SEANCE DU 9 DECEMBRE 2002


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère de la justice.
J'indique au Sénat que, pour cette discussion, la conférence des présidents a opté pour la formule expérimentale fondée sur le principe d'une réponse immédiate du Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou orateurs des groupes.
Ainsi, M. le garde des sceaux, ministre de la justice, répondra immédiatement et successivement au rapporteur spécial, puis aux trois rapporteurs pour avis, et enfin à chaque orateur des groupes.
Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de discussion.
Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur, ce dernier disposant d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le garde de sceaux, mes chers collègues, avant d'aborder l'examen des crédits du ministère de la justice, je ferai une mise au point.
Cette année, je n'ai effectué aucun contrôle sur place et sur pièces.
Pourquoi ? Les années précédentes, je consacrais environ quinze jours sur le terrain, au contact de la justice « d'en bas », selon une expression à la mode, celle qui se frotte aux réalités quotidiennes.
Je donnerai trois exemples de ce travail.
Une année, j'avais enquêté sur le classement sans suite des infractions, ce que j'avais appelé « la délinquance mal traitée ». Constat accablant, sans doute prémonitoire : le travail a été classé sans suite par le ministère mais il est revenu en boomerang à l'occasion des récentes élections présidentielle et législatives !
L'année suivante, j'ai enquêté dans plusieurs juridictions afin de savoir si elles étaient en mesure d'appliquer la loi relative à la présomption d'innocence. Là encore, le constat était parfois affligeant mais les services de la chancellerie ont refusé de l'admettre. On a vu la suite !
L'année dernière, j'ai voulu « passer au scanner » les moyens dont disposaient l'ensemble des services de la justice dans un département que je connais particulièrement bien : le Haut-Rhin. J'ai consacré quinze jours à cette tâche. Or Place Vendôme, ce fut le silence radio, aussi bien sous le ministère de Mme Guiguou que sous celui de Mme Lebranchu : je n'ai pas obtenu la moindre réponse !
M. Pierre Fauchon. Oh !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. A votre arrivée, monsieur le garde des sceaux, dès le mois de juillet, je vous ai saisi de la même demande, vous priant de me faire savoir quelles suites vous comptiez donner aux différentes propositions formulées dans le rapport adopté par la commission des finances. Malgré plusieurs relances, je n'ai, à ce jour, reçu aucune réponse ; on ne m'en a même pas accusé réception. Par quel canal passe donc le courrier émanant de la commission des finances ? Est-ce encore un phénomène de classement sans suite dû au peu de cas que certains font du travail parlementaire ?
Monsieur le garde des sceaux, pendant des jours entiers, je dérange des magistrats, des greffiers, des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse. Je suis fort bien reçu, presque à bras ouverts. Je leur adresse mon rapport, et ils se figurent qu'il y aura des suites.
M. Pierre Fauchon. Les naïfs !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Or il n'en est rien !
Par conséquent, cette année, je n'ai pas voulu les déranger pour rien.
Dans le passé, mes éminents prédécesseurs à ce poste, MM. Arthuis et Lambert, ont rencontré les mêmes difficultés. M. Lambert, lorsqu'il était président de la commission des finances, avait même adressé des rappels écrits aux différents ministères : en vain !
Connaissant l'intérêt que vous portez au travail parlementaire, je compte sur vous, monsieur le garde des sceaux, pour que le contrôle budgétaire trouve enfin sa place au sein de votre ministère et pour que vous rappeliez à vos services que le pouvoir du rapporteur spécial est de nature constitutionnelle. Je suis sûr que, avec vous, j'aurai, enfin, une réponse.
On pourrait d'ailleurs imaginer que, à l'occasion des prochains débats budgétaires, le ministre indique au Parlement les suites qu'il compte donner aux contrôles sur place et sur pièces effectués par le rapporteur spécial année après année, mais aussi aux conclusions des commissions de contrôle ou des missions d'information de la commission des lois du Sénat.
Venons-en à des aspects, cette fois, tout à fait positifs.
Monsieur le garde des sceaux, le projet de budget que vous nous présentez s'inscrit cette année dans un contexte législatif particulier : grâce à la loi d'orientation et de programmation pour la justice votée cette année, nous savons, enfin, où nous allons.
L'examen de ce projet de budget pour 2003 n'en constitue pas moins un rendez-vous important. Vous vous en souvenez, une question a taraudé tout l'été un certain nombre de nos collègues : le Gouvernement allait-il se donner les moyens de ses ambitions, dans un contexte budgétaire que l'on sait si difficile ?
Je ne gaspillerai pas mes précieuses quinze minutes, mes chers collègues, à vous asséner tous les chiffres. Qu'il me suffise de vous indiquer que le budget de la justice augmentera en 2003 de 7,4 %, augmentation inégalée qui se traduira notamment par la création de plus de 2 000 emplois et par le doublement du niveau annuel d'investissement.
A nouvelle législature, nouvelles méthodes : programmer, réaliser, évaluer, expérimenter. Ce sont là les quatre maîtres mots qui, selon moi, doivent guider, et guident déjà, monsieur le garde des sceaux, votre action budgétaire à la tête de ce ministère.
Monsieur le garde des sceaux, s'agissant de la programmation, vous savez tout le bien que j'en pense : je me suis époumoné, à cette même tribune, à réclamer une programmation des moyens à vos prédécesseurs. En cette matière, il faut dire que ce projet tient parfaitement les engagements pris dans la loi d'orientation puisque 20 % des emplois et 20 % des autorisations de programme prévus sur les cinq prochaines années y sont d'ores et déjà inscrits.
Il faudra ensuite concrétiser ces engagements sur le terrain, c'est-à-dire consommer les crédits et le faire le mieux possible.
Nous pouvons déjà saluer les efforts accomplis en quelques mois sur la consommation des crédits d'équipement, qui s'est nettement améliorée, notamment grâce au dynamisme de votre secrétaire d'Etat, à l'Agence pour la maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice et à la motivation des personnels des directions départementales de l'équipement. Votre détermination et la motivation de vos équipes sont de bon augure au regard de la réalisation des lourds chantiers dans lesquels vous vous lancez.
Le recrutement de très nombreux nouveaux fonctionnaires des services de la justice sera également un défi pour vous. Je pense, en particulier, aux concours qui vont s'ouvrir en vue du recrutement de surveillants de prison et d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, pour lesquels il faudra trouver suffisamment de candidats, mais aussi des candidats de qualité et au profil adéquat ! L'amélioration des conditions de travail, à laquelle vous attachez à juste titre beaucoup d'importance, et la revalorisation des régimes indemnitaires devraient contribuer à une meilleure attractivité des concours et à la qualité des recrutements qui seront effectués à l'avenir ; c'est du moins ce que j'espère.
Consommer ses crédits, c'est déjà bien, mais nous serons attentifs à ce que vous les consommiez « très bien », c'est-à-dire de manière efficace, avec le souci d'améliorer le fonctionnement des services de la justice.
Je suis particulièrement attaché à la question des contrats d'objectifs. Ils constituent un moyen d'insuffler une culture du résultat au sein des services de la justice.
En effet, si l'augmentation des crédits est une condition nécessaire à l'amélioration du fonctionnement de la justice, elle n'est pas suffisante : les services de la chancellerie et les juridictions doivent également connaître une évolution culturelle. Il faut oser changer l'organisation, les procédures et les méthodes.
Tel est l'objet de ma première question : comment concevez-vous ces contrats d'objectifs ? Avec qui allez-vous en conclure ? Et quels seront, précisément, les objectifs ?
Une fois qu'on a réalisé, il reste ensuite à accepter d'être évalué, collectivement et individuellement.
Sur ce point, et cela ne vous étonnera pas, sachez que je suis favorable à la réintroduction opérée par l'Assemblée nationale en première lecture, à l'article 74, du dispositif d'évaluation qui figurait dans la loi d'orientation, mais qui avait été censuré, pour des motifs de forme, par le Conseil constitutionnel.
Néanmoins, je dois avouer être resté sur ma faim en considérant les tableaux d'indicateurs de résultats du « bleu » budgétaire de votre ministère : bien souvent, les données pour l'année 2001 n'apparaissent pas et, a fortiori, aucune prévision pour 2003 ne nous est donnée ! Avouez que c'est un peu maigre...
Voici donc ma deuxième question : comment votre ministère s'implique-t-il dans la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances ? Quand pourrez-vous nous présenter vos projets de programmes ?
J'en viens au quatrième et dernier volet de mon polyptyque : l'expérimentation.
Vous vous souvenez certainement de l'amendement relatif à l'expérimentation dans les services judiciaires que j'avais déposé en première lecture du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice. Vous m'aviez alors assuré, monsieur le garde des sceaux, que vous réfléchissiez à une telle avancée dans la loi de révision constitutionnelle. Confiant dans vos promesses, j'avais alors retiré mon amendement. Mes espoirs n'ont pas été déçus, et je vous en remercie. Je sais que vous avez veillé et contribué à ce que cette avancée capitale pour notre droit et pour la réforme de notre Etat soit mise en oeuvre par votre ministère, son administration et les juridictions.
Expérimenter pour tester, ajuster, convaincre, puis, le cas échéant, étendre, voilà la méthode qu'il faut faire admettre dans un monde, le monde judiciaire, dont la culture est le « précédent ».
C'est l'objet de ma troisième question : quelles sont les expérimentations, telles qu'elles sont prévues par le projet de révision de la Constitution, que votre ministère envisage de mener ? Des expérimentations de nature réglementaire sont-elles également menées ou actuellement en projet ?
Je souhaiterais aborder un dernier point, qui n'a peut-être pas d'impact budgétaire mais qui me tient à coeur. A plusieurs reprises déjà, lors des précédentes discussions budgétaires, j'avais insisté sur le fait que, de l'avis général, le ministère de la justice était de moins en moins considéré comme le gardien de la qualité de la loi, le « ministère de la loi », et que, petit à petit, la belle « marguerite » qu'était la Chancellerie se laissait « effeuiller ».
Ce sera ma quatrième et dernière question : quels remèdes, monsieur le garde des sceaux, pourrez-vous apporter à cette « peau-de-chagrinisation » de votre ministère ? Comment lui rendre sa juste place au sein de l'Etat, comme le souhaite cette maison, le Sénat, mais aussi, vous le savez, ma « maison mère », le Conseil d'Etat.
Une justice au service de l'ensemble de nos concitoyens a un prix. Ce prix est celui d'une augmentation de moyens sans précédent, dans le contexte budgétaire très difficile que nous connaissons.
La discussion du budget de l'Etat pour 2003 au Sénat se fait dans un contexte encore plus tendu qu'il ne l'était à l'Assemblée nationale puisque, depuis, les prévisions de recettes fiscales pour 2003 ont été révisées de 700 millions d'euros à la baisse.
C'est pourquoi la commission des finances a souhaité, avec beaucoup de sagesse et de modération, réduire les dépenses de l'Etat. Elle a toutefois décidé de préserver les ministères régaliens, qui sont au coeur des missions de l'Etat et qui constituent à nos yeux une priorité nationale.
La forte augmentation des crédits de la justice pour 2003 doit, dans ces circonstances, inciter plus que jamais à améliorer l'efficacité de la dépense publique. Les ministères dont les budgets ne sont pas réduits, et c'est le cas de votre ministère, monsieur le garde des sceaux, devront aussi participer à l'effort commun d'amélioration de la gestion : nous y seront particulièrement attentifs.
La commission des finances a pris acte du fait que le projet de budget pour 2003 traduisait fidèlement les engagements pris par le Gouvernement lors de la discussion de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Elle est donc, bien entendu, favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants. - M. Jean-Jacques Hyest applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre précisément aux questions qui m'ont été posées par M. Haenel, que je remercie pour la qualité de ses analyses, je voudrais rappeler que, dès sa prise de fonctions, le Gouvernement, répondant aux attentes considérables exprimées par les Français lors des dernières consultations électorales, a présenté au Parlement deux lois d'orientation et de programmation, l'une pour la justice et l'autre pour la sécurité intérieure, que vous avez bien voulu adopter au cours de l'été.
S'agissant de la justice, les objectifs et les priorités ont été définis pour la durée de la législature par la loi promulguée le 9 septembre dernier. Les moyens budgétaires et humains correspondants ont aussi été inscrits dans ce texte.
Ces moyens témoignent d'une véritable mobilisation en faveur de la justice : 3 650 millions d'euros, dont 2 775 millions d'euros en dépenses de fonctionnement, et 1 750 millions d'euros d'autorisations de programme. La loi d'orientation et de programmation pour la justice prévoit également la création, de 2003 à 2007, de 10 100 emplois.
Le présent projet de budget de la justice traduit dans les faits la volonté du Gouvernement de tenir les engagements qui ont été pris pendant l'été.
Ce budget prévoit en effet un renforcement sans précédent des moyens de la Chancellerie, au service d'ojectifs clairement définis.
Le budget de la justice augmente de 7,43 % par rapport aux crédits votés en 2002. Ce pourcentage n'a jamais été atteint depuis une dizaine d'années. L'effort budgétaire porte tant sur le fonctionnement que sur l'investissement.
S'agissant du fonctionnement, les crédits augmentent de 5,26 % : 2 026 emplois budgétaires seront créés, auxquels il convient d'ajouter 83 emplois dans les établissements publics, ainsi que 170 emplois financés sur les crédits de fonctionnement, ce qui permettra de rémunérer les assistants de justice dans les juridictions administratives. J'ajoute que la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, bénéficiera de la création de deux postes.
Ce budget marque une importante accélération de la politique d'investissement. Dès notre arrivée place Vendôme, il nous est apparu, à Pierre Bédier et à moi-même, qu'un effort exceptionnel était nécessaire pour rattraper le retard pris dans le domaine pénitentiaire, mais aussi dans celui de la rénovation et de la modernisation des palais de justice.
Pour cette raison, j'ai obtenu pour 2003 un doublement des autorisations de programme par rapport à 2002. Pour les grosses opérations immobilières, c'est en effet dès à présent qu'il faut lancer le programme pour les équipements, dont la mise en service ne pourra évidemment intervenir que dans quatre ou cinq ans.
Selon la même logique, les crédits de paiement dont bénéficiera mon département ministériel augmenteront de 58,2 %.
Au total, ce budget correspond à un cinquième des moyens supplémentaires prévus par la loi d'orientation et de programmation. Nous respectons donc rigoureusement les engagements pris il y a quelques semaines.
Toutefois, j'ai bien conscience qu'il n'est pas suffisant d'obtenir des moyens ; il faut veiller à leur mobilisation effective. Leur bonne utilisation et leur traduction rapide en résultats constituent donc une priorité absolue. Je prends l'engagement devant vous de m'y conformer.
Il faut d'abord améliorer l'exécution du budget. Vos commissions ont mis en évidence une certaine sous-consommation de plusieurs lignes budgétaires.
Je constate que, s'agissant des crédits d'investissement, la situation s'améliore. Pour 2002, les reports seraient en diminution de plus de 70 % par rapport à l'année dernière. Nous entrons en effet dans la phase d'achèvement du programme « 4 000 », ce qui entraîne d'importants décaissemens de crédits de paiement.
Il n'en reste pas moins que notre effort doit être poursuivi et accentué.
Pour cette raison, je souhaite engager une politique ambitieuse de réforme de mon administration, en m'appuyant sur les travaux en cours, notamment, monsieur le rapporteur spécial, pour la mise en oeuvre de la loi organique sur les lois de finances.
Par ailleurs, il m'est apparu nécessaire de renforcer l'administration centrale du ministère.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ses effectifs seront accrus de 40 postes budgétaires. Cet effort portera en priorité, en 2003, sur la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, dont la capacité de gestion doit être renforcée de manière urgente.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Cette action de modernisation doit aboutir à une amélioration des conditions de déconcentration des responsabilités de gestion et d'exécution budgétaire au sein de chacune des administrations de la Chancellerie. Elle doit aussi permettre d'améliorer les outils d'évaluation de l'action entreprise.
Une meilleure organisation du travail des juridictions et des services extérieurs de la Chancellerie passe en effet par le suivi plus étroit de l'adéquation des moyens aux objectifs. Dans ce cadre, le recours à des contrats d'objectifs passés avec les autorités gestionnaires sera systématiquement développé.
Je compte aussi utiliser la possibilité qui sera ouverte par le projet de loi constitutionnelle afin d'expérimenter - j'y reviendrai dans un instant - des réformes portant notamment sur les structures des services relevant de la Chancellerie.
Je viens de réunir les chefs de cour et les directeurs régionaux de la justice pour engager une démarche sur la modernisation, l'organisation et les modes d'action de la Chancellerie.
Telles sont les quelques observations que je souhaitais vous présenter avant de répondre aux questions posées par le rapporteur spécial.
Tout d'abord, monsieur Haenel, je tiens à saluer le travail extrêmement précieux d'inspection et de contrôle des services que vous avez réalisé dans le département du Haut-Rhin. Il est indéniable qu'une réponse circonstanciée aurait dû vous être adressée : je m'engage à ce que vous la receviez avant la fin du mois.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Merci, monsieur le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Sur le fond, grâce à l'éclairage que vous nous avez apporté, des mesures ont déjà été prises pour remédier à un certain nombre de dysfonctionnements, notamment en ce qui concerne les relations entre les magistrats et les services de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, en vue d'une meilleure articulation avec les juridictions.
Des difficultés affectant cette articulation m'ont d'ailleurs été signalées lors des visites de terrain que j'ai effectuées ces dernières semaines. Dans les cours d'appel et les tribunaux de grande instance que j'ai visités, plusieurs magistrats ont, en particulier, souligné la nécessité d'améliorer leurs relations avec les services de la PJJ. Cela passe par une amélioration substantielle de l'organisation de la protection judiciaire de la jeunesse et une mobilisation de ses moyens.
S'agissant de la situation du centre de placement immédiat de Mulhouse, monsieur Haenel, je suis en mesure de vous dire qu'une inspection a permis de modifier le fonctionnement de ce centre, à partir des constatations que vous aviez effectuées.
Vous m'avez interrogé sur les contrats d'objectifs. Au cours des toutes dernières semaines, j'ai signé un contrat, d'une part, avec la cour d'appel de Douai et, d'autre part, avec la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Ainsi que je l'ai souligné devant votre commission des lois, il s'agit, compte tenu des dysfonctionnements que nous constatons et de l'analyse que nous en faisons avec les décideurs locaux, d'affecter les moyens propres à corriger la situation, avant de procéder, année après année, à l'évaluation du résultat concret obtenu au regard d'un certain nombre de critères objectifs définis d'un commun accord.
C'est de cette manière que nous pourrons valoriser les efforts que le Parlement a consentis pour l'administration de la justice, c'est-à-dire concrétiser les mesures positives que prévoit la loi d'orientation et de programmation. J'ai donc l'intention, monsieur le rapporteur spécial, d'utiliser cette technique de contrat d'une manière systématique et de la généraliser progressivement à l'ensemble du territoire...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... pour que nous mettions fin à une situation absurde qui consiste, pour les uns, à toujours demander plus et, pour le Gouvernement, à toujours expliquer qu'il a fait ce qu'il avait à faire. Nous ne mettrons un terme à ce discours un peu limité, pour ne pas dire davantage, que par une analyse commune entre décideurs locaux et nationaux, qui permet de partager un constat, de définir ensemble des objectifs et ensuite d'évaluer l'efficacité des moyens qui auront été attribués. Mais cela suppose aussi qu'à l'intérieur des juridictions il y ait une vision courageuse...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... des efforts consentis par les uns et les autres ou, pour être plus précis, de ceux qui ne sont pas peut-être pas faits par les uns et les autres.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Si nous ne faisons pas cette démarche, nous n'améliorerons pas de manière significative le fonctionnement de la justice. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
La deuxième question que vous m'avez posée porte sur la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Cette question n'est pas simple.
M. Pierre Fauchon. Rien n'est simple, monsieur le ministre !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Rien n'est simple, en effet, monsieur le sénateur. L'essentiel, lorsque l'on souhaite simplifier, est que l'on simplifie effectivement, et c'est sans doute ce que nous avons commencé de faire.
Le ministère de la justice a constitué un certain nombre de groupes de travail pour préparer les échéances prévues par cette loi organique. Depuis le début de 2002, ces groupes de travail fonctionnent aux différents niveaux, pour étudier les effets de la loi organique pour notre ministère et, en particulier, pour définir les évolutions de fond et de méthode qui sont à prévoir.
Par ailleurs, chaque mois, nous réalisons une réunion intersectorielle d'une journée sur un site régional afin d'analyser la situation et de sensibiliser l'ensemble des responsables locaux. Pour répondre précisément à votre question, je pense que la définition de l'indicateur de résultat et du mode de pilotage central et local sera prête au printemps prochain, pour nous permettre de préparer les éléments budgétaires de 2004. C'est l'objectif que nous nous sommes fixés.
Sur la troisième question concernant les expérimentations, je rappelle que, dans le projet de loi constitutionnelle, deux dispositifs sont prévus : l'un concerne l'expérimentation pour l'Etat lui-même, l'autre, à l'article 72, prévoit une possibilité d'expérimentation avec les collectivités territoriales.
Je formulerai tout d'abord une observation générale : ce second type d'expérimentation, qui vise à tester des dispositifs de décentralisation supplémentaires, présente, a priori , un intérêt limité pour le ministère de la justice dans la mesure où ce dernier intervient dans un domaine régalien par excellence. Il est donc peu probable - c'est le moins que l'on puisse dire - que le ministère de la justice soit substantiellement concerné par des transferts de compétences en direction des collectivités territoriales. S'agissant du premier dispositif, je ne vois rien, aujourd'hui, qui puisse justifier une expérimentation ; mais nous allons réfléchir dans les prochains mois à d'éventuelles améliorations de la procédure civile qui, je vous le rappelle, est du domaine réglementaire. Peut-être pourrons-nous alors arrêter des thèmes d'expérimentation.
S'agissant du second dispositif, ce n'est qu'après avoir établi, comme je le souhaite, avec les présidents de conseils généraux, un inventaire aussi objectif que possible, de la façon dont se répartissent, dans les faits et non pas dans le droit, les compétences entre la protection judiciaire de la jeunesse et l'aide sociale à l'enfance que nous pourrons tester dans un ou deux départements des définitions de frontières diversifiées en vue d'améliorer notre dispositif. Une telle expérimentation, de toute façon, ne peut avoir de sens qu'au terme d'une analyse de la situation réelle dans nos différents départements. En effet, plus je me rends sur le terrain et plus je m'aperçois que, d'un département à l'autre, les répartitions de responsabilités sont extraordinairement différentes...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Oui !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... avec souvent une prise en charge assez large des conseils généraux par rapport à ce que prévoient les lois de décentralisation.
Enfin, le dernier sujet que vous avez évoqué est celui du rôle du ministère de la justice dans la confection du droit dans notre pays.
Depuis une vingtaine d'années, beaucoup de ministères techniques, qu'il s'agisse du ministère de l'économie et des finances ou de ministères à caractère social, se sont dotés de capacités accrues en termes de service législatifs et de conseils juridiques, ce qui a pu entraîner un certain foisonnement de l'activité législative au sein du Gouvernement. Je pense qu'il faut être attentif à la qualité du travail législatif, qui implique probablement une meilleure coordination des uns et des autres. Dans cette perspective, je souhaite effectivement, et cela apparaît dans le budget pour 2003, renforcer les capacités de travail de la Chancellerie. C'est ainsi qu'au sein de la direction des affaires civiles et du sceau il nous faut avoir une capacité de réflexion, d'action et donc de rédaction suffisante pour être des interlocuteurs crédibles auprès des autres départements ministériels et pouvoir éventuellement prendre des initiatives qui, sinon, sont assumées par d'autres directions au sein des différents ministères, avec parfois des risques d'incohérence législative.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Tout à fait !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au nouveau directeur des affaires civiles de faire un effort considérable.
Deux exemples récents peuvent illustrer mon propos.
Le premier - il est assez évident et n'a jamais été contesté - est le rôle que la Chancellerie a joué dans la réforme constitutionnelle qui, sur le fond, ne relevait pas du domaine de la justice. Comme vous l'avez observé, c'est le ministère de la justice qui a été en charge du projet ; j'ai moi-même porté le texte devant le Parlement, ce que je continue de faire.
Le second exemple est important. Le Parlement sera saisi dans les prochaines semaines d'un projet de loi sur ce qu'il est convenu d'appeler la sécurité financière.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ce texte comporte plusieurs parties, dont l'une sera défendue par M. Francis Mer et l'autre par moi-même, conformément à la répartition des compétences.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. A titre anecdotique, je puis vous indiquer que, récemment - cela m'a été rapporté -, lors de l'arrivée de représentants du ministère de la justice à une réunion interministérielle à Bercy, une réflexion a été faite par l'un des participants : « Tiens, la Chancellerie ! On n'avait pas vu ses représentants depuis dix ans ! » J'ignore quel est le sens profond de cette remarque. Toujours est-il que je souhaite effectivement que la Chancellerie puisse jouer le rôle qui lui a été dévolu dans l'organisation gouvernementale.
Cela suppose que nous ayons les personnes compétentes pour faire ce travail. Or j'observe que sur les domaines couverts par Bercy je dispose en tout et pour tout de deux personnes à la direction des affaires civiles. Il faut bien comprendre que la situation devient tragiquement difficile.
Pour que la Chancellerie puisse jouer son rôle, cela suppose que les postes offerts soient suffisamment attractifs pour que des magistrats de grande qualité acceptent de venir y travailler et que les autorités de nomination des magistrats en tiennent compte avant, pendant et après leur passage au ministère de la justice. Je souhaite donc, en particulier, que le Conseil supérieur de la magistrature prenne en considération l'intérêt pour des magistrats de contribuer pendant quelques années à l'oeuvre législative de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, rapporteur pour avis.
M. Christian Cointat, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les services généraux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de la justice est en forte progression. Il traduit la détermination du Gouvernement de concrétiser les annonces faites aux Français et de moderniser le système judiciaire. Il exprime un signal fort. Il est le fruit d'une démarche globale et ambitieuse pour que la justice puisse relever les défis auxquels elle est confrontée. Monsieur le garde des sceaux, nous nous en réjouissons.
Ce budget représente la première étape de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Le chantier engagé est vaste et les réformes à réaliser nombreuses, mais ô combien nécessaires.
Vous prévoyez, monsieur le garde des sceaux, par le biais d'importantes créations d'emploi, par un effort substantiel en équipement, par une meilleure gestion et consommation des crédits, par une organisation plus adaptée et plus moderne, d'atteindre des objectifs particulièrement ambitieux.
Vous voulez notamment améliorer l'efficacité de la justice et la rapprocher du citoyen, renforcer le taux d'exécution des décisions pénales, traiter avec plus de succès la délinquance des mineurs, ouvrir plus largement l'accès au droit et donner plus de possibilités pour les victimes, remédier pas à pas mais avec détermination, en vous en donnant réellement les moyens, à l'encombrement dont souffrent les juridictions, motiver davantage les personnels et procéder à des avancées statutaires significatives mettre au point une justice de proximité, etc. La liste pourrait être bien plus longue, mais j'en resterai là, car ce sont les éléments essentiels.
Ces quelques grands chapitres et lignes d'actions démontrent que ce budget est fondé sur le réalisme et le pragmatisme. Il résulte également d'une vision à long terme assortie d'un souci de transparence.
Mais, monsieur le garde des sceaux, si un projet de budget est la traduction d'une politique - et celle qui est exprimée ici nous convient -, encore faudrait-il qu'elle soit pleinement exécutée. Je ne doute pas de votre détermination sur ce point, néanmoins, vous n'êtes pas seul à devoir agir.
Aurez-vous, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, les moyens de mobiliser les énergies et de susciter les enthousiasmes ? Pouvez-vous compter sur la compréhension pratique et le concours actif, en d'autres termes, sur le soutien sans entrave des différents services, notamment de ceux du ministère des finances ?
Vous venez de nous confirmer votre volonté d'agir, monsieur le garde des sceaux, mais serez-vous, en la matière, suivi par Bercy ?
M. Jacques Mahéas. Non !
M. Christian Cointat, rapporteur pour avis. Pourrez-vous éviter les gels intempestifs de crédits ? Nous l'espérons, mais nous n'en sommes pas sûrs.
La deuxième question que je souhaite vous poser porte sur les recrutements qui, pour pouvoir effectifs, supposent qu'au préalable soit dispensée une formation appropriée. Les écoles, - l'Ecole nationale de la magistrature et l'Ecole nationale des greffes - sauront-elles mobiliser les ressources et les équipements nécessaires à la couverture de ces importants besoins ?
Envisagez-vous également de recourir au dispositif en vigueur permettant de diversifier le recrutement des magistrats ? Vous sera-t-il possible de poursuivre ce mouvement, voire de l'amplifier ? Il me paraît, en effet, important de donner une nouvelle respiration au corps de la magistrature.
En outre, les postes ouverts par la voie de l'intégration directe ne semblent pas être tous pourvus. Le confirmez-vous et, si oui, pour quelles raisons ? Ne pensez-vous pas qu'il s'agit plus d'un problème de filière de formation que de niveau de formation, les membres des jury, eux-mêmes magistrats de formation, ayant tendance à ne pas retenir les candidats présentant un profil différent ?
Il serait également utile de nous apporter quelques précisions, monsieur le garde des sceaux, au sujet de l'aide juridictionnelle. En effet, nous avons pu constater - cela est d'ailleurs étonnant - qu'aucune provision n'était inscrite dans le projet de budget pour 2003 en vue de réformer le dispositif, hormis certaines mesures destinées à faire face à l'élargissement du champ d'application de celui-ci.
Par conséquent, jugez-vous cette réforme toujours indispensable et que pensez-vous des orientations préconisées par le rapport Bouchet ? Comment envisagez-vous, précisément, l'articulation entre l'aide juridictionnelle proprement dite et l'assurance de protection juridique ? Quel est l'état d'avancement des pourparlers avec les avocats à propos de la revalorisation des barèmes et de l'unité de valeur ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très Bien !
M. Christian Cointat, rapporteur pour avis. Le dernier point de mon intervention portera sur l'échevinage.
La mission d'information du Sénat sur l'évolution des métiers de la justice a préconisé l'association des citoyens au jugement. Le recours à des non-professionnels, assesseurs des tribunaux pour enfants, par exemple, existe déjà. Seriez-vous favorable à la généralisation de ce principe, et dans quelles juridictions ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans les tribunaux de commerce, ce ne sont pas des citoyens ?
M. Christian Cointat, rapporteur pour avis. Je n'ai cité qu'un exemple.
L'idée de recourir à des assesseurs non professionnels, dans certaines juridictions et à titre expérimental, en utilisant également dans ce domaine le cadre prévu par le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République puisque vous envisagez de recourir à ce type d'expérimentation vous paraît-elle bonne ? Quel pourrait être, selon vous, monsieur le garde des sceaux, le mode de désignation des échevins le plus approprié ?
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, je pourrais poser bien d'autres questions sur la collégialité - par exemple - mais je m'en tiendrai là.
Quoi qu'il en soit, ce projet de budget ouvre clairement la voie à une justice plus adaptée aux besoins des citoyens, plus proche de leurs préoccupations, mais également plus conforme aux attentes de ses différents acteurs, et donc plus efficace. Pour toutes ces raisons, la commission des lois est favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily, rapporteur pour avis.
M. Georges Othily, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l'administration pénitentiaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2003 qui est soumis au Sénat fixe à 5,037 milliards d'euros le budget du ministère de la justice, ce qui représente une hausse de 7,43 % par rapport à la loi de finances initiale de 2002.
Si le budget de la justice a déjà connu une hausse appréciable au cours des dernières années, le présent projet de loi de finances, qui s'incrit dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, marque un effort sans précédent.
Au sein des crédits du ministère de la justice, 1,5 milliard d'euros, soit 29,6 % des crédits, sera consacré à l'administration pénitentiaire.
Ce projet de budget est bon. Il mérite d'être approuvé, non seulement en raison de l'ampleur des moyens consacrés à l'administration pénitentiaire, mais également parce qu'il s'inscrit dans une perspective pluriannuelle.
En 2002, la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France avait souhaité l'élaboration d'une loi de programme pour l'administration pénitentiaire. La loi d'orientation et de programmation pour la justice a, me semble-t-il, répondu à cette attente. Elle définit en effet des orientations ambitieuses pour l'administration pénitentiaire et lui attribue des moyens importants. La loi d'orientation et de programmation prévoit ainsi une augmentation de la capacité des établissements pénitentiaires, la généralisation du placement sous surveillance électronique ou l'amélioration de l'accès des détenus aux soins médicaux et psychologiques.
Elle prévoit également l'élaboration d'une loi d'orientation pénitentiaire, qui portera, notamment, sur le sens de la peine et la définition des missions de l'administration pénitentiaire. Il faut espérer que cette loi verra le jour, contrairement à ce qui s'est passé au cours de la législature précédente.
Sur les 3 740 emplois devant être créés dans l'administration pénitentiaire au cours des cinq années à venir, 870 le seront dès 2003.
Les moyens consacrés à l'administration pénitentiaire sont donc importants.
Celle-ci connaît pourtant une situation difficile. Le nombre de détenus a considérablement augmenté au cours de l'année écoulée : alors qu'il était de 47 800 en janvier 2001, il est passé à 48 600 en janvier 2002, puis à 56 400 le 1er juillet dernier. A cette date, le taux d'occupation des prisons était de 119 %, mais de plus de 200 % dans certaines maisons d'arrêt.
Cette situation est préoccupante pour la sécurité des établissements et des personnels. Elle est préoccupante, car elle favorise les agressions entre détenus, voire les suicides. Elle est préoccupante car il est bien évident dans ces conditions que l'administration pénitentiaire ne peut assumer sa mission de réinsertion.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez annoncé le lancement d'un programme de construction d'établissements et vous avez bien fait, quoi qu'en disent certains, selon lesquels l'augmentation des capacités conduit toujours à l'accroissement des incarcérations. Je ne sais pas si cette règle est vraie, mais nous constatons aujourd'hui que l'insuffisance des capacités n'empêche pas l'accroissement des incarcérations. Le plan de construction d'établissements, qui avait été demandé par la commission d'enquête du Sénat, permettra d'améliorer les conditions de détention comme les conditions de travail des personnels.
Toutefois, dans l'attente de cette extension des capacités du parc pénitentiaire, comment comptez-vous faire face à la surpopulation carcérale actuelle ?
Je souhaite dire quelques mots des détenus souffrant de troubles psychiques. La situation dans les prisons est préoccupante, puisque 55 % des personnes entrant en prison présentent des troubles de santé mentale. La commission d'enquête du Sénat sur les prisons avait déjà attiré l'attention sur ce phénomène inquiétant. Je tiens à saluer la détermination du Gouvernement à améliorer la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques en créant des unités d'hospitalisation sécurisées de psychiatrie.
Monsieur le garde des sceaux, quel est le calendrier prévisionnel de mise en place de ces unités ? Quelles autres actions envisagez-vous de mener pour faire face à un problème qui déroute les personnels pénitentiaires, comme je le constate à chacune de mes visites dans les établissements ?
J'en viens aux personnels. La mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation va conduire à recruter un grand nombre de surveillants pénitentiaires au cours des prochaines années. Il semble que, dans les années récentes, le nombre de candidats aux concours ait diminué.
J'ai visité voilà quelques jours le centre pénitentiaire de Moulins, qui accueille une population carcérale difficile. Monsieur le garde des sceaux, quel que soit le corps, il n'y a guère de candidats pour exercer à Moulins.
Il nous faudra bien pourtant trouver les moyens d'attirer des jeunes vers l'administration pénitentiaire et d'inciter les personnels à exercer leurs fonctions dans les établissements difficiles de cette administration.
Comment comptez-vous répondre à ce qu'on appelle parfois « la crise des vocations » ? Le renforcement de l'attractivité de l'administration pénitentiaire ne passe-t-il pas par un réexamen des missions et du fonctionnement de cette administration autant que par une revalorisation des statuts ?
J'évoquerai maintenant en quelques mots une réforme chère au Sénat : le placement sous surveillance électronique.
Après bien des hésitations, bien des atermoiements, il semble que l'on s'achemine enfin vers une utilisation à grande échelle de cette alternative à l'incarcération. L'expérimentation, qui a débuté en novembre 2000, a été étendue en 2001 puis à nouveau en 2002. La loi d'orientation et de programmation pour la justice a prévu la généralisation du dispositif au cours des cinq années qui viennent. Ainsi, à terme, 3 000 bracelets électroniques pourraient être posés simultanément.
Nous devrons poursuivre la recherche d'alternatives à l'incarcération pour certaines courtes peines. Nombre d'entre elles ne sont en réalité jamais mises en oeuvre. Notre panel de sanctions demeure insuffisant.
Je souhaite également dire quelques mots sur la détention des mineurs. Les membres de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs ont constaté que la détention des mineurs était peu éducative, ces derniers restant parfois en cellule l'essentiel de la journée à regarder la télévision. Ils ont donc préconisé la création d'établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs permettant de les occuper constamment à des activités scolaires, culturelles et sportives. Ils ont également souhaité que ces établissements connaissent une mixité entre administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse.
Vous avez décidé, monsieur le garde des sceaux, de créer de tels établissements spécialisés. Nous espérons qu'ils permettront de faciliter la réinsertion des mineurs.
Pour que cette réforme réussisse, ne renoncez pas à faire entrer la protection judiciaire de la jeunesse dans les prisons, même si vous rencontrez des résistances. La continuité du suivi éducatif d'un mineur est la clé de sa réinsertion.
Au moment de conclure, je crois pouvoir dire que les orientations que nous propose le Gouvernement pour l'administration pénitentiaire sont bonnes, même si cette administration connaît une situation difficile. L'effort qui est fait en sa faveur ne devra pas être relâché au cours des années à venir. Le Sénat, soyez-en persuadé, y veillera.
Mes chers collègues, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice consacrés à l'administration pénitentiaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis.
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne ferai pas durer le suspens, la commission des lois, contrairement à l'année précédente, a donné un avis très favorable sur le budget de la protection judiciaire de la jeunesse.
M. Pierre Fauchon. Pas possible ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis. Cet avis résulte de trois éléments. La commission des lois a, tout d'abord, constaté un réel effort financier, avec une augmentation de 4,81 % du budget par rapport à l'année précédente. Elle a également constaté la prise en compte des conclusions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, présidée par notre estimé collègue Jean-Pierre Schosteck, et dont Jean-Claude Carle était rappporteur. La commission a constaté, enfin, le respect de la loi d'orientation et de programmation pour la justice promulguée le 9 septembre 2002.
Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse enregistre une augmentation importante des moyens d'investissement, la création de 314 emplois et, naturellement aussi, l'amélioration de la politique partenariale de la protection judiciaire de la jeunesse.
Sans aller plus loin dans l'analyse du projet de budget
- je vous renvoie à mon rapport écrit, mes chers collègues -, je formulerai quelques interrogations.
La première réside dans la façon dont les crédits seront utilisés.
Il faut que les crédits confiés au service de la protection judiciaire de la jeunesse soient effectivement utilisés et non pas reportés, comme c'était la tendance dans les années précédentes. Ainsi, les engagements du Gouvernement et du garde des sceaux prendront tout leur sens.
Ensuite, le programme d'ouverture des centres éducatifs renforcés, à l'heure actuelle à 50 % de sa réalisation, sera-t-il respecté ? Enfin, nous pouvons également nous interroger sur le programme de réalisation des quartiers pour mineurs, complétant ainsi les questions posées tout à l'heure par mon collègue M. George Othily.
Ma deuxième interrogation concerne les personnels.
Un effort très important a été fait dans le projet de budget, avec la création de 314 emplois - je l'ai dit tout à l'heure - une diversification des modes de recrutement et la création de nouveaux concours.
Néanmoins, un certain nombre de question se posent : y aura-t-il suffisamment de candidats pour que les 314 postes soient pourvus ? N'est-il pas d'ores et déjà nécessaire de faire de la publicité pour susciter des vocations dans la protection judiciaire de la jeunesse ?
Ma troisième interrogation porte sur l'avenir de la profession.
Chacun sait que c'est une profession difficile qui mérite l'estime de tous mais qui est mal reconnue. Bien entendu, vous avez procédé à un certain nombre d'améliorations, notamment pour les catégories C, qui pourront dans certains cas accéder aux catégories B, ainsi que pour les directeurs qui bénéficieront d'une revalorisation.
Mais je m'interroge sur la nécessité de procéder à une véritable révision du statut des personnels de la PJJ. On assiste, en effet, à une dégradation de leur situation, non pas en valeur absolue, mais par rapport aux catégories voisines : la profession d'instituteur a été considérablement revalorisée avec la création du statut de maître des écoles ; de même, des professions de grade similaire aux éducateurs de la PJJ, comme les infirmiers et les infirmières ou officiers de police, ont vu leur carrière considérablement revalorisée. Il est donc souhaitable de mieux prendre en compte les mérites de ces professionnels.
Je m'interroge aussi sur les conséquences de la disparition des emplois-jeunes pour les associations qui collaborent au travail de la PJJ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis. ... et sur la généralisation des 35 heures, qui n'est pas conséquences sur un métier où il est difficile de parler en termes d'horaires compte tenu de la nécessaire disponibilité des éducateurs.
Le quatrième groupe de questions concerne la place de la PJJ par rapport aux autres institutions et à l'égard des partenariats nécessaires.
Il a été mentionné que le partenariat avec l'éducation nationale s'est considérablement renforcé. Il est vrai qu'il était trop faible dans le passé. On ne peut que progresser dans ce domaine. Il faut continuer d'améliorer les choses, mais il faut aller plus loin : il faut également penser aux partenariats avec la santé publique, avec les milieux professionnels et notamment, pour assurer une meilleure intégration professionnelle des jeunes placés dans nos différents centres.
En conclusion, je dirai simplement que nous avons cette année un bon budget et qu'il faut aller peut-être encore plus loin, comme le soulignait le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs. La voie est tracée, et c'est dans cette direction qu'il faut poursuivre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Fauchon. Mais la pente est rude ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je voudrais répondre aux questions qui ont été soulevées par les trois rapporteurs pour avis.
Tout d'abord, s'agissant des créations d'emplois, M. Cointat s'est interrogé sur la capacité à réaliser les objectifs.
En 2003, 340 magistrats supplémentaires devraient rejoindre les juridictions, ce qui est supérieur au nombre d'emplois créés, et ce grâce à l'arrivée des lauréats du concours de l'Ecole nationale de la magistrature, grâce aux intégrations directes et au concours spécial.
Notre objectif est de mettre en place, en 2004, 426 magistrats supplémentaires dans les juridictions, ce qui devrait évidemment apporter des résultats importants. En outre, 800 fonctionnaires supplémentaires entreront en fonction en 2003.
Nous allons réaliser, en particulier à l'Ecole nationale des greffes, un certain nombre d'investissements spécifiques afin d'augmenter la capacité d'accueil des élèves, comme nous l'avions fait en faveur de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire d'Agen.
Sur l'aide juridictionnelle, plusieurs questions m'ont été posées par MM. Cointat, Othily et Gélard.
Dans ce domaine, nous devons laisser de côté les perspectives de modification de l'esprit du texte qui avait été envisagées par le précédent gouvernement. Aujourd'hui, nous souhaitons, en concertation étroite avec la profession - un groupe de travail se réunit aujourd'hui même à la Chancellerie avec les avocats -, faire en sorte que l'unité de valeur de la rémunération de l'aide juridictionnelle soit revalorisée. Il s'agit, au fond, de savoir quelle doit être la part prise par l'Etat, d'un côté, et par la profession, de l'autre, afin d'assurer l'accès au droit de tout un chacun. Je pense que la part prise par l'Etat doit augmenter.
Nous voulons par ailleurs, comme vous l'avez suggéré, monsieur Cointat, développer l'assurance de protection juridique dans notre pays, en mettant en place, au-delà du niveau classique de l'aide juridictionnelle, un dispositif complémentaire qui permette, malgré la diversité des intervenants, de garantir la liberté de l'avocat grâce à une prise en charge mutualisée.
En ce qui concerne l'expérimentation et l'échevinage, vous avez cité un certain nombre d'exemples qui fonctionnent bien monsieur Cointat. Je ne suis pas du tout hostile à l'idée de voir des personnalités de la société civile apporter leur concours à la fonction de justice.
Vous avez cité, en particulier, les tribunaux pour enfants, qui constituent un bon exemple de l'association de personnalités de la société civile. Nous verrons si d'autres formules sont envisageables.
Dans un esprit voisin, bien qu'il ne s'agisse pas d'échevinage, l'expérience de la justice de proximité qui, j'espère, sera autorisée par le Parlement, va dans le même sens, avec l'arrivée dans le système judiciaire de personnalités ayant des expériences diversifiées et pouvant ainsi apporter leur concours à la fonction de justice. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans quelque temps, à l'occasion du débat sur le statut de ces juges de proximité.
M. Othily m'a interrogé sur la question pénitentiaire.
La population carcérale a fortement augmenté à partir de la fin de l'année 2001 jusqu'aux mois de juillet et août. Les effets de l'amnistie se sont ensuite fait sentir, mais nous connaissons de nouveau une augmentation de la population carcérale dans une proportion voisine de celle que le précédent gouvernement avait connue au début de l'année 2002.
Cet élément objectif nous contraint à réagir. C'est une des raisons pour lesquelles il me paraît parfaitement justifié de mettre en route le plus rapidement possible le plan « prisons » que Pierre Bédier et moi-même avons rendu public. Ce plan permettra la construction de 28 prisons dans les cinq prochaines années et donc une capacité totale théorique de l'ordre de 60 000 places. Cet objectif semble raisonnable.
Nous visons une diversification qualitative et nous ferons un effort spécial pour assurer l'accueil des jeunes mineurs dans de meilleures conditions. Nous avons en effet prévu, dans les cinq prochaines années, 400 places supplémentaires pour les mineurs dans des établissements spécialisés.
S'agissant du recrutement des surveillants, c'est un véritable enjeu puisque nous devons, compte tenu des départs à la retraite et des créations de postes prévues, recruter 10 000 surveillants pénitentiaires dans les cinq prochaines années. C'est la raison pour laquelle nous avons engagé un énorme travail à la fois d'information et de revalorisation de l'image de ce métier. Nous avons également voulu améliorer les capacités d'accueil de cette superbe école d'Agen que certains d'entre vous connaissent et qui est un outil de grande qualité pour la formation des jeunes surveillants.
Nous avons aussi voulu améliorer la qualité de leur formation et organiser de véritables stages dans les établissements pour les préparer aux gestes professionnels qu'ils auront à accomplir dans l'exercice de leurs missions.
La campagne de communication a été, semble-t-il, très efficace puisque nous avons été l'objet de 30 000 demandes de renseignements sur ces métiers et que 20 800 dossiers de candidature au concours ont été retirés au cours de ces dernières semaines, soit un doublement des demandes de dossier. D'ici à la fin de l'année 2003, nous devons recruter 2 500 surveillants. J'espère que nous aurons des retombées positives de cet effort d'information.
Par ailleurs - et c'est un point important -, le nombre de départs en cours de scolarité diminue substantiellement : de 8 % à 3 %. Cela prouve la satisfaction des étudiants de cette école d'administration pénitentiaire.
S'agissant des unités hospitalières sécurisées psychiatriques, nous oeuvrons désormais avec le ministère de la santé pour mettre en place le dispositif que vous avez voté dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation. Cet élément est extrêmement important. J'ai discuté très longuement avec les médecins psychiatres de la prison des Baumettes, où je me suis rendu vendredi dernier. Ils y réalisent un travail tout à fait remarquable et intéressant. Il nous faut concentrer nos efforts dans le domaine de la psychiatrie, non seulement en développant les établissements spécialisés - je viens d'en parler -, mais aussi en assurant un suivi plus précis à l'intérieur des établissements pénitentiaires classiques. Il est vrai que de plus en plus de personnes, jeunes comme moins jeunes, connaissent des troubles psychiatriques avant même d'entrer dans nos établissements pénitentiaires. Nous devons donc travailler sur ce point.
Cette question m'amène à évoquer celle des suicides en prison.
Trois suicides sont survenus au cours de ces derniers jours. Cela nous interpelle nécessairement, même si le nombre total de suicides dans les prisons françaises n'est pas plus important qu'il y a une dizaine d'années. Pour autant, cette situation est difficile à accepter, même si, bien sûr, ce phénomène n'est pas propre au milieu carcéral.
M. Jean-François Mattei et moi-même comptons mettre en place un groupe de travail, présidé par un expert psychiatre volontaire, pour nous aider à mieux prévenir ce phénomène. Mais tous ceux d'entre nous qui ont été, dans le cadre de la « vie normale » - je veux dire en dehors du milieu carcéral -, confrontés à des phénomènes de suicides le savent bien, il est extrêmement difficile d'empêcher une personne qui a des tendances suicidaires de passer à l'acte. Malgré les apparences, c'est encore plus difficile en milieu carcéral. En effet, ce n'est pas parce que ce milieu est surveillé que, pour autant, ce type d'acte peut être prévenu à coup sûr. Il faut être très prudent dans les déclarations comme dans les analyses que l'on peut faire sur ce phénomène du suicide en milieu carcéral.
Le sujet nous préoccupe d'autant plus qu'il s'agit d'un échec humain majeur. Je souhaite par conséquent que nous fassions des progrès en matière de prévention, afin que nos prisons ne soient pas trop souvent un lieu où des jeunes, voire des moins jeunes, mettent fin à leurs jours.
S'agissant de la détention des mineurs, M. Othily a évoqué le rôle de la PJJ. Je souhaite que les services de la PJJ puissent intervenir en prison. Je ne comprends d'ailleurs pas le comportement d'un certain nombre d'organisations syndicales face à ce problème.
La question est de savoir comment suivre de manière continue, c'est-à-dire avant, pendant et après sa détention, un jeune qui, à un moment dans sa vie, est placé dans un établissement pénitentiaire. Si ce travail n'est pas effectué par le même service, il ne peut y avoir de suivi continu.
M. Jean-Pierre Schosteck. Exactement !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. L'objectif n'est bien évidemment pas de faire de la PJJ un service d'accompagnement de la détention dans notre pays. Je ne comprends pas moi-même ce type de débat idéologique. La question est de savoir comment donner à un jeune toutes les chances de s'en sortir.
M. Jean-Pierre Schosteck. Absolument !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Dans tous les pays d'Europe occidentale, ce suivi est assuré par le même service quel que soit l'endroit où le jeune est pris en charge, que ce soit en milieu ouvert, en centre éducatif renforcé ou fermé, ou en milieu pénitentiaire, ce qui n'enlève rien aux services pénitentiaires d'insertion et de probation, les SPIP, qui apportent bien sûr leur contribution en milieu carcéral.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Il y a encore des relents de mai 1968 !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Nous parviendrons à mettre ce suivi en place, il y va de l'intérêt de nos jeunes. Nous avons l'intention de le faire le plus rapidement possible dans un ou deux sites expérimentaux, dans une ou deux prisons dotées d'importants quartiers pour mineurs.
Je crois avoir répondu aux questions de M. Othily.
J'en viens à celles de M. Gélard. S'agissant de l'articulation entre les centres éducatifs fermés et les quartiers pour mineurs, je souligne qu'il s'agit bien de deux choses différentes. Nous souhaitons que les magistrats disposent le plus rapidement possible d'un réseau de centres éducatifs renforcés et de centres éducatifs fermés qui soient à la fois diversifiés et géographiquement bien répartis.
Je rappelle qu'aujourd'hui sont incarcérés dans les quartiers pour mineurs 750 mineurs contre 950 au début de l'été du fait de l'amnistie. Avec M. Pierre Bédier, nous souhaitons à la fin de la loi d'orientation et de programmation qu'environ 400 places soient disponibles dans des établissements spécialisés, conçus d'une manière plus éducative que les actuels quartiers pour mineurs.
Nous avons achevé le travail de réflexion sur le contenu éducatif des centres éducatifs fermés, qui auront pour vocation de permettre au jeune de reprendre un cursus scolaire, de recevoir un début de formation professionnelle et donc de bénéficier d'éléments de réinsertion. Dans les prochaines semaines, nous lancerons un certain nombre de sites expérimentaux, essentiellement sous gestion d'association agréée. Par ailleurs, nous préparons une vingtaine de sites, sous la responsabilité soit de la PJJ, soit d'associations agréées, pour le début de l'année 2003.
S'agissant des centres éducatifs renforcés, une centaine de ceux qui ont été prévus par le précédent gouvernement à la suite des initiatives prises voilà déjà quelques années par M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, seront mis en place au début de l'année 2003. Aujourd'hui, cinquante-sept centres de ce type sont ouverts, dix-sept projets sont validés et dix-huit projets sont en cours d'instruction. Ces projets, comme vous le constatez ne sont donc pas abandonnés.
S'agissant de la diversification des modes de recrutement dans l'administration de la justice, quels que soient les métiers exercés, vous avez eu raison d'attirer l'attention sur la difficulté particulière que nous rencontrons dans un certain nombre de centres en raison de la jeunesse, grande parfois, des éducateurs. S'il est bon d'avoir des jeunes au sein d'une équipe, cela peut poser des problèmes lorsqu'il n'y a que des jeunes, qui plus est d'un âge peu différent de celui des jeunes dont ils sont censés s'occuper.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. En tout cas, cela ne rend pas les choses faciles pour les jeunes éducateurs.
Nous devons faire un effort pour recruter, en cours de carrière, des personnes ayant déjà de l'expérience. Nous sommes en train d'étudier la façon d'adapter la réglementation des concours et la possibilité de procéder à plus de recrutements sur titres.
Il n'en demeure pas moins que la population disponible est relativement rare alors que les offres d'emplois, dans les secteurs tant social qu'éducatif, sont nombreuses, aussi bien dans les départements que dans l'administration d'Etat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Prenez des juges de proximité ! M. Dominique Perben, garde des sceaux. Nous devons faire un effort, en liaison avec les structures porteuses et organisatrices de formation, pour que soient formés à ces métiers un nombre plus important de personnes qu'aujourd'hui.
Nous avons là un vrai défi à relever. Nous avons besoin de travailleurs sociaux et éducatifs, qui ne sont pas nombreux. C'est l'une des difficultés à laquelle nous nous heurtons pour la réussite du programme qui vous est proposé. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous passons aux questions.
Je rappelle que chaque intervenant dispose d'une durée limitée à cinq minutes pour poser sa question, que le ministre dispose lui-même de trois minutes pour lui répondre et que l'orateur dispose enfin d'un droit de réplique de deux minutes au maximum.
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le garde des sceaux, bien que la formule des questions- réponses soit frustrante, je tiens tout de même à vous interroger à mon tour sur l'aide juridictionnelle, car la réponse que vous avez faite à M. le rapporteur spécial ne m'a pas donné satisfaction. A l'évidence, le problème de la pérennité de l'aide juridictionnelle reste posé puisqu'elle n'est pas assurée pour l'instant.
Mais je voudrais surtout vous interroger sur les dispositifs que vous mettez en place. Vous avez annoncé, devant la Convention nationale des avocats, qui s'est tenue à Nice le 10 octobre dernier - et vous l'avez confirmé dans cette enceinte -, que vous réfléchissiez au développement de l'assurance de protection juridique, qui viendrait compléter le système de l'aide juridictionnelle. Vous comprendrez que cela n'est pas pour nous rassurer.
En effet, l'aide juridictionnelle permet aux plus démunis de bénéficier gratuitement d'un avocat et à ceux qui disposent de peu de ressources, de ne payer qu'une partie des frais d'avocat.
En cela, l'aide juridictionnelle est une garantie - en principe - de l'égal accès à tous à la justice, et c'est pourquoi son mécanisme doit être préservé et amélioré. Or vous avez annoncé que vous abandonniez les travaux qui avaient été entrepris précédemment.
Le refus d'une justice à deux vitesses nous conduit à contester, pour notre part, le principe de l'assurance de protection juridique.
Si le système de l'aide juridictionnelle ne semble pas menacé pour les plus démunis par le dispositif que que vous prévoyez, ce qui est un moindre mal, il semble toutefois compromis concernant les catégories de la population qualifiées de « classes populaires », c'est-à-dire les personnes qui sont loin de bénéficier de hauts revenus. Car c'est bien cette catégorie qui est directement visée par le principe de l'assurance de protection juridique.
Or les catégories populaires ne peuvent être renvoyées à l'assurance juridique pour une raison simple : nombreuses sont déjà ces personnes qui s'acquittent peu, voire pas du tout, de leurs assurances habitation et automobile, alors que ces assurances sont obligatoires. Alors qu'est-ce qui les inciterait à payer une assurance de protection juridique, même si celle-ci était elle-même obligatoire ?
Par ailleurs, un autre obstacle vient s'ajouter à la mise en place de ce système privé d'assurance.
Vous savez que, pour le moment, les compagnies d'assurances se refusent à assurer tout ce qui dépend du pénal. Or les infractions pénales, dans leur grande majorité, sont des faits volontaires, et les compagnies d'assurances assurent non pas les actes volontaires, mais tout ce qui dépend de l'aléa.
Elles refusent d'assurer également tout ce qui dépend du droit de la famille, et ce pour les mêmes raisons. Or il est difficile de parler d'aléa en matière de divorce.
Pourtant, les affaires relevant du droit pénal et du droit de la famille représentent les deux tiers des demandes d'octroi de l'aide juridictionnelle.
Vous comprenez bien, monsieur le garde des sceaux, que votre volonté de mettre en oeuvre un système d'assurance de protection juridique risque de rencontrer quelques obstacles, dont le plus important, selon nous, est celui du principe.
Mais le plus grave, c'est que cette réforme, si réforme il doit y avoir, doit se faire en faveur des personnes en difficulté et non pas des avocats.
Chacun doit, dans notre pays, avoir accès de manière égale au droit et à la justice. Pourtant, cette réforme ne peut, à mes yeux, qu'entraîner des injustices.
Cela est d'autant plus vrai que vous proposez une réflexion sur ce sujet en organisant des tables rondes entre les assureurs, les services de la Chancellerie et les avocats. Mais vous oubliez les principaux intéressés par cette ambitieuse réforme : les personnes susceptibles de bénéficier de l'aide juridictionnelle, au travers, notamment, de leurs associations.
Une fois de plus, les décisions seront prises de manière unilatérales et sans concertation réelle avec les personnes intéressées en premier lieu.
C'est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, je souhaite connaître votre position exacte sur ce sujet délicat qu'est l'aide juridictionnelle.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je voudrais rassurer Mme Borvo sur les intentions du Gouvernement : il n'est pas question de réduire la population aujourd'hui couverte par l'aide juridictionnelle. Il s'agit de s'interroger sur le reste de la population.
S'agissant de l'aide juridictionnelle telle qu'elle est définie aujourd'hui, avec ses plafonds de ressources, nous souhaitons en améliorer le fonctionnement pour tous, bien sûr, et, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous voulons faire en sorte que la profession d'avocat porte une part plus faible de l'effort de solidarité qui lui est imposé. Si ce dernier pouvait se comprendre assez facilement dans une société différente de celle d'aujourd'hui, la solidarité doit être maintenant assumée, pour l'essentiel, par la collectivité publique. Sur ce point, nous pouvons, je crois, être tous d'accord.
Les pistes explorées sont celles d'un rééquilibrage du barème de la rétribution des avocats selon la grille proposée à la profession l'année dernière, d'une augmentation du montant de l'unité de valeur de référence, d'une suppression de la modulation du montant de l'unité de valeur par barreau, selon la charge en aide juridictionnelle par avocat, et d'une augmentation du montant de la rétribution pour les catégories de procédures qui n'avaient pas fait l'objet d'une revalorisation au cours de l'année 2001.
Dans le projet de loi de finances pour 2003, et conformément aux engagements que j'ai pris à l'occasion du débat sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice, uncertain nombre de moyens nouveaux au titre de l'aide juridictionnelle ont été dégagés pour favoriser l'aide aux victimes. Ainsi, au titre de l'assistance des victimes par un avocat dès le début de la procédure judiciaire, 7,5 millions d'euros supplémentaires ont été accordés et 6,6 millions d'euros sont consacrés à l'amélioration du dispositif actuel de l'aide judiciaire par l'augmentation des correctifs familiaux ou par la suppression de l'inscription des demandes d'aides juridictionnelles. C'est un point également important en termes de fonctionnement concret des choses.
S'agissant des interrogations qui sont les nôtres au sujet de l'assurance « responsabilité juridique », je souhaite faire en sorte que notre pays dispose d'un système d'assurance plus satisfaisant, à la fois pour les justiciables et pour les professionnels. Cela ne pourra se réaliser que par l'organisation d'une table ronde entre les avocats, les assureurs, le ministère de la justice et, éventuellement, celui de l'économie et des finances.
Peu de gens savent qu'ils bénéficient déjà d'une assurance « responsabilité juridique ».
M. Pierre Fauchon. Voilà !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ils ne la font donc pas jouer, et les garanties sont généralement de médiocre qualité.
Il faut par conséquent remettre le dispositif à plat et voir s'il pourrait être un complément utile de l'aide juridictionnelle. Là est le véritable enjeu. Les avocats doivent y réfléchir en raison de la modification progressive du mode d'exercice de leur profession que cela pourrait entraîner. Nous devons donc prendre le temps de la réflexion et de l'échange. Cette piste me paraît intéressante à explorer - cela a d'ailleurs été fait dans d'autres pays que le nôtre - en vue d'assurer un accès satisfaisant au droit pour toutes les couches de la population.
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, vous m'avez apporté effectivement quelques éclaircissements. Si j'entends bien vos propos, nous n'en sommes qu'au stade de la réflexion sur cette assurance « protection juridique ».
Certes nous bénéficions tous d'une assurance « responsabilité juridique » ; néanmoins, il semble que vous vous engagiez, en matière de protection juridique, dans une modification en profondeur que je ne peux m'empêcher de rapprocher des autres réformes. Ainsi, pour bénéficier d'une aide juridique, il faudra vraiment faire partie des plus démunis, de ceux qui touchent quasiment le RMI. Les autres devront prendre une assurance qui s'ajoutera aux assurances pour la retraite, la santé, etc. Franchement, ce n'est pas une bonne voie, et cela ne correspond en rien à l'idée que je me fais de la solidarité !
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Parmi les multiples enseignements à tirer des dernières échéances électorales, l'exigence de justice formulée par nos compatriotes est tout à fait essentielle.
Le besoin de sécurité est indissociable de l'efficacité de la justice, et c'est avec une immense satisfaction que j'ai constaté, monsieur le garde des sceaux, les efforts budgétaires particulièrement importants que vous consentez.
L'équation entre la hausse de la délinquence et la faiblesse du système judiciaire n'est plus à démontrer : partout où la faillite des instances de jugement et de sanction est avérée, c'est toute l'autorité républicaine qui vacille et la sécurité des Français qui est remise en question.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Exactement !
M. Christian Demuynck. Dans le département de la Seine-Saint-Denis notamment, les élus locaux ont pris la mesure de la dangereuse propagation d'un sentiment d'impunité chez les délinquants et, corrélativement, de la non moins dangereuse propagation d'un sentiment de perte de confiance des citoyens à l'égard de la justice de notre pays.
Nous attendions du projet de loi de finances pour 2003 qu'un signe fort soit donné de la volonté du Gouvernement de rompre avec cette dérive, ce que vous n'avez pas manqué de réaliser, monsieur le garde des sceaux, et je vous en remercie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez donc pas de question !
M. Christian Demuynck. Ne perdez pas patience, monsieur Dreyfus-Schmidt ! Je dispose de cinq minutes pour poser ma question ! Soyez donc attentif et calme ! (Sourires.)
Dans son excellent travail de synthèse que je tiens à saluer, M. le rapporteur spécial Hubert Haenel, note fort justement que, ces dernières années, l'affaiblissement de notre système judiciaire trouve l'une de ses sources dans l'absence d'une loi de programmation ambitieuse et cohérente.
La programmation quinquennale que vous avez su proposer, monsieur le garde des sceaux, comporte des mesures fortes et lisibles qui sont susceptibles de rassurer nos concitoyens sur l'avenir d'une justice à laquelle il est fondamental que chacun puisse croire et se référer.
Ainsi, la construction, la rénovation et la sécurisation des palais de justice, pour un montant de 257 millions d'euros en autorisations de programme, paraissent de nature à modifier le visage même de la justice et à empêcher, à l'avenir, les incidents inacceptables qui sont survenus voilà quelques jours au tribunal de grande instance de Bobigny.
Mais, en dépit des très nets progrès qu'entraînera ce projet de budget pour 2003, il me semble utile d'attirer votre attention sur l'écrasante surcharge de travail dont les magistrats de certaines zones urbaines sont l'objet et qui hypothèque fortement les capacités d'action de notre appareil judiciaire.
L'importance des vacances de postes de fonctionnaires dans les tribunaux de grande instance, d'une part, la complexité croissante des procédures administratives périphériques à l'activité des magistrats, d'autre part, posent le problème du soutien technique et humain apporté à ces personnels.
En conséquence ne serait-il pas souhaitable, monsieur le garde des sceaux, de doter les magistrats d'assistants chargés de les seconder dans l'ensemble des tâches administratives et de leur apporter l'aide législative nécessaire à l'organisation et à la rapidité de leur travail, sur le modèle de ce qui se fait dans les cours des comptes régionales ?
Ces assistants pourraient, notamment, être recrutés dans le corps préfectoral, ainsi qu'au sein de l'Inspection générale des impôts et de l'Inspection générale des douanes, ce afin que leurs cultures croisées puissent enrichir l'appareil judiciaire.
Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, de bien vouloir nous donner votre sentiment sur cette proposition.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ma réponse est : oui. La loi d'orientation et de programmation pour la justice prévoit la création de 950 postes de magistrats et de 3 500 postes de fonctionnaires dans les services judiciaires. Cela montre notre volonté d'accomplir un effort particulier, de façon que les magistrats puissent disposer de collaborateurs en nombre suffisant pour leur permettre d'organiser leur travail différemment.
Le métier de greffier doit évoluer, de sorte que des fonctionnaires qui bénéficient d'une bonne formation juridique puissent aider les magistrats en effectuant un travail de documentation, de préparation de rédaction des décisions, etc.
Vous avez également évoqué le problème des assistants spécialistes qui travaillent, en particulier, auprès des pôles financiers ou des pôles de santé. Je souhaite que les choses s'améliorent dans ce domaine, car les perspectives en ce qui concerne la disponibilité et l'expertise de haut niveau pour les magistrats ayant à traiter d'affaires très complexes, aussi bien dans le domaine économique et financier que dans celui de la santé, sont préoccupantes. Aujourd'hui, les évolutions technologiques sont telles qu'elles posent parfois aux magistrats des défis extraordinairement difficiles à relever.
Il nous faut donc améliorer la situation de ces experts mis à la disposition de la justice et réfléchir à la nature de leur travail, afin qu'ils y trouvent plus de satisfaction et d'intérêt.
J'aurai sûrement l'occasion de parler de nouveau de ce sujet devant le Parlement au cours des prochaines semaines. Nous devrons faire en sorte que nos structures d'instruction soient dotées de cette capacité technique absolument indispensable, qui sera encore plus nécessaire demain qu'aujourd'hui.
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse. Elle va tout à fait dans le sens que je souhaitais, puisqu'il s'agit de rendre la justice le mieux possible et le plus rapidement possible.
M. le président. La parole est à M. Georges Othilly.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous l'avons dit, le budget de la justice pour l'année 2003 est un bon budget. Il connaît une augmentation globale, mais très longtemps - beaucoup trop longtemps, nous semble-t-il - il a été le parent pauvre des lois des finances. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. C'est inexact ! Vous racontez n'importe quoi !
M. Georges Othily. Je souhaite, monsieur le garde des sceaux, attirer votre attention sur le retard pris et accumulé par la justice depuis des années en matière, d'une part, d'aide aux victimes et, d'autre part, de construction de bâtiments judiciaires.
En ce qui concerne l'aide aux victimes, votre projet de budget prévoit un effort financier tout particulier et sans précédent, dans le prolongement de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. A l'heure actuelle, cette aide juridictionnelle aux victimes est très largement le fait de l'action remarquable des réseaux associatifs, qui apportent soutien financier, expertise juridique, mais surtout aide psychologique. Quelles mesures concrètes entendez-vous prendre, monsieur le garde des sceaux, pour mettre un terme à une situation d'urgence qui ne peut plus être tolérée de nos jours dans un Etat de droit comme la France ?
Par ailleurs, le projet de budget de la justice prévoit plus de 17 millions d'euros de crédits supplémentaires au titre des crédits de fonctionnement des services judiciaires. On ne cesse d'évoquer la lenteur et l'engorgement de la justice. Mais, pour que celle-ci soit plus rapide, plus efficace, plus moderne, ne faut-il pas au préalable faire en sorte que les juridictions fonctionnent non seulement dans de bonnes conditions de travail pour les magistrats et l'ensemble du personnel judiciaire, mais également dans de bonnes conditions d'accueil et d'écoute de tous les justiciables ?
La mise en service de nouveaux bâtiments judiciaires constitue, bien souvent, la première des priorités. Il faut, à ce titre, comme l'a fait dans son rapport notre collègue Christian Cointat, saluer la création d'un secrétariat d'Etat spécialement dédié aux programmes immobiliers de la justice, qui démontre, sans aucun doute, une réelle volonté d'agir face à une situation d'extrême urgence. En effet, il ne peut y avoir de bonne et sereine justice sans des conditions pratiques dignes et fonctionnelles, à commencer par les bâtiments et les bureaux.
C'est précisément ce qui manque actuellement, en particulier dans deux juridictions qui me sont chères : celle de Guyane et celle d'Aix-en-Provence.
La juridiction d'Aix-en-Provence regroupe une cour d'appel, un tribunal de grande instance et trois tribunaux d'instance : Aix, Martigues et Salon. Cette juridiction, dont la tradition d'excellence et la grande compétence sont reconnues et maintes fois saluées dans le monde judiciaire, connaît une situation immobilière inacceptable et préoccupante. Elle ne dispose pas de conditions satisfaisantes pour remplir sa mission.
Actuellement, la cour d'appel d'Aix-en-Provence est scindée en trois bâtiments, dont deux sont beaucoup trop vétustes et ne suffisent pas à abriter quelque 125 magistrats et 236 fonctionnaires. Un quatrième site, qui est sur le point de voir le jour, devrait regrouper les effectifs supplémentaires attendus. Le tribunal de grande instance est situé dans des locaux à la fois exigus et non fonctionnels ; cette situation ne peut se prolonger et, aujourd'hui, son déménagement s'impose.
Cet état de fait, qui est extrêmement préoccupant et, on le voit bien, fort préjudiciable au bon fonctionnement de l'administration judiciaire, ne vous est ni étranger ni indifférent, monsieur le garde des secaux, puisque vos services ont diligenté, sous votre autorité, une étude. Aussi, où en sommes-nous aujourd'hui ? Quand les conclusions de cette étude seront-elles rendues publiques ? D'ores et déjà, un calendrier des grands chantiers à mettre en oeuvre, avec leurs coûts, peut-il être envisagé ?
S'agissant de la juridiction de Guyane, il avait été demandé, au titre d'une réforme de la carte judiciaire, qu'un tribunal d'instance soit installé à Saint-Laurent-du-Maroni. Le tribunal de Cayenne est dans un état lamentable, même si quelques coups de peinture ont été donnés ces derniers jours.
Je vous demande donc, monsieur le garde des sceaux, de bien vouloir apporter des réponses précises aux magistrats d'Aix-en-Provence et de Guyane.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. En fait, vous posez deux questions, monsieur le sénateur.
S'agissant de l'aide aux victimes, je rappelle que, dans le prolongement de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, il a été prévu d'informer les victimes qu'elles pouvaient être aidées d'un avocat dès le dépôt de la plainte. Il a également été décidé d'accorder l'aide juridictionnelle sans condition de ressources pour les victimes des crimes les plus graves. Le renforcement des réseaux associatifs constitue une troisième mesure importante : des moyens ont été dégagés dès 2003 afin de les aider davantage. Ont également été prévues l'extension du numéro national d'appel et l'amélioration de l'aide juridictionnelle, notamment par la hausse des correctifs familiaux, qui constituaient une réelle difficulté, en particulier pour les jeunes victimes.
Par ailleurs, j'ai engagé un travail d'écoute et de dialogue systématique avec toutes les associations de victimes. Nous les avons également fait travailler ensemble pendant toute une journée, pour essayer de dégager des problématiques communes. Ainsi, nous devrions pouvoir améliorer de façon substantielle la collaboration entre l'administration judiciaire, au sens large, et les associations de victimes, pour mieux prendre en compte la victime dans le processus pénal. Nous aurons l'occasion de renforcer l'information de la victime tout au long du processus pénal, comme je m'y étais engagé.
Pour ce qui est de la construction de nouveaux bâtiments judiciaires, ce qui me paraît important, c'est la méthode de travail qui est progressivement mise en place par Pierre Bédier. Au fond, pour caricaturer les choses, je dirai que tout est tellement prioritaire qu'il n'y a plus aucune priorité ! Il est donc indispensable que les dossiers de constructions ou de gros entretien de nos juridictions puissent être classés par ordre de priorité. Par ailleurs, les dossiers doivent être réellement prêts pour pouvoir être pris en compte : alors que tel ou tel élu local, tel ou tel magistrat pensait que les dossiers étaient prêts, il s'est aperçu qu'aucun travail préalable n'avait été effectué sérieusement.
En ce qui concerne la cour d'appel d'Aix-en-Provence et les tribunaux de Guyane, sachez que des études sont en cours. Pierre Bédier et moi-même aurons connaissance du résultat de ces études au cours du premier semestre de 2003. Nous serons alors conduits, en relation étroite avec vous, bien entendu, à prendre les décisions nécessaires pour lancer les opérations considérées comme indispensables à la suite de ces études.
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, de ces annonces. Je note que des études sont en cours et je souhaite vivement que les crédits nécessaires soient affectés dès 2003, de sorte qu'une bonne justice soit rendue aussi bien dans la juridiction d'Aix-en-Provence que dans celle de Guyane.
M. le président. La parole est à M. Bernard Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le garde des sceaux, avec une augmentation de 7,43 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2002, le projet de budget que vous nous présentez pour 2003 s'inscrit, comme vous l'avez rappelé, dans le droit fil des engagements contenus dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. C'est un effort sans précédent.
Marqué par la cohérence avec les intentions affichées et symbole de la volonté du Gouvernement, ce budget mérite d'être très largement approuvé. Il contribuera à résorber ce grand embouteillage de la justice qui nourrissait un sentiment d'impunité, alimentant lui-même le cercle vicieux de la délinquance.
Un aspect a plus particulièrement attiré mon attention : il s'agit de l'importance des crédits consacrés à l'administration pénitentiaire, à savoir 1,5 milliard d'euros, soit 29,6 % du total.
Fort de ces moyens, vous allez, monsieur le secrétaire d'Etat, engager le nouveau programme de construction d'établissements prévu par la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Ainsi, la capacité des établissements pénitentiaires sera accrue et les conditions de détention nettement améliorées. Je m'en félicite d'autant plus que nous pouvons y voir une prise en compte des recommandations formulées par deux commissions d'enquête du Sénat : l'une sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, l'autre sur la délinquance des mineurs, dont le remarquable travail a été permis par nos excellents collègues Jean-Pierre Schosteck, son président, et Jean-Claude Carle, son rapporteur.
En pratique, ce sont 13 200 places qui devront être construites au cours des prochaines années, si l'on tient compte du programme « 1 800 places » annoncé par le précédent gouvernement, mais qui n'a toujours pas débuté, et des 400 places que contiendront les futurs établissements réservés aux mineurs.
L'entrée en service de ces établissements devra permettre de remédier à la surpopulation carcérale et de rééquilibrer la carte pénitentiaire.
Même s'il est indispensable d'améliorer les conditions de détention, comme de réfléchir à l'exécution des courtes peines d'emprisonnement, on ne saurait pour autant perdre de vue que la prison vise aussi à protéger la société d'un individu. Cela ne remet pas en cause, bien sûr, la nécessité de faciliter la réinsertion, même si un récent échec retentissant montre que, là aussi, il faut se garder de tout angélisme et ne pas perdre de vue l'ardente obligation de respecter les victimes et de protéger la société.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à la lumière des événements qui se sont produits récemment à la prison d'Arles, il apparaît primordial d'assurer la sécurité des établissements pénitentiaires, afin de prévenir les évasions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est l'Arlésienne ! (Sourires.)
M. Bernard Plasait. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais savoir, d'une part, quelles dispositions particulières vous avez prévues pour assurer la sécurité des nouveaux établissements et renforcer celle des établissements existants, d'autre part, si un plan spécifique de formation des personnels sera mis en oeuvre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Monsieur le sénateur, je vous remercie des propos élogieux que vous avez bien voulu tenir à l'égard de l'action du Gouvernement, laquelle a été inspirée, sur bien des points, par le rapport de MM. Schosteck et Carle.
Dans le projet de loi de finances pour 2003, 13 millions d'euros sont d'ores et déjà prévus pour mettre en place un certain nombre de moyens de sécurisation urgents : environ 3 millions d'euros seront consacrés au surélèvement des miradors, un peu plus de 2 millions d'euros seront affectés à la pose de filets anti-hélicoptères, et plus de 3 millions d'euros concerneront le brouillage des téléphones portables, etc.
Outre ces mesures d'urgence, M. le garde des sceaux et moi-même avons mis en place une mission, conduite par un ingénieur des ponts et chaussées, qui donnera très précisément la liste des interventions nécessaires pour chaque établissement dangereux.
Nous avons également chargé M. René Eladari - c'est l'un des pères du programme « 13 000 » - de réfléchir à la nouvelle conception des 28 établissements dont nous engageons la construction, en prenant en compte, deux dimensions : l'humanité et la sécurité. Il s'agit donc du très court terme.
Ces 13 millions d'euros nous permettent d'être opérationnels.
Nous sommes également conscients de la nécessité de réfléchir à une méthode qui permette d'assurer la sécurité de nos établissements pénitentiaires, de la société, mais aussi - permettez-moi de le rappeler - des personnels qui se dévouent pour protéger la société. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Plasait.
M. Bernard Plasait. Je tiens simplement à remercier M. le ministre de la précision et de la clarté de sa réponse.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Je souhaite indiquer brièvement, compte tenu du temps qui m'est imparti, que la méthode choisie pour la discussion du budget de la justice est extraordinairement défavorable à l'opposition, et ce pour une raison simple : nous avons entendu M. le garde des sceaux, puis les trois rapporteurs, qui, tous, appartiennent à la majorité ; ensuite, vient le moment des questions où chaque intervenant dispose de cinq minutes maximum, ce qui interdit toute prospective générale. En outre, le plus souvent, les thèmes eux-mêmes sont déjà abordés avant que n'intervienne cette discussion.
Cette procédure ne gêne pas la majorité, car elle demande simplement des précisions sur tel ou tel point. Mais l'opposition, quant à elle, est totalement défavorisée. Je tenais à le souligner et j'en ai fait part à la commission des lois.
Dans le bref temps qui me reste, monsieur le garde des sceaux, et s'agissant des services judiciaires, j'irai à l'essentiel.
Tout d'abord, comme il est de règle, la majorité a rendu hommage aux efforts du Gouvernement. Pour ma part, je ne saluerai pas l'avenir radieux, mais je profiterai de cette circonstance, monsieur le garde des sceaux, pour rappeler les efforts considérables qui ont été accomplis par vos deux prédécesseurs, madame Guigou et Mme Lebranchu : sous la précédente législature, le total des augmentations de crédits affectés à la justice a atteint 29 % de 1997 à 2002 et les créations d'emplois se sont élevées à 7 273 de 1998 à 2002.
Il y a donc continuité et non pas changement radical.
Mais, les choses étant ce qu'elles sont, les services judiciaires connaissent des problèmes de trois ordres concernant les personnes, les moyens et les méthodes.
S'agissant des personnes, et l'observation vaut pour les magistrats comme pour les avocats, je relève que le nombre d'emplois de magistrat créés sera inférieur en 2003 à ce qu'il a été en 2002 : 320 postes créés en 2002 contre 180 prévus en 2003.
Je vois bien qu'on attend beaucoup des 3 300 juges de proximité, qui, dit-on, seraient l'équivalent de 330 emplois à temps plein. Il est évident, cependant, que, compte tenu du temps nécessaire pour les recruter et les former, ces juges de proximité ne prendront leurs fonctions qu'à la fin de l'année 2003. Entre-temps, on vivra sur l'acquis !
De surcroît, le problème ne sera pas pour autant résolu, et ce pour une raison simple : les juges de proximité ne pourront évidemment pas oeuvrer au sein des juridictions correctionnelles, puisque cela échappe à leur compétence, et encore moins au sein des cours d'appel. Or, en la matière, nous connaissons les besoins. Qu'envisagez-vous à cet égard, monsieur le garde des sceaux ?
Vous avez abandonné la réforme des tribunaux de commerce dans sa totalité. J'aurais souhaité que l'on maintînt les magistrats professionnels au moins dans les procédures collectives, qui mettent en jeu des intérêts dépassant de beaucoup ceux des seuls commerçants. Mais tel n'est pas ce qui a été décidé. Alors, je pose la question, monsieur le garde des sceaux : quels effectifs pour les parquets ? Car la présence des procureurs dans les juridictions consulaires est une nécessité.
En ce qui concerne les greffes, la situation n'est pas meilleure, car vous prévoyez la création, en 2003, de 362 emplois, contre 500 en 2002. Donc, vous diminuez le nombre de postes de greffier. Je veux bien admettre que le nombre des greffiers en chef s'est accru de 25, mais cela ne compense pas l'insuffisance du nombre des greffiers. Or la création des juges de proximité va entraîner un effort supplémentaire très important pour les greffes, soit qu'on les comprenne dans les greffes existants, soit qu'on fasse « greffe à part », et, dans ce cas, il faudra bien recruter un nombre plus important encore de greffiers. D'où mon inquiétude et ma question : combien de greffiers prévoyez-vous ensuite et comment voyez-vous la question des personnels de secrétariat ?
En ce qui concerne maintenant, toujours dans les services judiciaires, la question des méthodes, vous allez, dites-vous, passer des contrats de programme. Soit ! Il y a eu les contrats de procédure, je les connais bien, car ils avaient été pratiqués de mon temps ; Il y a eu les contrats d'objectifs, du temps de M. Méhaignerie. Tout cela a donné des résultats, mais rien ne sera possible, monsieur le garde des sceaux, sans une rénovation de la carte judiciaire. Comptez-vous reprendre cette question, véritable serpent de mer, toujours évoquée, jamais résolue ? Cela vaut aussi pour les juridictions consulaires, mais la question se pose pour l'ensemble des tribunaux de l'ordre judiciaire.
En ce qui concerne maintenant la question des moyens, et plus particulièrement celle des constructions, une agence a été récemment créée et nous avons maintenant le privilège d'avoir un secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Or j'ai noté, lors de la discussion de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, que l'on envisageait le recours au crédit-bail et à des contrats de location longue durée assorti de promesse de vente. Je suis resté, je dois vous l'avouer, un peu étonné car, hélas ! et c'est la triste loi que nous connaissons, on vote des autorisations de programme, mais, par la suite, les crédits ne sont pas utilisés. Dans ces conditions, pourquoi recourir à ces formules qui, chacun le sait - c'est la loi du genre -, aboutissent à rémunérer les entrepreneurs et donc, à mon avis, à accroître encore le coût des constructions ?
Ma dernière question concerne l'aide juridictionnelle. Vous nous avez dit que vous alliez faire porter votre effort sur le contrat d'assistance. Je rappelle, comme je n'ai cessé de le faire, que, dans ce domaine, ce sont les plus pauvres qui sont les plus défavorisés : ils ne peuvent souscrire un contrat d'assistance. Vous connaissez les conclusions du rapport de M. Paul Bouchet sur ce sujet et celles du rapport de notre collègue M. Haenel : le dispositif doit être transformé de fond en comble. Votre prédécesseur avait déposé un projet de loi sur ce sujet ; entendez-vous le reprendre ou comptez-vous nous saisir d'une réforme complète de l'aide juridictionnelle, réforme au demeurant une nécessaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je ne vais pas ouvrir de polémique - je ne l'ai d'ailleurs jamais fait en sept mois - sur les efforts des uns et des autres, - mais je relève deux éléments objectifs dont ont eu à tenir compte mes prédécesseurs : je veux parler de la réduction du temps de travail et de la loi renforçant la protection de présomption d'innocence et les droits des victimes.
Pour ce qui est de la réduction du temps de travail dans les services du ministère de la justice, cela n'a pas été une mince affaire, et ce n'est pas fini, puisque vous nous avez laissé, un engagement de 33 heures de travail par semaine dans l'administration pénitentiaire. Peut-être Mme Lebranchu pensait-elle faire, mais moi, en tous cas, je ne sais pas faire ! Je suis donc engagé dans une négociation de rachat de l'écart entre 33 heures et 35 heures. Cela fait partie des petites choses dont j'ai hérité en arrivant au ministère de la justice !
S'agissant de la loi du 15 juin 2000, chacun sait bien ici combien sa mise en oeuvre pèse encore sur les juridictions en termes d'effectifs de magistrats.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Sénat l'a votée aussi !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Dans la loi, d'orientation et de programmation, vous vous en souvenez, j'ai prévu la création de 950 emplois sur cinq ans. Je pense que cela suffit ; du moins est-ce l'idée que je me fais de l'effectif des magistrats professionnels et que je propose à travers la politique que je mène.
Nous allons passer à un effectif de 8 000 magistrats, à quelques unités près. Je pense que c'est suffisant. On peut, bien sûr, penser autrement et vouloir aller beaucoup plus loin. Mais, alors, c'est la fonction même de magistrat qui doit évoluer dans le temps. Bien sûr, mon raisonnement s'entend à structure constante. A l'inverse, si, par exemple, un gouvernement décidait, demain, que les tribunaux de commerce sont assurés par des magistrats professionnels, cela signifierait alors des effectifs de magistrats supplémentaires. Mais, à structure constante, ce chiffre de 8 000 me paraît suffisant !
Quant aux effectifs réellement disponibles sur le terrain, monsieur Badinter, vous connaissez aussi bien sinon mieux que moi l'effet des décrets de localisation. En fait, on ne s'y retrouve absolument pas : votre conseiller budgétaire vous communique un chiffre, votre directeur des services juridiques en avance un autre et, au bout du compte, les partenaires sociaux peuvent soutenir que les effectifs sont insuffisants. A la vérité, nous devrions pouvoir compter, y compris avec les départs à la retraite, sur 290 magistrats de plus sur le terrain d'ici à la fin de l'année 2003. J'espère que cet objectif sera respecté - j'y veillerai, en ce qui me concerne - compte tenu des trois décrets de localisation de l'année 2003. Les effets de cette augmentation du nombre des magistrats devraient être sensibles.
En ce qui concerne les fonctionnaires, nous devrions en avoir 520 supplémentaires sur le terrain, pour accroître l'effacité de nos juridictions.
Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la nécessité de la présence du Parquet dans certains dossiers importants dont ont à connaître les tribunaux de commerce. C'est d'ailleurs dans cet esprit que j'ai présenté l'ensemble du dispositif que je propose à la conférence nationale des tribunaux de commerce, il y a quelques semaines. Nous ferons donc du renforcement des parquets une des priorités en termes d'affectation de magistrats.
J'ajoute que, s'agissant des procédures collectives, je compte pouvoir vous présenter, au cours de l'année 2003, un projet de loi modifiant la législation actuelle.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Vous avez ensuite évoqué la carte judiciaire. J'ai, devant la conférence nationale des tribunaux de commerce, indiqué que nous devrions encore fermer une quinzaine de tribunaux de commerce de toute petite dimension : certains d'entre eux n'ont quasiment pas de dossiers, d'autres ont un corps électoral beaucoup trop réduit pour assurer véritablement l'indépendance du juge par rapport aux affaires susceptibles d'être traitées.
Je sais bien que le dossier est politiquement difficile et qu'un certain nombre d'entre vous me demanderont sans doute de ne pas fermer le tribunal de commerce de leur département. Cependant, je le dis à l'avance, je suis résolu à fermer les tribunaux de commerce dans une quinzaine de départements, avec peut-être des difficultés temporaires.
Dans le département de Saône-et-Loire, mon précédesseur a supprimé trois tribunaux de commerce : le député Perben n'a pas écrit une lettre, n'a pas fait une déclaration pour s'y opposer !
MM. Jean-Jacques Hyest et François Trucy. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Il faut, sur des sujets comme celui-là, savoir assumer sa part de responsabilité.
S'agissant des constructions, je souhaite effectivement que nous puissions poursuivre, avec M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, le travail d'amélioration des bâtiments, étant précisé que nous entendons assurer une meilleure préparation des dossiers.
Sur l'aide juridictionnelle, j'ai la conviction que nous devons faire un effort financier supplémentaire, plus important que celui qui est consacré à cette action aujourd'hui.
La réforme qui avait été prévue par mon prédécesseur ne sera pas reprise : honnêtement, elle a fait l'unanimité contre elle. Je ne lui en veux pas, car cela peut arriver à tout ministre. Il faut dire que l'on n'avait jamais vu une telle mobilisation des avocats contre un projet d'un gouvernement !
Donc, ne me demandez pas de reprendre ce projet. Je ne le reprendrai pas, je le dis clairement. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Nous souhaitons, en revanche, améliorer la rémunération des avocats via l'aide juridictionnelle et, pour ce faire, nous modifierons un certain nombre de règles d'attribution. Nous le ferons dans un esprit de partenariat, qui, certes, n'est pas toujours facile mais qui se situe dans le droit, fil de l'engagement que nous avons pris avec la profession.
Ainsi, lundi et mercredi prochains, deux groupes de travail se réuniront avec les avocats pour essayer d'avancer sur ce difficile dossier. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. En ce qui concerne les effectifs de magistrats, c'est la première fois que j'entends dire qu'on fixe - on « fixe » - l'effectif des magistrats à 8 000 pour la France.
Jeter ce chiffre-là, comme cela, en dehors de toute réflexion sur l'avenir de la justice, me surprend un peu, je l'avoue. Certains pays voisins connaissent un nombre de magistrats très supérieur et une justice, je dois le dire, qui fonctionne mieux que chez nous.
Si telle était votre vision de la justice, elle ne pourrait être adoptée qu'à la condition que l'on transforme radicalement la fonction et que l'on assortisse ces magistrats d'équipes, notamment, d'assistants de justice dont je ne vois pas la trace aujourd'hui dans le budget. Mais, monsieur le garde des sceaux, on ne peut pas prendre aussi facilement position sur un tel problème et dans le cadre d'une discussion budgétaire.
Un mot simplement en ce qui concerne le passé. Je laisse de côté la question des 35 heures, les trois premiers budgets n'étaient pas concernés. Je reviens sur la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. De grâce, que l'on se souvienne qu'elle a été votée par le Parlement. De grâce, que l'on se souvienne que c'est le Président de la République qui, le premier, l'a souhaitée. De grâce, que l'on se souvienne que, lorsque Mme Guigou est venue devant nous, elle avait tenu à indiquer qu'elle disposait des effectifs nécessaires pour mettre en oeuvre la loi, mais que ce sont les deux adjonctions majeures intervenues dans le cours de la discussion - à l'Assemblée nationale, la judiciarisation de l'exécution des peines et, au Sénat, comme nous y tenions absolument depuis le rapport de M. Jolibois, le degré de juridiction en matière criminelle - qui ont suscité les difficultés dont vous faites état. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je vous aurais interrogé volontiers, monsieur le garde des sceaux, sur l'expérimentation des juges de proximité, car vous n'y avez pas fait allusion dans votre propos liminaire. Toutefois, répondant à notre si excellent collègue M. Cointat, vous avez bien voulu dire que vous conserviez présente à l'esprit, comme une possibilité, l'idée de faire procéder à une expérimentation qui tendrait à regrouper les juges de proximité que nous sommes en train d'instituer autour des présidents de tribunaux d'instance.
Pour avoir récemment rencontré des représentants du monde judiciaire aussi bien des chefs de cours que des auditeurs, à Bordeaux, j'ai constaté que ce serait très probablement la meilleure façon de réussir cette réforme de la justice de proximité à laquelle nous sommes extrêmement attachés.
Je souhaite donc vous interroger, monsieur le garde des sceaux, sur un problème qui, finalement, est d'ordre financier, celui de la surcharge qui résulte pour la justice - déjà encombrée de toutes parts -, du fait que l'on peut, dans notre pays, introduire un procès même si, en réalité, on n'a aucune cause véritablement juste à défendre, et ce en toute impunité. Cela multiplie les procès, en première instance comme en appel, parce qu'il n'y a pas de risque. Naturellement, chacun a ses chances en justice et la vérité est rarement simple, mais il y a tout de même des affaires dont on voit bien, en première instance et a fortiori en appel, qu'elles sont dépourvues de toute espèce de fondement. Néanmoins, elles prospèrent. Pourquoi ? Parce que la situation est telle que, dans le monde des affaires, je l'entends dire par des praticiens, il est souvent moins coûteux de plaider pendant des années - la justice est lente - que de s'exécuter spontanément. On gagne ainsi quatre, cinq, six ans et après cela, on voit. En attendant, la justice est encombrée.
Par ailleurs, l'aide juridictionnelle est elle-même accordée d'une manière quasi automatique. C'est bien normal, car ceux qui l'accordent ne peuvent pas apprécier les dossiers au fond, encore que, en cause d'appel, on pourrait peut-être se poser la question. Et les juges ne font rien, ou pas grand-chose, pour refreiner cet appétit de procédure. Les articles 700 et suivants du nouveau code de procédure civile font pratiquement toujours l'objet d'une utilisation minimale et l'exécution provisoire n'est pas toujours ordonnée.
Monsieur le garde des sceaux, ne pensez-vous pas qu'il faudrait tout de même tenter de remédier au problème et responsabiliser un peu les demandeurs de justice afin qu'ils se rendent compte que ce service public n'est quand même pas gratuit et que l'on ne peut pas en abuser ? Deux solutions sont possibles.
D'une part, on pourrait peut-être rendre automatiquement exécutoires toutes les décisions de première instance, comme l'avait proposé M. Jean-Marie Coulon, il y a déjà bien des années. Actuellement, un grand nombre de décisions de première instance sont assorties de l'exécution provisoire, et je ne pense pas que, culturellement, cela poserait beaucoup de problèmes. De surcroît, cela se pratique dans la plupart des démocraties comparables à la nôtre. Donc, les décisions de première instance devraient être exécutoires, moyennant des sécurités - elles existent d'ores et déjà -, notamment, dans certaines hypothèses, une possibilité de contrôle pour éviter les inconvénients qui pourraient être trop graves.
D'autre part, ne devrait-on pas faire en sorte que les articles 700 et suivants du nouveau code de procédure civile soient pris davantage au sérieux ? En d'autres termes, les magistrats devraient allouer à celui qui gagne son procès des indemnités qui couvrent non pas fictivement mais réellement les frais du procès.
Ce ne sont pas des questions théoriques, comme l'illustre l'exemple que je vous livre, assez plaisant, qui ne date pas des années soixante, ni même de l'année soixante-huit, encore que cela ait un petit parfum soixante-huitard. (Sourires.) Voici donc une décision toute récente d'un tribunal d'instance de Paris dont j'ai été saisi par une brave dame qui habite mon département et dont la retraite équivaut au SMIC. Il se trouve qu'elle a consacré toutes ses économies à l'achat d'un petit appartement, à Paris. Etre propriétaire, nous le savons bien, c'est déjà en soi, mal. (Nouveaux sourires.) Le juge le lui a d'ailleurs bien fait comprendre ! Cela faisait deux ans que son locataire, impécunieux, ne payait pas le loyer. Le juge, non sans avoir constaté les deux années d'arriérés de loyer et la résiliation du bail, condamne le locataire à payer, impécunieux, le locataire est lui-même assez malheureux, semble-t-il. Mais le juge, dans sa grande sagesse, ajoute : « Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser au propriétaire la charge des frais non compris dans les dépens exposés à l'occasion de cette instance. » Comme il est commode d'écrire qu'« il n'est pas inéquitable »... M. Jean-Pierre Schosteck. C'est fréquent !
M. Pierre Fauchon. Combien j'aimerais me trouver devant ce juge pour lui dire qu'il est parfaitement inéquitable de faire supporter « les frais non compris dans les dépens » au propriétaire. Mais enfin, le fait d'être propriétaire n'est pas en soi, jusqu'à nouvel ordre, un délit, ni même une contravention ! Je ne vois donc pas en quoi on peut écrire qu'« il ne serait pas inéquitable » !
Et jugez le reste : « Attendu qu'il y a lieu de rejeter sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ». Parce que, probablement, le fait d'aller en justice n'a rien coûté à cette dame ? Je poursuis ma lecture : « Attendu que l'urgence n'est pas démontrée » : deux ans d'arriérés de loyer pour une dame dont le revenu équivaut au SMIC ? Non, vraiment, l'urgence n'est pas démontrée et, dans ces conditions, la décision n'est pas exécutoire !
M. Jean-Pierre Schosteck. Voilà !
M. Pierre Fauchon. Moyennant quoi, le locataire impécunieux fait appel, et cette excellente dame en a pour deux ou trois ans de procès ; de surcroît, elle doit faire les frais d'organiser sa défense en cour d'appel.
J'ai peur que cet exemple ne soit pas aussi isolé qu'on pourrait le croire ! (Plusieurs sénateurs du RPR acquiescent.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Il est fréquent !
M. Pierre Fauchon. Monsieur le garde des sceaux, ne pensez-vous pas que nous devrions réfléchir à des avancées dans les deux directions que j'ai indiquées ? Je serais intéressé de connaître vos réflexions sur ce point. (Applaudissements sur les travées.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Bonne question !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je vous livrerai une réflexion, sûrement, mais de décision définitive, pas encore, je vous le dis en toute honnêteté s'agissant de sujets difficiles.
L'exécution provisoire est une question délicate dont on ne mesure pas nécessairement toutes les conséquences concrètes si l'on en généralisait le principe. C'est ce qui inquiète de nombreux professionnels, qu'ils appartiennent à l'institution judiciaire ou qu'ils en soient partenaires. Nous pourrions, me semble-t-il, envisager d'utiliser plus largement le principe de l'exécution provisoire plutôt que d'en faire une règle générale.
Monsieur Fauchon, l'exemple singulier que vous venez de citer pose non seulement le problème de l'exécution provisoire, mais également celui de l'équité. C'est un vrai problème qui ne peut pas être tranché de façon autoritaire, serait-ce par une décision ministérielle de quelque nature que ce soit. Nous nous trouvons davantage confrontés à une problématique de formation initiale et continue, ainsi que d'ouverture de nos professionnels sur l'extérieur.
Nous devons effectivement débattre de ces sujets. Le juge du siège doit rester indépendant - il l'est, et c'est fort bien -, mais il est nécessaire qu'il ait une vision juste du monde qui l'entoure. Nous devons, j'en suis fortement convaincu, faire en sorte que notre système de formation, d'information et de préparation à l'exercice des responsabilités du juge apporte un éclairage suffisant pour que la justice rende des décisions justes. Nous savons bien qu'il y a toujours des exceptions, mais elles doivent être aussi rares que possible. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Comme vous le dites très justement, monsieur le garde des sceaux, la justice n'est pas de ce monde. Mieux vaudrait toutefois qu'elle se manifeste de temps à autre ou, en tout cas, que l'injustice soit moins voyante, du moins est-il permis de l'espérer.
Je me sens encouragé à aller plus avant dans cette direction ; je vais donc travailler à l'élaboration de propositions de loi qui, si elles peuvent être inscrites à notre ordre du jour, nous permettront de réfléchir à une meilleure prise en compte de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à la généralisation de l'exécution provisoire.
Fort du soutien de M. Jean-Marie Coulon, qui fait autorité dans les milieux judiciaires - et pour cause -, je me sens tout à fait soutenu et cautionné !
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Comme nombre des orateurs qui m'ont précédé, j'éprouve une grande satisfaction devant l'ampleur des moyens mis à la disposition du ministère de la justice.
Ma question porte sur une institution peut-être moins connue que celles qui ont été évoquées jusqu'à présent, mais qui s'est beaucoup développée au cours des derniers temps : les maisons de justice et du droit, ou MJD.
Cette institution présente une véritable utilité en permettant, me semble-t-il, un bon accueil des justiciables, en particulier des victimes d'infractions, et en facilitant l'accès à la justice, tant en matière pénale que civile.
Je souhaiterais savoir, d'une part, si une évaluation de ce dispositif a été réalisée afin d'en mesurer l'efficacité et, d'autre part, si vous entendez accorder les moyens nécessaires à la pérennisation et au développement de ces structures, qui fonctionnent actuellement grâce au concours d'un greffier professionnel, mais aussi d'associations ou de personnes dont les statuts sont relativement précaires.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, au 1er octobre dernier, on comptait 92 maisons de justice et du droit destinées, vous le savez, à mettre en oeuvre une politique pénale de proximité. Une dizaine ont été créées en 2002 et, compte tenu des dossiers qui sont en cours de traitement, une vingtaine devraient ouvrir en 2003.
Aujourd'hui, comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer lors de la visite d'une maison de justice et du droit, se pose le problème de l'évaluation. J'ai donc demandé à l'inspection générale d'évaluer l'activité actuelle des MJD, de réfléchir en particulier à leur articulation avec les juridictions et de fixer un cadre prospectif en termes de répartition sur le territoire, car leur multiplication effrénée conduirait vraisemblablement à une absurdité.
Il faut également procéder à l'évaluation qualitative des décisions qui y sont préparées et de l'articulation d'ensemble entre les collectivités locales, le milieu associatif, les délégués du procureur et les magistrats professionnels.
Je pense personnellement que les MJD, compte tenu notamment de l'expérience régionale que je peux en avoir, réalisent un travail positif. Il convient néanmoins que les responsabilités soient clairement établies. L'efficacité de cette structure dépend aussi d'une bonne organisation, qui nécessite un greffe spécialisé.
Les conclusions de l'évaluation devraient être connues l'été prochain. Nous devrions donc disposer d'éléments de jugement complémentaires au moment de l'élaboration du projet de budget pour 2004.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse. Nous attendons, comme vous, cette évaluation nécessaire. Il convient toutefois de souligner que ce dispositif, qui pourrait être légèrement modifié si cela s'avérait nécessaire, rend un véritable service au justiciable et qu'il est souhaitable de poursuivre l'expérience.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. L'Assemblée nationale et le Sénat ont constitué des commissions d'enquête sur les prisons au cours de l'année 2000. Les conclusions des rapports, qui ont été adoptées à l'unanimité, furent les mêmes. Le rapport de notre collègue Jean-Jacques Hyest, Prisons : une humiliation pour la République, étant très significatif à cet égard, vous ne manquerez pas, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, d'en lire et d'en relire notamment la saisissante introduction.
Nous devons nous interroger sur le sens que nous voulons donner à la peine et sur le rôle de la prison.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, n'est-il pas temps d'agir pour diminuer la population carcérale ; n'est-ce pas, aujourd'hui encore, le plus urgent ?
MM. Jacques Mahéas et Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck. Non !
M. Louis Mermaz. Alors, comment faire ? Démolir, réhabiliter, bien sûr, c'est une urgente nécessité. Trop souvent, les programmes immobiliers n'en finissent pas d'aboutir. Le programme lancé par le Gouvernement en 1995, qui n'avait été exécuté qu'à moitié en 1997, avait été abandonné jusqu'à ce que le gouvernement de M. Jospin le mène à bien et l'amplifie considérablement.
De très importants chantiers ont ensuite été engagés avec la mise en oeuvre d'un programme pluriannuel de 10 milliards de francs. Mais nous savons bien que, d'autorisations de programme en crédits de paiement, au gré des régulations budgétaires qui semblent à la mode ces derniers temps, nous sommes souvent loin du compte.
Ainsi, le problème foncier de la prison de Saint-Denis de la Réunion est-il toujours d'actualité. La prison de Basse-Terre, en Guadeloupe, est un bagne. Et que dire de celle de la Santé, tout près d'ici, sur laquelle le livre de Mme Véronique Vasseur avait attiré l'attention, ou de celle de Fleury-Mérogis ? Je pourrais d'ailleurs continuer cette liste interminable.
M. Jean-Jacques Hyest. Et celle de Lyon !
M. Louis Mermaz. Lyon, bien sûr !
Les conclusions de la commission d'enquête du Sénat étaient significatives : il y a urgence, concluait le rapporteur, urgence depuis deux cents ans !
Dans la plupart des prisons, le surpeuplement est dramatique. Les conditions de détention sont effroyables, comme en témoigne notamment l'augmentation du nombre des suicides.
Les conditions de travail du personnel sont aussi très éprouvantes. Or le Gouvernement a pris toute une série de dispositions qui, si les lois devaient être exécutées, auraient pour résultat de mettre davantage de gens en prison.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Louis Mermaz. La loi d'orientation et de programmation pour la justice contient des aspects répressifs, très répressifs.
M. Jean-Pierre Schosteck. En effet !
M. Louis Mermaz. Le projet de loi sur la sécurité intérieure est encore plus répressif. (M. Philippe de Gaulle s'exclame.)
S'il s'agit de démolir, de réhabiliter, de construire pour que la privation de liberté, qui est déjà une sanction terrible, ne s'accompagne pas de conditions dégradantes de détention et pour que la réinsertion soit possible en fin de peine, nous ne pouvons qu'être d'accord. Mais s'il s'agit d'enfermer davantage de gens, nous nous y opposons.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué l'objectif de 60 000 places de prison. C'est comme si toute la population d'une grande ville moyenne française était enfermée ! Ne pensez-vous pas qu'il faudrait plutôt soutenir une tout autre politique pénale, en particulier dans l'intérêt des victimes qui ont aussi droit à une réparation effective ?
La détention provisoire dans les maisons d'arrêt, dont la commission sénatoriale a dénoncé la situation, ne devrait-elle pas reculer conformément à l'esprit qui animait initialement la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ?
Pourquoi ne pas développer au maximum aussi les mesures alternatives à l'emprisonnement, entre autres les travaux d'intérêt général et le bracelet électronique ? Pourquoi se donner encore cinq ans pour aboutir définitivement ?
M. Jacques Mahéas. Très bien !
M. Louis Mermaz. De même, que font, dans les prisons, les malades mentaux, ceux qui sont en fin d'existence, les vieillards et les toxicomanes ? Est-ce là qu'on les guérira le mieux ? Que font également dans les prisons les étrangers en situation irrégulière dont notre collègue Jean-Jacques Hyest indiquait dans son rapport qu'ils n'ont rien à y faire ? Pourquoi, en outre, les libérations conditionnelles sont-elles octroyées au compte-gouttes ?
Enfin, trop de mineurs et de jeunes majeurs ne séjournent que quelques mois dans les maisons d'arrêt qui, selon le rapport, « sont une véritable école de perfectionnement de la délinquance ».
Toujours dans ce même rapport, à la page 13 - tout était dit dans ce texte -, les prisons sont ainsi stigmatisées : « quart monde échouant dans des prisons, dont certaines sont dignes de celles du tiers monde » - je pense notamment à celle de Basse-Terre.
Pourquoi enfin, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, abandonner l'idée d'une loi pénitentiaire qui n'était certes pas soutenue par le Sénat, mais qui avait la faveur de l'Assemblée nationale ?
Nous savons que trop souvent dans les prisons règnent l'arbitraire, l'inhumanité et l'humiliation ainsi que l'absence de respect du code du travail qui n'y a pas droit de cité. Certes, ceux qui subissent une peine sont enfermés, mais ils doivent rester des citoyens, des hommes et des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, nous avons lu ces rapports et nous avons eu l'occasion d'en parler au moment de la discussion de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Depuis, nous avons agi.

Je rappellerai tout d'abord que le nombre de prisonniers est un constat. Leur augmentation à la fin de l'année 2001 et au début de l'année 2002 ne m'est pas imputable, vous en conviendrez. J'en ai en quelque sorte hérité avec le reste. D'ailleurs, les chiffres ont depuis commencé à baisser et, maintenant, ils remontent.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avec Sarkozy, vous allez voir !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Il ne vous a pas échappé, monsieur le sénateur, que ces chiffres ont été, voilà une dizaine d'années, supérieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui. Par conséquent, le nombre de personnes incarcéré tient à des phénomènes très complexes. N'entrons pas dans des schémas trop simplistes qui caricaturent à la fois le débat politique et le débat sur la justice.
Nous ne sommes responsables en matière de prisons que depuis sept mois. Qu'avons-nous fait ? D'abord, nous avons mis au point un vrai projet de modernisation de notre parc de prisons, qui est dans un état inacceptable. Car si nous ne faisons rien en matière immobilière, la situation dans les cinq ou dix ans à venir sera avec certitude bien pire qu'aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Et des parlementaires feront un rapport indiquant que c'est une honte pour la République, c'est une évidence ! Il faut donc construire de nouveaux établissements et rénover les établissements existants.
Je me suis rendu la semaine dernière aux Baumettes et nous avons décidé de rénover entièrement cet établissement sur une période de huit ans, par tranches de deux ans, dans la mesure où il reste l'essentiel de la population carcérale. Voilà une décision concrète, pratique, qui répond aux critères d'humanité et de sécurité.
S'agissant de la psychiatrie, monsieur le sénateur, j'ai justement inscrit dans le texte que vous avez adopté l'été dernier un dispositif qui permettra enfin d'apporter une réponse aux malades psychiatriques : ces derniers, jusqu'alors, étaient récusés par une partie substantielle du corps médical...
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... qui ne voulait pas les prendre en charge et qui les «repassait», soyons très clairs, à l'administration pénitentiaire, laquelle n'est pas équipée pour ce type de malades. Ce n'est ni la politique Perben, ni la politique Sarkozy qui est responsable de cette situation ; c'est un comportement médical inacceptable. J'ai donc travaillé avec M. Mattei pour créer des unités psychiatriques, afin que ces « malheureux » - il n'y a pas d'autre terme - puissent enfin être pris en charge médicalement dans des structures adaptées et ne soient plus des perturbateurs en milieu carcéral, tant pour les surveillants de prisons que pour leurs codétenus.
Nous allons ensuite travailler sur les courtes peines et sur les peines de substitution. M. le Premier ministre a confié sur ce sujet une mission au député Jean-LucWarsmann.
Nous avons inscrit dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice des dispositions visant à favoriser l'usage du bracelet électronique. Nous devons faire en sorte que des solutions alternatives à la prison puissent exister, lorsqu'elles paraissent compatibles avec la nature et les caractéristiques du délinquant.
Pour le reste, je n'ai jamais fermé la porte à un dispositif législatif concernant les prisons. Je voulais auparavant faire aboutir un certain nombre de réalisations concrètes en termes de capacité d'accueil, de modernisation, d'humanisation, de médicalisation et de sécurisation des prisons pour qu'une discussion parlementaire ultérieure sensée et crédible puisse s'engager. J'accepte tous les débats législatifs, mais commençons par agir, afin de donner du crédit aux discussions que nous aurons ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Vous avez parfaitement compris ce que j'ai dit, monsieur le garde des sceaux. Nous sommes d'accord pour que le parc pénitentiaire soit réhabilité et que de nouveaux établissements soient construits, mais cela ne signifie pas que la politique pénale doive aboutir à mettre davantage de gens en prison !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà !
M. Louis Mermaz. Mon exposé n'avait rien de contradictoire. Nous devrions tous résister au climat sécuritaire qui se développe dans notre pays et qui provoque de l'insécurité, car nous deviendrons bientôt comme l'Harpagon de Molière qui voulait se donner la question à lui-même ! Alors, gardons notre sang-froid, et défendons les libertés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. La lecture des statistiques du ministère de la justice est très intéressante. Elle fait apparaître notamment que près des deux tiers des décisions des tribunaux de grande instance concernent le droit de la famille.
Deux tiers des décisions ! En fait, le droit de la famille absorbe une grande partie du contentieux civil. Les juges aux affaires familiales ont été saisis en 2001 de 345 000 affaires.
Le contentieux de la protection des majeurs - tutelle, curatelle, etc. - progresse aussi, ce qui est normal compte tenu de l'évolution de la population.
Dans ces conditions, il est évident que les délais de jugement ne cessent d'augmenter, malgré les efforts faits au cours des dernières années par les juridictions pour se moderniser et utiliser tous les moyens, notamment informatiques mais aussi procéduraux, à leur disposition.
La durée moyenne de traitement des affaires est de surcroît très diverse selon les juridictions, du fait notamment de la répartition inégale des moyens.
La loi de programmation et d'orientation pour la justice prévoit des moyens nouveaux tant pour les magistrats que pour les personnels du greffe, ce qui se traduit, dans le présent projet de budget, par d'importantes créations d'emplois. Monsieur le garde des sceaux, ceux-ci seront-ils affectés en priorité aux juridictions les plus sinistrées ? A cet égard, les contrats d'objectif pourraient constituer une piste.
Je pourrai citer des cas de juridictions qui, avec le même nombre de magistrats et de chambres, traitent un contentieux allant du simple au double, sans d'ailleurs que la durée moyenne de jugement ne soit totalement parallèle aux moyens. Il y a donc, forcément, des problèmes.
On objectera que les affaires sont plus complexes dans certaines cours d'appel ou dans certaines chambres que dans d'autres, mais cela fera rire tout le monde !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Vous mettez le doigt là où ça fait mal !
M. Jean-Jacques Hyest. Je pense donc que les contrats d'objectif doivent prévoir un effort en termes de « productivité », même si je sais que ce mot paraît être grossier quand il s'agit de justice.
Sans revenir à la révision de la carte judiciaire - bien que la taille de leur ressort ne permette pas à certaines juridictions de traiter tout le contentieux civil et pénal, ce qui impose le recours, horriblement onéreux et quand même pas très rationnel, à des juges placés -, ne conviendrait-il pas d'effectuer un véritable audit pour que les moyens soient au moins réaffectés en fonction de la réalité des évolutions démographiques ?
On a dit que la carte des brigades de gendarmerie datait de 1850. Je ne sais de quand date la carte des tribunaux...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Napoléon !
M. Jean-Jacques Hyest. ... mais, depuis, la population a beaucoup évolué. Or on a gardé les mêmes structures, si ce n'est que l'on a fermé quelques tribunaux.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. La révision date de 1958... En fait, c'est Napoléon et Debré !
M. Jean-Jacques Hyest. Pour les sous-préfectures, ce fut Poincaré. Qui sera le nouveau Debré, ou le nouveau Napoléon, de la révision de la carte judiciaire ? (Rires.) Si c'était vous, monsieur le garde des sceaux, je vous soutiendrais, car je ne critiquerai jamais une décision de l'Etat visant à assurer une meilleure répartition des services publics, même si cela peut être douloureux sur le plan local. Il faut parfois avoir le courage de réformer l'Etat pour que les crédits publics soient bien affectés.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, et M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Pour augmenter l'effectivité de la réponse judiciaire, nous avons récemment institué les juges de proximité et développé les voies de règlement alternatives au procès. Au-delà, le Gouvernement a-t-il des projets, notamment en matière de droit de la famille ? Il me semble en effet que des simplifications de nature à accélérer le traitement des dossiers peuvent être apportées dans ce domaine.
Je donne toujours l'exemple de l'homologation du changement de régime matrimonial. Est-ce encore bien nécessaire alors que, quand il y a un régime matrimonial, le contrat est passé devant notaire ? C'est un exemple précis - il y en a d'autres - et il faudrait « revisiter » nos procédures civiles. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. J'attache beaucoup d'importance à la transparence et donc à la publication des statistiques. Le ministère de la justice possède maintenant un outil statistique assez performant, et il serait bon que les statistiques soient davantage connues du public et, bien sûr, des intéressés eux-mêmes.
Pour l'affectation des moyens, en particulier des magistrats, il est évidemment tenu compte de l'évolution de l'activité des juridictions, mais aussi de l'existence de particularités. C'est là que les critères « qualitatifs » peuvent entrer en ligne de compte s'agissant du contentieux, ainsi, bien sûr, que diverses données environnementales : démographies, taux plus ou moins élevé de la criminalité dans le ressort, présence d'établissements pénitentiaires, etc.
J'en conviens cependant avec vous, monsieur Hyest, nous devons appréhender les évolutions de façon plus systématique et, à cet égard, la démarche des contrats d'objectif est salutaire, car elle permettra une « remise à plat ». Au fond, c'est un langage de vérité, et ce sera un bien pour tout le monde, pour le ministère, mais aussi pour les juridictions.
Quant aux affaires familiales, elles pèsent très lourdement, c'est vrai, sur le fonctionnement des juridictions. Avec mon collègue Christian Jacob nous sommes donc convenus de mettre en place dans les prochains jours un groupe de travail et de réflexion réunissant diverses personnalités pour étudier un « toilettage » du droit de la famille visant en particulier, s'agissant du divorce par consentement mutuel, à simplifier et à accélérer la procédure. Un effort sera également fait pour faciliter la prise en compte par le juge de l'accord des parties, et, même pour les divorces difficiles, le dispositif procédural pourrait être simplifié.
De façon générale, le toilettage pourra porter sur tous les domaines où, sans risque pour les parties, - c'est, bien sûr, ce qui doit prévaloir - nous pouvons simplifier les procédures et donc alléger la charge des juridictions.
Je vous remercie d'ailleurs par avance de l'attention que vous voudrez bien accorder au projet de simplification législative que vous présentera, dans quelques mois, je l'espère, le Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a déjà un texte en navette : on peut le reprendre !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, non pas parce que c'est l'habitude, mais parce que l'intérêt, dans ces questions-réponses, c'est d'obtenir des réponses. (Sourires.)
Monsieur le garde des sceaux, parmi les rapports du Sénat, après les rapports Haenel-Arthuis et Fauchon-Jolibois, il y a eu celui de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice, qui peut, je crois, être une source d'inspiration dans un grand nombre de domaines.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est en effet un très bon rapport.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Je sais que vous l'avez lu et que vos services l'ont même « épluché ». Beaucoup d'autres propositions que je n'ai pas eu le temps d'évoquer dans les cinq minutes qui m'étaient imparties sont encore contenues dans ce rapport.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la politique volontaire de rétablissement de la sécurité et de l'autorité de l'Etat dans notre pays que vous mettez en oeuvre, conformément aux engagements du Président de la République durant la campagne électorale, porte déjà ses fruits après quelques mois : les faits de délinquance reculent et les sanctions sont plus appliquées que par le passé.
Au-delà des déclarations d'intention dont le précédent gouvernement était coutumier, l'actuel gouvernement a clairement défini ses priorités en augmentant de manière significative les budgets pour 2003 des ministères concernés au premier chef par cet objectif national.
A titre personnel et en tant que rapporteur au Sénat du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice, je ne peux que me réjouir de l'augmentation sans précédent des crédits de la justice et, notamment, des crédits consacrés à l'administration pénitentiaire, puisque près de 30 % des crédits de la justice - eux-mêmes en hausse de plus de 7 % - lui seront attribués.
La conséquence immédiate de la lutte contre l'insécurité est la forte augmentation au cours des derniers mois du nombre de détenus, qui dépasse aujourd'hui 56 000, alors qu'il était inférieur à 49 000 au 1er janvier 2002.
Notre parc pénitentiaire était pourtant déjà saturé à cette date, un peu plus de 47 000 places de détention seulement étant effectivement disponibles. Aujourd'hui, avec un taux d'occupation qui est passé de 103 % à 119 %, la situation dans les prisons est proche de l'implosion.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qui plaide coupable ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Dans seize maisons d'arrêt, la densité serait telle que le taux d'occupation dépasserait même 200 % !
D'une part, une telle surpopulation rend difficile le maintien d'un niveau de sécurité satisfaisant dans les établissements pénitentiaires. D'autre part, elle tend à rendre indignes de notre République les conditions d'incarcération, ainsi que l'avait démontré le rapport de juin 2000 de la commission d'enquête sénatoriale présidée par notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et dont faisait partie Louis Mermaz !
M. Jean-Pierre Schosteck. Cette situation conduit certains détenus à des actes de suicide, d'automutilation ou à des agressions, envers le personnel ou envers d'autres détenus.
Non seulement la mission de réinsertion confiée à l'administration pénitentiaire est affectée par les conditions de détention, mais celles-ci ont, en quelque sorte, pour effet d'instaurer une autre forme de « double peine ».
Sur le fondement de ce double constat - une surpopulation carcérale et un parc pénitentiaire pour partie vétuste et inadapté -, vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'Etat, la création de 13 200 places en établissements pénitentiaires.
Devant l'Assemblée nationale, vous vous êtes engagé à réaliser ces établissements dans les cinq prochaines années, alors même que sont actuellement livrées les premières prisons prévues par la loi de programmation de janvier 1995, soit des délais de huit ans dans les meilleurs cas, de plus de dix ans dans les autres.
Raccourcir les délais implique, j'en suis conscient, la mise en place de solutions innovantes de financement et de construction. C'est pourquoi je vous serais reconnaissant, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir nous éclairer, d'une part, sur vos intentions en la matière, d'autre part, sur les caractéristiques dont vous comptez doter ces futurs établissements.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. Monsieur Schosteck, grâce aux lois de programmation votées cet été, nous disposons de trois techniques de passation des marchés qui nous permettront d'atteindre notre objectif, qui est de réduire de moitié le délai de livraison des établissements pénitentiaires.
Dois-je rappeler que viennent d'être livrés des établissements dont le principe avait été arrêté en 1993, soit un délai de presque dix ans ?
Nous aurons d'abord recours à la formule de la conception-réalisation, qui a retrouvé toute l'efficacité que lui avait conférée la loi de 1987.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très bien !
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. Ce système permet, ne serait-ce qu'au moment de la passation des marchés, grâce au regroupement du concours et de la passation des marchés de travaux, de gagner presque un an.
Nous avons décidé de faire ensuite appel à des techniques comme le crédit-bail, qui permet de confier à un financeur la conception-réalisation, ce qui présente l'avantage de pouvoir lisser les dépenses de l'Etat.
Enfin, nous aurons recours à une troisième technique qui est celle de la location avec option d'achat. Cette technique qui nécessite, pour être encadrée et totalement transparente, puisque l'on sort du cadre des marchés publics, un décret, lequel est en cours de négociation avec le ministère de l'intérieur et sera publié, je l'espère, au début de l'année prochaine.
L'ensemble de ces dispositifs doivent permettre à la fois de gagner du temps et de mieux lisser la dépense publique, ce qui n'est pas absurde s'agissant de constructions appelées à durer.
Ainsi, monsieur le sénateur, après avis de la commission spéciale des marchés, nous engagerons entre 2003 et le début de l'année 2004 les procédures d'appel d'offres et de jurys pour la totalité des établissements pénitentiaires.
Nous pourrons entamer les premières constructions dès le début de 2005, ce qui nous laisse espérer que les premières livraisons auront lieu en 2006. Il s'agira d'établissements pour mineurs, qui sont à la fois les plus urgents et, reconnaissons-le, les plus faciles à réaliser puisqu'ils ne compteront qu'une cinquantaine de places.
Les premières livraisons d'établissements pénitentiaires « classiques » interviendraient quant à elles en 2007, l'achèvement du programme étant prévu pour 2008.
Les délais seraient ainsi réduits de moitié. C'est en tout cas l'objectif du Gouvernement.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Je me félicite à nouveau de l'effort que conduit le Gouvernement. En la matière, une réflexion de Lacordaire me vient à l'esprit : « Entre le passé où sont nos souvenirs, et l'avenir où sont nos espérances, il y a le présent où sont nos devoirs. » Vous me semblez les assumer parfaitement, monsieur le secrétaire d'Etat : soyez assuré de notre soutien ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. La protection judiciaire de la jeunesse a pour vocation essentielle d'éduquer et de rééduquer, en réaffirmant les règles sociales de la vie en commun.
Les crédits du ministère de la justice sont en hausse, dans la droite ligne de la progression enregistrée ces cinq dernières années, comme l'a indiqué Robert Badinter.
Seulement, il est difficile de s'en réjouir quand l'argent menace d'être si mal employé. En effet, votre vocation de grand bâtisseur de prisons, pour appliquer sans doute la loi pour la sécurité intérieure, masque mal une politique qui sera particulièrement dommageable aux jeunes délinquants, car elle rompt le nécessaire équilibre entre éducation, prévention, dissuasion et répression.
J'ai participé aux travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs. Pendant six mois, nous avons effectué des visites et procédé à bon nombre d'auditions. J'ai un souvenir particulier du déplacement au tribunal pour enfants de Bobigny, présidé par M. Jean-Pierre Rozencweig, et du rôle efficace du service éducatif auprès du tribunal pour enfants, le SEAT. Ce service a mis en place à Villepinte des stages d'instruction civique d'une semaine qui permettent aux jeunes de rencontrer maires, agents de transport et personnels de la prison.
Ce lien social et éducatif mériterait d'être généralisé.
En effet, lutter contre la délinquance est une oeuvre de longue haleine qui ne doit pas sacrifier l'éducation et la prévention au seul profit de la répression.
Permettez-moi d'évoquer une manifestation qui a lieu à Neuilly-sur-Marne, comme dans d'autres villes de France : « la semaine des droits de l'enfant ».
Il s'agit, dans la ville dont je suis le maire, avec la participation de la protection judiciaire de la jeunesse, de proposer aux collégiens des expositions sur les droits de l'enfant, la citoyenneté, la santé, la culture et les loisirs.
Ces initiatives locales, loin d'être purement anecdotiques, jouent un rôle majeur de prévention, donc d'éducation.
Mais vous préférez vous cantonner à des dispositions sécuritaires répondant à un souci d'affichage afin de laisser croire à nos concitoyens que tous leurs problèmes seront ainsi résolus.
Les moyens que vous décidez d'octroyer à la protection judiciaire de la jeunesse sont à la mesure de vos objectifs.
Ainsi, si les crédits pour 2003 augmentent de 4,68 %, l'effort consenti sera essentiellement consacré à la construction de nouveaux établissements. En effet, 26 millions d'euros de hausse au titre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice permettront la mise en chantier de dix centres éducatifs fermés.
En revanche, le projet de loi de finances pour 2003 ne prévoit la création que de 314 emplois. Nous sommes bien loin des préconisations du rapport de Mme Christine Lazergues et de M. Jean-Pierre Balduyck, qui jugeaient nécessaire l'embauche de 500 éducateurs par an sur six ans afin de permettre à la protection judiciaire de la jeunesse d'exercer pleinement sa mission de service public.
Nous ne sommes, hélas ! guère surpris : ce gouvernement abandonne les jeunes, qu'il s'agisse des emplois jeunes, des aides-éducateurs ou des adjoints de sécurité.
Monsieur le garde des sceaux, ne cadenassez pas systématiquement nos adolescents et réaffirmons ensemble la primauté de l'éducation dans l'esprit de l'ordonnance de 1945 ! Un budget qui augmente, oui, mais pour multiplier les moyens humains et non pour construire des prisons, cette « humiliation pour la République » comme titrait un rapport sénatorial et comme vient de le rappeler M. Mermaz, qui vient de faire par ailleurs d'excellentes propositions.
Monsieur le garde des sceaux, je souhaiterais que vous nous exposiez la différence que vous faites entre centres pénitentiaires accueillant des mineurs et centres dits fermés gérés par des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse.
Par ailleurs, quelles sont vos intentions pour moderniser les services de la protection de la jeunesse, reconsidérer le statut de ces personnels et les former à leurs nouvelles missions ?
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je regrette que, sur un sujet comme celui-là, dont les jeunes sont l'enjeu, le débat soit aussi caricatural.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est vrai !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. La loi d'orientation et de programmation pour la justice prévoit une augmentation de 20 % du nombre d'éducateurs. Est-ce la marque d'une absence de priorité ?
Monsieur Mahéas, il me semble qu'un sujet aussi sensible pour nos sociétés, et pour la société française en particulier, que la délinquance des mineurs, le suivi et la réinsertion des jeunes entrés dans le processus de délinquance devrait pouvoir être débattu dans une relative sérénité.
Pour ma part, j'essaie - et j'espère que vous en conviendrez -, lorsque je suis devant votre assemblée comme devant l'Assemblée nationale, de présenter les choses avec le maximum d'objectivité et de proposer des solutions équilibrées, sans jamais faire le procès de qui que ce soit, en particulier de mes prédécesseurs.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. J'ai la prétention de penser que la politique que je propose est une politique équilibrée entre humanisme et sanction. J'essaie de faire en sorte que les trois métiers de la justice, le métier de jugement, le métier d'éducation et le métier de sanction - en particulier de la détention, donc de la gestion des prisons - soient des métiers équilibrés.
Mon objectif est que nous fassions des progrès au cours des cinq prochaines années pour tenter de répondre aux exigences de la société qui est la nôtre, alors que la France, comme beaucoup de pays au développement comparable, est confrontée à un accroissement de la délinquance, en particulier de la délinquance des mineurs.
Par conséquent, sortons - pour ma part, je m'y efforcerai, monsieur Mahéas - des discours totalement schématiques et caricaturaux !
Trois cent quatorze emplois seront créés au sein de la protection judiciaire de la jeunesse au titre de l'exercice 2003, ce qui constitue une progression des effectifs extrêmement significative. S'ajouteront bien entendu à cela les efforts que nous accomplirons au profit des associations habilitées qui recrutent directement des personnels. Dans ce dernier cas, les postes créés ne seront évidemment pas inclus dans les emplois budgétaires. Par exemple, de nombreux centres éducatifs fermés seront probablement gérés par des associations habilitées, que mon administration aidera à recruter.
Cela étant, quel est notre souci en ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse et quel est le sens de notre politique ? La PJJ a besoin, avant toute chose, d'une administration capable d'utiliser correctement ses moyens pour atteindre ses objectifs. A l'heure actuelle, cette direction du ministère de la justice est sous-administrée ; et il faut que les choses changent. Dans le cadre du renforcement de l'administration centrale, j'ai donc donné, pour 2003, la priorité à la PJJ en matière de recrutement d'administrateurs. Pour la même raison, j'ai souhaité la création d'une direction des ressources humaines - le dossier a été soumis ces jours derniers au comité technique paritaire -, car la PJJ a cruellement souffert, jusqu'à présent, d'une gestion insuffisante dans ce domaine.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Par ailleurs, je souhaite renforcer l'échelon départemental, qui devra pouvoir regrouper les moyens alloués au milieu ouvert et structurer la politique d'hébergement. Je ne puis accepter comme une fatalité la situation actuelle : voilà quelques jours encore, à Marseille ou à Reims, des magistrats ; des juges des enfants me disaient qu'ils n'obtenaient pas de réponse lorsqu'ils s'adressaient à la PJJ...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... et que celle-ci n'offrait pas de solutions d'hébergement ni de suivi suffisant en milieu ouvert. Tel est le problème auquel je suis confronté ! Il ne s'agit nullement d'un débat idéologique entre les tenants de je ne sais quelle vision rigoureusement répressive et les promteurs de je ne sais quelle vision rigoureusement idéaliste !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je dois faire en sorte que les magistrats, notamment les juges des enfants, soient soutenus par une administration qui puisse leur apporter des réponses en matière d'insertion et de suivi des jeunes délinquants. A cette fin, faisons preuve de courage, car, aujourd'hui, la situation n'est pas satisfaisante !
Par conséquent, je souhaite renforcer l'administration centrale, ainsi que l'articulation entre celle-ci et les échelons régionaux et départementaux. Ma volonté est en particulier de responsabiliser les acteurs intervenant à ce dernier échelon, mais il faudra que chacun fasse son métier et que des efforts soient consentis en matière d'évaluation.
A cet égard, j'ai pris connaissance du pré-rapport que la Cour des comptes a établi sur le fonctionnement des services de la PJJ : le constat est calamiteux !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest et M. Georges Othily, rapporteur pour avis. Bien sûr !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Mon devoir de ministre m'impose de répondre aux observations de cette haute juridiction et de lui indiquer comment nous allons sortir de cette situation.
S'agissant du recrutement et de la formation, nous devons essayer, comme je l'ai souligné tout à l'heure, de recruter des éducateurs venant d'horizons plus diversifiés. Nous devons notamment pouvoir faire appel à des femmes et à des hommes possédant une certaine expérience,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien ! Excellent !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... acquise dans le milieu sportif, dans le domaine culturel ou dans le secteur social, afin qu'ils puissent rapidement animer de petites équipes d'aides-éducateurs, lesquels sont souvent quelque peu décontenancés par l'extrême difficulté du métier.
Ainsi, je discutais récemment avec une jeune étudiante de vingt-cinq ans qui, terminant sa formation, devait choisir entre travailler parmi les handicapés, s'orienter vers le secteur social ou s'occuper de délinquants. Or elle m'a confié qu'elle n'envisageait pas de retenir cette dernière option parce qu'elle ne se sentait pas préparée à travailler dans un tel milieu. Nous rencontrons donc de grandes difficultés à recruter, en termes de nombre et de qualité, pour exercer le métier le plus ardu qui soit dans le secteur social : il s'agit là d'un véritable défi, que nous devons relever.
En ce qui concerne maintenant les questions statutaires, il est vrai que nous devrons probablement consentir des efforts pour que les éducateurs de la PJJ, qui relèvent de la catégorie B, puissent éventuellement bénéficier de possibilités d'intégration dans la catégorie A et de systèmes de rémunération et de primes suffisamment favorables pour corriger les défauts structurels que j'évoquais voilà un instant.
Quoi qu'il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, éduquer et réinsérer sont à mes yeux deux missions aussi importantes l'une que l'autre, qui doivent se conjuguer. Nous devons avoir un double souci d'humanisme et de sanction éducative : ce sont les deux volets de notre politique, et ils sont complémentaires. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Il est toujours extrêmement désagréable qu'un ministre qualifie de schématique une question émanant de l'opposition quand il éprouve quelques difficultés à y répondre ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Je n'ai pas perçu ces difficultés !
M. Laurent Béteille. Vous y croyez vraiment ?
M. Jacques Mahéas. Votre réponse montre qu'il existe un fossé entre vos intentions affichées et, par exemple, les dispositions du projet de loi pour la sécurité intérieure, dont nous avons amplement débattu dans cet hémicycle.
La droite et la gauche n'ont pas la même philosophie. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Philippe de Gaulle. Ça oui !
M. Jean-Pierre Schosteck. Là, d'accord !
M. Jacques Mahéas. Ainsi, pour notre part, nous avions préféré créer un secrétariat d'Etat au logement plutôt qu'un secrétariat d'Etat chargé de construire des prisons, et nous croyons davantage à l'éducation qu'à la répression. A l'inverse, vous supprimez des postes de surveillant, les emplois jeunes dans les établissements scolaires (Exclamations sur les travées du RPR), et vous cessez d'aider les entreprises d'insertion ! Telle est la réalité du terrain, mes chers collègues, telle est la situation que je constate dans ma ville !
Vous proposez de créer des prisons et des centres fermés ; mais qu'est-ce qu'un centre fermé ? Comment fonctionnera-t-il ? Vous n'avez pas répondu à mes questions portant sur ce point, monsieur le ministre.
En tout état de cause, vous ne résoudrez pas de cette manière le problème de la délinquance des mineurs.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous l'avez résolu ?
M. Jacques Mahéas. Il faut, à mon sens, instaurer une coopération entre l'éducation nationale et la justice,...
Un sénateur du RPR. Elle existe déjà !
M. Jean-Pierre Schosteck. ... créer des internats pour les jeunes délinquants les plus difficiles...
M. Laurent Béteille. Que ne l'avez-vous fait !
M. Jacques Mahéas. ... éviter que les services de la protection judiciaire de la jeunesse ne se détournent de leur mission éducative, qui est essentielle, mobiliser au profit de ces derniers l'argent alloué à la construction d'un porte-avions ou au financement du crédit-bail pour les prisons !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ben voyons !
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la justice et figurant aux états B et C.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 196 933 090 euros. »