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Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945
Discussion générale (suite)

Expulsion DES Étrangers

Adoption d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 360, 2003-2004), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945. [Rapport n° 403 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous dire ma satisfaction d'être parmi vous cet après-midi pour débattre d'une question essentielle, même si le texte qui vous est soumis est bref.

Je souhaite remercier le président de la commission des lois, M. René Garrec, et son rapporteur, M. Jean-René Lecerf, de leur contribution éminente à ce débat.

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 17 juin dernier et dont vous êtes saisis aujourd'hui permettra de protéger avec plus d'efficacité tous ceux qui vivent sur notre territoire, Français et étrangers, contre les agissements d'un petit nombre de ressortissants étrangers qui ne respectent pas la règle commune et qui doivent, pour cette raison, être expulsés.

Je sais que nous avons tous ici conscience de l'importance de ce débat. Ce qui est en jeu, c'est la sécurité de nos concitoyens, c'est le respect de nos valeurs et de la règle démocratique.

Soyons clairs sur l'objet de cette proposition de loi : l'expulsion est une mesure préventive, peu fréquente et réservée à des cas particulièrement graves de comportements qui troublent profondément l'ordre public. Certains de ces comportements ont particulièrement choqué l'opinion publique ces dernières années. Nous voyons en effet se développer en France des discours contraires aux valeurs les plus essentielles de notre République. Dans les médias, dans certaines salles de prières, dans des lieux de réunion, des ressortissants étrangers s'en prennent au statut des femmes, à leurs droits les plus fondamentaux, à leur intégrité physique.

Soyons lucides sur le risque que font courir les auteurs de ces faits. Ce sont des étrangers parfaitement en règle avec la législation sur le séjour en France et qui, pourtant, refusent explicitement les valeurs républicaines et les principes fondateurs de notre société. Ces individus, qui vivent parfois depuis longtemps sur notre territoire, n'hésitent pas à lancer des appels et des incitations à commettre des actes inadmissibles sur notre sol.

Ces actes n'ont rien de théorique ni d'anodin : le crime d'honneur dont les femmes ou les jeunes filles sont les victimes, l'application, sous prétexte de religion ou de tradition, des sévices les plus atroces, notamment dans le cadre familial, sont une réalité dans notre pays. Il dépend du ministre de l'intérieur et de la justice que ces pratiques ne s'étendent pas davantage.

Or nous constatons aujourd'hui que nous ne disposons pas des moyens de réponse appropriés.

D'abord, la voie judiciaire, qui est actionnée systématiquement en cas de faits avérés, n'est pas toujours suffisante pour faire cesser de tels agissements. D'une part, elle ne peut déboucher sur une sanction qu'une fois que les violences ont été établies, donc ont été commises. D'autre part, elle ne permet pas d'empêcher la répétition des faits.

Ensuite, la loi du 26 novembre 2003 a révélé, dès les premiers mois de son application, des limites sur un point précis qu'il vous est aujourd'hui proposé de corriger par la proposition de loi de MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer.

La loi comporte un principe fondamental qui distingue l'expulsion, à caractère préventif, de la sanction pénale, dont l'objet est clairement répressif. Elle a également institué un dispositif de prévention de la double peine, dont la nouvelle rédaction de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 est l'un des éléments importants. Cette réforme a mis fin à une pratique qui recourait fréquemment aux arrêtés d'expulsion en complément des peines d'emprisonnement et à l'issue de ces dernières.

Par cet article 26, vous avez décidé de limiter l'expulsion des étrangers dont les liens avec la France sont forts et anciens aux seuls cas dans lesquels leur attitude est en elle-même incompatible avec le maintien de tels liens. Il ne s'agit nullement de revenir sur le dispositif dit « anti-double peine », qui est l'un des points d'équilibre importants de la loi du 26 novembre 2003.

En effet, ladite loi prévoit que la protection contre l'expulsion n'est jamais absolue. Le dispositif ne s'applique pas dès lors qu'un étranger manifeste sans équivoque sa volonté de rupture avec les règles fondamentales de notre société. En prévoyant ces exceptions, le législateur a fait preuve de sagesse, en complète cohérence avec les règles protectrices qu'il a posées.

L'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 exclut du bénéfice de toute protection contre une expulsion les auteurs de provocations à la haine, à la violence ou à la discrimination en raison de l'origine ou de la religion. Ainsi, pour l'instant, l'article 26 fait dépendre le degré de protection du mobile de l'auteur et non des effets concrets que cette provocation est susceptible d'avoir sur l'auditoire.

C'est sur ce point que la loi doit être améliorée. L'objectif est non pas de punir l'auteur d'un acte précis, que les principes de notre droit constitutionnel nous obligeraient légitimement à définir au préalable avec toute la précision nécessaire, mais d'atténuer le risque que présenterait pour la société, dans l'avenir, un comportement dont les conséquences seraient menaçantes pour l'ordre et pour la sécurité publics.

En tant que ministre de l'intérieur, il m'appartient, face au comportement d'un individu qui appelle à la haine, à la violence ou à la discrimination, non pas de le sanctionner, ce qui relève de la justice, mais de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour l'éloigner de ses auditeurs habituels afin de les protéger de son influence et d'empêcher que des doctrines intolérables et contraires à nos valeurs ne se diffusent et ne se banalisent. Il relève de ma responsabilité de rendre impossibles la multiplication des passages à l'acte et la propagation d'un climat de haine et de violence.

Or, aujourd'hui, la loi ne permet pas de se fonder sur la seule gravité des provocations commises. Elle impose d'opérer une distinction, difficile à établir, entre les provocations à la haine, à la violence ou à la discrimination fondées sur un motif raciste ou pseudo religieux et celles qui sont fondées sur un autre prétexte.

Pourtant, jamais rien ne saurait justifier de telles provocations, quels qu'en soient les motivations ou l'objectif. Les appels à la violence contre les femmes, parce qu'elle sont femmes, sont tout aussi inadmissibles que ceux qui sont dirigés contre les personnes pratiquant une religion ou étant d'une origine déterminées.

Je voudrais répondre par avance à ceux qui croiraient déceler dans cette proposition de loi une atteinte à la liberté d'expression. Il ne s'agit naturellement pas d'instaurer des discriminations entre les personnes en raison de leurs opinions, si inadmissibles et scandaleuses qu'elles puissent être. Par ce texte, il s'agit de nous opposer à la diffusion et à la mise en pratique de ces discours lorsqu'ils menacent l'ordre public et les principes fondamentaux de la République.

La rédaction choisie par les auteurs de la proposition de loi répond à cet objectif et s'intègre harmonieusement dans le cadre législatif général, que je souhaite rappeler brièvement.

La première condition de fond de toute expulsion est inscrite à l'article 23 de l'ordonnance de 1945 : elle précise que seules les personnes dont le comportement constitue une menace grave pour l'ordre public peuvent être expulsées.

Les personnes protégées contre l'expulsion par l'article 26 susvisé, sous réserve des exceptions dont vous délibérez aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, sont également protégées par les articles 25 et 25 bis, qui définissent clairement les circonstances dans lesquelles l'expulsion n'est possible qu'en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique.

Le respect de l'ensemble de ces conditions est assuré par le juge administratif, qui exerce un contrôle vigilant sur l'exactitude de la qualification juridique des faits opérée par l'administration.

Le Gouvernement tient à ce que ce contrôle reste efficace et adapté à la réalité des enjeux. C'est pourquoi il envisage de confier l'ensemble des contentieux des arrêtés ministériels d'expulsion à une seule juridiction : le tribunal administratif de Paris. Ce regroupement permettra de limiter le risque de divergences d'appréciation de fond sur des dossiers présentant à juger les mêmes questions.

Les précautions qui ont été prises dans la rédaction de cette proposition de loi, notamment en prévoyant l'insertion des mots « explicite et délibérée », aideront d'ailleurs le juge administratif à préciser les conditions de la mise en oeuvre de la loi. Elles assureront son application équilibrée, conforme aux principes fondamentaux de notre droit, et éviteront que ne soient expulsées des personnes qui ne le mériteraient pas.

Tous ces éléments garantissent donc de façon très complète les personnes visées contre tout risque d'abus. Ils confortent la raison d'être des expulsions prononcées par arrêté ministériel, qui doivent non pas devenir un mode normal de gestion du séjour des étrangers en France, mais rester une mesure exceptionnelle, proportionnée à la réalité des menaces existantes.

Ces menaces, nous les connaissons ; nous savons qu'elles sont à prendre au sérieux. En effet, depuis les attentats commis à New York et à Madrid, nous sommes dans un contexte nouveau. Nous savons que, dans les années à venir, il nous faudra apprendre à vivre avec le risque terroriste. Cela ne veut pas dire que nous allons céder à la peur ; cela signifie que nous devons nous mobiliser et rester vigilants.

Or nous constatons aujourd'hui une véritable continuité du terrorisme, depuis les inspirateurs jusqu'aux poseurs de bombes.

Les premiers abusent de leur autorité et instrumentalisent les messages religieux pour inciter les futurs exécutants par leurs enseignements et leurs conseils. Les enquêtes policières menées après les attentats de Madrid sont venues confirmer cette nouvelle réalité du terrorisme.

Face à cela, nous ne pouvons pas attendre que les exécutants soient passés aux actes. Les inspirateurs seront déjà loin lorsque nous aurons assez de preuves pour les traduire en justice.

C'est pourquoi, je le répète, l'expulsion n'a pas pour objectif de punir de tels discours et de tels comportements. Elle doit donc être d'abord le moyen d'empêcher, de façon concrète, le passage à l'acte de la part des disciples de prédicateurs ou de maîtres à penser. En éloignant les inspirateurs, il s'agit bien de soustraire les auditeurs à leur influence.

Sur l'ensemble de ces questions, ma détermination est entière. Les décisions que j'ai prises depuis mon arrivée au ministère de l'intérieur en témoignent.

Je continuerai ainsi à expulser les étrangers qui soutiennent directement ou non le terrorisme et ceux, parfois les mêmes, qui appellent à la haine, à la violence ou à la discrimination.

Je proposerai la dissolution en conseil des ministres des mouvements qui appellent au terrorisme ou à la lutte armée en France ou à l'étranger.

MM. Josselin de Rohan et Roger Karoutchi. Très bien !

M. Dominique de Villepin, ministre. Je veillerai à ce que soient dénoncés à la justice les auteurs d'infractions pénales contre l'ordre et la sécurité publics, quelle que soit leur nationalité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui tend à clarifier et à renforcer la nouvelle législation relative aux étrangers. II ne s'agit ni d'une remise en question, ni d'une mesure de circonstance, mais bien d'une amélioration substantielle, parfaitement cohérente avec la volonté que vous avez exprimée en adoptant la loi du 26 novembre 2003.

Une fois votée, la proposition de loi aidera le Gouvernement à mieux protéger ceux qui souhaitent vivre en paix dans notre pays, Français et étrangers. Elle nous permettra de mieux défendre et faire respecter les valeurs communes de notre République. Elle confortera l'équilibre de notre législation sur le séjour des étrangers. Le Gouvernement soutient donc cette proposition de loi et vous engage à l'adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il me paraît important de bien cerner l'objet de la proposition de loi présentée par nos collègues députés Pascal Clément et Bernard Accoyer et adoptée sans modification par l'Assemblée nationale le 17 juin dernier.

Il ne s'agit en aucune manière de revenir sur l'esprit de la fort importante loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. Notamment, nul ne songe à remettre en cause les avancées généreuses concernant la double peine.

Les étrangers qui ont passé l'essentiel de leur vie en France et y ont tissé des liens familiaux, sociaux et culturels particulièrement forts bénéficieront, demain comme aujourd'hui, d'une protection quasi absolue contre les mesures d'éloignement.

La protection des « étrangers de France », telle que nous l'avons établie voici quelques mois, sortira de ce texte davantage confortée que compromise. Je me permets, à cette occasion, d'évoquer l'émotion de la commission des lois lors de la projection du film de Bertrand Tavernier Histoires de vies brisées : les double-peine de Lyon et la volonté unanime de porter remède aux situations particulièrement douloureuses vécues par certains étrangers et leurs familles.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il n'est donc pas question de rouvrir les débats qui ont permis, et je reprends les termes du groupe de travail sur la double peine, d'éviter d'une part, l'éloignement des étrangers qui sont en France depuis l'enfance, pour lesquels la double peine constitue un bannissement, d'autre part, l'éloignement d'étrangers qui provoquerait l'éclatement de familles stables.

Nous sommes simplement confrontés à un ajustement, à une adaptation permettant de remédier à une faille des dispositifs prévus par la loi du 26 novembre 2003 et de mettre ainsi en conformité l'intention du législateur, qui n'a pas varié, et la lettre de la loi.

Notre collègue Jean-Patrick Courtois écrivait dans son rapport sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité : « Certaines exceptions sont prévues à cette protection qui est pourtant qualifiée d'absolue. Elles recouvrent des comportements non seulement particulièrement graves au regard de la sûreté de l'Etat et au respect de l'ordre public, mais qui remettent également en cause la sincérité de leur attachement à la France et aux valeurs essentielles de la République ».

C'est ainsi que la protection absolue dont bénéficient certains étrangers peut être écartée lorsque leur comportement non seulement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou est lié à des activités terroristes - ce que la proposition de loi ne tend pas à modifier -, mais aussi constitue des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, à raison de l'origine ou de la religion des personnes.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C'est sur ce dernier point qu'est très vite apparu le caractère trop restrictif de l'exception et, partant, son incapacité à prendre en compte tous les actes discriminatoires portant des atteintes inadmissibles aux valeurs de notre République.

L'affaire Bouziane a simplement joué un rôle de révélateur. Lorsque cet imam salafiste de Vénissieux a tenu des propos aussi abjects qu'obscurantistes, justifiant la lapidation des femmes infidèles et préconisant, en usurpant l'autorité du Coran, de ne pas frapper les femmes n'importe où, pas au visage, mais de viser le bas, les jambes ou le ventre, est-il besoin de dire combien il a scandalisé, horrifié l'immense majorité de nos compatriotes comme celle des étrangers vivant sur notre sol ?

Tous les intervenants à l'Assemblée nationale, quel que soit le courant de pensée auquel ils se rattachent, se sont accordés pour affirmer que de tels personnages n'avaient pas leur place en France.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Au nom du groupe des députés communistes et républicains, le député-maire de Vénissieux déclarait, par exemple : « Je suis d'accord avec l'idée, sans complaisance, de l'expulsion de ces individus qui empoisonnent la société, pourrissent le crâne de nos gamins, portent atteinte à la liberté des adolescentes et des femmes. Ils n'ont rien à faire dans notre pays ».

M. Josselin de Rohan. Quel morceau de bravoure !

M. Charles Revet. S'ils sont chez nous, il faut qu'ils respectent nos lois !

M. Robert Bret. Il y a des exceptions qui confirment la règle !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Et pourtant, en analysant les exceptions prévues par l'article 26 de l'ordonnance de 1945, il est apparu que M. Bouziane n'aurait pu être expulsé du fait de pareils propos, puisque cette provocation à la discrimination et à la violence ne reposait ni sur l'origine, ni sur la religion des personnes.

S'il est une leçon générale à en tirer pour le législateur, c'est bien celle de la difficulté, pour une énumération, de s'avérer exhaustive. Ce qui importe, c'est bien de ne pas laisser l'Etat impuissant face à tous les actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, indépendamment de leur motif, qu'ils soient perpétrés à raison de l'origine, de la religion, du sexe, des convictions politiques, des orientations sexuelles des personnes ou pour toute autre cause qui trahirait de la même manière les valeurs de la République.

On ne fait ici encore que se rapprocher des préconisations du groupe de travail sur la double peine, qui avait estimé souhaitable que « la liste des comportements en cause soit rédigée de manière suffisamment large pour ne pas viser des infractions précisément déterminées. En effet - poursuivait le groupe de travail - si la plupart des mesures d'expulsion sont fondées sur des infractions et des condamnations pénales effectives, certaines procèdent d'une accumulation précise de faits qui donnent à penser que la personne est dangereuse alors même qu'elle n'a pas commis d'infraction précise ou que les preuves pénales n'ont pas été réunies ».

C'est bien cette accumulation d'indices, ce faisceau de soupçons qui donnera à l'Etat les moyens de lutter efficacement contre ces prédicateurs de la haine, contre ceux qui incitent au meurtre et s'emploient à faciliter le passage à l'acte par des jeunes qu'ils manipulent. Cette rectification législative s'avère d'autant plus importante que la voie judiciaire ne permet pas toujours de réprimer aisément de tels agissements.

Une seule question reste, à mon sens, en débat : la rédaction proposée n'ouvre-t-elle pas trop largement la possibilité d'interpréter la loi,...

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...compromettant ainsi l'équilibre auquel nous étions parvenus l'an dernier entre l'intérêt de la collectivité et les droits des étrangers ?

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. De multiples raisons m'amènent à ne pas partager cette crainte...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très mal ! (Sourires.)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...et à exprimer, au contraire, ma totale conviction que le recours à la procédure d'expulsion d'étrangers protégés, qui doit demeurer véritablement exceptionnelle, sera limité.

Ces garanties sont le fruit tant de la loi que de la jurisprudence.

D'une part, en vertu de la rédaction proposée qui renforce sur ce point la protection de l'étranger protégé, la provocation devra être « explicite et délibérée ». Les propos ne pourront donc ni prêter à l'interprétation du juge ni relever d'un malheureux dérapage verbal involontaire.

D'autre part, les garanties établies aux articles 24, 25 et 25 bis de l'ordonnance s'appliquent bien évidemment aux expulsions prononcées en vertu de l'article 26. Quoique les réformes successives de l'ordonnance de 1945 puissent parfois en rendre malaisée la compréhension, il est clair que l'expulsion d'un étranger bénéficiant d'une protection absolue mais entrant dans les cas d'exceptions législatives ne peut être prononcée que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique.

Par ailleurs, l'intéressé doit préalablement avoir été informé et doit avoir été entendu par la commission de l'expulsion, qui doit rendre un avis motivé à l'autorité administrative compétente.

Enfin, toute expulsion, en tant que mesure de police administrative, est soumise au contrôle de légalité du juge administratif, qui aura la possibilité de statuer au préalable en référé et de suspendre, en procédure d'urgence, l'exécution de l'arrêté d'expulsion.

Pour toutes ces raisons, votre commission, mes chers collègues, a considéré que cette proposition de loi n'avait que des avantages pour une protection efficace de notre société et ne comportait aucun inconvénient au regard du respect des libertés individuelles comme des libertés publiques. Aussi vous est-il proposé d'adopter cette proposition sans modification. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 20 minutes ;

Groupe socialiste, 13 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 8 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 7 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 5 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes cet après-midi réunis pour discuter d'une proposition de loi modifiant l'ordonnance de 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

Ce sujet important avait déjà fait l'objet, l'an passé, d'un débat lors de l'examen de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

Le texte présenté aujourd'hui revient sur l'article 26 de l'ordonnance de 1945, par ailleurs modifié par la loi précitée afin de restreindre le champ d'application de la double peine et d'éviter l'expulsion des étrangers vivant en France depuis leur enfance et ayant une famille et des attaches sur notre territoire.

La proposition de loi revient sur cet article afin de permettre l'expulsion des personnes ayant tenu des propos provocateurs à l'encontre de personnes pour des raisons liées à leurs origines, à leur religion, à leur sexe ou à leurs convictions politiques.

Cette proposition a été déposée à l'Assemblée nationale peu de temps après le retour en France de M. Abdelkader Bouziane, imam de Vénissieux.

Il est inutile de rappeler que M. Bouziane a tenu dans la presse des propos discriminatoires et intolérables à l'égard des femmes. D'après lui, « battre sa femme est autorisé par le Coran ». L'arrêté d'expulsion dont était l'objet M. Bouziane avait été suspendu par le tribunal administratif de Lyon au motif qu'il existait un doute sérieux sur la légalité de l'acte, rien n'en justifiant la nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat.

Ces propos, qui nous ont tous choqués, n'auraient donc pas pu entraîner l'expulsion de cet étranger au regard de notre droit.

C'est pour remédier à ce vide juridique que nous nous devons de voter en faveur de cette proposition de loi qui, par sa formulation, inclut les provocations à l'encontre des personnes en raison de leurs origines, de leur religion, de leur sexe ou de leurs convictions politiques.

Nous souscrivons à toute initiative ayant pour but de sanctionner les incitations à la haine.

Il est aujourd'hui impossible de fermer les yeux devant la multiplication des agressions antisémites, islamophobes ou encore homophobes. Comment ne pas penser à ces croix gammées peintes sur le mémorial juif de Douaumont ou à ce jeune homme immolé à Lens sous prétexte qu'il était homosexuel ?

Il faut être inflexible et adresser un message fort pour fustiger ce type d'attitude. Ceci est d'autant plus important que nos voisins européens ont, eux aussi, à se préoccuper de ces agressions. En Allemagne, le projet de loi adopté le 1er juillet réformant le droit des étrangers prévoit également des mesures facilitant l'expulsion d'étrangers considérés, du fait de leurs propos, comme particulièrement dangereux pour l'ordre public.

Il nous appartient de montrer l'exemple en évitant que le communautarisme, qui ne cesse de se développer en France, ne vienne gangrener les relations entre les personnes de cultures et de religions différentes qui résident dans notre pays. Il n'est pas moins vrai que les événements récents nous invitent à agir avec prudence pour éviter des réactions renforçant le communautarisme et exacerbant les tensions.

La rédaction de la proposition de loi avait suscité l'inquiétude d'un certain nombre de personnes qui craignaient que puissent être expulsés des étrangers qui auraient prononcé des paroles pouvant prêter à confusion. Vous avez, monsieur le ministre, donné à cet égard des précisions et nous avez rassurés en nous confirmant que la nouvelle rédaction de l'article 26, qui précise que la provocation doit être « explicite et délibérée », permettra d'éviter que l'expulsion ne soit prononcée sur la seule base d'un dérapage verbal involontaire.

Par ailleurs, il faut préciser que, en vertu de l'article 25 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, l'expulsion ne peut intervenir que lorsqu'elle constitue une « nécessité pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique ». C'est le ministre de l'intérieur qui est compétent pour prendre les arrêtés d'expulsion.

Cette proposition de loi apparaît, aux yeux de certains, circonstancielle. Effectivement, elle est en rapport avec l'événement, mais avec le double mérite de mettre en lumière un vide juridique et peut-être de rappeler, comme l'aurait dit le général de Gaulle, que « les circonstances font souvent l'histoire ». (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).)

M. Josselin de Rohan. Très bien !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il savait de quoi il parlait !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qu'il nous est proposé d'adopter aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de la réforme du droit au séjour des étrangers en France entreprise en novembre 2003 lors du vote de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, l'un des textes majeurs de cette législature.

Celui-ci nous a notamment permis de remédier à la situation parfois très difficile dans laquelle étaient placés des étrangers faisant l'objet de mesures d'éloignement du territoire alors qu'ils possédaient des liens étroits avec notre pays. La double peine constituait en effet une véritable injustice à laquelle il était indispensable de mettre un terme. En introduisant le principe de la protection quasi absolue au bénéfice des étrangers ayant de fortes attaches, depuis longtemps, sur le sol français, nous avons apporté la garantie que les mesures d'expulsion conserveraient un caractère exceptionnel.

A l'expérience, ce dispositif a cependant révélé des insuffisances et des faiblesses juridiques qu'il convient aujourd'hui de corriger.

Depuis quelques mois, Mme Gourault l'a rappelé, nous assistons en effet à la multiplication d'attaques frontales menées contre les valeurs de la République par une petite minorité de ressortissants étrangers.

Les préoccupations et l'émotion qui en sont nées sont légitimes.

Les propos tenus par l'imam de Vénissieux en avril dernier - il s'en est pris aux droits les plus fondamentaux des femmes et à leur intégrité physique -, en sont la plus récente et regrettable illustration. La dignité des femmes a été bafouée sans que rien à ce jour ne puisse empêcher ce type de comportement de se renouveler sur notre territoire.

Si nous disposons aujourd'hui d'instruments en matière pénale pour sanctionner ce type de comportement - le parquet de Lyon a d'ailleurs ouvert, le 28 avril, à 1a demande du ministre de la justice, une information judiciaire contre l'imam de Vénissieux -,...

M. Roger Karoutchi. ...il n'en est pas de même dans le domaine administratif. En effet, comme l'a brillamment rappelé notre rapporteur, l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 tel qu'il est actuellement rédigé ne permet l'expulsion qu'en cas de « provocations à la discrimination, la haine ou la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes ». Cette formulation apparaît aujourd'hui désuète eu égard aux événements que je viens de mentionner. En outre, je rappelle qu'en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi, les dispositions qui sont aujourd'hui soumises à notre examen ne s'appliqueront pas à l'imam de Vénissieux et qu'il ne s'agit donc pas d'apporter une réponse à cette affaire. Non, il s'agit de donner à l'administration les moyens adéquats de lutter à l'avenir contre ce type de comportement et d'empêcher qu'ils ne se reproduisent. C'est tout le sens de cette proposition de loi, tout à la fois adaptée et nécessaire.

Elle est adaptée, car tout y est fait pour protéger non seulement les Français mais encore les étrangers durablement installés sur notre territoire dans le respect de nos valeurs. Le judicieux équilibre auquel nous permettra de parvenir cette nouvelle loi est le préalable indispensable à la préservation de la paix dans laquelle vit et souhaite vivre notre société. Les termes retenus par l'Assemblée nationale me paraissent de ce point de vue les plus pertinents. Volontairement larges et neutres, ils permettront en effet d'élargir le champ des provocations attentatoires, actuellement restreint aux notions de religion et d'origine.

Cette proposition de loi est par ailleurs nécessaire. Il fallait, en effet, et dans les plus brefs délais, apporter une réponse législative pour combler ce vide juridique. Il fallait éviter que le renouvellement de tels actes ne reste impuni. Il fallait affirmer, de manière générale et ferme, comme l'a fait régulièrement M. le ministre, que les étrangers se trouvant sur le sol français se doivent de respecter les valeurs de la République.

D'aucuns - Jacqueline Gourault l'a dit- crieront au texte de circonstance. Après tout, n'est-ce pas la responsabilité du législateur que de répondre aux évolutions de la société lorsque celles-ci constituent une menace à l'encontre de nos valeurs fondamentales ?

D'autres trouveront bien, ici et là, prétexte à brandir le spectre des risques d'abus. Il n'en est rien puisque la formule « explicite et délibérée » empêchera justement que ne soit sanctionné un individu sur la base d'un dérapage verbal ou, pire, d'un procès d'intention. Le juge administratif continuera, par ailleurs, d'exercer un contrôle vigilant et efficace sur l'exercice de ses pouvoirs par l'administration.

Mes chers collègues, le sujet est grave et il devrait nous éviter les débats partisans. Il est de notre devoir de prendre nos responsabilités dans le cadre républicain pour protéger nos concitoyens de ceux qui voudraient en ébranler les fondements essentiels.

Je ne suis pas un habitué des citations mais, pour une fois, je citerai Albert Camus, qui disait : « Si l'homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échouera à tout ».

L'occasion nous est donnée aujourd'hui de garantir la pérennité de ces deux notions au coeur de notre pacte républicain. Nous n'avons pas le droit d'échouer. C'est pourquoi notre groupe suivra les recommandations de M. le rapporteur, que je tiens à remercier et féliciter de son excellent rapport, et adoptera cette proposition de loi dans les termes qui lui sont soumis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 octobre dernier, le Parlement adoptait la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. A une très large majorité, il a voté la modification de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

Cette réforme, qui se voulait « humaine », pour reprendre le mot de M. Courtois, rapporteur du projet de loi au Sénat, visait à protéger des procédures d'éloignement les étrangers ayant des attaches particulières avec la France, soit qu'ils y résident depuis très longtemps, soit qu'ils y aient toute leur famille au point d'être devenus des « étrangers de France ».

Le groupe communiste républicain et citoyen avait soutenu la réforme de la double peine. Il la réclamait depuis longtemps, au travers de propositions de loi et d'amendements récurrents. Le Gouvernement et sa majorité, ici représentés, avaient également voulu cette réforme, jugeant alors la double peine « non seulement injuste mais inefficace », comme l'avait dit parfaitement le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Nicolas Sarkozy.

Moins de six mois plus tard, le Parlement est en train de se déjuger...

M. Jean Chérioux. Absolument pas !

M. Roger Karoutchi. Cela n'a rien à voir !

M. Robert Bret. ...en proposant une réforme qui va à l'encontre des principes défendus alors. Il s'apprête à légiférer pour les plus mauvaises raisons qui soient : répondre à une situation particulière. En effet, cette proposition de loi a pour origine directe la mise en cause d'Abdelkader Bouziane, l'imam de Vénissieux, qui, dans une interview au journal local Lyon Mag, avait justifié par le Coran le fait d'infliger des châtiments corporels à une femme infidèle.

Devant ces propos intolérables, vous aviez, monsieur le ministre, pris un arrêté d'expulsion à l'encontre de cet individu au mois d'avril, arrêté qui a été suspendu en référé par le tribunal administratif de Lyon pour doute sérieux quant à sa légalité. Entre cette annulation et l'adoption d'une proposition de loi déposée sur l'initiative de l'UMP à l'Assemblée nationale, à peine un mois et demi se sera écoulé.

Cette proposition de loi est donc très clairement destinée à paralyser une interprétation de la loi par les tribunaux, interprétation que beaucoup ont qualifiée de « camouflet ». (M. Jean Chérioux s'exclame.)

Faire échec, monsieur Chérioux, à une décision de justice, c'est certainement l'une des plus mauvaises justifications que l'on peut avancer pour modifier une loi qui date de six mois à peine et dont les décrets d'application n'ont même pas encore été publiés, donc alors même que les dispositions transitoires sur la double peine s'appliquent encore aujourd'hui.

Ce faisant, vous créez une insécurité juridique permanente, paralysant l'action des magistrats au moment même où ils font leur travail en appliquant la loi.

M. Jean Chérioux. Ils sont là pour appliquer la loi, pas pour la faire !

M. Robert Bret. Pourquoi cet empressement, monsieur le ministre ? Pourquoi ne pas avoir attendu la décision de justice définitive, puisque - faut-il le rappeler ? - le Conseil d'Etat ne s'est toujours pas, à ma connaissance, prononcé sur le recours contre la décision de référé du tribunal administratif de Lyon et que, en tout état de cause, il n'y a pas eu de décision au fond ?

Et tout cela au nom de la cause des femmes ?

Vouloir lutter pour la défense des droits des femmes qu'un certain fondamentalisme islamiste tente de réduire à néant en prônant le port du voile et la lapidation des femmes infidèles nécessite, me semble-t-il, une réponse autrement plus forte et plus profonde qu'une proposition de loi circonstancielle, monsieur le ministre, qui nous empêche de débattre de ces vrais problèmes.

M. Roger Karoutchi. Que proposez-vous ?

M. Robert Bret. En effet, la proposition de loi qui nous est soumise n'évite pas deux écueils fondamentaux : d'une part, laisser croire que de tels agissements sont l'apanage de quelques groupes islamistes de nationalité étrangère qu'il suffit d'éloigner du territoire pour résoudre le problème ; d'autre part, faire croire que les faits en cause ne seraient pas réprimés aujourd'hui par le droit pénal et qu'à l'immunité dont bénéficieraient leurs auteurs répondrait la logique de l'expulsion, alors même que les faits en cause font actuellement l'objet d'une instruction judiciaire pour apologie de crime.

Vous nous expliquez que cette proposition de loi va au-delà de l'affaire de l'imam de Vénissieux, qu'elle s'inscrit dans la logique de la loi qu'elle vise à améliorer en en respectant les principes. Il n'en reste pas moins, quoi que vous en disiez, qu'il s'agit d'une loi de circonstance, la plus malvenue qui soit.

En élargissant considérablement le champ des exceptions au dispositif de la double peine, en permettant désormais d'expulser les étrangers ayant des attaches particulières avec la France non seulement en cas d'atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, d'activité à caractère terroriste ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion, mais encore pour toute « provocation explicite et délibérée à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes », ...

M. Robert Bret. ...cette proposition autorisera toutes les interprétations possibles, y compris, par exemple, la sanction de réfugiés ayant tenu des propos sans appel à l'égard d'un gouvernement totalitaire ou d'une milice armée d'un pays qu'ils ont souhaité fuir en tant que victimes de persécutions !

C'est pourquoi le groupe CRC est particulièrement hostile à cette proposition de loi, à laquelle notre assemblée, dont l'ordre du jour était déjà surchargé, ne pourra que consacrer qu'une petite heure de débat. Le sujet est vraiment trop grave pour être traité avec tant de désinvolture !

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Roland du Luart. Ils ne manquent pas d'air !

M. le président. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme à chaque fois que la Haute Assemblée examine un texte qui concerne de près ou de loin la question de l'immigration, je partagerai mon propos en deux points, mes anciens et illustres professeurs auraient dit en deux parties, dont la thèse peut une fois de plus se résumer ainsi : le texte qui nous est aujourd'hui présenté, s'il est nécessaire et s'il constitue un progrès pour toute la France, est, pour la Guyane, très largement insuffisant en matière tant d'immigration clandestine que d'expulsion, son corollaire indispensable.

Depuis l'adoption par le Parlement de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, notre pays dispose d'outils efficaces pour endiguer les flux migratoires et lutter contre l'immigration irrégulière.

Ainsi avons-nous instauré un fichier d'empreintes digitales et de photos à partir des demandes de visa et des contrôles à la frontière, et allongé la durée maximale de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière.

Nous avons également permis - enfin ! - aux maires de refuser la délivrance d'une attestation d'hébergement après vérification des conditions de cet hébergement et de sa prise en charge, et je n'aurais garde d'oublier l'alourdissement des peines contre les passeurs, par l'instauration de circonstances aggravantes.

Nombreuses sont donc les mesures contenues dans ce texte, adopté à l'automne, qui permettent de renforcer notre législation en la rendant plus ferme, mais toujours très juste !

II en est de même en matière de lutte contre le terrorisme puisque, avec l'adoption de cette loi, nous avons autorisé le retrait de la nationalité française pour fait de terrorisme. D'ailleurs, en la matière, ne faudrait-il pas, monsieur le ministre, aller encore plus loin, comme le préconisait M. Aymeri de Montesquiou dans sa proposition de loi visant à rendre incompressibles les peines et imprescriptibles les crimes en matière de terrorisme, et dont le groupe du Rassemblement démocratique social européen entend proposer l'examen durant la prochaine session parlementaire ?

Il est aujourd'hui question de compléter l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

A ce jour, trois dérogations permettent l'expulsion de personnes dont le comportement grave remet en cause la sincérité et l'authenticité de leur attachement à la France et à la République.

La première de ces dérogations concerne les étrangers « dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat » ; la deuxième vise les étrangers dont les actes sont liés à des « activités à caractère terroriste » ; la troisième, celle qui nous intéresse précisément aujourd'hui, concerne les étrangers dont les comportements constituent des « actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion ». Cette dernière exception est clairement inadaptée à la situation actuelle. Il apparaît urgent de la modifier pour la mettre en adéquation avec la nouvelle réalité.

C'est la raison pour laquelle la proposition de loi de nos deux collègues députés est une excellente et judicieuse initiative, à laquelle je souscris totalement.

En effet, le régime dérogatoire en vigueur est fortement restrictif quant à la nature des actes de provocation pouvant justifier une expulsion, et ce malgré le dispositif de protection prévu à l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.

En limitant cette dérogation aux seuls actes de discrimination à raison de l'origine ou de la religion, nous avons permis un vide juridique susceptible de profiter à des individus dont les idées et les agissements sont dangereux pour les valeurs fondatrices de notre République.

En revanche, la rédaction que nous propose l'Assemblée nationale permet de combler ce vide juridique en couvrant l'ensemble des actes de provocation et de discrimination. Elle donnera ainsi aux pouvoirs publics les moyens juridiques qui leur font aujourd'hui défaut pour résister et combattre les actes contraires aux valeurs qui fondent notre République et ainsi éloigner leurs auteurs du territoire national.

Lorsque j'évoque le territoire national, monsieur le ministre, je dois également parler d'une fraction particulière de ce territoire : la Guyane ! Elle fera l'objet, vous l'aurez compris, de ma seconde partie.

En matière d'immigration clandestine massive comme d'expulsion, qui constitue, je le disais, son indispensable corollaire en termes de régulation, la Guyane est confrontée à une situation d'urgence très spécifique sur laquelle, monsieur le ministre, je me dois de vous alerter, comme je l'ai fait avec vos prédécesseurs.

Quand on évoque l'immigration en Guyane, on ne peut faire l'impasse sur son contexte et sa situation démographiques, géographiques, économiques et culturels, car c'est cet ensemble qui structure et explique la spécificité guyanaise.

La Guyane compte 160 000 habitants. Sa population est composée à plus 50 % de personnes appartenant à des communautés étrangères, de cent trente nationalités différentes, réparties sur vingt-deux communes qui recouvrent un territoire aussi grand que le Portugal !

La Guyane représente, dans son environnement régional, un pôle de prospérité très attractif, caractérisé par un niveau de vie sans commune mesure avec celui des pays avoisinants.

M. Georges Othily. Dans ce contexte très particulier, la Guyane apparaît par conséquent comme un véritable Eldorado, suscitant une immigration massive en provenance du Surinam, du Guyana, d'Haïti ou encore du Nordeste brésilien. Vous aurez compris que la Guyane n'est plus française, mais internationale !

Cette forte immigration clandestine se caractérise comme nulle part ailleurs sur le territoire français par ce que j'appelle une « immigration-guichets ». Ces populations viennent, en effet, en Guyane exclusivement pour bénéficier de prestations sociales en tous genres, qui, aussitôt touchées, sont rapatriées dans les pays d'origine de leurs bénéficiaires. Bien loin de nous apporter un soutien pour accélérer notre développement économique, cette immigration nous handicape et nous retarde très fortement du fait de son coût sans fin, véritable tonneau des Danaïdes. Cela revient à faire, indirectement et sans que nous l'ayons décidé, de l'aide au développement à nos pays voisins !

Si bien que, si la Guyane fait figure de région surdéveloppée sur le continent sud-américain, elle n'en demeure pas moins l'une des régions françaises et européennes les plus pauvres et les plus retardées en matière économique.

Ce que j'essaie de vous dire, monsieur le ministre, c'est que l'immigration clandestine massive, d'un côté, et le sous-développement de la Guyane, de l'autre, sont bien évidemment liés dans une relation directe de cause à effet. C'est pourquoi la spécificité guyanaise appelle des remèdes spécifiques sans commune mesure avec ceux qui sont actuellement en vigueur et qui suffisent pour la métropole.

Parmi ces remèdes, il faut augmenter pour la Guyane les possibilités de dérogation permettant d'expulser certaines catégories d'étrangers. Je vous invite, monsieur le ministre, à venir sur place et à vous rendre compte par vous-même de l'ampleur et de l'urgence de la situation, comme l'a fait votre prédécesseur.

Je me tiens à votre disposition pour travailler avec vous et avec vos services à une amélioration sensible de la situation de l'immigration en Guyane afin de parvenir à une régulation des flux dans les deux sens : côté entrée, une immigration légale et maîtrisée ; côté sortie, l'expulsion nécessaire des personnes qui abusent de nos valeurs républicaines de générosité et d'humanité pour instaurer des trafics de type mafieux !

Il faut cependant saluer l'excellent travail qu'effectuent le représentant de l'Etat et les services judiciaires en menant les différentes opérations Anaconda pour la destruction de villages entiers d'orpailleurs clandestins.

Enfin, une fois n'est pas coutume, je souhaiterais vous poser une question, monsieur le ministre : votre prédécesseur, conscient du fait que la Guyane constitue en matière d'immigration un cas singulier et, après s'être rendu sur place, renforcé dans sa conviction qu'une action sur mesure ne pouvait plus attendre, avait consenti à reconnaître la spécificité de la Guyane en permettant l'adoption à l'Assemblée nationale d'un amendement visant à créer un article 93 dans le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

Cet amendement tendait à prévoir la mise en place « d'une commission composée de parlementaires, de représentants de l'Etat et des collectivités territoriales, ainsi que des acteurs socio-économiques, chargée d'apprécier les conditions d'immigration en Guyane et de proposer les mesures d'adaptation nécessaires ». Le deuxième alinéa de cet amendement prévoyait : « La première réunion de cette commission est convoquée au plus tard six mois après la publication de la présente loi ». Or, monsieur le ministre, plus de six mois ont passé et cette commission n'a jamais vu le jour. Qu'en est-il donc ?

Peut-être l'explication doit-elle être recherchée dans le fait que l'on attend toujours la sortie des décrets d'application de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité ? Je rappellerai simplement que, sur ce texte, l'urgence avait été déclarée, à juste titre, d'ailleurs, par le Gouvernement.

Nous voilà donc aujourd'hui dans cette situation étrange où nous sommes amenés à débattre d'une proposition de loi visant à améliorer une loi promulguée il y a plus de six mois mais qui n'est toujours pas entrée en vigueur malgré son caractère d'urgence et de priorité nationale pour la France... et peut-être plus encore pour la Guyane !

En tout état de cause, monsieur le ministre, compte tenu des précisions que vous avez apportées et parce que nous estimons que cette proposition de loi améliore le dispositif, nous sommes favorables à son adoption. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le ministre, nous revenons ici sur un texte modifié moins d'un an auparavant par votre prédécesseur et dont les décrets d'application - plusieurs orateurs l'ont rappelé - ne sont même pas encore publiés.

La proposition de loi que nous examinons fait suite, monsieur le ministre, à vos propos en date du 19 mai 2004 : en réponse à une question d'actualité à l'Assemblée nationale, vous prétendiez vouloir « inclure les incitations aux violences contre les femmes dans l'ordonnance de 1945, afin que de telles provocations donnent lieu à des expulsions ».

L'affaire en question est compliquée. Certes, l'imam de Vénissieux a tenu des propos dégradants envers les femmes et, par cela même, a outragé notre République.

Il était nécessaire de réagir, et de le faire de façon significative, pour montrer la détermination de l'Etat à garantir à tous la liberté, l'égalité et la fraternité.

Cependant, la proposition de loi ne se borne pas à viser les incitations aux violences contre les femmes mais concerne toute « provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

Tout d'abord, je pense qu'une loi n'est pas opportune : le présent texte ressemble par trop à une loi de circonstance. Il en est même, cela a été dit, l'exemple type.

En tant que parlementaires et législateurs, nous devons exercer notre mission dans la sagesse et la sérénité, de même que nous ne devons n'avoir d'autre but que l'intérêt général.

Or ce texte semble motivé par la situation d'un seul individu et par le battage médiatique auquel elle a donné lieu.

J'ajoute qu'il est tout à fait inacceptable pour la République d' « inventer » une loi avec pour seul but de se débarrasser d'un individu gênant. Si le ministère de l'intérieur est incapable de produire au tribunal administratif des éléments suffisants pour expulser un individu, celui-ci doit pouvoir rester sur notre sol.

Ne vous méprenez pas : je ne suis pas un défenseur de cet odieux personnage, mais nous traitons ici d'un texte inique, qui résulte d'un cas particulier, d'une affaire compliquée, d'une réaction à l'impressionnant battage médiatique lui-même suite d'une décision d'un tribunal administratif.

De plus, faire figurer cette proposition de loi au sein de l'ordre du jour de la session extraordinaire, sans doute à la place d'autres textes plus importants et alors que vous avez écarté, par exemple, le projet de loi contre l'homophobie, dénote une certaine incohérence.

M. Robert Bret. Eh oui !

Mme Nicole Borvo. C'est une orientation !

M. Josselin de Rohan. C'est plus urgent que l'homophobie !

M. Charles Gautier. La politique du Gouvernement elle-même est incohérente, puisque la proposition de loi est une véritable négation des avancées que M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait bien voulu concéder en matière de double peine.

J'aimerais d'ailleurs rappeler, à cette occasion, que nous avions alors reproché à M. Sarkozy de prôner des avancées qui risquaient de n'être que des mesures d'affichage. Le groupe socialiste du Sénat avait malgré tout soutenu ces avancées, mais nous avons confirmation aujourd'hui du manque de volonté du Gouvernement.

De plus, et c'est le point le plus important, M. Sarkozy affirmait, lors du débat sur la double peine, que la liste des exceptions à la protection devait rester « simple et ciblée ».

Or la proposition de loi qui nous est soumise est tellement large dans son libellé qu'elle risque d'en devenir dangereuse dans son application, en raison de l'insécurité juridique qu'elle produirait.

Cette proposition de loi est inacceptable : elle est tellement large qu'elle s'appliquerait à toutes les violences. On peut même s'inquiéter de savoir ce qu'il adviendrait de la liberté d'expression avec un tel texte.

Il est important de faire attention à ce que la capacité d'expulsion du ministre de l'intérieur ne devienne pas un pouvoir exorbitant.

En regrettant de ne pas avoir le temps de revenir sur le débat concernant la double peine, et sans vouloir relativiser la gravité que peuvent revêtir des propos, qu'ils soient racistes, sexistes ou homophobes, je prétends qu'avec ce texte nous mélangeons tout : nous mettons sur le même plan des actes de terrorisme et de simples paroles !

Bien sûr, il faut lutter contre l'obscurantisme en général et contre les propos antidémocratiques. Mais l'expulsion doit rester une mesure exceptionnelle.

Nous devons rester extrêmement vigilants et absolument éviter les amalgames si fréquents entre arabes, musulmans, intégristes et étrangers, parce que c'est par ces discours que nous permettons à un imam comme celui de Vénissieux de prêcher comme il le fait et d'être écouté. Les Français musulmans sont de plus en plus nombreux à se sentir exclus de nos discours. Ils se tournent alors vers celui qui, près de chez eux, les interpelle.

C'est à l'islam de se plier aux lois de la République, mais ce n'est pas avec des mots que nous combattrons l'intégrisme. C'est avec des actes et par l'application stricte des lois de notre République.

M. Louis Moinard. C'est précisément pour cela que nous légiférons !

M. Charles Gautier. Les expulsions ne doivent pas engendrer les exclusions.

La République doit réaffirmer sa détermination à lutter contre ses détracteurs sur son propre territoire.

Les faits quotidiens viennent nous rappeler que notre lutte contre ce genre de personnage doit être sans merci. Mais une réponse appropriée doit être recherchée afin de ne pas attiser plus encore les braises de la haine. Nous percevons, à cet égard, l'inutilité du texte qu'il nous revient d'examiner en ce lendemain du 14 juillet, date symbolique s'il en est... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique de Villepin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite d'abord vous remercier de vos interventions, qui éclairent très utilement notre débat, et remercier en particulier votre rapporteur, M. Lecerf.

J'ai bien entendu les arguments exprimés par chacun, et je tiens à y répondre aussi précisément que possible.

Madame Gourault, je partage votre avis sur la nécessité de ne pas légiférer « à chaud » pour traiter de problèmes ponctuels. Je pense très sincèrement que les auteurs de cette proposition de loi n'ont pas cédé à cette tentation.

Les problèmes qu'il s'agit aujourd'hui de régler n'ont rien de ponctuel ou de contingent. Il s'agit bien de nous doter de tous les moyens nécessaires pour répondre efficacement aux menaces précises et nouvelles qui pèsent sur notre collectivité nationale. Je ne doute pas que nous soyons une grande majorité dans cette assemblée à partager cette conviction.

Pour que l'expulsion garde sa raison d'être, il est impératif de la réserver aux situations les plus graves. La loi est sans équivoque et le juge veille avec vigilance à son respect. Il n'y a donc rien à craindre sur ce point.

Monsieur Karoutchi, je partage l'appréciation positive que vous portez sur la proposition qui est aujourd'hui soumise au Sénat. Vous en avez rappelé très justement l'esprit, qui est bien l'amélioration de la législation sur l'expulsion et non sa remise en cause.

Je partage également votre avis sur le fait que cette proposition de loi confirme les choix opérés par le législateur en matière de double peine et les équilibres qui résultent des débats parlementaires de 2003. Il nous appartient d'appliquer la loi et la proposition qui vous est soumise aujourd'hui y contribuera.

Monsieur Bret, vos craintes ne sont pas fondées. Ainsi que l'a très précisément exposé le rapporteur de la commission des lois, il ne s'agit pas d'ouvrir à nouveau le débat sur la double peine, débat qui a conduit, vous le savez, à une solution équilibrée, inscrite dans la loi du 26 novembre 2003.

Ce débat concernait d'abord les interdictions de séjour sur le territoire français prononcées par les tribunaux judiciaires à titre de peine complémentaire pour certaines infractions. Pour ces condamnations, il est effectivement possible de parler de « double peine ».

Le régime des peines complémentaires relève du code pénal et non de l'ordonnance de 1945 ; la loi du 26 novembre 2003 l'a réformé afin de limiter la possibilité pour les tribunaux de prononcer une interdiction du territoire à l'encontre des étrangers disposant d'attaches fortes avec la France.

La proposition de loi que le Sénat examine n'a aucune incidence sur le régime de l'interdiction judiciaire du territoire.

L'expulsion, cela a été dit dans les interventions précédentes, est non pas une sanction, mais une mesure de police à caractère préventif. Elle n'est donc pas qualifiable de « double peine », sinon par abus de langage.

La très grande majorité des expulsions sont prononcées par arrêté préfectoral. Ces mesures ne sont pas davantage concernées par la proposition de loi.

Un très petit nombre d'expulsions - quelques dizaines par an - sont prononcées par arrêté du ministre de l'intérieur. Elles concernent les cas les plus graves et présentent un caractère de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique.

C'est à une petite partie de ces expulsions, mesdames, messieurs les sénateurs, que les dispositions dont vous débattez sont susceptibles de s'appliquer.

En améliorant la rédaction de la loi sur ce dernier point, nous faisons oeuvre de responsabilité et de justice. Je crois, par ailleurs, que nous contribuons à la bonne compréhension de ce texte par l'opinion, qui peut difficilement accepter la situation actuelle, laquelle fait dépendre la possibilité d'expulser du mobile inspirant les auteurs des comportements et non de la gravité de leurs conséquences.

La juste mesure de la question étant rappelée, je voudrais répondre rapidement aux objections liées à la question de l'intégration des étrangers en France.

Ma réponse sera simple : en expulsant des étrangers qui profitent de leur présence en France pour appeler ouvertement à la haine, à la violence ou à la discrimination, le ministre de l'intérieur contribue à préserver les conditions d'une intégration plus harmonieuse des étrangers qui résident dans notre pays.

Quant à l'argument selon lequel l'expulsion d'un étranger qui appelle à la haine ou à la violence serait inéquitable puisqu'un Français ne pourrait faire l'objet d'une telle mesure, j'y répondrai simplement en signalant que le séjour en France n'est pas un droit absolu pour les étrangers. Ils doivent, au minimum, respecter l'ordre public et s'abstenir de s'en prendre aux principes fondamentaux applicables dans le pays où ils résident. Il n'y a vraiment là rien de discriminatoire, et je ne connais pas un pays au monde qui ne se reconnaisse pas dans de tels principes.

Cette proposition de loi n'interfère pas davantage, monsieur Bret, avec des procédures en cours devant des juridictions. Elle ne fait pas non plus courir le moindre risque à la liberté d'expression, pour les raisons qui ont été exposées par l'ensemble des orateurs qui vous ont précédé.

Il n'y a point là, monsieur Bret, de loi de circonstance. Aucun rhétorique, aucune dialectique ne peut venir au soutien d'une telle affirmation. Il s'agit tout simplement de répondre à un problème qui va grandissant dans notre société, à une menace susceptible de s'aggraver si nous ne faisons rien.

Monsieur Othily, vous avez rappelé à juste titre l'importance toute particulière de la législation sur les étrangers pour votre département.

Bien que les arrêtés d'expulsion dont nous débattons aujourd'hui aient une autre fonction que de contribuer à la lutte contre l'immigration clandestine, vous avez raison de rappeler la situation spécifique de la Guyane au regard de ce problème et la nécessité de trouver des solutions concrètes.

Depuis 2002, le Gouvernement a privilégié la lutte effective contre l'immigration clandestine et l'orpaillage illégal, plutôt que de recourir aux commissions de réflexion, dont l'efficacité, surtout en cas d'urgence, est fort relative.

Dès son premier déplacement en Guyane, en juin 2002, Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a présenté un véritable plan de lutte contre l'immigration clandestine. Des moyens juridiques nouveaux ont été donnés aux forces de sécurité.

Vous y avez d'ailleurs contribué, monsieur le sénateur, puisque vous êtes à l'origine de l'amendement qui a modifié l'article 140 du code minier, article qui permet aujourd'hui aux autorités judiciaires d'ordonner la destruction sur place des moyens saisis dans les camps d'orpaillage clandestin et de rendre ainsi cette activité de moins en moins rentable pour les commanditaires.

Cela n'a été possible que grâce à l'affectation de forces de sécurité supplémentaires dans votre département.

La lutte contre l'immigration est aussi beaucoup plus efficace depuis que des moyens juridiques renforcés ont été mis en place. J'en rappelle quelques aspects.

En Guyane, les recours dirigés contre les arrêtés de reconduite ne sont pas suspensifs ; les refus de délivrance de titre de séjour ne sont pas soumis pour avis à la commission du titre de séjour ; la possibilité d'effectuer des contrôles d'identité a été étendue de part et d'autre de la route nationale 2 ; les membres d'équipages de bateaux pris en situation illicite peuvent dorénavant être éloignés d'office.

Cette politique donne des résultats, puisque les reconduites effectives à la frontière ont augmenté de 60 % depuis 2001, pour atteindre le chiffre record de 4 600 en 2003.

C'est une action dans la durée qu'a engagée le Gouvernement. Dans ce cadre, il est exact qu'il reste encore beaucoup à faire, et notamment à constituer et à réunir la commission prévue par l'article 93 de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, ce qui sera fait avant la fin de l'été, ainsi que me l'a confirmé le ministre de l'outre-mer.

Monsieur Gautier, je reconnais volontiers le bien-fondé de votre souci de veiller à ce que les provocations visant le sexe ou l'orientation sexuelle puissent toujours, lorsque leur gravité est caractérisée, justifier une expulsion. Telle est bien la politique du Gouvernement.

Je crois avoir déjà exposé assez précisément les raisons pour lesquelles il n'est pas possible d'affirmer que les auteurs de cette proposition de loi auraient entendu remettre en cause les dispositions destinées à traiter le problème de la double peine. Bien au contraire, je crois que ces dispositions, qui n'allaient pas de soi lorsque le débat s'est engagé sur le projet de loi relatif au séjour des étrangers voici moins d'un an, sortiront confortées de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945
Art. unique (début)

M. le président. Je suis saisi, par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon, Beaudeau, Beaufils, et Bidart-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine, et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès d'une motion tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44 alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 (n° 360, 2003-2004). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Nicole Borvo, auteur de la motion.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, je le regrette, vos réponses ne sont pas convaincantes.

Excusez-moi de prendre quelques instants de votre précieux temps pour exposer l'objet de cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. Josselin de Rohan. Nous ne sommes pas payés aux pièces !

M. Jean Chérioux. Si nous apprenions quelque chose de nouveau, ce serait déjà bien!

Mme Nicole Borvo. Si nous avons déposé cette motion, c'est parce que cette proposition de loi nous paraît totalement inopportune.

Elle constitue en réalité une fausse réponse à la montée préoccupante des fondamentalismes. Elle remet en cause, quoi qu'on en dise, la réforme, pourtant apparemment consensuelle, de la double peine ; elle constitue une marque de défiance inacceptable à l'égard des tribunaux.

La proposition de loi trouve son origine directe dans l'affaire de l'imam de Vénissieux qui, comme on l'a dit, avait tenu des propos inqualifiables sur le châtiment corporel des femmes.

Le tribunal administratif de Lyon avait suspendu l'arrêté d'expulsion pris à son encontre. Dès que la décision du tribunal administratif de Lyon a été connue, le Président de la République lui-même s'était exprimé pour manifester l'importance d'un sujet qui suscitait une vive émotion, et il avait indiqué que, s'il fallait modifier la législation, elle serait modifiée.

Il s'agissait, bien entendu, d'un propos d'opportunité, et nous poursuivons dans cette voie.

Pour autant, la proposition de loi, qui prévoit d'ouvrir plus largement le champ des exceptions à la protection contre l'éloignement du territoire de certains étrangers au vu de leurs attaches avec la France, répond-elle à l'objectif visé, c'est-à-dire à la lutte contre un islamisme radical en éloignant du territoire certains de ses fervents zélateurs ?

Nous ne le pensons pas. Ce qui ne signifie pas, je le dis tout de suite, qu'il ne faut rien faire. Je rappelle d'ailleurs que le maire de Vénissieux avait réagit très rapidement pour demander qu'une action judiciaire soit déclenchée à l'encontre de M. Bouziane.

J'ajoute, pour ce qui me concerne et ce qui concerne mon groupe, que nous ne pouvons pas être pris en défaut d'actions et d'interventions face à la montée d'un islamisme radical qui nie les droits des femmes, qu'il s'agisse de la lutte contre les mutilations et les faits de bigamie constatés sur le territoire de la République, ou, au-delà de nos frontières, de la situation des femmes afghanes ou des femmes nigérianes. Nous aimerions d'ailleurs être beaucoup plus soutenus dans notre action.

Nous ne pouvons dès lors qu'approuver le déclenchement de poursuites judiciaires pour apologie de crime contre l'auteur des propos en cause.

Mais la question est de savoir en quoi la proposition de loi répond à la problématique posée.

M. le rapporteur a insisté sur le fait que « cette nouvelle rédaction permettrait de lutter efficacement contre ceux qui, par leurs comportements, leurs propos ou leurs écrits portaient atteinte aux valeurs fondamentales de la République et à la cohésion sociale ». Ce qui signifie, a contrario, que les lois actuelles ne le permettent pas. C'est passer sous silence le fait que de tels propos, particulièrement violents et discriminatoires à l'égard des femmes, sont constitutifs de délits pénalement sanctionnés qui fondent, je le rappelle, les poursuites engagées contre l'imam de Vénissieux.

Réduire la question à celle du champ d'application de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 - alors même que la justice administrative n'a encore rendu aucune décision au fond -, conduit, en outre, à occulter les véritables enjeux du débat. Ce type de propos n'est en effet pas, loin s'en faut, l'apanage d'étrangers !

Par ailleurs, il serait illusoire de croire, spécialement à l'heure où les renseignements généraux viennent de publier une étude alarmante sur le repli communautaire des quartiers, qui constitue un vivier réel de la montée de l'islamisme, que le rappel au respect de la loi républicaine en direction de la communauté musulmane n'exige pas, en sens inverse, des marques de respect de la nation française à l'égard de cette communauté.

Or, force est de le constater, monsieur le ministre, le champ des interventions de votre gouvernement se limite à un seul niveau de réponse.

Qu'en est-il, monsieur le ministre, du budget du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, le FALSILD ? Qu'en est-il du projet de loi de lutte contre les discriminations ? Sans doute y verrons-nous plus clair avec la mise en place de l'autorité de lutte contre les discriminations, peut-être en janvier 2005, si j'en crois une information publiée dans la presse.

L'urgence affirmée par le Gouvernement en la matière s'avère moins impérative que l'adoption d'une loi qui apparaît, en réalité, plus démagogique qu'efficace.

Dérisoire quant à l'objectif qu'elle s'assigne, la proposition de loi semble en revanche efficace pour ce qui est de revenir sur les dispositions de la loi du 26 novembre 2003, adoptée de façon quasi unanime par les élus de la République, qui visait à circonscrire le champ d'application de ce que l'on appelle communément la « double peine ».

Je vous ai bien entendu, monsieur le ministre, mais les mêmes causes produisent les mêmes effets.

C'est en effet un changement complet de logique qui s'opère ici. On fait comme si la double peine était supprimée. Or il n'en est rien. Des personnes sont exclues de la double peine ou sont exclues de mesures applicables aux étrangers, du point de vue du juge administratif, parce qu'elles ont des liens étroits, voire uniques avec notre pays ; c'est-à-dire, a contrario, qu'elles n'en ont pas avec d'autres pays.

Lors de la discussion en séance publique des dispositions de l'article 26, votre prédécesseur, M. Sarkozy, avait ainsi expliqué la volonté du Gouvernement de ne pas entrer dans les exceptions de la double peine. Je reprends son argumentation de l'époque, qui reste valable pour l'application de l'exclusion par le juge administratif : « à entrer dans les exceptions - par exemple, pour trafic de drogue ou viol - on passerait à côté de la logique de la "double peine". Moi, si je vous demande de reformer la "double peine", c'est non pas parce qu'il y a des crimes ou des délits qui seraient moins graves que d'autres, mais parce qu'il s'agit de Français, de fait, de facto ».

A partir du moment où l'on change de système d'analyse en se posant la question des exceptions, le champ devient de facto illimité, parce que l'on trouvera toujours un comportement particulièrement répréhensible - aujourd'hui, des propos discriminatoires, demain, autre chose - pour justifier de nouvelles exceptions aux lois qui s'appliquent aux étrangers.

D'ailleurs, la rédaction retenue par la proposition de loi, adoptée telle quelle par l'Assemblée nationale - il est d'ailleurs regrettable que l'on nous demande de la voter conforme, car on pourrait sans doute l'améliorer - est suffisamment confuse pour laisser la plus grande marge d'interprétation et d'incertitude.

Désormais, tous les étrangers, y compris ceux qui ont les attaches les plus fortes, - c'est-à-dire souvent exclusives d'attaches avec d'autres pays -, particulièrement ceux qui sont arrivés sur notre territoire avant l'âge de treize ans, pourront être éloignés, avec les difficultés de relèvement que l'on sait, dès lors qu'ils auront eu des comportements « constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

Trop générale, cette notion, dont on serait bien en peine de dire ce qu'elle recouvre, contribue, de plus, à amoindrir la portée de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et, alors qu'elle était au coeur de la précédente notion, se trouve fondue dans la lutte contre toutes les formes de violence.

Je précise encore une fois, s'il en est besoin, qu'il ne s'agit pas ici de sanctions pénales, mais de mesures d'expulsion de personnes qui, souvent, n'ont pas d'attaches avec d'autre pays que la France.

Ainsi, cette proposition de loi ressemble finalement plus à un alibi pour revenir sur la réforme de la double peine, ou sur les mesures de protection des étrangers contre les expulsions. Pourtant, certains d'entre vous semblaient les avoir acceptées, sans doute à contrecoeur, alors même que la réforme adoptée à l'époque constituait, certes, une avancée, mais pas une révolution en matière de procédure d'expulsion des étrangers.

Il faut en effet rappeler qu'est conservé, sinon justifié, le principe même de la double peine - peine de prison et éloignement -, et que les catégories protégées de l'expulsion sont suffisamment restrictives pour ne concerner qu'une infime minorité de personnes étrangères, vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre.

Pour bénéficier de cette protection, il faut, outre le fait d'être entré en France avant l'âge de treize ans, avoir sa résidence habituelle en France depuis plus de vingt ans ou depuis plus de dix ans, à condition soit d'être parent d'enfant français et de subvenir à ses besoins depuis la naissance ou depuis au moins un an, soit d'être conjoint de Français depuis au moins trois ans, soit d'être conjoint d'un étranger entré en France depuis l'âge de treize ans, ou alors être dans un état de santé tel que l'expulsion serait contraire au principe d'humanité.

Certaines associations ont même pu parler, à l'époque, de texte en « trompe-l'oeil » pour dénoncer le caractère bien frileux de la réforme des procédures d'éloignement.

Et pourtant, il faut croire que c'était déjà trop, puisqu'un simple fait divers permet de refermer cette porte ainsi à peine entrebâillée.

Si de tels éléments ne suffisaient pas à vous convaincre, je souhaite en évoquer un troisième, qui justifie selon nous à lui seul de voter notre question préalable : il n'est pas acceptable, dans un pays qui prétend être un Etat de droit, que les parlementaires acceptent de légiférer pour faire obstacle à une décision de justice !

En effet, la proposition de loi a été rédigée en réaction à la suspension, par le tribunal administratif de Lyon, de l'arrêté ministériel d'expulsion de l'imam Bouziane. Le tribunal saisi en référé a estimé qu'il y avait doute sur la légalité de l'arrêté.

Le message est donc clair. Les juges ne suivent pas le Gouvernement ? Qu'à cela ne tienne, changeons la loi pour les lier dans leur pouvoir d'interprétation, qui est, je le rappelle, un élément essentiel et fondamental du pouvoir de juger !

Je me permets de rappeler que la décision « par laquelle tout est arrivé » est une décision de référé et non un jugement au fond ; la moindre des choses aurait été, pour le Gouvernement, d' attendre de connaître la position du Conseil d'Etat sur le référé et la décision au fond.

C'est un geste de défiance inacceptable que manifestent le Gouvernement et sa majorité à l'égard des juges administratifs, d'autant que, dans le même temps, le Gouvernement a souhaité présenter un texte dessaisissant les tribunaux administratifs de leur pouvoir de juger, en premier ressort, de la légalité des arrêtés ministériels d'expulsion.

Bien que le Gouvernement, sous la pression du syndicat des juges administratifs, ait renoncé à confier au seul Conseil d'Etat la compétence en premier et en dernier ressort pour ce type de contentieux, le dernier projet donne compétence exclusive au tribunal administratif de Paris en la matière.

Or, autant cette compétence d'exception pourrait se concevoir dans un contexte où l'article 26 vise à circonscrire aux seuls cas d'atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou aux crimes de terrorisme les arrêtés d'expulsion - on sait que le TGI de Paris est actuellement seul compétent pour juger des crimes de terrorisme -, autant, dans un contexte extrêmement élargi, cette exception ne se justifie pas.

Au vu de ces éléments, je vous demande, mes chers collègues, de ne pas délibérer sur une proposition de loi de circonstance qui nous semble particulièrement inopportune. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je ne partage à peu près aucun des points de vue exprimés par Mme Borvo au nom de son groupe.

Une réforme inopportune ? Je la crois, au contraire, tout à fait nécessaire pour que puissent être sanctionnés des comportements comme celui de M. Bouziane, et non pas le comportement de M. Bouziane, puisque, en ce qui le concerne, effectivement, on se heurtera au principe de non-rétroactivité. Et si cette personne ne réitère pas ses propos en se croyant assurée de l'impunité, je ne vois pas pourquoi des mesures seraient à nouveau prises à son encontre.

Ce texte, qui rend possible l'expulsion pour de tels comportements, est donc indispensable.

Remise en cause de la double peine ? « Effet vitrine » ? Mais, mes chers collègues, les arrêtés ministériels d'expulsion concernant des étrangers protégés ont diminué d'une telle manière que j'ai du mal à concevoir que la réforme de 2003 soit restée lettre morte. Les chiffres à cet égard sont tout à fait impressionnants.

Alors que, récemment encore, plusieurs centaines d'arrêtés ministériels d'expulsion étaient pris chaque année, il y en a eu quatre-vingt-quatre en 2003, et onze du 1er janvier au 1er juillet 2004. Voilà pour le prétendu « effet vitrine » !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et combien de visas refusés ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La proposition de loi dont nous sommes en train de débattre ne remet nullement en cause la réforme de la double peine ; elle conforte au contraire les décisions qui ont été prises antérieurement.

Pour qu'un texte de loi soit parfaitement applicable et légitime, encore faut-il qu'il suscite l'adhésion de la majorité des Français et de la majorité des étrangers qui vivent sur notre sol.

Or des cas comme celui de M. Bouziane sont de nature à amener l'opinion à rejeter la réforme de la double peine et éventuellement inciter des majorités différentes à revenir sur une réforme dont je persiste à penser qu'elle a été à la fois généreuse et indispensable.

Quant à prétendre qu'il serait vain de prendre des mesures au nom de la lutte contre l'islamisme radical à l'encontre de ressortissants étrangers dans la mesure où certains citoyens français se rendent coupables des mêmes dérives sans être inquiétés, c'est un peu, toutes proportions gardées, comme si vous me disiez qu'il est inutile de prévoir une réglementation spécifique pour la conduite par temps de pluie puisqu'il arrive qu'il fasse beau. Selon moi, l'un n'empêche pas nécessairement l'autre.

A partir du moment où certains ressortissants étrangers se laissent aller à de tels propos ou à de tels comportements, il est de l'intérêt le plus légitime et le plus immédiat de la République de procéder à leur expulsion.

Je ne comprends pas davantage pourquoi, madame Borvo, ce texte traduirait de la défiance à l'égard de la justice, la justice administrative en l'espèce, et, au-delà, manifesterait une quelconque volonté de faire obstacle à une décision de justice.

Il n'y a, sur ce point, aucune ambiguïté. Comment pourrait-on reprocher quoi que ce soit au tribunal administratif de Lyon dans la mesure où ce tribunal a été saisi par la procédure de référé de la légalité d'un arrêté d'expulsion alors que les propos intolérables de M. Bouziane à l'égard des femmes n'avaient pas encore été tenus ? Autrement dit, ce tribunal s'est prononcé sur l'arrêté tel qu'il était rédigé à l'époque, qui faisait état de considérations relatives au danger pour l'ordre public et non de considérations relatives aux propos de M. Bouziane, que j'ai qualifiés d'abjects tout à l'heure.

Donc, il n'y a pas la moindre mise en cause de la décision du tribunal administratif de Lyon.

J'ajoute qu'aucun des représentants du syndicat de la juridiction administrative que la commission a entendus n'a déclaré avoir décelé la moindre manifestation d'une défiance à l'égard de cette juridiction.

Le seul problème qu'ils ont soulevé était relatif à la compétence contentieuse pour connaître des arrêtés ministériels d'expulsion. Mes interlocuteurs m'ont expliqué qu'ils ne souhaitaient pas que l'on remette en cause à cet égard le double degré de juridiction et que l'on confie au Conseil d'Etat, statuant en premier et en dernier ressort, la connaissance des recours formés sur la légalité des arrêtés ministériels d'expulsion.

M. le ministre a répondu tout à l'heure à cette question. La situation est donc maintenant très claire. En prévoyant la compétence du tribunal administratif de Paris pour connaître de ce contentieux en premier ressort, on ne remet absolument pas en cause le fait que le tribunal administratif est le juge de droit commun du contentieux administratif en premier ressort, le Conseil d'Etat conservant sa compétence habituelle et traditionnelle.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le tribunal de Lyon ne sera plus compétent !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En effet, le tribunal de Lyon ne sera plus compétent, pas plus que le tribunal de Lille ou celui de Pau. Cela étant, depuis le début de l'année, onze arrêtés ministériels d'expulsion ont été pris : gageons que, si nous maintenions la compétence de tous les tribunaux administratifs, certains pourraient bien ne connaître d'un arrêté ministériel d'expulsion qu'une fois tous les dix ans.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Est-ce vraiment raisonnable ? Je pense que l'expérience est un argument qui joue en faveur de la compétence du tribunal administratif de Paris.

A ces différentes raisons qui font que la commission vous demande, mes chers collègues, de rejeter cette motion, j'en ajouterai une dernière.

Il est vrai que, s'agissant de la double peine, la protection quasi absolue dont jouissaient certains est diminuée, mais il reste bien évidemment le contrôle du juge administratif qui ne manquera pas de s'assurer que l'expulsion était une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat et pour la sécurité publique.

Autrement dit, aucun des arguments avancés par Mme Borvo ne me paraît convaincant, raison pour laquelle, au nom de la commission des lois, je demande au Sénat de bien vouloir repousser cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique de Villepin, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tant les propos de M. le rapporteur que certaines de vos interventions dans la discussion générale ont apporté une réponse claire et précise aux différents arguments qui ont été développés à l'appui de cette motion. Je serai donc très bref sur les deux questions principales qui ont été soulevées par ses auteurs.

S'agissant, tout d'abord, de la défiance envers la justice, ni le texte qui vous est soumis aujourd'hui ni les projets du Gouvernement en matière d'organisation du contentieux des arrêtés ministériels d'expulsion n'ont la moindre incidence sur l'étendue des recours ouverts aux personnes expulsées ou sur les pouvoirs du juge.

Permettez-moi d'ailleurs de signaler que le contentieux en cours concernant M. Bouziane, que vous avez cru bon de mentionner, madame Borvo, porte sur des questions de droit et de fait indépendantes des dispositions dont nous débattons aujourd'hui.

S'agissant, ensuite, de la tentation d'attiser les dérives xénophobes, je me contenterai de rappeler que la vraie dérive consiste plutôt à tolérer sur notre sol des étrangers qui appellent à la violence, à la haine ou encore à la discrimination. Ce sont eux qui appellent à la xénophobie sous ses formes les plus inadmissibles, ce sont eux qui fournissent des prétextes au racisme envers les étrangers qui vivent en paix sur notre sol et les Français d'origine étrangère. En expulsant ces étrangers-là, nous luttons justement contre la xénophobie d'où qu'elle vienne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi n'est pas seulement opportune, elle est nécessaire, car elle nous donne les moyens de répondre efficacement et dans le respect des principes fondamentaux de notre droit aux menaces qui résultent des circonstances actuelles. C'est toute la différence avec un texte de circonstance.

Le Gouvernement vous demande donc de rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de l'article unique.

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945
Art. unique (fin)

Article unique

Le premier alinéa du I de l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est ainsi rédigé :

« Sauf en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion, y compris dans les hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l'article 25 : ».

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

Après les mots :

de provocation

rédiger ainsi la fin du texte proposé par cet article pour le premier alinéa du I de l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 :

« à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine, de la religion, du sexe ou de l'orientation sexuelle des personnes, ne peut faire l'objet d'une expulsion, y compris dans les hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l'article 25.

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aimerions pouvoir voter la proposition de loi, si la rédaction était, pour la dernière partie, celle qui avait été proposée à l'origine par M. Myard, et même un peu plus large.

M. Myard avait en effet proposé la rédaction suivante : « sauf en cas de comportements de nature à constituer une menace grave à l'ordre public, » - et, sur cet ajout, nous n'étions évidemment pas d'accord - « à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine, de la religion ou du sexe des personnes ». Nous proposons, outre la mention du sexe, d'ajouter l'orientation sexuelle des personnes. Tel est l'objet de notre amendement.

Ce débat, il est vrai, aurait dû être plus ample, plus réfléchi.

On nous explique que, dans l'ordonnance du 2 novembre 1945, il faut que soit constatée l'urgence absolue qui doit constituer une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, par dérogation aux articles 24 et 25 ». L'article 26 n'est pas visé. Il eût fallu profiter de l'occasion pour remettre un peu d'ordre dans une ordonnance vingt fois modifiée depuis 1945 et en améliorer la lisibilité. Encore une occasion manquée ! Cela étant, gageons que si, dans quinze jours, une autre décision de justice intervient qui ne vous plaise pas, vous saurez bien nous proposer un autre texte.

En tout cas, nous espérons encore que vous saisirez la perche que nous vous tendons : si vous votez notre amendement, mes chers collègues, nous voterons la proposition de loi. En effet, nous déplorons vivement que la rédaction finalement issue des travaux de l'Assemblée nationale nous mette dans l'impossibilité de la voter en l'état.

Lorsque l'on vise toute provocation, fût-elle explicite et délibérée - elle doit évidemment être explicite -, à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée, cela veut dire qu'une simple menace à l'encontre d'une personne, quelle qu'elle soit, quels que soient les motifs, peut autoriser le recours à cette procédure d'expulsion.

Vraiment, cela ne paraît pas sérieux, c'est le moins que l'on puisse dire.

On a beaucoup parlé de double peine. J'admets qu'il n'y a pas ici de « première » peine, mais qu'il y en a bien une seconde, administrative celle-là. Nous savons bien que, si quelques personnes n'ont pas été expulsées grâce à la suppression de la double peine, beaucoup d'autres devraient pouvoir bénéficier de cette mesure, si du moins le ministère des affaires étrangères, comme vous avez quelque raison de le savoir, monsieur le ministre, ne leur refusait pas un visa leur permettant de revenir en France, en prétendant que l'ordre public s'y oppose.

Monsieur le ministre, je vous ai saisi, lorsque vous étiez ministre des affaires étrangères, du cas de cette personne qui a vu son arrêté d'expulsion rapporté par le ministre de l'intérieur avant même que ne soit votée la loi sur la double peine, mais qui ne peut pas revenir en France, le ministère des affaires étrangères ne lui accordant pas le visa qui lui permettrait de venir chercher, à Marseille, le document qui l'y attend et qui l'autoriserait à retrouver les siens. Il n'y a pas de raison que cela s'arrête !

Ce dispositif concernant la double peine dont on parle tant paraît donc tout de même bien paralysé !

J'insiste, mes chers collègues, réfléchissez bien ! Si vous votez notre amendement, alors nous voterons ce texte. En revanche, si vous ne le votez pas, nous considérerons que vous aurez délibérément fait en sorte que nous ne puissions pas voter cette proposition de loi.

Sur le reste, vous avez raison, monsieur le rapporteur : le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté d'expulsion de M. Bouziane qui était motivé par tout autre chose que les propos qu'on lui reproche, propos qui n'avaient d'ailleurs pas encore été tenus. Mais avouez que l'opinion a pu s'y tromper, compte tenu du battage médiatique qui a entouré la décision, chacun répétant à l'envi que le tribunal administratif avait annulé l'arrêté en dépit des propos tenus par l'intéressé.

Enfin, le Gouvernement envisage de confier au seul tribunal administratif de Paris le contentieux en matière d'arrêté ministériel d'expulsion. Il trouve deux motifs pour ce faire. Il argue, d'une part, du faible nombre des litiges traités en la matière par les juges administratifs, eux qui tranchent tous les jours des recours contre des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière et qui connaissent donc tous parfaitement les textes dont nous parlons, d'autre part, par le souci « d'obtenir une plus grande cohérence et une plus grande stabilité dans la jurisprudence ».

Pourquoi vous arrêter en chemin, monsieur le ministre ? Continuez et, à tant que faire, supprimez tous les tribunaux d'instance ou de grande instance de France et toutes les autres cours d'appel pour donner compétence à la seule cour d'appel de Paris ! Ainsi la Cour de cassation n'aura plus à trancher éventuellement entre des jurisprudences divergentes !

Mme Nicole Borvo. Un seul tribunal suffira ! Un tribunal d'exception !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Franchement, ce n'est pas du travail sérieux ! Et nous aurons l'occasion de le vous redire.

En attendant, nous vous demandons très fermement, mes chers collègues, de voter notre amendement. Vous souhaitez pouvoir expulser des personnes tenant des propos analogues à ceux de cet imam de Vénissieux ? Vous avez satisfaction avec notre amendement !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini. Défavorable ! (Sourires.)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je commencerai par les points sur lesquels je peux trouver un accord avec M. Dreyfus-Schmidt.

Lorsque celui-ci nous parle de la complexité de lecture de l'ordonnance de 1945, on ne peut que lui donner raison. Mais une codification à droit constant peut sans doute intervenir, et je pense que le Gouvernement s'en préoccupe.

Vous avouerez qu'il s'agit là surtout d'un problème de lecture de l'ordonnance.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et d'interprétation !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En revanche, sur l'interprétation, la situation semble relativement claire.

Je rejoins également notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt sur sa volonté d'intégrer aux dispositions de l'article 26 les provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle des personnes.

Sur ce point, la proposition de loi lui donne entièrement satisfaction : ces hypothèses sont bel et bien prévues dans la proposition de loi.

Je vais maintenant aborder, mon cher collègue, nos points de désaccord.

Je commencerai par le principe même de l'énumération. Que nous direz-vous si, dans six mois, constatant la réalité de provocations à la discrimination en raison des convictions politiques, nous vous proposions de modifier à nouveau l'ordonnance de 1945 ?

Il va de soi que l'imagination ne connaît pas de limites. Je suis convaincu que, si nous adoptons une logique d'énumération, nous retomberons exactement dans le travers que n'a pas évité la loi de novembre 2003. Il est impossible de tout prévoir !

Mme Nicole Borvo. Enfin l'anticommunisme va être sanctionné !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Pourquoi pas ! Effectivement, madame Borvo, en matière de convictions politiques, on peut prévoir de condamner des manifestations extrêmement violentes à l'égard d'une philosophie politique qui vous est chère ! Je crois que nous serions tous à vos côtés, dans ce cas précis.

Je ne partage pas non plus l'opinion exprimée par M. Dreyfus-Schmidt sur la compétence exclusive du tribunal administratif de Paris. Nous l'avons dit, le nombre d'interventions de certains tribunaux en la matière risque d'être extrêmement modeste.

Il y a tout de même une différence fondamentale entre le droit « traditionnel » de l'expulsion et le droit qui nous intéresse ici, qui concerne les étrangers protégés, ceux que, à certains nomment, en employant une expression assez saisissante, « les étrangers de France » !

Et, lorsqu'il s'agira de contrôler non pas la menace grave à l'ordre public, mais la « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique », vous le savez mieux que moi, mon cher collègue, le juge administratif sera extrêmement vigilant.

En effet, le juge administratif a vu son contrôle évoluer avec le temps, passant d'une absence de contrôle des motifs de fait, à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, avec la jurisprudence du Conseil d'Etat Maspero du 2 novembre 1973, pour en arriver aujourd'hui à un contrôle de proportionnalité, appelé parfois contrôle maximum. Donc, ce sont les mesures de police qui font l'objet du contrôle le plus important de la part du juge administratif.

Enfin, mon cher collègue, j'ai été un peu surpris du soutien que vous avez apporté à la proposition de loi de notre collègue député M. Jacques Myard. Je présume que vous ne l'avez pas intégralement lue, car son auteur faisait de la menace grave à l'ordre public la seule condition de l'expulsion.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai dit que je n'étais pas d'accord sur la question de l'ordre public !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il est vrai que cela ne correspondait guère à votre philosophie, mon cher collègue.

Pour toutes ces raisons, et tout en reconnaissant le bien - fondé d'un certain nombre de remarques de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, j'émets, au nom de la commission des lois, un avis défavorable sur l'amendement n° 2.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique de Villepin, ministre. Monsieur le sénateur, l'intention exprimée dans votre amendement me paraît très proche de celle des auteurs de la proposition de loi dont vous délibérez aujourd'hui, comme l'a rappelé à l'instant M. le rapporteur.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale présente l'avantage de n'exclure d'emblée aucune forme de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination, quel que soit son prétexte.

En revanche, si votre rédaction était retenue, il ne serait pas toujours possible, par exemple, d'expulser un étranger qui appellerait ouvertement à la violence contre des enseignants ou contre des médecins parce qu'ils feraient respecter le principe de laïcité dans les écoles ou dans les hôpitaux. De même, il ne serait pas toujours possible d'expulser ceux qui en appelleraient à la haine ou à la violence contre les membres ou les dirigeants d'une société politique ou philosophique. Et ces situations n'ont rien d'abstrait !

Est-ce cela que nous voulons ?

Cela étant, vous souhaitez que les provocations à la discrimination à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle fassent l'objet d'une vigilance particulière, ce qui correspond totalement aux intentions du Gouvernement. Celles-ci se traduisent dès à présent dans le cadre de la lutte contre toutes les formes de discrimination, objet d'un projet de loi qui sera prochainement examiné par le Parlement.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement partage l'avis défavorable de la commission.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 234 :

Nombre de votants 313
Nombre de suffrages exprimés 311
Majorité absolue des suffrages exprimés 156
Pour l'adoption 112
Contre 199

Le Sénat n'a pas adopté.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique de Villepin, ministre. Je tiens à remercier le Sénat, le président de la commission des lois, ainsi que son rapporteur, de la qualité et de la sérénité des débats sur une proposition de loi importante qui apportera davantage de paix et de sécurité dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Art. unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945