M. le président. Je suis saisi, par M. Le Cam, Mme Beaufils, M. Coquelle, Mmes Didier, Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 12, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi relative à la création du registre international français (n° 92, 2003-2004). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la motion.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'évoquerai tout d'abord les dépêches qui nous parviennent aujourd'hui. Je ne parlerai pas, bien sûr, de celle de la commission des affaires économiques, qui méprise les marins et leurs organisations syndicales en refusant de les écouter et en en restant à sa philosophie initiale.
Je lis certaines des dépêches qui nous sont parvenues ce jour : « Saint-Malo, 11 décembre : trafic des ferries paralysé en raison d'une grève du personnel navigant, officiers et marins. »
M. Dominique Braye. Ils ne sont pas concernés !
M. Thierry Foucaud. Puisque nous parlons de la mer, vous n'êtes pas sans savoir que, hier, un grand nombre de bateaux obstruaient les ports en raison de la colère des marins envers votre politique, sur laquelle nous pourrions largement épiloguer aujourd'hui, monsieur Braye !
M. Dominique Braye. Nous ne sommes pas à la Mutualité, nous sommes au Sénat !
M. le président. Monsieur Braye, s'il vous plaît !
M. Thierry Foucaud. L'une de ces dépêches mentionnait que quelque trois cents marins et officiers, dont une centaine d'élèves de l'école de la Marine de Saint-Malo, ont manifesté dans la ville pour dénoncer ce nouveau registre international français. A Calais, le personnel navigant de SEA-France répondait à l'appel à la grève de six fédérations syndicales - mais elles sont toutes inintelligentes à vos yeux, monsieur Braye ! -, la CGT, la CFDT, la CFTC, Force ouvrière, la CGC et les autonomes, qui ont manifesté contre le projet de RIF dont nous sommes en train de débattre...
M. Philippe François. Vous avez fait crever la marine française !
M. Thierry Foucaud. ... et qui, selon les syndicats, menace l'emploi et la sécurité.
M. Dominique Braye. Il n'y a plus d'emploi ! Alors... !
M. Thierry Foucaud. Ce matin, dans un département que je connais bien, la Seine-Maritime, plusieurs centaines de marins et officiers et d'élèves de l'Ecole des officiers de la marine marchande ont manifesté au Havre contre le RIF.
M. Dominique Braye. Ils ne sont pas concernés !
M. Thierry Foucaud. Toutes les fédérations syndicales de la marine marchande,...
M. Dominique Braye. Il n'y en a plus ! Vous avez fait crever la marine française !
M. Thierry Foucaud. ... y compris, d'après ce que je sais, l'Association des capitaines de navires,...
M. Philippe François. ... qui a fait crever le France !
M. Dominique Braye. Vous avez fait crever la marine !
M. Thierry Foucaud. Messieurs de la majorité nationale, il faut écouter les marins et les officiers marins, car nul n'ignore que la proposition de créer un registre international français pour la marine marchande est rejetée par toutes leurs organisations syndicales...
M. Dominique Braye. Ils ne sont pas concernés !
M. Gérard Le Cam. Mais si !
M. Thierry Foucaud. ... et soulève les plus grandes réserves de la part de l'Association française des capitaines de navires.
Mais, comme tout le monde l'a compris, M. Braye est la seule personne dans cette assemblée à détenir la vérité !
M. Dominique Braye. Merci de le reconnaître !
M. le président. Ne dialoguez pas, messieurs !
M. Thierry Foucaud. Je suis de ceux qui pensent que nous détenons tous une part de la vérité. C'est pour cette raison que les membres de mon groupe et moi-même croyons aux vertus du dialogue.
Instruits par l'expérience du registre des Terres australes et antarctiques françaises, les syndicats stigmatisent cette nouvelle étape, qui conduira à terme à l'option zéro. Cette fuite en avant s'inscrit dans l'objectif central du MEDEF et des armateurs de faire tomber un peu plus la part de rémunération du travail dans les richesses créées. Faut-il rappeler que, déjà, la masse salariale, qui représentait 69 % de la valeur ajoutée en 1980, est passée à 57 % en 2002 ? Y a-t-il meilleure démonstration ?
Cette proposition de loi vise donc à inscrire pleinement notre pays dans le vent du libéralisme, c'est-à-dire d'un capitalisme adapté à notre temps, vent qui souffle tant sur l'organisation mondiale du commerce et l'Organisation maritime internationale que sur la Communauté européenne.
L'exposé des motifs de la proposition de loi qui nous est soumise confirme pleinement cette orientation européenne en appelant de ses voeux une règle communautaire qui constituerait le socle d'une politique partagée et dévalorisante pour la marine marchande.
Il s'agit d'un véritable alignement par le bas, comme le rappelait tout à l'heure M. Le Cam, alors que c'est le « plus » en matière sociale qui devrait être la ligne directrice de la politique de l'Union européenne. Elle devrait donc prendre des initiatives à l'échelon international pour restaurer la dignité des métiers maritimes, pour élever les qualifications, pour garantir la sécurité et pour préserver l'environnement.
En l'affaire, ce sont les travailleurs de la mer qui, en défendant leur niveau de vie et leur statut, sont les véritables porteurs de l'intérêt national et d'une politique européenne dynamique et nouvelle.
Avec le registre international français, notre pavillon national, loin de se redresser, se ternirait. Les navigants français seraient encore moins nombreux sur chaque navire qu'avec le registre des TAAF : deux personnes seulement ! Ce serait aussi pour les officiers de notre marine marchande l'incitation à s'expatrier sous des pavillons de complaisance, avec toutes les conséquences humaines et sociales qui en découleraient.
Avec le RIF, si l'on en croit les promoteurs du projet, notre pavillon national serait taillé dans un drap très honorable, puisqu'il est fait référence, dans la proposition de loi, à la convention n° 179 de l'Organisation internationale du travail.
Précisons tout d'abord que, si les instruments de ratification de cette convention sont effectivement déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale depuis un an, ils n'ont toujours pas été inscrits à son ordre du jour. Cette procédure ne débouchera donc pas en 2003.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. C'est inscrit à l'ordre du jour du 7 janvier 2004 !
M. Thierry Foucaud. Mais, allons au fond du texte.
M. Dominique Braye. Allons au fond, c'est le cas de le dire ! (Rires sur les travées du l'UMP.)
M. Thierry Foucaud. Que trouve-t-on dans cette convention n° 179, dont l'objet est « le recrutement et le placement des gens de mer » ? Elle prétend, selon l'exposé des motifs du Gouvernement, « limiter le démembrement de la fonction d'armateur qui contribuerait à rendre opaque la chaîne du transport maritime et à diluer les responsabilités ». On y apprend que les services de recrutement et de placement devront disposer - c'est pourtant la moindre des choses ! - d'un agrément de l'Etat où ils ont leur siège. Mais nous avons là affaire à des territoires nationaux parfois minuscules qui ont fait de la complaisance un commerce fructueux pour les armateurs internationaux. D'ailleurs, nous sommes invités à ne nous faire aucune illusion, car l'article 2 de la convention précise : « La prolifération excessive de ces services de recrutement et de placement privés ne devra pas être encouragée. » Et puis, il y a l'article 4, qui indique qu'il faut obliger « les services de recrutement et de placement à prendre des dispositions pour s'assurer, dans la mesure où cela est réalisable », - j'attire votre attention sur cette expression - « que l'employeur a les moyens d'éviter que les gens de mer ne soient abandonnés dans un port étranger ».
Il existe maintenant des officines, localisées dans des Etats complaisants, qui fournissent des équipages « clé en main ». Alors, quel crédit accorder à l'article 8 de la proposition de loi, aux termes duquel il est prévu qu'une entreprise de travail maritime doit être agréée par l'Etat où elle est établie ? Cela fait partie du démembrement de la fonction armatoriale que j'ai évoqué, un démembrement synonyme de dégradation ; et c'est aussi l'un des engagements internationaux de la France auxquels la proposition de loi ne manque pas de faire référence !
Dans ces conditions, peut-on parler de contrat d'engagement pour les navigants, qui supposerait un partenariat équilibré, lorsque d'un côté se trouvent les marchands d'esclaves des temps modernes, insaisissables, et, de l'autre, des populations souvent démunies, dans l'incapacité de s'organiser collectivement pour défendre leurs droits essentiels et, bien des fois, sous la férule d'Etats bafouant quotidiennement la démocratie ?
Par ailleurs, l'article 11 précise que ces rémunérations ne pourraient être inférieures aux montants approuvés à l'échelon international. Or, il est significatif qu'une autre convention internationale - la convention n° 180 -, appelée elle aussi à être ratifiée par le Parlement français et qui porte sur « la durée du travail des gens de mer et les effectifs des navires », modifie une précédente convention de 1958 qui, elle, traitait également des salaires. Ce dernier point a disparu. Il n'est repris dans aucune autre convention internationale récente ! Voilà qui ouvre la possibilité, dans un contexte international où des peuples entiers s'enfoncent dans la misère, de tirer les rémunérations de tous vers le bas. (M. Dominique Braye s'esclaffe.)
Non ! Tout cela est indigne de notre pays et ne laisse en rien présager un rebond pour notre marine marchande.
M. Dominique Braye. On fait sombrer la marine !
M. Thierry Foucaud. Prenez garde, chers collègues, si une majorité devait se dessiner, au terme du marathon parlementaire, pour adopter cette proposition de loi,...
M. Dominique Braye. Le registre marxiste, c'est ringard !
M. Thierry Foucaud. ... prenez garde de soulever la tempête que nous annoncent les vents contraires dont j'ai fait état au début de mon intervention. On ne s'attaque pas impunément à des droits essentiels !
M. Dominique Braye. Ringard !
M. Thierry Foucaud. Les dockers et les travailleurs portuaires viennent de vous le rappeler en mettant en échec le projet de directive portuaire qui introduisait la déréglementation et le moins-disant social.
Les ringards, ce sont ceux qui sont incapables de tracer pour un peuple des perspectives d'avenir. En ce sens, vous êtes des champions, mes chers collègues !
M. Dominique Braye. Vous avez vu à quel niveau vous en êtes ? Vous êtes au même stade que la marine marchande !
M. Thierry Foucaud. Le Sénat français s'honorerait, au contraire, en invitant le Gouvernement à prendre, à l'échelon européen, l'initiative d'une tout autre politique maritime.
Le monde se globalise de plus en plus. Les échanges maritimes sont l'un des fondements de l'avenir de l'humanité. L'Europe pourrait promouvoir une vie maritime faite de coopérations dans laquelle les pays pauvres ou émergeants trouveraient des facteurs réels de développement et où les conditions sociales seraient tirées vers le haut.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen est opposé à ce texte et vous demande, mes chers collègues, de voter la question préalable que je viens d'avoir l'honneur de défendre devant vous. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. J'ai écouté avec attention notre collègue Thierry Foucaud défendre la motion et je vais bien sûr lui répondre. Toutefois, je voudrais auparavant remercier M. Le Cam et M. Sergent.
Monsieur Le Cam, vous avez dit que mes intentions étaient louables même si, selon vous, je me fourvoyais. Je vous remercie donc de reconnaître le côté positif de mes intentions !
Je voudrais également vous remercier de m'avoir donné raison. Vous avez dit en effet dans votre intervention que nous allions augmenter le nombre de navires sous pavillon français, mais aussi attirer les voyous de la mer. Mon cher collègue, si cela se vérifie, vous pourrez nous en remercier, parce que, dès lors qu'ils seront sous pavillon français, ils n'auront plus la possibilité d'être des voyous de la mer !
Le but est que tous les navires respectent dans leur intégralité les dispositions internationales de l'OMI, et c'est aux Etats qui ont une véritable administration de les leur faire respecter.
Nous l'avons dit, M. le secrétaire d'Etat l'a répété, tous les navires qui seront sous pavillon français, immatriculés au RIF ou pas RIF, seront soumis aux normes internationales et aux normes françaises. Notre administration veillera à les faire appliquer, de sorte qu'aucun navire sous pavillon français ne pourra être un voyou de la mer. Tant mieux donc si certains voyous de la mer veulent battre pavillon français ! Ce sera un gage de sécurité.
Je vous remercie donc de m'avoir donné l'occasion de constater que vous approuviez le but recherché par la proposition de loi.
Cependant, mon cher collègue, j'ai été très surpris que vous osiez dire que notre texte est indigne de la France. Ce qui est indigne de la France,...
M. Dominique Braye. C'est le parti communiste !
M. Henri de Richemont, rapporteur. ... c'est que depuis huit ans on ait laissé sous pavillon français des marins étrangers sans aucune protection, alors que l'on savait parfaitement que ces marins étrangers étaient engagés par des sociétés de manning. Tout le monde savait qu'ils ne bénéficiaient d'aucune protection. Il y avait un vide juridique total, que les gouvernements successifs, en particulier le gouvernement que vous avez soutenu, n'ont pas comblé ! Vous parliez d'Erika I et d'Erika II. Pourquoi votre ministre, M. Gayssot, n'a-t-il pas déposé les instruments de ratification de la convention de 1996 ? Pourquoi n'a-t-il pas fait en sorte que les marins étrangers engagés sur des navires français bénéficient des normes sociales internationalement admissibles ?
M. Dominique Braye. Il ne voulait pas voir !
M. Henri de Richemont, rapporteur. Vous dites que nous n'accordons aucune protection sociale à ces marins étrangers, mais, mon cher collègue, vous avez lu mon texte, j'en suis persuadé,...
M. Dominique Braye. Pas moi !
M. Henri de Richemont, rapporteur. ... et vous savez donc parfaitement que le minimum social que nous instituons ne découle pas des normes de l'OMI ou de l'OIT, mais des normes de l'ITF, l'International Transport Workers Federation. Il n'y aura pas un seul marin sur un navire français qui ne bénéficiera pas des normes de l'ITF, syndicat auquel adhère la CFDT et auquel adhérera demain la CGT.
Nous instituons une protection sociale décente assortie d'un salaire décent pour les navigants étrangers. Contrairement à ce que vous dites, nous ne faisons pas un nivellement par le bas : si hier des armateurs pouvaient embaucher en ignorant ces normes, demain ils devront obligatoirement les respecter.
Les normes que nous instituons sont les normes pratiquées dans la quasi-totalité des Etats de l'Union européenne, et elles sont supérieures à celles des navires sous pavillon de complaisance.
C'est pour lutter contre les pavillons de complaisance que nous faisons prévaloir les normes communautaires en ce qui concerne la défiscalisation.
Vous semblez même critiquer les conventions de l'OIT...
M. Thierry Foucaud. Nous sommes porteurs des revendications des marins et de leurs organisations syndicales !
M. Henri de Richemont, rapporteur. Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Foucaud !
Vous nous reprochez de mettre en oeuvre les conventions de l'OIT que vous aviez écartées hier. A vous écouter, partout ailleurs dans le monde il n'y aurait que des pays plongés dans les ténèbres et nous seuls représenterions la lumière. Nous, Français, aurions raison tout seuls !
Permettez-moi de rappeler cette parole de l'Evangile : pourquoi les enfants de la lumière seraient-ils plus bêtes que les enfants des ténèbres. Pourquoi nous qui devons représenter la lumière n'utiliserions-nous pas les mêmes outils que tous les autres ? Si nous ne le faisons pas, c'est notre marine qui va disparaître. Peut-être aurons-nous les mains blanches et pures, mais nous n'aurons plus de marins !
Si véritablement votre but est d'être purs et de vous faire défenseurs de normes auxquelles vous êtes les seuls à faire référence et qui ne sont mises en application ni par l'Union européenne ni par la convention des Etats-Unis ni ailleurs, alors vous êtes les porte-drapeaux d'un monde complètement imaginaire !
M. Thierry Foucaud. Il y en a d'autres qui sont les porte-drapeaux du MEDEF et des armateurs !
M. Dominique Braye. Un bon registre, mais sans marins !
M. Henri de Richemont, rapporteur. Nous pouvons peut-être rêver à un monde idéal, mais l'idéal, mes chers collègues, je vous le laisse. Nous, nous voulons plus de navires pour plus d'emplois, pour plus de sécurité et pour que la France joue un plus grand rôle.
Mon dernier mot sera pour vous dire qu'il est vrai que, pour le commandant et son substitué, nous nous en tenons au minimum, mais c'est parce que nous ne pouvons pas aller au-delà. Il est évident que ce n'est qu'un minimum, mais les armateurs, eux, pourront aller au-delà - et je sais qu'ils iront au-delà - de cette obligation minimale. Ils auront la souplesse de le faire en fonction des circonstances.
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, la contrainte tue l'emploi, alors que la souplesse et la confiance jouent en faveur de l'emploi. C'est la raison pour laquelle je demande au Sénat de rejeter la motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Je n'ai rien à ajouter à cette talentueuse plaidoirie !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 12 tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DE LA PROMOTION DU PAVILLON FRANÇAIS
Section 1
Création du registre international français
Article 1er
Il est créé un registre dénommé « registre international français ».
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, sur l'article.
M. Gérard Le Cam. Un article du quotidien Le Monde daté du 23 novembre dernier et traitant du naufrage du Prestige expliquait, cherchant à identifier les responsabilités des uns et des autres :
« Où sont les responsables ? Partout et nulle part. Construit au Japon en 1976, commandé par un Grec, armé d'un équipage philippin et roumain, affrété par une société russe domiciliée en Suisse, le tanker battait pavillon des Bahamas après avoir été immatriculé pendant vingt-six ans au Panama, bien qu'appartenant à une société libérienne propriété d'une famille grecque basée à Athènes. Le drame a été provoqué par des travaux de réparation effectués dans un chantier naval chinois qui ont été inspectés par le représentant aux Emirats arabes unis d'une société de classification texane.
« Tel était le bien mal nommé Prestige, produit d'un embrouillamini abracadabrant et pourtant fort classique de la marine marchande, cet univers fermé et secret qui transporte 90 % du fret mondial. Armateurs, assureurs, pavillons, affréteurs pétroliers, bureaux de certification : cette chaîne de production cosmopolite à tiroirs, forme la plus aboutie de la mondialisation, est un monde à part, séduisant, mais inquiétant, qu'on découvre à chaque marée noire. A remonter la piste du Prestige se révèlent, à chaque étape, ses dysfonctionnements. »
Vous avez sans aucun doute, monsieur le rapporteur, de réelles bonnes intentions, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, lorsque vous cherchez à promouvoir le RIF. Mais je crains que votre proposition de loi, par la déréglementation à laquelle elle aboutit, ne fasse participer la France à la logique libérale de la mondialisation que décrit cet article du Monde.
La France devrait oeuvrer pour stopper ce processus de création d'un marché mondial uniformisé sur lequel peuvent sévir des sociétés de marchandage, payant des bas salaires à des matelots essentiellement recrutés aux Philippines.
Elle devrait d'autant plus le faire qu'il n'y a aucune raison pour que cette surenchère à la baisse ne cesse si toutes les nations y participent. Une fois que tous les pays auront adopté un pavillon-bis du style du RIF, où résidera l'avantage compétitif, si ce n'est en faisant un pas de plus, à nouveau, vers la déréglementation et le moins-disant fiscal ? On sait où nous a conduit ce processus de déflation compétitive dans les années trente !
Car, sous le prétexte d'une exacerbation de la concurrence internationale et d'une volonté d'accroître la flotte sous pavillon français, la déréglementation sociale que vous officialisez remet en cause l'emploi dans notre filière maritime, ainsi que le statut social des marins français. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils font grève.
L'alignement sur les conventions internationales dont certaines n'ont pas été ratifiées par la France - même si cela doit arriver - conduira à la généralisation des contrats de travail individuels à la carte.
Les armateurs, qui bénéficient déjà d'importants avantages fiscaux, seront bientôt dispensés de payer des cotisations sociales ou d'appliquer le droit du travail maritime français à la majorité de leur équipage, recruté par ces sociétés de management. Ils continueront donc à bénéficier d'un régime fiscal extrêmement favorable sans, pour autant, un engagement concret de leur part, notamment en matière d'emplois.
Les craintes, qui concernent l'emploi dans l'ensemble de la filière maritime française, sont d'autant plus justifiées que votre texte de loi permet une extension de son champ d'application, comme je l'ai déjà souligné, et que certains souhaitent encore l'étendre au cabotage. Allons-nous recruter du personnel philippin, payé à des salaires de misère pour cabotage national ? Qu'est-ce qui nous garantit que tel ne sera pas le cas ?
Je continue de penser que nous faisons fausse route, monsieur le secrétaire d'Etat, et que ce pavillon RIF, qui s'inscrit dans le processus de la mondialisation libérale actuelle, n'est pas la solution d'avenir.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Mon cher collègue, même si cela n'arrive pas souvent, nous avons quelquefois les mêmes lectures. Non seulement je lis Le Monde, mais je le cite aussi dans mon rapport. Toujours au sujet du Prestige, Le Monde indiquait que le Panama avait perdu le registre et tous les documents relatifs à ce navire. Je déplore, je fustige le laxisme de ces Etats ! C'est la raison pour laquelle cette proposition de loi vise à lutter contre les pavillons de complaisance.
M. Dominique Braye. Merci, monsieur Le Cam, de votre démonstration !
M. Henri de Richemont, rapporteur. On ne peut pas lutter contre les pavillons de complaisance sans rendre notre registre national attractif et social.
Nous gagnerons enfin le combat contre les pavillons de complaisance, parce que, à la longue, compte tenu du fait que les normes de sécurité seront de plus en plus rigides et que les affréteurs risqueront d'être de plus en plus pénalisés s'ils affrètent des navires de complaisance, avoir un pavillon national d'un Etat européen comme le nôtre deviendra un facteur commercial déterminant pour les armateurs et cela ira dans le sens de ce que vous et moi souhaitons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Peuvent être immatriculés au registre international français les navires armés au commerce au long cours ou au cabotage international et les navires armés à la plaisance de plus de 24 mètres hors tout.
Un décret détermine le port d'immatriculation et, dans le cadre d'un guichet unique, les modalités administratives conjointes de francisation et d'immatriculation des navires au registre international français.
Sont exclus du bénéfice du présent article :
- les navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières intracommunautaires ;
- les navires exploités exclusivement au cabotage national ;
- les navires d'assistance portuaire, notamment ceux affectés au remorquage portuaire, au dragage d'entretien, au lamanage, au pilotage et au balisage ;
- les navires de pêche professionnelle.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Oudin, Alduy, Doublet, Gérard, Lanier, Le Grand, Natali et Reux et Mme Brisepierre, est ainsi libellé :
« Dans le cinquième alinéa de cet article, après les mots : "les navires", insérer les mots : "d'une jauge brute inférieure à 500". »
La parole est à M. Victor Reux.
M. Victor Reux. La rédaction actuelle de l'article 2 conduit à exclure des navires consacrés exclusivement au cabotage national, alors que ces navires sont actuellement immatriculés au registre TAAF.
Le maintien de l'article en l'état conduirait, sans réel motif, à une restriction du champ d'application par rapport à la situation actuelle. A tout le moins faudrait-il limiter cette restriction aux navires d'une jauge brute inférieure à 500.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Il n'a jamais été dans mon intention de priver les navires inscrits au registre TAAF du bénéfice du RIF, puisqu'ils disposent de deux ans pour s'immatriculer au RIF et qu'au terme de ce délai l'immatriculation sera automatique.
En tout état de cause, je ne vais pas répéter ce que j'ai dit à la tribune, mais je comprends votre argument. C'est la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Sagesse !
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour explication de vote.
M. Gérard Le Cam. Il s'agit là du premier dérapage. Le cabotage national était exclu du RIF s'agissant du transport des passagers. Aujourd'hui déjà, alors que nous n'en sommes qu'au stade du débat, on assiste à cette libéralisation dans le cadre du cabotage national. Il n'est donc plus besoin d'être communautaire ! Il suffira qu'une ligne fasse un petit détour dans un pays non communautaire pour que le navire ait accès au RIF.
Voilà pourquoi des milliers de marins manifestent aujourd'hui.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Les navires immatriculés au registre international français sont soumis à l'ensemble des règles de sécurité et de sûreté maritimes, de formation des navigants et de protection de l'environnement applicables en vertu de la loi française, de la réglementation communautaire et des engagements internationaux de la France. - (Adopté.)
Section II
Obligations de l'employeur
A bord des navires immatriculés au registre international français, le capitaine et l'officier chargé de sa suppléance, garants de la sécurité du navire, de son équipage et de la protection de l'environnement ainsi que de la sûreté, sont français.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Reux et Oudin, est ainsi libellé :
« Compléter cet article par les mots : "de même que l'officier en chef mécanicien". »
La parole est à M. Victor Reux.
M. Victor Reux. L'obligation d'emploi national pour l'état-major navigant nous semble un peu trop restreinte dans la proposition de loi qui nous est soumise.
Sur un navire, les officiers ayant en charge la marche de celui-ci doivent former une équipe soudée par le même engagement à l'égard de l'armateur, du pavillon et du personnel navigant sous leurs ordres.
Le chef mécanicien est un élément essentiel de cette équipe.
En cas de défaillance de l'un de ces trois officiers ou en cas de situation périlleuse en mer, l'homogénéité des deux autres est une garantie de solidarité et de fiabilité susceptible de limiter les risques pour le navire et son équipage.
C'est pourquoi l'obligation d'emploi national pourrait être étendue au chef mécanicien.
Cet amendement n'est d'ailleurs en rien incompatible avec les propos pertinents de notre excellent rapporteur et du président de la commission des affaires économiques sur la sécurité en mer concernant ce projet réaliste et ambitieux.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. J'ai indiqué la raison pour laquelle il me paraissait impossible d'aller au-delà de l'obligation minimale d'emploi national du commandant et de son substitué : on tomberait sous le coup de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg du 3 septembre 2003, et cela fragiliserait notre texte.
Je vous demande donc, mon cher collègue, de bien vouloir accepter de rectifier votre amendement en insérant, après les mots : « chargé de sa suppléance », les mots : « qui peut être l'officier en chef mécanicien ».
Le substitué pourra donc être le chef mécanicien.
M. le président. Monsieur Reux, acceptez-vous de rectifier votre amendement comme vous le propose la commission ?
M. Victor Reux. Je suis parfaitement conscient des exigences européennes et du fait que l'obligation relative à la nationalité retenue dans le texte constitue un minimum et n'empêche pas l'armateur d'aller au-delà.
Je veux simplement signaler que l'esprit de corps aux machines a fait ses preuves et qu'il me semble logique de le favoriser, car il est propice au maintien de la responsabilité et de la cohésion au sein de la hiérarchie sur un navire.
Cela étant, je suis entièrement d'accord pour rectifier cet amendement dans le sens que propose M. le rapporteur.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Reux et Oudin, et qui est ainsi libellé :
« Après les mots : "chargé de sa suppléance", insérer les mots : "qui peut être l'officier en chef mécanicien,". »
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement fait siennes les observations de M. de Richemont et émet un avis tout à fait favorable sur l'amendement n° 4 rectifié.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Chaque armateur et chaque entreprise de travail maritime implantée sur le territoire national assurent la formation embarquée nécessaire au renouvellement des effectifs affectés aux fonctions visées à l'article 4. - (Adopté.)