sommaire
présidence de M. Roland du Luart
suivi des plaintes pour infractions au permis de construire
Question de M. Hubert Haenel. - Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes ; M. Hubert Haenel.
droits des collectivités locales dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire
Question de Mme Josette Durrieu. - Mmes Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes ; Josette Durrieu.
délimitation des zones concernées par un arrêté constatant l'état de catastrophe naturelle
Question de M. Dominique Braye. - Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur ; M. Dominique Braye.
critères de classement en zone sécheresse
Question de M. Michel Houel. - Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur ; M. Michel Houel.
conséquences des transferts des emplois tos aux départements et aux régions
Question de M. Yves Détraigne. - Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur ; M. Yves Détraigne.
projet de réhabilitation de la marque urbaine et du canal de roubaix
Question de M. Jean-René Lecerf. - MM. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer ; Jean-René Lecerf.
exécution du volet routier du contrat de plan dans le département de la gironde
Question de M. Philippe Madrelle. - MM. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer ; Philippe Madrelle.
projet d'électrification de la ligne ferroviaire paris-bâle
Question de M. Yannick Bodin. - MM. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer ; Yannick Bodin.
conditions d'acquisition de la nationalité française de l'ex-président de daewoo international
Question de Mme Marie-Christine Blandin. - M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer ; Mme Marie-Christine Blandin.
plan diabète et prévention des amputations
Question de Mme Anne-Marie Payet. - M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie ; Mme Anne-Marie Payet.
interdiction des distributeurs automatiques dans les établissements scolaires
Question de Mme Nicole Bricq. - M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie ; Mme Nicole Bricq.
difficultés des agriculteurs pour assurer la mise aux normes des bâtiments d'élevage
Question de M. Dominique Mortemousque. - MM. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie ; Dominique Mortemousque.
conséquences des hausses du prix de l'acier
Question de Mme Françoise Férat. - M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Mme Françoise Férat.
restructuration de la poste dans le nord
Question de Mme Michelle Demessine. - M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Mme Michelle Demessine.
restructuration de l'activité colis de la poste
Question de Mme Marie-France Beaufils. - M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Mme Marie-France Beaufils.
devenir du site de l'ancienne usine ugine
Question de M. Simon Sutour. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Simon Sutour.
inquiétudes des salariés de giat industries
Question de M. Bernard Fournier. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Bernard Fournier.
cumul d'une pension de réversion et d'une rente pour faute inexcusable de l'employeur
Question de M. Jean-Pierre Godefroy. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Jean-Pierre Godefroy.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
3. Turquie. - Débat sur une déclaration du Gouvernement
MM. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre ; Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères ; Hubert Haenel, président de la Délégation pour l'Union européenne ; Michel Mercier.
4. Libération des otages français en Irak
MM. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre ; le président.
5. Turquie. - Suite d'un débat sur une déclaration du Gouvernement
M. Robert Bret.
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
MM. Aymeri de Montesquiou, Jean-Pierre Bel, Bruno Retailleau, Jacques Blanc.
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. Bernard Seillier, Mme Dominique Voynet, M. Jacques Baudot.
M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
7. Création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations. - Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
Discussion générale : Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion ; M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Mme Bariza Khiari, MM. Bruno Retailleau, Alain Fouché, Yves Détraigne, Mme Eliane Assassi, MM. Bernard Seillier, André Lardeux.
Clôture de la discussion générale.
Mme la ministre déléguée.
Amendements identiques nos 4 de Mme Bariza Khiari et 13 de Mme Eliane Assassi. - M. Jean-Pierre Sueur, Mme Eliane Assassi, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet des deux amendements.
Amendement no 5 de Mme Bariza Khiari. - MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement no 6 de Mme Bariza Khiari. - Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 3
Amendement no 7 de Mme Bariza Khiari. - Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet.
Article 3 bis (supprimé)
Amendements identiques nos 8 de Mme Bariza Khiari et 14 de Mme Eliane Assassi. - M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Eliane Assassi, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet des deux amendements.
L'article demeure supprimé.
Amendements nos 1 de la commission et 9 de Mme Bariza Khiari. - MM. le rapporteur, Jean-Pierre Sueur, Mme la ministre déléguée, M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Retrait de l'amendement no 9 ; adoption de l'amendement no 1.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels avant l'article 16
Amendement no 10 de Mme Bariza Khiari. - Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet.
Amendement no 11 de Mme Bariza Khiari. - Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée. - Rejet.
Intitulé du titre II (réserve)
Amendement no 2 de la commission. - M. le rapporteur. - Réserve.
Amendements nos 12 rectifié bis de Mme Bariza Khiari, 3 de la commission et sous-amendement no 15 rectifié de M. Bernard Seillier. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Bernard Seillier, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Suspension et reprise de la séance
M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée, M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Rejet, par scrutin public, de l'amendement no 12 rectifié bis ; rejet du sous-amendement et de l'amendement.
Adoption de l'article 17.
Amendement no 2 de la commission. - Devenu sans objet.
Articles 17 bis à 17 quater. - Adoption
Demande d'une seconde délibération. - Mme la ministre déléguée, M. le président. - Adoption.
Amendement no A-1 du Gouvernement. - Mme la ministre déléguée, M. le rapporteur, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Pierre Sueur. - Adoption par scrutin public.
Adoption de l'article modifié.
Mme Bariza Khiari, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Eliane Assassi, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le président de la commission.
Adoption définitive, par scrutin public, du projet de loi.
Mme la ministre déléguée.
8. Dépôt d'une proposition de loi
9. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Questions orales
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
suivi des plaintes pour infractions au permis de construire
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel, auteur de la question n° 579, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de nombreux maires rencontrent des difficultés dans leurs relations avec les parquets, notamment dans la suite qui est donnée ou non aux procès-verbaux et plaintes qu'ils adressent aux procureurs de la République, par exemple dans le domaine des infractions aux permis de construire ou au droit de l'environnement constatées sur le territoire de leur commune.
Ces maires soulignent que, le plus souvent, les procès-verbaux sont classés sans suite sans qu'il leur soit donné d'explications circonstanciées.
Trop souvent aussi, la notification du classement qui est faite au maire est purement formelle.
Ils ont donc l'impression de ne pas être soutenus par les parquets dans leurs efforts pour faire respecter la loi ou que, tout simplement, ces mêmes parquets, faute de moyens ou même pour des raisons culturelles, n'estiment pas nécessaire d'engager un dialogue suivi avec le représentant de l'Etat dans la commune, le maire, qui, je le rappelle, est aussi officier de police judiciaire.
Par ailleurs, les maires se voient opposer par les services de police ou de gendarmerie, les services de l'équipement et autres services de l'Etat une fin de non-recevoir lorsqu'ils demandent des informations, voire des copies de procès-verbaux dans des affaires où ils ont déposé plainte ou porté à la connaissance de ces mêmes services les infractions qu'ils ont pu constater.
Madame la secrétaire d'Etat, je vous demande de bien vouloir m'indiquer quelles solutions vous envisagez de mettre en oeuvre pour traiter les difficultés rencontrées.
Il me semble, par exemple, que des instructions pourraient être données aux procureurs généraux et aux procureurs de la République pour qu'ils se rapprochent systématiquement des maires de leur ressort pour évoquer les difficultés rencontrées et pour mettre en oeuvre des solutions appropriées.
Un code de bonne conduite pourrait ainsi être instauré au niveau national et décliné dans le ressort de chacun des tribunaux de grande instance.
De la même manière, la loi pourrait être assouplie pour que les maires soient destinataires d'un certain nombre d'informations aujourd'hui couvertes par le secret professionnel, auquel sont tenus les agents et officiers de police judiciaire ou les magistrats.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes. Monsieur Haenel, je partage vos préoccupations quant à la nécessité de favoriser un dialogue équilibré entre les procureurs de la République et les maires des communes de leur ressort. De la qualité de ce dialogue dépend largement l'efficacité de la politique pénale dans certains domaines.
Au cours du 85ème congrès des maires et présidents des communautés de France, les élus locaux ont d'ailleurs été nombreux à regretter que les relations entre les maires et les procureurs ne soient pas plus constructives.
C'est la raison pour laquelle le président de l'association des maires de France et le ministre de la justice ont décidé de réunir un groupe de travail composé de six maires et de six magistrats du ministère public, afin d'améliorer la coopération entre maires et procureurs.
En novembre 2003, ce groupe de travail a élaboré un rapport contenant plusieurs propositions qui se sont concrétisées en 2004.
En premier lieu, il a été inséré dans la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le principe d'une information partagée entre le procureur de la République et le maire. La loi rappelle ainsi le principe de l'obligation de signalement qui pèse sur les maires et prévoit désormais expressément une nouvelle possibilité d'information de la part des procureurs de la République à leur égard, créant de ce fait un nouvel équilibre dans les relations.
Par ailleurs, j'ai le plaisir de vous annoncer qu'un fascicule intitulé « code de bonne conduite dans la circulation de l'information entre les maires et le ministère public » a été élaboré et diffusé concomitamment aux maires, procureurs généraux et procureurs de la République les 14 et 15 octobre dernier. Ce document devrait permettre de faciliter l'application des nouvelles règles d'information réciproque édictées par la loi et d'instaurer une véritable coopération entre élus locaux et représentants du ministère public.
La mise en oeuvre d'une étroite collaboration nous apparaît en effet particulièrement indispensable à l'efficacité du traitement de certains contentieux. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le contentieux de l'urbanisme -construction sans permis de construire ou avec un permis de construire irrégulier par exemple -, puisque les maires sont à la fois agents de l'Etat, victimes directes de ces agissements en leur qualité de représentant de la commune et les principaux interlocuteurs des procureurs de la République, en ce qui concerne tant la dénonciation des faits délictueux que la mise en oeuvre de procédures de régularisation.
Je rappelle en effet que les dispositions du code de l'urbanisme dans ce domaine associent étroitement les élus locaux aux opérations de mise à exécution des décisions administratives et judiciaires visant à mettre un terme aux agissements délictueux, en leur conférant des prérogatives importantes, telles que la faculté d'ordonner l'interruption de travaux illicites, la saisie du matériel de chantier ou l'apposition de scellés.
Par ailleurs, depuis la loi du 31 décembre 1976 portant réforme de l'urbanisme, l'autorité administrative - maire, préfet ou direction départementale de l'équipement - est tenue, lorsqu'elle a connaissance d'une infraction en matière d'urbanisme, d'en faire dresser procès-verbal et d'en transmettre immédiatement une copie au parquet.
Le ministre de la justice envisage à cet égard d'adresser des instructions précises aux parquets généraux par la voie d'une circulaire pour que, dans ce domaine comme dans d'autres contentieux liés à la protection de l'environnement, une action concertée soit mise en place avec l'ensemble des partenaires administratifs et des autorités publiques, tant dans le domaine de l'élaboration de la politique pénale que dans son suivi.
D'ores et déjà, la loi du 9 mars 2004 a prévu un dispositif spécifique permettant d'assurer une meilleure diffusion de ce type d'information.
Le nouvel article 40-2 du code de procédure pénale, entré immédiatement en vigueur, inscrit en effet dans la loi le principe d'information de la victime des suites réservées à sa plainte, que les faits dénoncés aient donné lieu à un classement sans suite, à des poursuites ou à des alternatives aux poursuites. Les avis de classement doivent désormais être motivés et mentionner les raisons juridiques ou d'opportunité qui justifient cette décision.
Cette disposition nouvelle est d'ailleurs étroitement liée à l'objectif clairement affiché par la loi de généraliser la réponse pénale en limitant les classements sans suite en opportunité aux seuls faits dont les circonstances particulières le justifient.
Je souhaite enfin indiquer que, même en cas de classement sans suite de la procédure les concernant, les maires disposent de moyens d'action autonomes puisque la loi du 18 juillet 1985 a ouvert aux communes la faculté de se constituer partie civile au titre des délits d'urbanisme, ce qui leur permet concrètement d'engager des poursuites pénales, lorsqu'ils l'estiment nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.
M. Hubert Haenel. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de la réponse très complète et circonstanciée que vous m'avez apportée.
Certes, la loi existe et des instructions ont été données, mais elles ne sont pas toujours appliquées de la même manière sur l'ensemble du territoire national.
Je souhaite donc que, d'ici à un an, on fasse le bilan de la loi et des instructions qui ont été données aux procureurs généraux et aux procureurs de la République par voie de circulaire.
droits des collectivités locales dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu, auteur de la question n° 601, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Josette Durrieu. Ma question a trait aux problèmes que rencontrent les collectivités locales pour assurer leur développement économique.
Je pense notamment à une petite collectivité locale en zone rurale qui mène une démarche exemplaire de développement économique à partir des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les petites sociétés sont fragiles et l'on sait que leur démarrage est difficile.
Je voudrais attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat, sur les démarches de certains mandataires judiciaires au moment de la liquidation judiciaire de sociétés.
Lors de l'ouverture, par le tribunal de commerce, d'une procédure de liquidation judiciaire, est désigné un liquidateur judiciaire, qui, à son tour, nomme un huissier dont le rôle sera de faire l'inventaire et de procéder à la vente aux enchères.
Ces mandataires judiciaires sont parfois à l'origine de situations abusives dans leur démarche d'occupation des locaux. A cet égard, je peux citer des exemples précis, qui posent un problème parce qu'ils sont répétitifs.
Dans un premier temps, le liquidateur judiciaire résilie le bail ; c'est ce qui s'est passé le 11 février 2004, dans l'exemple auquel j'ai fait allusion. Ensuite, l'huissier occupe les locaux pour une période indéterminée. A partir de là, le loyer n'est plus perçu, les biens sont immobilisés parfois pendant plusieurs mois, les emprunts ne peuvent plus être remboursés. Ainsi est cassée la dynamique de développement.
Madame la secrétaire d'Etat, je dénonce ici la situation abusive que constituent de telles démarches, le préjudice financier, l'atteinte au développement d'une action économique menée par les collectivités locales dans des conditions difficiles. Je voudrais donc savoir quelles dispositions vous pourrez prendre rapidement pour que ce genre de situation ne perdure.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes. Madame le sénateur, Dominique Perben, empêché, vous prie de bien vouloir l'excuser pour son absence et m'a chargée de vous apporter la réponse suivante.
Lors des procédures de liquidation judiciaire, le juge commissaire ordonne la vente aux enchères publiques des actifs du débiteur et autorise qu'il y soit procédé de gré à gré par le mandataire judiciaire désigné pour suivre la procédure.
La demande de résiliation du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise ne peut être introduite moins de deux mois après le jugement d'ouverture de la liquidation. Ainsi, ce délai peut être mis à profit pour que la vente des biens entreposés dans les locaux soit terminée avant la rupture du bail. Les officiers publics ou ministériels qui procèdent à des ventes aux enchères publiques doivent prendre toutes mesures utiles à la libération effective des locaux avant ce terme.
Il convient que les collectivités locales, propriétaires de tels locaux, signalent au procureur de la République compétent les situations révélatrices de négligences ayant nui à cette libération.
Ce magistrat est en effet en charge de la surveillance des officiers ministériels, tout manquement manifeste à la diligence dans l'accomplissement de leur mission étant constitutive d'un manquement aux règles professionnelles, passible de sanctions disciplinaires.
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie beaucoup de votre réponse qui me paraît assez précise dans la mesure où vous insistez sur le délai de deux mois et sur la diligence avec laquelle l'action doit être menée.
Le terme « diligence » pose problème, car il peut faire l'objet de multiples interprétations qui dépassent cette notion relativement limitée et raisonnable du délai de deux mois.
Vous venez d'indiquer que je pouvais en référer au procureur de la République. C'est ce que je vais faire dans l'intérêt des collectivités qui font des efforts pour développer un certain nombre d'activités dans des conditions difficiles.
délimitation des zones concernées par un arrêté constatant l'état de catastrophe naturelle
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, auteur de la question n° 578, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Dominique Braye. Madame la ministre, l'arrêté interministériel du 25 août 2004, publié au Journal Officiel du 26 août 2004, a porté reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle lié à la canicule exceptionnelle de l'été 2003.
Il vise « les dommages causés aux bâtiments par les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols » dans 1359 communes de 48 départements.
En Ile-de-France, sur cinq cents communes ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, seules soixante-six ont vu leur demande aboutir favorablement.
Pour le seul département des Yvelines, quatre-vingt-huit communes avaient déposé une demande. Or aucune n'a été retenue par l'arrêté du 25 août 2004, décision radicale et surprenante au vu des dégâts subis sur leurs habitations par de nombreux Yvelinois. J'ai pu les constater, madame le ministre, de mes propres yeux dans de nombreuses communes des quatre arrondissements de notre département : ceux de Mantes-la-Jolie, de St-Germain-en-Laye, de Versailles et de Rambouillet.
Cette décision est, pour les personnes sinistrées et les élus des communes concernées, totalement inexplicable et apparaît comme étant parfaitement injuste dans la mesure où, d'une part, l'état de catastrophe naturel semble objectivement évident, et où, d'autre part, les habitants ont été victimes à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie de désordres identiques, souvent d'ailleurs moins importants, qui avaient entraîné un classement en état de catastrophe naturelle.
La non-reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour les dégâts survenus lors de l'été 2003 a conduit beaucoup de communes à introduire des recours gracieux auprès des ministères concernés.
Or, à quelques jours de l'échéance du délai de deux mois durant lequel l'administration peut répondre aux recours gracieux, il semble qu'aucune réponse n'ait été apportée.
Le silence de l'administration valant décision implicite de rejet, ces communes se verront donc contraintes d'engager des recours contentieux devant le juge administratif.
Pourtant, la voie d'un règlement amiable reste ouverte et me paraît préférable.
En effet, si l'on se rapporte à la réponse que vous avez faite à la question d'actualité posée jeudi dernier, ici même, par notre collègue Gilbert Barbier, sénateur du Jura, il apparaît que le ministre de l'intérieur a affirmé sa volonté de procéder à un élargissement des critères, en envisageant « un examen individualisé des demandes des communes sur la base d'une expertise des bâtiments dès le 1er trimestre 2005 ».
Nous ne pouvons que nous féliciter que la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle soit désormais prise au cas par cas, dans chacune des communes, en fonction des dégâts objectifs causés aux bâtiments et non plus sur la base de critères climatiques et géologiques, compliqués et surtout très contestables.
Pouvez-vous cependant nous préciser, madame la ministre, selon quelles modalités seront conduites ces expertises, sachant que nous parlons de centaines de bâtiments pour les quatre-vingt-huit communes des Yvelines concernées et de milliers de bâtiments sur l'ensemble de notre pays ?
La situation d'angoisse et d'urgence dans laquelle se trouvent de nombreuses victimes des dégâts liés à la sécheresse de 2003 implique en effet que soient prises des décisions rapides et donc que les procédures d'expertise des bâtiments puissent être menées dans les meilleurs délais.
Ne pensez-vous pas, madame le ministre, que cette situation devra nous inciter à réfléchir, d'une part, à l'opportunité de réformer les modalités de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, d'autre part, à envisager d'établir des prescriptions particulières de construction pour les territoires de ces communes de façon à éviter que les mêmes phénomènes ne se reproduisent sans cesse ? Cela aurait un triple avantage : d'abord, cela éviterait à nos concitoyens de vivre des situations dramatiques auxquels ils n'étaient nullement préparés ; ensuite, cela éviterait aux élus des communes concernées des tracas devant lesquels ils sont fort démunis ; enfin, cela permettrait à notre pays de faire d'importantes économies, ce qui n'est pas négligeable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. Monsieur le sénateur, comme vous l'avez souligné, j'ai déjà répondu jeudi dernier à une question similaire du sénateur du Jura, Gilbert Barbier.
Je vais reformuler un certain nombre de mes réponses.
Je sais que, dans certains départements, dont le vôtre, les dégâts sur les bâtiments d'habitation ont été très sévères. Le département des Yvelines a été particulièrement touché puisque quatre-vingt-treize communes ont présenté à ce jour une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.
Nous avons travaillé depuis un an à chercher une solution qui respecte à la fois l'esprit de la procédure et de la loi de 1982, mais aussi l'équilibre financier du régime.
Au mois de janvier, ont été adoptés de nouveaux critères plus souples que la doctrine habituelle de la commission administrative chargée d'instruire les dossiers. Cette première étape a ouvert la reconnaissance d'état de catastrophe naturelle à plus de mille quatre cents communes.
Au mois d'août, le Gouvernement a décidé un élargissement limité des critères fixés au mois de janvier.
Nous considérons que nous ne sommes pas allés assez loin. Le ministre de l'intérieur a conscience que ces deux étapes n'ont pas permis de répondre notamment aux situations les plus douloureuses d'un point de vue humain, en particulier dans votre département.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons aller plus loin. Aussi avons-nous proposé cet examen individualisé des demandes communales, sur la base d'une expertise des bâtiments dont les éléments vous parviendront dans les prochaines semaines.
J'ai déjà annoncé jeudi que, dès le premier trimestre de l'année 2005, nous pourrons faire procéder à un réexamen de la situation de ces communes.
Votre proposition d'indiquer ce que pourraient être les contraintes de constructibilité dans des zones à risques est envisageable, à l'instar de ce qui se fait par exemple pour les zones inondables. Cette mesure permettrait de garantir au moins la sécurité des biens exposés à ces dommages et d'économiser beaucoup d'argent public.
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye.
M. Dominique Braye. Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir répondu complètement à mes préoccupations et d'avoir pris en compte un certain nombre de situations humaines dont vous avez estimé qu'elles devaient être jugées individuellement. Nous savons tous que les catastrophes naturelles touchent plus ou moins fortement les gens. Ainsi, vous répondez à une préoccupation importante de la quasi-totalité des élus concernés.
Je voudrais insister sur ces problèmes de constructibilité dont se soucient un certain nombre d'élus. Il est indispensable que des prescriptions particulières soient appliquées pour les constructions réalisées sur les terrains géologiquement fragiles, d'une part, pour que les acquéreurs de ces habitations soient informés des risques qu'ils encourent, d'autre part, pour que les professionnels respectent les règles.
Je vous remercie d'examiner attentivement ces cas, car tous les élus des communes concernées vous attendent sur ce dossier.
M. le président. Madame la ministre, puis-je me permettre de vous dire que le département de la Sarthe est dans la même situation que celui des Yvelines et attend avec impatience une réponse de votre part depuis le mois d'août ? Je crois que l'idée d'un examen individuel permettrait de résoudre de nombreuses difficultés.
critères de classement en zone sécheresse
M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 602, adressée à Mme la ministre déléguée à l'intérieur.
M. Michel Houel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question rejoint celle qu'a posée précédemment notre collègue.
Madame la ministre, par arrêté du 25 août 2004 portant constatation de l'état de catastrophe naturelle à la suite des dommages occasionnés par la sécheresse de l'été 2003, vingt-huit communes seine-et-marnaises étaient reconnues sinistrées.
Nous ne pouvons que nous féliciter de cette reconnaissance par le Gouvernement, mais il reste encore beaucoup à faire puisque cent quatre-vingt-quatorze communes au total avaient déposé un dossier de demande de classement.
Certains de nos concitoyens, et dans de nombreux autres départements, subissent une véritable catastrophe patrimoniale. Leur habitation est l'oeuvre d'une vie, l'assurance d'un chez-soi pour une retraite méritée. Il leur faudrait alors tout recommencer, sachant qu'ils n'ont, bien souvent, pas encore terminé de rembourser leur emprunt d'origine.
Madame la ministre, que pouvons-nous leur dire dans leur détresse ? Pouvons-nous espérer une révision des critères de classement et - pourquoi pas ? - une prise en compte de la totalité des communes sinistrées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. Monsieur le sénateur, je sais que votre département est l'un des plus touchés du territoire français puisque cent quatre-vingt-quinze communes sur cinq cent quatorze ont présenté une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.
Je viens de dire à votre collègue Dominique Braye combien le Gouvernement prenait l'ensemble de ce dossier à coeur.
Je voudrais seulement ajouter quelques précisions à ce que je viens de lui répondre.
La méthode engagée par le Gouvernement, si elle n'a pas encore apporté de réponse à toutes les situations, a permis au moins de reconnaître l'état de catastrophe naturelle dans mille quatre cents communes.
En Seine-et-Marne, comme vous l'avez vous-même indiqué, vingt-huit communes parmi les plus touchées ont déjà bénéficié de cette reconnaissance.
La solution que j'ai exposée devant vous il y a quelques instants et qui est soumise actuellement à l'appréciation du Premier ministre doit nous permettre, je l'espère, de porter un nouveau regard sur le cas de chaque commune, au vu d'une expertise technique individualisée.
Dans le traitement de ce dossier, nous devons, en premier lieu, respecter la loi. Nous devrons donc rechercher des éléments probants permettant de rattacher les dommages constatés aux seuls effets de la sécheresse de l'été 2003.
Si certaines demandes présentées à mes services relèvent de cas particulièrement dramatiques sur le plan humain, certaines autres, il faut aussi le reconnaître, ne présentent pas le même caractère.
Dans l'intérêt même de cette garantie contre les catastrophes naturelles, il nous faut éviter les éventuels effets d'aubaine qui pourraient apparaître.
M. Dominique Braye. Absolument !
Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée. Nous devons donc trouver, avec les experts les plus compétents en la matière, la méthode la plus adaptée pour éviter que les ressources financières de cette garantie, qui ne sont pas illimitées, ne soient consacrées aux situations qui ne le justifient pas.
La démarche du Gouvernement est donc bien centrée sur la prise en compte des situations humaines les plus difficiles et c'est la raison pour laquelle le ministre de l'intérieur a insisté auprès du Premier ministre pour qu'une solution intervienne le plus rapidement possible.
M. le président. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Je vous remercie, madame la ministre, et je vous fais totalement confiance.
Il est exact qu'on ne peut pas traiter tout le monde de la même manière. Certaines situations sont dramatiques, d'autres le sont beaucoup moins. Certaines communes ont fait des demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qui ne sont pas justifiées.
Je rejoins ce qu'a dit notre collègue Dominique Braye sur les problèmes de constructibilité. Je pense avoir quelques idées à ce sujet. Nous essaierons de nous rapprocher pour examiner cette question ensemble. On ne peut pas laisser perdurer cette situation. On ne peut pas continuellement avoir recours à la déclaration de l'état de catastrophe naturelle. C'est de l'argent public qu'il s'agit. Il faut prévoir des butoirs, sinon on ne s'en sortira jamais.
conséquences des transferts des emplois TOS aux départements et aux régions
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 592, transmise à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Yves Détraigne. Madame la ministre, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales prévoit le transfert, à la rentrée scolaire de 2005, des emplois techniciens, ouvriers et de service, les TOS, des collèges et lycées respectivement aux départements et aux régions.
Si ces emplois constituent une part importante des personnels affectés au fonctionnement des établissements publics locaux d'enseignement, les EPLE, un nombre non négligeable d'entre eux n'est pas pourvu et est compensé par du personnel en emploi précaire, du type contrat emploi solidarité, embauché directement par les chefs d'établissement, voire par du personnel mis à disposition par les collectivités locales.
Ainsi, si l'on prend l'exemple des deux collèges dépendant du syndicat intercommunal scolaire auquel appartient ma commune, la dotation théorique en TOS est équivalente à 19,6 emplois à temps plein, alors même que seuls quinze sont statutairement pourvus.
Les emplois manquants sont compensés à hauteur de 2,20 équivalents temps plein par des contrats CES recrutés directement par les chefs d'établissement et à hauteur de 2,40 équivalents temps plein par des agents recrutés par le syndicat intercommunal et mis à la disposition des établissements. Mais cette dernière solution a récemment été déclarée illégale par le juge administratif, dans la mesure où il n'entre pas dans la compétence des communes ou de leurs regroupements de mettre du personnel à disposition des collèges ou des lycées.
Aussi, je souhaiterais, madame la ministre, que vous nous précisiez quelles mesures vous entendez prendre pour qu'après le transfert des personnels TOS aux départements et aux régions, les postes théoriquement prévus soient effectivement pourvus. L'Etat transférera-t-il aux départements et aux régions, outre les emplois effectivement pourvus, des moyens supplémentaires pour que ces collectivités puissent compenser les postes qui ne sont pas statutairement pourvus ? L'Etat continuera-t-il à mettre à la disposition des chefs d'établissements des crédits pour leur permettre de compenser par des emplois précaires les postes vacants ? Ou bien l'Etat abandonnera-t-il aux départements et aux régions le soin de pourvoir par leurs propres moyens les postes qu'il n'a pas été lui-même en mesure de pourvoir et qui sont pourtant indispensables au bon fonctionnement des établissements ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. Monsieur le sénateur, l'article 82 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales confie aux départements et aux régions l'accueil, la restauration, l'hébergement, l'entretien général et technique, ainsi que le recrutement et la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de service dans les collèges et les lycées.
L'article 104 de cette même loi précise les modalités de la mise à disposition puis du transfert des services ou parties de services qui participent à l'exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales. Seront ainsi transférés aux collectivités territoriales les seuls emplois pourvus au 31 décembre 2004, sous réserve que leur nombre global ne soit pas inférieur à celui qui a été constaté au 31 décembre 2002.
Afin d'assurer la continuité du service et l'effectivité des transferts de compétences, les services seront mis à disposition et placés sous l'autorité du représentant des collectivités territoriales concernées.
Tous les agents de l'Etat en charge des compétences transférées et affectés dans les services mis à disposition seront, à titre individuel, mis à disposition, en application des dispositions de l'article 105 de la loi du 13 août 2004 précitée, qu'ils soient agents titulaires ou non titulaires de l'Etat.
A ce titre, les contrats emplois solidarité, CES, et les contrats emplois consolidés, CEC, qui, au sein des collèges et des lycées, participent à l'exercice des compétences transférées, seront donc mis à disposition des départements et des régions.
Je souhaite néanmoins vous indiquer, pour répondre à l'une de vos interrogations, que les syndicats de communes ne peuvent pas recruter des CES ou CEC afin de renforcer des équipes en place dans les collèges et les lycées. Cette faculté est réservée à l'heure actuelle à l'Etat, qui est responsable de la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de services dans les établissements d'enseignement du second degré. A compter du 1er janvier 2005, cette possibilité de recrutement étant transférée aux départements et aux régions, ce sont eux seuls qui pourront alors, s'ils le souhaitent, y procéder.
Ces contrats aidés, comme vous le savez, sont recrutés par les chefs d'établissement, dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique d'insertion conduite par l'Etat, pour venir en appui des effectifs présents dans les établissements. Relevant de cette politique de solidarité et recrutés sur des contrats de droit privé à durée déterminée, les CES n'ont pas vocation à être transférés aux collectivités territoriales.
Toutefois, le Gouvernement, conformément à l'engagement qu'il a pris, compensera à l'euro près les transferts de compétences et donnera aux collectivités territoriales l'intégralité des moyens, humains, matériels et financiers nécessaires à l'exercice de ces compétences, dans les conditions fixées par la loi du 13 août 2004.
Toutes les mesures figurant dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales seront donc prises, à l'occasion du transfert définitif des services, pour assurer le transfert des moyens correspondants. Le Gouvernement expertise actuellement toutes les mesures qu'il convient de prendre en ce sens.
Les commissions locales tripartites, qui seront installées auprès des préfets pour l'élaboration des décrets et des conventions locales de transfert définitif des services, ainsi que la commission nationale de conciliation, placée sous mon autorité, ou encore la commission consultative sur l'évaluation des charges, au sein desquelles les collectivités territoriales seront représentées, permettront d'assurer tant la complète information des élus que la totale transparence des procédures de mise en oeuvre de la loi du 13 août 2004.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Je vous remercie, madame la ministre, de vos réponses. Si elles ne me rassurent pas complètement, elles apportent des précisions qui sont les bienvenues dans une période où les collectivités locales, en l'occurrence les départements et les régions, se posent beaucoup de questions sur les conditions dans lesquelles elles vont mettre en oeuvre les compétences transférées par l'Etat.
projet de réhabilitation de la Marque urbaine et du canal de Roubaix
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, auteur de la question n° 591, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le secrétaire d'Etat, depuis plusieurs années, la métropole transfrontalière lilloise développe un projet structurant de réhabilitation de la Marque urbaine et du canal de Roubaix.
Il s'agit de faire de la remise en navigation du canal et de sa mise en valeur un catalyseur du développement urbain, paysager, économique et social des territoires traversés par la voie d'eau. Une première phase de travaux, réalisée sous la maîtrise d'ouvrage des Voies navigables de France, VNF, s'est terminée en 2002 et les travaux, de loin les plus importants, de la seconde phase doivent impérativement démarrer, au risque de ne pouvoir respecter les délais de réalisation exigés par l'Europe, les crédits FEDER objectif 2 et INTERREG III B représentant 50 % du financement d'une opération évaluée à 37 millions d'euros.
L'ensemble des problèmes les plus complexes ont été réglés, notamment le curage et le confinement de 300 000 mètres cubes de boues polluées sur des sites de dépôt métropolitains. Or VNF, maître d'ouvrage, exigeait jusqu'à présent la désignation d'un futur gestionnaire du canal avant le lancement des travaux, ce qui mettait gravement en péril la réalisation du projet.
En effet, si tant la région Nord-Pas-de-Calais que l'agglomération de Lille métropole et la communauté urbaine de Lille acceptent le principe du transfert de gestion, le temps nécessaire à l'étude du dossier au sein des instances communautaires et régionales n'est guère compatible avec l'exigence d'une réponse immédiate.
Cependant, compte tenu de la volonté unanime des élus, toutes tendances et toutes collectivités confondues, le président de VNF accepterait la gestion provisoire du canal pendant la réalisation des travaux, dans l'attente de la désignation d'un nouveau gestionnaire qui sera obligatoirement soit la région soit l'agglomération de Lille métropole et qui devra intervenir dans les deux années qui viennent.
Dans ces conditions, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir donner toutes instructions utiles pour le lancement immédiat des premiers travaux couverts par les crédits européens INTERREG III B et d'éviter ainsi que des années de travail ne soient réduites à néant.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le sénateur, comme vous l'avez rappelé, le programme de réhabilitation et de mise en valeur du canal de Roubaix et de la Marque urbaine, engagé depuis plusieurs années, vise pour l'essentiel à restaurer l'environnement d'une voie navigable qui a perdu toute fonction de navigation depuis longtemps et traverse des zones urbaines.
L'objectif est de retirer la totalité des dépôts fortement pollués qui se sont accumulés au fil des années dans la cuvette du canal et de remettre en service les écluses et les ponts mobiles, de façon à rétablir la navigation aujourd'hui impossible.
Cette opération majeure est l'une de celles qui sont menées pour rénover le tissu urbain de l'agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing. Elle bénéficie d'un montage financier spécifique, caractérisé par le poids des participations communautaires, FEDER et INTERREG II, régionale et communale.
Le canal de Roubaix et la Marque urbaine étant à ce jour confiés à Voies navigables de France, la maîtrise d'ouvrage des travaux revient de droit à l'établissement public, même si sa participation financière est faible.
Le rétablissement de la navigation entraînera obligatoirement une augmentation du coût d'entretien et d'exploitation de la voie d'eau concernée. Il sera en effet nécessaire d'assurer à nouveau le fonctionnement des écluses et ponts mobiles.
En effet, VNF ne pourra pas dégager des moyens supplémentaires pour l'entretien et l'exploitation de ces deux voies d'eau. De par leur environnement fortement urbanisé et le trafic de plaisance espéré une fois les travaux réalisés, seule une implication des collectivités locales concernées peut assurer une gestion adaptée aux enjeux urbains et touristiques de ces voies d'eau.
Le transfert de propriété vers la région, rendu possible par l'article 56 de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, répond parfaitement à cette préoccupation.
VNF ayant accepté d'être maître d'ouvrage des travaux, il est nécessaire, pour un démarrage dès janvier 2005 des travaux de réhabilitation, que les collectivités locales affichent leur volonté d'assurer la prise en charge de l'exploitation du canal dès sa remise en service. Comme vous nous l'avez dit, monsieur le sénateur, elles sont tout à fait prêtes à le faire.
Nous comprenons qu'une délibération des collectivités n'est pas possible à l'échéance de janvier 2005. VNF s'en passera donc. Cependant, un engagement des présidents des collectivités concernées serait utile, les demandes de crédits FEDER dans la région étant supérieures aux crédits disponibles.
Sous réserve du respect de cette condition simple, nous sommes tout à fait d'accord pour que les travaux sous maîtrise d'ouvrage VNF commencent dès le début de l'an prochain.
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Je rappelle que la Marque urbaine et le canal de Roubaix traversent des bassins de vie extrêmement peuplés et qui ont énormément souffert de l'industrialisation massive du siècle dernier, à tel point qu'ils sont devenus des handicaps lourds pour les villes concernées, sources de nuisances considérables, notamment olfactives et visuelles.
Depuis une quinzaine d'années, une action concertée des collectivités territoriales et des élus permet d'entrevoir la fin de ce scénario catastrophe. Les pollutions de flux sont désormais gérées par l'agglomération de Lille métropole et la communauté urbaine de Lille. Il reste à s'attaquer aux pollutions de stocks.
L'occasion actuelle est sans doute la dernière opportunité qui nous est offerte. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous aider à ne pas la manquer. Votre réponse est extrêmement encourageante.
exécution du volet routier du contrat de plan dans le département de la Gironde
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 586, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite vous alerter sur les graves conséquences du désengagement de l'Etat dans l'exécution du volet routier du contrat de plan dans le département de la Gironde, dont j'ai l'honneur de présider le conseil général.
Lors de la présentation à la presse du projet de loi de finances, le Gouvernement a réaffirmé sa volonté d'une bonne exécution des contrats de plan. Or des gels budgétaires décidés de façon arbitraire pénalisent notre département en retardant l'achèvement de travaux pourtant essentiels à la sécurité routière.
C'est ainsi que les collectivités locales et le conseil général notamment ont été contraints d'effectuer des avances de financement qui vont bien au-delà de leur engagement initial. Ainsi, les travaux en cours n'ont pas été interrompus grâce à la seule intervention des collectivités territoriales, c'est-à-dire la région, la communauté urbaine de Bordeaux et le département, dont les financements ont été sollicités par l'Etat plus rapidement que l'état d'avancement des ouvrages ne devait le requérir.
A titre d'exemple, pour le seul chantier du pont d'Aquitaine, le conseil général a dû accepter la mise en paiement d'un nouveau titre de recettes de 2,4 millions d'euros alors que l'Etat est en retard de plus de 5 millions d'euros.
Les conséquences du désengagement de l'Etat ne se limitent pas à ce vaste et emblématique chantier. Toutes les autres opérations routières du quatrième contrat de plan sont bloquées, faute d'autorisations de programme et de crédits de paiement de l'Etat. Le retard de financement de l'Etat s'élève à plus de 20 millions d'euros sur les opérations en cours, que le département a pour sa part compensées pour plus de 7 millions d'euros.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans le quotidien régional Sud Ouest en date du 16 décembre dernier, M. de Robien faisait état d'un prétendu redémarrage des opérations du plan en citant quelques opérations susceptibles d'être poursuivies en 2005, comme les isolations phoniques de la rocade, pour un montant de 20 millions d'euros, soit à peine le découvert de l'Etat sur l'avancement du contrat de plan.
N'oublions pas qu'il reste douze opérations à réaliser pour un montant d'environ 100 millions d'euros. Autre exemple, la route nationale 137 n'a toujours pas fait l'objet d'un aménagement sérieux, alors que l'obligation de mise en sécurité figurait déjà au plan précédent et que les partenaires du contrat de plan se sont accordés depuis sept ans sur le financement des aménagements nécessaires.
La situation est véritablement ubuesque, alors que la dangerosité de cette route n'est malheureusement plus à démontrer.
Vous comprendrez aisément, monsieur le secrétaire d'Etat, que dans un tel contexte, aggravé par les perspectives budgétaires de l'application de la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales, les élus m'ont demandé de vous faire part de leur légitime inquiétude.
Lors des dernières vacances d'été, le quotidien Sud-Ouest en date du 1er août dernier, titrait sur « l'entonnoir bordelais » et sur le piège redoutable qu'est devenue la Gironde pour les estivants. Concentrant tout le trafic du nord de l'Europe, du grand Ouest de la France, d'une grande partie du Nord et de la région parisienne, le département de la Gironde devient chaque été, au moment des grandes migrations, le point noir du trafic routier dans notre pays.
Monsieur le secrétaire d'Etat, êtes-vous en mesure de nous apporter des précisions et des assurances quant à l'urgente réalisation des aménagements routiers prévus dans le IVe contrat de plan ? Nous ne pouvons accepter que les seuls fonds publics utilisés pour financer ces travaux soient ceux des collectivités. Comment ne pas condamner cette dangereuse politique de l'Etat qui ne tient pas ses engagements ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu appeler l'attention de M. Gilles de Robien sur l'exécution du volet routier du contrat de plan Etat-région en Gironde.
Vous l'avez dit vous-même, les opérations inscrites en Gironde ont pu connaître un avancement, notamment grâce à l'apport important des collectivités territoriales, qui, dans certains cas, sont, il est vrai, en avance sur l'Etat.
Les exercices budgétaires ont été particulièrement difficiles depuis quelques années et, du coup, nous avons privilégié la poursuite et l'achèvement des opérations déjà engagées en travaux.
Cela a permis de mettre en service la déviation d'Eysines et l'aménagement de la RN 10 au nord de la Gironde. En outre, l'état d'avancement de l'élargissement des viaducs d'accès au pont d'Aquitaine permet d'en envisager la mise en service l'année prochaine.
La sécurité routière est, comme vous le savez, une priorité absolue pour le Gouvernement. Des travaux engagés sur la RN 137 pour aménager des carrefours reliant la route nationale au réseau départemental ont d'ores et déjà amélioré la sécurité des usagers.
Les études seront poursuivies pour obtenir au plus vite les déclarations d'utilité publique encore nécessaires.
Le Premier ministre a annoncé, le 5 novembre dernier, une relance du volet routier des contrats de plan. La décision a été prise d'y affecter 300 millions d'euros d'autorisations de programme et 150 millions d'euros de crédits de paiement. Cela permettra de poursuivre ces aménagements de sécurité à un rythme plus soutenu qu'auparavant.
Enfin, vous l'avez indiqué vous-même, monsieur le sénateur, conformément à la loi du 13 août 2004 à laquelle vous vous êtes référé, je puis vous le confirmer, l'Etat honorera l'intégralité des engagements financiers qu'il avait pris au titre du contrat de plan.
Ce dispositif de relance de 300 millions d'euros est là pour prouver que nous sommes prêts à mettre les moyens pour achever les contrats de plan prévus et respecter scrupuleusement l'engagement de l'Etat.
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle
M. Philippe Madrelle. Je remercie M. le secrétaire d'Etat de sa réponse, qui n'apaise toutefois pas mes inquiétudes. En effet, j'ai en mémoire qu'il reste douze opérations pour un montant supérieur à 100 millions d'euros.
Sur la route nationale 137, vous avez parlé, monsieur le secrétaire d'Etat, de quelques aménagements. Encore faut-il préciser qu'il s'agit d'une route particulièrement étroite, très dangereuse, utilisée pour les convois exceptionnels et où l'on dénombre de plus en plus de morts.
Je dois vraiment dénoncer la dangerosité de cette route et vous dire que le département de la Gironde attend, au-delà des paroles, des actes. Je pense qu'entre le dire et le faire il y a place pour la sincérité.
Projet d'électrification de la ligne ferroviaire Paris-Bâle
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, auteur de la question n°588, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.
M. Yannick Bodin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.
La ligne ferroviaire Paris-Troyes-Bâle est, vous le savez, un axe international structurant. Elle a vocation à irriguer la région d'Ile-de-France en transports de voyageurs et en fret en provenance des régions de l'Est et des zones frontalières.
En outre, elle revêt une importance majeure pour les habitants de l'Ile-de-France et, plus particulièrement, pour ceux de mon département, la Seine-et-Marne qui l'utilisent notamment pour rejoindre leur lieu de travail à Paris. C'est, en quelque sorte, une ligne de banlieue dans sa partie traversant la Seine-et-Marne. Mais cette ligne ferroviaire n'est toujours pas électrifiée, ce qui a entraîné, depuis de très longues années, la dégradation du service public sur cette ligne. Le matériel roulant est défaillant, particulièrement vétuste. C'est ainsi que sur cette ligne sont concentrées les locomotives Diesel les plus vieilles de la SNCF. Elles tombent souvent en panne, provoquant des retards de toutes natures, qui exaspèrent souvent les passagers.
Pour illustrer mon propos, je vous citerai une anecdote. Un certain nombre de voyageurs interrogés sur la ponctualité des trains sur cette ligne répondent : « En dessous de dix minutes de retard, on considère qu'ils sont à l'heure ! » Vous voyez tout à la fois le degré de dégradation et la capacité de résistance et d'humour de quelques passagers.
Face à cette situation, l'Etat avait été conduit à prendre l'engagement, en 1998, il y a six ans donc, de financer à hauteur de 25 % l'électrification de la ligne Paris-Bâle.
La région d'Ile-de-France et la région Champagne-Ardenne ont réaffirmé leur attachement à la réalisation de ce projet en prenant des engagements financiers.
En octobre, RFF a fait savoir que les études nécessaires à la réalisation de ce projet ne pourront pas être engagées tant que le projet lui-même ne serait pas financé.
Les études nécessaires à la réalisation de l'avant-projet ont été inscrites au contrat de plan Etat-région. Il convient, maintenant, de financer au minimum les études de ce projet permettant d'établir les dossiers de consultation des entreprises.
Je vous demande donc, tout simplement, monsieur le secrétaire d'Etat, si l'Etat participera au financement de ces études et s'il confirme les engagements financiers pris afin que le projet puisse être réalisé dans des délais raisonnables.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le sénateur, je peux d'emblée vous confirmer que l'Etat respectera les engagements qu'il a pris dans le cadre du contrat de plan conclu entre l'Etat et la région Champagne-Ardenne, première intéressée par cette liaison.
Ce contrat prévoit l'affectation d'un montant de 45,7 millions d'euros à cette opération, dont 11,4 millions d'euros à la charge de l'Etat, pour le projet d'électrification de la ligne ferroviaire entre Paris et Troyes.
Aux termes de la dernière évaluation communiquée aux élus en juillet 2003 par Réseau ferré de France, ce projet a vu son coût réévalué, et très sérieusement, puisque le montant estimé atteint 230 millions d'euros. Il reste donc 184 millions d'euros à réunir pour financer les travaux relatifs à ce projet.
La mobilisation des financements des études au titre de l'année 2005 constitue une priorité pour le ministère, dans le cadre de l'enveloppe afférente aux opérations ferroviaires des contrats de plan Etat-région. Je vous le confirme, il s'agit d'études concernant le calendrier des travaux et la préparation des dossiers de consultation des entreprises qui seront amenées à fournir des offres pour réaliser lesdits travaux.
Cette ligne Paris-Troyes a une importance considérable pour les régions concernées et, vous l'avez rappelé, l'Ile-de-France et le département de Seine-et-Marne.
Néanmoins, j'observe que ni la région d'Ile-de-France, ni le département de Seine-et-Marne ne se sont prononcés sur une éventuelle participation au financement des travaux de l'électrification. Ainsi, aucun crédit n'est prévu au sein du contrat de plan en Ile-de-France pour cette ligne entre Paris et Provins ou Paris et Troyes.
A l'occasion de la révision en cours du contrat de plan Etat-région en Ile-de-France, il nous semble particulièrement important que la région affiche clairement ses intentions concernant ce projet.
Enfin, s'agissant de la pérennité de cette liaison ferroviaire, l'Etat souhaite qu'elle reste une ligne d'intérêt national. Vous savez que le paysage ferroviaire va beaucoup changer dans l'est de la France avec la réalisation des deux lignes nationales à grande vitesse vers Strasbourg et la ligne Rhin-Rhône. La ligne Paris-Troyes garde toute sa pertinence. L'Etat souhaite qu'elle conserve un intérêt national, avec une fonction de desserte interrégionale de voyageurs de première importance.
II importe, dans ce cadre, que les investissements qui seront préconisés aient pour finalité première l'amélioration concrète et rapide des performances, de la fiabilité que vous avez évoquée, tout à la fois en termes de qualité de service pour les voyageurs, de temps de parcours et de régularité.
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de toutes ces précisions. En vous écoutant, j'avais le sentiment - et c'est un regret que j'exprime - que nous parlions du futur contrat de plan, comme si le précédent n'avait pas existé. En effet, vous nous dites avoir des projets, connaître le montant des crédits à inscrire, alors que force nous est de reconnaître que rien n'a encore véritablement démarré. Or nous sommes en fin de contrat de plan.
Je précise qu'en effet il y a un engagement des régions, particulièrement de la région Champagne-Ardenne. Je me permets de vous rappeler un souvenir. J'étais membre de l'exécutif du conseil régional d'Ile-de-France lors de la négociation du précédent contrat. Sachez que, lorsque la question a été posée par la région d'Ile-de-France et par le département de Seine-et-Marne, ce sont à la fois l'Etat et la SNCF qui ont fait savoir que ce sujet n'était pas à l'ordre du jour.
Je suis heureux de savoir que, pour le prochain contrat de plan, il sera à l'ordre du jour. Les collectivités territoriales prendront leurs engagements puisqu'elles sont déjà disposées à le faire. Il va de soi que ce qui est dorénavant important, c'est de connaître l'échéancier.
Je vous demanderai simplement d'avoir ce matin une pensée toute particulière pour ces personnes qui ont attendu pendant de longs moments sur les quais des gares de cette ligne alors que la température était inférieure à zéro.
Conditions d'acquisition de la nationalité française de l'ex-président de Daewoo International
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la question n° 596, adressée à M. le ministre de l'emploi, du travail, et de la cohésion sociale.
Mme Marie-Christine Blandin. Je souhaite interroger M. le ministre de l'intérieur ou M. le ministre de l'emploi sur les conditions qui ont amené le Gouvernement à accorder la nationalité française à l'ex-président fondateur de Daewoo.
C'est en effet avec 35 millions d'euros de subventions publiques que Daewoo avait promis, en 1987, des implantations porteuses d'emplois en Lorraine sinistrée. Et c'est dix ans plus tard que les liquidations s'enchaînent !
Les Coréens, également touchés en 1999, ont fait part de leur révolte : l'ex-président de Daewoo, en fuite, a laissé un groupe endetté de plus de 50 milliards de dollars et des milliers de licenciements.
Une délégation syndicale coréenne s'est même rendue en France et a manifesté avec des Lorrains devant la résidence niçoise de M. Kim, condamné en 1995 à Séoul pour corruption. Son nom figure d'ailleurs depuis 2001 sur la liste rouge d'Interpol : celle des personnes les plus recherchées de la planète.
Depuis 1999, la Corée du Sud demande officiellement son extradition, mais la nationalité française qui lui a été accordée par notre gouvernement le soustrait à la justice de son pays d'origine. Alors que des centaines de réfugiés honnêtes se voient refoulés à nos frontières ou poursuivis dans les environs de Sangatte, où n'existe plus désormais de lieu d'accueil humanitaire, comment peut-on justifier la protection accordée à ce « patron voyou » ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Madame la sénatrice, M. Borloo m'a chargé de vous transmettre les éléments de réponse qui suivent.
M. Kim Woo Choong, sa femme et ses enfants ont obtenu la nationalité française par décret du 2 avril 1987, publié au Journal officiel du 7 avril 1987.
Je crois qu'il faut se garder de tout amalgame en pareille matière : il y a des faits et il y a le droit. Les conditions de l'obtention de la nationalité française sont très claires et, à l'époque, il a été considéré que la demande de M. Kim était recevable en application de l'article 78, 1°, du code de la nationalité française, alors en vigueur. Je vous en rappelle les termes :
« Est assimilé à la résidence en France lorsque cette résidence constitue une condition à l'acquisition de la nationalité française :
« 1° le séjour hors de France d'un étranger qui exerce une activité professionnelle publique ou privée pour le compte de l'Etat français ou d'un organisme dont l'activité présente un intérêt particulier pour l'économie ou la culture française. »
Aux termes de la jurisprudence du Conseil d'Etat, la naturalisation est une faveur. Aussi la naturalisation de M. Kim et de sa famille a-t-elle été décidée en opportunité, en 1987, en fonction des considérations que je viens d'évoquer.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Je ne fais pas d'amalgame, monsieur le secrétaire d'Etat, mais la cohésion sociale dont nous sommes tous responsables repose sur la confiance dans la République. Or il est injuste et très mal ressenti que des innocents potentiellement utiles à notre pays - parmi les réfugiés de Sangatte, il y a des médecins, des ingénieurs... - soient livrés au froid, à l'hostilité des institutions et à la clandestinité, tandis que l'individu dont il est ici question est à l'abri sur la Riviera, après avoir bénéficié d'une grande sollicitude, voire, comme vous l'avez dit, d'une faveur.
plan diabète et prévention des amputations
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 593, adressée à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.
Mme Anne-Marie Payet. Dans le cadre du programme régional de santé du département de la Réunion, l'observatoire régional de la santé a conduit une enquête sur la fréquence des amputations chez les diabétiques. Selon cette enquête, à la Réunion, l'incidence du diabète est de trois à quatre fois supérieure à ce qu'elle est en métropole.
Le pied représente une zone particulièrement fragile chez le diabétique en raison des complications vasculaires et neurologiques qui touchent l'extrémité des membres inférieurs. Les aspects cliniques de ces complications sont variés, et l'amputation en constitue l'aboutissement le plus tragique. Chez les diabétiques, le taux d'amputation augmente avec l'ancienneté du diabète et avec l'âge, et il est plus élevé chez les hommes.
Ainsi, de 5 % à 10 % des diabétiques seront un jour amputés d'un doigt, d'un orteil ou d'une jambe. Or 50 % de ces amputations pourraient être évitées si des mesures de prévention efficaces étaient mises en place. Les résultats de l'étude menée révèlent que, du 1er mai 2000 au 30 avril 2001, 406 amputations ont été pratiquées dans l'ensemble des sites chirurgicaux de l'île, soit plus d'une amputation par jour ! Plus des deux tiers des patients concernés, soit 279 personnes, sont des diabétiques, parmi lesquels 179 sont atteints du diabète de type 2. Si le nombre annuel d'amputations est stable, le nombre de patients, lui, est en augmentation, du fait d'une plus grande prévalence du diabète.
Parmi les diabétiques amputés, 89 % bénéficient d'une couverture sociale, 62 % d'entre eux relevant de la couverture maladie universelle. Les plus concernés par le risque podologique sont les diabétiques de type 2, qui représentent 92 % des cas, après une durée moyenne d'évolution connue de leur diabète de quinze ans.
Ces chiffres, alarmants, prouvent que le diabète constitue un véritable problème de santé publique dans mon département et conduisent à considérer qu'il est nécessaire d'y mettre en place un programme de prévention des complications podologiques, d'autant que, du fait du climat tropical, la culture locale privilégie le port de chaussures ouvertes, exposant les pieds aux microtraumatismes.
Je pense que cette indispensable prévention doit intervenir à tous les niveaux.
Il faut tout d'abord insister sur le dépistage des diabètes méconnus et des patients diabétiques à haut risque sur le plan podologique.
Il faut ensuite informer sur le traitement ainsi que sur la surveillance des troubles trophiques des pieds et assurer le suivi des patients amputés, en leur proposant un appareillage adapté.
La réduction du nombre de plaies et d'amputations chez les diabétiques passe par la sensibilisation et la formation des médecins généralistes et spécialistes, des infirmiers et des pédicures à ce problème du pied diabétique et à l'urgence de sa prise en charge. Elle nécessite également une harmonisation des actes, nombre des problèmes actuels tenant à un défaut d'organisation entre les différents intervenants.
Face à cette situation hautement préoccupante, et dans le cadre du plan diabète 2002-2005, un groupe de travail composé d'experts, de professionnels et de représentants du ministère et de l'assurance maladie a réfléchi à l'amélioration de la prévention des lésions du pied chez le diabétique pour les patients présentant un risque de lésion du pied de grade 2 ou de grade 3. Cette réflexion a débouché sur la définition d'un forfait podologique, qui a fait l'objet d'un protocole d'expérimentation nationale à travers les réseaux de santé diabète. Ce protocole a été adopté le 4 mai dernier par le comité de suivi du programme d'action diabète 2002-2005.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la prévention des complications du diabète fait partie des objectifs fixés par la loi relative à la politique de santé publique. Ces complications sont fréquentes et leur évolution est souvent grave. Leur prévalence est estimée, en France, entre 4 % et 25 %.
A la Réunion, ce sont 3 500 patients qui sont concernés par ce problème et qui ont besoin de soins et d'un suivi podologique. Or ces patients ne sont pas, actuellement, remboursés par la sécurité sociale, alors que le coût d'une amputation s'élève approximativement à 64 000 euros, qu'il en est pratiqué plus de 400 par an et que la moitié d'entre elles pourraient être évitées si, outre une prévention adéquate, les patients avaient les moyens de se faire soigner.
J'espère vous avoir convaincu, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'acuité de ce problème à la Réunion. Aussi vous saurais-je gré de me faire savoir quels moyens vous envisagez de mettre en oeuvre pour remédier à une situation qui, trop souvent encore, hélas, connaît un aboutissement tragique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie. Madame le sénateur, je voudrais tout d'abord vous préciser que la lutte contre le diabète figure parmi les priorités retenues au titre de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
Les objectifs concernant le diabète s'inscrivent dans la continuité de la mise en oeuvre du programme d'actions 2002-2005 de prévention et de prise en charge du diabète non insulinodépendant : il s'agit de réduire la fréquence et la gravité des complications liées à cette pathologie en assurant une surveillance conforme aux recommandations de bonnes pratiques cliniques pour 80 % des diabétiques, alors que, actuellement, ce taux varie de 16 % à 72 % selon les types d'examen.
Comme vous l'avez souligné, plus de 1,8 million de personnes souffrent d'un diabète. Ce nombre tend à augmenter avec le vieillissement de la population et l'aggravation des risques liés à l'alimentation et à la sédentarité. Ainsi, le diabète est devenu la principale cause de survenue de la cécité avant soixante-cinq ans et la première cause d'amputation non traumatique en France.
C'est pourquoi, dès le début de 2005, deux actions prioritaires seront mises en oeuvre par le ministère des solidarités, de la santé et de la famille : le dépistage de la rétinopathie diabétique dans plusieurs sites pilotes et l'amélioration de la prévention, du dépistage et de la prise en charge des lésions des pieds chez les diabétiques dans les réseaux de santé diabète, dont les budgets vont d'ailleurs considérablement augmenter à la suite de l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.
Ces actions sont le fruit d'une coopération entre les services du ministère chargé de la santé, les caisses primaires d'assurance maladie, les professionnels de santé et les associations de patients. Elles se dérouleront pendant une année et feront l'objet d'une évaluation dont les résultats seront transmis en 2006 à la Haute Autorité de santé.
Le réseau de santé diabète implanté à la Réunion, REUCARE, fait partie de l'ANCRED, l'Association nationale de coordination des réseaux diabète, et je peux vous confirmer, madame le sénateur, qu'il sera partie prenante à cette expérimentation nationale.
De plus, des actions de formation au dépistage des lésions des membres inférieurs vont être menées à destination des médecins généralistes. Par ailleurs, il a été demandé à l'Association française des diabétiques d'informer et de sensibiliser les patients diabétiques à la prévention des complications et à l'éducation thérapeutique.
A la Réunion, compte tenu de la prévalence de cette pathologie, dont on estime qu'elle touche 10 % de la population, soit plus de 70 000 personnes - étant entendu que, pour la plupart d'entre elles, elle n'a pas été pas diagnostiquée -, le diabète représente une priorité de santé publique depuis plusieurs années. Afin de réduire les facteurs de risque et les complications, des actions d'éducation à la santé sont menées, notamment en matière de conduite alimentaire, d'exercice physique, de dépistage et de prise en charge. Nous savons pouvoir compter sur le soutien des élus, comme vous pouvez compter sur celui du Gouvernement, madame Payet, dans ce combat que vous entendez mener.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, que je transmettrai aux personnes intéressées.
Aujourd'hui, j'ai évoqué les complications podologiques chez les diabétiques, mais je pense que l'on doit prendre le problème bien en amont. Nous devons tous nous mobiliser, à tous les niveaux, contre ce fléau qui sévit beaucoup plus sévèrement dans mon département qu'en métropole.
Il s'agit non seulement de tenter de modifier certaines habitudes alimentaires, mais aussi de mettre fin aux pratiques de certains industriels locaux qui n'hésitent pas à incorporer dans les produits alimentaires qu'il fabriquent, par exemple les sodas ou les yaourts, jusqu'à 20 % de sucre de plus qu'en métropole, sous prétexte de ne pas déplaire aux consommateurs réunionnais, qui manifesteraient une nette préférence pour les produits très sucrés. J'estime que nous ne pouvons pas rester inactifs devant cette situation.
interdiction des distributeurs automatiques dans les établissements scolaires
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la question n° 595, adressée à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.
Mme Nicole Bricq. L'article 30 de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, qui prohibe à compter du 1er septembre 2005 les boissons et les produits alimentaires payants dans les établissements scolaires, marque un progrès dans la lutte contre l'obésité juvénile, qui prend aujourd'hui en France des proportions inquiétantes.
Toutefois, cette interdiction ne saurait, à mon sens, concerner les distributeurs de fruits et de légumes au même titre que ceux de boissons sucrées et de barres chocolatées : il ne faudrait pas passer d'un excès à l'autre.
L'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, dans un communiqué en date du 14 septembre dernier, a précisé clairement qu'elle ne recommandait pas une interdiction portant sur la vente d'eau ou de fruits et qu'elle en encourageait au contraire la consommation dans le cadre du programme national nutrition-santé.
En outre, les expériences actuellement menées en Ile-de-France, notamment en Seine-et-Marne, et consistant à équiper une dizaine de collèges et de lycées de distributeurs de pommes se révèlent positives et favorisent le développement de pratiques alimentaires saines. Mon collègue Yannick Bodin serait bien placé pour en parler.
Pourtant, le ministre chargé de la santé n'a arrêté aucune mesure visant à instaurer une exception à l'interdiction de la vente dans les établissements scolaires de produits alimentaires au bénéfice des distributeurs de fruits, même s'il a indiqué qu'il recherchait une solution dans ce sens.
J'ajoute qu'une interdiction totale et sans distinction des distributeurs automatiques porterait atteinte à la situation économique, déjà fragile, du secteur de l'arboriculture, outre qu'elle apparaîtrait en contradiction avec la politique nutritionnelle de santé publique française.
En conséquence, j'aimerais connaître les intentions de M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille quant à l'application de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie. Madame le sénateur, vous avez souhaité appeler l'attention de M. Douste-Blazy sur la question de l'interdiction des distributeurs automatiques dans les établissements scolaires, interdiction qui résulte d'ailleurs d'une initiative parlementaire et qui a été introduite dans le cadre de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique.
L'article 30 de ladite loi dispose que les distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants accessibles aux élèves seront interdits dans les établissements scolaires à compter du 1er septembre 2005.
Pour autant, la distribution de fruits et de légumes - s'agissant de ces derniers, il est clair qu'elle ne peut être qu'extrêmement rare - n'est évidemment pas interdite à l'école, la loi visant à faire disparaître les distributeurs payants qui sont présents dans la moitié des établissements scolaires du secondaire et qui offrent notamment des « chips », des barres chocolatées, des boissons sucrées, autant d'aliments de mauvaise qualité nutritionnelle et favorisant le grignotage, lui-même facteur de surpoids selon tous les nutritionnistes.
Ainsi, il n'est pas inhabituel de voir certains enfants acheter des barres chocolatées au distributeur plutôt que d'aller à la cantine. Je l'ai personnellement constaté dans mes fonctions d'élu local.
Quant aux fruits et légumes, la priorité du Gouvernement est de faire en sorte qu'ils soient davantage proposés et consommés dans les restaurants scolaires. Ainsi le programme national nutrition-santé soutient-il une action pilote dans une commune proche de Lille où, à la suite d'actions d'information et de dialogue avec les élèves, les établissements ont augmenté de 20 % leur consommation de fruits et légumes à la cantine. Nous souhaitons que des expériences pilotes comme celle-ci se multiplient sur tout le territoire.
Je le rappelle, l'AFSSA recommande que la prise d'aliments ait bien lieu à l'occasion des repas classiques, et non en dehors.
Par ailleurs, la loi du 9 août 2004 n'interdit nullement la distribution gratuite de fruits et légumes, par exemple dans le cadre d'une semaine de découverte de ces aliments.
Madame le sénateur, comme vous pouvez le constater, votre préoccupation de favoriser la consommation de fruits et légumes dans les établissements scolaires et dans l'ensemble des lieux de restauration est partagée par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse est très précise, mais elle est hors sujet.
Vous indiquez que le Gouvernement encourage la distribution gratuite, et nous le soutenons dans cette politique. Vous indiquez que le Gouvernement veut favoriser la consommation de fruits et légumes lors des repas dans les cantines scolaires, et il a raison. Vous indiquez enfin qu'il faut dissuader les élèves de grignoter entre les repas, et j'en suis tout à fait d'accord. Mais c'est sur les distributeurs payants que portait ma question.
Bannir sans distinction les distributeurs payants, c'est un peu pratiquer la politique de l'autruche, car, si ces distributeurs, offrent des pommes, ils sont utiles ! Après tout, si c'est une pomme qui est grignotée, je ne suis pas sûre que les nutritionnistes y trouvent à redire !
Je ne suis donc pas entièrement satisfaite par votre réponse, d'autant que, au-là du problème de santé public, j'ai également évoqué l'intérêt que pouvaient représenter des distributeurs payants de fruits et légumes pour l'économie régionale.
Sur cet aspect, qui concerne aussi sans doute le ministère de l'agriculture, des pays comme l'Italie et la Belgique sont en pointe. Au salon de l'agriculture de 2004, on a vu l'Union des vergers de l'Ile-de-France et le Comité de promotion des produits agroalimentaires encourager une telle démarche et signer un protocole d'accord pour approvisionner les distributeurs payants.
Si l'on veut soutenir l'arboriculture, je le répète, c'est une manière intelligente de le faire.
De plus, si M. le ministre de la santé n'encourageait pas la distribution payante de fruits, il ne serait pas cohérent avec ce qu'il dit par ailleurs sur la politique de prévention de l'obésité et d'un certain nombre de maladies.
difficultés des agriculteurs pour assurer la mise aux normes des bâtiments d'élevage
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque, auteur de la question n° 587, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.
M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur les difficultés rencontrées par les agriculteurs qui pratiquent la polyculture en ce qui concerne la mise aux normes des bâtiments d'élevage.
Pour que ces agriculteurs puissent percevoir les aides de la nouvelle politique agricole commune ou avoir l'assurance d'obtenir des financements dans le cadre des contrats d'agriculture durable, leurs bâtiments d'exploitation doivent être « aux normes ». Ainsi, le non-respect du règlement sanitaire départemental ou des procédures de déclaration ou d'autorisation appelées ICPE - installations classées pour la protection de l'environnement - fait que les exploitations concernées ne sont pas aux normes et ne peuvent donc prétendre aux aides financières prévues.
Pour les agriculteurs qui pratiquent la polyculture ou pour ceux qui ne sont pas spécialisés dans l'élevage, la mise aux normes des bâtiments d'élevage a très souvent un coût difficilement supportable.
Dans mon département, la Dordogne, sur environ 10 000 exploitations agricoles, seulement 20 % sont spécialisées. La polyculture a toujours fait la force et l'équilibre de ce département. Mais, aujourd'hui, nos agriculteurs et nos éleveurs sont très inquiets, car ils n'ont plus de perspectives.
Dans le cadre des orientations pour 2005, le ministère de l'agriculture a, d'une part, décidé de mettre en place un guichet unique pour l'élevage et, d'autre part, d'abonder l'enveloppe budgétaire. Avec ce plan d'action, comment répondre concrètement aux agriculteurs sachant qu'il serait dommageable de perdre des éleveurs compétents, qui sont importants pour l'équilibre de nos espaces ruraux ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie. Monsieur le sénateur, votre question fait référence à l'obligation, pour les exploitants agricoles, de respecter les normes minimales en matière d'environnement, d'hygiène et de bien-être des animaux afin de percevoir une aide. Il s'agit là d'un principe communautaire de base. Celui-ci est déjà applicable aux aides relevant du second pilier de la PAC, qui entrera en vigueur au titre de la conditionnalité des aides au 1er janvier 2005, en application des dispositions prévues dans le cadre de la réforme de la PAC faisant suite aux accords de Luxembourg.
En ce qui concerne les effluents d'élevages, la norme minimale est fixée par le règlement sanitaire départemental pour les élevages les plus modestes ou par la réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, qui intéresse les unités plus importantes en effectifs.
Enfin, pour les élevages qui sont situés en zone vulnérable au sens de la directive « Nitrates », la norme minimale correspond aux exigences définies au sein des programmes locaux d'action.
Pour répondre à la norme minimale, les exploitations peuvent bénéficier de délais particuliers en fonction de leur situation - je pense, notamment, aux jeunes agriculteurs -, de la date d'entrée en vigueur de la norme - c'est le cas des normes nouvelles - ou des règles propres à la norme. Ainsi, les éleveurs engagés dans le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le fameux PMPOA, bénéficient de délais et, par la même occasion, d'aides leur permettant de réaliser les investissements nécessaires pour atteindre la norme minimale.
Tout agriculteur qui bénéficie de ce type de délai est considéré comme respectant la norme.
Les délais sont ainsi pris en compte au titre de la réglementation nationale. Par exemple, pour les ICPE, les délais sont pris en compte dans les nouveaux projets de prescription ainsi qu'au titre de la PAC. Un agriculteur bénéficiant d'un délai est considéré comme respectant les exigences réglementaires en la matière au sens de la conditionnalité qui lie ce respect au versement intégral des aides directes. Il peut aussi avoir accès normalement aux aides du second pilier, par exemple les aides liées à un contrat d'agriculture durable.
Vous le voyez, le PMPOA ne constitue pas un frein pour les exploitants, mais bel et bien un outil d'accompagnement permettant aux élevages d'atteindre les normes minimales, qui constituent le socle incontournable à respecter pour continuer à bénéficier des régimes d'aides du premier et du second pilier de la PAC.
Le financement est relativement incitatif, car il rapporte, en moyenne, 18 000 euros d'aides sur chaque exploitation.
Vous avez évoqué le poids important des investissements à réaliser dans les exploitations d'élevage tant sur le plan de la modernisation et de l'adaptation de leur outil de production que sur celui de la mise aux normes.
Hervé Gaymard avait mis en chantier un plan de modernisation des bâtiments d'élevage bovin, ovin et caprin. Ce plan ambitieux a immédiatement été confirmé et mis en application sur le plan financier, car il est doté de 80 millions d'euros. C'est un atout essentiel pour l'avenir de notre élevage.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage votre souci de vouloir préserver un maximum d'exploitations d'élevage. Vous avez parlé de l'aménagement du territoire. Nous nous rejoignons là encore sur ce point, et nous sommes persuadés que ce plan, tel qu'il a été construit, a vocation à accompagner au mieux les éleveurs sur tout le territoire.
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.
M. Dominique Mortemousque. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie des éclaircissements que vous venez d'apporter sur la question extrêmement importante du délai. Ils nous rassurent partiellement.
Je propose que les agriculteurs qui sont proches de la retraite puissent achever leur carrière sans être obligés de se mettre aux normes. Une telle possibilité serait, croyez-moi, une source d'apaisement.
conséquences des hausses du prix de l'acier
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, auteur de la question n° 597, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre, je tiens à appeler votre attention sur les inquiétudes suscitées depuis de nombreuses semaines par les hausses successives et brutales des prix de l'acier et de ses dérivés.
Cette flambée des prix pénalise gravement les entreprises consommatrices d'acier, en particulier celles qui opèrent dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Ainsi éprouvent-elles de grandes difficultés, non seulement pour terminer les chantiers en raison d'une crise de l'approvisionnement en matériaux, mais également pour répercuter cette élévation du coût des matériaux sur les commandes passées à prix ferme.
Interpellé par notre collègue Valérie Létard, M. le ministre délégué au commerce extérieur a précisé que la théorie de l'imprévision a été rappelée aux préfets par voie de circulaire.
En dépit des recommandations du ministère de l'équipement, certains maîtres d'ouvrage ne recourent toujours pas aux clauses de révision des prix pour cas de force majeure. Or il est actuellement difficile de répondre à un marché public en raison de l'instabilité à court et à moyen terme des marchés.
Cette situation constitue donc un véritable frein au développement de nos PME et exerce une influence négative sur leurs perspectives d'embauche et d'investissement.
La théorie de l'imprévision étant des plus délicates à mettre en oeuvre dans le cadre de marchés à prix ferme, j'aimerais savoir, monsieur le ministre, quelles mesures vous envisagez de prendre pour permettre une actualisation contractuelle des prix qui se référerait, par exemple, à un index paramétrique, avec un seuil raisonnable de déclenchement, tant pour les maîtres d'ouvrage que pour les maîtres d'oeuvre.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Madame la sénatrice, la question du prix de l'acier est effectivement préoccupante, car elle pénalise des pans entiers de notre économie, en particulier le secteur de l'automobile et celui de la construction.
Plusieurs actions ont été menées à cet égard par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Tout d'abord, l'augmentation du prix de l'acier est due à deux facteurs bien identifiés : la hausse de la demande, tirée par la Chine et l'Inde, et les tensions sur l'approvisionnement en matières premières nécessaires à l'industrie sidérurgique, c'est-à-dire le fer, le coke, et les ferrailles. Aucun de ces deux paramètres ne trouvera de solution rapide, et il faut s'attendre, malheureusement, à supporter durablement des prix élevés.
Dans ce contexte, la France a tout d'abord mené des actions dans le domaine du commerce international pour lever certaines barrières s'opposant à la circulation des matières premières et des produits finis, demandant à plusieurs reprises à la Commission européenne de prendre promptement des mesures rapides ; j'ai moi-même rencontré Pascal Lamy à ce sujet.
Des résultats notables ont été enregistrés à cet égard, en particulier l'assouplissement du système de licences d'exportation de coke mis en place par la Chine, qui contribuait à la hausse très rapide des prix de cette matière.
Le Gouvernement reste déterminé à ce que toutes les possibilités d'action touchant au commerce international soient exploitées pour permettre une meilleure offre.
Les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ont, par ailleurs, reçu instruction d'être extrêmement attentifs à l'exercice correct de la concurrence dans le secteur de la distribution de l'acier en France, afin que personne ne profite de la situation Cette vigilance, bien que nécessairement peu visible, est très importante pour éviter que des ententes ne se créent à l'occasion de la hausse des prix.
J'ai moi-même organisé le 22 octobre dernier une table ronde consacrée spécifiquement à la filière automobile, au cours de laquelle les participants se sont engagés notamment sur la mise en chantier d'un tableau de bord des prix de l'acier et sur le principe d'une prise en compte de la hausse de l'acier le long de la chaîne de sous-traitance. Il est en effet primordial que les entreprises touchées par l'augmentation des prix aient la possibilité - comme vous le demandez, madame la sénatrice - de répercuter cette charge, au moins partiellement, sur leurs clients.
Enfin, des actions ont été menées dans le domaine des marchés publics, l'Etat se devant d'être un client exemplaire à l'égard de ses fournisseurs.
La théorie de l'imprévision, selon laquelle les marchés peuvent être révisés en cas d'événements extérieurs imprévisibles bouleversant l'équilibre des contrats, a été rappelée aux services concernés. Le ministère de l'équipement a envoyé une circulaire aux préfets en ce sens.
Vous avez posé à ce sujet, madame, la question de l'introduction dans les marchés de clauses permettant une révision contractuelle des prix. Il faut tout d'abord souligner que, pour les marchés passés à prix ferme et en cours d'exécution, l'introduction de telles clauses n'est pas possible, car cela constituerait une irrégularité grave susceptible de fausser les conditions de mise en concurrence initiale.
En revanche, pour les marchés à venir, l'article 17 du code des marchés publics précise expressément qu'un « marché est conclu à prix ferme dans le cas où cette forme de prix n'est pas de nature à exposer à des aléas majeurs le titulaire ou la personne publique contractante du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d'exécution des contrats ». Cela veut dire que le prix ferme ne doit pas être retenu lorsqu'il y a lieu de craindre des mouvements de prix brusques et imprévisibles pendant la période d'exécution de la prestation. C'est manifestement de plus en plus souvent le cas pour les prestations impliquant des achats notables d'acier.
Deux formes de prix sont prévues pour tenir compte de tels mouvements : le prix révisable et le prix ajustable. Ces deux formes de prix sont fondamentalement différentes en ce que l'ajustement s'effectue en fonction d'une référence représentative du prix de la prestation elle-même, tandis que la révision s'effectue en fonction d'éléments représentatifs de son coût.
Les services du ministère de l'économie, des finances et ceux du ministère de l'équipement préparent actuellement ensemble des recommandations qui pourraient être données aux maîtres d'ouvrage pour leur rappeler ces possibilités ouvertes par le code des marchés publics.
Comme vous le constatez, madame la sénatrice, le Gouvernement est très attaché à ce que les conséquences de la hausse de l'acier sur le tissu industriel français soient maîtrisées au maximum en utilisant tous les leviers d'action de l'Etat.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre, je vous remercie très sincèrement de vos propos. J'apprécie les actions qui ont été menées et l'attention accordée à nos entreprises du BTP. Je pense que vos explications sont de nature à les rassurer.
Nous connaissons tous l'intérêt que représentent ces entreprises du BTP au regard du développement économique et, par conséquent, de l'emploi. (M. Christian Cambon applaudit.)
restructuration de la poste dans le nord
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 589, adressée à M. le ministre délégué à l'industrie.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur l'incertitude qui pèse sur l'organisation des services de La Poste dans le Nord, et plus précisément en ce qui concerne la présence des bureaux de poste dans les communes du département et la création de la nouvelle plate-forme de traitement du courrier appelée à remplacer celles de Lezennes et de Valenciennes.
La plus grande opacité règne sur ces deux questions.
S'agissant de la fermeture annoncée des bureaux de poste, M. Raffarin, lors du congrès des maires de France, a dû constater l'attachement unanime des élus à ce service public et à sa vocation d'aménagement du territoire.
Aussi, depuis cette confrontation, il n'est question que de concertation avec les élus locaux, de définition concertée de « zone de vie », de charte du dialogue territorial. Cela est, du reste, fort bien relayé par les médias.
Mais, qu'en est-il de sur le terrain, quand le bureau ferme ou que l'ouverture quotidienne est réduite à une heure ou deux ?
Dans les petites villes de notre département, telles que Don, Lécluse, Montchécourt, Annoeullin, Bauvin ou Cantin, la concertation territoriale n'a pas eu lieu. Les décisions sont annoncées au cas par cas ; et la rentabilité du service, les contraintes de gestion sont systématiquement invoquées. S'agissant de ces communes, il n'est plus question d'égalité de traitement pour tous les citoyens et de service public tant est forte la pression de la dérégulation et de l'ouverture concurrentielle.
On parle de supprimer, à terme, quelque cent cinquante bureaux de poste dans le département du Nord. Cette information inquiète fortement les élus et, avec eux, les usagers de ces services. Aucune stratégie, aucun plan à terme ne viennent d'ailleurs démentir la véracité de cette information. Tout se passe dans une opacité totale.
Depuis deux ans, les conseils locaux postaux ne sont plus réunis. Ils permettaient, pourtant, d'organiser la concertation locale et de prendre en compte les critères relatifs au développement territorial plutôt que les seuls paramètres du marketing.
Après France Télécom, EDF et le réseau de la Banque de France, la Poste est-elle aussi visée pour amoindrir, voire supprimer les services collectifs ?
Le département du Nord subit déjà de plein fouet les délocalisations et les difficultés économiques. Faut-il, en plus, que sa population se voit privée des services dont elle a quotidiennement besoin ?
Si La Poste doit effectivement moderniser son réseau d'acheminement et de distribution du courrier, ce service public a le devoir de réaliser cette modernisation en assumant ses missions de développement de l'économie locale et d'aménagement du territoire ainsi qu'en respectant ses usagers et ses personnels, et cela à des tarifs permettant de lutter véritablement contre la fracture sociale, qui est loin d'être un vain mot dans notre département.
J'en viens au deuxième point de ma question.
A été annoncée l'ouverture prochaine d'un nouveau centre de traitement du courrier, qui remplacera certainement le centre de Lezennes et partiellement celui de Valenciennes. Ce centre devrait être opérationnel en 2007.
Là encore l'opacité est totale : les salariés apprennent les informations au compte-goutte par la presse et, à ce jour, aucune indication n'a été donnée quant aux conséquences de cette implantation pour le personnel. Quel sera l'avenir professionnel des mille salariés concernés par cette nouvelle organisation ?
Si M. Bailly, comme il l'exprimait dans un courrier récent, s'est personnellement engagé vis-à-vis des postiers, nous attendons de lui et aujourd'hui de vous, monsieur le ministre, que toutes les informations relatives à la restructuration du réseau des bureaux de poste du département et celles qui ont trait à l'implantation de la nouvelle plate-forme soient non seulement clarifiées et disponibles pour tous, mais aussi qu'elles fassent effectivement l'objet d'une concertation approfondie avec les élus et les opérateurs publics du département.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Madame la sénatrice, quel est le contexte général de la présence postale ?
La Poste, son président et le Gouvernement se sont engagés à maintenir le nombre total de points de contact existants : il y en a 17 000 aujourd'hui, il en restera 17 000 quoi qu'il arrive !
En novembre, lors du congrès de l'Association des maires de France, M. Bailly a signé une charte du dialogue territorial qui engage La Poste à ne procéder à aucune fermeture de bureaux sans concertation préalable avec les élus.
Qu'en est-il, par ailleurs, des bureaux de poste gérés en propre par la Poste ? Il y en a aujourd'hui 13 785, dont 10 632 bureaux de plein exercice et 3 53 bureaux de proximité, c'est-à-dire n'ayant pas de receveur. Parmi ces bureaux de poste, 5 782 sont ouverts moins de deux heures par jour d'activité !
Le nombre des points Poste chez les particuliers, aujourd'hui de 1 000, est en cours de réduction. On compte en outre 1 600 agences communales et 460 points Poste installés chez les commerçants.
Les 5 782 bureaux de poste dont l'activité quotidienne ne dépasse pas deux heures seront progressivement transformés en points Poste chez les commerçants. Cela permettra d'installer ou de maintenir durablement des commerces dans un tissu rural parfois fragile et d'offrir aux usagers une plage d'ouverture beaucoup plus importante.
En ce qui concerne le département du Nord, quatre points de contact ont été transformés en points Poste en 2004 : sont concernées les communes de Fontaine-au-Pire, Spycker, Don et Preux-au-Bois. Ces bureaux de poste enregistraient une fréquentation inférieure à dix clients par jour ! La décision a systématiquement été prise en concertation étroite avec les élus locaux. Le choix s'est finalement porté sur la formule du point Poste afin d'améliorer de façon très significative l'accessibilité horaire de ces points de contact.
Comme sur tout le territoire, la concertation est menée par les directeurs territoriaux de La Poste auprès de chaque élu local concerné par un projet d'évolution du réseau de La Poste dans sa commune.
La commission départementale de présence postale territoriale est présidée par M. Bernard Carton, conseiller général du Nord et conseiller municipal de Roubaix. Elle s'est réunie une première fois sur le dossier « évolution du réseau des bureaux de poste du Nord » le 27 octobre afin de dialoguer sur la méthode et sur le calendrier. Elle s'est réunie une deuxième fois le 15 décembre, c'est-à-dire il y a quelques jours, afin de présenter la charte postale du dialogue territorial. Des contacts réguliers sont noués avec l'association des maires du Nord, avec le conseil général, avec le conseil économique et social régional ainsi qu'avec les communautés de communes.
Dans le département du Nord, 50 bureaux de poste sur 400 seront transformés en agences postales communales ou en points Poste. Compte tenu des agences postales communales et des points Poste existants, ce sont moins de 10 % des établissements qui sont concernés sur trois ans.
Concernant l'organisation industrielle du courrier, La Poste doit relever deux défis : premièrement, l'ouverture du marché du courrier à la concurrence, qui résulte de la transposition des directives postales, dont la plus récente, qui date de 2002, a été négociée par le gouvernement précédent ; deuxièmement, l'anticipation de la baisse du volume de courrier liée au développement des technologies de l'information et de la communication, en particulier des courriels.
La Poste a lancé un grand projet industriel et social de modernisation de son activité courrier baptisé « Cap qualité courrier 2007 », annoncé par le président Jean-Paul Bailly le 13 octobre dernier, à Lille.
L'investissement s'élève à environ 30 millions d'euros pour le département du Nord ; il comporte la création d'une plate-forme industrielle d'envergure nationale dans l'agglomération lilloise.
Cette plate-forme ne vient pas en remplacement du centre de traitement du courrier de Valenciennes, qui est maintenu, avec une évolution probable de son activité. L'activité du centre de traitement du courrier de Lille sera, quant à elle, transférée sur cette nouvelle plate-forme.
Une large concertation a été menée avec les postiers, dans le cadre d'un dialogue social rénové, comme en témoigne l'accord social signé le 21 juin 2004 avec les organisations syndicales.
L'objectif est d'améliorer la qualité de service pour les particuliers et les entreprises, conformément au contrat de plan liant l'Etat et La Poste pour la période 2003-2007.
La Poste, à partir du 1er janvier 2005, et de plus en plus par la suite, va être confrontée à une concurrence intense. Si elle ne veut pas perdre des parts de marché, elle doit être davantage compétitive. Il faut savoir qu'elle sera soumise à la concurrence de postes étrangères, en particulier, dans le département du Nord, des postes hollandaises et allemandes. Il convient donc de permettre à notre poste d'être performante !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Je tiens à remercier M. le ministre de sa réponse très argumentée et détaillée. Néanmoins, qu'il me permette de lui poser cette nouvelle question : si le tableau était aussi idyllique qu'il le peint, pourquoi les élus seraient-ils en colère ?
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez évoqué de nombreuses réunions de concertation ; Mais c'étaient plutôt des réunions d'information ! Pourquoi les conseils locaux de concertation ne se tiennent-ils plus ? Ils avaient l'avantage de permettre aux élus de réfléchir ensemble sur le devenir d'un territoire.
S'agissant de la nouvelle plate-forme de traitement du courrier, monsieur le ministre, vous ne m'avez pas répondu au sujet de sa localisation. Or c'est cela qui est source d'inquiétude ! Les salariés qui seront déplacés aimeraient bien savoir où ils exerceront leur métier, et cela paraît bien légitime.
restructuration de l'activité colis de la poste
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question n° 594, adressée à M. le ministre délégué à l'industrie.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le ministre, ma question porte également sur La Poste, mais j'attirerai pour ma part votre attention sur l'annonce de la restructuration de l'activité « colis » de l'entreprise, qui touche au premier chef le département d'Indre-et-Loire puisqu'elle se traduirait par la fermeture du centre de tri des paquets situé à Saint-Pierre-des-Corps.
La première conséquence de cette disparition porterait sur l'emploi. Le déplacement à Mer, dans le Loir-et-Cher, créerait, nous dit-on, 220 emplois. Cela étant, les informations dont disposent les salariés font état d'un différentiel de 70 emplois seulement. J'ai rencontré les représentants des salariés ; ils ne comprennent pas cette éventuelle restructuration et sont aujourd'hui fortement mobilisés, sur leur avenir personnel, bien sûr, mais aussi sur celui de l'activité colis de La Poste pour cette région.
La seconde conséquence de cette restructuration serait de caractère économique. Cette mesure serait, à notre avis, totalement inefficace dans la mesure où de nombreuses entreprises tourangelles se verraient lourdement pénalisées par ce déplacement alors qu'elle font partie des clients importants du centre de tri de Saint-Pierre-des-Corps. Le traitement actuel à l'échelon départemental répond beaucoup mieux à leurs besoins.
De plus, il est tout à fait paradoxal qu'une telle décision puisse être maintenue en pleine période de flambée du prix des carburants. Nous allons en effet assister au développement du transport des paquets par camions à partir d'un seul point pour toute cette vaste région. Le fait que le prix du pétrole ait été au plus bas au moment où la décision de réorganisation a été prise montre que ce choix relève de la courte vue plutôt que d'une vision à long terme.
L'aménagement du territoire en matière de distribution des colis doit tenir compte de plusieurs paramètres ; or seule la rentabilité à court terme semble avoir été retenue avec la réduction du nombre de plates-formes dans toute la France.
A présent, 724 poids lourds, 22 avions et 3 TGV assurent le transport de 25 milliards d'objets pour le secteur courrier de La Poste ; les mêmes moyens sont utilisés pour les colis. Combien de dizaines de semi-remorques et de camions de 19 tonnes seront nécessaires pour alimenter une seule plate-forme régionale, qui deviendra ainsi un pivot de transit ?
Le développement durable ne résiste pas, malheureusement, à la pression du lobby des transporteurs routiers. Comment, dans ces conditions, respecter les accords de Kyoto ? Pourtant, la situation de Saint-Pierre-des-Corps offrait des perspectives de transport ferroviaire parfaitement réalistes.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous mettre en cohérence les paroles et les actes, et faire prévaloir l'intérêt des usagers et des salariés par une organisation du tri qui corresponde mieux aux besoins ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Madame Beaufils, vous le savez, d'une manière générale, l'activité « colis » de La Poste est soumise, à une concurrence très intense, y compris étrangère, en même temps qu'elle est en plein développement.
C'est pourquoi La Poste doit investir dans son outil de production ; 3,4 milliards d'euros d'investissements sont ainsi prévus d'ici à 2007 pour répondre aux besoins de la clientèle.
La Poste investit également à l'étranger, par l'intermédiaire de sa filiale GEOPOST. Elle a ainsi acquis, en 2001, le premier réseau européen de transport de colis interentreprises, DPD, société allemande à l'origine ; elle a également pris une participation, depuis cette année, dans le numéro un du courrier express en Espagne, la société SEUR.
J'en viens maintenant à l'évolution du traitement du courrier entre Tours et Orléans.
La création de deux nouvelles plates-formes de traitement du courrier, l'une à la périphérie de Tours, l'autre à proximité de Blois, dans la commune de Mer, est prévue. Ces investissements lourds sont accompagnés de la modernisation des installations actuelles de traitement du courrier à Orléans et de la suppression de deux centres de tri de colis, à Saint-Pierre-des-Corps et à Orléans.
La réalisation simultanée de l'ensemble de ces projets permettra aux personnels des deux centres de tri qui fermeront de trouver un emploi correspondant à leur qualification et à leurs souhaits sur les nouvelles installations.
En particulier, dans l'agglomération de Tours, les personnels du centre de traitement des colis de Saint-Pierre-des-Corps occuperont prioritairement les emplois créés pour faire fonctionner la nouvelle plate-forme de traitement du courrier dans la région tourangelle.
En ce qui concerne l'impact sur l'environnement et le respect du protocole de Kyoto, je veux souligner que la plate-forme de Mer achève la construction d'un nouveau réseau national de traitement des colis.
L'objectif est de massifier les flux de colis transportés, ce qui permettra de diminuer fortement le nombre des liaisons entre les plates-formes « colis » au niveau national. Cela conduira à une réduction de 5 % environ du nombre de kilomètres parcourus, soit quelque 5 millions de kilomètres « économisés » chaque année sur l'ensemble du territoire. Il convient de mesurer, outre l'intérêt économique de cette réorganisation, son intérêt environnemental.
Par ailleurs, l'implantation de ces nouvelles plates-formes à la périphérie des agglomérations et aux abords des grandes voies de communication limite la circulation automobile au coeur des villes, ce qui est favorable à l'environnement.
J'ajoute que l'important programme de modernisation du parc de véhicules de La Poste devrait également permettre de diminuer les incidences sur la pollution en ville. D'ailleurs, un nouveau modèle de véhicule électrique est actuellement en cours d'expérimentation.
Ainsi, madame Beaufils, les préoccupations dont vous avez fait état sont au coeur de l'action de La Poste puisque cette action concilie gains de productivité et amélioration des conditions environnementales.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. J'ai écouté attentivement la réponse de M. le ministre. N'ayant bien évidemment pas posé cette question sans avoir réuni préalablement un certain nombre d'éléments, je connaissais déjà les informations que M. le ministre m'a transmises.
La réflexion qui est menée aujourd'hui avec les salariés de La Poste ne conduit pas à la même appréciation s'agissant du choix de la commune de Mer et de la réorganisation telle qu'elle est décidée.
Les salariés relèvent l'affaiblissement de l'utilisation du chemin de fer dans le transport des colis ; or La Poste ne répond absolument pas, pour le moment, sur cet aspect.
Un autre aspect me paraît mériter d'être pris en compte : la capacité, pour l'entreprise, de conserver une clientèle importante dans cette grande région de l'ouest de la France qui va maintenant être desservie par la plate-forme de Mer.
Or, dans la réponse que vous apportez, monsieur le ministre, ces aspects ne sont pas véritablement pris en compte. La plate-forme de Mer est envisagée à l'échelon national, mais on ne voit pas comment, à l'échelon de la région, sera apportée une réponse pertinente à la clientèle. Des camions vont être remis dans le circuit, non pas tant au niveau du centre de Mer que dans l'acheminement par une série de petits relais. Malheureusement, ce sont précisément tous ces déplacements sur de petites distances qui génèrent parfois beaucoup de nuisances sur le terrain.
En guise de conclusion, je rappellerai que le site de Saint-Pierre-des-Corps est en connexion directe avec le fer et avec l'autoroute A 10. L'argumentaire relatif aux liaisons autoroutières est donc infondé dans ce cas particulier.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il faut choisir entre la desserte par fer ou par Mer ! (Sourires.)
devenir du site de l'ancienne usine ugine
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, auteur de la question n° 606, adressée à M. le ministre délégué à l'industrie.
M. Simon Sutour. Monsieur le ministre, le devenir du site de l'ancienne usine Ugine préoccupe les élus et la population du Gard rhodanien, bassin déjà lourdement touché par les inondations et les fermetures d'entreprises.
Le site de l'ancienne usine Ugine, sur la commune de Laudun-L'Ardoise, est l'un des principaux sites susceptibles d'accueillir un pôle d'activités économiques.
Lors de sa visite du 27 octobre 2003, Mme la ministre déléguée à l'industrie avait signé une convention multipartite avec l'ensemble des présidents de communautés de communes qui devait être le point de départ de la redynamisation du bassin économique rhodanien.
Depuis maintenant plus d'un an, la mise en place d'une véritable étude se fait attendre. Or le préfet du Gard, sur la base d'une étude succincte, a donné un avis défavorable à la redynamisation du site de l'ancienne usine Ugine.
Pourtant, il apparaît qu'une étude plus large et plus neutre, confiée à un cabinet d'étude indépendant, serait nécessaire afin de dégager de véritables conclusions sur les possibilités de réutilisations du site.
Répondant à l'appel du maire de Laudun-L'Ardoise, également conseiller général, M. Patrice Prat, la forte mobilisation des élus, des socioprofessionnels et des syndicalistes, le 30 novembre dernier, a montré la détermination du bassin rhodanien, premier pôle industriel de la région Languedoc-Roussillon. Il serait injuste de ne pas entendre leur appel.
L'intérêt d'une protection du site réside également dans la mise en sécurité de nombreuses habitations situées à proximité.
Il y a donc là un double enjeu : un enjeu économique et un enjeu humain. L'Etat ne peut pas et ne doit pas abandonner une population qui commence à désespérer.
Face à cette situation, monsieur le ministre, quelle aide le Gouvernement envisage-t-il d'apporter pour assurer la protection des terres industrielles du site de l'ancienne usine Ugine et des populations résidant à proximité, afin de sauvegarder un espace essentiel de développement économique et humain pour le Gard rhodanien ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Sutour, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur les préoccupations des élus et sur celles de la population du Gard rhodanien au sujet de l'avenir du site d'Ugine, dit de l 'Ardoise, à Laudun.
Ugine a annoncé, au début de l'année 2003, son intention de fermer ce site de production à l'horizon de l'année 2004. Un plan de sauvegarde de l'emploi a été négocié dans cette perspective. La mise en oeuvre de mesures en vue du reclassement des personnels, d'une part, et, les conditions de réindustrialisation de la zone touchée par la fermeture de l'aciérie, d'autre part, sont prévues dans ce plan.
Une convention multipartite a été signée - vous y avez fait allusion, monsieur Sutour - le 27 octobre 2003, en présence de la ministre de l'industrie d'alors, Mme Nicole Fontaine.
Cette convention devait permettre d'amorcer les actions destinées à accompagner le plan de redynamisation du bassin économique.
Le plan social mis en oeuvre par Ugine est pratiquement achevé : près de la moitié des 421 personnes concernées ont été reclassées au sein du groupe Arcelor et une partie importante d'entre elles ont bénéficié soit du dispositif de préretraite progressive, soit d'une mise à la retraite programmée, soit d'un reclassement extérieur.
Pour ce qui est du plan de réindustrialisation - qui est en cours de réalisation -, il est prévu de créer 400 emplois industriels sur quatre ans.
Après une année d'exécution, d'octobre 2003 à septembre 2004, huit projets d'entreprises ont été étudiés et conventionnés, ce qui représente 78 emplois.
Plusieurs dossiers sont actuellement à l'étude ou font l'objet de contacts de la part de l'Agence de développement du Gard rhodanien, en liaison avec la SODIE.
Toutefois, les actions en cours se trouvent partiellement ralenties, notamment du fait de la limitation des possibilités de réutilisation des bâtiments et des terrains du site d'Ugine.
En effet, une partie des surfaces présente un caractère inondable et seules les emprises bâties peuvent faire l'objet d'une exploitation immédiate.
Pour ce qui concerne les zones à caractère inondable, leurs conditions de réemploi feront l'objet d'un examen dans le cadre du plan Rhône, dont l'objet est la mise en place d'une gestion globale des épanchements du Rhône.
Parallèlement, un certain nombre d'études complémentaires ont été lancées en vue, d'une part, de cerner les mesures à mettre en oeuvre pour protéger les zones habitées à Laudun-l'Ardoise et, d'autre part, d'identifier les aménagements à opérer pour permettre l'installation d'entreprises dans les bâtiments d'Ugine.
Néanmoins, la recherche de surfaces disponibles pour l'accueil de nouvelles activités ne doit pas être limitée au seul périmètre d'Ugine et doit être impérativement élargie au Gard rhodanien.
A cet égard, les élus et les acteurs locaux ont d'ores et déjà été invités à entreprendre l'élaboration d'un schéma de cohérence territoriale afin de se doter d'un outil de prospection adapté.
Par ailleurs, je rappelle qu'une enveloppe de 700 000 euros sur les crédits du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, le FNADT, reste disponible et qu'elle devrait permettre d'accompagner cette démarche.
Les pouvoirs publics, sous l'autorité du préfet du Gard, veillent très étroitement à l'exécution du plan de réindustrialisation du bassin d'emploi de Laudun-l'Ardoise.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que les services du ministère de l'industrie seront très attentifs à ce que soient mis en oeuvre tous les moyens disponibles permettant d'accompagner efficacement les actions en cours.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Vous me confirmez un certain nombre d'éléments dont j'avais déjà connaissance.
J'insisterai simplement sur un point : cette zone géographique a été fortement sinistrée par des inondations il y a un an.
Il ne faudrait pas passer d'un extrême à l'autre dans notre pays, à savoir passer d'une époque où des constructions privées et industrielles ont été permises partout à une autre époque où tout serait interdit partout !
La problématique, dans cette zone, est la suivante : s'il n'y a plus d'activité industrielle, il n'y aura plus de population à protéger !
inquiétudes des salariés de giat industries
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 583, adressée à Mme la ministre de la défense.
M. Bernard Fournier. Je tiens une nouvelle fois à attirer l'attention du Gouvernement sur les inquiétudes légitimes et très vives des salariés de GIAT Industries, qui ont manifesté à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois.
A la suite du plan « GIAT 2006 » et du programme de restructuration très important qui s'en est suivi, le Gouvernement s'était engagé, il y a maintenant plus d'un an, à aider les salariés, notamment en termes de reclassement.
M. Delevoye, ancien ministre de la fonction publique, répondant à une question orale que je lui avais posée dans cet hémicycle le 6 mai 2003 sur le désenclavement du département de la Loire, m'avait affirmé que « GIAT Industries, à la demande du Gouvernement, s'est engagé à créer 5 000 emplois nouveaux en trois ans sur les bassins concernés ».
Depuis cette date, le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté un amendement déposé par le Gouvernement et dont le texte constitue, désormais, l'article 2 de la loi du 5 juin 2003 portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et de GIAT Industries.
Cet article pose le principe que les ouvriers sous statut de GIAT Industries peuvent être recrutés, sur leur demande, en qualité d'agent non titulaire de droit public par des administrations de l'Etat, des régions, des départements, des communes et par leurs établissements publics à caractère administratif.
Une circulaire du ministère de l'intérieur, à ce sujet, est parue le 26 octobre dernier.
En outre, assez régulièrement, les services du ministère de la défense m'informent lorsque des entreprises susceptibles d'intéresser le reclassement du personnel de GIAT choisissent notre département pour s'y implanter.
C'est ainsi que nous avons eu le plaisir d'apprendre, au mois de septembre dernier, que la société IDESTYLE a décidé d'implanter un nouveau bureau d'études et de créer 80 emplois à Saint-Chamond, dans les locaux de GIAT Industries.
Quelques mois auparavant, la société TRANSCOM, leader européen des centres d'appel, s'est implantée à Roanne, créant d'ores et déjà 200 emplois sur les 500 emplois prévus dans les trois années à venir.
Cela démontre une bonne concertation entre les instances économiques et politiques de la Loire, le ministère de la défense et la SOFRED, société de conversion de GIAT, puisque, initialement, ce projet devait être implanté à Tulle.
Toutes ces nouvelles sont encourageantes, même si elles ne sont, bien sûr, pas encore suffisantes au regard de la détresse des personnels de GIAT qui n'ont pas encore retrouvé d'emploi.
Par conséquent, je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir me faire part des premiers bilans chiffrés des reclassements, afin de rassurer les salariés, leurs familles et l'ensemble du département de la Loire, et de bien vouloir me préciser si de nouveaux projets sont à l'étude.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Fournier, dès sa prise de fonction, la ministre de la défense a été confrontée au problème de GIAT Industries.
A l'époque, vous vous en souvenez certainement, monsieur le sénateur, les avis étaient unanimes : il fallait fermer GIAT Industries.
Cette entreprise devait faire face à un changement géostratégique majeur qui remettait complètement en cause son marché et ses perspectives.
La ministre de la défense a fait le choix de sauver GIAT Industries, au prix d'un plan social certes important mais qui préserve la société, lui assure une viabilité, donne des perspectives de carrière dans la durée aux personnels qui seront en place et autorise de réelles ambitions pour l'avenir.
Au terme du plan social de GIAT, il est donc prévu de réduire les effectifs sur deux années, de 2004 à 2006, afin de passer à un effectif de 2 902 personnes au 1er juillet 2006.
Parmi les 3 389 personnes dont le poste sera supprimé, 1 348 personnes font l'objet de mesures d'âge ou de reclassements internes à l'entreprise.
Il reste donc 2 041 personnes à reclasser.
Ce reclassement a démarré dès le mois de novembre 2003, avec l'application de l'accord d'anticipation du plan social. Le bilan, au 30 novembre 2004, est le suivant : environ 1 000 personnes ont trouvé une solution de reclassement, soit plus de 550 personnes au ministère de la défense - le MINDEF, pour employer le jargon administratif - et plus de 75 personnes dans les autres fonctions publiques, ainsi que près de 370 personnes dans le secteur privé, notamment grâce à des créations d'entreprises.
C'est ainsi que près de 50 % des personnes ont été reclassées en moins d'un an et que le ministère de la défense a encore dix-huit mois devant lui pour procéder à l'ensemble des reclassements.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu m'apporter.
Ce bilan, pour une première étape, pourrait être considéré comme satisfaisant. Pour autant, n'oublions pas la détresse des salariés qui restent encore sur la touche, ni celle de leur famille.
Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement - et je lui fais confiance - a encore quasiment dix-huit mois devant lui. Néanmoins, les représentants de la Loire seront vigilants, car notre département a été, depuis des décennies, durablement touché par différentes crises économiques successives.
cumul d'une pension de réversion et d'une rente pour faute inexcusable de l'employeur
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 585, adressée à Mme la ministre de la défense.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je souhaite attirer l'attention de Mme le ministre de la défense sur une disposition particulière du régime des ouvriers de l'Etat, qui interdit pour les ayants droit le cumul d'une pension de réversion et d'une rente pour faute inexcusable de l'employeur.
Après avoir été saisi du dossier d'une personne de mon département, j'ai fait quelques recherches, et il apparaît qu'un certain nombre de personnes sont dans une situation similaire à la sienne : la plupart d'entre elles sont des veuves d'anciens ouvriers de l'Etat touchés par l'amiante.
De quoi s'agit-il exactement ?
Depuis quelques mois, la Caisse des dépôts et consignations procède à la révision des pensions d'un certain nombre de veuves d'anciens ouvriers de l'Etat sur les fondements de l'article 31-1 du décret n° 65-836 du 24 septembre 1965. En effet, cette disposition interdit le cumul d'une pension de réversion et d'une rente pour faute inexcusable de l'employeur.
Au cours de mes recherches, je me suis rendu compte que ce décret a été abrogé, après avoir été codifié. Pour autant, c'est toujours ledit article 31-1, et non l'article idoine du code, que la Caisse des dépôts et consignations vise dans ses différents courriers.
Dans ce cadre, un certain nombre de pensions ont ainsi été suspendues et la Caisse des dépôts et consignations demande, par ailleurs, le remboursement de sommes trop perçues. Ces dernières sont parfois très importantes et correspondent à des périodes parfois anciennes qui vont au-delà même du délai de prescription de deux ans.
Non seulement ces actions fragilisent la situation des ces veuves, mais il apparaîtrait également que seul le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat interdirait ce cumul.
Monsieur le ministre, ma question est simple : le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat est-il vraiment le seul à être soumis à cette disposition particulière, et pour quelle raison ?
La rente pour faute inexcusable de l'employeur est attribuée par une décision des tribunaux de sécurité sociale, alors que la pension est un droit acquis après une carrière parfois difficile. Elles ne sont pas de même nature ! Pourquoi, dès lors, un avantage accordé par une décision de justice viendrait-il plafonner un droit acquis ?
Je vous demande également, monsieur le ministre, de bien vouloir considérer la possibilité d'un effacement ou d'un allègement de la dette des personnes concernées, dans la mesure où l'erreur ne provient pas d'elles mais des services qui ont ordonné ces pensions.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de votre réponse.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Godefroy, cette question concerne le cas particulier des veuves d'anciens ouvriers de l'Etat qui cumulent une pension de réversion et une rente pour faute inexcusable de l'employeur ou pour accident du travail et dont le montant total de la rente et de la pension de réversion dépasse 50 % des émoluments de base.
Les dispositions de l'article 31 du décret du 24 septembre 1965, reprises par les articles 48 et 49 du décret du 5 octobre 2004 pour les ouvriers de l'Etat, limitent en effet à 50 % des émoluments de base le montant total des sommes perçues.
Ces dispositions ne sont cependant pas spécifiques aux ouvriers de l'Etat puisqu'elles ont été définies par analogie avec celles qui sont applicables aux fonctionnaires, conformément aux dispositions des articles L. 28 et L. 38 du code des pensions civiles et militaires de retraite, modifié par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
Il est effectivement arrivé que, lors de la mise en place de la rente et de la pension de réversion, les dépassements éventuels de ce seuil de 50 % ne soient pas immédiatement identifiés.
Le ministère de la défense a donc mis en place, en janvier 2003, une procédure spécifique pour éviter que de telles situations ne se produisent.
S'agissant toutefois des cas signalés, il est légitime que la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du fonds spécial des pensions, réclame un trop-perçu lorsqu'elle constate un dépassement, même a posteriori. La retenue porte alors exclusivement sur la pension de réversion, puisque la rente est incessible et insaisissable.
La Caisse des dépôts et consignations étant un organisme indépendant, le ministère de la défense ne peut pas l'obliger à alléger, voire à annuler le recouvrement de la dette correspondant au trop-perçu.
Il appartient donc à chaque personne de faire une demande circonstanciée auprès de la Caisse des dépôts et consignations, qui est autorisée, par l'article 41 du décret du 5 octobre 2004, à procéder à une remise gracieuse de la dette.
Lorsque la demande lui semble fondée, le ministère de la défense appuie systématiquement ces requêtes auprès de la Caisse des dépôts et consignations.
Il faut enfin noter que, dans des cas exceptionnels récents - comme ceux des veuves des ouvriers de l'Etat tués lors de l'attentat de Karachi, par exemple -, le ministère de la défense a obtenu que cette limitation à 50 % des émoluments de base soit levée.
Il est donc possible, par le procédé que je viens de vous indiquer, avec le soutien du ministère de la défense et la remise gracieuse de la Caisse des dépôts et consignations, de pallier cet inconvénient.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je remercie M. le ministre de sa réponse et je prends acte de cette possibilité qui est offerte aux victimes.
Permettez-moi cependant deux observations.
D'une part, le décret de 1965 a été pris avant que l'on connaisse les dégâts occasionnés par l'amiante.
D'autre part, en ce qui concerne les victimes de l'attentat de Karachi, que je connais bien puisque certaines d'entre elles résident dans ma commune, il y a eu un rehaussement du plafond.
Il serait souhaitable d'appliquer des mesures identiques aux victimes de l'amiante. En effet, les dégâts de l'amiante dans la construction navale sont extrêmement importants. C'est certainement l'un des secteurs les plus touchés ! Lorsque l'on réclame à une veuve, dont la pension s'élève à 16 000 euros par an, des remboursements de 20 000 euros sur deux mois, cela peut créer de véritables drames financiers...
Il faudrait donc certainement revoir les dispositions applicables aux victimes de l'amiante, et je ne manquerai pas de prendre contact avec ces personnes pour suivre l'évolution de la procédure.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
3
Turquie
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, monsieur le ministre délégué aux relations avec le Parlement, mes chers collègues, avant de donner la parole à M. le Premier ministre, je veux le remercier d'avoir accepté de présenter au Sénat une déclaration gouvernementale sur la Turquie.
Vous avez ainsi répondu favorablement, monsieur le Premier ministre, à la demande qu'au nom du Sénat j'avais exprimée au sein de la conférence des présidents, me faisant ainsi l'interprète de tous les groupes, ceux de la majorité comme ceux de l'opposition.
Avec l'accord de M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement, nous avons retenu la formule du débat dans le souci de permettre à chaque groupe d'exprimer la diversité de ses points de vue.
La décision du Conseil européen de Bruxelles d'ouvrir des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Europe constitue, chacun le sait, la première étape d'un long processus qui prendra plusieurs années, au terme duquel, je tiens à le souligner, le peuple français sera appelé à trancher.
D'ici là, et conformément à la volonté du Chef de l'Etat, le Parlement sera tenu informé régulièrement des négociations, négociations dont nul ne peut préjuger de l'issue.
Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, je vous remercie de votre propos introductif chaleureux. Je suis en effet heureux de pouvoir participer à ce débat avec la Haute Assemblée, à un moment important de l'histoire de la construction européenne.
Pour l'ouverture des négociations européennes en vue d'une éventuelle adhésion de la Turquie, le Président de la République a fixé la position de la France : oui à l'entrée de la Turquie à terme, si elle remplit les critères d'adhésion à l'Union européenne.
Pourquoi cette position ? Parce que si les conditions sont réunies, ce sera, nous en sommes convaincus, l'intérêt de la France et celui de l'Europe.
En participant aujourd'hui à votre débat, nous engageons un dialogue avec le Parlement que je souhaite régulier, transparent et conforme à la Constitution.
Ce dialogue durera tout au long des négociations qui vont s'échelonner sur une certaine durée.
Le ministre des affaires étrangères, M. Michel Barnier, et la ministre déléguée aux affaires européennes, Mme Claudie Haigneré, resteront disponibles pour la Haute assemblée à chaque étape de la négociation pour vous tenir informés, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je veux d'abord souligner à quel point il apparaît clairement que l'Union européenne possède aujourd'hui une véritable puissance d'attraction démocratique.
La France propose une vision courageuse de l'histoire. Elle fait le choix d'un avenir ambitieux. C'est ce qui a guidé l'attitude du chef de l'Etat pendant le sommet de l'Union européenne.
Depuis 1963, la question de l'entrée de la Turquie en Europe est posée.
C'est le général de Gaulle qui, après le rapprochement en juin 1964 à propos de Chypre, puis lors de deux voyages présidentiels alternés en 1967 et en 1968, encouragea le dialogue européen avec la Turquie.
Aucun Président, aucun chef de gouvernement, aucun ministre n'a ensuite interrompu ce dialogue.
En 1999, l'ensemble des pays membres a reconnu la vocation européenne de la Turquie.
Le 6 octobre dernier, la Commission a donné un avis positif sur l'ouverture des négociations, ouverture que le Conseil européen a donc autorisée le 17 décembre.
Le débat sur cette question a été particulièrement animé dans notre pays.
Le Gouvernement a été attentif à tous les Européens convaincus qui se sont exprimés sur ce sujet, parfois dans des sens différents.
Le Gouvernement a entendu aussi tous ceux qui, exaspérés par l'immigration clandestine, voulaient exprimer sincèrement leurs craintes et leurs inquiétudes.
Ces positions sont respectables, même si elles ne sont pas toujours justes.
Le choix que l'Europe a fait le 17 décembre nous engage.
Ce n'est pas un choix d'opportunité, ce n'est pas un choix partisan, c'est un choix qui s'appuie sur une vision de la France et sur une vision de l'Europe : nous proposons à la Turquie de faire sa véritable révolution européenne.
Cette perspective correspond à une nouvelle idée de la puissance européenne, puissance d'attraction autant que d'organisation, puissance pour la paix, pour la stabilité et pour un modèle européen économique et social : une puissance qui incite un grand pays, à l'histoire riche et complexe, fort de 70 millions d'habitants, à mener les réformes nécessaires pour se conformer aux exigences européennes en matière de liberté, de droits de l'homme et de libre initiative.
Quelle autre organisation dans le monde a ce pouvoir d'attraction démocratique ?
Qui peut conduire une telle nation à mener des réformes si profondes, qui touchent au coeur même de son système politique ?
Qui peut conduire ce grand pays sur la voie de la réconciliation avec son ennemi d'hier, la Grèce ?
Qui peut ancrer 70 millions d'habitants dans l'économie sociale de marché ?
C'est un véritable aimant démocratique que notre Union européenne.
Reconnaissons qu'une Turquie démocratique serait une chance pour l'Europe, une Turquie qui aurait rempli les conditions nécessaires à son adhésion, avec son marché en forte croissance et en pleine expansion démographique, avec sa tradition jamais démentie de dialogue étroit avec nos alliés au Proche-Orient, avec la francophilie de ses élites, pour qui la France a toujours été la patrie des droits de l'homme et de la liberté.
La Turquie dans l'Europe serait une force de stabilité dans l'ensemble méditerranéen.
La voix de l'Europe au Proche-Orient sera plus forte avec la Turquie qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Quant à l'immigration venue des nouveaux pays, elle fait toujours peur avant les élargissements, avant que l'on se rende compte que l'entrée dans l'Europe contribue au contraire à fixer les populations dans leur pays et ainsi à tarir l'immigration.
Le développement est toujours plus humain à la maison, et nous avons vu à l'occasion de tous les élargissements précédents que l'immigration stoppait avec l'adhésion.
Aujourd'hui, l'Europe a intérêt à ce que la Turquie penche du côté de l'Europe, et nous devons veiller à ne pas humilier la Turquie, ce grand pays qui se veut laïc, qui travaille depuis près de quatre-vingts ans à se rapprocher de l'Europe.
Si l'Europe lui claquait la porte, elle pourrait être sensible, personne n'en doute, aux thèses les plus aventureuses.
La vision de l'Europe ne doit pas se réduire à la géographie. On peut discuter longuement pour savoir si la Turquie est européenne sur le plan géographique ou pas, si son histoire est européenne ou pas, si sa culture est européenne ou pas.
Ce qui définit l'Europe, c'est la pensée libre, cet héritage complexe de la Renaissance, qui ne se réduit ni à une religion ni à des idéologies.
L'apport de l'Europe, c'est son humanisme, qui trouve déjà sa source dans la pensée grecque et latine. C'est le poète Térence qui disait : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger. »
La Turquie n'est pas étrangère à l'Europe.
M. Jean-Marc Todeschini. Il faut le dire à M. Sarkozy !
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. L'Europe que nous construisons regarde vers l'avenir avant de regarder vers le passé.
L'Europe que nous construisons n'est pas une Europe recroquevillée qui a peur ; l'Europe que nous voulons est une Europe ambitieuse qui diffuse sa force et qui croit à ses valeurs.
L'Europe est une communauté de destin qui se définit par son ambition et par son projet.
La Turquie, évidemment, n'est pas prête aujourd'hui à l'adhésion et l'Europe ne l'est pas non plus, mais c'est avec cette vision de l'avenir que les vingt-cinq Etats membres ont permis l'ouverture des négociations pour une éventuelle entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Nous voulons définir notre projet européen, projet de paix, projet de tolérance, projet des droits de l'homme, et nous voulons que la Turquie rejoigne notre projet et partage nos valeurs. C'est à elle de faire le chemin vers le projet européen qui nous rassemble.
Il n'y a pas, vous le savez bien, à confondre négociation et adhésion. Le Président de la République l'a dit, je le redis devant vous, il n'y a pas automaticité de la négociation à l'adhésion.
Chacun le sait, le processus va être long et durer au minimum dix ans et peut-être quinze ans ou vingt ans. Pour une raison simple : ni l'Europe ni la Turquie ne sont prêtes aujourd'hui à cette adhésion. En Europe d'abord, et en France en particulier, il faudra du temps, beaucoup de temps pour faire partager à tous les acteurs concernés l'intérêt de la candidature turque, qui apparaîtra de plus en plus au fur et à mesure des discussions, si, bien sûr, le gouvernement turc se montre coopératif.
Avec la Turquie, je vois plusieurs domaines où la discussion sera particulièrement serrée et sur lesquels nos négociateurs devront être particulièrement vigilants et rigoureux.
En matière de démocratie d'abord. Tous les pays membres de l'Union européenne sont démocratiques et l'exercice démocratique ne saurait y être mis en cause. La Turquie a fait des progrès dans ce sens ces dernières années mais il lui faut encore du temps pour consolider ces acquis et prouver surtout qu'aucun retour en arrière n'est possible.
En matière de respect des droits de l'homme et des minorités : là aussi, des efforts sont nécessaires. Si l'on doit reconnaître des avancées importantes en ces domaines, la Turquie doit, bien sûr, évoluer rapidement vers cette perspective européenne des droits de l'homme, comme le Parlement français l'a dit à plusieurs reprises. Je pense notamment à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, qui doit faire partie du nécessaire et complet travail de mémoire que la Turquie doit assumer, comme tous les autres pays européens assument eux-mêmes leur devoir de mémoire. (M. Yannick Bodin s'exclame.)
Elle doit aussi garantir tous leurs droits aux Kurdes de Turquie, assurer la liberté des minorités religieuses et promouvoir une vraie égalité entre les femmes et les hommes.
En matière de réconciliation régionale également. Il est évident que le Conseil européen a eu raison de subordonner l'ouverture des négociations à la signature du protocole d'Ankara. Il a en effet clairement montré que la question de Chypre doit être résolue dans l'esprit du projet européen, cet esprit de réconciliation qui nous rassemble.
La qualité des relations avec le voisin grec devra aussi se confirmer.
Des progrès socio-économiques considérables devront également être établis.
La coupure économique entre l'est et l'ouest du pays devra être résolue par le maintien d'une forte croissance générale et par un investissement massif de l'Etat turc dans ces zones géographiques qui ne sont pas au niveau de la prospérité européenne.
Enfin, un considérable travail d'intégration de l'acquis communautaire doit être poursuivi : il sera long. Ce travail est immense, il va représenter des années et des années de négociations. Nous serons particulièrement vigilants à ce que toutes les décisions soient en cohérence avec les valeurs du projet européen.
Des périodes transitoires et des clauses de sauvegarde pourront, si nécessaire, être prévues et intervenir.
Ainsi, les négociations vont pouvoir s'ouvrir. Mesdames, messieurs les sénateurs, s'il s'avérait que la Turquie ne veut pas ou ne peut pas adhérer à l'ensemble de ces réformes, il va de soi que l'Union devra lui proposer un lien partenarial en lieu et place de l'adhésion.
Il est clair qu'à chaque instant nous aurons la possibilité d'arrêter les négociations qui sont ainsi engagées.
Dans ce processus, le Parlement aura toute sa place et sera régulièrement consulté. C'est une négociation d'Etat à Etat qui s'ouvre, mais, pendant toute la période des négociations, chaque Etat, chaque nation, chacun des vingt-cinq membres de l'Union européenne pourra utiliser son veto pour bloquer la totalité des négociations, s'il considère que ces dernières ne sont pas conformes à notre projet européen.
Pour la première fois, nous allons mener des négociations chapitre par chapitre, et pour entamer le deuxième chapitre, il faudra avoir clos le premier chapitre à l'unanimité. A chaque étape, chaque Etat aura un droit de veto, pour dire s'il adhère ou non à la démarche de négociation.
Je le dis donc solennellement : la France conservera la faculté d'arrêter les négociations si elle le juge nécessaire.
Je souhaite que nous soyons exemplaires dans ce processus de négociation, et surtout que nous ne nous enfermions pas les uns et les autres dans des slogans qui visent à attiser les peurs. N'ayons pas peur ! La peur ne saurait dicter un choix politique de cette importance. Il nous faut être exemplaires.
Exemplaires par la qualité du débat démocratique sur cette question fondamentale, qui ne doit pas être réduite à des slogans ou à des invectives jetées à la face d'un grand pays ami.
Exemplaires aussi par notre capacité d'ouverture : il n'y a pas de place en France, dans le pays des droits de l'homme, pour l'extrémisme et le populisme.
Nous ne pouvons pas accepter l'idée que la France décourage des dirigeants qui veulent engager leur pays dans la voie de la laïcité. Vous avez voté à l'unanimité un texte d'avant-garde sur la laïcité : la France qui, sur ce sujet, a porté haut et loin le message ne peut pas décourager les dirigeants Turcs qui veulent s'engager sur cette voie.
Ce n'est pas en attisant les peurs, qui sont réelles et que je respecte, que l'on fera progresser nos convictions. « Qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu'il craint », disait déjà Montaigne.
Il nous faut affirmer cette vision d'avenir, cette vision d'homme d'Etat qui a été celle du Président de la République. Dans ces négociations, il a voulu placer la France comme le pays de l'avenir, comme le pays de l'histoire, comme le pays qui veut rassembler le continent européen autour de ses valeurs. C'est cette mission qui est celle de la France. Dans le respect de notre Constitution et de la Ve République : le chef de l'Etat négocie les traités, le Parlement et le peuple peuvent ensemble autoriser la ratification de ces traités.
Les Français auront leur mot à dire. Dans quelques semaines, une réforme constitutionnelle vous sera proposée, avant que le nouveau traité constitutionnel soit soumis à référendum. Dans cette réforme constitutionnelle, comme le Président de la République l'a souhaité, il est prévu qu'après la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie, toute nouvelle adhésion sera sanctionnée par l'adoption d'un traité qui devra obligatoirement être ratifié par la voie référendaire. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Ainsi, chaque Française et chaque Français conservera son droit d'expression personnelle. Nous ferons vivre les principes de la Ve République, qui inspirent aussi le nouveau traité constitutionnel et parmi lesquels figure le principe selon lequel le peuple est souverain. Sur ce dossier, le peuple aura le dernier mot. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils ne sont pas très enthousiastes !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Conseil européen vient de décider d'ouvrir, le 3 octobre prochain, un long cycle de négociations pouvant conduire à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Dans la forme, la position défendue par le chef de l'Etat et le Gouvernement respecte nos règles institutionnelles ; sur le fond, elle est fidèle aux engagements pris sur cette question depuis des années par notre pays.
L'importance de l'enjeu et les strictes conditions posées à la Turquie, le principe d'une appréciation par étapes des progrès accomplis pour, éventuellement, poursuivre le processus, justifieront une information complète et régulière du Parlement. La décision finale sera, le moment venu, soumise à l'approbation des Français, comme vous venez de le rappeler, monsieur le Premier ministre.
Une démarche longue et délicate est ainsi lancée. Il s'agira de préparer l'Union européenne à accueillir, éventuellement, un grand pays dont on connaît le dynamisme démographique, économique et culturel, un pays qui a engagé de profondes réformes qui traduisent un désir d'Europe déjà ancien, reconnu d'ailleurs par la Communauté européenne il y a plus de quarante ans.
L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne conforterait cette dernière comme pôle économique et démographique à l'heure où, comme le rappelait le Président de la République, il lui faudra composer avec les grands ensembles indien ou chinois qui structurent déjà la mondialisation en cours. Une telle adhésion renforcerait sans doute aussi l'aspect « grand marché » de l'Union européenne que certains, contrairement à nous, en Europe ou hors d'Europe, entendent faire primer sur toute autre ambition.
Tout l'enjeu est donc de savoir si cette adhésion renforcerait ou non le projet européen dans ce qui fait son originalité, à savoir l'appartenance à une communauté de destin et l'ambition d'une Europe-puissance. Il s'agit là d'un débat légitime. Il est important de poser clairement les enjeux d'une décision qui est aussi un pari sur l'avenir. On peut l'aborder à travers trois exigences : d'abord, éviter les arguments du repli ou du rejet ; ensuite, ne pas cacher les motifs légitimes d'inquiétude ; et, enfin, définir les défis qu'il nous faut relever dès à présent.
Tout d'abord, il faut écarter les arguments du repli. Parmi ceux-ci figure celui de la géographie, fondé sur l'appartenance de l'essentiel du territoire turc au continent asiatique. Cet argument a été de facto réfuté dès 1963, quand la vocation européenne de la Turquie fut consacrée par la signature de l'accord d'association.
De la même manière, gardons-nous de recourir à l'argument religieux, qui doit être utilisé avec la plus grande prudence. La Turquie a effectué depuis longtemps une révolution laïque, unique dans la région. Cet argument ne saurait jouer contre l'adhésion, pas plus d'ailleurs qu'il ne doit être avancé comme un gage donné au monde musulman et qui serait alors déterminant en faveur de cette même adhésion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Tout à fait !
M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères. Ce qui sera décisif, pour la période qui s'ouvre, c'est l'engagement sincère, durable et vérifiable des Turcs en faveur du projet européen et la contribution effective qu'ils y apporteront.
Pour autant, ne nous masquons pas les motifs légitimes d'inquiétude et les interrogations que la perspective de l'adhésion peut susciter.
La première inquiétude tient à ce que seraient demain les frontières de l'Europe au contact de zones aussi instables que l'Irak, l'Iran ou la Syrie. Quelles pourront en être alors les conséquences au sein de l'Union ainsi élargie en matière de politique étrangère ?
La seconde inquiétude tient au risque de voir l'Union confrontée, en son sein, à des conflits - comme la question kurde - qu'elle n'a pas, par elle-même, les moyens politiques de régler.
L'élargissement de l'Union ne peut en effet être porteur de paix que si elle s'appuie sur des convictions et des intérêts partagés.
Qu'en sera-t-il, ensuite, de la capacité de l'Union à intégrer un Etat aussi vaste et peuplé que la Turquie, sans modifier la nature du projet européen ou en ralentir la marche ? Il serait grave en effet que, le moment venu, la Turquie rejoigne une Europe toujours en quête de son identité, où le consensus tient trop souvent à l'imprécision de ses objectifs finals.
Qu'en sera-t-il de la capacité de la Turquie à conduire dans les faits et de façon irréversible les réformes nécessaires, à modifier en profondeur certains aspects de ses institutions, à adapter les repères d'une société encore très traditionnelle, à porter un regard neuf sur certains moments de son histoire ?
Qu'en sera-t-il, enfin, de la capacité de la Turquie à se soumettre aux exigences de respect des peuples à se gérer eux-mêmes ? La question de Chypre, en effet, ne peut être éludée.
Ces interrogations, pour l'essentiel, concernent la Turquie telle qu'elle est aujourd'hui. L'ouverture des négociations, qui vient d'être décidée, est donc un pari sur la Turquie de demain. Gardons-nous donc tout autant de nous précipiter dans le refus que de considérer comme allant de soi le résultat du processus qui s'ouvrira le 3 octobre prochain.
L'Union européenne et la France ont devant elles dès maintenant des défis importants à relever, qui se posent, ou se poseront, quelle que soit d'ailleurs, à terme, l'issue de la négociation qui va s'ouvrir.
Le premier défi concerne les frontières de l'Union, objet d'un débat jamais conclu à ce jour. Il est indispensable de définir précisément et de proposer clairement aux partenaires de la politique de voisinage engagée par l'Union une alternative attractive à l'adhésion, sans nourrir d'ambiguïtés.
Second défi, il faut clarifier le fonctionnement de l'Union et donc ratifier le traité constitutionnel pour donner aux Vingt-cinq, et bientôt aux Vingt-sept, les moyens de consolider et de développer les ambitions du projet européen. (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)
Il s'agit d'ambitions économiques, pour continuer de créer la croissance nécessaire au partage de la prospérité. Ce partage est l'une des meilleures garanties de la paix et de la stabilité, et rappelons qu'il fut au coeur du projet européen des fondateurs.
Mais il s'agit aussi, et surtout, d'ambitions politiques, qui nous imposent de ne pas renoncer à l'approfondissement sous l'effet des élargissements successifs, et nous imposent aussi, plus que jamais, de renforcer notre convergence sur les terrains décisifs des affaires étrangères et de la défense.
Pendant les dix ou quinze ans au minimum qui nous séparent de l'éventuelle entrée de la Turquie dans l'Union, cette dernière ne doit pas rester inerte et spectatrice. Les Vingt-sept auront la possibilité d'avancer dans bien des domaines, grâce au traité constitutionnel. Certains d'entre eux pourront même, d'une manière ou d'une autre, comme cela s'est déjà fait, décider de progresser ensemble plus vite et plus loin dans certains secteurs. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Avec ou sans la Turquie dans l'Union, celle-ci doit continuer d'avancer vers son intégration. C'est cela l'urgence pour l'Europe. C'est cela l'urgence pour une Europe qui affronte son destin sans le craindre.
L'avenir du projet européen ne dépend pas aujourd'hui de la Turquie, il dépend d'abord des Etats membres de l'Union. Il dépendra, dans quelques mois, de la décision des Français eux-mêmes. Nous leur faisons confiance. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - M. Jacques Pelletier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est question d'une adhésion de la Turquie depuis plus de quarante ans.
Mais, jusqu'à l'année dernière, cette perspective n'a guère fait l'objet d'un débat en dehors des cercles diplomatiques.
Les opinions publiques se sont emparées récemment de ce débat. Pour ma part, je m'en félicite. En effet, quand les grands choix européens se font dans le silence et l'indifférence, le moment vient toujours où les citoyens ont le sentiment d'avoir été mis devant un fait accompli, ce qui suscite méfiance et incompréhension envers l'Europe.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Effectivement !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La délégation s'est efforcée d'alimenter le débat, notamment avec le rapport de notre collègue Robert Del Picchia. (Bravo ! sur les travées de l'UMP.)
En même temps, cette irruption des opinions publiques a révélé l'ampleur des réticences et des inquiétudes que provoquait la candidature turque dans de nombreux pays membres, dont le nôtre.
Ainsi, le 17 décembre dernier, le Conseil européen avait à faire un travail de conciliation. Il lui fallait, dans la lignée de ses délibérations précédentes, encourager la Turquie à poursuivre son rapprochement avec l'Union. Il lui fallait aussi donner aux citoyens l'assurance qu'il ne s'agissait, en aucun cas, d'accepter que le projet européen puisse être dénaturé. Il lui fallait, enfin, alerter la Turquie sur la nécessité d'une plus grande connaissance et d'une meilleure compréhension réciproques entre partenaires de la négociation.
Je crois que le Conseil européen a réussi ce travail de conciliation.
Bien sûr, les inquiétudes des opinions publiques, en France comme dans d'autres pays membres, ne vont pas disparaître. Mais je crois qu'elles peuvent être beaucoup atténuées par un examen plus attentif des termes de la question telle qu'elle se pose désormais à l'Europe.
Qu'on me permette, tout d'abord, de rappeler une évidence : les principes d'égalité et de non-discrimination sont des principes de base de la construction européenne. On ne peut accepter ou rejeter une candidature de manière arbitraire. Qui peut aujourd'hui prendre la responsabilité de dire à la Turquie : non et jamais ! Les conditions posées à la Turquie doivent être celles qui s'appliquent à tout autre pays posant sa candidature à l'Union.
Or, pour que des négociations d'adhésion puissent s'ouvrir, il n'y a que deux conditions essentielles : tout d'abord, le pays candidat doit être un pays « européen » ; ensuite, ce pays doit être sur la « bonne pente » afin de pouvoir remplir intégralement les critères politiques, économiques, administratifs qui sont exigés pour l'adhésion à l'Union.
Examinons donc ces deux conditions essentielles.
La Turquie est-elle un pays « européen » ? C'est sans doute un sujet dont on pourrait débattre à l'infini si l'on donnait au mot « européen » un contenu historique, ou « culturel », au sens que les Allemands donnent à ce terme. Mais les traités entendent le mot « européen » dans un sens beaucoup plus restreint et plus précis : est « européen » un Etat qui a une partie au moins de son territoire en Europe. C'est la raison pour laquelle, par exemple, la Commission a refusé d'examiner la candidature du Maroc. La réponse aurait été la même si un pays comme le Canada, qui pourtant partage à l'évidence les valeurs européennes, avait posé sa candidature.
Au sens des traités, la Turquie est donc un pays européen, même si la grande majorité de son territoire est située hors d'Europe. D'ailleurs, nul n'a contesté le caractère « européen » de la Turquie lorsqu'elle a adhéré, dès 1949, au Conseil de l'Europe, et je dirai, en souriant, que nul non plus ne veut l'exclure, à ma connaissance, de la Coupe européenne de football ! (Murmures sur plusieurs travées.)
A partir de là, c'est la deuxième condition qui devient déterminante. La Turquie est-elle sur la bonne voie ? S'est-elle assez rapprochée des critères d'adhésion pour que l'on puisse espérer qu'elle les remplisse intégralement un jour ?
Là également, le jugement de l'Union n'est pas quelque chose d'arbitraire. C'est la Commission européenne, gardienne de l'intérêt général au sein de l'Union, qui doit donner au Conseil européen la base de son jugement. Et nul dans cette enceinte ne peut dire que, concernant la Turquie, la Commission européenne a pris son travail à la légère !
Or, la conclusion de la Commission a été claire : la Turquie ne remplit pas aujourd'hui les critères d'adhésion, mais elle s'en est suffisamment rapprochée pour permettre l'ouverture de négociations d'adhésion.
A partir de là, ce que nous devons toujours garder à l'esprit, c'est que tout reste ouvert. Comme le disait le philosophe Alain, quand le mariage est fait, il est à faire. Nous n'en sommes même pas là : nous n'en sommes qu'aux fiançailles ; tout est à faire, et rien n'est acquis.
Ne laissons pas croire - ce ne serait bon ni pour l'Union ni pour la Turquie - que les négociations d'adhésion sont une sorte de toboggan, d'où l'on sort membre de l'Union par simple effet de gravitation.
Ne laissons pas croire non plus que, quand on parle de « négociations d'adhésion », cela signifie qu'on peut négocier les conditions de l'adhésion. En réalité, les négociations d'adhésion sont la vérification en commun que les conditions d'adhésion sont remplies. Dans le cas contraire, il ne peut y avoir d'adhésion.
Et cette vérification en commun s'effectuera - comme vient de le dire M. le Premier ministre - chapitre par chapitre, à l'unanimité des Etats membres. On peut tout de même penser que lorsque vingt-cinq ou vingt-huit Etats membres, sur proposition de la Commission, jugeront qu'un chapitre doit être clos, ce sera parce qu'il méritera de l'être ! Naturellement, dans notre pays, la confiance dans ce processus ne pourra qu'être accrue si les deux assemblées sont informées et associées de manière appropriée et régulière.
En tout état de cause, si l'on regarde de plus près les conclusions du Conseil européen, on voit que les garde-fous sont nombreux et que les difficultés ne sont pas sous-estimées. Le Conseil européen affirme que « les négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance » ; il précise que « de longues périodes transitoires, des dérogations, des arrangements spécifiques ou des clauses de sauvegarde permanente pourront être envisagés » ; il précise également que les négociations « ne sauraient être conclues qu'après l'établissement du cadre financier pour la période débutant en 2014 et les réformes financières qui pourraient en découler ».
Le Conseil européen s'est donc entouré des précautions nécessaires.
Supposons que tout tourne bien. Après la conclusion des négociations, l'adhésion supposera une décision unanime du Conseil européen, puis l'accord du Parlement européen et, enfin, l'accord de chaque Etat membre, soit par la voie parlementaire, soit par la voie du référendum. Selon toute vraisemblance, l'Union comptera alors vingt-huit Etats membres. Qui peut sérieusement prétendre que tout cela n'est rien et que tout est déjà joué ?
Puisque les inquiétudes des opinions publiques ont été prises en compte, puisque les garanties sont là, le moment est venu pour l'Union et la Turquie de se tourner davantage l'une vers l'autre. Dans les dix ans à venir, il faudra vaincre l'ignorance réciproque. Les peuples de l'Union devront mieux comprendre et mieux connaître les efforts de la Turquie et l'apport qu'elle pourrait constituer pour l'Europe ; le peuple turc devra mieux mesurer tout ce qu'implique l'appartenance à l'Union et montrer qu'il est prêt à accepter toutes les disciplines qu'impose cette appartenance. La convergence nécessaire se fera-t-elle ? Nul ne peut le dire aujourd'hui, ni dans un sens ni dans l'autre.
Si nous devions nous prononcer aujourd'hui, dans les conditions actuelles, il nous faudrait dire : non, la Turquie n'est pas prête à adhérer à l'Union ; non, l'Union n'est pas prête à accueillir la Turquie. Mais ce n'est pas la question qui se pose à nous en ce moment.
Aujourd'hui, la question est de savoir si l'Europe se conçoit comme un club de pays vieillissants qui regardent l'avenir dans un rétroviseur, un club de pays qui a peur de l'avenir, un club de pays frileux qui ont peur des autres parce qu'ils n'ont plus confiance en eux et qui sont pressés de sortir de l'histoire, ou bien si l'Europe se conçoit comme un acteur du monde globalisé, capable de se lancer de grands défis.
Or, je crois que la leçon de cinquante ans de construction européenne, c'est que l'Europe a un sens par les défis qu'elle se donne. On a oublié aujourd'hui le scepticisme qui entourait la création du Marché commun, comme les doutes qui avaient été émis sur le succès de l'Union monétaire. En réalité, la construction européenne n'a cessé de mener à bien des entreprises souvent jugées hors d'atteinte. Qui pensait que l'élargissement à l'Est serait aussi rapidement mené à bien et qu'il n'empêcherait pas l'Europe de se doter d'une Constitution ?
L'ouverture vers la Turquie est, à nouveau, une grande et périlleuse entreprise. Mais imaginons un instant que ce soit un succès : non seulement le gain pour l'Europe serait évident, sur le plan de l'économie comme sur le plan de la puissance, mais l'impact sur le voisinage de l'Union serait considérable.
L'ouverture des négociations avec la Turquie est, certes, un redoutable défi pour l'Europe. Parviendra-t-elle à le relever ? Cela vaut la peine d'essayer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratiqueet social européen, 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat est invité à débattre sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne un 21 décembre après-midi, alors que beaucoup peuvent avoir la tête ailleurs.
Mme Hélène Luc. Effectivement !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et sans le Premier ministre !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Nous avons des ministres compétents !
M. Michel Mercier. Les ministres présents ne manqueront pas de lui rapporter mes propos. Le Gouvernement est un !
Mme Hélène Luc. M. Raffarin aurait pu nous écouter !
M. le président. M. le Premier ministre s'est absenté un court instant pour une obligation impérative, il va revenir.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue !
M. Michel Mercier. Je vais parler doucement et longtemps et j'espère qu'il entendra ainsi au moins la fin de mon intervention.
M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Le Gouvernement est présent et il vous écoute, monsieur Mercier !
M. Michel Mercier. Une fois la décision prise, le débat a-t-il encore lieu d'être, dès lors qu'il ne sera pas suivi d'un vote ? Je voudrais tout d'abord évoquer ce point, qui me semble important.
Depuis des années, nous avons révisé la Constitution, et nous considérons tous aujourd'hui qu'il faut distinguer la diplomatie classique des affaires européennes. Nous, à l'UDF, sommes pleinement respectueux du rôle et des compétences du Président de la République en matière diplomatique. Le titre VI de la Constitution dispose que « le Président de la République négocie et ratifie les traités » et nous respectons tout à fait cette disposition. Mais le titre XV de la Constitution est relatif aux Communautés européennes et à l'Union européenne. Or, si le constituant a distingué les traités et l'Union européenne, c'est parce qu'il ne s'agit pas de la même chose.
Pour notre part, nous regrettons beaucoup que le Gouvernement n'ait pas accepté de se placer dans le cadre du titre XV et de l'article 88-4 de la Constitution et n'ait pas organisé un vrai débat sur la question de l'élargissement de l'Union européenne à la Turquie, pour qu'une résolution soit votée, comme le prévoit expressément la Constitution. C'est donc dans le total respect de la lettre de la Constitution et de son esprit que nous réclamons ce débat.
Pour ma part, je suis très heureux de la décision du Conseil constitutionnel en date du 19 novembre 2004. Personne ne peut mettre en cause la compétence et la rigueur du président et des membres du Conseil constitutionnel. Le onzième considérant de cette décision énonce : « Considérant, qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences"; que le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international ; ». C'est sur ce point que se fonde bien sûr la compétence du Parlement à pouvoir aborder ces questions et à délibérer sur la plénitude du terme et des pouvoirs.
Cela étant dit, le Conseil européen a autorisé, le 17 décembre dernier, la poursuite des négociations sur l'adhésion de la Turquie. Certes, depuis 1963, à diverses reprises, les Communautés européennes ont dit, ou en tout cas ont laissé penser - il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître - que la Turquie était fondée à considérer que l'Union européenne était prête à lui ouvrir les portes de la négociation, et éventuellement les portes de l'Union. Que se passe-t-il aujourd'hui ? La décision est-elle prise ? Est-elle définitive ? M. le président de la délégation pour l'Union européenne vient d'expliquer que tel n'est pas le cas, mais le Conseil européen a décidé de négocier pour parvenir à un résultat positif, et, à défaut, poursuivre les négociations.
En tant que parlementaires, nous n'avons pas été associés au travail de négociation, et nous avons vu à la télévision un premier ministre turc, habile...
M. Jean Arthuis. Eh oui !
M. Michel Mercier. ...chef d'un gouvernement d'un grand Etat, au passé historique, représentant un grand peuple, dire très clairement qu'il avait gagné. Il n'a pas reconnu l'existence juridique de tous les membres actuels de l'Union européenne, puisqu'il n'a pas reconnu Chypre. C'est donc la première fois qu'un Etat intégrerait un ensemble international sans en reconnaître tous les membres. De plus, le génocide arménien serait une affaire française, plus qu'une affaire turque. (M. Bernard Saugey s'exclame.) C'est une affaire européenne, mon cher collègue, et nous le savons bien. Ceux qui ont tout de suite marqué leur satisfaction et salué cet effort européen, ce sont le président des Etats-Unis d'Amérique et son secrétaire d'Etat, lequel va bientôt quitter son poste.
Monsieur le Premier ministre, puisque vous nous avez rejoints, je voudrais vous poser deux questions. Certes, les choses peuvent bouger mais, à mes yeux, l'Europe passe avant la Turquie. Alors, monsieur le Premier ministre, quelle Turquie pour quelle Europe, et non pas quelle Europe pour quelle Turquie comme on pourrait parfois le laisser croire trop facilement ?
Que la Turquie soit un grand pays, un grand peuple, c'est évident. Comme Pierre Fauchon l'a rappelé, c'est un pays ami des Etats-Unis, qui a brûlé ses vaisseaux avec l'Orient proche ou lointain et n'a pas d'autre carte à jouer que celle de l'Europe. Il faut le reconnaître, la Turquie a su faire de cette faiblesse intrinsèque une véritable force.
Certes, la Turquie a fait des efforts incontestables pour modifier sa législation, mais l'application de celle-ci sera une autre affaire. Je souhaite que nous puissions également examiner cet aspect.
A l'évidence, des faiblesses demeurent.
Le miracle que l'on nous fait miroiter avec l'adhésion de la Turquie doit, au contraire, nous conduire à nous interroger.
J'aborderai tout d'abord le niveau économique de la Turquie.
Certes, son économie fonctionne bien, mais ce grand pays sera tout de même, et de loin, le plus pauvre de l'Union européenne. Les tableaux qui nous sont présentés montrent bien des différences : la nature des choses n'est pas la même pour tout le monde. Je voudrais donc savoir comment, avec un budget européen constant, on pourra financer le rattrapage de la Turquie.
On nous fait miroiter le marché turc. Or nous savons tous aujourd'hui qu'il est, en valeur, à peu près équivalant à celui de la Belgique, ce qui n'est pas négligeable, mais ne relève pas du miracle.
S'agissant des droits de l'homme et de ceux de la femme, il est évident que la Turquie d'aujourd'hui doit encore largement réaliser des progrès. Il suffit de considérer les procès qui sont régulièrement engagés en ce domaine devant la Cour de justice de Strasbourg.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Michel Mercier. Je voudrais maintenant dire un mot sur la laïcité.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas votre spécialité à l'UDF !
M. Michel Mercier. On nous présente partout la Turquie comme étant un grand Etat laïc qui viendrait nous renforcer. Je voudrais dire très simplement, mais très fermement, que la laïcité de la Turquie n'est pas, et de loin, la laïcité ...
M. Jean-Luc Mélenchon. De la Pologne !
M. Michel Mercier. ... de la République française. Notre laïcité se fonde sur la reconnaissance des religions, le respect de la conscience individuelle et de la liberté de culte. Telle est la laïcité française à laquelle nous sommes attachés.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ! Ah !
M. Michel Mercier. La laïcité de l'Etat turc place l'exercice de la religion, une seule, sous la loi de l'Etat ; pour les autres, il n'y a pas de salut en quelque sorte.
M. Yannick Bodin. Et la laïcité grecque ?
M. Michel Mercier. S'agissant de la géographie, il faut sans doute avoir fait des études poussées dans cette discipline, monsieur le président de la délégation, pour affirmer que l'Asie mineure fait partie de l'Europe. Pour ma part, cela m'échappe et je considère que la géographie n'est pas la question essentielle.
Voilà cent douze ans, à quelques centaines de mètres d'ici, lors d'une conférence à la Sorbonne, Renan avait très justement réfuté une définition de la nation fondée sur des critères strictement objectifs ; au contraire, il avait placé la nation dans le cadre de critères subjectifs : on pouvait constituer une nation dès lors que l'on avait un passé commun, des projets d'avenir partagés, avec un plébiscite quotidien qui vient soutenir cette idée de projets à vivre ensemble. La géographie n'est donc pas un critère essentiel, c'est le projet qui, très naturellement, devient essentiel.
Je voudrais à présent poser une question essentielle : quelle Europe accueillera la Turquie ? S'agira-t-il, comme on l'a dit récemment, d'une Europe qui sera simplement porteuse de paix, de démocratie, de richesse économique ? L'Europe l'a été, il est vrai, mais ce fut l'Europe de 1957. Aujourd'hui, cette Europe - c'est encore le projet de certains membres de l'Union européenne - est sans frontières reconnues, bonne élève du libéralisme, conservatoire des libertés ...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ciel, un bolchevik !
M. Michel Mercier. ... chéries par l'individualisme démocratique pour reprendre les expressions de Henri Madelin. Cette Europe sans rivage accueillant tout pays qui frappe à sa porte reste un nain politique et n'a pas la maîtrise de son destin au sein du monde actuel : ce qui est gagné en extension est toujours perdu en cohérence interne. Et ce n'est la faute ni de la Turquie ni de l'Albanie ni de la Roumanie, c'est la nôtre ! C'est vrai que l'Europe a préféré s'étendre plutôt que de dire ce qu'elle veut être.
Mme Nicole Bricq. Elle va le faire !
M. Michel Mercier. Avec l'adhésion de la Turquie, et plus encore avec le vote sur le traité constitutionnel européen, nous devons très clairement dire quelle Europe nous voulons. Cette Europe, je le dis tout de go, est, pour nous, ce que nous pouvons appeler, même si la formule est imparfaite, une « Europe-puissance », c'est-à-dire une Europe entreprenante et généreuse, maîtresse de son destin, qui ne soit pas seulement un club fondé sur le respect des droits de l'homme, même si cela est important, - mais les Etats-Unis ou d'autres pays respectent les droits de l'homme ; ce n'est pas propre à l'Europe ! -, une Europe ambitieuse pour elle-même et pour ses habitants. Cette Europe, c'est une Europe qui est finie, bornée, qui a des frontières, un espace. Le traité constitutionnel européen, sur lequel nous serons bientôt amenés à nous prononcer, est, de ce point de vue, un moment essentiel, et c'est même, à mon avis, la meilleure façon de répondre à la demande de la Turquie.
Ce traité va au-delà du simple rassemblement des textes épars existants. Il peut, si nous le voulons, fonder un nouvel accueil de l'Europe par nos concitoyens.
Quand on regarde - même techniquement - le traité, le passage d'un ensemble de matières importantes du stade intergouvernemental au stade communautaire, avec un rôle renforcé du Parlement, peut changer la donne européenne.
L'Europe est parfaitement fondée à défendre un modèle, social et culturel, européen, différent du modèle américain et de tout autre modèle, propre au génie européen, façonné à la fois par notre histoire et par notre culture.
Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, pour ne citer que le domaine économique, pouvons-nous nous contenter longtemps d'une monnaie commune « dirigée » par un traité, et non par un gouvernement européen ? La « casse » économique que nous subissons aujourd'hui est liée, nous le voyons bien, au fait que l'euro dépend d'un traité, et non de la décision d'hommes politiques responsables.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il dépend de la Banque centrale européenne !
M. Michel Mercier. Nous pouvons aussi nous interroger sur ce qui fait la particularité de notre modèle sur le plan culturel et social.
Beaucoup ont parlé du « choc des civilisations », cher à Huntington. Il s'agit d'un concept américain, et non pas européen. Toute notre histoire va à l'encontre de cette idée ; toute notre culture va, au contraire, dans le sens d'un progrès et d'une assimilation.
Je souhaite que nous puissions répondre à la demande de la Turquie, mais aussi, probablement demain, à celle que formuleront l'Ukraine, l'Arménie et d'autres Etats,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chypre !
M. Michel Mercier. ...par la construction d'une Europe à partir du traité constitutionnel, négocié par la Convention européenne.
Nous devons pouvoir dire quelle Europe nous voulons, de quelle Europe nous avons besoin et quel modèle social nous souhaitons défendre, de façon que celles et ceux qui souhaitent nous rejoindre sachent à l'avance quel destin ils peuvent partager avec nous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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libÉration des otages français en Irak
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai la joie profonde de vous annoncer que Christian Chesnot et Georges Malbrunot viennent d'être libérés par l'Armée islamique. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme et MM. les ministres se lèvent et applaudissent longuement.)
Je souhaite, devant la Haute Assemblée, rendre hommage au courage de ces deux hommes, qui ont souffert pendant de longs mois dans des conditions difficiles.
C'est une démarche constante, difficile, discrète qui a permis aux services français et à leurs partenaires d'obtenir cette libération. Je voudrais saluer ces services, l'ensemble de notre diplomatie, qui a agi sous l'autorité de Michel Barnier, et les équipes qui étaient coordonnées par mon directeur de cabinet.
Je veux dire combien, au cours de ces longs mois, nous avons pensé aux familles, qui ont fait preuve d'un grand courage et d'une immense dignité, dans des circonstances très douloureuses. Nous avons, les uns et les autres, partagé leurs peines au jour le jour.
Je voudrais saluer la mobilisation de tous ceux qui ont entretenu ce courage, et notamment leurs confrères et tous leurs amis.
Je salue aussi, bien sûr, l'ensemble des associations et tous les Français qui, dans ces circonstances, ont fait preuve de leur profonde solidarité.
Mais notre joie ne sera totale que lorsque nos deux compatriotes seront en toute sécurité sur notre sol. Du fait de la dangerosité du pays où ils sont encore, nous attendons ce moment de bonheur où nous pourrons, ensemble, au nom de la nation, les accueillir. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, merci de cette excellente nouvelle, qui nous fait chaud au coeur.
M. Roland du Luart. Joyeux Noël à eux !
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TURQUIE
Débat sur une déclaration du Gouvernement (suite)
M. le président. Nous poursuivons le débat sur la déclaration du Gouvernement.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons que nous réjouir de la bonne nouvelle que vous venez de nous annoncer, en espérant que nos deux compatriotes, MM. Chesnot et Malbrunot, pourront passer les fêtes de fin d'année avec leur famille.
Le 16 décembre 2004, à Bruxelles, les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé de proposer à la Turquie d'ouvrir le 3 octobre 2005 les négociations en vue de son adhésion à l'Union européenne.
Je tiens tout d'abord à souligner que l'ouverture de ces négociations a été largement voulue par le Parlement européen. En effet, deux jours avant le Conseil, il a adopté une résolution soulignant les progrès réalisés par la Turquie en matière de respect des critères politiques, considérant que ces progrès étaient suffisants pour permettre d'ouvrir les négociations d'adhésion.
La décision du Conseil européen intervient quarante-cinq ans après la première demande d'adhésion de la Turquie, le 31 juillet 1959. Il s'agit donc d'une décision historique. Depuis la signature de l'accord d'association, en 1963, le principe de cette adhésion, ses conditions et son calendrier ont en permanence été liés dans un seul et même processus devant aboutir, à terme, à l'intégration de la Turquie.
Autrement dit, la décision du Conseil européen confirme les engagements pris par les gouvernements européens et par les institutions de l'Union européenne depuis plus de quarante ans. La décision est juste et constitue un signe politique fort pour une Europe ouverte. Nous militons pour une communauté solidaire des peuples européens, pour une Europe ouverte au monde et à l'espace méditerranéen.
Dans ses conclusions, le Conseil européen rappelle qu'il « avait considéré que la Turquie était un pays candidat destiné à rejoindre l'Union sur la base des mêmes critères que les autres pays candidats ». Pour l'essentiel, il s'agit des critères dits de Copenhague, c'est-à-dire des critères économiques définissant une capacité à intégrer l'acquis communautaire et à développer une économie de marché. Nous contestons le fait que ces deux critères puissent faire figure de conditions, puisque s'y rattachent des politiques ultra-restrictives néolibérales, les mêmes, d'ailleurs, que celles qui caractérisent le projet de Constitution que nous refusons. En revanche, le critère politique de la démocratie et de l'Etat de droit nous paraît constituer une condition normale et forte à l'adhésion.
Sur le plan économique, la Turquie connaît, depuis les années 1995-1996, un dynamisme incontestable. Rappelons qu'elle a un produit intérieur brut par habitant supérieur à celui de la Roumanie et de la Bulgarie, et proche de celui de certains pays déjà membres de l'Union. Se fonder sur le critère des performances économiques pour refuser l'ouverture des négociations d'adhésion constituerait une discrimination flagrante.
Certes, géographiquement, la Turquie n'est que partiellement européenne, mais la vocation ou l'ancrage européen de ce pays peut-il être mis en doute pour des raisons géographiques ? Par ailleurs, quelle est la validité de la notion de « frontière naturelle » ? Depuis toujours, les frontières dessinées par la main de l'homme se déplacent, s'effacent au gré des échanges, des migrations et des évolutions politiques.
Du point de vue historique, depuis le début du XVIe siècle et jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, il n'y a ni guerre ni paix en Europe qui ne concerne ou n'implique, directement ou indirectement, l'Empire ottoman. Historiquement, le destin de l'ancien Empire ottoman est lié à celui de l'Europe. Depuis la guerre de Crimée, en 1853, la Turquie moderne fait explicitement partie des équilibres européens.
Sur le plan de la démocratie et des valeurs universelles, la perspective d'adhésion à l'Union européenne est, sans conteste, un stimulant très efficace pour la démocratisation de la Turquie.
Dans les vingt dernières années, la Turquie a fait des progrès sensibles en matière de droits de l'homme. Elle a commencé à adapter sa législation et a modifié ses pratiques dans l'espoir de l'adhésion. Les avancées intervenues sur le plan de l'Etat de droit permettent de commencer à remettre en question la place de l'armée dans les institutions.
Si la Turquie a cependant encore d'énormes efforts à poursuivre, on doit garder à l'esprit qu'elle a encore dix ou quinze ans devant elle pour opérer les changements nécessaires.
D'une façon générale, la Turquie doit agir sur plusieurs sujets majeurs.
Le premier, c'est le respect des droits de l'homme, qu'il s'agisse de la législation ou des pratiques.
La situation reste assez préoccupante. Les conclusions du Conseil européen précisent à cet égard : « En cas de violation sérieuse et persistante des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits humains et des libertés fondamentales, et de l'Etat de droit sur lesquels l'Union est fondée, la Commission recommandera la suspension des négociations de sa propre initiative ou à la demande d'un tiers des Etats membres. Le Conseil décidera à la majorité qualifiée. »
Le deuxième sujet, c'est la répression brutale au Kurdistan et le refus persistant d'accorder aux Kurdes leurs droits culturels, politiques et civils. Il faut effectivement régler cette question.
Le troisième sujet, c'est le problème de Chypre. La Turquie devra montrer, afin de résoudre ce problème, une grande disponibilité pour assurer la reprise d'un processus de règlement. On ne peut effectivement pas en rester au discours actuel.
Enfin, le quatrième sujet, c'est la question spécifique de la reconnaissance du génocide arménien, perpétré de 1915 à 1917, par le gouvernement « Jeunes-Turcs ».
Pour nous être mobilisés, avec les sénateurs de mon groupe mais aussi avec d'autres, afin d'obtenir du Sénat, le 8 novembre 2000, la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement, nous savons très bien ce que peut signifier un tel débat pour les Français d'origine arménienne.
La Turquie n'a malheureusement pas évolué sur cette question, mais les négociations d'adhésion seront longues et je ne doute pas que ce pays finira par reconnaître le génocide arménien.
Sur le plan culturel, derrière le discours de ceux qui sont hostiles à l'adhésion de la Turquie, on perçoit bien que la raison fondamentale du refus est liée au fait que la majorité des Turcs sont musulmans. Oui, dans leur immense majorité, les Turcs sont musulmans. Et alors ? L'Europe n'est pas un « club de chrétiens ». N'oublions pas que quelque treize millions de musulmans vivent d'ores et déjà dans l'Union européenne. Rappelons aussi que la Turquie est un Etat laïc et qu'elle est déjà membre à part entière de diverses organisations européennes - notamment le Conseil de l'Europe - et internationales composées en majorité de pays « chrétiens » dont elle n'a pourtant jamais ébranlé les valeurs.
Derrière les discours irréductiblement contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, on voit clairement la volonté de limiter les frontières de l'Europe à celles d'un « club de riches-chrétiens ». Les critères d'adhésion seraient donc d'ordre religieux, et non pas d'ordre économique et politique.
Dans un contexte international où la rhétorique du choc des civilisations a malheureusement un certain écho, l'Union européenne, avec la candidature de la Turquie, a l'occasion d'adresser un message politique fort. Elle a l'opportunité de montrer que son projet est, effectivement, comme elle le prétend, celui d'une communauté de valeurs ouverte à tous les pays qui respectent les principes fondamentaux de l'Union, sans préjugé historique ou culturel. En intégrant un pays à majorité musulmane mais à tradition laïque, elle montrera qu'elle est une construction multiculturelle et ouverte.
Pour ces raisons, nous sommes tout à fait satisfaits de l'ouverture des négociations avec Ankara. Certes, le chemin de la Turquie pour adhérer à l'Union européenne relève d'un véritable parcours du combattant, un parcours spécifique de sauts d'obstacles, dont certains sont tout à fait indispensables : l'installation pérenne d'un Etat de droit, la reconnaissance du génocide arménien ou la reconnaissance de Chypre pour la résolution du conflit chypriote.
Si le Conseil européen a salué « les progrès décisifs réalisés par Ankara dans son processus ambitieux de réformes », ses conclusions précisent, en forme de compromis, que « ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut pas être garantie à l'avance ». Il s'agit là d'une clause inédite, jamais rencontrée lors des précédents élargissements. Mesurons donc bien ce que nous sommes en train de demander à la Turquie.
On l'aura compris, les Vingt-cinq accueillent la Turquie avec prudence. D'autant plus que les conclusions de la Présidence prévoient explicitement que, si la Turquie « n'est pas en mesure d'assumer intégralement toutes les obligations liées à la qualité de membre, il convient de veiller à ce que l'Etat candidat soit pleinement ancré dans les structures européennes par le lien le plus fort possible ».
Contrairement à d'autres, qui misent sur l'échec des négociations, nous faisons confiance aux forces démocratiques et progressistes de ce pays pour relever ce défi.
Notons, par ailleurs, que le refus d'intégrer à terme la Turquie dans l'espace européen irait à l'encontre des attentes de la majorité de la population et donnerait un sérieux coup d'arrêt au processus de démocratisation du pays, processus qui fonde depuis longtemps l'espoir légitime des démocrates et des progressistes turcs et kurdes.
Il faut entendre la conviction exprimée, voici quelques jours, en France, par Leyla Zana, députée kurde arrêtée le jour de sa prestation de serment au Parlement turc, en 1994, et emprisonnée pour dix longues années : la perspective d'adhésion de la Turquie à I'Union européenne est « un immense espoir pour son peuple ».
L'Europe pourrait y puiser un nouveau dynamisme. Loin d'être moins forte politiquement, l'Europe pourrait, au contraire, parler au nom de quelque cinq cents millions de femmes et d'hommes liés par des valeurs qui transcendent leurs particularismes culturels et religieux. C'est cette Europe que nous voulons, une Europe ouverte à la Turquie, une Europe ouverte au monde.
Mes chers collègues, cette ouverture à la Turquie doit être l'occasion de repenser l'Europe.
En effet, l'ouverture ne doit pas s'effectuer dans l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui, à savoir une Europe dominée par des principes libéraux, qui se définit de plus en plus comme un espace voué au « tout marchand » et dans laquelle la Banque centrale et le pacte de stabilité déterminent la politique économique en dehors de tout contrôle démocratique.
Si nous souhaitons que la Turquie intègre, à terme, l'Union européenne, il nous paraît tout aussi indispensable que ce nouvel élargissement s'accompagne d'une réflexion sur la construction européenne, sur la conception que nous nous faisons de l'Europe.
Oui, il faut repenser l'Europe, la reconstruire sur de nouvelles bases, pour en faire une Europe citoyenne, une Europe sociale, une Europe créatrice d'emplois et garante de leur pérennité, une Europe faisant de l'intérêt général sa priorité, une Europe ouverte et solidaire, une Europe de paix. C'est de cela qu'il est question aussi dans le processus engagé avec la Turquie, avec le peuple turc.
C'est toute l'urgence d'un nouveau projet pour l'Europe, une Europe qui, une fois émancipée du libéralisme qui la plonge dans la crise, pourra répondre aux attentes et aux espoirs de ses peuples et du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, je dois prendre congé, non sans avoir au préalable salué le sens de l'intérêt national et de l'unité nationale dont les présidents des groupes - CRC, socialiste, RDSE, Union centriste et UMP - ont fait preuve, eux qui ont respecté la plus totale discrétion sur la teneur de nos réunions, alors que la vie de nos compatriotes était en danger. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat, qui engage l'avenir de l'Union européenne, arrive bien tard. Le Parlement devait être entendu avant que le début des négociations avec la Turquie ne soit décidé et une résolution devait être votée.
Mme Hélène Luc. Effectivement !
M. Aymeri de Montesquiou. Pour nous Européens, le mot « paix » est extraordinairement chargé de sens, car notre mémoire collective a été profondément marquée par les guerres absurdes qui ont endeuillé notre continent. Tous les citoyens de l'Union connaissent la profondeur de ce mot, car il incarne leur première exigence.
Dès l'origine, la paix a constitué le ciment essentiel entre les membres de la Communauté, puis de l'Union européenne. Elle est aujourd'hui l'acquis essentiel. Communauté de paix entre les pays voisins dont le destin semblait la guerre, règle de vie à l'intérieur des pays membres dans le respect des minorités : la Turquie respecte-t-elle ces objectifs de paix ?
En 1974, la Turquie n'a pas choisi un mode d'intervention pacifique, une médiation, un arbitrage, pour protéger ses ressortissants au nord de Chypre ; elle a préféré la guerre, et ses troupes occupent encore la zone.
En 2004, avant le Conseil européen, la Turquie aurait dû reconnaître spontanément Chypre en signe de paix et de bonne volonté, au lieu que cette reconnaissance se fasse a minima, c'est-à-dire mécaniquement, via l'élargissement de l'accord d'Ankara aux dix nouveaux Etats membres. Du reste, je rappelle que, durant le Conseil européen, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, n'a promis qu'« une attitude positive » sur la reconnaissance de Chypre, tout en refusant de parapher le protocole additionnel au traité d'union douanière !
Cette attitude démontre pour le moins les réticences de la Turquie à respecter les règles de l'Union.
Pour ce qui est des droits des minorités, la Turquie a du mal à les accorder à sa minorité kurde. Chacun a présents à l'esprit les emprisonnements pour utilisation de la langue kurde, les villages kurdes rasés et les dizaines de milliers de morts, les victimes étant de part et d'autre, certes, mais pas dans les mêmes proportions.
De plus, personne ne peut exclure la possibilité d'un éclatement de l'Irak dans les années à venir et la création d'un Kurdistan indépendant ; dans cette hypothèse, la Turquie serait conduite à réagir et à intervenir militairement. Elle a déjà fait savoir qu'elle ne laisserait pas les Kurdes d'Irak constituer un Etat. L'Union européenne veut-elle être entraînée dans un tel conflit ?
Il apparaît que cette relation s'inscrit à marche forcée des deux côtés. En réalité, ces négociations ne sont-elles pas un marché de dupes ?
D'une part, les Turcs sont évidemment attirés par le niveau de vie européen et par la démocratie, comme l'attestent les 80% de personnes favorables à l'entrée dans l'Union, mais l'ouverture des négociations n'a pas engendré d'euphorie en Turquie. En effet, les valeurs profondes de la Turquie sont heurtées par les critères européens. Je citerai l'adoption récente d'une disposition législative relative à l'adultère féminin, condamnée par l'Union, et finalement retirée par les Turcs. Cette proposition initiale marquait pourtant bien une pulsion exprimée par le Parlement turc.
Rappelons-nous aussi que la Turquie, qui préside cette année l'Organisation de la conférence islamique, a laissé passer une motion, lors de son sommet de juin, critiquant l'ingérence sous prétexte de l'universalité des droits de l'homme et dénonçant « la condamnation par l'Union européenne de la peine de lapidation ».
D'autre part, nous, les Européens, nous nous laissons entraîner vers cet élargissement comme s'il était inéluctable. Nous subissons la pression de la Turquie, qui argue qu'un refus démontrerait notre hostilité à l'égard d'un pays musulman et prouverait que l'Union est un club de pays chrétiens.
La grande majorité de nos concitoyens veulent une Europe politique capable de faire contrepoids à la puissance américaine et d'exporter dans le monde entier nos valeurs humanistes.
Je n'insisterai pas sur les injonctions du président Bush, qui nous pousse à accepter la Turquie dans l'Union, mais peut-on imaginer qu'elles soient innocentes ?
Madame la ministre, monsieur le ministre, le partenariat avec ce grand pays, qui a fait de réels progrès vers la démocratie, n'est-il pas préférable ? Car pouvez-vous nous affirmer qu'ouvrir ces négociations avec la Turquie ne fait pas peser une menace réelle sur la naissance d'une Europe politique dans les années qui viennent ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma première réflexion, vous l'imaginez bien, sera pour dénoncer la manière parfaitement inadmissible avec laquelle le Parlement, et plus singulièrement encore le Sénat, a été traité à propos d'une question pourtant cruciale pour l'avenir de la construction européenne.
M. le Premier ministre n'avait peut-être pas assez de temps pour écouter l'orateur du groupe socialiste du Sénat. (Protestations sur plusieurs travées de l'UMP.) Toujours est-il que je ne peux pas manifester le même sentiment d'autosatisfaction que lui, alors qu'il vient de se féliciter de « la qualité exemplaire de ce débat ». Sans doute était-ce, de sa part, un trait d'humour !
Pour que nous nous retrouvions réunis cet après-midi, il aura fallu attendre les derniers jours du mois de décembre, être prévenus des modalités de discussion la veille et, surtout, avoir à nous exprimer après que les décisions eurent été prises. Vous avouerez qu'il s'agit là d'une conception très restrictive du rôle de notre assemblée, qui contribuera, je le crains, à accréditer l'idée de son caractère marginal au sein de nos institutions et dans la vie politique.
En réalité, quelle est la véritable portée de ce débat ? Il risque de constituer un simulacre dérisoire, en tout cas un exercice convenu, concédé à une assemblée qui se contentera d'enregistrer ce qui a été décidé ailleurs, et sans son avis.
Nous le répétons souvent, le Sénat veut être, à juste titre, une assemblée législative et politique à part entière, mais, dans la pratique actuelle, à l'évidence, il ne l'est pas. Face à ce que beaucoup ressentent comme une humiliation, on peut se demander où est la volonté de restaurer, de rénover, de revaloriser notre rôle.
Mes chers collègues, nous n'aurons donc pas pu nous exprimer avant le Conseil européen du 17 décembre. Ce débat, nous l'avons réclamé, avec d'autres, dès le 14 octobre dernier. J'ai en particulier demandé par écrit au président de la délégation pour l'Union européenne de faire application d'une disposition de notre règlement prévoyant que la délégation est chargée de veiller à ce que le Parlement contrôle la politique européenne. Aucune suite n'a pu être donnée à cette demande au moment où l'Assemblée nationale discutait de ce sujet capital.
Manifestement, le Gouvernement ne voulait pas entendre le Sénat sur un sujet européen, si important soit-il. Même notre collègue Hubert Haenel, dans la réponse qu'il m'a adressée, considérait « regrettable que le Sénat ne puisse débattre en séance plénière, à l'instar de l'Assemblée nationale, de cette très importante question ».
La candidature de la Turquie est une question à laquelle le chef de l'Etat a répondu seul, sans consulter ni le Parlement ni les Français.
Il est un peu surréaliste aujourd'hui de constater que la politique européenne continue de relever exclusivement des compétences du Président de la République et, à ce titre donc, de la politique internationale.
M. Jacques Chirac, alors Premier ministre, ne soutenait-il pas dès 1974, dans sa déclaration de politique générale, que les affaires européennes relevaient non pas des affaires étrangères, mais de la politique intérieure ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Jean-Pierre Bel. Lors du débat sur la révision constitutionnelle de 1998, M. Michel Barnier, notre ministre des affaires étrangères, alors sénateur, estimait pour sa part que le Parlement devait « pouvoir s'exprimer sur toutes les propositions européennes importantes, sur toutes celles qui ont des conséquences sur la vie des citoyens ».
Ce que révèle ce débat, en dehors du fait qu'il est sans signification parce qu'il est hors du temps et non suivi d'un vote, c'est donc d'abord la place trop réduite du Parlement national dans la construction européenne.
Une prochaine révision viendra renforcer les pouvoirs du Parlement, mais, dans le même temps, elle prévoira un référendum pour décider de l'adhésion des pays candidats à l'Union européenne.
Pour notre part, nous ne confondrons pas les débats. La prochaine révision constitutionnelle a pour objectif de lever les obstacles à la ratification du traité constitutionnel. Elle ne doit pas être mélangée avec la question de la candidature de la Turquie.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Bel. Sinon, il y aura un risque de confusion, avec son lot de mauvaises surprises.
Mais ce référendum soulève une vraie question de principe, et j'y reviens encore. On peut se demander, en effet, s'il est cohérent que l'actuel chef de l'Etat puisse engager ses successeurs en rendant obligatoire l'organisation d'un référendum pour toute future adhésion.
On a bien compris que, face aux difficultés de sa majorité, le Président de la République évacue sur les générations futures la responsabilité de la décision finale.
M. Josselin de Rohan. Vous aussi, vous êtes embarrassés !
M. Jean-Pierre Bel. Le chemin qui reste à parcourir pour traiter le Parlement en adulte sur les questions européennes est décidément bien long.
L'Europe ne doit pas être abordée au Parlement par la petite porte, par petits bouts, lors de la transposition de directives aussi absconses que technocratiques. L'Europe est un grand dessein qui mérite toujours un grand débat.
Quel sens prend donc la volonté du Parlement, alors que la décision d'ouvrir un processus de négociation est déjà prise ? Quelle signification accorder à cette séance ? Je crois qu'il y a là un vrai problème de crédibilité, et même de dignité.
Madame la ministre, monsieur le ministre, comment ne pas interpréter votre réticence à saisir le Parlement de cette question comme le signe de votre désarroi face à vos contradictions internes et à vos positions divergentes ?
Avouez que, depuis quelques jours, nous vivons une situation institutionnelle assez inédite, puisqu'elle révèle une divergence de fond entre le Président de la République et le chef du principal parti de la majorité, pourtant censé, jusque dans son intitulé, apporter une majorité au président !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Jean-Marc Todeschini. C'est bien cela !
M. Jean-Pierre Bel. Entre eux, le désaccord est total : M. Sarkozy souhaite, pour la Turquie, un partenariat privilégié, alors que cette perspective est clairement rejetée non seulement par le chef de l'Etat, mais également par les partenaires européens de la France.
M. Josselin de Rohan. Et M. Mélenchon ? Il n'est pas d'accord avec vous !
M. Jean-Pierre Bel. Où en est M. le Premier ministre, lui qui, à l'Assemblée nationale, défendait le « partenariat renforcé » dès le 14 octobre et encore tout à l'heure, lors de la séance de questions d'actualité, alors que cette perspective a été écartée sans appel par le Président de la République dans son intervention du 15 décembre ?
M. Jacques Blanc. Très grande intervention !
M. Jean-Pierre Bel. Puisqu'il n'y a plus de partenariat privilégié, M. Sarkozy, en continuant à l'exiger, inaugure-t-il ainsi la chronique d'un bras de fer annoncé ?
Si on regarde du côté de Strasbourg, la schizophrénie est encore plus grande, les eurodéputés de l'UMP ayant voté contre la résolution soutenant l'ouverture des négociations !
M. Jean-Marc Todeschini. C'est à usage interne, pour l'UMP !
M. Jean-Pierre Bel. Quant à M. François Bayrou, dont l'hostilité est bien connue, il se déclarait, au lendemain de l'intervention élyséenne, « triste et en colère » en dénonçant une décision « monarchique ».
Monsieur le ministre, cette situation ne manque pas de soulever beaucoup d'interrogations sur la cohérence de la politique que vous entendez mener et sur le cap qui sera réellement indiqué. Même si nous comprenons vos états d'âme après le strapontin réservé à la France par la Commission,...
M. Jacques Blanc. Oh !
M. Jean-Pierre Bel. ...nous aimerions tout de même trouver un grand projet, une ambition, une perspective pour faire « l'Europe en grand ».
Or, votre feuille de route se borne à combler le retard pris dans la transposition des directives européennes - ce qui n'est pas rien, j'en conviens ! -, mais avec une prédilection pour les directives les plus libérales et par le biais de tombereaux d'ordonnances qui court-circuitent le Parlement.
Le plafonnement des ressources financières de l'Union européenne, dont nous reparlerons, et que vous avez défendu, n'est que la traduction concrète du manque d'ambition et, peut-être aussi, d'un manque de volontarisme dans les politiques européennes à mettre en oeuvre.
Heureusement, et cela n'a pas été suffisamment souligné, le Conseil européen a désavoué M. Chirac sur ce point essentiel en maintenant le plafond des ressources propres à son niveau actuel de 1,24 %, et donc en ne le ramenant pas à 1 % comme le Président de la République le souhaitait. Il s'agit, pour M. Chirac, d'un vrai revers, sur lequel vous êtes - et pour cause ! - particulièrement discret.
Ainsi donc, force est de constater que, pour l'Europe, le projet « visionnaire » du second mandat de M. Chirac se réduirait à l'élargissement à la Turquie.
Le Conseil européen a donc décidé l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie. Il a assorti cette décision d'un certain nombre de conditions, qui sont également posées à l'Europe elle-même. Elles doivent être perçues par le peuple turc non comme l'expression d'une discrimination, mais comme la traduction d'un vouloir vivre ensemble, la manifestation de la volonté de la Turquie de maintenir sa vocation européenne.
Chacun sait que le chemin sera long. M. le Premier ministre indiquait, à l'Assemblée nationale, dès le 14 octobre : l'adhésion n'est pas possible « ni demain ni dans les prochaines années », renvoyant peut-être à plus tard le moment du choix.
Ouvrir une négociation n'est pas la finaliser. La décision du Conseil européen de Bruxelles ne signifie pas l'admission de la Turquie dans l'Europe. Elle marque l'ouverture d'un cycle de négociations à compter du 3 octobre 2005. Elle ne préjuge pas de leur résultat. A l'issue de ce processus de négociation, la décision ne sera prise que dans dix ans, voire dans quinze ans, en tout cas pas avant l'adoption des perspectives financières qui entreront en vigueur en 2014.
Les conclusions du sommet de Bruxelles confirment que les négociations pourront être suspendues ou arrêtées à tout moment si des « problèmes sérieux » apparaissaient du côté turc en ce qui concerne le respect des valeurs fondamentales de l'Union européenne. Cette garantie nous satisfait, puisque les Etats membres resteront à tout moment maîtres du processus de négociation.
Qui, dans cet hémicycle, peut, en effet, avoir des certitudes sur ce que sera la situation politique, économique et sociale de la Turquie, comme celle de l'Union européenne, dans dix ans ou dans quinze ans ? Personne.
Ainsi donc, l'adhésion à l'Union européenne, pour M. Nicolas Sarkozy, c'est « non, jamais », pour M. Chirac, c'est « Oui, si ».
Le processus de négociation est pourtant ouvert. Cependant, il est passé de trois options à deux, la voie du partenariat privilégiée, que nous avions évoquée, est en effet désormais fermée, tant par le chef de l'Etat que par le Conseil européen.
La négociation ne conduit pas inéluctablement à l'adhésion. Elle peut aboutir à la non-adhésion. Certains rétorquent que cela n'est jamais arrivé. Certes, mais aujourd'hui le contexte est différent, chacun le sait.
Nous savons tous que les conditions mises à l'entrée de la Turquie nécessitent un long, un très long effort, et qui soit réciproque. Un effort car l'appartenance de la Turquie à l'Europe n'est pas - c'est le moins que l'on puisse dire - un fait acquis pour tout le monde. Même le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, indiquait, le jeudi 16 décembre, que « l'adhésion de ce pays n'est pas du tout assimilable » aux autres et « pose à l'Union européenne des problèmes inconnus jusque-là ».
La négociation doit être équilibrée et des efforts sont nécessaires de part et d'autre. Ils sont considérables pour la Turquie, ils existent pour l'Europe.
Quelles sont ces exigences ?
Dans un premier temps, c'est le règlement de la question chypriote et la reconnaissance de Chypre par la Turquie. Il semble évident que la conduite des négociations avec les Vingt-cinq implique la reconnaissance de Chypre par la Turquie, et donc, à terme, le retrait des troupes turques du nord de Chypre. Cela semble d'ailleurs déjà en partie engagé.
Comme le soulignait M. Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère de l'Union européenne : « Si vous voulez être membre d'une famille, vous devez reconnaître tous les membres de la famille. [...] Sans cela, il est difficile de faire partie de la famille ».
Par ailleurs, le Président de la République a appelé la Turquie au devoir de mémoire. Nous en sommes heureux, nous qui, ici, au Sénat, avons assisté à une opposition, pendant de longs mois, au vote de la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, devenue loi de la République française du 29 janvier 2001.
Dans le même sens, M. Pierre Moscovici, ancien ministre des affaires européennes, a fait adopter par le Parlement européen le principe d'exiger des autorités turques la reconnaissance formelle de la réalité historique du génocide des Arméniens en 1915 et l'ouverture, dans un délai rapide, de la frontière entre la Turquie et l'Arménie. Telle est la deuxième exigence que nous formulons.
La troisième est relative aux droits de l'homme. C'est le traitement de cette question par la Turquie qui conduit certains de mes collègues à estimer que les conditions de l'adhésion ne sont aujourd'hui pas réunies.
L'Europe n'est pas seulement un espace économique. Elle est aussi, et surtout, l'expression des valeurs, celles de la Révolution française de 1789, et celles qui se retrouvent dans toutes les grandes déclarations de droits, la dernière étant la Charte européenne des droits fondamentaux.
Cependant, pour nous socialistes, parce que nous sommes profondément attachés à la laïcité, la religion ne peut constituer un obstacle car l'Europe n'est ni un club chrétien - cela a été dit - ni un cénacle protestant ou orthodoxe. Nous ne souhaitons pas réduire la Turquie à sa seule identité religieuse. L'Union européenne est laïque et respecte toutes les religions.
En revanche, la démocratie, la supériorité du pouvoir civil, le pluralisme politique, sont parmi les premières des valeurs que nous devons partager avec la Turquie. Nous préférons tous, bien sûr, une Turquie laïque, démocratique et pluraliste à une Turquie islamisée, radicale, soumise au pouvoir militaire, se refermant sur elle-même et bafouant les droits de l'homme. Seule une Turquie irréversiblement démocratique pourra entrer dans l'Union européenne, parce que la démocratie est la valeur commune la plus partagée au sein des Vingt-cinq. La démocratie ne se négociera pas.
On ne peut nier les progrès récemment accomplis dans ce domaine : retrait progressif de l'armée de la vie politique - encore incomplet -, réforme du code pénal, suppression des juridictions d'exception, abolition de la peine de mort, liberté d'expression et de réunion assouplies. Mais bien des efforts restent à accomplir.
Soyons clairs, ce doit être pour nous une exigence, en cas de violation grave et persistante des principes de liberté, de démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'Etat de droit et du droit international, la suspension des négociations s'imposera.
Ankara doit pratiquer un politique de tolérance zéro afin d'éradiquer complètement la torture, qui continue d'être pratiquée ou tolérée par les autorités turques.
Au titre des droits de l'homme figure le respect du droit des minorités et l'égalité entre hommes et femmes.
Le respect des minorités impose un règlement de la question kurde.
L'égalité entre hommes et femmes exige d'interdire les mariages forcés et la bigamie, les crimes dits « d'honneur », qui constituent, en fait, une honte. Elle impose aussi de combattre l'illettrisme des femmes.
La quatrième exigence est relative à l'acquis communautaire. Le rapprochement avec le standard juridique européen ne se limite pas au vote d'une législation conforme, dans les textes, à l'acquis communautaire, mais suppose une réelle concrétisation dans les faits, de manière suivie et systématique.
La Turquie a adopté, ces derniers mois, des textes considérés comme des préconditions à l'ouverture des négociations, mais qui ne se traduisent par aucun changement dans les faits.
On doit pouvoir constater, en particulier, une application effective de la Charte européenne des droits fondamentaux dans le domaine social. La Turquie demeure encore trop éloignée des normes du modèle social européen : le recours au travail des enfants reste trop fréquent, les droits syndicaux sont trop souvent violés, la discrimination envers les femmes perdure.
Les autres conditions sont posées à l'Union européenne elle-même.
La première est une question à laquelle doit répondre le chef de l'Etat. Chacun sait que la capacité de l'Union européenne à absorber de nouveaux membres est un critère d'adhésion aussi important que celui qui exige que la Turquie soit prête à rejoindre l'Union européenne.
Or, que constate-t-on ? Tout simplement que l'Europe n'a pas les moyens financiers de cet élargissement ; l'actuel élargissement provoque déjà des tensions au détriment des bénéficiaires actuels des fonds structurels de la politique régionale. Le budget européen doit être ambitieux. Pour financer les élargissements successifs, il est essentiel d'avoir un budget consistant, pour soutenir l'Union dans la perspective de ses objectifs que sont la solidarité, la croissance et l'emploi, pour financer l'intégration des nouveaux Etats membres et pour préparer les futurs élargissements.
L'impact budgétaire de l'adhésion turque ne pourra être pleinement apprécié qu'une fois définis les paramètres des négociations financières avec la Turquie, dans le cadre des perspectives financières.
Comment les missions de solidarité et les politiques communes seront-elles financées si elles sont étranglées par la disette budgétaire, le dumping fiscal ou le moins-disant social, qui sont les objectifs des libéraux ?
Ces deux objectifs, contradictoires, posent, à l'évidence, de réels problèmes de cohérence.
Sur le plan économique, nous savons que le défi à relever est immense. Intégrer un pays de 70 millions d'habitants au revenu trois fois inférieur à la moyenne européenne va demander un effort considérablement plus important que celui qui a été consenti pour l'élargissement au Sud des années quatre-vingt ou pour l'élargissement à l'Est des années quatre-vingt-dix.
Certes, des arrangements spéciaux, comme de très longues périodes transitoires, des dérogations et des clauses de sauvegarde permanentes, seront nécessaires dans certains domaines. Mais seront-ils suffisants pour résorber ce déficit et ce déséquilibre économiques ?
Pendant ces négociations d'adhésion, l'Europe doit réorienter sa construction, renforcer son cadre institutionnel, le premier pas devant être franchi avec l'adoption du traité constitutionnel. Mais d'autres étapes sont nécessaires si nous voulons mener à bien notre projet de fédération d'Etats-nations, pour concilier intégration et puissance.
Au terme de ce débat, je dois vous avouer ma profonde incompréhension quant à son objectif réel.
J'ai entendu, cette après-midi, beaucoup d'incohérences au coeur de la majorité. La vocation européenne de la Turquie a été affirmée, au grand dam de M. Nicolas Sarkozy, qui l'a encore contestée samedi soir, alors que tous les chefs d'Etat européens, dont M. Jacques Chirac, l'ont confirmée à Bruxelles.
Comment le Premier ministre peut-il, sur ce point, rejoindre Nicolas Sarkozy et demander un « lien partenarial » en lieu et place de l'adhésion, alors que les vingt-cinq Etats membres du Conseil européen, donc le Président de la République, ont définitivement écarté cette troisième voie ?
Les conditions de l'adhésion sont définies ; nous ne pouvons qu'en prendre acte.
Cependant, nous ne pouvons considérer ce débat ni comme une occasion permettant au Parlement « d'occuper toute sa place » ni comme la « consultation » dont se prévalait tout à l'heure le Premier ministre.
Nous souhaitons, pour notre part, qu'une réelle et authentique consultation ait lieu avant toute future décision engageant l'avenir de la France et de la construction européenne.
Tout cela méritait mieux que cette occasion gâchée. En définitive, à cause de vous, ce débat, qui devait être historique, ne restera qu'anecdotique.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Europe et la Turquie méritaient mieux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'entrée probable de la Turquie dans l'Europe sera sans équivalent en termes non seulement d'étendue de l'élargissement, mais aussi de superficie. Elle aura surtout des conséquences majeures. Aujourd'hui, dans notre assemblée, personne ne nie le bouleversement considérable qui s'ensuivra. En définissant de nouvelles frontières géographiques, nous allons dessiner de nouvelles frontières pour le modèle politique européen et pour un nouveau projet européen.
Monsieur le ministre, comment expliquez-vous, alors que chacun s'accorde à considérer que ce sujet est d'une extrême importance, que nous assistions aujourd'hui à une parodie de démocratie ?
Il aura fallu attendre plusieurs mois après que l'Assemblée nationale a discuté de cette question pour que le Sénat puisse, à son tour, en débattre. Il aura également fallu que cette demande soit formulée de nombreuses fois en conférence des présidents. En outre, nous n'avons appris qu'hier soir - je ne l'ai moi-même appris que ce matin - que ce débat aurait lieu cet après-midi,...
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. ...alors que nous étions dans nos départements. Une telle attitude montre que vous redoutez le débat. Peut-être même craignez-vous le sentiment populaire, qui est majoritairement opposé à l'adhésion de la Turquie.
Pourquoi la Turquie n'a-t-elle pas vocation à intégrer l'Union européenne ? Son adhésion est un non-sens à plusieurs égards.
C'est d'abord un non-sens géopolitique. D'un point de vue géographique, la Turquie n'est européenne que pour 5 % de son territoire. Elle n'est pas plus européenne sur le plan historique : il ne suffit pas qu'un pays en ait colonisé d'autres pour être assimilé aux continents sur lesquels se trouvaient ses colonies. A ce compte-là, la France serait africaine ou asiatique, voire américaine !
Le poids de la Turquie est considérable : elle est la première puissance militaire d'Europe ; elle est aussi la première puissance démographique. Avec la nouvelle architecture constitutionnelle, elle sera un décideur de premier rang.
L'entrée de la Turquie projettera l'Europe dans la zone la plus conflictuelle au monde, puisqu'elle aura alors des frontières avec l'Iran et l'Irak. Chacun sait ici que la Turquie est aujourd'hui fâchée avec pratiquement tous ses voisins.
C'est ensuite un non-sens budgétaire. Le coût de l'intégration s'élèvera à au moins 25 milliards d'euros. Dans le même temps, le Président de la République a enjoint le président de la Commission de ne pas dépasser 1 % du PIB de l'Europe, afin de limiter les dépenses de l'Union européenne.
On ne peut à la fois vouloir l'adhésion de la Turquie et en refuser les conséquences. C'est totalement incohérent ! L'adhésion de la Turquie vous obligera à admettre la création d'un nouvel impôt européen.
C'est enfin un non-sens en matière de droits de l'homme. Je me contenterai de citer l'excellent rapport de la Commission : plus de la moitié des femmes turques subissent, aujourd'hui encore, des formes de violence physique et psychologique dans leur environnement familial.
Pour justifier cette adhésion, le raisonnement tenu est le suivant. : il faut faire attention au choc des civilisations, syndrome décrit par Samuel P. Huntington, et préparer impérativement une forme d'occidentalisation du Moyen-Orient, en tout cas du monde islamique.
Cette affirmation suscite deux questions. : la laïcité est-elle contagieuse ? L'Islam est-il soluble dans la démocratie laïque ?
La réponse à la première question est négative. Depuis 1924, la Turquie est laïque. Cela a-t-il eu un effet de contagion sur le monde musulman ? Bien sûr que non !
La réponse à la seconde question est également négative. L'Etat turc est sans doute un Etat laïc ; ses élites sont sans doute profondément marquées par la culture laïque. Pour autant, la société turque n'est pas une société laïque.
Tout à l'heure, l'Europe a été comparée à un club chrétien. Il y a belle lurette, mes chers collègues, vous en conviendrez, que l'Europe n'est plus un club chrétien ! En revanche, la Turquie est un club musulman.
Il n'est qu'à voir ce que deviennent en Turquie les minorités religieuses !
Il n'est qu'à voir les hauts fonctionnaires qui souhaitent accéder au premier rang des fonctions politiques ou militaires : il faut qu'ils soient musulmans !
Il n'est qu'à voir les 70 % de femmes qui, en Turquie, portent le voile !
Aujourd'hui encore, la Turquie fait partie de l'Organisation internationale des Etats islamiques ! Il faut se méfier et faire la distinction entre un Etat qui se définit comme laïc et une société qui, en profondeur, est travaillée par un mouvement qui n'a rien de laïc, mais est vraisemblablement islamique.
Que s'est-il passé à Bruxelles au cours du Conseil européen ? Nous avons tout lieu d'être très inquiets.
Nous avons d'abord vu M. Erdogan omniprésent, tirant les ficelles dans l'ombre, disposant en temps réel du compte rendu des négociations et maniant habilement à la fois le chantage, la rodomontade ou encore la menace. Que se passera-t-il si, demain, ce partenaire ombrageux est membre de l'Union européenne ?
Nous avons également vu l'incapacité de l'Europe à résister, à protéger ses propres membres, c'est-à-dire Chypre, qui est aujourd'hui occupée par la Turquie. L'Europe n'a obtenu ni une reconnaissance formelle ni une reconnaissance directe : il est simplement question d'une adaptation de l'accord d'Ankara. La belle affaire !
Aujourd'hui, le pilotage de l'élargissement ne se fait pas à Bruxelles : il se fait à l'OTAN ; il se fait aux Etats-Unis.
En réalité, monsieur le ministre, l'adhésion de la Turquie est déjà jouée. La dramatisation à laquelle nous avons assisté nous laisse imaginer celle à laquelle nous aurons droit dans dix ans. Comment dire non dans dix ans ? Ce ne sera plus possible ! Vous cherchez tout simplement à rendre irréversible l'adhésion de la Turquie. Ce faisant, vous prenez un risque majeur, celui de la confusion. En effet, les Français, qui ne seront consultés que tardivement, risquent d'utiliser le premier référendum comme un moyen d'expression de leur opposition à l'adhésion de la Turquie.
La Constitution européenne et l'adhésion de la Turquie sont liées. Bien sûr, M. Erdogan a cosigné l'acte final du traité constitutionnel de l'Union européenne, mais cette architecture va placer le pays le moins européen d'Europe en situation d'arbitre.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, il faut dire non à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez d'abord de partager le bonheur qu'a exprimé le Premier ministre devant la libération des deux otages français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste) Monsieur le ministre, nous avons partagé ces moments difficiles et nous souhaitons un bon Noël aux otages.
Un débat sur la Turquie a lieu aujourd'hui au Sénat et nous nous félicitons du fait que le Premier ministre soit venu en personne, à vos côtés, madame la ministre, monsieur le ministre, témoigner de l'importance de ce débat. Nous l'avions tous souhaité : le président du Sénat, la commission des affaires étrangères, la délégation pour l'Union européenne. Le Sénat n'a d'ailleurs pas attendu aujourd'hui pour débattre du problème de l'adhésion de la Turquie, comme en atteste le rapport de MM. Del Picchia et Haenel fait au nom de la délégation pour l'Union européenne. Un travail en profondeur a été accompli.
Ce débat intervient au lendemain d'une décision du Conseil européen, laquelle s'inscrit, mes chers collègues, dans un mouvement lancé voilà bien longtemps, dès 1963. En décidant, vendredi dernier, de l'ouverture des négociations en vue de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, après l'examen de critères qu'il avait lui-même fixés et rappelés lors du sommet de Copenhague en 1993 et au terme d'une procédure dont il avait défini les modalités lors du sommet d'Helsinki en 1999, le Conseil européen a agi de façon responsable.
Il faut le rappeler : toute autre attitude serait en contradiction avec l'ensemble des engagements qui ont été pris. Je pense aux engagements de la communauté à six en 1963, à ceux de l'Union européenne, à ceux des différents Conseils européens auxquels ont participé les présidents de la République française successifs. Les présidents de la République, les chefs de gouvernement, les ministres, personne n'a jamais contesté le mouvement qui consistait à soutenir la Turquie pour qu'elle puisse un jour intégrer l'Union européenne !
C'est donc dans la dynamique de ce mouvement que le Conseil européen a pris sa décision. Je me réjouis que la France ait tenu un rôle majeur et courageux dans cette décision.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jacques Blanc. Le Président de la République, conformément à l'histoire de notre pays et à tous les engagements que la France a pris, a porté le message de la France dans la prise de décision, dans les considérants et dans les modalités de la négociation. Respectueux de la parole de la France, mais également du rôle des Françaises et des Français, il a clairement précisé que les négociations s'ouvriront et que l'adhésion de la Turquie donnera lieu à un référendum.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il en est ainsi. Il suffit de se rappeler le référendum décidé par le président Pompidou ! Une telle décision n'est donc pas méprisante à l'égard de la Turquie. S'il est important de montrer le respect que nous portons à la Turquie, ce référendum témoigne de notre cohérence politique.
Aujourd'hui, dans l'esprit même de nos institutions, nous avons la possibilité de mener une réflexion, peut-être d'apporter un éclairage. Je constate d'ailleurs - la teneur des propos qui ont été tenus le montre - qu'un tel débat peut se dérouler dans la sérénité.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jacques Blanc. Je m'exprime, et j'en suis fier, en tant que membre de l'UMP. Pour autant, je ne prétends pas représenter l'unanimité. Certaines analyses peuvent être différentes. Respectons les positions des uns et des autres et examinons la façon dont l'ouverture de ces négociations pour l'adhésion éventuelle de la Turquie peut influencer et faire évoluer l'Europe.
Mes chers collègues, il faut reconnaître que cette ouverture ne bouleversera pas l'évolution de l'Union européenne telle qu'elle a été engagée depuis le traité de Rome de 1957 et qui repose tout à la fois sur l'approfondissement et sur l'élargissement.
Rappelons-nous : Communauté à six en 1957, à neuf en 1973, à dix en 1981, à douze en 1986, l'Europe est devenue une Union à quinze en 1995, à vingt-cinq aujourd'hui, peut-être à trente demain.
Elle a évolué au fil du temps. Sans renier le fondement même de la démarche européenne, elle n'est plus exactement celle des pères fondateurs. Pour autant, elle ne perd pas son ambition de puissance. Mais elle est devenue un modèle d'intégration progressive, intégration qui va se poursuivre.
Rappelons-nous l'Acte unique européen de 1986, le traité de Maastricht, la Charte des droits fondamentaux, le projet de constitution européenne. Je me félicite que personne ne lie le débat sur la Turquie et la Constitution européenne ; il est important de ne pas pratiquer l'amalgame. D'ailleurs, les positions diverses montrent l'absence de lien direct entre les deux.
A côté de ces traités, qui permettent à l'ensemble des pays membres d'avancer au même rythme et qui constituent un acquis communautaire devant être accepté par les nouveaux adhérents, se sont développées des coopérations renforcées entre certains Etats membres, qui constituent autant d'avancées vers une plus grande intégration. Je pense, entre autres, à l'euro, à la politique économique et au traité de Schengen.
C'est d'ailleurs dans cette voie que se développeront probablement des systèmes de coopération renforcée, qui seront peut-être demain le moteur d'une Europe élargie, chaque Etat pouvant entrer dans ces cercles de coopération renforcée à son rythme, ce qui ne met pas en cause la base même de l'acquis communautaire.
Quand on regarde le développement de cet acquis communautaire, force est de constater que les élargissements successifs ne l'ont pas dilué. Peut-être même l'ont-ils diversifié et enrichi. Pourquoi n'en serait-il pas de même demain avec la Turquie ?
L'élargissement de l'Union européenne est naturel, même s'il n'est pas illimité. Il témoigne de son influence sur les Etats et sur les peuples voisins. Les Etats qui se situent à la périphérie perçoivent bien l'extraordinaire dynamisme du modèle européen fondé d'abord sur la paix entre les Etats membres, sur la prospérité économique, sur les droits de l'homme et la démocratie et sur la volonté d'un monde multipolaire.
Ces Etats, au premier rang desquels figure la Turquie, perçoivent bien les efforts qu'il faut accomplir pour se rapprocher de ce modèle. Encore faut-il en avoir la volonté ! Nul n'est obligé de présenter sa candidature. Mais force est de constater que, au sein de ces Etats, ceux qui aspirent le plus à l'Europe, en particulier la Turquie, sont ceux qui recherchent l'état de droit, la paix et la liberté.
L'Europe est un formidable facteur de paix entre les Etats. D'ailleurs, n'a-t-on pas constaté la réduction spectaculaire des tensions entre la Grèce et la Turquie depuis que cette dernière aspire à l'Europe ? Tous ceux qui sont allés à Athènes ont bien mesuré la volonté, l'espérance de nos amis grecs de voir la paix s'installer dans cette zone. Nul doute que la reconnaissance de Chypre, qui est inscrite dans les faits, sera un pas fondamental. (M. Aymeri de Montesquiou fait un signe de dénégation.).
L'Europe est aussi un formidable facteur de démocratisation des Etats qui naguère étaient soumis au joug de dictatures militaro-fascistes ou soviétiques. Son modèle rayonne jusqu'en Géorgie et en Ukraine.
L'Europe est un formidable acteur pour le respect des droits de l'homme. Soulignons, à cet égard, les efforts de la Turquie, salués par le Conseil de l'Europe, pour se mettre au diapason des critères de Copenhague.
L'Europe est une puissance d'abord parce qu'elle essaime son modèle de civilisation fondé sur les droits de l'homme, la démocratie, la sécurité par l'installation d'une zone de paix et la prospérité économique.
M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jacques Blanc. Oui, aujourd'hui, la puissance se mesure par l'influence, et l'Europe est un pôle d'influence, car elle porte et développe des valeurs fortes et universelles, les valeurs d'un humanisme ouvert et non replié sur lui-même. Et c'est parce qu'elle ouverte qu'elle est influente.
L'adhésion de la Turquie, si elle devient effective au terme du processus de négociation, parce que la Turquie, c'est vrai, présente plus de différences que d'autres néo-adhérents, apportera, de ce fait même et parce que la Turquie aura accepté et assimilé ces valeurs, un surcroît d'influence à l'Europe, qui n'est plus à présent un club fermé et homogène, mais qui reste une puissance.
Elle doit être un signe fort de la volonté de l'Europe de voir s'installer un nouvel équilibre entre le Nord et le Sud et de donner à l'Euro-Méditerranée un contenu nouveau faisant des pays du Sud des partenaires privilégiés dans le cadre de la nouvelle politique de voisinage.
La Turquie a-t-elle vocation européenne ? Le débat est dépassé depuis 1963 ! Aucun ministre, aucun Président de la République, aucun responsable français n'a remis en cause cette vocation en quarante ans, même au moment où la situation politique était difficile ; ce fut le cas à la suite du coup d'Etat militaire.
Mes chers collègues, cette négociation doit permettre à la Turquie d'enraciner définitivement les réformes, afin qu'elle devienne une démocratie à part entière, reconnaissant les droits des femmes et des minorités, la laïcité. Nous avons parlé des Kurdes. Leur situation a déjà un peu évolué ! En l'absence de perspective européenne, en aurait-il été ainsi ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Non !
M. Jacques Blanc. La négociation conduit aussi la Turquie à s'interroger sur elle-même, à faire un effort de mémoire eu égard, par exemple, au drame arménien...
MM. Philippe Arnaud et Michel Mercier. Au génocide !
M. Jacques Blanc. Le génocide a été reconnu ! Mais, mes chers collègues, il faut du temps pour revisiter sa mémoire. Ainsi, il a fallu du temps à la France pour évoluer sur certains dossiers.
M. Guy Fischer. On l'a vu la semaine dernière !
M. Jacques Blanc. Par conséquent, soyons tolérants et permettons à ce grand peuple d'aller de l'avant. La négociation permettra, dans l'intérêt même de la Turquie, au fur et à mesure que l'Europe évoluera, de s'assurer que ce pays est définitivement en marche vers un état de droit. Réjouissons-nous que la Turquie choisisse l'Europe !
Nous avons parfois assisté à des psychodrames, certes pas au Sénat, qui a fait montre de dignité dans ce débat.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Comme d'habitude !
M. Jacques Blanc. Que n'a-t-on pas lu ou entendu ? Mes chers collègues, je me demande si ces psychodrames ne sont pas la traduction d'une grande ignorance de la part non pas des responsables, mais de l'opinion publique, ou l'expression d'une angoisse, j'allais dire d'un vertige qui envahit ceux qui n'ont pas vu bouger l'Europe et qui prennent de plein fouet cette réalité d'une Europe à trente. Il nous faut calmer ces angoisses et faire tomber les ignorances par rapport à l'Europe.
Monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le ministre, je souhaite que les travaux remarquables que vous conduisez au sein de ladite délégation fassent l'objet de débats encore plus nombreux. J'ai évoqué, tout à l'heure, le rapport de notre collègue M. Del Picchia. On gagnerait à faire connaître les travaux de cette délégation, afin de lever un certain nombre de craintes relatives non seulement à l'Europe elle-même, mais aussi à la Turquie.
Permettez au président du groupe d'amitié France-Turquie de souhaiter que nous soyons des acteurs facilitant une meilleure connaissance du sujet, dans le respect de l'ensemble des sensibilités, et faisant disparaître l'ignorance : faisons découvrir la réalité de ce grand pays, qui s'est engagé résolument et volontairement dans la voie de la démocratie en passant par l'Europe.
Je formule donc le souhait que nous soyons capables, ensemble, de remplacer l'angoisse par l'espérance et de faire en sorte que se concrétise ce grand mouvement d'une Europe facteur de paix, de respect des droits de l'homme et de prospérité. Aujourd'hui est un jour fort en raison de la libération de nos deux compatriotes. Je souhaite que le débat au Sénat soit aussi un temps fort pour l'Europe et la Turquie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
(M. Christian Poncelet remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, les déclarations de Jacques Chirac, Président de la République, n'ont pas caché les efforts considérables que la Turquie avait à accomplir en vue d'une éventuelle adhésion à l'Union européenne.
Les questions capitales ont été soulevées par le Président de la République lui-même : la contribution à la paix de la Turquie, la volonté de créer de meilleures conditions d'un développement économique et social, le renforcement de l'enracinement de la démocratie, des droits de l'homme et des libertés.
S'agissant de la paix, la volonté des dirigeants turcs ne saurait être mise en doute. La question dépend du contexte géostratégique et, singulièrement, de la possibilité pour la Turquie de jouer un rôle efficace dans la stabilisation des conflits du Moyen et du Proche Orient, et, plus généralement, de sa capacité à favoriser un découplage du terrorisme et du fondamentalisme islamique.
Autrement dit, la Turquie est-elle en mesure de jouer un rôle de leadership pacificateur du monde musulman ?
On peut en douter si l'on accorde du crédit aux propos du président libyen Mouamar Kadhafi, qui a déclaré, le 16 décembre 2004, dans le quotidien italien La Republica, que l'entrée de la Turquie dans l'Europe était le cheval de Troie des extrémistes, jusqu'à ben Laden.
Que pensent pour leur part nos partenaires privilégiés du Maghreb de cette perspective d'entrée de la Turquie, alors qu'eux-mêmes resteraient non adhérents de l'Union ? Y a-t-il, dans de telles conditions, une réelle perspective de paix ou, au contraire, une source supplémentaire de déstabilisation dans cette situation paradoxale pour la France, compte tenu de ses liens historiques privilégiés avec ces pays ?
J'en viens à la volonté de créer de meilleures conditions de développement économique et social, autre axe évoqué par Jacques Chirac dans son interview télévisée.
Cet espoir n'est-il pas vain, alors que nous luttons déjà avec difficulté pour la résorption de notre propre fracture sociale grâce à la loi de programmation pour la cohésion sociale ? Le fossé qui sépare les niveaux de salaires en Turquie et en France me rend, personnellement, très dubitatif.
L'idée de l'entrée de la Turquie n'est-elle pas une forme de fiction institutionnelle qui pourrait aggraver notre situation économique et sociale ? Une attitude de prudence serait préférable à la fuite en avant qui semble prévaloir au sein de l'Union aujourd'hui.
Reste le problème du renforcement de la démocratie, des droits de l'homme et des libertés. Cette question ne peut recevoir qu'une réponse dubitative. Il est vrai que Atatürk a tenté une perfusion de notre culture politique fondée sur la laïcité au sein des institutions turques. Mais le succès est-il définitivement assuré ? Car cette tentative date d'une époque très différente de la nôtre. La République turque a été instaurée contre le régime du sultanat et du califat. Aujourd'hui, le régime parlementaire turc est confronté à une difficulté de nature tout à fait différente de celle que Mustapha Kemal Pasha maîtrisa le 29 octobre 1923 en proclamant la République turque.
A l'heure actuelle, l'interrogation existentielle d'inspiration religieuse rebondit en Turquie, alors que la spéculation financière domine la mondialisation de l'économie en bouleversant l'identité des peuples ainsi que la dignité humaine.
La solution dépend de la capacité de résistance des régimes tels que les nôtres, dont la laïcité repose sur des soubassements culturels et religieux très structurés, issus principalement de l'hellénisme et du christianisme. Il y a à ce sujet une incertitude majeure face à la volonté de la Turquie d'adhérer à l'Union européenne.
En admettant, ce que je crois, que les dirigeants turcs veuillent trouver dans l'adhésion à l'Union européenne une protection contre l'intégrisme, l'Europe a-t-elle aujourd'hui la capacité et la force intellectuelle et spirituelle de fournir à la Turquie cette garantie de civilisation, alors que rien ne le laisse véritablement pressentir ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il faut qu'elle les ait !
M. Bernard Seillier. Les libertés dont parle à juste titre le Président de la République ne se cultivent pas sur le libertarisme, qu'il soit moral ou économique. Je n'insiste pas davantage. Les Pays-Bas sont confrontés à ce drame.
Un renouveau démocratique, dans ses composantes politiques, économiques et sociales, susceptible de réduire sensiblement la pauvreté en Europe, grâce à une économie plus solidaire et sociale, me semble un préalable indispensable pour l'avenir même de la paix dans l'Europe actuelle, avant même de pouvoir espérer un progrès social comme conséquence d'un nouvel élargissement.
La coopération au sein d'un même pouvoir politique entre des élus des grandes traditions culturelles d'inspiration chrétienne, juive ou rationaliste est aujourd'hui acquise en Europe. L'intégration de la tradition musulmane dans cette coopération n'est pas acquise de manière courante et systématique. La Turquie peut-elle jouer un rôle significatif dans cette voie ? L'évolution de certains pays comme le Liban, où une forme particulière de coopération entre chrétiens et musulmans a été expérimentée, n'a pas toujours conduit au succès espéré.
Personne ne peut nier non plus que l'issue du dialogue israélo-palestinien est au coeur de toute cette problématique. S'il n'y a pas au préalable en Europe une réflexion de philosophie politique, tant spéculative qu'appliquée, s'il n'y a pas une pacification rapide du Proche et du Moyen-Orient, s'il n'y a pas une stabilisation du continent africain, où l'évolution climatique fait peser une menace de déstabilisation plus grave que jamais, les discussions entre la Turquie et l'Union européenne risquent d'apparaître comme une diversion sans issue, parce que sans synchronisation avec les problèmes plus importants de l'heure. Combien d'années faudra-t-il pour nous en apercevoir ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le récent accord entre l'Union européenne et la Turquie à propos de l'ouverture des négociations d'adhésion de ce pays à l'Union européenne nous offre l'occasion d'un débat utile, même s'il est tardif.
A l'instar de Jean-Pierre Bel, je m'interroge sur la façon dont le Parlement est associé - je devrais plutôt dire : n'est pas associé - à la définition des grandes orientations de notre pays en matière internationale.
Je me réjouis que ce débat intervienne au moment où le Président de la République, en salutaire continuité avec nos options diplomatiques antérieures, vient de confirmer les engagements pris en toute conscience par la quasi-totalité des chefs d'Etat français depuis le général de Gaulle à l'égard de la Turquie.
Le débat a d'ores et déjà mis en évidence bien des tartufferies politiques, les prétextes succédant aux prétextes, la mauvaise foi le disputant aux arguments les plus spécieux. Afin de ne pas provoquer ici de polémique, je n'évoquerai pas les arrière-pensées religieuses ou ethniques de certains qui contribuent, quand l'objectif n'est pas clairement explicité, à polluer le débat sur l'adoption du traité constitutionnel européen.
Je note qu'on s'est replongé dans les manuels de géographie : on n'a trouvé dans aucun d'entre eux, même dans les plus classiques, l'indication formelle que la frontière naturelle, tectonique, géologique ou climatique de l'Europe passerait entre Galatasaray et Fenerbace.
Je note qu'on a consulté les plus doctes historiens et qu'on n'a rien trouvé non plus de probant, même et surtout lorsque l'on est remonté loin en arrière, qui puisse, par le constat d'une extraordinaire différence de civilisations, justifier que l'on traite la Turquie différemment de Chypre, située bien plus au sud, ou de la Bulgarie et de la Roumanie.
S'agissant du génocide arménien et de la question kurde, points sur lesquels la Turquie doit évidemment reconnaître ses lourdes responsabilités historiques, on s'est trouvé bien embarrassés par le fait qu'il n'y a pas aujourd'hui de plus chauds partisans de l'adhésion que les communautés minoritaires.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !
Mme Dominique Voynet. Elles y voient, à juste titre, une garantie de la prise en compte définitive de leur identité.
S'agissant même de l'actuelle partition de Chypre, l'occasion d'un récent référendum nous a amenés à plus de retenue. Si l'occupation militaire turque d'une partie de l'île reste totalement inacceptable, les sectarismes et les refus d'une solution négociée paraissent, hélas ! bien partagés.
Enfin, l'examen des quatre-vingts dernières années en matière de droit de vote des femmes ou de laïcité a lui-même parfois suscité la confusion chez les turco-sceptiques, qui ont dû se rappeler que ce pays siège au Conseil de l'Europe depuis près de soixante ans.
Bref, l'Union européenne a pris, en ouvrant ces négociations et en fixant des conditions globalement équitables à l'adhésion, une position sage et courageuse que tous les Verts européens ont saluée.
C'est d'abord à la Turquie qu'il appartiendra de remplir ces conditions, en apportant à ses propres façons de vivre la démocratie et le droit, ainsi qu'en instaurant les réformes auxquelles aspire sans doute son propre peuple.
Il est normal, comme ce fut le cas pour l'Espagne, le Portugal ou la Grèce des dictatures, que nous accompagnions les avancées du combat démocratique en Turquie de toute notre vigilance. Cependant, il conviendra aussi que nos pays ne restent pas passifs et qu'ils s'impliquent dans la dynamique ainsi ouverte, mais pas en établissant la liste, comme pour se rassurer, des étapes à franchir, des verrous, des chicanes, des obstacles, des retours à la case départ conçus pour freiner et peut-être empêcher l'adhésion de la Turquie.
L'ampleur des écarts à réduire, les efforts et les sacrifices que le nouveau pays candidat devra consentir en matière économique, sociale ou environnementale justifient que l'on donne au processus tous les moyens de réussir.
Je pense d'abord aux moyens budgétaires. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, revenir sur le plafond de 1 % qui handicapera demain la bonne marche d'une Europe à vingt-cinq ou à vingt-sept. L'aide à l'élargissement n'est pas une charge supplémentaire : elle est un investissement pour l'avenir.
Je pense ensuite aux moyens politiques et diplomatiques dans l'accompagnement du processus. On ne pourra pas toujours, chaque fois qu'une condition est remplie, en soulever une autre.
Je pense enfin aux moyens humains. Il serait excellent que, dans le cadre de l'Union, nous fassions mieux connaître la Turquie à notre jeunesse et à nos concitoyens.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Effectivement !
Mme Dominique Voynet. A cet égard, la valorisation de ce que représente la communauté des immigrés turcs et son désenclavement sur notre territoire doivent devenir un aspect particulier de la responsabilité française.
Tous ces détours nous ramènent, au fond, aux seules questions qui vaillent pour ce début de xxie siècle : quelle est la nature de l'Europe que nous voulons et quelle doit être sa place dans un monde multipolaire de paix et de stabilité ?
A nos concitoyens qui en doutent largement encore et auxquels reviendra le dernier mot, nous devons expliquer sans relâche qu'il est bon pour nous tous que les frontières de l'Union intègrent la Turquie. Et cela pas seulement à partir d'un regard sur le passé ou d'une analyse de la situation actuelle. Il faut essayer de voir ce que seront et l'Europe et la Turquie dans une quinzaine d'années.
La perspective de l'adhésion de la Turquie nous interpelle fortement eu égard au projet européen. La capacité de ce pays à se moderniser dans le cadre de l'Union constitue potentiellement une façon d'équilibrer les économies, de repenser territorialement le continent, de mieux réguler les phénomènes de délocalisation, de gérer intelligemment les flux de migrations et de marchandises. Le dynamisme démographique des Turcs n'est pas non plus une menace pour nous : c'est une ressource à long terme dans un continent qui vieillit.
L'invention par notre continent d'une façon pacifique et démocratique de brasser les populations représente ainsi le plus formidable défi d'une mondialisation solidaire réussie. Les peuples du monde entier sont attentifs à l'évolution de ce modèle en construction.
La capacité de l'Union à porter un projet de « vivre ensemble » dans lequel cohabitent sereinement des croyances ou des non-croyances différentes constitue certainement pour l'avenir un puissant démenti aux prophètes de la « guerre des civilisations ». Il faut donc cesser d'attiser les peurs, qui témoignent au fond de nos propres problèmes d'identité. Il est temps de susciter la confiance.
Géopolitiquement, par exemple, il ne faut pas laisser sans réponse cet argument que l'intégration de la Turquie à l'Union multiplierait les risques d'affrontement en rapprochant nos frontières d'un Moyen-Orient traversé par les conflits et par la guerre.
C'est l'inverse qui est vrai : on renforcerait cette menace en considérant la Turquie comme une sorte d'Etat tampon, une sorte de marche aux portes de l'Europe, qui deviendrait alors l'enjeu de tous les affrontements ; l'histoire nous le démontre.
On augmenterait les facteurs d'instabilité en laissant aux Etats-Unis le dangereux monopole d'une présence stratégique dans la région et en étendant de fait à la Turquie le possible champ d'action de la déstabilisation terroriste.
La seule politique de paix réaliste et efficace réside non pas dans une contraction volontaire des frontières de l'Europe, mais dans une implication plus grande de celle-ci s'agissant de la Turquie, dans un effort pour la paix, dans la relance d'une capacité de négociation, qui fait si cruellement défaut dans cette région à l'heure actuelle.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je fais partie de celles et de ceux qui auraient préféré, voilà quelques années, que l'on privilégie l'approfondissement à l'élargissement. Nos démocraties, et en leur sein certains de ceux qui curieusement, aujourd'hui, demandent une pause, ne l'ont pas entendu ainsi.
La réalité des faits nous impose donc de mener, à partir des mois à venir et pour les vingt prochaines années, la bataille sur les deux fronts. Elle nous incite à plus d'Europe, et non à moins, à plus de lucidité, à plus de créativité, à plus de générosité.
Nous sommes les garants, en France, d'un débat démocratique de qualité. Nous devons veiller à ce que l'évaluation des avancées et des obstacles s'effectue dans la transparence et non dans la propagande et la déformation des faits.
C'est à ce prix que nous pourrons nous hisser à la hauteur des défis et des enjeux et donner du sens et de l'élan à l'engagement de plusieurs générations d'Européens. (Applaudissements.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Baudot.
M. Jacques Baudot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai peut-être moins optimiste ou moins lyrique que mon collègue Jacques Blanc.
La Turquie comme l'Europe n'ont ni intérêt ni vocation à cette adhésion. Je m'en explique.
La Turquie n'est pas en Europe, ni historiquement, ni géographiquement, ni culturellement : 95 % de son territoire est situé en Asie ; elle possède des frontières avec huit pays, frontières qu'il faudra sécuriser.
Sa situation géographique et surtout géopolitique est l'une des plus complexes de la région. La Turquie est écartelée entre sa politique étrangère, sa fidélité aux Etats-Unis, sa volonté non unanime de rejoindre l'Union européenne - on dit que les Turcs sont unanimes à ce sujet, mais je n'en sais rien - ses zones de tensions avec le monde grec et kurde et sa coopération avec ses voisins arabes et caucasiens, autant de lignes de fracture qui divisent.
La Turquie compte plus de soixante-dix peuples, cinquante langues, autant de religions et de sectes. Tous ces groupes ethniques bénéficieront de la nationalité turque et deviendront des Européens.
Intégrer un nouveau pays dans le « club européen » implique d'accepter ses tensions internes et externes, ainsi que ses choix diplomatiques et géopolitiques.
La Turquie ne respecte pas les droits fondamentaux : refus de reconnaître le génocide arménien, occupation militaire de Chypre, pratique de la torture, traitements inhumains, surtout vis-à-vis des femmes.
A qui pourrait-on faire croire que l'officialisation du turc comme langue européenne officielle, ainsi que le prévoit le rapport Brock publié au début de l'année 2004, le vote des crédits de pré-adhésion - qui représentent un milliard d'euros sur plusieurs années et que le Sénat a votés -, ou l'ouverture des négociations puissent ne pas déboucher sur l'adhésion ? Il faut être lucide !
La Turquie dominera arithmétiquement dans toutes les instances communautaires. La question financière relative à cette adhésion est « un casse-tête budgétaire en perspective », comme le titrait le journal Les Echos voilà quelques jours. De l'aveu même de la Commission européenne, le calcul est purement hypothétique. Le Centre pour les études européennes chiffre la facture annuelle à 20 milliards d'euros à compter de 2020, soit 4 euros par mois pour chaque ressortissant de l'Union européenne, et ce pendant vingt-cinq ans.
Je ne parlerai pas des délocalisations, qui seront inévitables. Le salaire horaire est de 1,5 euro en Turquie, alors qu'il est de 25 euros en France. La protection des salariés est inexistante.
Madame le ministre monsieur le ministre, nous avons pris bonne note des promesses de M. le Président Jacques Chirac à Bruxelles : « C'est à la Turquie de s'adapter à l'Europe et non l'inverse. Le Parlement français sera consulté en permanence. »
Le Président de la République a prouvé, s'il en était besoin, qu'il était un homme d'Etat. Il faut savoir reconnaître son attitude courageuse à contre-courant.
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Jacques Baudot. Par ailleurs, cette question de la Turquie est du domaine réservé du Président de la République.
M. Michel Mercier. Non !
M. Jacques Baudot. Même si le président José Barroso a déclaré que c'était non pas à l'Europe de se plier à la Turquie mais à la Turquie de se plier à l'Europe, j'émettrai la plus grande réserve quant à la sincérité du Premier ministre turc, M. Erdogan, très vindicatif ces dernières semaines, à la limite du chantage.
M. Michel Mercier. C'est vrai !
M. Jacques Baudot. Je rappelle qu'il n'hésitait pas, voilà peu de temps - il était pourtant considéré comme un islamiste modéré - à citer l'un des pères du nationalisme turc : « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes, les croyants nos soldats ».
Ce n'est pas la Turquie qu'il faut rejeter. Même si l'on me dit qu'il ne faut pas pratiquer l'amalgame entre le débat sur la Turquie et la ratification de la Constitution européenne, je me demande si ce n'est pas la Constitution européenne qu'il faut changer. Osons poser la question dans l'autre sens ! Le drame est que l'Europe du traité constitutionnel est condamnée à l'adhésion ou à l'exclusion.
L'Europe ne rencontre que des inconvénients s'agissant de la Turquie : ou bien elle rejette la Turquie et elle se brouille avec elle, ou bien elle l'accueille mais elle se brouille avec elle-même.
Avec l'entrée de la Turquie et, à terme, avec celle d'autres pays, l'Europe va changer de visage. L'Union européenne risque de ne pas encaisser le choc. Qui peut imaginer que la population turque, surtout celle de l'Est - pas celle d'Istanbul, que tout le monde connaît - adhère avec sincérité au modèle que les politiques occidentaux auront imposé autoritairement ? Si ce moule rigide ne peut convenir au peuple turc, je suis convaincu qu'il ne peut en l'état convenir aux autres nations.
C'est dans cet esprit qu'en Européen convaincu, à titre personnel et fidèle à mes convictions, je défends le principe confédéral cher au général de Gaulle, qui permet à chacun, sans abandon de ses droits et privilèges, d'adhérer à l'union qui lui convient sans contrainte intolérable. Une Europe à géométrie variable permettrait, en effet, d'échapper au dilemme devant lequel nous nous trouvons aujourd'hui. Un traité unissant et régissant les relations entre vingt-cinq, vingt-six, vingt-sept, vingt-huit, vingt-neuf peuples serait juridiquement et intellectuellement plus juste qu'une Constitution.
La question turque est un faux problème : elle est l'arbre qui cache la forêt. Il n'y a une question turque que parce qu'il y a une constitution fédéraliste, même si ce dernier mot a été retiré du traité. C'est la politique du tout ou rien ! Le manque de souplesse et de tolérance exclut sans discernement les uns ou les autres ; nous n'avons d'autre alternative que d'accueillir la Turquie sous des conditions draconiennes, qui seront fatalement ressenties comme une ingérence dans les affaires intérieures du pays, ou de la rejeter, au risque de compromettre nos relations avec elle.
Ne cédons pas à la « turcophobie ». Bien sûr, la situation géographique de la Turquie, verrou entre l'Occident et l'Orient, fait d'elle un partenaire à part entière avec lequel il faut favoriser les échanges culturels et économiques.
D'ailleurs, depuis quelques années, un travail de lobbying s'est développé sous l'impulsion de la mission économique française à Istanbul, concrétisée par plus de 250 entreprises françaises implantées sur le territoire turc depuis une quinzaine d'années. Je vous engage à ce propos à consulter le remarquable rapport de nos collègues Robert Del Picchia et Hubert Haenel.
Aussi, vouloir faire de la Turquie un Etat occidental est un projet utopique, réducteur, et contraire à ses intérêts comme à ceux des membres de la Communauté européenne eux-mêmes.
En outre, les avantages économiques d'une telle adhésion seraient à sens unique. Non seulement la Turquie jouit d'un traité d'association avec la CEE, mais elle fait aussi partie intégrante de l'union douanière depuis 1995 ; ses produits agricoles bénéficient d'un régime préférentiel. La libre circulation de ses travailleurs accroîtrait les problèmes que pose déjà la présence de plus de 2,5 millions de Turcs en Europe occidentale. La modernisation de ses entreprises n'est plus à démontrer et le développement de son économie est bien engagé.
Alors, qu'attendre de plus d'une adhésion pleine et entière, sinon l'émargement coûteux aux budgets communautaires, alors que nous ne parvenons même pas à servir les nouveaux pays membres à hauteur de leurs demandes ?
Si la Turquie a enregistré, depuis plusieurs années, des progrès en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme, cela ne suffit pas à la qualifier. Bien d'autres pays à travers le monde ont accompli des progrès similaires ; ils n'ont pas pour autant vocation à rejoindre l'Union européenne.
Nous ne pourrons jamais former une grande nation européenne. Nous demeurerons - et c'est une chance - un ensemble de nations unies autour d'un même projet. Notre force est dans notre diversité et dans la pluralité de nos cultures. Si l'on admet ce principe, chacun peut y trouver, à un titre ou à un autre, sa place dans le respect de tous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'évoquer le sujet de notre débat, je souhaiterais dire quelques mots un peu plus personnels.
Tout à l'heure, presque en temps réel, le Premier ministre nous a fait partager sa joie à l'annonce de la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. C'est peu de dire que cette joie est aussi la mienne.
Tout au long de ces 124 jours, heure après heure, minute après minute, j'ai agi en pensant à eux et au moment de leur liberté retrouvée, sans oublier Mohamed Al Jundi, qui a été détenu avec eux durant plusieurs jours. Mesdames, messieurs les sénateurs, au poste qui est le mien, je n'ai fait que mon travail, en confiance avec le Président de la République et avec le Premier ministre, qui ont personnellement accompagné et soutenu nos démarches ; je peux en porter témoignage.
Je tiens à rendre hommage à la patience, au courage et à la dignité des familles de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot.
Je veux également remercier toutes celles et tous ceux qui, durant ces 124 journées, se sont mobilisés, qu'il s'agisse des associations, des journalistes, des innombrables citoyens, ou encore des autorités des pays de cette partie du Moyen-Orient, qui nous ont apporté leur soutien et leur coopération tout au long de cette crise.
J'ai également été frappé par l'unanimité, la solidarité, le sens civique des dirigeants de tous les partis politiques français, que le Premier ministre a tenus informés par des réunions régulières. Cette solidarité et cette unanimité - nous n'en avons pas douté, même si les choses ont été difficiles - de tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat ont été très précieuses.
Enfin, j'ai eu le privilège de travailler pour cette libération à Bagdad et à Paris, avec des agents de l'Etat de plusieurs ministères, en particulier ceux de la défense et des affaires étrangères, qui ont fait honneur au service de l'Etat, c'est-à-dire de l'intérêt général, donc de la France. Je tiens, devant vous, à leur témoigner personnellement ma gratitude. (Applaudissements.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aborderai maintenant, avec un peu moins d'émotion, le sujet important qui nous réunit aujourd'hui et sur lequel nous aurons encore de nombreux débats.
Jeudi et vendredi derniers, j'étais aux côtés du Président de la République au Conseil européen de Bruxelles. Ce dernier a reconnu le caractère extrêmement difficile et sensible du débat européen sur la question turque. Cette question est probablement l'une des plus importantes pour l'avenir du projet européen engagé voilà maintenant plus de cinquante ans dans le salon de l'horloge : le 9 mai 1950, Robert Schuman et Jean Monnet ont imaginé, au lendemain de la guerre, pour que cela ne recommence pas, ce formidable projet de civilisation, ce projet politique qui s'appuyait sur le charbon et l'acier, en appelant à la constitution de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA.
Le Conseil européen a d'abord souhaité tenir l'engagement pris à l'égard de la Turquie depuis deux ans, mais en fait pratiquement depuis 1963, d'ouvrir des négociations si la Turquie se conformait aux critères politiques de Copenhague, ce qui était, selon les termes de la Commission européenne, « suffisamment » le cas ; tous les mots ont leur importance.
Toutefois, il a assorti cet engagement d'un ensemble de conditions, de précautions, de jalons sur le chemin que la Turquie doit encore parcourir. Ainsi, ce pays pourra, s'il remplit tous les critères et s'il respecte l'ensemble des conditions, partager, dans dix ou quinze ans - peut-être un peu plus, peut-être un peu moins - le projet européen.
Qu'a dit le Conseil européen dans ses conclusions ?
Tout d'abord, les négociations d'adhésion avec la Turquie seront effectivement ouvertes le 3 octobre prochain, avec deux préalables : d'une part, la mise en oeuvre de certaines législations permettant de progresser vers la concrétisation de l'Etat de droit, par exemple l'application du code pénal, qui ne prévoit plus la pénalisation de l'adultère ; d'autre part, un geste fort à l'égard de Chypre, avec la signature obligatoire de l'accord d'Ankara étendant l'union douanière entre l'Union européenne et la Turquie aux dix nouveaux Etats membres, dont Chypre. C'est déjà une première étape vers la reconnaissance de Chypre.
Ensuite, ces négociations ont pour objectif l'adhésion. Vous avez eu raison, monsieur Haenel, de souligner cette ligne d'horizon des négociations.
Nous devons être sincères : nous n'avons pas le droit d'être ambigus ou de mentir. Nous ouvrons ces négociations - Jacques Chirac l'a dit avec force - pour réussir, en faisant confiance tout en étant vigilants, avec l'objectif d'aboutir à l'adhésion. Cette adhésion - je ne suis pas encore sûr qu'elle aura lieu, même si je la souhaite - serait le signe d'un formidable progrès de la Turquie s'agissant de son organisation politique, civique, économique et sociale pour se rapprocher du modèle européen.
Le Conseil européen dit qu'il s'agit d'un processus ouvert - là encore, chaque mot compte - dont l'issue ne peut être garantie à l'avance. C'est ce que j'appelle le devoir de réalisme. Vous avez tort, monsieur Retailleau, de ne pas croire ce qui est écrit. Ce processus est et restera ouvert jusqu'au bout.
Il faut envisager le cas où les négociations échoueraient. Dès lors, la Turquie resterait ancrée à l'Europe par « le lien le plus fort possible » ; cela figure dans les conclusions du Conseil. J'ai d'ailleurs noté la satisfaction de M. Bel sur ce point.
Les négociations pourraient échouer si la Turquie n'était pas en mesure d'assumer l'intégralité des obligations liées à l'adhésion.
Elles pourraient échouer si l'ensemble des critères de Copenhague ne pouvait pas être respecté. Cela recouvre la capacité de l'Union à assimiler l'élargissement tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne. Ce critère très important, qu'a rappelé Serge Vinçon, est cité au paragraphe cinq des conclusions du Conseil européen.
En d'autres termes, sont visées, dans le même temps, la capacité de la Turquie à respecter les critères fixés par Copenhague, à prendre tous les engagements nécessaires, et notre propre capacité à assumer cet élargissement.
Selon le Conseil européen, les négociations seront très fortement encadrées ; elles seront longues - l'adhésion n'est pas prévue avant 2014 au plus tôt - et sans doute difficiles. Elles seront soumises, à toutes les étapes, au principe d'unanimité, c'est-à-dire au droit de veto de chacun des vingt-cinq pays membres de l'Union, voire des vingt-sept ou vingt-huit pays membres, car, entre temps, la Roumanie, la Bulgarie, puis la Croatie auront rejoint l'Union européenne.
La France conservera sa capacité d'action, de suspension, tout au long des négociations.
Mme Voynet a évoqué le général de Gaulle ; cette référence m'a beaucoup touché venant de sa part. Souvenons-nous que, à deux reprises - en 1963 et en 1967 - le général de Gaulle a suspendu les négociations d'adhésion avec le Royaume-Uni.
La France comme les autres pays conservent leur capacité de suspendre les négociations sur des points auxquels ils tiennent, dans la mesure où le droit de veto peut être opposé à tout moment.
M. Bret a également relevé, à juste titre, que, pour la première fois, des négociations d'adhésion imposent des clauses plus dures que lors des précédents élargissements. Je pense que ces clauses plus rigoureuses sont justifiées par la dimension spécifique de la Turquie. Il s'agit de clauses de sauvegarde. De longues périodes de transition seront proposées. Dans certains domaines, telle la libre circulation des personnes, les clauses de sauvegarde pourraient être éventuellement permanentes.
La négociation des chapitres se fera l'un après l'autre pour s'assurer que chacun d'entre eux est bien intégré avant de démarrer la négociation d'un nouveau chapitre.
Enfin, nous escomptons que, au cours des négociations, la Turquie répondra à certaines questions qui lui seront posées et, notamment, qu'elle fera ce travail de mémoire et de réconciliation qui est l'essence même du projet européen. Cela concerne Chypre tout comme la reconnaissance du génocide arménien. La France posera la question et elle attendra, pour conclure les négociations, une réponse de la Turquie.
Les Allemands et les Français ont prouvé qu'il était possible d'effectuer ce travail de réconciliation. (M. le président de la délégation pour l'Union européenne approuve.) Il s'agit de se réconcilier non pas uniquement avec ses voisins, mais également avec soi-même, avec sa propre histoire. De telles réconciliations sont nombreuses, y compris en France. Ce travail de mémoire auquel est invité ce grand pays - je pense qu'avec le temps il le fera - constituera un élément très important du jugement que porteront les Français sur l'éventuel traité d'adhésion.
S'agissant de l'Arménie, je voudrais l'évoquer du point de vue non seulement de l'histoire, tragique, de 1915, mais également de la géographie. Comme la Grèce et comme Chypre, l'Arménie jouxte la Turquie. Et les conclusions du Conseil européen font également obligation à la Turquie de résoudre ses problèmes de voisinage.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur ces points et sur bien d'autres, c'est le processus de négociation qui provoquera les progrès. Pourrions-nous obtenir de telles réponses - je suis sûr que nous les obtiendrons avec le temps - s'il n'y avait pas de négociation ?
Toute l'histoire du projet européen est émaillée de ces avancées sur lesquelles les peuples s'engagent parce qu'ils ont la perspective d'adhérer à l'Union européenne.
Je me souviens qu'en tant que ministre délégué aux affaires européennes j'ai eu des discussions avec les chefs de deux Etats qui voulaient rejoindre l'Union européenne : celui de la Hongrie et celui de la Roumanie. Chacun sait qu'il existe entre ces peuples des problèmes, liés notamment à leurs minorités. En l'absence de perspective européenne, des guerres ont éclaté dans les Balkans, provoquées par ce réflexe nationaliste, dont François Mitterrand disait qu'il était la guerre elle-même. Ces deux chefs d'Etat m'ont dit - et cela m'a durablement marqué - qu'ils avaient signé un traité sur leurs minorités parce qu'ils avaient la perspective d'adhérer à l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Michel Barnier, ministre. Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, bientôt pour la Turquie, avec le temps nécessaire, et d'ores et déjà pour beaucoup de pays d'Europe centrale, orientale et balkanique, en quoi le projet européen continue de tenir la promesse qu'ont faite Monnet, Schumann, de Gasperi, Adenauer et bien d'autres en 1950 et 1957.
Ce projet de civilisation est pour moi - permettez-moi de le dire avec un peu de véhémence, tout en restant passionnément patriote et fier d'être Français - le plus beau projet politique à l'échelle d'un continent, si l'objet de la politique est bien d'apporter progrès, paix et stabilité entre les peuples plutôt que d'entretenir des conflits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
A ce cadre s'ajoute une exigence de démocratie.
Madame Voynet, vous avez dit que le Parlement devait continuer à être tenu régulièrement informé de l'avancement des discussions avec la Turquie. Je le dis avec humilité, surtout dans cet hémicycle : il faut rester fidèle aux institutions de la ve République.
Chacun doit être dans son rôle : depuis le début de la ve République, c'est le chef de l'Etat qui négocie les traités, en informe le Parlement, l'associe aux négociations, puis l'informe de nouveau lorsque le traité est signé ; ce fut le cas pour Maastricht, pour Amsterdam ou pour Nice Je puis dire sans me tromper que l'information a été beaucoup moins fréquente pour les traités de Maastricht et d'Amsterdam que pour le traité de Nice ou le traité constitutionnel.
Le Premier ministre, la ministre déléguée aux affaires européennes et moi-même nous prenons l'engagement d'être disponibles, d'informer le Parlement sur chacun des chapitres et de répondre à telle ou telle question qui sera posée tout au long de cette négociation. Ce débat, qui participe de notre volonté de transparence, se poursuivra aussi longtemps que durera la négociation.
Si la négociation aboutit, la ratification du traité d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne interviendra d'ici dix à quinze ans et elle sera soumise au peuple français par la voie du référendum. Il s'agit d'une garantie supplémentaire non seulement que les Français auront leur mot à dire, mais qu'ils auront le dernier mot dans ce processus de négociation.
C'est la raison pour laquelle notre Constitution sera prochainement révisée et contiendra, si vous en êtes d'accord, une disposition permettant aux Français de se prononcer sur d'éventuelles futures demandes d'adhésion à l'Union européenne.
En répondant à la question sur l'adhésion de la Turquie, les Français répondront à une autre question : celle des limites définitives du projet européen, notamment au sud-est de l'Europe.
Voilà quelques jours, je disais, au risque de mériter le prix de l'humour politique, que si l'on regarde une carte - les cartes en disent souvent plus que les discours -, on voit que la Turquie se situe à notre frontière. Et elle y restera, que l'on accepte ou que l'on rejette son adhésion à l'Union européenne.
Voulons-nous qu'elle soit une frontière définitive interne ou prendrons-nous le risque qu'elle constitue une frontière définitive externe ?
J'ai beaucoup réfléchi à cette question et, à l'instar du Président de la République, je pense en conscience que, le moment venu, lorsque toutes les garanties et toutes les précautions auront été prises, il sera préférable que la Turquie, ce grand pays charnière situé entre deux continents, soit une frontière interne à l'Union, une frontière définitive située au sud-est de l'Europe.
Il vaudra mieux qu'elle soit conduite, par son engagement propre et notre propre volonté, à suivre le modèle européen sur le plan de la démocratie, des droits de l'homme, des droits des femmes et de l'économie, plutôt que de rester dans une situation d'isolement et d'instabilité, avec le risque toujours réel de devoir choisir un autre modèle.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, comme plusieurs d'entre vous l'ont dit, notamment Jacques Blanc, et comme le Président de la République l'a rappelé aux Français avant le Conseil européen, je pense que la Turquie sera un atout majeur dans le projet européen pour le développement de la politique extérieure et de la défense commune de l'Union, notamment en ce qui concerne le conflit central du Proche-Orient, évoqué tout à l'heure par Bernard Seillier.
Nous avons besoin de cette politique étrangère commune - et non pas unique - et de cette politique de défense commune, et la Turquie a toutes les qualités pour y prendre sa place.
Elle sera un atout économique, grâce à son potentiel de croissance et à son dynamisme démographique. N'ayons pas peur de ce dynamisme-là ! Puisqu'il s'agit, monsieur Haenel, de relever la ligne d'horizon, j'invite chacune et chacun d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à lire les chiffres de la démographie européenne dans une trentaine d'années : vous constaterez la faiblesse de notre continent de ce point de vue.
Le dernier atout, non négligeable, que représente l'adhésion de la Turquie, rappelé avec force par le Président de la République, concerne notre place à nous, Européens, dans le dialogue que nous souhaitons engager avec les autres civilisations et les autres religions.
Sincérité à l'égard de la Turquie, réalisme quant aux difficultés de cette négociation, transparence à l'égard du Parlement, respect de la démocratie et du droit des Français : tel est l'état d'esprit dans lequel nous engageons cette longue négociation.
Nous garderons en mémoire la vision exprimée en 1963 par deux hommes d'Etat, dont la poignée de mains est à l'origine de mon propre engagement : le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Tous deux avaient exprimé l'idée qu'il fallait engager un dialogue avec la Turquie. Le général de Gaulle avait même reconnu une vocation européenne à ce pays.
C'est en étant fidèle à cette vision et en l'ayant présent à l'esprit que le Président de la République a travaillé aux conclusions de ce Conseil européen, dont j'ai essayé de vous exposer le contenu, les limites et les garanties apportées, à la veille de l'ouverture, dans quelques mois, de cette longue et importante négociation avec la Turquie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 135 et distribuée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2004, est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
7
Création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité
Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (nos 105 rectifié et 121).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale a été adopté par le Sénat jeudi dernier et définitivement par l'Assemblée nationale hier.
Quant au projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, qui vient en deuxième lecture devant votre assemblée, il a été présenté de façon distincte pour des raisons de calendrier. Cependant, ce projet fait indissociablement partie du plan de cohésion sociale.
Lors de l'annonce de ce plan, Jean-Louis Borloo rappelait que « toutes les formes de discriminations sont une violence faite à l'individu auquel, à un titre ou un autre, quelqu'un dénie sa place dans la communauté et constitue par là même un facteur de rupture de la cohésion sociale ».
C'est pourquoi notre projet global pour la cohésion sociale retrouve aujourd'hui toute sa cohérence en examinant ce texte à la suite de l'autre.
Ce texte, le Gouvernement ne l'a pas caché, était perfectible.
Notre projet de loi a été considérablement amélioré par le Sénat, en première lecture, par de nombreux amendements, et enrichi par quatre amendements du Gouvernement relatifs au renforcement de la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.
Je veux remercier votre commission des lois, et tout particulièrement son président et son rapporteur, du travail accompli.
Je rappelle brièvement que la désignation des membres du collège vise à assurer désormais une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.
A côté du collège est créé un comité consultatif permettant d'associer aux travaux de la Haute autorité des personnalités qualifiées, notamment issues du secteur associatif.
Des règles de déport sont établies dans l'article 2 bis nouveau.
Les victimes de discrimination peuvent également saisir la Haute autorité par l'intermédiaire d'un parlementaire ou d'une association.
La règle du contradictoire est mieux établie.
Enfin, la Haute autorité pourra contribuer désormais, sur le plan international, à la définition de la position française dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Le présent projet de loi correspond toujours au schéma établi par le rapport présenté, en février 2004, au Premier ministre par M. Bernard Stasi. Ce rapport portait sur la création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, mais en ayant approfondi les garanties offertes à nos concitoyens, tout en consolidant les pouvoirs de la Haute autorité.
L'examen en deuxième lecture du texte à l'Assemblée nationale a pu paraître revenir sur quelques dispositions que vous aviez adoptées.
Je répondrai, bien entendu, très précisément à vos interrogations à l'occasion de l'examen des amendements. Cependant, je répondrai par avance à deux d'entre elles.
Tout d'abord, l'Assemblée nationale a supprimé l'article 3 bis nouveau, qui prévoyait des délégués territoriaux sur l'ensemble du territoire. Je puis vous indiquer que ces délégués sont inscrits dans le décret d'application de la loi en cours de finalisation.
En outre, le budget pour 2005 de la Haute autorité prévoit le fonctionnement de cinq premières délégations territoriales, dont une en outre-mer pour un montant de 0,9 million d'euros.
Dans son rapport de 2001 sur les autorités administratives indépendantes, le Conseil d'Etat soulignait que, pour exister, les autorités indépendantes devaient pouvoir compter sur les moyens, notamment humains, dont elles ont besoin. Telle est bien l'intention du Gouvernement à l'égard de la Haute autorité.
S'agissant, à l'article 16, du régime financier de la Haute autorité, je m'étais engagée auprès de votre commission des finances à établir un contrôle financier préalable. En effet, lors de l'examen du projet de loi en assemblée générale du Conseil d'Etat, celle-ci a considéré qu'un tel contrôle ne remettait pas en cause l'indépendance de la Haute autorité. Aussi, deux amendements déposés en ce sens à l'Assemblée nationale ont été acceptés par le Gouvernement.
Ayant pris connaissance de vos derniers amendements, je ne crains pas de dire que nous sommes arrivés à un texte équilibré, qui est le fruit d'un très bon travail parlementaire
C'est pourquoi je souhaite que, comme à l'Assemblée nationale, le projet de loi portant création de la Haute autorité soit adopté à une très large majorité.
Je pense, comme beaucoup de nos concitoyens victimes d'inégalités, de traitement injustifiables, qu'il n'est que temps de doter notre pays d'une autorité chargée d'établir la preuve des discriminations et d'assister les victimes.
Le premier rapport préconisant la création de cette Haute autorité date de 1999.
Le Président de la République a pris un engagement en ce sens devant les Français en 2002.
Il nous faut, dès le début de l'année 2005, mettre en place cette Haute autorité, qui contribuera, très concrètement, à faire tomber les barrières et les préjugés, encore trop nombreux dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le Sénat est amené à examiner en deuxième lecture le projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.
Le projet de loi initial a été considérablement élargi et enrichi avec l'adoption par le Sénat en première lecture de quatre amendements du Gouvernement reprenant, avec d'importantes modifications tenant compte des critiques soulevées, l'essentiel des dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe déposé à l'Assemblée nationale en juin dernier.
Le texte a d'ailleurs gagné en consensus, puisqu'au delà de la passion qui a parfois animé les débats à l'Assemblée, le projet de loi a finalement recueilli les votes favorables de l'UMP, de l'UDF et du PS, seul le groupe communiste s'abstenant.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le Sénat avait adopté en première lecture trente-cinq des quatre-vingt-huit amendements déposés, dont dix-sept sur proposition de votre commission des lois, tandis que l'Assemblée nationale a voté quinze amendements en deuxième lecture, dont huit concernent le renforcement de la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a adopté treize articles conformes et voté sans modification la plupart des amendements du Sénat, qu'il s'agisse de l'objectif de représentation équilibrée entre les hommes et les femmes pour la désignation des membres de la Haute autorité, du régime de déport de ceux-ci en cas de conflit d'intérêts, de l'ouverture de la saisine aux associations et aux parlementaires ou d'un certain nombre de garanties de procédure visant, par exemple, à assurer le respect du principe du contradictoire ou à exclure les avocats du champ d'application de la levée des sanctions pénales liées à la révélation d'informations concernées par le secret professionnel.
Il en va de même d'un certain nombre d'amendements relatifs aux modalités du concours des autorités publiques aux investigations de la Haute autorité, aux conditions d'information du Procureur de la République en cas de médiation, à l'affirmation du rôle consultatif de la Haute autorité et à la suppression de la gratuité du service d'accueil téléphonique.
Les désaccords entre les deux assemblées ne sont plus qu'au nombre de quatre, les deux premiers relevant davantage de la forme que du fond, et pouvant donc être aisément apaisés, les deux autres m'apparaissant un peu plus profonds.
Les députés ont ainsi supprimé, à l'article 2, l'objectif de respect du pluralisme dans la désignation des membres de la Haute autorité par les autorités politiques, sans même adopter un amendement de repli du rapporteur-président de la commission des lois, M. Clément, qui proposait de limiter cette exigence à l'éventuelle désignation de parlementaires. Certains députés se sont même interrogés sur le point de savoir de quel pluralisme il était question, alors que c'était bien évidemment sur le terrain des idées politiques que nous nous étions placés.
Cependant, l'ensemble des débats fait clairement apparaître, et c'est bien là l'essentiel, l'absolue nécessité de respecter ce pluralisme, au risque de saper l'autorité morale de la Haute autorité, donc son efficacité.
De la même manière, les députés, estimant, à juste titre, que l'organisation territoriale de la Haute autorité relevait du domaine réglementaire, ont supprimé l'article 3bis prévoyant la création de délégués territoriaux.
Même si les délégués du Médiateur bénéficient d'une consécration législative, l'important n'est-t-il pas, ici encore, que nous soyons assurés de la création de ces délégués territoriaux, qui conditionne largement la proximité et l'accessibilité de la Haute autorité ? J'avoue que les propos que vient de tenir sur ce point par Mme le ministre ont levé mes derniers états d'âme.
Les deux assemblées ont, en revanche, une appréhension différente sur deux points : le premier est relatif à la possibilité, pour le président de la Haute autorité, de faire appel au juge des référés en cas d'opposition du responsable des lieux à des vérifications sur place ; le second concerne une transposition, a minima pour l'Assemblée nationale, ou plus compréhensive pour le Sénat, de la directive du 29 juin 2000. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.
Je souhaiterais enfin, mes chers collègues, profiter de ma position de rapporteur de la commission des lois pour vous dire mon grand étonnement devant les propos qui sont tenus et les lettres que, comme vous je présume, je reçois par dizaines, voire par centaines, concernant les dispositions de ce projet de loi relatives à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe. On constate un tel décalage entre la violence des critiques souvent exprimées et la réalité des réformes que nous mettons en place...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ... que je ne peux m'empêcher de penser que bien des détracteurs de ce texte n'en ont jamais lu les articles 17 bis, 17 ter et 17 quater ou, à tout le moins, en sont restés à sa rédaction initiale, à laquelle personnellement je n'étais pas favorable, mais qui a été largement modifiée et qui tient compte, désormais, des avis exprimés tant par l'Eglise catholique de France que par la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou par le Conseil d'Etat.
Je crois donc utile, sans vouloir abuser de votre patience, de faire le point sur les réformes mises en oeuvre au travers des trois articles en question.
L'article 17 bis tend à compléter la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, afin de permettre la répression des provocations à la discrimination, à la haine et à la violence à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap d'une personne ou d'un groupe de personnes.
Jusqu'à présent, ces provocations ne constituaient une infraction que lorsqu'elles étaient inspirées par des considérations ethniques, racistes ou religieuses. En revanche, les propos discriminatoires ou haineux à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle ne pouvaient être punis, en dépit du fait qu'ils encourageaient les persécuteurs à passer à l'acte.
Quant au champ d'application des nouvelles dispositions, il sera, par la référence aux articles 225-2 et 432-7 du code pénal, strictement limité à l'embauche, au logement ou aux prestations de services.
L'article 17 ter vise, d'une part, à réprimer plus sévèrement les diffamations et les injures envers une personne à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap, et, d'autre part, à réprimer d'une manière identique des faits comparables commis à l'égard d'un groupe de personnes.
Cet article a pour objet non pas d'instituer un nouveau délit, mais seulement d'aggraver les peines déjà prévues par la loi, en les alignant sur les quanta de la diffamation et de l'injure à caractère raciste ou antisémite.
Enfin, l'article 17 quater tend à permettre au ministère public de poursuivre d'office lorsque la diffamation présente un caractère sexiste ou homophobe.
Il vise également à permettre aux associations de lutte contre l'homophobie, le sexisme ou les discriminations fondées sur le handicap régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans de se porter partie civile. L'accord de la victime est exigé dans tous les cas lorsque l'infraction a été commise à l'encontre de particuliers.
A mon sens, ce texte ne menace en aucune manière la liberté d'expression, et son application permettra tout débat sur des valeurs, des comportements ou des modes de vie, toute appréciation critique portant sur des choix de société.
A cet instant, que l'on me permette de citer les propos, que j'approuve entièrement, de deux orateurs de l'Assemblée nationale, appartenant l'un à l'opposition, l'autre à la majorité.
M. Patrick Bloche a déclaré pour sa part qu' « il ne s'agit pas d'imposer une sorte de "politiquement correct" ou pire un "ordre moral à l'envers". Nul esprit de censure, nulle interdiction de la libre critique dans la démarche qui nous est proposée. La promotion de l'égalité ne saurait se faire au détriment de la liberté. »
M. Guy Geoffroy a tenu, quant à lui, les propos suivants : « On peut comme moi ne pas vouloir de manière claire, lucide, déterminée, envisager le mariage entre deux personnes du même sexe, on peut de même, comme moi, refuser qu'un couple homosexuel puisse adopter un enfant, sans pour autant accepter ne serait-ce qu'une fraction de seconde d'être catalogué comme homophobe. »
En ce qui concerne l'objection relative à une violation du principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi, elle ne me semble pas résister à l'épreuve des réalités. Que constatons-nous aujourd'hui, si ce n'est une montée du racisme et de l'antisémitisme, d'une part, et de l'homophobie, d'autre part ? Rappelons simplement que le respect du principe d'égalité s'est toujours apprécié de manière concrète, et non dans l'absolu.
En outre, vous n'ignorez pas, mes chers collègues, que le phénomène du suicide chez les jeunes prend dans notre pays des proportions considérables, et que, même si nous ne disposons pas en la matière d'études incontestables, qui seraient pourtant bien utiles, la part des jeunes homosexuels dans la triste statistique des suicides est évaluée à près de 50 %. C'est là, je le crois, une raison supplémentaire de ne plus différer l'adoption de cette législation.
Quant à la répression des propos discriminatoires tenus à l'égard des personnes handicapées, une telle mesure pourrait peut-être trouver à s'appliquer au bénéfice des personnes atteintes du sida, alors même que le Premier ministre vient de déclarer la lutte contre cette maladie « grande cause nationale pour l'année 2005 ».
En tout état de cause, je suis convaincu, mes chers collègues, que la mise en oeuvre de ces dispositions contribuera à développer la tolérance, le respect de l'autre et la cohésion sociale, et c'est pourquoi je vous demande d'adopter le texte qui vous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;
Groupe socialiste, 14 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 6 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la première lecture, notre assemblée avait enrichi le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale en y apportant trois modifications essentielles, portant respectivement sur la composition de la HALDE, la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, sur le fonctionnement de celle-ci, que le Sénat souhaitait décentralisé, et enfin sur l'extension de l'aménagement de la charge de la preuve. A l'occasion de sa deuxième lecture du projet de loi, l'Assemblée nationale a supprimé ces avancées.
En ce qui concerne la première de ces modifications, je dois bien avouer que ma satisfaction a été réelle, lors de la précédente lecture, quand la commission des lois du Sénat a présenté un amendement visant à assurer le pluralisme au sein de la haute autorité, au nom même des objectifs et des missions inhérents à cette dernière.
La suppression de cette disposition à l'Assemblée nationale a été fondée sur une argumentation contestable. Notre collègue député Pascal Clément, rapporteur du texte, a déclaré, sans rire, qu' « après avoir trouvé spontanément l'idée bonne, il s'est demandé comment on pourrait exiger de connaître les idées politiques des impétrants. Cela apparaît aussi choquant qu'impraticable. Ce serait de nature à faire de la discrimination. » Il a ajouté qu'il ne voyait pas comment le président de la Cour de Cassation pourrait demander à un magistrat de faire état de ses opinions politiques.
Dans la mesure où le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de Cassation et le président du Conseil économique et social ne nommeront chacun qu'un seul membre de la haute autorité, le respect du pluralisme ne pourra guider leurs choix.
En revanche, le Président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et le Premier ministre désigneront chacun deux membres. L'argument selon lequel ces personnalités éminentes n'auront pu demander aux membres qu'elles voudront nommer quelles sont leurs sympathies politiques ou syndicales prête à sourire. En effet, on ne voit pas comment des responsables politiques majeurs, de surcroît détenteurs du pouvoir de nomination, pourraient ignorer les affinités politiques des personnes pressenties par eux. Dans un pays comme le nôtre, où la politique occupe une place prépondérante, cette argumentation est faible, c'est le moins que l'on puisse dire !
Quoi qu'il en soit, nous regrettons le recul opéré à l'Assemblée nationale, et nous présenterons un amendement tendant à réintroduire la notion de pluralisme, à laquelle nous sommes attachés, le pluralisme étant garant de l'indépendance de la future haute autorité.
En ce qui concerne la deuxième modification, le Sénat avait donc adopté un amendement visant à prévoir que le fonctionnement de la haute autorité serait décentralisé et que celle-ci serait, à cet effet, dotée de délégués territoriaux.
Une telle disposition correspond à l'esprit sous-jacent à la création de la haute autorité, mais surtout elle constitue un gage de sa réussite et de sa crédibilité.
Pour illustrer ce point, fondons-nous sur quelques exemples tirés d'une actualité qui, malheureusement, s'impose à moi.
Tout d'abord, le tiers des actes de violence raciste commis en France contre des Maghrébins entre janvier et juin de cette année l'ont été en Corse. Nous sommes légitimement en droit de nous interroger sur le nombre d'actes sanctionnés. La présence en Corse d'un délégué territorial de la haute autorité rendrait probablement plus rapide et plus efficace l'action de la justice.
Ensuite, dans la région parisienne, une discothèque sur trois pratique la discrimination raciale.
Je n'allongerai pas cette sinistre liste, nos quotidiens s'en chargent !
Il nous semble donc indispensable que nos concitoyens victimes d'actes de discrimination puissent trouver non loin de chez eux un lieu d'écoute et de prise en charge. En effet, la discrimination frappe en général une personne faible, vulnérable, démunie, que le comportement dont elle est victime affaiblit encore plus. Par conséquent, la territorialisation de la HALDE ne serait vraiment pas un luxe. La République doit réduire la dissymétrie des forces, non pas l'accentuer.
Certes, le Gouvernement nous assure que la HALDE aura des délégués territoriaux, la mise en oeuvre de cette disposition relevant du pouvoir réglementaire. Pourtant, la création des délégués territoriaux du Médiateur de la République a reçu l'onction législative. Dès lors, pourquoi refuser, s'agissant de la HALDE, de prendre une disposition législative déjà en vigueur pour une autre autorité administrative ? Sous prétexte de ne pas élaborer une « loi bavarde », faut-il que la représentation nationale se fasse l'artisan d'une « loi muette » ?
En ce qui concerne la troisième modification que j'évoquais en préambule, j'en viens au titre II du projet de loi, dont les dispositions visent à transposer la directive du 29 juin 2000 relative à l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.
Le Sénat avait étendu, à l'occasion de la première lecture, l'application du droit à un traitement égal aux critères de discrimination énumérés dans la loi de novembre 2001. Cette extension a été supprimée par l'Assemblée nationale, qui s'en est tenue à une transposition a minima. Le groupe socialiste du Sénat souhaite le rétablissement de la rédaction de l'article 17 issue de nos travaux de première lecture. L'extension de l'aménagement de la charge de la preuve supprimerait une hiérarchisation insupportable dans la famille maudite des discriminations : aucune discrimination ne doit être considérée comme plus supportable qu'une autre au regard de notre droit.
C'est la raison pour laquelle nous aurions préféré que les dispositions du titre II bis, relatives au renforcement de la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, fassent l'objet d'un texte distinct, comme cela était d'ailleurs prévu initialement.
Le Gouvernement a néanmoins opéré une clarification salutaire concernant la définition de la notion de provocation à la discrimination. A cet égard, comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, la liberté d'expression sur des sujets de société tels que le mariage entre personnes du même sexe ou l'adoption d'enfants par des couples homosexuels ne sera pas mise en question.
Pour autant, les propos outranciers d'un député qui a qualifié, à la tribune, l'homosexualité de « menace pour la survie de l'humanité » peuvent être considérés comme une injure publique visant un groupe de personnes non identifiées, qui constituera bientôt un délit passible de sanctions. Les propos de ce député sont-ils un simple « excès de vocabulaire », ou relèvent-ils de l'injure ou de la diffamation ?
Pour ma part, j'ai confiance dans la pratique et le travail du juge, garant de nos libertés publiques, pour l'appréciation de la portée d'un pareil propos, et je rappellerai que les mêmes débordements, les mêmes menaces se faisaient jour voilà vingt ans, lors de la discussion de la loi Veil sur le droit à l'avortement, vécu et dénoncé par certains comme un « crime contre l'humanité ».
Je me réjouis donc que la commission des lois du Sénat propose de réintroduire l'extension de l'aménagement de la charge de la preuve à toutes les discriminations prévues aux articles 225-2 et 432-7 du code pénal et de ne pas apporter de modification aux articles 17 bis et 17 ter du projet de loi.
Je ne m'étendrai pas davantage sur les questions relatives à la provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap, mes collègues députés socialistes les ayant largement traitées. La fin de mon intervention sera centrée sur les discriminations à l'embauche.
Lors de la première lecture, le groupe socialiste du Sénat avait déposé un amendement, que j'avais défendu, portant sur le curriculum vitae anonyme. Par cet amendement, pourtant timide, tendant à prévoir que, au nombre des missions de défense de l'égalité assignées à la HALDE, figurerait la promotion du CV anonyme, nous souhaitions apporter notre contribution au débat. L'usage du CV anonyme aurait pu permettre de révéler l'existence d'un certain nombre de préjugés. Il aurait eu pour vocation de « décoloniser les imaginaires ».
En effet, il nous faut rompre avec les représentations post-coloniales de l'immigration, considérées comme d'un autre âge par tous les responsables. Le recours au CV anonyme pourrait permettre l'appréciation de la candidature sur des bases objectives, à l'exclusion de toute idée préconçue liée par exemple au patronyme, à l'origine, au lieu de résidence, à l'aspect physique. Certains candidats pourraient alors enfin bénéficier d'un premier entretien d'embauche, possible sésame pour l'emploi.
Le jour même où je défendais cet amendement devant vous, madame la ministre, M. Claude Bébéar remettait au Premier ministre un rapport suggérant le traitement anonyme des CV des demandeurs d'emploi. Cependant, M. le rapporteur et vous-même avez estimé que « la précision apportée par l'amendement n'était pas pertinente », tandis que M. Lecerf faisait état d'une étude menée par l'observatoire des discriminations de Paris et mettant en évidence que, à CV identiques, un homme blanc trentenaire au patronyme bien français avait vingt fois plus de chances d'être convoqué à un entretien d'embauche qu'un trentenaire portant un nom à consonance maghrébine ou africaine ! Cela signifie que l'un de nos compatriotes français d'origine maghrébine ou africaine a 80 fois moins de chance d'être convoqué à un entretien d'embauche. On ne peut plus parler de pacte républicain face à de tels chiffres.
Le lendemain de notre discussion, le CV anonyme est devenu un sujet médiatique. L'amendement de Mme de Panafieu, adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, visait à rendre obligatoire le traitement anonyme des CV dans les entreprises de plus de 250 salariés. Le 6 décembre, lors de l'examen du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, la commission des affaires sociales a retiré cet amendement à la demande du Gouvernement.
M. Borloo a argué que, à ce stade, le sujet devait être étudié par une commission technique confiée à M. Roger Fauroux, dont la compétence et l'impartialité sur ces questions ne peuvent évidemment pas être mises en cause.
M. Borloo a ajouté que si cette mesure était approuvée par la commission Fauroux, elle pourrait être proposée soit par voie conventionnelle, soit par voie législative ; la loi qui sera présentée par Christian Jacob relative aux entreprises pourrait en être le cadre.
Ce raisonnement, aussi logique qu'il paraisse, présente néanmoins deux contradictions qu'il est intéressant de relever.
La première contradiction réside dans le fait de mettre en place une commission technique où siégeront l'ANPE, les organismes de placement, les chasseurs de têtes, le patronat et les partenaires sociaux, alors même que nous sommes en train de légiférer et de créer une instance dont la vocation est de piloter ce genre d'étude.
La deuxième contradiction découle d'un amendement adopté ici même prévoyant que la Haute autorité sera saisie de tout projet de loi relatif à la lutte contre les discriminations.
Ainsi, si la commission Fauroux statue sur la faisabilité et la pertinence de cette mesure par voie législative, il faudrait ensuite confier le dossier à la Haute autorité avant de voir apparaître un projet de loi.
La mise en place d'une nouvelle commission est donc contraire à l'objectif de recentrage et de cohérence assigné à la Haute autorité. S'agit-il d'allonger les délais et de faire comme si l'urgence sociale n'existait pas ? Certains pourraient le penser, ce qui n'est pas mon cas. Comme moi, mes chers collègues, vous savez que les discriminations, parce qu'elles sont intolérables au regard des valeurs de notre République, mais aussi parce qu'elles contribuent à nourrir le communautarisme, minent notre cohésion nationale.
Après avoir écouté attentivement les arguments hostiles au CV anonyme, je n'en trouve aucun qui soit convaincant au regard des enjeux et de la situation actuelle.
L'un des arguments avancés est que l' « on ne peut pas embaucher à l'aveugle », certains feignant de croire que cette disposition conduirait les chefs d'entreprise à embaucher des candidats qu'ils n'auraient pas rencontrés.
Le traitement anonyme des CV n'implique évidemment pas de mener un entretien d'embauche avec un candidat « muni d'une cagoule ». Il vise à faire en sorte que tous les candidats dont le CV correspond au poste ou à la fonction aient la même chance d'être convoqués au premier entretien d'embauche.
Un autre argument, que je qualifierai de maximaliste, consiste à dénigrer le CV anonyme sous prétexte qu'il s'apparenterait davantage à une esquive qu'à un affrontement résolu des peurs et des stéréotypes qui minent notre société.
Cet argument n'a pour lui que la seule force de la rhétorique. Ceux qui font semblant de préférer une révolution improbable aux réformes insuffisantes, mais bien concrètes, sont en réalité des conservateurs.
Dès lors, nous nous interrogeons sur le bien-fondé de la mission Fouroux chargée d'examiner la faisabilité du CV anonyme. Pourquoi créer des structures comme la Haute autorité et les vider de leurs prérogatives dans le même mouvement ?
Sans faire du CV anonyme l'alpha et l'oméga de la politique de lutte contre les discriminations, on ne peut négliger la mise en oeuvre de ce qui s'apparente à un outil de l'égalité.
Le dernier argument qu'il faut combattre est celui qui consiste à dire que le CV anonyme dans les entreprises est une « fausse bonne idée » dans la mesure où les entreprises de plus de 250 salariés ne représentent que 0,5 % des entreprises. Encore faut-il ajouter que ces 0,5 % représentent 42 % des emplois salariés en France !
Le traitement anonyme des CV n'est pas une mesure inspirée par les politiques de discrimination positive. C'est au contraire une alternative sérieuse à la discrimination positive. Cette mesure ne s'oppose en rien à la liberté d'entreprendre. Elle s'inscrit parfaitement dans le cadre de nos idéaux d'égalité et de méritocratie républicaines.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il n'est jamais trop tard pour démontrer à tous nos concitoyens, quelle que soit leur origine, que notre pacte républicain repose sur l'égalité.
Cela suppose, au delà de la mise en place de dispositifs efficaces de lutte contre les discriminations - ô combien nécessaires -, la mise en oeuvre de politiques actives autour d'une laïcité émancipatrice afin d'aboutir à une réelle égalité des chances, non pas dans le but d'afficher un éternel slogan, mais pour obtenir un résultat.
Madame la ministre, nous ne nous opposerons pas à ce texte, car il porte une espérance partagée, celle d'un horizon commun respectueux de la diversité. Néanmoins, notre vote dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention portera essentiellement sur la partie du projet de loi qui prévoit de renforcer la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, qui me paraît éminemment contestable sur la forme comme sur le fond.
Ce texte est tout d'abord contestable sur la forme.
Quel en a été le déclencheur ?
C'est sans doute M. Noël Mamère, maire de Bègles, qui, avec le mariage homosexuel qu'il a célébré le 5 juin dernier dans sa mairie, a inspiré ce texte. Sans lui, le Gouvernement n'aurait vraisemblablement pas pris l'initiative d'un tel projet de loi, qu'il a ensuite déclassé en amendements.
Cette méthode, que la droite en France aime tant, est ce que l'on pourrait nommer une « sous-enchère » des idées qui nous sont généreusement offertes par l'avant-garde la plus éclairée de la gauche !
Ce texte est ensuite contestable par la manière dont le Gouvernement a choisi de répondre à cette nécessité urgente : par l'intermédiaire d'amendements.
Il est dommage que le Gouvernement ait choisi de faire passer à la sauvette, notamment en première lecture au Sénat, des dispositions qui, pourtant, reprennent l'essentiel du projet de loi du 23 juin 2004, comme l'ont reconnu aussi bien Alain Priou, porte-parole de l'interassociative lesbienne, gaie, bi et trans, que Me Thierry Massis, représentant du cardinal Lustiger.
Les nombreuses inquiétudes qu'avait suscitées le projet de loi n'ont pas été apaisées par ces amendements.
Il y a aussi dans cette affaire un problème de cohérence : si la lutte contre le sexisme et l'homophobie est d'une telle acuité que l'on souhaite la placer sur le même plan que la lutte contre l'antisémitisme et le racisme, par exemple, pourquoi avoir choisi de déposer de simples amendements et non un texte de loi ?
Ces dispositions sont également contestables sur le fond, comme l'ont souligné de nombreuses instances au-dessus de tout soupçon, telles la Commission nationale pour les droits de l'homme ou la Fédération nationale de la presse française.
Trois reproches peuvent être formulés sur les articles 17 bis, 17 ter et 17 quater.
Premièrement, ces dispositions sont juridiquement inutiles et dangereuses.
Inutiles, car il existe déjà, heureusement, un arsenal législatif permettant de sanctionner les violences verbales : ce sont les articles 29 à 34 de la loi du 29 juillet 1881 ou la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, qui a ajouté l'article 132-77 au code pénal, lequel prévoit de retenir une nouvelle circonstance aggravante lorsque le délit ou le crime est commis en raison de l'orientation sexuelle de la victime.
Dangereuses, car le droit relatif à la diffamation et à l'injure est une construction essentiellement jurisprudentielle. En ajoutant désormais la notion d'orientation sexuelle, que l'on ne définit pas, cela revient à se défausser encore un peu plus sur les juges, ce qui risque d'entraîner deux difficultés majeures.
D'une part, les personnes s'estimant potentiellement concernées chercheront à déclencher des procédures afin de préciser cette construction jurisprudentielle. Il existe ainsi un véritable risque de harcèlement procédural et d'inflation contentieuse.
D'autre part, il faudra au minimum dix ans avant que la Cour de cassation n'unifie les décisions des juges de première instance. En attendant, on ouvre sciemment un espace d'insécurité juridique.
Deuxièmement, ce texte a un caractère liberticide.
La Fédération nationale de la presse écrite a confirmé qu'avec de telles dispositions, qui rejoignent largement l'inspiration du projet de loi de juin 2004, on pouvait craindre « une auto-censure permanente ».
Encore une fois, qu'il soit bien clair que rien ne peut justifier une agression verbale et, à plus forte raison, physique. Mais je voudrais être bien sûr qu'il ne s'agit pas d'une mise sous tutelle judiciaire du langage et de la libre expression de la pensée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Bruno Retailleau. Rien n'est moins sûr ! L'article 17 bis crée un vide juridique évident, puisqu'il faudra établir le lien entre des propos et une provocation à la haine ou à la violence à raison de l'orientation sexuelle. A ce compte, les textes fondateurs des trois religions monothéistes pourraient être censurés au simple motif qu'ils comportent des sentences virulentes contre l'homosexualité. (Murmures.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Bruno Retailleau. En outre, dans notre tradition juridique, qui n'est pas la tradition anglo-saxonne, c'est le principe de la dignité humaine, principe constitutionnel, qui permet de limiter la liberté d'expression.
Segmenter ce principe en autant de composantes revient à donner à chacune d'entre elles un statut d'obligation de nature constitutionnelle justifiant l'entrave à la liberté d'expression. Est-ce bien raisonnable ? A moins qu'il ne s'agisse d'une tentative pour garantir de toute critique l'opinion qui milite activement pour le mariage homosexuel ou l'homoparentalité.
En réalité, ce texte est une tentative, poussée par des lobbies, d'amener par l'interdit l'opinion dominante à ses thèses, l'opinion dominante étant celle qui n'a plus besoin de se justifier et que l'on doit accepter sans la moindre contradiction.
Mes chers collègues, c'est bien souvent au nom de la lutte contre les préjugés que l'on tente d'en imposer de nouveaux.
Troisièmement, ces dispositions ont une tendance communautariste.
Comme l'avait noté la Commission nationale consultative des droits de l'homme : « Eriger l'orientation sexuelle en composante identitaire » ne peut que renforcer « l'émergence des tendances communautaristes en France ». Or le communautarisme ne correspond ni à notre tradition, ni - et encore moins - à la lutte contre les discriminations, qu'il va accentuer.
Le coeur de notre projet républicain n'est certainement pas d'enfermer les citoyens dans des catégories qui seraient supposées prédéterminer leur comportement. C'est, à l'inverse, de donner à chaque personne la possibilité de s'arracher aux conditions qui pourraient leur être imposées par la naissance, la biologie ou encore leur origine sociale, afin de prendre part au projet collectif.
La France est d'abord une communauté de destin qui dépasse les communautés d'origine ou de situation. Chez nous, la citoyenneté transcende les différences, et tenter de définir une catégorie d'êtres humains en fonction de leur orientation sexuelle constitue un formidable appauvrissement, notamment en termes de cohésion sociale.
La valorisation des particularités ou des identités ne traduit pas une nouvelle manière d'être ensemble ou de participer à la vie collective. C'est malheureusement, et trop souvent, une projection sociale de l'individualisme.
Une conception équilibrée et moderne de notre République n'implique certainement pas que soient supprimées les différences ou les particularités. Elle suppose simplement que ces dernières restent confinées dans l'espace privé.
La conséquence immédiate de cette conception est que la loi ne doit pas avoir comme objectif d'aider les différents groupes identitaires à valoriser leur particularité ou à institutionnaliser leur mode de vie, sinon elle perd sa portée générale.
La loi, disait Platon, se réfère à l'universel. Cet universalisme est l'une de nos plus belles inventions nationales et il affirme, contre tous les déterminismes, au-delà des attachements ethniques, religieux ou autres, que le genre humain est un, et que la dignité humaine et les droits qui y sont attachés sont indivisibles.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, si nous ne voulons pas affaiblir notre cohésion sociale, nous ferions bien de renoncer sagement à ces dispositions. (M. Lardeux applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur. On fait dire à Platon des choses qu'il n'a jamais dites !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De toute façon, on peut faire dire ce qu'on veut aux citations !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a souhaité, dès le début de son mandat, que la France se dote d'une autorité indépendante chargée de lutter contre toutes les formes de discrimination, à l'instar de plusieurs de nos voisins européens.
En créant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, le projet de loi répond non seulement à ce souhait, mais également aux recommandations de l'Union européenne et des Nations unies.
Le texte qui nous est aujourd'hui présenté en deuxième lecture s'avère parfaitement équilibré.
Composée de onze membres choisis parmi des personnalités indépendantes, la Haute autorité sera dirigée collégialement, et une dose de parité au sein de ce collège a été introduite par le Parlement. Les syndicats et les associations agiront au sein de l'organisme consultatif associé à la Haute autorité, dans lequel ils seront représentés.
Mesure importante : la saisine pourra être directe, ce qui simplifiera considérablement la démarche des victimes tout en leur assurant un soutien au cours de la procédure.
En effet, les associations, déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, pourront, conjointement avec la victime et avec l'accord de celle-ci, saisir directement la Haute autorité et apporter ainsi leur soutien à la personne souffrant de discrimination.
La victime pourra également - vous l'avez souligné tout à l'heure, madame la ministre - demander à un parlementaire national ou européen de la soutenir dans sa démarche. Je crois que cette protection institutionnelle est de nature à dissuader l'auteur de discrimination d'exercer toute pression sur le plaignant.
En outre, la Haute autorité, contrairement au groupe d'études et de lutte contre les discriminations, sera dotée d'un budget conséquent - sur lequel vous nous avez donné toutes les garanties, madame la ministre - et de réels pouvoirs, qui sont autant de gages d'efficacité.
Jouissant de prérogatives originales, elle n'empiétera pas sur le champ de l'autorité judiciaire. Si les faits dont elle est saisie entraînent l'ouverture d'une information judiciaire ou d'une enquête pénale, elle n'exercera ses pouvoirs qu'avec l'accord du procureur de la République ou des juridictions pénales.
Au cours de la navette, le Parlement a également souhaité garantir le respect des droits de la défense face aux pouvoirs d'investigation de la Haute autorité. Il me semble que ce point est également important. Ainsi, les personnes accusées de discrimination pourront, lors de leur audition par la Haute autorité, être assistées du conseil de leur choix et se voir remettre un procès-verbal contradictoire de ladite audition.
De surcroît, dans le cadre des investigations de la Haute autorité, si le secret professionnel pourra être levé dans certains cas, celui qui est inhérent à la profession d'avocat ne pourra pas l'être pour des raisons de déontologie que chacun d'entre nous comprend.
Autre point important : le numéro d'appel, le 114, mis à la disposition de nos concitoyens par le groupe d'études et de lutte contre les discriminations pour signaler les cas de discrimination a été conservé.
En première lecture, le projet de loi avait été enrichi par notre Haute assemblée d'un dispositif renforçant la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.
Je me félicite que les députés aient adopté ce dispositif dans les mêmes termes que le Sénat, en y ajoutant toutefois, et à juste titre, une nouvelle forme de discrimination, celle à raison du handicap. Il m'apparaît en effet primordial que la lutte contre les discriminations n'exclue aucune forme de discrimination, qu'elle soit liée à l'orientation sexuelle ou au handicap.
Le dispositif retenu en matière de lutte contre l'homophobie apparaît plus équilibré aujourd'hui dans sa forme actuelle que dans la version initiale du projet de loi.
Animé par la volonté permanente du Premier Ministre d'être à l'écoute de tous, le Gouvernement a su être attentif aux critiques les plus constructives. Il a parfaitement tenu compte de certaines récriminations formulées par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, la CNCDH, par les associations familiales et religieuses et par les entreprises de presse, qui redoutaient une atteinte grave à la liberté de la presse.
Pour tenir compte de l'avis de la CNCDH, le texte adopté par le Sénat apporte une précision essentielle au dispositif. Afin d'éviter une interprétation trop large de ces dispositions, qui serait contraire au principe de la liberté d'expression, seules seront réprimées les provocations aux discriminations déjà pénalement réprimées par la loi en matière d'emploi, de logement et d'accès aux services.
Si la diffamation, l'injure et les provocations à la discrimination, à la haine et à la violence homophobes commises par voie de presse sont réprimées, ces notions sont toutefois très encadrées par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a statué sur plusieurs affaires d'antisémitisme et de racisme.
Enfin, pour éviter un traitement différent par rapport aux autres formes de discriminations, le texte adopté par notre assemblée propose de revenir au délai de prescription de droit commun en matière de presse, soit trois mois (M. le président de la commission approuve.), et de ne pas retenir la prescription d'un an contenue dans le projet de loi initial.
En conséquence, le texte adopté par le Parlement constitue un point d'équilibre entre les préoccupations légitimes de toutes les associations concernées. Il concilie lutte contre les discriminations les plus graves, comme l'incitation à la haine ou à la violence, et respect de la liberté d'opinion et d'expression. Bref, il rejette toutes les formes d'intolérance.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, madame la ministre, comme la plupart des membres du groupe de l'UMP, je voterai en faveur de ce texte tel qu'il ressort des travaux successifs de nos deux assemblées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre société est multiculturelle, multiraciale, multireligieuse, multinationale. Bref, elle est diverse. Et cette diversité est une source de richesse dont notre histoire s'est nourrie. Notre pays entend à juste titre la préserver en ayant érigé l'égalité et la tolérance au rang de principes fondamentaux de notre République.
Malheureusement, dans cette période d'incertitudes économiques et de doute, le démon de l'intolérance, du rejet de l'autre et de ses différences refait surface trop facilement entraînant la renaissance de comportements discriminatoires.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, en tant que moyen de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité, est donc la bienvenue.
Malgré les amendements adoptés en première lecture, je me pose toujours quelques questions.
Cette nouvelle autorité était-elle absolument nécessaire ? Ne pouvait-on pas confier la mission qui lui est dévolue au Médiateur de la République, par exemple, ou développer les moyens d'intervention d'organismes déjà existants comme les commissions pour la promotion de l'égalité des chances et la citoyenneté ou, tout simplement, faciliter l'intervention du juge dans ces domaines ?
Lorsque je lis l'article 1er du projet de loi qui confie à la HALDE la mission de « connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie », j'ai le sentiment que cette mission recoupe largement celle des tribunaux.
La question de la coordination et de la cohérence entre la HALDE et la justice se posera inévitablement. Il conviendra d'y être attentif. Entre les enquêtes de la HALDE et la justice qui suivra son cours, n'y aura-t-il pas parfois des interférences, voire des confusions qui seront loin de faciliter le règlement du problème ? Cela risque d'être source de contentieux, de mauvaises orientations, voire de nouveaux tracas pour les victimes, ce qui n'est pas souhaitable.
Autre question : dans la mesure où « toute personne qui s'estime victime de discrimination » pourra saisir cette Haute autorité, cela ne pourrait-il pas donner pas lieu aux saisines les plus diverses, voire les plus abusives ?
Que se passera-t-il lorsqu'un chef d'entreprise embauchera un candidat d'origine française alors qu'un autre candidat d'origine étrangère n'aura pas été retenu malgré un curriculum vitae comparable ?
Sur quels critères la Haute autorité jugera s'il y a eu, ou non, discrimination ? Les mêmes interrogations risquent de revenir, par exemple, à propos du choix d'un candidat pour l'attribution d'un logement et, pourquoi pas - j'espère exagérer et m'inquiéter à tort -, en cas de contestation d'une note sur un devoir scolaire !
Autre question : l'objet même de cette nouvelle autorité correspond-il à la notion de « discrimination positive », parfois évoquée par certains responsables politiques comme la solution miracle aux problèmes d'intégration auxquels est confrontée notre société ?
Par ailleurs, la présence de cette autorité n'entraînera-t-elle pas une montée en puissance du communautarisme, chacun pouvant défendre ses propres règles de vie, au nom du respect des différences, en espérant la protection de la Haute autorité.
Enfin, dernière question, mais non des moindres : n'y a-t-il pas un risque d'atteinte à la liberté d'expression en raison non pas de l'existence de la Haute autorité mais de certaines dispositions introduites dans le projet de loi qui pourraient être utilisées contre le moindre propos jugé discriminatoire ?
Ne l'oublions pas, la liberté d'expression est l'un des éléments clé, voire l'élément pivot, de notre démocratie. Prenons garde de ne pas y porter atteinte !
Au-delà de toutes ces interrogations, je souhaite également vous exposer mes regrets concernant ce texte.
Je regrette, avec d'autres de mes collègues, que les députés aient supprimé l'article 3 bis introduit par le Sénat, qui dotait la Haute autorité d'un réseau de délégués territoriaux, au motif que l'organisation territoriale de la Haute autorité ne relevait pas de la loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !
M. Yves Détraigne. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de cet argument même si juridiquement - M. le président de la commission le confirme - il est exact. La création de ces délégués territoriaux pourrait être envisagée comme un principe général de l'organisation de cette institution. Je souhaite donc que le décret d'application du projet reprenne cette volonté exprimée par nombre d'entre nous.
Je m'étonne également du fait - chose inhabituelle pour une autorité indépendante, et Dieu sait si nous en avons créé depuis quelques années ! - que deux des onze membres de la Haute Autorité soient désignés par le Premier ministre. Sans vouloir remettre en cause la personnalité du Premier ministre, je me demande si l'on ne court pas le danger de voir, de ce fait, la Haute autorité suspectée d'être trop proche du pouvoir en place.
Ces interrogations et ces regrets, je les exprime à titre personnel, mais je sais qu'un certain nombre de mes collègues sur plusieurs travées de cette assemblée les partagent.
Bien sûr, il n'est pas question pour le groupe de l'Union centriste de voter contre la création de cette Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.
D'abord, parce que notre famille politique est très attachée aux libertés fondamentales et souhaite que chacun d'entre nous, quelles que soient son origine, sa situation ou sa famille de pensée, ait les mêmes chances dans notre société.
Ensuite, parce que la création de cette Haute autorité répond à une demande de l'Union européenne, en achevant de transposer la directive européenne du 29 juin 2000 relative aux discriminations raciales. Et ce n'est pas l'UDF qui s'opposera à l'harmonisation des règles au sein de l'Union européenne !
Nous voterons donc le texte proposé tout en souhaitant que nous restions tous très attentifs à la manière dont il sera appliqué et que nous n'hésitions pas à l'adapter le cas échéant...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Yves Détraigne. ...pour limiter les problèmes auxquels il pourrait donner lieu. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Eliane Assassi.
Mme Eliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes presque arrivés au terme de l'examen de ce projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations.
Bien que nous en soyons à la deuxième lecture, le groupe CRC éprouve encore des réserves sur ce texte, qui comporte des imperfections malgré l'ajout des dispositions relatives à la lutte contre l'homophobie et le sexisme.
Le premier reproche concerne la composition de la HALDE. En effet, en l'état, la désignation de ses membres, notamment par les plus hautes autorités politiques, ne garantit ni le pluralisme ni l'indépendance qu'exige pourtant une telle institution.
En première lecture, le Sénat avait tenté de remédier à cette carence en introduisant la notion de respect du pluralisme au sein de la Haute autorité. L'Assemblée nationale a fait le choix de la supprimer.
Pourtant, lors du débat, dont j'ai lu le compte rendu attentivement, plusieurs arguments ont été avancés pour la maintenir. Ainsi, il a été rappelé que M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, a eu récemment l'occasion de montrer l'exemple en matière de pluralisme en se tournant vers l'opposition afin que celle-ci propose une personnalité à nommer à la Haute autorité de santé.
L'attitude de Jean-Louis Debré est certes respectable et montre le champ des possibles. Pour autant, il n'est pas certain qu'elle se perpétue. C'est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à réintroduire cette notion de pluralisme, notion suffisamment large pour ne pas contraindre les autorités de nomination dans leur choix.
Permettez-moi de réaffirmer encore une fois que les associations sont les plus qualifiées pour identifier les pratiques discriminatoires et trouver les moyens de lutter contre celles-ci.
Le second reproche que nous adressons au Gouvernement est d'avoir laissé les députés supprimer l'article 3 bis créant le réseau des délégués territoriaux de la HALDE. Pourtant, lorsque notre groupe a défendu cet amendement en première lecture, le Gouvernement et la commission y étaient favorables.
Pourquoi un tel revirement ? Il semble pourtant que l'intérêt des victimes soit justement de bénéficier d'une aide de proximité rapidement accessible. La Commission nationale consultative des droits de l'homme avait elle-même considéré, dans son avis rendu sur ce texte le 17 juin 2004, qu'il était nécessaire de préciser que la Haute autorité pouvait établir des délégations territoriales.
L'Assemblée nationale a supprimé l'article 3 bis, au motif que cette disposition était d'ordre réglementaire et n'avait donc pas sa place dans la loi. Certes, mais cet article avait surtout pour objet d'inscrire dans la loi une intention que nous croyions partagée par tous : faire de cette autorité une institution caractérisée par sa proximité, sa territorialisation, sa facilité de saisine et d'accès. Apparemment, l'Assemblée nationale a préféré en faire une institution centralisée. Si telle n'était pas son intention, il conviendrait, me semble-t-il, de rétablir la mise en place de délégués territoriaux dans le texte ; c'est une garantie que nous devons donner aux personnes victimes de discriminations. A cet égard, madame la ministre, j'ai bien noté les propos assez rassurants que vous avez tenus au début de la discussion générale.
Lorsque le projet de loi nous a été présenté en première lecture, nous avons émis des doutes quant à l'efficacité de cette haute autorité. Les moyens humains, matériels et financiers nous semblaient insuffisants ; l'avenir des personnels du service téléphonique du numéro 114 était incertain. Dans ces conditions, la Haute autorité était-elle en mesure de mener à bien ses missions ?
Alors que certaines garanties ont été apportées par notre assemblée, l'Assemblée nationale a pour sa part annulé les principales d'entre elles et notre interrogation première demeure. Nous espérons donc que vous accepterez nos amendements visant à réintroduire des dispositions essentielles au bon fonctionnement de cette haute autorité.
J'en viens maintenant aux dispositions relatives à la lutte contre les propos homophobes et sexistes.
L'Assemblée nationale a eu la sagesse de ne pas adopter l'amendement de M. Jean-Paul Garraud visant à permettre aux seules associations reconnues d'utilité publique de se constituer partie civile, qui réduisait à néant le dispositif du projet de loi, aucune association de lutte contre l'homophobie n'étant à ce jour reconnue d'utilité publique.
Or il est indispensable que des femmes et des hommes victimes de discriminations à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle soient éventuellement défendus par les associations et que celles-ci puissent se porter partie civile en cas de procès. Par ailleurs, les associations apportent un soutien non seulement moral, mais aussi matériel et logistique, grâce aux conseillers juridiques qui mettent leurs compétences au service des victimes. L'adoption de l'amendement de M. Jean-Paul Garraud aurait signifié la négation de leur travail.
C'est pourquoi nous nous réjouissons que l'Assemblée nationale ait maintenu les articles relatifs au renforcement de la lutte contre les propos homophobes et sexistes que le groupe CRC avait adoptés dans leur intégralité lors de la première lecture.
Toutefois, nous regrettons que le Gouvernement mette uniquement l'accent sur la sanction a posteriori des propos homophobes ou sexistes. En effet, je pense qu'il faut également agir en amont, car c'est par l'éducation, l'information et le débat que la société réussira le plus efficacement à combattre l'intolérance, que celle-ci concerne le sexe, l'orientation sexuelle, l'origine ethnique ou encore le handicap.
L'acceptation des différences et le respect de la dignité de chaque être humain ne sauraient relever du seul juge pénal. La société doit être mise devant ses responsabilités. En tant qu'élus, nous devons lui en donner les moyens. Il appartient à l'Etat de protéger les libertés et l'égalité de traitement des personnes, mais également de faire en sorte que celles-ci vivent leur vie en toute tranquillité, en toute dignité, sans en subir de conséquences néfastes.
Il convient donc d'associer, au niveau de l'Etat, plusieurs acteurs afin de sensibiliser dès le plus jeune âge les enfants à la lutte contre toutes les discriminations. Nous avions déposé un amendement en ce sens en première lecture. En effet, nous souhaitions qu'un enseignement obligatoire et régulier sur le racisme, le sexisme, l'homophobie et, de manière générale, sur toutes les formes de discriminations, soit dispensé dès l'école primaire et poursuivi dans l'enseignement secondaire. L'éducation nationale apparaît comme l'un des acteurs essentiels dans la lutte contre les discriminations. Mais encore faut-il une volonté politique pour mettre en oeuvre de tels programmes, et rien n'est prévu dans le projet de loi.
En conclusion, madame la ministre, nous regrettons que le dispositif créant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, déjà insuffisant à l'origine, ait été affaibli par l'Assemblée nationale. Si nous approuvons les dispositions qui ont été prises en faveur de la lutte contre les propos homophobes et sexistes, nous attendrons de voir, sans toutefois voter contre, ce que le Gouvernement envisage de faire pour renforcer la légitimité de la Haute autorité avant de nous prononcer sur l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, qui nous revient en deuxième lecture, a fait couler beaucoup d'encre et provoqué nombre de tensions. C'est pourquoi il me paraît opportun que la passion fasse place à la raison pour aborder ce débat en toute sérénité.
Je me félicite tout d'abord que l'Assemblée nationale ait souscrit à la plupart des modifications adoptées par le Sénat en première lecture, notamment la possibilité d'ouvrir la saisine aux parlementaires.
Je souhaite entrer d'emblée dans le vif du sujet en mettant en exergue les avancées issues des amendements du Gouvernement par rapport à la première version du projet de loi de lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.
Actuellement, la provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine ne constitue une infraction que lorsqu'elle s'inspire de considérations ethniques, racistes ou religieuses. Les supports par lesquels la provocation peut s'exprimer sont couverts par la loi du 29 juillet 1881 et concernent la presse et les médias.
Il est évident que les propos discriminatoires ou haineux à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle ne sont pas admissibles. Mais le respect de la dignité de la personne humaine doit naturellement s'accorder avec le principe de la liberté d'expression.
L'article 17 bis définit, par référence aux articles 225-2 et 432-7 du code pénal, les conditions dans lesquelles ces propos seraient punis. Force est de constater que la rédaction retenue dans l'amendement du Gouvernement se distingue ainsi de la formulation du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe déposé à l'Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Bernard Seillier. Celui-ci s'était borné à reproduire les dispositions en vigueur pour le délit de provocation raciste ou antisémite, sans préciser les cas d'application de ces discriminations.
L'article 225 - 2 précise a contrario les conditions dans lesquelles ces discriminations constituent une infraction pénale. Il s'agit du refus de fourniture d'un bien ou d'un service, de l'entrave à l'exercice normal d'une activité économique, du refus d'embaucher, du licenciement d'une personne ou du refus d'accepter une personne à l'un des stages de formation.
Par ailleurs, l'article 432 - 7 du code pénal vise les discriminations commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions lorsqu'elles consistent, d'une part, à refuser l'exercice d'un droit accordé par la loi et, d'autre part, à entraver l'exercice normal d'une activité.
Ainsi, en écartant la référence à l'article 225 - 1 du code pénal établissant une liste de discriminations extrêmement exhaustive et en retenant la seule référence aux articles 225 - 2 et 432 - 7 délimitant le champ d'application des discriminations qu'il serait prohibé de promouvoir, le Gouvernement a voulu, à juste titre, préserver la liberté de débattre des grands sujets de société dans notre pays. Il me semblait important de le rappeler.
C'est sur l'article 17 ter du projet de loi que porte principalement la controverse publique. Cet article vise, d'une part, à réprimer plus sévèrement les diffamations et les injures commises envers une personne à raison du sexe, de l'orientation sexuelle et du handicap et, d'autre part, à réprimer d'une manière identique des faits comparables commis à l'encontre d'un groupe de personnes.
La loi du 29 juillet 1881 permet de réprimer la diffamation définie comme toute allégation ou imputation d'un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. L'injure, à la différence de la diffamation, ne comporte l'imputation d'aucun fait.
Ces dispositions de caractère général permettent d'ores et déjà de réprimer les diffamations ou les injures motivées par le sexe, l'orientation sexuelle de la victime ou encore son handicap. Cependant, compte tenu de la gravité des propos en cause, il a paru opportun de relever la sanction au niveau de celles qui sont prévues pour les diffamations et les injures à raison de la race ou de la religion.
Par ailleurs, comme tel est le cas s'agissant des diffamations ou des injures racistes, il a semblé souhaitable de viser les diffamations et les injures non seulement à l'égard des particuliers, mais aussi à l'égard des groupes de personnes non identifiées.
Ces dispositions, en particulier en raison de leur contenu imprécis, sont à la source des vives inquiétudes qui se sont exprimées ces dernières semaines. Nombre de journalistes et d'écrivains s'inquiètent : c'est le moment ou jamais, madame la ministre, de les rassurer !
Afin de garantir la liberté de pensée, d'expression et de débat dans notre pays, nous devons préciser ce qu'il est entendu par injure et diffamation concernant notamment l'orientation sexuelle. M. le garde des sceaux a indiqué au cours de la première lecture qu'il était le garant d'une justice rendue dans la sérénité ; il a donc souhaité apaiser les esprits.
La liberté de pensée, d'expression et de débat exige parallèlement que soient contrôlées les dérives que, sous couvert de lutte contre certaines formes de discrimination, certains tentent d'instaurer dans la société.
Ainsi, en matière d'éducation, le dossier scolaire du site internet du collectif « SOS homophobie » incite à une grande vigilance contre toute menace de prosélytisme en milieu scolaire sous couvert de lutte contre l'homophobie.
D'un autre côté, la pétition signée par des maires pour faire prévaloir l'objection de conscience face à la perspective d'une banalisation de l'institution matrimoniale révèle une question sociétale majeure.
Il sera impossible de prétendre censurer les débats menés sur ces deux questions par une interprétation extensive du texte que nous examinons aujourd'hui. Ces questions relèvent non pas seulement de la protection de la liberté individuelle, mais également du respect dû aux institutions que sont l'école et le mariage. Il doit être possible de les aborder sans être pour autant mis en examen pour injure ou diffamation.
C'est pourquoi le travail de la Haute autorité devra contribuer à faciliter le discernement entre les discriminations nécessaires et condamnables. Si les liens amoureux et sexuels entre personnes de même sexe ont pu être tour à tour ritualisés, condamnés, marginalisés ou tolérés dans l'histoire, ils n'ont jamais été proposés comme fondateurs des institutions de droit commun relatives à la génération et à la filiation au sein de la société.
C'est pourquoi la question de l'homosexualité ne peut être rapprochée de l'émancipation noire, de l'émancipation juive et de l'émancipation des femmes que parce qu'elle relève d'une même dynamique, commune à toute la civilisation occidentale. Cette dynamique vise à rétablir le sujet comme individu libre, pensé à la fois comme citoyen et comme personne.
Mais, à l'inverse des trois autres combats émancipateurs, celui qui est mené au titre de l'orientation sexuelle ne peut comporter automatiquement et intégralement les mêmes objectifs. Il ne peut revendiquer de droit l'accès au mariage et à la filiation. En effet, le droit du mariage et le droit de la filiation n'ont pas pour objet de satisfaire les seules libertés individuelles, ils visent aussi à protéger les libertés conjugales de l'homme et de la femme associés. Ce sont bien les libertés découlant du lien conjugal entre l'homme et la femme que ces droits visent à protéger. L'institution matrimoniale et la filiation ne peuvent relever des seules volontés individuelles, indépendamment des conditions de différenciation sexuelle.
C'est à ce niveau que se révèle le choix entre rébellion et normalité pour la revendication sociale au titre de l'orientation sexuelle. Ce sera toujours une pierre d'achoppement, car deux courants traversent le combat homosexuel. Un seul est compatible avec la République, celui qu'a bien exprimé Jean-Louis Bory, dans les années soixante-dix, et qui peut être résumé par trois de ses slogans : « ni honte, ni prosélytisme », « droit à l'indifférence », « je ne plaide pas, j'informe ». En revanche, à la même époque, le plaidoyer de Guy Hocquenghem invitant à la rébellion ne peut être retenu.
Le présent projet de loi peut marquer une avancée non négligeable dans la lutte contre les discriminations. J'ai confiance dans la sagesse des magistrats appelés demain à juger les cas qui leur seraient soumis ; je suis sûr qu'ils confirmeront l'interprétation régulièrement donnée par les ministres, ainsi que par le président ou le rapporteur de notre commission des loi. Ce texte est légitimement attendu par les tribunaux et par ceux que le contenu nécessairement imprécis des dispositions de l'article 17 ter inquiète a priori.
N'ayant pas modifié, pour ma part, l'analyse que j'avais portée devant vous lors de la première lecture et que je viens de développer dans la présente intervention, je voterai en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Mon propos sera bref, car ma position est connue dans la mesure où j'ai déjà voté contre ce projet de loi lors de son examen en première lecture. Je réitérerai ce vote en seconde lecture.
Si les dispositions relatives à la Haute autorité ne posent pas de problème de conscience, il n'en est pas de même des articles consacrés à l'homophobie. C'est ce qui m'amènera à voter contre l'ensemble du texte.
En effet, dans cette affaire, chacun doit parler vrai. Pour ma part, je refuse de sacrifier au fondamentalisme du politiquement correct véhiculé par les nouveaux bien-pensants.
Les dispositions proposées ne prennent pas complètement en compte les remarques de la CNCDH, renforcées par les réticences des Eglises, qui sont loin d'être aussi rassurées qu'on le dit !
De telles dispositions peuvent constituer une menace pour la liberté d'expression, ce que confirme le peu d'enthousiasme de la presse.
Enfin, l'on peut craindre qu'elles ne contiennent les prémices de dérives communautaristes.
Entendons-nous bien, mes chers collègues, il ne s'agit pas pour moi de remettre en cause la nécessaire protection des personnes. Notre arsenal juridique, l'un des plus répressifs des pays démocratiques, y pourvoit d'ailleurs largement.
La CNCDH a rappelé l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et a émis des réserves sur la multiplication des catégories de personnes à protéger spécifiquement.
Pour le cas de l'homophobie, cela conduit à ériger l'orientation sexuelle en composante identitaire. En conséquence, la CNCDH demandait le retrait total du texte et préconisait le recours à l'éducation comme outil primordial pour combattre l'intolérance et les discriminations.
Depuis plusieurs années, s'accentue la tendance à limiter la liberté d'expression ; si cela continue, il sera, par exemple, difficile de faire certaines recherches historiques.
A-t-on encore le droit de penser ?
Attaquer les homosexuels parce qu'ils sont ainsi est inacceptable, mais l'on doit pouvoir dire librement que l'on désapprouve le mariage des homosexuels et les conséquences qui en découlent.
Mes chers collègues, mes craintes ne sont pas si infondées que cela : notre excellente collègue socialiste s'en est prise aux propos qu'a tenus M. Vanneste à l'Assemblée nationale, alors qu'il a seulement dit que le comportement homosexuel ne contribuait pas beaucoup au renouvellement des générations !
Renforcer la tolérance à l'égard des personnes ne peut se faire par la voie de l'intolérance à l'égard des idées.
La tolérance ne peut être renforcée que par la liberté de pensée et d'expression. Sous prétexte de lutter contre une discrimination, on risque d'en introduire de nouvelles.
Il ne faudrait pas non plus que cela porte atteinte à la liberté religieuse. Nous connaissons tous les jugements que les religions du Livre portent sur certains comportements en matière sexuelle. Par exemple, la traduction oecuménique de la Bible qualifie l'homosexualité d'abomination - expression d'ailleurs très amoindrie par rapport au texte d'origine. Cela sera-t-il considéré comme un propos homophobe ?
Ces sujets doivent rester ouverts à la discussion et ne pas tomber sous le couperet de la discrimination. A défaut, nous risquons de voir réapparaître des procès en sorcellerie, fruits du zèle d'une nouvelle inquisition qui n'ose pas dire son nom, à moins d'espérer que l'autocensure ne fasse elle-même l'oeuvre nécessaire ?
On ne juge pas les personnes, mais il doit être permis de juger des situations.
Il est bon de rappeler à ce propos que la Cour européenne des droits de l'homme considère que la liberté d'opinion « vaut non seulement pour des informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ».
Ce projet de loi me paraît disproportionné par rapport au problème posé ; il peut engendrer des dérives communautaristes ; il confirme la pénalisation de plus en plus forte d'une société moralement de plus en plus permissive et qui devient juridiquement de plus en plus répressive.
Prenons donc garde, mes chers collègues, que les concessions d'hier, qui ont préparé les compromis d'aujourd'hui, n'engendrent les abandons de demain ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de l'examen du projet de loi portant création de la HALDE au mois d'octobre dernier, s'exprime une volonté commune du Sénat, comme de l'Assemblée nationale, de la majorité, comme de l'opposition, de rechercher un consensus sur un sujet aussi sensible et symbolique pour la République : je veux parler de l'égalité de traitement et de la lutte contre toutes les discriminations.
Comme le rapporteur, M. Lecerf, dont j'ai apprécié le travail de qualité, j'estime que les points de désaccords entre les deux assemblées sont très peu nombreux.
Je note particulièrement qu'aucun amendement n'a été déposé sur les articles 17 bis et suivants, relatifs à l'homophobie, au sexisme et à l'handiphobie. Il n'y a donc plus de débat, monsieur Retailleau.
S'agissant du principe même de la création d'une telle autorité de lutte contre les discriminations, oui, monsieur Détraigne, il y avait urgence : ce n'est pas un hasard si d'autre pays, comme la Belgique, dont nous nous sommes beaucoup inspirés, ont créé une telle institution depuis 1993.
En effet, entre les associations qui ont la charge de la prévention et de la justice, il apparaît nécessaire d'avoir une institution et un dispositif chargés plus particulièrement d'établir la preuve de la discrimination, ce que notre système juridictionnel ne fait pas à l'heure actuelle. Cette preuve est ce qu'il y a de plus difficile à établir aujourd'hui ; c'est sur elle que les associations ont buté.
S'agissant de la composition et des moyens de la Haute autorité, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d'apporter les précisions suivantes.
Pour ce qui concerne le respect du pluralisme, je dirai à Mmes Khiari et Assassi que les autorités nommant les membres du collège sont suffisamment diverses pour écarter tout risque de voir apparaître, à l'issue du processus de nomination, ce que certains seraient tentés d'appeler un organisme partisan.
De même j'indique que, à défaut d'avoir l'onction juridique, les délégations territoriales ont d'ores et déjà l'onction budgétaire, ce qui n'est pas moins important. Je tiens à rappeler ce que j'ai annoncé : il y aura cinq délégations territoriales, dont une dans les DOM-TOM, et le budget qui leur sera consacré s'élève déjà à 0,9 million d'euros.
Par ailleurs, je veux rappeler à Mme Khiari le cadre dans lequel se mettra en place la Haute Autorité. J'ai fait référence, en introduisant ce débat, au plan de cohésion sociale. En effet, le Gouvernement a mis en place des expérimentations telles que les chartes de la diversité ou engagé des réflexions. Vous avez vous-même évoqué, madame le sénateur, le rapport de M. Bébéar et celui qui a été demandé à M. Fauroux, dont vous avez reconnu l'incontestable légitimité.
Les différents dispositifs proposés dans ces rapports feront l'objet d'un examen de la part des partenaires sociaux dans le cadre de la Conférence nationale pour l'égalité des chances qui se tiendra sous la présidence du Premier ministre à la fin du mois de janvier 2005. M. le Premier ministre m'a confié ce travail.
Enfin, il reviendra à la Haute autorité d'identifier et de promouvoir toutes les bonnes pratiques ainsi que de proposer, le cas échéant, des modifications législatives ou réglementaires.
Madame Khiari, permettez-moi de m'étonner que l'on puisse critiquer - je vous le dis très amicalement - la mise en place d'une commission comme la commission Fauroux.
Vous savez bien, ce n'est pas à vous que je l'apprendrai, qu'elle est la garantie d'une réflexion approfondie sur l'incidence et sur les conséquences d'une mesure qui n'est pas anodine. On ne légifère pas à la sauvette sur un sujet aussi sérieux ; on prend le temps de la réflexion avec les personnes compétentes ; c'est tout l'objet de la commission Fauroux.
Le moment venu, ses préconisations connaîtront les suites qui s'imposent, comme l'a confirmé Jean-louis Borloo.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a rappelé M. Fouché, vous ne pouvez pas douter de la volonté du Président de la République ni de celle du Gouvernement dans ce domaine.
En revanche, permettez-moi de souligner qu'un rapport avait été demandé par Mme Aubry en 1998 sans qu'il en soit tiré le moindre enseignement, si ce n'est une réforme très limitée au seul code du travail en matière de lutte contre les discriminations.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République l'a souligné à Troyes en octobre 2002, les inégalités de traitement entre les individus compromettent la cohésion sociale dans notre pays. Elles sont à l'origine de frustrations qui confortent les tentations communautaristes de notre société.
C'est donc au nom du principe fondamental de la République qu'est l'égalité que nous refusons ces tentations.
La création de la Haute autorité, comme la politique en faveur de l'égalité des chances, en matière d'emploi notamment, que le Gouvernement mènera sous l'autorité du Premier ministre dès le début de l'année prochaine, apporteront des réponses radicalement nouvelles aux faits de discrimination trop longtemps occultés en France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voter ce texte, voter la création de cette Haute autorité, c'est accomplir un devoir de laïcité, d'égalité ; c'est donner à tous ceux qui sont sur notre territoire la chance d'être traités comme ils le doivent ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
TITRE IER
DE LA HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'ÉGALITÉ
.................................................................................
Article 2
La haute autorité est composée d'un collège de onze membres nommés par décret du Président de la République :
- deux membres, dont le président, désignés par le Président de la République ;
- deux membres désignés par le Président du Sénat ;
- deux membres désignés par le Président de l'Assemblée nationale ;
- deux membres désignés par le Premier ministre ;
- un membre désigné par le Vice-Président du Conseil d'Etat ;
- un membre désigné par le Premier président de la Cour de cassation ;
- un membre désigné par le Président du Conseil économique et social.
Les désignations du Président de la République, du Président du Sénat, du Président de l'Assemblée nationale et du Premier ministre concourent à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.
Le mandat du président et des membres de la haute autorité a une durée de cinq ans. Il n'est ni révocable, ni renouvelable.
Les membres du collège, à l'exception du président, sont renouvelables par moitié tous les trente mois.
En cas de vacance d'un siège de membre du collège pour quelque cause que ce soit, il est pourvu à la nomination, dans les conditions prévues au présent article, d'un nouveau membre pour la durée du mandat restant à courir. Son mandat peut être renouvelé s'il a occupé ces fonctions de remplacement pendant moins de deux ans.
La haute autorité crée auprès d'elle un comité consultatif permettant d'associer à ses travaux des personnalités qualifiées choisies parmi des représentants des associations, des syndicats, des organisations professionnelles et toutes autres personnes ayant une activité dans le domaine de la lutte contre les discriminations et pour la promotion de l'égalité.
Elle dispose de services, placés sous l'autorité de son président, pour lesquels elle peut recruter des agents contractuels.
Le président représente la haute autorité et a qualité pour agir au nom de celle-ci.
En cas de partage égal des voix, celle du président de la haute autorité est prépondérante.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 13 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter le neuvième alinéa de cet article par les mots :
et au respect du pluralisme
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, vous voyez bien quels scrupules nous pouvons avoir en présentant cet amendement, qui est la reprise exacte d'un amendement proposé par M. le rapporteur lors de l'examen du texte en première lecture.
Vous savez, mes chers collègues, que, à l'occasion de cet examen en première lecture, le groupe socialiste s'était abstenu - Mme Bariza Khiari l'a précisé - au motif que le texte n'allait pas assez loin, notamment en cette matière de pluralisme, qui nous paraît très importante.
En séance publique, nous avions salué les efforts accomplis par M. le rapporteur afin que les personnes nommées par le Président de la République, le Premier ministre, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale le soient dans le respect du pluralisme.
Chacune de ces hautes personnalités nomme deux personnes : il n'est quand même pas difficile de leur demander de veiller au respect du pluralisme !
Comme nous connaissons des hautes autorités, voire des instances analogues, au sein desquelles le pluralisme n'est pas des plus respecté, nous avons pensé qu'une telle précision était susceptible de fournir une garantie. C'est la raison pour laquelle nous avons salué les efforts de M. le rapporteur en ce sens.
Je crois d'ailleurs me souvenir, mais peut-être n'ai-je pas été suffisamment attentif, que cet amendement déposé par M. le rapporteur en première lecture avait fait l'objet d'une large approbation de la part du Sénat.
Aujourd'hui, mes chers collègues, pourquoi revenir en arrière ? J'aimerais que vous me l'expliquiez !
Le Sénat, tout à coup, a-t-il été saisi d'une sorte de grâce venant de l'Assemblée nationale lui faisant trouver quelque peu imprudent de solliciter auprès de ces hautes personnalités le respect du pluralisme ? A-t-on été impressionné par la bévue de M. le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui a pris comme argument qu'une telle précision ne pourrait pas s'appliquer à la Cour de cassation, au Conseil d'Etat ou à d'autres instances ?
Pourtant, monsieur le rapporteur, vous aviez justement eu la sagesse, dans votre amendement, de ne viser que le Président de la République, les présidents des deux assemblées et le Premier ministre.
Je suis donc confondu, monsieur le rapporteur, d'autant que ne pèse pas sur nous l'impératif du vote conforme, procédure qui appauvrit de manière tout à fait inutile nos travaux : la commission a déposé des amendements et le projet de loi sera de nouveau examiné par l'Assemblée nationale.
Dès lors, quel inconvénient y a-t-il à ce que le Sénat soit fidèle à lui-même ?
Mes chers collègues, quelqu'un peut-il m'expliquer, car je ne demande qu'à être convaincu, la raison pour laquelle nous devrions changer de position, celle que nous avons adoptée il y a quelques jours à peine ayant été prise sur l'avis de M. le rapporteur ?
Je pense, j'espère, je veux croire que le Sénat restera fidèle à lui-même et qu'il votera cet amendement que mon groupe signe, en quelque sorte, à titre de suppléance, car M. le rapporteur aura bien compris qu'en l'occurrence nous rendons hommage à l'amendement qu'il avait lui-même déposé en première lecture.
M. le président. La parole est à Mme Eliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 13.
Mme Eliane Assassi. En première lecture, nous avions déposé un amendement visant à modifier la composition de la Haute autorité de telle sorte que des représentants d'organisations non gouvernementales, mais aussi d'associations qualifiées dans la lutte contre les discriminations en soient membres.
Notre amendement a été rejeté, et c'est finalement celui de notre collègue Alex Türk qui a été adopté. Nous ne faisons en l'occurrence que reprendre les termes de ce dernier, afin que la référence au pluralisme, indispensable selon nous, ait un caractère peut-être moins contraignant pour les instances de nomination des membres de la Haute Autorité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Tout d'abord, je tiens à remercier Jean-Pierre Sueur ; les compliments sont toujours agréables, même s'ils se rapportent au passé. Il s'agit peut-être d'une solidarité nordiste et même marcquoise, mais j'espère que cela va au-delà. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne veux pas entrer dans des considérations géographiques ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je ne suis pas dans une position facile, car j'ai présenté effectivement cet amendement en première lecture.
J'ai été, je dois le dire, assez désagréablement surpris par la réaction de nos collègues députés. En effet, cet amendement n'a pas suscité un enthousiasme délirant, ni dans les rangs de la majorité ni dans ceux de l'opposition. On aurait pourtant pu attendre quelque soutien sur ce point.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. A la réflexion, je me suis dit qu'il n'y avait pas de susceptibilité d'amour-propre à avoir, que l'essentiel était que l'idée ait fait son chemin.
J'ai eu l'impression, peut-être suis-je naïf, en lisant les comptes rendus de l'Assemblée nationale, que l'idée du pluralisme était devenue tellement évidente qu'il n'était plus absolument nécessaire de l'inscrire dans le marbre.
Si demain un parlementaire figurait dans le collège de la Haute autorité, ce qui est possible mais non certain, il me paraît absolument évident qu'un autre parlementaire serait nommé et que l'un ferait partie de la majorité et l'autre de l'opposition. Ce pourrait très bien être un sénateur de la majorité et un député de l'opposition ou inversement ; il n'est pas indispensable qu'il s'agisse de deux députés ou de deux sénateurs.
En outre, après les débats qui se sont déroulés tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, il me semble tout à fait inconcevable que les personnalités du monde politique siégeant à la Haute autorité ne soient pas représentatives à la fois des courants majoritaires et des courants d'opposition.
J'estime donc que l'essentiel du travail concret a été réalisé. Je prends acte du fait que nous sommes dans un système bicaméral et que l'hostilité de l'Assemblée nationale ne nous permettra pas d'obtenir entièrement satisfaction.
C'est la raison pour laquelle, dans un souci d'efficacité, je donne à grand regret un avis défavorable sur les amendements défendus par nos collègues, qui ne font que reprendre celui que j'ai présenté il y a quelques jours.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Je n'ai rien à ajouter aux explications qui ont été fournies par M. le rapporteur.
Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis quelque peu surpris par les arguments que vient de développer M. le rapporteur.
M. Robert Bret. Si on peut appeler cela des arguments !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, monsieur le rapporteur, vous nous avez d'abord expliqué que les députés de la majorité comme ceux de l'opposition avaient une position différente de la nôtre.
Certes, mais c'est justement ce qui justifie l'existence du Sénat. Le fait que le groupe socialiste de l'Assemblée nationale vote différemment de celui du Sénat n'est pas du tout un argument pour m'empêcher de voter comme je le souhaite.
Nous avons le droit d'avoir des opinions différentes de celles de nos collègues de l'Assemblée nationale. Si ce n'était pas le cas, le bicamérisme n'aurait aucune raison d'être.
M. André Lardeux. L'anomalie a du bon ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que l'idée avait fait son chemin et que, désormais, le pluralisme était un principe quasiment acquis. Je vous trouve bien optimiste !
Nous avons examiné ce texte en première lecture il n'y a pas si longtemps. Et voilà qu'en quelques jours l'idée d'un nécessaire pluralisme se serait tellement répandue que ce ne serait plus la peine de l'inscrire dans la loi. Quelle efficacité ! Permettez-moi d'être sceptique. N'est-ce pas une vision quelque peu idéaliste ? Et quand je dis idéaliste, j'emploie un terme plutôt sympathique.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez affirmé que le bon sens nous conduirait à appliquer le pluralisme dès lors qu'il y aurait deux personnes à nommer.
M. Robert Bret. Comptez sur eux !
M. Jean-Pierre Sueur. Si le bon sens s'appliquait dans ce cas là, il s'appliquerait également dans d'autres circonstances analogues.
Le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat nomment chacun plusieurs membres du Conseil constitutionnel. Or, si l'on peut estimer que les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas choisis sur des critères politiques, il n'en demeure pas moins que, pour certains d'entre eux avec lesquels nous avons siégé longtemps sur les travées du Parlement, il est difficile de faire abstraction de leurs convictions.
Il est par ailleurs fort peu courant que les personnalités qui disposent du pouvoir de nomination nomment des personnes de sensibilités différentes. Le Président de la République, par exemple, a déjà nommé plusieurs personnes, mais a-t-il manifesté ce souci de pluralisme ? Et je ne parle que du Conseil constitutionnel, on pourrait évoquer d'autres instances.
Il me semble donc que le pluralisme ne s'est pas imposé naturellement. Et c'est là que la loi a son utilité : une fois que nous aurons écrit ce sur quoi nous étions tous d'accord il y a quelques jours, le pluralisme s'imposera à toutes les autorités qui auront à désigner deux représentants.
J'espère, monsieur le rapporteur, avoir répondu à vos trois arguments et que, en conséquence, le Sénat ne se déjugera pas.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 13.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. Jean-Pierre Sueur. C'est triste !
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'antépénultième alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le collège ainsi constitué statue publiquement ; toutefois, il peut décider que les débats auront lieu à huis clos s'il constate que la publicité peut être dangereuse pour la dignité de la personne concernée.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis encore tout étonné par ce qui vient de se passer et j'ai beaucoup de mal à retrouver le fil de mon propos (Sourires), mais je vais me ressaisir, parce qu'il faut toujours réagir, même dans les situations les plus inattendues et les moins faciles à comprendre.
Cet amendement se justifie par son texte même. Il peut exister des circonstances dans lesquelles la publicité des débats risque de nuire aux intérêts, à la dignité ou à l'intimité des personnes concernées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je suis plus à l'aise pour répondre à Jean-Pierre Sueur sur cet amendement-ci. En effet, j'étais déjà hostile à l'amendement lors de la première lecture, ce qui prouve qu'il peut m'arriver également d'être cohérent ! (Sourires.)
Nous ne sommes pas ici dans le cadre d'une obligation de publicité puisque la Haute autorité n'a jamais prétendu, loin s'en faut, être une juridiction et qu'elle ne dispose pas d'un pouvoir de sanction. Il s'agit donc d'un problème d'opportunité.
Or, sur ce plan, la majorité de la commission des lois a estimé qu'afin de garantir l'indépendance de la Haute autorité il était plus judicieux que le contenu des discussions et la répartition des votes restent secrets ; bien évidemment, le résultat des délibérations, lui, serait public.
C'est la raison pour laquelle, la commission est défavorable à l'amendement n° 5.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Toute personne qui s'estime victime de discrimination peut saisir la haute autorité, dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat.
La haute autorité peut aussi se saisir d'office des cas de discrimination directe ou indirecte dont elle a connaissance, sous réserve que la victime, lorsqu'elle est identifiée, ait été avertie et qu'elle ne s'y soit pas opposée.
Les victimes de discrimination peuvent également saisir la haute autorité par l'intermédiaire d'un député, d'un sénateur ou d'un représentant français au Parlement européen.
Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre les discriminations ou d'assister les victimes de discrimination, peut saisir la haute autorité conjointement avec toute personne qui s'estime victime de discrimination et avec son accord.
La saisine de la haute autorité n'interrompt ni ne suspend les délais relatifs à la prescription des actions en matière civile et pénale et aux recours administratifs et contentieux.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
Toute personne qui s'estime victime de discrimination peut saisir la haute autorité qui en accuse réception. Elle peut être accompagnée dans sa saisine par une association ou toute personne de son choix.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Le projet de loi a rendu possible la saisine directe de la Haute autorité par toute personne qui s'estime victime de discrimination. Nous nous félicitons de ce choix particulièrement justifié en matière de lutte contre les discriminations. Toutefois, nous souhaitons préciser, quel que soit le mode de saisine qui sera retenu par le décret en Conseil d'Etat, que la Haute autorité devra accuser réception à l'intéressé.
Par ailleurs, cet amendement vise à prévoir expressément que la victime pourra être accompagnée dans sa saisine par une association ou par toute personne de son choix - avocat, conseil, association non gouvernementale, syndicat -, et ce afin de garantir l'accès des victimes à la Haute autorité.
En effet, certaines personnes peuvent ne pas être en mesure d'effectuer seules la démarche par crainte, par manque d'assurance ou par difficulté d'expression en français. Il paraît donc souhaitable qu'elles puissent être accompagnées dans leur démarche et que cette possibilité soit inscrite dans la loi.
Cette possibilité est également préconisée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mme Khiari a fait observer tout à l'heure que l'Assemblée nationale avait rejeté certains amendements qui lui semblaient importants. Elle a oublié de dire que les députés ont adopté d'autres amendements, tout aussi importants, dont ceux qui permettent d'ouvrir la saisine de la Haute autorité de manière conjointe aux parlementaires et aux associations.
Je rappelle que l'Assemblée nationale, à cet égard, était très largement revenue sur l'appréciation qu'elle avait portée en première lecture.
Quant à l'amendement n° 6, il me semble très largement satisfait par les amendements qui ont été adoptés par le Sénat et repris par l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, la partie de cet amendement qui concerne l'accusé de réception relève plus du domaine réglementaire que du domaine législatif.
Enfin, je rappelle que notre volonté était de responsabiliser au maximum la victime. Nous sommes parfaitement conscients du fait que la victime peut avoir besoin d'un appui. Mais celui-ci peut lui être procuré à la fois par le mouvement associatif et par les parlementaires nationaux ou européens. Nous estimons opportun d'en rester là.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 6.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Je souscris aux propos que vient de tenir M. le rapporteur.
J'ajouterai simplement à l'intention de Mme Khiari que l'intervention des associations, conjointement avec les victimes et avec leur accord, est prévue à l'article 3.
Le Gouvernement est donc également défavorable à l'amendement n° 6.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article additionnel après l'article 3
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité accorde une attention particulière à la répression des discriminations dont sont victimes les anciens membres supplétifs et assimilés de l'armée française en Algérie.
Elle consacre à cette tâche les moyens nécessaires et dresse le bilan de son action dans son rapport annuel.
Son comité consultatif comprend des représentants des associations d'anciens membres supplétifs et assimilés de l'armée française.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Cet amendement tend à ce que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité accorde une attention particulière aux discriminations dont sont spécifiquement victimes les anciens supplétifs et assimilés de l'armée française en Algérie. Il vise donc principalement les Harkis.
Vous le savez, mes chers collègues, le Sénat vient d'examiner le projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
Dans son article 1er quinquies, ce projet de loi prévoit que toute allégation injurieuse commise envers une personne à raison de sa qualité vraie ou supposée d'ancien supplétif est passible d'une amende de 12 000 euros.
Ce texte, je le rappelle, a été voté à l'unanimité par l'Assemblée nationale comme par le Sénat.
Notre rapporteur, Alain Gournac, avait proposé, dans la continuité de cet article, que la Haute autorité soit chargée de porter une attention particulière à la répression des discriminations dont sont victimes les anciens supplétifs.
Il avait également proposé que les moyens nécessaires soient consacrés à cette tâche et que le comité consultatif du nouvel organisme comprenne des représentants des associations d'anciens supplétifs.
Il fut répondu par le Gouvernement à notre rapporteur, dont nous soutenions l'amendement, que, la Haute autorité n'étant pas encore créée, il n'était pas possible de lui affecter de nouvelles tâches.
L'amendement a donc été retiré. Repris par le groupe socialiste, il a ensuite été rejeté par une majorité de la droite.
C'est dommage. En effet, il importe, si l'on veut avoir une action efficace, d'aller au-delà de la seule répression des insultes et de la diffamation : il faut une action en amont et, surtout, une action plus large, qui aille au-delà des seules paroles, si scandaleuses ces dernières soient-elles.
La discrimination forme un tout et elle est vécue quotidiennement. Elle est une entrave perpétuelle, et souvent souterraine, au plein exercice de la citoyenneté. Elle est la négation de la qualité pleine et entière de personne de ceux contre lesquels elle s'exerce. Elle vise à leur maintien dans une condition matérielle et sociale inférieure par un ensemble de moyens visant à la marginalisation et à l'humiliation.
Je rappelle que le rapporteur du projet de loi relatif aux rapatriés avait, comme nous, été sensible à la manière dont les anciens supplétifs et leur famille avaient été traités depuis leur arrivée sur notre sol.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Comme vient de le faire Mme Khiari, je citerai moi aussi l'article 1er quinquies du projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, article qui prévoit en effet que sont interdites « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ».
Nous nous trouvons donc dans une hypothèse où la discrimination est totalement consacrée par la loi et où la compétence de la Haute autorité est désormais pleine et entière.
Pour le reste, je m'interroge sur l'opportunité d'établir une priorité dans les discriminations puisque toute notre argumentation - argumentation qui nous est, je crois, largement commune - tend au contraire à donner à la mission de la HALDE un caractère universel : la lutte doit porter contre l'ensemble des discriminations, sans que l'une prédomine sur l'autre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L'amendement est donc en contradiction avec cet objectif, et c'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. M. le rapporteur a parfaitement exprimé les raisons qui conduisent le Gouvernement à émettre, lui aussi, un avis défavorable sur cet amendement.
Je rappelle que le souhait du Gouvernement est de permettre la réparation individuelle des discriminations. Pour fixer les compétences de la HALDE, le texte n'entre évidemment pas dans le détail des types de discriminations mais se réfère simplement à celles qui sont prohibées par la loi.
Cela étant dit, nous avons tout à fait conscience de la réalité du problème évoqué par Mme Khiari.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Par cet amendement, nous souhaitions contribuer au débat. Le projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a été examiné voilà peu. Ces questions nous ont beaucoup touchés et il nous semblait important d'appeler l'attention sur cette catégorie de population, afin surtout de lui permettre de participer, à travers les associations, au collège consultatif que le Gouvernement va créer.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3 bis
Supprimé
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 14 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La Haute autorité dispose, sur l'ensemble du territoire, de délégués qu'elle désigne dans des conditions fixées en Conseil d'Etat.
Les délégués apportent aux personnes visées au premier alinéa de l'article 3 les informations et l'assistance nécessaire au traitement des réclamations.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 8.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'espère d'autant plus que le Sénat va accepter cet amendement qu'il n'a pas manifesté l'intention d'émettre un vote conforme. Sans doute aurais-je eu sinon plus de difficultés à convaincre la majorité, mais, comme ce n'est pas le cas et que le rapporteur lui-même présente des amendements, je n'hésite pas, mes chers collègues, à vous présenter celui-ci.
Nous avons beaucoup regretté qu'en commission M. le rapporteur ne croie pas devoir retenir cet amendement qui ne vise à rien d'autre qu'à rétablir une disposition que nous avions été unanimes à voter en première lecture, disposition qui prévoit que « la Haute autorité dispose, sur l'ensemble du territoire, de délégués qu'elle désigne dans des conditions fixées en Conseil d'Etat ».
Le Médiateur de la République dispose d'un représentant dans chaque département et, en tant que parlementaires, nous savons tous quels services sont ainsi rendus à la population. Nous demandons qu'il en aille de même pour la Haute autorité.
Nous n'avons d'ailleurs pas fait preuve d'imagination, car c'est exactement ce que préconisait la commission Stasi, dont le président était bien placé, venant à peine de quitter la fonction de Médiateur de la République, pour savoir combien il est utile de disposer d'un représentant dans chaque département.
Les organismes étrangers similaires à la Haute autorité ont d'ailleurs créé des antennes ou des bureaux locaux, notamment en Belgique, au Royaume-Uni et au Canada.
On nous a dit qu'on était bien d'accord, mais qu'une telle disposition relevait du domaine du règlement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Or, pour le Médiateur de la République, ce n'est pas le règlement qui a prévu la mise en place des représentants dans les départements mais bien la loi,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. C'était une erreur, et ce n'est pas parce qu'on l'a commise une fois qu'on doit la commettre à nouveau !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ...et il est bien évident que, si nous voulons être sûrs que le Gouvernement mettra en place des délégués départementaux, il nous faut le prévoir dans la loi, car rien n'obligerait sinon le Gouvernement à le faire.
Notre amendement précise que ces délégués seront désignés « dans des conditions fixées en Conseil d'Etat », ce qui signifie que le Gouvernement aura tout de même la maîtrise absolue de la mise en place des délégués locaux.
Je me permets donc d'insister très vivement en faveur de l'adoption de cette disposition, qui paraît très logique et avait d'ailleurs paru très logique au Sénat en première lecture.
Nous avons fait remarquer en commission que nous avions déjà vu plusieurs fois les positions du Sénat l'emporter en commission mixte paritaire grâce à l'appui unanime de la représentation parlementaire de l'opposition, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, et je peux presque garantir qu'en l'espèce la commission mixte paritaire adopterait cet amendement, qui est celui-là même que le Sénat avait adopté en première lecture.
Les arguments en faveur de cet amendement se multiplient donc : je suis sûr, mes chers collègues, que je vous aurai tous convaincus et c'est pourquoi je vous remercie de voter l'amendement n° 8 !
M. le président. La parole est à Mme Eliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 14.
Mme Eliane Assassi. L'article 3 bis prévoyait l'instauration de délégués territoriaux chargés, sur l'ensemble du territoire, d'assurer le relais entre la Haute autorité, d'une part, les acteurs de la lutte contre les discriminations et les victimes, d'autre part.
Notre objectif était de donner ainsi à la HALDE les moyens d'assurer sa mission de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité au plus près des citoyens.
Je le redis, madame la ministre, j'ai bien entendu vos arguments,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s'agit d'engagements !
Mme Eliane Assassi. ...mais je continue de penser qu'il vaut mieux inscrire dans la loi que la HALDE disposera de délégués territoriaux. Nous donnerions ainsi une garantie supplémentaire tant aux victimes de discrimination qu'aux acteurs de la lutte contre les discriminations.
C'est pourquoi nous vous demandons, mes chers collègues, de faire preuve de la même sagesse qu'en première lecture et d'adopter cet amendement.
M. Robert Bret. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. J'avoue qu'une première lecture des travaux de l'Assemblée nationale m'avait porté - sans doute à tort - à croire à une sorte de réponse du « berger à la bergère ».
Nous nous étions en effet permis à l'occasion de l'examen de l'article 2 d'administrer une petite leçon sur la désignation des membres de la HALDE, faisant observer qu'il n'était pas constitutionnellement correct de prévoir la désignation par les autorités politiques de membres de sexes différents. En somme, l'Assemblée nationale nous a répondu en nous rappelant le caractère réglementaire de la désignation des délégués de la Haute autorité.
Plus sérieusement, je pense que nous sommes incontestablement ici dans le domaine du règlement.
Je rappelle d'ailleurs que les délégués du Médiateur de la République furent initialement créés par décret. Ce n'est que beaucoup plus tard - à partir de 2000 - que leur existence fut confirmée sur le plan législatif.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Toute réflexion faite !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il ne s'agit donc pas d'une loi mais d'un texte de forme législative, qui pourrait en conséquence être modifié par décret, après délégalisation par le Conseil constitutionnel.
Très honnêtement, je pense que le point le plus important n'est pas particulièrement celui de savoir si ces délégués sont créés par la loi ou par le règlement, mais bien plutôt celui de savoir s'ils vont ou non exister. Or nous avons reçu à cet égard l'assurance absolument formelle de Mme la ministre, qui vient encore d'y insister en nous donnant la confirmation financière de leur existence et en précisant que, dès la première année de fonctionnement, cinq délégations seraient mises en place.
Je pense donc, mes chers collègues, qu'au-delà de la forme nous avons pleinement satisfaction sur le fond. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur les deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Dans ma déclaration liminaire, j'ai en effet confirmé que la HALDE disposerait de cinq délégations territoriales, dont une outre-mer, et que le budget consacré à ces délégations pour la première année serait de 0,9 million d'euros.
Je confirme aussi qu'il s'agit d'une disposition de niveau réglementaire et je serais donc reconnaissante aux auteurs des amendements d'accepter, sous le bénéfice de l'assurance que leur donne le Gouvernement quant à la création de ces cinq délégations territoriales, de retirer ceux-ci.
A défaut, j'émettrai un avis défavorable, mais il serait dommage que l'engagement pris par le Gouvernement devant la Haute Assemblée ne suscite pas la crédibilité qu'il mérite.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, maintenez-vous votre amendement ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vais expliquer à Mme la ministre pourquoi nous ne sommes pas satisfaits par la réponse qui vient de nous être faite.
D'abord, chacun au Sénat sait bien que, lorsque le Parlement veut qu'une disposition soit prise, il a la possibilité, qu'elle soit ou non d'ordre réglementaire, de l'inscrire dans la loi. Mes chers collègues, nous l'avons déjà fait, nous serons encore amenés à le faire et, en l'espèce, je vous demande de le faire !
Ensuite, si le Gouvernement avait pris l'engagement de mettre en place des délégués départementaux, le problème serait un peu différent, mais il nous promet cinq délégations, dont une outre-mer, ce qui signifie qu'il y en aura quatre pour l'ensemble du pays,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Non, il y en aura vingt-six !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ...ce qui ne va pas manquer de créer une inégalité devant la loi.
Nous demandons qu'il y ait une délégation par département,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Par région !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ...précisément pour couvrir l'ensemble du territoire.
Cette disposition est dans notre amendement ; elle n'est pas, madame la ministre, dans votre réponse. Je crois volontiers que vous aimeriez pouvoir nous donner davantage satisfaction et je ne vous reproche pas de ne pas le faire. Je constate simplement que vous ne le faites pas et c'est pourquoi je demande avec beaucoup d'insistance au Sénat de voter cet amendement n° 8.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Cinq délégations territoriales seront mises en place immédiatement après la création de la Haute autorité, mais le texte en prévoit bien vingt-six. A terme, tout le territoire sera donc réellement couvert. Auparavant, il faut permettre à la Haute autorité de s'organiser. Les recrutements sont en cours, et il est bien spécifié que chaque région aura sa délégation.
Cela n'aurait en effet aucun sens, monsieur le sénateur, de ne pas traiter les discriminations au plus près du terrain ! Je vous confirme donc qu'il y aura, comme c'est inscrit dans le texte, vingt-six délégations.
Je vous donne l'assurance que les choses vont se mettre en place progressivement, car cela ne se fera pas en un ou deux mois. Il y aura cependant tout de suite cinq délégations, dont une en outre-mer, car les problèmes de l'outre-mer, que chacun connaît, méritent aussi toute notre attention, puis leur nombre total sera porté à vingt-six.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 14.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 7
La haute autorité peut, après avis adressé aux personnes intéressées et avec leur accord, charger un ou plusieurs de ses membres ou de ses agents de procéder à des vérifications sur place, dans les locaux administratifs, ainsi que dans les lieux, locaux, moyens de transport accessibles au public et dans les locaux professionnels, à condition que ces derniers soient exclusivement consacrés à cet usage.
Lors de ses vérifications sur place, elle peut entendre toute personne susceptible de fournir des informations.
Les agents de la haute autorité qui sont autorisés à procéder à des vérifications sur place en application du présent article reçoivent une habilitation spécifique donnée par le procureur général près la cour d'appel du domicile de l'agent dans des conditions et selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
En cas d'opposition du responsable des lieux, le président de la haute autorité peut saisir le juge des référés d'une demande motivée afin qu'il autorise les vérifications sur place. Les vérifications s'effectuent alors sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Celui-ci peut se rendre dans les locaux durant l'intervention. A tout moment, il peut décider l'arrêt ou la suspension des vérifications.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement a pour objet de permettre au président de la Haute autorité, en cas d'opposition du responsable des lieux à des vérifications sur place, de saisir le juge des référés afin qu'il autorise ces vérifications.
Effectivement, il semble, d'après le texte qui nous est soumis, qu'en cas de refus d'acceptation de ces vérifications sur place, la procédure s'arrête immédiatement, ce qui nous paraît reléguer les pouvoirs de la Haute Autorité dans le domaine du virtuel.
En outre, cet amendement est issu d'un amendement de notre collègue Alex Türk, et je sais que ce texte tient particulièrement à coeur au président de la mission de préfiguration de la Haute autorité.
Il a été reproché à l'amendement d'origine, lors des travaux de l'Assemblée nationale, de donner la possibilité à la Haute autorité d'intervenir dans le cadre des pouvoirs de l'autorité judiciaire, notamment d'exercer des pouvoirs de police judiciaire.
C'est la raison pour laquelle nous avons pris quelques précautions rédactionnelles supplémentaires pour que le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire soit réellement total, en prévoyant notamment que les vérifications ne pourraient avoir lieu qu'avec l'autorisation du juge et sous son contrôle et que ce dernier pourrait se rendre dans les locaux durant l'intervention et mettre fin aux vérifications à tout moment. Tout cela s'inspire très largement de l'organisation des pouvoirs au sein de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
En cas d'opposition du responsable des lieux, le président de la haute autorité peut saisir le juge des référés d'une demande motivée afin qu'il autorise les vérifications sur place.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. J'ai suivi avec beaucoup d'attention l'explication que vient de donner à l'instant M. le rapporteur, et je tiens à saluer son travail en l'espèce.
Une objection a bien été faite à l'Assemblée nationale sur l'amendement d'origine. Pénétrer dans tout lieu privé pour procéder à des vérifications constitue un pouvoir important ; on est là dans le domaine judiciaire, et il est normal que l'on prévoit des mesures protectrices des libertés afin que l'intervention ait lieu dans des conditions qui soient juridiquement fondées.
En la matière, monsieur le rapporteur, au lieu de vous rangez derrière la position de l'Assemblée nationale, vous proposez de revenir à la proposition du Sénat, à savoir celle de notre collègue Alex Türk, tout en la précisant, de manière qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.
Nous avons été extrêmement sensibles à cette démarche, qui va dans le bon sens. Nous allons ainsi retirer l'amendement n° 9, mais vous me permettrez de regretter monsieur le rapporteur, que vous n'eussiez pas eu l'attitude que nous adoptons aujourd'hui lors d'un certain nombre d'épisodes précédents au cours de ce débat.
M. le président. L'amendement n° 9 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1 ?
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Tout en saluant à nouveau le travail de M. le rapporteur, je préciserai que, comme me l'ont indiqué les services de la justice, il ressort de l'article 8 du projet de loi, que la Haute Autorité peut toujours saisir le juge des référés, y compris d'une question relative à des vérifications qu'elle entend effectuer dans des locaux.
Le fait que l'article 8 ne renvoie pas aux dispositions de l'article 7 est sans incidence. Ainsi, le juge, une fois saisi, peut ordonner toute mesure d'instruction qu'il estime utile.
Pour cette raison, monsieur le rapporteur - croyez bien que je le fais avec regret - le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En tant que rapporteur de la commission des lois, je ne peux, bien évidemment, donner un avis différent de celui qu'elle a émis sur cet amendement, ce qui ne m'empêche pas d'être sensible aux propos que vient de tenir Mme la ministre.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai été sensible à la très grande franchise de Mme la ministre, qui a reconnu avoir été éclairée par les services de la Chancellerie. Mais la Haute autorité, tout comme ses représentants, n'aura pas les services de la Chancellerie à sa disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre : il vaut donc beaucoup mieux inscrire cette précision dans la loi.
Elle n'allait pas de soi ; ce n'était pas évident pour Mme la ministre, ce ne le sera pas pour la Haute autorité. C'est d'ailleurs en connaissance de cause que nous venons de retirer notre amendement, car nous avons confiance dans la commission qui, à l'unanimité, a pris la même position que nous.
Je me permets d'insister pour que nous continuions à suivre la commission et pour que les choses soient claires : ce qui va sans dire - et la Chancellerie prétend que cela va sans dire - va encore mieux en le disant, donc disons-le !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Articles additionnels avant l'article 16
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La haute autorité promeut le recours à l'anonymat des curriculum vitae avant le premier entretien en vue d'embauche.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. J'ai déjà largement évoqué le curriculum vitae anonyme dans la discussion générale. Je ne vais pas m'étendre davantage, je dirai simplement qu'une réflexion sur ce sujet se justifie largement dans la mesure où des jeunes qui ont fait de très bonnes études se voient refuser régulièrement un premier entretien d'embauche. Le curriculum vitae anonyme devrait être un outil de l'égalité républicaine. Les concours que nous passons sont anonymes, les curriculum vitae des cadres de haut niveau ou à fort potentiel recrutés par les chasseurs de têtes sont anonymes. Je souhaiterais que le Gouvernement réfléchisse à la promotion de ce curriculum vitae anonyme.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ce n'est pas sur le principe même du curriculum vitae anonyme que j'émettrai un avis défavorable.
Dans mon premier rapport, j'avais rappelé que l'Observatoire des discriminations de l'Université Paris I avait relevé que les personnes les plus pénalisées étaient non pas les personnes de couleur, comme vous l'avez dit, ma chère collègue, mais les personnes handicapées, qui avaient quinze fois moins de chance d'accéder au premier entretien que la personne de référence.
Pour ce qui est de l'amendement, je répondrai qu'il faut laisser à la HALDE le temps de se mettre en place ; il faut lui laisser le temps de faire des propositions comme l'y incite l'article 14 du projet de loi. En l'état actuel des choses, il ne me paraît pas opportun de l'assaillir de toute une série de préconisations, alors qu'il s'agit d'une autorité administrative indépendante et qu'elle pourra se forger sa propre jurisprudence.
C'est la raison pour laquelle l'avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 16, insérer un article ainsi rédigé :
La haute autorité promeut dans les entreprises de plus de 50 salariés la création, au sein du bilan social, d'un chapitre relatif à la politique en matière de lutte contre les discriminations.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Cet amendement, dans le même esprit que l'amendement précédent, vise à lutter contre les discriminations dans les entreprises.
Les entreprises utilisent comme argument de marketing leurs actions en faveur de l'environnement. Elles pourraient de même se faire une réputation d'entreprise citoyenne en faisant la publicité, à travers leur bilan social, de ce qu'elles réalisent pour la réduction des inégalités de salaire entre les hommes et les femmes, pour la lutte contre les discriminations et pour l'insertion des personnes handicapées. Le travail des agences de notation sociale en serait facilité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L'amendement procède en effet du même état d'esprit que le précédent, et la réponse de la commission sera donc de même nature.
Il va de soi que la Haute autorité pourra promouvoir de bonnes pratiques concernant le fonctionnement des entreprises, dans le cadre des compétences définies par l'article 14.
Elle pourra également soutenir l'adoption de chartes, comme la charte de la diversité initiée par l'institut Montaigne. Mais à nouveau, je dirai : laissons-lui le temps d'exister, laissons-lui le temps de se mettre en place, laissons-lui le temps de définir et d'élaborer sa propre jurisprudence et sa propre stratégie !
L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 16
Les crédits nécessaires à la haute autorité pour l'accomplissement de sa mission sont inscrits au budget du ministère chargé des affaires sociales. Son président est ordonnateur des recettes et des dépenses.
La haute autorité est soumise au contrôle de la Cour des comptes. - (Adopté.)
TITRE II
MISE EN OEUVRE DU PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ENTRE LES PERSONNES SANS DISTINCTION D'ORIGINE ETHNIQUE ET PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE N° 2000/43/CE DU 29 JUIN 2000
Intitulé (réservé)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Monsieur le président, je demande la réserve de l'amendement n° 2 et, par conséquent, de l'intitulé du titre II, jusqu'après le vote de l'amendement n° 3.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. le président. La réserve est de droit.
Article 17
En matière de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux, d'éducation, d'accès aux biens et services, de fournitures de biens et services, d'affiliation et d'engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d'avantages procurés par elle, ainsi que d'accès à l'emploi, d'emploi et de travail indépendants ou non salariés, chacun a droit à un traitement égal, quelles que soient son origine nationale, son appartenance ou sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race.
Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte en ces domaines établit devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le précédent alinéa ne s'applique pas devant les juridictions pénales.
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
Chacun a droit à un traitement égal, quels que soient son origine, son sexe, sa situation de famille, son apparence physique, son patronyme, son état de santé, son handicap, ses caractéristiques génétiques, ses moeurs, son orientation sexuelle, son âge, ses opinions politiques, son activité syndicale, son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne faut pas jouer sur les mots : lors de la première lecture, un accord s'est dégagé dans cette enceinte pour viser très largement toutes les discriminations possibles et pour dire que, en matière de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux, d'éducation, d'accès aux biens et services, de fournitures de biens et services, d'affiliation et d'engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d'avantages procurés par elle, ainsi que d'accès à l'emploi, d'emploi et de travail indépendants ou non salariés, chacun a droit à un traitement égal, quels que soient son origine, son sexe, etc.
Et voilà que l'Assemblée nationale a eu l'idée saugrenue selon laquelle un traitement égal signifiait qu'il fallait traiter tout le monde de la même manière, et donc une personne handicapée comme une autre, ce qui impliquerait, par exemple, d'offrir à cette personne une place debout, alors même qu'elle serait dans un fauteuil roulant. Il ne s'agit évidemment pas de cela : le traitement égal suppose l'existence d'inégalités qui font l'objet de dispositions législatives particulières.
Partant de son raisonnement, l'Assemblée nationale s'est contentée de limiter la protection à l'origine nationale - formule assez curieuse d'ailleurs : qu'est-ce en effet que l'origine nationale ? -, à l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou à une race. Il n'est fait mention d'aucune autre source de discrimination, comme la religion, par exemple.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, c'est vraiment étonnant !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sensible à quelques absences de ce genre, la commission a proposé la formule suivante, plus ramassée que celle qui avait été retenue à l'issue de la première lecture au Sénat : « quels que soient son origine, son sexe, ses moeurs, son orientation sexuelle, sa situation de famille, son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, ses opinons politiques, ses activités syndicales ou mutualistes - ces dernières sont évidemment comprises dans les activités syndicales -, son apparence physique, ou son patronyme. »
Ce n'est déjà pas mal, mais ce n'est pas suffisant : l'article 225-1 du code pénal prévoit en effet toutes les discriminations possibles qui sont sanctionnées par la loi pénale.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Notre amendement n° 12 vise à reprendre les termes de cet article.
J'en profite, monsieur le président, pour vous faire part d'une légère rectification que nous souhaiterions y apporter. Il vise en effet à rédiger la fin et non pas le début du premier alinéa de l'article 17. Le dispositif devrait dont se lire ainsi : « Après les mots "ou non salariés" rédiger comme suit la fin du premier alinéa de cet article ». Puis viendrait le texte de l'amendement, qui ne subirait aucun changement, mis à part le mot « Chacun », qui doit prendre une minuscule puisqu'il s'insère au milieu de la phrase.
Dans votre propre texte, monsieur le rapporteur, la mention de la religion a disparu, ce qui est tout de même un comble !
S'agissant de la mention du handicap, vous nous avez objecté que celui-ci ne fera pas l'objet d'un traitement égal puisqu'il sera mieux traité, alors même que vous avez cité l'apparence physique, laquelle comprend évidemment le handicap. Par conséquent, votre réponse à notre observation n'est pas valable.
Le plus sûr est de reprendre les termes du code pénal et, ne nous faisons pas de fausses peurs, la Haute autorité saura comprendre le texte et veiller à ce qu'il n'y ait pas de discriminations à l'encontre de tous ceux qui sont d'ores et déjà protégés par la loi.
Voilà pourquoi je me permets d'insister pour que notre amendement n° 12 rectifié soit adopté.
M. le président. Je suis donc saisi de l'amendement n° 12 rectifié, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Après les mots :
ou non salariés,
rédiger comme suit la fin du premier alinéa de cet article :
chacun a droit à un traitement égal, quels que soient son origine, son sexe, sa situation de famille, son apparence physique, son patronyme, son état de santé, son handicap, ses caractéristiques génétiques, ses moeurs, son orientation sexuelle, son âge, ses opinions politiques, son activité syndicale, son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
L'amendement n° 3, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après les mots :
droit à un traitement égal,
rédiger comme suit la fin du premier alinéa de cet article :
quels que soient son origine, son sexe, ses moeurs, son orientation sexuelle, sa situation de famille, son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou mutualistes, son apparence physique, ou son patronyme.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement ne se distingue pas fondamentalement de l'amendement n° 12 rectifié, puisque l'un comme l'autre visent à éviter une transposition a minima de la directive du 29 juin 2000et donc à étendre à des critères de discrimination autres que les seuls critères de discrimination raciale ou ethnique le droit à un traitement égal dans les matières visées par ladite directive.
La différence entre les deux listes résulte de notre souci de prévenir tout risque de conflit avec des dispositions législatives existantes.
C'est ainsi que nous n'avons pas retenu le critère de l'âge qui fait l'objet, à l'article L.122-45 du code du travail, de dispositions spécifiques tendant à la protection des travailleurs jeunes et âgés.
Nous n'avons pas repris non plus le critère des convictions religieuses pour ne pas susciter de contentieux au regard de la législation sur la laïcité. Au demeurant, le sous-amendement n° 15 rectifié nous permettra peut-être de nous rejoindre sur ce point, monsieur Sueur.
Bref, tout en étant techniquement complémentaires, ces deux amendements seront amenés à s'exclure l'un l'autre.
M. le président. Le sous-amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Seillier, Mme Bout, M. Girod, Mme Hermange, MM. Lardeux et Mouly, Mme Payet, M. Revet, Mme Rozier et M. Marini, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par l'amendement n° 3 pour rédiger la fin du premier alinéa de cet article, après les mots :
ses activités syndicales ou mutualistes
insérer les mots :
ses convictions religieuses, exprimées dans le respect des traités, des textes constitutionnels et législatifs en vigueur
La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Ce sous-amendement pourrait en effet lever les inquiétudes exprimées par la commission dans la mesure où il vise à préciser, pour éviter tout conflit avec la législation sur la laïcité, que les convictions religieuses doivent évidemment être exprimées dans le respect de l'application des traités, des textes constitutionnels et législatifs en vigueur.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour tenir compte de vos observations, monsieur le rapporteur, je me propose de modifier la rédaction de l'amendement n° 12 rectifié, qui se lirait comme suit : « chacun a droit à un traitement égal, sans préjudice des mesures de protection législatives ou réglementaires, quels que soient son origine, son sexe... », le reste étant sans changement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 12 rectifié bis, présenté par Mme Khiari, MM. Assouline, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Après les mots :
ou non salariés,
rédiger comme suit la fin du premier alinéa de cet article :
chacun a droit à un traitement égal, sans préjudice des mesures de protection législatives ou réglementaires, quels que soient son origine, son sexe, sa situation de famille, son apparence physique, son patronyme, son état de santé, son handicap, ses caractéristiques génétiques, ses moeurs, son orientation sexuelle, son âge, ses opinions politiques, son activité syndicale, son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de quelques instants.
M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, monsieur le président.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mercredi 22 décembre 2004, à zéro heure dix, est reprise à zéro heure vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 12 rectifié bis et sur le sous-amendement n° 15 rectifié ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission n'est pas favorable à l'amendement n° 12 rectifié bis parce qu'il est techniquement incompatible avec l'amendement n° 3, même si, sur le fond, il ne s'en éloigne guère.
En revanche, la commission est favorable au sous-amendement n° 15 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable aux amendements n°s 12 rectifié bis et 3 ainsi qu'au sous-amendement n° 15 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l'amendement n° 12 rectifié bis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est clair que la religion a été oubliée ; cela n'a d'ailleurs pas échappé à M. Seillier, qui a indiqué que l'expression des convictions religieuses se fait dans le respect des traités, des textes constitutionnels et législatifs en vigueur. Le code pénal, dont personne n'a demandé jusqu'à présent la modification, parle d' « une religion déterminée », et c'est suffisant. Il ne s'agit pas de la manifestation extérieure, ostensible ou pas, d'une appartenance religieuse ; il s'agit de la religion, un point c'est tout.
Je l'avoue, je suis déçu. Certes, l'amendement n° 3 est incompatible avec mon amendement, mais je pensais avoir réussi à démontrer que notre amendement était meilleur dans la mesure où sa rédaction se rapproche de celle que M. le rapporteur avait proposée en première lecture. Je pensais également que la rectification que nous avions apportée répondait à votre crainte, monsieur le rapporteur. Mais vous avez à peine eu le temps de l'entendre puisque la suspension de séance avait déjà été demandée, pour une autre raison.
Je le répète, notre amendement vise à prévoir que « chacun a droit à un traitement égal, sans préjudice des mesures de protection législatives ou réglementaires ». Aucun problème ne se pose donc plus.
La commission ayant exprimé un avis défavorable sur l'amendement n° 12 rectifié bis, nous demandons un scrutin public sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12 rectifié bis.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 159 |
Pour l'adoption | 124 |
Contre | 193 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 15 rectifié.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 17.
(L'article 17 est adopté.)
Intitulé du titre II (suite)
M. le président. Nous en revenons à l'amendement n° 2 et à l'intitulé du titre II, précédemment réservés.
L'amendement n° 2, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans l'intitulé du titre II, supprimer les mots :
sans distinction d'origine ethnique
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L'amendement n° 3 n'ayant pas été adopté, le présent amendement n'a plus d'objet et je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Je mets aux voix l'intitulé du titre II.
(Cet intitulé est adopté.)
Article 17 bis
Après le huitième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal. »
M. Philippe Marini. Je voterai contre cet article, ainsi que contre les articles 17 ter et 17 quater, monsieur le président.
M. André Lardeux. Moi également !
M. Bruno Retailleau. Moi de même !
M. Henri Revol. Moi aussi, monsieur le président !
M. le président. Je mets aux voix l'article 17 bis.
(L'article 17 bis est adopté.)
Article 17 ter
La loi du 29 juillet 1881 précitée est ainsi modifiée :
1° Après le deuxième alinéa de l'article 32, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. » ;
2° Après le troisième alinéa de l'article 33, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent l'injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. » - (Adopté.)
Article 17 quater
La loi du 29 juillet 1881 précitée est ainsi modifiée :
1° Le 6° de l'article 48 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La poursuite pourra également être exercée d'office par le ministère public lorsque la diffamation ou l'injure aura été commise envers un groupe de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle ; il en sera de même lorsque ces diffamations ou injures auront été commises envers des personnes considérées individuellement, à la condition que celles-ci aient donné leur accord ; »
2° Après l'article 48-3, sont insérés trois articles 48-4 à 48-6 ainsi rédigés :
« Art. 48-4. - Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre les violences ou les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ou d'assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits prévus par le neuvième alinéa de l'article 24, le troisième alinéa de l'article 32 et le quatrième alinéa de l'article 33.
« Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes.
« Art. 48-5. - Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre les violences ou les discriminations fondées sur le sexe ou d'assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits prévus par le neuvième alinéa de l'article 24, le troisième alinéa de l'article 32 et le quatrième alinéa de l'article 33.
« Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes.
« Art. 48-6. - Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre les violences ou les discriminations fondées sur le handicap ou d'assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits prévus au neuvième alinéa de l'article 24, au troisième alinéa de l'article 32 et au quatrième alinéa de l'article 33.
« Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes. » ;
3° Au neuvième alinéa de l'article 24, au troisième alinéa de l'article 32 et au quatrième alinéa de l'article 33, les mots : « par l'alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « par les deux alinéas précédents » ;
4° Au premier alinéa de l'article 63, les références : « alinéa 5 », « alinéa 2 » et « alinéa 3 » sont respectivement remplacées par les références : « alinéas 5, 6, 8 et 9 », « alinéas 2 et 3 » et « alinéas 3 et 4 ». - (Adopté.)
Seconde délibération
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Monsieur le président, le Gouvernement demande au Sénat de procéder à une seconde délibération sur l'article 7.
M. le président. En application de l'article 43, alinéa 4, du règlement, le Gouvernement demande qu'il soit procédé à une seconde délibération sur l'article 7.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Favorable.
M. le président. Je consulte le Sénat sur cette demande de seconde délibération, acceptée par la commission.
La seconde délibération est ordonnée.
Je rappelle au Sénat les termes de l'article 43, alinéa 6, du règlement :
« Dans sa seconde délibération, le Sénat statue seulement sur les nouvelles propositions du Gouvernement ou de la commission, présentées sous forme d'amendements et sur les sous-amendements s'appliquant à ces amendements. »
Nous allons procéder à l'examen de l'article 7 faisant l'objet de la seconde délibération.
Je vais donner lecture de l'article 7 tel qu'il a été précédemment adopté par le Sénat.
Article 7
La haute autorité peut, après avis adressé aux personnes intéressées et avec leur accord, charger un ou plusieurs de ses membres ou de ses agents de procéder à des vérifications sur place, dans les locaux administratifs, ainsi que dans les lieux, locaux, moyens de transport accessibles au public et dans les locaux professionnels, à condition que ces derniers soient exclusivement consacrés à cet usage.
En cas d'opposition du responsable des lieux, le président de la haute autorité peut saisir le juge des référés d'une demande motivée afin qu'il autorise les vérifications sur place. Les vérifications s'effectuent alors sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Celui-ci peut se rendre dans les locaux durant l'intervention. A tout moment, il peut décider l'arrêt ou la suspension des vérifications.
Lors de ses vérifications sur place, elle peut entendre toute personne susceptible de fournir des informations.
Les agents de la haute autorité qui sont autorisés à procéder à des vérifications sur place en application du présent article reçoivent une habilitation spécifique donnée par le procureur général près la cour d'appel du domicile de l'agent dans des conditions et selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat.
M. le président. L'amendement n° A-1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer le deuxième alinéa de cet article.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Il est proposé de revenir à la rédaction adoptée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut garder son flegme et son calme. Vous souvenez-vous de ce film « Ma femme est une sorcière », où la sorcière passait et, « hop », changeait la vie ?
La commission ne s'est pas réunie. Nous apprenons seulement maintenant que le Gouvernement demande une seconde délibération. M. le président de la commission donne son accord. M. le rapporteur est ensuite interrogé, mais au lieu de maintenir son amendement, adopté par la commission, il dit qu'il s'en remet à la sagesse du Sénat sur celui qu'a déposé le Gouvernement !
Je veux encore croire que M. le rapporteur estime que la sagesse évidente consiste à voter en l'instant de la même manière qu'il y a cinq minutes et que l'argumentation développée alors reste valable ; à moins que, lors de la réunion informelle de tout à l'heure - à laquelle on ne sait qui était invité pas plus que l'on ne sait qui était exclu -, vous n'ayez été prévenus qu'il y aurait une seconde délibération.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous n'avons pas à nous justifier !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Lorsque nous nous sommes prononcés, j'ai été étonné de voir M. le président de la commission se précipiter vers certains de nos collègues qui venaient de voter l'amendement. Mais il m'a rassuré en me disant qu'il votait pour. Il était donc d'accord avec sa commission. En fait, je n'ai pas eu l'impression qu'il s'agissait de cela ; il m'a plutôt semblé qu'il faisait des reproches à certains de ceux qui le votaient....
M. Philippe Marini. C'est du mauvais roman !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous êtes bien placé, mon cher collègue, pour me rassurer ! Je le suis pleinement !
Cela dit, je demande au Sénat d'être logique avec lui-même. Vous avez considéré, tout à l'heure, qu'il était normal que figurent dans la loi des dispositions qui étaient si peu évidentes que Mme le ministre elle-même a eu besoin que les services de la Chancellerie lui donnent des précisions.
Nous demandons un scrutin public sur l'amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce qui se passe ici est extrêmement troublant.
M. Philippe Marini. Nous en avons vu d'autres et nous en verrons encore !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous en avez vu beaucoup, en effet, mais nous ne nous résignons pas, pour notre part, à ce qui se passe ce soir et qui est assez choquant.
C'est la quatrième fois que nous sommes en train de défendre des propositions qui ont été celles du rapporteur et de la commission,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est la deuxième fois !
M. Jean-Pierre Sueur. ...en première comme en deuxième lecture.
De quoi s'agit-il ? Nous avons adopté la position commune du Sénat, de la commission des lois et du rapporteur. L'Assemblée nationale l'a supprimée. M. le rapporteur propose une rédaction différente pour tenir compte des craintes exprimées par nos collègues députés. Cette rédaction est très claire et précise que si la Haute autorité éprouve des difficultés pour faire une vérification sur place, elle saisira le juge, l'opération se passant, dès lors, sous le contrôle exclusif de celui-ci.
Je ne vois pas ce qu'il y a là de choquant. Quelles garanties sont mises en cause ? Au contraire, de nouvelles sont offertes.
Le seul argument qui nous a été donné par les services que Mme le ministre a cités est que, dans le texte, un autre article aboutit pratiquement au même résultat. Une seconde délibération est donc nécessaire à cause d'un léger risque de redondance !
Nous, nous disons que l'amendement du rapporteur et de la commission apporte une précision utile. Alors que le Sénat s'est prononcé majoritairement voilà quelques instants, je ne comprends vraiment pas pourquoi il faut que, par une seconde délibération, le Gouvernement demande au Sénat de changer d'avis pour faire plaisir à je ne sais quel service. En effet, c'est la garantie offerte par le pouvoir judiciaire dans notre pays qui figure dans le texte. Et cela, personne ne peut le contester !
Il est tout à fait aberrant de participer à un débat où le Sénat se déjuge continuellement alors qu'il s'agit de sujets importants. Nous avions réalisé, ensemble, des avancées importantes, et je ne sais pour quelle raison il faut aujourd'hui revenir en arrière, au nom d'impératifs catégoriques auxquels je ne comprends rien. Je suis rationaliste, j'essaie de comprendre, mais là, vraiment, c'est impossible !
Si vous voulez un vote conforme pour que l'on n'en parle plus et que ce soit « emballé », dites-le ! Je précise tout de même que le calendrier permet que nous continuions à discuter. Il ne faut pas réagir sur cette affaire par rapport à des questions de calendrier !
C'est un sujet important ; nous considérons que les choses se passent très mal et nous le regrettons profondément.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° A1.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 65 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 158 |
Pour l'adoption | 191 |
Contre | 123 |
Le Sénat a adopté.
Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
M. le président. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous ne nous opposerons pas à la création de la Haute autorité parce qu'elle représente, comme je l'ai dit dans la discussion générale, une espérance partagée, celle d'un horizon commun respectueux de la diversité.
Nous considérons cependant qu'il serait vain de penser qu'elle aura pour effet une mobilisation à la hauteur des espoirs qu'avait suscités le discours prononcé par le Président de la République à Troyes, le 14 octobre 2002. En effet, la composition proposée dans le projet de loi est loin de rendre ce collège réellement indépendant et représentatif de la diversité de la société française, ce qui prive la Haute autorité d'une réelle légitimité.
J'admire l'optimisme de M. le rapporteur sur cette question et j'espère, comme lui, que nos débats et nos idées feront école. Un passé récent nous rend méfiants à cet égard.
Par ailleurs, pour être réellement effective, cette création doit absolument s'accompagner d'une véritable politique de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, politique qui relève de la responsabilité de l'Etat, lequel doit déterminer des objectifs, des plans et des actions dans les domaines de la prévention, de l'éducation, de la médiation et de la répression.
Contrairement à ce qui prévaut à l'étranger, notamment en Belgique, au Royaume-Uni et au Canada, vous n'avez pas ressenti la nécessité de consacrer dans la loi, comme nous vous le proposions, la création d'antennes sur l'ensemble du territoire. Pourtant, un réseau de délégués semble indispensable afin de tenir compte des réalités du terrain, de rapprocher, selon une logique de proximité, la Haute autorité des victimes de discriminations et d'assurer ainsi la mise en oeuvre effective de ses actions comme de sa politique de communication sur l'ensemble du territoire.
S'agissant de la sanction des propos homophobes et sexistes, elle nous satisfait. Toutefois, nous dénonçons la méthode employée, c'est-à-dire l'introduction du dispositif dans le projet de loi par voie d'amendement, la veille du débat, en toute fin d'après-midi. Il s'agissait de tenter de contourner l'hostilité d'une partie de votre majorité, madame la ministre, l'avis négatif de la Commission nationale consultative des droits de l'homme venant s'y ajouter.
Nous nous réjouissons de l'adoption des amendements visant à lutter contre les propos discriminatoires à caractère sexiste et homophobe. A travers ces dispositions, il s'agira de ne pas dépasser la mesure dans la dérision lorsque l'on abordera le domaine de la dignité humaine. La juste mesure a été trouvée, me semble-t-il, entre liberté d'expression et atteinte à la dignité des personnes.
Compte tenu du sort qui a été réservé à nos amendements et du point d'achoppement que constitue l'absence de garantie du pluralisme, sans parler du véritable tour de passe-passe qui vient d'être opéré pour obtenir finalement un vote conforme, le groupe socialiste s'abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il n'est pas d'usage que l'on multiplie les explications de vote d'orateurs appartenant à un même groupe. Néanmoins, nous serons trois à nous exprimer pour manifester notre profond malaise et notre réprobation devant ce qui s'est passé au cours de cette séance.
Nous considérons que les mesures relatives aux discriminations liées à l'orientation sexuelle et à l'homophobie sont nécessaires et justifiées. Cependant, nous ne pouvons pas voter le texte compte tenu des reculs que nous avons observés. Déjà, nous estimions que la rédaction adoptée en première lecture était affectée d'un certain nombre de défauts, ce qui avait justifié alors notre abstention. Or, ce soir, nous sommes encore plus fondés à dire notre désaccord, et ce sur trois points que je rappelle brièvement.
Le premier concerne la question du pluralisme. Parce que l'Assemblée nationale en a décidé ainsi, le Sénat refuse le pluralisme, auquel il était pourtant attaché s'agissant de la désignation d'un certain nombre de membres de la Haute autorité. Un tel refus n'a pas de justification, et aucun des arguments qui ont été fournis n'est probant. C'est un recul sur toute la ligne de la part du Sénat.
Le deuxième vise cet épisode de la seconde délibération sur une disposition - la garantie judiciaire - qui résultait d'une initiative du rapporteur du Sénat. Très franchement, cette seconde délibération n'a pas plus de justification que le refus du pluralisme ou plutôt, elle en a une, et j'y viens pour finir.
Troisièmement, en effet, vous avez refusé de reprendre à l'article 17, comme l'a pourtant remarquablement plaidé notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, la définition des discriminations données par l'actuel article 225-1 du code pénal. Pire, alors que j'ai cru comprendre que l'accord s'était fait sur des amendements du Sénat, il n'en est rien resté. Nous avons vite compris pourquoi : eu égard aux divisions, aux difficultés, aux réticences que suscitent, au sein de la droite, certains aspects importants de ce texte, il est apparu au fil de la soirée qu'il fallait absolument obtenir un vote conforme.
Donc, on a tout sacrifié pour le vote conforme, de manière que rien de tout cela ne revienne en discussion, qu'il n'y ait pas de commission mixte paritaire, qu'il n'y ait pas une autre lecture à l'Assemblée nationale. On a refusé de faire le travail correctement, comme on aurait dû le faire, et cela aboutit à ce résultat complètement pitoyable que, dans la liste des discriminations de l'article 17, ne figure plus la religion. Ainsi donc, chers collègues, vous établissez en quelque sorte une discrimination entre les discriminations !
Je ne comprends pas pourquoi on n'ajoute pas dans cette liste de l'article 17 la religion, alors qu'elle figure textuellement à l'article 225-1 du code pénal, lequel mentionne l'appartenance ou la non-appartenance, « vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Pour voter ce texte conforme, pour qu'il y ait silence dans les rangs par rapport à un certain nombre de ses articles, vous acceptez de voter des dispositions sur lesquelles nombre d'entre vous sont en fait en désaccord.
Il s'agit donc d'une manoeuvre et je la dénonce comme telle parce que, sur un sujet aussi crucial que celui des discriminations, on pouvait, on devait, on doit vraiment agir autrement.
M. le président. La parole est à Mme Eliane Assassi.
Mme Eliane Assassi. Au cours de l'examen de ce texte, nous avons approuvé plusieurs dispositions, notamment celles qui sont relatives à la lutte contre l'homophobie et le sexisme, mais, conformément à ce que j'ai annoncé dans la discussion générale, et parce que nous n'avons pas été entendus s'agissant du pluralisme dans la composition de la HALDE ainsi que de la nomination des délégués territoriaux, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra.
J'ajoute que je suis un peu déçue ce soir, car nous avons assisté à des reculs plutôt qu'à des avancées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'expliquerai mon vote à titre personnel. En effet, je suis contre ce texte, car il est véritablement lamentable.
Oui ce texte est lamentable, et je ne comprends pas l'attitude du Gouvernement à l'égard du Sénat. Vraiment, le Sénat fait perdre un temps fou au Parlement ! Il serait tellement plus simple de ne déposer les textes que sur le bureau de l'Assemblée nationale ; par la suite, votre majorité n'aurait plus qu'à déposer et à voter une motion tendant à opposer la question préalable : ce vote de la question préalable équivaudrait au rejet du texte, et tout irait beaucoup plus vite ! Une autre solution serait, tout au contraire, que la majorité vote conforme immédiatement, sans débat.
M. Robert Bret. Nous aurions gagné du temps !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Au moins ce serait plus clair et plus franc.
Mes chers collègues, était-ce du cinéma quand vous avez travaillé ce texte comme vous l'avez travaillé, en formulant toutes les propositions que vous avez formulées et en les maintenant, il est vrai pour certaines d'entre elles seulement, jusqu'en deuxième lecture ?
Il eût pourtant été si simple de faire comme tous les pays démocratiques, c'est-à-dire d'instituer un ombudsman ou bien, à la rigueur, de prévoir l'élection d'un collège avec une majorité qualifiée de l'Assemblée nationale, voire du Sénat. Mais non, vous persistez dans l'idée d'une autorité dite « indépendante », alors que tous les exemples existants démontrent que ces autorités ne sont pas indépendantes et que leurs membres sont désignés d'une manière qui ignore totalement le pluralisme.
Pourtant, notre rapporteur avait dit qu'il fallait du pluralisme, et la commission des lois avait suivi son rapporteur. Mais voilà que, l'Assemblée nationale l'ayant supprimé, la commission des lois du Sénat a accepté de le supprimer également.
On avait même prétendu à l'Assemblée nationale que le pluralisme était exigé pour la désignation du membre choisi par les chefs de cour. Evidemment, c'était un argument fallacieux, puisque nous ne demandions le pluralisme que pour la désignation par les personnalités politiques.
Malgré cela, nous avions été étonnés de voir le rapporteur abandonner ce point de vue. Vous pouviez faire en sorte qu'il l'emporte, comme je le rappelais tout à l'heure, grâce aux votes conjugués des oppositions du Sénat et de l'Assemblée nationale ; c'est déjà arrivé sur certains textes, en particulier, sur la loi « Perben II », s'agissant notamment des pollutions marines, après de très, très longs débats. Vous n'aviez pas refusé, alors, que les voix de l'opposition viennent s'ajouter aux vôtres...
Vous demandiez qu'il y ait des délégués, comme il y en a pour le Médiateur de la République. Et combien ? Cinq, dont un pour l'outre-mer ! Je n'ai pas fait d'objection sur le délégué de l'outre-mer, mais, quand nous avons plaidé qu'il en fallait sur tout le territoire, au nom de la « proximité », pour reprendre une expression à la mode que vous connaissez bien, on nous a répondu qu'il y aurait vingt-six délégués. Or il y a, outre les départements et territoires d'outre-mer, quatre-vingt-quinze départements métropolitains, raison pour laquelle il faut beaucoup plus que vingt-cinq délégués. A défaut, celui qui voudra se plaindre d'une discrimination devra aller à des kilomètres de chez lui. Il faut évidemment au moins un délégué par département.
Au reste, chers collègues, sur tout ce que je dis là, vous êtes bien d'accord avec moi, vous l'avez démontré par plusieurs de vos votes. Seulement, c'est vrai, nous n'avions pas compris tout de suite que vous aviez changé d'avis et que vous vouliez un vote conforme. Alors, tant pis si votre texte est mal fait, tant pis si la religion n'est plus une cause de discrimination reconnue et sanctionnée par votre texte ; tant pis, c'est comme cela, il faut un vote conforme !
De même, sur la possibilité de saisir le juge des référés en cas d'opposition à une demande de vérification sur place, tout le monde était d'accord. A quoi Mme la ministre avait opposé comme argument, bien faible, au demeurant, que, d'après la Chancellerie, cela allait de soi. Mais, à cette fausse logique, il y avait une bonne raison, toujours la même, c'était que l'on voulait un vote conforme.
Pour ma part, je le répète, je suis contre, mais, comme je suis discipliné et que le groupe socialiste a décidé de s'abstenir de manière à ne pas enlever les illusions que certains peuvent nourrir sur cette Haute autorité, je ferai comme mes amis, je m'abstiendrai. J'avoue que j'avais pourtant fort envie de voter contre !
M. André Lardeux. Il fallait oser !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. A cette heure presque matinale, je serai bref !
Tout d'abord, cela fait longtemps que cette institution était attendue. Certains en ont parlé, mais c'est nous qui la mettons en place.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je rappelle qu'il s'agit de transposer une directive européenne datant de 2000 ; nous sommes souvent très en retard dans ce domaine, mais, en l'occurrence, cela correspondait à un engagement pris par le Président de la République et par le Gouvernement.
Je ne dis pas du tout que notre texte n'était pas meilleur que celui qui nous revient de l'Assemblée nationale, texte d'ailleurs qui a été voté dans son ensemble par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, preuve qu'il en apprécie au moins certaines des dispositions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous savez bien pourquoi ils l'ont voté !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais il est vrai qu'il peut y avoir des différences d'une assemblée à l'autre !
En ce qui concerne le référé, Mme la ministre a répondu.
Quant à l'autre aspect du texte, il était relativement secondaire. J'affirme, pour ma part, que, si le pluralisme n'est pas respecté, la Haute autorité n'aura aucun sens.
M. Jean-Pierre Sueur. Ecrivons-le !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est forcément inscrit : pour qu'elle ait toute autorité en ce domaine, il faut qu'elle soit pluraliste.
D'ailleurs, le pluralisme n'est pas uniquement politique. Vous avez cité, mes chers collègues, des personnalités éminentes dont nul ne peut savoir si elles sont de droite ou de gauche.
Ainsi, René Raymond est un bon exemple de personne reconnue universellement autant à gauche qu'à droite, de même que l'ancien vice-président du Conseil d'Etat, M. Marceau Long, qui a également présidé un certain nombre de commissions, et a été mandaté par la gauche comme par la droite pour mener des missions, tant sa compétence était avérée.
Notre but est que cette institution soit composée de personnalités incontestables, afin qu'elle puisse fonctionner au mieux.
Je me permets de rappeler que le texte qui nous avait été transmis par l'Assemblée nationale n'était pas d'une perfection telle que nous pouvions l'adopter en l'état. Nous lui avons donc apporté un grand nombre d'améliorations lors de la première lecture, qui ont été acceptées par l'Assemblée nationale.
Au moment de la deuxième lecture, restaient en débat deux points secondaires, c'est vrai. L'un d'eux pouvant être facilement résolu, nous considérons donc, monsieur Dreyfus-Schmidt, que ce texte peut être voté en l'état.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La religion est un point secondaire ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s'agit d'appliquer une directive européenne de 2000. Nous aurions voulu aller plus loin, mais, puisque l'Assemblée nationale veut s'en tenir là, nous en resterons là également.
Je tiens à souligner l'importance des articles qui ont été ajoutés. D'aucuns m'objecteront que la méthode retenue n'est pas bonne, mais ce texte a permis de résoudre un problème qui n'était pas réglé par le droit : il était primordial que les injures, les discriminations, les incitations à la violence contre les personnes en raison de leur sexe ou de leurs orientations sexuelles soient punies.
Ce n'est pas faire là du communautarisme, sinon, cela signifierait que, lorsque on lutte contre la violence, les discriminations, les injures à caractère raciste ou antisémite, on en fait aussi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous vous l'avions proposé voilà quatre ans, et vous l'aviez refusé !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous l'avons voté, monsieur Dreyfus-Schmidt. Laissez-moi terminer ! Je vous ai toujours écouté avec beaucoup d'attention, sans vous interrompre.
Certains de nos collègues ne partagent pas ce sentiment, mais j'estime, franchement - je l'ai déjà dit en première lecture - que donner à un texte une signification autre que la sienne n'est pas honnête intellectuellement.
On peut, certes, trouver beaucoup à redire à ce projet ; pourtant, il vise, selon moi, la protection à la fois des personnes et de la liberté d'expression.
Comme l'ont dit M. le rapporteur et l'un de nos collègues, M. Seillier, nous pouvons, certes, continuer à nous opposer à un certain nombre de projets ; toutefois, protéger les personnes et les respecter me paraît être l'un des objectifs que doit se fixer une société civilisée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 66 :
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 198 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 100 |
Pour l'adoption | 188 |
Contre | 10 |
Le Sénat a adopté définitivement.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour la qualité que vous avez su donner à nos débats, au-delà de nos divergences. Le travail remarquable qui a été accompli - je tiens à remercier tout particulièrement M. le rapporteur et M. le président de la commission - a permis d'élaborer un texte parfaitement équilibré.
Notre pays peut s'honorer d'être celui où aura été créée une telle instance, cette Haute autorité grâce à laquelle le respect, la tolérance, l'égalité et la cohésion sociale auront désormais une place plus grande. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
8
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Claude Gaudin, M. Jean-Paul Alduy, M. Pierre André, M. José Balarello, M. René Beaumont, M. Michel Bécot, M. Claude Bertaud, M. Roger Besse, M. Laurent Béteille, M. Jean Bizet, M. Jacques Blanc, M. Paul Blanc, Mme Brigitte Bout, Mme Paulette Brisepierre, M. Louis de Broissia, M. François-Noël Buffet, M. Christian Cambon, M. Jean-Claude Carle, M. Gérard César, M. Jean-Pierre Chauveau, M. Marcel-Pierre Cléach, M. Christian Cointat, M. Gérard Cornu, Mme Isabelle Debré, M. Robert Del Picchia, M. Christian Demuynck, M. Gérard Dériot, M. Michel Doublet, M. Alain Dufaut, M. André Dulait, Mme Bernadette Dupont, M. Louis Duvernois, M. Hubert Falco, M. Jean Faure, M. André Ferrand, M. Alain Fouché, M. Bernard Fournier, M. René Garrec, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Patrice Gélard, M. Alain Gérard, M. François Gerbaud, M. Charles Ginésy, M. Francis Giraud, M. Paul Girod, M. Philippe Goujon, M. Alain Gournac, Mme Adeline Gousseau, M. Louis Grillot, M. Georges Gruillot, M. Charles Guené, M. Michel Guerry, M. Hubert Haenel, Mme Françoise Henneron, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Michel Houel, M. Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, M. Jean-Jacques Hyest, M. Pierre Jarlier, M. Jean-Marc Juilhard, Mme Christiane Kammermann, M. Roger Karoutchi, Mme Elisabeth Lamure, M. André Lardeux, M. Robert Laufoaulu, M. Jean-René Lecerf, M. Dominique Leclerc, M. Jacques Legendre, M. Jean-François Le Grand, M. Philippe Leroy, M. Marcel Lesbros, M. Gérard Longuet, M. Alain Milon, M. Jean-Luc Miraux, M. Bernard Murat, M. Philippe Nachbar, M. Paul Natali, M. Charles Pasqua, M. Jean Pépin, M. Jacques Peyrat, M. Jackie Pierre, M. Hugues Portelli, Mme Catherine Procaccia, M. Jean Puech, M. Henri de Raincourt, M. Charles Revet, M. Henri de Richemont, M. Yves Rispat, M. Roger Romani, Mme Janine Rozier, M. Bernard Saugey, M. Louis Souvet, M. Yannick Texier, M. André Trillard, M. François Trucy, M. Jacques Valade, M. Alain Vasselle et M. Jean-Paul Virapoullé une proposition de loi visant à instituer un statut des collaborateurs de cabinet des collectivités territoriales.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 137, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
9
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet de décision du Conseil modifiant la décision 2004/197/CFSP du Conseil du 23 février 2004 créant un mécanisme de gestion du financement des coûts communs des opérations de l'Union européenne ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.(ATHENA)
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2792 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet de décision du Conseil modifiant la décision 2004/197/PESC créant un mécanisme de gestion du financement des coûts communs des opérations de l'Union européenne ayant des implications militaires dans le domaine de la défense.(ATHENA)
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2793 et distribué.
10
DÉPÔT DE RAPPORTS
M. le président. J'ai reçu de M. Yves Fréville un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales (n° 129, 2004-2005).
Le rapport sera imprimé sous le n° 134 et distribué.
J'ai reçu de M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2004.
Le rapport sera imprimé sous le n° 136 et distribué.
J'ai reçu de MM. Jean-Paul Emorine et Ladislas Poniatowski un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, relatif au développement des territoires ruraux (n° 27, 2004-2005).
Le rapport sera imprimé sous le n° 138 et distribué.
11
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 22 novembre 2004, à dix heures quinze :
1. Discussion des conclusions du rapport (n° 125, 2004-2005) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2005.
M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du texte.
2. Discussion de la proposition de loi (n° 107, 2004-2005), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la situation des maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat.
Rapport (n° 113, 2004-2005) fait par Mme Catherine Troendle, au nom de la commission des affaires culturelles.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
À quinze heures :
3. Éventuellement, suite de l'ordre du jour du matin
4. Discussion en deuxième lecture de la proposition de loi (n° 111, 2004-2005), modifiée par l'Assemblée nationale, relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance.
Rapport (n° 120, 2004-2005) fait par M. Pierre Fauchon, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
5. Discussion du projet de loi (n° 129, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales.
Rapport (n° 134, 2004-2005) fait par M. Yves Fréville, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Le soir :
6. Discussion des conclusions du rapport (n° 112, 2004-2005) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les discussions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2004.
M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du texte.
7. Éventuellement, suite de la discussion du projet de loi (n° 129, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 22 décembre 2004, à une heure dix.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD