compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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NOMINATION DE MEMBRES D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la bioéthique.
Il va être procédé immédiatement à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.
Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires: MM. Nicolas About, Francis Giraud, Jean Chérioux, Gérard Dériot, Jean-Louis Lorrain, Bernard Cazeau et Guy Fischer ;
Suppléants : MM. Paul Blanc, Claude Domeizel, Dominique Leclerc, Roland Muzeau, Mmes Anne-Marie Payet, Janine Rozier et M. Alain Vasselle.
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DÉClaration de l'urgence d'un projet de loi
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :
« Paris, le 8 juin 2004,
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi de modernisation de la sécurité civile, déposé sur le bureau du Sénat le 25 février 2004.
« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.
« Signé : Jean-Pierre Raffarin »
Acte est donné de cette communication.
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RAPPELs AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour un rappel au règlement.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est pas la première fois - ce ne sera peut-être pas la dernière - que je fais ce rappel au règlement.
En effet, hier soir, le Sénat a débattu du projet de loi relatif à la bioéthique jusqu'à trois heures et demie du matin. Dont acte !
Mais je constate, monsieur le président, que, depuis pas mal de temps les séances de nuit se succèdent à un rythme accéléré.
Mme Hélène Luc. Beaucoup plus qu'accéléré !
M. Alain Vasselle. Je regrette les conditions de travail du Sénat.
J'ai cru comprendre que le Gouvernement était maître de l'ordre du jour et que le Sénat était maître de son emploi du temps. (Rires sur les travées du groupe CRC.) Je fais cependant le constat, en définitive, que le Sénat n'est aucunement maître de son emploi du temps et que nous nous « calons » systématiquement sur l'ordre du jour fixé par le Gouvernement : nous faisons en sorte que les textes soient examinés au rythme décidé par le Gouvernement et non au rythme décidé par nous.
De telles conditions de travail, sur des textes aussi sensibles que le projet de loi relatif à la bioéthique, ne sont pas souhaitables. Ainsi, je n'ai pas pu être présent la nuit dernière, mais je pensais m'exprimer aujourd'hui. Cela signifie-t-il que des décisions ont été prises pour faire en sorte que nous en terminions avec ce texte la nuit dernière ?
Par ailleurs, je crois savoir que deux textes importants vont venir en discussion avant la fin de la session et que nous siégerons en session extraordinaire au moins jusqu'à la fin du mois de juillet...
La réforme constitutionnelle transformant les deux sessions du Parlement en une session unique, qui devait s'accompagner de la disparition de toutes les séances de nuit, a-t-elle encore une raison d'être ?
Mme Hélène Luc. On peut se le demander !
M. Alain Vasselle. Ne serait-il pas souhaitable, monsieur le président, de réunir de nouveau le Parlement en Congrès à Versailles, soit pour infirmer la décision que nous avions prise antérieurement parce que nous ne travaillons plus dans des conditions satisfaisantes, soit pour décider que la session ordinaire se prolongera dorénavant jusqu'au 1er août et, étant donné notre charge de travail, qu'elle reprendra le 1er septembre, que la période d'interruption des travaux sera limitée au mois d'août, voire que nous la réduirons à une quinzaine de jours ? Ainsi, nous transformerons la session unique en une session permanente... (Mme Nicole Borvo s'exclame.)
Le sentiment que j'exprime me semble partagé par d'autres collègues, quelles que soient les travées qu'ils occupent dans cet hémicicle. (De nombreux sénateurs acquiescent sur les travées du groupe socialiste.)
J'aimerais, par conséquent, qu'un point soit fait avec le Gouvernement par le président du Sénat, dans le cadre de la conférence des présidents, afin que cesse ce rythme qui commence personnellement à me fatiguer...
M. Alain Vasselle. Peut-être suis-je une petite nature et que d'autres parviennent à faire face, mais, en tout cas, je plains les membres du Gouvernement de vivre à un tel rythme : cela ne doit pas être facile tous les jours !
Je souhaite que nous ayons plus de temps pour examiner les textes importants. Nous avons débattu du projet de loi relatif à la bioéthique, nous avons débattu d'un projet de loi relatif au développement des territoires ruraux pendant quelque trois semaines, nous allons examiner un texte sur la santé publique, sur la réforme de l'assurance-maladie... Il ne s'agit pas d'abuser des possibilités qui nous sont offertes pour faire traîner en longueur l'examen des textes, mais, d'un excès à l'autre, il est certainement possible de trouver une juste mesure !
C'est la raison pour laquelle, monsieur le président, sans aucune acrimonie, ...
M. Roland Muzeau. Si, avec acrimonie !
M. Alain Vasselle. ... je souhaitais exprimer mon sentiment profond, en espérant que la raison finisse par l'emporter et que nous puissions prendre plus de temps pour les textes qui le méritent. (Applaudissements sur toutes les travées.)
Mme Nicole Borvo. Faites circuler une pétition auprès de vos collègues !
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour un rappel au règlement.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention s'inscrit dans la continuité de celle de M. Vasselle, puisqu'elle se fonde sur l'organisation - ou plutôt la désorganisation - de nos travaux.
Les conditions dans lesquelles s'engage le débat relatif à la politique énergétique sont révélatrices du peu de cas qui est fait par le Gouvernement du rôle du Parlement, en particulier du travail législatif.
Monsieur le président, est-il acceptable que nous entamions ce débat alors que le texte du projet de loi n° 328 qui nous vient de l'Assemblée nationale est toujours distribué sous la forme d'un document provisoire, annoté à la main ? Cette situation est assez inhabituelle et elle est inacceptable.
Cette carence, résultat de la précipitation extrême du Gouvernement, porte atteinte aux moyens de contrôle des parlementaires, à leur capacité d'élaboration de la loi, pourtant reconnue constitutionnellement.
Ma remarque est d'autant plus fondée que ce texte est complexe, du fait de l'introduction par l'Assemblée nationale d'une longue annexe dans le corps même du projet de loi, et que la commission des affaires économiques du Sénat souhaite modifier profondément, quant à elle, le texte voté par les députés.
Faut-il laisser perdurer cette situation, qui gêne considérablement le travail parlementaire mais aussi les personnels du Sénat et nos collaborateurs, qui voient leur tâche rendue difficile ?
Je tiens à rappeler que la commission a examiné le rapport le lendemain du vote du projet par l'Assemblée nationale, ce qui signifie que nous ne disposions pas encore du texte définitif. C'est regrettable, alors que le Sénat, rappelons-le, a débattu pendant près d'un mois d'un texte « fourre-tout » relatif au développement des territoires ruraux. Le débat sur ce texte, « tronçonné » en plusieurs semaines, ne garantissait d'ailleurs pas la qualité d'une vision continue...
En clair, monsieur le président, il me paraît judicieux que le Sénat marque son désaccord avec cette méthode de travail en n'abordant pas le débat sur l'énergie alors que le projet de loi n'est toujours pas en distribution. Il faut nous laisser le temps de travailler correctement ! A voir le nombre de sénateurs présents en séance, je crois d'ailleurs comprendre que le groupe communiste républicain et citoyen n'est pas le seul à qui cela pose problème, à moins que nos collègues aient décidé de ne pas siéger pendant la campagne électorale pour les élections européennes, comme il est d'usage, pour que les parlementaires soient sur le terrain en vue de mobiliser les électeurs !
Mme Hélène Luc. Eh oui !
Mme Marie-France Beaufils. Je me demande si tout cela ne concourt pas à la difficulté du travail parlementaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Je donne acte à M. Alain Vasselle et à Mme Marie-France Beaufils de leurs rappels au règlement, dont M. le président du Sénat prendra connaissance.
Bien entendu, le Gouvernement est maître de l'ordre du jour,...
M. Roland Muzeau. Eh oui !
M. le président. ... mais je rappelle toutefois que, sur le projet de loi d'orientation sur l'énergie, monsieur Muzeau, 460 amendements ont été déposés, ...
Mme Nicole Borvo. Nous sommes des parlementaires !
Mme Hélène Luc. C'est le droit des parlementaires, monsieur le président !
Mme Danielle Bidard-Reydet. On travaille !
M. le président. ... dont 200 émanent du seul groupe CRC.
Même si, aujourd'hui, l'élégance printanière des sénatrices de votre groupe soulève notre admiration, il n'en demeure pas moins que, sans perdre plus de temps, nous allons passer à l'ordre du jour ! (Sourires.)
Mme Nicole Borvo. Il ne faut tout de même pas prendre notre intervention à la légère !
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Energie
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 328, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation sur l'énergie. [Rapport n° 330 (2003-2004).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
Mme Hélène Luc. Le Gouvernement pourrait nous dire ce qu'il pense des questions que nous venons de soulever : c'est important pour le travail du Sénat !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Madame Luc, je n'ai pas de commentaire à faire, mais je répondrai néanmoins à votre interpellation sur l'organisation de ses travaux par le Sénat, dont il est le seul maître.
Mme Hélène Luc. Il s'agit de l'ordre du jour prioritaire !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le Gouvernement fixe l'ordre du jour, mais c'est le Sénat qui décide de l'organisation de ses travaux. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Hélène Luc. C'est le Gouvernement qui décide de l'ordre du jour !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Au demeurant, madame Luc, comme M. le président l'a souligné, malgré toute la précipitation que vous dénoncez, votre groupe a eu le temps, le loisir et l'intelligence de rédiger de très nombreux amendements. Vous avez donc bénéficié de suffisamment de temps, semble-t-il, pour pouvoir vous livrer à cette production intellectuelle de haute qualité !
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas une réponse !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui, comme Nicolas Sarkozy l'avait annoncé au Sénat le 27 avril, le projet de loi d'orientation sur l'énergie.
Ce texte vient clore un long processus de discussion, marqué par le débat national au cours du premier semestre 2003 et la concertation organisée autour du Livre blanc sur les énergies à la fin de l'année 2003.
En vous présentant ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous propose des orientations générales, déclinées en objectifs précis, et des mesures nouvelles qui complètent les moyens d'actions existants. Il fixe ainsi le cadre dans lequel les entreprises du secteur de l'énergie seront amenées à agir, dans un contexte de marché énergétique ouvert à la concurrence.
Ce projet de loi a été largement enrichi par les travaux de l'Assemblée nationale, notamment en matière fiscale - dans le domaine du logement, de l'hydraulique ou de la recherche - et en matière de pilotage de la politique énergétique puisque les missions et la composition du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz ont été élargies et qu'un « jaune » budgétaire sur l'énergie a été créé.
J'ai noté, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous avez également déposé un nombre important d'amendements très intéressants. A cet égard, je salue particulièrement le travail remarquable accompli par M. le rapporteur, Henri Revol, ainsi que par le président de la commission, M. Jean-Paul Emorine.
Le Gouvernement sera favorable à l'adoption de nombre d'entre eux, qu'ils soient issus de la majorité ou de l'opposition.
M. Claude Estier. C'est nouveau !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Non, ce n'est pas nouveau, monsieur Estier : lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, j'ai été favorable, à peu de chose près, à autant d'amendements de l'opposition que je l'ai été aux amendements de la majorité gouvernementale !
M. Claude Estier. On va voir !
M. Daniel Raoul. Peut mieux faire !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je souhaite en effet que, lors de l'examen de ce projet de loi d'orientation, nous puissions dépasser - si l'on y arrive ! - les intérêts partisans afin ce texte soit le fruit d'un travail véritablement collectif, car il sera déterminant pour notre pays, au-delà de nos majorités précaires.
Je souhaite également que l'on prenne le temps nécessaire à sa discussion. Je vous confirme ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, que, compte tenu de la qualité des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'utilisera pas son droit d'accélérer la procédure : l'urgence ne sera pas déclarée et il y aura bien une seconde lecture. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Notre pays ne doit plus attendre pour décider de ses choix énergétiques. Pour qu'ils soient durables, il importe qu'ils soient arrêtés par la représentation nationale de la manière la plus large et la plus consensuelle possible.
Les données du problème sont connues : augmentation inévitable des prix du pétrole et du gaz, réchauffement climatique qui menace notre planète et renouvellement de notre parc nucléaire à l'horizon de l'année 2020.
L'augmentation des prix du pétrole et du gaz est inévitable. Nous n'en connaissons aujourd'hui, avec un baril de pétrole à 40 dollars, que les premiers effets. La production de pétrole plafonnera dans les quinze à trente prochaines années, alors que la demande continuera de croître, notamment du fait des pays en développement comme la Chine. Cette offre de pétrole se concentrera dans un nombre de pays limité, confrontés, pour certains d'entre eux, à des tensions politiques, ce qui donne d'ailleurs lieu à une spéculation internationale.
Il est donc clair que le temps d'une énergie abondante et quasi gratuite est révolu, et qu'il nous faut adapter la société française à une situation où l'énergie sera rare et chère.
Le réchauffement climatique menace notre planète et l'on peut légitiment penser que la canicule de l'été 2003 en constitue l'un des premiers symptômes. Il est donc temps que ce problème soit pris au sérieux à l'échelon international, dans un premier temps en respectant les objectifs définis par le protocole de Kyoto, puis en allant beaucoup plus loin. Le protocole de Kyoto n'est en effet qu'un premier pas qui nous permettra de ralentir, mais pas d'arrêter, le changement climatique.
La France peut et doit, en la matière, donner l'exemple. Notre pays, du fait de son parc nucléaire, est plutôt vertueux sur le plan des émissions de CO2 : il en rejette 40% de moins que l'Allemagne, qui utilise fortement le charbon, et 35% de moins que la Grande-Bretagne, qui utilise le gaz.
Quant à la question du renouvellement du parc nucléaire français, elle se posera à l'horizon de l'année 2020. En effet, en 2011, la moitié de notre parc aura plus de trente ans, soit la durée de vie initialement prévue. Heureusement, dans l'état actuel de nos connaissances, celle-ci pourra être prolongée d'une dizaine d'années, et c'est bien d'ici à dix à quinze ans que nous devrons être prêts à remplacer notre parc. Un tel remplacement comporte des délais et doit se préparer dès aujourd'hui.
Face à ces trois contraintes et compte tenu de l'inertie d'une politique énergétique qui ne porte souvent ses fruits qu'à moyen terme, le temps de l'action est venu. Dans ce domaine, l'immobilisme serait coupable, car si nous n'agissons pas aujourd'hui, l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants sera gravement compromis.
Des décisions s'imposent, qui figurent dans ce projet de loi.
Premièrement, il faut définir les grandes orientations énergétiques, qui ont vocation à guider l'action du Gouvernement, et surtout à s'imposer aux autres politiques qu'il conduit. La politique énergétique est en effet indissociable de celle des transports, de l'urbanisme, du logement, de l'environnement ou de la fiscalité. Ce n'est naturellement pas dans le cadre de ce texte qu'il convient de prendre directement des mesures dans ces différents domaines, mais il importe de faire prendre en compte la problématique énergétique à toutes ces politiques. Tel est l'objet des premiers articles du projet de loi, initialement présentés sous forme d'annexe par le Gouvernement.
Je voudrais d'ailleurs, à cet égard, préciser que, quelle qu'en soit la forme - articles ou annexes -, ces dispositions ont la même valeur législative. Je m'en remettrai donc à la sagesse de l'Assemblée nationale et du Sénat sur leur présentation et je m'attacherai plutôt à leur contenu.
L'Assemblée nationale a décidé de transférer les dispositions de l'annexe vers le texte spécifiquement législatif ; le Gouvernement l'accepte. Quant au Sénat, il décidera ce qu'il souhaite.
Ce contenu législatif définit d'abord quatre objectifs : la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement, la modération des prix, et l'accès de tous à l'énergie.
Malgré le développement du nucléaire, la France est dépendante à 50 % de ses importations de pétrole, de gaz et de charbon. Cette situation est un facteur de fragilité géostratégique, mais également macro-économique.
Il est donc vital de garantir un niveau suffisant de sécurité d'approvisionnement à notre pays et de ne pas nous contenter, comme l'Italie ou l'Espagne, de dépendre à 80 % des importations. A cette fin, il nous faut utiliser tous les moyens disponibles, qu'il s'agisse d'économies d'énergie, de diversification des sources d'approvisionnement, de capacités de stockage, de contractualisation de long terme et, surtout, de développement d'une production nationale.
Deuxièmement,l'environnement ne doit plus être la variable d'ajustement de nos politiques. Il nous faut mettre la politique énergétique au service de la lutte contre les émissions de CO2. Mais il nous faut également veiller à préserver la qualité de l'air, les paysages ou certains milieux, ce qui pose la question de la pollution des véhicules en ville, de l'insertion des lignes électriques ou de l'éolien, de l'hydraulique et du transport pétrolier et , enfin, du traitement des déchets nucléaires.
Troisièmement, nous devons faire de l'énergie un facteur de compétitivité de notre territoire. On ne sait pas assez que l'électricité française est l'une des moins chères d'Europe. Elle doit le rester. L'électricité représente 8 % du budget des ménages français : cela compte ! C'est aussi, et peut-être surtout, un élément déterminant en matière de compétitivité des industries électro-intensives et donc, indirectement, en matière d'emploi.
Enfin, nous ne saurions oublier que l'électricité est un bien de première nécessité au sein de nos sociétés modernes. Il convient donc d'en garantir l'accès à tous les Français. C'est notre tradition de service public qui l'exige, comme l'ont rappelé les lois du 10 février 2000 et du 3 janvier 2003, relatives au service public de l'électricité et du gaz. Mais cela va également dans le sens de notre tradition de solidarité envers les plus démunis, qui s'est traduite, notamment, par la récente mise en oeuvre d'un tarif social de l'électricité.
C'est enfin l'objectif du titre III et de l'article 18 de ce projet de loi, qui permettra de garantir l'équilibre, la qualité des réseaux et l'existence d'un fournisseur de dernier recours en matière d'électricité, et des articles 24 et 25 en matière d'évolution de la desserte gazière.
Une fois ces objectifs posés, il nous faut définir un scénario énergétique idéal et mettre en oeuvre les actions pour l'atteindre.
Cette trajectoire se résume en cinq objectifs chiffrés.
Premièrement, il nous faut diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050, soit une réduction moyenne de 3 % par an.
Deuxièmement, nous devons relancer la maîtrise de l'énergie afin de produire, en 2020, 25 % de PIB supplémentaire avec seulement 9 % d'énergie en plus, puis de stabiliser nos consommations avant de les faire diminuer à l'horizon de l'année 2050.
Troisièmement, il nous faut envisager un développement ambitieux de toutes les énergies renouvelables : les énergies renouvelables thermiques, avec une augmentation de la production de 50 % d'ici à dix ans ; les énergies renouvelables électriques, dont la part dans notre production devrait passer de 15 % à 21 % ; les biocarburants, qui devraient, en 2010, représenter 5,75 % de notre consommation en fonction des progrès technologiques que saura accomplir cette filière, dont le coût de développement reste aujourd'hui très élevé.
Pour mettre en oeuvre cette « trajectoire » énergétique, il nous faut l'organiser autour de quatre axes.
La première priorité est la maîtrise de l'énergie. Pour ce faire, nous devons mobiliser toutes les politiques publiques, et d'abord mieux informer les Français et les consommateurs.
Les Français doivent comprendre que la maîtrise de l'énergie dépend d'abord d'eux et de leur comportement. Je viens ainsi de lancer, avec le concours de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et de nombreuses associations professionnelles, une grande campagne médiatique de trois ans pour promouvoir les économies d'énergie.
Par ailleurs, l'article 7 du projet de loi permettra de rendre obligatoire, après concertation avec les filières professionnelles concernées, l'affichage non seulement du prix d'un équipement ménager, mais également du coût lié à la consommation d'énergie qu'il génère tout au long de son utilisation. Les consommateurs doivent pouvoir choisir en toute connaissance de cause et doivent avoir une connaissance complète du dossier.
Il nous faut ensuite exploiter les gisements d'économies d'énergie dans l'habitat, notamment ancien, qui recèle de nombreux gisements non exploités mais facilement exploitables pour un coût assez limité.
Pour cela, nous proposons plusieurs mesures.
Tout acheteur d'un logement ou tout nouveau locataire pourra exiger, lorsqu'il emménage, un certificat - M. le rapporteur dira peut-être un « diagnostic » - de performance énergétique de son logement. Il pourra ainsi avoir pleinement connaissance du niveau de consommation d'énergie auquel il devra faire face, mais également des travaux qui pourraient être entrepris pour réduire cette consommation.
Les niveaux de la réglementation thermique pour le neuf seront ensuite abaissés de 15 % d'ici à 2005 et de 40 % d'ici à 2020, et les réhabilitations seront pour la première fois soumises à une réglementation d'un niveau proche de celle de 2000.
Enfin, le Gouvernement propose la mise en place d'un système de certificats d'économie d'énergie permettant d'obliger les fournisseurs d'énergie à financer des investissements de maîtrise de l'énergie chez leurs clients. Ce système, qui devra monter progressivement en puissance, permettra d'accroître les investissements de maîtrise de l'énergie de 100 millions d'euros, et surtout de faire évoluer les mentalités.
Par ailleurs, un effort majeur doit être fait en matière de transport, d'abord en agissant sur les comportements au volant, car ceux-ci influent fortement sur les consommations d'énergie, et pas seulement sur la sécurité. L'amélioration du respect des limitations de vitesse a ainsi permis, pour la première fois depuis trente ans, de faire baisser la consommation de carburant de 1,8 % en 2003, contre une tendance à la hausse de 1 % par an auparavant.
Le développement des limiteurs de vitesse doit aussi être encouragé, et il convient également de réduire la consommation unitaire des véhicules : nous devons nous fixer au niveau européen, sur la base d'accords avec les industriels concernés, une réduction de 15 % de ces consommations.
Enfin, les investissements de l'Etat, mais aussi des collectivités locales, doivent être orientés principalement vers le rail et les transports en commun. C'est d'ailleurs ce que nous avons commencé à faire avec les décisions prises en décembre dernier, lors du comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, d'utiliser le dividende des sociétés d'autoroutes pour financer à 70 % certaines infrastructures ferroviaires, fluviales et maritimes, et le plan fret de la SNCF à hauteur de 1,5 milliard d'euros.
Deuxième priorité : nous devons préparer le renouvellement de notre parc nucléaire à l'horizon 2020.
Notre choix est clair : la France doit construire rapidement à cet effet, en s'appuyant sur le savoir-faire d'EDF, un réacteur de nouvelle génération, le réacteur européen à eau pressurisée, l'EPR, ou european pressurised reactor. Cette construction est indispensable pour assurer la disponibilité, à l'horizon 2020, d'une technologie dix fois plus sûre, 10 % moins chère et 30 % plus propre.
Je sais que certains préféreraient passer directement aux réacteurs de quatrième génération. Je souhaiterais aussi pouvoir le faire, mais c'est une utopie de croire que cette génération IV pourrait être prête pour un déploiement industriel avant 2045 et, comme toute utopie, elle nous conduirait à court terme dans une impasse.
J'ai donc demandé à EDF de réunir un conseil d'administration dès la semaine prochaine afin de valider le dossier, qui sera soumis à la concertation au second semestre 2004 sous l'égide de la commission nationale du débat public, et de proposer un site au Gouvernement avant l'été.
Troisième priorité : il nous faut développer toutes les énergies renouvelables.
J'ai indiqué précédemment nos objectifs. Le projet de loi nous en donne les moyens : dans le domaine des énergies renouvelables thermiques, en les rendant éligibles au bénéfice des certificats d'économie d'énergie et en augmentant le taux du crédit d'impôt de 15 % à 40 %, en particulier pour les équipements solaires ; dans le domaine de l'hydraulique, en simplifiant la législation existante - elle en a besoin - et en permettant le turbinage des débits réservés ; enfin, et de manière plus générale, pour toutes les énergies renouvelables électriques en pérennisant pour trois ans, afin de donner une visibilité suffisante aux filières industrielles concernées, les systèmes de soutien actuellement en place, appels d'offres et obligations d'achats.
Je note d'ailleurs que ces derniers donnent des premiers résultats encourageants : construction de 90 mégawatts d'éolien en 2003, et surtout délivrance de 170 permis de construire pour une puissance de 860 mégawatts d'éolien.
Sur ce dernier point, l'Assemblée nationale a prévu de confier au maire la responsabilité de délivrer le permis de construire pour les projets d'éoliennes, après avoir recueilli l'avis des maires des communes limitrophes et l'avis conforme de la commission des sites.
M. Roland Courteau. C'est là que le bât blesse ! Le mot « conforme » est de trop !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. J'ai indiqué que, si l'on pouvait partager la volonté d'aligner sur le droit commun la délivrance des permis de construire, le caractère conforme de l'avis de la commission des sites était peut-être excessif.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je pense que nous devrons avoir ce débat afin de trouver le juste équilibre entre le nécessaire développement de l'énergie éolienne et la protection des paysages, et je ne doute pas que la sagesse du Sénat saura y parvenir.
Pour ma part, je ne peux m'empêcher de considérer que confier en pratique la décision à la commission des sites, c'est tout de même poser un véritable problème démocratique dans la mesure où les membres de la commission des sites sont nommés et ne procèdent pas du suffrage universel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Piras. C'est exact !
M. Daniel Raoul. Bravo !
M. Roland Courteau. Nous vous applaudissons !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Voilà en quelques mots tracés les grands axes que nous proposons en matière de politique énergétique : maîtriser la demande, développer les énergies renouvelables, pérenniser la filière nucléaire, préparer l'avenir par la recherche.
Cette politique est non pas celle d'un choix partisan, comme l'a d'ailleurs montré le débat que nous avons eu ensemble ici même le 15 avril, mais bien le résultat d'une longue réflexion menée avec tous les Français. Cette politique se veut à la hauteur à la fois des décisions prises avec courage par nos lointains prédécesseurs en 1946 et en 1970 et de la dette que nous avons à l'égard des générations futures, qui ne nous pardonneraient pas de ne pas avoir lutté contre le réchauffement climatique.
C'est donc avec une grande ambition, un total esprit d'ouverture et une forte volonté de dialogue que le Gouvernement aborde ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. La discussion du projet de loi d'orientation sur l'énergie, qui nous est transmis après sa première lecture par l'Assemblée nationale, constitue le terme d'un long processus de maturation - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - qui a débuté avec le vote de la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Ce processus, également marqué par le vote de la loi gazière du 3 janvier 2003, s'est enrichi d'un grand débat national que le Gouvernement a organisé puis alimenté tout au long de l'année 2003.
Ce débat fut ouvert et pluraliste. Il a permis de discuter librement de toutes les questions afférentes au secteur de l'énergie. Désormais, l'heure est non plus au discours mais à la décision.
Si Montesquieu disait que la vertu elle-même avait besoin de limites, j'ajouterai qu'il en va de même pour les meilleurs débats qui, eux aussi, ont une fin. (Sourires.)
Je tiens d'ailleurs à souligner ici l'innovation qu'a constituée cet exercice de confrontation des points de vue. Comment ne pas s'étonner que d'aucuns osent dire aujourd'hui que le débat n'a pas eu lieu ? Nous savons tous ici, pour y avoir participé à Paris ou en province, que ces rencontres ont largement contribué à définir les contours du projet qui nous est soumis.
Pour envisager l'avenir, il faut connaître son passé. Aussi crois-je utile de rappeler ici la tradition et, disons-le d'emblée, le consensus qui a longtemps caractérisé notre politique énergétique.
Sans remonter jusqu'à l'action de Marcel Paul dans l'après-guerre, ou plus récemment à celle de Gérard Longuet, de Franck Borotra puis de Christian Pierret et de Nicole Fontaine, je constate que tous les partis politiques sont parvenus à établir un compromis historique « à la française » qui a transcendé les clivages pour doter notre pays des ressources énergétiques qui lui ont fait défaut. C'est ce compromis qui nous a permis de constituer nos grandes entreprises historiques, fleurons de l'industrie nationale, qui ont assuré notre indépendance énergétique.
Ce projet de loi nous offre l'occasion de poser les bases d'un nouveau consensus en nous accordant sur les points essentiels de la politique énergétique de la France.
C'est d'ailleurs pourquoi j'ai tenu à proposer à la commission des affaires économiques de conserver les deux premiers articles du texte transmis par l'Assemblée nationale, qui consacrent le rôle du service public de l'énergie et celui de nos entreprises nationales.
Parmi les quatre objectifs majeurs assignés à la politique énergétique par nos gouvernements successifs, aucun n'a perdu son importance ou son actualité.
En effet, nous devons encore et toujours garantir notre indépendance énergétique et notre sécurité d'approvisionnement, mieux préserver l'environnement et lutter contre l'effet de serre, garantir un prix compétitif, et assurer l'accès de tous les Français à l'énergie.
Enfin, un consensus existe également sur l'essentiel des moyens de cette politique : maîtrise de la demande de l'énergie, diversification du bouquet énergétique, développement de la recherche, garantie d'un transport efficace de l'énergie et de capacités de stockage suffisantes.
C'est fort de ce constat que je tiens à déclarer ici que la commission des affaires économiques souhaite que ce texte permette un dialogue fructueux entre les orateurs appartenant à toutes les sensibilités de notre assemblée.
Sans détailler les nombreux amendements qui vous seront présentés ultérieurement, je tiens dès à présent à rappeler les grandes orientations retenues par la commission pour améliorer le contenu du texte soumis au Sénat.
Je m'intéresserai tout d'abord à la question de la valeur normative de l'annexe, avant d'examiner l'importante question de la maîtrise de l'énergie - notamment dans les transports -, puis la nécessité de renforcer la recherche dans le secteur énergétique. J'évoquerai enfin l'utilité de renforcer, dans un marché plus ouvert, les pouvoirs des collectivités concédantes de la distribution de l'énergie.
S'agissant de l'annexe, l'Assemblée nationale en a intégré le contenu, non sans l'avoir substantiellement modifié et enrichi, dans le corps du dispositif législatif.
Nos collègues députés ont souhaité renforcer la valeur impérative de ces dispositions. Toutefois, la commission des affaires économiques doute que l'intégration dans le corps de la loi d'éléments qui n'ont pas intrinsèquement de valeur normative suffise à donner une valeur impérative à des références parfois hétéroclites telles que le four solaire d'Odeillo ou la « géothermie en roches chaudes fracturées à grande profondeur ».
Vous le savez, le principe d'intelligibilité de la loi revêt le caractère d'objectif à valeur constitutionnelle. C'est pourquoi nous avons souhaité limiter l'ampleur des déclarations de principe et l'écueil que constitue la rédaction de ce que le Conseil d'Etat appelait, voilà quelques années, un droit « mou », un droit « flou », voire un droit « à l'état gazeux ».
Nous avons donc tenté de trouver une transaction entre le laconisme - de plus en plus rare, il est vrai ! - des articles de principe et les déclarations qui pourraient relever d'un droit loquace, voire bavard.
Aussi vous est-il proposé de placer en exergue du texte les grands principes, tout en réintroduisant dans une nouvelle annexe les questions générales afférentes à la politique de l'énergie.
Anticipant sur les observations de plusieurs de nos collègues siégeant sur toutes les travées du Sénat, nous avons tenu à insister, dans les articles de principe, aussi bien sur la question des transports que sur celle de la recherche. Mais ces efforts seraient vains si nous n'évoquions pas la nécessité de maîtriser la demande, comme y invite le projet de loi. J'y reviendrai.
Pour conclure mon propos au sujet de cette annexe, je tiens à annoncer au Sénat que la commission demandera l'examen par priorité de l'article 1er et, au sein de cet article, de l'amendement n° 4 et des sous-amendements qui s'y rapportent.
J'en viens maintenant à la maîtrise de la demande d'énergie.
Poursuivant une politique relancée en 1998-1999, le projet de loi fixe des objectifs ambitieux que nous souhaiterions faire figurer dans le titre Ier A, consacré à la stratégie énergétique nationale.
L'Etat doit en effet s'engager - cela a été dit par M. le ministre - à diminuer de 2 % par an l'intensité énergétique finale et à réduire par quatre les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050.
A cette fin, un outil est créé par le projet de loi : le marché des certificats d'économies d'énergie, appelés aussi « certificats blancs », qui assujettit les fournisseurs d'énergie à des obligations d'économies dont ils pourront se libérer. Les acteurs économiques qui réalisent des actions volontaires en faveur des économies d'énergie recevront, en contrepartie, des certificats.
La commission souhaite que ce système fonctionne de la façon la plus simple possible ; il ne faudrait surtout pas le transformer en un marché administré, géré dans un esprit bureaucratique.
Une autre piste de travail est offerte avec le renforcement de la réglementation relative à la performance énergétique des bâtiments neufs et anciens.
Ainsi, nous vous proposerons d'étendre les compétences des collectivités locales afin de gérer ces questions au plus près du terrain.
D'un point de vue général, nous avons souhaité coupler le renforcement de la maîtrise de la demande au recours à la production d'énergies renouvelables, considérant que la recherche et l'innovation sont à la base de toute la politique industrielle en général, et de la politique énergétique en particulier.
Quel est le devenir de la recherche ?
M. Daniel Raoul. C'est une bonne question !
M. Henri Revol, rapporteur. L'avenir des sociétés industrielles repose avant tout sur la capacité à valoriser le produit de la recherche. Or la France occupe une place prépondérante dans le domaine du nucléaire. Nous devons donc être le moteur du projet ITER, réacteur à fusion, ...
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Henri Revol, rapporteur. ... et un acteur important du forum « Génération IV », réacteur du futur.
En la matière, je crois qu'il s'agit tout autant d'une question de mentalité que d'une question d'argent.
Comment nos jeunes ingénieurs, nos jeunes techniciens, seront-ils attirés si les pouvoirs publics prêtent l'oreille aux groupuscules qui vilipendent le secteur nucléaire alors qu'ils ne représentent qu'eux-mêmes ? Comment les bureaux d'études recruteront-ils de nouvelles compétences disposées à leur apporter leur intelligence et leur technicité ?
Je lance ici un appel solennel afin que nous reconnaissions le travail, l'intelligence et le sens des responsabilités de tout le personnel de la filière nucléaire - les ouvriers, les ingénieurs, les chercheurs -, à tous les stades de la conception, de l'industrialisation et de la production.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Henri Revol, rapporteur. De plus, la France doit développer sa compétence en matière de recherche dans tous les secteurs énergétiques des énergies renouvelables, de la géothermie ou de l'hydrogène. C'est pourquoi nous pensons qu'une stratégie quinquennale de recherche énergétique doit être mise au point.
Comment évoquer la recherche sans s'intéresser au devenir du réacteur européen à eau pressurisée, l'EPR ?
Si la question du réacteur EPR est importante, cruciale même - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre -, elle ne constitue pas à elle seule, loin s'en faut, l'unique objet de la politique énergétique. On aurait donc tort de dramatiser la discussion. En effet, de quoi s'agit-il ?
D'aucuns alimentent le spectre du danger nucléaire, alors même que fonctionnent déjà dans notre pays vingt centrales, composées de cinquante-huit tranches.
Que les opposants au nucléaire cessent de jouer à faire peur à la population ! La réalisation de ce réacteur ne vise finalement qu'à ajouter un cinquante-neuvième réacteur - qui sera probablement installé dans l'une des vingt centrales existantes -, ce qui ne représente qu'une augmentation de 2 % du nombre total de nos réacteurs nucléaires.
En outre, cette nouvelle tranche sera plus sûre et plus économe que celles qui existent déjà, et moins productrice de déchets.
Refuser à la France ce nouvel outil, c'est condamner la filière nucléaire en démobilisant des équipes et en entamant un processus progressif et délétère de pertes de compétences, faute de perspectives. C'est pourquoi la commission vous propose d'indiquer que la prochaine programmation pluriannuelle d'investissements prévoira la construction d'un réacteur tête de série de la génération EPR.
Avant de conclure mon propos, permettez-moi de souligner l'importance que nous avons attachée au développement et au renforcement des compétences des collectivités organisatrices de la distribution de l'énergie.
Plusieurs d'entre nous ont déposé des amendements qui vont dans le même sens. Nous souhaitons, en effet, améliorer la qualité du service délivré aux consommateurs et le contrôle des autorités locales.
Mes chers collègues, la commission a examiné ce texte sans a priori idéologique. Elle a statué sur tous les amendements qui lui ont été soumis dans un esprit constructif, car elle croit, comme son rapporteur, que c'est par le dialogue et la recherche d'un consensus durable que nous établirons les bases assurées de la politique énergétique de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Demande de priorité
M. le président. Mes chers collègues, M. le rapporteur a demandé dans son intervention que, lors de la discussion des articles, soit examiné en priorité l'article 1er et, au sein de cet article, l'amendement n° 4 de la commission, relatif à l'annexe, ainsi que les sous-amendements qui s'y rapportent.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. En application de l'article 44, alinéa 6, du règlement, la priorité est de droit.
Nous examinerons donc l'amendement n° 4 de la commission et les sous-amendements qui s'y rapportent dès le début de la discussion des articles.
Discussion générale (suite)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 111 minutes ;
Groupe socialiste, 59 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les défis, dans le domaine de l'énergie, sont innombrables. C'est donc avec un esprit de responsabilité et de prévoyance que nous devons y faire face, d'autant que notre politique énergétique se trouve sous la double contrainte de l'Europe et du monde.
Je ne reprendrai pas, à ce stade, l'analyse que j'ai pu développer à cette même tribune, il y a un mois, lors du débat sur l'énergie. Je dirai simplement et succinctement qu'il s'agit bien d'un véritable débat de société dans lequel devraient s'impliquer tous les Français.
Un grand débat national a eu lieu dans le courant de l'année 2003. Il fut diversement apprécié, parfois même contesté dans sa forme. II avait commencé dans un contexte de désintérêt relatif et l'on peut regretter qu'il n'ait pu s'adresser à un public plus large.
Force a été de constater que, malheureusement, la hausse des prix des carburants, le développement des maladies liées à la pollution atmosphérique, la question de la sûreté nucléaire ou, plus encore, la canicule de cet été et les dangers de l'effet de serre ont fait plus en matière de sensibilisation des populations que le débat national.
En tout cas, le souci de préserver l'environnement est désormais partagé par l'ensemble des forces politiques et sociales de notre pays, comme vous l'avez vous-même précisé, monsieur le rapporteur.
Effet de serre, changement climatique, possibles modifications de l'environnement lui-même : la situation est grave. Les tempêtes et inondations de 1999 et des années suivantes, la canicule de l'été dernier, sont là pour le prouver. Malheureusement, la situation ne va pas s'améliorer.
Qu'il me soit permis d'ouvrir une parenthèse à ce sujet.
Nous avons, en France, l'été dernier, évité le pire, contrairement à ce qui s'est passé aux Etats-Unis, en Italie ou en Espagne. Cela est à mettre au crédit de la qualité de notre organisation du service public de l'électricité ...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Roland Courteau. ... et du sens de l'intérêt général qu'ont su manifester les agents de l'EDF, actifs comme retraités.
M. Gérard Delfau. Encore mieux !
M. Roland Courteau. Cela est à méditer, monsieur le ministre, au moment où le Gouvernement souhaite, d'une part, poursuivre la libéralisation totale des marchés du gaz et de l'électricité - nous nous en sommes expliqués - et, d'autre part, modifier le statut d'EDF-GDF.
On peut le constater - et je l'ai rappelé dernièrement -, trois contraintes se dégagent des exemples de libéralisation des marchés, et celles-ci devraient nous faire réfléchir : le marché organise d'abord la pénurie de l'offre, ce qui se traduit par la hausse des prix ; ensuite, les moyens de production et les réseaux connaissent un vieillissement accéléré, faute de maintenance et d'investissements suffisants ; enfin, le consommateur particulier - comme l'entreprise, d'ailleurs -, est lésé.
Au demeurant, certaines indiscrétions laissent effectivement penser que la possibilité donnée à EDF, si elle devenait société anonyme, de fixer la politique tarifaire pourrait bien se traduire par une hausse des tarifs.
Notre crainte - je referme ma parenthèse - est que, à terme, l'obsession de rentabilité des actionnaires n'entraîne nos opérateurs EDF et GDF hors du champ de l'intérêt public. En effet, je n'ai jamais vu d'actionnaires privés investir leur argent pour satisfaire le seul intérêt général.
Nous réaffirmons donc une fois de plus notre attachement au statut d'EDF-GDF, aux valeurs du service public, et notre opposition à toute ouverture du capital.
Je précise d'ailleurs, au nom du groupe socialiste, que même M. Monti, commissaire européen, considère que la France a fait un choix qui dépasse largement les exigences de la Commission de Bruxelles.
Pour en revenir au projet de loi d'orientation - encore que je ne m'en sois pas très éloigné tant les choses sont liées -, nous avons eu le sentiment que tout s'est accéléré, voire emballé, dès l'annonce faite par M. le Premier ministre de la modification imminente du statut d'EDF-GDF.
S'agit-il d'accélération, de précipitation ou d'instrumentalisation du présent projet de loi pour donner des gages, notamment par la décision de lancement de I'EPR ?
Toujours est-il que les conditions du travail parlementaire sont extrêmement tendues, tant le calendrier est serré.
C'est très certainement ce qu'on appelle « avancer au pas de charge », sur un texte qui engage programmes et actions sur plusieurs générations - excusez du peu ! -, tandis que se profile déjà à l'horizon de quatre ou cinq jours l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi portant modification du statut d'EDF-GDF.
Au demeurant, EDF s'est déjà propulsée au-delà de la décision du Parlement en lançant des publicités sur son changement de statut. C'est dire la considération que l'on porte à ce même Parlement !
M. Michel Teston. Très bien !
M. Roland Courteau. Matrice pour plusieurs décennies de programmes et d'actions, une telle loi d'orientation était très attendue, tant les enjeux sont importants : protection de l'environnement, compétitivité économique, aménagement du territoire, enjeux géostratégiques, cohésion sociale.
Le principe en avait été décidé sous le gouvernement de M. Jospin, puisque le Parlement avait voté un amendement prévoyant son adoption avant le 31 décembre 2002. Il était donc temps !
La précipitation ne vient toutefois pas de là. Nous dirons simplement, selon une formule déjà utilisée, que, pour le Gouvernement, l'ouverture du capital d'EDF-GDF fait force de loi et de calendrier.
Au regard des vraies priorités, nous espérions donc qu'un échéancier dans la réalisation des objectifs pourrait être présenté. En tout état de cause, nous pensons que, pour que la loi d'orientation ne se résume pas à un catalogue de bonnes - et parfois mauvaises ! - intentions, il faut que le Parlement adopte une loi de programmation budgétaire. Nous vous proposerons un amendement allant dans ce sens.
Cela dit, nous aurions pu tous nous retrouver sur bien des priorités, tant les thèmes d'indépendance énergétique, de limitation des gaz à effet de serre ou de diversification des énergies font consensus.
Le problème, c'est qu'initialement la feuille de route fixée par le Gouvernement était plutôt floue. Quant aux orientations générales, elles étaient, quant à elles, reléguées dans une annexe. Elles définissaient, certes, les objectifs, les axes pour les atteindre, et appelaient à la mobilisation. Ces louables intentions restaient cependant dans le domaine de l'incantatoire et étaient dépourvues de toute portée normative.
Certaines formulations du texte en attestent. J'en cite quelques-unes : « L'Etat doit veiller à réduire au mieux », ou bien « l'Etat entend réduire autant que possible », ou encore « l'Etat souhaite que ».
M. Roland Courteau. Convenons que ce ne sont pas là des expressions d'un volontarisme féroce ! Sauf oubli de ma part, je n'ai pas décelé de formules plus directes telles que « L'Etat s'engage à mobiliser tels financements pour... ».
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Roland Courteau. L'Assemblée nationale a intégré ces orientations plutôt floues dans le corps du projet de loi, afin d'en améliorer la portée normative ; celle-ci reste pourtant, sur bien des points, incertaine.
L'ensemble pèche par manque de hiérarchisation, tant dans les objectifs que dans les délais, même s'il y a eu, et nous nous en réjouissons, quelques avancées notables par rapport au texte initial, accompagnées aussi - hélas ! - d'un certain nombre de dispositions particulièrement négatives sur lesquelles je reviendrai.
II convenait donc, c'est évident, d'alléger un certain nombre de ces articles. C'est ce que vous proposez, monsieur le rapporteur.
A y regarder de plus près, c'est toutefois bien au-delà de simples allégements que vous êtes allé. C'est en tout cas le sentiment du groupe socialiste.
Certes, dans un premier temps, nous n'étions pas loin de penser, comme vous, « que le recours à un droit mou ou flou, voire un droit à l'état gazeux, alourdit la loi, la rend moins lisible, sans que les problèmes qu'elle énumère soient mieux résolus ». Mais vous avez évacué du corps de la loi bien plus que ce qui pouvait être qualifié « d'état gazeux » !
Certes, je l'ai dit, le texte initial était par lui-même déjà insuffisant, et le fait de le reléguer en annexe n'arrangeait pas les choses. En introduisant un certain nombre de dispositions dans le corps de la loi, on leur donnait néanmoins quelque force.
Tel n'a pas été votre choix. Vous nous proposez de ne conserver que quelques grands principes dans la loi et de repousser tout le reste dans une nouvelle annexe.
Si nous vous suivions dans cette voie, nous aurions alors, concernant certaines orientations, un texte tout aussi peu normatif que celui de l'Assemblée nationale, mais avec un contenu encore moindre.
De ce fait, certains points nous paraissent devoir figurer dans la loi, car ils ne sont ni secondaires ni superfétatoires.
Je pense à des objectifs précis en matière de développement du fret ferroviaire ou à l'abaissement régulier des seuils minimaux de performance énergétique globale, avec pour objectif une amélioration de 40 % d'ici à 2020.
Je pense aussi aux priorités à définir en matière de recherche : maîtrise de l'énergie, énergies renouvelables, nouveaux vecteurs de rupture comme l'hydrogène, les technologies du futur, le réacteur de quatrième génération.
Je pense également à la définition des politiques d'urbanisme des collectivités permettant d'éviter un étalement urbain non maîtrisé pour faciliter le recours aux transports en commun.
Je pense enfin à la fixation d'un objectif de division par quatre des gaz à effet de serre à l'horizon 2050 ou à des engagements précis dans le photovoltaïque, l'hydroélectricité ou la biomasse. Sincèrement, cela ne me paraît pas relever du « droit gazeux » !
Nous sous-amenderons donc certains de vos amendements, monsieur le rapporteur, essentiellement ceux qui incluent non en annexe mais dans la loi ce que doit être la politique énergétique. Non pas que nous n'acceptions pas votre logique, je viens de m'en expliquer, mais tout simplement parce que, techniquement, nous n'avons pas le choix, sauf à voir tomber nos propres amendements les uns après les autres.
Car il est vrai, malgré tout, que le texte qui nous est transmis par l'Assemblée nationale manque véritablement de visibilité.
Trop souvent sont renvoyées à d'autres textes de loi les mesures pouvant donner du corps aux orientations, ce qui prouve, si besoin était, le manque de consistance de ce projet de loi.
Faudra-t-il, par exemple, attendre la loi sur l'eau -véritable serpent de mer - pour améliorer la législation sur l'hydroélectricité et, si possible, relancer cette production d'énergie ?
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Roland Courteau. Quant aux mesures fiscales, qui sont renvoyées à la loi de finances - ce qui est normal - nous n'en connaissons pas exactement la teneur !
Certes, il y a consensus lorsque l'on évoque la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement, l'accès de tous à l'énergie ! Bien évidemment, il y a consensus lorsque l'on évoque la nécessaire lutte contre les effets de serre, les économies d'énergie ou que l'on dénonce le gâchis énergétique, véritable injustice sociale, environnementale et économique !
Le problème, c'est le caractère parfois incantatoire de ce qui nous est proposé pour atteindre de tels objectifs - je parle là tout particulièrement du texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale. Nous avons le sentiment que, faute d'objectifs précis, de moyens suffisants, et en raison de certains choix politiques que nous ne partageons pas, nous n'avancerons pas.
Au-delà de l'incantation, il y a même du contradictoire. En effet, comment le Gouvernement peut-il dire vouloir faire de la maîtrise de l'énergie sa priorité et, dans le même temps, laisser supprimer par l'Assemblée nationale une disposition importante du code de l'environnement qui permettait de limiter la publicité en faveur des biens incitant à la consommation d'énergie ?
Nous proposerons le rétablissement de cette disposition et suggérerons l'interdiction des offres commerciales et promotionnelles lorsqu'elles sont de nature à inciter à la consommation d'énergie.
Comment diable encourager les économies d'énergie par des campagnes d'information de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie alors que, dans le même temps, on les laisse remettre en cause par des publicités en sens contraire ?
Si nous contestons votre projet, monsieur le ministre, c'est non par goût de la polémique, mais parce que vos propositions, trop incertaines, manquent d'ambition et ne vont pas dans le sens qui nous paraît être le bon. Je vais y revenir.
Je disais que l'Assemblée nationale avait adopté certaines dispositions positives ; je pense à celles qui précisent la nécessité de l'intervention publique en matière d'énergie, ou encore à l'augmentation de crédit d'impôt de 15 % à 40 % pour les équipements utilisant une source d'énergie renouvelable.
Ce qui touche aux énergies renouvelables thermiques et aux biocarburants est encourageant. La même remarque vaut pour la publication mensuelle d'un « jaune » budgétaire. Le programme « face sud », dont l'objectif est l'installation de 200 000 chauffe-eau et de 50 000 toits photovoltaïques d'ici à 2010, est aussi intéressant.
Plus négatives sont, en revanche, certaines autres dispositions concernant les énergies renouvelables électriques, notamment l'éolien.
Notre point de vue est le même sur les mesures introduites par l'Assemblée nationale qui paraissent anticiper l'examen de la loi modifiant le statut d'EDF et de GDF et ouvrant à la concurrence le secteur électrique.
Il en va ainsi, par exemple, de l'article 24, qui abroge le plan de desserte imposé à GDF et remet donc en cause le quasi-monopole de l'entreprise. Certaines communes rurales apprécieront certainement d'autant moins que le fait de leur donner la possibilité de créer un réseau public et de le concéder à toute entreprise sera sans grand effet. Quelle entreprise privée s'y risquerait dès lors que ce n'est pas rentable ?
Notre point de vue est encore le même lorsque le développement des énergies renouvelables, qui n'est plus la première des priorités affichées pour diversifier la production énergétique, se trouve devancé par le nucléaire.
Plus généralement, je regrette que la mise en oeuvre des quelques mesures opérationnelles que contient ce projet de loi soit subordonnée à la rédaction d'une quantité importante de décrets, notamment pour la maîtrise de l'énergie dans les bâtiments. Elle dépend surtout de la mobilisation de nouveaux crédits en faveur de l'ADEME, de l'ANAH ou du secteur du logement social, autant de chapitres dont, pour l'heure, les moyens ont été revus à la baisse.
Mes autres remarques, monsieur le ministre, concernent, par exemple, les gaz à effet de serre. J'ai du mal à retrouver dans ce texte les grands discours présidentiels sur la lutte contre les effets de serre, érigée en priorité nationale, lors de la conférence de Johannesbourg.
Certes, vous dites vouloir diviser par quatre d'ici à 2050 nos émissions de gaz à effet de serre. Votre texte fait toutefois quasiment l'impasse sur les transports, secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre. Il semble donc que vous n'ayez pas pris, dans ce domaine, la mesure des décisions qui s'imposent en matière énergétique.
Sincèrement, monsieur le ministre, comment peut-on imaginer qu'une loi d'orientation sur l'énergie digne de ce nom consacre aussi peu de place à un secteur dont l'impact en matière d'émission de CO2 s'élève à 33 % de l'ensemble des émissions et qui représente plus de 30 % de la consommation énergétique finale et 66 % de la consommation finale des produits pétroliers ?
Affirmer, sans autre engagement, que la priorité sera accordée aux transports collectifs en site propre nous rassurera d'autant moins que les budgets, déjà considérablement amputés, pourraient l'être encore plus demain. Monsieur le ministre, chassons donc de notre esprit l'idée selon laquelle les gels budgétaires n'auront aucun impact sur le réchauffement climatique !
Vous avez bien voulu relever, monsieur le rapporteur, qu'au nom de la commission des affaires économiques j'avais souligné, dans mon rapport pour avis sur les budgets de 2003 et 2004, l'évolution inquiétante de la consommation du secteur des transports et son impact négatif dans le domaine de l'environnement. Le problème ne cesse, en effet, de s'aggraver, comme le démontre la hausse tendancielle du nombre des poids lourds : plus 47 % entre 1989 et 1997 et, vraisemblablement, plus 120 % en 2020 par rapport à 1999.
Pourtant, en dehors de la déclaration de principe évoquant la priorité à donner au fret ferroviaire, je ne constate aucun engagement précis en ce domaine.
D'ailleurs, je comprends, monsieur le ministre, que vous ne vous fixiez pas d'engagement précis dans la mesure où la politique actuelle conduite par la SNCF va totalement à contre-sens des objectifs recherchés. C'est ainsi que le très mal nommé « plan de développement du fret » procède à une forte réduction de la voilure avec 2 500 suppressions de postes sur les 3 500 suppressions programmées en 2004. Des dessertes fret sont remises en cause, des plates-formes ferment. Le résultat de tout cela, c'est la perspective de milliers de camions supplémentaires sur les routes. Et bonjour les gaz à effet de serre !
Alors, monsieur le ministre, s'il est vraiment dans vos intentions de donner la priorité au fret ferroviaire, fixez donc des objectifs précis - nous vous le proposerons dans nos sous-amendements - faute de quoi la volonté affirmée de donner la priorité au rail restera lettre morte.
J'évoquais, lors du débat sur l'énergie, l'obligation de procéder à des ruptures et de modifier nos modes de consommation et de production.
Faut-il rendre plus efficace le programme national de lutte contre le changement climatique, m'étais-je interrogé ? Ne faudrait-il pas, dans ce projet de loi, prendre quelques engagements forts sur l'élaboration d'un nouveau plan climatique ? Vous nous aviez annoncé sa publication à l'automne dernier, et nous l'attendons toujours. Vous venez de présenter un plan sur l'allocation de quotas de gaz carbonique mais, à peine dévoilé, il suscite de nombreuses critiques.
Dans un autre domaine, on nous dit vouloir accroître la production d'énergies renouvelables thermiques de 50 % d'ici à 2010 et atteindre à la même date le seuil de 21 % de la production d'électricité pour les énergies renouvelables électriques. II va falloir « booster » tout particulièrement ce dernier secteur car, au rythme de réalisation actuel, certains experts ont calculé qu'il faudrait quelque cent ans pour atteindre ces objectifs en raison, notamment, de difficultés administratives qui entravent plus particulièrement le développement de l'une des seules énergies renouvelables électriques qui soit mature actuellement, je veux parler de l'éolien qui, avec l'hydroélectricité, est le plus apte à nous permettre d'atteindre lesdits objectifs. Oserai-je dire que l'éolien manque de souffle ? (Sourires.)
M. Jacques Valade. C'est sûr !
M. Henri de Raincourt. Vous brassez de l'air ! (Nouveaux sourires.)
M. Roland Courteau. L'objectif pour 2010 s'éloigne et l'on comprend mieux, évidemment, que vous n'en fixiez pas pour 2020, d'autant que c'est sans compter avec l'amendement « éolicide » adopté par l'Assemblée nationale, un amendement qui, de fait, va tuer l'éolien si nous ne réagissons pas.
II est vrai que, pour ceux qui souhaitent mettre un terme final à l'une des sources d'énergie les plus propres qui existe, il y a plusieurs façons de s'y prendre.
Par exemple, ils peuvent proposer de supprimer l'obligation d'achat qu'instaure la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Mais l'attaque est trop frontale, donc trop voyante.
Ou bien - et c'est la voie qu'ils ont choisie -, sous couvert de donner la responsabilité de la délivrance des permis de construire aux maires ou aux présidents d'intercommunalités, ils donnent en réalité le droit de veto et le vrai pouvoir de délivrer ledit permis à la commission des sites, perspectives et paysages, en conditionnant sa délivrance à son avis conforme.
Au nom de quelle légitimité ? Monsieur le ministre, je partage votre avis : pourquoi une telle discrimination, alors qu'il n'existe dans le droit français aucune mesure semblable pour toute autre construction ou aménagement, même pas pour la construction des pylônes de transport de l'électricité, et il y en a des dizaines de milliers dans ce pays ?
Entendons-nous bien, le fait de confier cette responsabilité au maire ne nous gêne pas, au contraire, même, car cela ne peut que conforter le rôle des collectivités dans le domaine des énergies renouvelables. Ce qui n'est pas acceptable, c'est de donner un pouvoir exorbitant à la commission des sites. Mais nous y reviendrons à l'occasion de la discussion des amendements que nous avons déposés sur ce sujet.
Je rappelle, à toutes fins utiles, que l'Union européenne, par la voix de la commissaire Loyola de Palacio, affirme que l'Europe n'atteindra pas les objectifs fixés en matière d'énergies renouvelables, si « un nouvel élan n'est pas donné, dans ce secteur », et « que seuls, l'Allemagne, le Danemark, la Finlande et l'Espagne seraient sur de bons rails. » C'est elle qui le dit !
On ne saurait mieux dire, car la France reste sous-développée dans le domaine des énergies renouvelables, avec une capacité de 230 mégawatts contre 15 000 mégawatts en Allemagne.
Un engagement très fort de l'Etat à soutenir une vraie politique industrielle des énergies renouvelables pourrait, à terme, permettre de créer entre 20 000 et 30 000 emplois. L'exemple espagnol est probant ! Un engagement de soutien à cette filière industrielle aurait donc aussi le mérite de figurer dans le corps de la loi.
Mes chers collègues, la France n'a ni pétrole, ni gaz, ni uranium. On peut craindre qu'elle ne se trouve à cours d'idées si nous refusons, au-delà des déclarations d'intention, de consacrer de réels efforts à la mise en oeuvre des énergies renouvelables, mais également à la recherche dans les technologies du futur, tels que les carburants alternatifs comme l'hydrogène et la pile à combustible, les véhicules électriques et hybrides, la filière de stockage de l'électricité, la séquestration du carbone dans l'atmosphère ou l'utilisation du charbon supercritique.
Nous risquons donc de fragiliser notre capacité scientifique et industrielle pour le futur. Or nous avons besoin, dans tous ces domaines, de réaliser encore de nombreux « sauts technologiques ».
Concernant la recherche, il conviendrait, au-delà de la définition des thèmes prioritaires, de tenir compte de la nécessaire réorientation des crédits. En effet, aujourd'hui, seuls 7 % des crédits de recherche publique sont consacrés à l'ensemble « maîtrise de l'énergie et énergies renouvelables ».
Concernant cet autre moyen de lutter contre les gaz à effet de serre qu'est la maîtrise de l'énergie, différents scénarios démontrent que le niveau global de la consommation énergétique est un élément déterminant tout aussi important en termes d'émissions de gaz à effet de serre que la part d'électricité nucléaire dans cette consommation.
C'est pourquoi, l'énergie la plus propre étant celle que l'on ne consomme pas, priorité doit être donnée à la maîtrise de l'énergie à travers la sobriété, l'efficacité, et donc la tempérance énergétique.
Le projet de loi fait, en ce domaine, quelques propositions concrètes. II faut bien le souligner, car elles sont rares.
La première traite des certificats d'économie d'énergie. Nous avons quelques interrogations sur l'efficacité de ce dispositif qui, à nos yeux, fait trop confiance au marché. Nous proposerons donc quelques amendements pour en gommer les points les plus critiquables.
Tout d'abord, nous souhaitons que la grande distribution - nous ne visons pas ici les petits détaillants - se voie imposer des obligations en matière d'économies d'énergie. Le secteur des transports contribue largement à la dégradation de l'environnement, il n'est donc pas normal que les gros distributeurs de carburant soient exemptés d'efforts.
De plus, le montant de la pénalité libératoire est un élément important du dispositif. S'il est trop faible, il n'incitera pas les fournisseurs à réaliser ou à faire réaliser des économies d'énergie. Nous pensons que cette pénalité ne doit pas être déconnectée du prix de l'énergie.
Nous vous proposerons aussi et surtout que le produit des pénalités libératoires qui sont appliquées aux fournisseurs ne respectant pas leurs obligations soit affecté aux économies d'énergie, et donc dirigé vers l'ADEME qui, après quelques coupes budgétaires récentes, paraît en avoir bien besoin.
Enfin, nous vous demanderons de supprimer la disposition permettant aux fournisseurs d'énergie de récupérer sur l'usager domestique, par le biais d'une hausse des tarifs, les dépenses qu'ils ont engagées en faveur des économies d'énergie : nous refusons toute mesure qui pénalise les ménages, notamment les ménages les plus modestes.
Concernant les bâtiments, qui font l'objet avant leur construction d'une étude de faisabilité technique et économique des diverses solutions d'approvisionnement en énergie, nous vous proposerons divers amendements.
L'un vise à rendre obligatoire le recours aux énergies renouvelables et aux technologies performantes dès lors que la faisabilité économique et technique est avérée.
Nous voulons aussi que l'amélioration des performances énergiques des bâtiments, et tout particulièrement des logements sociaux, se traduise par une baisse des charges locatives. Nous proposons donc que, par convention avec l'Etat, les bailleurs s'engagent à baisser les charges locatives dès lors que les constructions ont bénéficié d'une aide publique.
Enfin, venons-en - et je terminerai par là - à ce qui, pour le Gouvernement, constitue le coeur même de ce projet de loi.
II est ainsi précisé, concernant la prochaine programmation pluriannuelle des investissements, que l'Etat prévoit la construction d'un réacteur démonstrateur de conception plus récente. Sur ce point, l'on sent bien, plus que sur d'autres, la force de l'engagement de l'Etat pour la construction de l'EPR, le réacteur européen à eau pressurisée.
Les membres du groupe socialiste considèrent que la filière nucléaire est un atout pour la France, dans le respect des engagements du sommet de Kyoto. Cependant, est-il raisonnable, en matière d'énergie, de mettre tous nos oeufs dans le même panier, c'est-à-dire le nucléaire ?
Nous pensons que la part du nucléaire doit revenir à un niveau plus raisonnable que les 80 % actuels. En effet, à ce niveau, nous devenons dépendants d'une technologie unique de production. Est-ce sain et prudent ? Il est vrai que cela peut être la voie de la facilité, mais nous préférons, quant à nous, celle de la diversité.
Il s'agit là d'une situation unique au monde. Certes, elle rend la France plus qu'autosuffisante en électricité, ce qui entraîne d'importantes exportations à l'étranger... au prix d'un accroissement des déchets, que nous ne sommes pas encore en situation de gérer.
Alors qu'une vraie politique européenne de l'énergie reste à construire, la France aura-t-elle vocation à produire l'essentiel de l'électricité pour l'Europe et sera-t-elle condamnée, par voie de conséquence, à gérer les déchets qui en résultent ?
Il est donc impérieux de tenir le rendez-vous de 2006 concernant les solutions à retenir pour la gestion des déchets. Pourtant, nous attendons toujours une confirmation sur ce point.
J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur l'EPR lors du débat sur l'énergie, je me répéterai donc.
Nous considérons que, compte tenu des capacités de production existantes et des échéances prévues pour le renouvellement des centrales - 2020 ou 2030 selon les experts -, il n'y a pas d'urgence à décider de façon précipitée la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.
Nous nous opposons donc à la décision de construire aujourd'hui l'EPR, qui ne correspond pas, en l'état actuel du parc nucléaire français, à un vrai besoin.
M. Ladislas Poniatowski. C'est la position du groupe socialiste ?
M. Roland Courteau. Nous suggérons plutôt de consacrer le peu de crédits disponibles au développement du futur réacteur nucléaire de « génération IV » et au cycle de combustible associé, c'est-à-dire les déchets.
Bien sûr, nous soutenons le projet ITER sur la fusion.
Enfin, nous considérons que la filière nucléaire ne peut avoir d'avenir que si les pouvoirs publics répondent aux exigences de nos concitoyens en faveur de plus de transparence. Comme le Gouvernement ne se décide pas à inscrire à l'ordre du jour du Parlement le projet de loi sur la transparence nucléaire, nous vous proposons d'inscrire dans ce texte les principes qui doivent régir le nucléaire, c'est-à-dire le principe de précaution, le principe pollueur payeur, le droit à l'information.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe socialiste jugeront aux actes et se détermineront, lors du vote final, en conséquence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à rappeler les enjeux du débat qui a lieu aujourd'hui au Sénat.
Pour la première fois, un projet de loi d'orientation sur l'énergie est soumis au Parlement, ce dont je me félicite. Je déplore seulement la précipitation - M. Vasselle y a fait allusion au début de cette séance, je n'insisterai pas - dans laquelle nous avons dû travailler : ce texte, par lequel nous devons définir les orientations énergétiques de la France pour les trente années à venir, a en effet été voté le 1er juin par nos collègues députés. Nous n'avons donc disposé que de très peu de temps pour traiter d'un sujet de cette ampleur, même si, lors du débat sur l'énergie auquel vous nous aviez conviés voilà trois semaines, monsieur le ministre, nous avons déjà été amenés à vous présenter nos positions.
Toutefois, vous vous êtes engagé devant nos collègues députés à soumettre ce texte à un second examen par les deux chambres, et ce malgré la déclaration d'urgence décidée par le Gouvernement. Je salue votre initiative, car il me semble important, sur un tel texte, de permettre aux parlementaires de travailler pleinement pour qu'ils puissent l'enrichir.
Ce projet de loi d'orientation a été rédigé au terme d'un processus d'étude et de réflexion de longue haleine, je n'y reviens pas. Il pose des objectifs qui ne peuvent être que consensuels. En effet, qui peut s'opposer à la lutte contre l'aggravation de l'effet de serre, ou encore à l'accès de tous les Français à l'énergie ?
Toutefois, je regrette qu'il soit si timide dans ses modalités d'application. Il y a en effet un vrai décalage entre le projet de loi qui nous est soumis - il ne s'agit certes que d'un texte d'orientation -, et les propos que vous avez tenus il y a quelques instants, monsieur le ministre, en présentant la position du Gouvernement.
Vous avez précisé un certain nombre d'objectifs - que je partage -, ainsi que le chiffrage des modalités pour y parvenir. C'est la première fois que j'entends un membre du Gouvernement être aussi précis et s'engager autant dans cette orientation.
Bien sûr, j'avais entendu à Johannesburg, où il m'avait fait l'honneur de me demander de l'accompagner, les propos de M. le Président de la République, mais il m'avait semblé que le Gouvernement tardait à être aussi « allant » sur ce chemin. Vos propos m'ont apporté une précision utile et étaient la preuve qu'il y a bien une orientation gouvernementale très ferme. Vous m'avez rassuré, monsieur le ministre, et je vous en remercie.
La seule innovation majeure qu'apporte ce texte concerne les certificats d'économie d'énergie. Ce dispositif s'inspire d'expériences étrangères, notamment du programme anglais « Energy Efficiency Commitment », pour lequel cependant il n'existe pas de marché des certificats d'économies d'énergie comparable à celui que prévoit ce projet de loi d'orientation.
Je m'interroge ainsi sur la forme de ces certificats, qui peuvent être assimilés à un prélèvement obligatoire affecté, et qui seront distribués, sous forme d'aides à l'investissement, par les grands offreurs d'énergie.
Ce dispositif administré pourra sans doute encourager certains investissements, mais, à mon avis, il ne permettra pas d'induire des comportements qui seraient des gisements d'économies considérables à coût faible, voire nul.
De plus, ce dispositif ne concerne absolument pas le secteur d'activité le plus polluant, à savoir les transports.
Ce projet de loi d'orientation se situe à la croisée des problématiques liées à l'environnement, avec des objectifs précis concernant notamment la réduction de notre consommation d'énergie et, par conséquent, de nos émissions de gaz à effet de serre, et des problématiques liées à notre stratégie industrielle, avec la question spécifique du programme nucléaire EPR et le maintien de la compétitivité du prix de l'électricité en France.
Il s'inscrit dans un environnement international contraint puisqu'il doit nous permettre de respecter les engagements que nous avons pris aux termes du protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Pour lutter efficacement contre l'augmentation des gaz à effet de serre, une véritable rupture est nécessaire dans nos comportements. La France n'est pourtant pas mal placée dans ce domaine, grâce à l'importance de son parc nucléaire, on ne le dira jamais assez. Ainsi, en matière de CO2, elle émet 40 % de moins que l'Allemagne, qui utilise fortement le charbon, et 35 % de moins que le Royaume-Uni, qui se sert plutôt du gaz. A cet égard, la France est un pays vertueux, qui fait preuve d'une certaine avance.
L'augmentation de la température moyenne de la terre ne fait plus de doute. Les gaz à effet de serre - CO2, méthane, oxyde nitreux, hydrofluorocarbone ou halocarbures - et les aérosols s'accumulent, certains, comme le gaz carbonique, pour une centaine d'années au moins, d'autres, comme les halocarbures, pour plusieurs milliers d'années. En conséquence de cette modification de l'atmosphère par les activités humaines, il est probable, selon le groupe international d'experts sur le climat, le GIEC, que la température moyenne à la surface de la terre augmentera de 1,4 à 5,8 degrés entre 1990 et 2100.
Ce réchauffement prévisible est beaucoup plus important que celui qui a été observé durant tout le xxe siècle et il dépasse même en ampleur les évolutions intervenues pendant le dernier millénaire.
La lutte contre l'augmentation de l'effet de serre doit donc être le fil conducteur d'une politique énergétique, ce qui suppose de réduire au maximum l'usage de combustibles fossiles.
De ce point de vue, la situation des différents secteurs de consommation est évidemment différenciée.
En matière de transports, secteur responsable d'un tiers de notre consommation énergétique, force est de constater qu'il existe encore peu d'alternatives aux combustibles fossiles. Je déplore que ce projet de loi d'orientation n'approfondisse pas davantage les mesures à prendre afin de limiter les émissions de CO2 dans ce secteur.
Je tiens néanmoins à saluer le travail de nos collègues députés, qui ont introduit dans le texte les objectifs fixés par les directives européennes en matière de biocarburants, par exemple. Ainsi, la part des biocarburants dans la teneur énergétique de la quantité totale d'essence et de gazole mis en vente devrait passer de 2 % en 2005 à 5,75 % en 2010.
Les biocarburants représentent un enjeu en matière d'indépendance énergétique, alors que la France dépend à 98 % des approvisionnements externes en matière de pétrole ; ils représentent aussi un enjeu en matière d'énergie renouvelable, comme tout ce qui provient de la biomasse ; ils constituent un enjeu économique pour nos agriculteurs et pour le monde rural ; ils sont un enjeu économique redoutable pour la filière industrielle, qui a besoin de lisibilité à moyen terme pour investir et augmenter encore sa productivité ; enfin, ils représentent un enjeu environnemental si nous voulons réduire les émissions de gaz à effet de serre et respecter les engagements du protocole de Kyoto.
Un autre levier nous paraît sous-employé pour atteindre nos ambitions légitimes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre : l'outil fiscal.
Si nous voulons diviser par quatre notre consommation d'énergies fossiles en cinq ans - c'est l'objectif annoncé - pour remédier aux risques intempestifs de changement de climat, à l'épuisement des énergies non renouvelables et à la vulnérabilité géopolitique de celle qui est la moins abondante et la plus difficilement remplaçable, à savoir le pétrole, il nous faut définir dès à présent, à côté de mesures incitatives qu'il convient de renforcer, une stratégie d'augmentation progressive de la tarification et de la fiscalité des énergies fossiles, en application du principe pollueur-payeur.
C'est la seule manière d'agir avec efficacité et pédagogie sur les comportements de millions de consommateurs, et la meilleure façon d'anticiper l'augmentation des prix de l'énergie qui résultera nécessairement de la réduction des réserves de pétrole disponibles et des coûts du changement de climat.
En ce qui concerne les enjeux industriels, et notamment le volet nucléaire du texte, je suis favorable au développement d'un réacteur européen à eau pressurisée. En effet, outre la nécessité de prévoir le renouvellement de notre parc nucléaire, il est intéressant à double titre pour la France de construire un tel réacteur.
Ainsi, cette filière technologique, différente de celle que nous exploitons actuellement, pourrait peut-être permettre de réduire le nombre de déchets ultimes, qui sont aujourd'hui un des problèmes prégnants du secteur nucléaire. En outre, en développant cette technologie, la France pourrait participer activement à l'équipement des pays en développement intéressés par cette filière. Je pense bien sûr à l'immense marché que représente la Chine, mais aussi à des pays que l'on croit plus développés tels que les Etats-Unis.
Je souhaite enfin revenir sur la politique de recherche énergétique.
Je me réjouis que les députés aient adopté un amendement tendant à ce que les ministres chargés de l'énergie et de la recherche arrêtent et rendent publique une stratégie nationale de recherche énergétique quinquennale. Et je félicite notre rapporteur d'intégrer cette mesure dans le titre consacré à la stratégie énergétique nationale.
En effet, la poursuite de programmes de recherche ambitieux, au niveau national ou au niveau européen, dans le secteur énergétique est capitale, d'autant que certains secteurs de recherche peuvent apporter des solutions aux problèmes auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés. Je pense notamment aux techniques de séquestration de CO2, qui pourraient permettre de lutter efficacement contre l'effet de serre, tout en rendant possible une meilleure exploitation des gisements pétroliers, aux technologies de mise en valeur de la biomasse, aux axes de recherche prometteurs que nous avons abandonnés dans la filière pétrole, ainsi qu'à tous les axes de recherche qui devraient permettre d'aboutir rapidement à construire des véhicules plus propres.
Enfin, je souhaite aborder le problème de la compatibilité des législations environnementales avec le maintien de notre tissu industriel national et avec l'emploi.
Ce texte, qui va de pair avec la Charte sur l'environnement, que nous examinerons sans doute dans quelques semaines, introduit de nouvelles contraintes pour les entreprises. Alors que le chef de l'Etat a rappelé la nécessité de lutter contre les délocalisations d'entreprises, nous devons nous interroger, monsieur le ministre, sur les conséquences économiques de ces nouveaux principes, comme le principe de précaution, que nous nous apprêtons à introduire dans notre droit positif.
En tant que ministre de l'industrie, pouvez-vous nous expliquer comment se fait la coordination des actions du Gouvernement entre les impératifs de protection de l'environnement, la nécessaire protection des emplois industriels et la politique favorable aux transports qui permet à tous les produits concurrents de circuler sans en répercuter les coûts réels ?
Vous connaissez suffisamment mon engagement en matière de lutte contre l'effet de serre pour savoir que je ne vous demande pas de répondre que la protection de l'environnement est une préoccupation de second ordre par rapport à la préservation de l'emploi...
En outre, la protection de l'environnement est une question planétaire et non pas franco-française. Certes, il est bon d'être vertueux et de prendre des mesures aptes à nous permettre de le devenir encore plus. Mais certains de nos concurrents au niveau économique, qui ne sont pas soumis aux mêmes réglementations, ont par là un moyen de devenir encore plus compétitifs, sans fournir d'effort pour la protection de l'environnement.
Permettez-moi, même si ces chiffres sont connus, de citer un exemple pour illustrer mes propos.
Pour produire 100 dollars de PIB aux Etats-Unis, on rejette 8 mètres cubes de CO2 contre seulement 3 mètres cubes en France, et nous ne sommes pas des plus vertueux. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande de réfléchir à une façon de taxer les produits en provenance de pays qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales que nous et de taxer les modes de transports étrangers, polluants au regard de notre législation.
Monsieur le ministre, j'attends votre réponse !
En conclusion, il me reste à féliciter M. le rapporteur, Henri Revol, et les membres de la commission des affaires économiques pour leur excellent travail, auquel j'ai pris part. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le souligne notre collègue Henri Revol dans son rapport, dont je tiens ici à saluer la qualité - mais celle-ci n'aura surpris aucun d'entre nous, venant du président du groupe d'études de l'énergie de notre assemblée, dont nous savons la compétence - il était temps de discuter du projet de loi d'orientation sur l'énergie.
Le Sénat l'avait réclamé, sans succès, dès la discussion de la loi relative à l'ouverture du marché de l'électricité en 1999 et nous l'avions attendu en vain pendant cinq ans.
Il nous arrive après avoir été élaboré sur la base du débat national que le Gouvernement a eu le courage d'organiser sur ce thème, et c'est lui rendre justice d'affirmer, avec les « sages » qui en ont supervisé le déroulement, qu'il a été réellement pluraliste, même si le grand public ne s'y est, malheureusement, pas suffisamment intéressé.
Je vous le dis d'emblée, monsieur le ministre, le groupe de l'UMP approuve les orientations du projet de loi dont nous discutons, de même qu'il souscrit aux modifications que propose d'y apporter la commission des affaires économiques.
C'est sous le bénéfice de cette remarque générale que je souhaite insister aujourd'hui sur quatre thèmes qui m'apparaissent d'une importance particulière : premièrement, la nécessité - vous l'avez évoquée, monsieur le ministre - de préserver l'indépendance nationale par la diversification des sources énergétiques ; deuxièmement, le développement des énergies renouvelables et d'une nouvelle filière de générateurs nucléaires - en ma qualité de futur rapporteur du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, je ne saurais méconnaître l'importance de ce sujet - ; troisièmement, la pérennité du nucléaire ; quatrièmement, enfin, le développement des opérateurs historiques.
Il faut d'abord assurer l'indépendance énergétique par le recours à toutes les énergies car, sans énergie, il n'y a pas de développement économique.
Comme cela a été souligné à plusieurs reprises sur toutes les travées de cette assemblée - je dis bien « toutes les travées » ! -, l'énergie en général, et l'électricité en particulier, ne sont pas des marchandises comme les autres.
L'abondance dans laquelle nous vivons contribue à faire perdre cette évidence de vue à bon nombre de nos concitoyens. Pourtant, la France et l'Europe font figure d'exceptions au sein d'un monde où l'énergie est une ressource rare, à laquelle tous les citoyens n'ont pas accès et dont les prix et les approvisionnements sont soumis à d'importantes variations, voire à des formes de pénuries.
L'exemple de l'envolée actuelle des prix du pétrole et la montée de l'instabilité au Proche-Orient, qui en est l'un des déterminants, illustrent, s'il en était besoin, ce sujet. C'est pourquoi il est nécessaire de réaffirmer solennellement la nécessité de définir les voies et moyens d'une indépendance énergétique durable pour notre pays.
Le propos qui vaut pour le pétrole s'applique bien évidemment au gaz, dont on méconnaît sans doute encore trop l'importance. Nous devons, en conséquence, suivre avec une attention toute particulière l'évolution de cette énergie si prisée des Français et appelée, selon toute vraisemblance, à connaître une croissance importante dans les années à venir.
Au demeurant, pour valoriser toutes nos ressources nationales, nous n'avons guère que deux solutions, du fait de l'épuisement progressif de nos énergies fossiles et de la difficulté de les transporter : d'une part, le recours aux énergies renouvelables et, d'autre part, la poursuite de la modernisation de notre parc nucléaire, sur laquelle je me permettrai d'insister.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, et notamment le souhait affiché de les porter au taux de 21 % de la production d'électricité, mon intime conviction est qu'entre les discours et la réalité un espace toujours plus grand se creuse chaque jour en France : nous sommes loin de prendre le chemin d'un accroissement substantiel de la contribution des énergies renouvelables à notre « panier » énergétique, notamment pour atteindre ce fameux taux de 21 %, et je déplore cette paralysie.
Lors du débat sur la politique énergétique de la France, je déclarais à cette tribune que je n'avais pas « le nucléaire honteux ». Cette intervention me confère un modeste titre qui me permet d'ajouter, sans être suspecté de parti pris, que mon intérêt pour les énergies renouvelables ne doit rien à un effet de mode ou à une forme de « pensée unique ».
En effet, il est patent que nous ne disposons que de deux solutions pour résoudre notre « équation énergétique » : d'une part, poursuivre dans la maîtrise de la demande, comme vous l'avez évoqué, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur ; d'autre part, valoriser nos atouts en matière d'offre en recourant aux énergies renouvelables.
Sur ce sujet, les Français doivent être conscients des grands enjeux. Il ne servirait à rien, en effet, de proclamer, dans le sens de la directive de 2001, la volonté d'accroître substantiellement la part de l'énergie produite à partir de ces énergies renouvelables sans prendre en compte la nécessité de construire les éoliennes, les installations photovoltaïques, ou d'accroître la production de biocarburants de notre pays.
Si nous pouvons fonder des espoirs à long terme sur le développement de l'énergie solaire en France - je le dis d'autant plus volontiers que je milite pour un renforcement des aides publiques qui lui sont d'ores et déjà consenties - et si un puissant courant se fait sentir en faveur du développement des carburants verts d'origine autochtone, je pressens en revanche que l'opinion n'est pas encore mûre pour l'utilisation de l'énergie éolienne. Nous devons donc l'aider à prendre conscience des enjeux qui y sont attachés.
Comment expliquer, alors qu'une majorité de nos concitoyens se déclarent favorables à l'utilisation de l'énergie produite par le vent, qu'il soit si fréquent que l'installation d'éoliennes - nous en connaissons tous des exemples dans nos départements et dans nos communes -, avant même que celles-ci aient produit du courant, suscite un vent de fronde dont le souffle se fait parfois sentir jusqu'au Palais-Bourbon ? Ainsi nos collègues députés viennent-ils d'adopter le fameux article 8 bis du projet de loi qui nous est transmis aujourd'hui.
Disons-le clairement : cet article contient en germe la mort de l'éolien français, qu'il stigmatise en soumettant la construction de tout aérogénérateur à l'avis conforme de la commission des sites. Je suis tenté de poser cette question : « Pourquoi tant de haine à l'encontre de l'éolien ? »
Grâce à l'initiative de notre collègue Jean-François Le Grand, nous avons nous-mêmes, mes chers collègues, enclenché un mouvement qui a abouti à l'élaboration d'un dispositif d'encadrement de la construction des éoliennes que je considère à la fois efficace et rigoureux, puisqu'il soumet cette construction à la triple condition de l'élaboration d'une enquête publique, d'une étude d'impact et d'un permis de construire.
A l'aune de cette législation, le texte qui nous est transmis m'apparaît déraisonnable en ce qu'il introduit une quatrième condition. De plus, il crée un précédent fâcheux en subordonnant la décision d'un maire à l'avis conforme de la commission des sites sur l'ensemble du territoire, précédent dont nous risquons à l'avenir de subir le contrecoup.
J'invite le Sénat à peser mûrement sa décision sur ce sujet épineux : une attitude malthusienne nous laisserait à l'écart du mouvement de recours aux énergies renouvelables qui s'est encore exprimé il y a deux jours à peine, à Bonn, lors de la conférence sur les énergies renouvelables.
J'en viens à la question du nucléaire, dont nous devons assurer la pérennité car il est le pivot d'une de nos grandes compétences technologiques.
Notre rapporteur a souligné à juste titre que le nucléaire ne saurait être considéré comme l'argument unique du débat sur la politique énergétique. En réalité, la question du nucléaire a un impact beaucoup plus important sur toute notre économie.
Il faut rappeler ici que le nucléaire irrigue tout un pan de notre économie, notamment nos compétences en matière de recherche : il est l'un des fondements de la puissance industrielle de la France. Or l'industrie est notre richesse.
On ne peut qu'être surpris de l'émotion provoquée par la décision relative à la construction d'une cinquante-neuvième tranche électronucléaire dans notre pays, qui en compte cinquante-huit. J'ai moi-même été surpris par les propos tenus il y a quelques instants par le représentant du parti socialiste : j'ignorais que ce parti était officiellement hostile à l'EPR !
M. Roland Courteau. Aujourd'hui, oui !
M. Ladislas Poniatowski. Nous avons besoin, mes chers collègues, d'un démonstrateur de nouvelle génération, faute de quoi cette technologie innovante sera exportée à l'étranger, notamment en Chine, par les concurrents des entreprises françaises qui ont participé à son élaboration.
Je note au passage qu'il est paradoxal que la Finlande ait déjà choisi notre EPR - et en ait même démarré la construction -, alors que nous sommes toujours immobiles sur la ligne de départ. Monsieur le ministre, mes chers collègues, donnez-nous ce départ !
J'irai plus loin : nous devons d'ores et déjà nous préoccuper de l'avenir de la filière EPR et donner un signal fort au personnel des entreprises de ce secteur.
L'évocation des salariés d'EDF et de ceux de l'ensemble du secteur électronucléaire, mentionné par notre rapporteur, me conduit tout naturellement à évoquer le second projet de loi dont l'Assemblée nationale débattra à partir du 15 juin, et que nous serons appelés à examiner à partir du 6 juillet.
Il est normal que le rapporteur de ce second projet souligne son importance à l'occasion de la discussion du projet de loi d'orientation qui nous est soumis et rappelle que nous avons le devoir d'assurer le développement de nos opérateurs historiques.
Les agents d'Electricité de France et de Gaz de France attendent que nous leur donnions un signal tangible de notre volonté d'assurer l'avenir de leurs activités, de leur entreprise, et donc de leurs emplois. Nous le donnerons aux uns, les « électriciens », en garantissant leur statut et en assurant la pérennité de la filière nucléaire. Nous le donnerons aussi aux autres, les « gaziers », en ouvrant au secteur du gaz la perspective d'un développement durable, dans le cadre des grands principes fixés par notre loi d'orientation : il faut que Gaz de France occupe la place qui lui revient parmi les grands opérateurs multi-énergie européens.
Le principe unificateur que nous devons également mettre en avant vis-à-vis de tous les Français est celui du service public. Nous avons tenu à le faire figurer au fronton de la loi n° 2003-8 consacrée à l'ouverture du marché gazier. Nous réitérerons l'expression de notre volonté, au cours de l'examen tant de ce projet de loi que du texte qui le suivra immédiatement.
Je regrette à cet égard le comportement d'un syndicat maison d'EDF qui, sous prétexte de manifester son opposition à l'ouverture du capital d'EDF, n'a pas hésité à priver de transports publics des usagers qui se rendaient sur leur lieu de travail, et ce par des opérations de commandos inadmissibles. Je considère qu'en démocratie il existe d'autres moyens d'exprimer son désaccord !
Ces salariés ont surtout donné une bien mauvaise image du service public. J'espère que les Français garderont l'image, autrement plus positive, des salariés d'EDF lors de la tempête de décembre 1999 : ils avaient alors montré qu'ils ne ménageaient ni leur dévouement ni leurs efforts pour tenter de rétablir au plus vite le courant dans tous les foyers français.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, c'est en se fondant sur l'ambition qui nous a permis d'acquérir notre indépendance énergétique que nous bâtirons le système énergétique français du XXIe siècle. Dans la voie de cette réforme, le Gouvernement peut compter sur le soutien entier du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, obligation de faire face à une consommation d'énergie dont tout porte à croire qu'elle demeurera globalement croissante, ou encore impératif de diversifier et de garantir nos approvisionnements dans un contexte de tensions géopolitiques et d'épuisement des ressources fossiles... On mesure l'ampleur des contraintes, accrues et parfois contradictoires, avec lesquelles notre pays, à l'unisson du reste du monde, est désormais tenu de composer pour définir une politique de l'énergie digne de ce nom !
Il n'est pas besoin de rappeler que notre groupe a toujours été favorable à une politique prospective de l'énergie. Pour nous, une telle politique se doit de satisfaire prioritairement les objectifs d'aménagement du territoire, d'indépendance énergétique et de péréquation tarifaire. Elle doit également être également l'affaire de chaque citoyen.
Aussi, lorsque a été annoncé le dépôt sur le bureau de notre assemblée d'un projet de loi d'orientation sur l'énergie, nous osions espérer qu'il traduirait un réel volontarisme politique. L'examen d'un tel projet semblait d'ailleurs, il y a encore quelque mois, compromis. Mais la déroute électorale des élections régionales, ainsi que la force du mouvement social, ont fini de convaincre le Gouvernement que le débat national lancé par Nicole Fontaine ne pouvait pas se conclure sans l'intervention du Parlement.
Cependant, je peux vous annoncer d'ores et déjà que nous voterons sans état d'âme contre son adoption.
Deux raisons justifient amplement ce choix.
Première raison : le hiatus entre la multiplicité des objectifs formulés et l'extrême pauvreté des moyens débloqués pour les atteindre est particulièrement préoccupant.
La plupart des grands enjeux précédemment évoqués sont certes abordés. Néanmoins, les réponses envisagées, faute d'être assorties d'une obligation de moyens, ne sont manifestement pas à la hauteur. Les objectifs chiffrés, bien rares au demeurant, apparaissent fantaisistes au regard de l'action menée par le Gouvernement depuis juin 2002.
A bien des égards, on est en droit de se demander si ce projet de loi n'a pas une portée essentiellement médiatique. Comment ne pas penser au mot du politologue Jean-Marie Cotteret, pour qui « gouverner, c'est paraître », ou encore à l'adage fameux suivant lequel « les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent », attribué au Président de la République ? En effet, les articles 1er à 1er quinquies s'apparentent à un recueil de bonnes intentions. Or cela ne fait pas une politique.
Pour étayer ce propos, qui peut sembler exagérément sévère - mais sachez, mes chers collègues, que cette sévérité est proportionnée à notre déception -, il me semble indispensable d'évoquer quelques exemples significatifs.
Premier exemple : la réaffirmation de l'objectif tendant à garantir l'accès de tous les citoyens à l'énergie, en particulier à l'électricité.
Le texte présenté rappelle que l'énergie n'est pas un bien comme les autres. Le Gouvernement n'est pas loin de reprendre le slogan des militants altermondialistes, pour lesquels « le monde n'est pas une marchandise ». Pourtant, lorsque l'on examine tant le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale que le contenu de l'amendement n° 4 de la commission, on s'aperçoit que, alors que cinq alinéas déclinaient cet objectif dans l'annexe du projet de loi initial, il n'y en a plus que deux ! Et, comme par hasard, la référence à la péréquation nationale des tarifs de l'électricité a disparu.
Les députés communistes et républicains ont proposé, au travers d'un amendement, de rétablir le texte initial de l'annexe. Il n'y avait rien là de bien révolutionnaire, me direz-vous. Las ! ils ont essuyé un refus tout aussi brutal qu'incompréhensible.
Pour justifier leur choix de liquider la référence à la péréquation tarifaire, le rapporteur et le ministre se sont contentés de prononcer le mot : « défavorable ». Cela se passe de commentaire !
Deuxième exemple : les énergies renouvelables.
A cet égard, on nous promet presque le « Grand Soir » ! Cependant, comment peut-on prétendre porter la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables à 21 % de la consommation intérieure totale d'électricité à l'horizon de 2010 tout en acceptant l'insertion d'un article additionnel - en l'occurrence, l'article 8 bis - qui, en disposant que les permis de construire des éoliennes seront délivrés après avis conforme de la commission des sites, semble devoir signer l'arrêt de mort de celles-ci ? La discussion que nous avons eue ce matin en commission a montré que la rédaction du texte pourrait être grandement améliorée sur ce point.
En outre, comment peut-on mettre la barre aussi haut et, dans le même temps, réduire les moyens budgétaires des organismes de recherche ?
Indéniablement, ce texte regorge de paradoxes.
Troisième exemple, qui n'est pas sans lien avec le précédent : l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, à hauteur de 3 % par an.
Là encore, peut-on vous prendre au sérieux, monsieur le ministre ? Peut-on accorder ne serait-ce qu'un minimum de crédit à une déclaration dont le caractère incantatoire est manifeste ? La réalité de la politique gouvernementale prouve que la principale priorité n'est pas de renforcer la lutte contre l'effet de serre, loin de là !
En effet, rien, absolument rien, n'est mis en oeuvre concrètement, en matière de transports, pour rompre avec le « tout routier et autoroutier ». C'est un comble, puisque ce secteur est responsable du tiers des émissions de CO2 et que toutes les prévisions annoncent une croissance du trafic.
Les quelques mesures très concrètes qui ont été prises contredisent ostensiblement le discours officiel, qui se veut volontiers rassurant.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, le Gouvernement a décidé de supprimer les lignes budgétaires consacrées aux subventions pour les transports en commun en site propre. Cette annonce a fait l'effet d'une bombe. Le président de l'UMP lui-même s'en est ému, c'est dire ! La suppression de ces concours financiers indispensables à la réalisation d'investissements en faveur du développement des transports en commun est une aberration économique et environnementale. Avec de telles mesures, il est totalement vain de prétendre inciter nos concitoyens à laisser leur automobile au garage.
Par le biais de ce même projet de loi de finances, le Gouvernement a fait le choix de relever le montant de la taxe intérieure sur les produits pétroliers applicable au gazole. A l'époque, Francis Mer et Alain Lambert, entendus par la commission des finances du Sénat, juraient que cette mesure était inspirée par des préoccupations environnementales. Une telle hypocrisie n'a trompé personne.
Au moment même où le tarif de la TIPP était relevé, ce qui a entraîné une augmentation de trois centimes d'euro du prix du litre à la pompe, le texte gouvernemental prévoyait non seulement de maintenir, mais encore d'accroître le remboursement accordé aux transporteurs routiers, dont l'activité engendre une forte émission de gaz à effet de serre et autres rejets polluants. Bien évidemment, le souci de renforcer la protection de l'environnement n'était qu'un leurre, destiné à légitimer une disposition tout à fait inique !
Le titre Ier du présent projet de loi est lui aussi symptomatique, à sa manière, de cette volonté d'épargner le secteur des transports, qui rend illusoire l'ambition de mettre en oeuvre un projet conséquent de diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Sur le principe même, la création d'un marché des certificats d'économie d'énergie, révélatrice du caractère typiquement libéral de la démarche gouvernementale, est éminemment contestable. Cette sinistre invention, qui n'est pas sans rappeler les élucubrations scientistes en vogue au XIXe siècle,...
Mme Odette Terrade. ... s'inscrit dans la droite ligne de l'ordonnance du 15 avril dernier portant création d'un marché des quotas d'émission de gaz à effet de serre. Le présent texte prévoit que les certificats d'économie d'énergie seront des biens meubles négociables. Dès lors, la solution la plus simple consistera à en acheter. Cela signifie que, à condition d'en avoir les moyens financiers, les personnes visées à l'article 2 du projet de loi pourront en acquérir tout en se dispensant de participer effectivement à l'effort d'économie d'énergie.
Sans parler de morale, on est en droit de douter de l'efficacité de ces mécanismes, qui renvoient expressément au mythe du marché autorégulateur. En outre, compte tenu du fait que le secteur des transports est le plus gros consommateur d'énergie et que sa consommation de produits pétroliers est en forte croissance, il est absolument inadmissible de constater que, pour l'essentiel, les fournisseurs de carburant seront exemptés de tout effort d'économie d'énergie. A nos yeux, ce parti pris est injuste, et cette injustice donne encore plus de poids à nos critiques portant sur la création d'un marché des certificats d'économie d'énergie.
Pour aller plus loin dans la mise en évidence du hiatus entre les ambitions affichées et les moyens mobilisés pour les atteindre, et toujours dans l'optique de démontrer le caractère irréaliste de l'objectif chiffré de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il est nécessaire de revenir sur les nombreuses études, en particulier le bilan prévisionnel de l'équilibre production/consommation pour la période 2006-2015 réalisé par le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, qui révèlent que notre pays n'est pas suréquipé en moyens de production d'électricité. Des difficultés de fourniture sont à prévoir pour les périodes de pointe à partir de 2005, ainsi qu'un déficit de capacité de production à l'horizon 2009-2010, estimé entre 4 000 et 8 000 mégawatts.
Monsieur le ministre, vous affirmez votre intention de laisser ouverte l'option nucléaire à l'horizon 2020 et, à ce titre, vous annoncez la réalisation du réacteur EPR, afin d'assurer la continuité de production.
Vous savez, et les députés communistes et républicains ont eu l'occasion de le rappeler, que nous accueillons favorablement cette annonce. Convaincus que l'indépendance énergétique conditionne la maîtrise par les peuples de leur développement, et compte tenu du fait que chaque source d'énergie présente des avantages et des inconvénients, nous estimons que la diversité du bouquet énergétique est essentielle.
A court terme, malgré les bons résultats obtenus, notamment en matière hydraulique, par la France, les énergies renouvelables ne permettront pas de faire face à tous les enjeux précédemment énumérés. Prétendre le contraire serait irresponsable, tout comme il serait irresponsable de ne pas engager un effort soutenu en vue d'assurer leur développement.
C'est au nom de ce raisonnement que nous défendons la poursuite du programme nucléaire civil. Cependant, de dix à douze ans s'écoulent entre la décision de construire une centrale et la disponibilité sur le réseau de l'énergie produite. La mise en service de l'EPR aurait donc lieu, au mieux, en 2014.
D'ici là, on l'a vu, les risques de pénurie sont sérieux, d'autant que les tranches nucléaires mises en service avant 1984 auront plus de trente ans d'âge. Il est plus que probable que ces installations devront alors être arrêtées.
Il est donc urgent de prendre des décisions d'investissement, pour que de nouvelles mises en service puissent intervenir avant 2010. Cependant, le Gouvernement s'emploie à minimiser les risques. Au demeurant, on comprend bien pourquoi : dans un contexte où il s'incline devant le poids du lobby pétrolier, reconnaître que notre pays a besoin d'installations nouvelles à court terme le mettrait dans l'embarras.
En effet, en l'état actuel des choses, les équipements susceptibles de nous permettre d'éviter la pénurie annoncée dans l'attente de la disponibilité des kilowattheures produits par la filière EPR ne peuvent être que des centrales à gaz ou à charbon, qui contribueront immanquablement, malgré les progrès réalisés, à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Cette référence à la filière EPR me permet d'en venir à la seconde raison qui nous conduira à voter contre le texte.
La sûreté des installations doit être optimale et le demeurer. C'est là, à nos yeux, un préalable incontournable : aucun compromis n'est envisageable sur ce point.
Par conséquent, il faut mettre un terme au développement des contrats précaires, au recours aux « nomades du nucléaire » et à l'accroissement des menaces pesant sur le statut des agents publics, sachant que ces dérives sont étroitement liées au mouvement de déréglementation et d'ouverture à la concurrence à l'échelle européenne.
Surtout, il convient de préserver - mieux, de renforcer - la maîtrise publique de la filière nucléaire. Un amendement en ce sens de mon collègue et ami Daniel Paul a d'ailleurs été adopté à l'Assemblée nationale.
Cela étant, encore une fois, l'hypocrisie est de taille. Le 27 mai, en effet, alors que s'achevait l'examen en première lecture du projet de loi au Palais-Bourbon, des dizaines de milliers d'électriciens et de gaziers manifestaient dans les rues de la capitale et se rassemblaient place des Invalides. Ils clamaient haut et fort leur totale opposition au projet de loi visant au changement de statut et à l'ouverture du capital des établissements publics à caractère industriel et commercial que sont EDF et GDF.
Avec eux, nous refusons qu'un bien comme l'énergie, avec tous les outils qui le servent, notamment l'ensemble des installations, réseaux et compétences mis en oeuvre dans le cadre du service public, soit livré aux marchés financiers, dans le dessein d'obtenir des rentrées budgétaires dérisoires, destinées à combler un déficit aggravé par la multiplication des cadeaux fiscaux aux nantis.
Certes, le projet de loi tendant à enclencher le processus de privatisation d'EDF et de GDF n'est pas le texte dont nous débattons aujourd'hui. Si votre habileté mérite d'être soulignée, monsieur le ministre, nous ne sommes cependant pas dupes, et nous savons pertinemment que les orientations arrêtées en matière d'énergie seront mises en oeuvre par des entreprises et que la nature, le statut et la raison d'être de ces dernières influent sur ses orientations.
A cet égard, l'introduction d'intérêts privés dans le capital des deux opérateurs historiques suffira pour que les choix d'investissement et les conditions de fonctionnement prennent en compte prioritairement la rentabilité des sommes investies par les actionnaires.
Vous ne pouvez ignorer plus longtemps les élus - notamment les élus locaux -, les salariés, les entrepreneurs et les usagers, qui veulent maintenir le secteur de l'énergie hors de ce carcan.
Il est absurde de prétendre définir les fins visées par la politique énergétique au moment où le Gouvernement est sur le point de réaliser un coup de force en privant notre pays des outils de service public dont il a su se doter à la Libération.
Aussi la définition des objectifs et des orientations de la politique énergétique suppose-t-elle que vous retiriez au préalable le projet de loi ayant pour objet l'ouverture du capital d' EDF et de GDF, qui, rappelons-le, n'est imposée ni par la Commission européenne ni par les traités !
Au demeurant, M. Mario Monti, commissaire européen à la concurrence, n'a-t-il pas rappelé hier, devant la commission des affaires économiques du Sénat, que la transformation du statut d'EDF allait au-delà des exigences de la Commission européenne ?
M. Daniel Raoul. C'est vrai !
M. Gérard Le Cam. On l'a bien noté !
Mme Odette Terrade. Pour les deux raisons que j'ai exposées, nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable, que ma collègue et amie Marie-France Beaufils présentera ultérieurement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la communauté scientifique internationale, les notions de développement durable, de biodiversité, de protection de l'écosystème mondial et du climat sont déjà anciennes.
C'est sur la Côte d'Azur, à Sophia-Antipolis, qu'a eu lieu en 1984 le premier colloque international consacré au climat et aux émissions de gaz carbonique, réunissant industriels et scientifiques La moitié des scientifiques présents étaient convaincus que les augmentations de la concentration en gaz carbonique dans l'atmosphère relevées en différents points du globe de façon concomitante étaient dues à l'action humaine ; l'autre moitié s'interrogeait encore à ce sujet : ne s'agissait-il pas de phénomènes naturels ?
Quoi qu'il en soit, le principe de précaution aurait tout de même dû imposer un moratoire s'agissant des centrales émettant des gaz à effet de serre.
Mais on ne l'a pas fait, pour différentes raisons. D'abord, il fallait tenir compte du poids de certains lobbies : je pense notamment aux lobbies charbonniers et pétroliers américains, qui finançaient d'ailleurs, paraît-il, l'organisation Greenpeace. Ensuite, cette solution aurait été très difficile à faire accepter. Résultat : vingt ans ont été perdus !
Je ne prendrai pour illustrer mon propos qu'une seule référence. Le 1er juin dernier, le journal Le Monde a publié une tribune de M. James Lovelock, citoyen britannique et « grand gourou écologiste », sous le titre : « L'énergie nucléaire est la seule solution écologique ». M. Lovelock a donc changé d'avis, il le dit clairement, et il a raison ! Etant moi-même un défenseur du développement durable, un écologiste convaincu et, dans le même temps, un pronucléaire non moins convaincu, j'adhère totalement à ce point de vue.
Je crois, monsieur le ministre, qu'il convient aujourd'hui, à l'occasion de ce débat, de saluer la continuité de la politique industrielle exemplaire que la France a menée depuis soixante ans, c'est-à-dire depuis la Libération ! Les femmes et les hommes qui y ont pris part, de droite comme de gauche, ainsi que le patronat, les syndicats et l'ensemble des salariés, ont tous, dans les différents centres de recherche et les organismes industriels concernés, fait vivre des structures comme le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA.
Permettez-moi de mentionner à cet égard MM. Frédéric Joliot-Curie, Francis Perrin, Jacques Yvon, Jean Teillac, hauts commissaires, ainsi que MM. Raoul Dautry, Pierre Guillaumat, Pierre Couture, Robert Hirsch, André Giraud, Michel Pecqueur, administrateurs généraux, pour ne citer que les disparus...
Je souhaite également mentionner le leader mondial dans ce secteur : le groupe Areva ! Je pense notamment à sa brillante présidente, Mme Anne Lauvergeon, qui était reçue ce matin même à la présidence du Sénat.
A mon sens, il conviendrait qu'une saga soit écrite et enseignée dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités, non seulement en France mais aussi dans toute l'Europe, pour faire connaître cette étonnante aventure, qui a été marquée par beaucoup d'audace et de ténacité, vertus qui ne sont pourtant pas en général considérées comme des caractéristiques françaises ! (Sourires.) Or ces qualités ont permis à notre pays, je dirai à notre « petit pays » - petit par la taille et par la puissance économique mais grand par la compétence - de devancer des pays comme les Etats-Unis, le Japon ou la Russie, dans un domaine crucial pour l'avenir.
Pour en revenir à l'effet de serre, M. James Lovelock, que je mentionne une nouvelle fois, a fait référence à un ministre britannique qui affirmait que ce phénomène était bien plus dévastateur et dangereux qu'Al-Qaïda ! Quand on connaît l'importance que les anglo-saxons accordent à la lutte contre cette nébuleuse terroriste - souvenons-nous de la « guerre du bien contre le mal » -, on voit à quel point l'effet de serre, comme l'a brillamment indiqué M. Deneux tout à l'heure, constitue un des problèmes majeurs de l'humanité !
Vous avez, monsieur le ministre, évoqué le modèle français et vous avez placé la loi d'orientation sur l'énergie dans le cadre du développement durable. Vous avez eu raison, à cet égard, d'insister sur la lutte contre l'effet de serre, qui va bien plus loin que le simple rappel des principes énoncés par le protocole de Kyoto.
Faudra-t-il attendre pour réagir que le Gulf Stream s'arrête ou que le climat de l'Angleterre et celui de l'Ecosse, voire celui de la Bretagne, deviennent identiques à celui du Québec ?
Dans le même temps, le sud de l'Europe peut, au contraire, connaître des cyclones tropicaux. Déjà, des maladies tropicales commencent à remonter par le sud de l'Espagne...
Il faut le savoir, l'effet de serre n'est pas pour demain. Il existe déjà ! La fonte des glaciers se développe, le niveau des mer a d'ores et déjà augmenté d'une cinquantaine de centimètres. Tout cela a un effet cumulatif ! Très bientôt, au lieu d'avoir sur l'ensemble de l'Arctique une zone réfléchissant la chaleur du soleil en hiver comme en été, il y aura une mer toute noire qui, au contraire, augmentera la température ! Et que dire de la stabilité des glaciers en Antarctique, avec des possibilités de montée brutale des eaux par suite d'effondrements massifs !
Par conséquent, nous devons montrer que nous avons un modèle en matière de politique énergétique : ce modèle doit être exporté pour que les autres pays fassent de même, ce qui donnera d'ailleurs de nouveaux débouchés à notre industrie nationale !
Je ne souhaite pas évoquer la recherche, puisque M. le rapporteur en a déjà parlé et que nous aurons l'occasion d'aborder plus largement ce sujet lors du débat sur la loi d'orientation sur la recherche.
En tout cas, monsieur le ministre, nous sommes très heureux que vous nous ayez présenté ce texte, qui a d'ailleurs été amélioré par notre rapporteur. Pour ma part, je le voterai avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roger Rinchet.
M. Roger Rinchet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui au Sénat sur la loi d'orientation sur l'énergie devrait nous permettre d'attirer l'attention de l'ensemble de nos concitoyens sur l'extrême importance de ce sujet.
L'énergie, telle qu'elle est utilisée aujourd'hui, est une menace à plus ou moins brève échéance pour l'équilibre des Etats, la survie de notre planète et celle de l'espèce humaine.
L'augmentation durable du prix du pétrole, celle, exponentielle, du nombre de pays consommateurs, la raréfaction organisée de la production d'or noir, qui sera d'ailleurs suivie par sa disparition définitive, doivent nous inciter à avoir une vue prospective du problème énergétique.
Nous devons résolument accomplir une mutation douce et progressive. Il ne faut pas attendre que la situation devienne invivable et irréversible. C'est la première raison qui milite en faveur du développement rapide des énergies alternatives.
La deuxième raison, plus grave et plus urgente, est le constat qui est fait depuis quelques décennies de l'état de pollution extrême de notre planète. L'industrialisation au XIXe siècle, le développement des transports routiers ou aériens et l'urbanisation au XXe siècle, ont été les principales causes des énormes rejets dans l'atmosphère de gaz à effet de serre.
Dans un premier temps, on ne savait pas. Puis on a commencé à savoir, mais on ne voulait pas le dire. Maintenant, nous sommes face à nos responsabilités ! Notre planète et ses habitants sont en danger, nous le savons. Et, lorsque l'on connaît la durée de vie et la nocivité de ces gaz, on comprend mieux qu'il y a urgence, pour maintenant et pour les siècles à venir. Nous avons l'ardente obligation d'être des visionnaires et d'agir !
La solution la plus simple, c'est d'économiser l'énergie. Mais cela ne suffira pas ! Il faudra aller plus loin dans le processus de rétablissement de la santé de notre planète : je pense au développement sans retenue des énergies renouvelables.
D'autres que moi traiteront des relations nouvelles avec Electricité de France, d'autres encore donneront leur point de vue sur le nouveau réacteur nucléaire, l'EPR, ou sur les économies d'énergie, qui peuvent être énormes. Pour ma part, je me limiterai aux énergies renouvelables, et plus particulièrement à l'énergie solaire.
Toutefois, je commencerai en évoquant l'énergie éolienne, qui semble depuis quelques temps vouée aux gémonies, parfois même par ceux qui l'avaient appelée de leurs voeux. Elle est pourtant une énergie propre et inépuisable, le dieu Eole étant, comme tous les dieux, éternel ! (Sourires.) Elle peut être largement utilisée pour pratiquement toute la planète sans beaucoup gêner le voisinage.
Je suis naturellement opposé en la matière à l'avis conforme de la commission des sites, comme cela nous est proposé.
M. Gérard Delfau. Moi aussi !
M. Roger Rinchet. Je souhaite également dire quelques mots sur le bois énergie, encore considéré comme polluant et peu pratique par tous ceux qui ont encore en mémoire les grosses bûches dans les antiques cheminées. Actuellement, le bois déchiqueté, transformé en granules ou en plaquettes, a le triple avantage d'offrir une grande facilité d'utilisation, d'être une énergie propre et de permettre une élimination des excédents de bois dans nos forêts, souvent peuplées d'arbres trop anciens et donc de moins bonne qualité.
En ce qui concerne l'énergie solaire, je voudrais redire ce que j'avais déjà eu l'occasion de dire à cette tribune il y a quelques années.
Il est urgent, tout d'abord, d'arrêter de prendre les adeptes de l'énergie solaire pour de doux rêveurs, alors qu'il s'agit d'un formidable gisement d'énergie pour les siècles et les millénaires à venir ! On estime que, chaque jour, la Terre reçoit sous forme d'énergie solaire l'équivalent de plus de 10 000 fois la consommation électrique journalière de tous les habitants de la planète ! En d'autres termes, l'énergie solaire d'une journée pourrait satisfaire les besoins en électricité des Terriens pendant vingt-sept ans. Même si la population du globe augmente, la marge reste grande !
L'énergie solaire, je la pratique depuis plus de vingt ans dans ma petite ville. J'y crois, et je voudrais vous expliquer pourquoi.
Le solaire, c'est la solution pour le long terme. Mais le long terme se prépare aujourd'hui ! Or force est de reconnaître que la France a pris un énorme retard dans ce domaine et que les pionniers du solaire se sentent un peu seuls.
Si l'on observe les statistiques, il n'y a pas lieu d'être fier ! La puissance installée des parcs photovoltaïques était en France, fin 2003, de 22 mégawatts crête, contre 398 mégawatts crête en Allemagne, soit plus de dix-huit fois la puissance de la France !
Les rapports sont encore plus défavorables pour la France si l'on examine les pourcentages de progression de 2002 sur 2003 : 4,66 % de progression pour notre pays contre 120 % pour l'Allemagne !
En ce qui concerne le solaire thermique, le retard est tout aussi significatif. Fin 2002, l'Allemagne comptait plus de 4 millions et demi de mètres carré installés, contre seulement 670 000 pour la France ! Et pourtant, nous sommes plus privilégiés que nos voisins allemands en matière d'ensoleillement.
Il faut réagir vite et puissamment, car le solaire a de multiples avantages que je ne ferai que mentionner, puisque je n'ai pas le temps de les développer.
C'est une énergie absolument silencieuse, inodore, propre, sans le moindre rejet de gaz, écologique à tous points de vue. Les capteurs sont esthétiques, facilement intégrables à l'architecture des bâtiments. Ils sont également miniaturisables et peuvent être utilisés partout, en montagne, en rase campagne ou en mer... C'est une énergie inépuisable pour au moins plusieurs milliards d'années, ce qui laisse le temps à nos descendants de trouver des solutions encore plus écologiques ! Elle est autonome et peut être installée en n'importe quel coin de la planète. Signalons aussi que sa source est gratuite et accessible à tous sans autorisation : le soleil brille pour tout le monde, et avec encore plus de générosité pour les pays les plus dépourvus d'énergies classiques ! Cette aide que nous pourrions apporter aux pays les plus pauvres, qui s'appauvrissent chaque jour pour assurer leur alimentation en énergie est sans doute, à mes yeux, la raison la plus humaniste et la plus belle de se battre pour le solaire.
Le développement rapide et volontaire du solaire, de l'ensemble des énergies renouvelables et de la recherche sera, un jour, la réplique à l'hégémonie d'une minorité de pays producteurs d'énergies classiques, qui ont des effets désastreux sur l'équilibre économique du monde et sont la cause avouée ou secrète de tant de guerres.
Ce développement devrait permettre, à terme, l'accès à l'indépendance énergétique, et donc à l'indépendance politique, de tous les peuples de la terre. C'est un combat, même s'il est à long terme, qui vaut la peine d'être mené.
Comment faire pour redresser cette situation ?
Tout d'abord, l'Etat, l'ensemble des pouvoirs publics, les collectivités locales et les associations concernées doivent s'entendre pour conduire des campagnes de vulgarisation sur l'énergie solaire.
Il faut, monsieur le ministre, redonner à l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, la plénitude de sa fonction et doter cet organisme d'un budget à la hauteur de ses ambitions. Les projets présentés à l'Agence doivent pouvoir être financés sans retard, car les constructeurs, surtout dans le secteur thermique, qui font l'effort d'intégrer de l'énergie solaire dans leurs projets, ne retarderont pas leur chantier une année ou deux pour attendre une hypothétique aide de l'ADEME.
M. Gérard Delfau. Il a raison !
M. Roger Rinchet. L'énergie solaire en est à ses débuts et nous comptons beaucoup sur les chercheurs pour améliorer l'ensemble des performances. Le budget de la recherche doit donc absolument être reconsidéré à la hausse.
La difficulté du stockage de l'électricité sera résolue le jour, que j'espère proche, où les chercheurs nous proposeront des solutions concernant, par exemple, la capacité des batteries.
On sait maintenant stocker l'énergie solaire thermique sous forme de réserves souterraines d'eau chaude, et on est sur le point de le faire pour l'énergie photovoltaïque.
J'ai pu voir à Fribourg, en Allemagne, un immeuble équipé non seulement de capteurs solaires thermiques pour chauffer les locaux - ce qui est naturel -, mais aussi de capteurs photovoltaïques produisant, d'une part, l'électricité nécessaire au bâtiment le jour et, d'autre part, l'électricité permettant, par électrolyse, de produire de l'hydrogène utilisé dans une pile à combustible, laquelle produit de l'électricité la nuit.
En un mot, c'est une prise de conscience collective qu'il faut faire naître chez l'ensemble de nos concitoyens. Une volonté politique affirmée doit animer le Gouvernement. C'est un des grands défis que les politiques auront à relever au XXIe siècle, et ce serait un juste hommage rendu au grand physicien français Antoine Becquerel qui, dès 1839, découvrit le moyen de transformer l'énergie solaire en électricité. Becquerel fut, en effet, l'inventeur de l'énergie photovoltaïque, voilà bientôt deux siècles.
On ne peut, sous prétexte que les pays les plus peuplés, comme la Chine, ou les plus avancés, comme les Etats-Unis d'Amérique, ont refusé de signer les accords de Kyoto, rester inertes, ou se contenter de l'avance que nous avons prise sur certains pays d'Europe, grâce au nucléaire, en matière de respect des accords de Kyoto.
Beaucoup de nos concitoyens attendent des gestes forts de votre part, monsieur le ministre, pour que la France et tant d'autres pays se libèrent de la dictature des lobbies de producteurs d'énergie classique et fassent que les énergies renouvelables rendent les peuples libres dans une planète plus hospitalière.
C'est, en tout cas, l'intime conviction d'un sénateur dont les petits-enfants seront, en 2060, plus jeunes encore que leur grand-père aujourd'hui ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste).
M. Jacques Valade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la maîtrise de l'énergie demeure plus que jamais la clé du développement de nos sociétés contemporaines. Ce dossier est devenu le pivot central de l'actualité nationale, européenne et internationale.
La crise énergétique en Californie en 2000, l'incroyable panne aux Etats-Unis et au Canada en août 2003, la spectaculaire coupure d'électricité en Italie le 28 septembre dernier, la hausse historique du prix du pétrole liée à l'intervention américaine en Irak, la nouvelle étape de l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité en Europe, et en particulier en France à partir du 1er juillet prochain, sont autant de sujets très divers qui conditionnent le développement économique.
La sûreté du développement exige une définition intégrant des éléments souvent contradictoires et anticipant sur le long terme. D'où la nécessité d'une politique rigoureuse et non passionnelle en la matière.
Tel est bien l'objet du présent projet de loi, qui doit fixer le cadre général de notre stratégie énergétique pour les trente années à venir.
Nos collègues de l'opposition devraient, me semble-t-il, en être persuadés et devenir les plus ardents défenseurs de ce texte, puisque ce sont eux qui ont voté la loi sur l'électricité de février 2000, dont l'article 6 prévoyait la présentation d'une loi d'orientation sur l'énergie avant le 31 décembre 2002.
Constatons que rien n'a été fait en temps utile : nous savons combien il est parfois difficile de mettre ses actes en conformité avec ses intentions, surtout lorsqu'il s'agit de préserver une « majorité plurielle » devenue, désormais, introuvable.
M. Daniel Raoul. C'est gratuit, cela !
M. Jacques Valade. Non, c'est la réalité historique !
Vous nous proposez, monsieur le ministre, de rattraper le temps perdu, en vous gardant toutefois d'agir avec précipitation sur un sujet aussi complexe. Le présent projet de loi est, de fait, l'aboutissement du long processus de maturation, de réflexion et de concertation engagé avec le débat national de 2003, poursuivi par le Livre blanc sur les énergies ainsi que par les échanges de vues autour de ses conclusions et, enfin, par les débats parlementaires autour de la déclaration du Gouvernement, le 27 avril dernier, sur notre politique énergétique.
A cette occasion, nous vous avons apporté notre contribution et notre soutien, monsieur le ministre, pour le choix de la méthode.
Aujourd'hui, le texte que vous nous soumettez nous permet de passer à l'étape suivante : nous allons définir et mettre en place la politique énergétique de la France pour les trois décennies à venir.
L'évolution des marchés européens et internationaux, que j'évoquais au début de mon propos, et l'impérieuse nécessité de préserver notre environnement et celui de la planète nous imposent d'organiser nos choix et d'intégrer la diversité des situations.
Il faut rappeler sans cesse que chaque région de la planète est un cas singulier, mais que la règle commune de prévention et de protection de notre environnement doit s'appliquer à tous. Il n'y a, en effet, aucune raison de se priver de telle ou telle source d'énergie, car elles sont inégalement réparties dans le monde, et elles sont souvent spécifiques du pays où elles se trouvent.
Certains disposent essentiellement de charbon, par exemple la Chine, avec les conséquences sur l'environnement que cela implique, et sont donc dépendants des marchés internationaux pour leur approvisionnement en gaz ou en pétrole. D'autres ont du pétrole ou du gaz, mais n'en ont pas la totale utilisation et pèsent, de ce fait, d'une façon excessive sur le marché de l'énergie. D'autres enfin, tels les Etats-Unis, sont à la fois producteurs et importateurs et ont développé un mode de vie très consommateur d'énergie, tout en répugnant à s'engager avec une détermination solidaire dans la défense de l'environnement, notamment dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce cadre général, la position de la France se caractérise par une incontestable cohérence.
Nous ne disposons pas, ou si peu, de matières premières énergétiques et il nous a fallu trouver des solutions de substitution.
La décision visionnaire et courageuse de développer la filière nucléaire a été le facteur déterminant de notre actuel équilibre énergétique. Son objectif initial était la réduction de notre taux de dépendance énergétique. A ce titre, le succès a été total : 78 % de la production électrique nationale est d'origine nucléaire. De surcroît, le nucléaire, parce qu'il est faiblement émetteur de gaz à effet de serre, contribue désormais au respect de nos engagements en matière environnementale.
Il est indispensable, de ce fait, de poursuivre dans cette voie et de conforter notre option nucléaire.
Il faut donc, monsieur le ministre, décider tout d'abord la construction du nouveau réacteur EPR, dont la technologie permettra une production d'énergie électrique plus sûre, plus propre et moins chère.
M. Jacques Valade. Nous sommes actuellement dans des délais réalistes et les études sont achevées. Cette décision permettra de disposer du prototype des centrales qui pourront être développées industriellement à partir de 2020 - comme vous le rappeliez tout à l'heure -, au moment où il faudra amorcer le renouvellement de notre parc. Par ailleurs, cela confortera la position de nos entreprises, qui bénéficient déjà de la confiance et des commandes de certains de nos partenaires et qui trouveront là un renfort important dans la prospection d'un marché international actuellement en plein développement.
Ensuite, pour le plus long terme, nous participons au projet ITER, International Thermonuclear Experimental Reactor. Nous savons toute la détermination du Gouvernement et nous lui apportons tout notre soutien pour défendre ce dossier et plaider pour l'installation du projet de recherche sur la fusion thermonucléaire ITER dans notre pays, car nous avons les compétences requises ainsi que l'environnement scientifique et industriel nécessaire.
Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille renoncer à rechercher la diversification de notre bouquet énergétique, bien au contraire.
Il est donc indispensable de poursuivre la recherche pour développer les énergies du futur, notamment les énergies renouvelables. Je confirme, à cet égard, la position et l'engagement qui sont les miens. Nous devons développer ce type d'énergie, mais en toute clarté - si l'on peut utiliser ce terme à propos de l'énergie solaire !
Les énergies renouvelables doivent apporter un complément indispensable, mais elles ne sont pas suffisantes, quoi que l'on dise, pour satisfaire nos besoins énergétiques... sauf, bien entendu, à changer radicalement nos modes de vie.
Le bouquet énergétique est ouvert. Il n'est exclusif d'aucune contribution à son bon équilibre. Nous devons y veiller.
Les objectifs et les orientations contenus dans le texte qui nous est soumis répondent pleinement à ces remarques. Nous ne pouvons que les approuver et les conforter.
Les objectifs sont clairs : pourvoir à la sécurité de nos approvisionnements ; préserver l'environnement ; assurer l'accès de tous à l'énergie, et à un prix compétitif.
Pour les atteindre, nous devons réaffirmer notre volonté de maîtriser la demande, de diversifier notre bouquet énergétique, d'assurer le transport et le stockage de manière efficace et suffisante et, enfin, de développer la recherche.
Le texte que vous nous proposez devrait nous donner les moyens d'atteindre ces buts et il s'agit, effectivement, d'une loi d'orientation.
Je souligne, après nos collègues, les dispositions nouvelles, ou confirmées, de ce texte, qui précisent bien la volonté du Gouvernement : certificats d'énergie, meilleure information des consommateurs, relance d'une politique volontariste d'économies d'énergie dans les bâtiments et les transports, promotion des énergies renouvelables.
J'adhère complètement aux propositions de notre rapporteur, Henri Revol, qui vont également dans le bon sens. Je le complimente pour son excellent rapport, qu'il a établi dans des conditions particulièrement difficiles.
J'apprécie, en particulier, qu'il ait pris soin que le texte de ce projet de loi contienne des articles posant des principes et des articles normatifs, les objectifs, souhaits et autres éléments déclaratifs relevant explicitement de l'annexe. Cette présentation me paraît, en effet, beaucoup plus lisible et pertinente. Je présenterai, cependant, quelques amendements tendant à améliorer ce texte.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous apporterons notre soutien aux dispositions contenues dans ce projet de loi d'orientation, qui définit l'avenir à moyen terme du secteur énergétique français, garant du développement maîtrisé de notre pays, au profit de l'ensemble de nos concitoyens et de nos entreprises.
Cela nécessite naturellement un réaménagement de nos grandes entreprises publiques, en confortant leur compétitivité, qui assurent la présence de la France dans le monde.
Nous vous faisons toute confiance, monsieur le ministre, quant à la gestion de ce dossier difficile, dont nous aurons prochainement l'occasion de débattre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est dans l'urgence, décidée par le Gouvernement, que notre assemblée va donc devoir débattre des orientations françaises en matière énergétique.
Je ne peux que regretter la précipitation avec laquelle nous sommes obligés d'étudier ce texte, au demeurant très technique, dont les implications sont sans doute plus importantes pour l'avenir de notre pays que celles de simples « orientations ». Encore faudrait-il que des choix budgétaires soient rapidement décidés pour concrétiser les dispositions qui seront votées par le Parlement.
A défaut d'avoir gagné la confiance des principaux secteurs énergétiques concernés - je pense tout particulièrement aux agents des services publics de l'électricité et du gaz, auxquels je veux rendre hommage en cette période cruciale -, le Gouvernement lance donc le débat que nous attendions depuis longtemps, mais sans lui donner ni la place ni le temps qu'il mérite.
Sur un tel dossier, d'ailleurs, seule la formule de la loi de programmation associant la définition des orientations stratégiques à des arbitrages budgétaires permettrait à la France de combler le retard qu'elle est en train de prendre sur ses voisins européens.
A vrai dire, ce non-choix est l'aveu d'une vraie politique : la sujétion de la nation au « tout nucléaire » et le suivisme par rapport aux facilités qu'apporte le pétrole dans la vie de tous les jours,... mais à quel prix !
Or une réflexion collective s'impose. Elle serait l'occasion d'élaborer une politique énergétique cohérente et de proposer des choix pour l'avenir suivant deux impératifs : d'une part, favoriser le développement d'un système énergétique français autonome et économe prenant toute sa place dans une politique européenne volontariste ; d'autre part, encourager la mise en oeuvre de technologies respectant l'environnement et assurant une haute qualité des équipements.
C'est dire la tâche à accomplir et, depuis trente ans, la France n'a cessé de s'engager sur les deux mêmes voies sans débat public, adoptant des modes de production certes efficaces et relativement rentables, mais trop souvent polluants et potentiellement dangereux pour la santé publique.
Je tiens, sur ce point, à bien préciser qu'en disant cela je n'oublie pas le magnifique travail réalisé par les grandes entreprises publiques EDF-GDF et AREVA, entre autres. Nous leur devons l'indépendance énergétique et le rayonnement de l'industrie nationale. Pour autant, aujourd'hui, le moment est venu d'explorer, en plus et non pas en moins, une troisième voie qui, peu à peu, se substituerait aux choix des trente ans qui précèdent.
Nous connaissons aujourd'hui les dégâts occasionnés par les émissions de CO2 dans l'atmosphère et l'évolution préoccupante du climat. Comment refuser de faire une place significative à des modes énergétiques de substitution tels que le solaire, l'éolien ou les biocarburants ? Comment se refuser à explorer toutes les voies de la géothermie, par exemple ?
Cela signifie qu'il faudrait non pas se désengager tout de suite du nucléaire ou renoncer au pétrole, évidemment, mais bien diversifier le bouquet énergétique selon les besoins locaux et nationaux.
Seule une politique énergétique dans laquelle l'Etat, les collectivités territoriales et les associations seraient étroitement associés pourrait aboutir enfin à l'élaboration de nouveaux modes diversifiés non seulement d'exploitation et de production de nos ressources mais aussi de gestion de l'énergie qui en découle.
Or que constatons-nous ? Exactement le contraire ! Le niveau d'utilisation actuelle du solaire thermique dans notre pays est quasi inexistant, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins Allemands, et ce n'est pas, bien sûr, une question de climat.
Les biocarburants restent très largement sous-utilisés, eux aussi, malgré la demande des agriculteurs. Le secteur de l'éolien est à l'état embryonnaire, et le cadre juridique dans lequel les collectivités pourraient l'exploiter demeure très insatisfaisant. Je défendrai avec mes collègues un amendement à ce sujet.
Les dispositifs de subvention à la construction et à la rénovation sont notoirement insuffisants dans le secteur du bâtiment. Par exemple, comment renoncer à une politique nationale et décentralisée qui, outre le gain en économies d'énergie, contribuerait fortement à faire reculer le chômage ?
De ce point de vue, je déplore que ce projet de loi n'aborde pas la question des gisements d'emplois que constitue la recherche des nouvelles technologies liées aux énergies renouvelables.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Gérard Delfau. En 2010, selon certaines études, près de 800 000 emplois dans l'Union européenne pourraient être directement ou indirectement liés au développement de ce type d'énergie.
M. Roland Courteau. Exact !
M. Gérard Delfau. Qu'en sera-t-il en France ? Et comment expliquer, dès lors, que, depuis 2002, les crédits consacrés à la recherche en loi de finances soient en diminution constante ? Surtout, comment expliquer la baisse constante - et gravissime - du budget de l'ADEME, ...
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Odette Terrade. C'est vrai !
M. Gérard Delfau. ...alors que, dans le même temps, le Gouvernement nous propose le texte dont nous débattons ?
Bref, observons le retard que nous avons pris ; assumons tous ensemble ces choix un peu trop linéaires qui ont été faits et donnons-nous les moyens d'aller plus loin en réorientant les choix, y compris en matière agricole. Comment ne pas écouter, par exemple, la voix de certains syndicalistes agricoles qui nous demandent de renoncer au productivisme et au gaspillage d'énergie qu'il génère ?
Voilà, mes chers collègues, un certain nombre de convictions que je partage avec sans doute de nombreux parlementaires.
Pour atteindre cet objectif à des coûts raisonnables, il faut mobiliser la recherche, les initiatives décentralisées, associer chacun de nos compatriotes et chacune de nos entreprises et mener une politique volontariste, notamment en faveur des transports en commun, sujet déterminant que je n'ai malheureusement pas le temps de traiter.
Autant dire que ce projet de loi est en deçà de nos attentes. A la fois trop timide et trop imprécis, il a surtout le défaut grave de ne pas déboucher sur des choix budgétaires. D'où notre scepticisme.
Reste, monsieur le ministre, le terrible non-dit : le projet de loi de privatisation d'EDF et de GDF est renvoyé à un autre texte ! Rien ne saurait justifier ce tour de passe-passe. Comment, dans ces conditions, envisager de voter un ensemble de dispositifs législatifs qui tiennent plus des bonnes intentions que d'une loi cadre ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je voudrais remercier le rapporteur, M. Revol, de la densité et de la lisibilité de son travail.
M. Jacques Valade. Très bien !
M. Jacques Blanc. Bravo !
Mme Marie-Christine Blandin. C'est un outil précieux pour tous, quelles que soient nos opinions.
Cependant, je ne partage pas son avis sur le débat public, où il fut refusé de faire de la maîtrise de la demande une priorité et où l'un des sages rapporteurs se permit le luxe d'écrire que, puisque les éoliennes ne tournaient pas quand il n'y avait pas de vent et puisque cela obligeait, alors, à avoir recours à de l'énergie d'origine thermique, on ne pouvait donc plus considérer l'éolien comme une énergie propre n'ayant pas de conséquences sur l'effet de serre.
Je ne partage pas non plus, monsieur Revol, le jugement hostile que vous portez sur les « groupuscules qui vilipendent », anathème qui est en rupture avec votre volonté déclarée d'un dialogue constructif. Certes, la minorité n'est pas gage de raison, mais la majorité écrasante d'une opinion non plus : souvenez-vous de Galilée !
Mme Marie-Christine Blandin. Mais, n'ayant pas cette prétention, je ne vous donnerai ici qu'une parole verte !
La loi sur l'énergie est indispensable. Les ressources fossiles s'épuisent ; leur combustion accroît l'effet de serre, dont certains, qui se moquaient hier, semblent avoir aujourd'hui admis la réalité ; les pollutions encrassent nos villes et nos poumons.
Nous avons donc besoin de stratégie, de choix partagés, de hiérarchisation des contraintes et, bien sûr, de démocratie, cette démocratie qui ne saurait aujourd'hui se concevoir sans vision européenne ou sans vision planétaire. Rappelons ici qu'un Africain consomme quinze fois moins d'énergie qu'un Américain, et sept fois moins qu'un Français !
Pourtant, l'énergie est déterminante pour les civilisations. Ainsi, l'utilisation hier du feu pour se chauffer, s'éclairer, se défendre, passer du cru au cuit, mettre au four les poteries ou forger les métaux, puis la machine à vapeur, la lampe à incandescence ont bouleversé la vie de nos ancêtres. C'est vous dire, avec l'actualisation des pénuries comme des nuisances, combien cette loi doit anticiper la profonde crise planétaire qui se profile.
Hélas ! les quelques voeux pieux sur les économies ou les énergies renouvelables ne sont pas chiffrés.
Hélas ! le secteur des transports, complètement dépendant des énergies fossiles et responsable d'une part significative des pollutions et de l'effet de serre, n'est pas abordé.
Hélas ! en matière de production d'électricité, vous nous demandez, monsieur le ministre, de choisir entre la peste et le choléra (M. le ministre délégué s'étonne) : la peste du nucléaire, avec son coût, son opacité, son secret défense, ses déchets dont on ne sait que faire et ses risques,...
M. Gérard César. Heureusement que nous l'avons, le nucléaire !
Mme Marie-Christine Blandin. ... et le choléra de l'effet de serre, avec ses effets climatiques, ses atteintes aux rivages, ses tempêtes, ses canicules, ses morts, ses bouleversements pour la faune et pour la flore, dont nous dépendons.
Plutôt que nous offrir la peste sans nous éviter le choléra, puisque vous ne vous occupez pas des transports, il eût fallu choisir la santé et la sécurité. Avec 3 milliards d'euros, il y avait de quoi faire une vraie loi qui hiérarchise les choix au bénéfice de l'intérêt général en minimisant au mieux les contraintes : risques, pollutions, désordres climatiques, dépendance.
Accroître l'efficacité de l'utilisation de l'énergie est une priorité. Voilà où la recherche et le progrès technologique sont attendus.
Hélas encore, vous avez, par le passé, donné de mauvais signes forts. C'est entre 1986 et 1988, puis entre 1993 et 1997...
M. Ladislas Poniatowski. Comme par hasard !
Mme Marie-Christine Blandin. ... que les budgets de la maîtrise de l'énergie furent laminés. Les chiffres sont têtus, chers collègues !
Récemment encore, l'ADEME a vu ses moyens divisés par deux, alors que le budget de la recherche est vampirisé par le nucléaire : en 2002, cet argent allait pour 62 % au nucléaire, 5 % aux renouvelables, 8 % à l'efficacité énergétique.
Je ne détaillerai pas ici tout le cortège des solutions de bon sens qui sont à portée de main : réglementation thermique, carburants des véhicules, isolation des bâtiments, infrastructures dédiées aux transports collectifs, chasse au gaspillage à confort égal, lutte contre la pollution lumineuse, haute qualité environnementale.
Ajouter à cela une fiscalité intelligente, des normes responsables et une réglementation adéquate aurait charpenté la loi.
Au lieu de cela, j'ai l'impression d'un texte « cheval de Troie » de l'EPR, promu ici comme indispensable. Pourtant, la durée de vie des équipements en place n'imposait pas ce calendrier.
Qui plus est, nous nous obstinons à exporter la production de dix centrales et récoltons consciencieusement leurs déchets. C'est un vrai marché de dupes !
Vous évoquiez il y a quelques instants, monsieur le ministre, la compétitivité du bas prix utile aux activités électro-intensives, donc à l'emploi. Permettez-moi de vous détromper : ma région héberge la plus grande centrale atomique d'Europe, les kilowattheures s'y exportent - à un prix tenu secret - sous la Manche, la fabrication d'aluminium y dévore l'électricité, mais ce n'est pas à Gravelines que se développent les emplois : c'est sur tout le territoire régional, là où se font les activités d'économie d'énergie, d'efficacité et de haute qualité environnementale. Les chiffres sont implacables !
Mais revenons à l'EPR.
Aux Français on dit qu'il s'agit d'un prototype, mais aux Finlandais on dit que c'est un outil parfaitement opérationnel. J'ose d'ailleurs espérer que l'on n'utilisera pas l'artifice des garanties à l'exportation pour nous faire payer le juste prix de ce qu'AREVA a vendu...
Aux contribuables on ne parle pas des coûts de maintenance, de démantèlement, de gestion des déchets ni du plafonnement de la provision pour risque.
Aux amoureux du paysage on ne dit pas combien cette production centralisée multiplie les lignes à très haute tension ; on préfère agiter le spectre des éoliennes.
Aux pauvres on n'explique pas comment EDF promeut l'investissement en chauffage électrique, peu coûteux pour les propriétaires et si cher pour les locataires, qui paient les factures.
Aux intérimaires et aux cheminots on n'a pas toujours dit qu'ils manipulaient des matières actives.
M. Henri Revol, rapporteur. Oh !
Mme Marie-Christine Blandin. Non, l'EPR ne sera pas conforme à sa mission de service public : fournir de l'électricité de manière continue et égalitaire, au juste prix, après un vrai débat démocratique sur les choix énergétiques.
Trop centralisé, l' EPR est également peu adaptable : dès qu'il fait chaud, dès que l'eau se fait rare, il est en difficulté. Coûteux et entouré de mesures liberticides, cible dans les moments de tension, l'EPR gèle toutes les autres pistes, nous privant de diversification sérieuse : c'est une erreur de stratégie.
Alors, notre autisme nationaliste pourrait se conforter : d'accord, ce n'est pas du développement durable ; d'accord, la production d'uranium ne répond pas au principe de précaution - un principe qui est bon pour la communication - mais, au moins, cela se vend !
Eh bien, ce n'est pas si sûr, car 1 600 mégawatts ne sont compatibles qu'avec des pays dont les réseaux de transport sont très développés, et 3 milliards d'euros sont hors de portée de nombreux acheteurs. Et il est tellement confortable, pour les autres, de laisser la France payer, faire la sale besogne et de s'enliser dans son retard aggravé à trouver les vraies solutions d'indépendance et d'efficience énergétique !
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, c'est grâce à l'adoption de différents amendements que ce projet de loi pourra être amélioré. En attendant, il n'est pas à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation sur l'énergie, dont nous abordons la discussion, est la traduction législative de la réflexion sur l'avenir de notre politique énergétique qui a été menée, sur l'initiative du Gouvernement, depuis un an et demi.
Fut d'abord organisé par Nicole Fontaine le débat national sur les énergies, au premier semestre de 2003, auquel Jean Besson, alors parlementaire en mission, a apporté une contribution décisive ; puis parut le Livre blanc, à la fin de l'année 2003 ; s'engagea alors la concertation autour des propositions contenues dans le Livre blanc ; et fut enfin prononcée, le 27 avril dernier, au Sénat, la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat
Nous disposons donc de nombreuses informations et analyses qui nous permettent aujourd'hui d'apprécier précisément les enjeux de ce texte et de les mettre plus aisément en perspective.
Trois aspects, qui sont parfaitement traduits dans le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, me semblent devoir être soulignés.
Premièrement, notre politique énergétique doit être appréhendée sur les trente années à venir.
Pendant cette période, nous devrons faire face, d'une part, à la croissance continue de la demande mondiale en énergie et, d'autre part, à l'épuisement de certaines ressources, notamment les gisements d'hydrocarbures.
Parallèlement, à l'échelon national, pendant cette période, nos centrales les plus anciennes arriveront en fin de vie, vers 2020 environ, et nous devons poser dès maintenant la question du renouvellement de ce parc.
Il nous faut donc trouver les moyens de résoudre ces difficiles équations, en jouant tant sur l'offre que sur la demande.
Deuxièmement, nous devons conforter un des principes qui a toujours été l'un des fondements de notre politique énergétique : assurer l'indépendance énergétique de la France.
Troisièmement, il est nécessaire de tenir compte de nouveaux impératifs environnementaux. Nous avons d'ailleurs des obligations internationales en la matière, auxquelles nous ne pouvons surseoir. Je pense, en particulier, au protocole de Kyoto et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu'aux directives européennes qui visent à augmenter notre consommation d'électricité produite à partir d'énergies renouvelables.
Une stratégie de long terme spécifique, définie et mise en oeuvre par l'Etat, est donc pleinement justifiée. Le présent projet de loi en est la déclinaison législative.
Je ne me livrerai pas à un commentaire détaillé du texte, mais je me permettrai simplement d'insister sur trois points.
D'abord, comme vous le proposez, monsieur le ministre, il faut renouer avec une politique volontariste d'économies d'énergie. Les certificats d'énergie en sont un moyen ; l'amélioration de l'efficacité énergétique, dans les bâtiments, par exemple, en est un autre.
Notre politique en matière de transport doit également apporter sa contribution.
Par ailleurs, il faut mener des campagnes d'information fortes auprès de nos concitoyens pour que chacun, au quotidien, soit responsabilisé et apprenne à développer des comportements, individuels et collectifs, économes en énergie.
Ensuite, la voie du nucléaire doit être poursuivie.
Environ 80 % de notre électricité est désormais d'origine nucléaire. Nous ne pouvons rompre avec ce mode de production, sauf à développer des centrales à fioul ou des turbines à gaz, ce qui ne nous permettrait pas de répondre aux exigences du protocole de Kyoto.
Je tiens à rappeler que, grâce au nucléaire, notre niveau d'émission de gaz à effet de serre est deux fois moindre que celui de la moyenne des pays de l'OCDE.
Le choix du nucléaire doit donc être poursuivi sans occulter deux questions, dont le Parlement devrait débattre prochainement : celle des déchets et celle de la sécurité des installations.
Dans cette perspective, le calendrier auquel nous devons faire face est très serré.
Comme je l'ai dit précédemment, nos centrales arriveront en fin de vie vers 2020. Nous devons donc, dès aujourd'hui, préparer les technologies alternatives à leur remplacement pour nous laisser le choix le moment venu.
Avec l'EPR, nous tenons ces délais, car il faudra quatre ou cinq ans pour l'expérimenter et une dizaine d'années pour renouveler le parc.
A plus long terme, le programme ITER doit pouvoir être développé et nous saluons, monsieur le ministre, la détermination avec laquelle le Gouvernement défend sur la scène internationale son implantation en France.
Enfin, j'évoquerai les énergies renouvelables.
La directive européenne du 27 septembre 2001 nous engage à porter, d'ici à 2010, la part des énergies renouvelables à 21 % de notre consommation d'électricité, soit un doublement.
Les dispositions contenues dans le projet de loi sont intéressantes ; nous devons encourager ce type d'énergie tout à fait complémentaire des autres sources que sont le pétrole, le gaz et le nucléaire.
A ce titre, nous devons veiller à déployer toute la palette des énergies renouvelables : l'éolien, certes, mais aussi le solaire et la biomasse.
Avant de conclure, monsieur le ministre, permettez-moi d'anticiper sur nos futurs débats en évoquant un sujet cher à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, ce qui me donne l'occasion de saluer l'excellent travail réalisé pendant près de quinze ans par mon prédécesseur à la tête de cette fédération, notre ancien collègue Josy Moinet.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Xavier Pintat. Je voudrais, en effet, souligner que l'ouverture prochaine des marchés de l'électricité et du gaz doit se faire sans porter préjudice à la qualité de l'énergie proposée à nos concitoyens.
A cet égard, nous proposerons tout à l'heure quelques amendements en ce sens. Nous devons en effet être particulièrement vigilants sur ce point, monsieur le ministre.
En dépit des efforts considérables entrepris depuis de nombreuses années par les autorités concédantes de la distribution d'électricité - communes et, plus souvent, syndicats de communes -, le taux d'enfouissement demeure en France, avec seulement un tiers du linéaire en basse tension, très en deçà de celui de notre voisin allemand, qui dépasse les trois quarts de la longueur totale.
Il en résulte que le temps de coupure subi par un abonné français atteint encore, actuellement, près d'une heure par an, soit trois fois celui d'un abonné allemand, sans parler de la plus grande vulnérabilité de nos réseaux dans le cas d'intempéries exceptionnelles. Souvenons-nous que, pendant les deux tempêtes de 1999 et de 2000, trois millions et demi d'abonnés ont été victimes de longues coupures d'électricité !
Il y va donc en réalité de la sécurité d'approvisionnement à l'échelon local. D'importants progrès peuvent être réalisés dans ce domaine.
Nous pouvons non seulement retenir des objectifs de qualité ambitieux, mais également donner à nos collectivités de réels moyens de contrôler et de stimuler, en prévoyant des pénalités financières le cas échéant, les gestionnaires de réseaux dans la recherche d'un niveau élevé de qualité, aujourd'hui indispensable à de très nombreuses activités économiques.
Pour conclure, je veux dire, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le présent projet de loi, enrichi par les propositions de notre rapporteur, Henri Revol, dont il faut saluer le travail considérable...
M. Jacques Valade. Très bien !
M. Xavier Pintat. ... ainsi que la grande écoute, me semble être la base adéquate pour doter notre pays d'une politique énergétique à moyen terme.
Celle-ci contribuera à assurer un bouquet énergétique diversifié ; elle servira de cadre général à l'évolution des marchés électriques et gaziers et permettra à nos entreprises de continuer de se développer au niveau tant national qu'européen et mondial. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec impatience que nous attendions la présentation d'un projet de loi d'orientation sur l'énergie afin de définir la politique du pays en la matière pour les prochaines décennies.
Avec impatience, dis-je, car nous n'y croyions plus : celui-ci avait été prévu par l'adoption d'un amendement de notre collègue député Christian Bataille, rapporteur du projet de loi adopté le 10 février 2000 et relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Je ne suis pas certain que notre collègue Jacques Valade ait rappelé cet événement avec suffisamment d'élégance !
M. Jacques Valade. Je connais parfaitement les travaux de M. Bataille !
M. Daniel Raoul. Monsieur le ministre, les Français ont failli attendre... et peut-être auraient-ils préféré attendre encore, compte tenu des évolutions récentes du prix du baril de pétrole et des problèmes d'indépendance énergétique qui y sont liés.
En effet, en lieu et place d'un texte ambitieux fixant les orientations de la politique énergétique du pays pour les prochaines décennies, on nous soumet un projet de loi dont le contenu est purement déclaratif. Il prévoit, certes, des objectifs, mais il ne définit ni les moyens ni les contrôles permettant de les atteindre.
En résumé, il s'agit d'un texte sans crédibilité, même si des efforts ont été consentis par notre rapporteur, ses collaborateurs et les membres de la commission.
M. Pierre Hérisson. Il a rédigé un très bon rapport !
M. Daniel Raoul. Enfin, plutôt que d'employer une méthode permettant de débattre sereinement d'un texte qui devrait avoir vocation à engager le pays pour l'avenir, nous allons l'examiner au pas de charge, même si M. le ministre vient de confirmer qu'une deuxième lecture aura lieu.
Mais le rythme qui nous est imposé procède, on le peut le deviner, d'une tactique qui est liée à un autre projet de loi.
M. Daniel Raoul. Mais venons-en à l'examen du contenu du présent projet de loi.
Compte tenu des capacités de production existantes et des échéances prévues d'ici à 2020 ou 2030, selon les experts, pour le renouvellement du parc nucléaire, comme vient de le rappeler notre collègue Xavier Pintat, je vous demande, monsieur le ministre, s'il y a véritablement urgence à lancer le pays tête baissée dans un projet franco-français de réacteur à eau pressurisée, l'EPR, qui ne correspond pas, en l'état actuel du parc nucléaire, à un besoin impérieux. Ne serait-il pas plus pertinent d'étudier, le cas échéant - et après un débat serein -, l'éventualité et la faisabilité d'un partenariat européen en la matière, comme nous avons pu le faire s'agissant de l'espace ou de l'aéronautique, domaines où nous n'aurions pas pu agir seuls ?
M. Ladislas Poniatowski. L'EPR, on le fait avec Siemens !
M. Daniel Raoul. L'enjeu est au moins au même niveau, car il s'agit d'un sujet aux problématiques multiples et complexes, qui pose également des questions importantes en termes de traitement des déchets.
Enfin, il est vraiment nécessaire d'orienter le peu de crédits disponibles et de faire porter l'effort sur le développement du réacteur nucléaire de génération IV, peut-être sur celui de l'ITER, et sur celui du cycle de combustible associé.
Dans le contexte économique et budgétaire actuel, est-il raisonnable - et en avons-nous les moyens - de mener seuls tout à la fois les recherches sur le prototype de l'EPR, sur la quatrième génération et sur le programme ITER ?
Ce matin même, on a annoncé la mise en service de l'EPR en Finlande en 2009, avec Areva. Est-il, dans ces conditions, intéressant de mettre en place un réacteur tête de file franco-français, alors que l'enjeu est au moins européen ?
Alors que nous sommes à quelques jours des élections européennes, quelle politique de l'énergie prévoit-on pour l'Europe ? C'est une question à laquelle il aurait peut-être fallu répondre avant que la France ne définisse seule ces orientations.
Ce projet de loi renforce le rôle du nucléaire, que j'estime, pour ma part, nécessaire compte tenu des émissions de gaz à effet de serre, mais les énergies renouvelables deviennent une priorité seconde, monsieur le ministre, alors que vous auriez pu définir des objectifs réalisables.
Malgré quelques dispositions que je qualifierai de « dispositions gadgets », le projet de loi reste très timoré par rapport au principal gisement que constituent les économies d'énergie. Il est pourtant primordial de porter l'effort à ce niveau, car les marges de manoeuvre y sont considérables, et peuvent atteindre 20 %. Tous, il est vrai, avons levé le pied depuis la première guerre du Golfe, et notre vigilance a considérablement diminué.
Concernant la mise en place d'un système de certificats d'économies d'énergie censés accroître l'investissement des acteurs économiques dans ce domaine, nous ne pouvons être qu'en accord avec ces louables intentions.
Pour autant, c'est un voeu pieux car, une fois encore, il s'agit d'un mécanisme relativement complexe à mettre en oeuvre, qui nécessiterait de nombreux contrôles dont ni la nature ni les moyens ne sont présentés dans le projet de loi. Si vous me permettez ce mauvais jeu de mots, ce procédé me fait penser à une véritable usine à gaz qui peut conduire à un marché immoral d'échanges. En effet, vous le savez, mes chers collègues, le diable est souvent dans les détails !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Daniel Raoul. De la même manière, il semble nécessaire de mettre en valeur les gisements hydroélectriques encore inexploités, concernant, notamment, la petite hydraulique, qui est d'une puissance relativement faible et qui conserve, dans notre pays, un fort potentiel de croissance.
Ce mode de production d'électricité permet d'assurer une gestion des réserves d'eau en cas de canicule et de sécheresse.
Notre inquiétude est grande que le projet de loi sur l'eau ne crée, dans ce domaine, des contraintes supplémentaires qui restreindraient ce domaine d'exploitation.
Enfin, en ce qui concerne les biocarburants, un bilan global prenant en compte l'environnement, autrement dit le traitement des surfaces agricoles, le rendement et la longévité des moteurs, ainsi que l'augmentation de l'émission des gaz à effet de serre devrait, me semble-t-il, être effectué avant de les utiliser davantage.
Quid, enfin, de la pile à combustible dans ce projet de loi ? Où trouve-t-on les moyens de recherche et développement pour cette filière ? Quelles incitations envisageons-nous pour développer cette dernière dans les transports en commun?
Comment, enfin, ne pas être déconcertés par la quasi-absence de mesures concernant les transports, déjà précédée par le désengagement de l'Etat du financement des transports urbains collectifs ?
M. Robert Bret. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Les consommations de ce secteur sont pourtant celles qui augmentent le plus rapidement et, sur le total des émissions de gaz carbonique, 40 % sont directement imputables aux transports, en augmentation de 53 %.
Il est urgent de faire des choix politiques permettant la promotion de l'intermodalité, tant pour les voyageurs que pour le fret.
Les carences du projet de loi en la matière semblent contradictoires avec l'objectif affiché par le Premier ministre - et que nous partageons tous - de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050.
A la lecture du texte qui nous est soumis, je regrette vivement que le Gouvernement n'ait pas pris réellement la mesure de l'enjeu, qui est stratégique, peut-être même géopolitique, pour s'en tenir à des voeux pieux. Or nul n'ignore que l'enfer est pavé de bonnes intentions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons un véritable texte d'orientation qui doit nous permettre de fixer, pour les trente années à venir, les grands axes de notre politique énergétique.
Je ne reviendrai pas sur la préparation de ce texte ; la concertation fut large, de façon que nous puissions effectuer nos choix en toute connaissance de cause : grâce à cette méthode consensuelle, chacun a pu faire part de ses analyses.
Nous passons aujourd'hui à sa traduction législative, comme vient de le rappeler notre collègue M. Xavier Pintat.
Le projet de loi initial, composé de treize articles, a été substantiellement enrichi par les travaux de nos collègues de l'Assemblée nationale ; il le sera encore par les propositions de notre rapporteur, M. Henri Revol, auquel nous apporterons notre total soutien.
Ainsi, ce texte vise à concilier impératifs environnementaux et impératifs économiques, à intégrer pleinement notre stratégie énergétique dans un contexte désormais européen, mondial même, et à garantir la sécurité de nos approvisionnements ; il vise, enfin, à tenir pleinement compte du fait que l'énergie est un bien de première nécessité qui doit être accessible à tous.
Les principales dispositions de ce texte ont pour objet, tout d'abord, de maîtriser la demande, notamment grâce aux certificats d'énergie - il s'agit là d'une véritable innovation - et à la relance d'une politique ferme de maîtrise de l'énergie. A ce titre, nous devons être particulièrement stricts et inventifs dans le secteur des transports et du bâtiment.
Elles tendent, ensuite, à mieux informer nos concitoyens pour que nos comportements, au quotidien, soient économes d'énergie.
Enfin, elles visent à diversifier notre bouquet énergétique afin que nous réduisions notre dépendance et respections nos engagements en matière de protection de l'environnement, ce qui suppose, bien entendu, que nous développions les énergies renouvelables.
Je souhaite insister sur l'importance du choix du nucléaire que fit notre pays voilà plus de quarante ans.
Ce fut, à l'époque, une décision courageuse et visionnaire dont nous récoltons les fruits : le nucléaire, étant un faible émetteur de gaz à effet de serre, nous permet d'être plus indépendants et de participer à la préservation de l'environnement.
Je tiens également, à l'occasion de ce débat, à évoquer un point important : le réacteur EPR.
En effet, nous devons très rapidement affirmer sans état d'âme notre volonté de développer cette technologie nouvelle, et ce pour de multiples raisons.
J'en citerai trois.
La première, qui est sans doute la plus importante, est qu'il nous faut assurer l'indépendance énergétique de la France.
Rappelons-nous ! C'est le général de Gaulle qui, luttant contre l'adversité, décida d'engager notre pays dans la voie du nucléaire : les arguments tendant à démontrer qu'elle était dangereuse fusaient de toutes parts. Or, un demi-siècle plus tard, la réalité lui donne raison et, avec le recul, nous pouvons juger à quel point ce choix fut capital et bénéfique pour la France.
Monsieur le ministre, ayons le courage d'assumer ce choix ! Il en va de l'avenir politique, économique et social, mais aussi de l'avenir écologique de la France.
En effet, ce sont les rejets de gaz carbonique plus que le nucléaire qui font courir les dangers les plus grands à notre pays comme à toute la planète.
Nos techniques sont aujourd'hui sûres, éprouvées et reconnues partout dans le monde. Nous devons, bien évidemment, continuer à faire de la sécurité la première de nos préoccupations car, dans ce domaine, il ne faut pas transiger.
Nous devons donc continuer dans la voie tracée par le général de Gaulle, et assurer autant que faire se peut notre indépendance sur le plan énergétique : telle est la condition première de notre indépendance politique et de notre rayonnement international.
La deuxième raison tient à ce qu'il nous faut assurer notre développement économique et social.
La Finlande vient d'adopter l'EPR, reconnaissant ainsi notre savoir-faire.
En effet, nos équipes de chercheurs et nos ingénieurs ont déjà beaucoup travaillé et investi dans ce programme de recherche, qui devrait permettre de produire une énergie plus propre - donc avec moins de déchets - et plus sûre.
Le meilleur moyen de prouver l'excellence de cette technologie n'est-il pas de la développer chez nous ? Ne faisons pas la même erreur que celle que nous avons commise par le passé, en proposant le Rafale à nos partenaires étrangers sans en avoir doté notre armée !
De plus, si nous décidons aujourd'hui de mettre en place l'EPR, nous respectons l'échéance de 2020, qui est celle du renouvellement de notre parc nucléaire, renouvellement dont les modalités restent libres.
La troisième raison est que le choix de l'EPR conditionne un choix tout aussi important, celui de l'ITER, comme vient de le rappeler M. Valade.
Nous devons donc, monsieur le ministre, choisir avec le plus grand soin le site d'implantation du réacteur EPR. Ainsi, la région Rhône-Alpes me paraît la mieux adaptée pour l'accueillir. (Sourires.)
M. Jean-Claude Carle. Tel est, en effet, l'avis de la grande majorité des acteurs politiques, économiques et sociaux : tous les parlementaires du groupe de l'UMP approuvent le choix de cette région, mais cet accord dépasse largement ce seul groupe. Ainsi, voilà quelques mois, le conseil régional a, sur ma proposition, adopté un voeu dans ce sens...
M. Jean-Claude Carle. ... et je suis convaincu, monsieur le ministre, que l'exécutif actuel ne remettra pas en cause ce vote.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ce n'est pas ce que disent leurs amis ! (M. le ministre délégué désigne les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Carle. Je fais confiance au nouvel exécutif...
M. Jacques Blanc. Quelle erreur !
M. Jean-Claude Carle. ... pour confirmer ce vote.
Le Conseil économique et social s'est déclaré, lui aussi, favorable à ce choix, de même que de nombreux élus locaux et partenaires sociaux.
Par ailleurs, le potentiel de recherche de la région n'est, en la matière, plus à démontrer - je me bornerai à évoquer le CEA, le centre d'études nucléaires de Grenoble, les universités - non plus que son savoir-faire, avec les centrales du Bugey et la vallée du Rhône, ou la compétence incontestable de son réseau d'entreprises, de sous-traitants et de fournisseurs.
Enfin et surtout, l'implantation dans ce secteur du réacteur EPR renforcerait considérablement les chances de la France, face au Japon, d'accueillir l'ITER à Cadarache.
Monsieur le ministre, je me permets par avance de vous remercier de faire « le bon choix », celui de Rhône-Alpes, et, d'une manière plus large, celui du grand sud-est de la France, cher au président Jean-Claude Gaudin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est indispensable pour que nous puissions fixer des choix en toute clarté et définir, à l'intention de nos concitoyens, une véritable politique de l'énergie : nécessité de fournir, et ce de façon pérenne, de l'énergie, choix de ladite énergie, que ce soit le nucléaire ou l'énergie fossile, mise en oeuvre et poursuite de la recherche et du développement en ce qui concerne les énergies renouvelables en attendant que, dans les décennies futures, de nouvelles technologies nous permettent de produire notre énergie électrique et de répondre aux besoins énergétiques de notre pays, qu'ils soient domestiques ou industriels ou qu'ils relèvent de l'intérêt général, avec notamment l'organisation territoriale des transports, tant urbains que sur longue distance, tant aériens que ferroviaires.
Nous avons des choix à faire, par rapport, notamment, à l'énergie fossile. En effet, en 1973, au moment du premier choc pétrolier, on nous avait prédit l'épuisement des gisements d'énergies fossiles, en particulier de pétrole, avant une trentaine d'années. Or la réalité fut bien différente... Au demeurant, s'il ne restait que deux gouttes de pétrole sur notre planète, elles seraient sans doute destinées aux avions, puisque, l'or noir étant à l'heure actuelle le combustible le plus compact, il permet le transport aérien dans les conditions que nous connaissons.
Monsieur le ministre, je m'exprimerai en tant que représentant des collectivités locales. Etant à la fois vice-président de l'Association des maires de France mais aussi maire depuis quelques décennies, je m'inquiète des conséquences que pourrait avoir ce projet de loi d'orientation sur le code de l'urbanisme, en matière de lutte contre la pollution, mais aussi sur la production et l'utilisation de l'énergie dans notre pays.
Montesquieu a un jour écrit : « Je ne demande rien à l'Etat, ni pension, ni rente, ni prébende ; je demande seulement que l'air que je respire, il me le laisse propre. »
Partant de cette considération et pour en revenir aux collectivités locales, je rappelle que la France comprend 36 700 communes, que 32 000 d'entre elles comptent moins de 2 000 habitants, et que si 80 % du territoire sont occupés par 20 % de la population, à l'inverse, 20 % le sont par 80 % de nos concitoyens. C'est donc là que se situent l'essentiel des besoins en énergie : électricité, gaz ou pétrole, tout ce qui permet de faire fonctionner les transports en commun, les automobiles, le chauffage, la climatisation, le refroidissement, et tous les appareils nécessaires à notre consommation domestique ou industrielle.
Je m'attarderai sur deux points.
Tout d'abord, au moment où il est question du principe de précaution, il importe, selon moi, de ne pas imposer aux élus locaux, plus particulièrement aux maires, d'accorder ou non l'autorisation de construire des éoliennes, même si cette mesure, telle qu'elle a été adoptée à l'Assemblée nationale, est intéressante : il conviendrait, selon moi, puisque nous n'en sommes qu'à la première lecture de ce texte, que les associations d'élus se prononcent et fassent part de leurs attentes, de leurs désirs sur ce sujet.
Je vous rappelle qu'une réglementation sur les pylônes existe : il faut essayer de ne pas trop s'en écarter.
Je ne prétends pas que l'autorisation délivrée par l'autorité préfectorale, c'est-à-dire par le représentant de l'Etat sur le territoire, soit la solution la plus intéressante, car ce serait une sorte de retour à la centralisation. Je rappelle simplement le droit commun : lorsqu'il n'y a pas de document d'urbanisme communal ou intercommunal, c'est le préfet qui décide.
M. Jean-Claude Carle. Oui !
M. Pierre Hérisson. Je me permets d'insister sur ce point : nous disons « oui » à un régime d'autorisation locale de proximité qui permette un débat, mais à la condition qu'il ne place pas les maires dans une situation où la pression des populations deviendrait insupportable.
M. Pierre Hérisson. En effet, il y aura toujours des citoyens qui sont à la fois pour les énergies renouvelables mais contre l'impact visuel des éoliennes...
Je n'entrerai pas plus avant dans les divergences et les avis contradictoires que nous pouvons rencontrer sur le sujet. Quoi qu'il en soit, en matière d'urbanisme, il ne faut pas que le maire, une fois de plus, soit pris entre le marteau et l'enclume.
M. Pierre Hérisson. Peut-être, mais il ne faut pas accroître les pressions que subissent aujourd'hui les 36 000 maires de France, qui ont parfois beaucoup de mal à s'occuper de leur majorité opprimée. Je fais ici référence aux pressions de plus en plus fortes qu'exercent des associations qui sont de plus en plus nombreuses. Je souhaitais attirer votre attention sur ce point, monsieur le ministre.
Lorsque nous examinerons les orientations sur l'utilisation et la production de l'énergie, sans doute devrons-nous nous pencher sur l'organisation dans notre pays du stockage de l'énergie fossile, c'est-à-dire du fioul, car nos installations sont souvent incontrôlées et vieillissantes. A certains endroits même, des pollutions par hydrocarbures surviennent. Cette situation exige que soit trouvée une organisation qui rende possible la nécessaire modernisation des installations individuelles sur l'ensemble de notre territoire.
Sur ce sujet, il est nécessaire de faire évoluer, par le soutien financier et les propositions que pourront apporter les collectivités territoriales et l'ADEME, tout ce qui touche à la combustion du gaz, du pétrole, à tous les procédés innovants qui permettent de diminuer non seulement la pollution de l'air, mais aussi la consommation des hydrocarbures. Cela constitue un des éléments importants des dispositions que nous devons prendre pour la protection de l'air et de l'eau.
Pour la mise en oeuvre sur le territoire de ces techniques qui utilisent, que ce soit de manière individuelle ou collective, les énergies renouvelables, et plus particulièrement l'énergie éolienne, il nous appartient de prévoir des schémas de référence d'implantation, de la même façon que nous pouvons, dans certains secteurs, mettre en oeuvre des schémas départementaux ou régionaux. Cela permettrait d'éviter, même si cela peut ressembler à du protectionnisme, des investissements hasardeux mais soutenus et aidés - et donc répercutés sur le contribuable -, sans qu'un minimum de garanties soit apporté.
En d'autres termes, il ne faudrait pas que les collectivités locales, sur lesquelles j'ai souhaité centrer mon propos, essuient en quelque sorte les plâtres de décisions qui n'auront pas été suffisamment réfléchies et pour l'application desquelles, surtout, l'expérimentation souhaitable n'aura pas été mise en oeuvre.
Pour conclure, je dis « oui » à certaines initiatives, « oui » au soutien financier pour tout ce qui permet d'innover. Mais, de grâce, conservons le principe d'une expérimentation sur le territoire avant de généraliser quelque système que ce soit et de laisser les élus locaux prendre seuls des décisions alors qu'ils ne disposent pas - en tout cas pas gratuitement - des services et des techniciens compétents et qu'ils risquent toujours d'être impliqués devant les juridictions administratives dès lors qu'ils ont décidé, par arrêté, d'autoriser ou d'interdire tel ou tel projet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ces moments d'interrogation sur nos capacités à gouverner et à prévoir l'avenir, nous apportons aujourd'hui une réponse très ferme.
J'en remercie le Gouvernement, monsieur le ministre. En effet, c'est à un modèle de gouvernance que nous participons aujourd'hui. D'abord a eu lieu un débat public ; ensuite, une discussion au Parlement ; aujourd'hui, une loi d'orientation, avec de vrais choix.
En offrant ces choix, monsieur le ministre, vous opposez un démenti cinglant à ceux qui prétendent que les politiques sont incapables de choisir. Il n'est que de se rappeler la situation dans laquelle était enfermé notre pays : soit l'on n'osait pas parler du nucléaire, soit l'on n'osait plus parler de protection de l'environnement. Vous avez surmonté ces oppositions et proposez aujourd'hui à notre pays une sécurité énergétique qui dépasse le conflit du nucléaire.
Le nucléaire apparaît aujourd'hui - personne ne peut le contester désormais - comme une source d'énergie propre ; il le sera demain encore davantage avec les réacteurs de quatrième génération, avec l'EPR, et plus tard, peut-être, avec ITER.
Enfin, nous sommes sortis de ces faux débats où nous n'osions pas dire que nous étions favorables au nucléaire. Vous le dites, monsieur le ministre, et nous vous soutenons d'autant plus volontiers que vous affirmez parallèlement l'exigence d'une diversification dans les ressources énergétiques : solaire, biomasse...
Permettez-moi d'insister sur un sujet que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer lors du débat organisé au Sénat sur le diester : il me paraît indispensable que soit accordée à la société Sofiproteol une défiscalisation pour un contingent supplémentaire de 80 000 tonnes de diester, afin qu'elle installe à Sète la première grande unité forte de production sur la Méditerranée.
Nous avons déjà eu l'occasion de débattre de ce problème de la défiscalisation, monsieur le ministre : cela coûte un peu, mais vous récupérez par ailleurs ; je vous ai même assuré que vous récupéreriez plus que cela ne vous coûterait ! (M. le ministre délégué marque son scepticisme.)
Peu importe ! Mais ce sujet est d'autant plus essentiel que cela permet, dans des régions comme dans celle du Lauragais, par exemple, d'avoir des cultures d'oléoprotéagineux en alternance avec du blé dur. C'est le meilleur moyen de préserver la qualité des produits, mais aussi de lutter contre la désertification et contre l'abandon de terres. En outre, la dynamique créée serait d'autant plus favorable qu'il est possible, depuis Sète, de remonter vers Lyon par le canal du Rhône.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, vos choix sont équilibrés. Ainsi, vous osez parler des éoliennes !
J'ai contribué à l'installation d'une grande ferme éolienne à Port-la-Nouvelle, à un moment où tous nos amis écologistes le demandaient. Il est vrai que, aujourd'hui, il y a peut-être un peu trop de pression dans ce domaine : il faut savoir faire la part des choses, on ne peut pas faire n'importe quoi n'importe où. Mais arrêtons de brûler aujourd'hui ce que l'on adorait hier !
L'offshore en mer permettra aussi d'apporter des réponses tout à fait positives : il y a donc de la place pour l'ensemble des sources énergétiques.
Pour en revenir aux éoliennes, un de nos collègues a cité le cas d'une maison qui fonctionne à l'énergie solaire photovoltaïque, ce qui préserve mieux, selon lui, l'environnement visuel. Or, en Languedoc-Roussillon, une maison a été dotée d'éoliennes à pales verticales. Ces éoliennes individuelles, qui complètent des installations photovoltaïques ou solaires classiques, présentent l'intérêt d'être esthétiquement plus agréables, car elles sont moins visibles.
Notre éminent collègue Xavier Pintat, qui est le président de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies, a évoqué les problèmes de distribution.
Le service public, on l'oublie, n'est pas seulement national : il est aussi un service public de proximité. Les collectivités locales - je crois que c'est une des chances de la France -, ont la charge de la distribution de l'énergie et apportent ainsi un service public indispensable.
Parmi vos priorités, monsieur le ministre, vous avez placé les prix, la sécurité, mais aussi l'accès pour tous. Il s'agit d'un problème de cohésion sociale et territoriale ! Et, si la notion de cohésion territoriale est souvent oubliée, ce n'est ni par vous ni par nous ! En effet, les syndicats départementaux d'électrification répondent à l'ensemble des besoins des ruraux. Nous avons la responsabilité de bien irriguer l'ensemble du territoire et d'assurer la sécurité en approvisionnement pour tous.
M. Xavier Pintat a parlé de la sécurité. Pouvoir accentuer, par exemple, l'enfouissement des réseaux, c'est une chance ! Il est vrai que la France compte moins de réseaux enfouis que l'Allemagne, ce qui explique que notre pays rencontre plus de difficultés.
Si, lors de la tempête de 1999, nous avons pu mesurer le mérite de l'ensemble des équipes d'EDF - un hommage leur a d'ailleurs été légitimement rendu - prévenir de nouvelles tempêtes par un enfouissement des réseaux est une action bénéfique à la fois pour le paysage et pour la qualité de la sécurité de distribution.
Nous devrons veiller, sans doute à l'occasion de l'examen de prochains textes, à une bonne articulation entre ce qui ressort des structures de transport et ce qui ressort de la responsabilité de la distribution.
Je pense qu'il fallait souligner, dans ce débat, l'originalité française et la qualité du rôle des collectivités locales.
Monsieur le ministre, vous avez pu mesurer le travail exceptionnel qu'a accompli notre rapporteur : tout le monde l'a souligné, et cela ne nous a pas surpris. Vous avez écouté l'Assemblée nationale, aujourd'hui vous écoutez de nouveau le Sénat. Vous vous inscrivez, ce faisant, dans la ligne de l'action du général de Gaulle, mais aussi des présidents Pompidou et Giscard d'Estaing, au moment de la crise du pétrole. Vous offrez en effet au Gouvernement la capacité de préparer l'avenir.
Cet avenir passe, par exemple, par le lancement des nouveaux réacteurs pour que, dans trente ans, la France ne se retrouve pas dans l'impasse. Ce n'est pas parce que, dans cinquante ans, de nouveaux procédés existeront qu'il ne faut aujourd'hui rien décider et attendre ! Ce serait une attitude irresponsable qui condamnerait l'avenir.
J'ai la conviction que vous nous permettez, monsieur le ministre, de remplir pleinement notre rôle de politiques, à savoir préparer l'avenir pour les populations et les générations futures, dans le respect total de l'environnement.
Le développement durable n'est plus la panacée ou l'apanage de certains : c'est une démarche qui imprègne toute notre politique. Osons le dire : il faut parfois choisir entre l'effet de serre et les problèmes du nucléaire. Rassemblons-nous et offrons à l'Europe, en particulier à l'euro-Méditerranée, un modèle de développement durable grâce aux choix que vous nous offrez dans le domaine énergétique. Merci, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention est dictée par le souci qui m'anime, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan pour les transports terrestres, de veiller non seulement à la bonne gestion des établissements publics RATP, RFF et SNCF, mais également à l'instauration d'un contexte légal favorable dans lequel ces établissements, comme tous les gestionnaires de réseaux de transports urbains utilisant l'électricité comme moyen de traction, doivent pouvoir évoluer dès lors qu'ils participent au développement durable en utilisant essentiellement l'énergie électrique non polluante.
Ainsi, mes chers collègues, je veux appeler votre attention sur le fait que la RATP et la SNCF, notamment, ne peuvent pas pour le moment bénéficier du plafonnement de la taxe sur la contribution au service public de l'électricité, la CSPE. A titre d'exemple, cette seule taxe coûtera à la SNCF près de 38 millions d'euros en 2004, soit près du quart de son déficit cette année.
Pour rétablir l'équité entre les différents consommateurs d'énergie électrique non polluante, nos collègues de l'Assemblée nationale ont donc proposé que la RATP et la SNCF bénéficient d'un plafonnement de la CSPE, à hauteur de 250 000 euros, comme tous les autres gros consommateurs d'électricité. Dans le dispositif de l'amendement qui tendait à instaurer ce plafonnement, une extension aux consommateurs de gaz permettait de rendre cette mesure indolore pour les particuliers.
Monsieur le ministre, lors de l'examen de cet amendement à l'Assemblée nationale, vous vous êtes déclaré favorable à l'idée d'un plafonnement de la CSPE pour la RATP et la SNCF, mais avez souhaité prendre le temps nécessaire à une étude précise du dispositif d'extension de l'assiette de la contribution.
Je vous remercie bien sincèrement du souci que vous avez ainsi manifesté à l'égard de cette question qui préoccupe légitimement la RATP, la SNCF et tous les utilisateurs de transports collectifs électriques.
Je vous serais cependant reconnaissant de bien vouloir m'indiquer le résultat de vos premières études sur ce sujet, ainsi que de me confirmer votre volonté de trouver, à l'occasion de notre débat sur l'énergie, le meilleur dispositif pour plafonner la contribution au titre de la CSPE due à la fois par la RATP, la SNCF et différentes entreprises de transports urbains. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous sais gré d'avoir pris autant d'intérêt au présent débat.
Je remercie en premier lieu la commission, son président, M. Emorine, et son rapporteur, M. Revol, de la qualité du travail enrichissant qu'ils ont accompli : le projet de loi a évolué à l'Assemblée nationale et le Sénat propose, à son tour, d'y introduire des modifications. C'est bien ainsi.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de votre plaidoyer en faveur des économies d'énergie, de la recherche et de l'EPR. L'évocation de ce réacteur était d'ailleurs jusqu'à maintenant plus consensuelle qu'elle ne l'a été ce soir...
A M. Courteau, qui a d'abord objecté que la libéralisation, c'est-à-dire l'introduction de la concurrence, conduirait à des augmentations de prix, je répondrai que cette libéralisation résulte de la loi du 10 février 2000, dont l'initiative incombe à un gouvernement qu'il soutenait, et qu'elle représente 30 % du marché. Puis, le 15 juin 2004, à Barcelone, M. Jospin a accepté l'étape suivante.
M. Roland Courteau. Pas la totalité !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous aviez mis le bras dans l'engrenage ; le corps entier y passe ! Le 15 juin, le gouvernement socialiste a accepté non seulement le principe, mais aussi la poursuite de l'ouverture à la concurrence. La part libéralisée du marché atteignait 30 % en vertu de la loi précitée. Elle va passer à 70 % à la suite des engagements internationaux qui ont été pris, et elle sera sans doute supérieure à ce pourcentage au-delà de 2007.
M. Roland Courteau. Nous en avons débattu la dernière fois !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oui, mais comme vous en avez parlé de nouveau, je vous réponds de nouveau.
Quoi qu'il en soit, ce n'est sûrement pas le changement de statut d'EDF qui conduit aux augmentations de prix enregistrées à l'heure actuelle, puisqu'il n'est pas encore intervenu. Ces hausses ne peuvent être dues qu'à un seul élément, si l'on suit votre raisonnement, que, pour ma part, je ne soutiens pas, à savoir la libéralisation, à laquelle vous avez vous-même procédé. Ce n'est pas très raisonnable...
M. Roland Courteau. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je regrette la position - nouvelle - soutenue par différents orateurs du groupe socialiste à propos de l'EPR.
Sur ce point, monsieur Raoul, je veux rendre hommage à Christian Bataille, qui a évoqué ce sujet à l'Assemblée nationale avec une grande éloquence, une grande compétence et un grand courage.
M. Jacques Valade. Une grande clarté !
M. Henri Revol, rapporteur. Tout à fait !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Madame Blandin, vous avez cité Galilée. Eh bien, d'une certaine manière, Christian Bataille est le Galilée du parti socialiste ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Il leur en faudrait plusieurs ! (Nouveaux sourires.)
M. Daniel Raoul. Qui a dit le contraire ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Un certain nombre de personnes ont soutenu qu'il n'était pas d'actualité.
M. Jacques Valade. Il est d'une urgente actualité !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il l'est en effet, parce que nous allons être confrontés très rapidement à des matériels obsolètes.
Monsieur Courteau, je vous confirme bien volontiers que je mettrai en place dans les jours qui viennent un groupe de travail sur l'énergie hydraulique, afin que soient prises le plus rapidement possible des mesures concrètes, avant même l'examen du projet de loi sur l'eau.
M. Daniel Raoul. Ce serait bien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Par ailleurs, la publication d'un décret permettant d'inciter les fournisseurs à faire de la publicité en faveur de la maîtrise de l'énergie me paraît être une solution satisfaisante.
Quant à l'éolien, j'ai parlé des avancées qui devraient être réalisées en la matière.
Dans mon exposé liminaire, je vous ai indiqué que je n'étais pas favorable au dispositif supposant l'avis conforme de la commission des sites. Je souhaite que le Sénat trouve une solution d'équilibre mais, malgré tout, j'estime préférable de s'en remettre au droit commun du permis de construire. En l'absence de tout document d'urbanisme, monsieur Hérisson, c'est effectivement le préfet qui prend la décision. Mais, quand un tel document existe, les élus locaux doivent assumer leurs responsabilités. Il est peut-être difficile d'être maire, mais, jusqu'à maintenant, les candidats à cette fonction élective ont toujours été très nombreux. Ceux qui sont fatigués et qui ont peur des électeurs trouveront facilement le moyen d'être remplacés ! Je ne suis pas inquiet pour eux...
M. Gérard Delfau. Voilà un argument bien blessant !
M. Pierre Hérisson. J'ai simplement dit que la juridiction administrative décidait à la place du maire !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Si un maire, renonce à agir pour le bien de sa commune et de ses administrés parce qu'il rencontre des oppositions et qu'il a peur de ne pas être réélu, il n'est pas digne, selon moi, d'assumer un mandat public. Mieux vaut qu'il y renonce ! D'une manière générale, les élus locaux de France, quelle que soit leur appartenance politique, agissent en fonction du bien public et ne se laissent pas impressionner par les manifestations intempestives. Je leur fais confiance, et je crois en leur courage.
J'en viens aux critiques formulées à l'égard du Gouvernement quant au rythme de développement de l'éolien. Ces critiques me paraissent infondées, surtout si l'on opère des comparaisons avec les réalisations antérieures. Ainsi, monsieur Courteau, permettez-moi de vous rappeler les chiffres. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, la production d'énergie provenant des éoliennes atteignait 80 mégawatts. Aujourd'hui, elle représente 250 mégawatts, soit trois fois plus. Certes, ce n'est pas un exploit, mais ce n'est pas négligeable. D'ores et déjà, des projets d'implantation d'éoliennes permettant la production de 500 mégawatts d'électricité ont reçu un permis de construire et la production de 800 mégawatts supplémentaires est à l'étude.
M. Roland Courteau. Le problème est que nous n'atteindrons pas l'objectif !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. J'estime que nous atteindrons l'objectif de 10 000 mégawatts en 2010.
M. Roland Courteau. Pas à ce rythme !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mais si ! Nous sommes confrontés non à un problème de rythme, mais à un retard ! L'exploitation de la filière éolienne a été commencée trop tard, et c'est à vous, élus de la gauche, qu'en incombe la responsabilité.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je veux dire à M. Deneux qu'il a été fort aimable. Je le remercie de ses compliments et de ses remarques.
Le projet de loi que nous examinons comprend des observations et des orientations qui, si elles ne sont pas normatives, n'en sont pas moins fortes. Il n'est pas anodin de soutenir que l'on veut réduire par quatre les émissions de CO2 ! Par ailleurs, au vu des articles traitant du logement, du diagnostic énergétique ou du renforcement de la réglementation thermique, on s'aperçoit que ce texte n'est pas purement indicatif.
Monsieur Deneux, vous avez soulevé la question de l'intégration des problématiques environnementales dans les échanges internationaux, sujet qu'il conviendrait d'examiner dans le cadre de l'OMC.
Je remercie M. Poniatowski de son soutien et de ses observations relatives à l'éolien. Les chiffres que j'ai cités tout à l'heure prouvent que le dossier avance plus sérieusement que les critiques veulent bien le laisser penser.
Madame Terrade, des orientations n'ont certes pas de valeur contraignante, ce ne sont que des orientations, mais elles sont souvent nécessaires : il me paraît ainsi utile de faire valider démocratiquement - et pour la première fois - le recours au nucléaire.
En toute probité intellectuelle, je veux d'ailleurs indiquer aux sénateurs qui siègent sur les travées de gauche de cet hémicycle que si les gaullistes comme moi s'enorgueillissent que ce soit le général de Gaulle qui ait donné l'impulsion au choix nucléaire, ils reconnaissent que c'est Pierre Mendès France qui a préparé le terrain. Le choix du nucléaire a été partagé par toutes les sensibilités politiques.
Madame Terrade, je vous remercie de votre soutien à l'EPR., même si j'ai bien compris que son groupe ne voterait pas ce projet de loi. Au moins, vous restez cohérents avec vos choix anciens et constants en ce domaine ! Ce n'est pas le cas de toute l'opposition...
Nous aurons l'occasion de parler très prochainement d'EDF et de Gaz de France. Cependant, je ne peux pas laisser dire que la réforme qui vous sera bientôt soumise vise à renflouer le budget de l'Etat. Au contraire, l'ensemble des fonds ira à l'entreprise en cas d'augmentation de capital. Mieux, et Nicolas Sarkozy l'a déclaré, l'Etat affectera 500 millions d'euros à l'entreprise, disposition qu'aucun gouvernement n'a adoptée depuis vingt-deux ans. On peut raconter tout ce que l'on veut sur le statut d'EDF, mais on ne peut pas dire que la mesure soit justifiée par une volonté du Gouvernement d'en retirer des fonds budgétaires.
Monsieur Laffitte, je vous remercie de vos observations et de votre leçon de géographie et de climatologie, qui est juste et bienvenue. Il est vrai que les conséquences de l'effet de serre sont la plupart du temps sous-estimées. Certes, elles se feront davantage sentir à un horizon plus lointain, vous avez raison, mais elles sont d'ores et déjà réelles.
Monsieur Rinchet, je partage votre constat relatif à l'effet de serre. Vous avez parlé de vos petits-enfants d'une manière sympathique, ce qui a permis au grand-père que vous êtes de ne pas évoquer l'EPR et d'occulter la ligne de votre parti... (Sourires.)
Je ne vous jette pas la pierre, nous avons tous connu cela : la ligne du parti peut être difficile à tenir et l'envie est parfois grande de s'en écarter sans pour autant se soustraire à la discipline partisane... On doit parfois mettre son mouchoir sur ses convictions !
M. Jacques Blanc. Oui, il faut parfois savoir avaler des couleuvres !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. La vie politique nous a tous, une fois ou une autre, obligés à cette forme de schizophrénie. Je vous souhaite en tout cas, à vous comme à nous, de guérir et je vous apporte toute ma sympathie alors que cette maladie épisodique vous frappe à votre tour.
M. Jacques Blanc. Heureusement qu'il y a des neuro-psychiatres dans cet hémicycle ! (Sourires.)
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je remercie Jacques Valade d'avoir rappelé à juste raison que cette loi était effectivement prévue par la loi de 2000 sur la libéralisation du marché de l'électricité, dont l'objectif était bien d'encadrer l'action des entreprises. Finalement, ce gouvernement ne fait que combler les carences de l'ancien gouvernement socialiste !
M. Roger Karoutchi. C'est la continuité de l'Etat !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Non seulement le Gouvernement tient ses promesses, mais encore il tient celles du gouvernement socialiste qui l'a précédé ! (Rires.)
Monsieur Delfau, je crois vous avoir donné toutes les assurances quant à la détermination du Gouvernement à développer les énergies renouvelables, et quant à la place de notre pays en Europe.
Je tiens à rappeler que les moyens prévus, en dépit des critiques dont ils sont l'objet, ne sont pas négligeables. Un milliard d'euros est consacré à la cogénération, 200 millions d'euros aux biocarburants, 50 millions d'euros aux éoliennes -qui deviendront 500 millions grâce au dispositif de l'obligation d'achat - tandis que l'ADEME consacre 100 millions d'euros à l'énergie.
A ce sujet, je veux faire un sort à une légende : les crédits consacrés par l'ADEME à l'énergie n'ont pas diminué. Ils sont restés constants, madame Blandin ! En revanche, il est exact que la part des crédits de l'ADEME consacrée aux déchets ménagers a diminué, en raison de l'évolution du dispositif. Je veux bien essuyer des critiques, à la condition qu'elles s'appuient sur les chiffres réels !
Par ailleurs, madame Blandin, concernant l'effet de serre, il ne s'agit pas de choisir entre la peste et le choléra. Même si, à ce jour, nous ne disposons pas d'une solution entièrement satisfaisante, nous maîtrisons de mieux en mieux les déchets nucléaires, sujet cher à M. Longuet. De ce point de vue, l'EPR représente un vrai progrès puisqu'il générera beaucoup moins de déchets que l'actuelle génération III. Même si, j'en conviens, le problème n'est que partiellement résolu aujourd'hui, il le sera totalement à terme. Il ne s'agit donc pas de choisir entre la peste et le choléra...
Quoi qu'il en soit, ce problème est très relatif par rapport à l'effet de serre. En effet, avec le temps, les déchets se dégraderont. Dans le premier cas, le temps joue pour nous, dans le second, il joue contre nous. Les situations ne se valent pas. Ce n'est pas la peste ou le choléra.
Si tous les pays de l'OCDE utilisaient le nucléaire au même niveau que la France, on réduirait de 30 % les émissions de dioxyde de carbone. La moitié du chemin à parcourir pour sauver la planète serait ainsi réalisée. Ce n'est quand même pas rien ! Que l'on ne dise pas que c'est la peste ou le choléra !
Je remercie M. Pintat de son soutien et le félicite de sa nomination à la présidence de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies.
J'ai été sensible à son plaidoyer en faveur de la poursuite de l'amélioration de la desserte électrique du territoire et je ne manquerai pas d'examiner avec attention les amendements qu'il a proposés à cette fin
Monsieur Raoul, la génération IV ne sera pas prête à temps, c'est une certitude. C'est pourquoi nous ne pouvons pas attendre pour lancer l'EPR.
A cet égard, je rappelle que notre participation dans l'EPR finlandais n'est que marginale. Aussi, gardons-nous de reproduire l'erreur que nous avons commise avec le Rafale - M. Carle le rappelait fort justement - en proposant à la vente un équipement que nous ne possédons pas encore.
Nous avons besoin de l'EPR français pour justifier et expliquer son intérêt auprès des autres nations. Nous en avons aussi besoin pour notre propre formation et notre propre expérimentation dans la mesure où nous ne disposerons pas du même accès à l'EPR finlandais et de la même disponibilité que ceux que nous offrira l'EPR français.
J'observe d'ailleurs qu'un certain nombre de collectivités territoriales socialistes, telle la Seine-Maritime, se sont d'ores et déjà portées candidates pour accueillir l'EPR.
M. Jean-Pierre Godefroy. La Manche également !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Certes, mais elle n'est pas socialiste, ai-je cru comprendre !...
M. Jean-Pierre Godefroy. Je vous en parlerai tout à l'heure !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père ! Au parti socialiste, selon qu'il s'agit d'accueillir l'EPR ou de le voir partir chez les autres, on est pour ou on est contre ! (Sourires.)
Je veux dire à Jacques Blanc que je souscris à ses propos sur les biocarburants, programme dont le coût représente effectivement 200 millions d'euros.
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Gardons nous toutefois de mobiliser des fonds pour acheter de l'éthanol ou du diester brésiliens, même si le risque est moindre avec le diester.
Quant au projet de Sofiproteol, il est intéressant, M. Blanc a raison.
Monsieur Hérisson, sachez que, comme vous, M. Blanc fait confiance aux collectivités territoriales, et je crois effectivement qu'il faut continuer à leur faire confiance. M. Blanc a fait la démonstration qu'il était possible, en tant qu'élu local, d'installer des éoliennes parfaitement intégrées au paysage et acceptées par la population. Il est vrai que c'est un élu courageux !
M. Pierre Hérisson. Monsieur le ministre, nous ne nous sommes pas compris : en réalité, on donne le pouvoir aux maires, mais ce sont les tribunaux administratifs qui décident.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Certes, mais la situation serait identique si la décision revenait aux préfets !
S'agissant des éoliennes, il faut arriver à trouver un équilibre : on ne pourra procéder à leur installation par voie autoritaire, sans l'assentiment de la population. En effet, dans ce dernier cas, on provoquerait des réactions similaires à celles qu'on a pu observer à l'Assemblée nationale.
Je souhaite qu'un équilibre soit trouvé, respectueux de la liberté de choix des élus locaux et des populations, mais sans créer pour autant une course d'obstacles impossible pour les élus.
Je veux dire à M. Joly que, naturellement, le Gouvernement souhaite trouver une solution pour faire bénéficier la SNCF, la RATP et RFF du plafonnement de la contribution au service public de l'électricité. C'est effectivement indispensable, et nous comptons y travailler au cours de la navette.
Je veux remercier tous ceux qui ont très activement pris part au débat. Leurs opinions n'ont jamais manqué d'intérêt, même quand elles étaient hostiles au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)