SEANCE DU 16 DECEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 31 A. - I. - L'article L. 251-2 du code de l'action sociale et des
familles est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa, après les mots : "assortie de la dispense
d'avance des frais", sont insérés les mots : "pour la part ne relevant pas de
la participation du bénéficiaire". Dans le deuxième alinéa (1°), les mots : "7°
et 8°" sont supprimés ;
« 2° Le 2° est complété par les mots : "pour les mineurs et, pour les autres
bénéficiaires, dans les conditions fixées au dernier alinéa du présent article"
;
« 3° Il est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Sauf lorsque les frais sont engagés au profit d'un mineur ou dans l'un des
cas mentionnés aux 1° à 4°, 10°, 11°, 15° et 16° de l'article L. 322-3 du code
de la sécurité sociale, une participation des bénéficiaires de l'aide médicale
de l'Etat est fixée dans les conditions énoncées à l'article L. 322-2 et à la
section 2 du chapitre II du titre II du livre III du même code.
« Les dépenses restant à la charge du bénéficiaire en application du présent
article sont limitées dans des conditions fixées par décret. »
« II. - Les
a
et
b
du 3° de l'article L. 111-2 du même code
ainsi que, dans le dernier alinéa dudit article, les mots : "au
b
du 3°
et," sont abrogés.
« III. - Dans le premier alinéa de l'article L. 251-1 du même code, les mots :
"autres que celles visées à l'article L. 380-5 de ce code" sont supprimés.
L'article L. 380-5 du code de la sécurité sociale est abrogé.
« IV. - Les dispositions du I, du II et du III sont applicables à compter de
la date d'entrée en vigueur du décret d'application. »
L'amendement n° 23, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
L'amendement n° 23 tend à supprimer l'article 31 A. C'est, de notre point de
vue, la seule réponse adaptée à la disposition introduite par l'Assemblée
nationale.
Il nous est en effet proposé de mettre en place une forme de ticket modérateur
sur le montant de l'aide médicale gérée par l'Etat en direction des
ressortissants étrangers considérés comme étant en situation irrégulière. Cela
revient, dans les faits, à générer une modeste et assez pitoyable économie sur
ce que l'on peut considérer pourtant comme la marque de l'attachement de notre
pays à quelques valeurs universelles.
Grâce à cet article, nous aurons bientôt le grand bonheur d'exiger des
réfugiés sans statut encore défini, ballotés des bretelles d'autoroute de la
région parisienne aux ports de la Manche, le paiement d'une partie des frais
médicaux qu'ils seraient susceptibles d'engager.
En outre, depuis la loi du 15 juillet 1893, les plus pauvres de notre pays -
Français et étrangers - bénéficient d'un accès gratuit aux soins de santé, quel
que soit leur statut. Même la loi Pasqua de 1993, qui a constitué une
régression, a laissé aux sans-papiers le droit d'accéder gratuitement aux soins
essentiels.
Cet article n'est donc pas compatible avec la conception que nous nous faisons
du rôle de notre pays, et c'est pourquoi je ne peux qu'inviter le Sénat à
adopter notre amendement de suppression.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il convient de rappeler que cet article est issu de
l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement de notre collègue députée
Marie-Anne Montchamp, sous-amendé par le Gouvernement de façon substantielle.
Il s'agit d'instituer un ticket modérateur au titre de l'aide médicale de
l'Etat afin de ralentir le rythme des dépenses de ce dispositif.
Il ne faudrait pas croire que nous sommes revenus à Zola ou pire, car le
ticket modérateur dont il s'agit, qui est en règle générale de 30 % des
dépenses de ville, varie en fonction des actes dans des conditions qui doivent
être fixées par décret. Ce décret devra instituer un plafonnement, qui, d'après
ce qui nous a été indiqué, serait de l'ordre de 10 à 15 euros par acte. Donc,
mes chers collègues, il faut ramener les choses à leurs justes proportions et
ne point trop crier au scandale !
Rappelons que, depuis la réforme concomitante à la mise en place de la CMU,
l'aide médicale de l'Etat concerne essentiellement les étrangers en situation
irrégulière. Or le précédent gouvernement avait - volontairement ou non - très
largement sous-estimé les dépenses qu'occasionnerait la réforme de ce
dispositif. Mme Martine Aubry - on ne l'y avait pas obligée - avait évoqué,
lorsqu'elle était ministre de l'emploi et de la solidarité, un coût d'environ
45 millions d'euros. Ce coût est en réalité beaucoup plus élevé puisqu'il
dépasse 233 millions d'euros, soit une progression de 283 % par rapport aux
estimations initiales. La loi de finances rectificative du 6 août 2002 a
d'ailleurs dû - nous nous en souvenons - ouvrir 445 millions d'euros à ce seul
titre, dont 265 millions d'euros pour couvrir les dettes cumulées jusqu'au 31
décembre 2001 et 180 millions d'euros pour combler les insuffisances de
financement pour 2002.
Donc, non seulement Mme Aubry était extrêmement généreuse, mais elle ne
traduisait pas sa générosité dans les comptes de l'Etat !
Il a fallu que le Gouvernement suivant prenne en charge ces dépenses, comme
ce fut le cas des primes de Noël des deux années antérieures, dans le cadre de
budgets déjà extrêmement difficiles. L'article 31 A voté par l'Assemblée
nationale se fixe donc un objectif de modération de ces dépenses et de
responsabilisation des bénéficiaires en instaurant, pour ceux-ci, une
participation alignée sur le dispositif du régime de base de la sécurité
sociale, à savoir, comme je l'ai dit, un ticket modérateur pour la médecine de
ville et le transport sanitaire et un forfait journalier pour les frais
d'hospitalisation. Tout cela nous semble extrêmement modéré et raisonnable.
Par conséquent, la commission des finances ne peut qu'être très défavorable à
l'amendement de suppression déposé par M. Thierry Foucaud.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Il convient en effet d'insister sur cette question afin
que des informations erronées ne prospèrent pas. Il s'agit de l'aide médicale
d'Etat qui est accordée aux personnes étrangères en situation irrégulière.
La démarche qui a été engagée à l'Assemblée nationale mérite d'être soutenue
pour des raisons qui recoupent en grande partie celles que le rapporteur
général vient d'évoquer.
Tout d'abord, et les associations l'ont dit, l'aide médicale d'Etat instaurée
par le gouvernement précédent fonctionne mal. Elle concentre toutes les
personnes à l'hôpital, contribuant ainsi à l'engorgement des services d'urgence
qui sont déjà en grande difficulté. Quel que soit le type de pathologie, le
régime les conduit obligatoirement à l'hôpital.
Ensuite, cette réforme exclut les mineurs qui, en droit, relèvent de la CMU.
En pratique, monsieur Foucaud, cette disposition s'est avérée totalement
inapplicable et elle n'a pas été mise en oeuvre.
En outre, elle conduit à l'explosion des dépenses qui ont été multipliées par
trois en trois ans, sans aucun contrôle réel. On peut même craindre que
certains de nos compatriotes n'en viennent à dire qu'ils sont étrangers en
situation irrégulière pour être accueillis à l'hôpital dans les meilleures
conditions et n'avoir à accomplir aucune formalité pour pouvoir être soignés
!
L'audit des finances publiques nous a obligés à ouvrir une ligne budgétaire de
445 millions d'euros, dont 180 millions d'euros pour la seule année 2002. La
situation n'est plus du tout maîtrisée.
Monsieur Foucaud, il n'y a pas de générosité d'Etat. La générosité que vous
pourriez vouloir marquer en maintenant un tel dispositif repose sur l'argent
des Français, éventuellement sur le fruit du travail des plus pauvres d'entre
eux ! Il faut être responsable sur des questions de cette nature. Laisser filer
une telle dépense sans compter en faveur d'un dispositif qui ne fonctionne pas
est humainement et socialement incompréhensible.
M. Michel Charasse.
Irresponsable !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
L'article 31 A qui a été introduit par l'Assemblée
nationale vise simplement à appliquer aux personnes concernées le ticket
modérateur de droit commun, c'est-à-dire qu'il respecte l'équité. De plus,
l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont été guidés par deux préoccupations
que - j'en suis convaincu - l'ensemble du Sénat partage : il s'agit, d'une
part, de la qualité des soins et, d'autre part, du devoir humanitaire. Dès
lors, le nouveau dispositif offre quatre garanties réelles particulièrement
importantes.
En premier lieu, les personnes atteintes de pathologies lourdes, les
hospitalisations longues ainsi que les femmes enceintes seront totalement
prises en charge, c'est-à-dire dans les mêmes conditions que les assurés
sociaux. Cette mesure concerne bien entendu les personnes atteintes du sida. Il
n'y a aucune ambiguïté sur le sujet. Mercredi dernier, à l'Assemblée nationale,
les orateurs comme moi-même avons clairement dit que toutes les pathologies
lourdes seraient exonérées du ticket modérateur.
En deuxième lieu, le ticket modérateur sera plafonné. Nous allons examiner ce
problème avec attention, soyez-en assuré, j'en prends l'engagement devant vous.
Le plafond sera limité, car, nous le savons bien, certaines personnes ont de
faibles ressources.
En troisième lieu, les mineurs sont réintégrés dans l'aide médicale d'Etat et
leurs soins seront totalement gratuits.
Enfin - et c'est un progrès très important -, ces personnes auront désormais
accès à la médecine de ville, ce qui n'est pas le cas actuellement puisqu'elles
sont obligatoirement dirigées vers les services d'urgence des hôpitaux. C'est
de surcroît une mesure positive pour le fonctionnement des hôpitaux, car les
services d'urgence n'en peuvent plus.
Par conséquent, le Gouvernement a soutenu cette volonté réformatrice du
Parlement qui va dans le sens d'une prise en charge beaucoup plus adaptée des
personnes considérées. Dans ces conditions, je demande aux auteurs de
l'amendement de bien vouloir le retirer. A défaut, j'émettrai un avis
défavorable.
M. le président.
Monsieur Foucaud, l'amendement est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud.
Je répète qu'il s'agit d'une réforme très grave, tant pour les intéressés,
dont beaucoup ne pourront plus accéder aux soins, que pour la santé
publique.
M. le ministre délégué a tenu des propos de séance. Chaque mesure que nous
présentons coûte forcément cher. En l'occurrence, cette proposition vise des
personnes qui n'ont pas d'argent : vous voulez, une fois de plus, faire des
économies sur les pauvres. Vous voulez faire ce que M. Pasqua lui-même n'avait
pas entrepris, à savoir remettre en cause l'aide médicale réservée aux
pauvres...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La CMU n'existait pas !
M. Thierry Foucaud.
... couvrant un panier de soins certes limité - la consultation, les
médicaments, les soins à l'hôpital - mais entièrement pris en charge, sans
ticket modérateur.
Les propos qui viennent d'être tenus doivent être vérifiés à la lumière des
chiffres qui avaient été donnés en 1999 ou en 2000 par Mme Aubry, à savoir 300
millions de francs.
Je maintiens donc cet amendement.
M. le président.
La parole est à M. Paul Loridant, pour explication de vote.
M. Paul Loridant.
Je ne suis pas tout à fait en phase avec mon collègue sur l'appréciation de la
mesure. Néanmoins, sur les modalités pratiques, monsieur le ministre, je
m'interroge.
Vous voulez instituer un ticket modérateur pour les personnes bénéficiaires de
l'aide médicale d'Etat. Or, 95% des personnes qui en bénéficient étant
étrangères en situation irrégulière, elles ne peuvent pas travailler. Comment
allez-vous faire, concrètement, pour récupérer le ticket modérateur alors que
ces personnes n'ont en général pas de revenu avouable et, vraisemblablement,
pas de compte en banque ?
Monsieur le ministre, le ticket modérateur que vous allez solliciter sera-t-il
inscrit comme créance irrécouvrable dans les comptes des hôpitaux ou des divers
établissements hospitaliers privés ?
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Bien sûr !
M. Paul Loridant.
Dans ce cas, ne créez-vous pas du travail pour les comptables du Trésor ?
Cette question n'est certes pas facile, mais le dossier ne me paraît pas
réfléchi. En tout cas, je souhaiterais savoir, très concrètement, dans le cas
où cet article serait adopté, comment vos services et les services financiers
des hôpitaux entendent procéder afin de récupérer ce ticket modérateur.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le ministre, je ne mets pas en doute ce que vous nous avez dit, mais
je me demande tout de même comment nous allons faire.
Premièrement, s'il y a eu un « dérapage » des dépenses, cela correspond à plus
de soins et de traitements pour des personnes étrangères arrivant sur notre
territoire et restant un certain temps en situation régulière.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En situation irrégulière !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Si ces dépenses ont augmenté - on l'a entendu notamment à propos du centre
d'hébergement de Sangatte -, c'est que ces personnes arrivent sur notre
territoire depuis leur pays d'origine après des péripéties fantastiques. Elles
sont dans un état de très grande souffrance, souvent psychologique, mais aussi
physique, ce qui nécessite naturellement plus que quelques médicaments destinés
à soigner une grippe ou une angine.
Deuxièmement, monsieur le ministre, un médecin de quartier acceptera peut-être
de recevoir une personne en situation irrégulière tout en sachant qu'elle ne
payera pas complètement sa consultation. En revanche, aucune clinique privée,
pas plus d'ailleurs qu'un laboratoire ou tout autre établissement devant
pratiquer des examens radiologiques, ne prendra en charge, même très malade,
une telle personne.
Il s'agit donc d'un problème grave. Je ne comprends pas comment l'Assemblée
nationale a pu adopter un tel amendement. Oui, il y a un dérapage ; oui, cela
coûte cher aux Français ; mais, vous le savez, monsieur le ministre, il y a
bien d'autres dépenses qui nous coûtent encore beaucoup plus cher !
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Monsieur Loridant, notre pays est attaché au principe
d'égalité, principe auquel il a reconnu une valeur constitutionnelle. Or, dans
le nouveau dispositif, tout le monde sera traité de la même manière.
En la circonstance, s'agissant du ticket modérateur, il ne s'agit en aucune
façon de sanctionner les personnes malades au motif qu'elles sont étrangères et
en situation irrégulière. Il s'agit de les soumettre au droit commun, afin - je
vous l'ai dit, mais vous m'obligez à le répéter - d'éviter que nos compatriotes
eux-mêmes ne se présentent au service des urgences en prétextant - c'est très
efficace - être des étrangers en situation irrégulière, ce qui crée de sérieux
problèmes dans les services des urgences et a d'ailleurs, vraisemblablement,
contribué au dérapage dont je viens de parler, dérapage dont j'estime le coût à
150 millions d'euros en moyenne par an.
Il faut prendre conscience de l'importance de ce dérapage, et je ne parle pas
là du coût, mais du dérapage lui-même.
Paul Loridant s'inquiète du sort des étrangers en situation irrégulière qui
n'ont pas - cas le plus fréquent - de ressources : ils seront traités comme
ceux de nos compatriotes qui n'ont pas de ressources. Ce qui compte, en effet,
c'est d'avoir un dispositif qui place toute personne malade se présentant
devant un médecin dans la même situation.
Par ailleurs, et c'est un progrès, ces personnes malades auront accès à la
médecine de ville et pourront être soignées immédiatement, à moindre coût pour
l'ensemble de la collectivité. Il faut se réjouir de ce progrès puisque,
aujourd'hui, elles ne peuvent pas se présenter devant un médecin de ville,
parce qu'il n'y a pas de prise en charge prévue.
Je crois donc que ce dispositif va dans le bon sens. Il ne cache ni
malveillance ni arrière-pensée, mais traduit notre souci des deniers publics.
Je ne suis d'ailleurs pas sûr, monsieur Foucaud, que nos compatriotes
considéreraient comme négligeable une économie de 150 millions d'euros par an
dès lors que les garanties de soins pour les personnes concernées demeurent
absolument identiques.
Pour ma part, je n'éprouve aucune difficulté morale. Au contraire, j'estime de
mon devoir de soutenir un dispositif qui permet - et je crois que beaucoup de
Français l'apprécieront - une économie de 150 millions d'euros par an.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous allons vous en proposer des économies, monsieur le ministre !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 23.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 31 A.
(L'article 31 A est adopté.)
Article 31 B