, que nous pouvons, aujourd'hui, travailler sur un projet de constitution.
Certes, les socialistes, les démocrates chrétiens, mais aussi de nombreuses familles politiques ont participé à ce projet européen qui appartient à notre destin commun.
Aujourd'hui, le Premier ministre de la République tchèque, avec qui j'ai déjeuné, m'a confié que l'opposition de son pays expliquait que, l'Europe étant de droite, il fallait voter non. Ailleurs, on tient le discours strictement opposé. Dans tous les pays, il y a un clivage national, et ce clivage national a tendance à être reporté sur le clivage européen. Or l'Europe n'est ni de droite ni de gauche : l'Europe est notre avenir, notre destin et j'en veux pour preuve le fait que de grandes personnalités, de droite comme de gauche, ont participé à sa construction.
Il nous faut, aujourd'hui, veiller, les uns et les autres, à nous montrer capables, grâce à cette Europe, de résoudre les problèmes qui se posent à la société. Les problèmes sont les mêmes partout. Le problème de l'emploi serait-il de gauche en Espagne au motif que le gouvernement est de gauche, et de droite en France au motif que le gouvernement est de droite ? En fait, il doit être réglé à l'échelle de l'Europe. C'est en ce sens que le traité constitutionnel nous offre de nouveaux moyens pour renforcer la croissance dans l'Union européenne.
Ce traité n'est pas partisan : il doit mobiliser tous ceux qui veulent donner à notre continent une existence internationale. Il doit provoquer non pas la confusion, mais le rassemblement de tous au service d'un projet commun, dans le respect de l'identité de chacun.
Vous avez évoqué les uns et les autres - et j'ai été notamment sensible au plaidoyer de M. Mercier - la nécessité de préserver la liberté institutionnelle du Président de la République. Cet argument ne m'a pas échappé, mais je pense qu'il est important, à l'occasion de cette révision constitutionnelle, de clarifier le débat sur l'entrée de la Turquie dans l'Europe.
Les Français ont besoin de cette clarification et nous n'avons pas peur du débat. Dès lors que la Turquie veut adhérer à l'Union européenne, posons la question et tentons d'y apporter une réponse !
Quelle est la situation ? Les dirigeants de ce grand pays veulent qu'il entre dans l'Europe. C'est désormais au peuple turc de prouver qu'il veut vivre « à l'européenne », qu'il veut transformer la société turque pour qu'elle adhère aux valeurs européennes. Chacun peut aujourd'hui émettre un pronostic : nous verrons bien, dans les années à venir, si le peuple turc suit ses dirigeants et engage une évolution en ce sens. En fin de compte, grâce à la révision constitutionnelle que vous vous apprêtez à voter, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est le peuple français qui appréciera les progrès accomplis par la Turquie dans la voie de l'adhésion aux valeurs européennes.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Le débat sera clair et l'on pourra y apporter une réponse institutionnelle. C'est une contribution importante de la révision constitutionnelle.
J'admets parfaitement qu'il faille aujourd'hui parler de la nouvelle organisation de l'Europe à vingt-cinq, mais il faut aussi dire clairement dès maintenant qu'il appartiendra au peuple Français de définir la future géographie de l'Union européenne, qui a besoin de frontières stables. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce sont là des débats qu'il ne faut pas redouter : ils sont dignes de notre République !
M. de Rohan a eu raison de dire que nous attendions une évolution de l'Union européenne. Tout ce qui a été fait depuis une soixantaine d'années ne nous a pas donné entièrement satisfaction.
Ceux qui, comme moi, ont une profonde conviction européenne, se réjouissent de défendre un projet politique qui substitue au système des présidences tournant tous les six mois une présidence responsable pouvant s'exercer pendant cinq ans, qui instaure une Commission responsable devant le Parlement, et qui donne aux Parlements nationaux la capacité de se prononcer sur le respect de la subsidiarité.
Cette Europe politique qui peut décider des orientations de l'avenir, nous l'attendions ! Il est très clair pour nous tous que subsistaient de nombreuses imperfections. Or la raison d'être de ce traité est précisément de corriger ces imperfections en donnant une dimension politique à l'Union européenne.
Nous veillerons à ce que tout se déroule dans la meilleure ambiance possible. Le Gouvernement a été et sera toujours très attentif au débat. Il souhaite écouter les uns et les autres pour dégager une véritable volonté commune.
C'est pourquoi il nous semble important d'organiser rapidement le Congrès après le vote du Sénat. Pourra ainsi s'engager rapidement dans le pays le débat sur le traité constitutionnel lui-même.
La tentation du vote négatif qui s'exprime ici ou là traduit, à mon sens, de vraies inquiétudes et il convient de ne pas la mésestimer. Je me souviens de la campagne préalable à la ratification du traité de Maastricht au cours de laquelle nous avions considéré cette position d'opposition comme subalterne, alors que nous avons assisté à sa progression durant les quinze derniers jours.
Le non exprime des inquiétudes sur l'emploi : nous pouvons y répondre. Il exprime des inquiétudes sur la diversité culturelle : nous pouvons y répondre. Il exprime des inquiétudes sur la capacité à exister dans le monde : nous pouvons y répondre.
C'est précisément en raison de cette capacité du oui à répondre utilement aux inquiétudes des Français que nous avons hâte d'engager le débat sur cette perspective européenne.
Bien sûr, l'idéal de paix est toujours présent : la génération qui a bâti l'Europe a agi pour faire régner la paix à l'intérieur de ses frontières, pour que le « plus jamais ça » dont a parlé le Président de la République à Auschwitz soit une réalité pour les jeunes Européens, mais notre génération doit aussi construire l'Europe pour instaurer la paix à l'extérieur de ses frontières. Le monde a besoin d'équilibre, le monde a besoin de nos valeurs universelles, le monde a besoin que l'Europe, à côté des autres continents, fasse entendre sa voix et défende ses valeurs. Sans cet équilibre-là, il n'y aura pas de paix possible dans le monde.
Ce projet qui garde l'enthousiasme des débuts de la construction européenne est de nature à nous mobiliser. Je suis heureux de voir qu'il peut être débattu dans cette assemblée avec une certaine hauteur de vue en dépassant les clivages partisans. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La parole est à M. Jacques Baudot.
M. Jacques Baudot. « Il n'était pas utile de déclencher un traumatisme avec les Anglais. J'ai réécrit mon texte en remplaçant le mot " fédéral " par " communautaire ", ce qui signifie exactement la même chose. » C'est en ces termes d'une admirable honnêteté que Valéry Giscard d'Estaing livrait, dans le Wall Street Journal du 7 mars 2003, la nature et la finalité du projet de constitution européenne.
On peut être pour. On peut être contre. Mais qui oserait douter encore de la nature fédérale - ouvertement fédérale - du projet que l'on nous demande de constitutionnaliser aujourd'hui, et avec le sourire ?
N'oublions pas qu'à l'origine l'union de l'Europe est née de la paix conclue entre des nations libres, redevenues souveraines. Trois décennies après le traité de Rome, c'était au tour des peuples de l'Est de retrouver le chemin de la liberté et de la démocratie. C'est bien cette paix entre peuples souverains, après l'effondrement successif de deux idéologies supranationales - le nazisme et le communisme -, qui a permis de rapprocher les Européens, et non l'inverse.
Depuis quinze ans, l'Europe et le monde ont changé d'époque, abordant de nouveaux défis : l'ouverture des marchés et la globalisation, l'effondrement démographique, la crise de l'autorité, la fracture sociale, la montée des intégrismes, la menace écologique ou encore l'uniformisation culturelle et linguistique.
Dans ce monde nouveau, et face à ces défis du XXIe siècle, a-t-on raison de faire l'Europe, telle que Monnet l'avait imaginée pendant la guerre ?
Dans le "village planétaire" qui caractérise le monde moderne, vouloir, comme Charlemagne, unifier des Etats européens géographiquement proches, ne relève-t-il pas d'un anachronisme effarant ?
A l'heure de l'atome, de la puce et des grands réseaux, ne voyons-nous pas que la puissance dépend moins de la masse que de la souplesse et de la réactivité ?
Ne sommes-nous pas en train de défaire l'Europe, en voulant imposer d'un même pas 90.000 pages de réglementation sur tous sujets, de Séville à Riga, de Dublin à Ankara ?
Oui, j'ai bien dit « Ankara », car M. le Premier ministre ne m'a pas convaincu : nul ne pourra chasser l'affaire turque du débat constitutionnel. Architecture et surface constituent une seule et même question. Les négociations d'adhésion sont ouvertes et l'on n'a jamais vu de pays pré-adhérent ne pas adhérer à l'Union européenne. De multiples façons, la Turquie a déjà plus qu'un pied dans la porte. Or, on ne peut pas nous demander, à nous ici, et en juin aux Français par référendum, d'approuver la constitution européenne en laissant fictivement planer un doute sur l'entrée de la Turquie.
Qui peut dire, les yeux dans les yeux, qu'il signerait un contrat de mariage sans être sûr de l'identité de la mariée ?...
Oui, mes chers collègues, le choix que nous avons à exprimer aujourd'hui dans cette enceinte, et que nous renouvellerons en congrès, à Versailles, dans quelques semaines, est sans aucun doute le choix plus important, le plus décisif, le plus irréversible - et je pèse mes mots - de tous ceux que nous aurons jamais à faire de toute notre vie publique.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
M. Jacques Baudot. Cette constitution fédérale va donc naître de l'agrégat de nos Etats, par le biais d'un traité international. De grands professeurs de droit l'ont qualifiée de "monstre juridique". Comme dans un célèbre magasin parisien, ainsi que l'a précédemment dit M. Haenel, on y trouve et on y trouvera toujours de tout : les droits de l'homme et les droits de pêche, la politique monétaire, la protection des coccinelles, la coopération judiciaire et la définition des graisses animales ; mais encore quatre cent quarante-huit articles, deux préambules pour le texte principal, trente-six protocoles additionnels, deux annexes supplémentaires, sans compter deux déclarations jointes comprenant cinquante articles, le tout étant explicitement proclamé de valeur constitutionnelle.
Je me bornerai à amorcer les réponses à deux questions : où est « l'Europe rempart » de la globalisation ? Où est l'Europe indépendante ?
D'abord, où est « l'Europe rempart » ?
Tous les gouvernements ont juré que leur méthode pour « faire l'Europe » apporterait aux Européens la prospérité. Or, depuis trente ans, nous sommes collectivement impuissants à résoudre notre principal problème économique : le chômage de masse. Depuis plus d'une génération, le nombre de chômeurs oscille en France entre deux millions et demi et trois millions. En Allemagne, il a franchi la barre des cinq millions. Cette même méthode a échoué pour le volet économique de la réunification allemande. Elle laisse les nouveaux Länder à la traîne. Et ces gouvernements prétendent intégrer, avec des méthodes similaires, les autres pays de l'ancien bloc communiste.
La vérité est que le fossé s'accroît avec les Etats-Unis, tant pour la croissance que pour la recherche et l'investissement. En 1990, le niveau de vie moyen des Européens atteignait 80 % de celui des Américains. Aujourd'hui, il arrive péniblement à 60 %. Et je n'évoquerai pas les pays d'Asie !
L'appauvrissement de la France s'accélère avec une désindustrialisation généralisée, en dépit des efforts louables du gouvernement Raffarin pour freiner l'hémorragie. Les délocalisations nous font perdre la substance vive de notre économie.
Mais comment pourrait-il en être autrement quand, en quatre ans, l'euro a été réévalué de 65 % par rapport au dollar ?
Tous les gains de productivité, tous les allégements de charges, tous les sacrifices demandés aux salariés, à nos petites et moyennes entreprises, sont emportés par cette stupide politique de l'euro fort. Nos produits ne sont plus compétitifs sur le marché mondial du seul fait de ces manipulations monétaires. Il est vrai que la très prétentieuse Banque centrale européenne de Francfort n'est même pas capable de se gérer elle-même. Elle est obligée de présenter des comptes en déficit !
Treize ans après la ratification, « ric-rac » dirais-je, du traité de Maastricht, osons regarder la vérité en face : c'est un échec ! Cet échec rend l'idée même d'Europe douteuse aux yeux d'un nombre croissant de nos concitoyens. Je le dis en Européen convaincu (Exclamations sur les travées de l'UMP.),...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Heureusement ! (Sourires.)
M. Jacques Baudot. ...cette fuite en avant européiste risque de tuer la construction européenne !
Nous sommes de ceux qui croient davantage en l'Europe d'Airbus, d'Ariane, du TGV, en l'Europe des grands succès industriels, en particulier des industries de pointe et de haute technologie.
M. Philippe Darniche. Très bien !
M. Jacques Baudot. Cette Europe, celle des coopérations, s'est faite sans Bruxelles et parfois contre Bruxelles.
Demain, avec la Constitution européenne, cette Europe-là sera quasi interdite.
Et comment ne pas déplorer que ce texte organise de fait l'alignement sur le moins-disant fiscal et sur le moins-disant social, dissolvant l'Europe dans le marché mondial, en supprimant les dernières protections ?
La directive Bolkestein - qui indigne à Paris ceux qui l'ont acceptée à Bruxelles - n'est-elle pas un avertissement suffisant ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est un projet !
M. Jacques Baudot. Ainsi, par exemple, un architecte tchèque qui travaillerait en France ne serait pas soumis à la législation du travail et aux charges sociales françaises. Le droit attaché à la personne, et non pas au lieu, nous l'avons déjà connu en France : c'était au temps des Mérovingiens !...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le droit du travail mérovingien, c'est intéressant ! (Sourires.)
M. Jacques Baudot. Avec la Constitution européenne et la règle de la majorité qualifiée posée par le nouvel article III-141, cette directive a de beaux jours devant elle : six pays y sont plus ou moins hostiles, tandis que dix-neuf y sont favorables.
De plus, l'article III-122 fait de Bruxelles l'arbitre des principes et des conditions de fonctionnement des « services d'intérêt économique général », c'est-à-dire de tous les services publics qui ne sont pas strictement administratifs, tous ceux précisément qui peuvent être affectés du fait des limites volontairement imprécises de la directive Bolkestein.
Rappelons également qu'avec la primauté absolue du droit européen, y compris sur la Constitution française, proclamée par l'article 6, mais aussi avec l'élargissement du monopole d'initiative de la Commission, Bruxelles sera armé comme jamais.
Voilà comment on rendra plus impopulaires nos gouvernements toujours plus impuissants.
Vous qui avez tous été, comme moi, candidats aux élections sénatoriales ou législatives, vous êtes-vous demandé de quoi nous allions bien pouvoir parler à nos concitoyens lors de nos prochaines campagnes électorales ? Peut-être du droit nouveau des parlements nationaux qui, ayant perdu leurs autres pouvoirs, gagnent celui de s'unir pour supplier la Cour de Luxembourg de respecter le principe de subsidiarité ?
J'en viens à ma seconde interrogation : où est l'Europe indépendante ?
Nous sommes nombreux, dans cette enceinte, à avoir été fiers de la France quand, entraînant l'Allemagne, par les voix du Président de la République et de notre excellent ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, elle a su dire non à la guerre préventive contre l'Irak. Ce jour-là, toutes les opinions publiques européennes et les trois quarts des pays de la planète ont retrouvé confiance en la France et en sa vocation d'équilibre. Avec le recul, nous pouvons dire combien nous avons eu raison !
La seule force de la France dans cette grave crise a été son droit de veto au Conseil de sécurité.
Certains ne l'ont pas oublié et ne l'ont pas pardonné. Mais le fait est que nous sommes les amis des Etats-Unis et non pas leurs sujets.
Alors pourquoi nos eurodéputés - y compris les députés français ! - ont-ils voté le rapport Laschet recommandant l'abandon par la France de son siège au Conseil de sécurité ?
M. Philippe Darniche. Très bien !
M. Jacques Baudot. Et pourquoi nous interdire à nous-mêmes, constitutionnellement, toute politique étrangère indépendante, avant d'en vendre, semble-t-il, le siège historique du Quai d'Orsay ?...
La politique étrangère et de sécurité commune, ou PESC, proposée, loin de faciliter l'harmonisation, multipliera les causes de conflits. Détiennent des compétences : le président du Conseil européen, le président de la Commission, ainsi qu'un « ministre des affaires étrangères européen ». Les décisions devront se prendre à l'unanimité des Etats membres, le tout devant être « compatible » avec l'OTAN, laquelle est dirigée depuis le Pentagone, comme nous le savons.
Au mieux, cette PESC conduirait à la totale paralysie et au silence gêné. Au pire, elle provoquerait une cacophonie ridicule, écartant les pays d'Europe de la scène internationale. Qui a oublié que dix-sept Etats sur vingt-cinq, malgré l'absence manifeste de la moindre preuve de l'existence des fameuses « armes de destruction massive », ont suivi aveuglément George Bush ? Au fond, cet effacement ne gênerait pas beaucoup la plupart des autres pays membres et encore moins les Etats-Unis, car « l'Europe puissance » est un fantasme.
Mes chers collègues, ce traité instituant une Constitution européenne, préparé selon une procédure exorbitante du droit et de la démocratie, prévoyant une procédure de révision impraticable, rendra la vassalisation de l'Europe définitive.
Derrière la façade, c'est un dessein politique et social qui est insinué, dont l'effet sera de réduire la démocratie à un jeu d'apparences, d'instituer un libre-échange intégral ruineux pour nos producteurs, pour nos entreprises, pour les salariés de ce pays, destructeur pour la cohésion sociale, d'établir une sorte de ploutocratie et de niveler la diversité des cultures.
De concert avec le ministre des finances britannique Kenneth Clark, le général de Gaulle s'ingéniait à créer « les Etats d'Europe unis » mais non « les Etats-Unis d'Europe ». Si le général de Gaulle était encore là aujourd'hui - vous allez m'objecter qu'il a disparu depuis trente ans - pensez-vous qu'il dirait oui à la Constitution européenne ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Evidemment !
M. Jacques Baudot. Cela me préoccupe, car j'ai le sentiment qu'il dirait certainement non. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Si je ne partageais pas son avis sur un certain nombre de sujets, je dois admettre que c'était un grand visionnaire dont chacun reconnaît la droiture.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, j'estime qu'il est aujourd'hui de mon devoir, avant de me prononcer par un vote, d'aller d'abord à Colombey-les-Deux-Eglises ! (MM. Darniche et Retailleau applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le président de mon groupe vous a fait part des réflexions générales de ce dernier sur la présente réforme constitutionnelle, avec un mélange de philosophie et d'humour que vous avez certainement apprécié ! (Sourires.)
Je m'en tiendrai, pour ma part, au problème posé par l'article 88-4 de la Constitution, article qui n'était pas concerné par le projet du Gouvernement et auquel l'Assemblée nationale a jugé opportun d'apporter un complément substantiel.
Sans doute s'agit-il d'aller au-delà de ce que la décision du Conseil constitutionnel rendait nécessaire, mais le Gouvernement s'étant lui-même engagé dans cette voie et l'Assemblée nationale l'ayant imité, j'ai du mal à comprendre pourquoi il nous serait interdit de les imiter à notre tour. Je tiens à dire immédiatement que je le ferai sans aucunement mettre en cause le vote final sur ce projet de loi constitutionnelle, vote qui a été annoncé par mon président de groupe et qui, bien entendu, ne peut être que positif.
L'article 88-4 a pour objet, vous vous en souvenez, d'organiser la participation du Parlement aux affaires européennes, c'est-à-dire à nos affaires, en prévoyant l'examen des actes de l'Union, même à l'état de projet, et l'expression des conclusions de cet examen par une résolution ou, dans le nouveau langage européen, un « avis motivé ».
Cet examen était obligatoire pour les actes de caractère législatif au sens de notre Constitution et facultatif pour les autres actes, qu'il s'agisse de projets, de propositions ou, comme nous l'avions écrit en 1999, « de tout autre document émanant d'une institution de l'Union européenne ».
La réforme votée par l'Assemblée nationale étend la saisine obligatoire aux actes législatifs, au sens de la Constitution européenne, ce qui - soit dit au passage - correspond à un très vaste domaine et met le Gouvernement en quelque sorte en contradiction avec lui-même : en effet, le Parlement verra passer à ce titre des quantités de textes dont le Gouvernement considère que leur examen par le Parlement est facultatif. Vous admettrez, monsieur le garde des sceaux, qu'il y a là une situation quelque peu contradictoire.
Reste la question des autres actes, c'est-à-dire de ceux qui font l'objet d'une saisine facultative du Parlement par le Gouvernement. Je rappelle que cette saisine facultative a été créée en 1999 lors de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam. Je m'en souviens avec précision car j'avais l'honneur d'être le rapporteur du Sénat à l'époque.
Cette idée de la saisine facultative me paraissait bonne. Plutôt que d'accabler les assemblées par des documents d'intérêt mineur - et je reprends ici les propos qui ont été tenus à juste titre par M. de Rohan tout à l'heure - il était prévu que, en pratique, le Gouvernement soumettrait les documents quand les assemblées en feraient la demande. C'est un système qui reposait sur la confiance entre les deux parties, et je suis toujours partisan, philosophiquement, de ce type de système, que je trouve préférable à des normes trop contraignantes.
Des personnalités aussi responsables que MM. Mazeaud et Barnier militaient alors pour des formules encore plus contraignantes. Il est plaisant de le rappeler. Nous sommes quelques-uns à nous en souvenir.
Depuis lors, le système a correctement fonctionné et - j'en prends à témoin le président de la délégation pour l'Union européenne - nous avons eu communication des documents que nous pouvions souhaiter.
Cependant, le Gouvernement a récemment jugé préférable d'adopter une attitude de refus à propos de la question turque.
Je suis d'autant plus à mon aise pour évoquer et regretter ce refus que, à titre personnel, je suis de ceux qui, dans ce domaine, soutiennent la ligne politique du Chef de l'Etat, qui est aussi d'ailleurs celle du Parlement européen. Telle est ma position à titre personnel. Mais elle ne m'empêche pas de penser que la demande du vote d'une résolution sur ce sujet d'importance - et de quelle importance ! - était parfaitement légitime.
Je me suis interrogé, après d'autres dont l'opinion est certes plus autorisée que la mienne, sur la possibilité d'éviter à l'avenir une situation aussi discriminante pour le Parlement français et j'ose le dire, monsieur le ministre, aussi peu favorable à l'avènement du consensus si souhaitable auquel se référait le Chef du Gouvernement tout à l'heure. M. Raffarin nous disait d'ailleurs qu'il ne fallait pas dramatiser ni avoir peur d'aborder la question de la Turquie Apparemment, il en a eu un peu peur, puisqu'il nous a privés de la possibilité de voter une résolution.
Je pense donc que ce que je vais vous proposer est en réalité souhaitable pour l'élaboration du consensus dont nous parlons, tandis que la ligne actuelle me paraît plutôt moins favorable.
Il m'a semblé, en effet, que ce refus était vécu, faut-il le rappeler, comme une « crispation » inutile. C'est pourquoi le moment me semble venu d'aller un peu plus loin dans le sens d'un renforcement modeste des prérogatives du Parlement, puisque nous y sommes en quelque sorte incités.
Soucieux de faire en sorte que l'ouverture proposée par mon amendement ne puisse faire l'objet d'aucun abus et qu'elle ne soit pas l'occasion d'un harcèlement continuel comme on peut l'observer, ainsi que M. de Rohan l'a fort bien expliqué, dans le cas de la saisine du Conseil constitutionnel, qui devient quelquefois, il faut bien le dire, un véritable tic, ma proposition tend à restreindre fortement la faculté ouverte au Parlement d'obtenir l'application de l'article 88-4 de la Constitution pour tout texte européen en limitant son usage aux présidents des deux assemblées sur proposition de la conférence des présidents. Ni les présidents de commission ni soixante députés ou soixante sénateurs ne pourront faire cette demande. Je crois donc pouvoir dire que serait ainsi évité aussi bien le risque d'arbitraire émanant d'un homme que celui de parti pris politique d'un groupe restreint. Nous reviendrons sur ce sujet lors de l'examen des amendements.
Toutefois, je n'ignore pas que le Gouvernement a exprimé le souhait, si je puis dire, que, dans cette affaire, le Sénat se contente d'entériner le projet tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale. Dès lors, il est sans doute téméraire - mais il n'est peut-être pas interdit - d'émettre l'opinion selon laquelle une modification aussi ponctuelle et encadrée que celle-ci mériterait, cher rapporteur, qu'il soit fait exception à la règle de conformité. L'intérêt même de ma proposition suffirait, me semble-t-il, - j'espère ne pas être trop prétentieux - à justifier une telle exception.
J'ajouterai, dans un esprit de solidarité majoritaire, qu'il y va non seulement de l'intérêt général du Sénat et de sa dignité, laquelle est, reconnaissons-le, quelque peu mise à l'épreuve en la circonstance, mais également, et plus encore, de celui du Gouvernement et de sa majorité tout entière face à l'opinion. N'oublions pas que celle-ci a tôt fait d'assimiler vote conforme à « conformisme » et autorité gouvernementale à « autoritarisme ».
Sans me livrer à une quelconque dramatisation, ce qui serait facile et tentant, je me permettrai de vous interroger en ami, monsieur le garde des sceaux. Est-il vraiment nécessaire, est-il équitable, est-il tout simplement sage de refuser une telle proposition ? Il me semble que non, et c'est dans cet esprit que je présenterai mon amendement.
On a entendu dire naguère qu'il ne fallait pas désespérer Billancourt ! Je me permets de vous dire aujourd'hui qu'il ne faut pas non plus désespérer les meilleurs de vos amis, qui constituent la majorité du Sénat, même s'ils ne défilent pas dans la rue ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le traité signé à Rome le 29 octobre 2004, qui motive cette révision constitutionnelle, ne peut en aucune façon préparer la France et les pays de l'Union européenne à relever les défis politiques et économiques qui nous attendent.
Véritable instrument de la mondialisation libérale, ce traité, comme ceux qui l'ont précédé depuis Maastricht, ne permettra pas à l'Europe de dominer son avenir et de se battre à armes égales avec les pays émergents, l'Inde et la Chine. Tandis que la part de l'Union européenne dans les exportations mondiales ne cesse de diminuer, l'objectif majeur de la Banque centrale européenne reste la lutte contre l'inflation alors que cette politique monétaire est mortifère pour l'emploi et la croissance.
L'article I-30 du projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe dispose que « l'objectif principal du Système européen des banques centrales est de maintenir la stabilité des prix ». Pour notre économie et celle de nos partenaires, ce dogme est une véritable camisole de force. Il nous laisse démunis face à la dévaluation du dollar - plus de 30 % en un an - et met en péril des millions d'emplois.
Par ailleurs, le principe selon lequel « l'Union est un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » est un obstacle à toute politique industrielle. Toute préférence communautaire, toute restriction à la libre circulation des capitaux vers l'extérieur est prohibée.
En réalité, faute d'un projet politique clair sur le sens à donner à la construction européenne, ce traité est une fuite en avant. Il dévale la pente du déclin sans donner aux pays européens les moyens de dominer leur avenir. Avec l'élargissement à vingt-cinq, puis à vingt-huit, et demain à trente avec la Turquie, c'est le projet d'une Europe politique acteur de ce monde qui disparaît au profit d'une union marchande calquée sur le modèle du Commonwealth britannique. A cet égard, il n'est pas étonnant d'entendre le Premier ministre de Sa Majesté célébrer cette constitution.
La directive Barroso-Bolkestein témoigne de cette dérive préoccupante. La logique de cette directive est effrayante. Elle accroît les risques de dumping social en Europe et de délocalisation des emplois. Demain, des pays dont la législation sociale est peu exigeante pourront hisser le drapeau de complaisance dans l'ensemble des pays européens. Le Gouvernement, qui a approuvé ce texte, tente de nous rassurer. On nous dit que ce n'est pas pour demain, qu'il est encore temps d'amender cette directive ; certains demandent que la santé soit exclue de son champ. En vérité, personne n'est dupe d'une manoeuvre qui vise à gagner du temps. Cette directive, comme celle qui est en préparation à Bruxelles sur la libéralisation des ports maritimes, sera « servie » aux Français après le référendum.
Pour les élus républicains, il n'est qu'un seul mot d'ordre : le retrait pur et simple d'une directive qui célèbre l'Europe du moins-disant social.
II faut d'ailleurs se réjouir de pouvoir combattre ce texte sous l'empire du traité de Nice. Si imparfait que soit ce traité, jusqu'en 2009, les règles prévues quant à la formation d'une majorité rendent possible le rejet de ce projet par la France et l'Allemagne. En revanche, avec le traité constitutionnel, le poids de ces deux pays pionniers dans une Europe à vingt-cinq, puis à trente, sera minoré et leurs voix deviendront minoritaires.
Je livre cet argument à la réflexion de tous ceux qui, à gauche, croient que l'on peut s'opposer à la directive Bolkestein, tout en approuvant les bases juridiques qui la rendent possible. Ceux qui s'apprêtent à voter en faveur de ce texte doivent savoir qu'ils auront, dès 2009, les mains liées, toute révision n'étant possible qu'à l'unanimité.
Evidemment, quelle que soit la force des arguments avancés, il est probable que la logique de nos institutions l'emporte sur la conviction des uns et des autres. Au moment où notre Parlement s'apprête une nouvelle fois à se dessaisir d'une partie des pouvoirs que le peuple français lui a confiés, j'aimerais qu'il se ressaisisse. Mais, à entendre certains des orateurs qui m'ont précédé, je pense qu'il ne faut pas rêver.
C'est donc au peuple français que reviendra, en juin prochain, le soin de refuser cette Europe du déclin et de la fatalité. Je souhaite que, au cours de la campagne qui s'annonce, tous les partis politiques puissent se faire entendre et que toutes les sensibilités puissent s'exprimer librement. J'espère que les Français seront nombreux à rejoindre les comités pour le non qui se constituent dans tous les départements et qui sont animés par des communistes, des socialistes (Protestations sur les travées de l'UMP.), ...
M. Jean-Claude Gaudin. Pas trop !
M. François Autain. ... mais aussi des Verts, des républicains et des citoyens qui ne sont membres d'aucun parti.
Mes chers collègues, vous l'avez compris, c'est dans le sursaut et dans l'intelligence de notre peuple que je place désormais toute ma confiance pour rejeter le projet de traité constitutionnel. Pour l'heure, je ne voterai pas ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis est singulier parce qu'il comprend, dans un même projet, deux révisions : l'une est nécessaire pour que nous puissions soumettre aux Français le traité sur la Constitution européenne dans le cadre du référendum à venir ; l'autre, de nature contingente, concerne la question du référendum devenant obligatoire pour l'adhésion des nouveaux membres à l'Union européenne : il s'agit, soyons clairs, des articles que le doyen Gélard a qualifiés devant la commission des lois d' « articles turcs ».
J'indique tout de suite que, pour ma part, je voterai oui étant profondément européen et considérant que la voie qui doit s'ouvrir est celle d'une Europe fédérale. Sur ce dernier point, le traité ne recueille pas toute ma satisfaction, mais il marque un progrès réel et, comme l'a si bien rappelé Pierre Mauroy, la voie est tracée.
S'agissant de la seconde révision qui se glisse dans la première, à savoir la sanction obligatoire par référendum de l'adhésion des nouveaux membres, telle la Turquie, je rappelle qu'elle sera définitive. Quoi qu'il arrive, elle sera inscrite dans notre Constitution.
Lorsque M. Gélard indiquait tout à l'heure que ce qu'une révision peut faire une autre peut le défaire, je veux croire que ce n'était là qu'argument de juriste ou paradoxe d'homme intelligent.
Sérieusement, monsieur le rapporteur, je ne pense pas que demander au Sénat d'approuver la révision constitutionnelle en indiquant que cela n'a pas d'importance parce que, par un tour de passe-passe, on pourra la faire disparaître lorsqu'on n'en aura plus besoin, soit de nature à faire prendre à coeur par le Parlement les révisions constitutionnelles !
En fait, il s'agit d'une disposition que vous voulez voir adopter et dont vous ne pouvez pas dire qu'elle n'est là qu'à titre temporaire, le temps d'une opération politique.
Cette seconde partie de la révision constitutionnelle, qui est inscrite dans les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle, cumule à vrai dire tous les défauts : elle est juridiquement inutile, elle est politiquement inopportune et elle est constitutionnellement détestable.
Cette seconde partie est inutile parce que les deux questions ne sont pas liées. Il n'est en effet nul besoin de régler la question du référendum éventuel sur l'adhésion de la Turquie au moment où seule se pose la question de la révision de la Constitution après la décision du Conseil constitutionnel et pour la rendre conforme aux dispositions du traité qui donnent de nouveaux pouvoirs au Parlement. Cette modification est nécessaire, elle est même indispensable ; il faut y procéder rapidement.
En revanche, s'agissant de la question turque, je dirai, en pastichant Molière : que diable vient-elle faire à cet instant - j'allais dire dans cette galère en pensant à Lépante ? (Sourires.)
Aussi, mes chers collègues, toutes les options sont possibles ; elles ont d'ailleurs été proclamées.
Il y a d'abord ceux qui disent « oui-oui » : oui à la révision constitutionnelle relative à la ratification du traité européen et oui à l'adhésion de la Turquie.
Il y a ensuite ceux qui disent « oui-non » : oui à la Constitution européenne et non à la Turquie. Telle est ma position, car je ne conçois pas qu'entre dans l'Union européenne une grande puissance d'Asie mineure même si elle a un pied en Europe. Je n'envisage pas que l'on porte les frontières de l'Union européenne jusqu'à l'Euphrate. Mais c'est un autre débat, et Dieu sait que nous aurons le temps d'en parler !
Il y a enfin ceux qui disent « non-non ».
M. Jean-Louis Carrère. Et ceux qui disent « non-oui » !
M. Robert Badinter. En tout cas, sauf à vouloir provoquer une confusion et à jouer une carte démagogique, il est inutile de lier la question de l'adoption de la Constitution européenne à la question de l'adhésion ou non de la Turquie, qui se posera dans douze ou quinze ans.
M. Michel Mercier. Très bien !
M. Robert Badinter. Les deux problèmes sont distincts.
Cette seconde révision est également inopportune.
M. le Premier ministre m'a étonné lorsque, avec son talent habituel, il s'est précipité sur la question turque. Je ne m'y attendais pas. Je ne pensais même pas avoir à en parler, sauf pour évoquer des considérations constitutionnelles, car tel n'est pas l'objet du débat.
Il n'est pas bon de mélanger la question si complexe et si difficile de l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne et la question si importante et si immédiate, à laquelle on doit apporter une réponse franche et claire, de l'adoption de la Constitution européenne.
Comme M. le garde des sceaux a eu la loyauté et la franchise de le dire, il s'agit d'opportunité politique. J'ai indiqué pourquoi je ne pouvais partager ce sentiment. Et lorsque l'on dit qu'il s'agit de respecter un engagement du Président de la République, je crois rêver !
Il ne s'agit pas d'une promesse électorale qui aurait été faite devant le pays tout entier. Il ne s'agit pas davantage d'un engagement pris dans le cadre d'un débat qui aurait animé le pays pendant des mois ou des années. A propos de la Turquie, nous avons été, reconnaissons-le, d'une discrétion éblouissante. Ce fut le silence complet.
Voilà pourtant un certain nombre d'années que la question se pose lors de chaque conseil européen. Le conseil européen de 2002 fut d'ailleurs essentiel puisque c'est lui qui a véritablement ouvert la voie.
Il n'y a pas eu de vrai débat au Parlement, sauf à considérer comme tel les quelques heures de débat croupion à l'Assemblée nationale - non suivi d'un vote, cela va sans dire - ou bien le débat dérisoire qui eut lieu ici même alors que le Conseil européen s'était déjà prononcé.
Le Président de la République ne s'est donc pas engagé à l'issue d'un débat. Il s'est engagé en même temps qu'il faisait connaître sa décision, son « oui si ». Comme il connaissait l'inquiétude des Français, il leur a dit : rassurez-vous, c'est vous qui vous prononcerez par voie de référendum.
Toutefois, cette annonce comportait une faille qui a immédiatement été relevée.
Le choix entre le recours au référendum ou la ratification par voie parlementaire est un des pouvoirs du Président de la République, mais il doit l'exercer au moment voulu.
Comme chacun le sait, le processus qui s'est ouvert sera long. Le référendum sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne devrait avoir lieu vers 2012 ou 2015. Il concernera, si j'ose dire, nos cadets. En tout état de cause, c'est une évidence, l'actuel Président de la République, à qui je souhaite longue vie, ne sera plus en fonction à ce moment-là, sauf à envisager je ne sais quelle présidence à vie. Et je ne crois pas que cela relève de la révision constitutionnelle ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Il sera sénateur !
M. Jean-Claude Gaudin. A vie ! (Nouveaux sourires.)
M. Robert Badinter. Lorsque le Président de la République a dit qu'il y aurait un référendum, nous nous sommes demandés qui il engageait. La parole de l'actuel Président ne peut engager la décision de son successeur. En effet, le Président de la République reste souverain en la matière et il se détermine en fonction des circonstances.
Dès lors, vous étiez pris dans un engrenage. Il était devenu nécessaire de prévoir une révision constitutionnelle. Dorénavant, tout traité d'adhésion d'un nouveau candidat à l'Union européenne - à l'exception de trois Etats - serait soumis obligatoirement à référendum !
Tout d'abord, je me suis demandé pourquoi on accordait un avantage à trois autres pays des Balkans dont deux sont, à tous points de vue, très proches de la Turquie. Ces pays ne peuvent d'ailleurs se prévaloir de droit acquis. Ils n'ont pas la garantie que la France ne modifiera pas ses procédures internes de ratification inscrites dans la Constitution.
Par ailleurs, comment la Turquie pourrait-elle ne pas considérer qu'elle fait l'objet d'une méfiance, d'une discrimination bizarre ? Pourquoi lui imposer une procédure différente de celle qui prévaudra pour la Bulgarie et pour la Roumanie ?
Et comme on ne veut pas que la Turquie soit le seul pays concerné, on décide que le référendum sera obligatoire pour tous les pays. Mes chers collègues, nous nageons en pleine absurdité !
Ainsi, s'il s'agit bien d'une révision constitutionnelle et non d'un simple tour de passe-passe constitutionnel, dorénavant, le traité d'adhésion à l'Union de tous les Etats européens qui satisferont aux conditions devra, en France, être approuvé par référendum !
La procédure du référendum obligatoire s'appliquera donc pour l'Ukraine - il s'agit en effet d'une question importante - mais aussi pour la Suisse, si elle se décide, pour la Norvège, si elle revient, pour Monaco ou Andorre, en tout cas pour la Bosnie, pour la Moldavie, pour la Macédoine !
Qu'on ne s'y trompe pas : comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, il est impossible, sauf à trahir une exigence de loyauté, de poser une question complexe par la voie du référendum ! En d'autres termes, on ne peut pas poser plusieurs questions appelant une seule réponse. C'est la moindre des logiques.
Ne croyez pas qu'il sera possible, comme cela a été fait récemment, de décider de l'adhésion de dix Etats dans un seul traité. Il faudra alors poser dix questions différentes. Vous voyez où cela nous conduirait !... Il faudrait une succession de référendums.
Pour rassurer certains Français, vous procédez donc à une révision constitutionnelle inopportune et, ce faisant, vous désavouez la pratique constante qui a été celle des Présidents de la République depuis 1958 en matière de ratification de traités internationaux.
J'ai vérifié : jusqu'à ce jour, seuls deux traités ont été soumis à référendum et tous deux d'ailleurs concernaient l'Europe. Le premier, qui eut lieu en 1972, portait sur l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne. On comprend qu'en raison de la position qu'avait adoptée le général de Gaulle, Georges Pompidou, alors président de la République, ait ressenti la nécessité d'obtenir l'adhésion des Français. Le second traité soumis à référendum fut celui de Maastricht !
En fait, seul le traité de 1972 concernait l'adhésion d'un nouvel Etat et il avait eu lieu avant que le Conseil constitutionnel n'exerce les contrôles que l'on sait et ne prenne la jurisprudence que l'on sait.
Et récemment, alors que l'Union européenne a vu sa population s'accroître de 100 millions d'habitants en accueillant dix nouveaux pays, le Président de la République a-t-il choisi la voie référendaire ? Il s'en est bien gardé.
Pourquoi, aujourd'hui, le référendum deviendrait-il obligatoire pour toutes les adhésions nouvelles, y compris pour les plus insignifiantes et les plus indifférentes aux Français ?
Enfin, cette réforme est détestable sur le plan constitutionnel, car elle est proposée à la va-vite, pour des raisons circonstancielles. Elle réussit, cumul extraordinaire, à porter atteinte à la fois aux prérogatives du Président de la République, aux pouvoirs du Parlement et, disons-le, à l'essence même du référendum, c'est-à-dire à l'expression de la souveraineté populaire.
Premièrement, cette réforme porte atteinte aux pouvoirs du Président de la République.
Lorsqu'il s'agit de la ratification d'un traité international, le Président de la République a le choix entre la voie parlementaire et la voie référendaire. On conçoit que la Constitution de 1958 lui ait donné ce choix.
Lorsqu'il s'agit d'une question décisive - le traité de Maastricht, la création de l'euro et la disparition de la monnaie nationale - le Président de la République demande aux Français de se prononcer.
Lorsqu'il s'agit de ce que j'appellerai la marche ordinaire des choses, le Président de la République utilise la voie parlementaire. Si l'on supprime une des deux branches de l'alternative, le choix n'existe plus.
Ainsi, le Président de la République vous demande de lier les mains de ses successeurs. Dorénavant, ils n'auront plus le choix : ce sera le référendum dans tous les cas. La voie parlementaire est fermée.
Dans une Constitution comme la nôtre, retirer au Président de la République la possibilité de décider que, ici, la voie parlementaire s'impose et que, là, s'agissant d'une matière exceptionnelle, il faut recourir au référendum, c'est réduire sa liberté d'action et ses pouvoirs.
Deuxièmement, cette réforme constitutionnelle porte atteinte aux pouvoirs du Parlement.
J'ai procédé à des vérifications dans toutes les constitutions, et Dieu sait que nous sommes, nous, Français, de grands spécialistes en matière de fabrication de constitutions ! Nous sommes les plus grands producteurs démocratiques de constitutions. Nous en sommes à la quatorzième en deux siècles !
Dans aucune Constitution républicaine depuis la Révolution française - en 1791, le roi régnait encore, mais, selon Condorcet, c'était déjà la République puisqu'on respectait les droits de l'homme - on n'a songé à retirer au Parlement cette prérogative essentielle que constitue la ratification des traités internationaux.
Or le présent projet de loi constitutionnelle vise justement à limiter cette prérogative substantielle. Dorénavant, il sera dessaisi dans un des domaines les plus sensibles pour nous, de ceux qui comptent le plus : l'Union européenne !
Et une pareille révolution institutionnelle découlerait de pures considérations tactiques en vue de gagner le référendum ! Dieu merci, on le gagnera sans cela !
Dans le même temps, on porte un autre coup au Parlement. Non seulement il n'aurait plus le pouvoir de ratifier les traités d'adhésion de nouveaux Etats à l'Union européenne, mais en outre, il serait privé du débat qui est prévu à l'article 11 de la Constitution.
Rappelez-vous, mes chers collègues, en 1995, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle, le Sénat - je n'y siégeais pas encore - sur l'initiative de M. Jacques Larché, a exigé qu'en cas de recours au référendum, aux termes de l'article 11 de la Constitution, le Gouvernement organise un débat préalable au Parlement. C'est bien la moindre des choses !
Finalement, toutes les forces vives de la nation - partis, syndicats, associations, cercles de pensée... - débattraient d'une question soumise au référendum. Toutes, à l'exception du Parlement, forum pourtant privilégié du débat démocratique !
Je sais bien que l'on va nous rétorquer : « Attention, ne confondez pas : il ne s'agit pas de l'article 11, mais de l'article 88-7 ! ». Soyons sérieux ! Il est toujours question d'un traité et d'un référendum.
Les dispositions actuelles de la Constitution méritent d'être conservées. Il serait inconcevable, mes chers collègues, d'abandonner aujourd'hui ce que vous avez exigé en 1995, à savoir que tout référendum doit être obligatoirement précédé d'un débat au Parlement !
Et ne croyez pas que l'on puisse s'en remettre sur ce point à la bonne volonté de l'exécutif. Bien sûr, je ne doute point que l'intention première du gouvernement sera d'organiser un tel débat. Pour autant, ce qui vient de se passer avec la Turquie est loin de me laisser penser que, pour les questions difficiles, il en sera ainsi.
Il ne s'agit pas ici d'accorder une faculté au Parlement. Il s'agit tout simplement que celui-ci conserve intactes les prérogatives essentielles qui lui sont données par la Constitution, à savoir, pour le principal, la ratification des traités européens, pour le subsidiaire, le débat préalable à tout référendum.
Troisièmement, cette réforme constitutionnelle porte atteinte au référendum lui-même.
Pour nous, républicains du début du XXIe siècle, le référendum, expression directe de la volonté du peuple, pose toujours de graves problèmes. Il n'est qu'à voir l'inquiétude que certains éprouvent à son égard !
Nous le savons tous, un référendum est difficile et aléatoire ; bien d'autres réponses se mêlent à la question posée. C'est toujours une épreuve politique majeure.
Je conçois que l'on y fasse recours pour une question essentielle. Mais aucun de nous ne souhaite que le référendum devienne, sinon une pratique quotidienne, en tout cas un rituel obligatoire pour des questions mineures.
J'ai déjà évoqué la liste des pays européens aptes à demander leur adhésion à l'Union européenne. Imaginez-vous un référendum sur la Norvège ? Sur la Suisse ? Imaginez-vous un référendum sur la Bosnie ? Sur le Monténégro un jour ? Sur la Macédoine à n'en pas douter ? Imaginez-vous les concitoyens français se précipiter pour voter ? Pensez-vous obtenir à ce moment-là un taux de participation de nature à montrer que la démocratie directe est bien enracinée en France comme elle l'est chez nos amis suisses ?
La participation sera dérisoire et le référendum inutile ! En outre, il sera fort coûteux : pour avoir contrôlé ce type d'opérations lorsque j'étais président du Conseil constitutionnel, je sais qu'elles ne sont pas simples à organiser.
En outre, si d'autres questions se mêlent à la question posée, le référendum se transformera en question de confiance, directement posée par le Président de la République au pays. Il faut absolument éviter cela. En pensant renforcer le référendum en en étendant le champ, vous ne faites en réalité qu'en préparer l'affaiblissement, pour ne pas dire la dégradation, dans des scrutins inutiles.
Alors qu'ils sont, je le répète, juridiquement inutiles, politiquement inopportuns au regard des enjeux, constitutionnellement détestables, pourquoi la Haute Assemblée adopterait-elle les articles 2 et 4 du projet de loi ? Nous aurons à de multiples reprises l'occasion de reparler de la Turquie ! Il s'agit d'un problème à échéance lointaine.
Nous avons tous l'obligation - même si nous n'en sommes pas tous convaincus - d'ouvrir la voie, dans les meilleures conditions possibles, à la campagne référendaire sur le traité constitutionnel. Il s'agit de se prononcer pour ou contre la Constitution européenne. L'objet du débat est celui-là et uniquement celui-là.
La seule voie à suivre aurait été d'examiner sereinement la meilleure façon d'organiser les pouvoirs donnés au Parlement par le traité européen. Le débat aurait été clair, circonscrit. Puis, la réunion du Parlement en Congrès aurait ouvert la campagne référendaire.
Ce n'est pas la voie qui a été choisie. Il aurait pourtant été si simple de dire que le référendum sur la Turquie n'aurait lieu que dans douze ou quinze ans et qu'il serait temps, à ce moment-là, d'envisager une révision constitutionnelle. Et si vous étiez vraiment pressés, vous auriez pu procéder à la révision constitutionnelle à l'automne prochain, après que le pays aura, je l'espère, adopté le traité constitutionnel, adoption que la présence dans le texte des articles 2 et 4 n'aura certainement pas favorisée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Michèle André.)
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis est un acte juridique et politique historique, car il crée les conditions d'une mutation profonde de la construction européenne dans laquelle la France s'est engagée depuis cinquante-cinq ans.
Il aurait pu faire l'objet d'un référendum constituant, plus facile à conduire que la défense et l'illustration d'un texte de deux cent trente pages, mais il est vrai qu'une disposition de ce projet de loi constitutionnelle, étrangère au traité, a été introduite et qu'il vaut peut-être mieux qu'une seule question soit posée au peuple français.
Quelles nouveautés constitutionnelles apporte le traité du 29 octobre 2004 et en quoi justifient-elles une révision de la Constitution ?
Le projet de traité constitutionnel est une codification, une compilation et une rationalisation du droit institutionnel européen en vigueur, mais il donne à ce droit et à ses institutions une force symbolique et normative plus grande, que traduit, notamment, l'introduction de la charte des droits fondamentaux dans le droit positif.
C'est un texte hybride, qui réunit des dispositions de type constitutionnel dans sa première et sa deuxième partie et des dispositions de nature diplomatique dans la troisième, ce qui pose la question de sa nature exacte.
Le Conseil constitutionnel, fidèle à la lecture qu'il fait de la construction européenne depuis l'origine, propose une lecture minimaliste du traité, celle d'une Union européenne simple confédération d'Etats souverains exerçant en commun des compétences transférées.
Le projet de loi constitutionnelle ne fait que traduire cette jurisprudence dans la Constitution et opte donc pour une modification permanente au cas par cas de celle-ci, à chaque révision des traités européens.
Peut-on se contenter de cette lecture minimaliste et de cette entrée constitutionnelle à reculons dans la construction européenne, lorsque l'on sait que cette lecture n'a jamais été celle de la Cour de justice de Luxembourg et que celle-ci n'a pas hésité à affirmer, dès 1964, en pleine présidence du général de Gaulle, dans son arrêt Costa contre Enel, la primauté du droit européen, et, dès 1978, le caractère constituant des traités ?
Le barrage de papier que le Conseil constitutionnel dresse devant la Cour de justice lorsqu'il affirme le caractère confédéral du système communautaire tient d'autant moins que la supériorité de la Constitution française ne sera affirmée qu'en cas de contradiction flagrante d'un acte législatif européen avec des dispositions expresses de la Constitution française.
On peut penser que de tels cas, dans la pratique, ne seront qu'exceptionnels, voire théoriques. Il faut donc se poser la question de savoir quelles seront les vraies conséquences de l'introduction du traité constitutionnel dans le droit public français.
Le fait que le projet de loi constitutionnelle soit mal écrit - ce qui, entre nous, n'est pas une nouveauté ! (Sourires.) - ne change rien au fond.
Outre le fait que la Constitution du général de Gaulle a subi, ces dernières années, des atteintes bien plus sérieuses à sa cohérence juridique et littéraire, la qualité de la révision en France compte moins que l'adoption d'un traité constitutionnel, qui traduit un saut qualitatif dans la construction européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Hugues Portelli. D'un point de vue constitutionnel, l'entrée en vigueur du traité constitutionnel européen nous obligera à modifier radicalement notre vision des institutions, mais aussi le rôle que nous jouerons au sein de celles-ci.
J'évoquerai, tout d'abord, le nouveau cadre institutionnel. La grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés tient au fait que les catégories intellectuelles et juridiques avec lesquelles nous avons l'habitude de raisonner et de travailler, surtout nous, Français, sont en grande partie dépassées.
C'est, d'abord, le cas à propos de la souveraineté et du fédéralisme. Nous avons, depuis des siècles, l'habitude de raisonner en termes de souveraineté et de compétences ; le droit européen nous oblige à raisonner en termes d'objectifs et de politiques publiques. Sur le papier, notre Etat reste souverain. Dans des domaines croissants, l'exercice de cette souveraineté est transféré à l'échelon européen, faute de pouvoir exercer cette souveraineté efficacement.
De même, nous raisonnons en termes de compétences ; désormais, il nous faut de plus en plus souvent parler en termes d'objectifs, de programmes, de politiques sectorielles.
La conception de la loi elle-même sera revisitée. Le projet de loi constitutionnelle, corrigé à l'Assemblée nationale, va, d'ailleurs, en ce sens, puisqu'il introduit l'acte législatif européen, qui ignore la distinction entre la loi et le règlement, dans la Constitution.
Cet acte législatif européen deviendra le type dominant de loi examinée par le Parlement français, puisque, aujourd'hui, la majorité des normes en vigueur, dans notre pays, est élaborée par les institutions européennes.
En fait, à la conception traditionnelle et statique de la souveraineté et de son exercice, la Constitution européenne a substitué une conception fonctionnelle, où les transferts gérés sont motivés par le seul souci de l'efficacité. Cela explique pourquoi la Constitution européenne n'a pas attendu le traité du 29 octobre 2004 pour exister et pourquoi le modèle institutionnel proposé ne coïncide pas avec nos traditions.
La Constitution européenne telle que le traité de Rome de 2004 l'a construite est, en effet, originale. C'est une Constitution sans Etat, celle d'une Union européenne qui se voit doter de la personnalité juridique, mais sans que l'on dise quelle est sa nature juridique.
Ce n'est pas une constitution définitive, comme la constitution américaine de 1787, c'est une constitution fluide, évolutive, fonctionnelle.
Ce n'est pas non plus une institution internationale, car son droit est supérieur à celui des Etats. Sa cour de justice, qui veille à l'unité juridique de l'espace européen, est au sommet de la pyramide juridictionnelle des Etats, et sa charte des droits fondamentaux est le résumé des valeurs communes aux peuples européens.
Son originalité tient à la primauté de la constitution économique sur la constitution politique, à la réalisation de l'unité européenne par le marché et par le droit, mais elle s'est dotée, dans le traité de 2004, des moyens institutionnels de devenir un jour une véritable constitution politique.
Son originalité tient aussi à l'absence de séparation des pouvoirs, telle que nous l'avons apprise et proclamée, mais rarement pratiquée, au profit d'une codécision entre organes supranationaux et organes nationaux dans la gestion des compétences transférées : codécision de la Commission et des gouvernements nationaux ; co-interprétation du droit européen par les juridictions nationales et la Cour de Luxembourg ; copréparation des politiques publiques par les administrations de l'Union et les administrations des Etats.
Il manquait, aux côtés du Parlement européen, la participation des parlements nationaux. C'est désormais chose faite, grâce au traité constitutionnel et à la révision qui nous est proposée.
Quels sont, en effet, les nouveaux pouvoirs du Parlement français ?
Parmi les nombreux facteurs du déclin du Parlement français, le transfert massif de compétences relevant du domaine de la loi vers l'Union européenne a été, ces dernières décennies, déterminant. Il l'a été d'autant plus que, dans ce transfert, seul le Parlement a été dépouillé.
L'administration française participe à l'élaboration des normes et des politiques publiques. Les membres du Gouvernement français deviennent législateurs européens en tant que membres du conseil des ministres. Quant au Parlement français, non seulement il est dépouillé, mais, de plus, il lui faut subir souvent l'affront du recours massif aux ordonnances dans la transposition des directives.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !
M. Hugues Portelli. Le traité constitutionnel, avec la révision qui nous est proposée, fait des parlements nationaux les gardiens du principe de subsidiarité. Ce sera la tâche du Parlement français que de veiller à ce que les institutions européennes n'étendent pas démesurément leurs interventions, suivant une propension naturelle aux organes de type fédéral. Ce sera pour lui le moyen, non seulement de conserver ses prérogatives, voire d'en reconquérir certaines, mais aussi de délimiter concrètement la frontière entre les compétences de l'Union et celle des Etats.
Pour notre assemblée, cet exercice du principe de subsidiarité aura un autre sens : préserver ses prérogatives de législateur national, certes, mais aussi celles des collectivités territoriales, dont le Sénat est le représentant.
Cet exercice intègrera également le Parlement français dans les institutions européennes selon ce principe de codécision, qui est le principe essentiel de fonctionnement de l'Union européenne.
Le risque est, cependant, de noyer les assemblées sous leurs nouvelles compétences et de rendre inadapté aux nouveaux flux de production législative européenne le travail remarquable des délégations parlementaires pour l'Union européenne.
Le problème ne sera pas seulement d'examiner les textes ; il sera, surtout, de fixer la barre de la subsidiarité secteur par secteur, ce qui est une décision de nature purement politique.
La révision constitutionnelle peut être, finalement, le levier du réveil du Parlement, et, paradoxalement, c'est à la construction européenne que nous le devrions.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Hugues Portelli. Cette révision sera en effet l'occasion de nous interroger sur les rapports entre la loi et le règlement, sur le recours aux ordonnances, sur le pouvoir de contrôle des assemblées.
Que cette révision devienne lettre morte, et le déclin du Parlement français, dans une Europe intergouvernementale et interventionniste, sera scellé. Qu'elle s'applique effectivement, et les conditions d'une renaissance, dans un cadre institutionnel nouveau après quarante ans de déclin, seront enfin réunies. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant d'aborder le fond du projet de loi constitutionnelle et ses manquements, je m'interrogerai sur l'opportunité de la procédure de ratification du traité établissant une constitution pour l'Union européenne.
En effet, l'organisation d'un référendum, nos compatriotes étant invités à s'exprimer sur ce traité, et la mise au pas préalable des parlementaires suscitent chez moi un certain malaise.
Vous me répondrez que la modification de la Constitution en vue de la ratification de ce traité est rendue obligatoire par le Conseil constitutionnel. Mais la saisine préalable du Conseil constitutionnel est bien l'expression d'une volonté politique, celle du Président de la République. Rien ne l'imposait ! En effet, la Constitution aurait pu être modifiée après le référendum - cela aurait été compréhensible et plus logique - sans préjuger de son résultat.
Je regrette d'autant plus cette procédure qu'elle nous éloigne de la perspective d'améliorer la Constitution, à l'occasion d'un véritable débat parlementaire, et de mieux l'adapter aux nécessités de notre époque. Cela est évident quand on lit attentivement le projet de loi.
Avant de souligner les manquements politiques que révèle ce projet de loi constitutionnelle, j'illustrerai ma déception en vous citant deux exemples : la reconnaissance des langues régionales et le droit de vote pour les résidents non communautaires. Ces deux points feront d'ailleurs l'objet de nos amendements.
Nous nous étonnons que le Gouvernement ne saisisse pas l'occasion qu'offre cette réforme constitutionnelle de respecter l'un de nos engagements européens et ne mette pas tout en oeuvre pour ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
En effet, grâce à ses nombreuses langues régionales, y compris celles d'outre-mer, la France possède l'un des plus riches patrimoines linguistiques du monde. Mais, historiquement, ce patrimoine a été méconnu, considéré comme un handicap pour la communication à l'échelle nationale, et, malheureusement, souvent réprimé.
L'Etat jacobin se souciait non pas de la compréhension des citoyens entre eux, mais de leur obéissance.
M. Josselin de Rohan. Surtout les instituteurs laïques, chère collègue !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cette politique du « bulldozer » a même réussi à culpabiliser les locuteurs des langues régionales, au point qu'ils n'en assurent plus la transmission à leurs enfants.
Aujourd'hui, néanmoins, les nouvelles générations réapprennent ces langues menacées de disparition dans les écoles Diwan en Bretagne, Ikastolak au Pays basque, Calendretas en Occitanie, Bressolas et Arrels en Catalogne, Scola Corsa en Corse.
La défense des langues minoritaires est souvent jumelle de la défense de la démocratie, comme le montrent les combats pour la reconnaissance du kurde, du tibétain ou du berbère. Certains d'entre nous sont bien incohérents lorsqu'ils défendent là-bas ce qu'ils refusent ici ou lorsqu'ils défendent le français face à l'hégémonie de l'anglais, tout en condamnant les langues régionales en France !
Les différences culturelles sont non pas des archaïsmes réducteurs, mais des richesses qu'il faut se donner les moyens de mettre en valeur.
Les Verts sont de farouches défenseurs de la biodiversité, et ce même dans le domaine linguistique. C'est pourquoi nous souhaitons la modification de l'article 2 de la Constitution française, nécessaire à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Enfin, il est important d'évoquer les langues non territoriales, ayant le statut de langues étrangères, et dont certaines sont présentes depuis des siècles sur le territoire national : le yiddish, les langues tsiganes, l'arabe. Combien de temps faudra-t-il donc pour que ces langues soient « naturalisées » ? Elles devraient pouvoir bénéficier des dispositions de la Charte européenne au titre des langues minoritaires. Quant à la langue des signes pour les sourds et muets, il conviendra de favoriser son enseignement.
Chaque culture doit être aidée. En se défendant, elle maintient en effet une part du patrimoine de l'humanité tout entière.
Vous le savez, désormais les ressortissants communautaires résidant en France peuvent voter et être éligibles, sous certaines conditions, aux élections municipales. La suppression de la condition de réciprocité est la seule avancée du projet de loi constitutionnelle en la matière.
Pourtant, la question du droit de vote des résidents étrangers extra-européens est plus que jamais d'actualité. Il est une condition indispensable à l'exercice de la démocratie. D'ailleurs, le Parlement européen a voté, le 14 février 1989, une résolution demandant aux pays membres d'accorder le droit de vote aux élections locales à l'ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire.
Pourquoi cette réforme tarde-t-elle tant à s'appliquer en France alors que les résidents étrangers participent, au même titre que les citoyens français et communautaires, à la vie économique et sociale du pays ? Cela semble d'autant plus anachronique que les résidents étrangers se sont déjà vu reconnaître des droits : participation aux élections des comités d'entreprise, des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, aux élections prud'homales, droit d'association.
En outre, les résidents étrangers bénéficient des mêmes libertés fondamentales, des mêmes responsabilités et droits sociaux qu'un citoyen français. Ils sont assujettis à l'impôt et contribuent ainsi à la richesse nationale. Mais ils ne peuvent pas, contrairement aux dispositions de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, constater la nécessité de cette contribution publique puisqu'ils ne peuvent pas élire de représentants.
Certains craignent qu'accorder le droit de vote aux résidents étrangers ne fasse émerger un vote identitaire ou communautaire. Cette crainte n'est pas fondée Au contraire, c'est la différenciation dans l'attribution du droit de vote, notamment entre résidents communautaires et non communautaires, qui peut faire naître ce communautarisme et, plus certainement, un réel sentiment d'injustice !
L'application du principe d'égalité - « mêmes droits, mêmes devoirs », - hérité de la Révolution française, permet à la République, en garantissant le même contrat social à tous les résidents sur son territoire, de sortir grandie. Les droits politiques ne sont-ils pas des droits fondamentaux ? Des droits seraient-ils reconnus comme étant fondamentaux pour les uns et pas pour les autres ?
J'évoquerai maintenant les faiblesses de ce projet de loi constitutionnelle, voire les manoeuvres politiques qu'il sous-tend.
Mes chers collègues, je ne comprends pas que l'on puisse utiliser notre Constitution à des fins partisanes ! L'article 2 du projet de loi constitutionnelle n'a qu'un but : permettre au Président de la République de limiter les dégâts dans son propre camp, après l'ouverture de la boîte de Pandore que constitue le cas de la Turquie.
L'article 4 en atteste en prévoyant explicitement que l'article 88-7 de la Constitution ne s'appliquera pas « aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004. » Pourquoi cette date ? Vous reconnaîtrez que cette tournure est bien alambiquée. Elle n'est destinée qu'à faire de la Turquie un cas à part et à semer la confusion !
La demande d'adhésion de la Turquie à l'Europe doit être examinée, au même titre que toutes les demandes d'adhésions à l'Union, ni plus ni moins ! Or le débat, tel qu'il a lieu actuellement en France et tel que la commission européenne en a posé certains fondements, est très inquiétant, voire scandaleux.
Une clause de sauvegarde définitive concernant la migration intérieure des travailleurs turcs est ainsi envisagée : c'est bien la première fois qu'une telle mesure serait prise au sein de l'Union.
Certains pays ont connu des aménagements, des échéanciers : pourquoi pas la Turquie ? L'exigence d'un vote, voire d'un référendum pour cette admission est, elle aussi, d'une hypocrisie notoire.
Les Verts sont pour une vraie citoyenneté européenne, donc avec des débats et des consultations préalables à toute modification et évolution importantes de l'Europe.
Lors des précédents élargissements, aucun débat sur l'entrée des nouveaux pays dans l'Union n'a été organisé, et cela n'a posé de problème à personne !
Encore une fois, la demande de la Turquie doit être traitée comme les autres. Ainsi les Verts estiment-ils que, oui, l'adhésion finale doit faire l'objet d'un débat, à l'échelon tant national qu'européen, et d'un vote. Mais, on ne peut dénier à la Turquie, après quarante ans de coopération renforcée avec l'Union européenne, au point qu'elle fait déjà partie de l'union douanière et économique, le droit d'être officiellement candidate à l'adhésion, au même titre que la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie.
Nous estimons que l'Europe a tout à gagner d'une Turquie laïque, respectueuse des droits humains et des libertés fondamentales, dans cette « guerre des civilisations » que l'Amérique de George Bush tente de mettre en place.
La Turquie est une composante indispensable du projet européen sur la scène internationale. Soyons clairs : en aucun cas, cette entrée officielle dans le processus de négociation ne signifie une adhésion automatique. Rappelons que l'adhésion effective est non pas pour demain, mais pour dans dix ans. Si la Turquie ne remplit pas encore aujourd'hui toutes les conditions d'une démocratie, nous devons l'aider dans son processus démocratique. Oui, des efforts restent encore à faire.
Arrêtons de considérer l'Union européenne comme une instance internationale, car l'Union européenne, c'est nous ! Elle est une composante de notre régime politique. Si seul le Gouvernement, et non le Président de la République, doit être l'acteur principal des engagements européens de notre pays, la voix de la France doit être légitimée par les urnes. Les représentants légitimes du peuple que nous sommes doivent pouvoir exercer un contrôle avant que notre gouvernement prenne une décision.
Pour cela, le Parlement doit avoir la liberté de se saisir, et donc de maîtriser son ordre du jour, comme il doit disposer des moyens d'analyse et d'expertise, à travers une commission spéciale.
Disons-le avec force et vigueur : oui à l'Europe, oui à une Europe citoyenne, démocratique et écologique ! Mais disons avec la même force et avec la même vigueur que cette réforme n'est pas à la hauteur de notre ambition.
Avec ce projet de loi constitutionnelle, qui suscite une confusion entre la révision de la Constitution française et l'élargissement de l'Union européenne, qui méconnaît les aspirations au changement de nombre de nos concitoyens, permettez-moi de vous le dire, nous avons raté le coche d'une révision constitutionnelle audacieuse ! (Mme Dominique Voynet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un grand pays se doit d'avoir une grande constitution.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est le cas depuis 1958 !
M. Jean Bizet. C'est chose faite, ou presque.
Nous sommes effectivement à la veille de l'adoption d'une constitution qui renforcera un grand pays, car l'Union européenne est désormais un grand pays, une confédération d'Etats-nations rassemblant vingt-cinq membres, des grands, mais aussi des moins grands, animés par un même idéal, réunis autour des mêmes valeurs et comptant 450 millions d'hommes et de femmes voulant avant tout conforter ce que les pères fondateurs de cette Europe nous ont légué voilà plus d'un demi-siècle : la paix, la démocratie et le développement économique.
Il y a en effet soixante ans que nous vivons en paix, que nos acquis sociaux ont progressé comme jamais ils ne l'avaient fait au cours des siècles précédents, que le développement économique nous a permis d'atteindre un niveau de vie inégalé à ce jour, mais qui nécessitera encore et toujours d'autres progrès, d'autres sauts technologiques pour faire de cette Europe l'économie de la connaissance la plus performante du monde. C'est la stratégie de Lisbonne, la prochaine grande mission de cette Europe.
Elaborer une constitution est une tâche ambitieuse et difficile, qui mérite d'être effectuée avec le maximum de lisibilité. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe va dans ce sens, à mon avis dans le bon sens !
Nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner le projet de loi constitutionnelle. Adopter ce texte revient à marquer davantage encore notre engagement européen et notre volonté de mieux faire fonctionner l'Europe.
Cependant, ce vote n'est qu'une étape. II reste encore du chemin à parcourir jusqu'au « oui » au référendum. Nous avons notamment un devoir de communication auprès de nos concitoyens. Il serait en effet illusoire de croire que chacun d'entre eux aura lu les 448 articles et les 36 protocoles de la Constitution. C'est à nous qu'il reviendra d'expliquer ce traité et de compléter ainsi le vote auquel je vous invite.
Ce traité est le fruit d'un compromis entre différents Etats. Certes, il n'est pas parfait, mais je crois sincèrement que ses qualités sont bien supérieures à ses défauts.
Sa première qualité est d'établir un cadre juridique stable, auquel tous les acteurs pourront se référer. Depuis 1986, nous avons signé quatre traités. C'est beaucoup. C'est le signe de l'essoufflement du système qui est actuellement en place. Le cadre ne doit pas être modifié trop souvent si nous voulons pouvoir mener des politiques cohérentes. Je précise cependant que ces politiques feront l'objet d'autres débats ; celui qui nous occupe présentement est de nature constitutionnelle. Or une constitution ne préjuge en rien des politiques qui seront ensuite menées.
La réforme d'aujourd'hui n'a pas du tout la même envergure que celle d'hier. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne s'inscrit pas dans la continuité du traité de Rome, comme ce fut le cas de tous les traités jusqu'à présent. Du passé, il a, en partie, fait table rase ! Il a reconstruit quelque chose de nouveau en tenant compte des difficultés du présent système.
Cette Constitution pour l'Europe comporte donc de nombreuses avancées significatives : fusion des piliers, droit de pétition pour les citoyens, consécration de la charte des droits fondamentaux... L'énumération serait longue.
Parmi ces avancées, je suis très sensible à la création d'un président du Conseil européen et d'un ministre des affaires étrangères. Parallèlement à ce que nous avons vécu au sein de l'Organisation mondiale du commerce depuis 1995, un seul commissaire ayant en charge le commerce extérieur, il était impératif pour la politique étrangère de l'Union d'avoir la même approche vis-à-vis de la communauté internationale.
Une autre des qualités de cette Constitution est de renforcer le rôle des parlements nationaux au sein de l'Union européenne, ce qui permet de faire taire les critiques selon lesquelles l'Union Européenne étoufferait peu à peu la souveraineté des Etats membres. Bien au contraire, la nouvelle Constitution nous invite à une fructueuse coopération entre l'Union et les Etats.
Il va de soi que, dans un jeu démocratique, le pouvoir se voit opposer des contre-pouvoirs : les parlements nationaux se sont donc vu attribuer de nouvelles prérogatives.
Les parlements nationaux participeront, tout d'abord, au contrôle du principe de subsidiarité, en amont, par un avis et, en aval, grâce à la possibilité d'un recours devant la Cour de justice. Ils pourront, ensuite, refuser la mise en place d'une clause passerelle. Ils seront, enfin, étroitement associés à la mise en oeuvre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
Même s'il est vrai que la place des parlements nationaux dans la construction de cet espace est encore assez floue, le traité prévoit que des lois européennes viendront préciser la mise en oeuvre de ces associations. Je souhaite que les parlements, notamment par le biais de l'article 88-4 de la Constitution, s'investissent largement dans la définition de leurs prérogatives à ce sujet.
En théorie, il est indéniable que les parlements deviennent des acteurs majeurs de la construction européenne. Mais, vous le savez, un texte est malléable dans son interprétation et plus encore dans sa pratique. Ce texte est d'abord ce que nous en ferons !
Il nous faut saisir les opportunités qui s'offrent à nous. C'est pourquoi nous devons, nous, parlementaires de toute l'Europe, nous efforcer d'assurer la plus large coopération possible. Cette Constitution comporte un véritable enjeu et nous devons en prendre la mesure.
C'est dans cette optique que j'appelle à une étroite collaboration avec, d'une part, l'Assemblée nationale et, d'autre part, les parlements des autres Etats membres.
Tout d'abord, pour déterminer si un texte est contraire au principe de subsidiarité, chaque chambre aura une voix. Si nous estimons réellement qu'un acte viole ce principe, désormais fondamental, nous devrons faire front commun avec l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, le Parlement, même bicaméral, doit s'opposer d'une seule voix à une clause passerelle. Nous serons alors amenés à voter une motion dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. Il sera fondamental d'instituer un mécanisme à la fois réactif et très complémentaire entre les deux chambres pour assurer avec efficacité le rôle que nous permet d'exercer désormais le traité constitutionnel.
Avec nos collègues dans toute l'Europe ensuite, nous nous devons de développer le même esprit de collaboration. Chacun au-delà de ses sensibilités propres saura se retrouver sur l'essentiel, le fondamental. La COSAC, qui a la possibilité de donner des avis à la Commission, doit plus que jamais assumer son rôle d'instance de concertation.
Je tiens d'ailleurs à souligner que, depuis quinze ans, les délégations pour l'Union européenne effectuent un travail de fond sur l'ensemble des sujets européens (Très bien ! sur les travées de l'UMP.). Elles ont une grande expérience et il semble donc naturel qu'elles soient étroitement associées au contrôle du principe de subsidiarité.
Dans cette perspective, les délégations doivent jouer pleinement un rôle transversal vis-à-vis des autres commissions. Cela nécessitera bien sûr des aménagements, autrement dit une modification du règlement de chacune des assemblées, modification qui ne soit pas rejetée par le Conseil constitutionnel. Plusieurs pistes ont déjà été proposées ; elles devront être examinées à l'occasion d'un débat interne à chaque assemblée, qui sera d'ailleurs un premier indicateur de l'énergie que nous investirons dans la mise en oeuvre du traité.
Les affaires européennes ont été pendant longtemps un processus essentiellement gouvernemental. Voilà enfin qu'il devient, en partie, un processus parlementaire. Je tiens à le souligner ici et peut-être plus encore à l'adresse de nos concitoyens, afin qu'ils se réapproprient l'Europe.
Parallèlement à ce nouveau partenariat auquel nous invite la Constitution, tant avec l'Assemblée nationale qu'avec les autres parlements des vingt-cinq Etats membres, j'aimerais souligner l'impérieuse nécessité d'un dialogue constructif entre le Gouvernement et le Parlement sur les questions européennes.
Sur ce point, je suis très séduit par l'approche de nos voisins britanniques. Je dois vous faire une confidence : c'est la première fois qu'ils me séduisent (Exclamation amusées sur les travées de l'UMP.) tant par l'explanatory memorandum, qui présente les grandes orientations retenues en première analyse par le gouvernement sur un texte, que par les comptes rendus de ce même gouvernement sur ses propres positions et orientations suite au vote d'une résolution par le Parlement.
Nous louons, à juste titre, le lobbying des parlementaires anglo-saxons à Bruxelles. Il est, à mon sens, intimement lié à l'étroit partenariat qui existe entre le gouvernement et le Parlement. Essayons de nous en inspirer !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Jean Bizet. Arrivé au terme de mon intervention, j'appelle de mes voeux que l'Europe soit le creuset de politiques fructueuses, tout spécialement en matière de recherche et d'innovation pour relancer la stratégie de Lisbonne, je l'évoquais à l'instant. Je regrette que, à mi-parcours, elle n'ait pas produit les résultats escomptés !
La compétition à laquelle nous faisons face ne pourra se jouer que dans le cadre européen. Dans un contexte mondialisé, nous aurons besoin d'appartenir à une entité qui fasse jeu égal avec les grands, tels que les Etats-Unis, la Chine, l'Inde... Cette entité est l'Union européenne.
L'enjeu est de permettre, par le biais de l'Union, de connaître à la fois un fort développement économique et une grande autonomie de gestion au plus près du territoire. Dans ce monde de plus en plus mondialisé, il est impératif, à côté de la dimension européenne, d'avoir une réactivité territoriale forte qui permettra à nos concitoyens, je le répète, de se réapproprier l'Europe. En la matière, les Etats-Unis sont, là encore, un modèle.
La Constitution européenne nous invite à avoir un grand dessein, une grande ambition pour l'Europe, mais aussi et avant tout, une grande ambition pour la France. J'y adhère sans détour et je voterai ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je souhaiterais adresser des remerciements à Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, et au groupe lui-même qui me permettent, en quelques minutes, d'expliquer pourquoi, avec d'autres, nombreux, je n'accompagnerai pas le texte qui nous est proposé. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Pourquoi ?
M. Jean-Pierre Masseret. Pourquoi, monsieur Haenel ? Parce que le texte qui nous est soumis n'est pas ordinaire ! Il est, en effet, celui qui permettra d'adhérer au traité élaborant une Constitution pour l'Europe. Un texte constitutionnel, chacun l'admet, n'est pas un texte banal.
Or, comme beaucoup ici affirment et cherchent à démontrer, arguments à l'appui, qu'il ne s'agit pas d'un texte partisan - je l'ai entendu tout au long de l'après-midi -, c'est en conscience qu'il faut prendre position ! Nous le faisons donc en conscience, sans forcer le trait, avec humilité parce que personne ne détient une quelconque vérité révélée, mais avec suffisamment de détermination, monsieur Haenel. En effet, c'est bel et bien le rôle, la place, l'exemplarité de l'Union européenne dans la future organisation du monde qui sont en question.
Nous savons tous ce que nous devons à la construction européenne : la paix et la sécurité, tout d'abord, ce qui est considérable ! Sans paix ni sécurité, rien n'est possible : ni progrès économique, ni progrès social, ni avancée des idées et des valeurs universelles !
La paix et la sécurité sont des états précaires, jamais pleinement assurés. Or ce qui, demain, menacera éventuellement la paix et la sécurité en Europe, ce ne sera pas le cliquetis des armes ; ce seront plutôt les atteintes massives et répétées aux modèles sociaux acquis, dans l'espace européen, au prix de milliers de luttes politiques, syndicales et sociales (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.). C'est cette réalité, que beaucoup font passer par pertes et profits, qui précisément nous motive !
La construction européenne a reçu l'appui des peuples parce qu'elle proposait un modèle démocratique et social exemplaire, au sens plein de ce mot. Mais l'on est en train d'effacer, de gommer progressivement cette exemplarité.
Pour la maintenir, l'Union doit être une Europe puissance, afin d'irriguer le monde - Pierre Mauroy l'évoquait cet après-midi - une Europe puissance sans esprit conquérant, sans esprit hégémonique, une Europe puissance sans autre certitude que celle de savoir que la paix et le progrès sont toujours l'association concrète et réelle de la démocratie politique et de la démocratie sociale. Assumer cette mission suppose que l'Union européenne dispose des attributs politiques adéquats et qu'elle ait conscience de l'importance de la partie qui se joue.
C'est à cet instant qu'il nous faut regarder plus loin que le débat qui nous occupe aujourd'hui. Il nous faut scruter l'avenir, le traité constitutionnel lui-même pour constater et dire : trop tard, trop peu !
Trop tard, parce que l'élargissement, décidé avant l'approfondissement, prive l'Union européenne de la perspective et de la possibilité de se donner une organisation politique complète et réelle. L'Union européenne, chers collègues, quitte progressivement l'espace politique du monde pour occuper un simple rang dans l'espace marchand (Murmures sur les travées de l'UMP.). En tant qu'homme de gauche, j'ai du mal à constater que l'approche idéologique de la construction européenne n'est pas au coeur de nos arguments.
Trop peu, monsieur Haenel, parce que l'Europe proposée est précisément celle des financiers et des comptables, comme l'illustrent les petits débats sur la future maquette budgétaire de l'Union, comme le souligne aussi le refus britannique de remettre en cause le « chèque » autrefois accordé à Mme Thatcher. Trop peu d'Europe alors qu'elle devrait investir massivement dans la société de la connaissance, de l'innovation, de la formation tout en s'assurant les moyens de sa défense autonome.
Un journaliste écrivait hier, dans Les Echos, que Bruxelles jouait de malchance. Il faisait allusion à la directive Bolkestein, temporairement mise de côté, ...
M. Guy Fischer. Elle réapparaîtra en octobre !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il s'agit d'un projet de directive !
M. Jean-Pierre Masseret. Qui vivra verra !
... à la commissaire au développement, déclarant qu'il fallait encourager les délocalisations, ...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est une mauvaise traduction de l'allemand !
M. Jean-Pierre Masseret. ... et à l'agenda social, légèrement oublié !
Ces trois exemples sont plus parlants que toutes les démonstrations. Ils indiquent la voie sur laquelle l'Union est engagée, et ce sans perspective de retour. Dire l'inverse me paraît être contraire à la vérité politique. (Murmures sur les travées de l'UMP.)
Certes, on peut ne pas être d'accord ; mais les arguments doivent être pris en considération !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous avez fait campagne pour Maastricht !
Mme Michelle Demessine. Il en a d'autant plus de mérite !
M. Jean-Pierre Masseret. Malgré tout le respect et toute l'amitié qui nous lient à celles et à ceux qui, à l'intérieur du groupe socialiste, pensent différemment, nous sommes nombreux à ne pouvoir, en conscience, accompagner ce texte. C'est pourquoi nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe CRC.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Navrant pour Metz !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la tonalité de mon intervention sera différente de celle de mon prédécesseur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela ne nous étonne pas !
M. Jacques Blanc. Je tiens à souligner la chance que nous avons de pouvoir débattre aujourd'hui de la modification constitutionnelle qui nous permettra de donner demain une Constitution à l'Europe.
Mes chers collègues, avez-vous bien mesuré l'ampleur de l'étape franchie par la Convention européenne, sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing, auquel je tiens à rendre hommage ici...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Vous avez raison !
M. Jacques Blanc. ...pour ses compétences et son talent ? Les éminentes qualités des membres de la Convention et de ceux de la délégation pour l'Union européenne, dont son président, Hubert Haenel (Applaudissements sur les travées de l'UMP), ont permis de parvenir à un accord entre les quinze pays qui appartenaient déjà à l'Union, les dix pays qui y ont adhéré, les deux pays qui vont la rejoindre et un observateur, la Turquie. Aujourd'hui, nous avons réussi ce qui paraissait complètement impossible et cet accord formidable, même s'il ne contient pas tout ce que l'on aurait souhaité, mérite d'être souligné.
M. Jean-Louis Carrère. C'est « Au théâtre ce soir » !
M. Jacques Blanc. Par ailleurs, dans l'euroscepticisme ambiant, cultivé par certains, subi par d'autres, ce texte répond aux inquiétudes d'un certain nombre d'Européens. Qui n'a pas entendu dénoncer la distance entre l'Europe et les citoyens ? Combien de fois n'avons-nous entendu dire, quand nous ne le disions pas nous-mêmes : « c'est la faute à l'Europe », en oubliant de préciser, quand cela était positif : « c'est grâce à l'Europe » ? Combien de fois a-t-on reproché à la Commission d'être une instance technocratique éloignée de la population ?
Il fallait rapprocher l'Europe des citoyens...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout est dit !
M. Jacques Blanc. ...et, dans ce projet de Constitution, des étapes fondamentales ont été franchies.
D'abord, l'Europe aura un visage : un président pour deux ans et demi renouvelables, choisi par le Conseil, et un ministre des affaires étrangères - cela ne nuit en rien aux qualités de M. Solana - qui aura une plus grande capacité d'expression. Ensuite, les parlements nationaux auront la possibilité d'agir.
Lors de la campagne pour la ratification du traité de Maastricht, j'ai été étonné de constater que peu de gens avaient lu le texte. J'ai été l'un des rares à avoir découvert qu'il instituait un comité des régions. En fait, on s'était déjà rendu compte qu'il fallait aller vers une adhésion territoriale impliquant les présidents des régions, des départements, les maires des grandes villes, et ce afin de rapprocher l'Europe des citoyens.
Ce projet de loi constitutionnelle renforce le rôle des parlements nationaux qui pourront, en étant saisis soit par leur gouvernement, soit directement par l'Union européenne, apprécier les textes proposés.
Surgit enfin ce qui était un principe d'église, dont on a parlé longtemps : la subsidiarité, qui est élevée au rang d'exigence.
Mes chers collègues, le fait d'inscrire le respect de ce principe dans le traité est presque une révolution. L'Europe doit certes exercer sa capacité d'action dans un certain nombre de domaines de compétences, qui sont mieux définis, mais si d'autres peuvent le faire au plus près, il vaut mieux les laisser agir ; ce principe peut même devenir une obligation.
J'ai eu l'honneur d'installer le comité des régions d'Europe, au sein duquel nous avions la prétention d'être les gardiens vigilants de la subsidiarité. Maintenant, ce sont les parlements nationaux qui, en liaison avec le comité des régions, y veilleront, empêcheront les dérives, ramèneront l'Europe au sens des réalités. Nous allons avoir un rôle nouveau, tout à fait important, nous permettant de supprimer cette distance qui existait entre l'Europe et les citoyens et de freiner parfois certaines dérives technocratiques.
C'est un progrès considérable. Comment allons-nous pouvoir exercer cette nouvelle compétence ?
L'expérience de la délégation pour l'Union européenne - chacun apprécie la qualité de son président et de ses membres - constitue un élément très positif. Il est nécessaire qu'elle devienne le pôle central où s'élaborera la pensée européenne. En effet, elle est composée de membres appartenant à toutes les commissions ; ses moyens doivent donc être renforcés et son rôle reconnu.
Ce n'est pas le moment de créer des problèmes qui ne seraient peut-être pas compris par l'opinion. Il est important que notre éminent rapporteur, que nous félicitons pour ses travaux, mais aussi le Gouvernement nous disent que le Sénat décidera dans son propre règlement des modalités d'application permettant de donner à la délégation le rôle central et majeur de contrôle des actes européens.
Nous pourrons ensuite, à la lumière de l'expérience et à un moment peut-être plus favorable, sans jeter le doute sur notre volonté de dire « oui »au référendum, faire évoluer, s'il le faut, les textes constitutionnels. Certaines propositions, notamment celles de MM. Pierre Fauchon et Denis Badré, ne vont pas dans le mauvais sens, mais ne viennent pas au bon moment.
Quant au débat sur la Turquie, mes chers collègues, il y a longtemps qu'il a été lancé ! Tous les présidents de la Ve République, tous les gouvernements ont dit à nos amis turcs qu'ils avaient vocation à entrer dans l'Europe. J'aime la Turquie, je préside le groupe d'amitié. J'étais hier en Turquie avec Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Elle a indiqué que la négociation était ouverte et elle a osé dire à nos amis turcs, avec beaucoup d'intelligence et de délicatesse, que si le résultat n'était pas assuré, elle souhaitait que les réformes entreprises et l'évolution même de ce grand pays lui permettent, dans dix ou quinze ans, d'entrer dans l'Europe.
Mais ce n'est pas l'objet du référendum.
M. Jean-Louis Carrère. Alors, n'en parlez pas !
M. Jacques Blanc. Je ne voudrais pas que le référendum apparaisse comme discriminatoire vis-à-vis de nos amis turcs.
En réalité, chacun sent bien que l'entrée de la Turquie, comme celle de la Grande-Bretagne à l'époque, exige un acte plus solennel. Le référendum que le président Pompidou avait lancé - je m'en souviens particulièrement, car ce fut l'un de mes premiers pas dans la vie politique - avait marqué les esprits. Demain, il faudra que l'Europe détermine ses propres frontières.
Dès lors, n'instaurons pas de faux débats. Le référendum sur la Constitution européenne n'a rien à voir avec le « oui » ou le « non » à l'entrée de la Turquie. Personnellement, j'y suis favorable, mais ceux qui y sont hostiles doivent mesurer qu'ils ne pourront s'exprimer que si le texte sur la Constitution européenne est adopté.
Regardons la réalité ! Nous espérons tous la paix : ce qui se passe aujourd'hui entre Israël et la Palestine est formidable, alors que ce qui s'est produit au Liban nous traumatise. Gardons-nous de nous enfermer, laissons ouvertes les perspectives pour l'Europe.
Mais revenons au débat : la Constitution européenne va-t-elle améliorer le fonctionnement de l'Europe ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Oui !
M. Jean-Louis Carrère. Non !
M. Jacques Blanc. Nous avons vécu différentes étapes. Le traité de Maastricht a été proposé par le président Mitterrand : nous nous sommes mobilisés, le traité a été signé et l'Europe a avancé. Qui regrette aujourd'hui la mise en place de l'euro ?
Le traité de Nice a été décrié, mais il a permis à dix pays de rejoindre l'Europe. C'est la raison pour laquelle il faut modifier la gouvernance européenne. En effet, si l'on garde l'obligation de l'unanimité, l'Europe sera complètement bloquée.
Ce texte ne pourra qu'améliorer le fonctionnement de l'Union européenne. Les compétences seront mieux réparties. Par exemple, demain, nous pourrons nous battre pour la cohésion territoriale, qui est inscrite dans la Constitution européenne, alors qu'elle ne l'était pas dans les traités précédents. Il y a un plus et un mieux. Comment peut-on se priver de l'enthousiasme pour l'Europe ?
Mes chers collègues, je souhaite que notre débat, serein et de grande qualité, soit l'amorce d'un débat dans la population pour faire renaître l'espoir et l'amour de l'Europe qui nous a apporté la paix, qui peut nous apporter la prospérité et qui garantit le respect de la dignité des personnes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel ayant indiqué que la signature du second traité de Rome et son adoption par le peuple français impliquaient une modification de notre texte constitutionnel, nous voici saisis, après nos collègues de l'Assemblée nationale, du projet de loi de révision.
A défaut de simplicité, car ces sujets sont difficiles, le texte et la discussion auraient pu être relativement délimités. Mais pour rassurer leur majorité et une partie de leur électorat, le Président de la République et le Gouvernement ont cru bon d'introduire dans ce texte, et dans des termes tout à fait tarabiscotés, des éléments extrêmement discutables sur le fond et qui n'ont pas de rapport immédiat avec le sujet, à savoir un référendum obligatoire pour l'adhésion de la Turquie et non pour celle de la Roumanie, de la Croatie et de la Bulgarie.
Vous ne pouvez donc jouer la surprise quand, par une sorte de retour de bâton, tel ou tel d'entre nous se sent autorisé à contester cet ajout ou à introduire dans votre texte des questions inattendues elles aussi. Le droit de vote et l'éligibilité des résidents non communautaires, la ratification de la charte des langues régionales et le renforcement du contrôle du Parlement sur la politique européenne du pays nous apparaissent au moins aussi urgents que le recours à une procédure référendaire pour un événement qui, selon les experts les plus avisés, n'aura pas lieu avant dix ans.
Il faut évidemment aller au-delà.
Je voterai « oui » au traité instaurant une Constitution pour l'Europe...
M. Jean Bizet. C'est bien !
Mme Dominique Voynet. ...et j'approuverai, par conséquent, malgré un vote négatif sur au moins deux articles, le projet de loi que vous nous proposez, et ce pour deux raisons majeures.
D'abord, le fait est que nous ne pouvons plus continuer à fonctionner à vingt-cinq, puis à vingt-huit, selon les règles calamiteuses prévues par l'épouvantable traité de Nice, règles imposées par un mauvais accord entre les chefs d'Etat et de gouvernement, mauvais accord qui nous paralyse et entérine le laisser-faire dans à peu près tous les domaines.
M. Josselin de Rohan. Mais qui était au Gouvernement à l'époque ?
Mme Dominique Voynet. Au contraire, la situation du monde actuel, notamment sur les plans écologique et économique, ses conflits et ses dérives exigent que nos institutions se stabilisent.
Les politiques européennes ainsi renforcées et démocratiquement mieux légitimées doivent faire émerger sur la scène mondiale d'autres modes de résolution des conflits que la force et l'unilatéralisme, d'autres modèles de gestion des ressources que la fuite en avant et le gaspillage qui caractérisent nos actuelles façons de produire et de consommer.
Nous devons pouvoir réformer notre politique agricole, relancer nos équipements de transports collectifs, mieux prévenir les délocalisations au sein de l'Union européenne par l'harmonisation de nos réglementations sociales, améliorer la coordination de nos politiques de recherche, penser une politique commune de défense fondée sur le droit et la prévention des conflits.
Autrement dit, les formes antérieures de la construction européenne, dans lesquelles l'économique « tirait » le politique en avant, dans lesquelles l'intergouvernemental « tirait » la décision commune au détriment de la représentation directe des peuples, ne conviennent plus à la période actuelle.
Je considère que les réponses apportées par le traité sur le plan institutionnel, si imparfaites soient-elles, fournissent les premières clefs pour ouvrir de nouvelles perspectives à notre continent.
La seconde raison qui m'amènera à voter « oui », c'est le fait que ce texte est finalement assez représentatif, sur la forme comme sur le fond, de l'idée que nous devons nous faire de la démocratie européenne.
D'autres l'ont dit avant moi, ce texte est le fruit d'un compromis : il représente, à un moment donné, le point d'équilibre auquel il est possible de parvenir entre des peuples différents, entre des opinions publiques et des traditions politiques différentes, entre des groupes de pression multiples et, bien sûr, entre des visions parfois opposées de la société.
De ce point d'équilibre, chacun ne retrouvera pas l'intégralité de ce qu'il pouvait attendre. Les Verts, qui auraient apprécié que l'on aille plus loin en matière fiscale ou énergétique, continueront à défendre une vision très fédérale de l'Europe, moins libérale et moins répressive.
Mais je comprends que d'autres, qui ont une vision moins intégrée ou moins régulatrice, puissent s'agacer des avancées bien réelles qui ont été apportées dans le domaine social, dans celui des services publics ou de l'élargissement du contrôle parlementaire.
Ce point d'équilibre, pour insatisfaisant qu'il soit encore, ne ferme aucune porte et ne grave rien dans le marbre, contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là.
Faudrait-il lui préférer le statu quo, c'est-à-dire une situation déséquilibrée et dangereuse, qui n'ouvre pas d'autres perspectives que celles du laisser-faire économique, écologique et social, et qui exclut donc la possibilité de renégocier tout le dispositif « à la hausse ».
Un cadre institutionnel, c'est-à-dire une règle commune pour vivre ensemble à un moment donné, ne fixe pas, en lui-même, le contenu des politiques qui seront suivies.
Il appartient aux peuples, élection après élection, de choisir ces politiques, et les affrontements ainsi que l'expression des divergences entre les programmes retrouvent alors toute leur dignité.
Que des adversaires politiques apprécient, ensemble, un traité constitutionnel européen comme un progrès, qu'ils puissent même le défendre, ensemble, au même moment, à telle ou telle tribune, cela ne signifie nullement qu'ils abdiquent leur propre personnalité.
Cela revient, au contraire, à défendre en Europe une certaine conception de la démocratie qui, depuis toujours et plus particulièrement aujourd'hui, au point où nous en sommes de la réalité des Etats, intègre forcément, à côté de la règle majoritaire, une part de consensus.
Cette façon de procéder peut constituer une référence majeure, bien au-delà de nos frontières, dans un monde qui cherche sa multipolarité et qui tente de construire de nouvelles formes de coopérations régionales.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, une fois que nous aurons adopté ce texte, il s'agira de convaincre nos propres électeurs.
M. Robert Bret. Tout reste à faire !
Mme Dominique Voynet. Mais les responsables politiques que nous sommes devront aussi essayer d'élever leur propre niveau de discours, en évitant au moins trois pièges : l'irresponsabilité, la facilité, l'inconséquence.
L'irresponsabilité, ce serait de faire injure à tous les arguments et à tous les défenseurs du « non ».
Les tensions fortes que produisent sur le plan social les politiques libérales actuelles ne sont pas sans conséquence sur la vision négative de l'Europe que peuvent avoir les plus exposés de nos concitoyens.
Ces tensions s'ajoutent à l'extrême complexité du processus et à la distance excessive entre les institutions de l'Union et la vie quotidienne de nos concitoyens.
C'est une raison de plus pour ne pas mettre sur le dos de l'Europe tout ce qui va mal, en s'attribuant sans vergogne les progrès considérables qu'elle a permis.
Le deuxième piège serait de tomber dans la facilité, en faisant, par exemple, miroiter à nos concitoyens que l'Assemblée nationale ou le Sénat pourraient s'affranchir des règles européennes auxquelles la France a pourtant souscrit au conseil des ministres ou devant la Commission.
La facilité serait encore de prétendre que, à budget constant, les inégalités considérables de l'Europe nouvelle pourraient être réglées demain, avec moins de moyens que ceux qui furent jadis mobilisés pour résoudre des différences nettement moins importantes.
M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes d'accord !
Mme Dominique Voynet. Le troisième risque serait de faire preuve d'inconséquence, de faire croire que l'Europe n'est que l'extension à d'autres pays de nos concepts et de nos façons de raisonner, alors que, comme tous les autres peuples, nous avons à inventer un modèle original, sans précédent, qui emprunte aux uns et aux autres et pas seulement à nous-mêmes.
Nous ne gagnerons rien à entretenir l'idée que l'Europe ne changera rien pour nous. Ainsi, je ne crois pas que les avancées à venir de l'Union seront sans incidence sur la transformation de nos institutions dans un sens plus parlementaire ou sur la réforme de notre administration locale dans le sens du resserrement du nombre de nos échelons territoriaux.
Je ne doute pas que, ayant adopté ensemble la révision constitutionnelle, puis le traité constitutionnel européen, nous saurons profiter de ce moment de démocratie européenne pour renforcer le « parler vrai » sans lequel la démocratie française peinera à retrouver ses propres couleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF. - M. Paul Blanc applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, il n'est pas simple d'être le dernier orateur d'un débat aussi riche, aussi dense et aussi grave !
M. Bernard Frimat. Il en faut un !
M. Paul Girod. Je me contenterai donc de livrer quelques brèves réflexions.
Je suis un parlementaire dont l'enfance s'est écroulée dans les fracas de 1940 et qui a vécu son adolescence dans l'exaltation d'un pays retrouvant sa liberté, sa dignité et son efficacité.
Mais cette exaltation était tempérée par l'angoisse qu'il sentait chez son père, vétéran de 1914-1918, lequel avait vu les querelles internes de l'Europe faire s'écrouler les espoirs que l'issue de la Première Guerre mondiale avait pourtant fait naître.
Le jeune homme que j'étais a découvert peu après que notre continent avait été à l'origine des pires déviations mentales que les hommes ont pu fabriquer, à savoir le nazisme et, sous une certaine forme, le stalinisme.
Puis, petit à petit, il a vu dans la construction européenne la solution à ses angoisses de jeunesse.
Au cours du débat dans lequel nous sommes tous plongés en ce moment, ces sentiments-là doivent être présents en permanence dans nos esprits. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
Au cours de ce même débat, nous avons aussi à porter le message de notre peuple aux peuples d'Europe, notamment au peuple allemand avec lequel nous nous sommes réconciliés.
Dans mon département, il est un endroit où la mémoire des batailles de 1940 est célébrée, ensemble, par les vétérans d'une division allemande et ceux d'une division française : les premiers déposent une gerbe sur le monument français, tandis que les seconds déposent une gerbe sur le monument allemand.
Il ne faudrait donc pas laisser croire aujourd'hui que le peuple français puisse émettre un signal négatif en direction des autres peuples d'Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
C'était déjà mon sentiment à l'occasion du traité de Maastricht, malgré toutes les imperfections de ce dernier. Aujourd'hui, au moment où certains nous disent que mieux aurait valu que l'approfondissement précède l'élargissement, ce sentiment est encore plus fort.
Or que faisons-nous d'autre, actuellement, que l'approfondissement ? Que faisons-nous d'autre que de donner un sens à l'élargissement, que d'ouvrir des perspectives de développement aux peuples situés plus à l'Est, qui ont connu des épreuves plus dures que les nôtres, qui ont à découvrir toutes les voies de la démocratie et toutes les voies du développement ? Cela nous imposera des sacrifices, mais cela suscite en même temps l'espoir de chasser définitivement les bruits de bottes de notre continent. Et Dieu sait qu'une telle perspective n'était pas facile à envisager voilà cinquante ans !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !
M. Paul Girod. Pour moi, pour beaucoup d'entre nous, la conséquence est évidente : nous voterons « oui » à ce projet de loi constitutionnelle comme au référendum.
Certes, il y a bien sûr des débats dans le débat, en particulier sur le rôle retrouvé du Parlement et sur l'adaptation de son organisation interne pour débattre de l'avenir de l'Europe.
Je ne suis pas sûr que nous ayons intérêt à « polluer » le débat sur la réalité actuelle de l'avancée de l'Europe par des querelles internes sur l'organisation du Parlement. A ma connaissance, et à la lecture du texte, la modification constitutionnelle proposée nous ouvre toutes les voies possibles pour organiser, dans notre règlement, la manière dont notre assemblée mettra en oeuvre son moyen d'expression s'agissant des domaines sur lesquels elle sera consultée. Cela a d'ailleurs été dit tout à l'heure avec beaucoup de flamme par Jacques Blanc.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que, au-delà des incidences législatives, nous soyons également mieux informés des incidences financières envisagées par l'Europe, ce qui n'est pas prévu dans l'état actuel des textes. Le Gouvernement français devrait en effet s'engager à fournir au Parlement français une information plus large à chaque fois que l'Union européenne prendra des initiatives qui peuvent s'avérer finalement désastreuses pour les finances ou l'économie françaises. Nous aurons éventuellement notre mot à dire sur ces questions.
Cela étant dit, l'essentiel est devant nous : sur notre continent, il y a un espoir, une construction à opérer, des peuples à aider dans leur développement et une solidarité à créer. Au final, cela fait toute une série de « oui » à exprimer. Commençons ce soir, en attendant la suite ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier l'ensemble des orateurs qui ont permis, à l'évidence, d'éclairer ce débat sur la révision constitutionnelle et de l'enrichir.
Je souhaite donc répondre aux interrogations et faire quelques réflexions, en écho à ce qui a pu être dit au cours de l'après-midi et de la soirée.
Je commencerai par la portée du traité, car, en vérité, de nombreux orateurs se sont exprimés non pas sur le présent projet de loi constitutionnelle, mais sur le traité qui sera soumis à nos concitoyens.
M. Gélard s'est notamment interrogé sur la pertinence du terme « constitution », préférant la terminologie « statuts » de l'Europe.
D'une part, l'utilisation du terme « constitution » n'est pas anodine, car elle traduit, dans ce traité, les avancées de la construction européenne. Il s'agit d'avancées non seulement sur le plan juridique, avec l'attribution de la personnalité juridique à l'Union européenne ou la reconnaissance du citoyen de l'Union comme sujet de droit, mais également, comme Jacques Blanc l'a évoqué tout à l'heure, sur le plan politique.
D'autre part, il est exact de souligner que ce texte est, formellement, un traité interétatique.
Il est important de le redire, les Etats restent le fondement juridique de l'Union européenne, laquelle n'aura pas la compétence de définir sa propre compétence et ne disposera pas de pouvoirs de contrainte sur ses membres. Enfin, le traité comporte des stipulations réaffirmant le caractère interétatique de la construction européenne.
Monsieur le rapporteur, vous avez aussi très justement souligné le fait que coexisteront deux ordres : l'ordre juridique communautaire, dans lequel le traité sera la norme supérieure, et l'ordre juridique interne, dans lequel, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel le 19 décembre 2004, la Constitution reste la « norme juridique suprême ». A cet égard, les juridictions nationales font et feront prévaloir notre Constitution sur ce traité, comme sur tout autre, ce qui me semble de nature à rassurer chacun, quelles que soient les interprétations du juge communautaire sur la portée de la Charte des droits fondamentaux.
Mme Borvo Cohen-Seat a critiqué la Charte, en redoutant qu'elle ne constitue un recul par rapport à nos valeurs, par exemple sur le principe de laïcité.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Oh !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. De ce point de vue, la décision du Conseil constitutionnel est de nature à nous rassurer puisque ce dernier a écarté de telles craintes. Il a relevé que le traité pose que les droits énoncés par la Charte doivent être « interprétés en harmonie avec les traditions constitutionnelles nationales ». Or ces traditions incluent, comme l'ont jugé le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme, ce principe de laïcité. Par conséquent, madame la sénatrice, votre crainte n'est pas fondée.
Monsieur Masseret, s'agissant toujours de la portée du traité, vous avez regretté que l'approfondissement de l'Union européenne ait suivi son élargissement.
Pour comprendre le sens des évolutions, reportons-nous quelques années en arrière. Rappelons-nous l'effondrement du mur de Berlin et la réunion, les retrouvailles de l'Europe, et la force qui a été la leur ! Comment pouvions-nous, à ce moment-là, refuser l'élargissement ? Cela n'avait pas de sens et n'était donc pas possible. Les nouvelles démocraties avaient un tel appétit de rejoindre l'Union européenne qu'il y avait une sorte d'exigence morale à leur en ouvrir les portes. C'est donc en se souvenant du déroulement historique que nous pouvons comprendre la priorité qui a été donnée à l'élargissement.
Quant à l'approfondissement, M. Paul Girod vient de le dire à l'instant, nous y sommes ! En tant que ministre de la justice, confronté depuis bientôt trois ans à la pratique des conseils des ministres de la justice et de l'intérieur, au cours desquels les décisions sont prises à l'unanimité, je ressens à chaque fois la nécessité de passer à un autre mode d'organisation permettant d'avancer sur des sujets très importants pour la vie quotidienne de nos concitoyens. En ce sens, l'adoption de la règle de la majorité qualifiée constitue une réponse pertinente, car cela nous permettra d'aller de l'avant et d'approfondir la construction européenne. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Bizet a souligné les avancées permises par le traité, avec, entre autres, la disparition des trois piliers, en particulier du troisième pilier que je viens d'évoquer.
Mme Voynet a rappelé à juste titre la nécessité de modifier les processus des décisions européennes. Il est évident que, dans une Europe à vingt-cinq, nous devons travailler autrement. Il suffit d'ailleurs d'entrer dans la salle où se tiennent les conseils des ministres, avec vingt-cinq Etats représentés autour de la table, pour comprendre « physiquement » que l'organisation doit être différente : c'est en effet non plus une salle de réunion pour des négociations intergouvernementales, mais quasiment une petite assemblée, ce qui rend nécessaire de prendre les décisions différemment. Or ce traité, grâce à son élaboration par la Convention, qui a été rappelée à juste titre par un certain nombre d'orateurs, permet une telle avancée.
S'agissant de l'extension des compétences et de l'ampleur des actions européennes, elles nécessitent depuis longtemps une meilleure association des parlements, comme l'ont rappelé très justement un certain nombre d'intervenants, notamment Mme Voynet.
Concernant la portée de la révision, vous avez souligné, monsieur de Rohan, que les résolutions votées par le Parlement ne doivent pas modifier les équilibres entre les pouvoirs exécutif et législatif. Selon vous, « il n'y a jamais eu de diplomatie parlementaire ».
Ces considérations ont conduit le Gouvernement à repousser quelques amendements, tout en comprenant la nécessité de ce qui a été souhaité par un certain nombre de parlementaires au cours du débat, à savoir la recherche d'une bonne articulation entre les travaux du Gouvernement et du Parlement, qui doivent être réalisés en commun, s'agissant de l'élaboration des actes législatifs européens. Le projet de loi constitutionnelle qui vous est proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, permet de construire cet équilibre.
M. Fauchon a évoqué plus particulièrement l'article 88-4. Il a souhaité que, sur demande de la conférence des présidents, tout projet d'acte européen soit transmis au Parlement et puisse faire l'objet d'une résolution. Or le Gouvernement ne souhaite pas, je le répète, que, à l'occasion de cette modification constitutionnelle qui vise l'association du Parlement national au fonctionnement de l'Union européenne, il y ait une modification de l'équilibre interne français entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Pour autant, le Gouvernement a fait des propositions et a accepté un certain nombre de suggestions qui permettent le renforcement des prérogatives du Parlement en la matière. Vous le savez, deux voies ont été ouvertes.
Il s'agit, d'une part, de l'adoption à l'Assemblée nationale d'un amendement relatif à la transmission au Parlement des actes législatifs européens et à la possibilité de voter des résolutions sur ces actes, même s'ils ne relèvent pas du domaine de la loi au sens de la Constitution de 1958.
Il s'agit, d'autre part, de l'engagement très ferme pris par le Premier ministre sur la modification des modalités de transmission des documents au Parlement, lesquelles étaient régies jusqu'à présent par une circulaire de 1999. Cette circulaire sera modifiée : la transmission deviendra la règle, et l'absence de transmission, l'exception, même si les documents concernés ne relèvent pas du domaine législatif européen.
M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, vous a invités, mesdames, messieurs les sénateurs, à innover pour le traitement des affaires européennes, y compris en permettant aux délégations pour l'Union européenne de voter des résolutions sur le fondement des articles 88-4 et 88-5.
Je veux dire, comme l'a d'ailleurs suggéré M. Haenel lui-même, que cette question n'est pas de nature constitutionnelle. Elle relève aujourd'hui, comme ce sera également le cas demain, après l'adoption du traité, de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, d'une part, et du règlement intérieur de chaque assemblée, d'autre part.
Je tiens à indiquer à MM. Hubert Haenel et Jacques Blanc que le projet de loi constitutionnelle n'interdit pas de confier aux délégations le pouvoir de voter des résolutions. Il est exact que cela apporterait sans doute de la souplesse au fonctionnement de votre assemblée. Quoi qu'il en soit, ces choix vous appartiendront après le vote de la présente révision, car le texte constitutionnel n'interdit pas une telle option.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Parfait !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Mme Boumediene-Thiery a critiqué la saisine préalable du Conseil constitutionnel, ce qui, je ne vous le cache pas, m'a quelque peu étonné puisqu'il s'agissait d'une obligation pour le Président de la République. Ce dernier, en effet, se doit de respecter les articles de la Constitution, en particulier l'article 54 selon lequel l'autorisation de ratifier un traité ne peut intervenir qu'après la révision des dispositions constitutionnelles auxquelles ce traité a été jugé contraire par le juge constitutionnel.
Cette saisine était donc un préalable nécessaire pour engager l'ensemble du processus : avis du Conseil constitutionnel, révision préalable de la Constitution, puis, éventuellement, ratification du traité constitutionnel européen.
A propos de la portée de la révision, M. Portelli a qualifié le projet de loi constitutionnelle de « minimaliste ». Or la rédaction de l'article 88-1 témoigne d'une véritable ambition. En effet, au lieu d'établir une liste des compétences transférées, cet article se réfère purement et simplement au traité lui-même, en disposant que, « dans les conditions fixées par le traité..., la République française participe à l'Union européenne... » .
Certes, monsieur Portelli, le traité établissant une Constitution pour l'Europe est une étape décisive de la construction européenne. Le Parlement, notamment, doit s'y adapter, puisqu'il est désormais largement associé à la préparation et au contrôle des actes de l'Union européenne.
S'agissant toujours de la portée de la révision constitutionnelle, M. Jacques Blanc a justement souligné les « avancées formidables », notamment celles qui visent à rapprocher l'Europe des citoyens. Je crois effectivement que c'est l'une des questions centrales.
Je ne peux d'ailleurs que me réjouir, avec beaucoup d'entre vous, du fait que ce second traité de Rome apporte enfin des réponses à des questions que nous nous posons publiquement, les uns et les autres, depuis bien longtemps, sur la nécessité d'une Europe plus proche des citoyens, grâce à une association plus directe des élus nationaux au fonctionnement de l'Union européenne. Il est vrai, toutefois, que le Parlement et le Gouvernement devront mettre en oeuvre concrètement ce traité, afin de le faire « vivre ».
Peut-être pouvons-nous penser - mais ayant été, il n'y a pas si longtemps, parlementaire, je ne me permettrai ni un conseil ni une leçon -, au vu du nombre de documents transmis au Parlement et du peu de résolutions qui sont votées, qu'il y a mieux à faire, plus d'initiatives à prendre et plus de propositions à formuler. (M. le président de la délégation pour l'Union européenne acquiesce.) Cela nécessiterait, bien sûr, des efforts d'organisation, car les assemblées sont déjà submergées, nous le savons bien, par des ordres du jour extrêmement lourds. Au demeurant, j'ai indiqué tout à l'heure à M. Haenel que les choix concernant cette organisation incomberont aux deux assemblées.
Monsieur Frimat, vous avez critiqué les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle qui sont relatifs à l'organisation d'un référendum pour les adhésions futures à l'Union européenne, ce qui me paraît paradoxal.
En effet, comment ne pas dire aujourd'hui aux Français, au moment où ils vont être interrogés sur le traité de Rome signé en octobre dernier, qu'ils pourront également se prononcer sur les adhésions futures à l'Union européenne ? Nous savons bien, puisque la politique est l'art du concret et du réel, que nos concitoyens s'interrogent aussi sur cette question. Leur donner la certitude qu'ils pourront s'exprimer, le jour venu, sur une question qu'ils se posent, qu'on le veuille ou non, est une attitude à la fois réaliste et propice à l'adoption du traité constitutionnel européen.
M. Badinter a également critiqué les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle. Comme il l'a dit lui-même, cette critique rejoint celle qu'il fait sur la nature même du référendum. Même si je ne vais pas rouvrir le débat sur un sujet aussi vaste, je tiens à dire que je ne partage pas une telle réticence à l'égard de cette expression directe de la démocratie. Nous devons, selon moi, prendre en compte le fait que les Français souhaitent se prononcer sur une éventuelle adhésion. Il me semble raisonnable et nécessaire de leur garantir ce moyen d'expression.
Monsieur Mauroy, vous avez avec force et raison souligné que le débat sur l'adhésion de la Turquie n'est pas celui de la présente révision constitutionnelle. Comme M. Baylet, vous avez fait part de vos convictions en la matière.
Quoi qu'il en soit, je souhaite vous remercier d'avoir bien distingué les deux questions. Il reviendra au peuple français de décider sur ces deux points, dans quelques semaines pour le traité constitutionnel européen, et dans dix ou quinze ans pour la question turque.
Mettons tout en oeuvre, comme vous l'avez suggéré, monsieur Mauroy, pour que nos concitoyens répondent bientôt positivement au référendum sur le traité constitutionnel. Il y va de l'avenir de l'Europe. Tous ceux qui partagent votre conviction sur la nécessité de poursuivre la construction européenne ne peuvent que suivre votre conseil.
M. Mercier a également critiqué la modification constitutionnelle relative à l'organisation d'un référendum pour l'adhésion de nouveaux Etats.
Quoi qu'il en soit, je souhaite répondre à l'une de ses interrogations, en lui apportant une précision. Dans l'expression « traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne », l'utilisation du singulier a une valeur non pas quantitative mais générique, comme c'est également le cas à plusieurs reprises dans la Constitution de 1958. Cela englobe bien sûr le cas où le traité porterait sur l'adhésion de plusieurs Etats : il n'y aurait évidemment alors qu'un seul référendum, comme ce fut le cas, même si nous avons oublié cet épisode, lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne.
Monsieur Retailleau, vous avez critiqué la construction même de l'Union européenne et le nouveau traité, en dénonçant plus particulièrement la directive Bolkestein.
Puisque cette directive a été évoquée à plusieurs reprises, je ne peux pas manquer d'apporter quelques informations au Sénat sur ce sujet.
Tout d'abord, cette directive - je le redis mais c'est une évidence - n'a rien à voir avec le nouveau traité.
Ensuite, il s'agit d'un projet. Depuis qu'il est élaboré au sein de la Commission, j'ai alerté depuis bientôt un an mes homologues européens ainsi que les représentants des professions juridiques, qui relèvent de ma responsabilité.
Cet avant-projet n'en est qu'à sa phase de prérédaction et, voilà quelques semaines, le Président de la République et le Gouvernement ont demandé à la Commission la « remise à plat » de ce projet. Ils ont obtenu satisfaction. Ne doutez pas de notre vigilance pour la suite de ces travaux.
M. Seillier a insisté sur la nécessaire mise en oeuvre du principe de subsidiarité, sujet d'ailleurs évoqué par plusieurs orateurs. Il est exact que les innovations du traité, qui comprend deux protocoles annexés sur ce point, sont importantes. L'article 88-5 va également dans le même sens.
Pour conclure ces brèves réponses, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite revenir d'un mot sur le caractère extraordinairement positif de la construction européenne, de l'aventure européenne : pour notre génération et pour celles qui sont à venir, c'est un projet extraordinaire, un horizon nouveau.
M. Paul Girod a eu raison de rappeler avec émotion le sens profond de réconciliation qu'a la construction européenne : cette dernière a en effet permis la réconciliation franco-allemande, puis la réconciliation entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est, et la construction d'un pôle démocratique, d'un pôle de liberté, d'un pôle représentant une certaine conception de la solidarité sociale. Tout cela mérite bien que nous fassions un nouveau pas en direction d'une plus grande construction de l'Europe.
Voilà, au-delà du projet de loi constitutionnelle que je vous présente, mesdames, messieurs les sénateurs, le sens profond de notre débat d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
La discussion générale est close.
Motion d'ordre
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d'aborder l'examen de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, je voudrais soumettre au Sénat une motion concernant les modalités de discussion de l'article 3.
Cet article, qui rédige le futur titre XV de la Constitution, fait l'objet d'un amendement de suppression n° 49 du groupe CRC et de seize amendements portant sur les articles 88-1 à 88-7 de la Constitution.
L'amendement de suppression a pour effet mécanique de mettre en discussion commune ces seize amendements qui traitent pourtant de sujets différents.
Afin de clarifier notre débat, je vous propose, en accord avec M. le président de la commission des lois, d'examiner séparément l'amendement n° 49 tendant à la suppression de l'article 3, puis, article par article de la Constitution, les seize autres amendements portant sur cet article 3. Notre débat y gagnera ainsi en clarté et en lisibilité.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Retailleau et Darniche, d'une motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 167, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la motion.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le monde est composé presque entièrement d'Etats souverains dont le nombre n'a jamais été aussi élevé, et alors que le premier réflexe des peuples privés hier de liberté, de l'Ukraine à l'Irak, est de reconquérir leur souveraineté, par quel paradoxe voudrait-on qu'aujourd'hui les pays d'Europe sortent de l'histoire en dépassant la figure de l'Etat-nation, qui a pourtant été le lieu naturel de l'exercice de la souveraineté et de la démocratie ?
Bien sûr, nous avons été habitués, depuis quinze ans, à ces révisions incessantes de notre Constitution pour mieux partager, nous a-t-on toujours dit, notre capacité de décision. Mais cette fois-ci, l'ampleur des modifications qu'on veut nous faire admettre est telle que la nature même de notre logiciel institutionnel en sera affectée.
Le traité pour lequel notre Constitution est révisée amputera de façon irréversible et irréparable notre souveraineté, tout en aggravant - c'est ma conviction ! - le déficit démocratique qui caractérise la construction européenne.
Tout d'abord, le traité amputera notre souveraineté par trois mécanismes principaux.
Le premier est celui qui consacre la primauté du droit européen sur toutes nos normes juridiques nationales, même adoptées dans les formes les plus solennelles. L'article I-6 signifie que la Constitution européenne et toutes les autres formes de droit européen ont une autorité supérieure à toutes les formes de droits nationaux, y compris la Constitution.
L'argument selon lequel cette disposition était déjà présente dans la jurisprudence de la Cour de justice du Luxembourg ne tient pas, et ce pour deux raisons : d'abord, cette jurisprudence n'a jamais été inscrite dans un traité et n'a donc jamais été ratifiée explicitement par le peuple français ; ensuite, l'article I-6 étend considérablement la portée de cette jurisprudence forgée dans une Communauté européenne aux compétences techniques et limitées : celles des années soixante et soixante-dix. Dès lors que le droit européen s'appliquera demain à de nouvelles compétences de souveraineté et qu'il sera de plus en plus fixé à la majorité qualifiée, la supériorité de la norme européenne acquerra un tout autre statut.
En constitutionnalisant la jurisprudence de la Cour de justice, on lui confère une autorité constitutionnelle et on prépare l'effacement définitif de notre Constitution.
L'autre argument qu'il faut réfuter est celui de la compatibilité de ce principe de primauté avec notre Constitution, comme l'aurait reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre dernier.
En réalité, dès qu'un conflit entre la norme interne et la norme européenne se produira, le Conseil constitutionnel perdra la maîtrise de sa jurisprudence sur ce qu'il nomme les « dispositions expresses » de notre loi fondamentale. En effet, c'est tout simplement la Cour de justice de l'Union qui tranchera à terme, et elle se prononcera toujours en faveur d'une vision extensive du droit européen, comme elle l'a toujours fait !
Du reste, tous ceux qui ont lu le rapport Mazeaud préparatoire à la décision historique du 19 novembre dernier - j'espère que vous êtes nombreux dans ce cas ! - n'ont pas toujours été convaincus par l'argumentation juridique du rapporteur. D'ailleurs, lui-même l'a-t-il été ? Il déclare en effet ceci : « Votre rapporteur a beaucoup hésité. La solution qu'il vous proposera n'est pas la plus évidente juridiquement et n'était pas initialement la sienne. »
Le deuxième mécanisme qui contribuera à un affaiblissement de notre souveraineté est la généralisation de la règle de la majorité qualifiée, qui ne permettra plus à l'Etat de contrôler l'exercice de ses compétences souveraines.
Le nouveau système de décision proposé par la Constitution est encore moins favorable à la défense des intérêts de la France. A Nice, notre pays avait, par angélisme, accepté un recul drastique du nombre de ses députés européens en contrepartie du maintien de la parité avec l'Allemagne pour les voix au Conseil. Nouvelle étape, la formule de la double majorité conduira à un nouvel affaiblissement de la France.
La France pèsera donc moins au moment où de plus en plus de décisions, notamment sur les vingt-cinq nouveaux domaines de compétences, seront prises selon la règle de la majorité qualifiée. Cela signifie aussi qu'elle perdra la maîtrise de ses choix et de son destin, en se voyant parfois imposer des décisions contraires à l'intérêt national.
Même pour des compétences pour lesquelles l'unanimité est requise, telle la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, des clauses passerelles permettront, à terme, de faire passer celles-ci dans le champ de la majorité qualifiée. Il suffira alors d'un vote du Conseil à l'unanimité pour faire basculer la PESC dans le champ des votes à la majorité.
Ce type de clause « intégratrice » n'est pas raisonnable. Imaginez un vote à la majorité qualifiée pendant la guerre d'Irak : nos soldats se retrouveraient aujourd'hui engagés dans ce conflit !
Et à quand la suppression du siège de la France au Conseil de sécurité de l'ONU - M. Jacques Baudot y a fait allusion - préconisée par le Parlement européen dans le rapport Laschet ?
Mes chers collègues, ce n'est pas l'unanimité qui crée l'impuissance collective. L'expérience a montré que les plus grands succès européens - Airbus, Ariane, le CERN - ont été ceux de la coopération intergouvernementale.
Le troisième mécanisme d'affaiblissement de notre souveraineté est le transfert massif de compétences, qui transforme la souveraineté française en une coquille vide.
Avec la fusion des trois piliers, des compétences essentielles qui affectent l'exercice de la souveraineté nationale, comme la PESC ou encore l'espace de liberté, de sécurité et de justice, seront définitivement transférées.
Au passage, la clause de sauvegarde de l'accord de Schengen qui permettait à un Etat membre de rétablir unilatéralement le contrôle à ses frontières a disparu. Le Président de la République, Jacques Chirac, a d'ailleurs utilisé cette faculté voilà quelques années.
C'est simple, Bruxelles va pouvoir se mêler de tout, ou de presque tout : de sport, de tourisme ou encore de protection civile. C'est aussi la loi européenne qui définira les principes et les conditions qui permettront aux services publics d'accomplir leurs missions ; c'est elle qui fixera les politiques d'immigration et de gestion des frontières extérieures. Elle s'arroge même le droit, dans l'article III-168, de dire aux Etats membres comment intégrer chez eux les ressortissants des pays tiers.
Mais le transfert le plus lourd de conséquences résultera peut-être de la « constitutionnalisation » de la Charte des droits fondamentaux. Avec elle, l'Union gagne la compétence de définir les droits applicables à ses citoyens, puisqu'on crée une citoyenneté européenne. Bien sûr, il est proclamé que cette Charte ne concerne que les institutions de l'Union. Mais c'est un leurre ! Dès qu'il y aura un conflit entre les interprétations - je pense, par exemple, au principe de laïcité -, c'est la Cour de justice qui aura le dernier mot.
En tout état de cause, trois catalogues de droits vont désormais se chevaucher : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Convention européenne des droits de l'homme et la Charte. Pierre Mazeaud a affirmé ceci dans son rapport préparatoire : « Je tiens cette initiative pour inutile et dangereuse du point de vue de la sécurité juridique ».
Et pour ceux qui auraient encore des doutes sur cette dérive « intégratrice » et sur la conception du principe de subsidiarité, je citerai deux exemples.
Le premier exemple concerne l'article I-12, qui donne cette très belle définition des compétences partagées : les Etats pourront intervenir dans ces domaines pour peu que l'Union refuse de le faire. C'est le principe de subsidiarité inversé !
Le second exemple est celui de la clause de flexibilité - il s'agit de l'article I-18 -, qui facilite l'extension des compétences de l'Union.
Le projet constitutionnel contient de très nombreux articles pour étendre toujours plus les compétences de l'Union, mais pas un seul pour rendre des compétences aux Etats. Est-ce vraiment cela la définition du principe de subsidiarité ?
La direction est désormais claire, et elle est univoque. Si telle est votre conviction, il faudra le dire clairement aux Français ! Le principe directeur de la Constitution est d'installer un pouvoir de décision central supranational et un noyau fédéral.
Mais lorsqu'on affaiblit la souveraineté nationale, on affaiblit aussi la démocratie. L'une et l'autre sont en effet indissociables ! C'est d'ailleurs tout le sens de l'article 3 de la Constitution de 1958.
Le déficit démocratique de cette construction européenne lui est consubstantiel. Tant qu'il n'y aura pas un seul peuple européen, il n'y aura pas de démocratie européenne. Tant que le sentiment européen ne sera pas assez fort pour relayer les solidarités forgées par des siècles d'histoire, il sera dangereux de marginaliser les démocraties nationales, qui sont les seuls remparts contre la mondialisation.
Or ce projet de traité augmente encore le déficit démocratique de l'Union, contrairement au mandat de Laeken.
Si la phrase symbolique de Thucydide, qui devait figurer dans le préambule, a été supprimée, c'est extrêmement révélateur. Je vous la rappelle, pour le cas où vous l'auriez oubliée : « Notre Constitution est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité mais du plus grand nombre. »
Cette Constitution augmentera le déficit démocratique de l'Union de trois façons.
D'abord, les pouvoirs-clés de l'Union n'ont aucune légitimité démocratique, et on a pris soin de ne pas leur en donner.
Les deux instruments principaux de cet échafaudage supranational sont la Commission et la Cour de justice : la Commission, qui « promeut l'intérêt général de l'Union » - il s'agit de l'article I-26 - et la Cour de justice, juge ultime de la subsidiarité, de l'interprétation de la Charte et de l'arbitrage des conflits, lesquels ne manqueront pas de naître dans l'application du droit interne et du droit européen.
C'est ainsi que l'Union sera dirigée par des autorités indépendantes : non par des élus, mais par des experts. D'ailleurs, on a bien pris soin de faire en sorte que le Président du Conseil, qui pourrait, lui, avoir une légitimité démocratique, ne soit pas un élu.
Et comme si ce n'était pas suffisant, le président du Conseil est concurrencé, notamment en matière de représentation extérieure de l'Union, par le ministre des affaires étrangères - la délimitation des compétences est encore très floue - et par le président de la Commission avec lequel il sera contraint de préparer les travaux du Conseil.
Ce cadre juridique constitutionnel découle, en fait, d'une idée fausse, quoique moderne : la bonne gouvernance passe par l'indépendance. Mais, mes chers collègues, il ne peut y avoir de démocratie là où le peuple est gouverné par des autorités indépendantes, là où, comme le disait hier Tocqueville, « il est conduit par ceux qui, sans le représenter, savent quel est son plus grand bien ».
Je vous le concède, la tentation actuelle est sans doute moins de bâtir un nouvel ordre antidémocratique que d'élaborer un ordre post-démocratique. Cette constitution a été inspirée par cette idée post-moderne d'une société civile apolitique prise en charge par des élites éclairées. Le mouvement dans lequel elle s'inscrit signifie la dépolitisation de la vie des peuples, c'est-à-dire la réduction de leur existence collective aux activités de la société civile. Désormais, la communauté des ayants droit remplace la communauté des citoyens : d'où cette avalanche de « droits-créances » dans la Charte, d'où cette référence constante aux droits des minorités, qui est la négation de la tradition républicaine française, laquelle ne reconnaît que des citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion !
Le déficit démocratique est ensuite aggravé par la violation du principe de la séparation des pouvoirs.
La séparation, l'équilibre et la transparence des pouvoirs sont les critères d'identification d'une démocratie. C'est d'ailleurs la première exigence formulée pour la reconnaissance d'un nouvel Etat, notamment sur le plan international.
Le traité tend à instituer un pouvoir aux compétences régaliennes de plus en plus larges, qui édictera ses lois sans que les fonctions législatives et exécutives soient clairement séparées et sans identification précise et claire des responsabilités politiques.
La confusion est même totale puisque la Commission, tout en étant l'organe exécutif principal, bénéficie du monopole absolu d'initiative législative : cette compétence exclusive acquiert une redoutable efficacité du fait de l'extension des compétences de l'Union combinée avec la règle de la majorité qualifiée.
Enfin, le déficit démocratique est accentué par la marginalisation soigneuse des démocraties nationales.
Je voudrais ici insister sur le rôle des parlements nationaux et sur les clauses passerelles.
On proclame partout, y compris dans cet hémicycle, que le protocole n° 1 garantit un rôle nouveau des parlements nationaux. Qu'en est-il vraiment ? Certes, les parlements pourront disposer de deux innovations principales : le droit d'opposition à la procédure de révision simplifiée du traité et ce que j'appellerai le mécanisme de l'« alerte précoce » pour garantir le principe de subsidiarité.
Mais il faut fortement nuancer la portée de ces nouveaux droits. En effet, dans le premier cas, c'est bien le moins qu'un Parlement puisse s'opposer à une révision simplifiée dans la mesure où le peuple souverain ne serait pas consulté. Dans le second, il s'agit d'une disposition trompe-l'oeil puisque les avis motivés des parlements concernant le principe de subsidiarité seront, si j'ose dire, subsidiaires. Le dernier mot appartiendra soit à la Commission, en vertu de l'article I-11, soit à la Cour de justice, selon l'article 8 du protocole n° 2, cette dernière demeurant l'arbitre ultime de la subsidiarité. D'ailleurs, la position des juges de Luxembourg est connue d'avance.
En résumé, les parlements gagnent le pouvoir de donner des avis et ils perdent celui de faire la loi puisque la loi française sera, dans la plupart des cas, un simple décret d'application de la loi européenne.
Quant aux nombreuses clauses passerelles qui émaillent l'ensemble du traité, elles n'ont d'autre objet que de permettre un glissement vers des formules de plus en plus supranationales, permettant d'échapper au contrôle démocratique, c'est-à-dire de s'affranchir des règles de révision normales du traité.
Il est donc évident que ce texte aggrave les déficits démocratiques de l'Union. Le rêve prométhéen d'une démocratie européenne vaut-il que l'on sacrifie les démocraties nationales tant que le peuple européen n'existe pas ?
C'est pourquoi, dans la mesure où la portée du traité sera définie, demain, par la Cour de justice, dont la jurisprudence a toujours tendu vers la suprématie de l'ordre juridique communautaire, notre Constitution sera placée sous la tutelle des juges européens.
Ce traité appelle donc non pas une révision de notre Constitution, mais l'avis du peuple français sur son abrogation de fait.
Pour l'ensemble de ces raisons, ce projet de loi constitutionnelle me paraît irrecevable.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Toute l'argumentation de notre collègue repose sur l'application de l'article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat, en vertu duquel il est possible de déposer une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité lorsque le texte en discussion « est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire... ».
Je suis au regret de dire que cette motion est contraire à notre Constitution et, par conséquent, irrecevable. Dès lors, il convient de la rejeter. Comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel, le constituant a tous les pouvoirs possibles. A cet égard, je ferai simplement référence au débat qui a opposé, au sein de la commission, MM. Rousseau et Badinter. Il est sans doute un seul cas dans lequel cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité pourrait être adoptée : si le projet de loi constitutionnelle portait atteinte à la forme républicaine du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret, Mmes Assassi et Beaufils, MM. Billout et Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Muzeau, Ralite, Renar, Vera, Voguet, Biarnès et Autain, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée Nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 167, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.
M. Robert Bret. Avant de commencer mon intervention, je souhaiterais formuler une observation concernant le déroulement des débats.
Cela n'a vraiment aucun sens d'examiner, comme nous le faisons au Sénat - contrairement à ce que fait l'Assemblée nationale - les motions de procédure après la discussion générale, ...
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez tout à fait raison !
M. Robert Bret. ... a fortiori à cette heure tardive.
Ce n'est pas la première fois que nous demandons la refonte de notre règlement intérieur pour résoudre ce problème et faire en sorte que la méthode et le fond se rejoignent.
M. Charles Revet. C'est juste !
M. Guy Fischer. Il a raison !
M. Robert Bret. Mes chers collègues, nous avons à examiner un texte d'une importance fondamentale pour l'avenir de la France et de la construction européenne.
Autant dire que ce projet de révision constitutionnelle mérite toute notre attention et que l'ensemble de nos concitoyens auraient dû être informés plus largement sur son contenu et sa portée.
Formellement, ce texte constitue la première étape vers l'adoption ou le rejet du traité établissant une Constitution pour l'Europe, sur lequel nos concitoyens auront à se prononcer dans les prochains mois. Rappelons que ce projet de révision constitutionnelle intervient à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité rendue par le Conseil constitutionnel, en date du 19 novembre 2004. Celui-ci a en effet considéré que la ratification du traité constitutionnel nécessitait une révision préalable de notre Constitution.
L'article 89 de la Constitution française de 1958 organise la procédure de révision constitutionnelle. Cet article dispose : « [...] Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
« Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés [...]. »
En somme, mes chers collègues, c'est le peuple qui devrait adopter, en principe, le texte par référendum.
Ainsi, il aurait été tout à fait raisonnable de choisir la voie référendaire et de coupler la révision de notre Constitution et la ratification du traité constitutionnel dans le cadre d'un seul et même référendum. Cela semble rationnel si l'on considère que l'objectif de la révision de la Constitution est précisément d'autoriser la ratification du traité constitutionnel.
Or le Gouvernement, à ce moment crucial de la construction européenne, a décidé de déroger à la règle de principe du recours à l'option référendaire au profit de la voie parlementaire.
En tout état de cause, la procédure choisie par le Gouvernement subtilise ce projet de loi à la réflexion citoyenne et alimente le déficit démocratique qui gangrène, comme on le sait, la construction européenne.
Le constat lucide du déficit démocratique qui marque la construction européenne est confirmé par ce projet de loi constitutionnelle et par le traité constitutionnel.
La notion de déficit démocratique qui caractérise la construction européenne renvoie au déséquilibre du système institutionnel communautaire. Elle constitue également une réflexion sur le contrôle exercé par le Parlement français sur l'activité communautaire du Gouvernement. Enfin, elle montre le fossé qui existe entre les décideurs et les citoyens.
A l'échelle communautaire, le déficit démocratique s'exprime tout particulièrement dans le fonctionnement du système institutionnel communautaire, qui ne recouvre pas la traditionnelle répartition des pouvoirs. Le Conseil, guidé par une Commission indépendante et supranationale disposant du monopole des propositions législatives, n'est soumis à aucun contrôle de nature politique de la part du Parlement européen. Le système n'est donc pas démocratique à l'origine. Il fait encore la part belle à la Commission et au Conseil des ministres.
Aujourd'hui, le constat que l'on peut faire est que la moitié des lois qui influent sur notre vie quotidienne de parlementaires sont issues de règlements ou de directives européennes. Or ces décisions qui s'imposent à nous proviennent de l'institution technocratique par excellence : je pense naturellement à la Commission européenne. Celle-ci détient un monopole en matière d'initiative des textes communautaires législatifs et bénéficie d'un pouvoir de décision autonome sur des questions aussi sensibles que le droit de la concurrence.
Or, non seulement les membres de la Commission n'ont aucune légitimité démocratique, mais, en outre, ils travaillent en étroite collaboration avec les multinationales européennes et internationales. On le sait, le lobbying est une méthode de travail privilégiée à Bruxelles. Les intérêts privés ont droit de cité et semblent même prévaloir sur l'intérêt général de nos peuples. Il suffit de lire la directive Bolkestein pour s'en convaincre définitivement.
A l'échelon national, le transfert de compétences nationales au profit des institutions européennes entraîne mécaniquement une régression des pouvoirs législatifs et financiers de nos assemblées. Or, dans le même temps, les gouvernements, au sein du Conseil des ministres, récupèrent des compétences nationales transférées, en participant à l'élaboration des décisions européennes. A cet égard, le traité constitutionnel et le projet de loi constitutionnelle semblent, à première vue, apporter une évolution positive sur le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel communautaire. Malheureusement, force est de constater que les prérogatives reconnues aux parlements nationaux sont absolument insuffisantes.
Tout d'abord, rappelons que les résolutions votées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution n'ont aucun caractère contraignant. Les résolutions parlementaires sont de simples prises de position sans pouvoir de contrainte. A la suite de l'adoption d'une résolution, le Gouvernement n'a d'obligation que celles qu'il veut bien se donner. L'effet des résolutions dépend donc de la volonté du Gouvernement. C'est pourquoi nous regrettons aujourd'hui que les résolutions votées dans le cadre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution ne confient pas de mandat impératif au Gouvernement, comme c'est le cas, par exemple, au Danemark.
M. Josselin de Rohan. Ce serait beau !
M. Robert Bret. S'agissant de l'évolution relative à l'application du principe de subsidiarité, on nous affirme que le protocole n° 2 annexé au traité constitutionnel fait des parlements nationaux les nouveaux garants du respect de ce principe. Le principe de subsidiarité signifie que, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union n'intervient que si les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les Etats membres, mais qu'ils peuvent être remplis à l'échelle de l'Union.
Le traité constitutionnel européen énonce, dans ses articles I-11 et I-259, que « les parlements nationaux veillent [...] au respect du principe de subsidiarité... ». A cette fin, le texte proposé par l'article 3 du projet de loi constitutionnelle pour l'article 88-5 de la Constitution dispose : L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. [...]
« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. [...]
« A ces fins, des résolutions peuvent être adoptées [...]. »
Loin de partager l'enthousiasme de certains sur l'apport de cette disposition, nous tenons à souligner que le contrôle du respect du principe de subsidiarité susceptible d'être exercé par les deux assemblées connaît des limites à la fois temporelles et matérielles.
En effet, le premier alinéa du nouvel article 88-5 est censé organiser le volet préventif de la procédure. Or l'avis motivé que chaque chambre d'un parlement national peut adresser aux institutions de l'Union européenne pour exposer les raisons pour lesquelles elle estime qu'un projet d'acte législatif européen ne respecte pas le principe de subsidiarité doit être formulé dans un délai de six semaines à compter de la transmission de ce texte. Pour faire court, on ne fait pas mieux !
En outre, cet avis ne peut concerner que les domaines de compétences partagées entre l'Union et les Etats membres et ne doit pas porter sur le bien-fondé du texte ou le respect du principe de proportionnalité. De plus, il ne peut faire l'objet d'amendements.
En clair, cet avis motivé, que certains nous présentent aujourd'hui comme un véritable pouvoir de contrôle politique - on parle de carton jaune, de carton rouge ! -, n'en est a priori pas un.
Rappelons que les avis motivés doivent représenter un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux pour que l'institution à l'origine du projet d'acte législatif soit obligée de procéder à un réexamen de sa proposition. Ensuite, à l'issue de ce réexamen, l'institution est libre de choisir de maintenir tout de même sa position.
Pour notre part, nous considérons, au contraire, qu'une majorité de parlements nationaux devrait avoir le dernier mot si elle estime qu'une mesure européenne méconnaît précisément le principe de subsidiarité ; or ce n'est pas ce qui nous est proposé.
Par ailleurs, des incertitudes subsistent quant à la définition des critères d'appréciation de la subsidiarité. En réalité, l'appréciation du niveau pertinent de l'action publique est un problème non pas juridique mais politique.
En effet, dès lors que le principe de subsidiarité paraît une orientation nécessaire du point de vue tant de l'efficacité que de la démocratie, on peut se demander pourquoi son application par les institutions communautaires continue à soulever d'importantes difficultés et n'est pas plus présente parmi les préoccupations des Etats membres. N'est-elle pas, pourtant, dans l'intérêt bien compris de la Communauté ?
Concrètement, l'insuffisante application du principe de subsidiarité résulte en grande partie du fait que les institutions communautaires, en l'absence de tout contrepoids, tendent inéluctablement à élargir constamment leur champ d'action. Et s'agissant de ce que l'on nous présente comme la phase de contrôle juridictionnel en aval de l'adoption d'un texte - tel est le sens de l'article 8 du protocole et de l'article 3, pour le texte de l'article 88-5, deuxième alinéa, du projet de loi -, il convient de rappeler que la possibilité offerte à chacune des deux chambres de saisir la Cour de justice d'un recours pour violation du principe de subsidiarité est enserrée, elle aussi, dans un délai de deux mois, les rares décisions rendues en la matière par la Cour montrant qu'elle n'exerce qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation des institutions de l'Union européenne.
Par ailleurs, le pouvoir reconnu, par le texte proposé pour l'article 88-6 de la Constitution par l'article 3 du projet de loi constitutionnelle, aux parlements nationaux de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée, laquelle met en cause « les conditions essentielles de la souveraineté nationale », n'est qu'un pouvoir d'empêchement relatif et ne saurait être en aucun cas un pouvoir de proposition.
D'une part, l'opposition ne peut intervenir que par le biais du parlement national, c'est-à-dire par la voie d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce qui donne à ce dernier un droit de veto quand la majorité de l'Assemblée nationale n'est pas de la même « couleur politique » ; d'autre part, nous contestons que cette procédure ne soit pas soumise au peuple souverain. Le recours à ces clauses passerelles exigerait, selon nous, une consultation des Françaises et des Français.
Mes chers collègues, comment ne pas voir le déficit démocratique qui résulte du fossé béant existant entre les décideurs et les citoyens européens, et ne pas reconnaître que la construction européenne s'est effectuée jusqu'à présent sans eux et loin d'eux ? Tout montre que la promesse démocratique a été abandonnée en chemin.
Lorsque l'autorité passe du niveau national au niveau européen, les citoyens mesurent que les décideurs sont bien loin et que les choses leur échappent sur des points essentiels qui conditionnent pourtant leur vie et leur avenir.
Désarçonnés par un système si différent sui generis, ils délaissent ce qui leur apparaît comme lointain, complexe et technocratique. Que constatent-ils ? Que la construction européenne a fait émerger une « Europe des gouvernements et des administrations », puisque c'est eux qui se sont révélés comme les principaux détenteurs du pouvoir normatif communautaire.
Il est donc urgent de combler ce déficit démocratique. Pour ce faire, nous devons transformer l'Union européenne, la diriger vers toujours plus de démocratie ; pour y parvenir, il convient que les représentants des peuples et les citoyens eux-mêmes se réapproprient le projet européen en exerçant un nouveau contrôle démocratique sur la conduite de la construction européenne.
D'aucuns considèrent que le traité constitutionnel européen comble ce déficit démocratique en faisant place à la démocratie participative, en instituant un droit d'initiative au profit d'un million de citoyens émanant d'un nombre significatif d'Etats membres. L'article I-47-4 du traité énonce que « la Commission peut, sur initiative d'au moins un million de citoyens de l'Union issus d'un nombre significatif d'Etats membres, être invitée à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution ». Reconnaissons qu'il s'agit là d'un très mince progrès !
Contrairement à ce qui est parfois affirmé, cet article n'introduit pas un référendum d'initiative populaire qui entraîne l'adoption d'une décision. En effet, l'initiative ne peut déboucher ni sur un référendum dans l'Union ni même sur son examen obligatoire par le Conseil et le Parlement. Elle est simplement une invitation faite à la Commission de présenter une proposition sous réserve qu'elle entre dans le cadre de ses attributions et qu'elle ait pour but de réaliser un objectif constitutionnel. La Commission peut ne pas donner suite à cette suggestion, et, si elle y donne suite, elle est maîtresse du contenu de sa proposition.
Le problème du déficit démocratique n'est donc pas résolu. Non seulement l'Union européenne est par nature plus éloignée des citoyens que les Etats membres, mais, de plus, elle ne peut avoir le même fonctionnement démocratique que ceux-ci : comme il n'existe pas de « peuple européen », d'« opinion publique européenne », il ne peut exister entre l'Union et ses citoyens le type de rapport politique qui prévaut au sein des Etats membres entre les pouvoirs publics et les électeurs. Mais n'est-ce pas précisément ce que certains recherchent pour mieux mettre en oeuvre les dogmes libéraux qui sous-tendent l'actuelle construction européenne ?
L'Union européenne doit donc redoubler d'efforts pour se rapprocher de ses citoyens et insuffler une dynamique nouvelle.
A cet égard, nous ne comprenons pas pourquoi le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales n'est toujours pas ouvert aux étrangers non communautaires résidant en France depuis au moins cinq ans.
J'en viens à l'obligation de soumettre au référendum les élargissements futurs de l'Union européenne. Le projet de loi constitutionnelle contient en effet un volet introduisant un nouveau type de référendum - cela a fait pour l'essentiel l'objet de la discussion générale -, un référendum obligatoire, afin d'autoriser la ratification des futurs traités d'adhésion à l'Union européenne.
Soulignons que cette obligation s'appliquera dans tous les cas, que le traité constitutionnel entre ou non en vigueur.
Quant à l'article 4 du projet de loi, il prévoit que cette obligation ne s'appliquera pas aux Etats pour lesquels la décision d'ouvrir la négociation d'adhésion avait été prise avant le 1er juillet 2004, à savoir, comme cela a été rappelé, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie.
En revanche, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne fera l'objet d'un référendum, puisque celle-ci n'a été invitée à ouvrir la négociation d'adhésion que le 17 décembre 2004. Il s'agit ici d'une décision pour le moins inique, mais personne n'est dupe : cette disposition n'est que le reflet du traitement discriminatoire réservé à la Turquie, à qui l'on refuse d'appliquer la procédure d'adhésion traditionnellement suivie depuis le début de la construction communautaire.
Le Gouvernement prend prétexte de donner au peuple le pouvoir de se prononcer sur les frontières de l'Union. En réalité, il n'en est rien !
Monsieur le garde des sceaux, si la véritable ambition du Gouvernement était de renforcer la démocratie dans l'Union européenne, comment expliquer ce paradoxe : d'un côté, est institué un référendum obligatoire pour toute autorisation de ratification d'un traité d'adhésion, sans débat parlementaire préalable, alors que, de l'autre côté, le peuple n'est pas consulté pour la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée qui pourrait conduire à une mise en cause des conditions essentielles de la souveraineté nationale ? C'est aberrant ! Cela signifie que la transformation de l'Union européenne en un Etat fédéral pourrait ne pas être soumise à l'approbation du peuple, tandis que ce dernier serait consulté sur chaque élargissement de l'Union.
Ce paradoxe - telle sera ma conclusion - met en lumière la médiocrité de ce projet de loi qui, dans la lignée du traité constitutionnel européen, relaye le déficit démocratique pour mieux promouvoir la construction d'un grand marché « où la concurrence est libre et non faussée », une Europe de régression sociale, de mise en concurrence des salariés et des peuples.
Mes chers collègues, pour toutes les raisons que je viens de développer, le groupe communiste républicain et citoyen vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Après avoir écouté attentivement notre collègue Robert Bret, je dirai que sa remarque préliminaire est intéressante ; nous nous la sommes d'ailleurs déjà faite, et, le jour où nous remettrons en chantier l'ensemble de notre règlement, nous pourrons étudier sa proposition.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Encore faudra-t-il ne pas priver les groupes de parole !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous sommes bien d'accord !
M. Robert Bret. Cela ne dépend que de vous !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En ce qui concerne la motion n° 1, l'orateur a développé toute une série d'arguments destinés à montrer pourquoi, à ses yeux, il n'y avait pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle.
Sans entrer dans le détail, je dirai simplement que, à titre personnel, je ne suis pas tout à fait d'accord avec nombre de ses arguments.
Les auteurs de la motion affirment, dans l'exposé des motifs, que les parlementaires n'ont pas à dessaisir le peuple de sa souveraineté en validant par avance la ratification d'un traité qui, dans les mois à venir, doit être approuvé ou rejeté par voie de référendum.
Je tiens à préciser que, en application même de l'article 54 de la Constitution, nous sommes obligés de réviser préalablement celle-ci avant de ratifier le traité. A défaut, nous en resterions au traité de Nice et nous n'avancerions pas. La modification de la Constitution permet d'aller plus loin. La révision de la Constitution et l'approbation du texte du traité ne peuvent donc intervenir simultanément. Les deux étapes doivent être séparées. Il serait tout au plus envisageable d'organiser deux référendums.
Je ferai une autre remarque. La quasi-totalité de nos révisions constitutionnelles ont été réalisées par la voie du Parlement réuni en Congrès, et non par la voie référendaire. Il est vrai qu'on peut le regretter. Je ne parle pas de nos propositions de révision constitutionnelle, qui n'ont jamais abouti : il n'y a jamais eu, en effet, que des projets de révision constitutionnelle. Le recours direct au référendum en lieu et place du Congrès constituerait-il un progrès ? Je serais assez inquiet sur les perspectives de la révision constitutionnelle si l'on procédait de la sorte.
L'adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable aurait pour conséquence d'enterrer le projet de révision constitutionnelle et d'en rester au statut insatisfaisant résultant du traité de Nice. Or, comme l'ont souligné nombre d'orateurs de tous bords au cours de la discussion générale, le traité comporte des avancées importantes.
La commission des lois estime qu'il faut aller de l'avant. Elle ne s'est pas réunie pour examiner la motion, et n'a donc pas prononcé d'avis sur cette dernière. Il n'en demeure pas moins que cette motion est contraire à son point de vue. Par conséquent, à titre personnel, j'émets un avis défavorable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je n'interviendrai pas à nouveau sur la motion tendant à opposer la question préalable. Notre collègue Robert Bret a dit un certain nombre d'inexactitudes, s'agissant notamment de la révision simplifiée. Il est faux de prétendre qu'on pourrait priver d'un pouvoir le peuple souverain ou ses représentants si un changement intervenait dans les traités. Il faut être précis.
Nous aurons à examiner notre règlement dans le cadre des nouveaux pouvoirs conférés au Parlement. Faut-il examiner les motions tendant à opposer la question préalable, l'exception d'irrecevabilité ou le renvoi à la commission avant la discussion générale ?
M. Jean-Pierre Sueur. C'est le bon sens !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je ne suis pas sûr que cela convienne parfaitement pour permettre à tous de s'exprimer, comme cela a été le cas aujourd'hui. L'Assemblée nationale a un système, le Sénat en a un autre. Jusqu'à présent, ce dernier a donné plutôt satisfaction.
M. Jean-Pierre Sueur. Au contraire, il n'a rien de satisfaisant !
M. Robert Bret. Cela fait des années que nous en discutons !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il nous faut être prudents. Imaginez qu'une motion tendant à opposer la question préalable soit votée : vous seriez alors tous privés de parole, ce qui serait vraiment fort dommage, si j'en juge par les excellents discours que nous avons entendus ce soir.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien le principe d'une question préalable !
M. Jean-Pierre Sueur. Qu'est-ce qu'une question préalable qui n'est pas préalable ?
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
(La motion n'est pas adoptée.)
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI constitutionnelle
Mme la présidente. J'ai reçu de M. Patrice Gélard une proposition de loi constitutionnelle relative aux anciens présidents de la République française.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le n° 186, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Patrice Gélard une proposition de loi constitutionnelle relative à la situation matérielle des anciens présidents de la République française.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le n° 188, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
10
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI organique
Mme la présidente. J'ai reçu de M. Patrice Gélard une proposition de loi organique relative aux conditions matérielles prévues pour les anciens présidents de la République française.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le n° 187, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
11
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
Mme la présidente. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Communication de la Commission sur l'Agenda social.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2828 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Communication de la Commission au Conseil européen de printemps. Travaillons ensemble pour la croissance et l'emploi - Un nouvel élan pour la stratégie de Lisbonne.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2829 et distribué.
12
DÉPÔT D'UN RAPPORT
Mme la présidente. J'ai reçu un rapport déposé par M. Henri Revol, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur l'application de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, établi par M. Claude Saunier, sénateur, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Le rapport sera imprimé sous le n° 185 et distribué.
13
ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 16 février 2005, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 167, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le Titre XV de la Constitution ;
Rapport (n° 180, 2004-2005) fait par M. Patrice Gélard, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
En application de l'article 60 bis, alinéa 1, du règlement il sera procédé à un scrutin public à la tribune sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle. Ce scrutin interviendra le jeudi 17 février au matin.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 16 février 2005, à zéro heure trente.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD