compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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CANDIDATURES À UN organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission du fonds national pour l'archéologie préventive.
La commission des affaires culturelles a fait connaître qu'elle propose les candidatures de MM. Jacques Legendre et Philippe Richert pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire, respectivement en tant que membre titulaire et membre suppléant.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
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CONvocation du parlement en session extraordinaire
M. le président. M. le Président a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 25 juin 2004 portant convocation du Parlement en session extraordinaire.
Je donne lecture de ce décret :
« Le Président de la République
« Sur le rapport du Premier ministre,
« Vu les articles 29 et 30 de la Constitution,
« Décrète :
« Art. 1er - Le Parlement est convoqué en session extraordinaire le jeudi 1er juillet 2004.
« Art. 2 - L'ordre du jour de cette session extraordinaire comprendra :
« 1° - Le débat d'orientation budgétaire ;
« 2° - L'examen ou la poursuite de l'examen des projets de textes suivants :
« projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales ;
« projet de loi relatif aux responsabilités locales ;
« projet de loi relatif à l'assurance maladie ;
« projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ;
« projet de loi de modernisation de la sécurité civile ;
« projet de loi relatif à la politique de santé publique ;
« projet de loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement ;
« projet de loi modifiant la loi n° 2003-322 du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France ;
« projet de loi relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
« projet de loi relatif à la bioéthique ;
« proposition de loi tendant à redonner confiance au consommateur ;
« proposition de loi tendant à modifier la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 relative au Conseil supérieur des Français à l'étranger ;
« proposition de loi relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945.
« Art. 3 ? Le Premier ministre est responsable de l'application du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République française.
« Fait à Paris, le 25 juin 2004.
« Par le Président de la République :
« Signé : Jacques Chirac.
« Le Premier ministre,
« Signé : Jean-Pierre Raffarin.»
Acte est donné de cette communication.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela ne fait que quatorze textes !
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DÉmission de membres de COMMIssions ET candidatures
M. le président. J'ai reçu avis de la démission de :
- M. François Autain comme membre de la commission des affaires culturelles ;
- M. Paul Vergès comme membre de la commission des affaires sociales.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
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RAPPELs AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Claude Estier, pour un rappel au règlement.
M. Claude Estier. Mon rappel au règlement concerne l'ordre du jour de nos travaux.
Je voudrais m'élever contre les conditions dans lesquelles va s'engager, ce lundi après-midi, dans un hémicycle presque vide, la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales.
Nous avons déjà protesté à ce sujet la semaine dernière directement auprès du président du Sénat en lui faisant valoir que M. le Premier ministre n'avait pas tenu les engagements qu'il avait pris lors du débat devant l'Assemblée nationale, le 14 avril dernier.
Ces engagements étaient de deux ordres.
Tout d'abord, le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales ne devait pas être voté avant que soit adoptée la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales. Or c'est le contraire qui va se passer, puisqu'il nous est demandé de voter en deuxième lecture le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales avant même que nous examinions le projet de loi organique qui viendra en discussion ultérieurement, au cours de la session extraordinaire, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président.
Ensuite, une concertation devait être engagée avant la deuxième lecture de ce projet de loi, non seulement avec l'ensemble des parlementaires, mais avec les associations d'élus. Or, elle n'a pas eu lieu. Je crois savoir que M. le Premier ministre recevra les présidents de conseils généraux le 6 juillet prochain, c'est-à-dire quand le Sénat aura terminé l'examen du présent texte.
Il est grave que nous entamions ce débat alors que les engagements du Premier ministre n'ont pas été tenus et dans une précipitation qui n'est digne ni de l'importance de ce texte ni des conséquences financières des transferts de compétence qu'il entraînera. L'ensemble des élus locaux, pas seulement ceux de gauche, mais aussi ceux de la majorité, qui, par discipline, voteront peut-être le projet de loi, sont inquiets.
Je souhaitais, à travers ce rappel au règlement, renouveler, au nom de mon groupe, la protestation que nous avons déjà exprimée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, monsieur Estier.
La parole est à Mme Nicole Borvo, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo. Je voudrais m'associer aux propos tenus par M. le président du groupe socialiste. Nous avons nous-mêmes, à plusieurs reprises, tant en conférence des présidents qu'en séance publique, émis des protestations sur l'ordre du jour de nos travaux.
Cela dit, mon rappel au règlement porte sur un autre point.
Nous avons appris par voie de presse que le Gouvernement envisageait de reporter les élections locales prévues en 2007 de six à douze mois. Sans me prononcer sur la nécessité d'un tel report, je souhaite faire deux remarques.
En premier lieu, cette décision a été annoncée sans aucune concertation avec les associations d'élus, les partis politiques ou les groupes parlementaires.
En second lieu, je m'interroge sur les conséquences de ce report pour le renouvellement sénatorial de 2007.
M. le ministre de l'intérieur étant présent, nous souhaiterions savoir si le Gouvernement entend reporter le renouvellement sénatorial de 2007 afin de tenir compte des élections locales. Une réponse nous éviterait de penser à une négligence ou pire à une manipulation politique qui aboutirait à ce que les changements intervenus aux élections locales n'aient pas leur traduction aux élections sénatoriales.
Le Sénat, qui, en vertu de l'article 24 de la Constitution, représente les collectivités territoriales, se doit d'être informé précisément des modifications envisagées. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons obtenir des précisions sur un calendrier qui, pour le moment, reste totalement flou. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, madame Borvo.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je répondrai brièvement aux deux intervenants.
Tout d'abord, monsieur Estier, les engagements qui ont été pris seront tenus et il n'est pas question de voter définitivement le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales avant que le texte sur l'autonomie financière n'ait été lui-même adopté, même si, il est vrai, nous sommes tenus par le calendrier.
Vous avez, par ailleurs, évoqué la concertation avec les associations, avec les élus, avec les parlementaires. Cette concertation a eu lieu et elle continue de se dérouler avec tous ceux qui le veulent bien, mais on ne peut mener des négociations avec ceux qui ne le souhaitent pas. La disponibilité du Gouvernement est entière, je tiens à le réaffirmer ici.
Concernant le calendrier des élections, madame Borvo, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il s'agit d'une mesure technique et nous réfléchissons aux meilleures modalités à retenir pour l'ensemble de ces élections. Quatre élections en 2007, c'est beaucoup, c'est difficile,...
Mme Nicole Borvo. C'est sûr !
M. Dominique de Villepin, ministre. ... c'est un problème qui se pose à ce Gouvernement comme il se poserait à tout autre. C'est donc dans un esprit de concertation, comme c'est notre devoir, que nous allons traiter ces questions au cours des prochaines semaines, en écoutant et les uns et les autres.
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Libertés et responsabilités locales
Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 269, 2003-2004), modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux libertés et responsabilités locales. [Rapport n° 369 (2003-2004).] et avis n° 368 (2003-2004).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, les sénateurs, je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour aborder la deuxième lecture du projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités locales.
Vous êtes les représentants attentifs des collectivités territoriales dans notre édifice institutionnel.
Vous êtes concernés au premier chef par ce projet de loi qui doit nous permettre de clore ensemble un important processus de décentralisation.
Cette réforme a été voulue parce que nous avons la conviction qu'un certain nombre de politiques publiques doivent être confiées aux élus locaux.
Ils connaissent mieux que quiconque les besoins de leurs territoires et les attentes de leurs concitoyens.
Ils sont à même de mettre en place des actions pertinentes au plus près des réalités locales, dès lors qu'il ne s'agit pas des missions strictement régaliennes.
Dans mon esprit, la décentralisation doit constituer un puissant levier de la réforme de l'Etat.
Les transferts de compétences prévus dans le projet de loi répondent à un souci de cohérence de l'action publique et à un effort de rationalisation de l'exercice des compétences.
Ce travail a déjà été engagé, mais je souhaite que l'effort soit poursuivi pour que les collectivités locales puissent s'adresser à des interlocuteurs de l'Etat encore plus performants qu'aujourd'hui et susceptibles de répondre pleinement à l'attente des élus.
C'est pourquoi la décentralisation doit s'accompagner d'une déconcentration et d'une réorganisation des services de l'Etat au niveau local.
Le renforcement de l'échelon régional de l'Etat est en cours. La nouvelle articulation entre préfet de région et préfet de département a été précisée, tout en faisant émerger une nouvelle organisation autour de huit pôles d'action régionale.
Au niveau départemental, un important travail de réorganisation des services de l'Etat viendra compléter celui qui est effectué à l'échelon régional.
Enfin, la capacité du préfet à assurer l'unité territoriale de l'Etat a été accrue. J'ai souhaité en effet que soit affirmée l'unité des services de l'Etat sous son autorité.
Le projet de loi que nous allons examiner aujourd'hui a donc pour objectif principal l'amélioration de l'efficacité de l'action publique, à laquelle participent les collectivités locales et les services déconcentrés de l'Etat. Nous ne saurions oublier que c'est cela aussi que les Français attendent de nous.
C'est pourquoi le Premier ministre a clairement souhaité que tout soit mis en oeuvre pour que cet important chantier législatif et réglementaire puisse entrer en vigueur, comme prévu, à partir du 1er janvier 2005. Nous devons tenir ce calendrier pour plusieurs raisons.
D'abord, les nombreuses consultations que nous avons conduites avec Jean-François Copé ont renforcé notre détermination à mettre en oeuvre cette réforme.
Ensuite, dans un souci de responsabilité, nous ne pouvons retarder indéfiniment notre action, car des dizaines de milliers de fonctionnaires se préparent depuis des mois à ces transferts.
M. Jean-Pierre Sueur. Dans l'enthousiasme !
M. Dominique de Villepin, ministre. Enfin, dans un souci d'anticipation, car nous savons qu'environ cinquante décrets d'application de ce projet de loi seront nécessaires, il faut que le travail d'élaboration s'engage très vite, afin que les collectivités territoriales et leurs agents aient, le plus tôt possible, une connaissance précise des modalités de mise en oeuvre de la loi et des dispositions qu'ils auront à prendre.
Beaucoup de travail a déjà été réalisé sur ce projet de loi, par les administrations, pour informer, dialoguer et convaincre, mais aussi par les deux assemblées, lors de l'examen en première lecture, pour améliorer le texte. Vous vous rappelez que le Sénat y a consacré près de trois semaines.
Il ne saurait être question de rester au milieu du gué. La réforme engagée doit donc être achevée avec détermination s'agissant des objectifs, mais également dans un esprit d'ouverture et d'échange avec la représentation nationale.
La préparation de cette deuxième lecture a fait l'objet de beaucoup d'attention de la part du Gouvernement.
Nous avons engagé, avec Jean-François Copé, un important travail de concertation et de consultation.
Le Premier ministre avait entamé ces consultations le 19 avril, en recevant les présidents des conseils régionaux. Nous les avons poursuivies en rencontrant les associations représentatives d'élus et les organisations syndicales.
Enfin, un travail approfondi a été réalisé avec les commissions parlementaires concernées.
Ensemble, nous allons améliorer le texte, en apportant les modifications qui semblent indispensables, mais sans en bouleverser l'économie générale.
Nous le reconnaissons volontiers : des améliorations du texte sont possibles. Elles doivent apporter davantage de cohérence et de clarté à l'exercice des compétences prévu par le texte.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est sûr !
M. Dominique de Villepin, ministre. Cinquante-sept articles ont été votés conformes par l'Assemblée nationale et le Sénat et ne sont donc plus en discussion.
Pour les autres dispositions, des simplifications ou des modifications peuvent être envisagées.
A titre d'illustration, je veux citer deux exemples parmi d'autres, qui seront sans doute évoqués au cours du débat.
Dans le domaine du logement, quelles modalités devrons-nous retenir pour la gestion du contingent préfectoral ?
Dans le domaine du transport, les modalités de fonctionnement du nouvel établissement public remplaçant le Syndicat des transports parisiens et de la région d'Ile-de-France, le STIF, devront être encore précisées.
Je souhaite que ce débat soit l'occasion d'apporter toutes les garanties aux personnels qui seront transférés.
La volonté du Gouvernement de procéder à ces transferts ne doit pas être mise en doute. Pour autant, je souhaite qu'ils soient effectués dans un esprit de dialogue et de transparence vis-à-vis des personnels et de leurs représentants. Jean-François Copé a d'ailleurs rencontré l'ensemble des représentants syndicaux pour expliciter les modalités de mise en oeuvre des transferts.
D'ores et déjà, plusieurs garanties peuvent être données aux personnels concernés.
Il n'y aura pas d'obligation, pour les 96 000 TOS, les personnels techniciens, ouvriers et de service, d'intégrer la fonction publique territoriale : le projet de loi prévoit un droit d'option de deux ans, à l'issue duquel les agents qui ne souhaitent pas intégrer la fonction publique territoriale pourront demander un détachement illimité.
Des cadres d'emplois spécifiques garantissant le maintien des TOS dans les établissements scolaires seront créés.
Les droits en matière de mobilité seront maintenus, de même que les niveaux de rémunération ; dans certains cas, le régime sera même plus favorable dans les collectivités.
Les retraites seront calculées à l'identique dans la fonction publique territoriale et la fonction publique d'Etat.
Des garanties financières seront apportées aux collectivités par le Gouvernement.
Je sais que, en dépit de tous ces efforts, des inquiétudes subsistent quant à la compensation financière de la décentralisation. Sur ce sujet, je vous le rappelle, le Gouvernement a pris trois engagements.
Premier engagement : la garantie de compenser loyalement les transferts de compétences.
Les montants précis correspondant aux transferts de ressources seront inscrits dans les lois de finances futures. C'est ce que prévoit la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, adoptée le 1er août 2001.
Cependant, le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales précise les modalités de calcul de ces montants. Il prévoit également l'intervention d'une commission consultative d'évaluation des charges réformée.
Cette commission sera composée à parité d'élus et de représentants de l'Etat. Présidée par un élu, elle sera désormais associée à la définition des modalités de la compensation financière des charges transférées.
Deuxième engagement : le respect du principe d'autonomie financière par le transfert de fiscalité aux collectivités.
Le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales a été voté en première lecture dans les deux assemblées et a permis, à travers les débats qui ont eu lieu, de donner un cadrage précis. Ce texte sera adopté définitivement dans les jours qui viennent au Parlement puisque son examen est inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire.
En ce qui concerne les régions, le transfert d'une part de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui est largement adossée à l'activité économique, constituera une ressource évolutive, leur permettant de faire face à leurs charges. Les modalités de ce transfert de TIPP, ainsi que la mise en oeuvre par les régions d'un pouvoir de modulation des taux à moyen terme sont en cours d'élaboration, en liaison avec la Commission européenne.
En ce qui concerne les départements, il a été décidé de leur transférer une partie de la taxe sur les conventions d'assurance avec, à terme, la possibilité pour eux d'en faire varier les taux.
Troisième engagement : le traitement global de la question des finances locales. D'autres réformes touchant aux finances locales sont engagées simultanément au projet de loi de décentralisation.
D'abord, il s'agit de la réforme des dotations de l'Etat aux collectivités locales.
Le Comité des finances locales a remis au Gouvernement un rapport contenant ses propositions en matière de réforme des dotations. Nous les examinons avec attention.
Notre objectif, c'est le vote d'une loi à l'automne, afin de donner à ces dotations un caractère plus péréquateur qu'aujourd'hui.
Ensuite, il s'agit de la réforme de la taxe professionnelle.
Nous souhaitons donner aux territoires les moyens de leur développement économique, au service de la préservation et de la création d'emplois.
La commission Fouquet va rendre très prochainement un rapport d'étape, puis un rapport définitif en fin d'année. Le Gouvernement préparera la réforme à partir de ces travaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette deuxième lecture doit nous permettre d'achever une phase essentielle du processus de décentralisation engagé en mars 2003 avec la modification constitutionnelle.
Je remercie les rapporteurs des commissions qui ont fait, sur ce texte long et parfois complexe, un remarquable travail de synthèse et d'amélioration.
Je remercie tout particulièrement M. Schosteck, rapporteur de la commission des lois, et M. Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles saisie pour avis, à l'occasion de cette deuxième lecture. Leur contribution a été précieuse.
Je souhaite que l'examen de ce texte se fasse dans un esprit d'ouverture et de dialogue. Ce sera le parti pris du Gouvernement tout au long du débat et je ne doute pas que ce sera aussi celui de votre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici parvenus à « mi-chantier » de l'acte II de la décentralisation.
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a jeté les fondations d'une organisation décentralisée de la République reposant sur cinq piliers : le principe de subsidiarité et de proximité, le droit à la spécificité, le droit à l'expérimentation, l'autonomie financière et la participation populaire.
Deux lois organiques ont d'ores et déjà été adoptées, afin de préciser les conditions de mise en oeuvre de certaines de ces dispositions. Il s'agit des lois organiques du 1er août 2003 relatives, respectivement, à l'expérimentation par les collectivités territoriales et au référendum local.
Le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales a fait l'objet d'une lecture par chaque assemblée et devrait prochainement être adopté définitivement.
Le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales dont nous sommes saisis en deuxième lecture tend à donner de nouvelles compétences aux collectivités territoriales et à leurs groupements, à titre définitif, expérimental ou par voie de délégation.
Le montant des compensations financières estimé à 11 milliards d'euros, si l'on prend en compte les charges transférées aux départements par la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, et l'importance des transferts de personnels, qui devraient concerner 130 000 agents de l'Etat, témoignent de l'ampleur de la réforme.
En complément de l'approfondissement de la décentralisation, le projet de loi prévoit une restructuration des services déconcentrés de l'Etat - vous venez de le rappeler, monsieur le ministre -, à travers l'affirmation du rôle du préfet de région et la rénovation des conditions d'exercice du contrôle de légalité.
Enfin, il comporte de nombreuses dispositions destinées à conforter l'essor de la coopération intercommunale.
En première lecture, le Sénat et l'Assemblée nationale ont accompli, je le crois, un travail considérable d'amélioration de ce texte. Les chiffres en témoignent.
Ainsi, sur les 1 311 amendements qui avaient été déposés sur ce texte, le Sénat en a adopté 472, dont 209 sur proposition de votre commission des lois, 140 des quatre commissions saisies pour avis, 81 de membres du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, 26 de membres du groupe socialiste, 9 de membres du groupe de l'Union centriste, 4 du Gouvernement et 3 de membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Le Sénat a ainsi souhaité étendre et clarifier les compétences des collectivités territoriales, améliorer leurs conditions d'exercice et préserver un climat de confiance entre les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale.
L'Assemblée nationale a examiné le projet de loi du 24 février au 5 mars 2004, le vote solennel n'intervenant que le 14 avril. Elle a adopté 340 amendements, dont 199 des commissions, 18 du Gouvernement, 75 de membres de l'Union pour un mouvement populaire, 4 de membres de l'Union pour la démocratie française, 20 de membres du groupe socialiste, 5 de membres du groupe communiste et républicain et 1 d'un député ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
Le projet de loi, qui comportait 126 articles à l'origine, en comprenait 156 après la première lecture au Sénat et en compte désormais 197, à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale.
Qu'il me soit permis de noter avec un peu d'humour...
Mme Marie-Claude Beaudeau. De l'humour, il en faut !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. ... que certains reprochaient au texte du Gouvernement d'être un peu « épais » ! J'avoue que nous avons tous contribué à faire en sorte qu'il le soit plus encore !
En première lecture, l'Assemblée nationale a souscrit à l'économie générale de la réforme proposée et à la plupart des modifications opérées par le Sénat. Ainsi, 330 des 472 amendements adoptés par le Sénat ont été retenus sans modification et 95 avec modifications. Quelques dispositions symboliques et controversées ont été supprimées, sans que l'accord qui existe entre les deux assemblées soit profondément remis en cause. Enfin, les députés ont apporté d'utiles compléments au texte adopté par le Sénat.
Le détail des amendements adoptés par le Sénat et l'Assemblée nationale figure dans mon rapport écrit ; je n'y reviendrai pas.
J'insisterai davantage sur les propositions de la commission des lois qui tendent à permettre une adoption rapide du projet de loi, tout en améliorant la réforme proposée.
En premier lieu, la commission a adopté sans modification les articles restant en discussion et pouvant faire l'objet d'un accord entre les deux assemblées. Elle a maintenu la suppression de certaines dispositions introduites par le Sénat, mais remises en cause par l'Assemblée nationale.
Ont ainsi été adoptées sans modification la plupart des dispositions relatives au développement économique, à la formation professionnelle, à la protection judiciaire de la jeunesse, à l'environnement, à l'action sociale, à la santé, au transfert aux départements et aux régions des personnels techniciens, ouvriers et de service des collèges et lycées, et à la culture.
Nous avons toutefois pris note de la crainte des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale que le renforcement de la compétence des régions en matière de développement économique ne les prive de la possibilité de développer ou de maintenir l'activité et les emplois sur leur territoire. Les multiples modifications de la législation intervenues depuis quelques années dans ce domaine témoignent de la difficulté de trouver un équilibre satisfaisant entre l'exigence de cohérence et celle de proximité des politiques publiques.
Dans un souci de conciliation avec l'Assemblée nationale, la commission vous propose, en outre, de laisser à l'Etat la responsabilité des stages d'accès à l'entreprise et des stages individuels et collectifs d'insertion et de formation à l'emploi, dont le transfert à la région pourra utilement être envisagé dans un prochain texte de loi de mobilisation pour l'emploi ; de maintenir la compétence de l'Etat à l'égard de la médecine scolaire ; et de conserver l'obligation faite aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, de créer des centres communaux d'action sociale.
Compte tenu des propos exagérés que j'ai pu entendre ou lire, je tiens à souligner que l'intention de la commission des lois et du Sénat, lorsque nous avons proposé de permettre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale d'exercer directement les attributions dévolues aux centres d'action sociale, était non pas de remettre en cause l'existence des centres actuels - ils ont fait la preuve de leur utilité - mais de permettre aux petites communes, qui n'ont pas les moyens de supporter la charge d'un établissement public administratif, d'assumer les compétences qui leur sont dévolues obligatoirement par la loi. Toutefois, consciente de l'émotion suscitée par cette proposition, la commission des lois n'a pas souhaité rouvrir le débat. Je tenais néanmoins à m'inscrire en faux contre tout procès d'intention à ce sujet.
M. Gérard Longuet. A juste titre !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. En second lieu, la commission a adopté quatre-vingt-seize amendements ayant pour objet de préciser les dispositions du projet de loi restant en discussion, de rétablir, le cas échéant, en élaborant des solutions de compromis, certaines dispositions introduites par le Sénat en première lecture, mais remises en cause par l'Assemblée nationale, et, enfin, de compléter la réforme proposée.
Ainsi, dans le domaine du tourisme, la commission juge préférable de maintenir en définitive la compétence de l'Etat pour le classement des équipements touristiques, compte tenu de la faible appétence des départements et des régions pour cette compétence.
S'agissant de la voirie, elle propose, d'une part, de maintenir l'interdiction d'instituer des péages sur les routes express, d'autre part, d'instituer une obligation de transmission au préfet des projets de modification des caractéristiques techniques des voies classées en route à grande circulation et des mesures susceptibles de rendre ces routes impropres à leur destination.
La commission a, par ailleurs, adopté de nombreux amendements dans le domaine du logement.
Elle propose, d'abord, de permettre au maire ou, avec l'accord du maire, au président d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat, de se voir déléguer, sous le contrôle du préfet, le contingent de réservation de logements sociaux dont ce dernier dispose. Cette solution me semble acceptable pour l'Assemblée nationale, qui avait rejeté en première lecture l'idée d'un transfert pur et simple du contingent. Il y aurait donc délégation et non plus transfert.
La commission propose, ensuite, de permettre à l'ensemble des communautés de communes, sans condition de seuil, de solliciter une délégation des aides à la pierre, dès lors qu'elles auront élaboré un programme local de l'habitat. Il lui semble utile d'instituer une procédure de modification du programme local de l'habitat dans la mesure où, en l'état actuel du droit, toute modification de périmètre d'un établissement public de coopération intercommunale implique de recommencer toute la procédure.
Par ailleurs, la commission propose, d'une part, de limiter les hausses annuelles de loyer que peuvent pratiquer les organismes d'habitations à loyer modéré ayant conclu une convention globale de patrimoine, d'autre part, d'étendre aux sociétés d'économie mixte la possibilité de conclure une telle convention et, en conséquence, de les soumettre au même régime d'encadrement des loyers que les organismes d'habitations à loyer modéré. Elle juge préférable de maintenir la compétence de l'Etat pour élaborer conjointement avec le département le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées.
Enfin, elle propose de prévoir la participation financière, par voie de convention, des opérateurs de services téléphoniques aux fonds de solidarité pour le logement.
Dans le domaine de la culture, la commission propose de rétablir une disposition introduite par le Sénat en première lecture sur l'initiative de notre collègue M. Pierre Fauchon consistant à permettre le prêt aux musées de France relevant des collectivités territoriales des collections de l'ensemble des musées nationaux ; en première lecture, nous n'avions évoqué que le seul musée du Louvre.
Comme en première lecture, la commission juge nécessaire de supprimer, d'une part, la possibilité offerte aux collectivités territoriales d'organiser des consultations locales, dans la mesure où elles peuvent désormais organiser des référendums décisionnels, d'autre part, les dispositions relatives à l'évaluation des politiques locales et prévoyant la création d'un conseil national des politiques publiques locales.
Les collectivités territoriales font, en effet, déjà l'objet de multiples contrôles et analyses - en particulier de la part des chambres régionales des comptes - et il ne nous a pas semblé que la création d'un nouveau conseil national contribuerait à l'objectif de simplification administrative auquel nous sommes tous attachés.
S'agissant, enfin, des communes et de l'intercommunalité, la commission propose d'autoriser l'exercice conjoint par le maire et le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre des pouvoirs de police en matière de voirie ; de prévoir que l'intérêt communautaire qui s'attache à l'exercice d'une compétence transférée à un établissement public de coopération intercommunale doit être défini dans un délai de deux ans pour les nouveaux établissements et d'un an pour les établissements existants, faute de quoi l'établissement exerce l'intégralité de la compétence ; de prévoir, afin d'obtenir des explications claires de la part du Gouvernement, que les conventions passées entre les établissements publics de coopération intercommunale et leurs communes membres pour la mise à disposition de services ou la gestion d'équipements ne sont pas soumises au droit de la commande publique ; de permettre aux communes membres d'une communauté d'agglomération de s'en retirer pour adhérer à un autre établissement public à fiscalité propre ; de supprimer l'obligation de remplacer les délégués de la commune dans les organismes extérieurs après l'élection d'un nouveau maire, ce qui entraîne des lourdeurs inutiles dans la mesure où le conseil municipal conserve la possibilité de modifier sa représentation dans les organismes extérieurs s'il le juge utile.
Mes chers collègues, il est souhaitable que l'adoption définitive du projet de loi puisse intervenir rapidement afin de ne pas laisser trop longtemps les élus locaux et les personnels concernés dans l'expectative, au risque de les décourager, afin de réaliser les transferts dans les meilleures conditions.
Le chantier de la décentralisation ne sera pas pour autant achevé. La réforme de la fiscalité locale et des dotations de l'Etat aux collectivités constitue la clef de son succès.
Plusieurs mesures ont déjà été prises, qu'il s'agisse de l'assouplissement des règles de lien entre les taux des différents impôts directs locaux ou de l'assujettissement de France Télécom aux règles communes d'imposition à la taxe professionnelle, opérés, je le rappelle, par la loi de finances pour 2003, ou encore de la réforme de l'architecture de la dotation globale de fonctionnement, réalisée par la loi de finances pour 2004.
La révision des critères d'attribution des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales pourrait intervenir dès la loi de finances pour 2005.
Les gestionnaires de nos collectivités locales attendent beaucoup de ces réformes qu'il faut mener sans tarder. Ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Bernard Frimat. C'est déjà fait !
Mme Hélène Luc. Encore faudrait-il que ce texte les aide !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, en remplacement de M. Philippe Richert, rapporteur pour avis. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser M. Philippe Richert, qui est actuellement retenu par la présidence de son département. Je le remplacerai en espérant que le débat n'y perdra pas !
Notre commission des affaires culturelles a souhaité se saisir pour avis, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités locales, de façon, en particulier, à examiner les dispositions relatives au sport introduites par l'Assemblée nationale.
Avant de procéder à l'examen de ce nouveau chapitre IV au sein du titre V du projet de loi, je me livrerai à une brève analyse des dispositions relatives au logement étudiant, à l'éducation et à la culture sur lesquelles notre commission s'était engagée en première lecture, ainsi que sur les modifications que l'Assemblée nationale leur a apportées.
La question du logement étudiant ne porte que sur un article du projet de loi - l'article 51 - mais n'en est pas moins importante, compte tenu des difficultés qu'elle recouvre.
Le logement étudiant est, en France, dans une situation particulièrement critique, dans la mesure où d'importants besoins - tant quantitatifs que qualitatifs - restent à satisfaire.
Le transfert de compétences qu'organise, sous certaines conditions, le projet de loi n'est donc pas sans conséquences : à la fois budgétaires, sur les conditions de vie et de travail des étudiants, notamment étrangers, et sur l'attractivité de nos universités.
L'Etat étant dans l'incapacité de faire face à l'intégralité des besoins recensés, l'article 51 du présent projet de loi vise à transférer aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale qui le souhaitent, la charge des opérations de construction, d'extension, de grosses réparations et d'équipement des locaux destinés aux étudiants, ainsi que la propriété des résidences universitaires appartenant à l'Etat et celle des logements sociaux étudiants des organismes publics d'habitations à loyer modéré ou des sociétés d'économie mixte.
Le caractère facultatif et gratuit de ce transfert de compétences a été décidé par le Sénat, et maintenu par l'Assemblée nationale en première lecture, compte tenu de l'état, parfois très dégradé, des logements concernés et de l'importance des investissements que ce transfert peut induire pour les collectivités.
Le Sénat avait, par ailleurs, confié explicitement aux conseils régionaux des oeuvres universitaires et scolaires, les CROUS, la compétence en matière d'attribution de l'ensemble des logements destinés aux étudiants, que ceux-ci soient transférés par l'Etat ou construits par les communes ou leurs groupements, ces derniers pouvant éventuellement confier le fonctionnement et l'entretien courant des logements nouvellement construits à l'organisme de leur choix.
L'Assemblée nationale a adopté une rédaction qui ne fait plus apparaître clairement cette mission pourtant essentielle des CROUS et qui, à l'inverse, vise de façon à la fois inutile et inadéquate les autres missions de ces organismes.
Votre commission des affaires culturelles vous proposera donc, sur ce point, de revenir à la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.
S'agissant du chapitre « éducation », l'Assemblée nationale a adopté conforme la moitié des quatorze articles concernés.
Elle en a modifié à la marge quatre autres, dans un sens que notre commission approuve, puisqu'il s'agit d'améliorer la clarté du texte de loi ou d'en préciser la portée.
En outre, un nouvel article 70 quater, introduit sur proposition des élus parisiens, vise, dans un souci de proximité que l'on ne peut que saluer, à renforcer certaines prérogatives des maires d'arrondissement.
J'insisterai cependant sur les deux modifications les plus significatives apportées à ce chapitre par les députés : tout d'abord, la suppression de l'article 67 bis procédant au transfert aux départements du service de médecine scolaire, que le Sénat avait introduit dans le présent projet de loi, sur proposition de notre commission. Cette disposition répondait à un souci de cohérence et d'efficacité par rapport aux compétences des départements en matière d'aide sociale à l'enfance ou de prévention.
Sans remettre en cause la pertinence de cette analyse, le Gouvernement, notamment, a proposé la suppression de cet article. Consciente de l'acuité des enjeux politiques entourant ce débat, la commission des affaires culturelles, sur l'avis de son rapporteur, a décidé de se rallier à la position de sagesse adoptée par l'Assemblée nationale. Il n'est pas de notre volonté de raviver les passions sur ce sujet, mais il méritera sans doute un réexamen dans un contexte plus propice et plus serein.
De plus, l'Assemblée nationale a adopté quelques dispositions complémentaires à l'article 67, article central de ce chapitre, qui, je vous le rappelle, confie aux départements et aux régions les missions d'accueil, de restauration, d'hébergement et d'entretien général et technique dans les collèges et lycées, ainsi que le recrutement et la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS, exerçant dans les établissements.
Si l'essentiel du dispositif a été adopté dans la rédaction issue des travaux au Sénat, les ajouts apportés au texte visent le paragraphe X, déjà sensiblement modifié en première lecture, qui instaure un lien direct entre le chef d'établissement et le président de la collectivité de rattachement, pour l'exercice des compétences transférées.
Ces dispositions ont essentiellement pour objet d'encadrer de garanties supplémentaires les modalités d'exercice de ces compétences, notamment pour réaffirmer, de façon sans doute redondante, mais pédagogique - il faut répéter pour se faire comprendre -, l'autorité du chef d'établissement sur les personnels TOS : en effet, celui-ci encadre et organise leur travail au sein de l'établissement. Sans remettre en cause le fondement de ces dispositions, la commission des affaires culturelles a adopté des amendements visant à corriger certaines imprécisions, voire inexactitudes, dans la formulation retenue.
En outre, en cohérence avec les observations déjà faites à cet égard en première lecture, elle vous suggérera de supprimer la référence, réintroduite dans le texte, à une convention passée entre l'établissement et la collectivité compétente. En effet, cette disposition n'apporte rien par rapport à la rédaction adoptée au Sénat et aboutit à soumettre la collectivité à discussion et approbation de cette convention par le conseil d'administration de l'établissement, ce qui paraît absurde.
Enfin, l'article 67 a été complété par un paragraphe XIII qui prévoit que deux rapports sont adressés par le Gouvernement au Parlement.
Le premier recense l'évolution et la répartition des effectifs de personnels TOS au cours des cinq dernières années, ce qui est légitime et nécessaire pour que les collectivités disposent d'une visibilité suffisante du problème.
Le second a pour finalité de retracer les efforts de rééquilibrage entrepris entre le moment de l'entrée en vigueur de la loi et celui du transfert définitif des personnels ; cela paraît peu réaliste, le délai imparti étant trop bref pour permettre d'aboutir à des résultats significatifs. La commission des affaires culturelles vous proposera donc de supprimer ce dernier rapport : chaque collectivité rendra compte, dans les années qui suivront le transfert des personnels, des efforts qu'elle aura entrepris.
J'en viens maintenant aux dispositions relatives au patrimoine et aux enseignements artistiques.
Je note avec satisfaction que nos deux assemblées sont parvenues à rapprocher leurs points de vue sur les dispositions figurant dans le projet de loi initial.
L'Assemblée nationale a, en effet, adopté conformes les articles 72 et 76, relatifs respectivement à la décentralisation de l'inventaire général du patrimoine culturel et aux établissements d'enseignement artistique relevant de la responsabilité de l'Etat.
Elle n'a, par ailleurs, apporté que des modifications ne remettant pas en cause nos orientations aux articles 73, 74 et 75, qui portent respectivement sur le transfert de propriété de certains monuments historiques, sur l'expérimentation de décentralisation des crédits du patrimoine, sur l'organisation et le financement des établissements d'enseignement artistique relevant des collectivités territoriales. Nous vous proposerons donc de les adopter sans modification, à l'exception de l'article 75, où certaines coordinations sont nécessaires.
La commission des affaires culturelles a examiné avec attention les trois articles additionnels adoptés par l'Assemblée nationale.
L'article 72 bis vise à autoriser les collectivités territoriales et leurs établissements publics à recruter en qualité d'agents non titulaires des personnels travaillant actuellement pour des associations ayant pour objet l'inventaire du patrimoine.
Le transfert de compétences opéré en matière d'inventaire risque à la fois de fragiliser ces associations et de susciter dans les collectivités territoriales de nouveaux besoins en personnels compétents dans des disciplines parfois pointues. Compte tenu de la faiblesse des effectifs concernés -une trentaine d'agents environ - et de la spécificité des métiers exercés par ces professionnels, la commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
Elle émet la même recommandation pour l'article 74 ter, qui a pour objet de mettre un terme à l'activité de maîtrise d'oeuvre libérale des architectes des Bâtiments de France. Cette clarification est nécessaire, et j'apprécie que le dispositif proposé comporte une certaine souplesse, puisqu'il entrera en vigueur seulement le 1er janvier 2005, mais que les missions libérales engagées avant cette date pourront être poursuivies jusqu'au 31 décembre 2007. Il me paraît cependant indispensable, messieurs les ministres, que les architectes des Bâtiments de France restent des architectes à part entière et conservent la pratique de leur art : nous invitons donc le Gouvernement à réfléchir à une modification de leurs missions afin de leur permettre de développer, pour le compte de l'Etat ou des collectivités territoriales, une maîtrise d'oeuvre de service.
L'article 74 bis me paraît, en revanche, soulever davantage de difficultés.
Certes, nous en approuvons les deux objets. Il s'agit d'abord, je le rappelle, de réintroduire dans le champ d'application de la loi de 1985, qui traitait de la maîtrise d'ouvrage publique, les travaux portant sur les monuments inscrits à l'inventaire supplémentaire. Ces travaux, à tort, avaient été assimilés à ceux qui portent sur les monuments classés, lesquels, relevant selon les cas des architectes des Bâtiments de France ou des architectes en chef des monuments historiques, sont les seuls à mériter ce régime dérogatoire.
Il s'agit ensuite de rendre au propriétaire son rôle de maître d'ouvrage pour les travaux portant sur un monument classé, conformément aux recommandations formulées dans le rapport de M. Jean-Pierre Bady et dans celui de notre collègue Yann Gaillard.
Cependant, nous avons le sentiment que le dispositif proposé mérite une réflexion plus approfondie. Faut-il dispenser les opérations portant sur les monuments classés de l'ensemble des dispositions de la loi de 1985, ou seulement de celles de son titre II, relatif à la maîtrise d'oeuvre ? Si l'on veut véritablement rétablir le propriétaire d'un monument classé dans son rôle de maître d'ouvrage, ne faut-il pas envisager une disposition plus explicite que la seule abrogation d'une mesure qui permettait à l'Etat de lui conférer ces travaux et qui, indirectement, avait redonné à l'Etat une compétence de principe ?
Nous pensons donc qu'il est préférable de nous laisser -et de laisser au Gouvernement - un temps de réflexion sur ces sujets et de les aborder à l'occasion de la discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, que l'Assemblée nationale vient d'adopter et dont l'article 7 comporte une disposition très comparable. Aussi proposons-nous au Sénat de supprimer l'article 74 bis.
En première lecture, les députés ont introduit dans le texte six articles additionnels visant à créer un chapitre IV intitulé : « Le sport ». Ainsi, dans le droit-fil des conclusions remises par les groupes de travail des états généraux du sport, le rôle des collectivités territoriales dans le domaine sportif est consacré, alors qu'aucune disposition des précédentes lois de décentralisation n'en traitait.
Avec 7,8 milliards d'euros en 2000, ce qui représentait 30 % de la dépense sportive nationale et 74 % du financement public du sport, ce sont en premier lieu les collectivités locales qui font vivre le sport en France, loin devant la contribution des médias, qui reste onze fois moins importante.
Profitant de la clause générale de compétence, les élus locaux ont largement investi dans les activités sportives : elles sont pratiquées aujourd'hui par 26 millions de Français - parmi lesquels on compte plus de 14 millions de titulaires de licences -, adhérents de l'une des 174 000 associations sportives réparties sur tout le territoire et qui utilisent des équipements sportifs dont 90 % appartiennent aux collectivités.
Le dispositif adopté à l'Assemblée nationale s'inscrit dans les deux grandes lignes dessinées par les conclusions des états généraux, que l'on peut ainsi résumer : d'une part, dans le domaine sportif, il s'agit plus de clarifier les responsabilités et de coordonner les interventions que de décentraliser des compétences ; d'autre part, pour créer des synergies avec les dispositifs existants, il est suggéré de respecter les compétences décentralisées des collectivités territoriales et de les décliner dans le secteur sportif.
De ce fait, il est proposé dans le projet de loi tel que l'a adopté l'Assemblée nationale de créer au niveau régional une instance de concertation entre les acteurs du monde sportif : c'est l'objet de l'article 76 ter, qui institue une conférence régionale de développement du sport au sein de laquelle siégeraient les représentants des collectivités territoriales, les représentants du sport - principalement ceux du comité régional olympique et sportif et des comités départementaux olympiques et sportifs -, sur proposition du préfet de région, les représentants des services et établissements publics de l'Etat dans les régions et, enfin, des personnalités qualifiées.
Ce dispositif prévoit l'élaboration d'un projet de schéma régional de développement du sport. Celui-ci ferait l'objet d'une évaluation, qui est inexistante à l'heure actuelle.
L'article 76 quater confie au département le développement maîtrisé des sports de nature en transférant au conseil général la responsabilité de l'établissement du plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature, qui, depuis la loi du 8 juillet 2000, relevait de la CDESI, la commission départementale des espaces, sites et itinéraires. Cette dernière, désormais placée « auprès » du président du conseil général, continuerait à proposer le projet de plan.
L'article 76 sexies confie au département le soin de favoriser la pratique sportive des handicapés et des personnes qui rencontrent des difficultés sociales.
Les trois autres articles tirent les conséquences de ce dispositif. D'une part, ils autorisent les départements à utiliser le produit de la taxe des espaces naturels sensibles pour acquérir, aménager et gérer les terrains figurant au plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatif aux sports de nature, le PDESI. D'autre part, ils modifient l'autorité administrative compétente pour prescrire les mesures d'accompagnement compensatoires ou correctrices des travaux susceptibles de porter atteinte aux espaces, sites ou itinéraires inscrits au PDESI.
L'examen approfondi des dispositions proposées a mis au jour de nombreuses incertitudes juridiques, résultant de rédactions souvent approximatives qui révèlent une certaine précipitation de l'Assemblée nationale dans l'adoption des articles.
Plus fondamentalement, la plupart des dispositions examinées restent de portée purement déclarative. Ainsi, celle qui vise à investir le département en tant que chef de file pour favoriser la pratique sportive des personnes handicapées ou en difficulté sociale n'apporte aucune avancée concrète par rapport à l'article L. 121-1 du code de l'action sociale et des familles, qui confère au département une compétence de principe en matière d'action sanitaire et sociale.
L'aspect le plus problématique des dispositions introduites consiste dans le risque d'incertitude juridique qui pèse sur les élus locaux à qui incombent ces nouvelles responsabilités.
Le département, désigné comme « collectivité chef de file » pour les sports de nature, est particulièrement concerné. En effet, aucune des questions juridiques - sécurité, responsabilité, protection des propriétés - soulevées au cours de l'examen des projets de loi antérieurs portant sur ces disciplines n'ayant été tranchée, le département est susceptible d'être systématiquement tenu pour responsable en cas d'accident, alors même qu'aucun cadre juridique adapté n'existe aujourd'hui pour définir les droits et les obligations des différents acteurs.
Quant à la conférence régionale chargée de proposer des orientations stratégiques pour la politique sportive à l'échelon local, ni son statut ni la valeur juridique qu'il convient d'accorder au schéma de développement du sport, dont elle est chargée de proposer le projet, ne font l'objet de dispositions normatives dans le dispositif transmis au Sénat. Parmi ses missions, la politique des équipements sportifs n'est en aucune façon mentionnée, alors même que, à la suite du rapport que notre collègue M. Pierre Martin a remis au ministre des sports, ce dernier a confié au Conseil national des activités physiques et sportives une mission de recensement national des équipements sportifs qui devait déboucher sur une nouvelle stratégie de planification.
Considérant que la refondation de la politique sportive locale mérite une réflexion plus approfondie et devrait faire l'objet d'une concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, la commission des affaires culturelles proposera au Sénat de bien vouloir adopter des amendements de suppression de la plupart de ces articles, tout en souhaitant qu'une véritable réflexion puisse avoir lieu dans un cadre plus approprié que celui qu'offre l'examen d'un texte portant sur la décentralisation.
Je me permettrai enfin d'insister, messieurs les ministres, pour que les textes réglementaires déjà prévus par des dispositions législatives antérieures, notamment le décret d'application de la loi dite « Buffet » de 2000 permettant la mise en place effective des CDESI relatives aux sports de nature, soient effectivement publiés, étape non suffisante mais nécessaire pour la mise en place d'une véritable politique sportive publique locale.
Telle est donc, messieurs les ministres, la contribution de la commission des affaires culturelles du Sénat à ce projet de loi important, dont elle souhaite la discussion et l'adoption rapide. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un Mouvement Populaire, 80 minutes ;
Groupe socialiste, 44 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social, européen, 13 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Max Marest.
M. Max Marest. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes donc de nouveau appelés, en tant que parlementaires, mais aussi en notre qualité de représentants des collectivités territoriales, à examiner en deuxième lecture le projet de loi ayant pour objet d'organiser les futurs transferts de compétences, transferts qui interviendront comme prévu dès le 1er janvier 2005.
L'examen de ce texte en première lecture a marqué la Haute Assemblée : tout le monde se souvient de la discussion marathon de neuf jours, qui correspondit à quatre-vingt-une heures de débats et d'échanges parfois vifs au cours desquels furent discutés 1 311 amendements.
Les élus locaux, grâce notamment à leurs associations, furent largement entendus et, M. le ministre l'a rappelé, nombre de leurs aspirations furent prises en compte.
Le travail considérable que nous avons accompli fut poursuivi à l'Assemblée nationale. Ce sont donc, à l'issue de la première lecture, plus de soixante-dix nouveaux articles qui sont venus enrichir le projet de loi.
Gageons que l'essentiel du chemin a été débroussaillé devant nous et que nos discussions seront, en conséquence, plus rapides, apaisées et constructives.
Il n'est pas question de rebrousser chemin. Le cap doit être, et sera, gardé. Car, si les lois « Defferre » de 1982 et 1983 ont constitué une première avancée, l'actuelle entreprise de décentralisation revêt, elle aussi, une ampleur particulière, tant par les transformations dont elle est porteuse que par la durée sur laquelle s'étendra leur mise en oeuvre.
Les lois Defferre de 1982-1983, puis la réforme constitutionnelle de 2003 marquent la volonté politique d'opérer une redistribution des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités locales, avec comme objectifs une meilleure efficacité de l'action publique et le développement d'une démocratie de proximité.
Ces réformes indispensables pour notre pays devraient susciter une adhésion dépassant les clivages politiques, d'autant plus que, contrairement aux précédentes expériences décentralisatrices, de réelles garanties financières existent aujourd'hui.
Rappelons que, par le passé, les charges transférées avaient augmenté beaucoup plus vite que les compensations correspondantes. Entre 1987 et 1996, la part des dépenses liées à l'exercice des compétences transférées dans les dépenses totales des collectivités territoriales était ainsi passée de 13,5 % à 17,8 %, tandis que la part des ressources transférées dans les ressources totales des collectivités avait diminué de 9,5 % à 8,3 %. La mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie, en remplacement de la prestation spécifique dépendance, fut révélatrice des difficultés financières auxquelles peuvent être confrontées les collectivités territoriales à la suite d'une extension ou d'une création de compétences sans compensation financière.
Désormais, depuis la révision constitutionnelle de mars 2003, toute nouvelle charge résultant du transfert d'une compétence aux collectivités sera intégralement compensée financièrement. Le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, tel que modifié par le Sénat en première lecture et qui devrait être adopté définitivement au cours du mois de juillet, devrait permettre de garantir l'autonomie financière des collectivités en les faisant bénéficier de ressources propres constituées d'impôts modulables ou localisables.
Pour la clarté, il serait d'ailleurs heureux que chaque collectivité dispose de sa propre feuille d'impôt en remplacement de la feuille aujourd'hui unique. Je crois qu'il faut y réfléchir. Finis les financements croisés entre collectivités qui ne soient pas contractuels au regard d'un projet précis !
Un consensus pourrait donc aujourd'hui être possible au-delà de nos clivages politiques. Un consensus assez large existe sur la pesanteur et les lourdeurs d'un centralisme jacobin excessif. La réforme liée au projet de loi relatif aux responsabilités locales, voulue par le Premier ministre et le Président de la République, est indispensable pour libérer la France des lourdeurs de ce centralisme.
La décentralisation doit ainsi contribuer à simplifier et clarifier notre paysage administratif. Un moyen simpliste et brutal de clarification aurait consisté, par exemple, à supprimer les départements.
Mais cela eût été prendre un mauvais chemin. Un sondage réalisé en août 2000 montre d'ailleurs que pour 67 % des Français, la coexistence de trois échelons locaux, régions, départements, communes, est une bonne chose car elle permet de gérer les dossiers au plus près des citoyens et de manière satisfaisante. Dans ce sondage d'opinion, 57 % des personnes interrogées souhaitaient aller plus loin en amplifiant cette évolution décentralisatrice. La vérité est vraisemblablement au milieu.
Les Français ont besoin d'acteurs politiques plus près du terrain et davantage à leur écoute. La réforme proposée en matière de décentralisation et de libération des énergies locales est née, entre autres, de l'exaspération exprimée le 21 avril 2002 devant l'impuissance du politique.
Au lieu d'une dilution des responsabilités dans la complexité institutionnelle de notre pays, finalement bien commode lorsqu'il s'agit de renvoyer les mécontents sur l'un ou l'autre, la réforme de la décentralisation propose un nouveau pacte républicain où chacun se voit confier des compétences clairement identifiées.
M. Bernard Frimat. Ce n'est pas vrai !
M. Max Marest. C'est alors en toute connaissance de cause que les électeurs jugeront une politique locale. Proximité et responsabilisation des acteurs de terrain sont indispensables.
Pourtant, la décentralisation fait aujourd'hui parfois l'objet de critiques assez virulentes. Ainsi, pour certains, elle pourrait remettre en cause la conception du service public à la française, en laissant la place à l'arbitraire local et en acceptant les inégalités des politiques menées au niveau décentralisé.
Cette argumentation a rencontré un certain écho auprès de nos concitoyens. L'attachement à un juste traitement des citoyens apparaît comme un facteur puissant de cohésion nationale. L'Etat se doit d'être le garant de cette justice et ce rôle semblerait incompatible avec une relance de la décentralisation. On oppose ainsi, de manière quelque peu caricaturale, l'Etat, symbole d'équité, avec les libertés reconnues aux collectivités locales.
Sans minimiser ces inquiétudes, il paraît nécessaire de nuancer ces postulats, puisque c'est parfois l'Etat lui-même qui, paradoxalement, apparaît comme un vecteur d'inéquités, quand il n'est plus en mesure de garantir la cohésion. Je pourrais citer l'exemple de la fonction publique et des vacances de postes dans des secteurs aussi sensibles que l'Education nationale, qui touchent de façon récurrente certains départements, alors que d'autres ne le sont nullement. L'Etat ne parvient plus à assurer une juste équité pour les élèves lorsque ceux-ci doivent faire face à des postes non pourvus ou assurés de façon intermittente par des professeurs remplaçants, parce que situés dans des zones insuffisamment attrayantes.
L'Etat n'a plus de facto les moyens matériels ou humains pour assurer, à lui seul, la justice sociale sur le territoire. La politique menée à l'échelon local apparaît dès lors comme un complément indispensable, la décentralisation jouant un rôle de « raccommodage » des territoires en comblant les insuffisances de l'Etat. Le thème de la décentralisation contre l'égalité des droits ne résiste donc pas à une analyse sérieuse. Ce seul exemple montre que le débat n'est pas aussi simple et doit se garder de tout excès. L'équilibre le plus clair a été recherché et doit être encore l'objet de notre attention.
Ainsi, les régions pourraient être responsables des interventions économiques, de la formation professionnelle, du transport, des grandes infrastructures et du tourisme. Cela a déjà été souligné tout à l'heure.
Par ailleurs, le projet permettra aux régions de gérer l'attribution des fonds structurels européens, soit environ 15,7 milliards d'euros sur six ans, l'enjeu étant d'autant plus considérable que le taux actuel de consommation de ces crédits reste modeste.
Les départements, de leur côté, acquerront la pleine responsabilité des actions de solidarité. Ils assureront la coordination et la gestion des aides en faveur des plus démunis, telles que les aides sociales d'urgence, les aides aux jeunes en difficulté ou le fonds de solidarité logement.
Ils coordonneront également l'action gérontologique, ainsi que toutes les prestations sociales en faveur des personnes âgées.
Leur seront également confiés 20 000 kilomètres du réseau routier national, ainsi que la responsabilité, comme pour les régions, des personnels chargés de l'entretien des établissements scolaires relevant de leur compétence.
Enfin, sera ouverte une expérimentation dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse.
S'agissant des communes et de leurs groupements, sur lesquels se concentrent toutes les pressions des citoyens et dont les budgets représentent 60 % des budgets de l'ensemble des collectivités locales, la nouvelle vague de décentralisation ne doit conduire en aucun cas à une fragilisation.
Leur seront confiés le logement étudiant et, par délégation, les aides à la pierre, tandis que d'autres transferts de compétences, comme celui du logement social, restent encore en débat.
A l'issue d'une discussion assez vive, notre Haute Assemblée avait, en effet, proposé, en première lecture, de transférer au maire ou, par délégation du maire, au président d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de logement, le contingent préfectoral de réservation de logements sociaux. Mais l'Assemblée nationale avait souhaité, pour sa part, rétablir un dispositif de délégation du contingent préfectoral aux départements et EPCI bénéficiant d'une délégation des aides à la pierre, comme le prévoyait initialement le projet de loi à l'article 49, en l'encadrant plus strictement. Je me félicite de constater que notre commission des lois souhaite rétablir la modification qu'elle avait proposée en première lecture et que l'Assemblée nationale avait supprimée.
La clarification des compétences des collectivités locales s'impose aussi à l'Etat. En conséquence, seront simplifiées certaines procédures, à l'instar du contrôle de légalité, le nombre d'actes soumis à transmission obligatoire au préfet étant réduit en contrepartie d'une amélioration du contrôle. Les structures seront clarifiées, le préfet de région exerçant un pouvoir de coordination et d'animation des actions des préfets de département. La loi rappellera clairement le pouvoir de direction des préfets sur les services. Les moyens seront déconcentrés.
Je souhaiterais par ailleurs insister sur le fait que le débat sur la décentralisation ne saurait se limiter aux seuls enjeux nationaux : l'affirmation des territoires prend, en effet, une importance particulière dans le cadre de la construction européenne, qui a pris un nouvel essor avec l'adhésion, le 1er mai dernier, de 10 nouveaux Etat membres. Les réformes entreprises par les Etats européens ont toutes été inspirées par la recherche de territoires compétitifs au niveau européen. Il faudrait que nous, Français, y prenions bien garde.
Au cours des années 1990, tous les pays de l'Union européenne, à l'exception de la Grande-Bretagne, ont ainsi opéré d'importantes réformes décentralisatrices. En 1991 en Irlande, en 1994 en Grèce, mais aussi en Belgique, en Ecosse, en Finlande, sans oublier l'Espagne et l'Italie, où les mesures en faveur des collectivités de niveau régional ont connu la plus grande ampleur, avec l'extension des champs de compétences, l'octroi d'un pouvoir législatif et le renforcement de l'autonomie locale.
Toutes ces réformes ont été inspirées par la recherche d'une plus grande efficacité des politiques publiques, en favorisant l'émergence de territoires compétitifs au niveau européen.
La construction européenne a, en effet, fortement modifié la perception de l'échelon local par les Etats et les citoyens : cette construction repose certes sur les Etats, mais la politique communautaire exerce également une influence déterminante dans les domaines des marchés publics, des aides économiques ou de l'environnement, autant de secteurs qui intéressent de près l'échelon local.
En outre, les collectivités locales ont vu leur existence progressivement reconnue au sein des institutions européennes, que ce soit par le biais du Comité des régions, institué par le Traité de Maastricht en 1992, ou par celui du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, organe consultatif du Conseil de l'Europe créé en 1994. C'est également au sein du Conseil de l'Europe qu'a été élaborée la Charte européenne de l'autonomie locale, qui affirme le principe de l'autonomie locale comme « le droit et la capacité effective des collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ».
C'est parce qu'il a su percevoir les enjeux démocratiques, économiques, sociaux et européens qui s'attachent à une relance de la décentralisation que le Président de la République a proposé une révision constitutionnelle : « Le moment est venu de reprendre la longue marche, si souvent contrariée, vers la décentralisation, pour mettre en place une nouvelle architecture des pouvoirs. Les décisions intéressant nos concitoyens devront désormais être prises au niveau le plus proche des réalités. J'appelle à un grand débat national sur les libertés et les responsabilités locales ».
Ce débat est aujourd'hui porté devant notre Haute Assemblée. Formons le voeu que nos travaux soient constructifs et consensuels afin de parachever enfin ce débat, engagé, il y a presque deux ans maintenant, avec le lancement en octobre 2002 des assises des libertés locales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette deuxième lecture du projet de loi transférant aux collectivités locales des compétences sans les moyens correspondants devrait être pour notre assemblée l'occasion d'évaluer l'accueil que ce projet reçoit.
Depuis un an et demi que M. le Premier ministre a ouvert son dossier de la décentralisation, le public s'est intéressé à ce chantier, en a analysé les plans, anticipé ses retombées, s'est fait son opinion et l'a manifestée.
Car ce chantier n'est pas resté interdit à nos concitoyens. Et le danger qu'il représente est maintenant bien connu. C'est pourquoi les électeurs ont désavoué le Gouvernement.
Notre mission n'est-elle pas alors d'entendre ces critiques et de reprendre fondamentalement le projet ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voient leur demande d'une véritable décentralisation confortée par l'expression forte et sans appel du mouvement social et du corps électoral.
M. Raffarin lui-même après la déroute des élections régionales s'était verbalement engagé à revisiter en profondeur ce texte. Sage clairvoyance, mais vite obscurcie !
Nous voyons aujourd'hui qu'il n'en est rien. Et pourtant, même devant l'Assemblée nationale, il a dû s'employer à maintes démonstrations de force pour imposer à sa propre majorité d'adopter son projet et ce ne fut pas une adoption plénière.
Cette obstination semble proportionnelle au désaveu politique des citoyens et d'un grand nombre d'élus locaux
La semaine dernière, l'adoption de la charte de l'environnement fut qualifiée d'historique, pourtant son contenu n'est pas à la hauteur des enjeux, mais ce qui est vraiment historique, c'est ce texte tentaculaire sur lequel nous débattons, dans des conditions indignes, et qui contient les germes d'un démembrement inouï des services publics !
Voici l'événement majeur de cette législature : mettre un terme à la solidarité nationale, à l'intérêt général, imposer vaille que vaille un projet qui suscite tant de résistance et de refus !
Ce texte qui nous parvient de l'Assemblée nationale voit son titre déjà modifié : on a cru bon d'adjoindre la belle notion de liberté à celle des responsabilités locales.
Mais quelle liberté ? Celle d'instaurer des péages aux quatre coins d'un département ? Celle de choisir entre l'augmentation des impôts locaux et la privatisation du service public, voire son abandon ? Celle de gestion des collectivités ? Celle d'un vrai faux choix d'option pour le personnel de la fonction publique ?
Décidément, plus on décortique et moins on évoque réellement la décentralisation.
Quelle confiance peut-on encore raisonnablement placer dans ce gouvernement pour mener à bien cette grande réforme dont notre pays a besoin, gouvernement désavoué jusque dans ses propres rangs et balayé à chaque expression du suffrage universel, comme en avait donné le signal les électeurs corses il y a un an tout juste ?
Mais il est vrai que M Raffarin préfère commenter les matches de l'équipe de France de football plutôt que de prendre en compte son propre score électoral. Quel dommage !
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. C'est misérable !
Mme Josiane Mathon. C'est un peu court, mais c'est juste.
Cette confiance citoyenne fuit le Gouvernement, qui semble précipiter lui-même son éloignement.
Ainsi comment pouvons-nous, mes chers collègues, être assurés d'un débat respectueux des avis, des analyses et des propositions de chacun d'entre nous, alors qu'officiellement la session ordinaire se termine dans deux jours ?
Ce gouvernement prend-il au sérieux le travail parlementaire ?
Il nous est proposé d'examiner les amendements du Gouvernement ce soir, à la pause, entre deux séances, peut-être entre deux portes...
La confiance dans la politique suivie par la majorité de droite est profondément émoussée à travers le pays.
De fortes inquiétudes se font jour sur des questions précises, comme en témoigne le questionnaire de l'Assemblée des départements de France interrogeant les élus locaux sur l'opportunité du transfert des routes nationales aux conseils généraux, sur le devenir des parcs de l'équipement.
Au-delà, c'est même à un front du refus qu'a affaire le Gouvernement avec le positionnement de nombreux présidents de conseils régionaux qui décident de ne pas solliciter de transferts de compétences dans le cadre de l'expérimentation, et qui affirment également, et de manière publique, qu'en cas de transferts de charges imposés par la loi, ils ne les mettraient pas en oeuvre !
Monsieur le ministre, le souffle de la contestation de votre projet est puissant !
Ce mouvement a compris qu'il ne pouvait rien attendre de positif de votre action.
Ce n'est pas une surprise pour les membres de mon groupe, qui n'ont eu de cesse de dénoncer vos intentions, vos choix et vos actes.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Non, ce n'est pas une surprise !
Mme Josiane Mathon. En effet, cela ne fait que confirmer ce que nous disons depuis longtemps !
Votre volonté n'est donc pas d'opérer une décentralisation donnant aux collectivités locales et aux citoyens les prérogatives leur permettant de décider de ce qui les concerne.
Votre objectif politique est de transformer en profondeur notre pays vers plus de libéralisme, de mise en concurrence des hommes et des territoires.
Votre projet a le seul mérite d'être cohérent. De la privatisation d'EDF à la casse des retraites par répartition et à la réforme qui dénaturera la sécurité sociale, vous poussez notre société à se tourner vers le marché pour répondre à ses besoins fondamentaux.
Vous voulez « un nouvel ordre économique et social pour remplacer le modèle mis en place en 1945 », comme l'avouait dans la presse Ernest-Antoine Seillière fin 2003.
La décentralisation, dans l'esprit et dans les textes de vos lois, est l'occasion de défaire les services publics, votre objectif est qu'ils deviennent des services marchands, alors que faites-vous ? Vous démembrez.
L'éducation nationale, sans consultation et même en dehors du débat sur l'école, est déstructurée, démantelée : 90 000 personnels TOS - techniciens, ouvriers et de service - seraient transférés, sans aucune garantie sur leur avenir individuel et collectif, vers des régions qui n'ont pas les moyens de les accueillir.
Le Gouvernement, certes, a dû reculer sur la date de ce transfert, reconnaissant sa précipitation, mais s'entêtant sur son idée.
La communauté éducative n'est pas une simple addition de catégories de personnels, c'est aussi le partage d'une mission commune, dans un cadre commun. C'est à cela que vous vous attaquez.
Quel service public les agents de l'équipement assureront si vous parvenez à les transférer aux départements ? Ecoutez-les, ils défendent avec raison l'unicité, la cohérence, la gratuité du service public pour lequel ils travaillent aujourd'hui, car c'est leur mission, bénéficiant d'un statut leur permettant, malgré la baisse du nombre des postes, de déployer leurs compétences pour l'intérêt général. Demain, qui financera ce service indispensable d'entretien des routes ?
Le principe utilisateur-payeur que vous introduisez avec le transfert de la voirie nationale marque un choix pour une société de l'individualisme, où la solidarité est ramenée à la portion congrue.
Votre projet n'apporte qu'inquiétudes et incertitudes aux élus locaux.
La grande crainte est celle de ne pas pouvoir faire face aux charges nouvelles qui seront transférées sur les collectivités locales.
Votre projet n'est pas financé. La loi sur l'autonomie financière des collectivités n'apporte qu'une définition des fonds propres - d'ailleurs, elle n'a pas encore été adoptée - mais rien n'est écrit ni décidé quant à l'indispensable péréquation entre les collectivités.
Certains transferts, comme celui du RMI-RMA, sont suivis d'un transfert de financement en fonction non pas de l'évolution de la charge, mais de l'évolution de la recette transférée. Déjà, nombre de départements ont augmenté leurs impôts locaux et l'on constate des différences financières importantes de l'APA - allocation personnalisée d'autonomie - d'un département à l'autre.
En outre-mer également, le coeur du débat posé par ce texte est celui des moyens financiers pour compenser les charges transférées.
Dans le cadre de la concertation engagée entre le Gouvernement et les présidents de région d'outre-mer, notre collègue et ami de la Réunion, Paul Vergès, a mis en évidence que les mécanismes proposés par la loi sont pénalisants pour l'outre-mer, car ils ne prennent en compte ni les retards en équipements et infrastructures, ni la dynamique démographique que connaissent ces régions.
Aussi, au nom de notre collègue, nous relayons dans le cadre de ce débat la demande forte des régions d'outre-mer pour que la mise en oeuvre de cette loi outre-mer soit précédée d'un audit ou d'une évaluation. Il est important que ce rapport d'évaluation détermine préalablement à la mise en oeuvre de la loi dans ces régions, les retards et les besoins générés, dans tous les secteurs, par la progression démographique. Cet audit est rendu indispensable pour déterminer les moyens financiers qui doivent en découler pour l'application de la loi dans ces régions, sans rupture d'égalité entre l'outre-mer et la métropole.
Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à nos amis d'outre-mer si le Gouvernement est ouvert à la mise en oeuvre de cette étude ? Pouvez-vous également nous indiquer, dans l'éventualité où ce rapport conclurait à la nécessité de déroger ou d'adapter la loi pour l'outre-mer, dans quelle mesure cela serait possible aux termes de l'article 73 tant pour les départements français d'Amérique que pour la Réunion ?
Quant aux communes, elles sont toujours ignorées pour mieux favoriser l'émergence des établissements publics de coopération intercommunale, bien que non reconnus constitutionnellement comme collectivités territoriales, et faciliter des fusions entre ces entités, leur conférer de nouvelles prérogatives et, ce faisant, vider un peu plus la plus petite d'entre elles de sa substance démocratique.
Ce texte aurait pu être l'occasion d'approfondir la démocratie locale, de donner à notre pays des outils pour le développement de la citoyenneté, pour une démocratie plus participative. Il n'en est, hélas ! rien.
Votre projet de décentralisation est, en réalité, une opération de dynamitage des solidarités républicaines. L'Etat se désengage alors qu'il se doit d'être le garant de l'unicité du territoire, de l'égalité d'accès des citoyens aux services publics, de solidarité entre régions pauvres et régions riches, il se doit de solliciter, d'encourager de nouvelles missions respectueuses de l'environnement en répondant aux besoins de la population : un service public de l'eau par exemple.
Nous nous opposerons à ce texte, d'abord par des motions de procédure présentées par mes collègues Nicole Borvo et Roland Muzeau et, ensuite, par des amendements. Nous nous y opposerons avec d'autant plus de conviction que votre projet est minoritaire dans le pays...
M. Eric Doligé. Les communistes sont donc majoritaires !
Mme Josiane Mathon. Je ne l'ai jamais prétendu !
Nous nous opposerons à ce texte avec d'autant plus de conviction que, très certainement, une véritable décentralisation est nécessaire, possible et réalisable.
Nous aurons l'occasion dans le cadre de ce débat de montrer en effet que d'autres dispositions peuvent être décidées, apportant de nouveaux droits pour les collectivités et les citoyens, porteuses d'ambition - et vous pourrez peut-être les soutenir - pour des services publics réaffirmés afin de dynamiser un développement harmonieux des territoires, de ses habitants, et pour que démocratie et justice sociale deviennent enfin tangibles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décentralisation et l'organisation de l'Etat sont deux outils au service d'un seul et même principe démocratique, le souci de l'intérêt général : ils ne s'opposent pas l'un à l'autre. L'idée qu'une meilleure administration de nos territoires passe par davantage de décentralisation est désormais très généralement acceptée.
Depuis les lois de 1982 et 1983, rebaptisées depuis « Acte I de la décentralisation », les collectivités locales ont apporté la preuve de leur aptitude à conduire avec succès des politiques publiques d'une meilleure qualité.
En appliquant et en respectant depuis plus de vingt ans le principe de proximité, elles ont fourni des solutions concrètes et efficaces aux préoccupations quotidiennes des Français.
Elles sont ainsi devenues des acteurs véritablement légitimes aux côtés de l'Etat. Désormais, dans notre pays, un Etat moderne, efficace et juste, ne peut qu'être un Etat décentralisé.
Le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales a pour ambition de perfectionner la décentralisation en donnant enfin aux acteurs et aux élus locaux le cadre et les moyens nécessaires à la réalisation de nombreuses missions, toutes au service précisément de l'intérêt général !
Qu'est-ce que décentraliser, sinon rendre effective la complémentarité entre les pouvoirs publics sans ôter à l'Etat ses compétences régaliennes ? La démocratie de proximité, expression trop souvent galvaudée, trouve dans ce texte des éléments aptes à lui donner une signification concrète pour nos concitoyens.
Il est temps de rendre lisibles les actions et plus responsables ceux qui les entreprennent. Le centralisme est aujourd'hui vécu, à juste titre, comme un carcan qui tient à l'écart le citoyen, étouffe les initiatives et entrave l'efficacité de l'action publique.
L'examen de ce texte est une nouvelle étape dans la modernisation de l'Etat, réforme officialisée depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 ayant inscrit le principe d'une République décentralisée dans notre Constitution.
Je me réjouis particulièrement que le projet de loi fasse de la région une collectivité de plein exercice en matière de développement économique, réelle avancée que l'Assemblée nationale a confirmée. En effet, la région est l'échelon territorial le mieux placé pour optimiser et coordonner les politiques locales d'aménagement, de développement économique et de formation. C'est aussi l'ensemble administratif, économique et politique bâti à l'échelle de la construction européenne, apte à exprimer le concept de subsidiarité.
Donner un rôle plus important aux régions est crucial. Celles-ci sont les mieux armées pour garantir l'efficacité et la cohérence de l'intervention des acteurs multiples. A cet égard, au travers de l'instauration du schéma régional de développement économique, ce projet de loi prévoit de mettre en place un outil de prévision afin de mieux coordonner l'intervention des différents acteurs du développement local.
Le couple Etat-région deviendra le garant de la cohérence de l'aménagement du territoire, en interaction avec le trio de la proximité, que sont la commune, l'intercommunalité et le département.
Le fait régional va pouvoir s'épanouir davantage. Il ne sera plus ni une annexe de la décentralisation de proximité ni, surtout, le réceptacle des missions que l'Etat n'a plus le souhait ou les moyens d'exercer.
Les régions seront, plus encore que par le passé, des acteurs majeurs et incontournables des politiques publiques, dans le cadre d'un Etat recentré sur l'essentiel. Parallèlement, les départements assureront la cohérence de l'action sociale et de la solidarité.
La clarification des compétences entre collectivités est une autre avancée majeure. A chaque échelon institutionnel, elle doit permettre de recentrer chaque collectivité locale sur sa vocation principale. Qu'il s'agisse de nos concitoyens ou des agents économiques, la compréhension de la répartition des compétences relève actuellement d'une gageure assez obscure pour quiconque n'est pas un spécialiste du droit des collectivités locales.
La collectivité la plus compétente agira au niveau le plus adéquat ; la pertinence des processus de prise de décision s'en trouvera améliorée. Pour résumer, l'action publique sera rationalisée.
Economiquement, cette clarification va dans le sens d'une simplification des dispositifs administratifs et réglementaires. Le transfert de l'Etat vers les régions des outils d'intervention financière, prévu à l'article 2 et voté conforme par les députés, rapproche le bailleur de fonds et de subventions des personnes et groupements qui y prétendent. Les régions jouissent d'une connaissance plus approfondie et plus précise des besoins économiques des entreprises installées dans leur ressort. Il s'agit donc d'un réel progrès que je tiens à souligner.
L'émergence d'une Europe des régions et la compétition entre ces dernières constituent aujourd'hui un défi que les collectivités doivent relever. Il nous appartient donc de mettre en place les conditions favorables à la sauvegarde et surtout au développement de leur compétitivité économique.
Notre pays souffre de déséquilibres régionaux handicapants. Derrière cinq ou six régions phares, de trop nombreuses régions apparaissent désarmées face à l'émergence de cette Europe des régions. Que pèsent le Limousin ou l'Auvergne, face à la Bavière ou à la Catalogne, qui jouissent quant à elles d'une autonomie juridique et financière suffisante pour peser en Europe ? Nous devons agir aujourd'hui, dans cet hémicycle, pour que toutes les collectivités françaises trouvent leur place dans l'économie européenne.
S'agissant de la péréquation financière des ressources, il nous faut nous inspirer d'exemples étrangers, au premier rang desquels celui de notre voisin espagnol, que je connais bien et qui est redoutable d'efficacité.
La nouvelle phase de décentralisation opérée depuis le mois de mars 2003 ne va pas arracher à l'Etat ses prérogatives régaliennes. La mise en place par la loi de finances pour 2004 d'un fonds de solidarité économique a apporté une garantie que nous voulons rassurante.
Le principe de péréquation, que celle-ci soit verticale ou horizontale, doit demeurer un axe constitutif de la décentralisation pour corriger le risque réel d'une fracture territoriale. Les carences de certaines régions en matière d'aides ou d'interventions aboutiraient à une rupture d'égalité qui n'est pas acceptable. L'Etat doit demeurer le garant ultime de l'égalité entre les territoires.
Parallèlement, la décentralisation allège les charges financières de l'Etat. Chacun s'accorde à reconnaître que l'archaïsme de la fiscalité provoque plus de querelles que de rapprochements, plus de complications que d'efficacité : assurément, il entraîne une insuffisance des ressources par rapport aux charges transférées de l'Etat vers les collectivités. Ce fut le cas pour le revenu minimum d'insertion, pour l'allocation personnalisée d'autonomie ou encore pour la vignette.
Le financement des nouvelles compétences, prévu dans le texte sur l'autonomie financière des collectivités locales, permettra de rationaliser la dépense publique. Nous le savons tous, sa maîtrise est un impératif, voire une priorité.
Le transfert au niveau local des financements corrélatifs aux compétences laisse entrevoir une gestion des interventions en meilleure adéquation avec les besoins réels des acteurs locaux. Laissons agir les collectivités avec leurs interlocuteurs directs, ce que l'Etat ne sait que trop partiellement faire. Encore une fois, le projet de loi est équilibré en ce qu'il prévoit l'intervention de l'Etat en cas de carence des collectivités.
Un autre point important, auxquels les Français sont particulièrement sensibles, est l'élargissement de la consultation des électeurs par les assemblées élues.
Après l'adoption définitive de ce texte, la décentralisation s'intégrera davantage dans la démocratie locale puisque le chapitre VII du titre Ier étend la participation des électeurs aux décisions locales. L'article 90 du texte prévoit, en effet, d'élargir non seulement le champ de ces consultations, mais aussi de le faire pour l'ensemble des collectivités. Réconcilier les citoyens avec la politique est une mission dans laquelle nous, élus de la République et représentants de la souveraineté nationale, nous devons nous investir avec force et détermination.
L'ensemble du texte que nous allons examiner en deuxième lecture est équilibré et procède à des avancées significatives qui n'ont que trop tardé. Néanmoins, je regrette que certaines dispositions introduites en première lecture par notre Haute Assemblée, chargée de la représentation des collectivités locales, aient été supprimées par nos collègues députés.
Aux temps où Tocqueville réfléchissait sur les institutions, les corps intermédiaires apparaissaient comme des contrepoids significatifs à la toutepuissance de l'Etat. Une décentralisation équilibrée rend ce débat caduc. A l'heure de l'Europe et de la citoyenneté de proximité, les collectivités territoriales constituent un acteur de premier plan de la satisfaction de l'intérêt général.
La relance de la décentralisation s'avère donc, par ce projet de loi, une grande réforme, indispensable et urgente. Elle n'est certainement pas un simple ajustement technique de notre construction institutionnelle ni le démembrement de l'unité nationale auquel certains voudraient nous faire croire. Toutefois, elle est assurément un moyen très efficace pour rénover l'action publique et, par là même, pour réconcilier durablement les citoyens avec leurs élus et avec la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où, dans la confidentialité, ...
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Sympathique !
M. Bernard Frimat. ... nous commençons la deuxième lecture du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, permettez-moi d'effectuer un bref retour en arrière.
Le dimanche 16 novembre 2003, à cinq heures trentecinq, le Sénat en achevait la première lecture dans la précipitation.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Oh ! Non !
M. Bernard Frimat. La majorité sénatoriale permettait ainsi au Premier ministre de l'époque d'atteindre un objectif essentiel : se présenter devant le Congrès des maires auréolé d'un premier succès sur « sa » décentralisation. Nous mesurons aujourd'hui le caractère dérisoire de cette précipitation.
M. Josselin de Rohan. Caricature !
M. Bernard Frimat. Depuis ce dimanche 16 novembre, des changements sont intervenus dans les collectivités territoriales.
Le peuple s'est prononcé de manière claire, et il vous faut, me semble-t-il, beaucoup d'imagination ou d'aveuglement...
M. Jean-Claude Peyronnet. De conviction !
M. Bernard Frimat. ... pour y trouver l'approbation de votre projet de décentralisation.
Certes, les acteurs qui présentent cet après-midi le projet gouvernemental ont changé. M. de Villepin a remplacé M. Sarkozy ; vous-même, monsieur Copé, avez remplacé M. Devedjian, et Jean-Pierre Raffarin III a remplacé Jean-Pierre Raffarin II, disqualifié par les électeurs.
M. Max Marest. C'est risible !
M. Bernard Frimat. Pour autant, le scénario reste le même et les conditions de sa réalisation aussi détestables.
La manière dont la commission des lois est contrainte de se livrer à une parodie d'examen des amendements en est la parfaite illustration.
M. Josselin de Rohan. Pas du tout !
M. Bernard Frimat. Déposés jusqu'à ce jour à midi, les amendements sont étudiés par le rapporteur dans l'hémicycle, et ils seront examinés par la commission des lois à la suspension, après la séance de l'après-midi et, éventuellement, à l'issue de la séance du soir.
Monsieur le président, je souhaiterais, au moins pour l'histoire des débats parlementaires, que vous puissiez faire rechercher le nombre de fois où un texte, en deuxième lecture, a été examiné par une commission selon une telle procédure.
Toutefois, plus que cette manière de travailler imposée par le Gouvernement, c'est son approche politique globale qui rencontre notre opposition.
Claude Estier le rappelait tout à l'heure, le 14 avril, devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre s'est engagé à ce que la deuxième lecture de ce projet de loi n'intervienne qu'après l'adoption de la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Lors de cette même séance, le ministre de l'intérieur a réaffirmé cet engagement. Je le cite : « Le Gouvernement s'engage en particulier à ce que la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités locales soit votée avant la deuxième lecture du projet de loi sur les responsabilités locales. » Le Journal officiel mentionne à l'issue de cette affirmation : « Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP ». Ce double engagement n'est pas respecté. La loi n'est pas votée et, en conséquence, le Conseil constitutionnel n'a pu s'exprimer. Or, ce n'est qu'après sa décision que le cadre juridique prévu pour l'autonomie sera confirmé ou infirmé.
Le 14 avril, le Premier ministre s'était également engagé, à l'issue des élections régionales et cantonales, à donner tout le temps nécessaire à la concertation avec les exécutifs nouvellement élus. Engagement non tenu, à moins que l'on ne considère que le Gouvernement soit l'inventeur d'une nouvelle forme de concertation : la concertation a posteriori.
En effet, le Premier ministre recevra les présidents de région le 6 juillet, c'est-à-dire quand le Sénat aura achevé la deuxième lecture de ce texte. Si, par extraordinaire, ce rendez-vous devait entraîner de la part du Gouvernement des modifications significatives ou déterminantes du texte soumis à notre délibération, cela indiquerait les limites de la considération du Gouvernement pour le Sénat, aux avis pourtant si conformes !
L'Association des régions de France et l'Assemblée des départements de France auraient-elles perdu la qualité d'interlocuteur privilégié qui leur était accordée hier pour la seule raison que la confiance des citoyens a permis à l'opposition d'assurer la responsabilité de leur conduite ?
Le ministre de l'intérieur, dans une conférence de presse récente, a exprimé son souhait que ce texte soit définitivement adopté avant la fin du mois de juillet. Sans doute cet objectif de parachever au plus vite votre réforme explique-t-il, monsieur le ministre, que, aujourd'hui au Sénat et demain à l'Assemblée nationale, vous adoptiez le rythme des défilés militaires. Le Parlement n'est pourtant pas la revue du 14 juillet.
Au contraire, vous auriez pu choisir, sans renier vos convictions, de prendre le temps d'un dialogue constructif tant avec le Parlement qu'avec les collectivités territoriales ; le calendrier vous y invite puisque vous n'avez pas à craindre une sanction immédiate des électeurs. Vous avez préféré ignorer les interrogations légitimes et les inquiétudes des élus locaux pour passer en force sur la décentralisation comme sur d'autres sujets. Vous avez préféré, bardé de certitudes pourtant désavouées, l'autisme à l'écoute républicaine. Je pense que vous commettez là une nouvelle erreur.
Au cours de notre récent débat sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, monsieur le ministre, dans le style qui est le vôtre et qui ne laisse souvent qu'une place fort modeste à l'autocritique et au doute, vous affirmiez : « Rappelez-vous les mots-clefs qui sous-tendent notre action : clarté, transparence, lisibilité, cohérence, efficacité. »
Je n'ai, monsieur le ministre, aucune raison de mettre en doute votre bonne foi et votre sincérité.
M. Bernard Frimat. Je ne comprends donc pas, si ces principes d'action sont toujours ceux du gouvernement auquel vous appartenez, comment il vous est possible de défendre le texte soumis aujourd'hui à la discussion et au vote de la Haute Assemblée. Ce projet de loi ne répond à aucune des caractéristiques dont vous nous avez affirmé qu'elles inspiraient l'action du Gouvernement.
Sans forcer le trait, et nous le démontrerons sans difficulté au cours de la discussion des articles, si toutefois celle-ci peut s'opérer normalement, il faut reconnaître que les qualificatifs qui illustrent votre projet de loi sont la confusion, l'opacité, l'illisibilité, l'incohérence et donc fort logiquement l'inefficacité.
Croyez-vous sincèrement qu'une fois votre projet de loi adopté il sera aisé de répondre à ces questions simples : qui est responsable de quoi ? Quelles sont les compétences exercées par les régions, les départements, les intercommunalités et les communes ?
A l'heure où tout le monde ressent le besoin d'une clarification des compétences, vous privilégiez la confusion. Demain, il résultera de votre action que les compétences dévolues aux collectivités territoriales seront à géométrie variable, au choix et selon la richesse du territoire, obligatoires ou facultatives, expérimentales et temporaires ou définitives, déléguées ou conservées. Quelle lisibilité ?
Pour ne fâcher personne, vous avez préféré ne pas trancher, ne pas clarifier et permettre à chaque collectivité qui en aura les moyens de faire tout, ou presque tout. On finit par se demander si l'essentiel n'est pas, pour votre gouvernement, de réaliser le plus vite possible des opérations de délestage dès qu'une opportunité se présente.
Votre démarche ne correspond pas à notre conception de la décentralisation. Nous étions pourtant en droit de penser que, après vingt ans d'expérience et six alternances du pouvoir d'Etat, ce thème pouvait nous rassembler. Nombreux sont ceux qui, de gauche ou de droite, sont convaincus de la nécessité d'avancer sur la voie d'une véritable décentralisation.
M. Josselin de Rohan. Vous n'avez rien fait !
M. Bernard Frimat. Monsieur de Rohan, cessez de prendre la parole comme un collégien et d'énoncer des billevesées. C'est fatiguant. Vous allez finir par troubler ma sérénité naturelle. Ce serait dommage !
Mais, pour atteindre cet objectif, il nous faut, et sur ce point, nos positions diffèrent, retrouver l'esprit qui présidait aux premières lois de décentralisation de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre. La décentralisation signifiait alors la conquête de la libre administration et la suppression de la tutelle d'un Etat centralisé omniprésent.
Hier synonyme de liberté nouvelle, la décentralisation devient, dans votre projet de loi, source d'inquiétude. Vous contribuez par votre action à décrédibiliser son image auprès de l'opinion. Quelle performance singulière que d'avoir réussi sur le sujet de la décentralisation à déclencher de nombreuses manifestations !
La décentralisation solidaire et républicaine que nous souhaitons exige un Etat fort, qui soit le garant de la solidarité nationale, et le recours nécessaire pour lutter contre les inégalités, tant territoriales que sociales. Nous sommes depuis longtemps hostiles au dépérissement de l'Etat et nous ne croyons pas, contrairement à vous, que son affaiblissement renforce la République, fût-elle, comme vous vous plaisez à la qualifier, « de proximité ».
Une décentralisation efficace exigerait que, face à elles au niveau local, les collectivités rencontrent des représentants de l'Etat dotés de moyens d'intervention humains et financiers suffisants. Un partenariat fructueux permettrait alors d'offrir aux citoyens, sur l'ensemble du territoire national, le service public local auquel ils ont droit.
Cette exigence s'accorde mal avec votre conception d'un Etat aux compétences résiduelles. En définitive, un seul impératif semble prioritaire à vos yeux. Il est non pas de réussir la décentralisation, mais de délester l'Etat, de transférer sur d'autres ses responsabilités et ses charges chaque fois que vous le pouvez, même si cela doit entraîner une aggravation des inégalités territoriales.
Vous affirmez que tout sera pour le mieux dans votre décentralisation, dans la mesure où les transferts que vous imposerez seront compensés à l'euro près. En quoi cette assurance, qui restera d'ailleurs à vérifier année après année, contribuera-t-elle à résorber les inégalités existantes ?
Votre projet de loi n'est qu'un projet d'acceptation des situations d'inégalités, dont le Gouvernement se satisfait, quel qu'en soit le degré. Il se contente de les enregistrer et s'en estime quitte, pour solde de tout compte.
De la même manière que l'autonomie financière est une notion vide de sens pour une collectivité sans ressources, doter une collectivité territoriale de compétences sans qu'elle dispose des moyens financiers et humains lui permettant d'en assurer l'exercice normal relève d'une décentralisation illusoire.
Or, dans de nombreux domaines, les crédits consacrés par l'Etat à l'exercice des compétences qu'il détient encore à ce jour sont notoirement insuffisants. Transférer ces moyens à l'euro près ne les rendra pas suffisants. Qui peut croire que c'est avec les moyens consacrés actuellement par l'Etat aux infrastructures que les collectivités territoriales pourront prendre en charge les routes nationales, les aérodromes civils, les ports maritimes et intérieurs ?
Une fois le transfert effectué, et compte tenu de l'absence d'entretien et de l'insuffisance des investissements passés, les collectivités n'auront d'autre choix que de faire face, avec leurs propres ressources, aux dépenses indispensables, notamment pour respecter les normes de sécurité en vigueur.
La décentralisation de votre gouvernement, monsieur le ministre, ressemble au jeu de mistigri ou à la patate chaude. Il suffit de se rappeler l'énergie et le talent mis par les représentants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale pour éviter de se voir transférer la responsabilité des logements pour étudiants. Il est facile de comprendre leurs réticences - M. Valade les exposait tout à l'heure - quand on connaît l'état du logement des étudiants, le retard accumulé dans ce domaine et, de manière générale, l'insuffisance de l'offre par rapport aux besoins exprimés dans les grandes villes universitaires.
Vous ne pouvez valablement soutenir que le transfert à une collectivité territoriale constitue en lui-même, par magie, un élément de solution à un état de carence manifeste. Quand l'action de l'Etat est défaillante, il n'est pas sérieux de tenter de faire croire que la décentralisation à l'euro près permettra à une collectivité territoriale de pallier cette lacune sans imposer de charges supplémentaires à ses administrés.
Cette situation sera moins difficile à supporter pour les collectivités les plus riches où, en général, les besoins sociaux sont moins élevés.
Vous restez ainsi, je vous en donne acte, monsieur le ministre, dans la logique de vos choix politiques. Ce que vous qualifiez de réforme n'est en effet le plus souvent qu'un ensemble de mesures dont le coût est d'abord supporté par les moins favorisés.
La décentralisation méritait mieux que de devenir une variable d'ajustement budgétaire d'un Etat en crise financière. L'ajustement budgétaire n'est-il pas, en effet, la véritable raison de l'acharnement que le Gouvernement met à transférer les techniciens et ouvriers de services aux régions et aux départements ?
Rayer par la loi, rapidement ou à terme, si j'ai bien compris M. de Villepin, 96 000 fonctionnaires de la fonction publique d'Etat, voilà de quoi ravir à la fois les libéraux les plus échevelés et les responsables de Bercy. Mais, à la réflexion, est-ce vraiment respecter la liberté des collectivités territoriales et des personnels concernés ?
Les TOS ont clairement manifesté leur opposition à ce transfert. Les exécutifs régionaux nouvellement élus ont très majoritairement indiqué au Premier ministre leur désaccord. Personne dans la communauté éducative ne réclame ce transfert. Néanmoins, vous persistez : transfert de carences et acceptation des inégalités.
M. le rapporteur pour avis a démontré les inégalités existant entre les académies. Mais cela ne vous intéresse pas. La situation actuelle vous agrée puisque vous envisagez de la transférer en l'état. Les académies les mieux dotées resteront les plus favorisées, et celles où les manques sont les plus criants ne bénéficieront d'aucune remise à niveau. Vous pérennisez ainsi les inégalités.
La carence en TOS est évaluée à environ 30 000 agents et la quasi-totalité des établissements scolaires fonctionne de manière permanente, nous le savons tous, avec des contrats emploi-solidarité et des contrats emploi consolidé, dont, au demeurant, vous diminuez régulièrement le nombre.
La conjonction de ces deux caractéristiques rendra inévitable le recrutement de nouveaux agents par les régions et les départements. La nécessité pour ces collectivités de créer des ressources correspondantes se traduira par des impositions supplémentaires ou par des redéploiements. Les intercommunalités et les communes qui bénéficiaient des subventions régionales ou départementales en subiront fort logiquement les conséquences.
Vous seriez mieux inspirés si vous donniez satisfaction aux collectivités territoriales et aux personnels TOS en renonçant à ce transfert, comme vous avez renoncé à celui des conseillers d'orientation psychologues et des assistants d'éducation. Il est encore temps, monsieur le ministre, de revenir sur ce transfert, majoritairement non désiré.
De plus, alors que vous reconnaissez dans votre projet de loi que les régions sont les garants « de la cohérence et du développement des territoires », n'estimez-vous pas incohérent que leurs agents se consacrent, après le transfert des TOS effectué, pour 80 % d'entre eux, aux lycées ?
Dans ce que vous qualifiez, et c'est pour nous un abus de langage, d'acte II de la décentralisation, c'est non pas le principe de subsidiarité que vous mettez en oeuvre, mais l'avènement d'un Etat subsidiaire sur des questions essentielles pour notre pays.
Comment l'Etat mènera-t-il une politique nationale de lutte contre le chômage s'il ne dispose plus de véritable levier dans le domaine de la formation professionnelle ? Votre remède miracle que constitue la révision constitutionnelle ne donne là aucune garantie et les résultats de votre politique en matière d'emploi sont pour le moins peu satisfaisants.
Le chômage reste pour un nombre très important de nos concitoyens une triste réalité quotidienne. La dégradation du marché du travail nourrit la plus forte augmentation du nombre d'allocataires du RMI enregistrée depuis de nombreuses années, les départements faisant en l'occurrence la trésorerie de l'Etat.
Certes, le retour à la croissance tant de fois promis est annoncé par les différents instituts de conjoncture. Nous nous en réjouissons, mais leurs analyses précisent que la France s'avance sur cette voie à petits pas et que la reprise, si elle se confirme, ne suffira pas à faire refluer le chômage et la précarité.
Une avalanche de plans sociaux accompagne l'action de votre Gouvernement. La manière dont vous traitez le problème des congés de conversion illustre votre pratique de désengagement. Alors que les congés de conversion relèvent encore de votre compétence, vous conditionnez le plus souvent leur prise en charge par l'Etat à une obligation de financement imposée aux collectivités territoriales concernées par ces plans sociaux.
Que prévoit votre projet de loi en cas d'atteinte grave à l'équilibre de tout ou partie d'une région ? Prévoit-il que l'Etat, responsable de la politique économique et sociale de la nation, mettra en oeuvre la solidarité et viendra en aide aux victimes de cette crise ? Absolument pas ! Il renvoie très clairement le règlement de la crise aux régions, aux départements et aux communes, qui, à l'évidence, n'en sont pas responsables.
La solidarité nationale a disparu. Le rôle dévolu au préfet, représentant de l'Etat, couronne ce désengagement. Il n'est pas chargé de mobiliser les moyens déconcentrés de l'Etat pour aider à résoudre ce problème. Son intervention se limite à l'interpellation des collectivités territoriales afin qu'elles mettent fin à ce désordre.
Quant au fonds de solidarité économique prévu pour une telle situation dans votre texte initial, il n'a pas survécu à l'examen en première lecture du projet de loi. Que faut-il de plus comme aveu ?
Votre conception de la décentralisation, monsieur le ministre, n'est décidément pas la nôtre. Nous voulons une décentralisation républicaine, solidaire et juste avec, comme perspective essentielle, la construction d'une démocratie territoriale respectueuse des citoyens, où la qualité des services publics renforce l'harmonie des territoires, dans le respect des principes d'égalité et de liberté.
Vous nous proposez un projet de loi qui ne respecte ni les libertés ni les responsabilités locales, qui invente une décentralisation de la confusion et de la complexité, qui favorise la concurrence et la compétition entre les territoires, qui aggrave les inégalités.
Nous refusons votre décentralisation à la carte, qui ignore l'intérêt général et le nécessaire aménagement du territoire, et qui sera en définitive la décentralisation des déficits. Le groupe socialiste s'opposera donc, monsieur le ministre, à ce projet de loi, qui caricature la décentralisation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si certaines deuxièmes lectures n'appellent pas beaucoup de commentaires, il en est différemment de celle-ci, car nous sommes en présence d'un texte fondamental, emblématique, qui fait de la décentralisation une des mesures phares de l'actuel Gouvernement.
Après les élections régionales, cet acte II de la décentralisation a été pendant un certain temps remis en cause. Ces hésitations se sont traduites par un certain flottement dans la fixation du calendrier parlementaire, ce que nous regrettons dans la mesure où nous devons, une fois de plus, travailler dans la précipitation.
Toutefois, je crois que le Gouvernement aurait commis une grave erreur en retardant une réforme déjà très avancée, longuement discutée dans chaque assemblée et qui avait fait l'objet d'une concertation avec l'ensemble des élus locaux et nationaux.
Un report serait d'autant plus malvenu que le texte que nous examinons aujourd'hui représente un véritable enjeu de société. L'organisation décentralisée de la République est depuis mars 2003 un principe constitutionnel. L'importance de la valeur normative de ce principe justifie que l'organisation et le fonctionnement de nos institutions locales soient modifiés en conséquence et, surtout, modernisés.
Il faut faire comprendre aux Français que la décentralisation est une chance, qu'il est impératif de raviver le dynamisme décentralisateur, de donner un second souffle à nos territoires.
Cet objectif est d'autant plus important que, selon un sondage de la SOFRES effectué en août 2000, pour 67 % des Français la coexistence des trois échelons locaux - régions, départements et communes - est une bonne chose car elle permet de gérer les dossiers au plus près des citoyens, et de manière satisfaisante. Par ailleurs, 57 % des Français souhaitent que l'on aille plus loin en amplifiant cette évolution décentralisatrice.
Le renforcement de la décentralisation est, j'en suis convaincu, le meilleur moyen pour redonner aux Français confiance en la politique. Il faut leur faire comprendre que la décentralisation est une bonne chose, qu'elle participe au rapprochement entre les citoyens et les élus.
La confiance, c'est, je crois, le maître mot de cette réforme, le credo de ce texte.
La décentralisation doit être perçue comme le moyen moderne de diriger l'Etat et de mener des réformes. L'objectif majeur de ce texte, c'est de rétablir la confiance entre les Français et l'ensemble des collectivités territoriales, mais également entre l'Etat et les collectivités territoriales elles-mêmes.
L'une des façons d'y parvenir est de donner les moyens suffisants aux collectivités territoriales, et notamment les moyens financiers.
Sans réforme de la fiscalité locale, il est impossible de rétablir cette confiance indispensable.
A ce titre, nous avons deux échéances importantes : la loi de finances pour 2005 et le vote définitif du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Le présent projet de loi ne comporte pas, en effet, de dispositions financières précises. Il reviendra donc à la loi de finances pour 2005 de préciser très clairement comment les transferts que nous allons voter seront financés. C'est là un vrai problème et nous devons être assurés que la loyauté sera la règle et qu'elle présidera au financement des transferts de compétences.
En effet, nous avons été nombreux, et notamment dans mon groupe, à souligner que le transfert de compétences qui ne s'accompagnait pas d'un transfert équivalent des ressources risquait de faire échouer cet acte II de la décentralisation.
Par ailleurs, il est urgent de modifier les dispositifs de péréquation garants des équilibres entre territoires. La situation devient grave. Pour ne prendre que l'exemple des départements, nous savons qu'aujourd'hui vingt à vingt-cinq d'entre eux sont dans l'incapacité d'assumer l'augmentation des charges financières qui font suite aux nombreux transferts de compétences. Le système en vigueur est très contraignant, rendant difficile la mise en oeuvre d'un système de péréquation efficace. Comme le rapportait notre collègue M. Jean François-Poncet à l'occasion du colloque du 4 décembre 2003 sur la décentralisation, les travaux du Sénat conduisent à proposer une grille aussi objective que possible incluant les ressources et les dépenses des départements, mais aussi un système de péréquation sur cinq ans. Cette solution permettrait, toujours selon M. Jean François-Poncet, de soulager les départements les plus en difficulté sans demander des sacrifices insurmontables aux autres.
Quel que soit le mécanisme, il est urgent de modifier les règles en matière de péréquation, d'une part, pour corriger les inégalités flagrantes et, d'autre part, parce que la Constitution pose clairement l'obligation de mettre en place des dispositifs de péréquation accompagnés si possible dans le même temps d'une véritable simplification administrative, dont nous sommes encore loin.
Financièrement, le Gouvernement a annoncé que le produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et celui de la taxe sur les conventions d'assurances seraient transférés. Il s'agit d'une première garantie financière, mais il faut aller plus loin, et notamment permettre aux collectivités de moduler le taux des impôts transférés.
J'en viens, à cet égard, à la deuxième échéance, le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales. Ce texte est fondamental dans la mesure où les maires, les présidents de conseils généraux, les présidents de conseil régionaux et l'ensemble des élus locaux ont le sentiment que, chaque fois qu'une compétence leur est déléguée, les compensations financières ne suivent pas.
Par ailleurs, nous le savons, les recettes des collectivités territoriales ne cessent de diminuer, avec la suppression de la vignette automobile, de la part salariale de la taxe professionnelle, la suppression partielle des droits de mutation à titre onéreux ou encore la disparition de la part régionale de la taxe d'habitation.
Comme le montre le rapport de l'Observatoire des finances locales, les charges de gestion courantes ont augmenté de près de 40 % entre 1994 et 2002, tandis que, dans le même temps, la part de l'Etat dans les recettes de fiscalité directe locale passait de 22 % à 34 %.
Si l'on ne donne pas aux collectivités les moyens de moduler le taux des impôts transférés, cette réforme, nous en sommes certains, connaîtra de graves difficultés.
C'est pourquoi la deuxième lecture de la loi organique représente un enjeu majeur, qui doit permettre de garantir le principe constitutionnel de l'autonomie financière des collectivités territoriales, corollaire désormais indispensable du principe de la libre administration.
L'autre moyen de rétablir la confiance est sans conteste la clarification des compétences. Nous saluons à cet égard l'effort qui a été fait pour tenter de constituer des blocs de compétences par collectivité. Il s'agit de rendre nos institutions plus lisibles aux yeux des Français.
Il est nécessaire, en effet, que les institutions soient plus proches des citoyens. Cette proximité ne va pas sans une détermination claire des rôles et des missions de chaque collectivité. Tout citoyen doit savoir à qui s'adresser pour tel ou tel sujet.
Notre démocratie traverse une grave crise. C'est, je crois, grâce à des réformes comme celles-ci - pas uniquement certes - que nous parviendrons à dépasser ce malaise inquiétant.
Vous l'aurez compris, je n'ai pas voulu, en m'exprimant au nom de mon groupe, reprendre une à une l'ensemble des dispositions, mais j'ai souhaité insister sur les enjeux de ce texte. Le rapporteur de la commission des lois - je salue son travail, ainsi que celui de M. Richert, rapporteur pour avis - l'a très bien fait, rappelant, si besoin était, l'excellent travail de notre Haute Assemblée.
En espérant que vous aurez entendu, monsieur le ministre, nos inquiétudes et nos mises en garde, notamment sur l'aspect financier de la décentralisation, dont la récurrence est justifiée par l'importance du sujet, vous pouvez compter sur le soutien du groupe de l'Union centriste.
Même si nous ne pouvons rapprocher les points de vue qui se sont exprimés sur toutes les travées de notre assemblée s'agissant de ce texte, comme le proposait l'orateur précédent, soyez assuré, monsieur le ministre, de notre volonté de vous accompagner dans cette grande réforme de la décentralisation, afin d'assurer son efficacité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Eric Doligé.
M. Eric Doligé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les critiques négatives de nos collègues Mme Mathon et M. Frimat, vous allez entendre des critiques positives et constructives.
M. Eric Doligé. Cette loi était nécessaire, et notre collègue Claude Biwer vient de le démontrer avec talent. Les collectivités - départements ou régions - ont montré clairement leur efficacité en matière de décentralisation. Ainsi, concernant les collèges, les lycées ou les routes, elles ont su démontrer leur efficacité sur le terrain.
Ce texte est un texte difficile, important et dense, parfois imprécis, offrant la possibilité de multiples interprétations. Déjà, les dispositions prises en première lecture ont fait l'objet de quelques expériences dans les services pour tester leur fonctionnement. Je dois le reconnaître, il y a encore quelques difficultés d'application. Aussi, nous tenterons, au cours des prochains jours, d'améliorer ce texte sur un certain nombre de points.
J'ai bien noté les engagements, ils seront tenus. Il est en effet indispensable que la loi organique, sur le plan financier, soit votée avant le vote définitif du présent texte, pour répondre à un engagement majeur du Gouvernement. Je souhaite que cela puisse avoir lieu dans les meilleurs délais.
Nos amendements vont très certainement aller dans le sens d'une clarification, comme cela a été le cas pour d'autres lois ; je pense ainsi à la loi de modernisation de la sécurité civile. Toutes ces lois importantes, qui engagent des transferts de compétences, nécessitent que l'on aille au fond des choses.
Tout à l'heure, M. le ministre a évoqué le puissant levier que constituent la réforme de l'Etat, la rationalisation des compétences et des responsabilités, la déconcentration et la réorganisation des services de l'Etat. Lors de la première lecture au Sénat - c'était déjà l'année dernière -, j'avais posé comme préalable nécessaire la réforme de l'Etat. Elle est, comme vous l'avez dit, indispensable. Mais il faut l'engager clairement. Mise en oeuvre en parallèle, elle aurait permis une lecture un peu plus facile et plus rapide du texte.
Comme vous le savez, au niveau départemental, il existe un certain parallélisme des formes entre l'Etat et les conseils généraux. Je songe aux directions économiques, aux directions de l'agriculture, aux directions sociales, aux directions des sports, de l'équipement, de l'éducation, etc. Bref, l'Etat et les départements ont des directions homologues et il est indispensable, avant que cette réforme ne soit mise en application, que nous puissions en débattre sur le terrain.
Je constate au passage que ce qui m'avait été refusé ici comme étant impossible a été accepté à l'Assemblée nationale, ce qui prouve que les idées font leur chemin, mais aussi que ce qui m'avait été promis après négociation ici a été en partie effacé à l'Assemblée nationale, avec l'aval du Gouvernement. Peut-être mes amendements étaient-ils, comme M. le rapporteur l'a dit tout à l'heure, symboliques et controversés ! En tout cas, ils ont fait avancer la discussion, et je me permettrai de revenir sur un certain nombre d'entre eux puisque vous avez sans doute progressé dans votre réflexion.
La réaction des régions après les élections de mars montre, si besoin était, qu'il ne faut pas lier le sort des collectivités : elles sont complémentaires et ne sont pas dépendantes les une des autres. Veillons, dans les textes, à ne pas créer des risques de tutelle !
Or, dans ce texte, il y a clairement comme un arrière-goût de tutelle de certains éléments. Je citerai quelques exemples que j'ai relevés dans le texte. Il en est ainsi, en matière économique, du schéma régional de développement économique, qui s'accompagne de conventions obligatoires avec les départements. S'agissant du tourisme, la compétence a été pratiquement enlevée pour partie au département.
Pour ce qui concerne les infrastructures routières, il est écrit dans le projet de loi que c'est la région qui définit les priorités d'actions à moyen et à long terme sur son territoire.
Pour les aérodromes, la région est prioritaire si elle est candidate. Je rappellerai qu'un certain nombre d'aérodromes ont été financés par d'autres collectivités qui en ont la responsabilité au quotidien et qui verraient d'un mauvais oeil qu'on leur retire certaines compétences qu'elles avaient acceptées volontairement quand d'autres avaient préféré ne pas intervenir !
Je souhaite, monsieur le ministre, que nous puissions à nouveau débattre pour clarifier tous ces sujets.
Vous avez évoqué la date du 1er janvier 2005 pour l'entrée en vigueur du texte. Mais il ne reste plus que six mois, et nous devons attendre le projet de loi de finances et la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Il nous faut donc dès maintenant engager des discussions à livre ouvert avec vos services.
Monsieur le ministre, je suis certain que vous saurez entendre mes souhaits et mes interrogations, écouter les élus que nous sommes et ceux que nous représentons. Tous, nous souhaitons une décentralisation efficace et une véritable réforme de l'Etat. Il y va de la santé et de la compétitivité de nos territoires, et donc de notre pays !
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, comme toujours, nous allons discuter, négocier, avancer pour essayer d'améliorer le texte. Puis, comme nous l'avons fait pour le projet de loi de modernisation de la sécurité civile, nous parviendrons probablement à un texte équilibré, qui donnera satisfaction à nos collectivités en déterminant des compétences bien partagées et reconnues à chacun. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons toujours plaisir à dialoguer avec vous, monsieur Jean-François Copé.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous remercie, monsieur le ministre.
Mais nous regrettons que M. le ministre de l'intérieur ne soit pas resté pour assister à la discussion générale.
Mme Hélène Luc. Quand même ! Le débat aurait mérité qu'il restât au moins le temps de la discussion générale. Je suis d'accord avec vous, monsieur Sueur !
M. Jean-Pierre Sueur. Merci, madame Luc !
M. Jean Chérioux. Heureusement que Mme Luc est là en renfort !
M. Jean-Pierre Sueur. J'aurais voulu dire à M. de Villepin - mais je pense que mes propos lui seront transmis - que j'ai lu les 700 pages et quelques qu'il a consacrées à la poésie.
M. Josselin de Rohan. Vous êtes un homme de goût !
M. Jean-Pierre Sueur. Or, tout à l'heure, en l'entendant, je me disais que le contraste était grand entre la prose flamboyante que j'ai découverte dans son livre et le manque d'enthousiasme dont il a fait preuve dans son intervention ici. On avait le sentiment d'entendre un rapport quasiment notarial !
Quand je constate, comme l'a dit mon collègue Bernard Frimat, dans cet hémicycle assez dégarni, le manque d'ardeur évident avec lequel le Gouvernement et les représentants de la majorité soutiennent ce projet de loi,...
M. Josselin de Rohan. Comme celui de l'opposition pour s'y opposer !
M. Jean-Pierre Sueur. ... j'ai envie de dire, avec tout l'enthousiasme qui est le mien que, vraiment, la décentralisation mérite plus et mieux !
On dirait qu'il s'agit d'un pensum, que vous êtes obligé de vous adonner à cet exercice qui consiste à faire adopter ce texte parce que M. le Premier ministre y tient. On le sait, même les députés de l'UMP ne l'ont voté qu'avec beaucoup de réticences et après que M. le Premier ministre leur eut fait des promesses !
J'ai le regret de vous dire que, contrairement à ce que M. de Villepin a affirmé tout à l'heure, M. le Premier ministre ne s'est pas engagé à ce que ce texte soit voté après le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales mais à ce que la deuxième lecture du projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités locales vienne après la loi organique.
Or, alors que nous entamons l'examen en deuxième lecture de ce texte, le projet de loi organique n'est toujours pas voté. Vous ne respectez donc pas l'engagement qui a été pris, et la parole du Premier ministre est bafouée. Vous pourriez pourtant la respecter : il vous suffirait pour cela de reporter l'examen de ce texte relatif aux libertés et aux responsabilités locales !
M. le Premier ministre avait pris un second engagement ; le Journal officiel en témoigne. Il devait y avoir une concertation avec les parlementaires et les associations d'élus locaux avant la seconde lecture de texte, afin que des propositions nouvelles puissent être faites. Or, jusqu'à preuve du contraire, nous, parlementaires, n'avons été associés à aucune espèce de concertation. Cela est patent et nous pouvons en témoigner ; au demeurant, tout le monde le sait bien, vous aussi d'ailleurs. Ce second engagement ne sera pas plus respecté, ce qui est tout à fait fâcheux.
En fait, en dépit de tous les engagements pris, il faut que ce texte soit voté parce que M. le Premier ministre y tient. Il semble que ce soit la seule raison !
J'en viens à mon second point qui porte sur les questions financières.
Nous avons le sentiment que c'est toujours demain qu'on donnera aux élus locaux de la République française les réponses qu'ils attendent.
En effet, lors de la réforme constitutionnelle, on nous a dit : « Rassurez-vous, ces précisions figureront dans la loi de finances pour 2004. » Mais, lorsque nous avons examiné la loi de finances pour 2004, certes, on nous a présenté une nouvelle architecture pour la DGF - une belle architecture ! -, mais rien, absolument rien, ne nous a été dit en termes d'espèces sonnantes et trébuchantes ! « Ce sera dans la loi de finances pour 2005 ! », nous a-t-on rétorqué. Souvenez-vous, monsieur le président de la commission des lois ! Puis, changement de décor, on nous a demandé d'attendre la loi organique.
Mais, contrairement à ce qu'on a tenté de nous faire croire - et je sais la difficulté que cela a représenté pour les membres du Gouvernement comme pour les membres de la majorité, dont j'ai salué les efforts ! -, quand nous avons vu arriver la loi organique, nous nous sommes rendu compte qu'elle était totalement vide et parfaitement tautologique !
Comme nous ne connaissons toujours pas la signification de « la part déterminante » des ressources des collectivités - puisqu'il est dit dans la loi qu'on doit l'interpréter conformément à la Constitution, mais que la Constitution renvoie magnifiquement à la loi -, nous ne sommes pas plus avancés, mes chers collègues !
Quand bien même vous définiriez de manière beaucoup plus précise - espérance que l'on peut toujours avoir, puisque nous allons examiner à nouveau la loi organique - l'autonomie fiscale des collectivités locales, nous n'en saurions pas plus sur leurs ressources propres, la fiscalité qui leur sera transférée, les montants qui seront affectés aux collectivités territoriales pour compenser les transferts de compétences.
Aujourd'hui, aux élus locaux - qu'ils soient des régions, des départements, des communes ou des intercommunalités - qui nous interrogent sur les données financières dont ils peuvent disposer, que nous soyons de droite, de gauche ou du centre, nous ne savons pas quelle réponse donner, car il n'y en a pas !
J'ai bien entendu tel ou tel ministre dire dans nos départements : « Rassurez-vous, il y a la Constitution ! » Mais si la Constitution énonce de grands principes, elle ne dit pas aux élus de nos collectivités locales ce qu'il y aura dans leur escarcelle pour financer les importants transferts de compétences prévus dans ce projet de loi sur les responsabilités locales.
Je ne prendrai qu'un seul exemple qui me tient beaucoup à coeur : celui des hôpitaux.
Il est prévu à l'article 54 du projet de loi que les régions pourront financer à titre expérimental des équipements sanitaires. Soyons réalistes ! Imaginons que cette loi entre en application l'année prochaine ou l'année suivante. Quelles sont les régions qui, avec les ressources dont elles disposent aujourd'hui, pourront contribuer au financement, forcément très élevé, de tels équipements ?
Soyons clairs : la plupart des régions ne le pourront pas. Et le fait que certaines y parviennent, parce qu'elles sont mieux dotées que les autres, aura une conséquence immédiate : on frappera à la porte des autres régions pour leur demander de faire la même chose pour tel centre hospitalier. Et quand on aura apporté un financement pour un hôpital, il faudra le faire pour tous les hôpitaux de la région. Mais avec quels moyens ? Si quelqu'un peut m'apporter un début de réponse à cette question, je le féliciterai vraiment !
Nous ne pouvons par conséquent voter un tel article, et vous le savez très bien ! Il faudrait qu'en une année il y ait des changements financiers absolument considérables pour que les régions puissent prendre en charge une telle compétence.
Monsieur le ministre, si vous pouviez nous donner des réponses financières aujourd'hui, nous serions très satisfaits. Dans le cas contraire, il ne serait pas sérieux de maintenir l'article 54 tel qu'il est rédigé.
Je m'achemine vers ma conclusion, monsieur le président.
Monsieur Copé, il y a plusieurs conceptions de la décentralisation. Celle des lois de décentralisation de Gaston Defferre, de Pierre Mauroy, voulue par François Mitterrand, est une conception profondément républicaine, très attachée à l'égalité, à la clarté, à la lisibilité de nos institutions. Or, très franchement, cette loi-ci complique tout, accroît la complexité. C'est un embrouillamini. Si elle était votée en l'état, elle rendrait tout incompréhensible et illisible.
Je félicite par avance celui ou celle qui pourrait, dans une école, un collège, un lycée, voire une université, expliquer simplement, en une heure ou deux, la nouvelle répartition des compétences qui résulterait de ce texte s'il était voté en l'état !
C'est impossible, car ce texte ajoute trente sorte de conventions différentes qui répartiront de manière quelque peu aléatoire et désordonnée les compétences entre les différents niveaux de collectivités locales et l'Etat, sans parler de l'expérimentation, dont la durée est maintenant de neuf ans - rendez-vous compte, la durée de l'ancien mandat sénatorial ! (Sourires.) -prolongée deux fois, voire trois fois, sur les sujets les plus divers et les plus variés !
Mes chers collègues, si l'on ajoute l'article 101 du projet de loi, qui permet à chaque département ou à chaque région de confier tout ou partie de ses compétences à un établissement public de coopération intercommunale, et si l'on ajoute les difficultés propres aux départements d'outre-mer - notre collègue Claude Lise m'a demandé de les évoquer, car il estime que l'on parviendra à de tels enchevêtrements qu'il convient de simplifier les choses afin de pouvoir mettre en oeuvre les adaptations prévues à l'article 73 -, on constate que ce n'est plus la séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu qui fonde nos institutions, c'est la « confusion des pouvoirs », comme l'a dit tout à l'heure M. Bernard Frimat !
Or cette confusion des pouvoirs n'est pas bénéfique pour la République. Il est bon de pouvoir expérimenter, ce qui suppose que la situation ne soit pas la même partout. Il faut faire confiance aux initiatives, mais il convient de définir ce qui relève de l'Etat républicain. Il ne peut s'agir seulement de ce qui reste, conformément à une conception résiduelle de ses compétences.
Puisqu'une inspiration libérale, voire ultralibérale, traverse tout le texte, vous estimez que cette confusion est bonne, que la disproportion est profitable et l'inégalité bénéfique. Selon vous, des améliorations surgiront du désordre et cette république aléatoire débouchera en définitive sur quelque chose de bon. Pour notre part, nous ne le pensons pas du tout, car nous considérons que, dans ce domaine comme dans d'autres, ce n'est pas le désordre qui produit le bien commun.
Monsieur le ministre, l'une des raisons pour lesquelles nous ne voterons pas ce texte, c'est que la république aléatoire, c'est le royaume des puissants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons au terme d'une discussion générale très intéressante, qui nous a permis d'évoquer de nouveau quelques-uns des sujets qui ont trait à ce grand chantier de la décentralisation sur lequel nous travaillons depuis près de deux ans.
Je voudrais tout d'abord remercier l'ensemble des orateurs qui se sont exprimés cet après-midi, particulièrement MM. Jean-Pierre Schosteck et Jacques Valade, qui, l'un et l'autre, ont donné le ton de la réflexion qui prévaut dans cette assemblée.
Je suis très heureux de vous présenter, avec Dominique de Villepin, ce texte pour une deuxième lecture. Je voudrais, à cette occasion, vous livrer quelques réflexions et donner des éléments de réponse aux questions que vous avez posées.
Il me semble important de rappeler que ce texte n'est pas venu ainsi devant vous par hasard. Il est le produit d'un travail très important. Bien sûr, il peut être amélioré ; c'est d'ailleurs l'objet des discussions que nous aurons. En tout cas, il correspond à une attente très forte, exprimée par nos concitoyens, d'une plus grande efficacité de nos institutions publiques sur le terrain et d'une concrétisation de la nouvelle organisation décentralisée de notre république.
Après les modifications de la Constitution, après l'adoption de lois organiques importantes sur le référendum et l'expérimentation, après les longues réflexions que nous avons menées sur les questions relatives à l'autonomie financière des collectivités territoriales, ce texte est la première traduction concrète de la décentralisation. Tout le travail que nous avons accompli depuis deux mois avec Dominique de Villepin a eu précisément pour objet de nous permettre, à travers de nombreuses ouvertures, de donner du sens à la dernière étape de ce texte relatif à la décentralisation.
Nous sommes maintenant déterminés à faire en sorte que ce texte soit adopté par le Parlement. Il est un temps pour chaque chose. L'énorme travail qui a été effectué depuis près de deux ans sur ce texte, aussi bien par les administrations et les élus locaux, dans le cadre des assises, que par les assemblées, doit maintenant trouver sa concrétisation.
Nous souhaitons que ce texte puisse entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2005. Il est donc absolument indispensable que sa deuxième lecture ait lieu maintenant afin qu'il soit adopté dans les meilleurs délais. D'ici à la fin de l'année, en effet, plusieurs dizaines de décrets d'application devront être publiés par le Gouvernement pour fixer les modalités pratiques de certaines dispositions.
Il est essentiel que les collectivités locales aient une visibilité suffisante le plus tôt possible pour se préparer aux transferts. Je souhaite travailler dans la plus grande transparence avec vous-même, comme avec les élus locaux, et pouvoir donner à ces derniers très en amont toutes les informations nécessaires sur leurs nouvelles compétences.
En résumé, nos travaux doivent être guidés par le pragmatisme et par un souci d'efficacité afin que cette réforme puisse être mise en oeuvre dans les meilleures conditions.
Il s'agit bien aujourd'hui de procéder à une deuxième lecture de ce texte, et non pas à une première lecture bis.
Mme Hélène Luc. Pour qu'il y ait une deuxième lecture, il aurait fallu laisser le temps de la réflexion et de la concertation !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Justement, nous avons effectivement procédé à de très nombreuses consultations, concertations, informations. Outre celles qui ont eu lieu dans la perspective de la première lecture, nous avons mené toute une série de rencontres depuis deux mois.
D'abord, nous avons rencontré l'ensemble des associations d'élus qui ont accepté notre invitation.
Mme Hélène Luc. Les avez-vous toutes rencontrées ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je le dis spécialement à l'intention de Mme Luc, mais aussi de MM. Sueur et Frimat.
Mme Hélène Luc. Dites-nous le nom de ces associations !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je veux bien vous le dire, madame Luc. Mais encore faudrait-il que vous consentiez à m'écouter au lieu de parler en même temps que moi ! Cela ne vous ressemble pas. Vous qui d'habitude m'accueillez toujours avec un sourire, vous ne me laissez même plus « en placer une » !
Mme Hélène Luc. Je vous pose juste une question !
M. le président. Madame Luc, veuillez laisser s'exprimer M. le ministre.
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Nous avons rencontré, de manière tout à fait méthodique, l'ensemble des associations d'élus qui l'ont bien voulu. Il en est une, effectivement, qui ne l'a pas souhaité : c'est l'association des présidents de régions. Une fois que la réunion avec le Premier ministre a eu lieu, au mois d'avril, et que nous nous sommes proposés, Dominique de Villepin et moi-même, de recevoir ses représentants, nous n'avons jamais réussi à trouver une date qui leur convienne. Et pourtant mon agenda était grand ouvert ! J'ai vite compris que mon niveau n'était pas jugé suffisamment élevé pour que je puisse bénéficier de l'honneur de rencontrer les présidents de régions. Je le regrette, car j'estime que, sur de tels sujets, il est bon que les élus passent le temps nécessaire avec les ministres en charge des dossiers.
Je cherche à être ouvert au dialogue, à la discussion. Encore faut-il que l'on veuille bien discuter avec moi et prendre la main que je tends. Cela a été le cas des présidents de régions d'outre-mer, non des présidents de régions de métropole. J'espère que nous pourrons entamer ce dialogue après la deuxième lecture du Sénat et avant celle de l'Assemblée nationale.
Cela dit, nous avons rencontré l'ensemble des représentants syndicaux, pour évoquer notamment les modalités pratiques des transferts de compétences.
Nous avons eu des contacts avec les présidents et rapporteurs des commissions, pour recueillir leurs propositions et suggestions.
Sachez que la discussion continue et que, dans le cadre des débats qui vont se dérouler ici, je suis tout à fait prêt à continuer de discuter de tous les sujets que vous souhaiterez aborder, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je souhaiterais répondre à ceux d'entre vous, notamment M. Sueur, qui ont évoqué la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Je voudrais que les choses soient tout à fait claires. J'aurais bien sûr préféré, comme nous l'avions escompté, que la totalité du texte soit adopté, première et deuxième lectures comprises. Mais cela n'a pas été possible. Comme vous le savez, les très nombreux amendements déposés à l'Assemblée nationale sur le texte EDF-GDF ont eu pour conséquence de bouleverser le calendrier.
Je peux comprendre que l'opposition se dise : « Si les textes ont du retard, tant pis pour le Gouvernement ! » Elle est dans son rôle. Mais je vous invite, mesdames, messieurs, à vous mettre quelques brefs instants à la place du Gouvernement... Quelques brefs instants ; ensuite chacun reprendra sa place. (Sourires.)
Mme Hélène Luc. On vous a dit de faire autrement, mais vous n'avez pas voulu !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. En considérant les choses du point de vue du Gouvernement, vous pouvez imaginer que nous sommes là pour remplir notre mandat, qui est d'accomplir les réformes à propos desquelles nous nous sommes engagés devant les Français.
Dès lors, tout reprend son sens. S'il est vrai que nous n'avons pas pu adopter le projet de loi organique en totalité, nous avons pu néanmoins en examiner l'ensemble des dispositions en première lecture. Et ce que nous avons évoqué lors de cette première lecture nous permet d'avoir une vision assez claire de ce que sera le concept d'autonomie financière des collectivités locales.
On peut d'ailleurs être opposé à cette autonomie financière : j'ai entendu sur ces travées, tout au long de la discussion, quelques objections de fond tout à fait respectables. Mais il est un moment où il faut trancher. C'est naturellement aux assemblées de le faire, en toute souveraineté.
Sur le fond, le texte auquel nous allons aboutir ne sera probablement pas très différent de celui qui a été adopté par le Sénat, à l'exception de l'article 2, qui sera un peu amendé pour en améliorer la lisibilité.
Ainsi, étape après étape, les règles du jeu que le Gouvernement vous propose se précisent, se clarifient, dans un esprit de dialogue et de transparence que j'ai appelé de mes voeux depuis le premier jour de ma prise de fonctions en tant que ministre délégué à l'intérieur.
Je résume : nous avons commencé par examiner en première lecture le texte sur les responsabilités locales ; nous avons ensuite entamé le débat sur la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales ; nous abordons maintenant la deuxième lecture du projet de loi relatif aux responsabilités locales. Vous le savez, nous entamerons à l'automne deux autres grands chantiers : la réforme des dotations, qui nous permettra d'évoquer le sujet important de la péréquation, et la réforme de la taxe professionnelle.
M. Sueur nous reproche de ne pas avoir terminé la discussion de la loi organique. Mais, dans le même propos, il dit que cette loi organique est vide de contenu. Il me semble qu'il y a là une certaine contradiction.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est vous qui avez pris un engagement, ce n'est pas nous !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Monsieur Sueur, vous qui avez exercé les fonctions à la fois passionnantes et difficiles de ministre en charge de la décentralisation, vous savez combien il est parfois cruel d'être dans l'opposition. Quand on est dans la majorité, on trouve que les mesures prises sont formidables ; quand on revient dans l'opposition, presque par construction, on se sent obligé d'être contre...« tout contre ». Puisque vous aimez les citations, vous n'aurez bien sûr pas oublié celle de Sacha Guitry. Sur ce sujet, vous aussi, vous êtes « tout contre » ! (Sourires.)
M. Bernard Frimat. Il ne parlait pas de la décentralisation !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. C'est exact. Vous voyez, on peut parfois faire des transferts qui réussissent ! (Nouveaux sourires.)
Je voudrais dire un mot des modalités de compensation des transferts de compétences. J'ai à coeur, au nom du Gouvernement, de donner au fur et à mesure toutes les informations dont nous disposons sur cette question. C'est un principe de loyauté et de transparence qui s'impose et qui nous engage. Je veux vous apporter la garantie - parce qu'elle est désormais constitutionnelle - que tout transfert de compétence donnera lieu à une compensation à l'euro près. C'est essentiel pour nous. Nous l'avons écrit dans les textes. La période de référence pour ce calcul sera les trois dernières années pour les dépenses de fonctionnement, et les cinq dernières années pour les dépenses d'investissement.
A ces règles claires, inscrites dans les textes, s'ajoute la garantie apportée par l'intervention d'une commission consultative d'évaluation des charges, qui a été réformée. Elle sera présidée par un élu.
Sachez que j'ai demandé aux présidents des grandes associations d'élus de bien vouloir désigner de nouveaux représentants au sein de l'actuelle commission. Je souhaite en effet pouvoir la réunir avant la fin de l'année pour lui soumettre les arrêtés fixant définitivement le montant des compensations des transferts antérieurs à la loi que nous examinons.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de la discussion du projet de loi organique, nous travaillerons au transfert de fiscalité correspondant.
Pour ce qui concerne le transfert aux régions d'une part de la TIPP, nous veillerons à ce qu'il puisse se faire à l'euro près et que la modulation intervienne le plus tôt possible.
J'ai transmis, vous le savez, un dossier de dérogation à Bruxelles dès la mi-mai pour obtenir un assouplissement des contraintes européennes sur cette modulation de la fiscalité que nous appelons de nos voeux.
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a toujours pas de réponse !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Dès que nous l'aurons, je reviendrai devant vous pour vous en donner communication. Sachez qu'il ne se passe pas un jour sans que je me préoccupe de cette question car je tiens à honorer ma parole devant votre assemblée.
J'ai par ailleurs rencontré récemment les représentants des pétroliers afin qu'ils mettent en place, en liaison avec l'administration des douanes, un système territorialisé de déclaration des volumes distribués pour le 1er janvier 2006, ce qui permettra aux régions de disposer d'une base de calcul de l'impôt. Quant aux départements, ils se verront transférer une partie de la taxe sur les conventions d'assurance, celle qui correspond aux véhicules, sur laquelle ils auront, à moyen terme, la possibilité de fixer les taux.
Tous les sujets relatifs à l'autonomie fiscale sont des éléments absolument essentiels, dont je me préoccupe en permanence.
Je veux maintenant évoquer devant vous un autre point qui a suscité beaucoup d'interventions au cours de cette discussion générale : le transfert des personnels TOS vers les départements et les régions.
J'ai la conviction que l'association plus étroite des collectivités territoriales à la gestion de ces hommes et de ces femmes permettra d'offrir aux élèves, aux familles, et aux personnels eux-mêmes un service public d'éducation plus proche et plus cohérent.
Avant tout, je souhaite revenir sur une rumeur qui m'a beaucoup choqué et qui consiste à faire croire que l'on voudrait assimiler les hommes aux bâtiments.
Cette approche est indigne. Elle est à l'opposé de notre conception du fonctionnement des institutions et de l'idée que nous nous faisons, les uns et les autres, de la conduite des ressources humaines dans l'administration.
L'amélioration attendue du service public repose sur quelques constats simples.
D'abord, depuis que les collectivités territoriales exercent la compétence en matière de construction et d'équipement scolaire à la suite de la décentralisation dont vous êtes, à juste titre, fiers - la décentralisation de 1982 qui avait été initiée par Pierre Mauroy, auteur par ailleurs d'un excellent rapport publié en 2000 - ...
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...elles ont fait preuve - chacun a pu le constater -d'un savoir-faire remarquable en couvrant dans ce domaine, mieux que n'avait su le faire l'Etat, les besoins de notre pays tant en nouveaux bâtiments qu'en rénovation de bâtiments anciens.
Il est vrai que la perspective pour les collectivités locales de mener une réflexion globale leur permettra de prendre des décisions plus cohérentes pour améliorer la couverture territoriale du service public et arbitrer entre des demandes proches.
Le rapport Mauroy, qui a inspiré très largement, comme vous le savez, ce volet important du projet de loi, l'a clairement mis en évidence. A l'époque, vous n'étiez pas aussi critiques que vous l'êtes devenus.
Voilà pourquoi je disais qu'être dans l'opposition conduisait parfois à certains retournements cruels.
M. Jean-Pierre Sueur. Vos amis ont quitté la commission !
M. Jean-François Copé, ministre délégué, Au demeurant, je suis tout à fait conscient de l'inquiétude exprimée par certains personnels.
J'en suis d'autant plus conscient que la désinformation est allée bon train ces derniers mois, et je souhaite leur apporter ici, comme je l'ai fait d'ailleurs en rencontrant leurs représentants syndicaux, toute garantie quant à leur situation individuelle.
Je confirme que ces personnels continueront de faire partie intégrante de la communauté éducative. Les agents TOS auront la garantie de maintien dans leurs établissements scolaires, collèges ou lycées. J'ai entendu beaucoup de choses sur ce sujet, y compris qu'ils seraient mutés d'office dans des centres aérés ; il n'en n'a jamais été question.
Par ailleurs, le Gouvernement s'est engagé à créer trois nouveaux cadres d'emploi dans la fonction publique territoriale, dont les règles seront grosso modo calquées sur les règles qui régissent actuellement les trois corps de personnels TOS.
En outre, je le répète après Dominique de Villepin, ces personnels ne seront pas obligés d'intégrer la fonction publique territoriale puisque le projet de loi prévoit un droit d'option durant deux ans. Si, à l'issue de ces deux ans, les agents ne souhaitent pas intégrer la fonction publique territoriale - ce qui me semble assez improbable si l'on se réfère à l'exemple des agents de l'équipement concernés par les textes des années quatre-vingt -, ils pourront alors demander un détachement à durée illimitée.
Enfin, je souhaite rappeler que les services pris en compte pour le calcul de la retraite d'un fonctionnaire de l'Etat ou de la fonction publique territoriale sont strictement identiques. La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, aura toute la marge de manoeuvre possible pour assurer la liquidation de ces retraites. Comme vous le savez, l'âge moyen des personnels TOS est de quarante-deux ans, les délais de cotisation seront donc largement suffisants et les retraites seront honorées sans difficulté. Dans ce domaine, le Gouvernement a pris ses responsabilités tandis que ses prédécesseurs avaient reculé l'échéance et assez peu assumé les leurs.
En plus de toutes ces garanties, ces personnels trouveront un avantage essentiel à être gérés sur le plan de leur carrière par les collectivités locales.
Ils vont bénéficier d'une gestion des ressources humaines beaucoup plus proche d'eux, beaucoup plus attentive à leur situation individuelle. En outre, ils bénéficieront de situations soit équivalentes, soit plus favorables, en termes de régime indemnitaire et d'avancement, à leur situation actuelle. C'est bien pour cela que Pierre Mauroy, dans sa sagesse, avait pensé à ce transfert.
Sur le plan de la mobilité géographique ou fonctionnelle, les règles de la fonction publique territoriale apporteront également de réels avantages aux agents choisissant l'intégration. La transparence est forte et l'expérience montre que la mobilité dans le domaine de la fonction publique territoriale fonctionne remarquablement bien. Vous le savez, monsieur Sueur, vous y avez vous-même contribué grâce aux textes que vous avez fait adopter.
Pour la rémunération - et cet aspect des choses est évidemment très important - le principe de parité entre les deux fonctions publiques garantit aux agents ayant intégré la fonction publique territoriale le bénéfice a minima des niveaux indiciaires et indemnitaires des corps d'Etat équivalents.
Ce principe s'exerce, bien entendu, dans le cadre de la libre administration des collectivités, qui sont libres de fixer un niveau de prime rendu assez variable par les textes, mais un plancher, qui ne saurait être inférieur à celui qui est pratiqué par l'Etat, sera fixé par voie réglementaire.
Je peux donc certifier qu'entre le niveau d'indemnité d'administration et de technicité, l'IAT, d'un agent TOS, et l'IAT d'un agent territorial d'entretien employé par un conseil général ou un conseil régional, l'avantage sera du côté des personnels employés par des collectivités locales.
Je pourrais évoquer bien d'autres arguments - peut-être le ferai-je au cours de la discussion - pour vous dire ma conviction que ces personnels bénéficieront d'une gestion de leur carrière porteuse d'humanité et de considération.
Bref, les personnels et leurs représentants peuvent être pleinement rassurés. Je suis sur le point de diffuser, avec le ministre de l'éducation nationale, auprès des partenaires sociaux un mémorandum rappelant tous ces engagements et répondant à beaucoup des questions qu'ils ont évoquées.
Enfin, aux inquiétudes que les élus ont exprimées sur les moyens dont ils disposeront pour gérer ces personnels, je répondrai que le projet de loi prévoit que l'Etat transférera les services qui opèrent actuellement, dans les inspections d'académie ou dans les rectorats, la gestion concrète des carrières des personnels TOS. Ce sont mille agents administratifs du ministère de l'éducation nationale qui ont ainsi vocation à rejoindre les conseils généraux et les conseils régionaux.
Monsieur Marest, vous avez rappelé avec pertinence que cette deuxième lecture au Sénat intervient après de longues discussions. Le Gouvernement a effectivement organisé des assises, qui ont été l'occasion d'un débat extrêmement large puisque des dizaines de milliers d'élus, de fonctionnaires territoriaux, de parlementaires y ont participé, dans leurs régions respectives.
N'oublions pas que ce texte a déjà fait l'objet de neuf jours, soit quatre-vingt-une heures, de débats devant la Haute Assemblée. Aussi, lorsque M. Frimat parlait tout à l'heure de précipitation, j'ai eu le sentiment que nous n'évoquions pas le même feuilleton. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) En réalité, monsieur Frimat, vous qui, parfois, avez presque de la sympathie pour ce que nous faisons, vous vous trouviez dans un exercice très difficile consistant à chercher désespérément des arguments pour être critique. (Sourires.)
Vous avez dit, monsieur Marest, que le temps était venu d'améliorer ce texte, mais aussi de le présenter, si je puis dire, sur les fonts baptismaux. Je vous rejoins volontiers sur ce point : il faut maintenir le cap, il faut poursuivre le mouvement qui est engagé, dès lors que nous répondons point par point à chacune des questions posées, en particulier dans le domaine de l'autonomie financière, qui est, évidemment, un sujet essentiel.
Madame Mathon, vous n'avez pas partagé - c'est le moins que l'on puisse dire - l'enthousiasme de Max Marest et je l'ai beaucoup regretté. J'ai cherché, en vain, un élément positif dans votre intervention.
M. Roland Muzeau. Vous avez écouté, c'est bien !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. J'ai compris que vous deviez appartenir au groupe CRC, ce qui est exact.
Vous avez succombé à la tentation de la caricature en trouvant à ce texte tous les défauts imaginables.
Au-delà des différences d'appréciation légitimes et compréhensibles qui peuvent nous opposer, vous parlez d'une situation injuste pour les collectivités. Mais, madame, la plus grande injustice serait d'effectuer des transferts de compétences sans octroyer à ces collectivités les services et les moyens en hommes et en argent leur permettant d'assurer l'exercice de ces compétences. Or ce n'est pas le cas !
Mme Nicole Borvo. On ne sait pas encore !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Nous avons justement pris la décision de transférer des impôts d'Etat pour financer ces transferts de compétence. J'ai le sentiment que vous vous êtes trompée d'époque, car c'est dans le passé que nous avons connu ces décalages entre les transferts de compétences et les transferts de ressources.
Mme Nicole Borvo. On le verra avec la loi de finances !
Mme Hélène Luc. Comment feront les départements pour préparer leur budget ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. La plus grande injustice pour les usagers serait que le projet organise le démantèlement des services publics. Or c'est l'inverse qui a lieu. Nous essayons au contraire d'en affermir la cohérence, de faire en sorte qu'il y ait une parfaite articulation, du moins une meilleure articulation, entre les services assurés par les collectivités locales et ceux assurés par l'Etat dans les départements et les régions.
Ce travail de cohérence est un travail constant ; il engage aussi bien l'opposition que la majorité ; il nous oblige les uns et les autres à réfléchir sans cesse à la modernisation de nos institutions. Dans ce domaine, il reste, bien sûr, beaucoup de travail à accomplir, mais, si nous oubliions nos étiquettes politiques, je suis convaincu que nous nous retrouverions, car c'est bien de l'intérêt général qu'il s'agit.
Monsieur de Montesquiou, vous avez rappelé que ce texte ne sera véritablement efficace que s'il s'accompagne d'une réelle et profonde réforme de l'Etat ; vous avez parlé d'or.
Je pense comme vous que ce rendez-vous de la décentralisation serait totalement manqué si nous ne nous attelions pas, dans le même temps, à une réforme profonde de l'Etat. C'est tout à fait l'objectif que nous visons.
Comme l'a dit Dominique de Villepin dans son intervention, nous avons à coeur de conduire parallèlement une modernisation du fonctionnement au quotidien de l'Etat, à travers une déconcentration qui donne aux préfets de nouvelles responsabilités, notamment à travers les pôles d'intervention qui, sur le terrain, viseront à créer des rapports beaucoup plus concrets entre les préfets et les élus locaux.
Le problème des déséquilibres régionaux, qui sont inacceptables, constitue pour nous une préoccupation de chaque instant. A ce sujet, je vous donne rendez-vous, monsieur le sénateur, lors du débat que nous aurons sur la réforme des dotations. Ce sera un rendez-vous essentiel, qui apportera une pierre supplémentaire à l'édifice sur un sujet qui nous préoccupe tous, la péréquation. Je compte sur les propositions émanant de toutes les travées de cette assemblée pour améliorer encore notre mode de péréquation.
Les contrats de plan doivent être également repensés ; nous aurons là aussi un travail de péréquation à imaginer.
De même, je vous donne rendez-vous lors de l'examen du dispositif que Jean-Louis Borloo prépare et qu'il présentera dans quelques jours au conseil des ministres, relatif à la cohésion sociale et à la possibilité pour l'Etat de conserver les moyens de faire jouer pleinement les mécanismes de solidarité nationale.
Enfin, vous avez eu raison, monsieur de Montesquiou, de rappeler que l'Europe modifie très sensiblement la donne pour les Français. Il faut y réfléchir pour renforcer l'efficacité de notre administration locale ; Pierre Mauroy, qui est une référence constante dans nos travaux, n'avait rien dit d'autre.
Monsieur Frimat, vous avez été quelque peu virulent ! En tout cas, en vous entendant, je me suis demandé si c'était bien à moi que vous vous adressiez.
Vous vous interrogez sur les consultations préalables à ce débat - j'en ai dit un mot tout à l'heure -, que vous jugez insuffisantes. Croyez-moi, si vous pouvez m'aider, vous qui connaissez beaucoup de monde, à rencontrer les présidents de région, comme vous me feriez plaisir ! J'aimerais qu'on me parle d'autre chose que de politique politicienne, qu'on cesse, dès que nous essayons d'engager le dialogue, de nous mettre sous le nez des préalables qui empêchent toute discussion, et que l'on aille le plus vite possible au fond des choses !
Essayons d'établir des partenariats intelligents et modernes avec des présidents de région, pour lesquels nous avons la plus haute considération - le fait que nous donnions aux régions des responsabilités importantes en est d'ailleurs une preuve - pour qu'enfin on parle d'avenir, d'aménagement du territoire, de République cohérente, d'efficacité publique, car ce n'est pas sur ces notions, monsieur Frimat, que s'opposent la gauche et la droite, n'est-ce pas ?
En tout cas, sachez-le, dès lors que nous aurons bien perçu le message selon lequel les régions n'ont pas vocation à être des contre-pouvoirs, nous serons tout à fait disposés à discuter de la modernisation de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Vous nous reprochez une certaine précipitation. Mais nous avons tout notre temps ! Je ne sais comment vous dire mieux. Mon agenda est à votre disposition : on consacrera à ce travail tout le temps qu'il faudra. Veillons simplement à être constructifs, et je sais que c'est un point auquel, dans votre rôle d'opposant, vous êtes très attentif ; je vous en remercie.
M. Bernard Frimat. C'est trop, vous me gênez ! (Sourires.)
M. Jean-François Copé, ministre délégué. En ce qui concerne la loi organique, je peux comprendre certaines objections ; en ce domaine, personne ne dispose de la vérité révélée. Mais il fallait faire un choix, nous en avons proposé un, l'essentiel du débat ayant eu lieu.
En revanche, pour ce qui est de l'autisme, monsieur Frimat, je ne vous suis pas. Vous, vous pratiqueriez l'écoute républicaine et nous, nous serions des autistes ! D'abord, permettez-moi de vous dire, comme pourraient le faire tous ceux qui sont très impliqués dans le handicap, que ce terme est ici déplacé. Ensuite, vous ne pouvez prétendre que nous n'écoutons pas devant moi qui suis des plus disposés à ouvrir ma porte à tous ceux qui souhaitent dialoguer. Encore faut-il qu'ils veuillent bien franchir cette porte et saisir la main que je leur tends.
Dans une démocratie apaisée, dans laquelle on peut se dire les choses, dans laquelle on peut débattre d'un texte sans se croire obligé de déposer 10 000 amendements pour montrer ses muscles, il est alors possible, reconnaissez-le, d'oeuvrer à la modernisation du pays. Encore faut-il prendre la peine de le faire.
Cela dit, je suis persuadé que, dans l'enthousiasme du moment, votre parole a dépassé votre pensée profonde, d'autant que fondamentalement, monsieur Frimat, notre conception de la décentralisation ne diffère pas de la vôtre. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Ne dites pas le contraire, relisez le texte !
Notre conception de la décentralisation est dans le rapport Mauroy. Ne dites pas que vous désapprouvez ce que vous approuviez hier !
M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi vos amis, notamment M. Raffarin, sont-ils partis ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Reconnaissez que les conditions dans lesquelles, à l'époque, ce rapport avait été établi laissaient à désirer. Je fais allusion non pas au fond, mais à la méthode de concertation.
Quant à l'affaiblissement de l'Etat dont vous parlez, monsieur Frimat, où le voyez-vous ? Jamais un gouvernement ne s'est autant attaché à travailler au renforcement de l'Etat dans ses missions régaliennes. Jamais l'Etat ne s'est autant engagé que sous notre gouvernement dans des dépenses d'investissement susceptibles de permettre la modernisation de fonctions aussi essentielles que la sécurité, la justice, la défense, l'éducation nationale.
La période de l'affaiblissement de l'Etat est révolue. Si nous avions trouvé des commissariats bien équipés, des effectifs suffisants, nous n'aurions pas besoin de rattraper le retard. Il faut bien de temps en temps rappeler que nous aurions aimé trouver une situation budgétaire rapportée au PIB meilleure que celle dont nous avons hérité après quatre années de croissance. L'addition est finalement assez salée ! Quand, en plus, ceux qui nous ont transmis cette situation se permettent de nous donner des leçons de bonne gestion, les bras nous en tombent !
Fort heureusement, je sais que, dans ce domaine aussi, nous avons de quoi nous retrouver. En vous disant que, loin de vouloir affaiblir l'Etat, nous voulons le renforcer, car c'est le gage d'une décentralisation réussie, peut-être parviendrai-je, avant la fin de ce débat, à vous convaincre suffisamment pour que, pris de remords, vous acceptiez de voter ce texte.
M. Biwer a fort justement souligné que ce texte était une chance pour la France. Je sais que, sur ce sujet, monsieur Biwer, vous êtes très engagé. Vous êtes de ceux qui, dans cette assemblée, ont le plus contribué à la réflexion sur la décentralisation.
La réflexion du Gouvernement est maintenant arrivée à un point tout à fait décisif. Vous avez rappelé que vingt à vingt-cinq départements sont actuellement à la peine en raison de nombreux transferts de compétences non financés.
Il est vrai que les périodes passées peuvent, de ce point de vue, inquiéter des hommes comme M. Frimat. Ayant comme référence ce qui s'est passé ces dernières années, il peut légitimement douter du gouvernement actuel quand celui qu'il soutenait n'a pas tenu ses engagements. (M. Marcel Debarge proteste.).
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Eh oui !
M. Jean Chérioux. C'est dur à entendre !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Avec le temps, les choses évoluent puisque nous avons modifié la Constitution de manière à faire prévaloir une logique d'apaisement qui, me semble-t-il, est partagée par tous.
Monsieur Biwer, vous avez eu à coeur de rappeler, comme l'ont d'ailleurs fait plusieurs orateurs de différents groupes, l'importance que vous attachiez à la clarification et au renforcement de certaines compétences. C'est un sujet de préoccupation permanent.
Nous aurons tous toujours à coeur de travailler à la clarification des compétences, sujet très difficile qui se heurte à celui des compétences croisées, dont on a parfois bien besoin. En effet, quand on est maire - je peux en témoigner - on ne cherche plus à savoir qui fait quoi ou qui paye quoi. Lorsqu'on a besoin de subventions pour financer un projet, on va frapper à toutes les portes, et la souplesse qui existe aujourd'hui est parfois bien utile. M. François-Poncet, qui connaît bien ces questions relatives à la décentralisation, sait qu'en cette matière nous avons, bien sûr, beaucoup à faire.
Monsieur Doligé, j'ai été très attentif à vos observations, comme toujours fort judicieuses. Même s'il m'arrive parfois d'être en léger désaccord avec vous, je prends beaucoup d'intérêt à vous écouter. Je m'aperçois, au fil du temps, qu'il y a beaucoup à retenir de vos interventions et, même s'il n'est pas toujours possible d'aller aussi loin que vous le souhaitez, vos propositions font un peu bouger les choses et sont une contribution précieuse à nos débats.
Vous avez plaidé en faveur d'une plus grande liberté pour les conseils généraux. Les départements - et vous êtes bien placé pour le savoir - ont grandement souffert ces dernières années, avec notamment les transferts de compétences concernant les SDIS, services départementaux d'incendie et de secours, l'APA, allocation personnalisée d'autonomie, les 35 heures. Ah ! les 35 heures ! on pourrait en parler !
M. Bernard Frimat. Vous avez si peu de choses à dire !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. J'ai pensé que si jamais notre débat tournait à l'aigre je pourrais toujours en parler. Je le garde donc en réserve !
M. Roland Muzeau. A chaque élection, cela marche bien !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Monsieur Doligé, vous avez raison de souligner que les nouveaux transferts de compétences induiront des charges supplémentaires pour les départements et que nous avons le devoir d'en assurer la compensation financière. C'est un sujet sur lequel nous devons être très vigilants. Les propos que vous avez tenus à cet égard sont frappés au coin du bon sens.
Vous avez exprimé une inquiétude sur les aérodromes et sur les canaux. Il s'agit, vous le savez, d'une compétence facultative. Des audits seront conduits afin que vous sachiez dans quel état ces infrastructures seront transférées. Nous aurons l'occasion, lors du débat, d'évoquer ces questions.
Monsieur Sueur, j'ai déjà répondu tout à l'heure à quelques-uns des nombreux points que vous avez évoqués, notamment sur la loi organique ; je n'y reviens donc pas.
Vous avez fait l'éloge de la décentralisation Mauroy du début des années quatre-vingt ; j'avais espéré que vous feriez l'éloge du rapport Mauroy de 2000.
M. Jean-Pierre Sueur. J'y ai contribué !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Ce doit être d'autant plus douloureux pour vous de vous renier quatre ans après, mais c'est ainsi, la vie est parfois cruelle !
Pour le reste, lorsque vous affirmez que ce projet de loi complique tout, là, je ne vous comprends pas parce que, en toute honnêteté, elle se situe très exactement dans la ligne du rapport Mauroy. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, nous veillons à être en cohérence avec ce qui a pu être écrit, sachant que, sur ce point, le travail de simplification est une tâche quotidienne.
Ainsi, nous étions partisans de simplifier l'organisation des collectivités locales d'outre-mer. Nous avons alors utilisé la procédure du référendum. Les habitants de ces départements et régions n'ayant pas souhaité cette simplification, nous avons respecté leur choix. C'est aussi cela la démocratie ! Lorsque nous faisons des propositions, il appartient naturellement aux populations concernées de réagir et nous respectons leur choix. Vous savez comme moi que, dans ces domaines, il est important de susciter le dialogue et la réflexion. C'est ce que nous nous efforcerons de faire. En tous les cas, les outils qui le permettent existent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'espère avoir répondu pour l'essentiel à vos interrogations, même si je n'ai pas la prétention de vous avoir tous convaincus.
M. Bernard Frimat. Non !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. En tout cas, ce débat, qui entre maintenant - si j'ose m'exprimer ainsi - dans sa dernière ligne droite, est tout à fait essentiel.
Cette deuxième lecture, qui revêt beaucoup d'importance à nos yeux, a pour principal objet de prendre en considération un certain nombre des réflexions qui ont émergé durant ces deux derniers mois. Je souhaite de tout coeur que ce débat conserve, au-delà des aspects un peu critiques qui peuvent nous opposer, sa sérénité, car il est indispensable que, sur un tel sujet, nous ayons tous à coeur de faire évoluer les choses dans le sens de l'intérêt général et du service de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu de manière aussi précise à tous les orateurs.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, je souhaite que le Sénat suspende ses travaux pour permettre à la commission des lois d'examiner les amendements dont elle n'a pas encore pu se saisir.
M. le président. La suspension est de droit.