SEANCE DU 2 DECEMBRE 2002
La parole est à Mme Odette Terrade, sur le titre III.
Mme Odette Terrade.
Madame la ministre, vous avez déclaré devant l'Assemblée nationale que la plus
grande ambition de ce budget pour 2003 était de favoriser la compétitivité des
entreprises françaises. Je ne crois franchement pas que votre politique de
laisser-faire, qui vise à abandonner des pans entiers de notre économie à la
seule régulation du marché, puisse aboutir à une telle ambition.
Comme je le disais tout à l'heure, lorsque des entreprises licencient à tour
de bras du personnel qualifié, précarisent leurs salariés, c'est précisément la
compétitivité de nos entreprises qui risque à terme d'en pâtir.
Pour autant, vous visez vos objectifs de libéralisation de nos économies et de
privatisation de nos grandes entreprises de service public. Ainsi, le 25
novembre dernier, vous avez approuvé l'ouverture totale à la concurrence des
marchés de l'électricité et du gaz pour 2007. Nous savons tous, ici, que cette
déréglementation conduira inévitablement à une dégradation de la qualité de nos
services publics ! Vous le reconnaissez vous-même, madame la ministre, puisque
vous avez souhaité que la Commission européenne se livre à un bilan d'étape en
2006, afin, « si besoin est, de prendre des mesures correctrices qui pourraient
s'imposer ». Vous ajoutiez que « seule une situation très dégradée » pourrait
constituer un obstacle à l'ouverture du marché aux particuliers.
Nous avons déjà eu l'occasion de nous livrer à un bilan en nous appuyant sur
des études montrant la dégradation des services publics du rail, de la poste,
des télécommunications et de l'énergie dans les pays qui avaient libéralisé
totalement ces activités. S'agissant du rail, n'oublions jamais le drame de
Paddington en Grande-Bretagne !
En France, le bilan d'étape est clair, puisqu'il témoigne d'une dégradation
déjà avancée de nos services publics.
En ce qui concerne le service postal, il faut noter la fermeture de nombreux
bureaux de postes jugés non rentables, entre 500 et 700 d'ici à la fin de
l'année, la concentration des centres de tri, la compression de la masse
salariale, la précarisation du personnel, le non-remplacement des départs à la
retraite, autant d'éléments compromettant la qualité de ce service de
proximité, son rôle de « production » de lien social et d'aménagement du
territoire. Les pertes de recettes consécutives à l'ouverture partielle à la
concurrence contraignent déjà la poste à une rationalisation forcenée, à un
développement de ses activités financières au détriment des usagers les plus
nécessiteux et, à terme, à l'augmentation de ses tarifs en direction des
usagers non éligibles.
En ce qui concerne le service public de l'électricité et du gaz, des
entreprises comme EDF et GDF font l'objet d'une véritable ponction financière
de la part des gros clients éligibles qui obtiennent de substantiels rabais de
tarifs, de l'ordre de 15 % pour EDF et de 20 % pour GDF. Un tel transfert de
richesse, au nom de la compétitivité, est-il admissible lorsque ces mêmes
industriels licencient à tour de bras pour répondre aux exigences des marchés
financiers ? Il est d'autant plus intolérable qu'il conduit inévitablement à la
hausse de la facture des particuliers.
A Gaz de France, malgré une situation financière confortable avec 766 millions
d'euros de bénéfice net, les tarifs domestiques ont augmenté de 30 % ces deux
dernières années. Cette politique de forte augmentation de la marge fondée sur
l'augmentation des tarifs des particuliers est contraire aux principes mêmes du
service public, celui d'une tarification au coût de revient. GDF a-t-il
l'intention de se constituer un « trésor de guerre » sur le dos des usagers
pour faire face aux déboires financiers de son département international et se
lancer à nouveau vers d'autres conquêtes internationales ? Ce transfert
financier du département national vers le département international du groupe a
pour conséquence immédiate la fermeture de nombreuses agences de proximité !
Est-il maintenant nécessaire de prendre l'exemple des télécommunications, en
insistant sur le problème de la fracture numérique, sur le désistement probable
de l'un des opérateurs privés qui s'étaient engagés, en septembre dernier, à
couvrir en téléphonie mobile les fameuses « zones blanches » ?
On peut aussi souligner la ponction financière qu'ont opérée les marchés
financiers et les banques à la suite des difficultés financières de France
Télécom. Qu'en est-il de la renégociation de la charge de la dette ? Les
financiers qui ont avalisé la stratégie à court terme de développement à
l'international de France Télécom n'ont-ils pas, eux aussi, leur part de
responsabilité à assumer ?
Les petits actionnaires qui ont vu leur épargne se volatiliser lorsque le
cours de l'action a atteint le niveau extrémement bas de 8 euros ont dû, quant
à eux, éprouver les méfaits des sautes d'humeur des marchés financiers et des
dérives spéculatives insensées.
Que dire de plus, madame la ministre, si ce n'est que l'ouverture à la
concurrence et la privatisation conduisent à un double transfert de richesse
des entreprises de service public vers les industriels, autrement dit du
secteur public vers le secteur privé et des industriels vers les marchés
financiers.
Cette ponction se traduit par une dégradation continue de la qualité de nos
services publics, en même temps qu'elle porte atteinte à l'emploi et à notre
croissance. Les projets de votre Gouvernement, madame la ministre, constituent
donc une avancée supplémentaire dans le mouvement de « réappropriation » par le
marché de secteurs de l'économie qui, parce qu'ils constituaient des biens
collectifs, avaient été mis sous la tutelle de la puissance publique. Qui plus
est, ces secteurs sont placés sous la coupe des marchés financiers, ce qui
renforce encore les mécanismes d'usure de tout ce qui fondait notre solidarité
sociale, ainsi que notre cohérence nationale et territoriale.
Nous avons, quant à nous, avec les milliers de salariés et d'usagers qui
manifestent depuis quelques semaines dans les rues, la volonté que soit
maintenu notre système de solidarité sociale, au travers, notamment, des
entreprises publiques, soustraites aux critères de rentabilité du marché,
respectueuses des obligations de service public et socialement responsables.
C'est, pour nous, un tout autre choix de société que celui que vous nous
proposez.
(M. Jean-Pierre Bel applaudit.)
M. le président.
Le vote sur les crédits figurant au titre III est réservé.
« Titre IV : 315 347 872 euros. »