5
MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, je vous transmets la demande la rectification de vote formulée par notre collègue M. Pierre-Yves Collombat qui, lors du scrutin n° 10 sur l'amendement n° 403 rectifié présenté par Mme Anne-Marie Payet, a été comptabilisé comme ayant voté pour, alors qu'il souhaitait voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur Raoul.
6
NOMINATION DE MEMBRES D'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que les commissions des affaires culturelles, des affaires économiques, des affaires sociales et des lois ont proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- M. Pierre Laffitte membre de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications ;
- M. Bernard Fournier membre du Conseil d'administration de l'Institut national de l'audiovisuel.
- MM. Jean-Luc Miraux membre titulaire et Jean Marc Todeschini membre suppléant de l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur ;
- Mme Catherine Troendle et M. Yannick Bodin membres titulaires, et Mme Annie David et M. André Vallet membres suppléants de la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence ;
- M. Jean-Claude Merceron membre suppléant du Comité national de l'information statistique ;
- M. André Ferrand membre titulaire du Conseil supérieur de la coopération ;
- M. Charles Revet membre titulaire de la Commission supérieure du Crédit maritime mutuel ;
- MM. Gérard Delfau, Pierre Hérisson, Bruno Sido et Pierre-Yvon Trémel membres titulaires de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications ;
- M. Jean Pépin membre titulaire du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire ;
- M. Daniel Raoul membre titulaire du Comité national de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) ;
- M. Bruno Sido membre titulaire du Conseil consultatif de l'Internet ;
- M. François Fortassin membre titulaire de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages ;
- MM. Marcel Deneux membre titulaire et Daniel Reiner membre suppléant du Conseil national des transports ;
- M. Daniel Soulage membre titulaire du Conseil national du tourisme ;
- M. Charles Revet membre titulaire de la Commission consultative pour la production de carburants de substitution ;
- M. Jean-Pierre Vial membre titulaire du Conseil national de la montagne ;
- Mme Gisèle Printz, membre titulaire du Conseil supérieur de la coopération ;
- MM. Claude Domeizel, André Lardeux et Dominique Leclerc, membres titulaires du Conseil d'orientation des retraites ;
- MM. Bernard Cazeau et Alain Vasselle, membres titulaires du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie ;
- Mme Valérie Létard, membre titulaire du Conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ;
- M. Alain Milon, membre titulaire du Haut conseil du secteur public ;
- M. Paul Blanc, membre titulaire du Conseil national de la montagne ;
- M. Jean-Marc Juilhard, membre titulaire et M. Marcel Lesbros, membre suppléant du Conseil supérieur des prestations sociales agricoles ;
- M. Dominique Leclerc, membre titulaire du Comité de surveillance du Fonds de solidarité vieillesse ;
- M. Alain Vasselle, membre titulaire du Comité de surveillance de la Caisse d'amortissement de la dette sociale ;
- M. François-Noël Buffet, membre titulaire du Conseil supérieur de l'adoption ;
- M. Christian Cointat, membre titulaire du Comité national de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) ;
- M. Charles Guené, membre titulaire du Conseil d'orientation du Comité interministériel de prévention de risques naturels majeurs ;
- M. Jean-Patrick Courtois, membre titulaire du Conseil national de la sécurité routière ;
- M. Jean-Paul Virapoullé, membre titulaire du Haut Conseil du secteur public ;
- Mme Michèle André, membre titulaire du Conseil national de la montagne ;
- M. Charles Guené, membre titulaire et M. Bernard Saugey, membre suppléant du Comité des finances locales ;
- M. Pierre Jarlier, membre titulaire du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire ;
- Mme Jacqueline Gourault, membre titulaire de l'Observatoire de l'emploi public.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
délai limite pour le dépôt d'amendements
M. le président. Mes chers collègues, comme vous le savez, nous entamerons demain, mercredi 27 octobre, à quinze heures, la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale tel qu'il a été complété par une lettre rectificative du Premier ministre en date du 20 octobre 2004.
Réunie ce matin, la conférence des présidents a fixé, à la demande de la commission des affaires sociales, au mercredi 27 octobre, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements présentés sur les articles 37-1 à 37-8 de ce projet de loi.
Le délai limite applicable aux amendements présentés sur les autres articles de ce projet de loi demeure fixé à aujourd'hui, mardi 26 octobre, à dix-sept heures.
8
COMMUNICATION RELATIVE à UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de simplification du droit est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
9
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2003, établi en application de l'article 29 de la loi du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense.
10
SCRUTINs POUR L'ÉLECTION DE JUGES À LA HAUTE COUR DE JUSTICE
M. le président. L'ordre du jour appelle les scrutins pour l'élection de douze juges titulaires et pour l'élection de six juges suppléants à la Haute Cour de justice.
Ces scrutins auront lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à la disposition de nos collègues.
Pour être valables, ces bulletins de vote ne doivent pas comporter plus de douze noms pour l'élection des juges titulaires, et plus de six noms pour l'élection des juges suppléants.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour ces élections.
Les juges titulaires et les juges suppléants nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie M. Gérard César, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote.
Il va être procédé au tirage au sort de quatre scrutateurs titulaires et de deux scrutateurs suppléants, qui opéreront le dépouillement du scrutin.
(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : Mmes Hélène Luc, Janine Rozier et Monique Papon, M. Joseph Kergueris.
Scrutateurs suppléants : MM. Roland Muzeau et Nicolas Alfonsi.
Les scrutins pour l'élection de douze juges titulaires et de six juges suppléants à la Haute Cour de justice sont ouverts.
Ils seront clos dans une heure.
11
SCRUTIN POUR L'ÉLECTION DE JUGES À LA COUR DE JUSTICE de la république
M. le président. L'ordre du jour appelle le scrutin pour l'élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.
Le scrutin aura lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à la disposition de nos collègues.
Pour être valables, les bulletins ne peuvent pas comporter plus de six noms pour les juges titulaires et plus de six noms pour les suppléants, le nom de chaque titulaire devant être obligatoirement assorti du nom de son suppléant.
En conséquence, la radiation de l'un ou des deux noms, soit celui du titulaire, soit celui du suppléant, entraîne la nullité du vote pour l'autre.
Les juges titulaires et les juges suppléants nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie Mme Michelle Demessine, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote.
Il va être procédé au tirage au sort de deux scrutateurs titulaires et d'un scrutateur suppléant qui opéreront le dépouillement du scrutin.
(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : MM. Jean-Claude Frécon et François Autain.
Scrutateur suppléant : M. Charles Guené.
Le scrutin pour l'élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants est ouvert.
Il sera clos dans une heure.
12
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour un rappel au règlement.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, mes chers collègues, par ce rappel au règlement relatif à l'organisation de nos travaux, je tiens à vous faire part de ma totale désapprobation quant aux conditions qui président à la discussion du texte dit « Borloo-Larcher ».
Déjà, sur le texte « Borloo », les conditions de travail et de consultation nécessaires à une étude sérieuse d'un tel projet n'ont absolument pas été réunies.
Mais, plus grave encore, nous subirons les effets de l'introduction, en dernière minute, du projet « Larcher », avec huit articles ayant tous trait au droit du travail, réformant le code du ou annulant les apports de jurisprudences diverses, par exemple les jurisprudences Framatome et Majorette.
La portée de telles dispositions méritait au moins que tout soit fait pour réduire les conséquences dévastatrices de la méthode.
C'est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen a formulé ce matin des propositions en conférence des présidents, et il est inadmissible que quasiment toutes aient été repoussées. En effet, seul le sursis de vingt-quatre heures accordé pour déposer des amendements sur les huit articles du projet « Larcher » a été admis.
Cette attitude de la conférence des présidents est d'autant plus inadmissible que nous voyons bien comment les débats risquent de se dérouler.
Le MEDEF, dont le culot et la morgue sont sans limite, a officiellement déposé ce matin vingt-deux amendements entièrement rédigés : ne manque plus que le nom du parlementaire qui les défendra !
Le groupe CRC n'acceptera jamais que le MEDEF considère le Sénat comme une instance d'enregistrement de ses propres exigences.
Je renouvelle donc, monsieur le président, la demande du groupe communiste républicain et citoyen de ne pas mêler dans un même débat le texte « Borloo » et le texte « Larcher ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Hélène Luc. Il a raison !
M. le président. Mon cher collègue, la conférence des présidents, qui a eu ce matin à débattre de la question que vous venez de soulever, a pris un certain nombre de décisions.
Au demeurant, je vous donne acte de votre rappel au règlement et je ne manquerai pas de faire part à M. le président du Sénat des remarques que vous venez de formuler.
13
aménagement, protection et mise en valeur du littoral
Débat sur l'application d'une loi
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur l'application de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.
La parole est à M. le président du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois.
M. Jean-Paul Alduy, président du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à me féliciter de l'initiative prise par le Sénat d'organiser un débat en séance publique sur la protection et la mise en valeur du littoral, à la suite du rapport que le groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires économiques a élaboré sur l'application de la loi du 3 janvier 1986 dite « loi littoral ».
Ayant eu l'honneur de présider ce groupe, je brosserai les grandes lignes du travail qu'il a effectué, en rappelant les raisons qui ont justifié sa saisine, ainsi que les axes de réflexion autour desquels se sont structurées nos propositions. Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce groupe de travail, vous présentera une analyse détaillée de nos propositions, les mettant en perspective avec, d'une part, les mesures en faveur du littoral proposées par le Gouvernement lors du Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre dernier et, d'autre part, les modifications prévues dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, actuellement en discussion.
Les travaux du groupe de travail s'inscrivent en effet dans toute une chaîne de réflexions.
Au départ, en juillet 2003, la commission « littoral », que je présidais, du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire - CNADT - a lancé un message d'alerte. Celui-ci a été suivi d'un rapport de la DATAR. Un groupe de travail a alors été constitué, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. A la suite du CIADT de septembre dernier, des fenêtres législatives se sont ouvertes, notamment dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, j'y faisais allusion à l'instant.
Je tiens à rappeler brièvement que la loi du 3 janvier 1986 dite « loi littoral » avait un quadruple objectif : préserver les espaces rares et sensibles ; gérer de façon économe la consommation d'espace par l'urbanisation et les aménagements touristiques ; ouvrir plus largement le rivage au public ; enfin, accueillir en priorité sur le littoral les activités dont le développement est lié à la mer.
Cette loi, votée au moment de la mise en place de la décentralisation, s'efforçait de concilier, d'une part, un enjeu national de protection d'un espace identifié, à juste titre, comme fragile et convoité, d'autre part, les nouvelles responsabilités et compétences des collectivités territoriales, notamment en matière d'urbanisme.
Avant l'heure, cette loi, qui reste une bonne loi, comme Patrice Gélard et moi-même n'avons cessé de le souligner, se plaçait dans une optique de « développement durable » - même si cette expression n'était pas utilisé à l'époque -, en cherchant à préserver les richesses naturelles d'un territoire, lesquelles sont la source de son attractivité et de son développement économique, social et culturel, afin de pérenniser ce développement.
Cependant, plus de dix-huit ans après l'adoption de cette loi, force est de constater qu'elle n'a pas totalement réussi à établir le « mode d'emploi » adéquat, permettant d'aboutir à une gestion équilibrée de cet espace tant convoité. En effet, l'espace littoral suscite un triple attrait, résidentiel, touristique et économique, et induit de ce fait des conflits d'usage exacerbés.
Faute d'avoir pris les décrets d'application et d'avoir établi, chaque année, les rapports d'évaluation pourtant imposés par la loi, l'Etat a laissé se développer une jurisprudence abondante et souvent contradictoire. Dès lors, cette loi a été ressentie comme excessivement contraignante par les élus locaux, confrontés à l'évolution des besoins de leurs populations, aux demandes d'activités nouvelles et aux pressions qui en résultent concernant le foncier et le maintien des activités traditionnelles.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales et acteur engagé en matière d'aménagement du territoire, ne pouvait donc rester en marge du débat ; d'où la constitution de notre groupe de travail, qui représente non seulement toutes les sensibilités politiques, mais aussi les différents espaces littoraux, et qui a entendu, en plus de quarante auditions, tous les acteurs impliqués dans la gestion de cet espace.
La saisine du Sénat répondait ainsi au message d'alerte lancé en juillet 2003 par la commission « littoral » du CNADT, que j'évoquais tout à l'heure et qui soulignait la disparition inquiétante de l'identité sociale, culturelle et économique du littoral ainsi que le « gaspillage d'atouts et de ressources géographiques, économiques et humaines à haute valeur ajoutée qui ne sont pas renouvelables ». Cette même commission constatait dans le même temps, pour s'en féliciter, une forte spécificité du littoral par rapport au reste du territoire national, eu égard, notamment, à son exceptionnelle attractivité démographique.
Face à ce constat, la commission « littoral » proposait d'élargir la définition du littoral, afin de mieux prendre en compte les interdépendances de la zone côtière vers la terre et vers la mer. Elle préconisait d'élargir la politique du littoral, au-delà de sa dimension strictement environnementale, à ses dimensions sociale, culturelle et économique, afin d'établir un authentique projet de territoire porté par les acteurs locaux et défini à une échelle pertinente. Il s'agissait en quelque sorte, comme l'indique le titre de notre rapport, de « mutualiser » l'aménagement du territoire littoral.
Le rapport du groupe de travail sénatorial, après avoir rappelé les objectifs et le contenu de la loi littoral elle-même, s'attache à l'identification précise de ses difficultés d'application. Il établit tout d'abord un constat de carence imputable à l'Etat s'agissant de la publication même des décrets d'application, certains d'entre eux n'ayant été publiés qu'en mars 2004, alors que d'autres, notamment le décret relatif aux concessions de plage, sont toujours en attente.
Ce rapport met également l'accent sur le faible nombre de documents locaux de planification qui ont été adoptés, qu'il s'agisse de directives territoriales d'aménagement, les DTA, ou de schémas de mise en valeur de la mer, les SMVM, qui devaient pourtant permettre de traduire localement les obligations de la loi littoral.
Cet état de fait a laissé les élus locaux très démunis et a induit de multiples contentieux, ainsi qu'une insécurité juridique tout à fait préjudiciable. En effet, c'est très largement par le biais de la jurisprudence qu'ont été élaborées les règles d'application de la loi.
Au-delà de ce constat en demi-teinte sur la mise en oeuvre de la loi littoral - et non pas, je le répète, sur la philosophie et les dispositions de la loi elle-même -, le groupe de travail a voulu redonner tout son sens à celle-ci, grâce à des propositions permettant de mettre en place une gestion intégrée du littoral, ce que j'ai appelé précédemment une « mutualisation » de l'aménagement du territoire. Cette approche nouvelle s'inscrit résolument dans l'esprit de la décentralisation puisqu'elle propose de définir la politique du littoral en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, à un niveau géographique pertinent et sous l'autorité des collectivités locales regroupées.
Les propositions du groupe de travail s'articulent autour de trois axes.
Premièrement, renforcer la concertation, la planification et la décentralisation en matière de gestion du littoral, principalement en faisant des SCOT littoraux, les schémas de cohérence territoriale, les documents uniques de planification spatiale, lesquels intégreraient les dispositions des DTA et des SMVM.
Deuxièmement, adapter les règles d'urbanisme, afin de permettre un meilleur équilibre entre protection et aménagement. Il s'agit, notamment, de la superposition peu cohérente de la loi montagne et de la loi littoral sur certains territoires ou encore de la nécessité de permettre aux SCOT ou, à défaut, aux plans locaux d'urbanisme - PLU - de justifier qu'une urbanisation qui n'est pas située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral. Patrice Gélard y reviendra plus en détail.
Troisièmement, réformer le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. C'est ce dernier point que je m'attacherai à développer, et d'abord pour indiquer que le groupe de travail est unanime à souligner la nécessité d'accroître les moyens humains et financiers de ce Conservatoire, faisant sienne la proposition de réforme de notre collègue Louis Le Pensec.
Il s'agit de placer le Conservatoire à la tête d'un réseau d'établissements publics, sans doute birégionaux, agissant pour son compte et sous son contrôle. Les conseils de rivages, dans lesquels les collectivités territoriales sont parties prenantes, assumeraient le rôle de conseil d'administration de ces établissements.
Il convient, à ce sujet, de se féliciter de l'engagement pris par le Gouvernement, lors du CIADT du 14 septembre dernier, de proposer prochainement les adaptations juridiques nécessaires pour renforcer, par façade maritime, la coopération entre le Conservatoire et les collectivités territoriales.
Je crois pouvoir dire aujourd'hui que la réflexion est achevée, que le dispositif juridique est quasiment prêt et qu'il fait l'objet d'un large consensus. Pourquoi ne pas l'intégrer, dès lors, dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, que le Sénat va examiner en deuxième lecture en janvier 2005 ? Ce texte, en effet, comprend déjà des mesures spécifiques pour le littoral, notamment la création, grâce à l'adoption d'un amendement déposé par Patrice Gélard, d'un Conseil national du littoral.
Je tiens néanmoins à dire que nous ne ferons pas l'économie d'un vrai débat sur les capacités, à la fois financières et humaines, d'intervention du Conservatoire de l'espace littoral.
Dans le projet de loi de finances pour 2005, les moyens de fonctionnement du Conservatoire sont simplement reconduits à hauteur de 7,4 millions d'euros, sans création d'emploi. Mais les dotations en autorisations de programme et crédits de paiement sont en baisse, respectivement de 23 % et de 17 %.
Certes, lors du CIADT du 14 septembre dernier, le Gouvernement a décidé de doter le Conservatoire, pour 2005, de 8 millions d'euros supplémentaires en autorisations de programme comme en crédits de paiements, qui seront inscrits dans le collectif budgétaire de fin d'année. Mais ce procédé nuit à la lisibilité des dotations effectivement attribuées à cet organisme et sur lesquelles le Parlement est appelé à voter.
En outre, et plus généralement, on peut se demander si cela permettra effectivement au Conservatoire de remplir ses missions, à savoir, d'une part, l'acquisition de terrains, alors même que les prix du foncier ne cessent d'augmenter, et, d'autre part, la réhabilitation et l'aménagement des terrains acquis. Cette activité, en effet, a pris une place très importante, car elle est essentielle pour assurer la préservation des espaces naturels et leur ouverture au public - j'allais dire : leur « appropriation » par le public - dans des conditions satisfaisantes.
Il faut également souligner que les collectivités territoriales gèrent près de 90 % des sites du Conservatoire. Cela se traduit par des engagements financiers qui, pour certaines communes, pèsent parfois lourdement. Je m'inquiète, dans ces conditions, de ne pas retrouver dans le projet de loi de finances pour 2005 la mesure, annoncée lors du CIADT, consistant à étendre l'éligibilité au Fonds de compensation de la TVA des dépenses des collectivités territoriales pour les travaux réalisés sur les propriétés du Conservatoire. Il s'agit pourtant d'une mesure importante pour pérenniser la dynamique indispensable entre l'intervention nationale et la gestion locale des terrains acquis par le Conservatoire.
Plus généralement, il nous faut réfléchir à la définition de ressources supplémentaires et pérennes pour le Conservatoire, afin de lui permettre de poursuivre son action essentielle. Deux voies méritent d'être étudiées : d'un côté, une taxe additionnelle à la taxe locale d'équipement, perçue sur les permis de construire ; de l'autre, la taxe spéciale d'équipement que le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale prévoit d'attribuer aux établissements publics fonciers créés en milieu urbain.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe de travail, loin de remettre en cause l'économie générale de la loi littoral, en réaffirme au contraire tout l'intérêt, tout en préconisant un changement de méthode de planification et un renforcement des moyens du Conservatoire, afin de lui restituer tout son sens et, finalement, toute sa cohérence.
Je laisse maintenant à Patrice Gélard le soin de vous apporter, notamment, des précisions sur l'ensemble des dispositifs juridiques qu'il nous paraît nécessaire d'envisager pour donner, justement, plus de cohérence à la loi littoral. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'empresse de préciser que je suis en parfait accord avec ce que vient de dire M. Alduy, notamment en ce qui concerne le Conservatoire du littoral. Vous me permettrez donc de ne pas revenir sur ce point.
Je ferai quelques remarques préliminaires.
Tout d'abord, nous n'avons jamais eu l'intention de remettre en cause la loi littoral. Cette dernière, le président du groupe de travail l'a dit, est, pour l'essentiel, une bonne loi. Par conséquent, il était hors de question, pour nous, de favoriser un quelconque bétonnage du type Costa Brava, par exemple. Il s'agissait principalement, pour notre groupe de travail, de mettre en lumière quelques oublis ou dysfonctionnements qui risquaient, à terme, de paralyser tout simplement l'application de cette loi.
Par ailleurs, alors que la France est l'un des pays d'Europe qui a la plus grande façade maritime, nous, les élus du littoral, n'avons pas du tout le même dynamisme que les élus de la montagne. Nous défendons mal notre littoral parce que nous sommes éclatés entre de nombreux littoraux différents et que, par conséquent, nos préoccupations sont différentes : certains défendent les grands ports, d'autres la pêche, d'autres le tourisme, d'autres encore la conchyliculture ou des activités du même genre. Nous n'avons donc pas l'unité dont font preuve les montagnards, qui ont réussi à constituer, au sein du Parlement, un groupe de pression important.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, il est indispensable de rapidement mettre en place le Conseil national du littoral, comme il existe un Conseil national de la montagne.
Cette instance permettra de suppléer à la carence de l'Etat en ce qui concerne le rapport annuel, qui n'a vu le jour qu'une seule fois. Elle permettra également de conjuguer toutes les forces des élus et des participants à la mise en valeur du littoral, pour obtenir des résultats comparables à ceux que l'on connaît en montagne.
En fait, pratiquement depuis Colbert, la France profonde se désintéresse de la mer et de son littoral. Nous avons tort de négliger la richesse considérable que représentent, pour l'avenir de notre pays, notre littoral et les possibilités d'échange avec l'extérieur qu'il offre.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ces remarques préliminaires étant faites, un constat s'impose : la loi littoral, loi importante, reflétant des préoccupations modernes, a connu une mise en oeuvre difficile et quelque peu conflictuelle.
D'abord, comme l'a souligné le président Alduy, le littoral connaît, depuis 1986, d'importantes mutations : sa population s'accroît et continuera de croître ; des activités connaissent, le long du rivage, un développement continu tandis que d'autres - je pense aux activités primaires, comme la pêche ou l'élevage des salmonidés ou autres poissons, à la conchyliculture, sans oublier les exploitations agricoles en bord de mer - subissent ou vont subir des difficultés croissantes.
Ensuite, les conflits d'usage se multiplient, qu'il s'agisse des pêcheurs, de l'activité portuaire, des éoliennes, des plaisanciers, etc. Il n'est pas simple de faire cohabiter des intérêts divergents, voire antagonistes.
Par exemple, nous assistons à la transformation progressive de terrains de camping en lotissements, avec des espèces de caravanes ayant en fait vocation à demeurer au même endroit. Les maires sont complètement démunis et ne savent pas comment réagir pour empêcher la transformation de leurs terrains de camping en zones d'habitation permanente.
Cette situation découle en fait, et M. Alduy l'a dit tout à l'heure, de mesures d'application tardives ou incomplètes.
Le très mauvais décret du 20 septembre 1989 a aggravé la loi et a rendu plus difficile son application. Il ne correspond à aucune réalité. On peut d'ailleurs s'interroger sur les motifs qui ont conduit les auteurs de ce décret à rendre d'application quasi générale des dispositions de la loi. Ainsi, toute lande ou toute dune ont vocation à devenir des sites remarquables, même si elles ne présentent aucun caractère remarquable. Il faut intégralement réécrire ce décret.
Le décret du 26 novembre 2000 a limité la possibilité de construire dans les espaces remarquables. Heureusement, ce décret a été corrigé par le décret de mars 2004. Il n'en demeure pas moins que le pouvoir réglementaire a déformé la volonté du législateur.
Bien sûr, nous nous félicitons de la parution, dix-huit ans après l'adoption de la loi, du décret du 29 mars 2004, qui fixe la liste des communes riveraines des deltas et des estuaires, ainsi que du décret précisant les modifications de délimitation du domaine public.
Cela étant, il manque encore au moins deux décrets : le décret fixant la liste des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques du littoral ; le décret sur les concessions de plages, dont la parution est extrêmement urgente.
Autre décret très attendu : celui qui permettrait l'application de l'article L. 146-6-1 du code de l'urbanisme, lequel prévoit l'élaboration d'un schéma d'aménagement pouvant autoriser la reconstruction dans la zone des cent mètres.
Il faut noter aussi l'absence des documents locaux de planification. A l'heure actuelle, il n'existe qu'un seul schéma de mise en valeur de la mer : celui de l'étang de Thau ; d'autres schémas sont en cours d'élaboration, mais ils n'ont toujours pas été adoptés. De même, il n'existe qu'une seule DTA, qui concerne les Alpes-maritimes ; trois sont toutefois en cours d'élaboration. L'absence de ces documents de planification est extrêmement gênante.
A cela s'ajoute une jurisprudence qui a pris une trop grande place, qui est parfois contradictoire et qui aboutit à un certain nombre de dysfonctionnements. Je citerai notamment l'inadaptabilité de la loi littoral à certaines configurations de territoire. Ainsi, la Corse est soumise simultanément à la loi littoral et à la loi montagne, ce qui rend impossible la mise en valeur touristique de l'île.
Voilà le bilan qu'il convenait de dresser.
Que faut-il faire dans les mois à venir ?
Comme l'a dit tout à l'heure le président Alduy, il est nécessaire de mettre en place une gestion intégrée du littoral. Cela ne peut être fait par l'Etat parce que les littoraux sont différents : on ne peut appliquer la même règle à la Corse, aux Alpes-maritimes, au Languedoc-Roussillon, au Nord-Pas-de-Calais, à la Manche et au pays de Caux !
Le problème est de savoir qui devra être le maître d'ouvrage d'une telle gestion intégrée. Au sein du groupe de travail, nous sommes tombés d'accord pour faire du SCOT le document majeur qui doit animer cette gestion intégrée. Or il se trouve fort heureusement que les SCOT sont en cours d'élaboration et ne sont donc pas encore adoptés. Ainsi, ils se substitueront aux schémas de mise en valeur de la mer.
Mais deux précautions devront être prises : il faudra impérativement que soient pris l'avis de la commission supérieure des sites et que le préfet donne son accord. Ces deux éléments sont nécessaires pour que les dispositions qui relevaient normalement de la compétence de l'Etat soient intégrées dans le SCOT et deviennent les dispositions essentielles.
C'est d'ailleurs ce que nous avions proposé dans l'amendement que nous avons présenté lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, l'article 75 sexies de ce texte visant à faire du SCOT l'élément fondamental. Je regrette d'ailleurs que l'Assemblée nationale ait, dans une certaine mesure, dénaturé la proposition que nous avions faite ici même et que le Sénat avait adoptée. En effet, elle a permis le maintien des schémas de mise en valeur de la mer à côté des SCOT. Donc, il y aurait deux régimes juridiques différents. Au cours de la navette, nous devrions pouvoir résoudre ce problème, afin que, sous le contrôle du préfet et de la commission des sites, un seul document traite de la gestion du littoral : le SCOT.
Par ailleurs, il faut utiliser plus systématiquement les possibilités de demande de transfert de gestion du domaine public maritime de l'Etat vers les collectivités locales. Du reste, un certain nombre de gestionnaires du domaine public maritime commencent à s'ouvrir à cette possibilité. Comment imaginer qu'un port qui assure la gestion d'un domaine maritime gère en même temps la plage située à côté et les espaces naturels ou remarquables qui sont sur ce territoire, alors que la commune voisine est tout à fait équipée pour le faire ?
S'agissant de cette gestion intégrée du littoral, nous n'avons pas souhaité résoudre la question du maître d'oeuvre. Celui-ci pourra être tantôt une région, tantôt un département, tantôt une communauté de communes ou une communauté d'agglomération, tantôt un syndicat de pays. Tout dépendra du littoral.
En tout cas, pourront être ainsi mis en oeuvre des dispositifs qui ne peuvent guère l'être actuellement. Aujourd'hui, on peut voir des cas où c'est la commune touristique importante abritant des hôtels, des restaurants et des magasins qui bénéficie de toutes les retombées financières, alors que la plage, longue de quinze kilomètres, est située sur le territoire de la commune voisine, petite commune rurale, qui n'a aucune ressource et ne peut rien faire. Il n'y a donc pas de gestion intégrée.
Cela me permet de souligner au passage quelques anomalies de la loi littoral. Cette loi s'applique à tout le territoire d'une commune, quelle que soit la profondeur de celle-ci. Si une commune compte seulement vingt mètres de littoral et a vingt-cinq kilomètres de profondeur, la loi littoral s'applique sur l'ensemble du territoire de cette commune. A l'inverse, une commune très proche du littoral, mais qui, elle, n'a pas de rivage, ne va pas être visée par la loi littoral, alors même qu'elle en vit. Il faudra corriger de telles anomalies.
Sans remettre en cause la philosophie générale de la loi littoral, nous préconisons l'adaptation de quelques règles d'urbanisme relativement simples.
Ainsi, nous proposons de revenir à la définition originelle des espaces remarquables. Cela remet en cause le décret que j'ai évoqué tout à l'heure.
Nous proposons également de prévoir que, dans les espaces remarquables, le SCOT ou, exceptionnellement, le PLU pourrait comporter, un peu à l'instar de ce que prévoit la loi montagne, un plan d'aménagement ayant reçu l'accord du préfet après avis de la commission des sites, qui définirait les conditions d'implantation des constructions et aménagements, ainsi que leur condition de localisation et de qualité architecturale. Le classement en espace remarquable devrait pouvoir être accompagné de l'élaboration d'un projet de gestion permettant, comme pour les zones Natura 2000, d'en assurer la mise en valeur, ce qui n'est pas le cas actuellement.
S'agissant de la bande des cent mètres, il serait nécessaire de publier très rapidement les décrets d'application relatifs, d'une part, à la reconstruction des équipements existants à l'intérieur de cette bande et, d'autre part, aux concessions de plage, car les maires sont privés de moyens d'action.
Je dirai quelques mots sur le problème des grands lacs, qui sont soumis à la loi littoral et, très souvent aussi, à la loi montagne.
Nous voudrions permettre au SCOT, pour les quatre plus grands lacs de plus de 1 000 hectares - lacs du Bourget, de Serre-Ponçon, d'Annecy et Léman -, d'instituer, en accord avec le préfet coordonnateur de massif et après avis du comité de massif, une limite au-delà de laquelle seule la loi montagne s'applique. En revanche, pour tous les autres lacs de plus de 1 000 hectares, nous souhaiterions que, au terme d'une période transitoire, seule la loi montagne s'applique.
On pourrait aussi songer à rétablir, outre-mer, la promenade le long des plages dans la limite des cinquante pas géométriques. En effet, à certains endroits, le passage n'est plus possible, car certains propriétaires l'ont ni plus ni moins privatisé. Il faudra progressivement, sans heurt, faire évoluer cette situation.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais formuler et qui avaient simplement pour objet de mettre l'accent sur quelques dysfonctionnements.
En définitive, nous souhaitons que ces dysfonctionnements disparaissent, que les collectivités locales, somme toute responsables de la qualité du littoral, disposent d'une marge de manoeuvre telle que, même très étroite, elle leur permette d'adopter certains documents d'urbanisme . C'est ainsi que nous aurons, comme les zones de montagne avec la loi montagne, des possibilités d'adaptation, de modernisation, et surtout que nous pourrons répondre aux exigences de toute sorte dont le littoral est l'objet, qu'il s'agisse des équipements ruraux, des équipements des professions traditionnelles, du nécessaire développement de la plaisance ou des activités économiques.
Pour autant, cela ne doit pas en aucune façon favoriser le bétonnage. Je crois justement, au contraire, qu'une gestion intégrée, planifiée, grâce à un document comme le SCOT, dont l'objet est d'encadrer ces développements, nous permettra d'aboutir au résultat que nous recherchons : sauvegarder le littoral dans l'intérêt de tous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 76 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Paul Natali.
M. Paul Natali. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant d'en venir au fond du débat que nous avons la chance d'avoir aujourd'hui sur la loi littoral, je tiens à souligner le rôle extrêmement positif de notre Haute Assemblée, qui a apporté une excellente contribution sur le sujet.
Je souhaite en particulier rendre hommage au travail qui a été effectué à travers la mise en place d'un groupe commun aux commissions des lois et des affaires économiques. Sous l'autorité de nos collègues Jean-Paul Alduy et Patrice Gélard, ce groupe, qui a organisé un grand nombre d'auditions, a produit un rapport tout à fait intéressant, lequel a le mérite de présenter des propositions concrètes, visant à améliorer l'application de la loi littoral, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle offre un bilan contrasté sur le plan national, mais franchement médiocre en ce qui concerne la Corse.
Le législateur a le devoir, chacun en convient, de voter des textes d'intérêt général, en étant inspiré par une volonté d'équilibre et d'équité. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faille oublier les particularités locales, qu'elles soient géographiques, sociologiques ou politiques.
A travers la loi de 1986, qui a été conçue pour répondre au triple attrait - résidentiel, touristique et économique - de l'espace littoral, tout en préservant les espaces rares et sensibles, on a donc cherché à établir un équilibre entre protection et développement.
Ont ainsi été posées des règles qui sont les mêmes pour la côte dunkerquoise et pour la Corse, pour la côte landaise et pour la Côte d'Azur. Or les problématiques y sont bien différentes et, à l'évidence, près de deux décennies après l'entrée en vigueur de la loi de 1986, l'application qui en a été faite sur l'île jusqu'à présent ne correspond nullement aux réalités de la Corse, non plus d'ailleurs qu'à la lettre de cette loi.
La loi littoral, dans le cas de la Corse, est en effet essentiellement une loi de protection et très peu une loi d'aménagement.
Avant même d'avoir développé mon propos, je sens déjà souffler le vent des accusations récurrentes que de bonnes âmes touchées par l'intégrisme écologiste profèrent contre tous ceux qui osent dire haut et fort que le littoral corse est insuffisamment aménagé pour répondre au besoin de développement, notamment économique, de ses habitants. « Vous voulez bétonner, vous n'avez aucun respect pour l'environnement... », disent ces bonnes âmes. Mais, je le répète, les élus corses du littoral, dont je suis, n'ont aucune envie de défigurer l'île où ils vivent et à laquelle ils sont attachés viscéralement.
Pour autant, notre responsabilité est de penser à l'avenir de nos jeunes, si durement frappés par le chômage. Si nous voulons créer des emplois en Corse, il faut permettre les conditions du développement économique. Or le développement économique de la Corse, ce n'est pas la culture du litchi ou de la tomate naine, c'est le tourisme. Et sans l'aménagement du littoral, le tourisme ne pourra pas se développer. C'est aussi simple que cela !
Comme je le disais précédemment, en Corse, la loi littoral est surtout une loi de protection et très peu une loi d'aménagement. En effet, avec ses 1 000 kilomètres de côtes et une dominante de communes littorales de caractère rural, le mécanisme de la constructibilité en continuité des agglomérations existantes n'a joué que dans une proportion infime, à la mesure de la quasi-inexistence de l'urbanisation. De plus, la création des « hameaux nouveaux » est, en Corse, inadaptée sur les plans foncier et sociologique, tous ceux qui connaissent l'île en conviendront.
Afin d'illustrer mon propos, je ferai une comparaison qui me semble pertinente : pour 1 000 kilomètres de côte entre Banyuls et Menton, 50 000 permis de construire ont été délivrés en 2002. Pour la même période et le même nombre de kilomètres, seulement 2 900 permis ont été délivrés en Corse. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes.
Les dérogations à la loi littoral ouvertes par la loi du 22 janvier 2002 pour améliorer la situation se sont révélées insuffisantes. Des aménagements législatifs très concrets peuvent être réalisés pour sortir la Corse de l'ornière où elle se trouve du fait de l'application actuelle de la loi littoral.
Tout d'abord, il me semblerait souhaitable, puisque la problématique est assez proche, de s'inspirer de l'amendement Brottes, qui, à l'occasion de l'examen de la loi SRU, a assoupli la loi montagne en autorisant des zones d'urbanisation diffuses, délimitées, respectueuses de l'environnement et des paysages.
Il conviendrait également de tenir compte du ratio d'urbanisation par rapport à la superficie de la commune et d'assouplir ou de préciser la notion de « hameau nouveau », afin, notamment, qu'un hôtel de 100 ou 150 chambres puisse être considéré comme un hameau nouveau au sens de la loi littoral. L'augmentation de nos capacités d'hébergement est, je le redis avec force et vigueur, la condition principale du développement de la Corse.
Lors d'une réunion du groupe de travail du Sénat sur la loi littoral, j'avais formulé le voeu qu'une étude spécifique soit menée sur l'application de cette loi en Corse, afin que des propositions particulières puissent être faites pour l'améliorer.
Je renouvelle aujourd'hui solennellement ce souhait devant vous, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avec l'espoir qu'il pourra y être répondu favorablement, car il y va de l'avenir de notre île et de son développement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, plus de dix-huit ans après son adoption à l'unanimité, la loi littoral est à nouveau au coeur de nos préoccupations.
Plusieurs rapports y ont été consacrés au cours des derniers mois : un document de la DATAR, mais également les comptes rendus de deux groupes de travail parlementaires, l'un à l'Assemblée nationale et l'autre au Sénat Nous avons pu apprécier la pertinence des propositions du groupe de travail sénatorial, présidé par Jean-Paul Alduy et dont le rapporteur est Patrice Gélard.
Il convient de bien remettre en perspective l'objet de ces différents travaux parlementaires. Plusieurs associations de protection de l'environnement se sont en effet émues du contenu de ces deux rapports et ont dénoncé l'attitude de certains parlementaires, désireux, selon elles, de permettre un « bétonnage » accru des côtes.
Que les choses soient bien claires : l'objectif visé par le groupe de travail sénatorial et, je le suppose, par nos collègues de l'Assemblée nationale était de dresser un bilan de l'application de cette loi et d'améliorer le dispositif existant sans le dénaturer, de manière qu'elle puisse véritablement s'appliquer.
En effet, la loi littoral a mis en place un dispositif prometteur, mais celui-ci s'est avéré trop contraignant et difficile à mettre en oeuvre en l'absence de décrets d'application.
La loi littoral est avant tout une loi d'aménagement et d'urbanisme qui vise à la protection des équilibres biologiques et écologiques, à la préservation des sites, des paysages et du patrimoine culturel et naturel du littoral, à la préservation et au développement des activités économiques liées à la proximité de l'eau, à la mise en oeuvre d'un effort de recherche et d'innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral.
Toutefois, au cours des dernières décennies, la loi littoral n'a pu, à elle seule, permettre que soit maîtrisé l'ensemble des mutations auxquelles le littoral a été confronté. Je pense bien sûr à la pression démographique, les zones littorales cumulant une densité très forte et un rythme de croissance de la population supérieur à celui de la population totale, sans oublier la saturation des ports de plaisance.
Plus préoccupante encore pour l'élu local que je suis est la situation des activités primaires. Si les activités de conchyliculture ont bien résisté, il n'en est pas toujours de même pour l'agriculture littorale, qui subit de plein fouet les conséquences de la pression foncière.
Ainsi, les élus locaux sont aujourd'hui confrontés à nombre de problèmes qui restent sans réponse : conflits d'usage, réduction de l'activité agricole sous l'effet de la pression foncière, saturation ponctuelle des ports de plaisance, occupations illégales du domaine public maritime.
Par ailleurs, l'absence de clarté du texte, faute de décrets d'application, a favorisé la résolution des conflits par la voie contentieuse, au grand désarroi des élus et des professionnels.
En effet, la loi littoral renvoyait, pour la détermination de son champ d'application, à des décrets : sur la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas, sur celle des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux et, enfin, sur celle des estuaires les plus importants. Si le décret relatif aux estuaires a finalement été publié le 29 mars 2004 - dix-huit ans après la loi ! -, le décret fixant la liste des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux fait encore défaut ; d'où le développement d'importants contentieux.
Par ailleurs, l'article L. 146-6-1 du code de l'urbanisme, qui prévoit l'élaboration d'un schéma d'aménagement pouvant autoriser la reconstruction d'une partie des constructions ou des bâtiments existant dans la bande des cent mètres n'est pas applicable en l'absence de décret. C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets d'attirer votre attention sur la nécessité d'une publication rapide de celui-ci.
Enfin, les décrets d'application relatifs aux espaces remarquables sont très contestés, en raison de l'extension de la notion d'« espace remarquable » qu'ils introduisent. Les classements élaborés au milieu des années quatre-vingt-dix par les services de l'Etat ont ainsi pu englober des espaces naturels n'ayant de remarquable que le fait de n'être pas urbanisés, ou des espaces agricoles intensifs sans valeur écologique évidente.
De plus, la classification en zone remarquable n'est pas toujours très conforme à la réalité. Si je prends l'exemple de mon département, le Morbihan, dans la petite commune de Sainte-Hélène, où 50 % du territoire communal est classé en zone NDs, le blocage de la construction a entraîné une baisse significative de la population.
En outre, le décret n° 2000-1272 du 26 novembre 2000, modifiant l'article R. 146-2 du code de l'urbanisme, a limité la possibilité de construire, dans les espaces remarquables, aux seuls locaux d'une superficie maximale de vingt mètres carrés de surface hors oeuvre brute.
Ce décret a eu, dans les territoires agricoles et conchylicoles, des conséquences très importantes puisque ne pouvaient plus être construits des bâtiments d'exploitation agricoles ou conchylicoles Outre qu'elle constitue une entrave majeure au développement de ces activités, cette disposition a même fait obstacle à la mise aux normes des bâtiments imposée notamment par les textes européens.
De plus, le premier alinéa de l'article n'autorisait que la réalisation de chemins piétonniers, interdisant ainsi le passage des cyclistes, ce qui, dans certaines zones touristiques, soulève des problèmes majeurs.
De façon plus générale, ces dispositions n'ont pas toujours permis d'assurer une gestion efficace de ces espaces, parfois condamnés à l'abandon alors même que leur classement en espace remarquable impliquait une hausse de la fréquentation du public. Les difficultés de gestion ont pu ainsi conduire à la dégradation de certains espaces remarquables, liée à l'impossibilité d'y réaliser les aménagements publics nécessaires.
Autre lacune : la marge d'interprétation de la loi en fonction des situations géographiques rendait nécessaire sa traduction en fonction des réalités locales, rôle imparti aux documents de planification, dont le bilan est insatisfaisant. Nous avons évoqué les SMVM, les DTA ; la superposition de tous ces documents ne donne pas aux collectivités locales les moyens de mettre en oeuvre une gestion intégrée de leur territoire.
Ces collectivités locales ont également été confrontées aux imprécisions de la loi : l'indétermination des notions retenues par celle-ci et la carence des documents de planification ont entraîné une grande période d'incertitude juridique, incertitude renforcée par l'opposabilité directe de la loi aux décisions individuelles, particulièrement préjudiciable aux communes.
Cette période a été caractérisée par une inflation de recours et d'exceptions d'illégalité des plans d'occupation des sols.
Ainsi la loi littoral a-t-elle pu être perçue par les maires comme une source importante de complications, voire comme une entrave au développement.
Pour remédier à ces lacunes, le groupe de travail sénatorial a fait des propositions équilibrées, qui devraient permettre de débloquer des situations souvent conflictuelles.
Désormais, il me paraît indispensable de renforcer la concertation avec les élus locaux. A ce titre, la création d'un Conseil national du littoral me semble intéressante, mais, surtout, je crois indispensable de renforcer la planification au niveau local. La mise en place d'une gestion intégrée du littoral suppose l'élaboration effective de documents de planification. Cette responsabilité, le doyen Gélard l'a dit, doit incomber aux collectivités territoriales par le biais des SCOT.
Il est donc indispensable d'étendre aux SCOT la possibilité actuellement réservée aux SMVM de déterminer les vocations des différents secteurs de l'espace maritime et d'édicter les sujétions particulières intéressant les espaces maritime, fluvial ou terrestre attenants, nécessaires à la préservation du milieu marin et littoral.
L'initiative et l'élaboration des dispositions à prendre à cet égard relèveront ainsi de la compétence des collectivités, l'accord de l'Etat restant bien sûr nécessaire pour les dispositions afférentes au volet maritime.
Il faut également permettre aux SCOT ou, à défaut, aux plans locaux d'urbanisme, de justifier, avec l'accord du préfet, qu'une urbanisation qui n'est pas située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral.
Je suis particulièrement intéressé par une proposition du groupe de travail concernant les espaces remarquables.
Il me semble impératif de revenir, comme cela a déjà été dit, à la définition originelle des espaces remarquables, à savoir des espaces qui présentent un intérêt exceptionnel, voire unique, requérant dès lors un régime de protection renforcé.
En revanche, les zones qui sont simplement naturelles doivent être protégées au titre d'autres législations, suffisantes pour en assurer la conservation.
Enfin, s'agissant des sites partiellement construits, à l'instar des villages classés en espace remarquable - à cet égard, il faudrait que soit définitivement arrêtée la définition d'un village, tant elle varie d'un lieu à l'autre en France -, leur déclassement serait opportun, à l'occasion d'une révision du PLU.
Le classement en espace remarquable devrait en outre être accompagné d'un projet de gestion permettant d'en assurer la mise en valeur. Ce projet, intégré dans le SCOT ou dans le PLU, définirait ainsi les aménagements et constructions nécessaires au maintien et au développement des activités traditionnellement implantées dans ces zones. C'est là la mesure qui répond le mieux aux attentes des élus locaux.
J'ai constaté que le CIADT du 14 septembre dernier avait fait siennes nombre de nos propositions concernant le Conservatoire du littoral : le renforcement du rôle de deux missions régionales, la simplification des outils de planification et de nouvelles incitations pour l'élaboration des documents de planification des « SCOT littoraux » ou des SCOT comprenant des communes littorales.
Je regrette cependant qu'il ne soit pas allé plus loin dans la démarche et que la question de la définition des espaces remarquables n'ait pas été abordée.
En conclusion, les élus locaux doivent actuellement composer avec un texte qui ne leur permet pas de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés.
Il est impératif, monsieur le secrétaire d'Etat, de le clarifier au plus vite. L'Etat doit en permettre une bonne application et publier les décrets encore en attente. Les contentieux devraient s'en trouver limités.
Il est nécessaire de développer la concertation entre les instances nationales et les élus locaux pour mieux adapter les mesures aux réalités locales.
Enfin, il est également nécessaire de trancher sur la définition du rivage, la définition actuelle retenant une limite supérieure en éternel mouvement. Monsieur le secrétaire d'Etat, dans ce domaine, ce n'est pas être conservateur que de ne point se rallier au parti du mouvement. (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, où veut en venir exactement le Gouvernement ? C'est la question que chacun se pose après la publication des rapports des groupes de travail de l'Assemblée nationale et du Sénat, après le CIADT du 14 septembre 2004 et de nombreuses déclarations ministérielles.
S'agit-il de trouver un savant équilibre entre les appétits des promoteurs immobiliers et les préoccupations des défenseurs de l'environnement ? Ou bien s'agit-il de répondre aux attentes des élus et des populations des communes littorales, de permettre un développement harmonieux et durable de ces dernières, de réduire significativement les contentieux juridiques liés à l'urbanisme en faisant évoluer certaines dispositions du code de l'urbanisme ?
J'avoue préférer cette seconde hypothèse, qui présente l'avantage de conserver l'esprit de la loi de 1986 - une bonne loi, votée à l'unanimité -, laquelle devait offrir aux communes du littoral une alternative à la sanctuarisation ou au bétonnage.
Je pourrais, si j'en avais le temps, transposer cette situation à la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. Cependant, nous en discuterons prochainement, lors de la seconde lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, dans le chapitre concernant la montagne.
Les difficultés que soulève une bonne application de la loi littoral sont multiples. Pour n'en citer que quelques-unes, j'évoquerai l'imprécision de nombre de ses termes, soumis à des interprétations subjectives et par conséquent variables, le retard accumulé dans la prise de décrets indispensables, le dessaisissement des élus au profit des tribunaux et des services instructeurs, une lecture réductrice de la loi.
Les communes du littoral, vues de loin, sont souvent idéalisées, selon des clichés touristiques tels que la virginité et la beauté des paysages, la liberté, les vacances, la plage, le soleil, la pêche artisanale, etc.
La réalité est à la fois moins idyllique et plus complexe : le littoral est avant tout une zone de vie du 1er janvier au 31 décembre. Pendant deux mois, les communes voient leur population multipliée par 5, 10, voire davantage.
Le littoral est également une zone d'activités liées, d'une part, à la mer et, d'autre part, au littoral lui-même : les pêches côtière et hauturière, la pisciculture, la conchyliculture et l'algoculture côtoient l'agriculture, le tourisme, le nautisme, les transports maritimes, les industries portuaires, l'énergie, la défense nationale, la pêche récréative, éventuellement dans un contexte d'urbanisation.
Tout cela montre qu'une perception réductrice du littoral par ses nouveaux occupants, limitant celui-ci à un espace de nature, crée de multiples conflits, qui s'inscrivent dans la judiciarisation croissante de la société.
L'image de la nouvelle ruralité, que j'avais eu l'occasion de développer ici même il y a quelques mois, n'est pas sans rapport avec celle d'une « littoralité ».
Certes, l'urbanisation du littoral va être au coeur de nos contributions. Cependant, ne perdons pas de vue qu'elle ne constitue plus qu'une des très nombreuses manifestations des multiples conflits d'usage qui animent cette zone particulièrement exploitée et convoitée.
Concernant la méthode, les parlementaires que nous sommes refusent le choix de la voie réglementaire pour résoudre les difficultés liées à la loi littoral. Cette voie est non seulement antidémocratique, mais encore elle risque d'être insuffisante et inefficace.
Il serait préférable que soit préalablement organisé un grand débat national sur la loi littoral. Les contributions des habitants, des élus, des associations du littoral, par leur richesse, refléteraient les réalités locales tout en permettant à la démocratie participative de fonctionner.
Il serait également souhaitable que, simultanément, nous prenions connaissance du contenu des décrets en préparation.
A ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez annoncé la création d'une mission spécifique chargée « d'identifier les besoins en matière de données géographiques, économiques, sociales et écologiques, de repérer les opérateurs et les maîtres d'oeuvre, de hiérarchiser les priorités, de préciser les rôles respectifs de l'Etat et des collectivités locales, d'évaluer les budgets nécessaires ». Allez-vous prendre des décrets avant février 2005, date à laquelle cette mission remettra ses propositions ? Si oui, lesquels ?
Un important travail de réflexion et de proposition sur l'application de la loi littoral est en cours sur le terrain. Ce travail pointe une par une les difficultés rencontrées par les élus et les populations. J'ose espérer que la mission spécifique en tiendra compte avant de remettre ses propositions.
L'autre crainte, monsieur le secrétaire d'Etat, est que la loi littoral ne soit modifiée au détour de textes législatifs tels que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, le projet de loi de modernisation agricole ou je ne sais quel autre texte. Cette méthode ne permet de répondre que partiellement aux problèmes, sans offrir une vision globale du texte ainsi modifié. C'est ainsi que le Conseil national du littoral est créé par la loi relative au développement des territoires ruraux.
Venons-en aux difficultés rencontrées concrètement sur le terrain.
Concernant la bande des cent mètres, le bon sens voudrait qu'on puisse reconstruire les immeubles incendiés ou en ruine, sous réserve de respecter le style local et les hauteurs du bâti.
De véritables sanitaires ou locaux de surveillance en dur, bien intégrés, seraient plus élégants que les sanisettes en PVC et les abris de chantier trop souvent vus sur nos côtes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !
M. Gérard Le Cam. La création de parkings paysagers à proximité des plages pourrait être assouplie afin de faciliter l'accès à celles et ceux qui n'ont pas les moyens de louer une résidence à proximité du rivage.
Ces trois mesures devraient contribuer à réduire sensiblement les difficultés liées au caractère inflexible du III de l'article L. 146-4.
S'agissant des espaces proches du rivage, il conviendrait tout d'abord de bien définir la notion d'urbanisation qui concerne aujourd'hui de la même façon un immeuble de quatre étages, une maison particulière, un tunnel en plastique, une serre ou un parc de stationnement.
Sur ces espaces, la constructibilité se heurte à de multiples difficultés, ce qui implique que soient précisées définitivement les notions d'agglomération, de hameau, de village, d'extension et de densification.
En Bretagne, tout particulièrement, la densification des hameaux pourrait apporter une solution aux problèmes en comblant les « dents creuses ». Les zones situées au-delà des espaces proches du rivage devraient pouvoir accueillir une extension de l'urbanisation en continuité des hameaux existants, afin de compenser les rigidités de la loi littoral, selon la volonté des élus et dans le cadre de leurs documents d'urbanisme.
L'agriculture, notamment le maraîchage, souffre des règles qui régissent les espaces proches du rivage.
Il serait souhaitable que l'on tienne compte de la qualité agricole des terrains pour les rendre constructibles ou non, de la nécessaire mise aux normes des exploitations, de la possibilité d'ériger des tunnels en plastique intégrés au paysage par des écrans végétaux.
Maintenir les conditions d'existence d'une agriculture côtière, c'est aussi assurer des limites à l'urbanisation et garantir une diversité des paysages.
Enfin, la notion d'« espace proche du rivage » pourrait être doublement encadrée, tout d'abord par la détermination d'une distance maximale du rivage, ensuite par des critères de visibilité, appréciés tant en considération du rivage que des limites de l'espace considéré.
La formule du « hameau nouveau intégré à l'environnement » n'est pas suffisamment utilisée, nous dit-on ; sans doute est-ce en raison des difficultés administratives et des problèmes d'interprétation qu'elle soulève. Il conviendrait donc de préciser le contenu possible de ces « hameaux nouveaux intégrés » et d'en favoriser l'accès aux plus modestes.
Le rapport sénatorial préconise une hiérarchisation tant des espaces remarquables mentionnés à l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme que des protections y afférentes.
A notre avis, un espace est remarquable ou non au regard de la définition qui en est donnée par le code de l'urbanisme, à savoir les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application de la loi du 2 mai 1930, modifiée, des parcs nationaux ainsi que les réserves naturelles.
La notion d'espace caractéristique doit être précisée ou supprimée dans la mesure où elle ne contribue pas à faciliter l'interprétation des textes.
Enfin, nous pourrions préciser que les espaces naturels s'entendent comme étant les espaces non agricoles qui ne sont ni urbanisés, ni altérés, ni dégradés significativement par l'activité humaine.
Le rapport sénatorial préconise d'inclure un volet maritime dans les SCOT, volet qui devrait être approuvé par le préfet, et de supprimer les SMVM.
L'idée est intéressante, sous réserve que le plus grand nombre participe à l'élaboration du SCOT et du volet maritime de celui-ci, sous réserve aussi que la compatibilité des PLU et autres documents d'urbanisme s'articule correctement avec le SCOT et à condition que ces documents soient enfin opposables. Cela contribuerait à rendre leurs responsabilités aux élus et à réduire les contentieux.
A ce sujet, de très nombreuses difficultés sont pointées par les élus, liées au POS non approuvé et au passage du POS au PLU lorsque des terrains ayant obtenu un certificat d'urbanisme dans le cadre du plan d'occupation des sols deviennent inconstructibles dans le nouveau PLU.
Le groupe de travail du Sénat propose d'« accroître les moyens du Conservatoire de l'espace littoral, de lui adjoindre une réserve d'établissements publics de gestion auxquels les collectivités territoriales seraient associées et d'étendre le régime des contraventions de grande voirie ». Cela va plutôt dans le bon sens : chacun connaît et reconnaît l'action du Conservatoire, dont les moyens financiers semblent préservés pour l'instant, grâce à une acrobatie financière de la loi de finances rectificative pour 2004.
Nous savons également que la coopération des collectivités territoriales en termes de gestion et de financement est déterminante et qu'elle explique en grande partie le succès comme le bilan du Conservatoire du littoral.
Ce qui nous inquiète à cet égard concerne, d'une part, les moyens qui seront alloués au Conservatoire pour les années à venir et, d'autre part, la conception décentralisatrice du Gouvernement. Nous craignons en effet de voir les charges des collectivités locales devenir de plus en plus substantielles, afin d'assurer le financement des « agences de rivage » évoquées dans un futur projet de loi « Conservatoire du littoral »
Le transfert du domaine public maritime aux collectivités contribue également à accentuer leurs charges.
Il serait bon, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous éclairiez notre assemblée sur les moyens que le Gouvernement destine au Conservatoire et aux collectivités locales pour les années à venir. De la pérennité de ces moyens dépendra le succès des actions du Conservatoire.
Quant aux moyens financiers des collectivités territoriales, c'est un vaste débat. Mais nous savons que, si celles-ci sont étranglées financièrement, elles chercheront des solutions dites « de rentabilité », souvent préjudiciables au littoral lui-même.
L'article 1er de la loi littoral a pour objet, entre autres, « la protection des équilibres biologiques et écologiques ». Il convient à cet égard de rappeler que tous les maux ne viennent pas du littoral : ils viennent aussi des fleuves qui charrient chaque année près de 650 000 tonnes d'azote et 43 800 tonnes de phosphore, ce qui contribue au phénomène d'eutrophisation ; je signale que plus de 30 000 mètres cubes d'algues vertes sont ramassés en Côtes d'Armor chaque année !
A propos des marées noires et des dégazages, la sécurité et la sûreté des transports maritimes ont certes progressé. Cependant, le rapport de la DATAR souligne : « Une logique d'indemnisation continue d'être privilégiée sur une logique de responsabilisation des affréteurs. Tout ce qui n'a pas été sérieusement traité en amont, finit à la mer, qui est réceptacle naturel des bassins versants. La maîtrise de ces pollutions très diverses et le plus souvent dangereuses nécessite également des efforts financiers et législatifs importants. »
En ma qualité de membre de l'Observatoire du réchauffement climatique, je voudrais également attirer votre attention sur les conséquences du relèvement du niveau de la mer lié à ce réchauffement : ce relèvement risque d'accélérer l'érosion du littoral et surtout d'accroître les inondations et submersions marines, ce qui n'est pas sans incidence sur l'éventuelle inconstructibilité à moyen terme de zones littorales importantes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, sans vouloir être exhaustifs, nous avons écouté ce que disent à la fois la population et les élus, afin de recenser les problèmes rencontrés dans l'application de la loi littoral.
Un certain nombre de critères guident notre réflexion.
Tout d'abord, nous partons du principe selon lequel une commune littorale n'est pas et ne peut pas être figée, elle doit rassembler les conditions pour assurer le développement harmonieux et durable de son territoire, l'accueil et l'hébergement de ceux qui vivent là toute l'année, ainsi que des personnes qui viennent y passer leurs vacances.
Le maintien de la diversité des activités économiques est essentiel au bon équilibre de ces collectivités.
Enfin, une attention toute particulière doit être portée à l'accessibilité de tous à la côte et, naturellement, l'accueil des plus modestes doit être encouragé et favorisé par des facilités d'aménagement et des dispositions fiscales.
Ce débat aura, je l'espère, son utilité. Mais, devant l'ampleur et la diversité des difficultés rencontrées par les élus, qui sont dans leur très grande majorité opposés au bétonnage des côtes, une remise à jour de la loi aurait été plus efficace que des séries de décrets à venir, les effets pervers de la décentralisation ou des morceaux de textes de loi rattachés ici et là.
Quoi qu'il en soit, il est indispensable de conserver le socle de la loi littoral de 1986 et ses principes fondateurs énoncés à l'article 1er, concernant la recherche spécifique au littoral, la protection des équilibres biologiques et écologiques et la préservation des activités économiques.
Le littoral doit être rendu à ses habitants, ses élus et ses gestionnaires, qui seront les garants d'espaces où les spéculations en tous genres et les contentieux doivent sensiblement s'atténuer, à défaut de disparaître.
Prudence de la démarche, précision des mots et pérennité des financements doivent guider le Gouvernement dans ses actions à venir concernant le littoral. C'est le voeu que nous formons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je dirai d'emblée mon approbation totale et sans réserve du rapport du groupe de travail sénatorial, auquel j'ai participé, car il dresse de la situation actuelle, avec une clarté remarquable, un état très précis : tous les textes ont été en quelque sorte passés au scanner.
Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à l'action conduite par le président du groupe de travail, M. Jean-Paul Alduy, ainsi qu'à son rapporteur, M. Patrice Gélard.
La richesse des propositions contenues dans ce rapport est évidente et les pistes de réflexion qu'il indique sont tout à fait pertinentes.
Je me conterai, au cours de cette brève intervention, de soulever quelques interrogations.
Est-il normal, par exemple, que le principe d'égalité ait été si souvent rompu à travers des décisions tantôt extravagantes, tantôt impressionnistes, rendues par l'administration, dont l'indignation est parfois sélective, ou par des juges ?
Est-il normal que des menaces puissent continuer à peser sur l'activité des animateurs de l'économie, sans égard pour les risques qu'ils courent ?
Est-il normal que des associations - je suis extrêmement prudent en les évoquant, car le simple fait de dire qu'elles doivent conduire leurs actions de façon normale et sans excès vous fait immédiatement soupçonner d'irascibilité à leur égard - trouvent dans la loi littoral des niches juridiques leur permettant d'introduire des recours tous azimuts, qui font planer une totale incertitude sur les activités économiques et sur ceux qui les assument ?
Que dire du concept de « hameaux nouveaux », difficile à cerner selon les régions ?
Que dire de celui d'« espace remarquable » ? La notion d'espace remarquable est en effet, par définition, très relative. Il est évident que vingt-cinq arpents de maquis situés au pôle Nord constituent un espace remarquable. En revanche, des hectares de maquis en Corse ou de lande en Bretagne sont d'une banalité absolue et, par conséquent, non remarquables. Pourtant, aux termes de la loi, ces espaces sont remarquables dès lors qu'ils n'ont pas été urbanisés.
L'autre intérêt du rapport réside dans le récolement de tous les textes qui, depuis Colbert, se sont ajoutés les uns aux autres sur ce sujet. D'ailleurs, une interrogation demeure, à laquelle vous devrez répondre, monsieur le secrétaire d'Etat : ne faudrait-il pas refondre tous ces textes épars dans un texte global sur le littoral ? Mais cette tâche risque d'être trop ambitieuse, surtout dans la situation actuelle.
Si l'on ajoute au concept d'espace remarquable les textes relatifs aux sites classés, aux ZNIEFF, les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique, ou encore le programme Natura 2000 - textes qui ne sont pas opposables aux tiers, ce que les citoyens ignorent, mais qui sont invoqués en permanence dans les débats administratifs -, il est évident que l'on n'en sort pas !
Je me livrerai, à partir de certains des propositions contenues dans le rapport du groupe de travail sénatorial, à une sorte de « leçon de choses » sur la Corse.
Je m'exprime ici avec précaution car, comme je le disais tout à l'heure en aparté à notre collègue Mme Voynet, je ne souhaite pas que certains, en écoutant mes propos, aient le sentiment que mes préoccupations sont exclusivement insulaires.
Il reste que la situation corse est une parfaite illustration des effets de la discrimination positive. Ce principe doit certes s'appliquer, sans pour autant servir de simple alibi, mais il est contrarié, surtout en Corse, par la pensée « écologiquement correcte ».
Le principe de la discrimination positive consiste à considérer que, dans des situations différentes, on ne peut pas appliquer la même solution. A cet égard, l'exemple de l'application de la loi littoral en Corse est édifiant.
Sur 1 000 kilomètres de côtes, 400 kilomètres sont déjà tombés dans le domaine public, dont 200 kilomètres sur l'initiative du Conservatoire du littoral. Notre collègue M. Le Pensec connaît bien cette question.
Je préside le conseil de rivage depuis trente ans : on sait tout ce qui a été fait dans ce domaine. Comme cela a été dit à cette tribune, aucun élu n'est soupçonnable : nous sommes tous soucieux de maintenir la loi littoral, en en adaptant certains points, et pas seulement de façon homéopathique.
La Corse compte donc 400 kilomètres de côtes relevant du domaine public.
Prenons maintenant la côte ouest, soit quasiment 500 kilomètres, c'est-à-dire la distance séparant Menton de Marseille. En excluant la poche démographique du golfe d'Ajaccio, sur ces 500 kilomètres de côtes, on dénombre 15 000 habitants. Bien entendu, si vous appliquez la loi littoral d'une façon indifférenciée, des blocages peuvent se produire à tous les niveaux.
Comme le disait mon collègue Jérôme Polverini, qui a été entendu par notre groupe de travail, la loi littoral est plus une loi d'ordre public - sa signification sous-jacente serait au fond : moins on construit, moins on plastique ! - qu'une véritable loi d'aménagement ou de protection du littoral.
Il faut bien avoir cela à l'esprit et tordre le cou à l'idée selon laquelle les élus n'auraient pas protégé le littoral. Ce n'est pas vrai ! Nous avons au contraire été les premiers à mener une action correcte de protection du littoral.
Comme l'a dit notre collègue Paul Natali, si vous voulez construire, vous devez être attentifs à la contradiction qui existe entre le discours officiel sur le développement économique, ces propos lénifiants tenus en permanence par les représentants de l'Etat, et la réalité.
Où voulez-vous induire ce développement économique, sinon sur la côte ? Pour produire de la farine de châtaignes, on ne va tout de même pas s'installer à 500 mètres d'altitude !
Mais je mets quiconque au défi de me désigner, sur l'ensemble de la côte corse, cinq sites susceptibles d'accueillir des hôtels quatre étoiles, ou quatre, cinq, six unités hôtelières de 150 chambres. Pourquoi ? Les obstacles sont multiples : ou le site est classé, ou l'on se heurte à l'absence d'équipements appropriés, ou le site figure dans l'atlas du littoral, ou bien encore il fait partie du programme Natura 2000. On se heurte à chaque fois à une nouvelle contrainte. Il faut toujours avoir cette réalité à l'esprit.
Les rédacteurs du rapport ont énoncé une éclatante vérité en prévoyant la possibilité de justifier, dans les SCOT ou les plans locaux d'urbanisme, avec l'accord du préfet, qu'une urbanisation non située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral.
Si l'Etat et nous-mêmes ne nous emparons pas de ce problème, cette pensée « écologiquement correcte » continuera de se développer.
Aujourd'hui, même si cela peut paraître paradoxal, il existe une sorte de « racisme pro-corse », alimenté par le show business. Ces personnes confortablement installées dans leurs villas nous disent : il faut protéger la Corse à tout prix, il faut « mériter » la Corse, il faut comprendre ces braves gens, et autres sornettes de ce genre.
On pense à Chateaubriand et à ces conseils qui obligent toujours ceux qui les reçoivent, en l'occurrence les Corses, et jamais ceux qui les donnent, ces personnes dans leurs villas qui, redoutant sans doute un attentat, prennent toutes les précautions pour parer au danger.
Sur ce point, il faut donc impérativement modifier le dispositif.
Si une réforme « homéopathique » est déjà intervenue sous le gouvernement Jospin, comme je l'indiquais voilà un instant à Mme Voynet, l'assemblée de Corse, pour sa part, avait indiqué qu'il convenait de faire évoluer la loi littoral. « Courageusement », les gouvernements successifs ont accepté les propositions faites, lesquelles ont été repoussées par une certaine famille d'esprit. On connaît la suite... Il faut donc changer le dispositif, instaurer la discontinuité.
Je donnerai une dernière illustration du désordre actuel, tout en demeurant persuadé que cette situation se présente ailleurs qu'en Corse : mon propos aura donc une portée générale, et il ne s'agit pas ici d'exprimer des préoccupations particulières.
Dans une commune que je connais bien, le principe de discontinuité, dont l'application est suggérée dans le rapport, a déjà été mis en oeuvre. En 1992, en effet, le préfet et la commission des sites s'étaient tous deux prononcés en faveur d'une urbanisation sur le territoire de cette commune qui, à 99%, n'était pas urbanisée et dont 200 des 7 000 hectares pouvaient être urbanisés en discontinuité. J'attire votre attention sur ce dernier point, mes chers collègues, car l'un d'entre nous, voilà un instant, a évoqué une certaine commune qui n'était pas urbanisée à hauteur de 50 %.
La solution de bon sens avait alors prévalu, et le préfet avait décidé d'autoriser l'urbanisation. Pendant six ans, le POS s'est trouvé en contradiction avec la loi littoral. Des permis de construire ont été délivrés, un hameau nouveau a surgi de terre. Puis, alors que l'on aurait pu continuer de construire, l'Etat a changé complètement sa politique et, par voie d'exception, a attaqué tous les permis de construire, au motif, mes chers collègues, qu'il n'y avait pas de hameau...
Me suis-je bien fait comprendre ? Un hameau nouveau a pu être créé, parce que l'on avait « levé le pied » dans l'application de la loi littoral, mais les permis de construire délivrés par la suite ont été attaqués au motif qu'il n'existait pas, en théorie, de hameau. Telle est la situation dans cette commune au regard de la loi littoral, et les difficultés de cet ordre risquent de se multiplier si l'on n'introduit pas le principe de discontinuité.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, la situation est simple : notre ambition n'est pas de tout changer ou de faire un code du littoral, elle est d'obtenir une adaptation de la loi littoral sur certains points particuliers, s'agissant notamment de la discontinuité, afin que nous puissions avancer un peu. Une autre solution pourrait être d'accorder un pouvoir d'expérimentation. Je vous laisse juge, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'attends votre réponse. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le rapport paru en juillet à l'issue de nos travaux constitue un travail de qualité, réalisé à la suite d'une quarantaine d'auditions. Que ses auteurs, ainsi que celles et ceux qui ont aidé à sa rédaction, en soient remerciés.
Toutefois, après les compliments, place aux mises en garde et aux interrogations : attention, ce rapport ne doit pas servir de prétexte à une remise en cause de la loi littoral, qui est certes imparfaite dans son application, mais claire dans ses principes.
Rappelons, à cette occasion, une phrase de son article 1er qui manifeste bien l'esprit général l'inspirant : « Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise en valeur. »
Le littoral n'est pas un territoire comme un autre, et sa protection, son aménagement doivent donc répondre à des règles particulières. En 1986, la loi littoral avait pour objet de coordonner les mesures jusque-là disparates destinées à maîtriser la pression subie par le littoral français. En effet, l'attrait que présente ce dernier en faisait une richesse convoitée, et donc menacée. La vocation initiale de la loi était de définir un équilibre dans l'aménagement d'un espace devenu collectif et appartenant au patrimoine de la nation tout entière.
Pourtant, « pendant la protection, l'urbanisme continue », selon les termes du rapport rédigé par Mme Bersani pour le compte du Conseil général des ponts et chaussées. Cet avis est corroboré par l'IFEN, l'Institut français de l'environnement, qui considère le littoral français comme l'un des plus artificiels d'Europe. Ainsi, 12 % des logements et 7 % des locaux construits chaque année en France sont réalisés sur une bande littorale représentant moins de 4 % du territoire national.
L'attractivité du littoral et donc la pression engendrée dans cet espace ont encore été accrues avec l'implantation de nouvelles activités économiques et sociales, sans que les usages traditionnels aient disparu. Il en résulte que les espaces naturels et agricoles sont aujourd'hui en régression.
L'objectif de protection n'est donc que partiellement atteint, les abus les plus manifestes liés au bétonnage à outrance semblant cependant avoir été prévenus.
Par ailleurs, la situation est-elle satisfaisante s'agissant de l'autre vocation de la loi littoral, à savoir le développement des territoires ? La force des insatisfactions exprimées tant par les professionnels de la pêche ou du mareyage que par les agriculteurs ou les élus locaux permet d'en douter.
A cet égard, la profusion de rapports est révélatrice d'un malaise. Les éléments figurant dans celui dont nous débattons sont proches de ceux qui ont été mis en exergue par le conseil national de l'aménagement du territoire ou dans le rapport du Conseil économique et social régional de Bretagne paru en juin 2004.
Devant ces constats, il s'agit aujourd'hui de penser la politique du littoral de manière globale, afin de remédier aux défauts originels de cette dernière que sont la sectorisation, le manque de concertation et de transparence, le défaut de prise en compte des spécificités locales. Il faut en finir avec la gestion au coup par coup des conflits entre protection et développement, entre secteurs, entre réglementations discordantes.
Je relèverai d'ailleurs, à la suite de plusieurs de mes collègues, que les élus locaux sont souvent isolés face à ces conflits. Le manque de coordination entre les intervenants représente un réel problème. Si l'on se réfère aux propos tenus par la majorité des élus du littoral, ceux-ci sont attachés aux objectifs visés au travers de la loi mais déplorent une application chaotique. Ils regrettent particulièrement la multiplication des contentieux et, par voie de conséquence, la constitution d'une jurisprudence foisonnante, contradictoire et souvent incompréhensible.
Le manque de suivi, notamment sur le plan réglementaire, après le vote d'une loi littoral parfois imprécise - quels sont les espaces proches du rivage ? qu'est-ce qu'une extension de l'urbanisme ? -, est l'une des causes principales des difficultés rencontrées.
Ce n'est pourtant pas aux tribunaux de décider de la politique du littoral ! Sur ce point, l'insécurité juridique est un frein majeur à la pacification de la situation. Il a fallu attendre dix-huit ans pour que la plupart des décrets d'application soient pris ! Ainsi, le décret n° 2004-310 est paru le 29 mars 2004 en catimini, quelle que soit par ailleurs son utilité sur le fond. Cette « discrétion » a fait immédiatement réagir les élus et les associations, qui n'ont à aucun moment été associés à la rédaction dudit décret, pas plus d'ailleurs que notre groupe de travail. Cette façon de faire a anéanti toute chance de bonne compréhension du texte par les citoyens. Le manque de transparence est toujours source de conflits, et l'élaboration de ce décret n'échappe pas à la règle.
J'en viens maintenant aux outils et aux méthodes à favoriser.
Il s'agit tout d'abord de la gestion intégrée des zones côtières, telle que définie dans la recommandation européenne 2002/413/CE, cette nouvelle approche étant centrée sur la nécessité de développer une politique partenariale et contractuelle. Les retards actuels, les incertitudes sur l'avenir des contrats de plan Etat-région augurent mal d'une volonté réelle du Gouvernement de progresser, en matière de politique du littoral, vers un partenariat effectif entre les collectivités territoriales et l'Etat.
Il s'agit ensuite de la politique en matière de décentralisation : aujourd'hui, le Gouvernement est engagé par de nouveaux textes, critiquables et critiqués, qui auront inévitablement une incidence sur la politique du littoral. En restreignant les moyens financiers des collectivités territoriales et en organisant la concurrence entre territoires, ces textes hypothèquent grandement tout espoir d'une politique active en faveur des zones littorales.
Il s'agit enfin du Conservatoire de l'espace littoral : les propositions concernant cet outil unanimement salué vont dans le sens des préconisations du rapport rendu par notre collègue Louis Le Pensec au Premier ministre en 2001.
M. Le Pensec avait par exemple suggéré de placer le Conservatoire à la tête d'un réseau d'établissements publics agissant pour son compte et sous son contrôle, les collectivités territoriales étant associées à la gestion. Cette proposition est reprise dans le rapport du groupe de travail, et je m'en réjouis.
En revanche, les coupes budgétaires opérées au détriment du Conservatoire sont des signes inquiétants, et M. Alduy s'est exprimé sur ce point tout à l'heure.
Vous m'objecterez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre 2004 a décidé d'accroître de 8 millions d'euros le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2005.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà !
Mme Yolande Boyer. Certes, mais je vous renverrai à la proposition initiale, qui était de 11,5 millions d'euros, contre 26,33 millions d'euros en 2002. Si au moins notre rapport a pu servir à éviter que l'on en reste au montant initialement prévu, ce n'est déjà pas si mal. Cependant, tout cela montre qu'il n'y a pas de volonté du Gouvernement de pérenniser cet outil remarquable ! Cela est néanmoins indispensable, comme l'ont également souligné plusieurs des intervenants qui m'ont précédée. Les moyens supplémentaires qui seront consentis concernent les investissements et non l'augmentation des effectifs des personnels, pourtant bien nécessaire.
S'agissant de la création du conseil national du littoral, prévue dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux actuellement en discussion au Parlement, celle-ci est destinée à concrétiser une approche partenariale entre l'Etat, les associations, les acteurs économiques et, bien entendu, les élus pour la définition et le suivi de la politique littorale. Malheureusement, on risque d'en rester une fois de plus au stade des bonnes intentions. Nous pensons pour notre part que ce conseil peut être un bon outil, à la condition qu'on lui donne les moyens de fonctionner.
Quant au thème de l'urbanisme, il me semble constituer la partie la plus délicate du rapport.
En effet, force est de reconnaître que la loi littoral a posé et pose toujours un certain nombre de problèmes insolubles dans des communes côtières. Cette situation est la conséquence, notamment, des défaillances de l'Etat depuis la promulgation de la loi littoral en 1986. Les aménagements proposés par le groupe de travail risquent de présenter les mêmes défauts que la loi initiale : imprécisions et insécurité juridique menacent d'être au rendez-vous pour les citoyens et les élus locaux. Nous avons tous compris l'intérêt de limiter, voire de proscrire, les constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières de nature à porter atteinte à l'environnement et aux paysages. Il faut cependant se garder d'empêcher tout développement économique, car le littoral est et doit demeurer un lieu de vie et de travail pour nos concitoyens.
C'est dans cet état d'esprit que, voilà quelques années, j'ai essayé de contribuer à rendre compatibles le code de l'urbanisme et la loi littoral, par la défense d'un amendement adopté à l'unanimité lors de l'élaboration de la loi d'orientation agricole. Cet amendement a permis d'affirmer le rôle de la commission départementale des sites, perspectives et paysages. Cinq ans plus tard, l'usage et l'interprétation du dispositif prévu par cet amendement en font un outil pour la protection du littoral et l'évaluation des projets, nous garantissant contre le risque de dérive, au rebours des craintes de ceux qui y voyaient une victoire du lobby de l'agriculture intensive.
On constate aujourd'hui le développement viable de certaines activités compatibles avec le respect du principe de protection du littoral. Dans le domaine agricole, l'essor de l'agriculture biologique en est une illustration. Faire vivre une famille en milieu littoral grâce à une activité respectueuse de l'environnement : ne serait-ce pas là un exemple d'activité raisonnée sur lequel on devrait s'attarder ?
A cet égard, j'ai en tête le cas d'un agriculteur finistérien qui, aujourd'hui, pâtit d'une lecture très stricte du code de l'urbanisme. En quelques années, il a démontré que son exploitation agricole biologique est viable, mais on lui interdit la construction d'un hangar de stockage agricole de 150 mètres carrés au coeur de son exploitation, qui lui permettrait d'asseoir durablement son activité. La demande de permis de construire présentait pourtant un volet paysager, de manière à limiter l'impact de la construction sur le site. Puisqu'il ne s'agit pas d'une installation classée telle qu'un atelier porcin ou un élevage de volailles, ce qui soulèverait la question délicate du traitement des effluents, pourquoi ne serait-on pas en mesure aujourd'hui d'évaluer la nature réelle d'un tel projet ?
Je ne voudrais pas limiter mon propos à la seule dimension agricole, même s'il s'agit d'un sujet particulièrement sensible en Bretagne, monsieur le secrétaire d'Etat. La question de la construction d'édifices d'intérêt public, comme les stations d'épuration, les parcs de stationnement de véhicules et autres équipements nécessaires dans les zones de forte pression touristique, pourrait, pour partie, être résolue dans la concertation et la responsabilisation locales ainsi qu'en faisant appel au bon sens.
II faut offrir aux acteurs du débat sur la protection du littoral les moyens d'atteindre la maturité d'une réflexion concertée. L'Etat doit y jouer pleinement son rôle en fixant un cadre et des règles, à charge pour les échelons locaux - regroupés, pourquoi pas, au sein de schémas de cohérence territoriale - de définir une politique commune pour le littoral à travers un mode de fonctionnement et un schéma de prise de décision.
Les SCOT sont en effet un axe qui mérite examen, mais ce ne sera pas non plus l'instrument miracle qui réglera tout. Il est essentiel de souligner l'importance que devront jouer les pays « maritimes » dans la définition d'une politique commune de planification efficace et compréhensible. L'objectif est de permettre aux élus de plusieurs collectivités de travailler ensemble à la définition d'une politique commune pour le littoral, d'une politique d'aménagement du territoire, de développement économique et de soutien aux activités traditionnelles, tout en protégeant le patrimoine naturel.
Cependant, l'Etat doit assumer son rôle de vigilance, empêcher les dérives et veiller, par des mesures adaptées, à ce que l'objectif de la loi littoral - la protection de l'environnement - demeure.
L'Etat dispose pour cela de plusieurs leviers.
Il dispose tout d'abord d'un levier fiscal. Il est nécessaire de favoriser l'engagement des collectivités dans des démarches significatives de protection des territoires, au besoin par des incitations fiscales adaptées. Aujourd'hui, pour un élu, il est plus facile de laisser construire des logements, qui seront une source de revenus sous forme de taxes, alors que la protection en termes marchands « ne rapporte rien » !
Ensuite, l'Etat et ses services doivent faire preuve de pédagogie en menant une véritable action de sensibilisation et d'explication.
Enfin, l'Etat dispose de l'outil réglementaire et législatif. Qu'est-ce qu'un hameau ? Qu'est-ce qu'un village ? Les définitions sont différentes selon les régions de France. Comment définit-on les espaces remarquables et les espaces proches du rivage ? Une définition précise des notions d'urbanisation et de continuité s'impose.
Les travaux des parlementaires pointent avec acuité les lacunes et les difficultés de la loi. Ils précisent également les enjeux. Nous sommes donc en présence d'informations tangibles permettant à l'Etat d'impulser les moyens d'une politique réaliste et déterminée de protection de notre littoral en partenariat avec les habitants.
Le littoral est un lieu de vie pour tous les citoyens. Faisons en sorte qu'il s'affirme aussi comme un lieu de citoyenneté. Nous souhaitons que, d'une gestion pacifiée du littoral, découle une protection renouvelée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer l'excellent travail des auteurs de ce rapport, qui fait le nécessaire bilan de l'application de la loi littoral dans notre pays.
Ce rapport ne cherche pas à remettre en cause ou à critiquer la loi littoral, qui est une bonne loi. Je ne dis pas cela parce qu'elle a été adoptée à l'unanimité ; je ne pense pas, en effet, que les lois votées à l'unanimité soient toujours les meilleures. Elles ont un certain nombre de vertus, mais elles présentent aussi de gros défauts, comme celui de contenir des ambiguïtés.
Les propositions qui figurent dans ce rapport me permettent de dire que la loi littoral n'est pas un sujet tabou, contrairement à ce que certains pensent. Il est logique que, au bout de dix-huit ans, une société comme la nôtre, au-delà du bilan nécessaire et sans volonté aucune de remettre en cause les principes fondamentaux de la protection du littoral, procède à des ajustements.
En effet, certaines difficultés sont apparues. Celles-ci nous ont obligés à mettre en place soit un schéma de cohérence territoriale, soit des mesures nécessaires au développement économique de notre pays. Nous vivons en économie de marché, et nous n'allons pas construire les équipements touristiques nécessaires au développement des activités lacustres et nautiques à des distances qui ne seraient pas considérées comme raisonnables par la clientèle des établissements !
Désespérément optimiste, je reste persuadé que notre mission est aussi de rendre les choses possibles. Lorsque nous voulons protéger, il nous faut faire attention aux glissements involontaires qui rendraient toute réalisation systématiquement impossible.
Mon intervention portera plus particulièrement sur l'application de la loi littoral aux lacs de plus de 1 000 hectares situés en zone de montagne : le lacs Léman, les lacs du Bourget, d'Annecy, de Serre-Ponçon et de Sainte-Croix sont les cinq principaux lacs de montagne concernés par la loi littoral, mais également par la loi montagne.
Maire depuis bientôt trente ans d'une commune où s'applique la loi littoral, président du syndicat intercommunal du lac d'Annecy, je m'exprime aussi au nom de l'ensemble de nos collègues qui rencontrent des difficultés du fait que leur commune se situe près de l'un de ces plans d'eau.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous apportiez des éclairages sur des dispositions qui pourraient à l'avenir être plus clairement définies afin d'éviter les difficultés et les ambiguïtés au moment de l'élaboration des documents administratifs, les contentieux administratifs et une jurisprudence quelque peu incohérente : les jugements s'apparentent en effet plus à la roulette russe qu'à une jurisprudence constante ! (Sourires.)
Je vous poserai donc trois questions, monsieur le secrétaire d'Etat.
La loi littoral, avec l'application de la bande des cent mètres aux lacs de plus de 1 000 hectares qui se situent en zone de montage, pourrait-elle intégrer une véritable politique du « trait », lequel serait établi dans les documents administratifs et soumis à enquête publique ? Les recours pourraient être purgés, puis l'élaboration d'un véritable document de cartographie permettrait d'éviter à l'avenir l'essentiel des contentieux. En effet, le nombre de ces derniers ne peut pas continuer à augmenter dans ce domaine.
Pourrions-nous également obtenir des garanties sur le renforcement des moyens financiers du Conservatoire de l'espace littoral et des précisions quant à la pérennité des recettes le concernant, et ce afin de pouvoir mener une véritable politique d'ouverture des rivages au public ? Autour des lacs concernés, l'envolée des prix du foncier rend totalement impossible les acquisitions de propriétés bâties ou non bâties à des fins d'ouverture ou de protection des espaces naturels sensibles par les collectivités locales. La loi ouvre le droit de préemption au Conservatoire de l'espace littoral ou, par délégation, au conseil général ou, en dernier lieu, à la collectivité locale. Trop souvent, celle-ci est laissée seule, et elle ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour réagir dans des conditions satisfaisantes.
Enfin, dans la bande des cent mètres, où se situe bien souvent la zone de préemption, pourrions-nous rechercher la simplification ? Les collectivités pourraient-elles faire valoir leur droit de préemption sans qu'apparaisse parfois une contradiction entre la volonté de protection des espaces naturels sensibles et la nécessité de l'ouverture au public ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, à propos de la politique du « trait », j'ai beaucoup apprécié que l'Assemblée nationale adopte un amendement en ce sens. Je vous invite d'ailleurs, mes chers collègues, à suivre l'Assemblée nationale sur ce point lorsque cet amendement sera discuté au Sénat dans quelques semaines. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais à mon tour dire combien je me félicite de l'occasion qui nous est donnée de débattre de l'application de l'une des lois les plus célèbres de notre patrimoine législatif, et je tiens à remercier ceux qui ont contribué à l'inscription de ce débat à l'ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, répond ainsi à une forte attente des élus du littoral, tant ceux-ci sont aujourd'hui confrontés à des pressions, à des difficultés face auxquelles nous n'avons pas le droit de les laisser seuls.
Toutes ces dernières semaines, les quotidiens régionaux de l'Ouest, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, ont consacré des pages entières aux problèmes concrets vécus au sein de nombreuses communes du littoral breton. Je puis vous assurer, monsieur le président du groupe de travail, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les membres du groupe de travail que le rapport n° 421 du Sénat a été et est très lu. Il suscite, vous vous en doutez, des réactions contradictoires.
Je m'autorise à citer quelques titres relevés dans ces quotidiens : « Loi littoral : les maires grognent » ; « La loi littoral fait grincer les dents des maires du département », « Les maires veulent plus de clarté » ; « Loi littoral : sous la plage, les pavés ? » ; « Loi littoral : un rapport qui divise » ; « Littoral, la loi est dure » ; « Malaise face à la loi littoral », ...
Dans le département des Côtes-d'Armor, où soixante-six communes sont concernées, la situation est tellement tendue actuellement que l'association départementale des maires a choisi de faire de l'application de la loi littoral le thème principal de son congrès qui se tiendra samedi prochain.
A l'échelle nationale, cette tension est tout aussi perceptible. Ce n'est donc pas un hasard si, au cours de cette seule année 2004, ont été consacrés à la situation de notre littoral et à l'évaluation de la loi littoral un rapport du Sénat, un rapport d'information de l'Assemblée nationale, un rapport de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, une partie importante du comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, des dispositions dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et - je tiens aussi à le citer - un excellent rapport rendu par le conseil économique et social régional de Bretagne en juin dernier.
Parmi les conclusions à tirer de ces différents travaux et contributions, apparaissent de nombreux points de convergence, notamment au niveau du diagnostic.
Tout d'abord, l'espace littoral continue de subir de fortes pressions : il suscite de nombreux conflits d'usage, souvent difficiles à réguler. Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le président du groupe de travail, il s'agit d'un espace fragile, convoité et confronté à des mutations lourdes.
Ensuite, la loi littoral de 1986 est pertinente. C'est une bonne loi, cependant handicapée par l'absence ou l'inadéquation des décrets d'application, par la faiblesse des outils de planification, ainsi que par certaines difficultés de lisibilité.
A ce titre, les jugements portés lors de l'élaboration des deux rapports parlementaires sont très sévères, mais ils sont, hélas ! objectifs.
Ainsi, M. le président Alduy explique que l'Etat n'a pas été « à la hauteur de ses ambitions » et M. le rapporteur Gélard dénonce « la piètre qualité, l'élaboration tardive et l'absence de publication des décrets nécessaires à la mise en oeuvre de la loi ».
Le rapport de l'Assemblée nationale va encore plus loin. Il déclare que « le pouvoir réglementaire a assez largement failli à la mission qui lui était assignée par le législateur, consistant à préciser, en collaboration avec les élus, les conditions locales de l'application de la loi littoral».
Ces deux rapports parlementaires utilisent ainsi le même langage pour dénoncer les mêmes déficiences, que plusieurs de nos collègues ont déjà évoquées.
D'abord, les décrets d'application sont parus tardivement et, à ce jour, certains sont toujours attendus !
Ensuite, plusieurs des décrets parus, comme celui concernant les espaces remarquables, ont fait l'objet d'une interprétation extensive, ce dont nous avons pu mesurer les effets dans de nombreuses communes : désormais, certains considèrent que « tout ce qui n'est pas construit est espace remarquable » !
J'ajoute que les documents de planification se sont révélés inadaptés.
Je veux ici apporter un témoignage concernant les SMVM, ou schémas de mise en valeur de la mer.
Dans le département des Côtes-d'Armor, sur 3 SMVM qui ont été lancés - c'est, je crois, un record national - un seul, après des années d'études, des réunions innombrables et beaucoup de relances, a presque abouti !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout est dans le « presque » ! (Sourires.)
M. Pierre-Yvon Trémel. Initié en 1993, le schéma de mise en valeur de la mer du Trégor-Goélo attend aujourd'hui une finalisation par un décret en Conseil d'Etat !
Je crois avoir été un acteur présent et très motivé dans l'élaboration de ce SMVM. Or, force est de constater que la procédure est trop longue, trop lourde et connaît des retards souvent dus à une insuffisance des crédits de l'Etat !
L'ambition affichée dans les directives territoriales d'aménagement, les DTA, n'a pas, elle non plus, été comblée !
Le vide et la faiblesse réglementaires ont, dès lors, laissé une place trop importante à la jurisprudence. Cet état de fait crée une insécurité juridique qui devient aujourd'hui insupportable dans de nombreuses communes du littoral.
Pour ce qui concerne l'état des lieux, dans la mesure où nous ne disposons d'aucun rapport annuel de l'Etat, je salue la qualité du travail d'évaluation que le Parlement vient d'effectuer.
Toutefois, je souhaiterais exprimer deux regrets concernant le rapport du Sénat.
Tout d'abord, j'aurais aimé y trouver un développement décrivant l'hétérogénéité du littoral français, à laquelle M. le rapporteur a fait largement allusion dans son intervention.
Il s'agit là, en effet, d'un phénomène qui renforce la complexité de la problématique devant laquelle nous nous trouvons.
J'attendais aussi plus d'audace et de pistes envisagées pour sortir de l'insécurité juridique en matière d'urbanisme.
Quoi qu'il en soit, la seule question qui vaille désormais est celle du devenir de ces rapports. Concrètement, quelles seront les suites qui vont être données aux propositions qu'ils contiennent ?
M. Jean-Paul Alduy, président du groupe de travail. Bonne question !
M. Pierre-Yvon Trémel. Certes, nous savons déjà que certaines propositions vont devenir des réalités, à la suite notamment du comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, le CIADT, ainsi que du vote du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.
Les outils de planification vont également être simplifiés, avec une reconnaissance des SCOT. Je dois dire que, sur ce dernier point, les opinions quant aux résultats à attendre de cette mesure sont partagées.
En revanche, nous restons sur notre faim en matière de clarification des règles d'urbanisme. Une telle clarification serait pourtant utile pour permettre un meilleur équilibre entre protection du littoral et aménagement du territoire.
A ce sujet, je me permettrai de mentionner les conclusions d'un groupe de travail mis en place par l'association départementale des maires des Côtes-d'Armor.
Ce groupe de travail a procédé en septembre à une classification par thèmes des problèmes rencontrés dans les soixante-six communes concernées par la loi littoral, et a ainsi mis en lumière un certain nombre de réalités : les difficultés rencontrées sur la bande des cent mètres concernent six communes ; les espaces proches du rivage, dix communes ; le principe de continuité du bâti existant, dix communes ; la définition des hameaux et villages, six communes ; les certificats d'urbanisme positifs et le refus du permis de construire, dix communes ; les espaces remarquables, trois communes ; enfin, les difficultés liées à la transformation des POS en PLU concernent la quasi-totalité des soixante-six communes !
Je ne sais si un tel inventaire pourrait s'appliquer à tous les départements côtiers, mais vous conviendrez qu'il illustre bien certaines difficultés vécues par les maires du littoral.
Pour ma part, ayant visité assez souvent ces communes du littoral, je pense sincèrement que des solutions pourraient être trouvées avec un peu de bon sens et une volonté réelle de concertation. Cela impliquerait au minimum des visites communes des lieux de la part des maires et des agents de l'administration.
Je crois aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est nécessaire de veiller à ce que les positions arrêtées par les différents représentants de l'Etat soient cohérentes. A ce titre, je remarque que les services de la Direction départementale de l'équipement, d'une part, et les autorités chargées du contrôle de légalité, d'autre part, prennent des décisions souvent contradictoires ! Voilà qui est parfaitement incompréhensible pour les élus et la population !
A présent, je souhaiterais évoquer rapidement les trois problèmes qui rendent nécessaire, à mes yeux, une clarification de la loi littoral dans les meilleurs délais.
Le premier d'entre eux concerne la pérennité des exploitations agricoles.
Quelques situations deviennent ingérables lorsqu'il s'agit, pour des agriculteurs, de procéder à des actions de mise aux normes obligatoires ou de réaliser des travaux de modernisation, comme la construction de serres dans des zones légumières.
Le deuxième problème est lié au principe de l'urbanisation en continuité dans l'ensemble du territoire d'une commune littorale
Le premier alinéa du fameux article L. 146-4 du code de l'urbanisme prévoit que « l'extension de l'urbanisation doit se réaliser, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ».
En Bretagne, le cas des hameaux nouveaux ne pose pas de problème fondamental, et il n'y a guère de difficultés sur l'interprétation du terme « agglomération », puisqu'il s'agit du centre-ville ou du centre-bourg, ainsi que de leur périphérie immédiate.
En revanche, l'interprétation du terme « villages existants » pose des problèmes incommensurables. Les tribunaux, après un travail d'exégèse, considèrent qu'un village est un « ensemble d'habitations permanentes » comportant « un lieu de vie publique », comme une place, une chapelle, une mairie annexe ou un débit de boissons.
M. Pierre Hérisson. Un bureau de poste !
M. Pierre-Yvon Trémel. On est progressivement arrivé à un « urbanisme de prétoire » et - je le crois sincèrement - à une déformation de l'esprit même de la loi littoral.
En 1986, l'objectif était d'éviter l'extension du mitage dans les communes côtières. C'était évidemment un objectif louable, qu'il faut maintenir. Mais, dans le même temps, il faut permettre une densification mesurée des mitages existants, car cela ne change plus rien.
Il faut, monsieur le secrétaire d'Etat, stopper cette inflation contentieuse en clarifiant ce principe de l'urbanisation en continuité, notamment en introduisant dans la loi la notion de « densification mesurée » que j'évoquais à l'instant.
Enfin, le troisième problème concerne la compatibilité entre la loi littoral et les documents d'urbanisme approuvés.
Dans de nombreuses communes, des POS ont été instruits, construits et approuvés dans le cadre d'une étroite relation entre l'Etat et les collectivités locales.
Pour adopter un POS dans une commune du littoral, il a fallu - et certains d'entre vous l'ont vécu, mes chers collègues - plusieurs années de concertation et de travail, tant les pressions diverses sont fortes.
Or, en se fondant sur la jurisprudence, le contrôle de légalité demande maintenant fréquemment à des maires de retirer des arrêtés accordant des permis de construire, alors même que ceux-ci sont pris sur la base de certificats d'urbanismes positifs.
Les maires sont confrontés à une insécurité juridique qui devient insupportable. Les voilà ballottés, interpellés de manière contradictoire par l'Etat, ainsi que par les propriétaires de terrains déclarés constructibles, les détenteurs de permis ou de certificats d'urbanisme positifs, les associations de protection de l'environnement, et même par les voisins, soucieux de défendre leur pré carré ! (Sourires.)
Il n'est plus acceptable de voir des familles passer « du rêve au cauchemar » et des élus sous pression juridique permanente !
J'attends donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que, à l'occasion de ce débat, vous puissiez nous faire connaître la position et les intentions du Gouvernement face à ces situations concrètes, vécues très difficilement.
Je sais que cet appel au bon sens, à la clarification et au retour à l'esprit initial de la loi est susceptible de créer des inquiétudes et des protestations par crainte d'une remise en cause fondamentale de la loi littoral.
Aussi, je tiens à lever toute équivoque, en affirmant clairement et fortement que telle n'est pas du tout l'intention des élus du littoral ! Ces derniers reconnaissent la pertinence de cette loi et sont, de surcroît, des acteurs très engagés dans la mise en oeuvre d'outils de protection et de valorisation du littoral.
Pour preuve, la boîte à outils de protection est largement utilisée. Je mentionnerai les SMVM, les sites Natura 2000, les réserves naturelles, les contrats de baie, les zones de préemption, les comités de bassins versants, les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique, ou ZNIEFF, ainsi que les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE.
Il convient aussi de souligner le rôle essentiel joué par le Conservatoire de l'espace littoral : dans notre département, il est propriétaire de 1200 hectares sur 22 sites !
Toute aussi utile est l'action du conseil général : celui-ci a fait l'acquisition de 600 hectares sur 40 sites ! Au total, le Conservatoire de l'espace littoral et le département possèdent 40 kilomètres sur les 350 kilomètres de notre front de mer !
Grâce à de solides partenariats contractualisés, le Conservatoire, le département, les collectivités locales et les associations peuvent mener ensemble des actions de protection, de valorisation, de sensibilisation et des projets éducatifs.
En Bretagne, monsieur le secrétaire d'Etat, nous faisons finalement depuis longtemps - peut-être sans le savoir (Sourires) - de la gestion intégrée des zones côtières.
Nous sommes même prêts à aller encore plus loin dans cette direction, en recherchant plus de cohérence et une meilleure organisation avec des moyens financiers adaptés !
Mais ce volontarisme ne doit pas être freiné ni troublé par les effets de l'insécurité juridique en matière d'urbanisme !
Les élus des communes du littoral demandent en fait une lecture plus équilibrée de la loi de 1986, dont le titre mérite d'être rappelé : « Loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral » !
Alors même qu'ils ont la volonté de continuer à participer activement à la protection du littoral, les élus ne peuvent accepter que des dérives dans l'application de la loi aboutissent à bloquer tout aménagement, tout développement de leur collectivité !
Ils ne peuvent pas plus accepter de voir leurs communes devenir des « réserves », avec un foncier et un immobilier inaccessibles aux autochtones ! (Sourires.)
Leur appel, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, est aujourd'hui pressant. Nous avons le devoir d'entendre leurs voix et de leur apporter des réponses. Celles-ci passent par la publication des derniers décrets attendus, par une approche globale évitant un traitement trop sectoriel et créant les conditions de sortie de l'insécurité juridique, et par une relance du dialogue à tous les niveaux, pour vraiment construire ensemble un développement équilibré et durable de notre littoral. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi « littoral », constitue à bien des égards une loi de développement durable cherchant à préserver les richesses naturelles d'un territoire parce qu'elles sont, aussi, sources de son attractivité et garantes de son développement économique, social et culturel.
La loi fut adoptée à l'unanimité - il n'est pas sûr que ce serait encore le cas aujourd'hui -, témoignant de la clairvoyance et de l'exigence des parlementaires. II est vrai que le jeu en valait la chandelle : mettre fin au massacre organisé du littoral, qui avait atteint un tel niveau que la majorité des Français en était choquée. Marinas, endiguements, urbanisation sauvage, pollutions terrestres, ports privés... contribuaient à la destruction, parfois irrémédiable, de cette fragile interface entre la mer et la terre.
L'application de la loi a été un combat difficile pour tous les ministres de l'environnement.
Comme le souligne le rapport de notre commission, la rédaction des décrets fut lente et chaotique. Aujourd'hui encore, la plupart d'entre eux n'ont pas été publiés. Non pas parce que l'administration de l'Etat ne les aurait pas préparés, mais parce que la pression de quelques lobbies de la destruction durable, pour lesquels « littoral » rime avec « profit », a conduit à des remises en cause continuelles de cette loi. Rares sont les lois qui ont, autant que celle-ci, justifié au fil du temps le dépôt ou la tentative de dépôt de tant d'amendements, de tant de cavaliers législatifs destinés, de façon frontale ou plus détournée, à la vider de tout contenu, de tout caractère contraignant...
Je dois noter avec satisfaction que tous les ministres en charge de l'environnement ont toujours lutté contre ces attaques. J'ai été moi-même confrontée à plusieurs tentatives bien préparées de remise en cause de la loi, y compris dans cette enceinte. Je pense par exemple aux pressions destinées à permettre que la loi sur la protection du littoral ne s'applique pas en Corse. Un arbitrage du Premier ministre - il fut, je l'avoue, difficile à obtenir - a évité cette catastrophe. Je tiens d'ailleurs à saluer la poignée d'élus corses qui, à l'époque, m'ont apporté leur soutien.
Si l'efficacité de la loi a pu être discutée parfois, si elle n'a pu empêcher la dégradation de certains sites, c'est d'abord parce que les moyens de la faire respecter ont été chichement mesurés. C'est ensuite parce que, sur le terrain, une ingéniosité diabolique a été déployée, avec souvent la complicité passive et même parfois le soutien explicite des élus locaux, pour en négocier l'application, pour en contourner les dispositions, pour inventer exceptions, accommodements et interprétations... Bungalows, paillotes et autres bâtiments à charpente métallique ont fait les beaux jours des exégètes de la loi littoral, sans même parler des villas construites sans permis de construire sur le littoral de la Corse et de la Guadeloupe, avec la complicité active des services de l'Etat !
Anecdotique ? Je veux bien, car la loi a montré « globalement » son efficacité. Selon la DATAR, elle a permis « d'éviter les grandes opérations immobilières et changé certaines pratiques, en favorisant la densification et l'urbanisation plus en retrait de la mer, moins fréquemment en site vierge. Elle n'a cependant empêché ni les constructions illégales ni le grignotage des espaces naturels ».
Le Conservatoire de l'espace littoral s'est révélé être un instrument efficace pour préserver les zones naturelles du littoral en dépit d'un manque continuel de moyens. Son succès est tel que beaucoup souhaitent aujourd'hui que son expérience serve de base à la mise en place de conservatoires des espaces naturels terrestres.
Pourquoi changer une loi qui gagne ? Ce serait utile, car on peut toujours faire mieux et que, on l'a vu, de nouvelles menaces sont apparues, ainsi que de nouveaux conflits d'usage que je ne songe pas à minorer. Je pense notamment à la perspective d'une concentration accrue de la population le long des fleuves et sur le littoral, dans les prochaines années. Avec une densité de population deux fois et demie supérieure à la moyenne nationale, avec une dynamique économique bien réelle et une pression touristique qui ne se dément pas, le littoral a déjà de lourds défis à relever.
Mais, évidemment, on tremble à l'idée d'ouvrir la boîte de Pandore, et on pressent qu'une remise en chantier aujourd'hui n'aboutirait qu'à un affaiblissement.
Notre inquiétude est d'autant plus forte que nous découvrons dans le rapport du Sénat que certains membres de la commission « estiment aujourd'hui que l'application de la loi littoral connaît certaines dérives, préjudiciables principalement aux habitants de ces espaces mais aussi à leurs élus ».
Vous me permettrez de douter que la majorité des habitants de ces espaces se considèrent comme victimes de la loi ; leur avis n'a d'ailleurs pas été sollicité. En revanche, j'admets volontiers qu'elle entrave de nombreux élus dans leur souhait d'aménager, d'équiper, de bétonner. Elle est faite pour cela !
Le problème, ce serait l'intervention des juges ! Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est parce que de nombreux élus ne respectent pas la loi qu'ils sont sanctionnés ! Soit ils sont victimes de recours abusifs et les tribunaux déboutent les détracteurs, soit ils ont outrepassé le droit et ils sont sanctionnés. Il est vrai que, dans le domaine de l'environnement, il est des élus qui ne considèrent pas qu'ils devraient, comme en toute chose, être les premiers à respecter la loi.
La protection du littoral est un enjeu national et doit le rester. Je suis d'accord pour offrir de la flexibilité aux régions ; Nicolas Alfonsi est un républicain exigeant, et il conviendra du fait qu'il faut refuser de remettre en cause les fondements même de la loi, comme par exemple l'inconstructibilité de la bande des cent mètres. Je juge d'ailleurs que, dans des espaces particulièrement sensibles et remarquables, la profondeur de cette bande protégée devrait pouvoir être portée à trois cents mètres.
Si un dialogue doit s'établir entre l'Etat, les élus et les gestionnaires d'espaces protégés, permettant à des solutions originales et innovantes d'émerger, dans le cadre d'une souplesse permise par la loi, il paraît difficile en revanche d'exposer les élus locaux à la pression des promoteurs, aux exigences des agents économiques et aux sollicitations amicales des particuliers.
A ce titre, les propositions qui ont été évoquées de faire du schéma de cohérence territoriale, le SCOT, le document de référence pour l'urbanisme côtier peuvent être dangereuses.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ah !
Mme Dominique Voynet. En laissant le pouvoir de décision à ceux qui subissent les pressions des aménageurs, on court le risque d'accélérer l'urbanisation - j'ai vu que vous aviez bien identifié ce risque et prévu quelques filets de protection.
C'est un fait, la construction en zone littorale est plus étalée et plus individualiste que dans l'intérieur des terres, avec un phénomène d'appropriation de criques ou de chemins côtiers. Pour prévenir ce gaspillage d'espace, les experts prônent de favoriser les hébergements marchands, en gîtes ruraux notamment, créateurs d'emplois et offrant un meilleur taux d'occupation.
Pour éviter le « mitage » des côtes, on ne peut que plaider aux côtés de la DATAR pour des projets concertés d'aménagement. Je pense, par exemple, au syndicat mixte d'aménagement de la côte picarde, qui associe les communes, la région, les chasseurs et les écologistes dans la gestion d'espaces naturels et de structures touristiques respectueuses de l'environnement.
Ce n'est pas, évidemment, le seul problème que nous ayons à régler. Nous devons aussi prendre en compte l'utilisation de la mer à proximité, diminuer voire éradiquer les pollutions d'origine industrielle, urbaine, agricole, lutter contre la banalisation des milieux, notamment pour la création d'espaces de loisirs.
La qualité du littoral détermine aussi celle des milieux marins adjacents, y compris pour la ressource économique qu'ils représentent. La « mariculture », la conchyliculture, la pêche côtière dépendent étroitement de ce que nous faisons pour le littoral. Il faut accélérer, simplifier la réalisation des schémas de protection et de mise en valeur du milieu marin, et pas forcément y renoncer.
Le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre dernier a décidé d'affecter 8 millions d'euros supplémentaires au budget du Conservatoire de l'espace littoral prévu pour 2005, permettant à celui-ci de retrouver le niveau financier de l'année 2000. Néanmoins, les moyens accordés au Conservatoire sont insuffisants. L'objectif du « tiers sauvage », continuellement ressassé, ne doit pas être une incantation magique mais doit devenir une réalité.
Le CIADT a renoncé à modifier la loi littoral; nous ne pouvons, dans le contexte actuel, que nous en féliciter. Mais l'annonce de modifications de la loi par quelques décrets d'application nous inquiète beaucoup. Quels nouveaux mauvais coups préparez-vous ?
Je suis surprise que vous n'ayez pas pris en compte le rapport de Louis Le Pensec, lequel avait fait de nombreuses propositions intéressantes. La France a soutenu et approuvé le programme d'action de la convention sur la diversité biologique sur les zones marines et côtières, y compris sa révision lors de la dernière conférence des parties en février dernier.
Je suis sidérée de constater que, dans la pratique, l'Etat n'en tient absolument pas compte. A quoi servent donc les engagements français sur le plan international ?
L'Union européenne s'est fixé comme objectif de stopper la diminution de la diversité biologique d'ici à 2010. Aucune des mesures annoncées ne fait référence à cet engagement, pourtant confirmé par le Président de la République. Croyez-vous que vos propositions vont permettre d'atteindre l'objectif ? Je ne le pense pas.
Je pense tout particulièrement aux départements et aux territoires d'outre-mer. Les mangroves et les récifs coralliens sont parmi les écosystèmes les plus riches de la planète. Nous avons la responsabilité particulière de préserver ces milieux sur notre territoire.
Je sais que vous aimez la mer, monsieur le secrétaire d'Etat. Ne soyez pas le premier ministre de l'histoire à affaiblir une loi qui a su résister, jusqu'à aujourd'hui, à toutes les alternances politiques et à toutes les pressions ! (M Jean Desessard applaudit.)