PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France, examiné aujourd'hui en première lecture par notre Haute Assemblée, est représentatif de la politique libérale sans limite du gouvernement de M. Raffarin.

Ce texte, qui engage la privatisation pure et simple de la société nationale de transport aérien Air France, se traduit, dans les faits, par l'abandon aux intérêts privés de l'un des fleurons de nos services publics français.

Au regard des expériences passées et actuelles d'autres compagnies aériennes, il préfigure un avenir plus qu'incertain pour des milliers de salariés, d'usagers et de riverains des aéroports français.

Aucune justification n'est avancée s'agissant des dispositions de ce projet de loi, aucun bilan n'est tiré ni de la politique de déréglementation, ni des premières phases de la privatisation mise en place depuis maintenant une vingtaine d'années, ni de l'ouverture du capital d'Air France en 1998 par le précédent gouvernement.

L'argument principal que vous avancez pour justifier le dépôt de ce projet de loi est de vouloir, pour la compagnie nationale, consolider des alliances et nouer des partenariats, qui ne pourraient se faire qu'avec l'ouverture à 80 % du capital d'Air France.

Pourtant, les effets de cette privatisation impulsée par Bruxelles sont évidents : c'est le développement de la sous-traitance, y compris en matière de maintenance, avec tous les risques que cela comporte du point de vue de la sécurité ; c'est l'abandon de lignes internationales et des cargos, comme à Orly, ce qui contribue au dépérissement du fret aérien, avec toutes les conséquences qui en découlent en termes d'emplois pour la plate-forme aéroportuaire et, plus largement, pour toute la région d'Ile-de-France.

De plus, ce projet de loi ouvre la voie aux multiples privatisations annoncées de nos services publics. Certaines dispositions de ce texte - je pense notamment à celles de l'article 1er et de l'article 5, mais nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des articles - sont très inquiétantes.

En ce qui concerne le développement de l'actionnariat salarié, le Gouvernement, qui prône pourtant le dialogue social, n'a pas tenu compte du mécontentement des salariés. Doit-on rappeler que, lors de la précédente ouverture du capital, les salariés, en contrepartie de réductions de salaires, ont acquis des actions d'une valeur de 12 et 14 euros, qui auraient dû, leur avait-on dit, grimper jusqu'à 30 euros ? Or, aujourd'hui, le cours de l'action se situe à 8 euros ! Comment ne pas partager le sentiment de ces salariés qui se sentent piégés et lésés ?

Face à l'instabilité inhérente aux marchés financiers, doit-on poursuivre cette expérience, sur fond de blocage des salaires ?

Par ailleurs, s'agissant de l'emploi - et c'est l'un des points les plus importants -, au moment où les plans sociaux se multiplient en France, au moment où le secteur aérien, français et international, traverse une crise qui a mis en grande difficulté de nombreuses compagnies aériennes, vouloir privatiser, c'est aller contre l'emploi.

Ainsi, aux Etats-Unis comme en Europe, les compagnies privées ont réduit de manière drastique leurs effectifs : depuis la fin de l'année 2001, American Airlines a supprimé 27 000 emplois ; US Airways, 12 000 ; British Airways, 7 500 ; Delta Airlines, 13 000 ; Air Canada, 9 000. La faillite de Swissair se sera traduite, quant à elle, par la suppression de 9 000 emplois, et celle de United Airlines concernerait 84 000 salariés.

Jusqu'à présent, Air France a mieux résisté aux conséquences du ralentissement du trafic aérien. On voit donc bien la différence entre une gestion purement privée et une gestion publique, où la visée à long terme prime sur les circonstances conjoncturelles et où l'intérêt général du secteur et l'intérêt des salariés sont pris en compte !

D'expérience, on constate, en effet, qu'une gestion strictement privée fait toujours de l'emploi la première variable d'ajustement.

Ensuite, il faut rappeler que les menaces de guerre en Irak et la crise en Côte d'Ivoire affectent et fragilisent l'ensemble du secteur aérien et rendent son avenir très dépendant de l'actualité géopolitique, comme l'indique, dans son rapport, M. Fréville.

Aujourd'hui, Air France se place au troisième rang mondial pour le transport international de passagers et au quatrième rang pour le transport de fret en Europe. Elle est le numéro un des grands transporteurs aériens et, qui plus est, elle assure son autofinancement à hauteur de 80 %. Air France assure aujourd'hui 1 700 vols quotidiens vers plus de deux cents destinations, réparties dans quatre-vingt-onze pays ! Notre compagnie publique enregistre un bénéfice d'exploitation de 235 millions d'euros sur la période 2001-2002. Son chiffre d'affaires a progressé de 2 % pour l'exercice précédent.

Vous le voyez, Air France a réussi là où de nombreuses compagnies aériennes sont en faillite. Pourquoi ?

Premièrement, parce que Air France, entreprise publique, investit tous les jours dans la qualité du travail effectué et du service rendu aux usagers.

Or, c'est là que le bât blesse. Soyons clairs. Vos propositions, monsieur le ministre, remettent en cause le statut des salariés d'Air France. Mais c'est justement ce statut qui assure le droit des salariés, en formations, en conditions de travail et en grilles de salaires, et qui représente un investissement qu'aucune entreprise privée ne veut engager. C'est aussi la condition sine qua non de la sécurité et de la qualité de nos services de transport aérien !

Or les articles 3 et 5 de votre projet de loi orchestrent purement et simplement l'abandon d'un statut progressiste acquis et préservé par les salariés depuis de nombreuses années.

Avec les salariés d'Air France, aujourd'hui présents en délégation devant le Sénat, nous ne voulons pas, monsieur le ministre, vivre les expériences anglaises de privatisation, ni connaître des drames semblables à ceux de la catastrophe de Paddington. Nous ne devons donc pas aller plus loin dans cette remise en cause, si nous voulons écarter le danger, pour le transport aérien, qui résulterait de la dégradation des conditions de sécurité.

Les salariés d'Air France ont montré, lors des multiples épreuves financières, leurs motivations et leurs engagements pour contribuer à sauver la compagnie. Les plans de restructuration passés ont déjà conduit à trop de remises en question de leurs statuts, de leurs salaires et de leurs conditions de travail !

Deuxièmement, si, à ce jour, Air France a réussi là où les autres compagnies ont été mises en difficulté, c'est parce que notre compagnie a pu renouveler sa flotte grâce à une recapitalisation publique de 20 milliards de francs.

M. Gilles de Robien, ministre. Grâce à qui ?

Mme Odette Terrade. Cela représente un investissement très lourd et continu, investissement que seul peut supporter une entreprise publique ! La compagnie s'est dotée d'une flotte rajeunie, l'âge moyen des avions français étant de 8,3 ans, pour une moyenne mondiale de 10,3 ans.

Le programme des A 380, tout comme la qualité du suivi technique et de maintenance de la flotte, place Air France dans le peloton de tête pour ce qui est du respect de l'environnement et de la sécurité.

Autrement dit, Air France est une entreprise publique en bonne santé financière, malgré une conjoncture économique plus que difficile. En voulant privatiser une entreprise publique performante, le Gouvernement est à contre-courant de beaucoup d'Etats qui regrettent aujourd'hui l'abandon de leurs compagnies nationales à la finance.

D'ailleurs, avec les conséquences du 11 septembre 2001 sur l'économie de l'activité aérienne mondiale, force est de constater que de nombreux Etats réinvestissent des fonds publics pour sauver leurs compagnies nationales.

Ainsi, en 2002, les Etats-Unis ont réinjecté 15 milliards de dollars dans des compagnies américaines. En Italie, le gouvernement de M. Berlusconi vient de renforcer Alitalia avec des fonds publics.

Alors, en quoi le statut actuel de la compagnie française empêcherait-il de renforcer les alliances ? Cela ne l'a pas empêché, en tout cas, de nouer des alliances avec les plus grandes compagnies aériennes - Aeromexico, Delta Airlines et Korean Air, ni de tisser un solide réseau d'accords commerciaux et stratégiques dans le cadre de l'alliance Skyteam.

La privatisation d'Air France s'inscrit dans un grand mouvement idéologique mondial et européen qui active le processus d'engagement dans l'économie libérale, au détriment d'une économie raisonnée et respecteuse des droits sociaux et humains.

Ainsi, le transport aérien dans son ensemble connaît des problèmes aigus liés à la saturation des aéroports et à la surcharge des systèmes de contrôle aérien.

Les compagnies aériennes se plaignent du morcellement de l'espace aérien européen, source d'inefficacité et responsable de retards considérables : l'infrastructure aéroportuaire se rapproche chaque année des limites de capacité.

« Le ciel unique », annoncé comme un plan de normes européennes ayant comme priorité la sécurité, ne répond pas à ces attentes. Il se contredit même, puisqu'il permet la déréglementation des sites aéroportuaires et de ses activités. Il invite au démantèlement et à la libéralisation des services dits « annexes » tels que la météorologie, les équipementiers du contrôle aérien, les bagagistes, alors même que les exigences en matière de sécurité et de sûreté rendent nécessaire le maintien de prestations de services de haut niveau en matière de contrôle aérien, de qualification du personnel et de qualité des infrastructures et des matériels !

Monsieur le ministre, le propre de l'activité du transport aérien et de l'aéroportuaire est qu'il assure la sécurité des citoyens. Cette activité relève, selon nous, du service public et nécessite des financements sûrs et pérennes, autrement dit, des financements publics.

A l'inverse, la déréglementation dégrade les conditions de sécurité et de sûreté. Elle contribue nécessairement à la détérioration des conditions de travail et, en conséquence, nuit à la qualité du service public.

Ainsi, les nombreux retards, l'encombrement de l'espace aérien, l'émergence de compagnies aériennes à bas coût dites low cost, sont très inquiétants en ce qui concerne tant la sécurité que la sûreté des salariés, des usagers et des riverains.

Nous savons que les compagnies low cost ont une démarche qui est tout le contraire d'un projet de démocratisation du transport aérien. Elles ne garantissent pas un accès aux transports aériens plus égalitaire pour les usagers. Leur seule originalité est d'économiser sur tous les services et d'augmenter fortement les taux d'utilisation des appareils.

Pour bénéficier des prix d'appel relayés par de gros efforts de publicité, les clients doivent avoir programmé leur voyage longtemps à l'avance. Mais, plus la date du vol approche, plus ces sociétés à bas coût augmentent leurs prix !

Par ailleurs, en matière de transports, la guerre des prix sur le long terme n'a jamais été une garantie de qualité et de sécurité ! Les compagnies low cost favorisent le développement d'une concurrence déloyale, pas seulement à « bas coût », mais aussi au moyen de « coups bas » qui tirent les prix vers le bas, ce qui fragilise d'autant la rentabilité du secteur.

En effet, pour tenir et résister, de telles compagnies bénéficient souvent d'aides non négligeables des collectivités locales ou encore d'une réduction de la redevance aéroportuaire. Or plusieurs aéroports ont connu des fermetures rapides de lignes dès leur ouverture, ce qui constitue, à n'en pas douter, un gâchis financier considérable, au détriment du contribuable !

Non seulement les conditions statutaires et les grilles de rémunérations des salariés sont bafouées, mais, en plus, ces compagnies introduisent sur notre territoire une concurrence effrénée en ce qui concerne les créneaux horaires et les aéroports de province. Par ailleurs, elles exposent les riverains à des nuisances sonores préjudiciables pour la santé.

Enfin, monsieur le ministre, comment ne pas évoquer la situation dramatique d'Air Lib, héritage de la gestion à la Ernest-Antoine Seillières d'AOM-Air Liberté ?

Aujourd'hui, le dossier d'Air Lib semble encore ouvert : de nouvelles propositions d'éventuels repreneurs doivent être examinées jusqu'au bout avec attention.

Toutes les offres susceptibles d'apporter des solutions de reprise viable à long terme doivent être étudiées de façon minutieuse pour ne laisser aucune prise aux appétits financiers de prédateurs qui lorgnent déjà avec intérêt sur les créneaux libérés et qui n'ont cure du savoir-faire et du devenir des personnels !

Air Lib, ce sont plus de 3 200 emplois sacrifiés, auxquels s'ajoutent des milliers d'emplois induits. Le Val-de-Marne, l'Essonne, les communes riveraines de l'aéroport d'Orly seront durement touchés par les conséquences sociales et économiques que la fin d'Air Lib entraînera sur cette plate-forme. Et n'oublions pas les départements d'outre-mer ayant des dessertes Air Lib !

En ce qui concerne le pôle d'Orly ainsi que l'ensemble du bassin d'activité et d'emploi du Sud parisien, c'est l'essor économique qui est compromis.

L'abandon d'Air Lib coûtera plus cher, humainement, d'abord, et économiquement, ensuite, que l'absorption par Air France ou un partenariat durable avec ses filiales. Ces solutions préserveraient non seulement les créneaux horaires de circulation d'Air Lib, mais aussi les emplois et les compétences de cette compagnie.

Quel gâchis, monsieur le ministre, que ce lâchage de cette société !

Mme Hélène Luc. Absolument !

Mme Odette Terrade. Vous savez ce que le bradage d'Air Lib signifie pour les riverains des aéroports, celui d'Orly, en l'occurrence : c'est la guerre et la concurrence entre les compagnies dites à « bas prix », prêtes à tous les coups bas pour l'obtention de créneaux horaires de circulation, au mépris de la gêne que cela occasionne pour les riverains.

Aujourd'hui, ce sont des hommes et des femmes et leurs familles qui sont pris en otages et sacrifiés au seul profit de la rentabilité financière. C'est intolérable ! Mais il y a plus : l'emploi étant ainsi menacé, cela signifie la remise en cause des ressources des collectivités territoriales riveraines, alors que, précisément, dans le cadre de la décentralisation mise en place par le Gouvernement, on exigera toujours plus de ces dernières.

Privatiser tout le secteur aérien comme vous le préconisez, avec ce projet de loi, pour Air France, c'est vraiment partir à l'aventure. Les salariés et leurs familles valent beaucoup plus que des cotations boursières, monsieur le ministre !

Et même si le Gouvernement se réserve la mise sur le marché au moment opportun, la privatisation voulue entraînera une profonde restructuration économique et sociale de l'entreprise qui aura pour finalité le gain maximum, le plus rapide possible, au profit des nouveaux propriétaires.

Mais qui seront ces nouveaux propriétaires, ces nouveaux actionnaires ? Votre projet de loi est plus qu'évasif sur ce point, monsieur le ministre, car il ne contient aucune garantie digne de ce nom en la matière, surtout que les créneaux horaires sont attribués en fonction de la nationalité des capitaux !

Pouvez-vous nous donner l'assurance que notre service public ne sera pas bradé ?

A l'inverse, nous avons besoin, monsieur le ministre, non pas d'un bradage, non, mais d'un véritable pôle public de transport aérien contribuant, en complémentarité avec les autres modes de transport, à l'aménagement de notre territoire, dans la perspective du développement durable.

Outre le fait que vous abandonnez le principe même de la péréquation tarifaire, condition sine qua non d'un développement équilibré de notre territoire qui ne vise pas seulement l'exploitation des lignes rentables, vous n'intégrez pas la nécessaire complémentarité des modes de transport et des infrastructures dans un souci d'économie d'énergie, de réduction des durées des trajets pour les usagers et de réduction de la pollution.

C'est bien notre service public que vous sacrifiez aujourd'hui avec un tel projet de loi !

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que, pour toutes ces raisons, nous ne puissions accepter un tel texte qui nous engage sur la voie de la régression sociale, de la déstructuration de notre territoire et de la marchandisation totale du trafic aérien.

En conséquence, le groupe CRC a déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur un texte dont il estime qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. On applaudit également dans les tribunes du public.)

(M. Bernard Angels remplace M. Serge Vinçon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

vice-président

M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début du mois de juillet dernier, à l'occasion de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre indiquait : « D'une manière générale, l'Etat a vocation à se retirer du secteur concurrentiel, sauf lorsque les intérêts stratégiques sont en jeu. »

Or nul n'ignore que le transport aérien est aujourd'hui confronté à une crise majeure et à de profondes restructurations. De surcroît, les compagnies aériennes n'ont pas été épargnées par le marasme boursier des derniers mois, et leur avenir est largement conditionné par la situation géopolitique internationale.

On se rappelle que, en 1991, lors de la première guerre en Irak, le secteur avait été affecté pendant dix-huit mois et avait connu une situation dramatiquement difficile.

Comment comprendre, dès lors, ce choix de privatiser en urgence ? Est-il dicté par des objectifs de rationalité économique ou s'est-il imposé sur des considérations strictement idéologiques et à courte vue ? Je crains que cette dernière interprétation ne soit la bonne !

L'argumentaire développé par le Gouvernement pour justifier la privatisation d'Air France apparaît en effet bien mince et dissimule mal les motivations essentiellement idéologiques de cette privatisation précipitée.

L'objectif affiché du projet de loi est double : il prévoit les conditions de la privatisation de la compagnie Air France mais, au-delà, il organise la dérégulation de tout un secteur de notre économie. Or il me semble que le secteur du transport aérien recèle aujourd'hui des enjeux stratégiques majeurs, sur le plan tant national qu'international, qui ne permettent pas d'envisager le désengagement de la collectivité publique.

Par ailleurs, et malgré les arguments avancés par le Gouvernement, tout porte à croire que la privatisation du capital ne favorisera en rien le développement de la compagnie Air France.

En dépit d'une croissance importante, la rentabilité du transport aérien reste en effet fragile, car l'activité n'offre que de faibles marges allant, généralement, de 1 % à 3 %. De nombreux exemples étrangers démontrent que la privatisation du capital n'est pas un gage de croissance. En outre, la récente faillite d'Air Lib démontre, tout autant que les multiples déboires des compagnies américaines, la vulnérabilité des entreprises privées de ce secteur.

Dans ce contexte, la privatisation d'Air France présente des risques majeurs.

Incontestablement, sur ce dossier, le Gouvernement navigue à vue ! En effet, le dispositif financier, ainsi que les mesures conservatoires destinées à préserver la nationalité du capital, ne donne à l'Etat aucun levier décisif pour préserver nos intérêts stratégiques dans ce secteur ni assurer un maintien des missions de service public dans le transport aérien. C'est donc bien une dérégulation totale du secteur qui se profile à l'horizon, ce qui n'est pas acceptable.

Monsieur le ministre, tout le monde en convient aujourd'hui, dans un contexte sectoriel fortement perturbé, Air France se présente comme une société en très bonne santé.

Il est, à cet égard, important de souligner que, si Air France repose aujourd'hui sur des bases financières saines et réalise depuis plusieurs années maintenant des bénéfices, c'est en partie grâce aux efforts fournis tant par l'Etat que par les salariés.

M. Gilles de Robien, ministre. Je suis tout à fait d'accord !

M. François Marc. Aujourd'hui, la compagnie transporte plus de 43 millions de voyageurs et s'est imposée comme la première compagnie en Europe par ses bénéfices. Ainsi, en dépit des difficultés rencontrées dans le domaine du transport aérien à la suite des événements du 11 septembre 2001, et malgré la concurrence très rude que connaît le secteur, l'entreprise publique maintient ses bons résultats.

La preuve est faite, monsieur le ministre, que la détention majoritairement publique du capital n'est pas un handicap pour Air France. La politique menée en concertation entre l'Etat et les salariés s'est imposée comme une stratégie gagnante, en Europe et dans le monde.

On peut dès lors s'interroger sur la légitimité des arguments avancés par le Gouvernement en faveur de la privatisation d'Air France.

Le Gouvernement estime, tout d'abord, que la privatisation de la compagnie permettrait d'accélérer la modernisation de la flotte. Cet argument ne tient pas : la flotte d'Air France est jeune ; ses appareils ont 8,3 ans en moyenne, contre plus de 10 ans au niveau mondial. Par ailleurs, son endettement est parmi les plus faibles au monde, ce qui lui donne les capacités de financement nécessaires pour envisager des investissements.

En outre, deux arguments principaux ont été avancés par le Gouvernement. Ainsi, la privatisation permettrait à Air France de consolider ses alliances et de nouer des partenariats. Ces deux arguments ne résistent pas non plus à l'examen...

Air France n'a en effet pas eu besoin de recourir à la privatisation de son capital pour consolider ses alliances et nouer de nouveaux partenariats. Le statut public n'a vraisemblablement pas effrayé la compagnie privée américaine Delta Airlines avec laquelle elle a signé, en 2000, une alliance commerciale. Cette alliance - Skyteam -, est aujourd'hui la troisième alliance mondiale : outre Air France et Delta Airlines, elle regroupe aujourd'hui Aeromexico, CSA, Korean Airlines et, depuis peu, Alitalia. Skyteam est aujourd'hui en position de force et pourrait prochainement s'élargir grâce à un rapprochement avec les compagnies de l'alliance Wings, composée des compagnies américaines Continental Airlines et Northwest ainsi que de la compagnie hollandaise KLM.

Ces stratégies d'alliances démontrent que le transport aérien se structure non pas sur des échanges capitalistiques mais bien sur des partenariats commerciaux.

Dans la mesure où les enjeux des alliances se situent sur un terrain non pas financier mais strictement commercial, le statut public d'Air France ne peut donc être invoqué comme un frein au développement de nouveaux partenariats.

M. Guy Fischer et Mme Hélène Luc. C'est vrai !

M. François Marc. Derrière ces arguments, on peut dès lors discerner les vraies motivations du Gouvernement : des motivations non seulement idéologiques, mais également budgétaires.

Une motivation idéologique, tout d'abord, car, pour les ultralibéraux, seule la gestion privée est efficace et performante, et nous l'avons encore entendu tout à l'heure. Une motivation budgétaire ensuite, et cela ne surprendra personne ! Le Gouvernement doit, en effet, impérativement trouver de nouvelles mannes budgétaires, afin de donner suite aux promesses électorales du printemps dernier sans encourir de blâme européen...

M. Louis de Broissia. Pour payer ce qu'il restait à payer !

M. François Marc. En définitive, l'unique question fondamentale doit être posée très simplement : le jeu en vaut-il la chandelle ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Je répondrai bien entendu par la négative : les 800 millions d'euros dont pourrait bénéficier l'Etat en cédant son capital semblent bien peu de chose face aux risques inhérents à la privatisation d'Air France. Et ces risques sont multiples : ils touchent tant à l'avenir de la compagnie qu'à celui du transport aérien français dans son ensemble.

Sur le plan social, tout d'abord, l'article 3 du projet de loi met en place une « période de transition » de deux ans durant laquelle seront menées les négociations destinées à faire entrer dans le droit commun les personnels d'Air France.

Dans ce contexte, il est fort probable que le processus de privatisation deviendra un facteur de déstabilisation sociale au sein de la compagnie, comme le craignent déjà les syndicats - le groupe socialiste les a auditionnés - et comme en attestent les mouvements de grève actuels. Aucune assurance n'est en effet apportée aux salariés sur leur statut à l'issue de cette période de transition.

Sur le plan financier ensuite, le montage proposé semble bien fragile.

Le projet de loi vise à faire rentrer Air France dans le droit commun des sociétés ; mais, en filigrane, il aboutira à une dérégulation quasi totale du secteur du transport aérien. Cette dernière sera d'ailleurs bien plus grande que chez nos partenaires européens ou internationaux, car le texte ne pose que de frêles garde-fous en matière d'actionnariat.

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. François Marc. L'article 1er a ainsi pour objet d'insérer dans le code de l'aviation civile un nouveau chapitre dont l'application donnera aux compagnies aériennes françaises cotées en Bourse, en l'occurrence à la seule compagnie Air France privatisée, la possibilité de contrôler leur actionnariat afin de préserver leur licence d'exploitation et leurs droits de trafic.

La détention d'une licence d'exploitation de transporteur aérien communautaire est en effet subordonnée à la détention majoritaire du capital et au contrôle effectif du transporteur par des intérêts communautaires. Est donc prévu dans le projet de loi un dispositif de cession forcée de titres par les actionnaires non communautaires dès lors que la licence d'exploitation ou le droit de trafic de la compagnie seraient menacés ; mais aucune précision ne nous a été apportée aujourd'hui sur la façon dont il serait mis en oeuvre !

La nature de ce dispositif m'amène à formuler deux remarques.

Si des mesures de préservation du caractère communautaire de la compagnie sont contenues dans le projet de loi, aucune disposition conservatoire réellement fiable n'est envisagée en ce qui concerne la nationalité française du capital. On peut donc en déduire que la préservation d'un pavillon français dans le domaine aérien n'est pas prioritaire pour le Gouvernement. Or, 25 % de l'activité d'Air France concerne des vols intérieurs. Comment peut-on être assuré que cette activité serait effectivement prise en charge dans des conditions satisfaisantes par une compagnie à capitaux errants ?

Mme Odette Terrade. Absolument !

M. François Marc. Cette question paraît aujourd'hui d'autant plus cruciale que, malheureusement, le principal concurrent d'Air France sur le créneau national, Air Lib, va sans doute disparaître.

Par ailleurs, le dispositif proposé vise à ce que soit confiée à la seule entreprise la maîtrise du capital. La collectivité publique ne disposera donc plus d'aucun levier pour contrôler l'actionnariat : pas d'action spécifique ; pas d'agrément de la puissance publique en cas de prise de participation importante ; pas de possibilité d'intervention en cas de menace sur les intérêts stratégiques du pays ou de risque de remise en cause des missions d'intérêt général.

Il est à noter que les dispositions protectrices contenues dans les lois de privatisation de 1986 et de 1993 sont, elles aussi, laissées de côté.

En programmant le désengagement de l'Etat du secteur du transport aérien, le Gouvernement banalise cette activité sans tenir compte des missions spécifiques qu'elle assume en matière d'aménagement du territoire. En effet, l'article 6 du projet de loi tend à supprimer les dispositions du code de l'aviation civile organisant la contractualisation entre Air France et l'Etat en matière de desserte.

Si le transport aérien est, demain, régi par le seul critère du profit maximal, alors se posera avec acuité la question du coût des services offerts par les compagnies. Un certain nombre de lignes sont déjà en situation de monopole de fait ; comment, face à Air France privatisée, l'Etat pourrait-il intervenir pour éviter une escalade des tarifs, voire la suppression pure et simple de certaines dessertes ?

Le droit communautaire ne permet d'imposer des obligations de service public en matière de transport aérien que sous des conditions très restrictives. La suppression de toute tutelle étatique sur le transport aérien met donc potentiellement en péril de nombreuses dessertes régionales en France. Ce fait devrait imposer que soient repensées les politiques intermodales, mais ce n'est visiblement pas à l'ordre du jour.

Monsieur le ministre, vous l'aurez compris : nous voterons contre ce projet de loi de privatisation, qui ne repose sur aucune justification acceptable, je crois l'avoir démontré,...

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Non !

M. François Marc. ... et qui n'a d'autre objet que la mise en oeuvre de principes dogmatiques ultra-libéraux bien connus.

On nous dit qu'il faut soumettre les entreprises au jeu de la concurrence. Mais, pour de nombreuses lignes intérieures, aujourd'hui, la concurrence n'existe plus. De quoi parle-t-on ?

On nous dit que la privatisation améliore les performances des entreprises. Or Air France, en dépit de sa capitalisation publique, est l'une des compagnies les plus efficaces au monde. L'argument ne tient donc pas non plus.

On nous dit que le jeu de la concurrence empêche la montée en puissance des monopoles. Or, de fait, le monopole d'Air France existe déjà sur de nombreuses dessertes régulières françaises. En choisissant de le faire passer au secteur privé, le Gouvernement accepte d'emblée le principe d'une tarification inflationniste et inégalitaire.

On nous dit qu'Air France doit avoir les mains libres pour mener sa politique en toute indépendance. Mais alors qu'il tient ce discours, le Gouvernement convoque les dirigeants d'Air France pour exiger d'eux le reclassement des salariés d'Air Lib, démontrant ainsi pleinement le bien-fondé de nos arguments : monsieur le ministre, le maintien du statut public d'Air France, au fond, a parfois du bon, et vous l'avez démontré dimanche dernier ! (M. le ministre fait un signe dubitatif.)

Tous ces arguments justifient le rejet de ce projet de loi par le groupe socialiste. Mais il n'est pas encore trop tard, monsieur le ministre : renoncez à ce texte ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du RDSE. - On applaudit également dans les tribunes du public.)

M. le président. Je demande aux personnes qui assistent aux débats dans les tribunes de ne point manifester leur approbation ou leur désapprobation, sinon je serai obligé de les faire sortir. Elles sont en effet tenues d'écouter en silence.

M. Hilaire Flandre. Absolument !

Mme Hélène Luc. Elles ne le savent pas !

M. le président. Elles le savent, madame Luc, puisqu'un huissier est allé les prévenir.

Mme Hélène Luc. Il faut le leur dire !

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. C'est fait !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gilles de Robien, ministre. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les arguments des uns et des autres.

Après avoir lu vos excellents rapports, messieurs Le Grand et Fréville, et vous avoir entendus l'un et l'autre traiter la question d'Air France et des transports en général en faisant preuve d'un grand talent et d'une très fine connaissance du dossier, permettez-moi de vous dire combien j'ai apprécié la très grande qualité de vos interventions et de l'analyse que vous nous avez présentée. Vous avez su parfaitement poser le débat d'aujourd'hui non pas en termes polémiques, mais en termes de perspectives, en termes d'avenir et de développement d'une grande compagnie aérienne française. Je vous en remercie.

Je vous remercie également d'avoir souligné les besoins de réactivité d'Air France. Certes, l'entreprise a réussi à subsister jusqu'à aujourd'hui, voire à se développer aussi bien, sinon mieux que d'autres, avec un statut mixte, partie privé, partie public. Mais celui-ci lui suffira-t-il, dans l'avenir, à assurer son développement à l'échelon planétaire ? (M. le rapporteur applaudit.)

M. Robert Bret. Sans vouloir jouer à la Pythie, c'est peut-être l'inverse !

M. Gilles de Robien, ministre. Je soulignerai aussi la nécessité de permettre à Air France de dépasser ses alliances commerciales actuelles, car, si elle se satisfait aujourd'hui de Skyteam, demain, l'accélération des échanges, la démocratisation du transport aérien, lui imposeront de trouver de nouveaux moyens, de nouvelles perspectives, afin de pouvoir conclure des accords avec d'autres compagnies aériennes et de pouvoir desservir la planète entière.

Je résumerai l'intervention de MM. les rapporteurs, s'ils me le permettent, en disant qu'il faut donner de nouvelles chances à Air France pour les années, pour les décennies qui viennent.

M. Soulage a insisté sur le souci de justice sociale qui caractérise le projet de loi, et je l'en remercie. On aurait pu l'oublier, tant de nombreux intervenants ont évoqué le capital, les actions, le statut public...

Mme Marie-Claude Beaudeau. N'importe quoi !

M. Gilles de Robien, ministre. Effectivement, monsieur Soulage, l'offre d'échange d'une part du salaire contre des actions concerne cette fois-ci tous les personnels,...

M. Robert Bret. Quelle chance !

M. Guy Fischer. Voilà du social !

M. Gilles de Robien, ministre. ... alors que, dans le passé, un autre gouvernement - de gauche ! - n'avait pensé qu'aux plus riches, c'est-à-dire aux pilotes. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Nous avons en effet voulu, par ce projet de loi, démocratiser l'accès au capital de l'entreprise en prenant en compte l'ensemble du personnel, qui représente aujourd'hui 70 000 salariés.

M. Louis de Broissia. Cela les dérange !

M. Gilles de Robien, ministre. Cela peut effectivement déranger ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Vous osez dire cela !

Mme Hélène Luc et M. Claude Estier. C'est lamentable !

M. Gilles de Robien, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, c'est bien de poser des questions et de défendre des arguments, mais c'est bien aussi, dans une assemblée démocratique, d'écouter les réponses, même si elles vous gênent. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Claude Estier. C'est vous qui faites de la polémique !

M. Gilles de Robien, ministre. En outre, monsieur Soulage, comme vous l'avez souligné avec raison, il est normal que le contribuable soit récompensé des très importants efforts qu'il a consentis dans le passé pour sauver Air France.

M. Yves Fréville, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Gilles de Robien, ministre. Il est vrai également que le travail de consolidation d'une entreprise comme Air France n'est jamais terminé : certains d'entre vous l'ont rappelé, le transport aérien est un secteur fragile qu'il faut consolider en permanence.

Air France doit donc trouver les capitaux dont elle aura besoin, ne serait-ce que pour le renouvellement de sa flotte. Il faut tout de même savoir que, aujourd'hui, elle y consacre 1 milliard d'euros. Or, quand il s'agira d'acheter les gros Airbus, il sera indispensable qu'elle trouve des capitaux supplémentaires très importants, ce qui nécessitera le soutien de nouveaux partenaires.

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas un argument !

M. Gilles de Robien, ministre. Je note que cet objectif était déjà clairement affiché par le gouvernement précédent en 1999, lorsqu'il a ouvert le capital d'Air France.

M. Collin a souligné à juste titre les progrès très importants qu'a faits Air France depuis la crise des années 1992 à 1994.

En matière de droits de trafic, M. Collin a raison : nous sommes actuellement, après les récentes décisions de la Cour de justice des Communautés européennes, « au milieu du gué ». Il fallait, dans l'attente d'éventuelles évolutions, protéger la nationalité d'Air France pour préserver les droits de trafic, et c'est d'ailleurs tout l'objet de l'article 1er du projet de loi, comme vous l'avez relevé, monsieur Collin.

Vous avez également insisté, monsieur le sénateur, sur la nécessité de ne pas marginaliser Air France. C'est effectivement ce qui arriverait si le capital restait trop étroitement dans le domaine public : l'ouvrir, c'est donc éviter à l'entreprise de se marginaliser !

Monsieur Pastor, vous avez souligné qu'Air France se portait bien. Oui, monsieur, je le confirme : Air France se porte bien, et s'il en est ainsi, c'est qu'elle a un personnel de très grande valeur, un management de très grande qualité. Mais c'est aussi, permettez-moi de vous le dire, parce qu'un gouvernement, en 1993, a su, après bien des années d'abandon, recapitaliser Air France. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.) Vous l'avez reconnu : il s'agit du gouvernement Balladur.

Mme Hélène Luc. Un gouvernement qui a soutenu Air France !...

M. Gilles de Robien, ministre. Pour autant, il ne faut pas en déduire que l'on peut désormais rester immobile : dans la vie, les choses bougent, et notre devoir est aujourd'hui d'offrir à Air France toutes les chances possibles dans un secteur très concurrentiel et qui évolue à grande vitesse - à la vitesse du son !

Air France a besoin de beaucoup de souplesse afin de pouvoir accéder au marché avec une grande réactivité. Elle doit envisager et saisir les occasions d'alliances - alliances qui seront de plus en plus puissantes. Ce sont là les chances que nous voulons offrir à Air France.

« Sauf à brader l'entreprise, le Gouvernement devra attendre », avez-vous dit, monsieur Pastor. Mais je n'ai rien dit d'autre en vous présentant tout à l'heure le projet de loi ! Il n'est absolument pas question de brader Air France demain matin, alors que le cours de l'action s'établit autour de 8 euros !

L'adoption de ce texte nous permettra d'ouvrir 30 % à 35 % du capital, soit progressivement, soit en une seule fois, et d'en céder une partie au personnel dans des conditions privilégiées. Mais elle ne nous obligera pas à le faire demain matin !

Nous prendrons donc le temps d'attendre le bon moment, de façon, je l'ai dit tout à l'heure, que les intérêts des contribuables soient préservés mais aussi ceux du personnel - son statut, vous le savez, est garanti pendant deux ans - et ceux des actionnaires futurs. Grâce à l'adoption du projet de loi, nous seront prêts quand le moment sera venu.

Mais, auparavant, nous devons passer par plusieurs étapes : l'examen du texte par le Parlement, la promulgation de la loi, puis l'assemblée générale d'Air France, ce qui nous amènera au printemps, voire au début de l'été. La précipitation n'est donc pas la caractéristique essentielle de notre démarche !

D'après vous, monsieur Pastor, les besoins d'Air France pour renouveler sa flotte ne sont pas importants. C'est absolument faux ! Certes, ces dernières années, Air France a renouvelé sa flotte correctement. Il n'en reste pas moins nécessaire, aujourd'hui, de consacrer à ces investissements 1 milliard d'euros par an pendant au moins cinq ans : ce n'est pas rien !

N'oubliez pas que le coût unitaire des Airbus A 380, dont l'acquisition par Air France était souhaitée par le précédent gouvernement, s'élève à quelque 150 millions d'euros. Un milliard d'euros ne permet donc l'achat que de cinq ou six appareils par an ! Par conséquent, Air France devra trouver des partenaires capables de lui apporter des moyens financiers supplémentaires.

Vous affirmez, monsieur le sénateur, que nous bradons les services d'intérêt général. Ces mots sonnent très bien pour le public, et parfois pour la presse, mais vous savez que l'Etat garde toute possibilité, en cas de nécessité, de réquisitionner une compagnie aérienne, en particulier Air France. Par conséquent, les mesures d'intérêt général sont totalement sauvegardées.

Affirmer, comme vous le faites, madame Terrade, que la privatisation met en cause la sécurité, ce n'est pas bien. C'est susciter un sentiment de peur que rien ne justifie. Vous qui connaissez bien le secteur aérien et Air France, vous ne pouvez pas dire que les mesures de sécurité seront touchées par le processus de privatisation. Vous ne pouvez pas établir de comparaison avec les chemins de fer britanniques - mais sans doute connaissez-vous mieux le secteur ferroviaire. C'est un raccourci malheureux, une démonstration trop simplificatrice. (Mme Marie-Claude Beaudeau proteste.)

Le secteur aérien reste très réglementé à l'échelon européen, comme j'ai moi-même eu l'occasion de le constater lors des conseils des ministres des transports. La sécurité fait l'objet de contrôles extrêmement stricts de la part des Etats, quel que soit le statut des entreprises, et vous le savez bien. Agiter l'argument de la sécurité ne me semble franchement pas être à la hauteur des débats, et ce n'est pas ce qu'attendent Air France ni la représentation nationale.

Mme Odette Terrade. C'est ce que l'on verra !

M. Gilles de Robien, ministre. Je préfère utiliser d'autres arguments, mais je crains de ne pas réussir à vous convaincre, car votre bulletin de vote est pratiquement dans l'urne.

Mme Odette Terrade. Tout comme votre décision est déjà prise, monsieur le ministre !

M. Gilles de Robien, ministre. C'est le principe même de la libéralisation du transport aérien que vous combattez. C'est pourtant celui qu'ont adopté les entreprises de transport aérien dans le monde entier, y compris celles avec lesquelles Air France passe des alliances et souhaite en passer davantage encore.

Je ne ferai donc pas ici de discours idéologique : je veux essayer de rester pragmatique et agir avant tout dans l'intérêt d'Air France.

Vous approuvez les financements publics : je rappelle que c'est M. Balladur qui a recapitalisé Air France lorsque la compagnie en a eu besoin, et non un gouvernement que vous souteniez !

Vous réprouvez la vente au privé des actions d'Air France. Mais c'est M. Jospin qui a ouvert la voie en 1999, je vous le rappelle ! N'est-ce pas au demeurant mon prédécesseur, M. Gayssot, qui a négocié avec les Etats-Unis un accord de ciel ouvert, accord que j'approuve d'ailleurs et qui est le plus libéral qui ait jamais été conclu ?

Madame Terrade, enfin, vous critiquez vivement l'actionnariat salarié. Cela non plus, ce n'est pas bien !

Mme Hélène Luc. Arrêtez de porter des jugements ! « Ce n'est pas bien ! Ce n'est pas bien ! »...

M. Gilles de Robien, ministre. M. Gayssot considérait au contraire, en 2000, que « l'opération destinée aux salariés a été aussi innovante que réussie pour Air France ». Nous voulons faire davantage encore pour les salariés, qu'ils soient pilotes ou qu'ils ne le soient pas.

Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est bien ce qui nous inquiète !

M. Gilles de Robien, ministre. L'actionnariat salarié vous inquiète ? C'est votre remarque qui est inquiétante !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Demandez aux salariés de France Télécom ce qu'ils en pensent !

M. Gilles de Robien, ministre. Madame Terrade, vous insistez sur la prise en compte des salariés dans l'élaboration de la stratégie de l'entreprise. Mais l'actionnariat salarié et la forte représentation au conseil d'administration des salariés dans leurs différentes composantes, les pilotes commes les personnels au sol, aux côtés de l'Etat, sont justement des orientations que nous proposons de consolider. Et c'est vous qui rejetez un article du projet de loi tendant à assurer une forte représentation des salariés ! C'est à n'y rien comprendre !

Mme Odette Terrade. Nous rejetons le texte dans son ensemble ! Ne nous faites pas de procès d'intention sur cet article !

M. Gilles de Robien, ministre. C'est vous qui l'avez dit, je réponds à vos arguments, et je lis les amendements que vous avez déposés : ils visent à réduire la représentation des salariés au conseil d'administration. Que je le dise vous gêne, mais, ces amendements, vous les avez déposés et, nous, nous nous y opposons ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Louis de Broissia. Ils ne savent pas ce qu'ils signent : il faut leur pardonner !

M. Gilles de Robien, ministre. M. Marc a fait les questions et, parfois, les réponses. C'est plus facile !

Monsieur Marc, vous dites qu'Air France est une entreprise stratégique. C'est vrai. Je veux vous rassurer : qui nierait aujourd'hui que le transport aérien constitue une activité stratégique ?

C'est bien pourquoi nous entendons conforter Air France et lui donner la flexibilité indispensable pour s'adapter à l'évolution de ses missions, en effet stratégiques.

D'ailleurs, si nous garantissons la nationalité française, c'est parce que c'est stratégique ! Si l'Etat conserve une part du capital et reste au conseil d'administration, c'est parce que c'est stratégique ! Et c'est aussi pourquoi nous avons veillé à ce que les missions d'intérêt général soient garanties.

Je veux être clair : le Gouvernement a une haute idée de l'importance du transport aérien français.

Monsieur Marc, vous parlez d'action spécifique. Vous savez bien que la Cour de justice européenne a, dans un arrêt du 4 juin 2002 - arrêt donc très récent -, strictement encadré le recours aux actions spécifiques. C'est ce qui nous a conduit à imaginer un autre mécanisme pour garantir dans le projet de loi la nationalité française, et votre argument ne semble donc pas tenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à l'essentiel de vos questions et c'est, je l'espère, en toute connaissance de cause que vous allez maintenant vous prononcer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France
Question préalable