SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION DU SÉNAT
DE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation du comité sur l'économie nationale, l'agriculture et le transport auprès du Sénat du Parlement de la République tchèque, venue au Palais du Luxembourg pour une réunion de travail à l'invitation de Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques.
Je suis convaincu que l'entretien consacré aux questions économiques qui vient de s'achever ainsi que l'entrevue que nos collègues tchèques ont eue avec Philippe Nachbar, président du groupe d'amitié France-République tchèque, seront de nature à faciliter l'entrée effective de la République tchèque dans l'Union européenne.
Au nom du Sénat, je souhaite la bienvenue à cette délégation du Sénat de la République tchèque, dont la présence contribue à approfondir les relations entre nos deux assemblées et témoigne des liens traditionnels d'amitié qui unissent nos deux pays. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 2004
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale.
Débat sur l'assurance maladie (suite)
M. le président. Dans la suite du débat sur l'assurance maladie, la parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, lors de la discussion du PLFSS 2003, j'attirais votre attention sur la très préoccupante situation des comptes de l'assurance maladie. Vous m'aviez à l'époque paru très peu préoccupé par nos inquiétudes et enfermé dans au moins deux certitudes : l'incompétence des équipes précédentes et votre capacité d'innovation et de dialogue pour l'avenir.
Vous nous assuriez toutefois de la tenue d'une correction budgétaire à l'automne 2003, sous la forme d'une loi de finances rectificative, souhaitée d'ailleurs par le Conseil constitutionnel. Il n'en a rien été, pour des raisons politiques nous avez-vous dit. Vous avez ainsi pris la responsabilité de laisser filer les déficits, tout en prenant soin de clamer haut et fort votre consternation face à une telle situation.
Je regrette que les faits viennent aujourd'hui confirmer nos mises en garde d'alors. L'assurance maladie est en effet au bord du gouffre, avec un déficit désormais plus insondable qu'abyssal. Le Gouvernement aura au moins eu le mérite d'innover dans un domaine, celui des déficits sans précédent ! En effet, avec une branche maladie déficitaire de 10,6 milliards d'euros, les pronostics les plus pessimistes sont largement dépassés.
Devant un tel état des lieux, l'urgence devrait être non plus à l'inertie, mais à l'action. Il en va de la protection de nos concitoyens face au risque sanitaire. Ceux-ci sont en droit d'attendre, de votre part, la formulation d'intentions claires. Je crains qu'ils ne restent sur leur faim au terme de l'examen d'un PLFSS 2004 déconnecté de la réalité et sans ambition.
Monsieur le ministre, vous contemplez passivement les dérapages financiers sans songer à en réduire les causes structurelles. Vous ne prenez pas, avec un ONDAM en hausse de 4 % seulement, la mesure des besoins du système de santé français que la surmortalité estivale nous a pourtant durement rappelée.
En effet, rien dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne permet d'espérer un quelconque redressement des comptes, et peut-être même pas la « contention » du déficit que vous espérez.
En ce qui concerne les recettes, le bilan économique du Gouvernement auquel vous appartenez est bien sombre : baisses d'impôts sans impact sur la croissance, abandon des politiques publiques de l'emploi, comptes publics exsangues, consommation en berne et investissement atone. La conséquence ne s'est pas fait attendre : 160 000 chômeurs de plus depuis votre entrée en fonction et, donc, autant de cotisations en moins pour l'assurance maladie.
Malgré les avertissements tous azimuts, vous n'aviez pourtant pas lésiné sur les prévisions optimistes, en annonçant 4 % de croissance de la masse salariale pour 2003. Or celle-ci s'élèvera à 2,3 % seulement, induisant ainsi 2,5 milliards d'euros de manque à gagner. Il semble que vous récidiviez pour 2004 en anticipant une progression de 3 % que rien ne laisse augurer, ni la hausse du chômage, ni le gel annoncé des salaires dans la fonction publique.
Ce ne sont pas les quelques recettes « de poche » que vous prévoyez, comme la hausse de la fiscalité sur le tabac ou le relèvement des taxes sur la promotion pharmaceutique, qui viendront se substituer aux pertes occasionnées par la hausse du chômage et par le freinage des cotisations en résultant. Je souhaite à ce propos attirer votre attention sur la précarité de vos prévisions en matière de recettes. Ainsi, en 2003, en raison de la hausse de la fiscalité sur le tabac, les recettes s'élèveront à 200 millions d'euros au lieu de 1 milliard d'euros, c'est-à-dire quatre fois moins que prévu.
M. René-Pierre Signé. C'est dû à la contrebande !
M. Bernard Cazeau. Les anticipations pour 2004 sont ainsi sujettes à caution.
En matière de dépenses, monsieur le ministre, l'impuissance est de nouveau la règle, d'autant plus que ce que vous appelez la « confiance » s'est mué en généralisation des corporatismes et commence, de l'avis même des professions médicales, à atteindre ses limites.
Les économies que vous envisagez de mettre en oeuvre s'apparentent davantage à d'injustes mesures de circonstance qu'à une politique pensée sur le long terme. Nous sommes bien loin de ce que vous annonciez à l'Assemblée nationale comme une « inflexion réelle de la progression des dépenses d'assurance maladie ».
L'homéopathie sera moins bien remboursée. Mais est-on assuré que ce déremboursement partiel ne produira pas une translation des prescriptions homéopathiques vers des traitements allopathiques ? L'avenir nous le dira.
Le forfait hospitalier augmentera de 20 %. J'ai entendu hier la litanie des augmentations réalisées depuis vingt ans par les différents gouvernements. Or avec cette augmentation, vous atteignez aujourd'hui un niveau de renchérissement du coût de l'hospitalisation inacceptable pour les citoyens les moins fortunés. Pensez-vous qu'une veuve d'agriculteur, qui ne touche même pas le minimum vieillesse, et donc pas de complémentaire, pourra assumer à la fois sa charge d'hospitalisation et les charges fixes de la vie courante ?
Je ne m'appesantirai pas sur les différentes exonérations dans le cadre du 100 % qui visent à permettre de récupérer quelques subsides sur les malades les plus atteints.
Dans un autre registre, les certificats d'aptitude au sport ne seront plus remboursés. Cette mesure a suscité l'incompréhension légitime des généralistes, qui voient dans cet acte un élément préventif important pour des individus n'ayant pas de contacts réguliers avec leur médecin.
Enfin, les arrêts maladie seront plus durement contrôlés. Outre que cette mesure donne à penser que vous suspectez l'existence d'un marché noir des indemnités journalières entre les médecins et leurs patients, ce qui me choque quelque peu en tant que praticien, vous commettez une erreur d'appréciation.
Les salariés âgés sont de plus en plus nombreux dans notre pays. Les générations du baby-boom s'approchent de l'âge de la retraite et subissent les séquelles de nombreuses années de travail, l'accumulation d'une pénibilité professionnelle et les conséquences sanitaires qui en résultent. C'est principalement pour cette raison, plus qu'en vertu de je ne sais quels abus, que les arrêts maladie augmentent entre cinquante-cinq et soixante ans. Vous constaterez, puisque votre gouvernement a choisi de reporter l'âge de départ à la retraite sans introduire la notion de pénibilité du travail, que les salariés exerçant des professions pénibles seront de plus en plus nombreux à se voir accorder des arrêts maladie.
Au demeurant, pour un certain nombre de ces actions, vous savez parfaitement, monsieur le ministre, que vous n'avez pas les moyens de votre ambition, et les caisses non plus.
Par ailleurs, je crains que l'ONDAM envisagé pour 2004 ne réponde pas aux besoins.
Alors même que la commission des comptes de la sécurité sociale a évalué à 5,5 % le taux d'évolution des dépenses de santé en 2004, l'ONDAM de 4 % que défend le Gouvernement semble d'ores et déjà sous-estimé. La différence, nous a dit M. le rapporteur, tient à ces 1,8 milliard d'euros d'économies induits par les dispositifs de maîtrise médicalisée. Nous savons de ceux-ci, et particulièrement des ACBUS, que leurs résultats sont hypothétiques. Une décision sage et prudente aurait donc consisté à suivre l'avis des experts. Il n'en sera rien.
Monsieur le ministre, je souhaite d'ailleurs attirer principalement votre attention sur la situation de l'hôpital public. L'ONDAM hospitalier, fixé à 4,45 %, soulève de vives inquiétudes. Sans aucune mesure nouvelle, la Fédération hospitalière de France estime à 4,5 % l'ONDAM hospitalier incompressible.
Or j'ai bien noté que vous estimez, quant à vous, pouvoir assumer avec ce niveau, non seulement les besoins actuels dits « incompressibles », mais encore le plan d'urgence et une provision pour la périnatalité et la santé mentale. Nous verrons ce qu'il en sera.
De plus, la tarification à l'activité, serpent de mer dont on parle depuis plusieurs années, devient aujourd'hui l'élément phare de ce PLFSS. Il n'est d'ailleurs pas question qu'il vienne combler les besoins immédiats de l'hôpital public puisque sa mise en place se veut très progressive.
Même si nous en discuterons au fil de l'examen des articles, je souhaite signaler dès maintenant deux précautions qui me paraissent notables.
D'une part, il s'agit de veiller à ce que l'orientation des crédits en direction des établissements les plus performants et les plus productifs ne conduise pas à priver de moyens certaines structures indispensables à une répartition équilibrée de l'accès aux soins sur le territoire national.
D'autre part, dans le même ordre d'idées, il convient d'être attentif à ce que les malades ne soient pas appréciés selon leur gain potentiel, ce qui conduirait, par exemple, à privilégier les patients à court séjour et à reléguer les autres.
Monsieur le ministre, je conclus mon propos en m'interrogeant sur vos motivations réelles quant à l'avenir de l'assurance maladie.
Nous avons l'un des meilleurs systèmes au monde en matière de protection sociale. Tout le monde en convient, tout comme l'on convient qu'il est en péril aujourd'hui, essentiellement du fait de son financement.
Nous savons que, en période de croissance, ce système fonctionne. Cela a été démontré par le gouvernement précédent, même si vous y mettez un bémol.
Nous savons aussi que, en dehors des périodes de croissance, ce système devient très vite fortement déficitaire, surtout si l'on commence à faire preuve de largesse. Vous êtes en train d'en faire la démonstration.
Nous savons enfin - et cela a été démontré par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, entre 1990 et 1995 - qu'il est urgent de prendre les mesures de maîtrise les plus appropriées, sauf à laisser le système voler en éclats, et ce, en dépenses comme en recettes.
Or, que faites-vous aujourd'hui devant cette énorme fuite dont vous essayez, comme vous l'avez dit, de colmater les brèches ?
A travers ce PLFSS, vous transférez les déficits collectifs vers la sphère des dépenses individuelles au mépris de toute solidarité.
Vous créez un Haut conseil qui ne vous apprendra rien de plus que vous ne saviez puisque ce sont les mêmes qui, depuis des années, discutent des mêmes problèmes, y compris des innombrables plans dont les trois derniers ont vu le jour récemment.
Voulez-vous, monsieur le ministre, sauver ce système qui a certes besoin d'être modernisé, mais qui a montré ses qualités d'efficacité sanitaire et de solidarité sociale ? Ou laissez-vous sciemment dériver les choses jusqu'à organiser le démantèlement avec, à la clef, une déréglementation tarifaire totale des soins de ville et la participation du secteur assuranciel privé et, par ailleurs, une privatisation rampante de la gestion hospitalière ?
M. René-Pierre Signé. Eh oui ! C'est ce qui va arriver !
M. Bernard Cazeau. Lorsque j'entends M. le rapporteur, Alain Vasselle, dire que « le partage des rôles entre la couverture maladie de base et complémentaire constitue l'axe des points centraux du travail de réflexion entamé pour l'avenir de l'assurance maladie », je crains que nous n'allions vers la seconde solution plutôt que vers la première, que la décision politique ne soit déjà prise et qu'elle ne se matérialise à la fin de 2004, une fois les élections passées.
Si tel est le cas, c'est inacceptable. La responsabilisation par l'argent n'aboutira qu'à accroître les inégalités devant l'accès aux soins. Or, selon nous, la santé est, non pas un produit de consommation courante, mais un droit fondamental de la personne humaine dans une société démocratique. C'est pourquoi nous nous battrons pour qu'il en soit ainsi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. René-Pierre Signé. C'était un beau discours ! Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale s'inscrit dans un contexte économique difficile, qui se traduit très directement dans le déficit record enregistré par l'assurance maladie en 2003. L'ampleur de ce déficit en 2004 - autour de 15 milliards d'euros si rien n'est fait - devrait, me semble-t-il, amener nos concitoyens à une prise de conscience semblable à celle qui a été la leur en matière de retraite.
Dans ce contexte, la mise en place du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie représente une démarche positive, dont on peut espérer qu'elle débouche sur un état des lieux aussi partagé que l'a été celui issu des travaux du conseil d'orientation des retraites, le COR, et sur une réforme de fond qui permette d'assurer la pérennité de notre système de santé. Nous soutenons, monsieur le ministre, cette démarche que vous avez engagée sous le signe de la concertation et du dialogue.
Dans l'attente de la réforme qui en découlera, le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est encore un texte de transition, à l'image de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.
En matière d'assurance maladie, le présent projet de loi contient toutefois un dispositif important, qui prélude à la réforme plus générale annoncée pour 2004. Il s'agit de la mise en oeuvre de la tarification à l'activité dans tous les établissements hospitaliers, qu'ils soient publics ou privés.
Monsieur le ministre, cette mesure que vous avez qualifiée de « révolution copernicienne » constitue, à n'en pas douter, la mesure phare de ce texte par les bouleversements qu'elle va entraîner sur le mode de fonctionnement de l'hospitalisation.
Sur le principe, on ne peut qu'être d'accord avec la volonté de clarification et de rationalisation que sous-entend cette réforme. A partir du moment où l'on encourage les coopérations et les complémentarités entre établissements publics et privés, il est en effet logique d'aboutir, pour des actes techniques bien répertoriés, à un mode de financement unique, quel que soit l'établissement.
Chacun s'accorde également à reconnaître les limites de la dotation globale pour les hôpitaux publics : ce système a figé les situations et ne prend pas suffisamment en compte l'activité médicale et le service rendu. Permettre aux hôpitaux publics de mieux répondre à la demande sur un bassin de vie devrait donc constituer une amélioration notable par rapport aux difficultés rencontrées actuellement.
Permettez-moi cependant, monsieur le ministre, de formuler trois interrogations en ce qui concerne cette réforme.
La première concerne la durée de l'expérimentation qui a abouti à une mise en oeuvre globale de la réforme. Ces expérimentations, même si elles ont concerné un panel d'établissements large et varié, ont porté sur une durée relativement brève. Vous avez indiqué que l'expérimentation proprement dite, hors simulation, avait porté sur soixante établissements et qu'il en résultait un équilibre entre gagnants et perdants, sans qu'une catégorie particulière d'établissement en sorte plus favorisée.
Mais qu'en sera-t-il sur la durée ? N'y aurait-il pas eu intérêt à élargir l'expérimentation à quelques régions, avant de faire basculer l'ensemble des établissements dans ce processus ? En effet, pour les établissements qui y gagneront en souplesse et qui obtiendront une meilleure prise en charge de leur activité, il n'y aura pas de difficulté. Mais qu'en sera-t-il des établissements qui devront, par exemple, faire face aux conséquences d'une diminution de l'offre de soins et, par conséquent, d'une réduction de leur personnel ?
Pour cette raison, je soutiendrai avec conviction la proposition de la commission des affaires sociales de créer un comité ayant pour mission d'évaluer l'application de cette réforme, et je défendrai l'amendement présenté par notre groupe pour qu'une évaluation complète du dispositif soit entreprise en 2006, avant de prolonger plus avant la réforme.
Ma deuxième question portera sur la prise en compte par cette réforme des disparités régionales. Je suis originaire d'une région dont le retard dans le domaine de la santé par rapport à la moyenne nationale - bien que la situation s'améliore, reste patent. Que ce soit en termes de mortalité, supérieure de 22,5 % à la moyenne nationale, de mortalité précoce, supérieure de près de 35 % pour les hommes, de taux de cancer comme de démographie médicale, la région Nord - Pas-de-Calais connaît encore une situation qui est loin d'être satisfaisante. En conclusion d'un rapport récent sur la mortalité par cancer entre 1980 et 1998, l'observatoire régional de santé souligne d'ailleurs que la surmortalité reste constante sur toute la période, signifiant bien que le Nord - Pas-de-Calais n'a toujours pas rattrapé l'écart qui le sépare de la moyenne nationale.
Cette situation vous permet de comprendre aisément l'importance que je peux attacher au maintien d'un mécanisme de péréquation, tel qu'il avait été instauré par le précédent gouvernement entre les dotations régionales hospitalières, de manière à tenter de corriger progressivement les inégalités dans le domaine de la santé. En fonction de critères employés pour mesurer les inégalités de ressources, des moyens supplémentaires avaient été accordés aux régions les plus en retard par rapport à la moyenne nationale, notamment le Nord - Pas-de-Calais.
Cet effort a permis d'améliorer la situation sanitaire et les équipements de la région. Toutefois, une étude comme celle que je viens de citer montre bien que cet effort mérite d'être encore poursuivi. Comment cela s'inscrira-t-il dans la réforme de la tarification que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre ?
M. Claude Domeizel. Très bonne question ! Aurez-vous une réponse ?
Mme Valérie Létard. Telle sera donc ma deuxième interrogation.
Il est en effet question dans ce projet de loi, pour les établissements hospitaliers publics, d'un financement mixte fondé, pour une partie ; directement sur l'activité réalisée, et, pour le reste, sur des dotations annuelles. L'une de ces dotations, la dotation annuelle complémentaire, devrait permettre d'introduire une aide en fonction de critères autres que l'activité. Pour les établissements privés, il est prévu, pendant la période de transition, l'introduction de coefficients correcteurs tenant compte, notamment, de la zone géographique. Toutefois, ces dispositifs sont destinés à s'éteindre une fois la réforme définitivement entrée en vigueur.
Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, comment pourra être maintenu un mécanisme pour aider à la correction des inégalités en matière de santé. Cette question est en effet primordiale pour une région comme la mienne, si nous voulons, pour les années à venir, pouvoir faire face aux nombreux problèmes sanitaires hérités de notre ancienne industrialisation.
M. Claude Domeizel. Nous sommes en campagne !
Mme Valérie Létard. Je pense en particulier à toutes les personnes qui seront encore victimes de l'amiante et de toutes les autres pollutions par les métaux lourds. Je sais que vous avez mentionné, hier, à cette tribune, la possibilité introduite par le projet de loi relatif aux responsabilités locales de voir les régions contribuer au financement de la santé. Mais, là encore, pour une région telle que la nôtre, où les efforts devront être importants dans tant de domaines, il n'est pas certain que des moyens suffisants puissent être dégagés pour ce faire.
Ma troisième interrogation portera sur le financement distinct qui est introduit pour le paiement de certaines fournitures - médicaments et dispositifs médicaux implantables particulièrement onéreux - en plus des tarifs de prestation. Cette disposition est très attendue par les hôpitaux publics, qui voient ces dépenses exploser dans leur budget, en particulier en raison du coût de nouvelles molécules dans les traitements contre le cancer, et des endoprothèses coronaires médicamenteuses en cardiologie. Je souhaiterais, monsieur le ministre, être assurée que la prise en compte distincte de ces produits permettra aux établissements de disposer effectivement de moyens supplémentaires pour financer ces innovations à hauteur de leurs besoins.
Devant l'ampleur du déficit de l'assurance maladie, le projet de loi prévoit également un certain nombre de dispositions visant à limiter la dérive du déficit dans l'attente de la réforme prévue pour 2004. C'est le cas notamment de la médicalisation des critères de prise en charge des affections de longue durée. Vous avez également appelé à une meilleure maîtrise de la progression des indemnités journalières. On ne peut que s'en féliciter, car ces deux facteurs ont largement contribué au dérapage des comptes de l'assurance maladie en 2003.
En revanche, certaines mesures me paraissent de nature à dégager des économies de façon beaucoup plus incertaine. Il s'agit, en particulier, des conditions d'application de l'article 32, qui a pour objet de préciser le périmètre du panier de soins remboursés par l'assurance maladie, afin d'exclure les actes et prestations effectués en dehors de toute justification médicale. L'exemple couramment cité est le certificat médical établi pour une licence sportive, un brevet de pilote ou encore le droit de conduire au-delà d'un certain âge.
Sans vouloir nier certains abus, cette vue de tels actes comme une simple formalité me semble un peu réductrice. (M. Claude Domeizel fait un signe d'approbation.) Peut-on imaginer, dans le contexte actuel de la responsabilité médicale, un médecin signant de tels certificats sans vérifier la compétence effective de la personne à exercer telle ou telle activité ? Voudrait-on voir une personne très âgée conduire encore parce que cet examen n'a été qu'une « formalité » et se retrouver ensuite responsable d'un accident du fait d'un handicap mal identifié ? La frontière entre la prestation indûment prise en charge et la consultation nécessaire me paraît bien difficile à tracer.
De même, et bien que cela ne relève pas directement de ce projet de loi, je voudrais, moi aussi, évoquer une mesure d'économie qui a également été annoncée : il s'agit de la baisse du remboursement de l'homéopathie de 65 % à 35 %. J'en comprends bien le motif : une économie de 57 millions d'euros.
Pourtant, il y a là aussi matière à s'interroger. Alors que 40 % des Français utilisent de l'homéopathie, la part des médicaments homéopathiques ne représente que 0,8 % des médicaments remboursés par l'assurance maladie et son moindre remboursement n'apportera qu'une économie de 0,5 % des dépenses, soit une goutte d'eau dans la mer. Vaut-il mieux prescrire un tube de granules à 1,84 euro ou un médicament allopathique qui vaut en moyenne 4 fois et demie plus cher ? Pour les 25 000 médecins qui, dans leur pratique quotidienne, ont coutume de marier ces prescriptions, le message est clair : le service médical rendu de ces produits est trop faible pour justifier une prise en charge plus élevée. C'est jeter un discrédit sur ces spécialités, sans que leur évaluation scientifique ait jamais été sérieusement effectuée.
Ne serait-il pas judicieux cependant que les traitements homéopathiques qui font l'objet de protocoles d'essais cliniques - c'est le cas, par exemple, de spécialités utilisées en gynécologie obstétrique pour atténuer certains effets pathologiques de la grossesse - puissent, si leur service médical rendu est avéré, retrouver leur taux de remboursement antérieur ? L'homéopathie est également utilisée dans certains services hospitaliers en cancérologie comme une aide complémentaire pour lutter contre les effets secondaires de traitements très invasifs. Là encore, et puisque ces pratiques sont déjà anciennes, n'y aurait-il pas intérêt à reconnaître l'utilité de l'homéopathie là où son usage est largement répandu et ses résultats avérés ?
Le groupe de l'Union centriste présentera également des amendements de suppression d'une partie de l'article 35 modernisant le régime juridique des accords de bon usage des soins et des contrats de bonne pratique. Notre groupe le fera, non pas parce qu'il est opposé aux contrats de bonne pratique, mais parce qu'il lui semble que ce dispositif devrait plutôt s'inscrire dans le cadre plus global des discussions qui s'engagent avec les professionnels de santé sur l'avenir de l'assurance maladie.
A l'article 31 bis, nous proposerons également de compléter le dispositif adopté à l'Assemblée nationale, dispositif qui vise à introduire une photographie du titulaire sur la carte Vitale, en précisant que sa mise en place n'interviendra que lors de l'apparition des cartes Vitale de seconde génération. Nous présenterons cet amendement afin de tenir compte de l'objection du coût que représente cette mesure, mais son utilité contre les fraudes nous paraît devoir légitimer son maintien.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que j'ai souhaité faire à l'occasion de la discussion de ce texte. Conscient des difficultés rencontrées et du chemin à parcourir pour aboutir à une réforme qui tout à la fois préserve notre système de santé, responsabilise ses acteurs et met fin à des abus de moins en moins tolérés par nos concitoyens, notre groupe votera ce projet de loi tel qu'amendé par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Luypaert.
Mme Brigitte Luypaert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été annoncé comme étant un projet de transition.
En effet, il a la particularité d'intervenir entre la réforme des retraites votée cet été, et celle de l'assurance maladie annoncée pour l'année prochaine.
Comme vous nous l'avez indiqué, monsieur le ministre, il s'agit de remettre de l'ordre dans la sécurité sociale, et de préparer l'avenir, sans pour autant anticiper les résultats de la concertation déjà entamée depuis septembre.
Aujourd'hui, chacun reconnaît qu'il est indispensable de conduire aussi vite que possible une modernisation ambitieuse, déterminée et négociée de l'assurance maladie.
A l'occasion de l'adoption de ce texte en conseil des ministres, le Président de la République a rappelé les principes qui doivent guider cette réforme.
Il a souligné qu'il devait être fait appel à la « responsabilité de tous » en affirmant que « chaque Français a des droits sur la sécurité sociale mais aussi le devoir de contribuer à éviter les gaspillages et les abus ». (...) « Il n'y a pas de dynamisme possible pour la France sans la garantie d'une protection sociale efficace. »
Quel est donc véritablement l'état des lieux ?
Depuis des années, les Français ont tellement entendu évoquer la crise de notre système de protection sociale que le débat actuel ne leur semble pas plus lourd de conséquences que d'habitude.
Le régime général de la sécurité sociale traverse pourtant une période de difficile tension financière.
En 2004, les projections tendancielles, c'est-à-dire en dehors de toute action du Gouvernement, conduiraient à un déficit de 13,6 milliards d'euros, dû pour l'essentiel à la branche maladie.
Pourtant, depuis près de trente ans, l'assurance maladie a vu se multiplier les plans de sauvetage. Aucun n'a produit de résultats durables, mis à part la courageuse réforme du gouvernement d'Alain Juppé...
M. René-Pierre Signé. Les socialistes avaient équilibré les comptes !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ne vous laissez pas intimider, ma chère collègue !
Mme Brigitte Luypaert. Elle a apporté des améliorations certaines à la gestion et à l'organisation de l'assurance maladie.
On peut regretter l'attitude attentiste du précédent gouvernement.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. René-Pierre Signé. C'est n'importe quoi !
Mme Brigitte Luypaert. Pendant cinq ans, celui-ci s'est félicité du retour « relatif » à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, équilibre uniquement dû à une augmentation des recettes grâce à la reprise de la croissance économique...
M. René-Pierre Signé. Vous créez le chômage !
Mme Brigitte Luypaert. ... et non à une maîtrise des dépenses.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils ont gâché la croissance !
Mme Brigitte Luypaert. Parallèlement, entre 1990 et 2002, la dépense courante de santé par habitant est passée de 1 578 euros à 2 579 euros. En 2004, elle devrait être proche de 3 000 euros.
Pour un pays, un haut niveau de santé est un facteur de richesse, un atout et un investissement. Il faut donc accepter d'assumer une part inéluctable d'augmentation des dépenses de santé, liée au vieillissement de nos sociétés et au progrès médical.
Pour autant, notre système de santé et d'assurance maladie, tel qu'il est organisé à l'heure actuelle, ne peut supporter une croissance des dépenses très largement supérieure à celle des richesses du pays. Notre système est bon, sans doute un des meilleurs du monde, mais il est perfectible.
Je soutiens la méthode choisie pour moderniser notre régime d'assurance maladie : celle du dialogue et de la concertation afin d'aboutir à un diagnostic partagé.
Il était en effet indispensable de créer une structure indépendante dont l'avis ne pourrait être contesté, à l'image du COR, le Conseil d'orientation des retraites, récemment mis en place.
En outre, tous sont associés et participeront au débat : partenaires sociaux, professionnels libéraux, représentants des établissements, usagers et patients, représentants des organismes complémentaires, parlementaires et représentants de l'Etat. Dans un deuxième temps, des choix devront être faits et discutés au Parlement.
Dans l'attente du débat prochain, monsieur le ministre, vous avez amorcé la réforme de notre politique de santé publique : la prévention, l'éducation à la santé, le dépistage sont les fondements nécessaires à la politique de soins et d'assurance maladie.
Dans le présent projet de loi, vous mettez en place des outils et posez les bases d'une assurance maladie rénovée. Vous prenez d'ores et déjà plusieurs mesures importantes, et instaurez une réforme structurelle très attendue : la tarification à l'activité, à l'hôpital.
Les dépenses hospitalières constituent près de 50 % des dépenses de la branche maladie. L'hôpital a été asphyxié par la mise en place des 35 heures (Exclamations sur les travées du groupe socialiste), sa modernisation est vitale et, dès à présent, elle est engagée par le biais de différentes mesures.
M. René-Pierre Signé. Ce sont les personnels qui manquent !
Mme Brigitte Luypaert. Le plan Hôpital 2007 constitue une relance sans précédent de l'investissement hospitalier. En dégageant 1 milliard d'euros dès l'année 2003, dans un programme d'investissement assorti d'un financement de 6 milliards d'euros d'ici à 2007, les établissements qui ne sont plus aux normes pourront enfin se moderniser, s'adapter aux évolutions des pratiques et des techniques médicales, ainsi qu'aux évolutions de la société.
Le passage à la tarification à l'activité, instaurée par les articles 18 à 29 du présent projet de loi, constitue une vraie révolution culturelle pour l'hôpital. Après plus de vingt ans de dotations globales, d'attribution de budgets plus ou moins automatique, sans justifications, ni adaptation aux besoins, et de sous-dotation des services parfois les plus performants, ce nouveau principe va apporter plus d'efficacité et, surtout, plus d'équité.
Cette réforme permettra une meilleure gestion, une amélioration de la maîtrise des coûts.
C'est aussi une réforme intelligente et adaptée aux réalités, puisqu'elle prévoit que les établissements continueront de recevoir, chaque année, une dotation complémentaire, à raison de leurs activités d'urgences, de permanences sociales, de formation et de recherche.
M. René-Pierre Signé. C'est très théorique !
Mme Brigitte Luypaert. Cette vérité des coûts permettra aussi de développer les coopérations sanitaires entre secteurs public et privé : la mise en commun des investissements, des technologies, des plateaux techniques et des moyens humains devra être le gage d'une meilleure utilisation des moyens de l'assurance maladie.
La tarification à l'activité peut redonner espoir à ces secteurs. Elle apporte plus d'équité et plus de reconnaissance du service rendu, en octroyant les moyens véritablement nécessaires. Les hôpitaux ont bien besoin de cette motivation !
M. René-Pierre Signé. Y avez-vous jamais mis les pieds ?
Mme Brigitte Luypaert. Monsieur le ministre, nous ne pouvons donc que soutenir cette politique, en rupture avec le passé.
Toutefois, je souhaiterais que le secteur hospitalier privé ne soit pas oublié.
En région parisienne, si presque 80 % des actes de chirurgie sont effectués dans le public, c'est bien loin d'être le cas en province. L'hospitalisation privée accueille dans ses 1 300 établissements plus de 6,5 millions de patients par an. Ce secteur assure par exemple 70 % de la chirurgie ambulatoire, 35 % de l'obstétrique et 50 % de la prise en charge des cancers.
L'hospitalisation privée a une place incontournable au sein du système de santé français et a permis, jusqu'à présent, avec l'hospitalisation publique, de garantir une liberté de choix et un égal accès de tous à des soins de qualité. Si elle revendique la mise en oeuvre d'une tarification à l'activité depuis longtemps, elle est cependant très inquiète sur les conditions de celle-ci, qui devrait aboutir à ce qu'un certain nombre d'établissements basculent du jour au lendemain dans un système dont les modalités n'ont pas été expérimentées.
En revanche, cette mise en oeuvre prévoyait que la réforme globale ne serait achevée qu'en 2014, délai un peu long qui nécessiterait d'être raccourci.
En outre, il existe un différentiel de charges sociales versées entre le secteur privé et le secteur public. Celui-ci est estimé à 7 %, selon la direction des hôpitaux, et pénalise le secteur privé, de manière importante. La réforme de la tarification devrait en tenir compte si elle veut s'inscrire en conformité avec le principe d'équité.
Il semble donc important que les acteurs du système, établissements et autorités de tutelle, prennent le temps d'évaluer l'expérimentation prévue sur un petit nombre d'établissements. Cette dernière vient juste de commencer. Nous ne doutons pas, monsieur le ministre, que vous prendrez les bonnes mesures pour l'hôpital, afin d'assurer des soins de qualité sur tout le territoire.
Parmi les autres mesures importantes présentées aujourd'hui, monsieur le ministre, figure l'amélioration des outils pour une meilleure maîtrise médicalisée des dépenses de santé.
Celle-ci repose sur la responsabilisation et l'implication individuelle et collective de l'ensemble des acteurs.
Dans son rapport public, la Cour des comptes vient d'ailleurs de souligner qu'il est fondamental d'« éclairer ou infléchir les comportements » des professionnels de santé et des patients, pour réguler les dépenses de santé.
Ainsi, vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, depuis dix-huit mois, en liaison avec les professionnels de santé et les caisses d'assurance maladie, dans la voie de la médicalisation de l'ONDAM. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 poursuit cette logique, et prépare les évolutions qui seront entreprises avec le chantier de modernisation de l'assurance maladie.
Les outils mis en place sont multiples. Ils s'agit de la possibilité pour les unions régionales des caisses d'assurance-maladie de passer des conventions avec des groupements de professionnels de santé, aux termes desquelles ceux-ci s'engageraient sur des améliorations de leurs pratiques. Il s'agit aussi de la simplification des dispositifs d'incitation aux bonnes pratiques, et leur conclusion plus rapide entre les partenaires, validés par une instance scientifique.
Bien évidemment, la responsabilisation individuelle doit cesser d'être taboue.
M. René-Pierre Signé. Elle ne l'a jamais été !
Mme Brigitte Luypaert. Parlons des dispositifs précisant les règles de non-remboursement des actes, dont l'objet est extérieur au système de santé, de l'engagement d'actions permettant de mieux identifier les raisons de certaines dérives, ainsi que des moyens pour y remédier, notamment en ce qui concerne les indemnités journalières.
Rendre les assurés plus responsables suppose, d'abord, un effort d'information considérable pour induire de nouveaux comportements. Il faut apprendre à entretenir son capital santé par une meilleure hygiène de vie. Nous voyons là tout l'intérêt d'une véritable politique de santé publique conduite par le Gouvernement.
M. René-Pierre Signé. La médecine, c'est plus compliqué !
Mme Brigitte Luypaert. Mais cette politique à long terme ne peut régler les problèmes financiers urgents. Nous ne pourrons donc faire l'économie de mesures plus strictes pour limiter les abus, et concentrer nos efforts collectifs sur une meilleure prise en charge de la maladie. Cela restera à définir lors des débats sur la réforme à venir.
Dans le cadre de cette réforme, il serait souhaitable d'étudier la question de la pénurie d'installations de médecins et de candidatures à la reprise de la clientèle des médecins des zones rurales partant à la retraite.
Le déséquilibre du nombre de médecins entre les zones urbaines et les zones rurales va croissant, et, à terme, peut entraîner l'exode des familles et des activités économiques permettant le maintien de la vie en zone rurale.
En effet, l'absence de medecin entraîne l'absence ou la fermeture de la pharmacie, la non-installation ou l'éloignement d'un cabinet infirmier.
Cette pénurie de médecins en zone rurale devient très alarmante.
Je prendrai l'exemple de ma région et de mon département : en Basse-Normandie, sur 943 spécialistes, seuls 141 sont installés dans l'Orne pour environ 300 000 habitants. L'Orne est aussi l'un des départements où le nombre de généralistes est largement inférieur à la moyenne nationale ; en outre, près de 18 % d'entre eux ont plus de cinquante-cinq ans et exercent en grande majorité en cabinet particulier.
En milieu rural, le généraliste est le médecin de famille, à qui l'on s'adresse dès que l'on a un problème. C'est le cas de 95,5 % des Ornais. Ils sont prêts à parcourir, à leurs frais, environ quinze kilomètres pour venir voir leur médecin. En cas d'absence de celui-ci, ils utilisent souvent l'automédication.
Certaines communes ont tenté d'attirer les jeunes des professions médicales et paramédicales en créant ou en rénovant des locaux prêts à les recevoir. Ceux-ci restent vacants et sont une charge financière pour les communes.
Un rythme de vie décent et une pratique médicale structurée seraient de nature à inciter les médecins à venir s'installer dans nos régions. Ils s'agit non pas d'une question de revenus, mais d'une question d'image, car ceux qui ont décidé de s'installer en zone rurale ne le regrettent pas.
Bien des medecins partant à la retraite sont aujourd'hui contraints de fermer définitivement leur cabinet, après deux à troix années de recherche infructueuse d'un successeur. Ceux qui sont en activité ont une telle charge de travail qu'ils n'arrivent plus à assurer les visites à domicile, les patients doivent alors parcourir des kilomètres pour bénéficier des soins.
La situation de la démographie médicale dans l'Orne devient très alarmante. A titre d'exemple, il faut actuellement cinq mois pour obtenir un rendez-vous chez un médecin ophtalmologiste. Le même problème est également ressenti dans le milieu hospitalier. Dans certains services, un médecin assure seul les gardes durant un nombre d'heures déraisonnable. La lassitude s'installe chez ces praticiens, qui partent dans d'autres établissements, où leur vie professionnelle et privée trouve un nouvel équilibre.
Certes, une différence a toujours existé entre les zones urbaines et les zones rurales, mais le fossé se creuse de façon inquiétante, laissant apparaître une dégradation de l'égalité d'accès aux soins de qualité. Cette situation va à l'encontre de l'esprit de la décentralisation souhaitée par le Gouvernement. La décentralisation est un grand pas en avant, mais elle doit se faire dans tous les domaines.
En conséquence, pour assurer l'avenir de nos régions, ne serait-il pas souhaitable et opportun, comme dans d'autres secteurs, d'élaborer une véritable politique permettant d'atteindre un équilibre médical en zone rurale ?
En conclusion, je voudrais souligner que, si notre système d'assurance maladie va mal, le patient peut toutefois être guéri. Des réformes structurelles sont indispensables, et je vous félicite d'avoir courageusement ouvert ce chantier, monsieur le ministre. Les discussions seront certainement âpres et les décisions difficiles. Cependant, le groupe UMP ne doute pas du succès du Gouvernement. Soyez assuré de son soutien dans votre action. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, maîtrise dite « médicalisée » des dépenses de santé et effets d'annonce, tels sont les maîtres mots qui caractérisent le budget de la branche assurance maladie ! Vous réussissez avant tout le tour de force d'y effectuer 1,8 milliard d'économies à la charge des assurés sociaux. Les promesses hâtives d'après la canicule sont bien loin !
Sur ce budget, mes remarques sont identiques à celles que j'ai pu faire hier. Vous annoncez pêle-mêle des moyens : 10 milliards d'euros pour l'hôpital d'ici à 2007, 500 millions d'euros pour les urgences, 700 millions d'euros pour le plan cancer, 580 millions d'euros pour le plan en faveur de l'autonomie des personnes âgées et handicapées... Mais où comptez-vous prendre cet argent ?
La branche a vu son déficit se creuser pour atteindre 6,1 milliards d'euros en 2002. Il devrait s'élever à 10,6 milliards d'euros en 2003 et, selon notre collègue rapporteur Alain Vasselle, à 14 milliards d'euros en 2004.
Notre analyse est que l'on connaît une crise du financement de la sécurité sociale sur fond de crise économique, d'augmentation du chômage et de poursuite d'allégements des charges pour le patronat. Selon vous, il y a un excès de dépenses ; selon nous, on constate une pénurie de recettes. Là est toute la question et le motif de notre opposition.
Ce déficit traduit l'échec d'une réforme, engagée en 1994 par M. Juppé, visant à augmenter massivement les prélèvements sur les salaires, en réduisant les prestations et en diminuant les cotisations patronales, censées jouer en faveur de l'emploi...
Nous pouvons également nous inquiéter fortement de la sous-estimation volontaire de la charge des accidents du travail. Avec les maladies professionnelles, ceux-ci font l'objet de pressions importantes de la part des employeurs sur les salariés pour ne pas être déclarés. Il en résulte une charge très lourde pour l'assurance maladie et, a contrario, des économies importantes pour la branche ATMP. Or chacun sait que cela permet au patronat d'échapper à une revalorisation de ses cotisations.
Je dirai un mot sur l'ONDAM. Cet objectif national de dépenses d'assurance maladie est régulièrement dépassé depuis 1998, ce qui relève une défaillance des instruments dits de régulation.
Admettrez-vous jamais qu'il est impossible de décréter un taux directeur des dépenses publiques de santé ? Admettrez-vous que ce carcan est le véritable responsable de l'asphyxie de l'hôpital public ?
Dans le département du Rhône, par exemple, Saint-Joseph-Saint-Luc, établissement privé participant au service public hospitalier, présente un déficit de 6,7 millions d'euros sur un budget pour 2003 de 87 millions d'euros ; les hospices civils de Lyon présentent un déficit de 15 millions d'euros sur un budget de 1,2 milliard d'euros. L'an dernier, la hausse de l'ONDAM leur a tout juste suffit à financer les 35 heures, et ce n'est pas l'augmentation de 4 % de l'ONDAM annoncée pour 2004 qui leur permettra de résorber leurs déficits.
Le rapport Coulomb sur la médicalisation de l'ONDAM précise d'ailleurs : « Il s'agira de mettre au point une méthode d'approche qui permettra la quantification de l'objectif, à partir d'éléments d'ordre sanitaire ».
Pour moi, c'est très clair : vous proposez un ONDAM qui, de toute évidence, est sous-estimé alors que la commission des comptes de la sécurité sociale elle-même évaluait sa progression tendancielle à 5,5 % !
Le plan cancer, lui aussi, illustre une politique volontariste à effets d'annonce qui prévoit des mesures sans les financements, voire qui ne craint pas de les réduire. A cet égard, les décisions du Premier ministre ont accentué nos doutes.
Ce plan prévoit un renforcement de la prévention, une amélioration du dépistage, le développement de la qualité des soins, de la formation des professionnels, le renforcement de la recherche. Nous pourrions évoquer aussi la lutte contre le sida, qui est loin d'être à la hauteur des besoins.
Dans le même temps, tous les budgets pour 2004 sont revus à la baisse, notamment celui de la recherche, et les hôpitaux sont étranglés.
Je n'invente rien, mon analyse est largement partagée. Avec votre plan Hôpital 2007, vous avez même réussi à faire l'unanimité contre vous. Et ne croyez pas que les colères soient éteintes ! Toutes les organisations syndicales des personnels et les quatre syndicats de médecins viennent de signer une déclaration commune dénonçant l'absence de financement de vos mesures et le besoin criant de personnel. Ils estiment en effet qu'il manque toujours 3 000 médecins et 10 000 infirmières à l'hôpital.
Avec ce plan Hôpital 2007 pris par ordonnance, et donc dans le mépris de la représentation nationale, vous effectuez une transformation fondamentale, que conforteront les autres textes, en cours ou à venir.
Les SROS, qui mettent en oeuvre le plan Hôpital 2007, sont donc bien le reflet d'une politique axée exclusivement sur la maîtrise comptable des dépenses. Dans ces documents d'orientation, des regroupements d'établissements sont encore plus affirmés que précédemment. L'exemple de l'est lyonnais est flagrant, puisque de neuf établissements à terme on passerait à trois. A n'en pas douter, les fermetures de lits et les réductions de personnels seront autant d'objectifs à atteindre et constitueront autant de problèmes d'actualité dans les mois et les années à venir.
A notre sens, vous persévérez dans vos erreurs avec la mesure phare de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, à savoir la tarification à l'activité.
Vous créez cette tarification à l'activité sans attendre le résultat de l'expérimentation menée dans soixante établissements, de surcroît dans un système hospitalier en crise structurelle, et non pas conjoncturelle, comme le drame de la canicule pourrait le laisser penser.
Je disais l'an dernier, dans ce même débat, que les urgences étaient à bout de souffle. Croyez-moi, j'aurais grandement préféré avoir tort plutôt que de vivre ce que nous avons vécu l'été dernier.
La tarification à l'activité vise à transformer les établissements de santé en entreprises devant assurer un certain niveau de productivité, de rentabilité économique et financière ! La réforme de l'hôpital est ainsi bouclée.
Leur budget sera abondé non plus en fonction des dépenses annuelles nécessaires à la satisfaction des besoins sanitaires de la population, mais exclusivement en fonction des recettes attendues.
Nous pensons que cette tarification engendrera d'énormes disparités régionales qui s'ajouteront à celles qui sont créées par les transferts de compétences issus des lois de décentralisation. Ainsi, la recherche de rentabilité à laquelle seront contraints les hôpitaux conduira certainement à la sélection des malades selon la « rentabilité » de leur pathologie, à la mise en concurrence des établissements, à des spécialisations régionales.
En fait, nous pensons que c'est un pas de plus vers la « marchandisation » de la santé que vous poursuivez méthodiquement et qu'il s'agit véritablement d'une privatisation des établissements de soins. Il est très clair que votre politique du médicament englobe le tout.
La réduction des ressources des hôpitaux risque fort d'entraîner encore des suppressions d'emplois et de lits, alors qu'il faudrait au contraire créer et pérenniser des postes, former du personnel médical et paramédical, réformer la politique du numerus clausus.
Avec un certain cynisme, M. Bruno Gilles, rapporteur à l'Assemblée nationale, disait le 28 octobre dernier qu'en « dotant chaque mois les hôpitaux de crédits ne correspondant pas à l'activité, on a progressivement créé des rentes de situation ».
M. Jean-François Mattei, ministre. C'est vrai.
M. Guy Fischer. Il ne s'agit pas de stigmatiser. Le personnel débordé, qui a fait face cet été à la canicule à la seule force de son dévouement, ne manquera pas d'apprécier cette remarque. J'ai rencontré les urgentistes, les personnels de toutes catégories : ce qu'ils ont vécu cet été et ce qu'ils vivent au quotidien est non seulement éreintant, mais aussi désespérant.
Quant aux établissements pour personnes âgées, le plan quinquennal, doté de 183 millions d'euros par an, a été remis en cause cette année. Rappelons que seulement 80 millions d'euros ont été « rendus » grâce à la mobilisation des directeurs d'établissements et des parlementaires, dont je m'honore d'avoir fait partie. Or ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne rétablit pas ces crédits. C'est à croire que la catastrophe sanitaire de cet été n'a pas existé !
Je veux encore revenir sur le fameux « panier de soins » : les propos que M. Jacques Barrot avait tenus l'an dernier en faveur d'une différenciation entre gros risques et petits risques avaient été démentis à l'époque par le Gouvernement, non pas parce que ce dernier ne les approuvait pas, mais parce que Jacques Barrot annonçait sans doute trop tôt ce que vous êtes en train de mettre en place !
A quoi pense M. le Premier ministre lorsqu'il s'interroge sur la prise en charge d'une fracture selon qu'elle est due à une chute dans la rue ou à un accident de ski ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas pareil !
M. Guy Fischer. Vous-même, qu'avez-vous en tête lorsque vous dites que la sécurité sociale a été créée pour faire face aux accidents de la vie et que le vieillissement n'en est pas un ?
Sous ces petites phrases anodines perce votre volonté de définir un « panier de soins » a minima, avec une limitation des soins pour des personnes qui ont eu le tort de pratiquer tel ou tel sport.
Ce « panier de soins », qu'est-il d'autre que la préconisation du rapport Chadelat ? Couverture de base a minima, couverture complémentaire de base par les mutuelles ou les organismes de prévoyance, couverture par les assurances privées : c'est d'une assurance maladie à trois, voire à quatre étages qu'il est question.
Je pourrais encore évoquer le « plan médicament ». Nous y reviendrons au cours du débat, mais de grandes annonces sont faites et peu de moyens sont mobilisés ; ce sont des financements fantômes.
La colère des hôpitaux n'est pas éteinte, elle gronde toujours, et soyez sûr que les assurés ont conscience, à la veille notamment de la réforme de l'assurance maladie, qu'ils paieront plus pour être moins bien soignés. Les mutuelles, mises en concurrence avec le privé, vont devoir relever leurs tarifs de 10 % par an, et les mécanismes de marché accroîtront la différence de couverture selon les revenus des familles.
J'aurais pu développer cette argumentation, mais la défense des amendements nous le permettra. Nous continuerons à dénoncer des mesures qui toutes concourent à sacrifier la santé publique sur l'autel du profit. La privatisation de la sécurité sociale est en route. J'anticipe sur un débat qui aura lieu dans un an.
Nous marquerons, par les amendements que nous avons déposés, notre opposition la plus vive à un tel projet de loi de financement de la sécurité sociale, et c'est pour cela que nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Roland Muzeau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Avec l'autorisation des orateurs, compte tenu de la discussion déjà longue qui, hier, a largement débordé sur le champ de l'assurance maladie et étant donné que les différents sujets abordés viendront en discussion lors de l'examen des articles, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, mesdames, messieurs les sénateurs, je préfère répondre précisément, article par article.
MM. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et Henri de Raincourt. Très bien !
M. le président. Nous passons à la discussion des articles relatifs à l'assurance maladie.