SEANCE DU 19 DECEMBRE 2002
CONDUITE SOUS L'INFLUENCE
DE STUPÉFIANTS
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 11,
2002-2003) adoptée par l'Assemblée nationale relative à la conduite sous
l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants. [Rapport n° 93
(2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.
Monsieur le
président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vient
en débat aujourd'hui a pour objet de créer une nouvelle incrimination qui
permettra de punir les usagers de substances ou de plantes classées comme
stupéfiants qui conduisent un véhicule.
Cette proposition de loi, votée en première lecture par l'Assemblée nationale
le 8 octobre 2002, reçoit, je vous l'indique d'emblée, l'entier soutien du
Gouvernement.
Il est en effet urgent de légiférer en la matière pour répondre à l'attente de
l'opinion publique, qui s'inquiète légitiment que, de plus en plus fréquemment,
des conducteurs ayant fait usage de stupéfiants soient impliqués dans des
accidents de la circulation aux conséquences le plus souvent dramatiques.
Cette sensibilité nouvelle du public et des pouvoirs publics aux dangers de la
drogue en matière de sécurité routière résulte en partie de la législation
actuelle, qui autorise le dépistage de l'usage des produits stupéfiants en cas
d'accident corporel. Ils sont même obligatoires en cas d'accident mortel de la
circulation routière.
Ces dépistages ont été rendus obligatoires en 1999 pour faciliter la
réalisation d'une étude épidémiologique dont l'objet était de déterminer
l'effet de certains produits, notamment du cannabis, sur le comportement du
conducteur.
Un pas supplémentaire est franchi : cette proposition de loi vient en débat
devant le Parlement à un moment où plusieurs experts judiciaires déclarent que
le lien entre les accidents de la route et la consommation de cannabis est
clairement établi.
Ces experts se fondent sur des études menées à l'étranger et sur une étude
française, réalisée entre 2000 et 2001, qui a révélé que lorsque des
conducteurs de moins de vingt-sept ans avaient consommé du cannabis, la
fréquence des accidents était multipliée - excusez du peu ! - par deux et
demi.
Cette dernière étude, réalisée à partir des analyses de sang pratiquées sur
900 conducteurs et sur 900 sujets témoins, est corroborée sur plus de 2 000 cas
depuis octobre 2001. Les résultats concernant les conducteurs impliqués dans un
accident mortel ont en effet fait apparaître qu'il y avait, selon les régions,
de 12 % à 17 % des conducteurs tous âges confondus sous l'influence du cannabis
au moment de l'accident, mais plus de 20 % chez les moins de vingt-sept ans.
Il est de même important de relever que les scientifiques considèrent qu'il
n'est pas nécessaire d'établir un seuil de concentration sanguine pour
permettre l'incrimination. Il est donc juridiquement possible de créer dès
maintenant l'infraction de conduite alors qu'il a été fait usage de
stupéfiants.
Je me félicite ainsi de ce que l'Assemblée nationale ait adopté la présente
proposition de loi et que votre commission des lois, sur l'initiative de son
rapporteur, M. Lanier, invite le Sénat à l'accepter.
Vous proposez toutefois, monsieur le rapporteur, un amendement tendant à
récrire intégralement, dans l'article 1er de la proposition de loi, les
dispositions votées par l'Assemblée nationale, en y apportant quelques
modifications. Loin de remettre en cause l'esprit de la proposition de loi de
M. Richard Dell'Agnola, vous avez pour premier objectif de veiller à ce que ce
texte très important soit le plus clair et le plus lisible possible.
S'agissant de dispositions de nature pénale qui figureront dans le code de la
route et qui doivent de ce fait aussi présenter un caractère pédagogique, cet
objectif ne peut qu'être vivement approuvé.
Votre amendement prévoit également, outre ces modifications de forme, quelques
modifications de fond, qui me paraissent toutes très opportunes et sur
lesquelles je souhaite faire de brefs commentaires.
Tout d'abord, vous proposez d'aggraver les peines encourues - trois ans
d'emprisonnement et 9 000 euros d'amende - lorsque la personne aura conduit
sous l'influence et de stupéfiants et de l'alcool.
Une telle aggravation paraît à l'évidence justifiée, car le double usage des
produits stupéfiants et de l'alcool génère des comportements particulièrement
dangereux, notamment chez les usagers du cannabis.
Votre amendement traduit par ailleurs une approche pragmatique et raisonnée du
problème du dépistage systématique de l'usage des produits stupéfiants. La
question est importante sachant qu'en 2001 ont été dénombrés 116 745 accidents
corporels, qui ont causé hélas ! la mort de 7 720 personnes et ont été à
l'origine des blessures de 153 945 victimes de la route.
Il est certain que la technique actuelle de dépistage à l'aide d'un test
urinaire est contraignante, à la fois pour les usagers et pour les forces de
l'ordre, puisqu'elle oblige ces dernières à effectuer le transport de tous les
conducteurs vers un centre médical ou hospitalier.
De surcroît, le coût d'un dépistage dans les urines est d'environ 25 euros et
les honoraires du médecin sont tarifés à 30 euros, sommes imputées au chapitre
des frais de justice.
En cas de résultat positif, la recherche et le dosage dans le sang font
également l'objet d'une taxation de 241,48 euros sur le chapitre des frais de
justice.
J'indique dès aujourd'hui que le Gouvernement s'engage à dégager les moyens
financiers et humains nécessaires à la mise en oeuvre de cette disposition dans
des conditions satisfaisantes. Toutefois, lors des débats à l'Assemblée
nationale, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a
évoqué les difficultés qui résulteraient d'une trop large extension des
hypothèses dans lesquelles le dépistage sera systématique. Il me paraît donc
particulièrement bienvenu que votre commission propose une solution
pratique.
Il s'agirait de faire une différenciation entre les homicides, pour lesquels
le dépistage est et restera toujours obligatoire, et les accidents corporels,
pour lesquels le dépistage ne sera systématique que s'il « existe une ou
plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'un des conducteurs impliqués dans
l'accident a fait usage de produits stupéfiants ».
Le texte de votre commission me semble constituer un sage compromis : il
prévoit une solution tout à fait réaliste à laquelle le Gouvernement entend se
rallier dans l'attente de l'arrivée sur le marché de techniques de dépistage
plus opérationnelles et présentant un degré de fiabilité suffisant.
Dans l'immédiat, les fonctionnaires de la police nationale et les militaires
de la gendarmerie continueront à faire procéder à des dépistages urinaires sur
tout conducteur impliqué dans un accident corporel.
Le dépistage sera obligatoire en cas d'homicide.
En cas de blessures, il sera effectué chaque fois qu'il apparaîtra aux forces
de l'ordre qu'il y a des raisons plausibles de soupçonner que le conducteur ou
l'élève conducteur a fait usage de produits stupéfiants.
Les éléments objectifs permettant de soupçonner l'usage de produits
stupéfiants peuvent résulter de la présence sur le siège du véhicule de résidus
de cannabis ou d'objets divers pouvant servir à faciliter la consommation de
produits stupéfiants, mais aussi du comportement de la personne, qui peut
présenter des signes cliniques externes, comme des troubles de l'équilibre ou
des difficultés d'élocution.
Il s'agit là d'éléments que les policiers et les gendarmes savent déjà
identifier dans le cadre des enquêtes judiciaires mettant en cause des
toxicomanes.
Enfin, votre rapporteur propose de ne pas reprendre les dispositions adoptées
par l'Assemblée nationale concernant l'obligation d'examen médical, biologique
et psychotechnique avant le passage du permis de conduire en cas d'annulation
de celui-ci prononcée contre une personne condamnée pour usage de stupéfiants
au volant.
Votre commission considère que les dispositions générales de l'article L.
224-14 du code de la route sont suffisantes pour rendre obligatoire cet examen
médical. Je partage cet avis pour ce qui est des dispositions législatives.
Il suffira simplement de modifier les textes réglementaires, à savoir les
articles R. 221-13 et R. 221-14 du code de la route, qui prévoient l'obligation
de se soumettre à des examens médicaux pour les conducteurs condamnés pour des
faits d'alcoolémie au volant. Le Gouvernement complétera les textes
réglementaires pour viser également les nouveaux articles réprimant la conduite
après usage de produits stupéfiants. Il sera ainsi procédé à l'identique pour
les stupéfiants et pour l'alcool au volant.
M. Bernard Plasait.
Très bien !
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
Cette proposition de loi nous permet, mesdames,
messieurs les sénateurs, de franchir une nouvelle et importante étape, et c'est
une initiative qui revient au Parlement.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, des améliorations que vous proposez
d'apporter à la rédaction de ce texte et des propositions que vous faites pour
en faciliter l'application.
Le Premier ministre a présidé hier un comité interministériel de sécurité
routière au cours duquel il a annoncé un ensemble de mesures pour mieux lutter
contre l'insécurité routière, mesures dont certaines sont de nature
législative. Ce dispositif législatif figurera en bonne place dans le projet de
loi que le garde des sceaux, ministre de la justice, présentera devant le
Parlement.
Lors de son allocution du 14 juillet dernier, le Président de la République a
fait de la lutte contre l'insécurité routière l'un des trois grands chantiers
du quinquennat : nous devons tous conjuguer nos efforts pour lutter
efficacement contre ce fléau.
Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande d'adopter cette
proposition de loi ainsi que les amendements proposés par votre commission des
lois.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition
de loi que nous étudions offre un bon exemple en même temps qu'un exemple sain
d'utile coopération entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Le 8 octobre dernier, l'Assemblée nationale a adopté, sur le rapport de
Richard Dell'Agnola, député du Val-de-Marne, une proposition de loi relative à
la conduite sous l'influence des substances ou plantes classées comme
stupéfiants. Cette proposition a le mérite de faire renaître un débat instauré
depuis dix ans déjà par les deux assemblées, mais qui, pour des causes
diverses, n'a jamais pu être mené à son terme.
Malgré de multiples initiatives parlementaires, les décisions concrètes
permettant d'agir sur ce que j'appellerai, de manière laconique, « la drogue au
volant », sont restées très limitées.
Pourtant, dans le même temps, le code de la santé publique punit sévèrement
l'usage des stupéfiants. En outre, depuis longtemps déjà, et de façon de plus
en plus précise, le législateur sanctionne la conduite sous l'emprise de
l'alcool.
Dès lors, pourquoi cette ségrégation entre la faute par l'alcool et la faute
par la drogue ? En grande partie, parce que le dépistage des stupéfiants
s'avère beaucoup plus complexe en matière de drogue qu'en matière d'alcool.
Si cet argument, dont il a souvent été excipé, demeure réel, il se révèle
aujourd'hui plus spécieux, car les dispositifs de dépistage ont sérieusement
progressé, quoique de manière encore insuffisante, reconnaissons-le.
En tout état de cause, le lien est désormais clairement établi entre nombre
d'accidents de la route et les effets des stupéfiants, plus particulièrement du
cannabis.
Certaines études, réalisées tant à l'étranger qu'en France, notamment au cours
des années 2000 et 2001, ont fait apparaître que lorsque les conducteurs de
moins de vingt-sept ans avaient consommé du cannabis, la fréquence des
accidents s'en trouvait multipliée par 2,5.
Depuis octobre 2001, les statistiques relatives aux conducteurs impliqués dans
un accident mortel corroborent cette estimation scientifique : sur plus de 2
000 cas constatés, de 12 % à 17 % des conducteurs, en moyenne, tous âges
confondus, se trouvaient sous l'influence du cannabis au moment de l'accident,
et ils étaient plus de 20 % dans cette situation parmi les moins de vingt-sept
ans.
Je n'invente pas ces chiffres, qui ont été cités par M. le garde des sceaux
lors du débat à l'Assemblée nationale.
Apparemment, notre législation présente un vide juridique, tandis que la
fréquence des accidents de la route, loin de diminuer, s'accroît, au même
rythme, hélas ! que la consommation de drogue, dont les effets sur le
comportement de l'individu ne sont plus à démontrer.
La mort de cette petite fille de neuf ans, tuée par un automobiliste drogué,
révèle l'étendue des dégâts. J'ai reçu sa famille, désormais brisée, comme tant
d'autres. Elle a constitué une « association Marilou », du prénom de l'enfant,
non pas pour réclamer vengeance, mais pour que l'on veille à éviter tant de
drames à l'avenir, en privilégiant les « routes de la vie ».
Son cri doit être entendu ! Il l'a été, comme en témoignent les récentes
déclarations du Président de la République, condamnant « ceux qui sous-estiment
les conséquences de l'alcool ou des drogues chez les conducteurs » et qui font
de la sécurité routière « l'un des grands chantiers prioritaires des cinq
années à venir ».
C'est pourquoi nous nous félicitons de l'inscription à l'ordre du jour des
travaux du Sénat de la proposition de loi de notre collègue Richard
Dell'Agnola.
Considérons que l'action devrait être facilitée par le long cheminement
juridique et scientifique qui nous permet de voir plus clair s'agissant des
dangers de la conduite sous influence de stupéfiants.
Tout d'abord, les conclusions du Livre blanc paru en 1995 et intitulé
Sécurité routière, drogues licites ou illicites et médicaments
préconisent une modification législative du code de la route et, surtout,
soulignent avec force les inéluctables modifications de l'aptitude à la
conduite engendrées par la drogue.
Ensuite, la loi du 18 juin 1999, dont je fus d'ailleurs le rapporteur, a
institué un dépistage systématique des stupéfiants sur tout conducteur impliqué
dans un accident mortel de la circulation.
Le Sénat avait alors déposé un amendement visant à réprimer plus sévèrement la
conduite sous l'emprise de stupéfiants. Le Gouvernement, prétextant, non sans
raison d'ailleurs, des difficultés d'application, s'était opposé à son
adoption, préférant en rester au dépistage systématique en cas d'accident
mortel et annonçant la prompte conduite d'une étude épidémiologique, engagée
hélas ! trop tardivement et dont les résultats ne seront connus qu'à la fin de
l'année 2004 !
En attendant, la « route qui tue » continue de faire des ravages !
C'est pourquoi une loi de novembre 2001 a prévu le dépistage des stupéfiants
en cas d'accident non plus seulement mortel, mais aussi corporel, à titre
facultatif cependant. Le Sénat avait aussitôt proposé la création d'une
véritable infraction au code de la route pour conduite sous influence de
stupéfiants. Le Gouvernement nous avait opposé un nouveau refus, arguant de
difficultés techniques d'application qui demeurent, reconnaissons-le, réelles
et importantes.
Comment se fait-il, dans ces conditions, que nombre de pays membres de l'Union
européenne, et non des moindres, sanctionnent spécifiquement la conduite sous
influence de stupéfiants, de diverses manières, certes, mais respectant toutes
la directive communautaire de juillet 1991 ? Notre retard sur nos partenaires
européens n'expliquerait-il pas, en partie, le fait que nous soyons aujourd'hui
les plus affectés par l'insécurité routière ?
Pourquoi, dès lors, ne pas nous inspirer de la lente élaboration, à partir de
1958, de la législation concernant l'alcool au volant, même si les procédures
d'application, en ce qui concerne la drogue, s'avèrent, à l'évidence, plus
complexes ?
Tel est bien l'objet de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée
nationale : sanctionner spécifiquement la conduite sous l'empire de stupéfiants
et étendre les hypothèses de dépistage.
L'article 1er tend donc à insérer dans le code de la route un délit de
conduite après usage de stupéfiants. Les peines prévues sont les mêmes que
celles qui sont déjà appliquées pour réprimer la conduite en état
d'imprégnation alcoolique : deux ans d'emprisonnement et 4 500 euros d'amende.
Les juridictions pourront prononcer en outre des peines complémentaires de
suspension du permis de conduire, de retrait de points et de doublement des
peines en cas d'homicide ou de blessures involontaires.
Par ailleurs, la proposition de loi vise à élargir de manière substantielle
les hypothèses de dépistage des stupéfiants. Ainsi, l'article L. 235-1 du code
de la route prévoit déjà un dépistage systématique en cas d'accident mortel,
mais facultatif en cas d'accident corporel. Or le dépistage systématique est
prévu à l'article 2 pour tous les conducteurs impliqués dans un accident
corporel.
De plus, il est prévu d'insérer dans ledit code un article L. 235-4 prévoyant
des contrôles aléatoires et préventifs, même en l'absence d'infraction
préalable ou d'accident. Je pense ici aux opérations « coup-de-poing », comme
celles qui sont déjà pratiquées en matière de contrôle de l'alcoolémie. De
telles actions viseraient notamment les conducteurs qui pourraient être
soupçonnés, pour un ou plusieurs motifs plausibles, d'user de stupéfiants.
Quel peut être l'avis de la commission des lois du Sénat sur cette proposition
de loi ?
Je tiens tout d'abord à préciser qu'elle approuve l'initiative de son auteur,
qui, avec une pugnacité à laquelle il faut rendre hommage, veut faire aboutir
certaines solutions, fruits des réflexions communes des deux assemblées.
En tout état de cause, il n'est plus possible de tergiverser dans l'attente
des conclusions d'enquêtes en cours, très louables en elles-mêmes, mais dont
les résultats ne sont pas encore disponibles. Il faut agir dès maintenant, car
les statistiques prouvent l'aggravation d'une situation qui constitue un drame
national. Le tribut que nous payons à la « route qui tue » ne cesse de nous
interpeller !
Le présent texte devra influencer profondément le comportement des
conducteurs. Pour cela, il doit être applicable très rapidement, et avec un
maximum de fiabilité.
C'est pourquoi la commission des lois propose certains aménagements.
D'abord, elle suggère de renforcer la cohérence du dispositif présenté en
équilibrant de façon plus logique les articles du chapitre du code de la route
relatifs à la matière dont nous traitons.
Ainsi, l'article L. 235-1 définirait l'infraction de conduite sous stupéfiants
et les peines encourues, tandis que l'article L. 235-2 déterminerait l'ensemble
des cas de dépistage des stupéfiants, l'article L. 235-3 prévoyant les
conséquences des refus de dépistage et l'article L. 235-4 traitant de la
récidive ou du cumul des infractions.
Tel est l'objet de l'amendement n° 1, principal amendement de la commission,
l'amendement n° 2 n'étant que de conséquence.
Outre sa présentation plus lisible, notre amendement prévoit quelques
modifications sur le fond, sans transformer le caractère du texte. Nous nous
conformons, en cela, aux très pertinentes observations formulées par le
rapporteur et par le garde des sceaux à l'Assemblée nationale.
Notre excellent collègue Richard Dell'Agnola a ainsi déclaré que «
l'application des nouvelles dispositions nécessite, à l'évidence, la
mobilisation de moyens humains et financiers importants en termes d'effectifs,
de matériels, de formation (...) ».
Je citerai également M. le garde des sceaux : « Je me demande si, dans un
souci de pragmatisme (...) le dépistage facultatif ne devrait pas être retenu
pour les accidents corporels, comme en cas de dépistages aléatoires. (...) Je
pense que cette question pourra être approfondie au cours de la navette. »
Nous devons tenir le plus grand compte de ces observations pertinentes. En
effet, si le dépistage de l'alcool est aujourd'hui bien au point et peut être
effectué en bord de route, rapidement, il n'en est pas de même pour le
dépistage des stupéfiants, qui s'avère beaucoup plus compliqué et onéreux.
Analyses d'urine et analyses de sang exigent des centres adaptés et fiables,
souvent très éloignés des lieux de l'accident. Le transfert des accidentés,
responsables ou non de l'accident, doit être accompagné par un voire deux
officiers ou agents de police judiciaire, un troisième au minimum demeurant sur
les lieux de l'accident. Or une brigade de gendarmerie compte en principe six
personnels permanents, dont trois sont opérationnels.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2001, 116 745 accidents corporels ont
causé 7 720 décès et près de 154 000 blessures.
En prenant l'hypothèse basse, selon laquelle un accident implique deux
véhicules, ce sont plus de 232 000 dépistages qui devraient obligatoirement
être effectués chaque année. Cet objectif restera inaccessible tant que le
dépistage de la drogue au volant ne sera pas l'objet de tests plus fiables et
plus pratiques d'utilisation.
Certes, des tests salivaires sont déjà pratiqués en Allemagne : leur taux de
fiabilité ne dépasserait pas 65 % s'agissant du cannabis, qui est la drogue la
plus fréquente.
C'est pourquoi notre amendement prévoit le dépistage systématique en cas
d'accident mortel, mais facultatif en cas d'accident corporel, ce qui laisse
aux officiers ou agents de police judiciaire une marge minimale d'appréciation,
qui seule peut permettre, dans l'état actuel des choses, une pleine et positive
application de la loi.
Enfin, l'amendement prévoit une peine aggravée pour les personnes conduisant
sous l'influence à la fois de la drogue et de l'alcool.
En conclusion, qu'il me soit permis, monsieur le secrétaire d'Etat, de
déplorer, une fois encore, que nous soyons dans l'absolue nécessité de
légiférer au coup par coup, en ayant recours à la seule répression, sous
l'empire de l'urgence et du besoin.
Oui, nous appelons de tous nos voeux la loi générale et exhaustive qui
traitera de la sécurité routière en étant inspirée, premièrement, par une
politique d'études et de recherche adaptée au sujet, deuxièmement, par une
vraie politique interministérielle de sécurité routière, et, troisièmement, par
le souci d'une action conjuguée des différents et très nombreux acteurs de la
sécurité routière.
Assez d'incantations rhétoriques ! Que des actes essentiels, efficaces, de bon
sens soient posés ! Eux seuls permettront d'équilibrer la répression et la
prévention et de conjuguer le progrès des techniques et celui des mentalités
pour combattre la « route qui tue ».
Mais parce que la route tue encore, et ce de manière inadmissible, nous vous
demandons instamment, mes chers collègues, de voter la présente proposition de
loi, au bénéfice des quelques observations présentées par la commission des
lois.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union
centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;
Groupe socialiste, 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
6 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
près de 8 000 morts par an, plus de 150 000 blessés... l'hécatombe routière
constitue l'une des plus grandes insécurités et touche particulièrement les
jeunes : alors qu'ils ne sont que 13 % dans la population française, les 15-24
ans représentent pourtant 27 % des tués sur les routes.
C'est pourquoi nous approuvons le Président de la République quand il fait de
ce grave sujet l'un de ses trois chantiers prioritaires.
Hélas ! Il y a loin des intentions affichées aux réalisations
gouvernementales. Alors même qu'un comité interministériel de sécurité routière
s'est tenu hier, alors même qu'une grande loi de lutte contre l'insécurité
routière est annoncée pour 2003, alors même que, sous la précédente
législature, une étude visait à évaluer les responsabilités dans les accidents
les plus graves, afin de se donner, d'abord, les moyens de disposer de
renseignements épidémiologiques, pour mieux connaître, ensuite, les
interactions entre conduite et stupéfiants, alors même que l'actuel
gouvernement procède à des économies substantielles en réduisant, d'une part,
de 2,48 millions d'euros les crédits d'entretien, de maintenance et de
fonctionnement des routes et, d'autre part, de 3,2 millions d'euros les
interventions dans le domaine des transports et de la sécurité routière et
alors même que, le Gouvernement ne semblant pas à un paradoxe près, le jour où
se réunit le comité interministériel de sécurité routière le privilège fiscal
accordé aux bouilleurs de cru est rétabli - comment ne pas souligner, encore
une fois, l'incohérence entre cette incitation à une production locale d'alcool
hautement titré et les légitimes priorités affichées de manière volontariste
par le Président de la République ? Accidents mortels de la circulation,
blessures graves et handicaps associés, cancers, notamment des voies
digestives, ont clairement partie liée avec l'abus d'alcool - vous abordez
pourtant cette proposition de loi par le seul biais de la « conduite sous
l'influence de substances ou plantes classées commestupéfiants », autrement dit
par le petit bout de la lorgnette !
Comme j'espère que, dans cette enceinte, les débats n'auront pas la tournure
qu'ils ont prise à l'Assemblée nationale, je tiens, d'emblée, à préciser que je
n'appartiens nullement à « une certaine gauche » qu'un député a cru spirituel
de qualifier d'« hallucinogène ». Ce n'est pas avec ce genre de stigmatisation
que l'on peut envisager sereinement et sérieusement de traiter des questions
qui touchent autant à la sécurité routière qu'à la santé publique !
Soyons donc bien clairs : je suis, comme l'ensemble des membres du groupe
socialiste, fermement opposé à toute prise de risque au volant et je considère
que les substances ou plantes stupéfiantes, comme l'alcool ou les médicaments
psychotropes, altèrent la vigilance et que la conduite sous leur emprise doit
donc être interdite. Il y a certes, dans notre pays, un vide juridique à
combler, et on ne peut qu'être favorable à tout ce qui peut concourir à
détecter et à proscrire la conduite sous l'emprise de drogues, mais cela
n'autorise pas pour autant à prendre, dans la plus grande précipitation, des
mesures qui, au-delà de leur affichage, seront inefficaces dans la pratique.
Pourquoi inscrire dans la loi des mesures qui ne seront pas applicables à
court terme ? Comment, en effet, comptez-vous publier rapidement un décret
d'application fixant des seuils alors que, contrairement à ce qui se passe pour
l'alcool, il n'existe aucun consensus scientifique ? C'est bien la raison pour
laquelle une étude épidémiologique, actuellement en cours, a pour mission de
déterminer, pour chaque substance, les seuils à partir desquels une relation de
causalité peut être scientifiquement établie entre prise de stupéfiants et
comportement au volant. Il s'agissait ainsi de fixer une échelle de risques
rigoureuse et reconnue, de rendre les contrôles non seulement plus fréquents,
mais faisables et plus fiables. L'action publique, en des domaines si
sensibles, ne doit pas être intempestive : il lui faut emprunter la voie
raisonnable de l'évaluation, de l'« expérimentation », car notre connaissance
des effets de la consommation de stupéfiants sur la conduite ne sont sans doute
pas encore suffisants pour proposer un dispositif finalisé.
Pourquoi ne pas attendre l'issue de l'enquête épidémiologique, dont les
conclusions devraient intervenir en 2004 ? N'existerait-il pas des
toxicologues, très diserts sur l'efficacité de futurs tests, qui auraient grand
intérêt à ce qu'un marché aussi rentable se développe ?
Soyons honnêtes : ce texte vise essentiellement le cannabis, et ne concerne
pas les médicaments, dont certains ont pourtant des effets notoirement
incompatibles avec la conduite. L'infraction sera constituée dès que la
présence d'un stupéfiant est décelée par analyse sanguine, mais les premiers
tests seraient urinaires. Or on sait que des traces de cannabis demeurent
longtemps dans les urines. Comme il y aurait de nombreux usagers réguliers et
plus encore d'expérimentateurs occasionnels - un jeune sur deux, nous dit-on -
le dépistage risque de conduire à un grand nombre de tests urinaires positifs.
Si la prise de sang, seule capable de déterminer de manière fiable la quantité
et l'heure de la prise, indique une consommation ancienne, et donc anodine en
termes de sécurité routière, le conducteur risquera-t-il néanmoins des
poursuites incidentes pour prise de substance illicite ?
Par ailleurs, le coût de ces tests sera important, notamment en ce qui
concerne les moyens humains, chaque test mobilisant un ou deux gendarmes ou
policiers pour accompagner le contrevenant présumé à l'hôpital, avant de le
raccompagner pour qu'il puisse récupérer son véhicule sur le site de
l'accident. La pratique européenne nous montre des complications juridiques et
surtout techniques de mise en oeuvre, qui se heurte notamment à l'insuffisance
de moyens simples de dépistage. Le nouveau directeur de la mission
interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, M. Didier
Jayle, insiste lui-même sur « les difficultés d'application dans la mesure où
le seuil au-delà duquel la conduite sous l'emprise d'une substance peut devenir
dangereuse pour soi-même et pour autrui ne peut être défini ». Malgré
l'abandon, souhaité par notre commission des lois, du dépistage totalement
aléatoire, les accidents corporels ou non engagent déjà de nombreux conducteurs
et le « soupçon » de consommation peut avoir des frontières assez floues.
Or il semblerait que l'on manque déjà d'hommes pour contrôler la vitesse,
l'alcool et l'absence de ceinture, qui sont pourtant à l'origine de la grande
majorité des accidents. Ne serait-il pas plus urgent de faire appliquer
strictement les lois en vigueur ? Ne serait-il pas plus judicieux de s'atteler
prioritairement aux facteurs statistiquement les plus dangereux ?
Je m'interroge en outre sur le fait que les médicaments sont exclus du
dispositif prévu, alors même qu'il s'agit parfois de substances identiques.
Bien des antitussifs, par exemple, contiennent des opiacés. On sait également
que certains toxicomanes détournent des médicaments ou des produits
industriels. Dans la pratique, la différenciation sera impossible, mais la loi
va établir des nuances qui n'ont pas lieu d'être en termes de dangerosité sur
la route.
Sur ce sujet, je me rangerai volontiers à l'avis émis par le groupe Pompidou,
du Conseil de l'Europe, dans un rapport intitulé « Circulation routière et
drogues » : « Il ne semble pas permis d'argumenter raisonnablement en matière
de circulation routière et de drogue en distinguant de façon schématique entre
drogues ou substances illicites et licites : alcool, médicaments. Ce qui
importe, ce n'est pas la classification, mais l'utilisation faite des
substances en question. »
Je vois une incohérence manifeste dans le fait de ne mettre en exergue que les
« substances ou plantes classées comme stupéfiants ». Il s'agit d'une décision
purement politique, qui fait en réalité assez peu cas de la « tolérance zéro »
pourtant prônée. En effet, si l'on doit faire appel au principe de précaution,
pourquoi accepter un risque d'accident mortel multiplié par deux pour un taux
d'alcoolémie à 0,5 gramme par litre de sang ?
Et si, incidemment, il s'agit de faire passer à la jeunesse un message
préventif sur la dangerosité des drogues, on peut regretter que ce message ne
soit pas scientifiquement mieux étayé et que le Gouvernement ampute
parallèlement de 2,8 millions d'euros les crédits pour 2003 du budget de la
santé relatifs à la prévention de la toxicomanie, ce qui représente une baisse
de 19 % par rapport à l'année précédente, M. le ministre de la santé le
déplorait d'ailleurs ici même le 29 novembre dernier.
Si le constat d'une forte augmentation de la consommation des drogues chez les
jeunes gens est juste, il faut lui apporter des réponses qui, encore une fois,
ne soient pas uniquement répressives.
Agissons aussi sur les causes et privilégions l'éducation et la prévention,
qui sont les grandes oubliées de ce gouvernement. L'apprentissage de la
conduite, dans les auto-écoles, devrait s'accompagner d'une information précise
sur les risques que fait courir la prise de drogues - licites ou illicites - et
de médicaments. Les jeunes conducteurs doivent savoir que, sous aucun prétexte,
ils ne doivent prendre le volant lorsqu'ils sont sous l'emprise de toute
substance altérant leur capacité d'attention, et cela est encore plus vrai
quand ils ont mélangé différents produits.
Mais, décidément, votre politique vous porte plus à réprimer qu'à prévenir et
à éduquer ! Localement, nous en déplorons déjà les effets. Ainsi, à
Neuilly-sur-Marne - commune dont je suis le maire -, parmi les associations
partenaires du contrat de ville, l'Association nocéenne d'éducation et de
sécurité routière connaît d'importantes difficultés : ses crédits semblent
gelés jusqu'en mars tandis que la suppression programmée des emplois-jeunes
l'empêchera de continuer ses actions. Cet emploi méritait pourtant d'être
pérennisé, car il s'agissait d'un nouveau service, avec un contenu pédagogique
important : interventions dans les écoles et dans les centres de loisirs,
contacts permanents avec les enseignants, animations sur les pistes routières,
participation à la conduite accompagnée, etc. Il semble donc extrêmement
dommageable de faire des économies dans un tel domaine, alors que le texte qui
nous est proposé ne comprend aucun volet éducatif.
En raison de la gravité du sujet, et même si celui-ci aurait mérité un tout
autre traitement, le groupe socialiste a choisi, à regret, de s'abstenir. Il
convient, en effet, de mettre en place un plus grand nombre de dispositifs
techniques afin que les contrôles d'usage de la drogue soient plus fréquents.
Cependant, la répression, si elle est absolument nécessaire, ne saurait être
exclusive, et il ne faut pas jouer avec les effets d'annonce en inscrivant dans
la loi des mesures qui ne pourront pas être appliquées à court terme, faute de
moyens fiables de détection.
(Applaudissements sur les travées du groupe
socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Philippe Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
depuis plusieurs années déjà, les travaux, les rapports et les consultations
diverses et variées sur la question de l'influence des stupéfiants sur la
conduite automobile se sont multipliés. Mais les réalisations concrètes ont
toujours été repoussées, différées malgré les nombreuses initiatives
parlementaires. A ce titre, les premières mesures, prises en 1999, se sont
révélées insuffisantes. Aujourd'hui, plus que jamais, est donc venu le temps de
passer véritablement et fermement à l'acte, dans l'intérêt de tous, et en
premier lieu par respect pour les victimes, très nombreuses, des abus et des
comportements de conducteurs irresponsables. C'est notre devoir, et je me
réjouis donc que la Haute Assemblée soit saisie de la présente proposition de
loi.
La législation française est paradoxale. En effet, après un accident de la
route, il est plus facile de mettre en évidence et de sanctionner la
consommation excessive et inadaptée d'un produit en vente libre, l'alcool, que
de reconnaître l'influence d'une drogue, dont la consommation, elle, est
interdite. La position française, conséquence d'une vision très idéologique de
notre société, n'est plus tenable
(Mme Nicole Borvo sourit)
et nous
devons rattraper notre retard - qui est révélateur - par rapport aux autres
pays européens.
Dans un premier temps, je voudrais dénoncer avec force le laxisme dont il a
été fait preuve sur ce sujet depuis longtemps dans notre société. Ne nous
voilons pas la face, et dénonçons enfin les premiers responsables. Combien de
fois avons-nous entendu de beaux esprits - y compris, mon cher collègue Mahéas,
des ministres du gouvernement que vous souteniez - participer par leurs
témoignages et par leurs discours, à la banalisation perfide du cannabis ?
M. Bernard Plasait.
Très juste !
M. Christian Demuynck.
Très bien !
M. Jacques Mahéas.
Ce n'est pas le cas ! Nous l'avons dit !
Mme Nicole Borvo.
Quand on voit le laxisme à l'égard de l'alcool, de tels propos sont
scandaleux, monsieur Darniche.
M. Philippe Darniche.
Télévisions, radios, presse écrite et même cette tribune furent exploitées
pour faire progresser l'idée selon laquelle fumer un joint n'était pas
dangereux et que, au contraire, un tel acte symbolisait cette liberté de penser
et d'agir dont les auteurs de tels propos se croient généralement les
défenseurs exclusifs !
M. Jacques Mahéas.
Vous préférez les bouilleurs de cru !
M. Philippe Darniche.
Récemment, j'ai été scandalisé par le comportement de médecins des services de
la DDASS, donc membres des services de l'Etat, qui, lors de réunions des
commissions départementales de sécurité, ont clairement affirmé qu'ils
n'estimaient pas utile de se montrer répressifs concernant l'utilisation du
cannabis. Quand un jeune, légitimement engagé dans une démarche de subversion,
dans une volonté d'affirmer sa liberté, entend de telles inepties, et perçoit
que l'argumentaire utilisé peut faire illusion, il se sent presque encouragé et
se dédouane par rapport à ses parents et à la société.
M. Bernard Plasait.
Tout à fait !
M. Christian Demuynck.
Effectivement !
M. Philippe Darniche.
Combien sommes-nous à avoir entendu des parents nous affirmer que le cannabis
n'était pas plus dangereux que le tabac, parce qu'ils en avaient été convaincus
par leurs enfants ?
Pourtant, dans le même temps, sur le terrain, de nombreux acteurs constatent
les dégâts considérables que de telles pratiques provoquent chez les jeunes,
sur leur santé, sur leur comportement, en particulier au volant.
Notre société - je l'affirme sans détour - s'est comportée de manière
irresponsable en refusant d'ouvrir les yeux sur une réalité pourtant sans cesse
rappelée par l'Organisation mondiale de la santé, qui, chaque année, tentait
d'alerter les pays européens sur le danger des substances illicites.
Aujourd'hui, sans nier les effets nocifs du tabac, les découvertes les plus
récentes, notamment celles qu'a faites voilà quelques semaines une équipe de
chercheurs de Clermont-Ferrand, ont prouvé, une fois de plus, la nocivité
considérable de ces substances.
Deux effets pernicieux majeurs sont aujourd'hui clairement mis en évidence :
d'une part, la détérioration irréversible de la mémoire, et donc du potentiel
intellectuel des jeunes ; d'autre part, l'action dépressive du cannabis sur le
système nerveux central, qui se traduit par un ralentissement des réflexes, par
une modification de la perception et par une perte évidente de vigilance et de
conscience du danger et des obstacles.
Nous devons donc réagir en espérant que nos décisions n'arrivent pas trop
tard.
Notre première action doit consister à mettre fin à cette situation paradoxale
de notre législation et à arrêter le carnage du couple cannabis-alcool au
volant.
Je suis favorable à la création d'un délit de conduite après usage de
stupéfiant. J'aurais préféré que le dépistage devienne systématique et je
considère que le fait de « procéder à un dépistage lorsqu'il existe à
l'encontre du conducteur impliqué dans un accident une ou plusieurs raisons
plausibles de soupçonner qu'il en a fait usage » revient à ne pas traiter le
problème en profondeur.
Je reconnais le coût que représenterait pour le moment une telle mesure mais
je souhaite que, dès qu'un test efficace arrivera sur le marché, le
Gouvernement mette en place un dépistage systématique pour tout conducteur
impliqué dans un accident ayant entraîné un dommage corporel.
Cette proposition de loi constitue donc une première étape qui devra être
complétée.
Au lendemain de l'annonce d'un plan particulièrement courageux pour lutter
enfin contre une triste réalité française en matière de sécurité soutière, ce
texte vient s'ajouter au dispositif envisagé.
Je remercie donc pleinement le Gouvernement de prendre ces mesures courageuses
et j'apporterai, comme mes collègues non inscrits, mon entier soutien à cette
proposition de loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de
l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'insécurité routière est un véritable fléau national. Nous le savons tous et
nous voulons trouver les moyens pour lutter contre ce désastre, qui entraîne
environ 8 000 morts chaque année sur nos routes. Nous en avons eu encore un
exemple ce week-end.
Cette situation est absolument insupportable et nous estimons que le fait de
conduire sous l'effet de substances altérant les capacités nécessaires à la
conduite, quelles qu'elles soient, doit être sanctionné.
C'est pourquoi le fait de vouloir s'attaquer aux drogues au volant est tout à
fait louable, et je ne le contesterai pas.
Toutefois, le texte qui nous est proposé pose quelques problèmes, et ce pour
de nombreuses raisons qui ont déjà été évoquées et que je vais, pour ma part,
réexposer.
Premier problème : le texte vise la conduite sous l'influence de « substances
ou de plantes classées comme stupéfiants ». A défaut d'énumération, il semble
viser principalement le cannabis.
Je rappellerai que certains experts sont sceptiques quant au lien de causalité
entre consommation de cannabis et insécurité routière.
M. Bernard Plasait.
C'est incroyable !
Mme Nicole Borvo.
Certes, comme vous l'avez amplement souligné, d'autres sont affirmatifs, mais
nul ne connaît le niveau de consommation entraînant un risque d'accident. En
n'énumérant pas chaque substance, le texte conduit à penser que seul le
cannabis est particulièrement visé et, par ce biais, les jeunes, principaux
consommateurs de ce stupéfiant.
Second problème : la difficulté d'évaluation des risques.
Si, aujourd'hui, il est possible d'évaluer précisément les risques d'accident
après la prise de quelques verres d'alcool, celui-ci étant tout de même
responsable de 2 500 morts sur les 8 000 morts dus à des accidents de la route,
il n'est pas possible d'effectuer cette même mesure pour le cannabis. C'est la
raison pour laquelle, jusqu'ici, aucune législation n'a pu être définie sur ce
point et que, à la suite de la loi Gayssot, une enquête a été lancée en 2001,
enquête dont nous attendons les résultats pour 2004.
Certes, on peut considérer que ce délai est bien long, mais comment faire
autrement quand on ne connaît ni les conséquences des prises sur le conducteur,
ni les niveaux à partir desquels il y a risque pour la conduite.
Par ailleurs, quand on voit le seuil d'alcoolémie qui a été retenu, on peut
s'interroger sur la capacité du législateur à fixer certains taux - pour ma
part, je serais pour le taux zéro. D'ailleurs, ne sachant à quel niveau
lessubstances considérées sont nocives pour la conduite, en l'occurrence, il ne
s'occupe pas de taux.
Il est donc prématuré de légiférer aujourd'hui sur la question, sans données
scientifiques fiables permettant de connaître précisément l'incidence de
l'absorption de stupéfiants sur le comportement des conducteurs.
En l'absence de connaissances précises, cette proposition de loi n'apportera
rien de plus, puisque des contrôles systématiques sont déjà prévus en cas
d'accident mortel. Elle vise à étendre le dépistage systématique aux accidents
corporels. J'y serais favorable mais, en l'état, la mesure n'a aucune chance
d'être réellement appliquée.
Comme on ne sait pas à partir de combien de temps et à quel niveau le cannabis
ou tout autre stupéfiant laisse des traces dans l'organisme, un automobiliste
ayant consommé une substance illicite quelques jours, voire quelques semaines
avant d'avoir un accident de la route pourrait tomber sous le coup de cette
loi, alors que cette substance pourrait ne plus avoir d'effets sur sa
réactivité et ne serait donc pas forcément à l'origine de l'accident.
Il serait donc raisonnable, même si cela nous contrarie, d'attendre des tests
plus fiables. Chacun l'a dit en commission, la tâche des policiers et des
gendarmes va être bien difficile !
Il faudra prévoir des moyens humains et financiers considérables pour conduire
les automobilistes au laboratoire médical ou à l'hôpital susceptible de
réaliser les analyses d'urine et de sang nécessaires. Un tel dépistage coûte
aux alentours de 300 euros, ce qui fera un coût global très important si on
veut que la mesure ait une quelconque efficacité. Comme près de 130 000
accidents ont été comptabilisés en France pour l'année 2001, si l'on avait
cette année-là effectué de tels dépistages, on aurait atteint un coût global de
40 millions d'euros.
Or, mes chers collègues, je vous rappelle que vous venez de voter une
réduction du budget de 12 % pour 2003. Votre attitude est pour le moins étrange
par son incohérence.
Ajoutons que la consommation de stupéfiants est déjà punie, aujourd'hui, d'un
an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, aux termes de l'article L.
3421-1 du code de la santé publique. Sauf à admettre que le présent texte
légalise l'usage du cannabis, il faudrait tout de même prévoir la coordination
des peines !
Plus sérieusement, reconnaissons que cette loi risque d'autant plus d'être
inappliquée que les contrôles concernant l'alcoolémie et la vitesse, qui
demeurent les principaux facteurs d'accidents mortels sur la route, sont encore
largement insuffisants alors qu'ils sont simples à mettre en oeuvre ! Qu'en
sera-t-il pour des dépistages nettement plus compliqués à effectuer ?
Le texte ne répond absolument pas à cette question. D'ailleurs, il renvoie, et
pour cause, à un décret en Conseil d'Etat.
Il ne répond pas non plus à la question posée par la conduite sous
tranquillisants et autres médicaments altérant la vigilance au volant.
Pourtant, vous savez bien que les Français sont parmi les plus grands
consommateurs en Europe. Ces médicaments provoquent somnolence, troubles de la
vigilance ou encore de brutales pertes de conscience. Moins volontiers
incriminés que l'alcool ou la drogue, les médicaments portent pourtant une
grande responsabilité dans les drames quotidiens de la route.
Les services de la prévention routière estiment aujourd'hui que 10 % à 12 %
des accidents mortels sont causés, plus ou moins directement, par l'absorption
de médicaments incompatibles avec la conduite automobile. Les prescriptions
mentionnent d'ailleurs cette incompatibilité, mais les usagers l'ignorent ou
feignent de l'ignorer.
C'est un réel enjeu de la lutte contre l'insécurité routière, qui n'est
malheureusement pas visé par la proposition de loi.
Le texte qui nous est présenté est donc particulièrement sélectif et hâtif.
N'aurait-il pas été plus efficace de prendre les mesures nécessaires pour faire
respecter les dispositions existantes, ce que semble dire M. de Robien
concernant la réduction du taux d'alcoolémie autorisé ?
Cela pourrait s'appliquer à la vitesse et à l'alcool, mais ces deux secteurs
sont protégés par quelques puissants
lobbies.
Pensant plus
particulièrement aux producteurs d'alcool, je ne peux m'empêcher de penser aux
largesses qui leur sont attribuées au sein même de la Haute Assemblée. Voilà
une semaine, le Parlement a rétabli partiellement l'exonération des taxes sur
l'alcool produit par les bouilleurs de cru ; le Sénat souhaitait même une
détaxation totale !
En somme, vous donnez d'un côté pour mieux sanctionner, de manière hâtive et
non réfléchie, de l'autre. Vous faites la promotion de l'alcool et vous ne
voulez pas en voir les effets désastreux en matière de santé publique et de
sécurité routière.
Si vous souhaitez vraiment lutter contre les accidents de la route, multipliez
donc les contrôles d'alcoolémie ! De ce point de vue, il est particulièrement
scandaleux que M. Darniche ait complètement occulté ce problème dans son
intervention.
Pour résumer mon propos, je dirai que ce texte pèche sur deux points.
Il ne prévoit aucun seuil permettant de définir l'infraction de conduite
automobile sous l'emprise de stupéfiants alors que, pour l'alcool, ce seuil
existe. Mais on voit les limites de votre « tolérance zéro » !
De toute façon, il est indispensable d'établir un seuil de présence de
stupéfiant dans le sang afin de pouvoir caractériser l'infraction. Ce serait
tout de même un minimum !
Par ailleurs, les stupéfiants ne sont pas énumérés. Il faudrait pourtant, je
le répète, connaître précisément les produits visés et leurs effets sur la
conduite.
Nous sommes donc d'accord pour que l'on effectue des dépistages de stupéfiants
afin de lutter contre les comportements incompatibles avec la conduite d'un
véhicule. Tout ce que nous voulons, c'est que ces dépistages interviennent dans
des conditions techniques, scientifiques et juridiques satisfaisantes.
Le Gouvernement a rendu public, hier, un projet visant au renforcement des
contrôles et des sanctions en matière de sécurité routière. Il est notamment
prévu d'ajouter l'usage des stupéfiants dans les circonstances aggravantes, au
même titre que l'abus d'alcool.
Bien entendu, l'application des mesures envisagées par le Gouvernement appelle
une législation et une réglementation appropriées.
Pour ma part, je souhaite que le volet prévention soit aussi important que le
volet sanctions, ce qui ne semble pas être le cas.
Au demeurant, on peut se demander quel est le sens de cette proposition de loi
partielle, hâtive et, en l'état, largement inapplicable. Quoi qu'il en soit, il
faut prévoir un renforcement des contrôles, parce que, pour pouvoir appliquer
des sanctions de façon efficace, il faut être capable de contrôler.
Aussi, dans l'état actuel des choses, malheureusement, avec mon groupe, je ne
pourrai que m'abstenir.
M. Laurent Béteille.
Quelles contorsions !
M. Christian Demuynck.
C'est un grand écart !
Mme Nicole Borvo.
Vos propres contorsions en matière d'alcool sont pour le moins étonnantes !
M. Jacques Mahéas.
Les promoteurs des bouilleurs de cru n'ont rien à dire !
M. le président.
La parole est à M. Bernard Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'adoption de la proposition de loi tendant à sanctionner la conduite
automobile sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants
qui nous est soumise permettra enfin de lutter plus efficacement contre deux
des causes principales de la violence routière : l'alcool et la drogue.
Je dis la drogue alors qu'il s'agit, c'est vrai, madame Borvo, plus
particulièrement du cannabis, le cannabis étant de loin la substance illicite
la plus utilisée par les jeunes, bien avant les médicaments et autres ecstasy
ou cocaïne.
Si je parle des jeunes, c'est non pas pour les stigmatiser mais, au contraire,
pour les protéger.
M. Laurent Béteille.
Très bien !
M. Bernard Plasait.
Ainsi que l'a fort judicieusement rappelé le rapporteur de la commission des
lois, notre excellent collègue Lucien Lanier, dans le livre blanc sur les
effets des médicaments et des drogues sur la sécurité routière, était soulignée
« la discordance entre la richesse des mesures législatives et réglementaires
concernant l'alcool et la quasi-absence de dispositions spécifiques concernant
les médicaments et surtout les drogues illicites. Après un accident de la
route, il est paradoxalement plus facile de mettre en évidence et de
sanctionner la consommation excessive et inadaptée d'un produit en vente libre,
que de reconnaître l'influence d'une drogue dont la consommation est interdite
».
En effet, comment expliquer que les pouvoirs publics soient fortement
répressifs avec un produit dont la vente est autorisée, et passablement
compréhensifs à l'égard de substances dont la commercialisation tout autant que
la consommation sont interdites ?
Aborder enfin sérieusement la question de la drogue au volant n'est pas, cher
monsieur Mahéas, voir par le petit bout de la lorgnette ! Je ne crois pas que
vous apparteniez à une gauche hallucinogène ;...
M. Jacques Mahéas.
Je vous remercie de le reconnaître.
M. Bernard Plasait.
... en revanche, je suis « halluciné » quand j'entends vos propos, car vous
avez dressé un catalogue tout à fait étonnant des mesures qu'il conviendrait de
prendre. Le tableau était complet et édifiant : que ne l'avez-vous mis en
application pendant les cinq ans où vous avez été au pouvoir !
M. Jacques Mahéas.
Nous avons pris des mesures.
M. Christian Demuynck.
Lesquelles ?
M. Jacques Mahéas.
Relisez nos interventions d'alors !
M. Bernard Plasait.
La question que je viens de poser, nous étions un certain nombre à nous y
intéresser depuis plusieurs années. Nous avons malheureusement trouvé la
réponse dans l'attitude du précédent gouvernement, qui, lors des débats
parlementaires préalables au vote de la loi Gayssot du 18 juin 1999 et de la
loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, avait repoussé
notre proposition de créer une infraction de conduite sous l'influence de
stupéfiants.
Je ne dirai pas qu'il y avait de la complaisance dans cette attitude, mais
elle participait tout de même à la banalisation de l'usage des stupéfiants.
M. Jacques Mahéas.
Ce n'est pas vrai !
M. Bernard Plasait.
L'influence néfaste que peut avoir la drogue au volant n'était pas dénoncée
avec suffisamment de force.
M. Jacques Mahéas.
N'importe quoi !
M. Bernard Plasait.
Je me félicite donc de l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée de
cette proposition de loi.
Je voudrais, en l'occurrence, saluer la constance et la détermination de son
auteur, notre collègue député Richard Dell'Agnola, ainsi que les efforts
déployés depuis longtemps sur ce sujet par notre éminent collègue le docteur
Bernard Accoyer.
L'adoption de ce texte s'impose, non seulement pour mettre un terme à
l'exception française en Europe, mais bien parce que les stupéfiants sont
impliqués dans un nombre important d'accidents de la circulation.
Une enquête a été effectuée à Paris, à la demande du procureur de la
République, sur la période de janvier à décembre 2001, pour évaluer
l'application de la loi relative à la mise en danger de la vie d'autrui. Ainsi,
sur 451 accidents mortels, la présence de drogue a été trouvée dans 72 cas, le
cannabis en concernant 65.
Toujours en 2001, à Strasbourg, le docteur Kintz a examiné 168 conducteurs
hospitalisés après accident : 36 ont subi un contrôle positif au cannabis, 27 à
l'alcool, 10 aux médicaments, 9 aux opiacés et 1 à la cocaïne.
Enfin, une étude conduite par le docteur Mura de Poitiers, qui coordonne les
travaux de six laboratoires d'analyses portant sur 900 sujets impliqués dans un
accident de la route, a montré, d'une part, que la conduite sous l'emprise de
cannabis multiplie par 2,5 les risques d'accident - « excusez du peu »,
avez-vous dit, monsieur le secrétaire d'Etat - et, d'autre part, que 20 % des
conducteurs accidentés âgés de moins de 27 ans avaient subi un contrôle qui
s'était révélé positif.
Au vu de ces éléments, mes chers collègues, il n'est pas possible de douter
du bien-fondé du principe posé par l'article 1er de la présente proposition de
loi.
Reste la question des conditions d'application du nouveau dispositif.
Certaines difficultés ont été soulevées, notamment celle du coût budgétaire
engendré par le dépistage systématique des stupéfiants sur l'ensemble des
conducteurs impliqués dans des accidents mortels ou des accidents corporels de
la circulation.
Cette considération doit effectivement être prise en compte. C'est pourquoi,
en attendant la mise au point de tests fiables et peu onéreux, les
modifications proposées par M. le rapporteur méritent d'être approuvées.
Je regrette que Mme Borvo ait quitté l'hémicycle car j'aurais aimé lui dire
combien certains de ses propos m'ont étonné. On sait déjà beaucoup de choses
sur les effets du cannabis, et l'on ne peut donc pas faire comme si l'on ne
savait rien, ou presque rien. Faire semblant d'ignorer ces effets, c'est
participer à la banalisation de la consommation du « hasch ».
Nous devons nous soucier d'une bonne application des nouvelles dispositions
légales, et je voudrais, à cet égard, insister sur la nécessité d'afficher en
la matière un taux zéro.
Le dispositif qui nous est proposé pour les stupéfiants est comparable à celui
qui est en vigueur pour la conduite sous l'influence de l'alcool. Toutefois,
une différence essentielle mérite d'être soulignée. L'article L. 234-1 du code
de la route établit un seuil de 0,50 gramme d'alcool par litre de sang au-delà
duquel la conduite est répréhensible. Or le texte qui nous est soumis pose bien
le principe d'un taux zéro. Une telle disposition est d'autant plus souhaitable
que fixer un seuil, qui serait par définition un seuil de tolérance,
reviendrait à mettre en cause le caractère illicite de l'usage des stupéfiants,
lequel résulte de la loi de décembre 1970.
Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est la raison pour
laquelle je crois nécessaire d'affirmer haut et fort que tous les usagers qui
entreront dans le cadre de l'article L. 235-2 du code de la route seront
sanctionnés, quel que soit leur taux d'imprégnation, et qu'aucune disposition
réglementaire ne viendra amoindrir cette interdiction générale.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Annick Bocandé.
Mme Annick Bocandé.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
est difficile d'être plus près de l'actualité. En effet, alors que s'est tenue
hier la réunion du comité interministériel de la sécurité routière, le Sénat
examine aujourd'hui une proposition de loi de notre collègue député M. Richard
Dell'Agnola tendant à créer un délit de conduite sous l'emprise de stupéfiants
et à systématiser les contrôles en cas d'accident corporel.
Cette proposition de loi me semble tout à fait justifiée car, si la conduite
sous l'emprise d'alcool, produit licite, constitue une infraction, la conduite
sous l'emprise de la drogue, produit illicite, n'est toujours pas prévue par le
code de la route : seules la consommation et la détention de produits
stupéfiants sont pénalement réprimées.
Certes, on ne mesure pas complètement les effets de toutes les drogues sur le
comportement du conducteur mais, selon la prévention routière, 3 % à 5 % des
conducteurs seraient des consommateurs occasionnels ou réguliers et 10 % à 15 %
des accidents de la route graves ou mortels impliqueraient des conducteurs
usagers de drogues ; ce chiffre pourrait même atteindre 25 % à 30 % dans les
grandes agglomérations.
Dans la mesure où la prévention routière est l'un des trois chantiers
prioritaires du Président de la République pour les cinq années à venir, la
création d'une telle infraction participe tout à fait de la lutte contre
l'insécurité routière.
Elle permet également de combler le retard pris sur nos partenaires européens.
En effet, si la loi du 18 juin 1999 a institué un dépistage systématique de
drogues sur tout conducteur impliqué dans un accident mortel de la circulation,
le droit français ne prévoit aucune infraction spécifique en cas de conduite
sous leur influence.
Il faut donc saluer cette initiative, qui introduit un élément nouveau et
nécessaire dans la lutte contre l'insécurité routière.
La semaine dernière, ici même, lors de la séance des questions d'actualité au
Gouvernement, M. le ministre de l'équipement et des transports m'a assurée que
les premiers résultats du plan d'action engagé depuis les assises de la
sécurité routière étaient encourageants, avec une baisse de 10,8 % d'accidents
en six mois, représentant 318 vies sauvegardées et 9 205 blessés en moins.
Rappelons cependant que les derniers chiffres officiels faisaient état
d'environ 8 000 morts et 154 000 blessés sur nos routes et que le taux
d'accidents mortels était très élevé avec 1,6 décès pour 100 victimes
d'accident. Il devenait urgent de réfléchir à une politique plus sécurisante
pour les usagers, alliant mesures préventives et mesures répressives. Celles
qui ont été annoncées hier, à l'issue de la réunion du comité interministériel,
vont dans le sens d'une plus grande sévérité ; je pense notamment au
renforcement des contrôles par radar, à la multiplication des contrôles
médicaux à tout âge, à l'allongement de la durée de l'examen, à l'instauration
d'un permis probatoire pour les jeunes conducteurs.
Je salue à cet égard l'action de M. Gilles de Robien qui, depuis son arrivée
au Gouvernement, s'est emparé de ce dossier sensible avec une grande
détermination.
S'il est urgent de réprimer les actes illégaux, il est également nécessaire de
modifier les comportements des conducteurs : c'est la condition première de
réussite de toute politique en matière de sécurité routière. Sur cette
question, je ne ferai que citer M. Gilles de Robien, en reprenant un extrait de
sa tribune publiée dans
Le Monde
daté du mercredi 18 décembre :
« Trop longtemps, nous nous sommes réfugiés derrière de faux prétextes. Un
jour, le brouillard. Le lendemain, l'état de sa voiture. Le surlendemain, un
piéton inconscient.
« En minimisant les conséquences de nos conduites à risque, en considérant
l'excès de vitesse ou d'alcool comme une faute parfois excusable, en trahissant
consciemment certaines règles élémentaires de prudence, nous sommes tous
coupables de non-assistance à vies en danger.
« La gravité de l'insécurité routière nous oblige à passer du conducteur
solitaire au conducteur solidaire. »
En ces quelques lignes, M. de Robien a posé la véritable problématique :
chacun doit prendre conscience que la voiture peut devenir dangereuse pour
soi-même et pour autrui, et que c'est souvent l'inconséquence d'un petit nombre
qui est la cause de tant de drames !
Comment ne pas être choqué par cette annonce parue dans la presse et
rapportant que, sur trente contrevenants ayant brûlé un stop, pas un n'a
réellement conscience de la gravité de sa faute et du risque encouru ?
C'est intolérable, et c'est cet état d'esprit qu'il faut réussir à faire
changer.
L'augmentation des mesures répressives est, hélas ! rendue nécessaire parce
que les comportements ne se modifient pas suffisamment de manière spontanée. Il
faut sensibiliser nos concitoyens, et notamment les jeunes conducteurs, mieux
les informer pour les responsabiliser davantage.
Monsieur le secrétaire d'Etat, avec cette proposition de loi, l'occasion nous
est donnée d'élargir l'action contre l'insécurité routière en prenant en compte
un risque nouveau, et malheureusement de plus en plus présent, celui qui est
lié à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme
stupéfiants.
Le texte que nous examinons ce matin constitue une véritable avancée. Il tend
à répondre à un problème d'actualité. Cependant, sa mise en application n'est
pas sans présenter des difficultés. C'est pourquoi j'approuve les propositions
de notre rapporteur, qui sont empreintes de réalisme en limitant le dépistage
systématique aux accidents mortels ou aux cas dans lesquels la présomption de
l'usage de stupéfiants est réelle.
En effet, nous ne disposons pas, aujourd'hui, de moyens techniques et
scientifiques garantissant la fiabilité des résultats pour toutes les drogues
ni de personnels bien formés en nombre suffisant pour permettre un contrôle
efficace et sûr. Il s'agit donc là d'un premier pas, mais le Gouvernement devra
aller plus loin dès que des tests de dépistage simples d'utilisation et fiables
seront disponibles.
Je note avec satisfaction l'aggravation des peines encourues lorsqu'un
conducteur est à la fois sous l'emprise d'alcool et de stupéfiants.
Certes, ce texte ne réglera pas tous les problèmes je pense notamment aux
risques induits par la prise de certains médicaments. Mais il a le mérite
d'interpeller le législateur à un moment où l'opinion est sensibilisée par une
succession de drames routiers.
Nous connaissons la volonté et la détermination du Gouvernement pour trouver
rapidement des solutions efficaces. Il peut compter, monsieur le secrétaire
d'Etat, sur le soutien du groupe de l'Union centriste pour l'accompagner dans
ce légitime combat. C'est dans cet esprit que nous voterons ce texte.
(
Appaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. Christian Demuynck.
Très bien !
M. Pierre Fauchon.
Excellente intervention !
M. le président.
La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
tiens tout d'abord à féliciter nos collègues députés et, au premier chef,
Richard Dell'Agnola, d'avoir pris l'initiative de déposer cette proposition de
loi, dont notre rapporteur, Lucien Lanier, a excellemment exposé les enjeux au
regard de la sécurité routière.
Si j'ai souhaité m'exprimer dans ce débat, c'est non seulement pour témoigner
de mon soutien à ce texte mais aussi pour me faire le porte-parole des
habitants de Seine-Saint-Denis, qui s'indignent de l'hypocrisie qui a prévalu
depuis de nombreuses années sur ce thème.
Fort heureusement, nos lois permettent déjà de réprimer la conduite sous
l'emprise de l'alcool, dont la vente est légale. Cependant, aucune sanction
spécifique n'est prévue en cas de conduite sous l'influence de substances ou de
plantes classées comme stupéfiants, qui, elles, sont rigoureusement interdites
à la vente et à la consommation. C'est là un paradoxe qui ne manque pas de
surprendre ! Cette situation est encore plus choquante après le drame que nous
avons connu tout récemment, quand un fonctionnaire de police été véritablement
assassiné par un conducteur sous l'emprise de l'alcool alors qu'il portait
secours, sur une autoroute, à un autre conducteur qui était, lui, sous
l'emprise du cannabis.
La présente proposition de loi doit permettre de mettre, enfin, un terme à
cette situation ubuesque.
Pourtant, d'aucuns préconisent déjà un adoucissement de ce texte en arguant du
fait qu'il « existerait un risque que des traces de stupéfiants puissent être
retrouvées dans l'organisme d'une personne, alors que ces stupéfiants
n'auraient plus la moindre influence sur la conduite ».
Quelle surprenante objection s'agissant de produits illicites !
Soyons sérieux ! Tous les spécialistes sont d'accord pour constater chez le
consommateur une nette détérioration de certaines facultés, ce qui fait
encourir de réels dangers au volant d'un véhicule puisque cela entraîne une
altération de la perception du temps et des distances, une exacerbation des
émotions telle qu'on peut passer de l'euphorie béate à une agressivité non
maîtrisable, sans parler de la disparition des inhibitions.
Les résultats des recherches scientifiques, fussent-elles encore incomplètes,
mettent à mal les arguments des détracteurs de ce texte, qui dénoncent une «
dérive droitière », s'inquiètent des éventuels contrôles inopinés de
conducteurs, alors que ces mêmes contrôles existent pour lutter contre l'alcool
au volant sans que personne y trouve quoi que ce soit à redire.
Sans doute s'agit-il par là de séduire un électorat jeune, de plus en plus
consommateur de stupéfiants, mais aussi, malheureusement, de plus en plus
victime d'accidents de la route. Car les chiffres sont terrifiants : un tué sur
cinq, un blessé grave sur cinq et un blessé léger sur quatre ont entre dix-huit
et vingt-quatre ans. Ainsi, cette tranche d'âge, qui représentait 9,10 % de la
population française en 2000, enregistrait la même année 1 603 décès sur la
route, soit 21,4 % de l'ensemble des tués. Ces chiffres font froid dans le dos
et ils doivent nous faire réagir.
C'est d'ailleurs pour endiguer ce fléau que le Président de la République a
fait de la sécurité routière l'un des trois chantiers prioritaires de son
quinquennat, en « condamnant fermement tous ceux qui sous-estiment les
conséquences de la consommation d'alcool ou de drogue chez les conducteurs
».
Ainsi, ce texte met fin au laxisme qui était de mise en France ces dernières
années et qui a fait de notre pays une malheureuse exception. Pendant ce temps,
en effet, les autres pays européens ont développé une « batterie » de mesures
répressives qui sont à la hauteur de l'enjeu, suivant d'ailleurs une directive
européenne du 29 juillet 1991, applicable par décret en 1996. Hélas ! malgré
ces exemples et plusieurs initiatives de parlementaires de droite, aucun texte
n'a vu le jour.
Si nous avions légiféré plus tôt, combien de ces jeunes conducteurs auraient
pu échapper à ces accidents meurtriers qui, dans la majorité des cas, coûtent
la vie à des victimes innocentes ?
Désormais, les consommateurs de stupéfiants pourront être condamnés avec
fermeté.
Je félicite la commission d'avoir renforcé ce dispositif en introduisant une
mesure visant à réprimer sévèrement la conduite sous l'emprise cumulée de
l'alcool et de stupéfiants.
Je regrette seulement que cette proposition de loi provoque encore une
opposition quand il s'agit, rappelons-le, de lutter contre la consommation de
drogues interdites en France et de combattre l'insécurité routière, donc de
sauver des vies !
Sur les routes ou ailleurs, la drogue tue ! Les déclarations publiques de
personnalités ayant exercé des responsabilités et qui se vantent d'en avoir
consommé conduisent à une banalisation effrayante, à tel point que les
statistiques font apparaître des chiffres absolument consternants.
Ainsi, selon les statistiques publiées en 2001, 55 % des jeunes gens et 43 %
des jeunes filles âgés de quinze à dix-neuf ans avouaient avoir consommé de la
drogue de manière régulière. Pis encore : le nombre de jeunes âgés de dix-huit
ans ayant déjà fumé au moins une fois du cannabis a été multiplié par deux en
dix ans. Quand on sait que les principes actifs des produits utilisés sont de
plus en plus concentrés, l'heure n'est plus aux études, mais à l'action !
M. Bernard Plasait.
Très bien !
M. Christian Demuynck.
Cependant, la lutte contre ce fléau sur la route ne doit pas occulter le
véritable défi : la lutte sans faille contre les trafiquants et le marché de la
drogue. A ce titre, je me félicite de la création, au Sénat, d'une commission
d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites.
Je sais également pouvoir compter sur la détermination du gouvernement de
Jean-Pierre Raffarin, qui a dévoilé hier un plan de mesures draconiennes pour
lutter contre l'insécurité routière.
Cet arsenal inédit permettra, c'est certain, de produire rapidement des
résultats et de dissuader les chauffards.
(Applaudissements sur les travées
de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
hommes peuvent se battre pour des biens qu'ils ne peuvent partager : par
exemple, une femme
(Mme Nicole Borvo s'esclaffe),
des terres, des pouvoirs, mais aussi
l'utilisation de la route.
Le philosophe René Girard fonde cette violence sur le désir mimétique, un
désir qui s'oppose aux besoins.
L'animal connaît le besoin selon des schémas instinctifs mais, en dehors du
besoin, les pulsions agressives s'interrompent. En revanche, chez l'homme, le
désir se poursuit au-delà du besoin.
La société encourage cette concurrence en entretenant le désir d'aller vite,
toujours et encore plus vite, d'être devant l'autre. C'est cette surenchère
qu'il convient d'enrayer. La route est un espace public au service de l'intérêt
général, favorisant la communication. Un tel espace ne souffre pas la
concurrence ; c'est le respect des autres qui doit, au contraire, y régner.
L'actualité immédiate nous ramène pourtant à une triste réalité : l'exemple de
cet accident survenu sur une autoroute du Val-de-Marne nous le montre bien,
s'il en était besoin, ainsi que la mort de cette maman et de sa fille à
Firminy, dans un département limitrophe du mien, la Haute-Loire. Les bons
conseils ne suffisent plus et l'action devient urgente.
C'est ainsi que, hier matin, s'est réuni un comité interministériel de la
sécurité routière.
Il importe en effet d'appréhender l'ensemble des conduites à risque nous
classant au rang des pays les plus dangereux en matière de circulation
automobile. Les causes sont diverses et multiples : la vitesse, l'alcool,
l'imprudence, sans oublier ce que l'on appelle communément la drogue.
Depuis le 1er octobre 2001, la consommation éventuelle de drogue illicite est
systématiquement recherchée chez les conducteurs impliqués dans un accident
mortel. Ceux-ci sont soumis à une analyse d'urine en milieu médical ; si cette
analyse se révèle positive, un prélèvement sanguin est effectué. Ensuite, un
laboratoire de toxicologie est chargé d'analyser les substances en présence.
Coordonnée par l'Observatoire des drogues et des toxicomanies et financée par
le ministère de la santé, cette étude épidémiologique a trois objectifs :
premièrement, la prévention ; deuxièmement, l'évaluation, car on ne connaît pas
actuellement l'effet réel de l'usage de stupéfiants sur la conduite, estimant
simplement qu'il existe un lien de causalité dans 7 % à 17 % des accidents ;
troisièmement, la définition d'un seuil au-delà duquel il est dangereux de
conduire, à l'instar de celui qui a été fixé pour l'alcool à 0,5 gramme par
litre de sang.
Si le tabac est un produit toxique, l'héroïne, la cocaïne, le cannabis, sont
des drogues. Ces stupéfiants ont des effets très nocifs sur la santé. En outre,
ils modifient les perceptions spatio-temporelles et altèrent les capacités de
jugement. De tels troubles du comportement entraînent inévitablement de graves
conséquences sur la conduite automobile. C'est pourquoi il convient de réprimer
plus fortement l'usage de ces drogues par une adaptation de notre arsenal
législatif.
A côté des trois grandes drogues que sont la cocaïne, l'héroïne et le
cannabis, sont apparues des substances issues des progrès de la chimie,
utilisées surtout par les jeunes, comme l'ecstasy et d'autres produits
détournés de leur usage médical initial. C'est particulièrement grave. Il faut
arrêter l'escalade.
Sur un plan plus général, les stupéfiants sont dessubstances psychoactives qui
créent généralement chez le consommateur deux types de dépendances, qui peuvent
ou non être cumulatives.
Tout d'abord, la dépendance physique entraîne l'apparition de signes
cliniques, ce que l'on nomme « l'état de manque », lorsque l'on cesse de
prendre le produit.
Ensuite, la dépendance psychique s'exprime par le besoin psychologique de
renouveler la prise du produit. Sa suppression entraîne un sentiment de malaise
ou d'angoisse.
On voit bien les effets de la drogue : ils sont loin d'être anodins, ils
génèrent à n'en pas douter un trouble profond du comportement, encore accentué
lorsqu'il y a association avec l'alcool. Je vous laisserai juge du résultat en
cas de conduite d'un véhicule. Le risque encouru étant plus grand, il
m'apparaît essentiel de retenir l'usage de stupéfiants comme un phénomène
aggravant. On ne peut pas interdire l'usage des stupéfiants sans réprimer plus
sévèrement l'emploi de ces produits illicites à l'occasion de la conduite
automobile.
Nous devons intensifier nos démarches pour faciliter les mesures de dépistage
et renforcer aussi le dispositif de répression dans un premier temps.
La mobilisation des moyens financiers et humains est essentielle si l'on ne
veut pas voir fleurir sur nos routes les silhouettes du souvenir. Dans mon
département de la Haute-Loire, comme dans d'autres, on les a matérialisées sur
les routes nationales et départementales. Trop souvent des innocents ont payé
de leur vie l'imprudence et l'irresponsabilité de certains conducteurs.
La vie n'a pas de prix, elle est inestimable. Notre engagement d'aujourd'hui à
adopter cette proposition de loi l'est tout autant.
Pouvons-nous ignorer encore longtemps que les accidents de la route entraînent
des morts, des blessés, des blessés à vie, sans oublier les drames familiaux
aux conséquences irréparables ?
Un accident de voiture causant la mort d'un jeune est en lui-même suffisamment
injuste et inacceptable. En présence de facteurs connus, sur lesquels nous
pouvons agir, il nous appartient de tout mettre en oeuvre : l'aggravations des
sanctions en cas de conduite sous l'influence de substances ou de plantes
classées comme stupéfiants est un des moyens dont nous disposons.
S'agissant du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, la classe d'âge la plus
touchée et payant le plus lourd tribut est très certainement celle des jeunes,
avec tout ce que cela implique en termes d'identification de notre jeunesse.
Notre démarche doit tendre à préserver et à entourer ces jeunes, le plus
souvent heureux en fin de soirée, mais qui souvent, à l'aube, abandonnent leur
vie sur le bord de la route, prisonniers de l'habitacle d'un véhicule ou
décapités sur un cyclomoteur.
Il résulte, de ces drames quotidiens, les plus terribles épreuves de la vie
pour les proches appelés à poursuivre sans eux leur existence, mais aussi pour
une société qui perd un ami, un collègue, un bénévole dévoué...
Inévitablement, ces soirées où notre jeunesse se défoule, où la
polyconsommation - alcool, tabac, drogue... -, l'intensité des lumières et
l'inflation des décibels multiplient la vulnérabilité des conducteurs et les
amènent à des défaillances physiques limitant considérablement leur aptitude à
réagir, conduisent à une surenchère dans la marginalisation et l'appréhension
du danger.
Si les mesures que nous allons inscrire au coeur de la loi font prendre
conscience des violences routières et de la nécessité d'une plus grande
sécurisation, elles ne peuvent qu'être bénéfiques pour la vie. Par ce côté
aussi, la proposition de loi est positive.
Néanmoins, doit-on considérer ici notre seule et juste réponse : agir pour
réagir ? Ne devons-nous pas aussi nous engager pour les aider ? Il convient de
répondre également au « mal-aimer », au « mal-vivre » de notre jeunesse, et de
la sensibiliser à notre volonté d'excès de sécurisation. Ces mesures
répressives, il nous appartient de les précéder et de les accompagner. Il nous
incombe de répondre au besoin d'écoute, de dialogue, d'attention et
d'encadrement. Les richesses de la vie ne sont perçues que si elles sont
comprises, écoutées et développées.
Je terminerai, monsieur le secrétaire d'Etat, par une interrogation et par une
suggestion.
Dans le cadre de la mise en place d'un « permis probatoire » pour les jeunes
conducteurs, à quel moment serait-il souhaitable de prévoir l'examen médical
afin de tester l'aptitude des candidats ? Serait-il souhaitable d'instituer cet
examen dès le passage du permis de conduire, à l'issue de la période de trois
ans, ou dans les deux cas ?
Par ailleurs, comme vous le savez, le service national n'existe plus ; il a
été remplacé par une journée d'appel de préparation à la défense. Ne
pourrait-elle pas être élargie à une mission citoyenne de manière que, au cours
de cette journée, les jeunes soient beaucoup plus largement sensibilisés à ces
questions ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, après Mme Bocandé, qui est déjà intervenue au
nom de l'Union centriste, je confirme que notre groupe votera en faveur de
cette proposition de loi, qui va dans le sens de la protection des conducteurs,
des usagers de la route, et qui permettra d'éviter la mort de tant
d'innocents.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
Je ne reviens pas sur l'intervention de M. le
rapporteur, mon ami Lucien Lanier, dont j'ai déjà loué la grande qualité.
Monsieur le rapporteur, vous appelez de vos voeux une législation qui ne soit
pas que réactive et qui prenne donc en compte globalement les risques. A cet
égard, vous avez été par avance entendu par M. le Premier ministre. En effet,
et je veux y insister devant la Haute Assemblée, lors du comité
interministériel sur la sécurité routière qui s'est tenu hier, il a été décidé
que ce comité poursuivrait le dialogue avec les associations de personnes
affectées par ces drames. Il sera donc nourri en permanence de propositions
formulées par des membres de la société civile, ce qui permettra de parvenir à
cette vision globale que vous appelez de vos voeux, mais aussi à des mesures
concrètes.
J'ai été personnellement très frappé par la remarque faite hier par la
présidente d'une association sur une grande chaîne de télévision, qui faisait
part de son bonheur d'avoir - enfin ! - été entendue après avoir subi des
années durant l'autisme, pour ne pas dire le mépris, des représentants de
l'Etat.
Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, monsieur le
rapporteur, et qui me semblent aller dans le sens de ce que vous souhaitez, en
vous remerciant une nouvelle fois de la qualité de votre travail.
La position de M. Mahéas me paraît un peu contradictoire.
M. Jacques Mahéas.
Je peux la réexpliquer !
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie d'avoir insisté sur la nécessité
d'adopter un texte sur le sujet et aussi d'agir plutôt que de parler.
Par ailleurs, vous vous interrogiez, en particulier, sur la fiabilité et
l'utilité des dépistages urinaires. Ces dispositifs, que vous critiquez,...
M. Jacques Mahéas.
Ils doivent être plus systématiques !
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
... ont été mis en place par une majorité que vous
souteniez.
Mme Nicole Bravo.
Absolument !
M. Jacques Mahéas.
Vous avez mal compris mon propos !
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
Sur ces sujets, il ne faut pas s'enfermer dans des
positions partisanes qui n'apportent pas grand-chose au débat, et je n'irai pas
plus loin dans la polémique.
Vous vous êtes également interrogé sur les modalités de dépistage. Un décret
sera pris pour adapter les décrets existant depuis 1999. Il n'y a donc pas lieu
de s'inquiéter sur ce point.
M. Jacques Mahéas.
Et les seuils !
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
Je tiens à remercier M. Darniche pour le caractère
très concret de son intervention, qui m'a semblé frappée au coin du bon
sens.
Je crois que la France, si une volonté politique forte existe, comme l'a
exprimé le Président de la République le 14 juillet dernier, peut réussir là où
nos voisins européens ont été capables de le faire. Dois-je rappeler que notre
pays détient - triste privilège -, en Europe de l'Ouest, le record de
l'insécurité routière ? Je pense donc que, grâce à la volonté qui s'est
manifestée, ce matin, au sein de la Haute Assemblée et hier, lors du comité
interministériel, nous atteindrons l'objectif de ne plus être le plus mauvais
de la classe européenne.
Vous avez raison, monsieur Darniche, il faudra adapter la présente proposition
de loi à l'état des techniques de dépistage, comme nous le faisons depuis des
années pour les contrôles d'alcoolémie. Il n'y a aucune raison pour qu'il n'en
aille pas de même pour les substances illicites.
Madame Borvo, au risque de vous contrarier, ce texte ne vise pas uniquement le
cannabis, il va bien au-delà. Or, vous avez presque exclusivement centré votre
intervention sur ce sujet. Mais il est vrai que le cannabis est aujourd'hui un
grave problème.
Deux attitudes sont possibles. L'une consiste à suivre et à faire semblant
d'être leur chef ; l'autre consiste à combattre ce qui est mauvais.
Madame Borvo, vous avez également mis en doute la toxicité de la consommation
de cannabis. Le docteur Patrick Mura, du centre hospitalier et universitaire de
Poitiers, le docteur Pascal Kintz, de l'institut de médecine légale de
Strasbourg, le docteur Gilbert Pépin, du laboratoire Toxlab de Paris - j'ai une
liste d'une douzaine de scientifiques qui me semblent irréprochables -, ont
pris des positions dénuées d'ambiguïté.
Premièrement, affirmer que le lien entre les accidents de la route et la
consommation de cannabis n'est pas clairement établi est une contrevérité.
Deuxièmement, dire qu'il faut attendre d'avoir établi un seuil de
concentration sanguine est un non-sens au plan scientifique. Troisièmement,
énoncer que le dépistage des conducteurs sous l'influence de stupéfiants n'est
pas techniquement réalisable est une fausse information.
Je tiens, naturellement, ces éléments à votre disposition. Je crois que nous
disposons, sur le cannabis, de tous les éléments scientifiques, certains
orateurs l'ont d'ailleurs souligné ce matin, permettant d'affirmer que sa
toxicité est grande, et qu'elle est d'autant plus grande que certains
s'efforcent de la banaliser. Il est vrai que, dans d'autres instances, on a
entendu des propos parfois surprenants sur l'usage du cannabis.
Je remercie M. Plasait du caractère très rigoureux de son intervention qui,
d'ailleurs, étayait les propos que M. le rapporteur et moi-même avions tenus et
que les scientifiques tiennent eux-mêmes. Cette dimension scientifique est tout
à fait essentielle.
Je remercie également Mme Bocandé d'avoir approuvé notre souci de mettre en
place les dispositifs les plus opérationnels possible. Cette volonté s'est
encore manifestée - j'y fais référence parce que c'est l'actualité - lors du
comité interministériel qui s'est tenu hier puisque la quasi-totalité des
mesures annoncées se situent dans l'esprit opérationnel qui est le vôtre.
Je remercie M. Demuynck de la pertinence de ses propos empreints de bon sens.
S'il est vrai, monsieur le sénateur, qu'il est difficile d'expliquer à des
enfants que zéro multiplié par un nombre cela fait toujours zéro, je pensais
qu'il était plus facile d'expliquer à des adultes que la fixation d'un seuil
pour des substances dont, par définition, la consommation est illégale n'avait
pas grand sens.
Je veux aussi saluer l'émotion qu'a exprimée M. Jean Boyer dans son
intervention très synthétique sur la volonté du Parlement et du Gouvernement de
s'engager sur cette question. Ses suggestions médicales et citoyennes me
semblent tout à fait dignes d'intérêt et seront transmises au ministre des
transports, qui a principalement en charge ce dossier.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous dire en vous
renouvelant encore mes remerciements pour la qualité de vos débats.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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