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aide aux producteurs de fruits et légumes

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 10 de M. Daniel Soulage à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité relative à l'aide aux producteurs de fruits et légumes.

M. Daniel Soulage interroge M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité sur les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour venir en aide au secteur des fruits et légumes. L'actualité la plus récente démontre pleinement l'urgence d'un soutien renforcé à cette filière : la baisse des prix provoquée depuis le début de l'année par l'augmentation des productions, l'atonie de la demande et le durcissement de la concurrence extérieure ont provoqué une baisse substantielle du volume des ventes, entraînant des manifestations de mécontentement parfois violentes de la part des professionnels les plus affectés. Les conséquences de ces difficultés conjoncturelles sont exacerbées par les handicaps traditionnels que connaît le secteur : importante vulnérabilité aux aléas climatiques, charges de main-d'oeuvre élevées, dispersion des producteurs face à la grande distribution... Malgré les mesures prises tant par le Gouvernement que par les producteurs et les opérateurs depuis plusieurs mois, les problèmes restent aigus et paraissent nécessiter, à terme, une réforme de l'organisation commune de marché et la mise en place d'un véritable dispositif de gestion de crise au niveau européen, comme s'y était d'ailleurs engagé le ministre sortant en charge de l'agriculture. Aussi il souhaiterait connaître l'analyse qu'il effectue de cette crise ainsi que ses intentions à court et moyen termes en vue d'y remédier.

La parole est à M. Daniel Soulage, auteur de la question.

M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier le président du Sénat, M. Christian Poncelet, qui a bien voulu inscrire à l'ordre du jour réservé cette question orale avec débat.

Cette question est d'actualité puisque le Sénat examine ces jours-ci en deuxième lecture le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. Les solutions qui doivent être apportées à la crise de la filière fruits et légumes ont d'ailleurs fait l'objet la semaine dernière de discussions vives et passionnées.

Par ailleurs, je veux également remercier le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, et le président du groupe d'études sur l'économie agricole alimentaire, M. Gérard César, qui ont bien voulu soutenir la création d'une section, au sein de ce groupe d'études, consacrée à la filière fruits et légumes.

L'importance de ce secteur, d'un point de vue tant économique que social, doit tout d'abord être soulignée. Ce secteur représente en effet 12,6 % de la valeur de la production agricole nationale ; il concerne environ 34 000 exploitations spécialisées, il emploie près de 650 000 actifs et fait de notre pays le troisième producteur de fruits et légumes de l'Union européenne, derrière l'Italie et l'Espagne.

Pourtant, ce secteur connaît aujourd'hui une grave crise qui alimente de forts mécontentements chez les professionnels, des actions sociales parfois spectaculaires et de grandes attentes de la part des producteurs.

Cette crise est tout d'abord conjoncturelle.

Après une année 2003 relativement satisfaisante en termes de revenus du fait d'une augmentation des prix due à la canicule et à la sécheresse, l'année 2004 a été particulièrement difficile pour le secteur : très forte baisse des prix due à des volumes de production en forte progression, difficultés d'écoulement en raison d'une faible demande intérieure, augmentation notable des coûts de production liée à la hausse du prix du fioul.

Mais cette crise a également, et c'est le plus inquiétant, des racines structurelles.

Naturellement fragiles et périssables, les fruits et légumes sont très vulnérables aux aléas climatiques. De plus, la main-d'oeuvre dans ce secteur souffre, en France, d'un coût élevé comparativement à d'autres pays, y compris certains pays de l'Union européenne, ainsi que d'une insuffisance de l'offre de travail. La pression concurrentielle, qu'elle provienne du marché mondial ou européen, est extrêmement agressive. La faiblesse de l'Organisation commune de marché, l'OCM, qui ne reçoit que 4 % des crédits du FEOGA-Garantie, ne permet pas de remédier à cette situation. Enfin, la production est trop dispersée par rapport à la transformation et, plus encore, par rapport à la distribution.

Tous ces éléments se trouvent d'ailleurs développés et approfondis dans le rapport pour avis sur le budget de l'agriculture, rédigé par mon collègue Gérard César, et dont une partie est consacrée à la crise que traverse actuellement le secteur des fruits et légumes.

Nombre de producteurs se trouvent donc cette année dans une situation difficile et hésitent à se lancer dans une nouvelle campagne de production. C'est pourquoi il est de notre devoir d'envoyer à ces acteurs économiques un signal fort destiné à leur redonner confiance quant à la volonté des pouvoirs publics de les aider à traverser cette crise et de conserver cette filière.

Certes, la prise de conscience de l'ensemble des acteurs a permis de mettre en place certaines mesures. Cependant, la poursuite de cette situation de crise montre que ces mesures sont aujourd'hui insuffisantes.

D'une part, le Gouvernement a engagé un vaste audit de la filière fruits et légumes, dont les conclusions ont été présentées au mois de juin dernier. Plusieurs recommandations sont formulées, qui se concentrent tout particulièrement sur la nécessité d'instaurer au niveau européen un véritable dispositif de gestion des crises.

D'autre part, après les aléas météorologiques connus en 2003 - gel de printemps, canicule estivale -, le Gouvernement a mis en place des mesures d'urgence. Monsieur le ministre, je tiens ici à saluer votre prédécesseur, M. Hervé Gaymard, pour la réactivité dont il a fait preuve. Ainsi, une aide directe de 10 millions d'euros pour soulager la trésorerie des agriculteurs a été débloquée ; l'ONIFLHOR, l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture, a aussi reçu 10 millions d'euros pour engager des actions structurantes ; 50 millions d'euros ont été débloqués pour des prêts de consolidation et 1 million d'euros pour une prise en charge de cotisations de la Mutualité sociale agricole. Ces aides étaient nécessaires et ont été reçues avec soulagement.

Hélas ! nous en sommes tous conscients, cela n'est pas suffisant. Je reprendrai l'exemple que j'avais évoqué à l'occasion de l'examen du budget pour 2005 : depuis septembre 2004, nous savons, monsieur le ministre, que la MSA aura besoin pour le Lot-et-Garonne de 500 000 euros de crédits, soit la moitié des crédits accordés par le ministère. Une enveloppe complémentaire est donc absolument nécessaire et, pour l'instant, nous ne disposons pas d'informations sur ce sujet.

Enfin, le Gouvernement a déposé une demande d'aide au niveau européen concernant plus spécialement le chou-fleur, dont le marché est particulièrement défavorable. Consistant à mettre en place un système de gestion de crise, cette tentative a malheureusement été bloquée au niveau de la Commission européenne.

Si le Gouvernement n'est pas, loin s'en faut, resté inactif devant la crise, les producteurs et les opérateurs ont également tenté d'apporter des solutions. Durant l'été dernier, et afin de redynamiser une consommation atone, ils ont mené des actions exceptionnelles, qu'il s'agisse d'initiatives promotionnelles fortement médiatisées ou d'une tentative expérimentale d'instaurer un prix minimum pour la tomate.

Ils ont également signé un accord interprofessionnel permettant la publicité sur le prix des fruits et des légumes hors des lieux de vente. Cet accord a ouvert la voie à une modification de la loi sur les nouvelles régulations économiques qui a consacré l'autorisation de ce type de publicité.

Enfin, par l'intermédiaire d'Interfel, l'Interprofession des fruits et légumes, et d'Aprifel, l'Agence fruits et légumes frais, la profession a demandé au Président de la République la reconnaissance du label « Grande cause nationale » au profit du secteur ainsi que la mise en place d'un plan national fruits et légumes pour la prévention des grandes pathologies.

Je le disais la semaine dernière dans ce même hémicycle, je sais, en tant qu'élu rural, combien il est difficile de créer des emplois dans des zones non urbaines. Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux essaie de remédier à cette difficulté. Mais, avant de penser à créer des emplois, il nous faut lutter pour conserver les emplois existants.

Je voudrais aborder aujourd'hui les différents problèmes auxquels se heurte la filière fruits et légumes et envisager avec vous les actions possibles.

En matière de production, tout d'abord, il existe plusieurs leviers sur lesquels nous pourrions agir pour redonner de la compétitivité à cette filière : le coût du travail, l'amélioration de la productivité, les aléas climatiques, les distorsions de concurrence liées aux intrants, l'accompagnement des producteurs face à l'arrivée de dix nouveaux pays sur le marché.

La filière fruits et légumes n'est pas la seule en France où le coût du travail entraîne un manque de compétitivité. Ce secteur est de plus soumis à une très forte concurrence, intracommunautaire d'abord, mondiale ensuite. Il ne faut pas oublier que le coût de l'emploi représente 50 % du coût total de production.

Que le coût du travail et les charges sociales soient nettement plus faibles au Maroc ou en Tunisie qu'en France, nous ne pouvons pas y faire grand-chose ; mais que l'Allemagne réussisse à produire à un coût horaire saisonnier de 6,15 euros contre 8,52 euros pour la France est moins acceptable. Une harmonisation est nécessaire afin que ces distorsions cessent. Il nous faut donner aux exploitants les moyens de produire à des coûts plus faibles.

J'avais proposé, dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, que soient adoptées différentes mesures destinées à faciliter le recours à des travailleurs étrangers pour les récoltes, à étendre à tout type de récolte agricole les conditions avantageuses du contrat de vendanges qui permet des allégements de charges sociales, patronales et salariales, et à augmenter la durée pendant laquelle les producteurs paient des charges sociales à taux réduits pour les travailleurs occasionnels.

Ces propositions n'ont pas été adoptées et je le regrette, car je pense qu'elles auraient été de nature à encourager les producteurs à continuer leur activité, à employer plus de main-d'oeuvre et à produire de manière plus concurrentielle.

Si nous voulons, monsieur le ministre, maintenir notre production, nous serons fatalement amenés à faire des efforts en matière de coût de main-d'oeuvre et de recours à des travailleurs étrangers.

Pour ce qui concerne l'amélioration de la productivité, il serait sûrement souhaitable que les pouvoirs publics aident les exploitants à améliorer leurs structures de production et de commercialisation. Aujourd'hui, avec l'arrivée dans le marché européen des pays de l'Est, nos exploitations ont besoin d'un plan d'adaptation structurel prenant en compte l'économie, l'environnement et le social. Il s'agit de parvenir à un produit de qualité et d'être compétitif, tout en respectant les règles environnementales, en particulier en maîtrisant les intrants.

La profession travaille sur ce sujet en liaison avec le ministère pour que soient inclues des mesures dans le PDRN, le plan de développement rural national. Quelles sont les avancées sur ce sujet ?

L'entrée de l'Espagne et du Portugal dans le marché commun a été accompagnée par des mesures très importantes, notamment des financements européens au niveau du PIM, le programme intégré méditerranéen, mesures qui ont été complétées à l'échelon national en 1992 et en 1993. Il faudrait prendre exemple là-dessus.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, ce sont non pas deux mais dix pays qui nous rejoignent et, à l'inverse de ce qui avait été fait en 1992 et en 1993, non seulement les producteurs déjà intégrés dans la politique agricole commune, la PAC, ne disposent pas de mesures d'accompagnement mais les producteurs des nouveaux pays européens vont de plus être prioritairement éligibles aux fonds structurels et seront de ce fait encore plus concurrentiels, notamment dans la filière fruits et légumes.

Aujourd'hui comme hier, nous avons besoin de mesures d'accompagnement pour les agriculteurs.

J'en viens aux aléas climatiques qui, dans la production légumière et fruitière, ne sont pas rares : citons le gel de 2003 ainsi que le terrible orage de juin 2004 qui a détruit les vergers de pruniers dans le Lot-et-Garonne et les départements voisins ; les exemples ne manquent pas. Depuis de nombreuses années, je me prononce en faveur de la mise en place d'un dispositif d'assurance récolte permettant de pallier les effets parfois dévastateurs du climat sur une production. J'ai donc été ravi de voir dans le budget pour 2005 l'amorce d'un tel dispositif.

Le système proposé par le Gouvernement, en pourcentage et en montant, me semble tout à fait correct. Je regrette cependant que seulement 10 millions d'euros soient prévus pour le financer et que les interventions soient plafonnées à 130 millions d'euros. Je rappelle que les Espagnols consacrent 230 millions d'euros à leur système d'assurance, ce qui est un montant considérable au vu de leur agriculture.

En outre, il me semble indispensable de prévoir une réassurance publique, et il est dommage que l'examen de cette question soit renvoyé à plus tard.

La mise en place d'une assurance récolte ne doit être, à mon avis, qu'une étape vers une assurance-revenu, à l'instar de ce que font les Espagnols. L'application de ce type d'assurance s'avérera vite nécessaire dans une Union européenne contrainte de supprimer les aides à l'exportation ou de baisser les aides internes considérées comme portant atteinte à la libre concurrence. Monsieur le ministre, comment comptez-vous aborder ce dossier et dans quelle direction, notamment lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole ?

Enfin, pour ce qui est des intrants, la filière fruits et légumes se heurte à de fortes distorsions de concurrence. En effet, la législation française est l'une des plus sévères en matière d'intrants, qu'ils soient chimiques ou non. Certains pays voisins peuvent autoriser l'utilisation de produits auxquels n'ont pas accès les producteurs français. Il faut absolument agir afin que la législation en la matière soit harmonisée à l'échelon européen. Dans un espace à vingt-cinq, il est absolument inconcevable que de telles distorsions de concurrence existent, et j'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez agir auprès de vos confrères européens.

De nombreux producteurs font d'ores et déjà de très gros efforts de maîtrise des intrants ; certains se sont engagés dans des démarches de production fruitière intégrée, de lutte intégrée dans les serres ou d'agriculture raisonnée. De plus, les problèmes de coût incitent à la modération.

J'en arrive aux difficultés liées à la commercialisation des produits.

Le principal point qui pose problème à la filière en matière de distribution et de commercialisation est la régulation du marché. De par la spécificité des produits, des produits périssables notamment, les producteurs sont en position de faiblesse dans leur relation avec les distributeurs, et ils apparaissent souvent divisés ou mal organisés pour faire face aux cinq grands distributeurs.

Premièrement, nous devons développer un outil efficace de connaissance de la production avant la mise sur le marché. La connaissance du volume et de la qualité du produit avant sa mise sur le marché peut permettre d'anticiper sur les phases sensibles qu'il va connaître et les problèmes qu'il va rencontrer lors de la saison. L'idéal serait bien entendu que cet outil soit développé au niveau communautaire afin d'anticiper également sur les flux d'importation et d'exportation.

Deuxièmement, afin que la première mise sur le marché se passe dans les meilleures conditions, il faut absolument aider les producteurs à s'organiser face aux distributeurs et aux grossistes, qui, je le rappelle, sont extrêmement concentrés. Il s'agit non pas de permettre une entente sur les prix, contraire au droit communautaire, mais, compte tenu des caractéristiques de la production, de permettre aux producteurs de se concerter sur leur offre.

Le deuxième point qui pose problème, s'agissant de la commercialisation des produits, concerne les mécanismes de gestion de la crise. S'il y a crise, comme cela a été le cas en 2004 pour un très grand nombre de fruits et de légumes, il nous faut pouvoir appliquer un dispositif ponctuel. A cet égard, je suis ravi que le Sénat ait adopté la semaine dernière la mise en place du mécanisme de coefficient multiplicateur. Ce dispositif, destiné à lier le prix d'achat au prix de vente d'un produit en période de crise, et dans ce cas seulement, c'est-à-dire de façon tout à fait ponctuelle, permet d'éviter l'installation d'une spirale de baisse des prix. Au contraire, il incite les distributeurs à acheter à un prix raisonnable afin de pouvoir dégager une marge.

J'espère que vous saurez entendre l'appel que les sénateurs ont voulu lancer en adoptant cet amendement qui correspond à la demande unanime de la profession. Je vous demande d'en tenir compte et de ne pas le rejeter en commission mixte paritaire. Nous avons certainement les moyens de négocier avec Bruxelles afin qu'un tel dispositif puisse être mis en place ; en effet, je le rappelle, il s'agit non pas de mettre en place des prix administrés, mais de réguler ponctuellement un marché difficile à appréhender.

Monsieur le ministre, vous avez vous-même proposé plusieurs amendements destinés à assainir les relations entre les producteurs et les distributeurs, notamment en période de crise.

Ces propositions correspondent également à une attente des professionnels.

Elles permettent d'engager la responsabilité de tout producteur, commerçant ou industriel, ou de toute personne immatriculée au répertoire des métiers qui pratique des prix abusivement bas en période de crise ; elle permet également de favoriser l'engagement volontaire des distributeurs à modérer leur marge en période de crise, de n'autoriser la pratique des remises, ristournes, rabais et autres frais de coopération commerciale que s'il y a un contrat écrit en ce sens entre le producteur et le distributeur, et, enfin, d'autoriser l'annonce des prix hors lieu de vente sur une période courte sans recours obligatoire à un accord de l'interprofession.

Monsieur le ministre, ces amendements sont tout à fait cohérents avec la proposition relative au coefficient multiplicateur votée par le Sénat.

Le coefficient multiplicateur est un mécanisme qui permet au Gouvernement de garder une grande marge de manoeuvre puisque c'est lui qui décide quand, sur quels produits et à quel taux il s'applique. Vous disposez désormais, monsieur le ministre, d'une arme pour combattre les crises.

En matière de financement des dispositifs de gestion des crises, il est également nécessaire de prévoir la mise en place d'une caisse professionnelle de péréquation.

En effet, il apparaît de plus en plus indispensable que les producteurs disposent d'un mécanisme de compensation financière. Nous avons tous encore en tête les retraits massifs de produits et les abus auxquels ils ont donné lieu voilà quelques années.

Cette procédure est encore utilisée, mais elle est très encadrée et limitée, et elle ne concerne que les producteurs membres de l'organisation économique.

Aujourd'hui, les producteurs proposent qu'un fonds de péréquation soit créé à l'échelon européen et mis en oeuvre à l'échelon régional.

Le financement pourrait être le suivant : il proviendrait pour un tiers de l'Union européenne, pour un tiers de l'Etat membre et/ou de la région concernée, pour un tiers des cotisations professionnelles, sachant que le financement européen est déjà prévu à partir du prélèvement du 1 % sur la modulation.

L'expérience des comités économiques pourrait à cette occasion être mise à profit : ces derniers seraient chargés de prélever les cotisations des producteurs ainsi que d'alerter et de déclencher le système de péréquation en cas de crise.

L'efficacité et l'équité du système seraient garanties par la participation financière directe de tous les producteurs, qui auront tout intérêt à utiliser les fonds de la caisse à bon escient.

Géré au niveau local, cet organisme aurait la souplesse et la réactivité voulues pour intervenir efficacement. Il pourrait le faire en matière de retrait de marchandises du marché ou de destruction de récoltes aux champs. Il pourrait également développer, si nécessaire, le soutien aux livraisons à la transformation ou conduire des actions promotionnelles dans l'espace européen et dans les pays tiers.

Parallèlement à ce dispositif, monsieur le ministre, il vous faudra veiller à ce qu'avancent à l'échelle européenne les dossiers de la réforme de l'Organisation commune de marché « fruits et légumes » et de la mise en place d'un véritable système de gestion de crise communautaire. Votre prédécesseur, Hervé Gaymard, s'est largement investi en ce sens ; nous ne doutons pas que vous aurez à coeur de poursuivre ses démarches.

J'en viens à la consommation et à la promotion.

Le premier de ces deux points est fondamental. La consommation de fruits et de légumes n'a cessé de diminuer au cours des quarante dernières années au profit de la consommation de produits manufacturés.

Des chiffres récents montrent que la part du budget alimentaire dans le budget des ménages est passée de 30,7 % en 1959 à 14,7 % en 2003, et que la part des fruits et légumes dans le budget alimentaire est passée dans le même temps de 13,7 % à 9,9 %, ce qui correspond à une baisse de 27 points en quarante-quatre ans ! Et ce problème ne découle pas seulement, idée devenue habituelle, de la cherté des fruits et légumes frais.

Cette situation est préoccupante en termes de débouchés pour les producteurs. L'exemple de la campagne 2004 est éloquent à cet égard : malgré la crise et les prix bas, les consommateurs ont continué de bouder les fruits et légumes.

Mais, au-delà du manque de débouchés pour les productions, nous devons être conscients du fait que nous allons au-devant de problèmes de santé publique : les fruits et légumes sont des produits nécessaires à un bon équilibre alimentaire et à une bonne santé.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que 3 % des Français étaient touchés par l'obésité en 1970, il sont aujourd'hui 11 % à en souffrir, et 30 % de la population est en situation de surpoids. Ajoutons que 20 % des enfants devraient être concernés par ce fléau en 2020.

L'Organisation mondiale de la santé et l'Union européenne ont l'une et l'autre fait des recommandations pour que la consommation des fruits et des légumes soit vivement encouragée, et c'est un point que le Président de la République a abordé lors de la présentation du plan anticancer. De même, le programme national nutrition-santé, ou PNSS, lancé en 2001, avait pour but d'améliorer la nutrition des Français et, notamment, de favoriser la consommation de fruits et légumes.

Malgré ce programme, la consommation de fruits n'a jamais été aussi basse que lors de l'été 2004, et la consommation de légumes est également en recul, ce qui m'amène au second point : la promotion des produits.

Monsieur le ministre, il faut promouvoir activement la consommation des fruits et légumes.

L'interprofession doit être dotée de moyens importants en la matière, moyens qui peuvent être français mais également européens, car la France n'est pas le seul pays à être touché par une baisse de la consommation de ce type de produits frais.

Renforcer la communication sur l'importance de la consommation de fruits et légumes en direction des Français est indispensable. Si l'on compare les investissements publicitaires en matière alimentaire, on se rend vite compte que la lutte est inégale. Le rapport est de un à cinq entre la promotion des fruits et légumes et les publicités pour la confiserie et les bonbons. Il passe de un à quinze entre, d'une part, les fruits et légumes, et, d'autre part, tous les produits issus de la panification, et j'estime qu'il est de un à trente entre la filière fruits et légumes et la filière lait.

La filière fruits et légumes souffre donc d'un déficit de communication, ce qui est préoccupant au regard de la santé. Il serait souhaitable que la communication sur les fruits et légumes soit étendue et se voie attribuer à cette fin le label « Grande cause nationale », lequel permet de bénéficier des avantages tarifaires publicitaires existant dans le cadre des causes nationales. Contribuer à une meilleure information de nos citoyens en vue de les inciter à adopter une alimentation plus équilibrée relève, me semble-t-il, des objectifs de ce label.

Dans cet esprit, on ne peut qu'appuyer la demande de la profession de mettre en place un plan national « fruits et légumes » pour la prévention des grandes pathologies comme le cancer, les maladies cardiovasculaires ou l'obésité.

Enfin, pourquoi ne pas confier comme priorité une mission de valorisation des fruits et légumes à l'Agence française d'information et de communication agricole et rurale que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux prévoit de créer ?

Une telle action permettrait de rappeler de façon très générale les bienfaits, la qualité et l'authenticité de ces produits. Ainsi, elle serait parfaitement complémentaire des initiatives prises à l'échelle de l'interprofession, lesquelles sont davantage ciblées sur la promotion commerciale de tel ou tel produit.

Monsieur le ministre, pour conclure mon propos, je souhaite vous remercier de consacrer deux heures de votre temps à ce débat. Je pense que ce n'est pas inutile et que tous les professionnels y seront très sensibles.

Je voudrais également saluer votre volonté de faire avancer le dossier, volonté qui s'est déjà concrétisée par le dépôt de quatre amendements dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

Reste à adopter définitivement ce texte et à faire appliquer au plus vite les différentes mesures qu'il contient.

A cet égard, vous aurez le soutien de la section d'études consacrée aux fruits et légumes que plusieurs de mes collègues et moi-même venons de créer au sein de la commission des affaires économiques.

Je souhaite remercier également Christian Jacob d'avoir pris en compte, dans le cadre de son groupe de travail sur les relations commerciales, les difficultés rencontrées par les agriculteurs et de s'être prononcé, voilà une quinzaine de jours, en faveur du coefficient multiplicateur.

Monsieur le ministre, maintenir le dispositif du coefficient multiplicateur dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux est une manière de lancer un signal fort en direction de toute la filière et de signifier à cette dernière que ses préoccupations ont été entendues.

Bien entendu, il faudra encore préciser le mécanisme et ses modalités d'application dans le cadre du projet de loi d'orientation agricole ou dans celui du projet de loi sur les entreprises que présentera Christian Jacob.

Nous sommes certains, monsieur le ministre, que vous saurez déterminer les mesures réglementaires les plus efficaces et les mieux adaptées à la diversité des situations. Cependant, il semble nécessaire de ne pas remettre en cause le principe de cette mesure dont il est important de préciser qu'elle a reçu l'assentiment de l'ensemble de la filière, comme celui des sénateurs. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Dans la suite du débat, la parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier M. Soulage d'avoir engagé ce débat et la conférence des présidents d'avoir accepté d'inscrire à l'ordre du jour cette question qui porte sur un sujet important.

Les fruits et légumes représentent en effet, on l'a dit, 12,5 % de l'activité agricole dans notre pays et, surtout, le contexte est aujourd'hui particulièrement difficile. A cet égard, je souscris au diagnostic très objectif de la situation que vient d'établir M. Soulage et je m'associe, bien sûr, à un certain nombre de ses préconisations.

Je m'inscris pour ma part dans une problématique un peu plus douloureuse en tant qu'élu d'une région dont une grande partie est spécialisée dans les légumes et qui, pour certaines activités, assure près des trois quarts de la production française. Je parle évidemment de la Bretagne, où la filière compte 4 000 producteurs et 10 000 emplois salariés. La production de légumes contribue donc fortement à la structuration du tissu socioéconomique dans les 200 communes au moins de la zone légumière.

Le fait est que, depuis six ou sept ans, l'activité légumière connaît une crise devenue structurelle - et non pas conjoncturelle -, et c'est par rapport à cette réalité que nous devons réfléchir aux mesures à mettre en oeuvre.

Je citerai un seul chiffre pour l'année 2004 : dans la région Bretagne, le chiffre d'affaires des activités légumières est passé de 450 millions d'euros en 2003 à 350 millions d'euros en 2004, soit, en un an, une perte de près du quart du chiffre d'affaires, perte qui, évidemment, se ressent au niveau des revenus tant des producteurs que de l'ensemble des personnes qui travaillent dans la filière.

Jusque-là, en période de crise, les dispositifs existants, dits « plans de campagne », permettaient, pour un budget limité, de réguler correctement les conjonctures difficiles grâce à la promotion de l'export, à la transformation et aux retraits. Malheureusement, monsieur le ministre, ces dispositifs ne sont plus appliqués - ils ne sont d'ailleurs plus applicables au regard des règles européennes - et la crise du chou-fleur des années 2003 et 2004 a cruellement révélé l'absence de mécanisme de substitution approprié.

M. Soulage l'a rappelé, l'opération pilote de gestion de crise qui avait été envisagée en France par le Gouvernement a en effet été rejetée, voilà quelques mois, par Bruxelles, et les mesures ponctuelles adoptées par le Gouvernement s'inscrivent dans un contexte financier rempli d'incertitudes. Dès lors, dans quelles directions faut-il orienter les efforts de régulation et de soutien aux producteurs ?

Trois options qui donnent à la profession l'espoir que des actions des pouvoirs publics seront développées au cours des prochains mois sont aujourd'hui en débat.

La première de ces options est la lutte contre les distorsions de concurrence. M. Soulage a longuement évoqué tout à l'heure ces distorsions, notamment en ce qui concerne les charges salariales, du fait notamment de la concurrence de pays tels que la Pologne, qui utilise abondamment la main-d'oeuvre de certains pays proches. C'est un problème particulièrement délicat, et je me satisfais de savoir que le Gouvernement a engagé un travail de réflexion sur le sujet et pourra sans doute nous soumettre des propositions dans les prochains mois.

La deuxième option en débat est le rééquilibrage du rapport de force entre production et distribution. S'agissant de la maîtrise et de la transparence des marges ainsi que de l'amélioration de la répartition du surplus, un certain nombre de propositions nous sont faites, et le Gouvernement a d'ailleurs suggéré des amendements au projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. On peut espérer que certaines de ces propositions produiront un effet positif.

Je souhaiterais aussi voir évoquer à cet égard le nécessaire assainissement de certaines pratiques de la grande distribution. Je pense bien entendu aux marges arrière, qui ont conduit à de graves excès qu'il faut dénoncer, ainsi, monsieur le ministre, qu'au processus d'enchères inversées, qui produit aujourd'hui des effets catastrophiques dans divers secteurs d'activité agricole.

Je sais que M. Sarkozy avait essayé, voilà quelques mois, de prendre des mesures pour remédier à cette situation, mais j'ai cru comprendre que le projet avait été abandonné et que le Gouvernement ne proposait, dans l'immédiat, aucune solution. Quoi qu'il en soit, les enchères inversées continuent de produire des effets catastrophiques : c'est là un problème particulièrement important qu'il convient d'examiner.

La troisième option pour le court terme est celle des accords bilatéraux du commerce international qui s'avèrent, à certains égards, pénalisants pour la filière des fruits et légumes. Je pense tout particulièrement aux accords passés entre la France et le Maroc, et plus spécialement à l'accord concernant l'échange de céréales contre des tomates qui s'est révélé particulièrement préjudiciable aux producteurs français de tomates. Le Gouvernement devrait tout particulièrement veiller à ce que ces accords bilatéraux ne pénalisent pas, comme c'est actuellement le cas, l'activité fruits et légumes.

Au-delà de ces sujets d'interrogation et des leviers d'action qu'ils induisent à court terme, il nous faut réfléchir à long terme et examiner les conditions de la pérennisation du secteur de la production de légumes. Cette réflexion nous conduit, bien entendu, à nous tourner vers l'Europe et à nous interroger sur la façon dont vous allez pouvoir, monsieur le ministre, défendre dans les mois et les années qui viennent une position ambitieuse pour la France.

Pour notre part, nous avons le sentiment que la France doit, au niveau de la discussion européenne, mettre en avant quatre objectifs ambitieux : premièrement, éviter la reconversion en fruits et légumes des surfaces de grandes cultures ; deuxièmement, améliorer l'Organisation commune des marchés des fruits et légumes ; troisièmement, préserver les bassins « historiques » par des mesures appropriées ; quatrièmement, inciter à la mise en place d'outils d'anticipation des crises.

Pour ce qui est du premier objectif, vous savez que les Etats membres sont censés éviter que les agriculteurs bénéficiant de primes ne se diversifient dans des productions sensibles comme celle des fruits et légumes. En réalité, aucun Etat membre n'a la volonté politique et la capacité matérielle de contrôler le respect de cette disposition.

Aucune mesure concrète n'a été prise par les Etats concernés pour faire appliquer cette interdiction qui, du reste, ne porte plus que sur les cultures de printemps, les cultures dérobées d'automne ayant été autorisées par le règlement du 29 avril 2004.

Face à ce manque évident de volonté politique, on ne peut que préconiser non pas des mesures coercitives, mais des dispositions permettant d'orienter les hectares potentiellement convertibles en fruits et légumes vers des productions de substitution, en particulier celles de biocarburants.

Je précise, mes chers collègues, que la reconversion en légumes de 1% de la surface agricole utile, la SAU, en France, équivaudrait à doubler la surface légumière de notre pays : on voit bien dans quel marasme une telle décision pourrait nous plonger !

Le deuxième objectif à privilégier est celui de l'amélioration de l'Organisation commune des marchés des fruits et légumes. Face à une demande sans cesse plus concentrée, le regroupement de l'offre au sein de ces organisations apparaît plus que jamais comme une nécessité économique pour renforcer la position des producteurs sur le marché.

Nous avons le sentiment que la réforme de 1996 de l'OCM a entraîné un certain nombre d'effets indésirables, voire pervers. Il est donc très important de pouvoir se pencher très rapidement sur leur correction.

L'adaptation des dispositifs d'aide communautaire devrait, à notre sens, permettre de répondre plus efficacement à ce deuxième objectif.

Le troisième objectif consiste à préserver les bassins « historiques » par des mesures appropriées. Les bassins « historiques » en légumes se sont développés grâce aux possibilités de leur sol et de leur climat qui leur permettent d'avoir des produits de haut niveau qualitatif toute l'année avec le minimum d'intrants, ce qui va dans le sens tant de la principale préoccupation actuelle des consommateurs européens que d'un développement durable harmonieux. Or, le développement actuel des nouveaux bassins se fait exclusivement à partir des distorsions créées par les politiques agricoles, par les législations sociales ou de protection des plantes. Pour s'imposer sur le marché, les nouveaux entrants pratiquent une politique commerciale agressive, avec des prix bas ou des systèmes de fixation de prix extrêmement favorables aux acheteurs, et cela sans que le consommateur en tire avantage au moment de l'achat.

Même si les législations européennes et les certifications commerciales sont censées s'imposer de la même manière à tous les pays de l'Europe, il existe des différences notables entre bassins A cet égard, je note que le développement rural prévoit un certain nombre de mesures structurelles de certification, de segmentation et que, dans ce cadre, il convient de rechercher la mise en place de soutiens spécifiques pour permettre aux bassins « historiques » de consolider leur position stratégique au sein du marché européen élargi.

Le quatrième objectif fondamental à nos yeux passe par la mise en place d'outils d'anticipation des crises et de maintien du tissu productif. Comme je l'ai souligné en préambule, le marché des fruits et légumes est régulièrement soumis à des crises conjoncturelles aiguës. Compte tenu du contexte concurrentiel précédemment décrit, deux politiques peuvent être envisagées.

La première est une politique de laisser-faire. Dans ce cas, la production se concentrera dans les zones disposant d'avantages « distorsifs » - grandes cultures primables, avantage en termes de main-d'oeuvre... - et dans certaines régions du sud de l'Europe pour les productions d'hiver - Pouilles, Campanie, Andalousie, plaine de Murcie... - au détriment de bassins « historiques », qui connaîtront une disparition plus ou moins rapide. Une telle évolution ne signifiera pas la fin des crises conjoncturelles ; au contraire, certaines crises deviendront structurelles, et j'en veux pour exemple la situation actuelle des marchés de l'oignon, de la pomme de terre ou de la carotte.

La seconde politique, qui est l'autre terme de l'alternative, est une politique volontariste de soutien aux organisations de producteurs par la mise en place d'outils d'anticipation des crises et de préservation du tissu productif. Ces outils doivent permettre non seulement de prévenir la crise, mais également de donner aux producteurs, en compensation des aides dont bénéficieront leurs concurrents, des soutiens pour les aider à se maintenir dans les situations difficiles qui ne manqueront pas de se produire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est superflu de souligner que c'est actuellement la politique du laisser-faire qui semble l'emporter au niveau européen, cette dernière s'accompagnant d'ailleurs d'une communication adaptée de la Commission visant à minimiser les distorsions engendrées par la nouvelle PAC

En conclusion, monsieur le ministre, le groupe socialiste revendique une démarche interventionniste forte de la France, une politique volontariste de soutien, susceptible de remettre en cause certaines des orientations de laisser-faire que semble aujourd'hui privilégier la Commission européenne. Nous souhaitons donc vivement que, au nom de notre pays, vous puissiez, à ce stade essentiel de la mise en oeuvre d'une politique agricole pour les fruits et légumes, défendre activement la stratégie la plus efficace pour préserver nos exploitations et donc le tissu socioéconomique de nombre de nos communes rurales où le légume reste l'une des valeurs sures de l'activité agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Mme Gisèle Gautier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le secteur des fruits et légumes subit depuis plusieurs années des crises régulières, plus ou moins fortes, plus ou moins destructrices.

De fait, la situation des fruits et légumes de France est aujourd'hui sérieuse, je dirais même grave, voire désespérée, alors que les enjeux de ce secteur d'activité pour notre pays sont, en termes d'emplois, de territoires, de santé publique, clairement identifiés.

Cette situation de crise quasi permanente depuis plus de dix ans, qui touche, comme cela a été signalé, 12,5 % de la production agricole et qui a été aggravée par l'été caniculaire 2003, est révélatrice, certes, d'un environnement international et communautaire en pleine mutation, générateur de concurrence, dans lequel nos producteurs « ne jouent pas à armes égales », mais aussi d'un certain nombre de handicaps de la filière dont la résolution dépend pour partie de l'action des producteurs, mais aussi de l'environnement économique et politique.

Je pense bien évidemment, à cet égard, aux relations avec les centrales d'achat de la grande distribution. Sur ce dossier, c'est au politique de prendre ses responsabilités, ce qu'il a fait dernièrement, afin d'assainir et de rationaliser ces relations.

Je me félicite donc, ce soir, que M. Soulage, M. le président du Sénat et le M. le président de la commission des affaires économiques aient pris l'initiative d'organiser ce débat qui nous permettra, je l'espère, de tirer les enseignements de ces années difficiles et d'offrir aux producteurs quelques perspectives d'avenir encourageantes.

En préambule, je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l'importance que représente la filière des fruits et légumes pour les territoires ruraux dans leur ensemble, qu'ils appartiennent ou non aux grandes régions productrices.

En Corrèze, département naturellement tourné vers les productions bovines et plus particulièrement vers le veau élevé sous la mère, les productions de fruits et légumes jouent un effet de levier économique irremplaçable pour les exploitations Leur intérêt n'est plus à démontrer. Imaginez-vous, monsieur le ministre, le marché de Brive-la-Gaillarde...

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Il est superbe !

M. Bernard Murat. ... privé de ses fruits et légumes de qualité, sans ses maraîchers écoulant chaque samedi leurs produits frais pour la plus grande joie et la santé de leurs acheteurs...

M. Dominique Bussereau, ministre. C'est impensable !

M. Bernard Murat. Dans l'intérêt de nos territoires, et pour leur défense, la survie de cette filière est donc primordiale. Je tenais simplement à le rappeler et à insister sur le fait que nous sommes tous concernés par cette question, car la production des fruits et légumes, au-delà des productions intensives, est un élément incontestable d'équilibre financier pour les productions agricoles multiformes.

Dans un premier temps, je souhaiterais revenir sur les dispositions adoptées la semaine dernière dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, car elles répondent concrètement aux préoccupations des professionnels de la filière. Leur adoption va en effet permettre de donner suite rapidement aux réflexions menées en matière de relations commerciales dans le domaine agricole. Je sais, monsieur le ministre, combien vous avez oeuvré pour qu'il en soit ainsi, et nous vous en remercions.

Autoriser les annonces de prix pour les fruits et légumes frais intervenant dans une courte durée précédant la période de validité de l'annonce, conditionner les remises, ristournes et rabais à la signature d'un contrat écrit incluant des clauses sur le principe du « prix plancher », prévoir une responsabilité en cas de pratique de prix abusivement bas, organiser un encadrement des marges sont autant de mesures qui vont permettre une certaine régulation du marché des fruits et légumes. Nous ne pouvons que nous en féliciter !

Je voudrais aussi revenir sur l'adoption par le Sénat de l'amendement de mon collègue Daniel Soulage, que j'ai d'ailleurs cosigné, instaurant la mise en place du mécanisme du coefficient multiplicateur.

J'ai bien entendu les arguments du Gouvernement, en particulier ses arguments juridiques ; mais pour redonner confiance aux producteurs, il fallait une mesure forte, d'autant plus qu'elle était réclamée et attendue depuis longtemps.

Nous ignorons encore ce qu'il en adviendra, mais elle pourrait répondre aux situations de crise observées ces derniers temps en permettant de corriger les freins à la consommation liés à des prix excessifs au détail au regard du prix de production.

Je voudrais aussi saluer l'initiative du Gouvernement qui, face à l'ampleur sans précédent de la crise de cet été, a débloqué un certain nombre d'aides financières destinées à soutenir la filière durement touchée.

S'agissant des aides de l'ONIFLHOR, vous me permettrez de signaler que le taux de spécialisation imposé pour en bénéficier est toujours de 50 %. Cela élimine d'office les exploitants qui ont joué, souvent pour survivre et équilibrer leurs revenus, la carte de la diversification de leurs productions. Tel est le cas, si l'on exclut la pomiculture, de nombreuses exploitations corréziennes : seuls vingt dossiers sont actuellement éligibles, soit moins de 10 % des producteurs.

Afin d'élargir la base d'éligibilité des dossiers, un abaissement du taux de spécialisation à 30 % paraîtrait opportun. Cet abaissement avait été envisagé, semble-t-il, pour être ensuite abandonné. Peut-être pourrez-vous nous fournir quelques précisions sur cette question aujourd'hui, monsieur le ministre ?

Parer à la crise de ces derniers mois, telle était l'urgence. Mais gérer le présent ne suffit pas, car il faut aussi préparer l'avenir.

L'un des axes fondamentaux sur lesquels nous devons centrer notre action concerne les facteurs de compétitivité des entreprises de la filière.

Je me contenterai d'évoquer le problème des charges et du coût de la main-d'oeuvre de ces entreprises, ainsi que les difficultés rencontrées par ces dernières pour recruter des emplois saisonniers de ressortissants français.

Créateur de centaines de milliers d'emplois, le secteur des fruits et légumes se caractérise par un coût de main-d'oeuvre très élevé. Il constitue en réalité l'élément majeur des coûts de production du secteur. Le phénomène s'est d'ailleurs accentué ces dernières années du fait de la réduction du temps de travail, de l'augmentation du smic, des problèmes liés au recrutement et à la fidélisation de cette main-d'oeuvre.

Il est donc aujourd'hui nécessaire de trouver des solutions pour permettre aux coûts de main-d'oeuvre en France de s'aligner sur ceux de nos concurrents intracommunautaires ou extracommunautaires.

En effet, différentes études montrent combien les producteurs de fruits et légumes subissent de plein fouet les distorsions de concurrence des autres producteurs européens, puisque de forts écarts ont été constatés concernant la valeur des salaires minimaux, le taux des cotisations sociales, la durée du travail et les conditions d'accès à la main-d'oeuvre étrangère.

Ces graves distorsions de concurrence nuisent à la compétitivité et expliquent en partie la crise actuelle du secteur.

Très attentif aux attentes des professionnels sur ce volet, le Gouvernement a d'ores et déjà annoncé un certain nombre de mesures spécifiques. Des groupes de travail étudient encore cette problématique essentielle et d'une brûlante actualité. Puis-je me permettre, monsieur le ministre, de vous demander quel est l'état d'avancement de leurs travaux ?

Peut-être pourrait-on envisager une harmonisation sociale européenne ? Je n'entrerai pas dans le détail des dispositions qui pourraient être prises en la matière, car elles vont des allégements de charges pour les producteurs à la mise en place « d'un contrat cueillette » ou d'une période transitoire à la libre circulation des travailleurs. Mais il pourrait à mon avis s'agir là d'orientations fortes de nature à rassurer la filière.

Ce n'est d'ailleurs là qu'une d'une toute petite partie du plan à mettre en oeuvre afin de rendre cette filière compétitive. Ce plan devra être complet et doté de moyens financiers garantissant l'efficacité des mesures prises. Je sais que vous en avez conscience, monsieur le ministre, et votre présence parmi nous ce soir le prouve. Je crois que nous pouvons à l'évidence vous faire confiance à cet égard.

Puisque nous sommes encore dans la période des voeux, permettez-moi, à titre personnel, de formuler le souhait que les réponses que vous apporterez aux producteurs de fruits et légumes de France prennent toute la mesure des enjeux de cette filière, afin de favoriser le développement de stratégies gagnantes-gagnantes pour la société, pour les consommateurs, pour nos territoires ruraux et, bien sûr, pour la filière elle-même, créatrice d'emplois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Daniel Soulage a évoqué les différents problèmes que connaît la filière des fruits et des légumes.

Je veux pour ma part attirer l'attention de M. le ministre sur une question qui nous préoccupe particulièrement. En effet, au même titre que les autres employeurs de la production agricole, les chefs d'entreprise de maraîchage bénéficient de taux réduits de cotisations patronales sur les salaires lors de l'emploi de travailleurs occasionnels et autres personnes visées par le décret n° 95-703 du 9 mai 1995 modifié : il s'agit notamment de tous ceux qui participent, par exemple, à la cueillette du muguet ou à la récolte de la mâche dans la région nantaise où je réside, ou à des récoltes de tomates ou de fruits dans d'autres régions françaises. Ces taux réduits sont appliqués dans la limite d'une durée de cent jours.

A la suite de cette période d'application de taux réduits, lorsque le salarié est encore présent dans l'entreprise - c'est souhaitable, pour éviter la précarité -, l'employeur, dans les conditions prévues par le décret en question, acquitte les cotisations en bénéficiant de la réduction générale des cotisations de sécurité sociale créée par la loi n° 2003-17 du 17 janvier 2003, communément appelée « allégement Fillon ».

Or, se fondant sur un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, relatif à une association intermédiaire et ayant donc une autre nature qu'une exploitation agricole, la MSA, organisme collecteur des cotisations, a décidé que les exploitants n'avaient pas droit à l'allégement Fillon lorsqu'ils avaient bénéficié dans l'année des réductions de taux prévues par le décret du 9 mai 1995.

Pour nous tous, il s'agit là d'une interprétation du principe du non-cumul des allégements inscrit dans la loi que l'on peut qualifier d'« abusive », la notion de cumul intégrant celle de simultanéité des faits générateurs et n'interdisant pas leur succession.

De plus, ne se satisfaisant pas de l'application immédiate d'une décision préjudiciable, les caisses de la MSA ont décidé, au lieu d'appliquer l'allégement Fillon, de recalculer les charges des entreprises sur la base des taux pleins, rétroactivement sur l'année 2004 et sur une partie de l'année 2003.

Ces dispositions manquent de loyauté au regard des employeurs qui ont réglé leurs cotisations sur la base des appels de la MSA. Elles vont encore aggraver la situation des entreprises du maraîchage qui, fortement employeuses de main-d'oeuvre - cela a été dit à plusieurs reprises -, sont durement touchées par les distorsions sociales européennes.

Ce sont les travailleurs qui seront bien évidemment les victimes de ces mesures condamnant les employeurs à ne pas dépasser les cent jours de travail par salarié et à maintenir des emplois précaires !

Monsieur le ministre, J'aimerais connaître votre position à l'égard de cette « interprétation » de la MSA, laquelle me paraît quelque peu incohérente, en tout cas avec l'esprit du texte de la loi Fillon que je viens d'évoquer en matière d'allégement. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question qui nous est posée aujourd'hui a trait à l'aide aux producteurs de fruits et légumes, particulièrement éprouvés en 2004 sur la quasi-totalité de leurs productions. Cette question interpelle naturellement le Gouvernement sur ses intentions en matière d'aide aux producteurs, les décisions précédentes n'ayant eu que très peu d'effets.

La question s'élargit ensuite à la nécessaire réforme de l'Organisation commune de marché et à la mise en place d'un véritable dispositif de gestion de crise à l'échelon européen.

Malgré l'urgence de décisions efficaces, cette question est un round de préparation aux lois à venir ayant trait à la modification de la loi Galland, dans le cadre de la loi Jacob, ainsi qu'à la future loi d'orientation agricole. Disons qu'au mieux nous pouvons espérer l'amorce de l'esquisse de propositions à la fin de l'année 2005 ou au début de l'année 2006.

C'est une question qui intervient à un moment privilégié, dans la mesure où nous débattons actuellement du développement des territoires ruraux et où la notion de coefficient multiplicateur vient d'être adoptée par le Sénat.

Espérons d'ailleurs que cet amendement relatif au coefficient multiplicateur en cas de crise survivra à la commission mixte paritaire. Nous y serons très attentifs, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, d'autant que M. le secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et à la ruralité a affirmé que le dispositif du coefficient multiplicateur disparaîtrait de toute façon.

La crise que nous vivons touche toutes les régions de France, tout particulièrement les régions du sud de la France et du nord de la Bretagne - Côtes d'Armor, Finistère et Ille-et-Vilaine - où la récente crise du chou-fleur a montré, une fois de plus, les contradictions du système économique libéral en place.

Cette crise se distingue par son ampleur et sa durée. Selon l'INSEE, les prix des fruits et légumes en juillet 2004 étaient en recul de 26,5 % par rapport à 2003. La perte pour les producteurs sur le plan national est estimée à 600 millions d'euros par an, et cette crise dure et s'accentue depuis plusieurs années.

Souvent mises en avant, les causes conjoncturelles des crises sont multiples et servent à cacher le vrai mal qui se situe dans les causes structurelles de l'organisation même du marché. L'abondance de l'offre, ou surproduction, et la faiblesse de la demande sont souvent évoquées pour masquer la réalité des importations abusives à bas prix et celle d'une France qui ne produit que 65 % de sa consommation.

La faiblesse de la demande a elle-même ses causes qui s'appellent baisse du pouvoir d'achat et défaut d'incitation des pouvoirs publics à la consommation de ces produits naturels.

Le défaut d'organisation des producteurs face à la grande distribution, lui aussi souvent évoqué, soulève le problème de la faiblesse des aides gouvernementales à l'Organisation commune de marché et son laxisme à l'égard des pratiques scandaleuses des grandes et moyennes surfaces, les GMS, et des centrales d'achat. Rappelons également que ces productions ne bénéficient pas des aides de la politique agricole commune.

A propos des aléas climatiques, les effets de ces derniers peuvent être contraires : à titre d'exemple, la douceur du climat breton a favorisé la production des choux-fleurs et avancé leur arrivée sur le marché ; le tout bien combiné avec des importations massives de choux-fleurs de Pologne, il en est résulté une belle crise ! A contrario, le mauvais temps, le gel et la neige font parfois flamber les prix de produits difficiles à extraire du sol.

Cela pose en grand la nécessité d'avancer vite en matière d'assurance récolte et de calendriers d'importation, national, communautaire et extracommunautaire.

Les causes les plus profondes des crises sont purement structurelles.

Elles s'appellent : « Racket des GMS et pratiques mafieuses des marges arrière, rabais, ristournes, déréférencement ».

Elles s'appellent : « importations abusives et distorsions de concurrence intracommunautaire et extracommunautaire » en vue du dumping économique.

Elles s'appellent : « découplage des aides » dans la nouvelle PAC et permettent de produire autre chose que le produit pour lequel des primes sont perçues. Pourquoi ne pas produire des fruits et légumes en lieu et place des céréales ? C'est la « désorganisation organisée » du marché qui se met en place.

Parlons maintenant des effets dévastateurs de ces crises qui frappent avant tout des femmes, des hommes, des familles.

En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, 250 producteurs sont au bord du dépôt de bilan, ce qui signifie la disparition de milliers d'exploitations sur le plan national et des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs dont la reconversion est très compliquée. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la spéculation foncière et immobilière s'en trouve stimulée.

La crise frappe durement les plus petits producteurs, mais elle n'épargne pas les entreprises maraîchères de taille respectable, plombées par leurs investissements.

La crise frappe aussi l'emploi des saisonniers dont le statut, déjà précaire, est peu enviable. Les emplois saisonniers sont également menacés à terme par la directive Bolkestein qui s'apprête à fournir légalement en France une main-d'oeuvre très bon marché, dépendant de la législation sociale de son pays d'origine.

La crise, ce sont aussi des économies régionales mises à mal, un affaiblissement de la biodiversité végétale par les standards imposés des GMS. Enfin, à terme, c'est l'indépendance alimentaire du pays qui est menacée.

Face à cette crise, le Gouvernement n'a pas eu grand-chose à mettre sur la table, préférant l'austérité budgétaire à toute autre considération qui serait pourtant vitale pour notre pays. Certes, 10 millions d'euros ont été dégagés, à la fin de l'été 2004, en aides directes de trésorerie, 50 millions d'euros en prêts de consolidation - à rembourser ultérieurement - et 10 millions d'euros à venir en direction de l' ONIFLHOR, le tout agrémenté par quelques mesures en faveur de la publicité hors des lieux de vente, l'utilisation des médias et des dispositions fiscales en direction des salariés.

Pour être objectif, il faut rapprocher ces dispositions des 600 millions d'euros de perte annuelle de la profession ou des 530 millions d'euros de cadeaux à la grande distribution et à la boucherie dans le cadre de la suppression de la taxe d'équarrissage.

Quant au grand coup de bluff de M. Sarkozy sur la baisse des prix à la consommation, les consommateurs ne l'ont pas ressentie. En revanche, les producteurs ont affiché une nette baisse de leurs prix. Il a été fréquemment constaté cet été que les fruits et légumes étaient nettement moins chers sur les marchés locaux que dans la grande distribution.

Les dispositions proposées et adoptées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ne suffiront pas si le dispositif du coefficient multiplicateur n'est pas validé. Je rappelle que ce dispositif présente un double avantage : d'un côté, en évitant les pratiques de marges abusives de la grande distribution, il tire vers le haut les prix à la production, ce qui permet aux producteurs, en particulier aux petits producteurs, d'afficher des prix rémunérateurs. De l'autre côté, il tire vers le bas les prix à la consommation en préservant ainsi le pouvoir d'achat des consommateurs.

Ce type d'indexation des prix d'achat aux producteurs et des prix aux consommateurs permet non seulement d'éviter les comportements prédateurs de la distribution, mais aussi de favoriser la transparence en matière de fixation des prix !

Nous savons bien que les prix à la consommation des fruits et légumes sont parfois trop élevés et créent des difficultés d'écoulement et des surproductions sur certains marchés. Mais, dans la majorité des cas, ce niveau trop élevé des prix est le résultat des ponctions opérées par la grande distribution, par le biais de marges abusives et par des importations à des prix bradés, véritables prix de dumping.

Dès lors, dans le contexte actuel de crise de la filière fruits et légumes, comment ne pas s'étonner de l'analyse menée par la commission Canivet, laquelle voit dans l'insuffisante baisse des prix des produits de grande consommation des obstacles à la libre concurrence ?

Ainsi, tout en prenant en compte la spécificité des produits agricoles, le rapport rejette les propositions du coefficient multiplicateur et des prix minima parce que contraires aux règles européennes.

Dans les cent trente pages du rapport, il n'y a pas un mot sur les conditions de travail et de rémunération des employés des grands magasins ni sur les milliers de petits paysans surexploités, qui n'arrivent pas à vivre de leur travail et qui sont de plus en plus acculés à la faillite. Faire abstraction de ces données et croire que l'on peut, grâce à la libre concurrence et donc à la suppression de la législation et de la réglementation actuelles, relancer la consommation au moyen de la baisse des prix est non seulement un leurre, mais également une grave erreur.

La remise en cause de la loi Galland, de la loi Raffarin et de la loi relative aux nouvelles régulations économiques mérite plus ample réflexion.

Certes, la loi Raffarin de 1996 n'a pas ralenti le rythme de disparition du petit commerce qu'elle était censée protéger et elle n'a pas freiné l'extension et la concentration des grandes enseignes. Entre autres facteurs explicatifs, la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA, n'a-t-elle pas été détournée des objectifs pour lesquels elle avait été créée, à savoir l'aide au maintien du petit commerce ?

L'interdiction de revente à perte instituée par la loi Galland constitue, au final, un dispositif protecteur pour les fournisseurs, et c'est la raison pour laquelle les agriculteurs ont toujours protesté d'en être exclus.

Avec la suppression de ces lois, ce sont autant de dispositions comme les seuils de revente à perte, les obligations de transparence et de non-discrimination dans les relations entre fournisseurs et distributeurs, le gel administratif d'implantation de nouvelles surfaces de vente supérieure à 300 mètres carrés qui disparaîtraient.

Les propositions du Gouvernement qui ont été avancées dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et celles qui sont notamment relatives aux dispositifs de sanction prévus en cas de pratique de prix abusivement bas ne sont-elles pas bien pâles et beaucoup moins protectrices face à l'interdiction de vente à perte qu'il aurait fallu étendre aux agriculteurs plutôt que la supprimer ?

Ce sont les centrales d'achat et les grandes et moyennes surfaces qui n'ont eu de cesse de contourner la législation, entraînant le développement des marges arrière qui représentent jusqu'à 30 % du prix officiel affiché sur les factures des fournisseurs, ce qui constitue au fond un véritable « racket organisé ».

M. Gérard Le Cam. Or, la commission Canivet propose ni plus ni moins de légaliser ces pratiques de marges arrière, en les transformant progressivement en marges avant, et de fixer le seuil de revente à perte au prix dit « triple net », c'est-à-dire déduit des ristournes, remises, rabais et coopération commerciale.

Après ces constats et remarques, il convient d'avancer un certain nombre de propositions concrètes et efficaces dans un contexte où, depuis 1992, l'agroalimentaire et la grande distribution ont bénéficié d'un transfert de valeur ajoutée en provenance de l'agriculture à hauteur de 12 milliards d'euros par an.

La grande distribution est la première bénéficiaire des réformes de la politique agricole commune de 1992 et de l'Agenda 2000.

Les agriculteurs ont perdu 12 milliards d'euros par an sur la vente globale de leurs produits ; en retour, ils n'ont perçu que 2 milliards d'aides compensatoires. Ils ont donc été volés de 10 milliards d'euros par an.

Les consommateurs et contribuables n'ont pas bénéficié de la baisse des prix à la consommation ; ils ont déboursé, pour leur part, 2 milliards d'euros par an pour financer les aides compensatoires européennes.

Il est nécessaire de prendre des dispositions volontaristes : seuls des prix rémunérateurs sont à même de permettre une agriculture sereine et pérenne. Cela passe par de nombreuses mesures qui, comme l'indiquent nos ministres, sont souvent contraires à l'esprit communautaire, mais sont indispensables au nom de la subsidiarité et de l'intérêt national.

Le coefficient multiplicateur doit être gravé dans la loi française et appliqué, dans un premier temps, aux périodes de crise, puis, dans un second temps, d'une manière permanente.

La préférence communautaire, l'harmonisation des charges et l'unicité des prix, qui sont aujourd'hui absentes du projet de Constitution européenne, doivent y figurer. Il en va de même de l'encadrement des pratiques des GMS au moyen de l'interdiction des marges arrière et autres pratiques de rabais, remises et ristournes ainsi que de l'instauration, produit par produit, d'un prix minimum et d'un prix rémunérateur de référence.

D'autres mesures, telles que le calendrier d'importations - encadrement des productions par régime et par pays -, l'orientation vers les conserves et l'appertisation, devraient également permettre de réguler l'offre et de maintenir des prix rémunérateurs.

La consommation des fruits et légumes mérite également d'être resituée dans la société de consommation qui nous est imposée. Indispensables à notre santé, les fruits et légumes méritent d'être promus sur le plan médiatique, afin d'inciter nos concitoyens à les consommer, notamment en dehors des produits préparés à très forte valeur ajoutée.

En conclusion, ce sujet, qui a fait l'objet d'un débat aujourd'hui, appelle des mesures radicales et urgentes, qui sont certes souvent contraires à l'esprit communautaire. Cet esprit libéral qui fait tant de mal doit donner à réfléchir à chacune et à chacun d'entre nous avant d'aller nous perdre dans les choux ... de Bruxelles, bien sûr ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos, qui complètera l'excellente intervention de notre collègue François Marc, portera sur deux points.

J'aborderai tout d'abord la question de la reconnaissance des difficultés de production des fruits et légumes en région de montagne, puis celle de la réglementation française en matière d'agriculture biologique, qui est beaucoup plus restrictive que la réglementation européenne.

S'agissant du premier point, et tout particulièrement de l'arboriculture, il paraît tout à fait légitime et équitable, compte tenu des fortes contraintes pesant sur les départements de montagne - altitude moyenne de ces départements, relief accidenté qui les caractérise généralement avec, le plus souvent, des plantations sur coteaux, structure même des exploitations avec de très petites parcelles et des faibles rendements liés à ces conditions particulières -, que l'indemnité compensatoire de handicap naturel, l'ICHN, soit appliquée sur le terrain avec une plus grande souplesse dans ces départements et sur l'ensemble des départements savoyards, et ce si possible sans distinction de zone.

Par ailleurs, pour que les arboriculteurs puissent vivre de leur production, dans un contexte économique national et international difficile, et au regard des moindres tonnages à l'hectare qui sont réalisés en montagne, la profession souhaite que le prix de vente soit calculé à partir du prix de revient, quitte à proposer une transparence totale des charges du producteur et du distributeur.

En ce qui concerne le maraîchage dans ces départements, là aussi les exploitations sont de petite taille. Eu égard au climat et au relief, les contraintes sont fortes, avec des exploitations faiblement mécanisables, ce qui entraîne forcément un coût de main-d'oeuvre élevé.

Ces éléments expliquent les forts écarts de prix de revient avec d'autres zones de production et justifieraient l'établissement d'une aide pour « zone difficile » dans les départements concernés.

De plus, pour pouvoir valoriser leur production, les maraîchers d'altitude se sont fortement tournés vers la vente directe, ce qui augmente de façon très sensible le temps de travail ; l'aide que je viens de proposer viendrait, pour partie, compenser ce surcroît de travail.

Par ailleurs, s'agissant des deux filières arboricole et maraîchère, j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que, d'une façon globale -  ce n'est en effet pas exclusivement le cas dans les territoires où les emprises foncières sont faibles -, la pression foncière menace directement les exploitations. On touche là à la problématique du périurbain.

En effet, les meilleures terres sont en plaine ; les coteaux ensoleillés qui entourent nos agglomérations sont propices non seulement à l'agriculture, mais également au développement de l'habitat ; on privilégie une meilleure précocité en plaine pour les cultures qui sont là aussi menacées par le développement de l'urbanisation ; l'accessibilité à l'eau pour l'irrigation y est aussi plus facile ; enfin, l'importance de la proximité des bassins de consommation est un élément important qu'il ne faut pas négliger.

Il est donc indispensable de conserver une place aux maraîchers et aux arboriculteurs dans les aménagements des zones périurbaines pour éviter leur disparition pure et simple. Cela passe par une attention particulière et continue durant la phase d'élaboration des documents prospectifs en matière d'urbanisme, tel que le schéma de cohérence territoriale créé par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, de la part de tous les acteurs appelés à contribuer au contenu de ces schémas de référence, qu'il s'agisse des élus, des chambres consulaires, de l'Etat, ou des personnes qualifiées amenées à contribuer à cette élaboration.

Cela passe aussi par la mobilisation de moyens dont ne disposent pas toujours les collectivités territoriales pour la maîtrise foncière, laquelle conditionne le maintien de l'agriculture périurbaine. Comment l'Etat peut-il répondre à cet objectif ?

Par ailleurs, comment peut-on faire évoluer le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, pour que celles-ci concourent à pérenniser les productions de proximité de fruits et légumes et à favoriser ainsi les circuits courts tout en ayant une activité qui ne se cantonne plus uniquement à une mission agricole ?

Au moment où se créent, sur le territoire national, des établissements publics fonciers locaux, comment pouvons-nous mutualiser les moyens pour favoriser une complémentarité de ces outils fonciers ?

Le second volet de mon intervention concerne la réglementation relative à l'agriculture biologique.

J'ai suggéré tout à l'heure que puissent être reconnus, dans les prix de vente, les produits de la filière fruits et légumes de montagne. A cet égard, je souhaite vous faire part de certaines interrogations des professionnels appartenant à ces deux filières en matière de réglementation française de la production agricole biologique, laquelle est aujourd'hui beaucoup plus restrictive que la réglementation européenne.

En effet, sur le marché, nombreux sont les produits agréés par le règlement CEE n° 2092/91 de l'agriculture biologique et non autorisés en France. Ces produits sont pourtant systématiquement utilisés dans les autres pays de l'Union européenne dans le domaine de l'arboriculture fruitière.

La non-homologation des produits que je viens de citer est très certainement liée au coût très élevé des homologations françaises au regard du marché que représente aujourd'hui, sur notre territoire, l'agriculture biologique. Cette absence d'homologation est certainement également due au fait que les produits utilisables dans l'agriculture biologique proviennent de procédés biologiques de production, telles les fermentations, qui ne peuvent garantir des teneurs toujours parfaitement identiques en « matières actives », condition incontournable pour obtenir une homologation en France.

De fait, cette situation crée une distorsion de concurrence évidente en matière de production, qui est doublée d'une distorsion de concurrence économique puisque les produits des autres pays de l'Union européenne, conformes au règlement européen, sont librement mis sur le marché en France. Il s'agit là d'un sujet tout particulièrement sensible dans les départements producteurs frontaliers.

Aussi me semble-t-il urgent, notamment après en avoir discuté avec des producteurs de fruits arboricoles, de mettre la réglementation française en adéquation avec le règlement européen en matière de production de l'agriculture biologique, tout en restant bien évidemment vigilant en termes de sécurité alimentaire.

En effet, je remets en cause la distorsion évidente de concurrence entre les pays de l'Union européenne, mais je n'ai pas les moyens d'apprécier les politiques de sécurité alimentaire des autres pays de l'Union européenne. Toutefois, je n'ai pas de raison de penser que nos voisins allemands, par exemple, prennent des risques inconsidérés dans ce domaine, eux qui plébiscitent une alimentation saine à partir de produits issus de l'agriculture biologique, à l'instar d'ailleurs d'un pays voisin qui ne fait pas partie de la Communauté économique européenne, la Suisse, pays pionnier en la matière.

Monsieur le ministre, j'attends que vous répondiez aux interrogations et aux craintes des producteurs maraîchers et des producteurs de la filière arboricole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.

M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a adopté plusieurs amendements tendant à instituer un mécanisme de régulation des prix des fruits et légumes. Je tiens tout particulièrement à vous remercier, monsieur le ministre, de la rapidité avec laquelle les recommandations formulées par la commission Canivet et régissant les rapports entre fournisseurs et distributeurs ont pu être appliquées.

De surcroît, je le sais, vous allez travailler en étroite collaboration avec Christian Jacob pour élaborer un certain nombre de mesures.

S'agissant des problèmes relatifs aux fruits et légumes, l'essentiel a été dit, mais j'aimerais toutefois attirer votre attention sur deux points.

Je parlerai tout d'abord de l'aspect commercial. Sincèrement, je crois que tout le monde doit apporter sa contribution. La profession doit mieux s'organiser pour avoir une meilleure approche de l'offre.

En tant qu'agriculteur, j'ai pu constater - et je l'ai aussi remarqué lorsque j'ai exercé des responsabilités au sein des chambres d'agriculture et ailleurs - que la situation s'est améliorée chaque fois que la profession a identifié ses produits. A cet égard, je prendrai plusieurs exemples.

S'agissant, par exemple, des choux-fleurs, filière qui a déjà été évoquée tout à l'heure, l'organisation n'est pas efficiente. Mais dans le secteur du lait, qui a connu avant 1984 d'importantes difficultés et qui en connaît certes encore, je constate que des progrès significatifs ont été enregistrés. Il en est de même pour la betterave sucrière et, dans ma région, pour les pruneaux d'Agen. Le simple fait de disposer d'une organisation interprofessionnelle permet d'engager les discussions, ce qui est une bonne solution. On peut encore le vérifier dans la filière du tabac, qui connaît aujourd'hui une situation particulièrement difficile.

Il faut réussir à remettre sur pied ce processus. Ce n'est pas simple, et il faut que vous nous aidiez, monsieur le ministre, à faire en sorte que les choses soient transparentes. La notion de marges arrière n'est vraiment pas concevable ; on ne peut imaginer des mécanismes aussi peu transparents. Il faut donc parvenir à faire cesser ces procédés pour que les opérations se pratiquent dans des conditions correctes et que les amendements qui ont été proposés, tel le coefficient multiplicateur par exemple, puissent trouver leur application.

Par ailleurs, je remercie Daniel Soulage d'avoir accepté de conduire le groupe fruits et légumes, créé au sein de la commission des affaires économiques du Sénat ; je travaille à ses côtés.

Je développerai maintenant le second volet de mon intervention, qui concerne la main-d'oeuvre.

Comme Daniel Soulage et d'autres collègues l'ont souligné, le coût de la main-d'oeuvre pose aujourd'hui problème. Mon collègue Gérard Le Cam a fait état d'une situation qui peut évoluer.

Mais les chiffres sont têtus. L'année dernière, l'heure de ramassage des fruits coûtait 6,15 euros en Allemagne, contre 8,30 euros en France. Comment expliquer ce décalage  à un producteur en difficulté ?

En outre, et je le dis notamment à ceux qui sont peut-être moins investis dans ces productions sensibles, nous devons nous préoccuper dans cette assemblée des problèmes de souplesse en termes d'emplois.

Je prendrai un exemple typique dans mon département, celui de la fraise, qui est un produit extrêmement sensible. Sans doute ne savez-vous pas, mes chers collègues, que le revenu de la fraise se joue quelquefois en l'espace de trois ou quatre jours. La réactivité doit alors être extrêmement forte : il faut mobiliser des gens qui acceptent de ramasser ces produits. Imaginez qu'il faille, le soleil faisant son oeuvre, un vendredi soir ou un samedi, veille du week-end de la Pentecôte, trouver trente ramasseurs. Les procédures légales sont telles que je vous mets au défi de voir des cueilleurs dans les champs de fraises avant le mardi midi ou le mercredi ! Et les fraises sont perdues ! Là est tout le problème.

Il ne s'agit pas de faire de l'esclavagisme, mais il nous faut trouver une solution à la fois extrêmement souple et respectueuse des intérêts des cueilleurs. En effet, c'est ce manque de souplesse qui a fait passer la production de fraises dans mon département de 25 000 tonnes - voilà vingt ans, il était le premier département français producteur de fraises - à 6 000 tonnes aujourd'hui. Si vous visitez quelques fermes, vous verrez que les problèmes de main-d'oeuvre ne se posent plus : il n'y a plus d'activité !

Je déplore d'autant plus cette situation  que je connais la valeur de ce fruit rouge, l'importance qu'il peut avoir et les frais qu'engagent la profession et l'Etat pour développer des recherches sur les variétés. Mais les producteurs ont perdu confiance et sont plongés dans une situation difficile.

J'espère que nous trouverons des voies meilleures. Cette situation dure depuis vingt ans. Je ne prends pas particulièrement le gouvernement actuel en défaut. Sur ce volet-là, tout le monde a échoué !

Monsieur le ministre, comment comptez-vous remédier à ces différents dysfonctionnements afin que les producteurs reprennent confiance et que d'autres perspectives soient offertes à notre pays ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons eu, grâce à Daniel Soulage, un débat de grande qualité. Je le remercie donc d'avoir posé cette question orale.

Vous avez les uns et les autres évoqué les préoccupations d'une filière qui jouit par ailleurs auprès de nos concitoyens d'une image forte et sympathique, ce qui constitue indéniablement un atout. J'apporterai donc, mesdames, messieurs les sénateurs, des éléments de réponse à vos interrogations et propositions en distinguant trois orientations : d'abord, les dispositions adoptées pour faire face à la crise de 2004 ; ensuite, au-delà de cette action conjoncturelle, le développement de dispositifs communautaires pérennes - beaucoup d'entre vous ont en effet évoqué les politiques européennes - ; enfin, l'amélioration des perspectives économiques de la filière.

La crise étendue de la filière en 2004 a nécessité des réponses d'urgence. Les mesures adoptées recouvrent des dispositions de nature financière, répondent à la volonté d'établir un dialogue entre l'amont et l'aval de la filière et, enfin, permettent de relancer une consommation atone.

D'abord, en ce qui concerne les mesures ciblées de nature financière, mon prédécesseur, Hervé Gaymard, a annoncé le 7 octobre dernier une série d'actions ciblées : 10 millions d'euros consacrés à des aides directes de trésorerie ; une enveloppe exceptionnelle de 50 millions d'euros de prêts de consolidation permettant d'étaler sur cinq ans, à coût réduit, les échéances bancaires des producteurs de fruits et légumes en difficulté financière ; l'échelonnement, voire la prise en charge partielle, de leurs cotisations à la Mutualité sociale agricole.

Je vous remercie d'avoir souligné que ces mesures ont été mises en place dans des délais très brefs. Vous savez, pour bien connaître le terrain, que les premiers paiements sont d'ores et déjà intervenus.

Par ailleurs, la déduction pour aléas, la DPA, a été aménagée de manière pérenne. En outre, je m'emploie à accélérer la finalisation de la mise en oeuvre des remboursements partiels en faveur des exploitants de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, mesures destinées à atténuer le poids de la hausse des prix de l'énergie qui avaient été annoncées par Nicolas Sarkozy et moi-même.

Ensuite, des mesures destinées à apporter une réponse partenariale associant l'amont et l'aval de la filière ont été prises. Chacun d'entre vous sait que le marché des fruits et légumes dépend très largement de ces relations. Sous l'égide des ministres de l'agriculture et du commerce, l'ensemble des partenaires de la filière est parvenu à un accord qui a été signé durant l'été 2004 et qui précise les pratiques commerciales régissant les relations distributeurs-producteurs, notamment en cas de crise, comme celle qui est survenue l'an dernier.

Enfin, des mesures visant à promouvoir la consommation des fruits et légumes ont été prises. C'est fondamental ! Les moyens du ministère de l'agriculture ont été mobilisés dès le début du mois d'août dernier par Hervé Gaymard, associés à ceux de l'interprofession et de la Commission européenne, pour lancer une opération de promotion radiophonique des fruits et légumes. Le ministère s'est également investi auprès des producteurs, en particulier les producteurs de tomates, pour relancer le marché.

Des moyens budgétaires supplémentaires étaient naturellement nécessaires.

Au-delà de ces mesures conjoncturelles, je souhaite accélérer la définition, par les différents partenaires de la filière, d'un plan de 10 millions d'euros mis en place par l'Office interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture, l'ONIFLHOR, afin d'engager des actions structurantes.

La loi de finances pour 2005 que vous avez votée récemment prévoit, dans le budget du ministère de l'agriculture, une augmentation de l'enveloppe de l'ONIFLHOR, qui s'élève à 59 millions d'euros en 2005. Cette disposition montre également le soutien déterminé de mon ministère en faveur de la filière fruits et légumes.

Deux chantiers restent à traiter à l'échelon communautaire. Au-delà de ces mesures d'urgence pour 2004, une réponse aux difficultés rémanentes doit être élaborée, pour partie, dans un cadre européen. C'est pourquoi je porterai devant les instances européennes deux dossiers, et j'ai d'ailleurs commencé à le faire lors du conseil des ministres de l'agriculture et de la pêche qui s'est tenu lundi dernier à Bruxelles : le dossier des mécanismes de gestion de crise et celui de l'adaptation de l'Organisation commune de marché.

J'attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l'importance du dossier de la gestion des crises et des risques. Vous vous souvenez que, lors de l'accord de Luxembourg de juin 2003, la Commission s'était engagée à déposer avant la fin de l'année 2004 un rapport suggérant des mesures relatives à la gestion des risques, crises et catastrophes naturelles lorsqu'elles surviennent à l'échelle nationale.

J'ai évoqué ce sujet à l'occasion des deux conseils des ministres de l'agriculture et de la pêche auxquels j'ai participé depuis ma nomination comme lors d'autres entretiens avec la nouvelle commissaire européenne, l'ancienne ministre danoise de l'agriculture, Mme Fischer Boel. J'ai senti des réserves de sa part, comme de la part de certains Etats membres. J'ai naturellement cherché à engager le dialogue avec mes collègues européens, en particulier à trouver une position commune avec l'Espagne, dont les préoccupations sont proches des nôtres. L'Italie pourrait s'associer à cette démarche. L'Allemagne, même si elle n'est pas demandeuse, adoptera, je l'espère, une position de neutralité.

Je dois dire devant la Haute Assemblée que la position de la Commission européenne n'est pas encore connue, Mme Fischer Boel ne m'ayant pas donné d'informations précises lundi dernier. Elle ne le sera qu'avec la présentation de son rapport devant le prochain conseil des ministres de l'agriculture et de la pêche, le 28 février prochain à Bruxelles, c'est-à-dire, vous le voyez, avec un certain retard malheureusement.

Par ailleurs, nous sommes confortés dans notre position par le fait que le cadre fixé par la présidence pour la réforme de l'Organisation commune de marché réaffirme notamment la nécessité de déterminer de nouvelles options en matière de gestion des crises et de simplifier l'utilisation des fonds opérationnels.

Ce dossier de gestion des crises et des risques est très important, et nous en avons besoin. En effet, dans le cadre de la réforme de la PAC, il n'existe plus d'instruments nationaux ou européens. Il nous faut donc un instrument autorisé par l'Europe dans ce domaine.

Parallèlement à ce traitement communautaire, le Gouvernement - Daniel Soulage en a parlé, et vous l'avez rappelé les uns et les autres -, a entrepris d'apporter une réponse aux risques naturels à travers le mécanisme de l'assurance-récolte, Daniel Soulage en a parlé. Ce mécanisme sera amplifié, conformément aux préconisations de M. Christian Ménard, député du Finistère. Le Gouvernement a décidé la mise en oeuvre progressive de ce dispositif, entre 2005 et 2007, en y consacrant spécifiquement, dès cette année, 10 millions d'euros. Un comité de suivi accompagnera sa mise en oeuvre et préfigurera l'Agence de gestion des risques dont le Président de la République a annoncé la création à Murat et que je souhaite inscrire dans le futur projet de loi d'orientation agricole.

Il faut également redessiner l'Organisation commune de marché afin qu'elle prévoie des outils spécifiques de gestion de crise pour ce secteur. Elle pourrait être articulée autour de deux orientations : d'une part, le soutien aux associations ou aux regroupements d'organisations de producteurs ; d'autre part, l'inscription dans son règlement des dispositions de gestion ou d'anticipation des crises spécifiques au secteur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le calendrier actuellement prévu par la Commission fixe une première échéance pour les fruits frais en septembre prochain, et pour les fruits transformés à la fin de l'année 2005.

Je tiens aussi à rassurer les producteurs qui ont connu des modifications de la réglementation communautaire en 1999, en 2001 et en 2003. J'ai à l'esprit le besoin de sécuriser sur le plan réglementaire les organisations de producteurs dans cet environnement particulièrement complexe. Comme l'a souligné Daniel Soulage, nous travaillons avec les professionnels pour encourager les investissements des exploitations dans le futur plan de développement rural national, le PDRN.

Le développement de la filière fruits et légumes est étroitement lié à trois questions : l'organisation économique de la filière et du marché des fruits et légumes ; la compétitivité économique, qui dépend notamment du coût du travail ; la valorisation de la production.

En ce qui concerne l'organisation économique, et Gérard Le Cam l'a rappelé, l'extrême diversité des producteurs parallèlement à la forte concentration des distributeurs pèse sur le revenu des producteurs et suscite leur exaspération en raison d'un rapport de force déséquilibré sur les marchés. C'est pourquoi il convient de stimuler une nouvelle organisation économique et commerciale plus efficace, qui pourrait prendre cinq directions.

Premièrement, il faut favoriser l'émergence de structures commerciales puissantes. Je suis convaincu que, tout en laissant vivre la diversité des circuits, qui est inhérente à ce secteur, il faut encourager la concentration de l'offre sur un plan commercial, conformément aux préconisations du rapport de M. Mordant. Tout cela est d'ailleurs un gage d'efficacité.

Deuxièmement, il faut rééquilibrer les relations avec la distribution. S'appuyant sur certaines recommandations du rapport Canivet, une réflexion est menée par Luc-Marie Chatel, député de la Haute-Marne, sur l'initiative de Christian Jacob, pour définir les modalités d'une relation plus équilibrée entre producteurs agricoles et distributeurs.

A cet effet, la Haute Assemblée a voté, la semaine dernière, un éventail d'outils et de mécanismes. Le Gouvernement souhaitait une telle adoption, dans un souci d'efficacité et avant que ne surgissent de nouvelles difficultés. Plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, le Gouvernement a proposé un dispositif complet et cohérent de quatre articles, préparés en concertation avec les professionnels. Ce dispositif répond d'ores et déjà à un certain nombre de leurs préoccupations en proposant un encadrement des marges par un mécanisme de cliquet.

Ce dispositif est proche, monsieur Soulage, dans sa finalité, du mécanisme du coefficient multiplicateur, qui était au coeur de votre amendement. Le Gouvernement n'a pas été favorable à votre proposition lors de sa présentation dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux - je parle sous le contrôle du président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine - en raison de son rejet par le rapport Canivet et de la contrainte communautaire.

J'ajoute que la proposition du sénateur Thierry Repentin visant à lier le prix de vente au prix de revient souffre des mêmes inconvénients.

Christian Jacob et moi-même serons très attentifs au bon fonctionnement du dispositif que vous avez voté, et qui respecte nos engagements communautaires. J'ai bien noté l'attente forte de tous ceux qui se sont exprimés sur ce point.

Troisièmement, la loi d'orientation agricole qui sera présentée au Parlement cette année pourra à mon avis être utilement mise à profit pour actualiser les missions des comités de bassin.

Quatrièmement, il convient d'associer les producteurs indépendants à l'organisation économique.

Les services du ministère de l'agriculture et l'ONIFLHOR ont, en association avec les professionnels, commencé à intégrer cette ouverture dans les différentes circulaires. En ce qui concerne les aides cofinancées par l'Europe, la Commission a d'ores et déjà été informée de cette évolution.

Par ailleurs, le soutien de la filière par l'Office connaît un nouvel élan. Ainsi, la rénovation du verger, à l'instar de l'aide aux serres, pourra bénéficier, non seulement de l'augmentation du budget de l'ONIFLHOR - j'ai rappelé les chiffres tout à l'heure -  mais également d'un financement du plan de développement rural national à hauteur de 25 % de l'aide, conformément à l'accord obtenu par la France auprès de la Commission européenne.

Cinquièmement, il faut fortifier les interprofessions. J'ai bien noté la détermination de M. Dominique Mortemousque sur ce point.

Le rôle des interprofessions est au centre des débats relatifs à l'évolution de la législation actuelle et - je vous l'indique d'ores et déjà - sera abordé lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, car le renforcement de ces interprofessions est indispensable. Il devra bien évidemment se faire après un dialogue préalable avec ces dernières.

Sur un plan un peu plus pragmatique, je souhaite la simplification de la procédure d'extension des accords interprofessionnels et la réduction, dans la mesure du possible, des délais de leur mise en oeuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous abordé le sujet de la compétitivité et de l'emploi.

La question de l'organisation professionnelle a déjà été évoquée. L'amélioration de la compétitivité de ce secteur passe par des dispositions fiscales portant à la fois sur la gestion des aléas et le coût du travail.

S'agissant du traitement des aléas, des dispositions relatives à la déduction pour aléas, la DPA, ont été adoptées : allongement du délai de réintégration fiscale des sommes épargnées au titre de la déduction pour aléas et aménagement de la DPA en faveur des secteurs fortement utilisateurs de main-d'oeuvre.

En ce qui concerne les coûts du travail - vous avez, les uns et les autres, en particulier M. Bernard Murat, cité des exemples intéressants, dont certains posent de réelles difficultés -,  le Gouvernement a pris des mesures visant principalement à alléger les cotisations sociales dues par les producteurs de fruits et légumes.

Par ailleurs, s'agissant des distorsions de concurrence entre les coûts de main-d'oeuvre dans les différents pays, que ces derniers appartiennent ou non à l'Union européenne, M. Jacques Le Guen, député du Finistère, missionné par le Premier ministre, doit remettre un rapport d'évaluation et de proposition avant la fin du premier semestre. Cette mission permettra également d'examiner les conditions dans lesquelles une extension du contrat de vendanges à d'autres travaux de cueillette et de récolte pourrait être réalisée, notamment à partir d'un bilan dudit contrat. Je m'adresse là plus particulièrement à Mme Gisèle Gautier.

D'ores et déjà, j'ai, en collaboration avec mon collègue M. Gérard Larcher, donné des instructions claires et nettes sur l'introduction de la main-d'oeuvre saisonnière étrangère. Elles seront applicables pour la campagne 2005.

J'indique également à Mme Gautier qu'un employeur dont le salarié perdrait le bénéfice de l'allégement accordé aux travailleurs occasionnels se verrait appliquer automatiquement l'allégement général, dit « allégement Fillon ». Je veillerai, madame le sénateur, à ce que la MSA informe les employeurs de cette règle de non-cumul.

Enfin - vous l'avez rappelé, les uns et les autres -, la valorisation de la production des fruits et légumes est indispensable et doit structurer notre action.

Elle doit prendre deux orientations essentielles : d'une part, la recherche et l'affichage de la qualité des produits français, non seulement pour répondre à la contrainte de la compétition internationale, mais aussi pour attirer les consommateurs ; d'autre part, l'affirmation du rôle des fruits et légumes dans une alimentation équilibrée - M. Daniel Soulage l'a indiqué à juste titre - et donc la promotion de leur consommation et de leurs bienfaits pour la santé, notamment dans l'optique de la lutte contre l'obésité, au moment où ce problème est posé de manière publique.

S'agissant de la recherche et de l'information sur la qualité, le secteur des fruits et légumes dispose encore de potentialités pour faire reconnaître la qualité de certains de ses produits. A ce jour, seules quinze dénominations géographiques concernent les fruits et légumes, et moins de 2 % des surfaces sont concernées, par exemple, par la mention « agriculture biologique ».

C'est pourquoi j'ai demandé que le plan national relatif à l'agriculture biologique soit l'occasion de relancer la production biologique et de rapprocher les cahiers des charges français et communautaires, pour éviter d'éventuelles distorsions de concurrence. Ce point a été soulevé par M. Thierry Repentin.

Dans la promotion des bienfaits d'une alimentation équilibrée, donc comportant des fruits et légumes, l'éducation joue un rôle primordial qui doit être renforcé : tel est l'un des axes du programme national nutrition-santé mobilisant les ministères de l'agriculture et de la santé.

Sur un plan pragmatique, des propositions ont été formulées pour encourager et rendre plus régulière la consommation de fruits et légumes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je retiendrai de ce débat quatre axes d'action pour le ministère de l'agriculture, axes qui devront trouver une traduction concrète et précise dans la loi d'orientation agricole : la gestion des aléas traitée sur le plan européen avec, notamment, la perspective de l'assurance récolte, l'amélioration de l'organisation économique du secteur, le renforcement de la compétitivité de ce dernier, en particulier à travers le coût du travail, la gestion de la qualité et la valorisation de la production.

Cette question des fruits et légumes nous mobilisera certainement à nouveau au cours des mois à venir, que ce soit lors de débats conjoncturels, de débats européens, ou à l'occasion de la préparation de la loi d'orientation agricole. Je vous remercie en tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, de l'avoir abordée aujourd'hui de façon concrète. Nous allons, si vous le voulez bien, travailler ensemble à apporter les réponses attendues. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de la séance de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.