Article additionnel après l'article 71 bis
M. le président. L'amendement n° 262, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est institué un contrôleur général des prisons, chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires, ainsi que les conditions de la vie carcérale et les conditions de travail des personnels pénitentiaires. »
L'amendement n° 263, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le contrôleur général des prisons est nommé en conseil des ministres pour une durée de six ans non renouvelable. Il est assisté de contrôleurs des prisons, dont le statut et les conditions de nomination sont définis par décret en Conseil d'Etat. »
Les quatre amendements suivants sont présentés par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade.
L'amendement n° 264 est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le contrôleur général des prisons et les contrôleurs des prisons peuvent visiter à tout moment les établissements pénitentiaires. Ils ont accès à l'ensemble des locaux composant un établissement pénitentiaire. Ils peuvent s'entretenir avec toute personne, le cas échéant à sa demande, au sein des établissements pénitentiaires dans des conditions respectant la confidentialité.
« Les autorités publiques doivent prendre toutes mesures pour faciliter la tâche du contrôleur général. Les agents publics, en particulier les dirigeants des établissements pénitentiaires, communiquent au contrôleur général toutes informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission.
« Le caractère secret des informations et pièces dont le contrôleur général demande communication ne peut lui être opposé, sauf en matière de secret médical. »
L'amendement n° 265 est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Lorsque le contrôleur général a pris connaissance de faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale, il les porte sans délai à la connaissance du Procureur de la République, conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale.
« Le contrôleur général porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires.
« Il porte à la connaissance du Garde des Sceaux les dysfonctionnements constatés à l'occasion des visites effectuées dans les établissements pénitentiaires.
« Le contrôleur général des prisons est informé par le Procureur de la République des poursuites engagées sur le fondement d'infractions commises au sein d'un établissement pénitentiaire. A sa demande, le contrôleur général est entendu par la juridiction de jugement. Il peut également, sur décision du juge d'instruction, être entendu au cours de l'information. »
L'amendement n° 266 est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le contrôleur général des prisons peut proposer au gouvernement toute modification de la législation ou de la réglementation dans les domaines de sa compétence. »
L'amendement n° 267 est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le contrôleur général des prisons établit chaque année un rapport sur les résultats de son activité. Ce rapport est remis au Président de la République et au Parlement avec les réponses du Garde des sceaux. Il est rendu public. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Ces six amendements ont pour objet de renforcer le contrôle extérieur des prisons en reprenant les suggestions du rapport Canivet et les conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons, déposée par MM. Hyest et Cabanel et adoptée à l'unanimité par la Haute Assemblée le 26 avril 2001. C'est donc la suite directe de ce que vient d'indiquer ma collègue Nicole Borvo à propos du travail parlementaire !
Je ne développerai pas le détail de ces amendements, que j'ai déjà présentés en première lecture. A défaut de pouvoir vous convaincre, je souhaiterais insister sur le fait que l'institution d'un contrôleur général des prisons est indispensable et urgente. Je ne puis me contenter des explications qui m'ont été apportées en première lecture et qui, à en juger par l'intervention de M. le rapporteur sur la question préalable, vont être réitérées.
On ne peut se déclarer d'accord sur le fond des mesures proposées, admettre leur bien-fondé et, dans le même temps, renvoyer leur adoption à un débat ultérieur et hypothétique sur le sens de la peine. Que la même réponse n'a-t-elle été apportée aux amendements deM. Warsmann en première et en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux !
Dès lors que le Gouvernement et la majorité parlementaire ont estimé cohérent d'ajouter au texte initial des éléments concernant l'exécution des peines, nos amendements relatifs au contrôle extérieur - tout comme, nous l'avons vu, ceux qui portent sur le travail en prison - trouvent pleinement leur place dans le projet de loi. C'est d'autant plus vrai que l'application des dispositions du présent texte aboutira mécaniquement à l'augmentation d'une surpopulation carcérale déjà patente.
Limiter les enjeux de cette situation à la construction de nouveaux établissements et à la création de nouvelles places en cellule, comme le faisait M. Bédier, c'est ne pas prendre le problème par le bon bout.
Qu'il soit donné corps aux dispositions que nous adoptons est une question de crédibilité pour l'institution parlementaire, notamment quand ces dispositions sont la conclusion d'un travail en matière de contrôle qui a été vivement salué par les spécialistes pour sa qualité et son sérieux.
Vous avez pu le remarquer, j'ai pris soin de ne présenter ici que des mesures qui avaient recueilli un large accord et dont je ne revendique nullement la paternité. Les communistes ont, sur la prison, bien d'autres propositions encore à faire !
Trop souvent, il faut l'admettre, les rapports d'information, les rapports d'enquête finissent sur une étagère, faute de mise en oeuvre législative, et s'empoussièrent... Nous en avons encore eu l'illustration mercredi avec les amendements de nos collègues Carle et Schosteck visant à faire du juge des enfants le juge de l'application des peines. Il n'est que temps de restaurer la fonction de contrôle du Parlement !
Sur le fond, les dispositions proposées ont pour objet d'instituer un organe de contrôle à la fois permanent, extérieur et impartial. En première lecture, M. Bédier l'avait estimé en quelque sorte superflu. Or il s'agit ici de créer non pas un niveau supplémentaire de contrôle, mais un nouveau type de contrôle.
Certes, la prison n'est pas un monde complètement clos, et c'est fort heureux : il existe des contrôles opérés par les juges de l'application des peines, par les préfets, par les parlementaires.
Nous notons également que ces contrôles se sont fort opportunément étoffés. Ainsi, le Comité de prévention contre la torture et les traitements inhumains et dégradants exerce une vigilance particulière sur la situation des prisons françaises. Par ailleurs, grâce à l'adoption d'amendements présentés par mon groupe - je ne suis pas peu fier de le souligner -, la Commission nationale de déontologie de la sécurité exerce elle aussi un contrôle et a plusieurs fois rendu des avis très critiques, notamment après avoir été saisie par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt sur la situation de la prison de Maubeuge.
Néanmoins, l'institution d'un contrôleur général des prisons représenterait une innovation majeure et serait un signe fort, madame la secrétaire d'Etat, de la volonté d'améliorer la condition pénitentiaire, amélioration qui de l'avis de tous, et au premier chef des personnels de l'administration pénitentiaire, est indispensable. Il s'agit en effet d'instaurer une certaine transparence dans un univers carcéral qui en est traditionnellement dépourvu. Cette transparence est nécessaire pour les détenus, mais aussi pour les surveillants, qui se trouveront par là même légitimés dans leur fonction et protégés contre d'éventuels abus de la hiérarchie : à Maubeuge, je le rappelle, tout a commencé par le suicide d'un surveillant qui était en conflit avec la direction de l'établissement.
Il s'agit de mettre en place un contrôle du système carcéral français qui soit permanent et indépendant, conformément d'ailleurs aux recommandations formulées à l'échelon européen, et qu'assumera un corps de contrôleurs chargés de vérifier l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires ainsi que les conditions de la vie carcérale et les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Ces contrôleurs disposeront de larges pouvoirs d'enquête, en lien avec la justice, et d'un pouvoir de recommandation. En d'autres termes, ils permettront que la démocratie ait droit de cité en prison.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, d'adopter ces six amendements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Le chapitre V du titre II du projet de loi est entièrement consacré à l'application des peines. Il n'est donc pas possible de dire que ni le Gouvernement ni le Sénat, voire l'Assemblée nationale, ne se préoccupent d'améliorer la situation des personnes condamnées.
Deux axes ont été retenus dans l'élaboration de ce texte.
Le premier trouve son expression dans une série de mesures visant à aménager la situation des personnes condamnées à des peines de courte durée - inférieures à un an d'emprisonnement, souvent même moins -, tant il est vrai que l'on peut s'interroger sur les effets de l'incarcération en pareils cas.
Le second axe a pour objet de faciliter la réinsertion des personnes qui sortent de prison afin d'éviter l'effet couperet des sorties brutales, après lesquelles l'ancien détenu se trouve livré non seulement à lui-même, mais aussi à d'autres qui ne sont pas toujours ceux qu'il faudrait !
Les amendements que vous venez d'exposer, monsieur Bret, tendent à créer un poste de contrôle général des prisons chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires. La vérité oblige à dire que vous reprenez là une proposition de loi votée en 2001 par le Sénat, il n'y a rien à dissimuler sur ce point.
En première lecture, le Gouvernement a estimé que cette disposition était superfétatoire, et il est exact qu'il nous a convaincus, puisque nous n'avons pas voté ces amendements.
Fidèle à cette position, la commission des lois émet un avis défavorable sur vos amendements, monsieur Bret.
En tout état de cause, une telle disposition aurait mieux trouvé sa place dans un projet de loi pénitentiaire. Lors de la discussion, voilà quelques mois, de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, M. le garde des sceaux, avait annoncé qu'il nous soumettrait un tel projet de loi dans le courant de la législature. Même si certains parmi nous sont réservés sur la création de ce poste de contrôleur, le débat n'est donc pas clos.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur ces amendements.
Comme M. le rapporteur, je pense qu'une telle démarche ne peut que s'incrire dans un projet global, et je voudrais revenir sur la politique carcérale que je mène au nom du Gouvernement.
Partant du constat que j'ai fait en prenant mes fonctions, je me suis fixé trois priorités. La première était d'améliorer la situation matérielle en construisant des places de prison dignes de ce nom, aujourd'hui, au xxie siècle, et en recrutant massivement des surveillants. C'est ce que nous sommes en train de faire.
La deuxième priorité était de séparer les mineurs des adultes. A cette fin seront construits des établissements dédiés, conçus spécialement pour les mineurs, c'est-à-dire pour des êtres en formation, avec salles de classe et équipements sportifs adaptés, comme il en existe d'ailleurs dans la plupart des pays européens.
Bien sûr, des quartiers pour mineurs seront maintenus dans un certain nombre de maisons d'arrêt, pour des raisons d'ordre matériel : compte tenu du faible nombre, heureusement, de mineurs incarcérés, il n'est pas possible de disposer d'un établissement spécialisé à proximité de chaque tribunal de grande instance de France !
La troisième priorité concerne les fins de peine et les alternatives à la prison, que vous êtes en train d'examiner, au moins pour partie. Un large consensus politique s'est établi sur l'idée que les tribunaux doivent disposer d'autres types de peines que la prison. Il est donc nécessaire de développer le bracelet électronique et les travaux d'intérêt général.
Mais il faut aussi adapter la fin de peine en prison, de façon que notamment celles et ceux qui ont purgé des peines de prison relativement longues ne se retrouvent pas brutalement à l'extérieur sans aucune espèce de préparation intermédiaire. La semi-liberté et les amendements présentés, en particulier, sur l'initiative de Jean-Luc Warsmann revêtent donc un grand intérêt.
Il est bien évident que le dossier n'est pas clos pour autant et qu'il nous faudra pousser plus loin notre réflexion sur l'évolution du milieu carcéral. Cependant, il faut avouer qu'établir des perspectives de changement important alors que la réalité matérielle de notre parc pénitentiaire est absolument inacceptable relève de l'idéalisme. Maintenant que les programmes de construction et l'aménagement des fins de peine sont en passe d'être réalisés, il est tout à fait envisageable d'engager une réflexion plus large en vue de redéfinir pour le long terme les orientations en matière carcérale, comme cela est prévu dans la loi d'orientation.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Tantôt M. le rapporteur nous dit que nos amendements sont superfétatoires, tantôt il nous renvoie à la future discussion d'un projet de loi pénitentiaire, en reprenant les arguments avancés par le Gouvernement en première lecture.
Selon M. le garde des sceaux, l'adoption des amendements que nous venons de défendre ne serait pas raisonnable, compte tenu de la surpopulation carcérale actuelle.
Je tiens à faire référence aux travaux de la commission d'enquête : elle a porté un regard critique et sévère sur la situation actuelle et a relevé qu'un grand nombre de détenus n'avaient pas leur place dans les prisons.
Tel est le cas des malades mentaux, dont la détention ne fait qu'aggraver les souffrances et la maladie, complique les conditions de travail pour l'administration pénitentiaire et rend la cohabitation difficile pour les autres détenus.
J'évoquais tout à l'heure l'exemple d'une personne paraplégique ; de même, des grabataires, de grands malades, des personnes en fin de vie pourraient être orientés vers d'autres lieux mieux adaptés à leurs problèmes de santé.
Nous avons également formulé toute une série de propositions visant les étrangers entrés irrégulièrement dans notre pays, qui représentent 20 % de la population carcérale. Au total, près de la moitié de la population carcérale devrait être traitée dans d'autres lieux !
Or on voit bien à quelle prison vous renvoyez en proposant toujours plus de cellules, toujours plus de détenus. Comme nous avons pu l'indiquer au cours de l'examen de la question préalable ou dans la discussion générale, au lieu de résoudre les problèmes que rencontre notre société, vous préférez « enfermer » derrière les murs d'une prison. C'est une bien triste réponse pour notre société, et ce n'est pas une solution d'avenir.
M. le président. Je mets successivement aux voix les amendements n°s 262 à 267.
(Ces amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 268, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David,Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 726 du code de procédure pénale est complété par une phrase et un alinéa ainsi rédigés :
« La durée d'enfermement d'un détenu en cellule disciplinaire pour infraction à la discipline ne peut excéder vingt jours.
« A l'égard des mineurs de plus de seize ans, la durée maximale d'enfermement en cellule disciplinaire ne peut excéder huit jours. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Cet amendement reprend une disposition contenue dans la proposition de loi relative aux conditions de détention adoptée le 26 avril 2001. Il a pour objet de limiter à vingt jours, au lieu de quarante actuellement, la durée maximale de placement d'un détenu en cellule disciplinaire, et à huit jours pour les mineurs.
Je le répète : notre proposition est suffisamment consensuelle pour pouvoir être adoptée ; elle constitue à nos yeux une proposition a minima.
Pour avoir une idée assez précise de l'enjeu de cet amendement, il faut bien avoir à l'esprit que la surpopulation des prisons constitue un facteur aggravant des fautes disciplinaires : lorsque des détenus sont cinq à partager une cellule prévue pour deux - c'est-à-dire, concrètement, avec des matelas par terre, un nombre de chaises insuffisant, sans même parler des sanitaires -, on peut comprendre que le nombre d'actes de violence physique commis non seulement entre codétenus, mais aussi à l'égard du personnel pénitentiaire, soit plutôt en hausse.
En tout cas, le nombre de sanctions prononcées est en augmentation et, selon le rapport de l'Observatoire international des prisons, l'OIP, la condamnation au « mitard » atteint le taux inégalé de 76,6 % des sanctions prononcées, le corollaire étant la diminution des sanctions alternatives.
M. Bédier, en première lecture, nous a répondu que cette disposition était d'ordre réglementaire ; nous considérons pour notre part qu'elle met en jeu les droits et libertés fondamentales de la personne humaine, dont même une personne incarcérée doit pouvoir bénéficier, et qu'à ce titre il serait opportun de l'inscrire dans la loi.
Néanmoins, si le Gouvernement s'engageait fermement à modifier en ce sens le décret du 2 avril 1996, je serais prêt à retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. M. Bret nous propose de modifier les dispositions qui régissent le placement en quartier disciplinaire.
Le Sénat s'est opposé à cet amendement en première lecture, et la commission propose qu'il maintienne sa position. Elle émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Comme en première lecture, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Il est vrai que la proposition qui nous est soumise relève du domaine réglementaire, mais, sur le fond, elle est inutile, car il existe déjà tout un dispositif disciplinaire comportant une gradation des peines et des conditions très strictes d'application du quantum, quantum que vous souhaiteriez voir réduire, monsieur le sénateur.
J'ajoute que le lien que vous établissez entre la surpopulation carcérale et la durée de placement en régime disciplinaire me paraît assez indirect. La seule vraie réponse consiste à faire en sorte qu'il n'y ait plus de cellule à cinq détenus, et c'est ce que nous essayons de faire.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. J'ai demandé à M. le garde des sceaux de s'engager à modifier le décret d'avril 1996. Cela me semblait raisonnable et de réalisation facile.
Lorsque j'indique que 76,6 % des sanctions, aujourd'hui, conduisent au « mitard », mesure-t-on bien à quelle situation explosive cette réalité mène les prisons ? Il faut vraiment agir, et l'un des moyens possibles est la modification du décret. J'en renvoie la responsabilité au Gouvernement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 268.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 269, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David,Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 726 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... _ Sauf en cas d'extrême urgence ou de circonstances exceptionnelles, tout détenu à l'encontre duquel est engagée une procédure disciplinaire peut être assisté d'un avocat ou d'un mandataire de son choix selon des modalités compatibles avec les exigences de sécurité propres à un établissement disciplinaire. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Nous reprenons ici l'amendement que nous avions déposé en première lecture tendant à donner tout leur sens aux dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, amendement adopté lors de la discussion de la proposition de loi relative aux conditions de détention.
L'un des effets de cet article relatif aux procédures disciplinaires - il est vrai qu'il n'était pas prévu dans le texte initial - a été de permettre aux détenus de bénéficier de l'assistance d'un avocat ou d'un mandataire de son choix dans le cadre d'une procédure disciplinaire engagée à son encontre. Cette modification a d'ailleurs été introduite grâce à l'adoption d'un amendement au Sénat.
Il convient d'inscrire les dispositions de l'article précité dans le présent projet de loi, tout en observant que leurs effets ont été, en pratique, relativement limités, faute de financement des interventions des avocats dans le cadre des commissions de discipline. Un décret du 18 mars 2002 a néanmoins permis de résoudre le problème en étendant le champ de l'aide juridictionnelle à ce type de contentieux.
Cela étant, des obstacles importants d'ordre pratique subsistent encore : je pense notamment ici à l'éloignement des établissements. On constate également que les directeurs d'établissement ont tendance, pour les infractions les plus graves, à invoquer l'urgence ou la sécurité, ce qui aboutit à empêcher l'intervention de l'avocat.
C'est pourquoi nous estimons qu'il faut conforter le principe de cette intervention en l'inscrivant dans le code de procédure pénale. Tel est l'objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Comme en première lecture, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 269.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 270, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Après l'article 71 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 726 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Sauf en cas d'accord écrit de l'intéressé, le placement à l'isolement et le transfèrement d'un détenu sont décidés dans le respect de la procédure prévue à l'article additionnel après l'article 726 (cf. amendement n° 269).
« Le détenu qui entend contester la décision de placement à l'isolement ou de transfèrement dont il est l'objet doit, dans un délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur régional des services pénitentiaires préalablement à tout autre recours. Le directeur régional dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Nous venons d'adopter, à l'article 68 C, une disposition tendant à prévoir que, sauf urgence, le juge de l'application des peines donne son avis sur le transfert d'un condamné d'un établissement à un autre. Cette disposition est un premier et timide pas en avant en vue d'éviter les transferts impromptus et arbitraires de certains détenus qui ne seraient pas justifiés par des considérations d'urgence.
Nous proposons, en quelque sorte, de « transformer l'essai » en accentuant le caractère de décisions faisant grief et, à ce titre, susceptibles de recours juridictionnel des décisions de transfèrement ainsi que des décisions de mise à l'isolement.
On sait en effet que, dans certains cas, les transferts de détenus sont constitutifs de véritables sanctions, notamment lorsqu'ils entraînent, du fait de l'éloignement, la rupture des liens avec une femme, un mari, un compagnon, des enfants. On connaît les conséquences, pour le détenu, d'une telle situation.
En ce qui concerne l'isolement forcé, nous prenons acte de l'évolution jurisprudentielle. S'il ne constitue pas une mesure disciplinaire aux termes du code de procédure pénale, le Conseil d'Etat a toutefois admis, dans une décision du 30 juillet 2003, que le juge administratif pouvait exercer un contrôle sur ce type de décision, récusant ainsi le caractère d'ordre intérieur de la mesure.
Je rappelle que, sur ce point, la commission d'enquête constituée par l'Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises avait conclu que « l'impunité dont jouit l'administration dans la décision de recourir à l'isolement est scandaleuse ». Elle ajoutait que cet état de choses était mal ressenti par l'administration elle-même et qu'il était urgent que le législateur se saisisse du sujet et aménage des procédures contentieuses adéquates.
Cela est d'autant plus nécessaire que l'isolement a une incidence sur l'état mental du détenu, ce qui explique en partie le nombre alarmant des suicides en prison ; un rapport très récent vient de le confirmer, mais M. le garde des sceaux rejette peut-être aussi ses conclusions...
Le comité de prévention contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants a pourtant souligné que « l'isolement est parfois utilisé comme alternative à une mesure d'isolement disciplinaire ou pour prolonger celle-ci ».
De même, l'OIP a pu observer que, contrairement aux affirmations du Gouvernement, les décisions d'isolement interviennent rarement à la demande du détenu. Ainsi, en 2002, un tiers seulement des détenus placés à l'isolement, soit 814 sur 2494, l'avaient été sur leur requête.
Telles sont les raisons pour lesquelles les auteurs du présent amendement proposent au Sénat de prévoir que le placement à l'isolement ou le transfèrement seront décidés à l'issue d'une procédure contradictoire en présence de l'avocat du détenu, sauf accord écrit de ce dernier, et que ces décisions seront susceptibles de faire l'objet de recours. Nous espérons que cet amendement, conforme tant à l'évolution jurisprudentielle qu'à la démarche sous-tendant le projet de loi, recueillera votre approbation, monsieur le ministre.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Modifier les règles de transfèrement des détenus relèverait, à mon sens, d'une loi pénitentiaire.
Cela étant, l'instauration d'une procédure contradictoire pour les décisions de transfèrement de détenus ne me paraît pas réaliste. En effet, le plus souvent, de telles décisions sont prises pour des raisons de sécurité. Par conséquent, si elles doivent l'être dans les conditions les plus régulières, la transparence ne peut tout de même pas être absolue.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ce sujet doit être évoqué avec gravité et, bien sûr, le plus grand esprit de responsabilité, car des questions humanitaires se posent, mais aussi de très sérieux problèmes au regard de la sécurité nationale.
En effet, dans les prisons se trouvent non seulement des délinquants de droit commun, mais également des terroristes, des personnes très violentes et dangereuses. Il convient donc de faire preuve de beaucoup de circonspection.
S'agissant en particulier des transfèrements, je suis absolument hostile à l'institution d'un système dans lequel la prise de décision pourrait prendre du temps. Là est le problème !
Je prendrai à cet égard un exemple qu'il ne me paraît pas gênant d'évoquer. Lorsque l'administration a le sentiment que certaines personnes détenues pour faits de terrorisme préparent une action dans un établissement, la décision de transférer l'une ou plusieurs d'entre elles doit intervenir immédiatement, et non dans un délai de trois jours.
Je ne tiens pas là des propos théoriques, car il s'agit de situations concrètes et, malheureusement, très fréquentes. Nous nous trouvons donc placés devant un impératif de sécurité nationale qui me semble tout à fait incompatible avec la procédure présentée.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Je ne comprends vraiment pas le rejet de notre amendement, à moins que l'on ne lui reproche simplement d'émaner de l'opposition !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Non !
M. Robert Bret. En effet, dès lors que l'on accepte que la décision de transfèrement d'un détenu fasse l'objet d'un avis du juge de l'application des peines, on admet implicitement que cette décision présente souvent un caractère arbitraire, d'ailleurs déjà dénoncé par la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, et un certain contrôle doit donc être exercé.
Par ailleurs, monsieur le ministre, les statistiques montrent que les détenus concernés ne sont pas ceux que vous avez cités : bien souvent, ce sont non pas les terroristes ou les criminels chevronnés, mais les petits délinquants de nos banlieues dont le comportement en prison est jugé dangereux, pour eux et pour les autres.
Par conséquent, vos arguments ne tiennent pas, monsieur le garde des sceaux. Notre amendement s'inscrit dans une tout autre logique, et nous regrettons vivement que des avis défavorables lui aient été opposés.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 270.
(L'amendement n'est pas adopté.)