PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai souhaité intervenir aujourd'hui pour rappeler que l'aide publique au développement constitue, comme l'a dit le Président de la République, une grande priorité, et que des engagements fermes, mais réalistes, avaient été pris en 2002 pour qu'elle atteigne 0,5 % du PIB d'ici à 2007.

Le récent sommet d'Evian est venu rappeler la nécessité d'une plus grande ouverture vers le Sud, mais aussi la difficulté de trouver la hiérarchie des priorités et de bien coordonner l'action des différents bailleurs de fonds.

Le terrorisme, les récents conflits et les chroniques errements de l'Afrique avaient également contribué à ternir le relatif optimisme qui s'était fait jour après les nombreuses initiatives multilatérales récentes, comme Monterrey ou le NEPAD, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique.

Selon le ministre délégué à la coopération, la situation budgétaire de la coopération internationale est le produit de deux influences contradictoires : d'une part, la conjoncture budgétaire, qui découle du fort ralentissement de la croissance, et, d'autre part, la volonté de relever l'aide française au développement affirmée par le Président de la République et par le Premier ministre.

Je souhaiterais que vous me confirmiez, monsieur le ministre, que le cap fixé par le Président de la République, à savoir atteindre en 2007 une aide publique au développement représentant 0,5 % du PIB, sera fermement tenu, et que l'objectif de 0,39 % fixé dans la loi de finances pour 2003 sera au minimum atteint, malgré la conjoncture difficile.

J'ai noté avec plaisir un rééquilibrage des actions de coopération en faveur de l'aide bilatérale, en particulier vers l'Afrique. La part bilatérale de l'aide publique est ainsi passée de 61 % en 2001 à 63 % en 2002, et devrait atteindre 69 % en 2003, on ne peut que s'en féliciter.

Je tiens également à rappeler que, pour de nombreux pays africains, le développement ne peut malheureusement pas se concevoir tant que le sida poursuit ses ravages dans les populations. Cela explique la très bonne initiative du Président de la République de tripler la contribution française au fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria.

Je suis intimement convaincu que l'aide au développement doit être l'affaire de tous et qu'il faut donc améliorer et renforcer la mobilisation des efforts. Le Haut Conseil de la coopération internationale y veille, notamment en s'attachant à promouvoir l'éducation au développement ; l'action des collectivités territoriales et des ONG, les organisations non gouvernementales, est, à cet égard, particulièrement précieuse par l'expérience de terrain qu'elle apporte à la coopération.

En tout état de cause, le cap reste fixé par l'engagement du Président de la République d'atteindre le taux de 0,5 % en 2007. Il semble que le cap sera tenu, grâce au poids des annulations de la dette dans le cadre de l'initiative Pays pauvres très endettés et de son prolongement français, les contrats de désendettement-développement.

Ces opérations d'annulation de dettes sont certes indispensables pour donner aux pays en développement la marge de manoeuvre sans laquelle aucune action durable n'est possible. Mais, par construction, elles n'ont qu'un temps. Si l'objectif de 0,5 % doit réellement être atteint, il est indispensable de maintenir en état notre appareil de coopération traditionnelle, qui devra prendre le relais des annulations de dette quand celles-ci déclineront. Il me semble donc impératif de préserver un niveau minimal de crédits, en particulier sur les chapitres suivants : concours financiers, coopération internationale et développement, fonds de solidarité prioritaire et Agence française de développement.

Après dix années de diminution, tant en volume qu'en part du PIB, l'aide au développement amorce un redressement et fait l'objet d'un traitement plus favorable dans le projet de loi de finances pour 2003. J'espère qu'il en sera de même en 2004, monsieur le ministre.

Le ministre des affaires étrangères a rappelé les engagements du Président de la République d'une augmentation de 50 % en cinq ans de l'aide publique afin de parvenir à un taux de 0,5 % du PIB en 2005 et de 0,7 % en 2010, qui serait alors conforme à l'objectif des Nations unies.

Je me réjouis donc, comme beaucoup de mes collègues, de cette première étape de la relance de l'aide au développement et de la priorité officiellement accordée à l'Afrique, que révèle d'ores et déjà la programmation géographique de la direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, qui concentre la grande majorité des pays pauvres que l'aide publique a vocation à soutenir.

Je reconnais que l'aide publique au développement française bénéficie actuellement d'un environnement plus favorable, mais elle voit par ailleurs son efficacité entravée par une régulation budgétaire.

L'ampleur de la régulation budgétaire en 2002 porte préjudice à la sincérité des inscriptions budgétaires et introduit de grandes difficultés de gestion pour certaines lignes.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça c'est vrai !

M. Jacques Pelletier. La contrainte que fait peser la dégradation actuelle de la conjoncture laisse craindre que l'aide publique au développement ne soit, en 2003, à nouveau considérée comme une variable d'ajustement, ce que je ne souhaite pas. J'espère que les blocages actuels ne perdureront pas et que des efforts seront prochainement entrepris pour remédier à ces situations.

Je souhaite à présent évoquer l'aide-projet, qui constitue une spécificité de la coopération française, alors que de nombreux pays donateurs, en particulier anglo-saxons, privilégient l'aide-programme.

Or je suis un peu inquiet, car la régulation budgétaire frappe en premier lieu le fonds de solidarité prioritaire, instrument majeur de l'aide-projet.

Je pense que l'aide-projet demeure un vecteur nécessaire de l'aide française, ne serait-ce que parce que ses effets sont les plus visibles et les plus directement bénéfiques pour les populations concernées, et que son soutien doit être plus clairement manifesté.

Par ailleurs, je pense que nous devons rester très vigilants face à l'obligation de réforme de l'aide européenne. En effet, l'aide européenne évolue peu et la France est aujourd'hui en quelque sorte le bailleur d'une vaste « caisse d'épargne » qui encaisse et amoncelle, mais ne décaisse qu'avec une grande lenteur. Les interventions du FED, le fonds européen de développement, sont le résultat de procédures très, voire trop technocratiques.

En conclusion, je dirai qu'il est nécessaire de moderniser les structures et la lisibilité de l'aide au développement tant sur le plan national que sur le plan européen.

La présentation budgétaire très morcelée de l'aide au développement demeure, en effet, peu lisible, et c'est bien dommage pour la promotion de l'éducation au développement que nous avons lancée en direction de nos concitoyens.

Monsieur le ministre, je connais votre attachement à la coopération internationale,...

M. Alain Lambert, ministre délégué. Je la pratique !

M. Jacques Pelletier. ... et il ne date pas d'hier. Je souhaite donc très fermement que ce secteur reste une priorité en 2004. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien ! J'ai envie de vous applaudir, monsieur Pelletier.

M. le président. La parole est à M. Bernard Angels.

M. Bernard Angels. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d'orientation budgétaire se situe à un moment clé pour notre économie, pour nos compatriotes, pour notre pays.

Un moment clé, car notre économie va mal, et les Français en ressentent douloureusement les conséquences. Un moment clé, car cela fait maintenant plus d'un an que le Gouvernement est en charge des affaires du pays et il est possible d'évaluer l'impact de ses choix politiques. Un moment clé, car, ainsi que la Commission européenne ou la Cour des comptes l'ont rappelé, les efforts pour redresser la barre ne peuvent plus attendre.

L'état de grâce est terminé et, avec lui, le temps des promesses hasardeuses.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Oh !

M. Bernard Angels. L'heure est aux choix, à la responsabilité, à la rupture.

Les orateurs qui m'ont précédé ont décrit par le menu le sombre tableau de notre économie : croissance en berne, emploi salarié sinistré, déficit galopant, moins-values fiscales importantes.

Monsieur le ministre, loin de moi l'idée de vous faire endosser la responsabilité complète de cet état de fait. La situation européenne et internationale est difficile, très difficile, et, pour être tout à fait honnête, j'admets volontiers qu'elle avait commencé à se dégrader quelques mois avant votre arrivée au pouvoir. Je vous invite, par ailleurs, à faire preuve de cette même honnêteté, afin de ne pas noircir les résultats de la législature précédente et d'endosser vos propres responsabilités.

Depuis plus d'un an, je me suis efforcé de tirer la sonnette d'alarme, de vous alerter régulièrement pour prévenir cette situation catastrophique. Lors de nos débats en commission des finances et dans cet hémicycle, j'ai marqué, à plusieurs reprises, mon inquiétude face à la dérive des comptes, à la montée du chômage, à la stagnation de l'activité. Vous n'en avez cure, drapés dans une légitimité démocratique que personne ne vous conteste, mais aveuglés aussi par votre idéologie. Aujourd'hui, force est malheureusement de constater que ces alertes auraient mérité d'être prises en compte.

Aussi êtes-vous comptables de cet échec, non point tant parce que vous l'auriez volontairement provoqué que par votre entêtement à mener une politique irresponsable et dangereuse pour l'équilibre de notre pays.

Qu'avons-nous, en effet, entendu depuis plusieurs mois de la part des ministres, en particulier du premier d'entre eux ? En substance, cela : oui, les difficultés existent, mais nous gardons le cap. Nous avons confiance en nous et, demain, tout ira mieux !

Rappelons-nous, à ce propos, la fière assurance du candidat Jacques Chirac gageant ses baisses d'impôt sur une croissance de 3 % ou, plus près de nous, sur une prévision de 2,3 %, à laquelle le Gouvernement s'est longtemps accroché. Vous vous êtes mentis à vous-mêmes, délaissant pour l'occasion le costume du Dr Knock pour celui du Dr Coué. (Sourires.) Mais vous ne pouvez avoir raison contre tout le monde !

Finalement, vous avez été dépassés par la situation et vous vous en êtes tenus à des réformes idéologiques, à des promesses démagogiques et à des stratégies intenables. Le 23 juin, une nouvelle fois, le Président Chirac a rappelé votre seul credo : la baisse des impôts.

Force est de constater que cette véritable obsession s'est révélée inefficace en termes de revalorisation du pouvoir d'achat. Elle ne recueille même pas l'assentiment de vos propres supporters. J'en veux pour preuve les récents propos des deux rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle compromet également dangereusement le retour à l'équilibre de notre économie dans les années à venir en faisant planer le spectre de la dette et des coupes franches dans les dépenses.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas seulement un spectre, hélas !

M. Bernard Angels. Je suis d'accord avec vous.

Ce faisant, vous avez ruiné la confiance de nos concitoyens et de nos entreprises, construite depuis 1997. Vous avez instillé dans la tête de tous les Français la pernicieuse perspective d'une inéluctable politique de rigueur. Par ailleurs, vous avez brisé le pacte de bonne conduite que nous avions établi avec nos partenaires européens. Vous avez ainsi handicapé les conditions d'une possible reprise.

Pourtant, je serais tenté de dire que les critiques ne sont plus de mise. Aujourd'hui, il nous faut réagir vite et changer de cap ! Il nous faut redonner à la France les armes nécessaires pour retrouver le chemin de la croissance ! Il nous faut redonner aux Français la confiance nécessaire en leur économie et, plus largement, en leur pays !

Ce débat d'orientation budgétaire aurait pu, aurait dû constituer un signal pour nos concitoyens. L'impossibilité de jouer sur le déficit, l'absence de marges monétaires, l'inflation jugulée ne laissent, en effet, que peu de leviers en dehors de la politique budgétaire, d'où l'importance de cette discussion.

On pouvait légitimement, connaissant l'attachement d'Alain Lambert pour cet exercice et la gravité de la situation, s'attendre à une présentation claire, lisible et détaillée des choix effectués en matière de politique économique.

Espoir vain s'il en est ! Que nous avez-vous présenté, monsieur le ministre ? Un document resserré, rabougri, dirai-je, qui n'a de rapport que le nom ! S'il s'étend largement sur les conditions économiques, voire sur le passé, il n'offre que peu de perspectives pour l'avenir et, surtout, ne propose aucune solution !

Si, au moins, le document que vous nous présentez allait dans le sens de l'esprit de la loi organique que vous avez ardemment défendue dans cet hémicycle, il y a encore quelques mois, mon cher Alain Lambert ! Mais ce n'est même pas le cas ! L'esprit de la loi, au Sénat, serait-il si différent de la lettre de cette même loi, au ministère ?

En effet, les hésitations et les mystères du Gouvernement durant la préparation de ce débat d'orientation ne manquent pas d'étonner même nos collègues de la majorité, M. le rapporteur général le premier. Et cela ne nous rassure guère sur la sincérité de votre démarche !

L'inconsistance du rapport que vous nous avez communiqué et ses impasses nombreuses - sur les modalités de réduction du déficit, les comptes de la sécurité sociale, la gestion des effectifs de la fonction publique ou le financement de vos promesses de baisses d'impôts - ne vont pas dans le sens de la lisibilité que vous prôniez, monsieur le ministre, et je le regrette sincèrement. Ce sont ainsi près de 20 milliards d'euros qu'il s'agit de rattraper en un an. Où allez-vous les trouver ? Point de réponse dans votre rapport...

Vous misez tout sur un gel des dépenses dont la mise en oeuvre hasardeuse et précipitée a, d'ores et déjà, créé de graves dysfonctionnements dans les services publics. La recherche, la culture, l'emploi, l'action sociale ou l'éducation vont encore une fois en faire les frais. Qu'en sera-t-il exactement ? Point de réponse dans votre rapport.

A défaut d'une stratégie réfléchie et consciencieuse, vous nous proposez un démantèlement des services publics, une politique de rigueur simpliste, un plan d'austérité déguisé par un semblant de débat, dont les hypothèses mêmes ont été corrigées après sa rédaction !

On ne peut légitimement se satisfaire de cela, d'autant que la situation, je le répète, est alarmante.

Car, vous l'aurez compris, nous ne devons pas jouer la montre une minute de plus ! Nous devons être offensifs et ambitieux pour la France et pour l'Europe. Nous devons rattraper le temps que vous avez perdu. (M. le ministre délégué s'exclame.) Nous devons faire ce que vous n'avez pas osé faire depuis un an.

Oser, cela signifie renoncer aux promesses démagogiques faites en 2002.

Oser, cela signifie inverser la tendance pour donner la priorité à l'emploi.

Oser, cela signifie aussi dire la vérité aux Français en tirant les leçons de vos erreurs dans une loi de finances rectificative.

Oser, cela signifie également pour le gouvernement français et pour le chef de l'Etat prendre l'initiative, à l'échelle européenne, d'un plan de relance de grande ampleur pour la consommation et la croissance.

Cette initiative, monsieur le ministre, s'avérerait, à plus d'un titre, essentielle pour l'avenir de notre pays.

La plupart des pays européens subissent un ralentissement de leur croissance, ralentissement qu'ils parviennent difficilement à endiguer et dont pâtissent des millions de chômeurs et des centaines d'entreprises.

Or l'emploi fait bien partie des priorités d'action que nous partageons avec nos partenaires européens. N'avions-nous pas décidé ensemble, au mois de mars 2000 à Lisbonne, de mener à bien une stratégie pour l'emploi ? Cet objectif est-il abandonné ?

Dans un deuxième temps, il est indéniable que nous ne pouvons nous contenter de bricolages budgétaires de courte vue - et là nos avis se rejoignent, monsieur le raporteur général -, nous assurant dans le meilleur des cas un strict respect du pacte de stabilité.

Nous ne pourrons, en effet, tirer pleinement avantage de la monnaie unique que si l'ensemble du territoire européen bénéficie de la croissance. Nous avons besoin de mesures d'envergure à moyen et long terme qui nous permettent d'assurer les conditions d'un développement durable, qui nous permettent d'assurer les conditions d'une confiance durable.

Ce n'est pas faire preuve de faiblesse que d'affirmer que nous ne pouvons pas agir seuls pour lutter efficacement contre la crise économique !

Enfin, on ne peut nier que des pans importants de l'économie nécessiteraient un investissement important et soutenu. Je pense à une politique d'investissement massive dans le domaine des transports et des infrastructures. Je pense à la recherche, secteur dans lequel l'Europe accuse un retard conséquent par rapport aux Etats-Unis.

Il ne faut pas oublier que l'Union européenne a toute légitimité pour agir en complément de l'action des Etats membres. Nous disposons également de moyens institutionnels financiers et d'une capacité d'emprunt pour mener à bien un plan de relance de la croissance.

Là encore, nulle trace de ces pistes de travail dans votre rapport.

Vous l'avez compris, monsieur le ministre, j'attendais du Gouvernement et de vous en particulier un apport bien plus conséquent, tant sur le fond que sur la forme, à l'occasion de ce débat d'orientation budgétaire.

M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.

M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lecture tant du rapport présenté à la commission des finances par notre collègue Philippe Marini que du document relatif à l'évolution de l'économie nationale rédigé sous l'autorité de M. le ministre délégué au budget nous conduit à penser que tous deux doivent regretter leur complicité d'antan.

En effet, il fut une époque où l'un dénonçait l'absence de transparence et de sincérité budgétaires tandis que l'autre déclinait les règles de bonne gouvernance économique, libérales bien entendu.

L'exercice doit être aujourd'hui difficile pour vous. A peine trois mois après une discussion surréaliste du projet de loi de finances pour 2003, bâti sur une hypothétique croissance de 2,5 %, vous avez été contraint, monsieur le ministre, de ramener vos espoirs de croissance à un niveau singulièrement plus bas, 1,3 %, environ la moitié de ce que vous annonciez comme envisageable. Et encore, comme le souligne notre collègue Philippe Marini, il s'agit là d'une « hypothèse volontariste supérieure au consensus » puisque l'INSEE n'envisage qu'une croissance de 0,8 % pour 2003.

Monsieur le ministre, comment expliquer que vos hypothèses soient différentes de celles de vos services...

M. Alain Lambert, ministre délégué. Non !

M. Paul Loridant. Sauf erreur de ma part, l'INSEE fait bien partie de vos services !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Il est indépendant !

M. Paul Loridant. Certes, monsieur le ministre, mais les économistes de l'INSEE sont des hommes compétents, et je constate que vous ne leur faites pas confiance.

Dans ces conditions, que penser du rôle du Parlement ? Avouez qu'en matière de sincérité budgétaire on aurait pu attendre mieux !

Votre stratégie budgétaire, qui repose sur l'idée que la baisse des prélèvements obligatoires est la condition nécessaire d'une croissance vigoureuse, semble pour l'instant ne pas fait preuve d'efficacité.

En effet, les études économiques tendent à démontrer que les baisses d'impôt disparaissent dans des trappes dites « à liquidité » et viennent plutôt alimenter la hausse du taux d'épargne. Mais vous persistez dans vos choix !

Cette politique de cadeaux fiscaux aux gros revenus se fait au détriment du fonctionnement des services publics et des grands investissements dont le pays a besoin ; j'ai bien entendu les propos de notre collègue Jacques Oudin il y a quelques instants à ce sujet. Dans le même temps, vous maintenez envers et contre tout la politique de baisse des dépenses publiques.

Monsieur le rapporteur général, permettez-moi de vous dire que votre rapport est d'une grande qualité.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je commence à m'inquiéter, mon cher collègue ! (Sourires.)

M. Alain Lambert, ministre délégué. Quel déluge de compliments, cet après-midi !

M. Paul Loridant. J'en partage largement les analyses, mais je diverge sur les propositions.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah ! Tout de même ! (Nouveaux sourires.)

M. Paul Loridant. En effet, vous vous inquiétez à juste titre, monsieur le rapporteur général, des risques de déflation qui planent sur les économies européennes, en particulier sur celle de notre pays.

Décidément, l'heure n'est plus à la pensée unique !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n'en ai jamais été un adepte !

M. Paul Loridant. Bravo de le reconnaître, mais il faut en tirer les conséquences !

Tout comme M. Prodi il y a quelques mois, le rapporteur général du budget s'interroge sur la pertinence d'un respect rigoureux du pacte de stabilité budgétaire.

Le fait est que l'objectif d'équilibre des comptes publics à l'horizon 2006 qui était fixé dans le pacte de stabilité a, passez-moi l'expression, « du plomb dans l'aile ». (M. le rapporteur général opine.) On peut se demander, sur un strict plan de doctrine économique, s'il a même aujourd'hui encore un sens.

Si j'ai bien compris ce que vous avez dit à cette tribune, monsieur le rapporteur général, l'esprit de Maastricht et le pacte de stabilité seraient d'un autre temps.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !

M. Paul Loridant. A quoi servirait en effet un équilibre des comptes publics qui serait fondé sur l'appauvrissement des salariés par une déflation salariale serrée, sur le développement de la précarité du travail, sur la remise en cause des droits sociaux et de la solidarité nationale, comme l'illustre le projet de réforme des retraites actuellement en débat à l'Assemblée nationale ?

Bref, monsieur le ministre, comment, comme vous le suggère le rapporteur général, prévenir la baisse de la consommation et de l'investissement qui se dessine ? En effet, le vrai risque pour l'année 2004, c'est le risque d'un équilibre de sous-emploi. Nous savons que les équilibres de sous-emploi sont possibles.

Il est grand temps de changer de braquet et de politique.

L'action de l'Etat ne doit pas accompagner de manière exclusive les choix de gestion des grandes entreprises, ni permettre aux ménages les plus aisés d'optimiser leurs placements spéculatifs.

Elle doit répondre clairement aux besoins de la collectivité, s'attaquer à la réduction des inégalités sociales, objectif annoncé par le président de la République, à la mise en oeuvre des droits fondamentaux des individus.

Monsieur le ministre, vous et votre Gouvernement êtes en train de réaliser que la question sociale nous a rattrapés, ou plutôt vous a rattrapés.

C'est à partir de ces choix que le budget de 2004 devrait être pensé.

Or, ce n'est manifestement pas l'orientation suivie par le Gouvernement, en tout cas nous ne l'avons pas ressentie dans le rapport d'orientation budgétaire pour l'année 2004.

C'est pourquoi, le moment venu, nous proposerons des choix alternatifs aux orientations qui sont dessinées mais, d'ores et déjà, monsieur le ministre, je voudrais vous demander de renoncer à la baisse des impôts.

Pour ma part, comme l'an passé, je préconise la stricte stabilité de la pression fiscale pour permettre de dégager les ressources nécessaires à la réforme de l'Etat, comme vous le souhaitez, mais en préservant les services publics comme, pour ma part, je le souhaite vivement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Fréville.

M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, c'est exact, voici revenu le temps de l'inquiétude et de l'incertitude.

Inquiétude face au déficit budgétaire, qui a atteint 50 milliards d'euros l'année dernière et qui atteindra probablement ce montant cette année. Nous retrouvons le niveau de 1993, l'année horrible que nous avons connue.

Incertitude quant à l'évolution de l'activité. Reconnaissons-le, les perspectives de croissance pour 2003 ne se réaliseront pas puisque la croissance devrait en fait se situer entre 0,8 % et 1,2 %. Et surtout, nous ne savons pas quand la reprise aura lieu.

Les modèles économiques affirment que les conditions générales sont favorables, mais ils ne nous permettent pas de savoir si la reprise interviendra dans un mois ou dans un an.

Dans une telle situation, le mieux serait, monsieur le ministre, que vous ne preniez vos décisions en matière de recettes budgétaires que le plus tard possible afin d'être mieux éclairé. Pour ma part, je ne jouerai pas la Pythie.

Au demeurant, dans ce climat marqué par l'inquiétude et par l'incertitude, le Gouvernement doit être lucide et ferme dans ses objectifs et dans ses choix fondamentaux, déterminé dans ses actions.

Ces choix fondamentaux doivent s'inscrire dans une triple perspective temporelle.

Première perspective : le long terme.

Comme M. de Villepin le rappelait voilà un instant, le taux de croissance de la France, sur dix ans, est inférieur d'un point à celui des Etats-Unis. Comme le Gouvernement, nous pensons qu'un niveau de dépenses publiques proche de 55 % ne peut qu'affaiblir la compétitivité de notre pays dans une économie désormais mondialisée. Les dépenses publiques sont certes utiles, même à ce niveau de 55 %, mais il arrive un moment où elles pèsent sur le coût du travail, sur l'emploi, sur l'innovation. Vous avez donc raison, monsieur le ministre, de vouloir réduire à long terme les dépenses publiques, car c'est la seule manière de réduire les prélèvements obligatoires.

Deuxième perspective : le moyen terme.

Nous devons nous adapter à une économie mondiale qui, depuis le premier choc pétrolier, est redevenue cyclique, comme elle l'était avant-guerre.

Il faudra nous habituer à vivre des périodes de crises, suivies de booms, à voir des bulles financières exploser. Il nous faudra nous adapter à cette situation nouvelle.

Car nous avons tendance à oublier ce caractère cyclique, éventuellement très accentué, de la vie économique. C'est ainsi que, aussitôt la croissance revenue, le gouvernement précédent et sa majorité ont pensé que la croissance serait indéfinie. Nous-mêmes, en 1997, il faut le reconnaître, nous n'avions pas pensé que la reprise serait aussi rapide. Et peut-être aujourd'hui nous alarmons-nous à tort !

L'essentiel est d'avoir une politique budgétaire susceptible de s'adapter à cette économie redevenue cyclique, et dans laquelle on verra peut-être poindre la déflation. Mais cela passe nécessairement par la réduction de notre déficit structurel. Or, à l'heure actuelle, sur les 3,5 ou 3,6 points de PIB que représente le déficit, les deux tiers sont de nature structurelle. C'est cette part que, avec vous, monsieur le ministre, nous voulons voir disparaître dans les quelques années qui viennent.

Le troisième horizon, c'est évidemment le court terme : il faut que, grâce à une politique budgétaire que je qualifierai d'« accommodante », nous ne brisions pas les possibilités de reprise, mais que, au contraire, nous puissions la hâter.

Or c'est à l'échelon européen que tout se joue. La politique monétaire européenne est devenue légèrement contracyclique. Cependant, dans une zone monétaire intégrée, c'est au pouvoir « fédéral » qu'il appartient d'exercer la fonction budgétaire de stabilisation. Aux Etats-Unis, c'est possible parce qu'il y a des impôts fédéraux, un budget fédéral, et l'on voit avec quelle force le gouvernement fédéral américain manie aujourd'hui ces instruments.

L'Europe a une monnaie, certes, mais elle a un budget nain. Comment pourrait-elle, dès lors, mener par elle-même une politique budgétaire contracyclique ?

Puisqu'on nous demande de réduire notre déficit structurel, il serait normal que l'Europe nous permette d'avoir aujourd'hui une politique budgétaire accommodante, quitte à ce que nous ne repassions pas immédiatement sous la barre des 3 %.

Voilà pour les principes fondamentaux. Au-delà, il faut aussi que le Gouvernement soit déterminé dans son action. Mais je suis certain qu'il le sera.

Quiconque a suivi les débats budgétaires qui ont eu lieu il y a quatre ans et suit les débats budgétaires d'aujourd'hui peut constater que ce sont exactement les mêmes propositions qui sont formulées, les mêmes instruments que l'on entend utiliser : il s'agit, concernant les dépenses, de fixer une norme de progression à ne pas dépasser et, concernant les recettes, de laisser jouer les stabilisateurs automatiques. Si les principes sont bien les mêmes, c'est dans leur respect que l'on peut observer une différence entre le gouvernement précédent et le gouvernement actuel. Or une politique ne vaut que par la détermination avec laquelle elle est menée.

Les deux normes qui ont été retenues - norme d'évolution des dépenses visant à leur stabilisation en volume sur plusieurs années, indépendamment de la conjoncture, et norme consistant à laisser jouer les stabilisateurs automatiques - me satisfont.

Monsieur le ministre, permettez-moi cependant de vous soumettre quatre interrogations concernant la signification de ces normes.

La première porte sur la norme relative aux recettes. Bien sûr, il faut laisser jouer les stabilisateurs automatiques, et il serait absurde, comme vous le disiez tout à l'heure, de permettre que les fluctuations énormes de l'impôt sur les sociétés entraînent des variations de taux en sens inverse destinées à assurer un équilibre purement comptable mais qui se retourneraient contre la croissance.

Mai en matière d'assurance maladie, sous quelle condition peut-on laisser jouer les stabilisateurs automatiques. Le déficit de l'assurance maladie, qui était de 7 milliards d'euros voilà dix ans, a été pratiquement réduit à néant au sommet de la croissance, avant de replonger aujourd'hui à environ 10 milliards d'euros. Mais on ne peut laisser jouer les stabilisateurs automatiques que si, en moyenne, sur l'ensemble du cycle, les recettes assurent l'équilibre. Or ce n'est pas le cas, aujourd'hui, pour l'assurance maladie.

L'ONDAM est, si j'ose dire, un sabre de bois, et l'on ne parvient pas à maîtriser les dépenses de santé. Le trend des dépenses est tel que l'on n'arrive pas à le ramener à un niveau compatible avec celui des recettes actuelles. Il faudra bien ajuster les recettes : de manière collective, à travers la CSG, de manière mutualisée ou de manière individuelle, on peut en discuter ; mais on voit bien là la limite du jeu des stabilisateurs automatiques.

Ma deuxième interrogation concerne les impôts : faut-il, en bas de cycle, réduire de façon discrétionnaire le taux de certains impôts ?

Bien sûr, on respectera les engagements déjà pris, y compris ceux qui concernent la baisse des charges liées au SMIC. Mais faut-il aller plus loin ? J'ai tendance à considérer que si un impôt doit baisser pour des raisons structurelles, parce que son taux actuel pénalise le travail et la prise de risque, et à condition qu'on prenne en compte sa diminution voire sa suppression dans le calcul du déficit structurel, alors, il ne faut pas hésiter.

En effet, pour favoriser la croissance, il vaut bien mieux - l'argumentation de Jean-Paul Fitoussi me paraît à cet égard tout à fait pertinente - réduire un impôt en bas de cycle qu'en haut de cycle.

Je pense que ces mesures devraient s'inscrire dans le cadre de vraies réformes fiscales.

Rapprochons le taux normal et le taux réduit de la TVA ; rapprochons la fiscalité des actions de celle des obligations, mais n'improvisons pas au coup par coup. Si des mesures structurelles de ce type sont justifiées, adoptons-les le plus rapidement possible, évidemment après les avoir étudiées.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Bonne démarche !

M. Yves Fréville. J'en viens à ma troisième interrogation.

Il convient de faire respecter la norme d'évolution des dépenses. La solution qui a été choisie dans les lettres de cadrage, et qui consiste à stabiliser la dépense de l'Etat en volume, est tout à fait justifiée. Encore faut-il respecter, en exécution, ce choix. Par les mesures rigoureuses que vous avez prises - gel partiel des reports, obligation de ne pas dépenser plus que les crédits inscrits dans la loi de finances initiale, quel que soit le montant des reports -, vous démontrez votre détermination à faire respecter la norme.

Permettez-moi cependant de vous demandez si cette norme vaut pour les concours de l'Etat aux collectivités locales. Pour ma part, j'estime que l'on peut très bien, l'année prochaine, reconduire le pacte de croissance et de stabilité. Il faudra bien, de toute façon, en définir un. Au demeurant, un tiers de 1 % de croissance en volume, cela ne fait jamais que 0,33 %, à quoi il faut bien sûr ajouter le taux d'inflation. Mais je suis certain que, si l'on arrive à maîtriser, voire à réduire les dégrèvements d'impôts locaux, le pacte de stabilité pourra parfaitement être reconduit sans que le respect de la norme d'évolution des dépenses de l'Etat - ou plutôt de quasi-dépenses puisqu'il s'agit de prélèvements et de dégrèvements - s'en trouve affecté.

Enfin, quatrième interrogation, comment faire en sorte que la norme de stabilisation en volume soit respectée ? Si la charge des pensions de retraite augmente au minimum de 5 % et celle de la dette au minimum de 4 %, les autres dépenses devront être stabilisées en valeur. Certains budgets devront baisser : c'est une nécessité.

Je suis absolument persuadé que, comme le disait Philippe Adnot, il existe des voies permettant de réduire les dépenses. La première consiste à redéfinir les missions de l'administration.

Je prendrai l'exemple de l'enseignement, que je connais plus particulièrement. On développe partout le nombre des options, et c'est très bien. Mais est-il nécessaire de le faire sans limite ? Est-il nécessaire que les dépenses par élève des lycées soient plus importantes que celles de l'enseignement supérieur, alors que c'est l'inverse que l'on observe dans la plupart des autres pays ?

En matière de recherche, au lieu qu'il y ait, comme aujourd'hui, beaucoup de chercheurs sans moyens, je préférerais qu'il y ait moins de chercheurs mais avec les moyens qui les rendent efficaces !

On parle toujours de l'administration, mais on pourra pas se dispenser de remettre en cause aussi les crédits d'intervention. Si l'on fait la somme, ménage par ménage, des allocations de toute nature versées aux ménages, on risque fort de constater que la répartition globale n'est pas totalement satisfaisante... Je dirai la même chose, quitte à être impopulaire, en ce qui concerne les dotations aux collectivités locales.

M. le rapporteur général a évoqué la quadrature du cercle, problème insoluble en géométrie. Si l'on ne peut résoudre la quadrature du cercle, on peut s'en approcher. Je suis sûr que, par la gestion rigoureuse que le Gouvernement engage, monsieur le ministre, vous y parviendrez et redonnerez la confiance aux Français, qui savent qu'un déficit de 17 % est insoutenable pour eux et pour leur enfants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Mano.

M. Jean-Yves Mano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d'orientation budgétaire qui s'est ouvert aujourd'hui se situe dans un contexte difficile sur le plan économique. Toutefois, si l'on peut dire objectivement que la conjoncture internationale pèse sur l'activité, la politique du Gouvernement ne fait qu'aggraver la situation.

Vous avez souligné, monsieur le ministre, que l'année 2003 constituait l'« année test » en matière de choix budgétaires et de politique économique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que, jusqu'à ce jour, le test n'est pas concluant, bien au contraire, et je ne vois dans votre politique ni perspectives d'amélioration ni motifs d'espoir pour les Français.

En effet, les déficits publics ne cessent de grimper, le chômage massif est de retour et le déficit de la sécurité sociale explose.

Le déficit public dépassera sans doute les 3,5 % du PIB. Oublié l'équilibre des finances publiques pour 2004 ! Irréaliste, bien sûr, pour un gouvernement qui ne fait pas de l'emploi sa priorité et qui accumule les cadeaux fiscaux. L'objectif est désormais reporté à 2007.

Notre pays est mis à l'index par la Commission de Bruxelles. Nous allons être lourdement sanctionnés, mais vous continuez à mener une politique hasardeuse qui met en danger les générations futures.

La trajectoire que vous évoquez souvent, monsieur le ministre, doit être sérieusement revue, car elle nous mène droit dans le mur, voire dans le gouffre.

La croissance, vous l'avez étouffée : elle est en chute libre : 1,8 % en 2001, 1,2 % en 2002, vraisemblablement, hélas ! 0,8 % en 2003. Pour 2004, vos prévisions sont totalement déraisonnables.

Les raisons, nous les connaissons ; vos explications nous les rejetons.

Force est de constater qu'il aura suffi de quelques mois pour fragiliser la confiance et faire revenir la France dans le peloton européen alors qu'elle était auparavant le moteur de l'Europe.

Vous rejouez la partie perdue de 1995 à 1997 en commettant les mêmes erreurs ; vous ne tirez aucune leçon de vos échecs passés.

Il est désormais tout à fait incontestable que ce sont les décisions du Gouvernement qui ont précipité la France dans d'extrêmes difficultés que nous ne pensions plus connaître.

Car il vous a fallu respecter des promesses électorales inconsidérées qui coûtent si cher aujourd'hui à la France.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà des propos faciles !

M. Jean-Yves Mano. Et vous annoncez toujours plus de baisses d'impôts pour les plus aisés, moins de protection sociale pour les plus démunis et le gel des budgets jusqu'en 2006.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Discours de conseil général !

M. Jean-Yves Mano. Pardonnez-moi, mais les Français savent que c'est bien la réalité ! Ils la vivent tous les jours !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous n'avons pas besoin de caricature !

M. Jean-Yves Mano. Bientôt, certains ministères ne pourront plus fonctionner. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les ministres,...

M. Alain Lambert, ministre délégué. C'est le Canard enchaîné !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur Mano, ne confondez pas le Canard enchaîné et les ministères !

M. Jean-Yves Mano. ... hormis le ministre de la justice et le ministre de l'intérieur. Oublié l'emploi, oubliée la recherche, oublié l'enseignement, oublié le logement !

Mais vous persistez : baisse de l'impôt s

ur la fortune ! A en croire vos prévisions de baisses d'impôts, ce sont 24 milliards d'euros qu'il faudra trouver pour les quatre ans à venir !

La santé fait maintenant office de variable d'ajustement : déremboursement d'un certain nombre de médicaments et de prestations, risque de mise en place d'un système concurrentiel dans la gestion de l'assurance maladie, déficit de la sécurité sociale non maîtrisé, etc. Jusqu'où irez-vous ?

Monsieur le ministre, si ce n'est un retour à la rigueur ou un budget de récession - cela vous n'osez évidemment pas l'avouer ! -, c'est une politique libérale agressive.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah bon ?

M. Jean-Yves Mano. Mais il n'y a rien d'étonnant à cela : la droite s'assume désormais.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !

M. Jean-Yves Mano. Elle n'a plus que deux objectifs, d'abord la revanche sociale, ensuite, le désengagement de l'Etat, avec moins de services publics, moins de protection et, bien sûr, moins d'impôts pour les plus favorisés.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est incroyable !

M. Jean-Yves Mano. Notre pays, monsieur le ministre, a besoin de plus de solidarité et de moins de cadeaux clientélistes.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Et c'est eux qui disent ça !

M. Jean-Yves Mano. Votre réponse, on la devine : vous trouverez des issues dans la décentralisation, que vous avez d'ailleurs réussie en quelques mois à rendre impopulaire. Car votre seul objectif, c'est de transférer les charges vers les collectivités territoriales. La décentralisation n'est pour vous que la solution à l'inconnue de votre équation budgétaire.

La décentralisation mérite mieux que cela. Les Français aussi !

Mais vous ne vous arrêtez pas là. Après les annulations de crédits, puis les gels qui se tranformeront sans nul doute en annulations supplémentaires, précipitant le pays dans la crise, vous naviguez à vue en matière de politique budgétaire, au gré des ajustements successifs liés à la baisse du taux de croissance, qui est la conséquence de votre politique.

Permettez-moi, monsieur le ministre, à ce moment de mon intervention, d'aborder une question à laquelle je suis sensible, à savoir celle des crédits affectés au logement.

Réuni en congrès la semaine dernière à Lille, le monde du logement social a exprimé ses plus vives inquiétudes quant aux réponses apportées par le Gouvernement aux deux millions de demandeurs de logements sociaux et aux trois millions de mal-logés de ce pays.

Ce ne sont pas les annonces opportunistes de pseudo-dégel des crédits, opéré d'ailleurs par redéploiements internes au sein du ministère de l'équipement qui permettront de trouver une issue favorable à la crise financière du logement social.

Vous avez négligé la construction. Vous n'y avez pas consacré les moyens suffisants et vous avez priviligié l'investissement privé.

Dès lors, force est de constater que les choix du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Que dire des déclarations quasiment ubuesques du ministre de la ville affirmant la nécessité de démolir en quatre ans 200 000 logements, d'en reconstruire 200 000 et d'en entretenir 100 000 ? On se demande encore aujourd'hui où est la moindre ligne budgétaire correspondant à ces opérations - à moins qu'il ne s'agisse du prélèvement annuel de 400 000 euros sur le chapitre X du budget du logement ! -, alors que le ministre lui-même évoque un besoin de 30 milliards d'euros sur cinq ans. A l'évidence, vous ne savez pas comment financer ces logements.

Dans ces conditions, quelles nouvelles mesures d'économies envisagez-vous pour 2004 en matière de logement ? Après l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, qu'allez-vous sacrifier ? Sans doute le fonds de solidarité logement !

Monsieur le ministre, au-delà des polémiques, tous les professionnels du logement sont inquiets.

En conclusion, je m'interrogerai sur les objectifs de votre politique. Elle me fait penser à l'action du Fonds monétaire international qui, au lieu de donner de l'oxygène aux pays en difficulté, les étouffe. Eh bien, monsieur le ministre, votre politique budgétaire étouffe la confiance, étouffe la croissance, étouffe l'emploi, en un mot étouffe les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est tout ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aurai eu la chance aujourd'hui de participer successivement à deux débats d'orientation budgétaire : ce matin à l'Assemblée nationale, cet après-midi au Sénat.

M. Xavier de Villepin. Veinard ! (Sourires.)

M. Alain Lambert, ministre délégué. N'est-ce pas ?

Cela me permet en tout cas de mesurer la complémentarité des deux assemblées et de voir combien la réflexion s'enrichit à écouter les sénateurs faire part de leur point de vue sur l'avenir de nos comptes publics.

Je voudrais dire à M. le rapporteur général que je continue d'admirer le travail qu'il mène au sein de la commission des finances, sous l'autorité de M. le président Jean Arthuis et avec l'équipe qui l'entoure. Ce travail remarquable se traduit dans un rapport comme toujours d'une immense qualité, au titre toutefois quelque peu déroutant, du moins à l'oral dans la mesure où l'on n'« entend » pas le point d'interrogation qui suit la formule « la quadrature du cercle ».

Cela étant, monsieur le rapporteur général, ce que la géométrie ne sait pas résoudre, la politique saura le faire. Selon vos propres termes, nous saurons « en sortir ».

Vous avez dit qu'il en va de l'indépendance de la France, de l'existence même de sa voix dans le monde. En employant ces mots, vous avez placé le débat au niveau où il doit être. Je vous remercie de l'avoir fait et permettez-moi de faire miennes vos affirmations.

Je note avec le plus grand intérêt vos propositions tendant à améliorer la discussion sur l'évolution de notre système fiscal.

L'institution d'un rapport sur les prélèvements obligatoires par la loi organique constitue un progrès réel en ce qu'il permet un débat consolidé sur l'évolution de nos finances publiques qui englobent le budget de l'Etat et des finances sociales.

Sans doute cela pourrait-il être l'occasion d'un débat d'orientation fiscale permettant de recueillir les propositions du Parlement en matière d'évolution de notre structure fiscale, sujet décisif pour l'avenir du pays. Il serait intéressant, selon des modalités dont nous pourrions discuter ensemble, « d'ajouter », si j'ose dire, à ce dialogue entre le Parlement et l'exécutif cette dimension d'orientation fiscale, qui est stratégique.

Vous avez souligné fort justement la nécessité de faire de la maîtrise des dépenses l'étalon de notre marge de manoeuvre en matière de baisse des impôts. En formulant ainsi vos propos, j'espère les interpréter correctement.

Au fond, disons-le franchement puisque nous sommes entre nous, ne répétons pas les erreurs du gouvernement précédent. L'ambition de l'actuel gouvernement est de stabiliser les dépenses de l'Etat en volume jusqu'en 2006 afin de baisser les impôts tout en réduisant les déficits. J'en dirai davantage dans un instant en répondant aux orateurs.

Monsieur le président de la commission des finances, vous avez évoqué plusieurs ambitions, dont l'une a été formulée d'une manière si belle que j'ai décidé, si vous le voulez bien, de vous la voler.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je vous en prie !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Il s'agit de « mettre de la lumière dans la maison des comptes publics ».

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Dans chaque pièce !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Ensemble, éclairons toutes les pièces de cette maison : celles de l'Etat, mais aussi celles des comptes sociaux dont le redressement est tout aussi urgent et décisif. Je répondrai également à ce sujet au président de la commission des affaires sociales, M. About, dans un instant.

Monsieur le président de la commission des finances, utilisons, en effet, les outils modernes qui permettent d'éclairer toute la maison.

OEuvrons d'abord en faveur de la transparence. Sur les régulations, nous le faisons déjà. Sur l'exécution budgétaire aussi, puisque nous avons intégré nos prévisions de recettes dans notre rapport sur le débat d'orientation budgétaire.

OEuvrons également en faveur de l'exhaustivité. Vous êtes très attaché à cette notion depuis longtemps. Le compte général de l'administration des finances de 2002 contient une évaluation des engagements hors bilan de l'Etat, ce qui est un progrès.

OEuvrons aussi en faveur de la modernité, par le respect des obligations figurant dans la loi organique qui est, en effet, un enfant commun du Parlement et de l'exécutif. Nous devons élever cet enfant ensemble, l'amener à l'âge adulte afin qu'il puisse donner tous les fruits que nous pouvons attendre de lui. Nous y travaillons et nous continuerons d'y travailler.

De la même façon, vous avez proposé une mission interministérielle en matière de recherche. C'est une excellente idée. Elle répond d'ailleurs au souhait du ministre en charge de la recherche, Mme Haigneré. Je vous donne mon accord sur ce point.

S'agissant de la gouvernance économique en Europe, je sais que vous ne souhaitez pas que nous laissions l'euro orphelin, comme vous l'avez écrit dans un journal du soir paru hier.

Je m'attarderai un instant sur ce point, si vous le permettez. Je répondrai ainsi à la fois à votre intervention et à celle de M. le rapporteur général.

Vous vous êtes interrogés tous les deux sur un point capital : le gouvernement économique européen et la coordination des politiques économiques en Europe.

Il y a là une impérieuse nécessité qui implique de réunir plusieurs conditions : d'abord partager une vision commune et avoir des objectifs communs.

C'est un préalable, mais je voulais vous dire - ce dont vous vous doutez bien - que tel est déjà le cas. Je fais référence au pacte que vous qualifiez de « règlement de copropriété », à notre volonté, notre engagement communs de réduire nos déficits et à notre responsabilité devant nos concitoyens.

Faire vivre ensemble, coordonner, c'est échanger, se parler. Nous le faisons systématiquement et de plus en plus souvent. Nous le faisons en particulier avec nos voisins allemands, comme ce fut encore le cas la semaine dernière à l'occasion d'un conseil économique et financier entre la France et l'Allemagne.

Une autre dimension du gouvernement économique européen consiste à prendre en compte, dans chaque pays, la situation du moment.

Nous l'avons fait en France en 2003, en refusant d'accélérer l'ajustement structurel par des hausses des prélèvements de crainte d'empêcher ou de retarder la reprise.

Les Allemands s'y mettent, vous l'avez vu. Cela explique leurs projets actuels d'anticipation des baisses d'impôts : initialement prévues pour 2005, elles devraient commencer dès 2004.

Nous suivons la même démarche. Nous sommes d'accord sur les objectifs de réduction des déficits. Nous avons aussi pris conscience qu'il faut tout faire pour ne pas casser la croissance européenne et pour baisser les prélèvements.

Nous nous accordons aussi sur l'idée que la clé de tout, c'est la réduction du poids des dépenses publiques dans nos comptes.

Enfin, la coordination, c'est, au-delà de la politique macro-économique, la politique en faveur de la réforme et de la modernisation de nos pays, conformément aux grandes orientations de politique économique. Il s'agit, en priorité, de la réforme du marché du travail et de la réforme des retraites, autant d'éléments décisifs pour les performances de notre zone euro.

Dans le passé, nous n'avons pas toujours été d'accord sur ces points avec nos partenaires. Aujourd'hui, nous sommes d'accord, et je vous demande, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, de me croire quand je vous dis que nous agissons et que nos partenaires agissent aussi.

Naturellement, nous pouvons encore progresser en matière de coordination, mais nous ne partons pas de rien, même si nous n'en sommes pas encore au gouvernement économique européen que vous appelez de vos voeux, monsieur le président de la commission des finances. Notre volonté est forte et nous irons ensemble plus loin.

L'ébauche de ce gouvernement existe : c'est l'Eurogroupe. Nous avons avancé, conjointement avec les Allemands, des propositions lors de la convention européenne sur renforcer les missions de cet organisme sur les sujets qui concernent la zone euro.

Au terme de cette convention et de la conférence intergouvernementale, j'ai la conviction que nous aurons progressé.

Vous avez, monsieur Arthuis, évoqué la question du taux intermédiaire de la TVA, sujet sur lequel M. Denis Badré est un grand spécialiste. La révision de la structure des taux de TVA sera inscrite à l'ordre du jour des discussions communautaires du second semestre de l'année 2003.

Nous devrions connaître les propositions concrètes de la Commission dans le courant du mois de juillet, lorsque le projet de directive sera transmis aux Etats membres.

Ce débat, dans le cadre duquel la question d'un taux intermédiaire pourra être examinée, aboutira à l'adoption d'une directive révisant la fameuse annexe H à la sixième directive avant la fin de l'année 2003.

Néanmoins, je vous incite d'ores et déjà à réfléchir au problème suivant : l'idée d'un taux intermédiaire est intéressante, elle fera vraisemblablement disparaître le taux super réduit de 2,10 % applicable aux médicaments et à l'audiovisuel.

J'aimerai, le moment venu, connaître le point de vue de la commission des finances du Sénat sur ce délicat surjet.

J'en viens aux observations formulées par le président de la commission des affaires sociales, M. About. Il a dû s'absenter - il m'a prié de l'en excuser -, mais le président de la commission des finances et le rapporteur général doivent attacher également beaucoup d'importance à la question de la consolidation des comptes publics dont nous avons souvent eu l'occasion de discuter entre nous.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Alain Lambert, ministre délégué. En matière de redressement des comptes publics, M. Nicolas About n'a aucune hésitation à avoir entre les divers aspects de son rôle de président de commission : l'objectif d'équilibre des comptes sociaux est prioritaire dans la période difficile que nous connaissons. S'il en était autrement, la commission des affaires sociales passerait à côté de ses devoirs.

Les finances sociales sont une variable clé du redressement de nos comptes publics. En effet, les dépenses sociales sont à l'heure actuelle plus importantes que les dépenses de l'Etat : 40 % contre 30 %.

Ensuite, les chantiers décisifs de modernisation du pays doivent être menés dans ce périmètre. C'est la question des retraites : le Gouvernement s'y emploie. C'est la question de l'assurance maladie, également : le chantier s'ouvre. Il doit être mené à bien et nous aurons besoin de la contribution des commissions des affaires sociales de chacune des deux assemblées.

Aussi, je ne peux que saluer la proposition de M. About d'ouvrir un débat sur les finances publiques qui vienne consolider, en quelque sorte, les débats sur les comptes de l'Etat et sur les comptes sociaux. C'est une condition nécessaire à la restauration de la « soutenabilité » de nos comptes publics.

J'en viens aux propos du président Xavier de Villepin qui s'est exprimé au nom de l'UMP. Il nous a dit à quel point il soutient le Gouvernement pour aller de l'avant sur la croissance, sur la baisse des impôts, sur la compétitivité de la France et sur ce chemin difficile - comme il l'a si bien dit - de la responsabilité.

Je n'évoquerai pas tous les sujets qu'il a traités mais, comme je sais ceux qui lui sont chers, je dirai d'abord un mot de la programmation militaire. Monsieur le président, nous comptons bien respecter cette loi de programmation militaire et nous préparons le budget 2004 en ce sens.

Monsieur de Villepin, vous avez également soulevé la question de l'endettement des entreprises en soulignant le risque que cet endettement fait peser sur la reprise de l'investissement et donc de la croissance. C'est vrai, la dette est élevée, mais je dois préciser que les chiffres de l'INSEE confirment la forte concentration de ce problème dans quelques grands groupes, souvent publics d'ailleurs, qui ont mené une politique coûteuse d'acquisitions durant la « bulle » que nous avons évoquée à maintes reprises au cours de ce débat. Pour les autres entreprises, notamment pour les petites et moyennes entreprises, la situation financière ne s'est pas dégradée, d'après l'INSEE.

En outre, en raison de la faiblesse des taux d'intérêt, la charge de la dette est, le plus souvent, supportable même pour les entreprises endettées.

Il n'y a donc pas d'obstacle majeur à la reprise de l'investissement dès lors que - vous l'avez très bien dit - la confiance des entreprises et la confiance des ménages seront retrouvées.

Après l'intervention de M. le rapporteur général et avant celles de Denis Badré et de Paul Loridant, vous avez évoqué la question du risque de déflation. C'est, en effet, un sujet de débat économique aujourd'hui. Mais je pense franchement que la France ne fait pas partie des pays identifiables comme présentant un risque de déflation. En tout cas, elle n'est pas identifiée comme tel par le Fonds monétaire international dans l'étude qu'a citée M. le rapporteur général.

Ce sujet concerne davantage l'Allemagne, notre principal partenaire économique, ce qui nous appelle à la vigilance.

Les autorités allemandes se montrent responsables. Elles ne veulent pas pénaliser davantage l'activité. La Banque centrale européenne a aussi témoigné de sa vigilance en révisant sa stratégie monétaire : elle vise une inflation proche de 2 %, ce qui nous éloigne donc de 0 %.

Mais, monsieur Xavier de Villepin, je sais que si je ne vous répondais pas sur les mesures de régulation budgétaire et leur caractère éventuellement démobilisateur pour nos gestionnaires, je vous décevrais, d'autant que - à vous, je ne cacherai rien ! - (Sourires), j'ai « subliminalement » (Nouveaux sourires) senti dans vos propos non pas une critique, car l'affection qui nous unit vous a retenu, mais la crainte de voir des réactions arithmétiques prendre le pas sur le discernement.

Monsieur le président de Villepin, je vais vous renvoyer en quelque sorte la responsabilité du meilleur discernement possible. Les mesures de régulation ne sont pas des outils agréables à utiliser ! Ils ne sont pas agréables à subir, mais ils ne sont pas agréables non plus à utiliser. Vous n'avez pas le sentiment de faire preuve d'intelligence lorsque vous utilisez un acte de régulation !

Nous sommes contraints d'utiliser ces outils pour respecter votre autorisation souveraine : vous, parlementaires, êtes la volonté générale, vous êtes la représentation du peuple français, vous êtes le souverain, et le premier devoir du Gouvernement, c'est de respecter la volonté générale exprimée par le Parlement. Si vous décidez que nous ne devons pas dépenser au-delà de votre autorisation, dites-nous où nous devons mieux réguler !

Nous sommes prêts à vous entendre, à vous écouter, à agir selon vos recommandations. Nous prenons en compte les priorités qui sont fixées par le Gouvernement. Mais admettez avec moi que, dès lors qu'on ne veut pas dépenser plus que votre autorisation, ces priorités viennent réduire à due concurrence les crédits des autres missions de l'Etat. Lesquelles voulez-vous voir contribuer davantage ? Nous sommes à votre écoute sur ce sujet et nous tiendrons le plus grand compte de vos recommandations.

Une exécution budgétaire, monsieur de Villepin, doit être adaptable face à des évolutions que nous ne pouvons pas maîtriser en cours d'année. Nous enregistrons par exemple actuellement des dérapages spontanés sur certaines dépenses, notamment sur les guichets sociaux. Des lors, l'alternative est simple : soit c'est l'ensemble du déficit qui dérape au-delà de l'autorisation parlementaire et, si c'est le souhait du Sénat, il faut qu'il me le dise de manière claire et non ambiguë - je n'ai pas compris au travers des interventions que c'était le souhait de la majorité du Sénat -, ...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Vous avez bien compris !

M. Alain Lambert, ministre délégué. ... soit nous maintenons un dispositif de régulation conçu non pas pour dépenser moins, je vous rassure tout de suite sur ce point, mais tout simplement pour respecter votre autorisation parlementaire.

Cela étant dit, après m'être expliqué en toute bonne foi, vous pouvez croire, monsieur le président, à tout mon zèle pour que ces régulations soient les moins gênantes possibles pour l'action publique.

M. Gérard Miquel m'a prié de l'excuser parce qu'il lui était impossible de rester jusqu'à la fin du débat. Je voudrais qu'il sache que mon adhésion à ses idées est inversement proportionnelle à l'estime personnelle que je lui porte. (Sourires.)

Il a évoqué la fragilité des prévisions. Il sait de quoi il parle ! Je lui dirai donc que je persiste et signe sur les travaux que j'ai eu l'honneur de mener au nom de la commission des finances sur la sincérité budgétaire. Je m'y applique, mais personne n'a le pouvoir de transformer en certitude ce qui n'est qu'une prévision et une évaluation.

S'agissant de la nécessité de déposer un collectif budgétaire, je ferai part très brièvement de la position du Gouvernement. L'objectif serait-il d'augmenter les dépenses ? Il n'en est pas question ! Serait-il d'augmenter les impôts ? Il n'en est pas question non plus !

Dès lors, il faudrait mesurer l'évolution des déficits. L'écart, je l'ai déjà donné, est, s'agissant des recettes fiscales, de 5,1 milliards, c'est-à-dire 1 % des masses qui sont en cause et qui représentent 500 milliards en recettes comme en dépenses. Cet écart de 5,1 milliards repose sur des évaluations et non sur des certitudes. Il n'est donc pas à exclure que la fin de l'année soit meilleure que le début : en conséquence, je ne vois pas vraiment la nécessité ou l'intérêt de déposer un collectif budgétaire.

L'essentiel, me semble-t-il, c'est d'informer le Parlement, et aucune information ne vous est cachée : je vous ai donné à chaque instant de l'année la totalité de celles dont je disposais.

S'agissant des autres questions que M. Miquel a évoquées, je lui adresserai une réponse particulière puisque l'heure tourne et que vous êtes, les uns et les autres, désireux de ne pas rentrer trop tard dans vos départements.

Sur l'effet de la baisse de l'impôt sur le revenu, dont il a dit un mot, je répondrai qu'elle est efficace. Et puisque, de temps en temps, référence est faite à l'INSEE, pensant que cela peut gêner le Gouvernement, citons le travail de cet institut sur les mérites des baisses d'impôt sur le revenu.

Dans sa dernière note de conjoncture, évoquant le taux de 0,25 % cet hiver, c'est-à-dire au moment où les incertitudes internationales étaient à leur maximum, l'INSEE a souligné l'intérêt que représentent les baisses d'impôt sur le revenu.

Au moment où la consommation reculait chez plusieurs de nos partenaires, alors au bord de la récession, nous avons eu, nous, la chance d'avoir une consommation qui résistait. Quelle aurait été l'incidence, sur la confiance des Français et sur la consommation, d'une absence de baisse d'impôts ?

La réduction de l'impôt sur le revenu est efficace aussi, et peut-être surtout, à moyen et à long terme. Nous l'avons dit en septembre dernier : elle valorise le travail des Français, l'initiative, elle est propice à la croissance, à l'emploi. Baisser l'impôt sur le revenu, c'est une bonne décision et le Gouvernement a l'intention de poursuivre dans cette voie.

Monsieur Jacques Oudin, vous que je sais toujours très attentif à l'investissement, soyez assuré de la détermination du Gouvernement à le favoriser et à lutter à vos côtés afin que les dépenses de fonctionnement de l'Etat ne viennent pas définitivement « manger » ce qui nous reste de capacité à investir. Cela étant très difficile à court terme, compte tenu de la rigidité de la budgétisation de l'Etat, il nous faut retrouver des marges de manoeuvre ; c'est tout le sens de la politique que nous menons.

S'agissant des infrastructures de transport, M. Oudin a souhaité que nous trouvions de nouvelles ressources. C'est bien l'intention du Gouvernement, comme l'ont indiqué MM. Gilles de Robien et Dominique Bussereau. Les besoins sont très importants, nous en sommes conscients, même si le niveau d'équipement du pays a progressé.

N'oublions pas les coûts très importants que supporte la collectivité, en raison notamment de l'endettement du système ferroviaire. Cela ne nous laisse qu'une marge de manoeuvre bien limitée !

M. Pelletier est intervenu sur l'aide publique au développement. Le Gouvernement souhaite développer son effort en la matière ; il est d'ailleurs en avance sur les objectifs qu'il s'était fixés.

S'agissant de la régulation, je viens de répondre longuement à M. de Villepin sur ce point et mon propos vaut pour vous, monsieur le sénateur.

Il convient de relativiser l'importance des mesures de régulation. Elles portent sur quelques dizaines de millions d'euros, alors que notre effort dépasse six milliards d'euros. Parlons franchement, comme nous l'avons toujours fait au Sénat. Ne vous laissez pas - j'allais dire « intoxiquer », mais l'expression n'est pas digne de cette maison ! (Sourires.) Ne prenez pas pour argent comptant tout ce que vous disent les gestionnaires car, parfois, les régulations s'appliquent sur des chapitres budgétaires qu'ils nous ont eux-mêmes indiqués !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Oh oui !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Je veux à ce titre - le procès-verbal en fera foi - leur rappeler que la bonne manière consiste à discuter avec nous du chapitre le moins dommageable pour l'action publique qu'ils ont à mener. Quant au Gouvernement, il est à l'écoute du Parlement pour savoir quels autres chapitres il est possible, éventuellement, de réduire.

Monsieur Aymeri de Montesquiou, votre propos était si complet qu'il aurait pu être celui du ministre du budget ! Au fond, il valait réponse à l'ensemble des intervenants et, très franchement - mais j'espère ne pas vous gêner en vous répondant cela -, il est la meilleure réponse que l'on pouvait donner à l'opposition. Il y avait en effet, dans vos propos, une vigueur que je n'ai pas toujours, en raison du peu de forces qui me restent pour m'exprimer ! Je tiens à vous dire à quel point je partage votre point de vue sur l'ensemble des fondamentaux que vous avez rappelés pour que notre pays réussisse dans la bataille de la compétitivité, qui est la seule chance de la France.

J'en viens à l'intervention de M. Bernard Angels, et M. Jean-Yves Mano trouvera des réponses dans mon propos.

A sa manière, M. Angels a dit des choses très dures avec un ton très sympathique, ce qui est redoutable ! En revanche, son réquisitoire, que j'ai bien écouté, était trop sombre pour me convaincre. Il ne m'en voudra pas de le lui dire, il a été vraiment trop sévère sur le contenu du rapport préalable au débat d'orientation budgétaire, qui est totalement fidèle à l'article 48 de la loi d'orientation.

Jamais, monsieur Angels, il n'y avait eu de prévision d'exécution dans ce rapport : il y en a une cette fois. Jamais il n'y avait eu de projection pluriannuelle sur les recettes : il y en a une cette fois. Jamais la méthodologie de la prévision de recettes n'avait été dévoilée, en quelque sorte, et développée : vous en disposez aujourd'hui. Jamais il n'y avait eu de projection sur les dépenses : nous vous l'avons donnée. Jamais il n'y avait eu de transparence intégrale sur les régulations : nous avons fait preuve d'une transparence absolue. Il n'est donc pas juste de dire que ce rapport serait « rabougri ». Admettez avec moi que l'adjectif n'était pas le mieux choisi, car le rapport, au contraire, s'est enrichi.

S'agissant du groupe CRC, au nom duquel M. Thierry Foucaud s'est exprimé, je prends acte de son point de vue. Ce groupe est constant dans ses positions, qui restent très éloignées de celles du Gouvernement. Il m'est donc bien difficile, quelle que soit, encore une fois, l'estime personnelle que je lui porte, de trouver des points de convergence avec M. Foucaud !

S'agissant de l'intervention de M. Paul Loridant, il a trouvé des réponses aux questions qu'il se pose au sujet de la déflation. Comme d'autres sénateurs siégant du même côté de l'hémicycle, il a adressé au rapporteur général de nombreux compliments. Peut-être celui-ci devrait-il mettre en gras le point d'interrogation ornant le titre de son rapport ? (Sourires.)

M. Yves Fréville a rappelé, avec une pédagogie que j'ai beaucoup admirée, le caractère cyclique de l'économie et la nécessité de réduire notre déficit structurel. Il lira dans le compte rendu que la volonté du Gouvernement est d'effacer totalement ce déficit structurel.

Attendu les engagements européens forts et sincères d'Yves Fréville, les paroles qu'il a prononcées sur l'interprétation à donner au pacte de stabilité et de croissance pourraient être offertes en débat à nos partenaires européens.

S'agissant de l'assurance maladie, M. Fréville a raison, le problème est non pas celui des stabilisateurs automatiques, mais celui des dépenses. Néanmoins, si les dépenses n'étaient pas maîtrisées, il faudrait - je préfère parler au conditionnel - augmenter les recettes. Mais augmenter les recettes, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est augmenter les prélèvements, et c'est l'inverse de ce qu'il faut faire pour l'avenir de la France.

S'agissant des dégrèvements, nous étudions, comme M. Fréville, la question du mécanisme de limitation au profit d'ailleurs de la péréquation.

S'agissant de la question du concours de l'Etat aux collectivités locales, aucune décision n'est encore prise à ce stade ; nous n'en sommes pas encore au débat budgétaire. Néanmoins, l'année où l'Etat - et je parle devant la commission des finances - limite la progression de sa dépense à zéro en volume, la question d'un traitement identique pour les concours de l'Etat aux collectivités locales mérite au moins d'être posée. Je ne sais pas quelle réponse pourra être donnée à cette question, mais on peut comprendre que le ministre du budget la pose.

Mesdames, messieurs les sénateurs et, si vous permettez, chers amis, je dirai en conclusion qu'il n'y a pas lieu de douter de l'avenir de la France, car elle est riche de femmes et d'hommes qui se battent et qui continueront de se battre de toutes leurs forces, pour que notre pays réussisse.

N'épuisons pas ces Français de bonne volonté. Ne les accablons pas de prélèvements excessifs imposés par une absence de maîtrise de notre dépense. Il nous faut donc maîtriser nos dépenses. C'est l'enjeu des années à venir. Ne dépensons pas plus, mais faisons en sorte de dépenser mieux : c'est ce que l'on dit généralement sur l'ensemble des travées. Offrons aux Français le meilleur service possible au meilleur rapport coût/efficacité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, un tel enjeu mérite bien de réunir toutes les bonnes volontés, quelles que soient les travées sur lesquelles elles s'expriment. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 374 et distribuée.