compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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Hommage aux victimes d'un tremblement de terre en Guadeloupe
M. le président. Monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, à l'ouverture de notre séance, permettez-moi, à la demande de M. le président du Sénat, d'exprimer, en notre nom à tous, la solidarité du Sénat tout entier avec les victimes du tremblement de terre en Guadeloupe.
La terre n'a cessé de trembler, notamment dans les Saintes, dans la nuit de dimanche, puis lundi matin, causant de très nombreux dégâts. Des pluies diluviennes ont inondé des routes, des maisons, ajoutant encore au désastre.
Le Sénat adresse sa sympathie attristée aux familles des victimes et à tous les sinistrés.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et plusieurs de nos collègues, qui se rendront prochainement en mission officielle en Guadeloupe, auront l'occasion d'exprimer notre tristesse aux Guadeloupéens et de leur faire part de notre soutien dans l'épreuve qu'ils traversent.
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Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 19 novembre 2004, le texte de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel, édition Lois et Décrets.
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Création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (nos 9, 65).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a rappelé Jean-Louis Borloo lors de l'ouverture du débat à l'Assemblée nationale le mois dernier, la lutte contre les discriminations n'est pas l'affaire d'un petit nombre, c'est l'affaire de tous. Tout le monde est susceptible, à un moment ou à un autre de son existence, d'être victime d'une discrimination. Aussi appartient-il à chacun de veiller à une meilleure égalité de traitement entre les personnes.
Mais, au-delà de la responsabilité de chacun et de l'action des associations, que je souhaite saluer pour leur engagement et leur travail au quotidien, il revient aux pouvoirs publics de sanctionner efficacement les comportements et les infractions discriminatoires et de promouvoir l'égalité de traitement et également des chances : parce que la création d'une telle autorité répond à la volonté constante du Président de la République, qui a toujours vu dans ce projet l'un des garants de notre modèle d'intégration ; parce que le traité d'Amsterdam fait obligation de se doter d'un organisme indépendant pour lutter contre les discriminations ; parce que les publics les plus fragiles sont précisément ceux qui cumulent les risques de discrimination sur le marché de l'emploi, dans l'accès au logement ou aux loisirs et dans toutes les déclinaisons de leur vie quotidienne ; parce que les inégalités de traitement entre les individus compromettent notre cohésion sociale et qu'elles sont à l'origine, chacun le sait, de frustrations qui confortent les tentations communautaristes de notre société.
C'est au nom du principe fondamental de la République qu'est l'égalité que nous refusons ces tentations.
Alors qu'ils avaient fait un choix de société différent, nos amis néerlandais, au travers d'événements tragiques, en mesurent aujourd'hui les risques pour leur cohésion nationale. La France n'est pas, bien sûr, à l'abri de telles dérives. Mais la représentation nationale a déjà su montrer son unité pour conforter le principe de laïcité à l'école publique au début de cette année.
S'agissant d'un autre principe, celui d'égalité, et de la lutte contre les discriminations, l'Assemblée nationale a d'ores et déjà voté, avec des amendements, mais sans opposition, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui.
Le Gouvernement sait pouvoir compter sur le Sénat pour enrichir ce texte, avec le même souci de renforcer nos principes républicains.
Le projet de loi relatif à la création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité que le Gouvernement vous soumet aujourd'hui reprend la presque totalité des propositions faites par M. Bernard Stasi dans son rapport de février dernier, établi à la demande du Premier ministre.
De façon très pragmatique, le projet de loi s'inspire du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, qui fonctionne avec efficacité en Belgique depuis 1993 et qui est doté, vous le noterez, d'un budget de 8 millions d'euros consacré aux seules discriminations raciales et entre hommes et femmes.
Le Gouvernement veut donc donner à cette Haute autorité une très forte légitimité. Le mode de nomination des onze membres de son collège en est la preuve avec un souci de parité qui a été retenu à la demande de l'Assemblée nationale, que je soutiens.
Par ailleurs, l'apport des associations à la lutte pour l'égalité de traitement est reconnu. Leur participation aux travaux de la Haute autorité est désormais institutionnalisée.
En ce qui concerne ses moyens, la Haute autorité, avec un budget de 10,7 millions d'euros, pourra prendre en charge dans le courant du premier semestre prochain toutes les réclamations individuelles, mettre en oeuvre des médiations, organiser la promotion de l'égalité et expérimenter des délégations territoriales.
En ce qui concerne ses missions, elle en aura deux principales : le soutien aux victimes de discriminations et la promotion de l'égalité.
Nous le savons tous, comme l'ont rappelé les cent quarante associations et les personnalités qualifiées reçues par M. Bernard Stasi, les discriminations dans notre pays sont avant tout un problème de preuve.
Le dispositif précédent, qui s'appuyait sur un numéro d'appel gratuit, le 114, pour préinstruire par téléphone les réclamations, et les commissions d'accès à la citoyenneté, les CODAC, qui devaient les traiter, n'a généré que de l'amertume, faute de moyens juridiques et matériels.
C'est pourquoi, en plein accord avec le ministre de la justice, nous avons élaboré un dispositif d'enquêtes contraignant, tant pour les personnes publiques que pour les personnes privées. Ce dispositif est articulé avec le contentieux particulièrement pénal, et le recours à la médiation est possible.
La Haute autorité pourra procéder ou faire procéder à de telles médiations.
En outre, nous transposons dans notre droit l'aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination raciale.
Enfin, le Gouvernement a retenu la mission de promotion de l'égalité de traitement, mais également de l'égalité des chances, comme l'avait souhaité l'Assemblée nationale, ce qui doit permettre à notre société d'évoluer sur le sujet de la lutte contre les discriminations.
D'ores et déjà, nous pouvons mesurer cette prise de conscience de la société française au travers de quelques exemples, comme les plans d'actions positives ou les chartes de la diversité dans les secteurs de l'audiovisuel, de l'automobile ou encore du travail temporaire.
A ce propos, M. Bébéar remettait hier au Premier ministre, en présence de Jean-Louis Borloo, un rapport qui contient des propositions sur l'égalité des chances dans l'entreprise.
Il reviendra à la Haute autorité d'identifier et de reconnaître ces bonnes pratiques.
Le Parlement sera en outre destinataire, au même titre que le Président de la République, du rapport annuel de la Haute autorité.
Enfin, en ce qui concerne les provocations à la discrimination, aucune disposition n'existe à ce jour lorsque la discrimination est fondée à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle. C'est ainsi que des propos favorables à la lapidation des femmes ont pu être diffusés au grand public en toute impunité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, le Gouvernement tient aujourd'hui ses engagements dans les délais prévus.
L'Etat se doit de réagir en recherchant l'équilibre nécessaire entre la liberté de la presse et le respect de la dignité de la personne humaine, qui sont, l'un et l'autre, des principes à valeur constitutionnelle. C'est dans cet esprit que le dispositif prévu en matière de racisme n'a pas été totalement transposé dans ce projet de loi.
Ainsi, la prescription initiale d'une année a été ramenée à trois mois, qui est la durée de droit commun de la prescription de l'action publique pour la presse.
En revanche, le Gouvernement a souhaité le parallélisme total entre les dispositions relatives aux propos discriminatoires, qu'ils soient fondés sur l'homophobie ou sur le sexisme. Les associations pourront se constituer partie civile même lorsque l'injure, la diffamation ou la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence concernent des homosexuels ou des femmes sans identification possible.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est ma collègue, Mme Catherine Vautrin, alors secrétaire d'Etat à l'intégration et à l'égalité des chances, qui était intervenue devant votre commission des lois, le 27 octobre dernier.
J'ai bien entendu pris connaissance de vos travaux. Notre texte est certainement perfectible afin de mieux assurer l'indépendance du collège, le respect de la règle du contradictoire ou bien la publicité des avis de la Haute autorité.
Avec, je n'en doute pas, une volonté commune de rechercher un consensus sur ce sujet aussi sensible et symbolique pour notre République, notre débat parlementaire est l'occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, de parfaire le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à examiner en première lecture le projet de loi portant création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, le 6 octobre dernier.
La mise en place rapide de cette autorité indépendante répond à des exigences internationales, européennes et nationales fortes.
Le comité des droits de l'homme de l'ONU a recommandé à la France dès 1997 de créer un « mécanisme institutionnel pour recevoir et traiter les plaintes relatives aux droits de l'homme incluant toutes formes de discriminations ».
Sur le fondement de l'article 13 du traité instituant la Communauté européenne, la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique requiert des Etats membres qu'ils désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l'égalité de traitement.
Enfin, le Président de la République, lors de son discours à Troyes le 14 octobre 2002, avait souhaité qu'« au-delà même de celles dont peuvent être victimes les personnes d'origine étrangère, une autorité indépendante soit créée pour lutter contre toutes les formes de discrimination qu'elles proviennent du racisme, de l'intolérance religieuse, du sexisme ou de l'homophobie ».
Cet engagement reposait sur sa conviction que « le refus des communautarismes ne se conçoit pas sans une lutte contre les discriminations ».
On pourra certes objecter qu'il s'agit là d'un constat d'échec puisque, en dépit d'un arsenal juridique très développé et du foisonnement des structures chargées de combattre les discriminations, ce phénomène perdure au point de porter atteinte à notre cohésion nationale.
S'il fallait se convaincre de son importance, on pourrait se référer à d'éloquentes enquêtes de testing. Celle qu'a réalisée cette année l'observatoire des discriminations de l'Université de Paris I montre qu'en matière d'accès à l'emploi, par rapport à un candidat de référence - homme au nom et prénom français, résidant à Paris, blanc de peau et d'apparence standard - le candidat handicapé reçoit quinze fois moins de réponses positives, le candidat d'origine maghrébine cinq fois moins, le candidat de plus de cinquante ans quatre fois moins, le candidat d'apparence disgracieuse plus de deux fois moins et le candidat issu d'un « mauvais quartier » près de deux fois moins. Seule satisfaction la variante homme-femme n'apparaît pas significative.
II est donc bien difficile de conclure que la différence visible n'existe pas dans notre société.
Dans ces conditions, faut-il s'étonner que, selon une étude du ministère des affaires sociales, un tiers des adultes interrogés déclarent avoir été confrontés à des attitudes intolérantes ou discriminatoires avec souvent des conséquences sur leur parcours et leur vie ?
En instituant la Haute autorité de lutte contre les discriminations, le projet de loi crée l'instrument de promotion de l'égalité qui nous manque aujourd'hui et dont se sont déjà dotés avec succès de nombreux pays comme le Royaume-Uni, la Belgique, le Canada, l'Irlande, les Pays-Bas ou la Suède.
N'oublions pas que le système, qui repose sur cinq ombudsmän respectivement compétents pour la discrimination ethnique, l'égalité des chances, les droits des enfants, les personnes handicapées et l'orientation sexuelle, a largement inspiré la création par la loi du 3 janvier 1973 de notre Médiateur de la République.
La commission des lois estimait, dans sa grande majorité, me semble-t-il, que d'autres solutions auraient pu être envisagées pour compléter notre système juridique afin de rendre plus efficace la lutte contre les discriminations dans notre pays et de répondre aux exigences communautaires.
Les compétences du Médiateur auraient ainsi pu être étendues, sous réserve de sa transformation en autorité collégiale, à la lutte contre les discriminations, ce qui aurait présenté l'avantage de bénéficier de l'expérience de l'Institution, du réseau des délégués du Médiateur - dans ma seule région du Nord - Pas-de-Calais, ils sont au nombre de dix-huit - et d'aller vers une simplification génératrice d'efficacité et d'économie des deniers publics.
Peut-être faut-il laisser du temps au temps, en sachant cependant que la multiplication des autorités administratives indépendantes peut engendrer conflits et confusions. Il s'avérera sans doute un jour pertinent de rassembler bon nombre d'entre elles en une seule instance collégiale, compétente à la fois en matière de droits des enfants, de traitement des réclamations des citoyens à l'égard des administrations et de lutte contre les discriminations, pour donner à l'accomplissement de ces missions complémentaires davantage de cohérence et de moyens.
D'ici là, ce sera une impérieuse nécessité pour la future HALDE de nouer des liens étroits avec les autorités administratives indépendantes intervenant dans des domaines connexes au sien, en particulier le Défenseur des enfants, la Commission d'accès aux documents administratifs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés et, bien entendu, le Médiateur de la République.
En ce qui concerne le Médiateur, dont j'ai décidément quelque peine à m'éloigner, dans un amendement déposé à l'Assemblée nationale qui fut finalement retiré face à des réticences unanimes, le Gouvernement proposait d'ajouter une saisine directe à la saisine par l'intermédiaire des parlementaires retenue en 1973. J'oserai un mauvais jeu de mots pour dire qu'il m'apparaîtrait bien cavalier à l'égard de nos collègues députés de le reprendre lors de l'examen du projet de loi par notre Haute Assemblée.
Cependant, le problème reste entier et mérite une solution d'autant plus rapide que la saisine directe sera retenue pour la Haute autorité.
En 2003, le Médiateur a été saisi de 55 635 affaires contre 38 600 en 1993 et 12 606 en 1983 - leur nombre a donc été multiplié par plus de quatre en vingt ans - mais 40 % des réclamations proviennent désormais directement du courrier ou d'Internet et donnent lieu à de fastidieuses régularisations. Peut-on espérer, madame la ministre, que, rapidement, par exemple à l'occasion du prochain projet de loi de simplification administrative, la saisine directe, déjà en oeuvre pour le Médiateur européen et vingt-trois des vingt-cinq Médiateurs des Etats de l'Union européenne, jouera également pour notre Médiateur de la République, à côté de la saisine par les parlementaires ?
Je n'aborderai pas dans le détail, à ce stade de la discussion, les différents aspects relatifs à l'indépendance de la HALDE, à l'universalité de son champ de compétence ouvert à toutes les discriminations directes ou indirectes prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie, ou aux pouvoirs d'investigation importants dont elle disposera, dans le respect absolu, cela va de soi, des prérogatives de l'autorité judiciaire. Tout cela sera analysé point par point au fil des nombreux amendements que nous examinerons tout à l'heure.
Je voudrais simplement vous faire partager la conviction que la future Haute autorité ne pourra asseoir sa légitimité, en tant qu'autorité morale, qu'en concentrant ses efforts sur le soutien aux victimes et la promotion des bonnes pratiques.
Si la solennité et l'autorité des textes prohibant les discriminations ne sont pas en cause - citons la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ou la Constitution de 1958 -, force est cependant de constater le nombre dérisoire des condamnations prononcées ces dernières années pour des infractions de discrimination, conséquence de l'inégalité fondamentale entre les victimes et les auteurs.
La Haute autorité devra assurer l'effectivité de ces textes en aidant les victimes à constituer leurs dossiers avant, le cas échéant, de recourir à une médiation ou à la justice.
La promotion de bonnes pratiques, tout particulièrement dans l'accès à l'emploi, au logement et aux biens et services, constituera par ailleurs l'instrument essentiel d'une politique de prévention et de lutte contre les préjugés, qui fondent la plupart des comportements discriminatoires.
Enfin, si la réforme se fait à droit constant, il appartiendra à la HALDE, le moment venu, de faire toute proposition d'évolution, par exemple de proposer qu'il soit mis fin à l'invisibilité statistique des populations potentiellement victimes de discriminations.
Il n'est guère douteux que la production de statistiques sexuées dans le champ du travail, notamment à travers le bilan social, a permis de mettre en évidence les disparités homme-femme dans l'entreprise, puis d'agir à leur encontre. Or, comme le note Laurent Blivet dans son ouvrage L'entreprise et l'égalité positive, « pour un citoyen français, le fait d'être noir, asiatique ou maghrébin continue d'influencer l'attitude de la société à son égard et les opportunités qu'elle lui offre ». En intégrant au recensement une question relative à l'appartenance « ethnoraciale », des pays comme les Etats-Unis le Canada ou la Grande-Bretagne ne se sont-ils pas donné les moyens d'une lutte efficace pour l'égalité de traitement ? Cela mérite à tout le moins réflexion.
La création de la Haute autorité participe pleinement à la mobilisation des pouvoirs publics en faveur d'un renforcement de la cohésion sociale, dont elle constitue le volet institutionnel.
La discrimination nourrit l'exclusion, qui à son tour nourrit le communautarisme, qui alimente les préjugés générateurs de comportements discriminatoires.
Le projet de loi invite à briser ce cercle vicieux et à faire ensemble le pari d'une société plus juste, plus respectueuse de l'égalité de chacun, plus conforme à l'idéal de nos principes républicains.
C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à l'adopter, avec l'espoir confiant que le Gouvernement ne s'opposera pas à bon nombre d'amendements que proposera la commission des lois.
M'est-il permis d'ajouter que cet espoir est d'autant plus confiant que le dépôt tardif des amendements du Gouvernement visant à insérer dans le texte sur la Haute autorité l'essentiel des dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe n'est pas de nature à faciliter le travail de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;
Groupe socialiste, 31 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureuse, d'intervenir pour la première fois au nom du groupe de l'Union centriste, dans cet hémicycle.
J'en suis d'autant plus fière que la lutte contre les discriminations me tient particulièrement à coeur et qu'elle est l'une des principales préoccupations de notre famille politique.
Le groupe de L'Union centriste, fidèle à ses convictions, reste en effet très attaché aux libertés fondamentales et, dans son ambition humaniste, cherche à promouvoir l'égalité de traitement entre tous, afin d'asseoir définitivement la dignité et le respect de la personne humaine.
La discrimination est d'autant plus inacceptable qu'elle contredit, dans notre pays, un siècle de construction du principe d'égalité et qu'elle bafoue les valeurs républicaines sur lesquelles nous avons établi notre nation.
La création de la Haute autorité, mais plus généralement cette volonté de lutte contre les discriminations, est une mesure très importante, en faveur d'un renforcement de la cohésion sociale.
Elle s'inscrit dans la droite ligne des textes récents, tels que le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ou le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires, à caractère sexiste ou homophobe.
Pourtant, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur l'opportunité de la création d'un nouvel organisme chargé de lutter contre les discriminations. En effet, les outils institutionnels et législatifs utiles à la lutte contre les discriminations existent déjà en grand nombre.
Je citerai pour exemples : la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, le service du droit des femmes et de l'égalité, la délégation interministérielle aux personnes handicapées, la direction générale de l'action sociale, la direction générale de la santé, le fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, etc.
De multiples organismes consultatifs, généralistes ou spécialisés mènent également des travaux d'étude et émettent des avis ou des recommandations en matière de lutte contre les discriminations. Il s'agit notamment de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, du Haut conseil à l'intégration et de l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes.
Il existe également d'autres autorités administratives indépendantes, telles que le Médiateur de la République ou le Défenseur des enfants, qui peuvent avoir à connaître, dans leur champ d'intervention particulier, des réclamations relatives à des comportements discriminatoires.
Ainsi, plusieurs solutions auraient pu être envisagées pour compléter notre système juridique, rendre plus efficace la lutte contre les discriminations et répondre aux exigences communautaires.
Le Gouvernement a souhaité emprunter la voie d'une nouvelle autorité administrative indépendante.
Peut-être, un jour, nous paraîtra-t-il pertinent de réunir ces autorités en une seule instance collégiale, compétente en matière de lutte contre les discriminations, afin de rendre le tout plus cohérent...
Il peut paraître déplacé de critiquer le recours à la multiplication des autorités administratives indépendantes, dans l'enceinte même qui leur a attribué cette dénomination. La notion d'autorité administrative indépendante est, en effet, une création d'origine sénatoriale.
Le projet de loi institue, conformément à l'article 13 du traité d'Amsterdam, une nouvelle autorité administrative indépendante, chargée d'apporter une aide aux victimes de discriminations.
Je me réjouis que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour du Parlement, puisque ce projet a pour objectif de nous mettre en conformité avec le droit européen, malgré, il faut le signaler, presque un an de retard.
J'en profite pour rappeler l'attachement de l'UDF aux valeurs défendues par les institutions européennes.
Nos voisins européens ont su depuis longtemps adapter leur législation aux nécessités de lutte contre les discriminations, que ce soit à travers la Commission pour l'égalité raciale, créée en 1975 au Royaume-Uni, la Commission pour l'égalité de traitement créée en 1994 aux Pays-Bas, l'Autorité pour l'égalité, créée en 1999 en Irlande, ou, hors d'Europe, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, créée en 1975.
Je crois que cette transposition tardive de la directive européenne est due à une sorte d'aveuglement de notre part, à un refus d'admettre une évidence.
Nous pouvons dire que la France n'a pas bien réussi sa politique d'intégration. Nous avons voulu qu'elle soit une terre d'accueil, ce dont je me réjouis, mais nous n'avons pas su accompagner le mouvement qui s'en est suivi d'une politique d'intégration efficace.
Ce refus d'admettre la montée de l'intolérance et des discriminations est conforté par le nombre assez restreint de contentieux faisant état de discriminations.
Ce dernier cache, en effet, un malaise plus qu'une réussite. Le rapport de M. Stasi indique d'ailleurs que la plupart des signalements de comportements discriminatoires ont abouti à des décisions de classement sans suite.
Ce constat renvoie également à la question de l'inégalité fondamentale entre la victime, qui dispose souvent de ressources matérielles et juridiques modestes et se trouve dans la position du demandeur, et les auteurs de discriminations, qui peuvent être en position de force, en tant qu'employeurs, bailleurs ou prestataires de service.
L'instauration de cette institution, chargée de lutter contre les discriminations, permettra, je l'espère, de pallier les carences de saisine de la justice française et de développer une culture de la tolérance.
A cette fin, le projet de loi prévoit trois mesures qui me semblent favoriser l'atteinte de ces objectifs : sous réserve de l'accord des personnes intéressées, elle pourra procéder à des enquêtes sur place ; elle sera en mesure de saisir le juge des référés ; elle pourra présenter ses observations à l'audience.
Par ailleurs, la Haute autorité sera habilitée à rendre des rapports annuels, ce qui permettra, à la fois, de recenser les « bonnes pratiques » en matière de lutte contre les discriminations, mais aussi de dresser un état des lieux indispensable des comportements et des situations inégalitaires dans notre société.
Enfin, le groupe de l'Union centriste accueille favorablement la proposition d'amendement, faite par la commission des lois et qui a pour objectif d'étendre le droit à l'égalité de traitement dans les domaines visés par la transposition à tous les critères de discrimination énumérés par la loi du 16 novembre 2001.
Cette loi, je le rappelle, porte sur la lutte contre les discriminations, qu'elles concernent l'origine, le sexe, les moeurs, l'orientation sexuelle, l'âge, la situation de famille, l'appartenance ethnique ou raciale, la nationalité, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'apparence physique, le patronyme, l'état de santé ou le handicap.
Cela assure une plus grande homogénéité de notre ordre juridique, en donnant aux citoyens les mêmes garanties, quel que soit le critère de discrimination.
Il rend, par ailleurs, applicable, pour toutes les discriminations prohibées par notre droit interne, l'aménagement de la charge de la preuve, devant les juridictions civiles et administratives, dans les domaines visés par l'article 17.
Cet aménagement de la charge de la preuve est capital. En effet, outre le fait de répondre à une exigence de Bruxelles, il garantit une meilleure prise en compte des difficultés de notre société et apporte une solution au problème de l'inégalité fondamentale entre la victime et les auteurs de discriminations.
Après la discussion du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il convient de replacer la création de cette autorité administrative indépendante et les avancées qu'elle défend comme une suite logique de cette volonté d'égalité de traitement de tout être humain.
Vous me permettrez de formuler maintenant quelques remarques.
En ce qui concerne le mode de désignation, nous pouvons regretter le caractère éminemment politique de cette autorité, alors qu'une autorité administrative indépendante - et j'insiste sur le terme « indépendante » - est, par nature, créée pour justifier l'intervention d'experts « indépendants » et impartiaux.
Comment, donc, légitimer la création de cette autorité, alors que ses membres sont pour la plupart nommés par les plus hautes autorités politiques de l'Etat ? Comment garantir l'impartialité des interventions d'une institution lorsque certains de ses membres restent soumis à un lien hiérarchique avec un ministre, qui plus est, le premier d'entre eux ?
Peut-être serait-il nécessaire de modifier le mode de désignation, en supprimant le rôle dévolu au Premier ministre, et de reporter son pouvoir de nomination auprès du Conseil économique et social, qui disposerait de deux sièges, et au ministre en charge de la lutte contre les discriminations, qui disposerait d'un siège.
En ce qui concerne la saisine de cette autorité, nous souhaitions déposer un amendement, autorisant les associations à saisir la Haute autorité, conformément aux dispositions de la directive, mais le rapporteur en ayant déposé un identique, nous nous rallierons à l'amendement de commission des lois.
En effet, les associations de défense des droits de l'homme, de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, de soutien aux personnes handicapées, ont, par leurs revendications, fait progresser la lutte contre les discriminations et suscité une prise de conscience générale dans l'opinion publique. Elles ont acquis une capacité d'expertise et une légitimité qui paraît aujourd'hui justifier leur participation au travail de la future Haute autorité, mais également leur capacité à la saisir.
Nous souhaitons également que les parlementaires soient en mesure de saisir cette autorité, afin de suppléer leurs électeurs, parfois réticents ou hésitants, face à une situation de discrimination. L'élu, est, en effet, souvent le destinataire privilégié de courriers et des dossiers, faisant état de situations et de pratiques discriminatoires.
Pour ce qui est de l'inquiétude quant à l'organisation institutionnelle générale de la lutte contre les discriminations, l'implantation d'une délégation, au sein de chacune des vingt-six régions, semble être, à terme un objectif incontournable. Ces délégations devront avoir un rôle majeur, et non pas limité à un simple rôle d'information, et remplir les mêmes fonctions d'assistance aux personnes.
Ce n'est pas un hasard, si les instances de lutte contre les discriminations des pays étrangers disposent de bureaux locaux : j'en veux pour exemple, les dix-huit permanences d'accueil pour le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme en Belgique, ou les six délégations régionales pour la Commission pour l'égalité raciale au Royaume-Uni.
Or, la France dispose déjà d'organes, de délégations ou de commissions territoriales, chargées de lutter contre les discriminations : le groupe d'étude et de lutte contre les discriminations, le GELD, et les commissions pour la promotion de l'égalité des chances et de la citoyenneté, les COPEC.
Pour le GELD, nous souhaiterions savoir, madame la ministre, quelles sont vos intentions, car maintenir en place deux organismes ayant le même objet, dans une même délimitation territoriale, n'est pas souhaitable.
En ce qui concerne la coordination avec les commissions pour la promotion de l'égalité des chances et la citoyenneté, nous souhaitons qu'une véritable collaboration soit mise en place, pour qu'elles deviennent de véritables relais locaux de la Haute autorité.
Il est nécessaire de créer une situation unique et coordonnée afin d'éviter que des luttes de pouvoir entre ces organismes ne rendent les situations complexes et les actions inefficaces dues à des luttes de pouvoir entre ces organismes.
En dépit de ces quelques réserves, qui devront être levées, le groupe de l'Union centriste votera ce texte.
J'espère, madame la ministre, que vous pourrez répondre à nos interrogations, afin de garantir le succès de cette autorité.
J'en appelle donc, madame la ministre, à votre détermination pour que soient levées ces réserves et mis en oeuvre les moyens d'action nécessaires pour atteindre nos objectifs.
Cette nouvelle autorité permettra à notre pays de renforcer l'égalité de nos concitoyens dans leur vie quotidienne. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Eliane Assassi.
Mme Eliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne ne peut nier que les discriminations en France s'aggravent et s'étendent. C'est une réalité à laquelle il faut avoir le courage de s'attaquer, d'autant que cette situation a tendance à être structurelle.
La responsabilité de l'Etat, celle de toutes les forces politiques, celle des parlementaires, la nôtre, se trouvent engagées.
Trop de personnes, jeunes, moins jeunes, salariés ou non-salariés, citoyens français, migrants, femmes, sont en effet victimes de discriminations, et ce dans tous les domaines de la vie : accès à l'emploi, monde du travail, logement, formation, école, santé, loisirs...
Peu à peu, d'actes quotidiens en paroles publiques, les discriminations, les exclusions, les rejets de l'autre, fondés sur le sexe, l'origine ethnique, les convictions politiques ou religieuses, l'appartenance syndicale, le handicap, l'état de santé, l'âge ou l'orientation sexuelle, propagent des dérives répréhensibles.
Certes, notre pays a souscrit à des engagements internationaux et a renforcé son arsenal législatif pour pouvoir mieux lutter contre les discriminations, et je pense notamment à la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations en matière d'emploi et à la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines pour les auteurs d'actes à caractère raciste, antisémite, xénophobe, sexiste ou homophobe.
Pourtant, malgré cela, les discriminations continuent à gangrener notre société, menaçant la paix sociale.
Force est d'admettre que les lois sécuritaires adoptées depuis plus deux ans sur un rythme soutenu, qui mettent en cause les droits sociaux, les services publics et qui stigmatisent les migrants, n'arrangent en rien la situation, bien au contraire.
Quand on mène une politique sociale et économique qui privilégie la place de l'argent à celle de l'homme, il ne faut pas dès lors s'étonner que les discriminations - le rejet de l'autre, de celui qui est différent parce qu'étranger ou d'origine étrangère, atteint d'un handicap, homosexuel - s'aggravent en France.
Quand les lois sont discriminantes, stigmatisantes et qu'elles désignent publiquement une catégorie de population, cela ne peut que susciter des réactions qui mêlent la méfiance à l'égard d'autrui, le repli sur soi, voire le communautarisme, et fragilisent la cohésion sociale.
Je pense, par exemple, à la réforme de l'aide médicale d'Etat qui montre du doigt les étrangers.
Je pense bien évidemment aux lois sur l'immigration et sur le droit d'asile qui stigmatisent les populations étrangères.
Je pense aussi aux lois dites Sarkozy et Perben sur la sécurité intérieure et la criminalité qui prennent pour cibles les jeunes - singulièrement ceux qui sont issus des quartiers défavorisés ou ceux d'origine étrangère -, les gens du voyage, les prostituées, les pauvres ; bref, une partie non négligeable de la population de notre pays.
Je pense, dans un autre registre, au dispositif Larcher qui, en favorisant les licenciements, laisse sur le bas-côté de la route un bon nombre de salariés.
Au-delà, je pense à toutes ces lois antisociales que votre gouvernement a fait passer depuis 2002 sur des sujets tels que les retraites ou la protection sociale.
Aujourd'hui, trouver un emploi, se procurer un logement ou se faire soigner quand on est étranger ou d'origine étrangère - a fortiori si l'on est étranger non communautaire -, obtenir un emploi qualifié quand on est une femme - a fortiori lorsque l'on est mère célibataire -, trouver un emploi lorsque l'on habite un quartier dit difficile, avoir un emploi stable ou obtenir un prêt quand on est atteint d'une maladie grave, avoir de l'avancement quand on est un syndicaliste engagé, relèvent tout simplement du parcours du combattant.
Compte tenu de cette situation, c'est peu de dire que la création d'une instance telle que la Haute autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, était attendue et urgente.
Auditionné par la commission présidée par M. Bernard Stasi, le parti communiste français s'est clairement prononcé en faveur de cette instance, tout en précisant quels devraient être la composition, les missions et les pouvoirs de celle-ci.
A regarder de plus près le contenu de votre texte actuel, madame la ministre, on est bien loin des ambitions initialement affichées, tant par les conclusions de la commission Stasi, que par les déclarations du chef de l'Etat, à Troyes.
La création de la Haute autorité, telle que conçue dans ce texte, ne répond en effet que très imparfaitement aux défis posés à notre société et est contestable à plus d'un titre.
Sa composition, tout d'abord, nous pose problème. Sur les 11 membres du collège, deux seront nommés par le Président de la République, deux par le Président du Sénat, deux par le Président de l'Assemblée nationale, deux par le Premier ministre. C'est peu de dire que cette institution sera verrouillée politiquement et que son action sera difficilement indépendante du pouvoir en place.
Quant au pluralisme, cette notion était si inexistante dans le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale que la commission des lois du Sénat s'est sentie obligée de l'évoquer dans l'un de ses amendements.
Nous regrettons, cependant, que le monde associatif et syndical ait été exclu de cette instance. Le fait qu'il y soit associé par le biais des organes consultatifs ne corrige en rien cet aspect.
Nous proposerons donc de garantir réellement le pluralisme, l'indépendance et l'impartialité de la Haute autorité en modifiant les modalités de sa composition de façon à les calquer sur celles de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, et cela tout en respectant la parité. A cet égard, il conviendrait, comme nous le proposons par amendement, d'introduire dans la loi l'obligation d'éditer des statistiques sexuées afin de mieux lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes.
Ensuite, il faut savoir que la création d'une telle autorité n'a d'intérêt qu'à condition qu'elle soit dotée de pouvoirs et de moyens différents de ceux dont disposent déjà les victimes de discriminations et les acteurs qui luttent contre les discriminations.
L'efficacité d'une autorité administrative serait, en effet, considérablement compromise si elle ne pouvait, par exemple, aider les victimes à recueillir des éléments de preuve pour leur permettre de faire valoir leurs droits en vue d'une médiation ou d'une action en justice.
C'est pourquoi nous proposerons de renforcer les missions de la Haute autorité dans le domaine de l'assistance aux victimes en terme d'aide à la constitution des dossiers et de rassemblement d'éléments.
Les capacités d'action de la Haute autorité se révèlent malheureusement limitées. On peut en effet regretter que cette dernière ne dispose pas de pouvoirs d'investigation et d'injonction aussi importants que le préconisait la commission conduite par M. Stasi.
Par souci d'efficacité et par nécessité d'être au plus près des problèmes, il conviendrait également que l'autorité administrative dispose de correspondants locaux - délégués départementaux et régionaux, par exemple - ayant les mêmes pouvoirs qu'elle, à l'instar de ce qui existe pour le Médiateur de la République. Cette solution aurait le mérite d'éviter l'encombrement de la Haute autorité et de minimiser le risque de paralysie de son fonctionnement.
L'autorité administrative ne pourra être efficace que si elle est dotée des moyens nécessaires à un travail de terrain effectif et si elle peut agir au niveau des institutions et des instances républicaines : l'école, les lieux de travail, l'habitat...
Enfin, s'agissant des moyens humains et budgétaires qui lui seront alloués - 10,7 millions d'euros annoncés pour 2005 et l'emploi de 80 agents à terme -, ils semblent insuffisants si on les compare aux moyens mis en oeuvre pour des autorités équivalentes au Québec ou en Belgique, par exemple.
Le texte prévoit que les crédits nécessaires au fonctionnement de la Haute autorité soient inscrits au budget du ministère chargé des affaires sociales. Or, afin d'assurer l'indépendance et de garantir l'accomplissement effectif de sa mission, il est nécessaire de prévoir un budget autonome pour la Haute autorité, voté par le Parlement et figurant sur une ligne budgétaire spécifique et clairement répertoriée.
Pourquoi ne pas prévoir une loi de programmation budgétaire pluriannuelle ? Cela permettrait d'éviter ce qui vient de se passer à l'Assemblée nationale, à l'occasion de l'examen des crédits de l'emploi, du travail, de la cohésion sociale et de l'égalité professionnelle, où les députés ont réduit le budget de la HALDE à 9 millions d'euros avant que le Gouvernement ne revienne sur cette diminution de crédits.
Avoir des moyens humains et matériels adaptés est à l'évidence fondamental. L'expérience de structures comme les CODAC, les commissions départementales d'accès à la citoyenneté, et comme le GELD, le groupement d'études et de lutte contre les discriminations, n'a-t-elle pas révélé les difficultés que ces structures rencontrent dans la conduite des missions qui leur sont confiées, et ce essentiellement en raison du défaut de moyens ?
J'en viens à présent aux amendements déposés par le Gouvernement et relatifs à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, propositions attendues de longue date par les associations homosexuelles.
Etant nous-mêmes dépositaires d'une proposition de loi traitant de cette question, nous ne sommes pas contre le fait de légiférer en l'espèce. Toutefois, nous nous interrogeons sur la méthode employée ici, qui consiste à retirer un projet de loi déposé devant l'Assemblée nationale et prévu en séance publique le mois prochain pour le faire passer en catimini au Sénat.
Nous nous interrogeons également sur le rejet par le Gouvernement et le rapporteur des amendements sur les questions de l'homophobie et du sexisme lors de l'examen de ce projet de loi à l'Assemblée nationale les 5 et 6 octobre dernier. J'aurai l'occasion d'y revenir plus longuement lors de l'examen des amendements du Gouvernement.
En guise de conclusion, malgré notre réticence de principe à l'égard des autorités administratives indépendantes et le fait que le texte reste bien en deçà des ambitions affichées, nous ne nous opposerons pas à la création de cette Haute autorité qui sera chargée de coordonner les actions contre les discriminations et pour l'égalité. Nous nous abstiendrons néanmoins sur l'ensemble du texte, avec le vif espoir que cette Haute autorité permettra de faire bouger les choses. Dans le cas contraire, il faudrait alors reconnaître que cette instance ne serait qu'une autorité administrative indépendante de plus parmi celles, déjà fort nombreuses, qui existent en France.
Car, si vos intentions sont louables, madame la ministre, en revanche le dispositif retenu me semble insuffisant, tant la lutte contre les discriminations - phénomène massif et complexe - doit exiger plus que de bonnes intentions. En tout état de cause, cette Haute autorité aura bien du mal à « réparer » à elle seule le mal causé par les politiques d'exclusion qui conduisent aux souffrances et à la « mal vie » que l'on connaît et qui riment avec précarité et exclusion.
Cette instance ne doit pas se substituer à l'action des pouvoirs publics dont le rôle essentiel est de promouvoir et de mettre en oeuvre le principe d'égalité et de lutter contre les discriminations ; de même, les politiques - et singulièrement les parlementaires - ne doivent pas se sentir dédouanés de leur responsabilité en la matière du fait de l'existence de cette instance.
Enfin, il faut porter une attention toute particulière à ce qui se passe aujourd'hui à l'école. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de l'examen d'un de mes amendements tendant à impliquer davantage l'Education nationale dans la lutte contre les discriminations. Il en va de la paix sociale dans les années à venir et du type de société que nous voulons léguer aux générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons est d'une portée indéniable pour notre société.
Il arrive en séance au moment où Claude Bébéar remet au Premier ministre son rapport sur les discriminations abusives et invisibles ; c'est que, en effet, nous baignons dans les discriminations !
La discrimination est à la base de la vie si l'on s'en tient au sens le plus large du mot, c'est-à-dire au fait de distinguer, de séparer ou de différencier.
Chacun d'entre nous dans son corps personnel s'est constitué par un programme de différenciation cellulaire commandé par notre code génétique. La fécondité elle-même implique de soi la différence sexuelle.
Les différentes espèces animales et toutes formes de diversité expriment bien cette loi fondamentale de la vie. Plus la vie est complexe, plus la loi de différenciation, et donc de discrimination, y règne.
Cette loi n'est pas seulement celle des organismes biologiques, elle est aussi celle des sociétés. Une société démocratique et développée comme la nôtre multiplie les institutions spécifiques, les hiérarchies et les organismes particuliers au point de généraliser les situations qui, par nature, ne peuvent pas être partagées et accessibles à tout un chacun, dans n'importe quelles conditions.
L'élection, celle-là même qui nous vaut d'être réunis ici, en nous distinguant des autres citoyens pour légiférer en leur nom, est encore une discrimination entre plusieurs personnes candidates, elles-mêmes déjà discriminées par les conditions d'éligibilité.
Le sport de championnat n'est que sélection et donc discrimination, et personne ne trouve à y redire.
La Haute autorité, instituée par le projet de loi en examen, est en soi une affirmation sans complexe - par son appellation même, comme par le processus de nomination de ses membres - d'une discrimination organisée pour lutter contre les discriminations illégales.
C'est donc bien qu'en soi le fait de différencier des personnes est chose courante.
Mais, dans le langage habituel, le mot est le plus souvent employé avec une connotation péjorative, celle qui est en cause ici, et qui signifie une distinction illégitime. C'est si vrai que l'on a même éprouvé le besoin de lui accoler le qualificatif « positif » quand on veut justifier une discrimination particulière. On parle alors de « discrimination positive », et on complète le concept général par la notion d' « égalité des chances ».
Il faut donc aborder avec la plus grande prudence - au sens où Aristote l'entendait, c'est-à-dire sans hésitation mais, aussi, loin de toute passion déréglée - le fait de confier à un collège de personnes le soin de se pencher sur les discriminations qui leur seraient signalées pour apprécier si ces pratiques sont condamnables en vertu de textes existants ou en vertu du principe plus fondamental d'égalité entre les citoyens, voire entre les personnes humaines au regard direct de leur humanité.
Le premier cas de figure est évidemment le plus simple. Quand une loi a déjà fixé les cas dans lesquels une différenciation entre des personnes est bannie, il suffit de vérifier la réalité des faits incriminés.
Il peut arriver, en revanche, que le second cas de figure soit soulevé. C'est la situation la plus délicate à apprécier dans la mesure où il faut considérer non seulement la réalité des faits, mais aussi le préjudice réel causé au plaignant en l'absence de textes et mesurer si l'absence de traitement égalitaire lui est réellement préjudiciable.
C'est surtout en ce domaine que s'ouvre un champ d'investigation particulièrement large pour la future Haute autorité. Si nous baignons dans les discriminations sciemment assumées, comme je l'ai indiqué, nous vivons aussi dans un océan de discriminations illégitimes et le plus souvent masquées, ignorées, voire invisibles.
C'est sur ce terrain que la future Haute autorité aura le plus matière à agir. Son oeuvre comportera incontestablement une importante dimension pédagogique, car si des discriminations injustes existent, c'est parce que notre regard est devenu aveugle à la dignité de notre humanité.
La lutte contre les exclusions rend particulièrement sensible à ces situations où, comme le disait Montaigne : « Qui veut faire justice en général commet l'injustice en détail ».
C'est pourquoi l'on doit se fixer comme principe de toujours rechercher le maximum de droit commun possible, mais aussi autant de droit spécifique que nécessaire pour parfois compenser des situations d'injustice que l'uniformité du droit provoquerait eu égard à des disparités entre les personnes. Toute la législation en faveur des personnes handicapées procède de ce principe. Mais il n'en reste pas moins vrai que le mot d'ordre de la lutte contre les exclusions reste guidé par le principe de l'accès de tous aux droits de tous.
C'est à la lumière de ces réflexions que le texte qui nous est soumis me semble bien marqué par la prudence requise dans un domaine aussi délicat et aussi important pour l'humanité de notre société.
Madame la ministre, nous avons vécu ensemble, ici même, samedi dernier, un moment extraordinaire d'espoir, avec la remise des prix aux lauréats du concours « Talents des cités ».
Il est incontestable que le chemin sur lequel nous nous engageons constitue un enjeu majeur. C'est celui de la justice concrètement atteinte et constamment à défendre. Il n'est pas aussi balisé qu'on pourrait le croire car le principe d'humanité peut facilement nous dépasser, comme l'avait bien compris Pascal, en affirmant que l'homme passait infiniment l'homme. Le chemin peut aussi être perdu de vue.
A nous d'entretenir la flamme de l'ambition de notre société en matière d'humanité.
J'ai apprécié dans ce sens les propos de notre rapporteur de la commission des lois et ses suggestions qui rejoignent celles de la mission de préfiguration présidée par M. Bernard Stasi.
En ce qui me concerne, je le suivrai dans ses conclusions. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les pratiques discriminatoires sont l'expression moderne et silencieuse du rejet de l'autre, la manifestation sourde de préjugés tenaces. Les discriminations, principalement celles qui sont fondées sur l'origine étrangère, réelle ou supposée, de personnes vivant en France tendent à se banaliser. Elles frappent souvent les plus faibles d'entre nous. Elles se révèlent être de nouvelles inégalités. Il nous faut les traiter comme telles.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité devrait poursuivre cinq missions : permettre aux personnes qui s'estiment l'objet de discriminations de faire effectivement valoir leurs droits en les accompagnant dans leurs démarches vers les diverses juridictions ; assurer une médiation entre les parties ; faire des propositions au législateur ; assurer la connaissance et le suivi des discriminations ; enfin, évaluer régulièrement les résultats des actions correctrices engagées.
Au delà, il lui revient également de mettre en évidence les situations de discriminations indirectes ou latentes et d'inciter les acteurs, tant publics que privés, à y remédier.
La lutte contre les discriminations passe non seulement par la loi, mais surtout par une politique nationale et globale intégrant l'ensemble des pouvoirs publics et visant à faire évoluer les comportements individuels et collectifs.
Le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, trouve sa justification, pour certains, dans des valeurs de tolérance. Cette affirmation est, au mieux, une maladresse, au pire, un déni démocratique et républicain. Car la lutte contre les discriminations a pour unique fondement le respect du premier des principes démocratiques et républicains : l'égalité.
L'égalité démocratique sous-tend que les individus naissent égaux en droit, quels que soient leurs différences et leurs particularismes. Peu importe le sexe, la couleur de peau, le handicap, l'âge, l'orientation sexuelle : le droit considère les individus comme des semblables. Tout l'enjeu, la beauté de notre démocratie est de faire vivre cette exigence d'égalité : identité des droits et pluralité des identités individuelles.
Pour autant, cet idéal d'universalisme abstrait - censé fonder notre cohésion nationale - est contredit tous les jours par les pratiques des uns et par les expériences vécues des autres.
La place que la France offre à ses citoyens dépend encore beaucoup trop souvent de la couleur de la peau, du sexe, de la physionomie, du patronyme, de la religion vraie ou supposée de quelqu'un, de ses handicaps.
Ces violences que sont les pratiques discriminatoires participent à la construction identitaire de l'individu. Elles portent atteinte à l'image de soi. Elles entraînent une perte de confiance dans l'Etat et ses institutions.
De même, on ne peut à la fois parler de territoires perdus de la République et mener des politiques de démantèlement des services publics, qui restent des vecteurs de l'égalité.
Tout cela engendre l'humiliation et la frustration, mène au repli sur soi et au communautarisme, et met en péril notre pacte républicain.
Depuis de nombreuses années, je milite personnellement pour la création d'une autorité réellement indépendante, investie d'une mission d'aide aux victimes de discriminations. L'intérêt d'une telle instance avait été défendu dès 1998 par M. Belorgey. En 2000, l'Union européenne a adopté une directive enjoignant aux pays membres de se doter d'un organisme destiné aux personnes victimes de discriminations. A ce jour, la France est le dernier pays, avant l'Italie, à procéder à sa transposition.
Ardente militante de ce projet, je n'en suis que plus déçue aujourd'hui.
En effet, le projet de loi qui nous est soumis est nettement insuffisant. Il est en deçà du discours de Troyes du Président de la République, en deçà des préconisations de la mission de préfiguration menée par M. Bernard Stasi et en deçà des propositions des associations de lutte contre les discriminations. En outre, une amputation des moyens prévus pour la Haute autorité a déjà été tentée, alors même qu'ils n'étaient pas pléthoriques : c'est de mauvais augure.
La première réserve que je formulerai concerne la composition de la Haute autorité.
Les procédures de nomination sont tout à fait contraires à l'objectif d'indépendance. L'indépendance suppose le pluralisme : comment expliquer à nos concitoyens qu'une autorité dont huit membres sur onze sont nommés par le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux chambres du Parlement peut être une autorité pluraliste et indépendante ? A cet égard, nous nous félicitons de la position de la commission des lois du Sénat sur cette question.
Toutefois, afin de nous assurer de ce pluralisme, nous présenterons des amendements tendant à aménager la procédure de désignation. Nous souhaitons notamment que les personnes nommées le soient au regard de compétences liées à la lutte contre les discriminations.
La seconde réserve que je souhaite exprimer concerne l'organisation de la Haute autorité.
Il nous semble impératif de doter la Haute autorité de structures départementales, ou, à défaut, régionales. La « République des proximités », que votre Gouvernement appelle de ses voeux, madame la ministre, ne peut se contenter d'une unique structure centralisée et parisienne.
Le renvoi de cette mention au décret d'application est, là encore, de mauvais augure. Nous préférerions que cette territorialisation soit inscrite dans la loi.
Un guichet unique à l'échelon local et ayant pour mission d'informer, de coordonner les dispositifs existants, de prévenir et de mettre en évidence les délits constituerait, selon nous, une avancée. Connu de tous, ce dispositif décentralisé contribuerait à freiner les processus discriminatoires.
J'en viens à la difficile question de l'articulation de la Haute autorité avec la justice.
Que ressent une personne victime d'une pratique discriminatoire, sinon un profond sentiment d'injustice. Pourtant, notre législation fourmille de textes nationaux et internationaux garantissant l'égalité et sanctionnant les discriminations.
Les victimes de discriminations subissent une double peine : la première est de ne pas avoir accès, au même titre que les autres citoyens, au logement, à l'emploi stable, à la santé, aux loisirs ; la seconde peine est d'assister, impuissantes, à l'impuissance de la justice. Peu d'affaires de discriminations sont portées devant les juridictions, et elles sont généralement « classées sans suite ».
Depuis 1998, nous assistons à une réelle prise de conscience politique sur cette question : création du Haut conseil à l'intégration, mise en place des commissions départementales d'accès à la citoyenneté, les CODAC, du groupe d'étude et de lutte contre les discriminations, le GELD, et du numéro vert contre les discriminations, le 114. Je citerai également l'aménagement de la charge de la preuve devant les juridictions civiles en matière de pratiques discriminatoires, avec la loi du 16 novembre 2001 et la reconnaissance du « testing » comme preuve.
Ces avancées, mises en oeuvre par le gouvernement de Lionel Jospin, ont permis de mieux évaluer les phénomènes discriminatoires et d'en analyser les mécanismes.
Néanmoins, ces mesures n'ont eu aucun impact significatif sur les comportements.
A cet égard, le texte que vous proposez, madame la ministre, comporte des avancées, que je salue. Mais, dans le respect de l'indépendance de la justice, nous vous présenterons plusieurs amendements visant à permettre à la Haute autorité de pouvoir tenir sa mission première qui est de garantir ce droit essentiel : le droit aux droits.
A ce sujet, il est en effet souhaitable que la Haute autorité ait la possibilité de demander à être entendue, sans qu'un refus puisse lui être opposé, devant les juridictions civiles, pénales et administratives. Il nous faut tout faire pour que la peur change de camp.
Si l'accès au droit et à la justice est un élément essentiel, il serait toutefois illusoire de croire que la lutte contre les discriminations trouve ses remèdes dans la seule existence de l'arsenal juridique. Cette lutte nécessite la mobilisation de notre système éducatif et du monde de l'entreprise.
C'est pourquoi je ne partage pas l'avis du député Pascal Clément, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale. Pour lui, « ce projet fait état de l'égalité de dignité entre les hommes, et non de l'égalité des chances [...] qui ne relève pas des missions de la Haute autorité ».
Je me contenterai de rappeler que, dans un rapport de 1996, le Conseil d'Etat a affirmé que le principe d'égalité des chances s'imposait, depuis quelques années, comme la forme contemporaine du principe d'égalité.
C'est dans cet esprit que l'Institut d'études politiques de Paris, « Sciences Po », a ouvert ses portes à des bacheliers méritants provenant de zones défavorisées. Si, aux termes de l'article 14 du projet de loi, la Haute autorité n'entend pas l'égalité comme l'égalité des chances, comment pourra-t-elle, à l'instar de l'excellente initiative prise par « Sciences Po », inciter les classes préparatoires à réserver une partie de leurs effectifs aux bons élèves d'établissements situés en zone d'éducation prioritaire ?
Il s'agit là, non pas de discrimination positive contraire à nos principes, mais d'un juste rééquilibrage républicain.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Cette exigence implique que l'article 14 du projet de loi prévoit que la Haute autorité devra non seulement identifier, reconnaître et promouvoir toute bonne pratique en matière d'égalité des chances et de traitement, mais surtout - et c'est l'élément essentiel - susciter et soutenir les initiatives de tous organismes publics et privés en ce qui concerne l'élaboration et l'adoption d'engagements visant à la promotion de l'égalité des chances.
L'égalité entendue comme égalité des chances ne consiste pas à ériger la différence en droit, bien au contraire. L'action que l'Etat doit mener est celle du nécessaire rééquilibrage républicain.
L'égalité des chances doit inspirer toute notre politique éducative. Elle doit également pénétrer le monde des entreprises.
Cela est d'autant plus urgent que, dans le monde du travail, les pratiques discriminatoires se font souvent en connaissance de cause et en toute impunité.
Voilà vingt ans, j'ai participé à la « Marche pour l'égalité ». On disait alors que les difficultés d'insertion professionnelle des enfants d'immigrés étaient liées à un problème d'inadéquation de leurs qualifications avec les exigences du marché du travail.
Beaucoup d'enfants d'immigrés ont grandi à l'école de la République. Nombreux sont ceux qui ont fait des études supérieures longues. Ceux-là, plus que d'autres, ont cru au discours - ô combien porteur et stimulant - de la méritocratie républicaine !
Pourtant, de la même façon que leurs aînés de la « Marche pour l'égalité », ils continuent à être victime de discriminations, notamment dans l'accès à un emploi stable correspondant à leurs qualifications.
Dans certaines entreprises, l'idée qu'un Arabe ou un Africain puisse exercer des fonctions d'encadrement ou d'accueil des clients n'est pas encore admise.
Aujourd'hui, alors qu'ils ont joué le jeu et qu'ils sont parvenus à un niveau d'études « bac + 5 », ces jeunes se rendent compte qu'il s'agissait d'un marché de dupe.
Pour ceux-là, l'égalité des chances en matière d'emploi tient à l'accès à un premier entretien d'embauche.
Une étude récente, menée par l'Observatoire des discriminations de l'Université Paris I - Sorbonne, sous la direction du professeur Jean-François Amadieu, a permis de hiérarchiser les variables de la discrimination : les chercheurs de Paris I ont répondu à 258 annonces d'emploi, en utilisant un curriculum vitae identique, mais des identités différentes. Je ne rappellerai pas le résultat - affligeant - de cette étude. Il figure en bonne place dans le rapport de M. Lecerf.
Cette étude démontre, s'il en était encore besoin, les contradictions qui existent entre les principes du droit, nos idéaux républicains et la réalité quotidienne. Les discriminations sont tellement flagrantes qu'elles conduisent à une « mort sociale programmée » de beaucoup de nos concitoyens.
C'est pourquoi le groupe socialiste défendra plusieurs amendements visant à favoriser l'accès à l'emploi dans les entreprises, notamment le premier entretien en généralisant l'anonymat des curriculum vitae - M. Bébéar a d'ailleurs fait cette proposition dans le rapport qu'il a remis hier à M. le Premier ministre - et à promouvoir les entreprises qui s'engagent dans la lutte contre les discriminations et l'affichent dans leur bilan social.
Le dernier point que j'évoquerai porte sur l'article 14 du projet de loi.
Le champ de compétence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité en matière de promotion de l'égalité ne peut se cantonner uniquement aux discriminations prohibées par la loi. Je crains que la rédaction actuelle de l'article 14 ne permette pas à la Haute autorité de mener des études sur les emplois réservés aux seuls nationaux. Or, ces emplois fermés aux étrangers disposant de la citoyenneté de résidence représentent plus de six millions de postes. La Haute autorité doit pouvoir faire des recommandations, notamment législatives, sur les discriminations qui, pour ne pas être illégales, n'en sont pas moins intolérables.
Quant aux amendements proposés par le Gouvernement portant sur les propos à caractère sexiste et homophobe, le moins que nous puissions faire est de dénoncer le procédé que vous utilisez, madame la ministre, qui nous empêche de travailler sereinement, comme M. le rapporteur l'a souligné à juste titre.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la République est un idéal. Il arrive trop souvent qu'elle soit une promesse mal tenue. Gambetta disait : « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des égaux, mais d'en faire. » Or, à cause des moyens qui sont accordés à la Haute autorité, le texte qui est soumis à notre examen s'avère timide pour assurer cette égalité.
En conclusion, dans un contexte de crise sociale où les repères traditionnels semblent inopérants, la pratique massive des discriminations est un élément aggravant de la dissolution du pacte républicain. Par ailleurs, ces pratiques nuisent grandement à l'image de la France. Pour notre pays, la véritable menace serait de devenir une terre de départ, et non plus d'accueil. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Jacques Pelletier et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai quelques remarques qui touchent à l'organisation même de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, car l'objet de sa création a déjà été circonscrit et les modalités ont été largement décrites par les orateurs qui m'ont précédé.
Depuis quelque temps, tant nos collègues que des observateurs s'interrogent sur le statut même des autorités administratives indépendantes. Ils vont jusqu'à les remettre en question en se demandant à quoi elles servent et pour quelle raison des institutions de cette nature sont créées.
Je rappellerai une évidence : on a créé ces autorités administratives indépendantes parce que l'on ne pouvait pas faire autrement. En effet, qui pouvait proposer des sanctions et formuler des recommandations sans être le Parlement qui définit la norme, ni le Gouvernement qui serait juge et partie, ni une juridiction qui ne peut que prononcer la sanction et qui serait vite débordée pour des raisons d'emploi du temps, ni les associations acteurs du droit privé qui ne disposent pas des moyens nécessaires, si ce n'est une autorité administrative indépendante ? Dans un pays qui veut un tant soit peu respecter la séparation des pouvoirs, il est indispensable de recourir au concept de l'autorité administrative indépendante.
Si l'on fait ce choix - et tel est la décision du Gouvernement, que j'approuve -, il faut respecter un certain nombre de règles. Le texte en respecte beaucoup, et je m'en félicite. De plus, grâce aux amendements qui ont été déposés et que nous examinerons cet après-midi, le texte a encore beaucoup progressé en la matière.
J'aborderai maintenant les points sensibles d'une telle autorité.
Trois textes créent une telle instance. Le premier texte, c'est la loi, et elle nous concerne. Nous devons écrire dans la loi l'essentiel de ce que nous avons à dire sur cette autorité. Les deux autres textes sont le décret d'application, qui sera nécessaire, et le règlement intérieur de la Haute autorité.
L'expérience montre que l'indépendance, l'autonomie réelle de l'autorité se joue dans la loi et dans le règlement intérieur. En effet, c'est par le biais du règlement intérieur que la Haute autorité mettra en place son propre mode de fonctionnement, bien entendu dans le respect des textes.
Nous devons essayer de tout prévoir dans la loi et de faire en sorte que nous accordions le moins de place possible au décret d'application. J'adjure le Gouvernement de faire en sorte que le décret d'application laisse la plus grande place possible au règlement intérieur.
Ma deuxième observation concerne le mécanisme de contrôle, qui, à l'évidence, est le coeur du texte. Il faut que nous réussissions à mettre en place un mécanisme de contrôle efficace et respectueux des droits, sinon ce n'est même pas la peine de créer cette instance.
C'est pourquoi je suis très heureux de constater que la commission des lois a amélioré le dispositif prévu. Ne l'oublions pas, il s'agit de faire en sorte, d'une part, que la Haute autorité soit efficace dans le cadre de ses investigations et des contrôles qu'elle opérera sur place et, d'autre part, que les droits de la défense soient respectés. En effet, rien ne serait plus dangereux que de faire en sorte que les efforts consentis pour améliorer le fonctionnement de la preuve se transforment progressivement en un système de calomnies. Il est donc indispensable d'assurer cet équilibre.
Ma troisième observation porte sur les moyens. A cet égard, je suis assez dubitatif. J'ai lu ici ou là que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité serait dotée de quatre-vingts personnes. D'où vient ce chiffre ? La CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, comprend quatre-vingts personnes après vingt-six ans de fonctionnement, alors que la CNIL allemande, par exemple, en compte quatre cents. Comment peut-on savoir aujourd'hui qu'il faudrait prévoir quatre-vingts personnes au sein de cette autorité ?
S'agissant du budget, on entend des sommes fort différentes. En réalité, personne n'en sait rien. Il faut réfléchir à une méthode de montée en puissance. Progressivement, cette autorité pourra avoir des moyens supplémentaires pour assumer sa compétence. C'est d'autant plus vrai que nous ne savons pas encore combien de personnes seront nécessaires. Alors que certains avancent le chiffre de quatre-vingts membres, certaines associations prétendent que ce n'est pas suffisant. En réalité, je le répète, personne ne le sait.
Ces trois points sont très sensibles car ce sont eux qui conditionnent l'indépendance de cette instance.
En conclusion, je ferai deux remarques.
Monsieur le rapporteur, lorsque vous évoquez les problèmes de visibilité et d'égalité positive, je comprends parfaitement l'esprit qui vous anime, mais je vous mets en garde, c'est une question extraordinairement sensible et complexe, qui mériterait, à mon avis, un débat ici même, au Parlement. On ne peut imaginer un seul instant qu'en abordant le problème de la discrimination positive il s'agisse uniquement de régler un problème mécanique et technique. Ce serait une évolution majeure, qui nécessite une réflexion approfondie au plus haut niveau, c'est-à-dire au niveau du Parlement.
Enfin, s'agissant du statut des autorités administratives, comme l'a souligné le rapporteur, il faudrait engager une réflexion, car il existe une grande différence entre le Parlement, le Gouvernement, les juridictions et une telle autorité. Cette autorité n'a pas forcément pour destin d'être éternelle. Je me référerai à la célèbre expression de Martin Luther King : nous devons faire le rêve qu'un jour cette autorité ne soit plus utile.
En effet, la Haute autorité doit exister en tant que telle mais, par un simple parallélisme des formes, elle peut disparaître dans les mêmes conditions. Pour ce qui concerne les problèmes de discrimination, le jour où notre pays sera parvenu à l'âge adulte, la Haute autorité disparaîtra de manière tout à fait naturelle. C'est ce but qu'il nous faut viser. Nous devons donc doter cette instance de tous les moyens nécessaires à sa mise en place mais, simultanément, nous devons parfaitement encadrer le champ de ses compétences. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure où d'aucuns préconisent la mise en place de discriminations positives, un constat s'impose. Notre politique de lutte contre les discriminations est-elle suffisante ?
Aujourd'hui, vous le savez, la réponse judiciaire aux pratiques discriminatoires demeure très faible et sans réelle efficacité, la plupart des affaires étant classées sans suite. Il est donc de notre responsabilité, à nous qui sommes engagés en politique pour soigner les maux de notre société, de privilégier enfin un traitement plus long, mais plus efficace, de ce mal qu'est la discrimination et qui frappe hélas ! trop souvent notre société.
Tel est bien l'objet du texte qui nous est aujourd'hui soumis.
En effet, le projet de loi prévoit de mettre en place un organisme doté de moyens réellement efficaces, qui privilégierait le traitement des discriminations par la médiation, et examinerait ce problème à la racine, en cherchant à développer les bonnes pratiques en matière d'égalité.
Par ailleurs, ce projet de loi répond à une triple volonté : celle du chef de l'Etat, de l'Union européenne et des Nations unies.
Le Président de la République a eu à coeur, depuis son arrivée au pouvoir, de lutter contre les discriminations et de promouvoir l'égalité.
Dès sa première élection en 1995, le Président de la République a fait de l'égalité des chances un des thèmes majeurs de sa campagne présidentielle. Peu de temps après sa réélection, il s'est également engagé, lors du discours qu'il a prononcé à Troyes en octobre 2002, à lutter « sans faiblesse » - ce sont ses propres mots - contre toutes les formes de discrimination. L'insertion des handicapés, par exemple, fut dès lors l'un des trois chantiers prioritaires de son nouveau quinquennat.
La recrudescence du nombre des actes antisémites et racistes en France n'a fait que renforcer la détermination du chef de l'Etat, garant de l'égalité républicaine et de la cohésion sociale.
Le Gouvernement et le Parlement n'ont pas attendu le présent texte pour agir, qu'il s'agisse de la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ou de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Tous ces textes prévoient en effet un renforcement de la répression de certains actes discriminatoires. Ainsi, si un délit ou un crime est accompagné d'un acte de discrimination, ce dernier constitue désormais une circonstance aggravante.
Toutefois, à ce volet répressif, il convenait d'ajouter un volet plus préventif, par l'intermédiaire d'une institution juridique spécialisée, indépendante, qui favoriserait la médiation et agirait pour la promotion de l'égalité républicaine. Tel est d'ailleurs l'objet des recommandations du Comité des droits de l'homme de l'ONU et de l'article 13 du traité de l'Union européenne, qui sont à l'origine de plusieurs directives, notamment celle du 29 juin 2000, que nous devons transposer aujourd'hui dans notre droit interne.
C'est dans ce contexte que le chef de l'Etat a confié, il y a un plus d'un an, l'élaboration d'un rapport sur ce sujet à M. Bernard Stasi, ancien Médiateur de la République, auquel le groupe de l'UMP tient à rendre hommage pour la qualité de son travail. Les conclusions de son rapport ont été reprises, pour une large part, dans le présent texte.
Il nous est donc aujourd'hui proposé de créer une nouvelle autorité administrative indépendante, chargée de lutter contre toutes les formes de discriminations et de promouvoir le principe d'égalité.
Composée de onze membres, choisis parmi des personnalités indépendantes, la Haute autorité sera dirigée collégialement, ce qui devrait permettre d'additionner les compétences, d'assurer le pluralisme des courants de pensée et de garantir ainsi son indépendance.
Les syndicats et associations qui travaillent depuis de longues années sur le terrain, et auxquels je tiens à rendre hommage, seront automatiquement associés au travail de la Haute autorité, à travers la création d'un organisme consultatif auquel ils appartiendront. Ils pourront également faire partie du collège, si certains de leurs membres sont nommés parmi les onze personnalités qualifiées.
La simplification de la saisine, qui pourra se faire directement par simple courrier, est aussi un point très positif. Elle devrait permettre aux victimes de discrimination de réagir plus facilement et plus rapidement.
Il est également essentiel que la Haute autorité puisse se saisir de toutes formes de discrimination, sans énumération limitative.
II était par ailleurs indispensable qu'elle soit dotée de prérogatives originales, pour éviter tout doublon de son travail avec celui des pouvoirs publics et des organismes de lutte contre les discriminations existants.
Sans être dotée de pouvoirs de police judiciaire, la Haute autorité pourra néanmoins procéder à des enquêtes et vérifications au sein des administrations, organismes et entreprises publics ou privés. Elle pourra également saisir la justice en référé si la personne incriminée refuse de fournir les informations ou documents demandés. Enfin, à la demande des juridictions, elle pourra présenter ses observations à l'audience.
La Haute autorité pourra également être consultée par le pouvoir législatif ou réglementaire, en plus du pouvoir judiciaire, sur les textes relatifs à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l'égalité.
Elle sera en outre - et c'est une nouveauté - dotée d'un budget de recherche en matière de promotion de l'égalité et devra chaque année rendre compte de ses résultats à travers un rapport public rendu au Parlement et au Président de la République.
Nous le voyons bien, cette Haute autorité, dotée d'un budget général de 9 millions d'euros, devrait pallier efficacement les insuffisances actuelles et notamment les carences du groupe d'études et de lutte contre les discriminations, mises en lumière par le rapport de M. Stasi.
Les commissions départementales d'accès à la citoyenneté, chargées d'assurer le traitement et le suivi local des cas signalés à ce groupe d'études, n'ont en effet pas été à la hauteur des objectifs qui leur avaient été fixés. La plupart des signalements transmis aux parquets ont, hélas ! abouti à des décisions de classement.
Le numéro d'appel gratuit, le 114, mis à la disposition de nos concitoyens par le groupe d'études pour signaler les cas de discrimination, n'a pas, non plus, obtenu les résultats escomptés. Seuls 2 % des appels recensés correspondaient à de réels problèmes de discrimination, les 98 % restants s'avérant purement fantaisistes.
C'est la raison pour laquelle il me semble nécessaire de rendre ce service payant. L'appel téléphonique doit être facturé.
Certes, il doit être d'un coût modique pour demeurer accessible à tous. La non-gratuité, même symbolique, devrait avoir un effet dissuasif et limiter, au moins en partie, les appels fantaisistes qui accaparent inutilement le temps et l'énergie des personnes travaillant pour ce service.
Concernant ces personnels du groupe d'études et de lutte contre les discriminations, nous nous félicitons de l'apport de l'Assemblée nationale qui a veillé à ce qu'il ne soit pas procédé à des licenciements, en leur garantissant la possibilité d'être réemployés contractuellement par la Haute autorité.
A l'heure de la simplification administrative et juridique et de la réduction du nombre des commissions, il s'agit donc non pas de créer un nouvel organisme inutile, mais de remplacer progressivement un organisme existant par une autorité administrative réellement efficace, aux prérogatives élargies et originales, répondant ainsi aux recommandations européennes et internationales.
Son rôle essentiel sera le soutien aux victimes, la médiation et la mise en valeur des bonnes pratiques en matière d'égalité.
Le présent projet de loi prévoit, par ailleurs, d'intégrer les dispositions qui figuraient initialement dans le projet de loi visant à lutter contre le sexisme et l'homophobie déposé en juin par le Gouvernement.
Je me félicite que ces nouvelles dispositions, certes nécessaires, tiennent compte de certaines critiques formulées par la Commission nationale consultative des droits de l'homme et par les entreprises de presse qui redoutaient une atteinte grave à la liberté de la presse.
Si ces dispositions prévoient de réprimer la diffamation, l'injure et les provocations à la discrimination, à la haine et à la violence, en raison du sexe ou de l'orientation sexuelle de la personne, commises par voie de presse, il s'agit de ne les réprimer que dans un certain nombre de cas relativement graves et limitativement énumérés par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.
Il s'agit notamment de cas relatifs à l'emploi - on sait combien cela est grave -, à la fourniture de biens et de services, au logement et au bénéfice des droits accordés par la loi.
Par ailleurs, au lieu des 12 mois prévus par le projet de loi initial, leur prescription est réduite à 3 mois, comme c'est aujourd'hui le cas pour tous les délits commis par voie de presse. Il s'agit d'une mesure de bon sens dont on ne peut que se féliciter.
Autre mesure de bon sens : le projet de loi initial sur l'homophobie et le sexisme prévoyait des peines plus lourdes pour les discriminations en raison de l'orientation sexuelle de la victime que pour les discriminations en raison de son sexe. Cela semblait particulièrement injuste et incohérent. Les dispositions insérées dans le présent projet de loi prévoient désormais que les propos sexistes et homophobes tenus par voie de presse seront réprimés avec la même sévérité.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, le groupe UMP et moi-même tenons, madame la ministre, monsieur le rapporteur, à vous apporter notre soutien. Notre groupe, à une très large majorité, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, chaque orateur a fait référence au rapport de M. Stasi, qui assiste à nos débats. Je le salue très cordialement au nom de la Haute Assemblée.
La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les adjectifs ne manquent pas pour dénoncer toutes les discriminations vécues chaque jour en France. Pour résumer, je dirai qu'elles sont inacceptables.
Comptabiliser chaque fait condamnable est impossible, se battre pour que tous disparaissent est nécessaire, bien sûr par obligation morale, mais aussi pour apaiser les graves tensions dont souffre notre société. En effet, chacune de ces pratiques discriminatoires non sanctionnée instille le doute, le désespoir et la révolte. Au nom du principe d'égalité des droits sur lequel est fondé notre régime politique, nous refusons tous ici de renoncer, car renoncer à se battre pour faire respecter le principe d'égalité, c'est rompre le pacte républicain. Si nous voulons refuser les révoltes individuelles ou les zones de non-droit, l'Etat doit affirmer fortement le droit et ses prérogatives régaliennes pour réussir le passage de l'égalité formelle à l'égalité réelle.
En préambule, je soulignerai que la création de cette Haute autorité est, de plus, une obligation communautaire : la France vient de recevoir une leçon de l'Europe dans un domaine où elle pensait avoir peu à apprendre, le domaine des droits de l'homme. Je rappelle que, par directive, le Conseil fait obligation aux Etats membres de désigner un ou plusieurs organismes chargés d'apporter une aide indépendante aux victimes de discrimination. En France, nos concitoyens pouvaient, certes, saisir la justice sur les fondements d'une législation très complète et récemment renforcée, mais chacun sait, ici, que les condamnations sont rares. Les victimes ne disposent toujours pas d'un organisme ad hoc permettant à la fois de dégager des solutions non contentieuses et d'aider les victimes devant les juridictions. Comme souvent, la France a tardé à transposer la directive. La mission de préfiguration présidée par Bernard Stasi va permettre à notre pays de se doter de cet outil, si longtemps attendu.
C'est l'occasion de redire à nos concitoyens qu'au-delà de sa réalité économique l'Europe doit aussi être pour tous un projet politique ambitieux fondé sur une conception humaniste de l'homme.
La création de la Haute autorité est donc une obligation. Elle est aussi une réponse à un besoin identifié : par sa compétence générale, qui l'autorise à lutter contre toutes les formes de discrimination, c'est-à-dire le sexe, le handicap, l'âge ou l'origine, prohibées par un engagement international ou par la loi ; par des moyens financiers non négligeables - 10,7 millions d'euros -, supérieurs au budget du Médiateur de la République ; par des moyens humains évalués à 80 personnes, intégrant, si celui-ci le souhaite, le personnel du groupe d'études et de lutte contre les discriminations, dont l'expérience acquise en matière de discrimination raciale sera très utile.
Je souhaite mettre en valeur trois prérogatives originales pour une autorité administrative indépendante : son habilitation à procéder à des enquêtes sur place, sa possibilité de saisir le juge des référés pour que ses demandes d'information soient suivies d'effet et sa possibilité de présenter ses observations à l'audience. Les victimes disposeront désormais d'une instance qui les aidera concrètement.
Sans attendre le premier rapport annuel de la Haute autorité, je proposerai deux dispositions qui rendront cette autorité plus efficace.
En plus de la saisine directe et de l'autosaisine, je souhaite que nos concitoyens puissent saisir la Haute autorité par l'intermédiaire d'un parlementaire, député, sénateur ou représentant français au Parlement européen.
Je souhaite également que tous ces parlementaires puissent la saisir de leur propre chef, ce qui constituera, avec près de mille élus, un maillage territorial très efficace.
Chargée d'une double mission, lutter contre les discriminations et promouvoir l'égalité de traitement, la Haute autorité sera un outil indispensable, mais, nous le savons, toujours insuffisant face aux discriminations insidieuses. Légiférer est utile, mais ne sera jamais suffisant : comme pour la défense de la laïcité, il faut faire adhérer et convaincre. Ce combat doit être mené à la source, c'est-à-dire à l'école, et je salue l'initiative du ministre de l'éducation, qui vient de diffuser à plus de 250 000 exemplaires l'excellent Guide républicain auprès des enseignants et dans chaque bibliothèque scolaire. Il rappelle « les fondements et les enjeux de notre ambition républicaine ».
La soif de justice à laquelle il ne serait pas répondu conduira à la révolte. Le groupe du RDSE soutiendra la création de cette Haute autorité, qui doit faire rapidement preuve de son efficacité. Il ne s'agit ni de dilution du pouvoir politique, ni de dilution du pouvoir des juges : la création de cette Haute autorité doit redonner l'espoir à ceux qui en ont été privés par notre indifférence ou notre passivité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la directive européenne du 29 juin 2000 relative à l'égalité de traitement entre les personnes, sans aucune distinction, et l'article 13 du traité d'Amsterdam invitent les Etats membres à adopter des politiques de lutte contre les discriminations et leur font obligation de se doter d'un organisme indépendant. Nous nous réjouissons donc que le Gouvernement nous propose enfin, par ce projet de loi, de la transposer en droit interne.
Rappelons que ces politiques vont au-delà de la seule transposition des directives européennes en matière de promotion de l'égalité de traitement. La France est, à cet égard, très en retard.
Aussi, nous pouvons nous poser la question de l'existence d'une véritable volonté politique ou d'une initiative qui semble uniquement répondre de manière minimaliste aux obligations européennes pour éviter à la France d'être une nouvelle fois condamnée.
Au préalable, il est important de réaffirmer que la lutte contre les discriminations doit s'inscrire dans un dispositif global, dans le cadre de l'action publique comme de l'action civile, où convergent les efforts du législateur, du Gouvernement et des acteurs locaux.
En outre, il doit offrir une protection juridique complète et donner à la Haute autorité les moyens de fonctionner en lui procurant des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux auxquels elle sera confrontée.
Dans un souci d'efficacité et de crédibilité, il est important que cette Haute autorité soit unique et universelle.
Unique, car elle aura ainsi une vision d'ensemble des différentes formes de discriminations, et elle évitera une superposition de diverses structures spécifiques, voire parfois une certaine hiérarchisation des discriminations, notamment en cas de cumul des handicaps.
Universelle, parce qu'elle doit couvrir toutes les catégories de discriminations, dans tous les domaines - emploi, formation, santé, logement, culture, école - et qu'elle doit contrôler tous les agissements discriminatoires, quels que soient leurs formes et leurs auteurs.
Les textes en vigueur ne prévoient que certaines catégories de discriminations. Il convient donc de compléter la liste de ces dernières pour prendre en compte de manière plus exhaustive tous les critères prohibés de distinction, en s'attachant à ne pas fermer toute possibilité d'évolution de cette liste avec le temps.
L'Europe avait, dès l'origine, bien défini le champ des discriminations, « fondées sur le sexe, l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle », et comme nous pensons que chacune de ces discriminations, sans aucune exclusive, doit être combattue, il nous semble nécessaire de reprendre in extenso dans le projet de loi cette définition donnée par l'Europe.
Le champ de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, doit comprendre toutes les discriminations, « directes ou indirectes, prohibées ou non par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie prenante ».
A ce jour, le projet de loi prévoit que la HALDE ne peut intervenir que sur les discriminations prohibées par la loi.
Or, le texte sur la pénalisation des propos homophobes et sexistes devrait être abandonné, ce que nous regrettons vivement : il s'agit d'un recul dans la lutte contre les discriminations. Certes, des amendements tenteront de pallier cette lacune, mais nous ne comprenons pas cette méthode arbitraire et tardive.
Par ailleurs, nous devons être plus particulièrement attentifs aux discriminations qui pourraient contrevenir aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 et de la Charte des droits de l'enfant de l'ONU du 20 novembre 1989, concernant le droit à l'éducation. Le droit international n'est-il pas supérieur au droit national, notamment lorsque ce dernier génère des discriminations ?
Pour enrichir ce texte, notre contribution a été élaborée à partir des auditions auxquelles nous avons procédé, qu'il s'agisse d'associations de défense des droits humains en général, mais aussi des personnes handicapées et homosexuelles, ainsi que d'associations spécifiques qui interviennent dans le domaine de l'emploi, du logement ou de l'école.
Ces associations ont, je le regrette, été peu entendues, parfois même ignorées lors de l'élaboration de ce projet de loi.
Leur mise à l'écart, qui s'est poursuivie pendant les travaux préparatoires à l'Assemblée nationale puis ici même, au Sénat, témoigne d'un mépris envers des acteurs pourtant incontournables sur le terrain et qui seront essentiels pour assurer le succès de cette structure.
Pour le moment, notre satisfaction reste mitigée, car, à notre sens, ce projet de loi souffre encore d'imperfections graves qui ne donnent pas à la HALDE les moyens qu'exigent les discriminations de toutes sortes qui sévissent dans notre pays.
Peut-être aurait-il fallu s'inspirer davantage des expériences européennes qui ont précédé la nôtre, et en retenir davantage les éléments dont l'efficacité a été prouvée ? Nous pensons, en particulier, à l'expérience belge du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, le CECLR, et, surtout, à celle du Conseil pour l'égalité britannique, qui a acquis une véritable légitimité et démontré son efficacité.
A l'image de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, je souhaite formuler un certain nombre d'observations autour de trois aspects qui me paraissent essentiels pour permettre une plus grande efficacité de cette institution : son indépendance et son pluralisme, la place centrale des victimes et leur accès à l'institution, le fonctionnement et les moyens que l'on se donne pour réussir.
Pour bénéficier d'une légitimité dans son action, la HALDE doit apparaître comme une autorité aussi légitimement fondée et autonome dans son établissement que dans son fonctionnement. En effet, l'administration publique pouvant, elle-même, être l'auteur de discriminations,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Bien sûr !
Mme Alima Boumediene-Thiery. ...si la HALDE était placée auprès d'un ministre ou structurée comme une émanation de la puissance publique, elle n'aurait pas l'indépendance nécessaire à l'égard de cette administration publique.
De ce point de vue, le fait que les membres de la Haute autorité soient désignés par de hautes personnalités ne nous semble pas adéquat.
La majorité d'entre eux devraient, selon nous, être élus par les assemblées, dans le respect du pluralisme politique.
Quant à son président, il devrait être élu par ses pairs, ce qui établirait, bien mieux que dans l'actuel projet de loi, la légitimité et l'indépendance de la HALDE.
Sans prétendre vouloir redessiner tous les contours précis de la HALDE et redéfinir sa composition, nous estimons qu'elle devrait être une autorité collégiale plutôt qu'une autorité incarnée par une personne unique.
Il convient de mettre en place une autorité de plein exercice, et non pas un simple médiateur qui risquerait d'avoir un rôle symbolique. Ses membres devraient être choisis en raison de leur compétence et de leur expérience, et être issus de la société civile.
Cette légitimité « par en haut » doit être complétée par une légitimité « par en bas », oserions-nous dire, qui permette effectivement à toute victime de saisir la HALDE.
Cette saisine est prévue par l'article 3. Cependant, il nous semble indispensable que les organisations de lutte contre les discriminations et les parlementaires soient autorisés à saisir la Haute autorité, ce que ne prévoit pas le projet de loi.
Enfin, il est essentiel que la Haute autorité puisse demander des explications à toute personne physique ou morale, publique ou privée, et pas seulement « à toute personne privée », et exiger des réponses à ses interpellations, faute de quoi elle perdrait une bonne part de sa légitimité et de son efficacité.
Le recours au droit et à la justice, protecteur pour les personnes fragilisées, doit être utilisé à chaque fois qu'il est possible. Malheureusement, il est loin d'être à lui seul suffisant pour constituer un cadre unique de lutte contre les discriminations.
Il n'en reste pas moins que, même si elles arrivent devant les tribunaux, les discriminations aboutissent très rarement à des condamnations en justice. L'arsenal juridique est difficile à actionner pour les victimes, déjà fragilisées par la discrimination, voire terrorisées par certaines pressions.
Il nous semble donc extrêmement positif que le projet de loi reprenne une idée-force de la directive européenne concernant la « charge de la preuve » pour une victime de discrimination, ce qui est souvent difficile à établir, en affirmant que la victime devra simplement établir les faits, à charge pour la partie adverse de prouver que ces faits ne sont pas le fruit d'une discrimination.
Parce qu'il s'agit de créer non pas une autorité « centralisée », mais une autorité capable de répondre au plus près des préoccupations de nos concitoyens - car, chacun le sait, c'est au plus près que s'exercent le plus violemment les préventions de toutes natures -, la HALDE doit disposer de relais au niveau territorial. Au minimum, son implantation régionale est essentielle.
On pourrait imaginer mettre en place des délégués locaux, ou départementaux, selon les besoins, pour lutter concrètement contre les discriminations.
Puisque le projet de loi prévoit que la HALDE disposera de services et pourra recruter des agents contractuels, compte tenu des missions qui vont être dévolues à ces agents, plusieurs choses paraissent nécessaires, l'autorité devant pouvoir s'appuyer sur des délégations régionales.
Compte tenu de leurs missions, ces agents devront être assermentés et, pour nombre d'entre eux, être des fonctionnaires détachés des différents corps d'inspections.
Par ailleurs, nonobstant les compétences propres de ces différents corps d'inspection, la HALDE devra avoir la capacité de recourir, en tant que de besoin, à la compétence de ces inspections.
Ces délégués locaux contribueraient à accueillir, à écouter et à donner des informations aux victimes, puis à les orienter vers les conseils juridiques existants.
Toutefois, ils devraient aussi jouer un rôle majeur et ne pas se limiter à un rôle d'information. Ils devraient animer et coordonner le réseau local des acteurs de la lutte contre les discriminations.
Ils devraient également avoir une fonction d'assistance aux personnes, un pouvoir d'investigation pour permettre une meilleure instruction liée à des enquêtes locales, pour, enfin, transmettre à l'autorité nationale toutes les situations dont ils auraient connaissance.
Un rapport annuel rendra compte de l'ensemble des saisines et de leurs résultats ; il comportera des recommandations. Il serait bon que ce rapport soit rendu public.
Quant aux procédures, elles devront être claires et transparentes.
Or, alors que le projet de loi prévoit que les agents de la HALDE seront susceptibles de faire des mises en demeure, aucune procédure n'est prévue quant aux suites de celles-ci, en particulier sur deux points essentiels : le débat contradictoire et les suites administratives éventuelles en cas de non-respect de la mise en demeure.
Les seules suites envisagées le sont en termes de saisine judiciaire, ce qui n'était d'ailleurs pas nécessaire puisqu'elles sont, de toute façon, rendues obligatoires, si le cas le justifie, par l'article 40 du code de procédure pénale.
De plus, il n'est pas prévu que la victime, ou la personne mise en cause, pourra se faire accompagner d'un conseil ou se faire représenter.
Les agents de la HALDE doivent-ils être en mesure d'effectuer des investigations sur place sans l'accord préalable des intéressés éventuellement mis en cause ? Il serait alors nécessaire d'encadrer ces investigations.
J'en viens aux moyens prévus par le projet de loi de finances pour 2005.
Il me semblait que toute volonté politique devait se traduire par la mise en oeuvre de moyens. Alors que nous n'avons pas encore entamé le débat, nous apprenons que le budget affecté à la Haute autorité a été réduit à 9 millions d'euros par les députés...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
Mme Alima Boumediene-Thiery. ...sous prétexte d' « aligner » les dépenses que la France alloue à la HALDE sur celles que la Belgique accorde à l'autorité équivalente, alors que nos populations ne sont pas quantitativement comparables. Au Royaume-Uni, l'organisme analogue luttant contre les discriminations dispose de 30 millions d'euros.
Ainsi, les grandes déclarations de lutte contre les discriminations n'auront peut-être duré que le temps d'un affichage.
Pourtant, il a été clairement dit que la Haute autorité ne serait qu'une coquille vide si les moyens prévus ne permettent pas de mettre en place des relais locaux susceptibles de recueillir les plaintes ni d'accompagner les victimes.
Nous ne saurions conclure sans rappeler que la lutte contre les discriminations est la voie principale pour aboutir à l'égalité des droits et des chances, à laquelle nous aspirons toutes et tous.
Mais de quelle égalité parlons-nous ? De l'égalité républicaine, quitte à faire de notre République un rouleau compresseur qui exclut ?
Où est l'égalité ? Quand on ne peut pas travailler ni se loger en raison d'un état de santé ? Quand on refuse d'assurer des personnes en raison de leur séropositivité ? Quand, lors de leur entretien d'embauche, les jeunes sont sélectionnés en fonction de leur nom ou de leur adresse ? Quand des millions d'emplois sont réservés aux nationaux ? Quand, selon sa nationalité, on peut subir une double peine ? Quand, parce que l'on est ressortissant d'un Etat tiers, on est exclu d'une citoyenneté active, exclu du droit de vote et de la liberté de circulation ?
Où sont les droits des enfants ? Quand l'école publique exclut et produit un tel échec ?
Où sont les droits fondamentaux ? Quand le droit de travailler, de se marier, de vivre en famille, de se soigner ou de s'éduquer est bafoué quotidiennement ? Quand des milliers d'exilés sont enfermés dans des camps et que la vie des étrangers pèse aussi peu dans la guerre que l'Europe livre pour défendre ses frontières ?
Il est évident que la naissance de cette Haute autorité souligne l'échec de toutes les politiques de lutte contre les injustices et les exclusions.
Nous attendions de ce projet de création d'une autorité indépendante des résultats tangibles et concrets, car il s'agit de rétablir l'universalité des principes d'égalité entre tous les citoyens.
Or, le texte reste bien en deçà de toutes les attentes suscitées par l'ampleur de ce problème, qui met en danger notre démocratie.
Nous espérons que la Haute autorité ne se réduira pas à un « observatoire des discriminations » pour informer les victimes et pour favoriser les médiations, tout en servant de masque à une certaine impunité.
Nous exprimons ici notre déception et affirmons que nous serons vigilants.
Madame la ministre, le fait de créer cette autorité n'est pas suffisant pour que nous vous donnions « carte blanche ». Si nous ne pouvons, bien sûr, pas être défavorables à la création de cette instance, il n'en reste pas moins que nous veillerons très attentivement à sa réalité.
Nous refusons qu'il s'agisse d'un organisme pour rien, pour masquer seulement l'absence de volonté politique.
Face à l'hypocrisie de la majorité de nos instances, face au manque de souffle et d'ambition d'un tel projet, notre abstention est la meilleure des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, Mme Bariza Khiari a, au nom du groupe socialiste, déjà dit l'essentiel sur le sujet dont nous discutons.
Je voudrais, quant à moi, élargir le débat, car nous sommes dans une société malade : le rejet de l'autre devient monnaie courante, les actes racistes et antisémites se répandent, les violences faites aux femmes s'aggravent, l'homophobie a pignon sur rue.
Il ne faut pas déconnecter ce problème du débat sur la lutte contre les discriminations.
Certes, le rejet de l'autre est aussi vieux que l'humanité, mais quand il vient à nous empêcher de vivre ensemble, quand il mine la cohésion sociale, c'est que quelque chose va très mal.
Si nous sommes tous là - tous, ou presque - pour rappeler que l'exclusion de l'autre ne correspond pas aux valeurs de la République et doit être condamnée, dans les faits, cependant, les politiques publiques, les choix économiques, sociaux, sociétaux, renforcent chaque jour le « chacun pour soi », tandis que la concurrence entre les individus et les groupes reproduit les inégalités sociales et territoriales et empêche la mobilité sociale, qui donne espoir à chacun de sortir de sa condition s'il le souhaite et s'il entreprend les efforts nécessaires.
L'égalité, qui est le fondement de notre République, n'est pas une réalité pour les millions de femmes et d'hommes, et c'est bien l'égalité des droits et l'égalité sociale qu'il faut conquérir le plus complètement possible.
Si nous légiférons, aujourd'hui, pour mettre en place cette Haute autorité, c'est bien parce que ce principe d'égalité, présent dans notre Constitution, ne s'impose pas à tous. Si nous voulons apprendre à nos enfants le respect de l'autre, leur apprendre qu'il n'y a pas de races, qu'une femme est l'égale de l'homme, les institutions - toutes les institutions -, les responsables - tous les responsables -, l'Etat, son administration, jusqu'à l'échelon le plus bas, proche des citoyens, les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux et les chefs d'entreprise doivent montrer l'exemple.
Quand une société maintient, dans ses rapports sociaux, les facteurs de discrimination, elle peut difficilement faire la leçon à ses citoyens. A ce titre, les actes que nous sommes amenés à accomplir en tant que responsables constituent l'essentiel de la pédagogie.
Lorsqu'un enseignant s'aperçoit que, dans sa classe, les élèves s'insultent en stigmatisant la couleur de la peau ou la nationalité, en se traitant de « sale juif », de « sale arabe », de « sale noir », et que ces insultes deviennent quotidiennes, il doit donner un cours d'éducation civique pour expliquer que les valeurs de solidarité, de tolérance et d'égalité forment le socle de la République. Mais si ces mêmes élèves constatent que tous ne sont pas égaux dans les banlieues, dans les territoires les plus pauvres, dans les emplois les plus sûrs, que leur parcours est tracé dès l'école et qu'ils ne pourront s'en sortir, il sera difficile de les convaincre que la société fonctionne sur ces valeurs qui s'imposent à eux. Nos actes et nos politiques ont donc une valeur d'exemple essentielle. C'est pour cela que la question de la lutte contre les discriminations est fondamentale.
L'objectif est bien l'égalité. Sans elle, la liberté peut devenir le chacun pour soi, se traduire par un renforcement des intérêts individuels ou des intérêts de groupe qui minent notre cohésion sociale.
Certains débats sont pervers. On peut considérer, et certains le disent, que la liberté pour une jeune fille aujourd'hui, c'est de porter le voile à l'école. Or il n'y a pas si longtemps, la liberté, c'était de l'enlever ! Parce que l'égalité est à la base du « vivre ensemble », elle est fondamentale aujourd'hui, ici comme ailleurs.
Bien entendu, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité est un plus et personne ne peut s'opposer à sa création. Toutefois, il faut éviter que, telle une bonne conscience, elle ne nous exonère de tout faire pour empêcher l'extension des discriminations, du rejet, de l'exclusion dans notre société. Il faut un investissement massif pour favoriser la mobilité sociale, faire en sorte que chacun sache qu'il pourra s'en sortir quel que soit son quartier, ou devenir professeur même s'il est fils d'ouvrier. Tant qu'une politique volontariste n'imposera pas cela dans la société, la lutte contre les discriminations et les hautes autorités ne seront qu'un pansement. Bien sûr, si le reste fait défaut, le pansement demeure nécessaire, mais il faut tout de même que ce pansement soit judicieusement appliqué.
Or la Haute autorité n'a pas été créée en concertation avec le monde associatif qui, au quotidien, dans nos quartiers, lutte contre les discriminations, alerte, combat, réfléchit sur ces questions bien avant que les politiques n'aient pris le problème à bras-le-corps. C'est dommage, car une telle concertation aurait fait jaillir des réalités peu connues qui auraient permis d'enrichir ce texte. Il n'a pas été constitué avec la société civile, il n'a pas été pensé comme cela et la forme de la Haute autorité s'en ressent : les nominations des membres de son collège viennent d'en haut, sa représentativité est contestable, son pluralisme inexistant. Voilà qui handicapera certainement son action.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra lors du vote sur ce projet de loi. Pour autant, il ne s'abstiendra pas quand la question des discriminations sera posée, à l'occasion de débats parlementaires sur l'éducation, la cohésion, l'accès à la culture, l'accès à l'emploi, le logement. C'est là que nos politiques de lutte contre les discriminations auront le plus de force pour réduire les inégalités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai indiqué en ouvrant la discussion générale, ce projet de loi, qui s'appuie fortement sur le travail de la commission présidée par M. Stasi, que j'ai le plaisir de saluer ici et aux côtés duquel j'ai travaillé pendant plusieurs mois lors des travaux de la commission sur la laïcité, est perfectible.
Cependant, quels que soient les arguments que j'ai entendus de tous côtés, je note un consensus sur la nécessité de créer la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité afin de compléter le travail des associations en matière de prévention des discriminations et aider la justice à dégager des preuves de telles discriminations. Comme l'a souhaité M. Seillier, nous devons démasquer les discriminations aujourd'hui invisibles dans notre pays.
Je veux, en préambule, rassurer Mme Boumediene-Thiery et M. Assouline : il s'agit non pas d'une transposition a minima des directives européennes, mais du projet ambitieux qu'a annoncé le Président de la République en 2002. Ce projet comprend non seulement la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité - Mme Boumediene-Thiery a insisté sur ce dernier terme -, mais également l'accueil des étrangers en France, avec l'Agence nationale de l'accueil et des migrations, et le contrat d'accueil et d'intégration prévu par la loi de programmation pour la cohésion sociale, que vous avez votée récemment, ou encore les chartes de la diversité des entreprises.
Après le principe de laïcité, nous confortons le principe d'égalité en France.
S'agissant de la Haute autorité elle-même et de sa composition, je vous répondrai très précisément.
Sur la place de cette instance d'abord, je veux indiquer au rapporteur, M. Lecerf, que la Haute autorité devra établir des liens étroits avec d'autres autorités, tels le Défenseur des enfants, la Commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, la CNIL ou le Médiateur de la République. La création de la Haute autorité est aujourd'hui nécessaire parce que, nous le voyons bien, le dispositif présente une lacune. En France, les discriminations ne sont pas sanctionnées ou le sont très rarement, chacun d'entre vous l'a souligné, M. de Montesquiou en particulier.
Par ailleurs, le Gouvernement examinera dans les meilleurs délais la saisine directe du Médiateur de la République.
Concernant la désignation des membres du collège de la Haute autorité ensuite, pour répondre à Mmes Dini et Assassi, il nous est apparu qu'il fallait donner dès l'origine une forte légitimité à la Haute autorité. C'est pourquoi nous avons retenu une composition conforme à notre tradition, ce qui n'a jamais mis en cause l'indépendance des membres ainsi désignés, je pense notamment au Conseil constitutionnel.
S'agissant du mode de saisine, le Gouvernement est naturellement ouvert aux amendements de la commission, comme à ceux de la majorité, mais aussi à ceux de l'opposition qui, j'ai cru le comprendre, vont dans le même sens pour un grand nombre d'entre eux.
Madame Dini, il y aura bien, je l'ai dit dans mon discours introductif, des délégations territoriales de la Haute autorité. Mais cette disposition est sans doute de nature réglementaire. En revanche, il ne pourra s'agir des commissions pour l'égalité des chances, c'est-à-dire les anciennes CODAC, car elles sont un organe de l'Etat. Les délégations territoriales devront, comme la Haute autorité, être indépendantes.
En outre, pour rassurer surtout Mmes Boumediene-Thiery et Assassi, le groupement d'intérêt public GELD sera supprimé afin de ne pas faire double emploi avec la Haute autorité. Son personnel et son budget seront repris par la Haute autorité. S'agissant du budget, j'ai noté l'intérêt de chacun des groupes pour doter la Haute autorité de moyens suffisants. Aujourd'hui, madame Boumediene-Thiery, le budget a été rétabli par l'Assemblée nationale et s'élève à 10,7 millions d'euros. De même, monsieur Türk, je fournirai au Sénat, dans le cadre de la discussion budgétaire, le plan de montée en puissance tant en personnel qu'en moyens financiers.
Enfin, le Gouvernement partage l'avis exprimé par M. Cambon sur la gratuité du dispositif d'accueil téléphonique. Avec 98 % d'appels fantaisistes, le 114 est aujourd'hui ingérable. Néanmoins, un accueil téléphonique et d'orientation est nécessaire à un coût modique.
J'en viens aux missions de la Haute autorité.
Je note tout d'abord un consensus sur le champ de compétences et les missions, comme l'a indiqué M. le rapporteur.
Madame Khiari, concernant la directive européenne, la France n'est pas la dernière à transposer, puisque l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal et peut-être d'autres pays encore n'ont pas transcrit en totalité les directives 2000/43, 2000/78 et 2002/73.
Plus sérieusement, je veux répondre sur l'inefficacité de l'empilement de nos dispositifs actuels. En effet, je partage ce point de vue, c'est pourquoi nous avons repris l'exemple du centre pour l'égalité des chances belge qui fonctionne efficacement depuis onze ans avec le ministère de la justice. Il n'y a aucune raison pour que ce dispositif ne soit pas transposable en France, qui a une organisation juridictionnelle comparable.
M. Lecerf comme Mme Assassi ont évoqué les statistiques. Comme le prévoit l'article 14 du présent projet de loi, la HALDE « conduit et coordonne des travaux d'études et de recherches relevant de sa compétence ». Dans ce cadre, il paraît en effet souhaitable qu'elle engage non seulement en liaison avec la CNIL et les institutions chargées de la statistique publique, mais aussi avec le concours d'experts nationaux et internationaux, une réflexion approfondie sur ce que M. le rapporteur a nommé « l'invisibilité statistique des discriminations ».
J'évoquerai maintenant les amendements tendant à réprimer l'homophobie et le sexisme. J'ai noté vos interrogations sur les amendements déposés hier soir par le Gouvernement. Ils tiennent compte des différents avis et observations qui ont été formulés sur le projet de loi initial.
Sont prises en considération les remarques formulées par les églises, notamment l'église catholique, qui s'inquiétaient de voir tomber sous le coup de la loi pénale, par exemple, des propos défavorables au mariage des homosexuels, qui auraient pu alors être considérés comme constitutifs du délit de provocation à la discrimination. Cette inquiétude était également exprimée par les organes de presse au nom de la liberté d'expression.
En liant, conformément à l'avis du Conseil d'Etat en date du 21 juin 2004, cette incrimination nouvelle aux discriminations pénalement réprimées prévues par le code pénal, le projet de loi actuel répond à cette inquiétude.
Il atteint donc un double objectif : d'une part, il permet la répression des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence homophobe ou sexiste, soulignant ainsi l'idée d'une protection accrue de victimes particulièrement exposées ; d'autre part, il n'interdit pas le débat, la manifestation d'opinion, en limitant le champ de la répression aux provocations à la discrimination pénalement réprimées, à savoir l'emploi, le logement et les services.
Il prend en compte les observations formulées par les mouvements féministes, qui souhaitaient que les diffamations et injures sexistes soient réprimées au même niveau que les diffamations et injures homophobes. Les dispositions relatives aux unes et aux autres sont totalement alignées.
Le projet de loi prend également en compte les observations des médias, qui faisaient valoir qu'une prescription d'un an en matière de délit de la loi de 1881 portant sur des faits de provocations, de diffamations ou d'injures déséquilibrait le système pénal au détriment de la liberté de la presse.
En ramenant la prescription à trois mois, le texte actuel calque la prescription de ces délits sur le droit commun des infractions en matière de presse. Cette modification du projet de loi prend en compte les observations du Conseil d'Etat ainsi que celles de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons un but : permettre à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité d'accompagner effectivement les victimes qui, le plus souvent dépourvues de moyens juridiques et financiers, luttent à armes inégales.
Je suis donc persuadée que nos travaux vont concourir à conforter le principe d'égalité dans notre pays. Je veux remercier dès à présent la commission des lois et son rapporteur, M. Lecerf, pour le travail remarquable d'ores et déjà accompli. Je remercie également les orateurs pour leur contribution de ce matin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je rappelle que la commission se réunit immédiatement pour achever l'examen des amendements déposés sur ce projet de loi.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)