SEANCE DU 14 NOVEMBRE 2002
M. le président.
L'amendement n° 275, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« I. - Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article
706-54 du code de procédure pénale, remplacer les mots : "traces génétiques"
par les mots : "empreintes génétiques issues des traces biologiques".
« II. - Dans l'antépénultième alinéa du même texte, remplacer les mots :
"traces génétiques relevées" par les mots : "empreintes génétiques issues des
traces biologiques recueillies".
« III. - Dans l'avant-dernier alinéa du même texte, supprimer les mots :
"traces et". »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'amendement n° 275 est purement
rédactionnel.
L'expression « traces génétiques » est, certes, juridiquement compréhensible
mais elle est scientifiquement peu précise. C'est pourquoi nous lui préférons
celle d'« empreintes génétiques issues de traces biologiques ».
Cela dit, s'agissant plus généralement de l'article 15, je voudrais revenir
sur l'intention qui est ici celle du Gouvernement.
Le fichier national des empreintes génétiques a été effectivement créé, j'en
donne acte à M. Dreyfus-Schmidt, en 1998, donc sous le gouvernement de M.
Lionel Jospin. Au demeurant, il me paraît vain d'entreprendre en l'occurrence
une recherche en paternité, tant il est clair que, avant 1998, la création d'un
tel fichier avait déjà fait l'objet de longues et nombreuses réflexions.
Par rapport à la législation adoptée en 1998, l'article 15 vise à étendre le
domaine des infractions valant à leur auteur une inscription dans le FNAEG, ce
domaine étant, pour l'heure, à notre sens, exagérément limité aux seules
infractions sexuelles et à certains crimes contre les personnes et les biens.
Pour des raisons d'efficacité, que la Haute Assemblée comprendra, nous
souhaitons y ajouter des délits d'une gravité incontestable, comme les
violences ou les destructions.
L'article 15 tend également à permettre l'inscription dans ce fichier des
empreintes génétiques des personnes suspectées, ce qui n'est pas possible
aujourd'hui. Dois-je rappeler, pour rassurer votre assemblée, que cette
possibilité existe déjà dans de nombreux pays étrangers, en particulier en
Grande-Bretagne, qui fait preuve dans ce domaine, tout en assurant le respect
de l'
habeas corpus,
d'une efficacité que nous sommes bien loin d'égaler
?
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons prendre conscience que ce
fichier génétique n'est jamais qu'une version modernisée du fichier des
empreintes digitales créé au début du xxe siècle. Ce que l'on fait depuis
maintenant cent ans avec les empreintes digitales, la technique nous permet
aujourd'hui de le faire avec les empreintes génétiques. La philosophie est la
même, mais la technique est plus performante.
Il n'y a donc là, en aucune façon, une atteinte aux libertés individuelles.
Je le rappelle, ce fichier ne peut pas être utilisé pour connaître les
antécédents d'une personne. Il ne sert qu'à l'identification d'une personne
dont l'empreinte figure déjà dans le fichier et qui commettrait une nouvelle
infraction.
Par ailleurs, seuls les segments non codant de l'ADN sont utilisés pour
déterminer l'empreinte génétique d'une personne. Cette empreinte ne peut donc
être utilisée que pour être comparée à une autre empreinte et elle ne peut en
aucun cas permettre de connaître d'autres éléments composant la personnalité
comme, par exemple, la couleur de la peau ou l'état de santé.
Bref, ce fichier des empreintes génétiques ne peut gêner que les délinquants
et les criminels.
C'est un fichier que l'ensemble des professionnels attendent depuis longtemps,
mais aussi, j'y insiste, l'ensemble des associations de victimes.
J'ajoute que l'extension de ce fichier présente une véritable urgence. Il me
semble donc nécessaire que le Sénat adopte ces dispositions, qui permettront de
réaliser un très grand progrès dans la recherche de la preuve.
Chacun connaît l'adage selon lequel il vaut mieux laisser un coupable en
liberté que d'enfermer un innocent. Eh bien, grâce à ce fichier des empreintes
génétiques, non seulement on n'emprisonnera plus les innocents, mais on pourra
confondre les coupables.
M. Laurent Dominati.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
L'amendement du Gouvernement apporte une précision tout à
fait utile. En effet, il s'agit d'inclure au fichier non pas des traces mais
les empreintes issues de ces traces. Nous sommes donc tout à fait favorables à
cet amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 275.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 185, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, Mmes M. André et
Blandin, MM. Badinter, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et
les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article
pour l'article 706-54 du code de procédure pénale, remplacer les mots : "une ou
plusieurs raisons plausibles de soupçonner" par les mots : "des indices ou des
éléments graves et concordants attestant". »
L'amendement n° 144, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Beaudeau, Beaufils et
Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer,
Foucaud et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme
Terrade, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article
pour l'article 706-54 du code de la procédure pénale, remplacer les mots : "une
ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner" par les mots : "des indices
graves et concordants attestant ou faisant présumer". »
L'amendement n° 68 rectifié
bis
, présenté par MM. Turk et Nogrix, est
ainsi libellé :
« Dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article
pour l'article 706-54 du code de la procédure pénale, remplacer les mots : "une
ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont" ou par les mots :
"des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient". »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 185.
M. Jean-Pierre Sueur.
Il nous apparaît tout d'abord que la formulation que nous vous proposons est
la plus appropriée dans notre droit. Il n'existe pas de code de procédure
pénale européen. La notion d'indice est propre au droit français, et la
jurisprudence en a détaillé la nature et les caractéristiques. C'est pourquoi
nous pensons qu'il convient de s'y tenir.
Comme l'a expliqué M. Dreyfus-Schmidt, nous sommes profondément attachés à ce
fichier national des empreintes génétiques, outil absolument indispensable, car
il peut rendre d'immenses services.
Cela étant, il faut faire un choix : soit on pense que les empreintes ne
doivent être conservées que dans des cas très précis, soit on considère que ce
fichier est susceptible de concerner tout le monde, sans aucune restriction.
Nous en tenons, nous, pour la première option.
Or ce que vous nous proposez étend considérablement la liste des cas dans
lesquels l'engistrement des empreintes est possible puisqu'il suffit d'être
soupçonné. Il suffit même qu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de
soupçonner, formulation extrêmement vague et mal définie.
La formulation que nous proposons - « des indices ou éléments graves et
concordants » - est beaucoup plus rigoureuse. Elle permet de conserver les
empreintes dans le fichier pour une catégorie de personnes à l'encontre
desquelles peuvent être réunis soit des indices soit des éléments graves et
concordants.
A l'inverse, la formulation du Gouvernement est tellement floue qu'elle permet
de garder les empreintes de tout le monde, quasiment sans aucune limitation.
Je dirai, en conclusion, qu'il convient de concilier le grand avantage
qu'offre l'existence de ce fichier et la protection des libertés.
M. le président.
La parole est à M. Robert Bret, pour défendre l'amendement n° 144.
M. Robert Bret.
Nous estimons que l'existence d'un fichier d'empreintes génétiques est un
outil nécessaire dans le travail d'investigation de la police.
Toutefois, nous déplorons et refusons l'utilisation qui en est faite dans le
cadre de ce projet de loi.
En effet, plusieurs remarques peuvent être faites sur la mise en oeuvre de ce
fichier, notamment sur ses conditions d'entrée et de sortie.
Quant aux personnes concernées par ce fichier, je vais émettre la même
critique que celle qui a été émise lors de la discussion de l'article 4, en
particulier lors de la discussion de notre amendement, sur la raison plausible
de soupçonner une personne d'avoir commis une infraction.
Ce projet de loi ne nous apporte pas assez de garanties sur les conditions
d'entrée dans ces fichiers et, jusqu'à présent le débat ne nous a vraiment pas
convaincu de céder sur cet amendement.
Nous persistons à croire que la notion de « raison plausible » risque de faire
naître des discriminations à l'encontre des personnes contre lesquelles il
existe des indices faisant pésumer qu'elles ont commis une infraction.
En effet, la raison plausible, difficile à qualifier juridiquement, sera
certainement déduite de la personne même et non pas d'éléments objectifs,
d'indices graves et concordants, tendant à faire présumer qu'elle a commis une
infraction.
Pour ces raisons, mes chers collègues, nous vous invitons à voter cet
amendement.
M. le président.
La parole est à M. Philippe Nogrix, pour présenter l'amendement n° 68 rectifié
bis.
M. Philippe Nogrix.
M. Türk, cosignataire de cet amendement, et moi-même, étant tous deux membres
de la CNIL, nous avons souhaité modifier cet amendement après mûre réflexion,
notamment pour qu'il soit en cohérence avec la décision émise par la CNIL en
mars 1999.
Il nous a semblé en effet nécessaire de remplacer les mots : « une ou
plusieurs raisons plausibles » par les mots : « des indices graves ou
concordants », car ces critères sont ceux qui sont requis pour la mise en
examen.
Mme Nicole Borvo.
Très bien !
M. Philippe Nogrix.
Par ailleurs, nous indiquons, dans cet amendement, qu'il s'agit d'indices
graves ou concordants et non pas d'indices graves et concordants.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Nous sommes favorables aux trois amendements n°s 185, 144 et
68 rectifié
bis
, qui ont le même objet, mais la rédaction de
l'amendement n° 68 rectifié
bis,
présenté par MM. Türk et Nogrix, nous
paraît être la meilleure. S'il était adopté, les deux autres amendements
seraient satisfaits. Je demande donc aux auteurs des amendements n°s 144 et 185
d'accepter de les retirer au profit de l'amendement n° 68 rectifié
bis
.
M. le président.
Monsieur Robert Bret, maintenez-vous l'amendement n° 144 ?
M. Robert Bret.
Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 144 est retiré.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, maintenez-vous l'amendement n° 185 ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Quel est donc l'avis de la commission sur ce dernier amendement ?
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
J'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 185 et je
maintiens mon avis favorable sur l'amendement n° 68 rectifié
bis
.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
A ce stade du débat, je veux insister sur le fait que
la Haute Assemblée est très attentive à préserver les libertés individuelles.
La Commission nationale de l'informatique et des libertés nous a effectivement
interrogés avec insistance sur ce point. Nous sommes d'accord sur le fond et
notre problème, en cet instant, est d'ordre strictement technique : nous devons
choisir la meilleure rédaction. Comme l'a indiqué votre excellent rapporteur,
c'est l'amendement de MM. Türk et Nogrix - que M. Nogrix a défendu avec
beaucoup de talent - qui apporte la meilleure rédaction, ne serait-ce que parce
qu'elle reprend les formules traditionnelles qui sont déjà inscrites dans le
code de procédure pénale.
Si vous en étiez d'accord, monsieur Dreyfus-Schmidt, puisque vous êtes
satisfait sur le fond, le Sénat pourrait adopter à l'unanimité l'amendement n°
68 rectifié
bis.
Dans le cas contraire, comme l'a fait la commission, le
Gouvernement émettra un avis défavorable sur l'amendement n° 185. Quoi qu'il en
soit, nous sommes absolument d'accord sur le fond.
M. le président.
M. Dreyfus-Schmidt, vous avez entendu l'appel qui vous est à nouveau adressé.
Maintenez-vous l'amendement n° 185 ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faut être précis !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'aurais aimé - mais nous aurons l'occasion de le faire tout à l'heure - vous
décrire la situation qui existe au Canada.
(Exclamations sur les travées du
RPR et de l'Union centriste.)
Mes chers collègues, ce sont des expériences
intéressantes ! Le droit comparé ne vous intéresse pas, monsieur Chérioux ?
M. Jean Chérioux.
Oh si, j'en étais spécialiste ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'amendement n° 185 vise à remplacer, je vous le rappelle, les mots « une ou
plusieurs raisons plausibles de soupçonner » par les mots « des indices ou des
éléments graves et concordants attestant ».
Je rappelle, et c'est très intéressant, que notre collègue M. Turk proposait à
l'amendement n° 68 : « des indices ou des éléments graves et concordants
attestant ou faisant présumer ». Notre collègue allait donc un petit peu plus
loin que nous. On aurait parfaitement pu s'accorder sur cet amendement...
M. Jean-Pierre Sueur.
Dans sa version initiale !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... avant qu'il ne soit rectifié et cosigné par notre collègue Philippe
Nogrix, mais je suis convaincu que ce n'est pas lui qui a imposé le
changement...
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Il est capable de le faire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Que disposait l'amendement n° 68 rectifié
bis
avant d'être rectifié
?
Il visait à remplacer les mots : « une ou plusieurs raisons plausibles de
soupçonner « par les mots : « des indices ou des éléments graves et concordants
attestant ou faisant présumer ». Sa rédaction rejoignait donc très exactement
celle de l'amendement n° 144.
Voilà que, après discussion, j'imagine, non seulement le nom de M. Nogrix est
ajouté à celui de M. Türk, mais on nous propose de remplacer les mots : « une
ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » par les mots : « des indices
graves ou concordants » - « ou », et non plus « et » - « rendant vraisemblable
» et non plus « attestant ou faisant présumer ».
Par conséquent, monsieur Nogrix, je serais prêt à soutenir votre amendement si
vous repreniez, pour la première partie de la formule, ce qui était proposé
dans l'amendement n° 68 rectifié et, pour la seconde partie, ce qui était
proposé dans l'amendement n° 68, c'est-à-dire un mélange des deux versions dont
aucune ne portait votre signature.
Voilà, monsieur le ministre, la réponse qui s'imposait tout de même. Vous
voyez que les formulations sont différentes selon les amendements. Vous voulez
souligner le caractère important de cette disposition, vous voulez des
suspects, mais qui soient vraiment « chargés », comme dans le cas de la mise en
examen. Eh bien, la mise en examen est ordonnée si sont réunis « des indices ou
des éléments graves et concordants ».
(M. le secrétaire d'Etat et M. le
rapporteur protestent en brandissant le code de procédure pénale.)
Il est intéressant que M. le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur, code à la
main, veuillent me démontrer que la formule est bien celle que je propose. La
formule reprise est celle de la mise en examen. En tout cas, en ce qui nous
concerne, nous préférions de très loin la formule retenue par notre collègue M.
Türk.
M. le président.
La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote sur l'amendement n°
185.
M. Jean Chérioux.
Pour la clarté des débats, M. Courtois a souhaité apporter à M.
Dreyfus-Schmidt une précision sur la rédaction de l'article 706-54 du code de
procédure pénale. Comme il n'a pas pu le faire, cela ne figurera pas au compte
rendu. Par conséquent, je souhaiterais que M. le rapporteur nous rappelle le
contenu de cet article de façon que l'on constate que le texte de l'amendement
n° 68 rectifié
bis
est bien conforme aux dispositions qui figurent dans
le code, contrairement à ce que disait M. Dreyfus-Schmidt.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Dans le code de procédure pénale, il est fait mention « des
personnes à l'encontre lesquelles il existe des indices graves ou concordants
rendant vraisemblable » qu'elles aient pu participer à la commission de
l'infraction. On retrouve ces termes dans l'amendement de MM. Nogrix et
Türk.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 185.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 68 rectifié
bis.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une
heures trente.)