SEANCE DU 26 NOVEMBRE 2002
M. le président.
L'amendement n° I-183, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 266
sexies
du code de douanes, il est inséré un
article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. ...
- I. - Il est institué une taxe additionnelle à la taxe
générale sur les activités polluantes dues par les personnes physiques ou
morales suivantes :
« 1. Tout exploitant d'une installation soumise à autorisation au titre de la
loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la
protection de l'environnement dont la puissance thermique maximale lorsqu'il
s'agit d'installations de combustion, la capacité lorsqu'il s'agit
d'installations d'incinération d'ordures ménagères ou le poids des substances
mentionnées au 2 de l'article 266
septies
émises en une année lorsque
l'installation n'entre pas dans les catégories précédentes, dépassent certains
seuils fixés par décret en Conseil d'Etat.
« 2. Tout exploitant d'un établissement industriel ou commercial ou d'un
établissement public à caractère industriel et commercial dont certaines
installations sont soumises à autorisation au titre de la loi n° 76-663 du 19
juillet 1976 précitée.
« II. -
a)
Son barème est ainsi fixé :
« Substances émises dans l'atmosphère.
« Oxydes de soufre et autres composés soufrés, 125.
« Acide chlorhydrique, 90.
« Protoxyde d'azote, 180.
« Oxydes d'azote et autres composés oxygénés de l'azote, à l'exception du
protoxyde d'azote, 150.
« Hydrocarbures non méthaniques, solvants et autres composés organiques
volatils, 150.
«
b)
Installations classées.
« Délivrance d'autorisation aux entreprises, 7300.
« Exploitation au cours d'une année civile (tarif de base), 1100. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Cet amendement reprend une proposition que nous avons déjà formulée l'an
dernier.
Il s'agit de créer une taxe additionnelle à la taxe générale sur les activités
polluantes destinée à financer des investissements, et notamment ceux qui sont
assumés par les collectivités locales en matière de prévention des risques
industriels.
Comme nous l'avons déjà dit, la question de la prévention des risques
industriels continue de se poser avec une acuité toute particulière.
Les populations, vous le savez, sont extrêmement sensibilisées au problème
posé, d'autant que les effets désastreux de l'accident industriel majeur que
fut l'explosion de l'usine AZF de Toulouse ne sont pas encore totalement
réparés.
Plus d'un an après le 21 septembre, des familles continuent de subir les
conséquences de cette catastrophe majeure.
Et comme le principe de précaution vaut toujours mieux que tous les autres,
c'est dans cette optique que nous proposons à la Haute Assemblée d'adopter cet
amendement.
Pour justifier plus encore notre proposition, on ne peut que souligner quels
sont les investissements spécifiques dont ont besoin les collectivités dans le
cadre de ce principe de précaution, sans compter, évidemment, les contraintes
que les établissements classés posent en termes d'aménagement urbain, tant en
ce qui concerne la construction aux alentours que la voirie d'accès.
Je sais fort bien que nous aurons, dans le cadre de la seconde partie, un
débat sur la question de la constitution du fonds d'équipement des services
départementaux d'incendie et de secours, mais il me semble que tout engagement
de l'Etat en ces domaines doit être gagé sur la sollicitation de ceux-là mêmes
qui sont au coeur de l'application du principe de précaution.
Sans remettre en cause les capacités financières des entreprises directement
concernées, qui sont souvent importantes - Total-Fina-Elf obtient, par exemple,
le record de France des profits - cette mesure, une fois adoptée, serait
l'illustration d'une conception plus éthique et plus équitable de la
fiscalité.
C'est donc sous le bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter
l'amendement n° I-183.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Dans le passé, la commission a souvent critiqué la
TGAP. Ce point a été abordé hier, lorsque certains sujets sensibles de
l'industrie automobile ont été évoqués. C'est notre collègue Serge Lepeltier,
me semble-t-il, qui a parlé de la fiscalité écologique et des enjeux du
développement durable en des termes que chacun peut partager.
L'amendement qui nous est soumis tend à créer une taxe additionnelle à la
TGAP. Si l'on voulait aller dans ce sens, il faudrait que la TGAP soit
incontestable. Or, monsieur le ministre, nous l'avons vu dans le passé, cet
impôt n'est pas dimensionné comme il convient : il ne porte pas nécessairement
sur des assiettes taxables qui soient incontestables et il soulève de nouveaux
problèmes. Tant dans sa logique que dans son affectation, il ne peut pas être
considéré, aujourd'hui encore, comme faisant partie d'une fiscalité
véritablement écologique.
En s'appuyant sur cette analyse de fond, la commission estime qu'il n'est pas
raisonnable de vouloir créer une taxe additionnelle à une taxe de cette nature,
dont l'avenir est encore relativement indéterminé.
Par ailleurs, nous avons pu observer que le rendement de la TGAP n'a pas été
tout à fait à la hauteur des ambitions initiales et que son produit devrait
diminuer en 2003.
Pour l'ensemble de ces raisons, et pour ne pas surcharger encore la barque des
entreprises, qui est déjà trop lourde, la commission vous convie, mes chers
collègues, à ne pas suivre le groupe CRC et à rejeter cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
L'instauration d'une taxe additionnelle à la TGAP sur
certaines installations ne répond pas du tout à l'objectif fixé. Il s'agit, en
effet, de faciliter le financement des investissements qui sont liés à la
sécurité industrielle, dès lors, Thierry Foucaud le sait, que cette recette est
affectée aux comptes sociaux.
Outre le fait que cette recette a les défauts que le rapporteur général a
décrits il y a un instant, il faut tenir compte de son affectation. Or cette
affecta tion ne correspond pas à l'objectif que vous vous êtes fixé.
D'ailleurs, les mécanismes de la TGAP n'ont pas pour finalité de prendre en
compte les risques d'accident.
Je vous demande donc, monsieur Foucaud, de bien vouloir retirer votre
amendement. A défaut, je demanderai au Sénat de le rejeter.
M. le président.
Monsieur Foucaud, l'amendement est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud.
Il est tout à fait logique que les entreprises polluantes soient mises à
contribution ; je ne reviendrai pas sur l'exemple que j'ai donné en ce qui
concerne TotalFinaElf. Ce problème sera sûrement de nouveau abordé lors du
débat sur les recettes des collectivités locales.
Je suis d'accord avec M. le ministre pour que l'on trouve une autre solution
si c'est possible. Il n'en reste pas moins que les difficultés rencontrées par
les collectivités sur le territoire desquelles se trouvent des industries à
risque restent insurmontables, tant au niveau des installations classées Seveso
que des moyens à mettre en oeuvre pour assurer la sécurité et l'information de
la population.
Il faut savoir qu'en France de nombreuses infrastructures de zones
industrielles à risque ne sont pas adaptées aux situations difficiles. Il
existe des zones où l'on peut rentrer, mais pas sortir : ce sont de véritables
goulets et, en cas d'incidents, ce serait catastrophique.
Ces questions doivent au plus vite faire l'objet d'une réflexion approfondie.
Elles sont souvent du ressort des collectivités locales.
Par conséquent, monsieur le président, je maintiens mon amendement. En fait,
il s'agit d'un amendement d'appel pour étudier le problème et donner aux
collectivités locales les moyens d'aller dans ce sens.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° I-183.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° I-67 est présenté par MM. Miquel, Auban, Demerliat, Haut,
Lise, Marc, Massion, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste.
L'amendement n° I-184 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant
et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendement sont ainsi libellés :
« Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 235
ter
ZD du code général des impôts est ainsi modifié
:
« 1 ° le III est ainsi rédigé :
« III. - Le taux de la taxe est fixé à 0,05 % à compter du 1er septembre 2003.
»
« 2° le IV est supprimé. »
La parole est à M. Gérard Miquel, pour défendre l'amendement n° I-67.
M. Gérard Miquel.
Dans le cadre de la loi de finances pour 2002, a été mise en place une taxe
sur les transactions financières de type taxe Tobin, dont le taux devait être
déterminé par référence à une décision du Conseil européen.
Les récentes déclarations du Président de la République au sommet de
Johannesburg, appelant notamment à la mise en place rapide d'une telle taxation
afin de financer le développement des pays les moins avancés, nous incitent
aujourd'hui à proposer le présent amendement. Celui-ci a pour objet de faire en
sorte non seulement que la détermination du Président de la République soit
rapidement suivie d'effet, mais également, et surtout, que soit amorcée la mise
en oeuvre du nouveau système de financement du développement mis en place par
la majorité précédente en faveur des pays qui en ont le plus besoin.
Nous proposons donc la mise en oeuvre avancée du dispositif prévu par la loi
de finances de 2002 en fixant le taux de la taxe en question à 0,05 % à compter
du 1er septembre 2003. Cette mesure serait applicable en France, dans un
premier temps.
M. le président.
La parole est à M. Thierry Foucaud, pour défendre l'amendement n° I-184.
M. Thierry Foucaud.
Nous ne pouvons évidemment manquer de citer, à l'occasion de la présentation
de cet amendement n° I-184, les propos tenus il y a peu, lors du sommet de
Johannesburg, par le Président de la République.
En effet, à la question suivante : « Vous avez annoncé avec une certaine force
l'idée d'une taxation internationale pour financer le développement : c'est une
idée très controversée et je voulais savoir si elle avait reçu un écho
favorable ou au contraire si vous aviez reçu des oppositions aussi fermes et
donc s'il y avait une chance pour qu'elle puisse prendre forme prochainement »,
le Président de la République avait répondu : « Vous savez, cela fait partie
des solutions qui ne peuvent intervenir que lorsque des forces suffisantes ont
été mises en oeuvre. Et c'est vrai que la mondialisation, qui comporte bien des
avantages, mais aussi des inconvénients et des dangers, en tous les cas, est
considérablement créatrice de richesses. »
Il poursuivait ainsi : « Il ne serait pas anormal qu'une partie, modeste, mais
les chiffres sont considérables, de ces richesses soit ponctionnée pour
permettre d'améliorer la solidarité internationale et le développement durable.
Les besoins sont à la fois très importants, mais relativement modestes. Il est
admis par tous les experts que l'ensemble de l'aide publique au développement,
si on la doublait, on pourrait alors éradiquer la pauvreté dans le monde : 50
milliards, c'est beaucoup, mais si l'on compare à l'ampleur de la richesse
créée par les échanges dus à la mondialisation, c'est peu. »
Et il concluait : « D'où la nécessité, à mon avis, d'une forme de taxation.
»
On pourrait presque dire que le Président de la République parle d'or, si vous
me permettez cette expression.
Je ne sais pas s'il a rejoint le camp des doux rêveurs qui pensent qu'une
partie des maux dont souffre la planète peut être résolue en taxant les
transactions sur les instruments monétaires et financiers. En tout cas, cette
prise de position semble confirmer la pertinence de la proposition que fait le
groupe CRC - d'autres l'ont également faite - avec cet amendement n° I-184.
Il reste à savoir si nos collègues de la majorité sénatoriale, alors même
qu'ils s'apprêtent à rejoindre un certain nombre d'idées, auront la sagesse de
suivre l'orientation ainsi fixée.
Notre amendement vise à donner une certaine consistance à la taxation des
opérations monétaires et à dégager, par conséquent, conformément au sens de nos
positions antérieures sur la question, que nous avions matérialisées par le
dépôt d'une proposition de loi, les moyens financiers de soutenir l'action
internationale de la France en matière d'aide publique au développement.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à
adopter cet amendement n° I-184.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La discussion budgétaire obéit à des rites. Et si le
rite n'est pas accompli, le travail n'est pas bien fait. C'est l'aspect
qu'Edgar Faure qualifiait de « liturgique » dans les travaux de nos assemblées.
Aujourd'hui, dans la liturgie - je parle sous le contrôle du président du
groupe d'amitié France-Saint-Siège, naturellement
(Rires),
...
M. Jean Chérioux.
Il apprécie beaucoup !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... il y a un point de passage obligé : on ne peut
pas discuter du budget sans parler de la taxe Tobin ! C'est un élément
incontournable de ce débat qui nous réunit, si actifs et si pugnaces, à la fin
du mois de novembre.
Hélas ! je voudrais regretter que l'un des grands prêtres de cette liturgie ne
soit plus parmi nous. Vous savez quel plaisir j'avais à échanger, sur ce sujet,
des arguments avec Jean-Luc Mélenchon, lui qui avait qualifié le Sénat de «
cul-de-basse fosse de la réaction »
(M. Jean-Pierre Masseret s'exclame)
,
et qui était le défenseur - il s'exprimait, en votre nom, de façon enflammée,
mais avec toute la force de son argumentaire et de ses convictions - de la taxe
Tobin.
Bien entendu, moi qui suis un affreux libéral...
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Tempéré !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tempéré par l'expérience des choses !
(Exclamations amusées sur les través du groupe socialiste.)
... - et je ne vais pas me transformer -, eh bien ! c'est très volontiers, mes
chers collègues, que je me prête à cette célébration.
M. Jean-Pierre Masseret.
Amen !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ainsi soit-il !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La commission des finances du Sénat ne changera pas
d'avis sur la taxe Tobin !
M. Jean-Pierre Masseret.
C'est dommage !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est vous qui le dites !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cette taxe est contre nature. Elle est complètement
opposée à l'esprit même des marchés et du fonctionnement de l'économie de
marché.
Il est tout à fait clair qu'en dehors de gesticulations aimables elles ne sert
à rien et il est inutile d'en parler, car, pour qu'elle existe, il faudrait
qu'elle soit instituée au sein de chaque Etat souverain de cette planète. Et,
au demeurant, tant les ministres de l'ancien gouvernement Dominique
Strauss-Kahn et Laurent Fabius que la commission des finances du Sénat
partageaient à cet égard exactement le même point de vue.
M. Gérard Miquel.
Ils évoluent !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Comme il s'agit d'une proposition contre nature et
que la nature est ce qu'elle est et qu'elle le demeurera, mon cher collègue, il
n'y a point d'évolution possible.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ce n'est pas sûr !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut que vous vous en convainquiez ! Certes, vous
vous ferez toujours des succès d'audience dans certains milieux avec ce type de
proposition. Il n'en reste pas moins que cela restera du domaine du verbe, du
domaine du symbole que l'on agite en sachant bien que cela ne coûte rien
puisque cela ne sera jamais fait, car c'est contraire à la nature des
choses.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles la commission
des finances, quoi qu'il en soit par ailleurs, est fondamentalement opposée aux
amendements que vous avez présentés comme aux arguments que vous avez
développés pour les défendre.
Cette taxe n'est rien d'autre qu'un objet de gesticulation politique
franco-française. Même James Tobin, dont le nom est en quelque sorte usurpé
dans vos amendements, l'a reconnu avant de disparaître de ce monde.
Après avoir échangé nos arguments, après avoir entendu le ministre, donc après
avoir bien fait notre travail, eh bien ! la liturgie pourra se poursuivre sur
d'autres sujets.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
S'il est une chose dont la France n'est pas dépourvue,
c'est bien de taxes ! Celles-ci sont nombreuses et le génie du Sénat pourrait
être consacré, précisément, à en supprimer.
Si nous pouvions, sans trop diminuer le produit des taxes, dont l'Etat a
besoin pour assumer toutes ses missions, remembrer notre fiscalité et éviter
que l'on ne multiplie les instruments fiscaux, nous rendrions un très grand
service à nos compatriotes.
S'agissant de l'opportunité de créer une taxe, ma réponse est d'une netteté
absolue : il n'en est pas question !
En revanche, dans vos amendements, vous avez soulevé la question de l'utilité
de la régulation et de la transparence des mouvements de capitaux. Il s'agit
d'un débat d'une tout autre dimension. Il est vrai que la France lutte de
toutes ses forces contre la spéculation pour éviter que des crises financières
et monétaires ne mettent certains pays en grande difficulté. Mais appliquer
cette taxe dans un seul pays, comme vient de l'expliquer M. le rapporteur
général à l'instant, est non seulement difficile, mais impossible, vous le
savez, car inefficace.
Pour lutter avec succès contre la spéculation financière déstabilisante,
mesdames, messieurs les sénateurs, il faut, en priorité, donner au système
monétaire et financier international une cohérence et une efficacité accrues.
C'est ce à quoi travaille le Gouvernement, et c'est ce qui me conduit à vous
demander de bien vouloir retirer vos amendements. A défaut, j'en demanderai le
rejet.
M. le président.
Monsieur Miquel, l'amendement n° I-67 est-il maintenu ?
M. Gérard Miquel.
Monsieur le rapporteur général, vous êtes - c'est bien connu dans cette maison
- un chantre du libéralisme. Mais le libéralisme ne peut pas apporter une
réponse au développement des pays pauvres.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La taxe Tobin non plus !
M. Gérard Miquel.
Malheureusement, nous le constatons tous les jours.
De grands sommets sont organisés, tel celui de Johannesburg ou d'autres
encore.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela coûte cher !
M. Gérard Miquel.
Il nous faudra bien trouver une solution pour apporter une aide à ces pays,
afin qu'ils puissent atteindre un niveau de développement qui leur permette au
moins de nourrir leurs populations. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas.
C'est la raison pour laquelle nous maintenons notre amendement. Si cette taxe
était appliquée à l'échelle planétaire - je le sais, nous avons beaucoup de
chemin à parcourir, mais il faudra bien commencer un jour -, le financement du
développement des pays pauvres pourrait être assuré dans de bonnes conditions.
Ce serait une très bonne chose pour l'équilibre de la planète.
M. le président.
Monsieur Foucaud, l'amendement n° I-184 est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud.
Je n'ai rien à ajouter aux propos qui viennent d'être tenus par mon collègue
Gérard Miquel. Comme dirait M. le rapporteur général, je ne reprendrai pas le
rituel ! En la matière, il est sur l'une des trois premières marches du podium.
(Sourires.)
Le problème a été largement exposé, mais il n'a pas été répondu à ma question
relative aux propos du Président de la République, à Johannesburg, en ce qui
concerne la taxe Tobin.
Quoi qu'il en soit, taxer les mouvements financiers permettrait de nourrir une
partie du monde.
M. le président.
La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote.
M. Jean Chérioux.
Je constate que, dans ce domaine, le débat confine toujours au dialogue de
sourds ! Cela vient du fait que nos collègues de gauche confèrent un sens
impropre aux termes qu'ils utilisent. Lorsque notre collègue Gérard Miquel dit
de M. le rapporteur général qu'il est un libéral, il a raison, mais le
libéralisme tel qu'il le décrit - le libéralisme « sauvage » - n'est pas celui
du rapporteur général.
Chers collègues, le libéralisme, ce n'est pas le laisser-faire absolu : il ne
peut se concevoir qu'encadré. C'est celui-là que nous défendons, parce qu'il
est le seul à même de régler les problèmes économiques.
Hélas ! On a constaté l'état dans lequel sont sortis les pays qui avaient
connu pendant des années la gestion collectiviste : on a vu le résultat ! Et
ces régimes ne faisaient rien pour aider les pays sous-développés, tout
simplement parce qu'ils n'en avaient pas les moyens. La seule formule qui peut
réellement contribuer à aider les pays sous-développés est celle du libéralisme
encadré et régulé.
Quant à la solution du type de la taxe Tobin, elle ne peut être conçue qu'à
l'échelon international. En effet, tout système d'aide aux pays sous-développés
est conditionné par l'existence d'une convention internationale. C'est ce qui
explique l'attitude du Président de la République qui, désireux de montrer que
la France entend être le champion de l'aide aux pays sous-développés, ce qui
est dans la tradition gaulliste de la France, n'en demeure pas moins conscient
des réalités. Le Président de la République sait parfaitement que la France ne
peut agir seule, pas plus qu'un autre Etat, d'ailleurs. Cela ne peut être
décidé qu'à l'échelon international. C'est pourquoi le Président de la
République a bien fait d'adopter cette attitude lors du sommet de
Johannesbourg.
Que des parlementaires français proposent une solution de ce genre est
absolument en contradiction avec l'esprit qui sous-tend la politique du
Président de la République, politique raisonnable qui tient compte des
réalités. La vôtre, hélas, chers collègues, est utopique !
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-67 et I-184.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
L'amendement n° I-185, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 242
bis
du code général des impôts est rétabli dans le
texte suivant :
«
Art. 242 bis
. - Sans préjudice des dispositions des articles 57 et
238 A, les charges de toute nature payées ou dues par une personne physique ou
morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui
sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors
de France et qui y sont soumises à un régime fiscal privilégié ne sont admises
comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si elles ont été
mentionnées d'une manière détaillée, précise et exacte dans le cadre d'une
déclaration spécifique remise à l'administration fiscale, en même temps que la
déclaration de leurs résultats et que si celle-ci n'en a pas rejeté le
bien-fondé dans un délai de six mois.
« II. - Les dispositions du I s'appliquent aux exercices ouverts à compter du
1er janvier 2003. »
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Par cet amendement, nous proposons de rétablir l'obligation de déclaration
fiscale détaillée de l'ensemble des transferts de charges des entreprises vers
des pays ou territoires classés à régime fiscal privilégié avant que ces
charges puissent être déduites de l'impôt dans notre pays, et ce uniquement
sous réserve de l'acceptation de leur bien-fondé par l'administration fiscale
dans un délai de six mois.
La préoccupation que traduit cet amendement d'« assainissement » est de
renforcer les dispositifs prévus par le code général des impôts pour lutter
contre l'évasion fiscale, notamment vers les paradis fiscaux.
A ce sujet, mes chers collègues, je voudrais mentionner plus particulièrement
le cas de la société Gemplus, premier fabricant mondial de cartes à puce, qui a
fait beaucoup parler d'elle ces dernières semaines.
A mesure que se démêlent les fils inextricables des montages financiers d'une
entreprise qui, je le rappelle, a déposé un plan social prévoyant la
suppression de 1 200 emplois - notamment un peu plus de 400 à Gémenos, dans les
Bouches-du-Rhône, et à Sarcelles, ma ville -, les salariés et l'opinion
découvrent l'étendue des malversations fiscales auxquelles se sont livrés les
dirigeants.
La direction de Gemplus a notamment utilisé le truchement d'une obscure
filiale nommé Zenzus, basée à Gibraltar, paradis fiscal bien connu, pour
octroyer à plusieurs de ses cadres dirigeants des prêts en vue de l'achat
d'actions de l'entreprise, pour le seul ex-PDG, la somme s'élève à 70 millions
d'euros. Il s'agit évidemment d'une opération totalement illégale en France.
Par ailleurs, à la fin de l'année 1999, sur l'initiative du fonds de pension
américain Texas Pacific Group, qui a pris partiellement le contrôle de
l'entreprise, la direction de Gemplus a déplacé son siège juridique au
Luxembourg et transféré ses brevets vers cette nouvelle entité, ce qui lui a
permis de se soustraire entièrement au paiement de l'impôt sur les sociétés
pour l'année 2000, malgré un bénéfice d'exploitation qui s'élevait alors à 137
millions d'euros. Le versement d'importants droits au titre des brevets à cette
structure implantée dans un pays qui présente également plusieurs
caractéristiques d'un paradis fiscal, a en effet permis à Gemplus de réduire
artificiellement le bénéfice comptable en France, exactement à concurrence des
crédits d'impôt qui lui étaient octroyés pour ses efforts de recherche !
A notre avis, cet exemple démontre la nécessité d'une clarification fiscale
sur la notion de siège de direction effective d'une entreprise, sur les
transferts de brevets vers des filiales - d'autant qu'ils constituent un risque
de pillage technologique - et, plus généralement, de dispositifs plus
appropriés et plus rigoureux de surveillance des relations financières des
entreprises avec des entités implantées dans des paradis fiscaux.
C'est dans ce sens, mes chers collègues, que nous vous invitons à adopter cet
amendement qui complète et renforce les conditions d'application des articles
57 et 238 A du code général des impôts.
A l'occasion de cette discussion, monsieur le ministre, nous souhaiterions
également connaître les intentions du Gouvernement concernant le dossier
Gemplus ainsi que les mesures que vous comptez prendre, notamment pour
sauvegarder l'emploi et prévenir toute évasion fiscale et technologique.
Cela nous semble d'autant plus de la responsabilité du Gouvernement que
Gemplus a bénéficié, depuis sa création, d'aides publiques importantes, sous
forme, notamment, d'exonérations d'impôt sur les bénéfices pendant plusieurs
années en contrepartie de l'installation dans des zones de reconversion
d'emplois, de crédits d'impôts divers ou de mise à disposition de terrains pour
un franc symbolique.
Par conséquent, monsieur le ministre, les salariés et leurs organisations
syndicales attendent un engagement du Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La question posée par le groupe CRC est à prendre
très au sérieux.
C'est, au demeurant, ce qu'avait fait notre commission des finances, voilà
quelques années, en mettant en place un groupe de travail sur la régulation
financière internationale. M. Alain Lambert, alors président de la commission
des finances, doit très bien s'en souvenir.
(M. le ministre délégué
opine.)
Nous avions, à l'époque, traité des différents aspects des
relations financières internationales et, en particulier, des territoires
offshore
, des paradis fiscaux, affirmant la nécessité d'une meilleure
régulation des flux financiers dans le monde.
La question qui est ici posée, et qu'il faut donc prendre très au sérieux, est
celle du contrôle des transferts de charges à l'étranger. Pour autant, lorsque
je consulte les textes en vigueur, en particulier l'article 238 A du code
général des impôts, je constate que ces charges, versées à une personne
domiciliée ou établie hors de France et qui bénéficie d'un régime fiscal
privilégié, ne sont déductibles « que si le débiteur apporte la preuve que les
dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas
un caractère anormal ou exagéré ».
Il semble donc que le texte soit clair et que les services de contrôle aient
toute latitude pour s'assurer du respect et de la lettre et de l'esprit du code
général des impôts. Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner
votre sentiment sur le sujet ?
Mes chers collègues, en fonction de l'évolution de ce type de sujet, sans
doute faudra-t-il, le moment venu, au sein de la commission des finances,
envisager d'actualiser les réflexions formulées voilà quelques années déjà pour
aller un peu plus loin au cours de cette année 2003 qui sera marquée par la
réunion du G 8. A cette occasion, tout ce qui a trait à une meilleure
régulation de l'espace financier international sera traité.
C'est donc en considérant que le code général des impôts doit d'ores et déjà
répondre aux préoccupations exprimées par le groupe CRC, et sous le bénéfice
des observations à venir du Gouvernement, que la commission souhaite le retrait
de cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Mme Beaudeau ne m'en voudra pas de ne plus lui donner
des explications précises relatives à l'entreprise qu'elle a citée. Je peux
simplement lui dire que les services sont naturellement très actifs pour
procéder aux vérifications nécessaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je profite de l'occasion de cet amendement
pour vous dire combien le Gouvernement mène une lutte sans merci contre les
paradis fiscaux qui rendent possibles l'organisation à grande échelle de la
fraude fiscale, le blanchiment des capitaux douteux ainsi, hélas ! que le
financement du terrorisme aujourd'hui.
Ce n'est toutefois pas par la mesure que vous proposez, madame Beaudeau, que
cette lutte pourrait triompher. En effet, vous n'êtes pas sans savoir que le
droit à déduction des commissions, courtages ou autres rémunérations versés à
des tiers établis ou non dans des paradis fiscaux est déjà subordonné à
l'obligation d'une déclaration spéciale.
De plus, les services de vérification de la direction générale des impôts se
sont depuis longtemps mobilisés sur le contrôle de ces versements à destination
des paradis fiscaux et sont d'ailleurs dotés d'outils nécessaires à l'exercice
de ce contrôle, notamment grâce à l'article 238 A du code général des
impôts.
Enfin, j'observe que le principe de non-déductibilité posé par l'amendement
serait très facilement contourné par le relais d'un établissement financier ou
d'une société qui, situés dans un pays tiers, procéderaient, pour le compte des
entreprises françaises, aux versements litigieux en direction des paradis
fiscaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés de la détermination du
Gouvernement. En effet, tous ces montages ont été des moyens, d'abord, de
dissimulation fiscale, ensuite, de financement de filières de trafic de
stupéfiants, pour venir, aujourd'hui, contribuer au financement du terrorisme.
La guerre qui doit être engagée contre le terrorisme sur l'ensemble de la
planète nous conduit à traiter de ces sujets avec un sens élevé de nos
responsabilités. Si j'émets un avis défavorable sur votre amendement, madame
Beaudeau, c'est que sa rédaction n'est pas appropriée. Mais sachez que c'est un
objectif que nous avons en commun avec les autres Etats de l'Union européenne.
Je souhaite donc le retrait de cet amendement. A défaut, j'en demanderai le
rejet.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous preniez cette affaire très au
sérieux, car elle est très importante.
M. le rapporteur général m'a rappelé qu'un groupe de travail avait été mis en
place au Sénat. Je constate que, jusqu'à maintenant, ses conclusions ont été
peu suivies d'effet. J'en veux pour preuve l'affaire Gemplus que j'ai citée en
exemple, la société ayant pu prospérer et prospérant encore.
Je suis étonnée que vous vous opposiez à un amendement d'éthique économique et
fiscal qui tend à lutter contre les paradis fiscaux dans lesquels certains
dirigeants domicilient les sièges sociaux de leur groupe ou, plus précisément,
les têtes de holding, et procèdent à l'évasion fiscale d'une part plus ou moins
importante des bénéfices par le jeu de la facturation de services rendus plus
ou moins fictifs.
Je vous ai cité un exemple, mais cette pratique, très répandue, permet à
certains dirigeants de faire échapper à toute réelle imposition le maximum des
profits cumulés sur l'activité économique normale d'une entreprise.
Dans l'affaire Gemplus, l'évasion fiscale se double d'un véritable pillage de
brevets qui, je le rappelle, ont été déposés en France. On constate également
qu'une part importante des résultats des profits passés a transité par un Etat
de l'Union européenne des plus accueillants en matière financière, en
l'occurrence, le Luxembourg.
Si je me permets d'insister, monsieur le ministre, c'est que j'ai pu lire dans
la presse - car je n'ai obtenu de précisions que par la presse - que deux
professeurs agrégés de droit estiment, sur le fondement d'un référendum en
seize points, que le fonds texan que je vous ai cité n'a pas délivré les bonnes
informations financières à la Commission des opérations de bourse française et
à la SEC, son homologue américaine.
Si je suis intervenue précisément ce matin sur l'affaire Gemplus, monsieur le
ministre, c'est parce que le 8 août 2002, au moment où nous avions connaissance
du plan social, j'avais adressé une assez longue question écrite à M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et que j'ai obtenu pour
toute réponse les cinq lignes que je vous lis : « Au-delà du cas particulier
évoqué par l'auteur de la question et pour lequel la règle du secret
professionnel s'oppose à ce que la situation fiscale d'une entreprise soit
divulguée, les dispositions de la convention franco-luxembourgeoise n'ont en
aucun cas pour effet de priver les services de la direction générale des impôts
de réprimer les transferts directs ou indirects des bénéfices à l'étranger.
L'article 4, paragraphe II, de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du
1er avril 1958 se borne à préciser qu'un Etat ne peut imposer que les revenus
provenant de l'activité des établissements stables situés sur son territoire. »
M. le ministre concluait : « Il ne saurait permettre pas plus qu'aucune autre
convention fiscale de localiser artificiellement à l'étranger des revenus ou
des bénéfices passibles de l'impôt en France. »
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que je maintienne mon amendement et
que je demande précisément ce matin qu'une enquêté soit ouverte sur l'affaire
Gemplus.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Madame Beaudeau, vous soulevez un problème d'une
particulière gravité : il ne saurait être question de manifester la moindre
tolérance à l'égard des paradis fiscaux.
J'observe que des progrès considérables ont été accomplis. Puis-je vous
rappeler, chère collègue, qu'au début des années quatre-vingt dix nous
validions en loi de finances rectificative des opérations de défiscalisation
menées par l'Etat actionnaire ! C'était l'époque du « ni-ni » et on «
repackageait » des titres subordonnés à durée indéterminée. C'est l'Etat qui
était responsable de cela !
De telles pratiques sont pernicieuses et sont de nature à détruire le pacte
républicain.
Si nous combattons votre amendement, madame Beaudeau, ce n'est pas parce que
nous ne reconnaissons pas le bien-fondé de votre préoccupation, mais c'est
parce que nous considérons que les dispositions du code général des impôts sont
suffisantes pour combattre les abus. C'est la volonté du Gouvernement qui sera
déterminante.
Je confirme les propos de M. le rapporteur général : la commission des
finances va réactiver les travaux qu'elle a menés sur la traque des mauvaises
pratiques.
Cela étant, madame Beaudeau, si nous parvenons à alléger le poids des
prélèvements qui pèsent sur les entreprises, ici, en France, nous contribuerons
également à lutter contre ces détournements de procédure. Ne doutez pas un seul
instant de notre détermination. La commission des finances oeuvrera en ce sens
et vous participerez à ses travaux, puisque vous êtes l'un de ses membres. Nous
mènerons ensemble, avec le Gouvernement, ce combat, sachant qu'il doit être
assumé pleinement par les membres de l'Union européenne. Il existe en effet des
pratiques au sein de l'Union européenne qui doivent conduire certains Etats à
rendre des comptes à leurs partenaires.
Ne vous méprenez pas, madame Beaudeau : nous avons les instruments nécessaires
à notre disposition, le reste est une question de volonté politique. C'est pour
cette raison que votre amendement est superfétatoire.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° I-185.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 18