SEANCE DU 6 DECEMBRE 2002
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
l'équipement, les transports, le logement, le tourisme et la mer : IV. -
Mer.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Marc Massion,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les crédits inscrits au projet de
budget de la mer pour l'année 2003 atteignent 1,033 milliard d'euros, ce qui
représente une hausse apparente de 1,3 %.
En réalité, cette hausse est plus forte si l'on tient compte de la
transformation en dégrèvement du dispositif de remboursement de la part
maritime de la taxe professionnelle. Cette transformation se traduit par la
disparition d'une ligne budgétaire, mais ne remet en cause ni le principe ni le
niveau de la subvention, qui sera désormais prise en charge par le budget des
charges communes.
Dès lors, hors ENIM - l'Etablissement national des invalides de la marine - et
hors personnel, on constate une augmentation de 3,7 % des crédits dévolus à la
mer, ce qui est n'est pas négligeable dans le contexte budgétaire actuel.
Cette année, le budget de la mer porte la marque de la réforme du mode
d'imposition des navires annoncée par le Gouvernement. Il a en effet été décidé
d'introduire en France le système de la taxation au tonnage.
Cette mesure, demandée avec vigueur par la profession depuis longtemps,
permettra d'harmoniser la fiscalité française avec celle de nos voisins
européens et, plus généralement, avec les pratiques internationales, puisque ce
système concerne déjà 70 % de la flotte mondiale.
Cela étant dit, il convient de rappeler les priorités affichées par le
Gouvernement dans ce projet de budget.
Il s'agit principalement, tout d'abord, d'agir en faveur de la sécurité
maritime, en octroyant des moyens supplémentaires aux acteurs principaux de
celle-ci : mise à niveau technologique des centres régionaux opérationnels de
surveillance et de sauvetage, les CROSS, poursuite du plan de modernisation des
phares et balises, extension du réseau des unités littorales des affaires
maritimes et création de quatre emplois d'inspecteur de la sécurité afin
d'augmenter la proportion de navires contrôlés dans les ports français,
conformément aux engagements du mémorandum de Paris.
La loi de finances pour 2003 permettra également de recruter des jeunes
retraités de la marine à la vacation, afin de pallier le manque d'inspecteurs
de sécurité.
Le temps de formation de ces derniers - trois ans et demi - ne permet en effet
pas de pourvoir les postes créés dans les dernières lois de finances. C'est
ainsi que, sur les cinquante postes créés en 2001 et 2002, quinze n'ont pas été
pourvus faute de personnel qualifié.
En ce qui concerne la sécurité portuaire, la création d'emplois d'officier de
port décidée par le conseil interministériel de la mer du 27 février 2000 est
poursuivie, ce qui permet d'atteindre l'objectif fixé, soit trente postes.
Plus généralement, la sécurité dans les ports pourrait être menacée par
l'adoption du projet de directive européenne sur l'accès au marché des services
portuaires.
Le principe consiste à autoriser plusieurs prestataires à réaliser les
services techniques délivrés lors des escales des navires dans les ports.
Le Gouvernement français considère que ces services répondent à une double
logique : économique, par la fourniture d'une prestation, mais également
d'intérêt général, puisqu'ils requièrent un savoir-faire dont dépend la
sécurité des interventions. C'est pourquoi ils sont délivrés en France par un
prestataire unique.
La France a cependant obtenu de Bruxelles que le pilotage puisse par
dérogation continuer à être assuré par un prestataire unique. Mais les
questions relatives au remorquage et au lamanage ne sont pas réglées et les
inquiétudes françaises restent importantes.
On le voit bien, les questions de sécurité ont été et sont prises à coeur par
les gouvernements français successifs. Depuis le naufrage de l'
Erika
, on
ne peut nier l'émergence d'une réelle prise de conscience des risques liés à
l'exploitation croissante des océans. Notre pays disposant de la troisième
superficie maritime du monde, il a décidé d'aborder le problème de la sécurité
sur tous les fronts, dans le cadre des derniers conseils interministériels de
la mer ou des commissions d'enquête parlementaires.
Sur le plan budgétaire, la France s'est efforcée de traduire dans ses lois de
finances les principales recommandations issues de ces travaux, et, depuis la
loi de finances de 2001, les crédits consacrés à la sécurité ont régulièrement
augmenté.
Toutefois, tout montre que la France ne peut agir seule. Le nouveau naufrage
du pétrolier libérien répondant au nom, fort mal choisi, de
Prestige
constitue l'illustration dramatique de ce constat.
Après le naufrage de l'
Erika
, des mesures ont été prises et un
consensus a semblé voir le jour.
Les paquets
Erika 1
et
Erika 2,
arsenal de dispositions
législatives décidées par la Commission européenne, contiennent des mesures
concrètes.
Le paquet
Erika 1
prévoit ainsi l'établissement d'une liste noire de
navires ayant l'obligation de se soumettre à inspection tous les ans,
l'élimination progressive d'ici à la fin de 2015 des navires à simple coque et
le renforcement des contrôles sur les sociétés de classification. Toutes ces
mesures devrait être mises en vigueur avant la fin de l'année 2003.
Le paquet
Erika 2,
plus ambitieux, prévoit la création d'une agence
européenne de la sécurité maritime, d'un fonds d'indemnisation des dommages de
la pollution et, à terme, l'instauration d'un système d'information de
navigation sur le modèle aérien qui permettrait d'interdire l'entrée dans les
eaux européennes de tout navire jugé à risque.
Sur cet ensemble de propositions, il est impérieux que se dégage le plus
rapidement possible un consensus entre les Etats membres de l'Union européenne.
Les atermoiements et dissensions, quelles qu'en soient les justifications, ne
sont plus tolérables. Les Etats membres doivent être plus que jamais unis et
solidaires dans leur combat contre le fléau des marées noires.
A cet égard, la prochaine présidence de l'Union européenne par la Grèce,
grande puissance maritime, et l'entrée - prévue en 2004 - de Malte et de
Chypre, pays également très concernés, dans l'Union européenne permettent
d'espérer une relance de la mobilisation qu'avait déclenchée le naufrage de
l'
Erika.
En tout état de cause, il faut en finir avec la partie de ping-pong qui se
joue parfois entre les instances européennes et les Etats membres.
Le deuxième objectif fixé par le projet de budget est de protéger le littoral
et de le mettre en valeur. Cet objectif, cohérent avec le précédent, doit être
atteint par le renforcement des moyens de lutte contre les pollutions
accidentelles - c'est-à-dire les moyens du plan Pomar-terre à la charge du
budget de la mer - et par la poursuite du développement des schémas de mise en
valeur de la mer.
Ces schémas, qui définissent les grandes orientations de protection des zones
littorales, sont actuellement au nombre de douze. Ils s'accordent bien avec
l'approche européenne dite de « gestion intégrée des zones côtières », et c'est
pourquoi nous devons chercher à les développer.
Enfin, le désensablement de la baie du Mont-Saint-Michel a fait l'objet de
dotations accrues, ce qui est la conséquence à la fois de l'avancement du
projet et de la réévaluation de son coût global à 126 millions d'euros.
Le troisième objectif fixé par le projet de budget est de soutenir et de
favoriser le développement de la formation maritime, qui est un élément
indispensable de toute politique maritime. L'offre de marins et d'officiers
correctement formés est, en effet, bien insuffisante, en raison de la moindre
attractivité des métiers de la mer et des contraintes qu'ils imposent. Le
soutien à la formation s'avère donc nécessaire. Il se concrétisera cette année
par la création d'emplois d'enseignant, par l'accord de subventions aux lycées
maritimes, ainsi que par la revalorisation de la subvention aux écoles
nationales de la marine marchande.
Le projet de budget doit aussi permettre d'assurer la protection sociale des
marins relevant de l'ENIM.
Par ailleurs, une dotation dont il faut souligner le faible montant, est
destinée aux marins abandonnées dans les ports français, en attendant la mise
en place d'un système d'assurance international, en discussion au sein de
l'Organisation maritime internationale.
Enfin, la dernière priorité affichée par le Gouvernement est d'améliorer la
compétitivité de la flotte de commerce, afin d'enrayer le déclin du pavillon
français. Ce déclin est lié au coût trois à quatre fois plus élevé de notre
pavillon par rapport à un pavillon de complaisance. A cette fin, les avantages
fiscaux des budgets précédents sont maintenus : remboursement de charges
patronales pour les armateurs opérant des navires soumis à la concurrence, taxe
professionnelle allégée, avec, cette année, le passage du remboursement au
dégrèvement, et GIE fiscaux qui facilitent l'investissement dans les navires de
commerce.
Par ailleurs, j'ai déjà évoqué la taxe au tonnage, dont on attend des
résultats concrets sur la flotte française. L'exemple des Pays-Bas nous montre
en effet que le déclin des flottes européennes est loin d'être inéluctable. Si
l'aide de l'Etat est appropriée, le pavillon français comporte des avantages
réels, en termes de sécurité et de protection sociale des marins.
Quant à la modernisation des ports maritimes, elle n'est pas la priorité
affichée de ce projet de budget, puisque ce dernier se caractérise par une
chute brutale des autorisations de programme liée à la fin de l'opération Port
2000 au Havre. En 2003, la totalité des crédits d'investissement est constituée
d'opérations inscrites aux contrat de plan Etat-région de 2002-2006. On aurait
pu s'attendre à ce que l'opération Port 2000 soit relayée par un projet de même
envergure dans un autre port.
Un autre point insuffisamment pris en compte dans ce projet de budget est le
cabotage maritime, qui fait l'objet d'une dotation d'un million d'euros, ce qui
peut sembler dérisoire au regard des enjeux qui s'attachent à ce mode de
transport. La France dispose pourtant d'opportunités réelles : le cabotage
concerne non seulement ses plus grands ports, mais aussi les ports de taille
moyenne, en particulier des ports qui, s'étant spécialisés, peuvent occuper une
position stratégique à l'échelon européen et même mondial.
Pour ce faire, il faudrait que les pouvoirs publics traduisent leur intérêt
pour le développement du cabotage - intérêt qui n'a pas été remis en cause,
comme en témoignent le rapport Liberti, remis en mai 2002, et la nomination
récente, par le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du
tourisme et de la mer, de M. de Richemont pour conduire une mission sur le
cabotage - par un effort financier nettement plus important. Mais ce ne sera
pas le cas cette année.
Enfin, je poserai une question relative aux ports : quel sera le statut des
ports au terme des évolutions institutionnelles internes de la France ?
La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité prévoit qu'une
expérimentation sera engagée dans un délai d'un an, afin de renforcer le rôle
des régions dans le développement des ports maritimes.
La voie de la régionalisation devrait également être promue dans le cadre des
futures lois de décentralisation. Ces évolutions peuvent s'avérer intéressantes
pour les ports, à condition, d'une part, qu'elles ne se traduisent pas par une
rupture d'égalité des conditions de concurrence entre les ports nationaux,
d'autre part, que l'Etat assortisse les transferts de compétences des moyens
financiers correspondants. En résumé, monsieur le secrétaire d'Etat, vous
présentez un projet de budget de continuité.
Toutefois, je me permets d'attirer votre attention sur la situation des ports
en tant qu'élu d'une circonscription qui compte deux ports autonomes, un port
national et trois ports départementaux. De leur compétitivité dépend le
développement économique et donc l'emploi dans la région. Face à la concurrence
européenne, en particulier dans le Nord-Ouest européen, on doit les soutenir.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Revet,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'examen des crédits de la mer se déroule cette année dans un contexte
inquiétant.
En effet, la récente catastrophe du
Prestige
démontre que l'on n'a pas
totalement tiré depuis trois ans les enseignements du naufrage de
l'
Erika.
Ensuite, les activités portuaires ont subi l'an dernier une régression de près
de 2 %, en raison notamment de la mauvaise saison céréalière et du retournement
de la conjoncture économique intervenu au dernier trimestre 2001.
Le nombre des navires de la flotte de commerce nationale et ses capacités de
tonnage n'ont pas augmenté, la France n'occupant désormais que le huitième rang
européen et seulement le vingt-cinquième rang mondial : ce ne sont pas des
places dignes de la cinquième puissance économique du monde !
Dans ce contexte, le projet de budget pour 2003 prend une importance certaine,
en particulier au regard des priorités qu'il exprime : le renforcement de la
sécurité maritime, la modernisation des ports, le soutien de la compétitivité
de la flotte, ou encore la protection et la mise en valeur du littoral.
Arrêtés à près de 1,045 milliard d'euros, les crédits de la mer sont en
progression apparente de 1,4 %, ce qui démontre l'attention dont bénéficie ce
secteur dans cette période de rigueur, d'autant que leur croissance est, en
réalité, plus significative. Elle est en effet de l'ordre de 2,9 % si l'on
tient compte de la simplification technique du dispositif fiscal de prise en
charge de la taxe professionnelle des armateurs prévue par le projet de loi de
finances.
Quant aux autorisations de programme, leur baisse apparente de 17 % n'est,
elle non plus, pas significative, puisqu'elle résulte de l'achèvement du plan
de financement de l'opération Port 2000 au Havre : déduction faite de ce
programme, les autorisations de programme augmentent en réalité de 20 %, ce qui
démontre l'importance qu'accorde l'Etat à sa politique d'investissements.
Que financeront ces crédits ?
Ils vont, tout d'abord, être affectés au renforcement de la sécurité maritime.
La commission des affaires économiques soutient vos efforts en la matière,
monsieur le secrétaire d'Etat, et c'est en effet absolument indispensable. Il
faut, en particulier, que la France parvienne très rapidement à atteindre
l'objectif de 25 % d'inspections des navires au port fixé par l'Union
européenne, objectif dont elle est toujours loin. Elle est d'ailleurs sous la
menace d'une condamnation par la justice européenne pour n'avoir pas respecté
les engagements du mémorandum de Paris.
Aussi, plutôt que de payer des amendes qui pourraient s'élever à 10 000 euros
par jour, il convient, comme vous l'avez proposé, de recruter des jeunes
retraités de la marine, capitaines ou ingénieurs en chef des machines, pour
permettre de passer correctement le cap de cette période difficile. Peut-être
faudrait-il même pérenniser ce dispositif, l'expérience irremplaçable de ces
professionnels pouvant utilement contribuer à la qualité de notre système de
contrôle de manière permanente ?
S'agissant de la sécurité portuaire, je crois devoir attirer votre attention
sur l'incertitude juridique dans laquelle se trouvent les services d'incendie
et de secours en cas de sinistre intervenant dans une enceinte portuaire.
Qui est responsable de l'organisation et de la direction des secours ? Les
textes actuels sont confus et contradictoires quant au rôle du maire, du
préfet, du préfet maritime et des gestionnaire du port. Monsieur le secrétaire
d'Etat, il faudra rapidement apporter une réponse précise à cette question
majeure.
Votre deuxième priorité est d'améliorer la compétitivité de la flotte de
commerce.
J'ai déjà évoqué le dispositif de dégrèvement de la taxe professionnelle, qui
devrait simplifier et alléger la gestion des armateurs et améliorer leur
trésorerie.
Je citerai également le remplacement de l'impôt sur les sociétés par une taxe
forfaitaire au tonnage, mesure qui était attendue depuis de nombreuses années
par la profession et qui figure dans le projet de loi de finances rectificative
pour 2002. La commission des affaires économiques se félicite de ce mécanisme
optionnel qui devrait permettre à la profession de lutter à armes égales avec
ses concurrents européens et d'accroître, grâce aux effets structurants de la
mesure, ses capacités.
Mais le redressement durable du pavillon national passe par d'autres mesures
structurelles et réglementaires, et nous comptons d'ailleurs sur notre collègue
Henri de Richemont pour vous faire prochainement, monsieur le secrétaire
d'Etat, des propositions hardies en faveur d'un pavillon
bis
offrant à
nos armateurs de véritables moyens de s'opposer à la concurrence
internationale.
Le troisième axe prioritaire de votre budget, c'est la protection et la mise
en valeur du littoral. Bien entendu, dans le contexte actuel, on saisit
l'importance de maintenir l'effort en faveur du renouvellement régulier des
matériels POLMAR de lutte contre la pollution du littoral.
Il s'agit donc globalement, et compte tenu de l'état dans lequel le
Gouvernement a trouvé les finances publiques
(M. le rapporteur spécial
proteste),
d'un bon budget, auquel la commission des affaires économiques a
donné un avis favorable.
Celle-ci a toutefois retenu deux priorités à venir pour que la France retrouve
un niveau plus conforme à son statut en matière d'économie de la mer. J'ai déjà
évoqué la première : offrir à notre flotte de commerce un système pavillonnaire
plus performant. La seconde n'est pas moins importante : il faut améliorer
rapidement la desserte portuaire française et renforcer l'intermodalité, car
cela conditionne la santé de nos ports et, au-delà, de l'ensemble de l'économie
nationale de la mer.
Il est heureux, à cet égard, que le secrétaire d'Etat chargé de la mer soit
également chargé des transports, car cela peut, et même cela doit, constituer
un atout fondamental pour améliorer la desserte de l'hinterland de nos ports ;
je pense notamment au Havre, du fait des grands projets que nous avons dans ce
domaine, et nos interrogations sont donc grandes quant à l'évacuation de
l'ensemble des marchandises. Mais cela est encore insuffisante pour lutter à
armes égales avec les grands ports européens. Les élus et les gestionnaires des
ports comptent sur vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour faire jouer à
l'Etat le rôle qui doit être le sien en la matière.
Monsieur le président, nous fêtons, cette année, le bicentenaire de la
naissance de Victor Hugo, qui a siégé dans cet hémicycle. Voilà quelques jours,
j'ai retrouvé l'une de ses interventions sur le littoral, et en particulier sur
le littoral normand. Aussi, je me permettrai, avec votre autorisation, monsieur
le président, d'en donner lecture, étant entendu que je suis bien incapable de
la déclamer avec le talent qui était le sien :
« Messieurs, si on venait vous dire : "Une de vos frontières est menacée ;
vous avez un ennemi qui, à toute heure, en toute saison, nuit et jour, investit
et assiège une de vos frontières, qui l'envahit sans cesse, qui empiète sans
relâche, qui aujourd'hui vous dérobe une langue de terre, demain une bourgade,
après-demain une ville entière" ; si l'on vous disait cela, à l'instant même
cette Chambre se lèverait et trouverait que ce n'est pas trop de toutes les
forces du pays pour défendre un pareil intérêt, pour lutter contre un pareil
danger. Eh bien ! messieurs les Pairs, cette frontière menacée, elle existe :
c'est votre littoral ; cet ennemi, il existe, c'est l'océan.
« Messieurs, vous ne l'ignorez pas, Dieppe s'encombre tous les jours ; vous
savez que tous nos ports de la Manche sont dans un état grave, et pour ainsi
dire atteints d'une maladie sérieuse et profonde.
« Les courants de la Manche s'appuient sur la grande falaise de Normandie, la
battent, la minent, la dégradent perpétuellement ; cette colossale démolition
tombe dans le flot, le flot s'en empare et l'emporte ; le courant de l'Océan
longe la côte en charriant cette énorme quantité de matières, toute la ruine de
la falaise ; chemin faisant, il rencontre le Tréport, Saint-Valéry-en-Caux,
Fécamp, Dieppe, Etretat, tous vos ports de la Manche, grands et petits, il les
encombre et passe outre. Arrivé au cap de la Hève, le courant rencontre, quoi ?
La Seine qui débouche dans la mer. Voilà deux forces en présence, le fleuve qui
descend, la mer qui passe et qui monte.
« Comment ces deux forces vont-elles se comporter ? Une lutte s'engage ; la
première chose que font ces deux courants qui luttent, c'est de déposer les
fardeaux qu'ils apportent ; le fleuve dépose ses alluvions, le courant dépose
les ruines de la côte. Ce dépôt se fait, où ? Précisément à l'endroit où la
Providence a placé le Havre-de-Grâce.
« Je demande que la question grave du littoral soit mise désormais à l'ordre
du jour pour les pouvoirs comme pour les esprits. Ce n'est pas trop de toute
l'intelligence de la France pour lutter contre les forces de la mer. »
Je n'ai, bien entendu, rien à ajouter, sinon que, en cette année
commémorative, il me semblait intéressant de citer cette intervention de Victor
Hugo.
(Applaudissements.)
M. le président.
Le temps de parole de Victor Hugo ne peut être limité, surtout dans cette
assemblée !
(Nouveaux applaudissements.)
Je vous remercie, monsieur le rapporteur
pour avis.
M. Jean-François Le Grand.
Oceano nox ? (Sourires.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 15 minutes ;
Groupe socialiste, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 5 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des
présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix
minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Daniel Percheron.
M. Daniel Percheron.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ces
accents hugoliens, qui n'étaient pas prévus, peuvent bien entendu éclairer
cette séance nocturne et maintenir son intensité.
M. Jean-François Le Grand.
Très bien !
M. Daniel Percheron.
Mon intervention sera sans surprise pour un budget sans surprise. En effet,
même après la sixième alternance en vingt ans - quel peuple ! -, un
parlementaire espère. Un miracle ? N'en demandons pas tant ! Une ambition ?
Elle s'imposerait ce soir ! Des améliorations ? On ne les devine guère ! Soyons
naturels : ce budget de la mer s'inscrit, de manière poussive, dans la
continuité. Et pour éviter l'ennui d'un traditionnel réquisitoire d'opposition,
permettez-moi de prononcer ces quelques phrases aussi en qualité de président
du conseil régional de la région Nord - Pas-de-Calais et d'esquisser des
propositions, malgré des réticences légitimes. Nous sommes, vous l'avez voulu
ainsi, à l'heure de la décentralisation.
Quelque 70 % ! Au coeur du petit budget de la mer, c'est paradoxal pour le
troisième propriétaire maritime de la planète, il y a la protection sociale des
marins. Elle est maintenue, et même améliorée grâce à l'instauration du congé
de paternité. Nous nous en félicitons. Alors que la dérégulation et la
compétition du transport maritime font rage, nos marins demeurent parmi les
mieux protégés du monde. C'est très bien ainsi. Ne bougeons pas, ne changeons
pas, n'y touchons pas !
L'actualité, la force des images, l'angoisse des hommes ne bouleversent pas
votre politique de sécurité maritime, qui a été redéfinie en 2000. Le
Prestige
symbolise tous les dangers, mais le budget ne frémit pas :
quatre inspecteurs supplémentaires, c'est peu pour contrôler tous les bateaux,
tous les rafiots, qui longent nos côtes et qui s'arrêtent dans nos ports. A
l'aide, à nous les jeunes retraités ! Pourquoi pas ? Mais c'est un peu du
bricolage !
La modernisation des centres régionaux opérationnels de surveillance et de
sauvetage, les CROSS, des phares et balises, le programme des unités littorales
des affaires maritimes, les ULAM, jusqu'en 2006 suivent cahin-caha leur petit
bonhomme de budget contraint et limité, autorisations de programme et crédits
de paiement étant parfois contradictoires. Pour l'élu d'une région qui voit
défiler 260 000 navires par an dans le détroit du Pas-de-Calais, le sentiment
de sécurité apparaît plus que mitigé. On ne trouve, par exemple, aucun gros
remorqueur dans l'un de nos trois grands ports : Boulogne, Calais et Dunkerque.
Puisque, chaque jour, la navette ininterrompue du trafic transmanche croise la
route de tous les bateaux de la planète, il n'est plus absurde, pour nous,
région Nord - Pas-de-Calais, d'envisager, d'inventer une coopération entre
l'Etat et le conseil régional pour sécuriser encore et toujours plus le
boulevard maritime le plus fréquenté du monde.
De la même manière, la formation des marins nous intéresse beaucoup. La ligne
nouvelle, timidement consacrée à l'enseignement maritime secondaire, nous
encourage à approfondir les possibilités d'avenir. Nous allons en effet bientôt
investir plus de 10 millions d'euros pour notre lycée maritime et aquacole du
Portel, sans réelle concertation, sans véritable contrat d'objectifs, alors,
parlons-en, monsieur le secrétaire d'Etat, et à votre timidité ajoutons notre
volonté et nos moyens. Puisqu'il n'y a pas de recteur de la mer, expérimentons,
pour l'enseignement maritime, un statut transfrontalier et une compétence
centrée, par exemple, sur la sécurité maritime. L'enjeu vaut concertation,
l'enjeu vaut collaboration.
Et puisque nous y sommes, monsieur le secrétaire d'Etat, examinons ensemble la
suite du rapport Liberti réhabilitant le cabotage. Votre million d'euros est à
notre portée, nous pouvons le conforter, si la décentralisation et le
développement durable sont correctement interprétés.
D'une tout autre ampleur apparaît la question de l'avenir institutionnel de
nos ports d'intérêt national, d'importance nationale ou, peut-être aussi,
d'indifférence nationale. La loi offre aux régions la possibilité d'asseoir
leur autorité, leur ambition sur des ports souvent stratégiques, parfois
décisifs pour le développement économique des régions. Avec quels moyens ? La
fin de Port 2000, l'accomplissement du bonheur havrais vous permettent de
poursuivre l'effort pour les uns et pour les autres, du Nord au Sud. Et vous
baissez les bras, vous contentant des contrats de plan, ces marchés de dupes
qui voient l'Etat, comme chez moi à Calais ou à Boulogne, ne plus faire, ne pas
faire, ne pas envisager de faire son métier d'Etat et son métier de
propriétaire. A Boulogne-sur-Mer, par exemple, l'Etat investit moins de 10 %
dans un contrat de 650 millions de francs.
Après la philippique de la Cour des comptes, on espérait une réaction, on
pouvait espérer une correction. Rien, cent fois rien dans le budget 2003 !
Après le Havre, le vide impardonnable ! Y a-t-il vraiment un budget de la mer ?
Ce n'est pas la première fois que la question est posée. Il y eut un budget
pour recapitaliser la CGM. Mais c'est un autre débat que nous n'entamerons pas
malgré votre offensive, tout à l'heure, sur l'idéologie.
Mais nous sommes prêts, monsieur le secrétaire d'Etat, envers et contre tout,
à prendre la responsabilité de nos deux ports d'intérêt national, de nos deux
grands ports - le premier port de pêche d'Europe et le deuxième port de
voyageurs du monde -, en vous laissant la possibilité de faire votre devoir
pour le port autonome de Dunkerque. Nous sommes prêts à créer la première
communauté interportuaire avec Boulogne et Calais, à condition que vous la «
bénissiez » d'une dotation spécifique. C'est ainsi que l'intercommunalité a
décollé.
Sécurité maritime, formation, cabotage, ports d'intérêt national qui
pourraient devenir de volonté régionale, avouez que le président
social-démocrate fait preuve d'une réelle bonne volonté...
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
C'est parfait !
M. Daniel Percheron.
... et - qui sait ? - d'une réelle naïveté. A une condition, monsieur le
secrétaire d'Etat, que nous partagions l'espace d'une séance de nuit, un rêve :
5 % de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, affectés à un
fonds national d'infrastructures portuaires, ferroviaires et fluviales,
répartis, après péréquation, entre les régions. Ainsi, la liaison entre les
ports et le pays, cette malédiction française, serait enfin et rapidement
réalisée par le rail - pauvre RFF, Réseau ferré de France, écrasé par la dette
- par le canal, par la voie d'eau. Vive Seine-Nord ! monsieur le secrétaire
d'Etat, alors que le troisième aéroport s'en est allé.
Pour conclure, je dirai quelques mots sur l'Europe, ou du moins sur la
dimension européenne.
La taxe au tonnage, cette réalité européenne, vaut la peine d'être tentée.
L'accès aux services portuaires, tenez bon ! Il n'a jamais été dit, il n'a
jamais été écrit, il n'a jamais été proposé dans un débat européen ou national,
dans des élections européennes ou dans une élection nationale, que lamanage,
pilotage et remorquage devaient être déstructurés. Appliquez le principe de
précaution. Au nom de l'Etat-nation et du principe de subsidiarité, dites non,
tout simplement non.
S'agissant de l'implantation de l'Agence européenne de sécurité maritime, où
en êtes-vous, monsieur le secrétaire d'Etat ? A Lisbonne ? Peut-être. Au Havre
? Ce serait bien. A Calais ? Ce serait un rêve ! Pas de cachotteries, de
l'ambition ! Et, si vous le pouvez, des précisions.
Il s'agit, monsieur le secrétaire d'Etat, d'un budget sans surprise, sans
véritable perspective, d'un vrai renoncement après Port 2000. Le groupe
socialiste ne peut s'en contenter.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez inscrit au rang des priorités de ce
budget le renforcement de la sécurité maritime. L'actualité, hélas ! avec le
naufrage du
Prestige
témoigne combien les efforts en ce domaine sont
nécessaires. Pour autant, je crains que votre priorité ne puisse se traduire
dans les faits étant donné les marges de manoeuvre budgétaires restreintes dont
vous disposez.
Vous avez certes décidé de créer quatre postes budgétaires d'inspecteur des
affaires maritimes pour renforcer le contrôle des navires étrangers accostant
dans nos ports. Cette mesure nous paraît largement insuffisante et rompt avec
les efforts engagés par le précédent gouvernement : en 2001, sur les seize
postes créés, quinze ont été pourvus et en 2002, vingt postes ont été pourvus
sur les trente-quatre créations d'emplois inscrites dans la loi de finances de
2002. Doit-on encore souligner que les CROSS, grâce à leurs opérations de
surveillance, jouent un rôle très important en matière de sécurité maritime,
notamment du point de vue de la prévention des accidents. Or, leurs crédits de
paiement subissent une coupe sévère de plus de 34 %, ce qui pourrait
compromettre le plan de modernisation actuellement en cours et qui devrait
s'achever en 2006.
Vous avez aussi inscrit au rang de vos priorités le renforcement de la
compétitivité de notre flotte commerciale, à travers des mesures d'exonération
fiscale et de diminution des charges sociales. Nous ne pensons pas que de
telles mesures puissent relancer la dynamique de l'emploi. Nous avons encore pu
le vérifier ces derniers mois avec la multiplication des plans sociaux dans
d'autres secteurs économiques. Le nouveau dispositif fiscal de la taxe au
tonnage coûtera à l'Etat 7 millions d'euros. Au Royaume-Uni, l'application de
cette dernière aurait eu pour conséquence la suppression d'environ 500 emplois
d'officiers !
Assurer la compétitivité de notre filière maritime, c'est aussi continuer les
efforts engagés en matière de modernisation de nos ports. Certains ports
européens sont aujourd'hui proches de la saturation de leurs axes de
transports. C'est une chance pour les ports français, qui sont relativement
bien placés dans la compétition européenne. Il n'en demeure pas moins que le
maintien de notre compétitivité exige l'aménagement des hinterlands portuaires
et la valorisation à long terme de nos espaces portuaires.
Cela suppose l'amélioration des dessertes, à l'exemple de l'opération Port
2000 du Havre. Nos ports ne pourront résister à la concurrence si nous ne
consacrons pas nos efforts au développement des dessertes terrestres
multimodales ferroviaires et fluviales, à leur mise en réseaux territoriale
pour acheminer le fret le plus loin possible, à l'intérieur des terres. Cela
suppose également d'équiper nos ports en logistique et en infrastructures de
transbordement modernes, à l'ensemble du procédé Modalhor.
Malheureusement, la faible augmentation des autorisations de programme, qui
révèle l'absence d'une vision à long terme, ne permettra pas d'apporter le
soutien financier nécessaire à la modernisation de nos ports. L'audit sur les
infrastructures de transport ferroviaire que le Gouvernement a engagé confirme
encore que les insuffisances du développement du transport fluvial, du
ferroutage et du transport combiné ne seront pas levées. C'est la logique
globale du projet de budget pour 2003, budget dit de transition, qui s'inscrit
en rupture avec les grands projets portés par le précédent gouvernement sur
l'initiative de Jean-Claude Gayssot.
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Portés mais pas payés !
M. Gérard Le Cam.
Nous aurions également souhaité, dans la même optique, que des efforts
importants soient consacrés à la promotion du cabotage. Comme notre collègue
François Liberti le soulignait lui-même dans le rapport qu'il a rédigé pour
l'Assemblée nationale, une telle politique suppose une augmentation des
crédits. Le cabotage a soulevé en 2002 critiques et ricanements de la part de
la droite sénatoriale quant à la modestie des crédits consacrés au lancement du
cabotage sur l'initiative de M. Jean-Claude Gayssot. Le niveau des crédits pour
2003 devrait vous inciter à plus de retenue.
Je souhaite néanmoins souligner ma satisfaction de voir, dans le cadre des
schémas de mise en valeur de la mer, le schéma Trégor Goëlo, dans les
Côtes-d'Armor, soumis à approbation en 2003, ainsi que les travaux de
désensablement de la baie du Mont-Saint-Michel,...
M. Jean-François Le Grand.
Ah !
M. Gérard Le Cam.
... qui porteront leurs fruits, tant sur le plan environnemental que sur le
plan touristique, pour notre belle région de Bretagne, mais également, bien
sûr, pour la Normandie.
M. Jean-François Le Grand.
Très bien !
M. Gérard Le Cam.
Le temps me manque pour évoquer les insatisfactions en ce qui concerne
l'enseignement maritime public, pour lequel des moyens manquent encore, ainsi
que les manques de crédits en faveur de la Société nationale de sauvetage en
mer, la SNSM, et l'appel à la charité publique, qui ne grandit jamais
l'Etat.
Enfin, pour terminer, est-il encore nécessaire d'insister sur le fait que la
compétitivité de nos ports réside dans la qualité de leurs services et de leur
main-d'oeuvre ? La mise en concurrence des différents prestataires de services
engagée par Bruxelles risque de remettre en cause les missions de service
public, parmi lesquelles celles qui consistent à assurer la sécurité et la
préservation de notre environnement. Le recours à l'auto-assistance permettra
notamment de contourner les exigences en matière de qualification
professionnelle, avec tous les dangers que comportent de telles manoeuvres.
Nous sommes fermement opposés à la directive européenne. Notre ami et collègue
député M. Daniel Paul a souligné dans le rapport qu'il lui a consacré tous les
dangers qu'elle représente pour notre sécurité maritime. Tandis qu'un
navire-poubelle est en train de cracher ses tonnes de fuel qui risquent de
nouveau de polluer nos côtes, nous aimerions, monsieur le secrétaire d'Etat,
connaître votre conception de l'évolution des services portuaires à l'heure de
la déréglementation européenne et de la décentralisation.
Constatant des orientations qui ne confirment pas celles qu'avait retenues le
précédent gouvernement, vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le
groupe communiste républicain et citoyen ne puisse pas voter ce budget.
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe
socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Jacques Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes un élu du littoral, vous connaissez
la mer. Nous vous faisons donc confiance.
M. Paul Raoult.
Ah ?
M. Jacques Oudin.
Mais la situation est complexe.
La grande ambition maritime de la France est encore en panne. Le groupe de la
mer, que je préside, a élaboré au cours de l'été 2001 un rapport intitulé : «
Trente-six mesures pour une politique maritime de la France » ; peu d'entre
elles ont réellement été mises en oeuvre.
Avec 212 bateaux, notre flotte reste toujours à la vingt-cinquième place,
comme l'a souligné notre ami M. Revet, ce qui n'est pas très brillant. Le
cabotage maritime ne s'est guère développé ; nos ports n'ont pas gagné de parts
de marché et, après l'échec des quirats, les groupements d'intérêt économique
fiscaux, les GIE, ont tout juste permis de moderniser notre flotte.
Aujourd'hui, nous instaurons la taxe au tonnage. Je l'avais défendue l'année
dernière, elle avait été rejetée ; on avait dit sagesse : la sagesse est
arrivée, et je m'en félicite.
Le grand sujet du jour, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est le problème des
pollutions maritines. Vous le savez, nos populations maritimes sont excédées
par la répétition de ces menaces bien réelles de pollution.
Nous connaissons aujourd'hui le
Prestige,
mais il y en a eu tant
d'autres ! Avec l'
Amoco Cadiz,
nous avions cru la série des naufrages
terminée. Nous avions pris des mesures, un rapport avait été élaboré... quand
s'est échoué l'
Exxon Valdes.
Les Etats-Unis en ont tout de suite tiré la
leçon en prenant l'
Oil Pollution Act,
qui a mis un terme à la pollution
de leurs côtes, tandis que nous, nous avons été les victimes de bien d'autres
accidents ! Le
Haven
en 1991, l'
Aegaen Sea
en 1992, le
Braer
en 1993, le
British Trent
en 1993, le
Mimosa,
le
Borga,
le
Sea Empress,
puis l'
Erika
en 1999, le
Baltic
Carrier
en 2001, et la série ne s'arrête pas...
Cette situation est intenable. Il faut vraiment y mettre un terme, et je
crois, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Président de la République,
assisté par les autres nations maritimes, dont l'Espagne et le Portugal, a fait
des choix dont vous allez pouvoir nous parler.
Plusieurs rapports ont été rédigés au Sénat, notamment par Henri de Richemont
; il en a été de même à l'Assemblée nationale. Ce ne sont pas les premiers, ce
ne sont peut-être pas les derniers. Quelles conclusions peut-on en tirer ?
Le trafic maritime s'accroît à une vitesse considérable. Le transport des
produits polluants et dangereux est en constante augmentation, de 35 % en dix
ans. Il est vrai cependant que la sécurité maritime progresse, mais que le
risque zéro n'existe pas. Et si le nombre des navires qui ont sombré a baissé
de 44 % entre 1990 et 2000, il en coule encore des centaines, surtout des
vraquiers, mais parfois aussi des pétroliers. Il faut savoir que, entre 1992 et
1999, sur les 77 pétroliers qui ont sombré dans le monde, 60 étaient vieux de
plus de vingt ans !
C'est pourquoi nous avons raison d'affirmer qu'il faut éliminer les navires à
simple coque de plus de quinze ans. Les mesures qui ont été envisagées à
Malaga, le 26 novembre dernier, sont les bonnes : lutte contre les pavillons de
complaisance ; établissement de couloirs de navigation éloignés des côtes pour
les navires dangereux ; interdiction à très court terme des pétroliers à simple
coque ; attribution de moyens contraignants à l'Agence européenne de sécurité
maritime ; renforcement du dispositif de la convention de Bruxelles pour que
soit engagée la responsabilité financière des armateurs, des sociétés de
classification et des affréteurs ; renforcement encore des moyens humains et
financiers, pour que la France puisse enfin réaliser toutes les inspections
nécessaires ; possibilité d'intervenir dans la zone des deux cents milles
marins pour arraisonner les navires présentant un danger de pollution... Il
faut prendre des mesures draconniennes, monsieur le secrétaire d'Etat ! Nous ne
pouvons plus supporter de nouvelles pollutions. Je suis convaincu que la France
soutiendra son gouvernement si celui-ci a le courage, même dans un contexte
international difficile, d'aller de l'avant.
J'insisterai sur un point, monsieur le secrétaire d'Etat : peut-être
faudrait-il tout de même pointer du doigt, en France même, la responsabilité de
certains ! La sécurité maritime n'a pas disposé de tous les moyens dont elle
devait disposer : radars obsolètes, flotte de navires insuffisante, inspecteurs
trop peu nombreux..., et ce depuis des années. Qui a pris la responsabilité de
dire non lorsque les demandes de crédit sont arrivées au ministère du budget ?
Il y a bien eu un directeur, dans un ministère, qui a demandé plus
d'inspecteurs, plus de bateaux, plus de matériels ! Qui a dit non ? Qui a
arbitré défavorablement ? Pour ma part, je souhaite que l'on recherche les
responsabilités, que l'on retrouve celui qui a dit non.
Nous avons un secrétaire général à la mer, nous avons un Premier ministre.
Nous avons un lourd héritage et nous devons le liquider. Il nous faut des
moyens en personnels, et si nous demandons 200 inspecteurs, il faut que nous
obtenions 200 inspecteurs. Songez qu'en France un seul port possède des
installations de déballastage : Le Havre. Comment voulez-vous contraindre un
bateau qui arrive dans un port à ne repartir que s'il a déballasté si vous ne
lui donnez pas les moyens de le faire ? Comment voulez-vous lui interdire de
prendre la mer ?
Il faut, à un moment, prendre en France les mesures que les Américains ont
prises chez eux. Il n'y a plus de pollution aux Etats-Unis ; et que l'on ne
nous dise pas que c'est parce que les Etats-Unis sont une île et nous un
continent près des côtes duquel croisent tous les bateaux du monde ! Il faut,
un jour, avoir le courage de dire la vérité, avoir le courage de rendre les
arbitrages qui s'imposent, avoir le courage de dire un non définitif aux
pollutions.
Il faut développer les recherches nécessaires pour éliminer les fausses
questions, comme celle des doubles coques : certains sont pour les simples
coques ; plusieurs années après les avoir préconisées, on nous dit maintenant
que les doubles coques présentent peut-être des dangers...
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez suffisamment conscience des
problèmes, et toutes les mesures vont enfin pouvoir être prises pour épargner à
la France toutes ces pollutions.
Dans l'immédiat, j'attire votre attention sur un point : dans mon département,
dans le vôtre, partout, des centaines de marins pêcheurs veulent se mobliser
pour chaluter le pétrole en mer et savent le faire, savent travailler en
couple. Donnez-leur les moyens d'aller sur les lieux de la pollution ! Il est
moins coûteux d'acheter des chaluts spéciaux et de les leur fournir que de
mobiliser ensuite la population pour aller gratter toutes les côtes !
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous attendons des décisions fortes. J'espère
que des comités interministériels de la mer se réuniront prochainement, que des
arbitrages budgétaires seront pris, par exemple à l'occasion d'une loi de
finances rectificative ; mais, surtout, j'espère qu'une volonté politique en
faveur de la mer, s'exprimera. Nous savons que le Président de la République a
cette volonté, de même que M. le Premier ministre, et que vous êtes là pour la
mettre en oeuvre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous vous faisons confiance, et nous voterons
votre budget ; mais nous attendons des résultats !
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-François Le Grand.
M. Jean-François Le Grand.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la mer est une zone de non-droit, et cette
aberration ne cessera pas tant que nous attendrons que la solution vienne de
l'Organisation maritime internationale, l'OMI.
Celle-ci, dans son fonctionnement actuel, n'engendrera pas de réaction rapide
ni efficace face aux événements. Elle mettra des années à élaborer des
directives... que tout le monde ne respectera pas.
La solution doit venir d'ailleurs : elle est beaucoup plus simple, elle est
beaucoup plus proche de vous. Lisez les rapports du Parlement ! Depuis des
années déjà, le Sénat et l'Assemblée nationale établissent des rapports et
formulent des propositions qui échouent inévitablement et irrémédiablement dans
des placards dont on les exonde de temps à autre, histoire de leur faire
prendre l'air avant de les y replonger aussitôt.
(Protestations sur les
travées du groupe CRC.)
Lisez ces rapports : ils contiennent des mesures très simples. J'en citerai
une seule parmi celles que, depuis 1994, j'ai proposée, à quatre gouvernements
successifs - vous appartenez au quatrième, monsieur le secrétaire d'Etat, et
j'espère que ce sera le bon !
Il faudra bien, tôt ou tard, rendre les acteurs de la filière du transport
coresponsables des dégâts qui pourront affecter les côtes. Alors, peut-être, on
pourra espérer une amélioration de leurs actions vertueuses et obtenir des
résultats positifs. Cela fait partie des mesures simples qui peuvent être mises
en oeuvre rapidement et qui permettront une harmonisation à peu près convenable
à l'échelon européen.
Pour terminer, je rejoins Jacques Oudin à propos des chaluts : il faut équiper
très rapidement l'ensemble du littoral français des moyens de chalutage
nécessaires. Ce n'est pas la panacée, cela ne réglera pas tous les problèmes,
mais il faut confier à ceux qui savent le faire le soin d'agir. En chargeant
les pêcheurs d'aller chaluter le gazole ou le fioul lourd, nous éviterons
probablement bien des dégâts à nos côtes.
M. le président.
Vous avez fait preuve d'une remarquable et surprenante concision ! Je vous en
remercie, mon cher collègue !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d'abord le rapporteur
spécial, Marc Massion, et le rapporteur pour avis, Charles Revet, ainsi que les
orateurs qui se sont exprimés, que ce soit au nom de leur groupe ou à titre
personnel : M. Le Cam, M. Percheron, M. Oudin, M. Le Grand.
Je ne peux qu'éprouver un sentiment de grande humilité après la citation, non
pas longue, mais remarquable, que nous a faite M. Revet. Entendant « Fécamp »,
je m'attendais à entendre aussi le général de Gaulle : « Fécamp, port de mer et
qui entend le rester ».
M. Charles Revet,
rapporteur pour avis.
Ce sera pour l'année prochaine !
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Je pensais également à Michelet, qui, séjournant dans
ma ville, Saint-Georges-de-Didonne, en Charente-Maritime, écrivit un soir de
tempête de si belles pages sur la mer !
Mais, n'ayant pas le talent de M. Revet, je m'abstiendrai de le suivre sur ce
terrain des citations.
M. Gérard Le Cam.
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Pour l'Etat, le projet de budget de la mer pour 2003
prend une acuité toute particulière du fait de la crise qu'a provoquée le
naufrage du navire
Prestige
.
M. Oudin rappelait tout à l'heure que, dans un certain nombre de départements
du littoral, nous avons mis en place le dispositif Polmar-terre, qui, sous
l'autorité des préfets, met en oeuvre les moyens de protection des côtes.
Depuis mardi, sous l'autorité du préfet maritime de l'Atlantique, nous avons
déclenché le plan Polmar-mer, qui permet en effet, monsieur Oudin, comme vous
le souhaitiez, la mobilisation, à côté des moyens de l'Etat, de moyens civils,
en particulier de chalutiers qui sont entraînés, équipés, rétribués, pour aller
en mer chercher des nappes de pétrole, ou du moins des flaques importantes, et
empêcher que la pollution n'atteigne nos côtes.
Avant d'aborder le projet de budget proprement dit, je ferai part à la Haute
Assemblée du résultat du conseil des ministres « transport maritime » qui s'est
déroulé ce matin et cet après-midi à Bruxelles. Il s'est bien passé : les
thèses défendues par la France et l'Espagne, mises au point lors du sommet de
Malaga et réaffirmées cette semaine par le Président de la République, ont fait
l'objet d'un consensus de la part de l'ensemble des pays européens. Même les
pays dont nous craignions la réticence - je pense à la Grande-Bretagne, aux
Pays-Bas, à la Grèce, qui va prochainement assurer la présidence de l'Union -
nous ont suivis. Le consensus est presque total, et l'Europe a su, avant le
sommet de Copenhague, parler d'une seule voix et prendre des décisions communes
et fortes sur la sécurité maritime. C'est un moment qu'il faut fêter, car
l'échec, ou du moins la non-application des deux paquets Erika, était
certainement lié au fait qu'ils n'avaient pas recueilli de consensus, si bien
qu'un certain nombre d'Etats européens ne se sont pas empressés de les
appliquer.
(MM. Jacques Oudin et Jean-François Le Grand
applaudissent.)
En ce qui concerne la sécurité maritime, le projet de budget affiche des
crédits de paiement en hausse de 14 %. Cependant, nous sommes conscients que la
France jusqu'à présent, n'a pas respecté les engagements qu'elle avait pris en
matière d'inspections de sécurité des navires. Les gouvernements précédents ont
fait de réels efforts en la matière, M. Le Cam les a rappelés à juste titre, et
des embauches ont été réalisées grâce aux budgets précédents. Il faut s'en
réjouir. Néanmoins, et c'est normal, une partie de ces inspecteurs nouvellement
recrutés sont encore en formation.
Au mois de juillet, nous contrôlions environ 9 % des navires. Au mois de
décembre, nous nous situons entre 14 % et 15 %. Nous n'avons pas encore atteint
l'objectif que nous nous étions fixé, qui est de 25 %
C'est pourquoi le Gouvernement propose le recrutement d'inspecteurs qui seront
choisis parmi les aînés de la marine. Nous avons de bonnes raisons de penser
qu'une personne qui a été capitaine, officier mécanicien, bref, qui a navigué,
sera capable d'inspecter un navire et de faire preuve d'une grande vivacité,
d'une grande intelligence pour détecter ce qui ne va pas. Avec le recrutement
de ces vacataires, nous parviendrons à inspecter 25 % des bâtiments.
Je dois d'ailleurs souligner que les volontaires se sont présentés en grand
nombre, et nous en sommes heureux. L'appel à candidatures a été passé par le
biais de la direction des affaires maritimes, des pensionnés de la marine
marchande et de tout un ensemble d'associations, tel l'Institut français de la
mer. Nous avons reçu de nombreux dossiers, dont beaucoup, sinon la majorité,
sont excellents.
Nous pourrons donc mettre ces vacataires au travail dès le 1er janvier et
ainsi, je l'espère, parvenir au taux de 25 % dans le courant du premier
trimestre de 2003.
Par ailleurs, nous devons faire des efforts pour sécuriser les voies
maritimes. M. Percheron rappelait à juste titre la densité du trafic en mer du
Nord, et l'on peut naturellement dire la même chose du rail d'Ouessant. Le
projet de budget prévoit donc d'octroyer des moyens supplémentaires aux CROSS,
les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage. La
signalisation maritime bénéficiera également de crédits en hausse.
S'agissant du dispositif de contrôle et de surveillance en mer et sur la
frange littorale, le projet de budget prévoit la création de deux unités
littorales des affaires maritimes ainsi que la construction d'un second
patrouilleur.
J'ajoute, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette semaine, en conseil des
ministres, j'ai présenté à la demande du Premier ministre une communication
relative à la sécurité maritime. J'ai également évoqué la nécessité de mieux
coordonner les moyens de l'Etat. Actuellement, nous disposons des moyens
associatifs - comme la Société nationale de sauvetage en mer, qui joue un rôle
considérable - des moyens des affaires maritimes, de ceux de la marine
nationale des douanes, de la gendarmerie, de la gendarmerie maritime et parfois
de la police nationale.
Le Gouvernement a donc demandé au secrétaire général de la mer d'examiner,
dans un délai de trois mois, de quelle manière ces moyens pourraient être mieux
coordonnés. En effet, certains endroits du littoral peuvent-être sous-défendus,
alors que d'autres bénéficieront de moyens excédentaires. Il faut donc mettre
tous ces dispositifs en ordre de travail.
La sécurité maritime, c'est également la sécurité des ports. Des créations de
postes destinés aux ports sont inscrites au budget, ainsi que des moyens
supplémentaires - cela a été évoqué - pour y assurer une meilleure sécurité.
De même - M. Le Cam l'a rappelé - des crédits sont prévus pour protéger et
valoriser le littoral, notamment la baie du Mont-Saint-Michel.
Assurer la sécurité de nos navires est bien sûr l'une de nos préoccupations
essentielles. Encore faut-il qu'il y ait des navires ! M. Oudin rappelait à
juste titre notre rang assez pitoyable, puisque nous avons la vingt-cinquième
flotte à l'échelon mondial, la huitième en Europe.
M. Charles Revet,
rapporteur pour avis.
Et nous sommes la troisième puissance économique
!
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Ce n'est pas digne d'un pays qui a autant de façades
maritimes et qui est présent dans le monde entier grâce à ses terres
d'outre-mer !
Pour soutenir notre flotte de commerce, nous devons rendre moins coûteux
l'emploi des marins français, en allégeant les charges des armateurs, et
faciliter l'acquisition de navires sous pavillon français en les faisant
bénéficier des GIE fiscaux.
Monsieur Oudin, je suis moins pessimiste que vous sur les quirats. C'est une «
affaire qui marchait ». Certes, elle a été trop brutalement interrompue. Nous
disposons maintenant des GIE fiscaux, utilisons-les !
M. Jacques Oudin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie !
M. le président.
La parole est à M. Jacques Oudin, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Oudin.
Dans cette enceinte, j'ai défendu les quirats parce que j'y croyais
profondément, et la loi qui les a institués a effectivement impulsé un
mouvement très important.
Si j'ai parlé de l'échec des quirats, c'est parce que cette loi a battu le
record historique de la brièveté législative : votée à l'été 1996, elle ne
s'est appliquée que jusqu'en décembre 1997, soit dix-huit mois plus tard !
C'est sur cela que portait ma critique. Je suis convaincu que le principe même
était extraordinairement dynamique.
D'ailleurs, c'est grâce au système des quirats, que de grandes nations
maritimes européennes - l'Allemagne, la Norvège, notamment - ont développé leur
flotte. Une fois que leur flotte a été renouvelée et développée, jusqu'à
atteindre 1 200 ou 1 400 navires, ils ont abandonné ce système. Nous, nous
l'avons abandonné alors qu'il venait à peine d'être mis en place : après deux
coups de pédales, on est descendu de la selle !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'étaient tout de même de gros cadeaux fiscaux !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
En effet, monsieur Oudin, il est bien dommage qu'on
ait interrompu si brutalement la politique des quirats. Notre flotte en porte
d'ailleurs les stigmates avec le mauvais rang que j'ai rappelé.
Dans ce domaine, nous ne ferons pas preuve de la même impéritie que le
Gouvernement précédent : nous poursuivrons la politique des « GIE fiscaux ».
Nous allons en outre mettre en place - M. Percheron a bien voulu reconnaître
que la formule lui paraissait intéressante - une taxation au tonnage ; je vais
y revenir.
Afin de rendre moins coûteux l'emploi de marins français pour les entreprises,
nous rembourserons une part significative des cotisations d'allocations
familiales et d'assurance chômage dans le budget 2003. Je tiens à souligner
devant la Haute Assemblée que c'est la première fois que le Gouvernement
présente une mesure de cette nature.
Par ailleurs, une mesure de simplification administrative doit contribuer à
améliorer la trésorerie des armements : il s'agit de substituer à la procédure
de remboursement de la taxe professionnelle au moyen de subventions
budgétaires, qui sont évidemment versées avec un décalage d'un an, une
procédure de dégrèvement fiscal.
M. Charles Revet,
rapporteur pour avis.
C'est beaucoup mieux ! C'est plus simple !
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Cela évite de percevoir pour rembourser ensuite. Je
pense que la commission des finances ne peut qu'être intéressée par ce type de
simplification.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Nous l'approuvons !
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Le dispositif de la taxe au tonnage, qui est très
important, n'est pas prévu, c'est vrai, dans le présent projet de loi de
finances. Mais, M. le président Arthuis le sait, il sera introduit dans le
projet de loi de finances rectificative.
Ce système permettra aux armateurs d'opter pour une taxation de leurs
bénéfices en fonction du tonnage des navires qu'ils exploitent, en substitution
du régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés auquel ils sont
aujourd'hui soumis.
C'est une mesure structurante, qui vient utilement compléter les dispositifs
existants de compensation de charges et d'investissement naval en « GIE fiscal
».
Je voudrais dire à M. Le Cam que, contrairement à ce qu'il pense, dans les
pays européens où ce système a été mis en place - l'avenir tranchera : je ne
peux être complètement affirmatif -, il a été créateur d'emplois.
Vous avez, monsieur Le Cam, évoqué l'exemple britannique, mais je crois
comprendre que, d'une manière générale, ce qui se fait en Grande-Bretagne ne
vous convient guère !
(Sourires.)
En tout cas, dans les pays du sud de l'Europe auxquels nous ressemblons le
plus, à savoir l'Espagne et l'Italie, l'introduction de la taxe au tonnage a
permis aux flottes nationales de se relever, de créer des emplois et de
reprendre des parts de pavillon. Tel est, bien sûr, l'objectif visé par le
Gouvernement avec l'introduction de ce dispositif qui vous sera proposé
prochainement.
Vous avez également évoqué le cabotage. Le cabotage inspire généralement bien
des discours. Le problème est de passer à la réalisation !
Il est vrai que, à ce titre, dans le présent budget nous ne prévoyons
d'inscrire qu'un million d'euros. Mais, l'an passé, il y en avait 965 000 et il
n'ont pas été consommés.
M. Daniel Percheron.
Exact !
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat.
Nous allons donc pouvoir en profiter !
J'ajoute que le Conseil des ministres des transports de l'Union européenne a
adopté hier le dispositif Marco Polo. Nous pourrons ainsi jouer et sur un
dispositif européen et sur un dispositif national.
J'ai bien entendu, monsieur le président de la région Nord - Pas-de-Calais,
votre suggestion. Je vous propose que nous en reparlions le moment venu pour
faire en sorte que les collectivités puissent appuyer des lignes de
cabotage.
Le problème, avec le cabotage, c'est que des lignes ont parfois été lancées
avec l'aide des collectivités - j'ai connu le cas à La Rochelle - mais n'ont
pas eu le temps d'atteindre le stade de la viabilité économique avant
l'extinction de l'aide. Autrement dit, la subvention était versée, mais pas
assez longtemps. De ce fait, la collectivité était mécontente et l'armateur
aussi parce qu'il n'avait pas encore eu la possibilité de capter la clientèle
nécessaire à la rentabilisation de la ligne de cabotage ! C'est évidemment
cette situation qu'il faut éviter.
En ce qui concerne nos ports, monsieur Percheron, l'audit n'a pas pour
objectif de bloquer les investissements. C'est une photographie que fait le
Gouvernement de la situation des grandes infrastructures.
Dans le courant du premier trimestre de l'année prochaine, nous ferons le
point sur tous les grands investissements, en vérifiant s'ils sont utiles à
l'aménagement du territoire, à l'Europe et à l'intermodalité. Bien entendu, la
desserte, les hinterlands et les grands aménagements portuaires - je parlais
tout à l'heure de l'écluse fluviale du Havre, par exemple, qui a été abandonnée
- seront examinés dans le cadre de l'audit. S'il y a bien un domaine dans
lequel les collectivités et l'Etat ne doivent pas stopper leurs
investissements, c'est bien le domaine portuaire.
Il est vrai que, dans ce projet de budget, les seuls crédits importants
concernant les ports sont ceux qui correspondent à l'achèvement du programme «
Ports 2000 ». Néanmoins, nous sommes prêts à intervenir sur d'autres grands
chantiers. Je pense en particulier à « Fos 2 x L », projet de grande ampleur
intéressant le port de Marseille. Les ports de Dunkerque, de Sète et bien
d'autres encore ont également des projets importants qui méritent d'être
soutenus par l'Etat et par les collectivités.
Monsieur Revet, vous avez raison de mettre l'accent sur la sécurité dans les
ports. Il nous faudra, à cet égard, observer ce que font actuellement nos amis
américains : ils discutent avec le port de Marseille pour y installer, par
exemple, une antenne de leurs services douaniers et pour organiser un meilleur
trafic entre les Etats-Unis et Marseille. Sachez, messieurs les élus de
Seine-Maritime, qu'ils ont une démarche identique à l'égard du port du
Havre.
Faute de réponse de l'Europe sur ces question-là, il y aura en France deux
types de ports : les « grands ports », ayant une relation particulière avec les
Etats-Unis, et les autres ports, qui n'auront pas cette chance.
Il faut donc que la négociation sur la présence des douanes américaines et sur
les relations de sécurité avec les Etats-Unis soit menée globalement à la fois
à l'échelon français et à l'échelon européen, et non pas port par port. Evitons
de tomber dans l'écueil que nous avons connu dans le passé avec les compagnies
aériennes, lorsque les pays passaient des accords bilatéraux avec les
Etats-Unis sans s'apercevoir que les Etats-Unis se souciaient avant tout de
leurs intérêts, et pas nécessairement de ceux de l'Europe ou de la France.
Le thème de la décentralisation a été abordé par un certain nombre d'entre
vous, notamment MM. Daniel Percheron et Charles Revet.
Naturellement, ainsi qu'il l'a fait pour les aéroports, l'Etat, dans le cadre
des assises sur les libertés locales comme dans celui du débat parlementaire
actuellement en cours, se tourne vers les collectivités locales pour réfléchir
avec elles aux meilleurs moyens de développer nos ports.
Le statut des ports autonomes mérite certainement d'être modernisé,
dépoussiéré. Les collectivités locales ont toute leur place dans la gestion des
ports d'intérêt national et des autres ports. Qu'il s'agisse d'un département -
la Seine-Maritime, par exemple - ou de régions - le Languedoc-Roussillon,
peut-être le Nord-Pas-de-Calais, d'autres encore -, il y a là une occasion
formidable pour les collectivités de prendre en main le destin de leurs ports.
Je suis persuadé que les ports, seront mieux gérés par les collectivités, parce
qu'ils le seront de plus près, parce qu'ils le seront et qu'ils généreront plus
de développement et donc plus d'emplois.
Le Gouvernement cherche, par conséquent, un accord avec les collectivités pour
développer nos ports dans le sens de l'intérêt national, de l'intérêt régional,
du trafic maritime et de l'emploi.
Pour ce faire, nous devons disposer de la ressource humaine nécessaire. Je
sais l'effort que font les régions et leurs lycées professionnels maritimes. Il
nous faut, à cet égard, faire en sorte que, dans l'enseignement maritime, une
place très importante soit réservée à la sécurité. On l'a vu, monsieur Oudin,
avec le terrible accident qui a endeuillé la ville des Sables-d'Olonne, la
sécurité est un enjeu majeur, dans les ports comme sur les bateaux, notamment
les bateaux de pêche. Or c'est dans les lycées maritimes que la sécurité
s'apprend, que les réflexes se prennent. Nous devons donc élaborer des
programmes de sécurité très complets avec les lycées maritimes et l'ensemble
des formateurs, de manière à trouver des jeunes marins très sensibilisés aux
problèmes de la sécurité.
Enfin, il faut que l'ENIM assume ses fonctions. Le budget de l'ENIM présente
une augmentation nécessaire à l'exercice de ses missions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la triste actualité maritime que nous
vivons ne doit pas nous faire oublier qu'une partie de nos approvisionnements
et aussi de notre nourriture nous est offerte par la mer. La France, de par sa
position géographique et ses traditions, se doit de toute façon d'avoir une
ambition maritime. C'est facile à dire à une tribune, mais c'est peut-être
moins facile à réaliser sur le terrain.
Cette année, dans le domaine de la sécurité, le gouvernement vous propose des
mesures honnêtes et réalistes. Dans le domaine fiscal, pour améliorer notre
flotte, nous proposons des mesures nouvelles. Nous en dresserons naturellement
ensemble le bilan, le jour venu. Ce gouvernement a une ambition maritime : il
espère donc être soutenu par la Haute Assemblée.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Je rappelle au Sénat que les crédits concernant la mer, inscrits à la ligne «
Equipement, transports, logement, tourisme et mer », seront mis aux voix
aujourd'hui même à la suite de l'examen des crédits affectés au tourisme.
ÉTAT B
« Titre III : 47 805 492 000 euros. »