SEANCE DU 11 DECEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 4. - L'article 72 de la Constitution est ainsi rédigé :
«
Art. 72
. - Les collectivités territoriales de la République sont les
communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier
et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre
collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place
d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
« Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour
l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur
échelon.
« Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent
librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour
l'exercice de leurs compétences.
« Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en
cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un
droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs
groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu,
déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux
dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs
compétences.
« Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre.
Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de
plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre
elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action
commune.
« Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de
l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des
intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »
La parole est à Mme Josiane Mathon, sur l'article.
Mme Josiane Mathon.
L'article 4 vise, selon la commission des lois, à « donner davantage de
substance au principe de libre administration des collectivités territoriales »
et à introduire « de nombreuses innovations », lesquelles sont loin de nous
satisfaire, quand elles ne nous paraissent pas dangereuses pour la cohésion
nationale.
Le moins que l'on puisse dire est que l'Assemblée nationale n'a pas amélioré
la teneur de cet article. Elle a notamment confirmé la possibilité de désigner
les groupements de communes comme chefs de file, après que le Sénat leur eut
ouvert le recours à l'expérimentation. Pourtant, le Sénat, l'Assemblée
nationale et le Gouvernement avaient « jugé prématuré de reconnaître la qualité
de collectivité territoriale aux établissements publics de coopération
intercommunale à fiscalité propre ».
L'article 4 est effectivement très important, puisqu'il décrit l'architecture
des institutions et leurs nouveaux pouvoirs. Il décline la conception libérale
de la décentralisation qui est celle du Gouvernement.
Nous l'avons dit à maintes reprises : c'est l'éclatement de la République -
Jean-Louis Debré a parlé de « la République en morceaux » - que consacre cet
article.
S'il est indispensable de reconnaître les diversités, qu'elles soient
historiques, culturelles, économiques ou géographiques, et d'en tenir compte,
parce qu'elles sont l'une des richesses de notre pays, ce n'est pas ce qui nous
est proposé au travers de ce projet de loi.
Le statut particulier, la norme dérogatoire deviennent la règle, fondamentale
et irréversible, sauf à réviser de nouveau la Constitution. Mais c'est
précisément pour empêcher un éventuel retour en arrière qu'on les inscrit dans
la Constitution.
Au lieu de favoriser les solidarités, de réduire les inégalités, la mise en
oeuvre de ce texte fragmentera notre pays, divisera les citoyens. Au lieu de
rapprocher la prise de décision des citoyens, la création de nouvelles
collectivités « en lieu et place d'une ou de plusieurs autres » permettra la
disparition de communes et des départements, notamment par des fusions, et ce
d'une façon profondément insidieuse, puisque, dans le même temps, leur
existence est réaffirmée dans le même alinéa.
Les collectivités nouvelles susceptibles d'être créées permettront de mettre
en place l'Europe des régions que les fédéralistes appellent de leurs voeux. A
la suite du candidat Jacques Chirac, qui déclarait, le 10 avril dernier, à
propos des régions, que « certains regroupements seraient probablement utiles
pour atteindre la taille européenne », certains de nos collègues prônent, en
paroles ou par écrit, une France métropolitaine constituée de moins de dix
régions. Nous préférons, pour notre part, une coopération interrégionale
librement consentie.
L'article 4 tend encore à l'éclatement de la cohésion nationale par
l'instauration du principe de subsidiarité. Que devient la clause générale de
compétence des collectivités territoriales, que le MEDEF, dont les propositions
ressemblent étrangement aux dispositions du présent projet de loi, veut voir
supprimer ? Cette clause permet aujourd'hui aux collectivités de mener des
expérimentations qui se révèlent positives pour les populations.
La subsidiarité est liée, elle aussi, à une conception fédérale des
institutions : si ce sont les compétences de l'Etat qui deviennent
subsidiaires, comment celui-ci pourra-t-il alors assurer la cohésion nationale
?
Certes, les citoyens doivent pouvoir gérer eux-mêmes leurs propres affaires à
l'échelon où les problèmes se posent, mais cela doit se faire dans le cadre
d'une responsabilité maintenue de l'Etat, qui doit mettre à disposition les
moyens qui sont les siens, qu'ils soient matériels, scientifiques, techniques
ou politiques. L'inscription du principe de subsidiarité dans la Constitution
est conforme à la volonté de l'Etat de ne conserver que quelques domaines de
compétences, en laissant aux collectivités territoriales le soin de couvrir
tous les autres.
Une telle rédaction nous expose à un contentieux abondant, car, en pratique,
il s'avérera extrêmement difficile d'apprécier quelles compétences pourront
être « le mieux » exercées à tel ou tel échelon. Alors que d'aucuns se plaisent
à dénoncer, par ailleurs, le « gouvernement des juges », c'est un pouvoir accru
qui sera, de fait, conféré à ces derniers par l'article 4.
Quant au pouvoir réglementaire dont disposeraient les collectivités
territoriales, les débats en première lecture n'ont pas permis de lever les
interrogations portant sur sa teneur. Nous demeurons donc inquiets devant cette
inconnue.
Nous maintenons également de sérieuses réserves s'agissant des dérogations
prévues à la loi et au règlement, même si l'Assemblée nationale a cherché à les
encadrer en limitant leur objet et leur durée. De plus, nos inquiétudes se
trouvent renforcées par l'introduction, sur l'initiative du Sénat, de la
possibilité, pour les groupements de communes, de se livrer à des
expérimentations.
Nous sommes favorables à l'expérimentation, mais à la condition qu'elle vise à
inventer de nouvelles solutions solidaires et non à dégager l'Etat de ses
responsabilités. Or, force est de constater que les collectivités territoriales
n'ont bien souvent pas les moyens d'élaborer de telles solutions.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen propose
la suppression de l'article 4.
M. le président.
Je suis saisi de trente-six amendements qui peuvent faire l'objet d'une
discussion commune, mais, pour la clarté du débat, je les appellerai un par
un.
Les deux premiers sont présentés par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et
Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M.
Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et
Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès.
L'amendement n° 49 est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 50 est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 72 de la
Constitution :
«
Art.
72. - Les collectivités territoriales de la République sont les
communes, les départements, les régions et les collectivités d'outre-mer régies
par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la
loi.
« Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ou par le
biais du référendum et dans les conditions prévues par la loi.
« Le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle
administratif et du respect des lois. »
Ces deux amendements ont déjà été présentés par Mme Josiane Mathon.
L'amendement n° 5, présenté par MM. Sueur, Peyronnet, Bel, Charasse et
Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche,
Lise, Marc, Mauroy, Raoul et les membres du groupe socialiste et rattachée, est
ainsi libellé :
« Avant le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 72
de la Constitution, ajouter un alinéa ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales de la République sont les lieux d'exercice
de l'organisation décentralisée de la République. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Cet amendement vise à insérer un alinéa avant le premier alinéa du texte
présenté par l'article 4 pour l'article 72 de la Constitution.
Comme vous le savez, mes chers collègues, nous n'avions pas, hélas ! la
possibilité de revenir sur la rédaction présentée pour l'article 1er de la
Constitution, l'article 1er du projet de la loi constitutionnelle ayant été
adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Par conséquent, l'article 1er de la Constitution disposera à l'avenir que
l'organisation de la République est décentralisée. Or il est très facile de
comprendre que cela n'est pas conforme à la réalité, puisque la République
comprend un grand nombre d'institutions qui n'ont pas vocation à être
décentralisées et qui ne peuvent pas l'être ! Tout le monde le sait !
Ce constat étant posé, sans que nul n'ait pu le contester, il reste un moyen
d'améliorer la situation et de faire en sorte que la Constitution soit
cohérente : l'article 4 du projet de loi, qui vise à rédiger l'article 72 de la
Constitution, doit préciser que la notion de décentralisation s'applique, au
sein de la République, aux collectivités territoriales, c'est-à-dire aux
communes, aux départements, aux régions, aux communautés, etc.
A nos yeux, il est essentiel de saisir cette dernière occasion de préciser les
choses. Si le Sénat n'adopte pas l'amendement n° 5, l'article 1er de la
Constitution comportera une mention erronée, qui ne correspondra pas à la
réalité, or je pense que nous ne pouvons pas prendre une telle
responsabilité.
En tout cas, pour notre part, nous ne la prendrons pas. Là encore, j'aimerais
savoir quel argument on pourrait nous opposer - je me tourne à cet instant vers
M. le rapporteur - et qui pourrait soutenir que la République est entièrement
organisée de manière décentralisée ! Si personne n'est en mesure de répondre à
mon appel, cela signifie que nous considérons tous que ce sont les
collectivités territoriales qui sont organisées d'une manière décentralisée
Alors disons-le !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois.
Ce ne sont pas seulement les
collectivités territoriales !
M. le président.
L'amendement n° 6, présenté par MM. Charasse, Peyronnet, Bel et Courteau, Mme
Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc,
Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée, est
ainsi libellé :
« Avant le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 72
de la Constitution, ajouter un alinéa ainsi rédigé :
« L'organisation décentralisée de la République est mise en oeuvre dans le
respect et sous réserve des principes fondamentaux de la République affirmés et
garantis par la Constitution et par les textes auxquels elle se réfère. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
L'article 1er du projet de loi constitutionnelle a été adopté conforme par
l'Assemblée nationale. Il est donc acquis que l'article 1er de la Constitution
disposera que l'organisation de la République est décentralisée.
Qu'est-ce que cela signifie ? Il convient d'être clair et précis, car, en
première lecture, nous n'avions pas complètement épuisé le sujet.
Quand on lit l'exposé des motifs du projet de loi et le rapport de la
commission des lois élaboré pour la première lecture, on s'aperçoit qu'il
s'agit en fait de permettre la remise en cause ou l'assouplissement de
l'indivisibilité de la République et du principe d'égalité.
Mme Nicole Borvo.
Absolument !
M. Michel Charasse.
Cela est absolument insupportable, puisque cela revient à remettre en cause la
forme républicaine du Gouvernement. Or, dans ce cas, l'article 89 de la
Constitution interdit la révision.
Certes, il nous a été rétorqué que le Premier ministre s'était exprimé à
plusieurs reprises, pour indiquer qu'il faudrait trouver un équilibre mais que,
bien entendu, la République serait préservée. Cependant, je suis un peu comme
saint Thomas : je ne crois que ce que je vois et ce que je peux toucher du
doigt.
Avec mes amis, je propose donc, par le biais de l'amendement n° 6, de
préciser, à l'article 72 de la Constitution, que l'organisation décentralisée
de la République, qui sera désormais mentionnée à l'article 1er de la
Constitution, doit être conforme aux principes fondamentaux de la République
tels qu'énoncés par la Constitution et par les textes auxquels celle-ci fait
référence.
Sinon, mes chers collègues, que se passera-t-il ? Nous adopterons à l'avenir
des lois organiques et ordinaires, et si ces lois assouplissent, si peu que ce
soit, les principes de la République, notamment ceux d'indivisibilité et
d'égalité, le Conseil constitutionnel se trouvera dans une situation très
difficile.
En effet, soit il considérera que, la Constitution n'étant pas révisable en ce
qui concerne la forme républicaine, la révision à laquelle nous procédons
actuellement n'a pas pu affecter cette dernière et alors il annulera les lois
organiques ou ordinaires que nous aurons votées ; soit il constatera que l'on a
porté atteinte à la forme républicaine, et, dans ce cas, la République
s'engagera dans un processus pouvant déboucher sur de grands malheurs, car on
ne sait pas jusqu'où tout cela nous mènera.
Il faut donc, à mon sens, bien préciser les choses, et c'est pourquoi mes amis
et moi-même avons déposé l'amendement n° 6. En matière de décentralisation,
quelle que soit l'organisation que l'on veut donner à celle-ci, les lois de
1981 et de 1982 ont montré que l'on pouvait aller très loin sans modifier la
Constitution. Or, de manière schématique, le processus a achoppé sur
l'éventualité de donner à une collectivité locale - je pense ici à la Corse -
la possibilité d'élaborer les lois à la place du Parlement. Ce fut le point de
blocage.
On sait donc que l'on peut aller très loin en termes de décentralisation,
mais, là aussi, comme je le disais tout à l'heure à propos des langues
régionales, il arrive un moment où le ticket n'est plus valable !
M. le président.
L'amendement n° 7, présenté par MM. Sueur, Peyronnet, Bel, Charasse et
Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche,
Lise, Marc, Mauroy, Raoul et les membres du groupe socialiste et rattachée, est
ainsi libellé :
« Avant le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 72
de la Constitution, ajouter un alinéa ainsi rédigé :
« L'organisation de l'Etat est déconcentrée. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
L'amendement n° 7 est complémentaire de l'amendement n° 5 que j'ai défendu
voilà quelques minutes. Il vise à insérer un autre alinéa en tête de la
rédaction présentée par l'article 4 pour l'article 72 de la Constitution.
Mes chers collègues, la rédaction adoptée par les deux assemblées pour
l'article 1er de la Constitution emporte un certain nombre de conséquences. En
effet, cette rédaction précise que l'organisation de la République est
décentralisée, mais l'Etat fait-il partie de la République ? Il me semble que
oui.
M. Michel Charasse.
C'est son bras armé !
M. Jean-Pierre Sueur.
A partir du moment où l'Etat fait partie de la République, qu'il en est même
le bras armé, comme le dit M. Charasse, on peut se demander si l'Etat est
lui-même doté d'une organisation décentralisée. Il n'en est bien sûr pas ainsi,
car il existe une contradiction dans les termes : dès lors que l'on met en
oeuvre la décentralisation telle qu'on la connaît, cela suppose que l'Etat
veille au respect d'un certain nombre de principes républicains, tels que
l'égalité entre les citoyens et entre les collectivités. Autant une
organisation décentralisée peut s'appliquer aux collectivités territoriales,
autant il est contradictoire dans les termes de parler d'un Etat décentralisé.
Cela n'est pas possible !
Cela étant, il existe une notion bien connue, largement explicitée dans la loi
de 1992 relative à l'administration territoriale de la République : celle de «
déconcentration ». Il est alors clair, logique et aisément compréhensible que,
d'une part, les collectivités territoriales mettent en oeuvre la
décentralisation, et que, d'autre part, l'Etat est déconcentré.
Par conséquent, chers collègues de la majorité sénatoriale, je voudrais bien
savoir pour quelle raison vous rejetteriez l'amendement n° 7 ! En effet, à
partir du moment où l'on s'accorde pour reconnaître que l'Etat fait partie de
la République - je vois mal comment on pourrait prétendre le contraire ! - et
qu'il ne peut pas être décentralisé, on doit préciser que l'Etat est
déconcentré. Sinon, il se déduira logiquement de l'article 1er de la
Constitution que l'Etat est décentralisé, ce qui est impossible. Je voudrais
donc que l'on m'explique sur quel fondement on pourrait s'opposer à l'adoption
de notre amendement.
M. le président.
L'amendement n° 8, présenté par MM. Peyronnet, Bel et Courteau, Mme Durrieu,
MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc, Mayroy,
Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée, est ainsi
libellé :
« Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par l'article 72 de la
Constitution :
« Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les
communautés à fiscalité propre, les départements, les régions, les
collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par
l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. »
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Cet amendement a pour objet de consacrer le fait intercommunal en l'inscrivant
dans la Constitution. J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer, lors de la première
lecture, combien cette mention pourrait, paradoxalement, se révéler protectrice
pour les communes, surtout si l'on se réfère à la dernière phrase du premier
alinéa de l'article 4, qui permet, comme je l'ai souligné au cours de la
discussion générale, la suppression desdites communes.
De plus, les arguments qui nous ont été opposés, en particulier l'absence de «
maturité » des établissements publics de coopération intercommunale, ne valent
pas pour les communautés urbaines, dont l'institution remonte à plus de
trente-cinq ans. Si elles n'ont pas atteint la « maturité » au terme d'un tel
laps de temps de temps, quand l'atteindront-elles ?
Par ailleurs, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale nous fournit
d'autres raisons de reconnaître les communautés de communes comme des
collectivités territoriales à part entière. En effet, le texte prévoit
désormais la possibilité, pour les groupements de communes, comme pour toute
autre collectivité, de procéder à des expérimentations. Ils pourront en outre
devenir chefs de file, c'est-à-dire assumer des compétences pour le compte
d'autres collectivités, ce qui représente un stade encore plus avancé. Les
communautés de communes pourront pratiquement imposer certaines décisions,
puisque le Gouvernement et sa majorité refusent d'introduire dans cet alinéa
les notions d'« accord » ou de « convention ».
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, mes chers collègues, d'adopter
cet amendement que nous avions déjà présenté en première lecture et qui vise à
conférer aux communautés à fiscalité propre la dignité qu'elles méritent.
M. le président.
L'amendement n° 9, présenté par MM. Peyronnet, Bel et Courteau, Mme Durrieu,
MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc, Mauroy,
Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée, est ainsi
libellé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article
pour l'article 72 de la Constitution, après le mot : "communes" insérer les
mots : "les communautés à fiscalité propre". »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Il s'agit d'un amendement de repli par rapport au précédent.
Un fait nouveau est intervenu depuis la première lecture : l'intercommunalité
a été inscrite dans la Constitution, mais d'une manière un peu subreptice,
annexe, connexe et marginale, en mentionnant les groupements - je dis bien les
groupements - à propos du recours à l'expérimentation et de la désignation de
chefs de file. Nous aurons l'occasion de revenir longuement sur tous ces
points.
C'est d'ailleurs un peu étrange. En l'occurrence, vous parlez de groupements -
je rappelle qu'un groupement peut être un syndicat intercommunal à vocation
unique - auxquels vous allez donner des prérogatives considérables. Ainsi, un
syndicat intercommunal à vocation unique pourra décider des règles financières
relatives à un projet qui intéressera plusieurs collectivités locales.
Il est pour le moins paradoxal de faire entrer les groupements de cette
manière et de refuser, une nouvelle fois, que les communautés à fiscalité
propre, qu'il s'agisse des communautés d'agglomération, des communautés
urbaines ou des communautés de communes, aient leur place dans cette
énumération des collectivités territoriales de la République.
D'autant que cette montée très forte de l'intercommunalité de projets, pour
laquelle nous nous sommes beaucoup battus, est le grand événement, la grande
nouveauté dans le paysage institutionnel français depuis dix ans.
Pour conclure, le seul argument qui ait été véritablement opposé se retourne.
En effet, si on affirme qu'une collectivité territoriale doit être
nécessairement élue au suffrage universel direct, on ne peut le dire qu'en
vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Or si l'on modifie la
Constitution, à l'évidence la jurisprudence du Conseil constitutionnel
changera. On ne peut donc pas exciper de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel au moment où il s'agit de modifier la Constitution. Pierre
Mauroy a parlé avec beaucoup de force de ce nouveau niveau dans la vie
territoriale de notre pays. Alors même que MM. Daniel Hoeffel et Jean-Claude
Gaudin avaient déposé un amendement en ce sens, vous refusez cette nouvelle
forme de la modernité dans notre décentralisation et dans le paysage de nos
collectivités territoriales.
M. Hilaire Flandre.
Ce sera plus clair !
M. Jean-Pierre Sueur.
Vous avez vraiment tort, je le crois, de la refuser, surtout en invoquant
l'argument selon lequel cela serait contraire à l'intérêt des communes. Si nous
voulons conserver nos 36 000 communes, il faut une intercommunalité forte.
C'est complémentaire, mon cher collègue, ce n'est absolument pas
contradictoire.
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements présentés par Mmes Borvo et Mathon, MM.
Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme
Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer,
Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade
et M. Vergès.
L'amendement n° 51 est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article
pour l'article 72 de la Constitution, supprimer les mots : ", les collectivités
à statut particulier". »
L'amendement n° 54 est ainsi libellé :
Dans la seconde phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour
l'article 72 de la Constitution, après le mot : "créée", insérer les mots :
"dans le respect du principe d'égalité". »
La parole est à Mme Nicole Borvo, pour présenter ces deux amendements.
Mme Nicole Borvo.
La majorité sénatoriale a souhaité ajouter à la liste des collectivités
inscrites dans la Constitution les collectivités à statut particulier, qui,
pour l'instant, sembleraient viser Paris et la Corse.
Depuis la première lecture et au fil des débats, le texte du premier alinéa de
l'article 4 n'est pas devenu très clair, c'est le moins que l'on puisse dire.
Ajouté à la « corsisation » des emplois, prônée par le ministre de l'intérieur,
le statut particulier prend une tournure inquiétante, qui mériterait pour le
moins discussion. D'autant que, comme le disait M. Devedjian, le référendum à
valeur décisionnelle « permettra de passer par-dessus la tête des élus
récalcitrants », et donc de créer sans eux des collectivités particulières. Bel
exemple de démocratie et de respect du suffrage universel !
Selon nous, il serait préférable de revenir au texte initial. Vous devriez y
réfléchir.
J'en viens à l'amendement n° 54. Le principe d'égalité des citoyens devant la
loi est bien entamé par le présent projet de loi constitutionnelle. Celui-ci
permettra, en l'état, d'y déroger en de nombreuses circonstances. Nous
souhaitons donc qu'il soit rappelé chaque fois que c'est possible que rien ne
saurait déroger à ce principe fondamental,...
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Il s'agit d'un principe de valeur
constitutionnelle !
Mme Nicole Borvo.
... d'autant plus fondamental qu'il a trait à la vie d'êtres humains et à leur
avenir. Les inégalités sont aujourd'hui criantes. Le Gouvernement s'appuie sur
cette réalité pour aller encore plus loin sous le prétexte de les combattre.
Mais ce principe ne figure pas dans votre texte et, de plus en plus, on entend
lui substituer, comme je l'ai dit tout à l'heure, le terme d'équité. Or, cela
ne veut absolument pas dire la même chose. Il est donc essentiel que l'égalité
soit constitutionnellement garantie à tous les niveaux et au premier alinéa du
texte proposé pour l'article 72, relatif à la création de nouvelles
collectivités.
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par MM. Peyronnet, Bel et Courteau, Mme
Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Marc, Mauroy,
Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparenté.
L'amendement n° 53 est présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et
Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M.
Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et
Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Dans la seconde phrase du premier alinéa proposé par cet article pour
l'article 72 de la Constitution, supprimer les mots : "le cas échéant en lieu
et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa".
»
La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter l'amendement n° 10.
M. Roland Courteau.
Lors de la première lecture, nous avons souligné le caractère ambigu et
dangereux de la dernière phrase de ce premier alinéa, qui permet la suppression
de toutes collectivités par une loi simple pour leur substituer une nouvelle
collectivité. Nous persistons dans notre analyse, même si la suppression d'une
collectivité territoriale est désormais devenue facultative, aux termes d'un
amendement adopté précédemment par le Sénat.
La rédaction qui nous est proposée nous semble toujours aussi dangereuse. Je
le répète : d'abord, vous faites sauter le verrou principal, c'est-à-dire le
verrou constitutionnel ; ensuite, par la loi, on ouvrira la porte à toutes les
aventures, c'est-à-dire à des fusions de communes, par exemple, ou à la
substitution de communautés de communes à des communes.
J'imagine que les partisans de la réduction du nombre de communes en France
attendent cette disposition avec impatience. Ayant toujours considéré que les
communes sont trop nombreuses, ils feignent d'ignorer l'importance du maillage
serré qu'elles constituent pour un bon aménagement de l'espace.
Monsieur le ministre, lorsque nous vous faisons part d'un tel danger, vous
nous répondez qu'il n'est pas dans vos intentions de laisser aller les choses
en ce sens. Soit !
Mais ce faisant, vous reconnaissez clairement qu'une telle possibilité existe,
qu'un tel danger ne peut être écarté et que d'autres pourront par la suite
s'engouffrer dans la brèche.
Jusqu'à présent, vous n'avez voulu apporter aucune modification. M.
Jean-Claude Peyronnet l'a dit : « ou bien on joue à l'apprenti sorcier, ou bien
on a un double langage ». Nous voulons bien croire à la première supposition,
mais, dans ce cas, gardons-nous d'ouvrir la boîte de Pandore et, afin d'éviter,
à terme, tout risque d'éclatement de notre paysage institutionnel, vous devez,
monsieur le ministre, soutenir notre amendement. Dans le cas contraire, la
seconde supposition serait la bonne.
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Borvo, pour présenter l'amendement n° 53.
Mme Nicole Borvo.
Le texte qui sera sans doute adopté permet que soient créées des collectivités
nouvelles, le cas échéant en lieu et place de celles qui sont mentionnées dans
l'alinéa concerné, par exemple les régions, les départements, les communes.
Rien n'empêchera plus que deux, voire trois régions ou départements fusionnent
pour donner naissance aux grandes régions que les fédéralistes appellent de
leurs voeux. Rien n'empêchera plus la fusion de deux départements, et donc la
disparition de ceux-ci. Quelle assurance nous est donnée quant à l'avenir de
cet échelon le plus proche des habitants qu'est la commune ?
« En lieu et place », cela veut bien dire ce que cela veut dire. Je le répète
: on consacre ainsi dans la Constitution de nouvelles constructions
territoriales irréversibles, sauf à procéder à une révision supplémentaire du
texte constitutionnel. En revanche, ces nouvelles constructions territoriales
seront, par substitution, des outils de suppression des collectivités
existantes.
Permettez-nous d'avoir les plus grandes craintes devant l'insistance de nos
collègues - ou encore celle du MEDEF, je l'ai mentionné tout à l'heure - à
vouloir qu'il ne reste que deux échelons institutionnels : la région et
l'intercommunalité.
M. le président.
L'amendement n° 55, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et
Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M.
Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et
Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est
ainsi libellé :
« Compléter la seconde phrase du premier alinéa du texte proposé par cet
article pour l'article 72 de la Constitution par les mots : ", sur demande des
assemblées délibérantes concernées". »
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Jusqu'à présent, les assemblées délibérantes ont été tenues à l'écart du débat
sur le projet de loi constitutionnelle. En effet, nous avions proposé qu'elles
soient consultées, mais ce n'est évidemment pas le choix que vous avez
retenu.
Municipales, départementales ou régionales, elles sont issues du suffrage
universel. Si nous considérons qu'il faut développer encore la démocratie
directe, que celle-ci doit revivifier la démocratie représentative, nous sommes
attachés au respect des élus en toutes circonstances ; comme vous, donc, en
principe !
Aussi, il ne nous paraîtrait pas légitime que toute décision concernant une
collectivité territoriale, sa création, sa modification, soit prise sans que
les assemblées délibérantes - elles auraient pu d'ailleurs y être poussées par
les habitants si vous n'aviez pas rendue facultative la réponse au droit de
pétition en faveur de ces derniers - y prennent part.
Les propos de M. Devedjian, que j'ai rapportés tout à l'heure, nous incitent
encore plus à défendre cet amendement. Si on veut passer par-dessus la tête des
collectivités, il faudrait mieux que ce soit dit ! Pour que l'on ne puisse pas
le faire, il faudrait qu'elles soient consultées.
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 11 est présenté par MM. Peyronnet, Bel, Charasse et Courteau,
Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc,
Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste.
L'amendement n° 52 est présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et
Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M.
Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et
Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article
72 de la Constitution. »
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet pour présenter l'amendement n° 11.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Il s'agit de supprimer une disposition qui introduit en droit interne une mise
en application du principe de subsidiarité.
Je ne reprendrai pas tous les arguments qui ont été développés par mes amis et
par moi-même lors de la première lecture. N'en déplaise au spécialiste du droit
canon qu'est M. Gélard, je maintiens que, finalement, nous sommes bien en
présence d'un principe d'essence fédérale et que la constitutionnalisation de
ce principe risque de porter atteinte au principe d'égalité des citoyens. Je
n'entrerai pas dans les détails.
S'il s'agit simplement d'expérimenter des compétences, il est inutile
d'inscrire cette disposition dans la Constitution. Les expérimentations se
pratiquent déjà et continueront sans doute à être pratiquées facilement par
accord entre collectivités. S'il s'agit d'autre chose, cela peut devenir
extrêmement dangereux. En effet, il peut être très dangereux et juridiquement
incertain de vouloir rendre normative une disposition qui s'appliquait
d'elle-même. Qui définira la collectivité qui a vocation à appliquer « le mieux
», deux termes qui posent problème sur un plan juridique, et qui ont d'ailleurs
été relevés par des juristes et des parlementaires, en particulier par le
rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Selon celui-ci,
il est en effet très complexe d'apprécier le niveau de décision adéquat et il
est à craindre qu'une rédaction trop contraignante - il parlait de cette
rédaction-là - ne donne lieu à un contentieux abondant. En l'occurrence, nous
sommes dans le droit-fil de ce que nous avions dénoncé dès l'examen en première
lecture de ce projet de loi et que nous confirmons.
Par ailleurs, la modification introduite par l'Assemblée nationale, qui tend à
remplacer les mots « vocation à exercer » par les mots « vocation à prendre les
décisions », n'est pas de nature à nous rassurer. Je crois, au contraire,
qu'elle peut être encore plus dangereuse. On peut effectivement se demander si
une telle disposition n'aurait pas des conséquences désastreuses sur les
collectivités locales, certes, mais surtout sur l'Etat lui-même et sur ses
pouvoirs régaliens.
M. le président.
La parole est à Mme Josiane Mathon, pour présenter l'amendement n° 52.
Mme Josiane Mathon.
Cet amendement vise à rejeter l'introduction du principe de subsidiarité.
Je voudrais réaffirmer trois principes. Le premier : les décisions devraient
toujours être prises au plus près des besoins qu'elles visent à satisfaire
s'agissant de nos concitoyens. Deuxième principe : les décisions ne doivent
remonter à un niveau territorial plus large - intercommunalité, département ou
région - qu'en fonction des impératifs, d'une part, de cohérence et
d'efficacité et, d'autre part, de mise en oeuvre de formes diverses de
solidarité. Troisième principe : l'affirmation de la responsabilité première
d'une collectivité décentralisée doit s'articulier avec le maintien d'une
responsabilité de l'Etat, qui doit mettre à disposition ses moyens matériels -
scientifiques, politiques ou autres - parce qu'il est garant de la cohésion
nationale.
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à
vingt-deux heures, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)