SEANCE DU 14 NOVEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 15. - Les articles 706-54 à 706-56 du code de procédure pénale sont
ainsi rédigés :
«
Art. 706-54
. - Le fichier national automatisé des empreintes
génétiques, placé sous le contrôle d'un magistrat, est destiné à centraliser
les traces génétiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes
condamnées pour l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 en vue de
faciliter l'identification et la recherche des auteurs de ces infractions.
« Les empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe
une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis l'une des
infractions mentionnées à l'article 706-55 sont également conservées dans ce
fichier sur décision d'un officier de police judiciaire agissant soit d'office,
soit à la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction ; il
est fait mention de cette décision au dossier de la procédure. Ces empreintes
sont effacées sur instruction du procureur de la République, agissant soit
d'office, soit à la demande de l'intéressé, lorsque leur conservation
n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier. Lorsqu'il est
saisi par l'intéressé, le procureur de la République informe celui-ci de la
suite qui a été réservée à sa demande ; s'il n'a pas ordonné l'effacement,
cette personne peut saisir à cette fin le juge des libertés et de la détention,
dont la décision peut être contestée devant le président de la chambre de
l'instruction.
« Les officiers de police judiciaire peuvent également, soit d'office, soit à
la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction, faire
procéder à un rapprochement de l'empreinte d'une des personnes mentionnées à
l'alinéa précédent avec les données incluses au fichier, sans que cette
empreinte y soit toutefois conservée.
« Le fichier prévu par le présent article contient également les traces
génétiques relevées à l'occasion des procédures de recherche des causes de la
mort ou de recherche des causes d'une disparition prévues par les articles 74,
74-1 et 80-4, ainsi que les empreintes génétiques correspondant ou susceptibles
de correspondre aux personnes décédées ou recherchées.
« Les traces et empreintes génétiques conservées dans ce fichier ne peuvent
être réalisées qu'à partir de segments d'ADN non codants, à l'exception du
segment correspondant au marqueur du sexe.
« Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de
l'informatique et des libertés détermine les modalités d'application du présent
article. Ce décret précise notamment la durée de conservation des informations
enregistrées.
«
Art. 706-55
. - Le fichier national automatisé des empreintes
génétiques centralise les traces et empreintes génétiques concernant les
infractions suivantes :
« 1° Les infractions de nature sexuelle visées à l'article 706-47 ;
« 2° Les crimes contre l'humanité et les crimes et délits d'atteintes
volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie, de
violences volontaires, de menaces d'atteintes aux personnes, de trafic de
stupéfiants, d'atteintes aux libertés de la personne et de proxénétisme, prévus
par les articles 221-1 à 221-5, 222-1 à 222-18, 222-34 à 222-40, 224-1 à 224-8,
225-5 à 225-11 du code pénal ;
« 3° Les crimes et délits de vols, d'extorsions, de destructions, dégradations
et détériorations, de menaces d'atteinte aux biens prévus par les articles
311-1 à 311-13, 312-1 à 312-9 et 322-1 à 322-14 du code pénal ;
« 4° Les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, les actes de
terrorisme et l'association de malfaiteurs prévus par les articles 410-1 à
413-12, 421-1 à 421-4 et 450-1 du code pénal ;
« 5° Les crimes et délits prévus par les articles 2 et 4 de la loi du 24 mai
1834 sur les détenteurs d'armes ou de munitions de guerre, l'article 3 de la
loi du 19 juin 1871 abrogeant le décret du 4 septembre 1870 sur la fabrication
des armes de guerre et par les articles 24 à 35 du décret du 18 avril 1939
fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions ;
« 6° Les infractions de recel ou de blanchiment de l'une des infractions
mentionnées aux 1° à 5° ci-dessus, prévues par les articles 321-1 à 321-7 et
324-1 à 324-6 du code pénal.
«
Art. 706-56
. - Le fait, pour une personne mentionnée au premier, au
deuxième ou au troisième alinéa de l'article 706-54, de refuser de se soumettre
à un prélèvement biologique destiné à permettre l'analyse d'identification de
son empreinte génétique est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 EUR
d'amende.
« Lorsqu'il s'agit d'une personne condamnée pour crime, la peine est de deux
ans d'emprisonnement et 30 000 EUR d'amende.
« Nonobstant les dispositions des articles 132-2 à 132-5 du code pénal, les
peines prononcées pour les délits prévus au présent article se cumulent, sans
possibilité de confusion, avec celles que la personne subissait ou celles
prononcées pour l'infraction ayant fait l'objet de la procédure à l'occasion de
laquelle les prélèvements devaient être effectués. »
La parole est à M. Robert Bret, sur l'article.
M. Robert Bret.
L'article 15 tend à modifier les articles du code de procédure pénale relatifs
au fichier national automatisé des empreintes génétiques.
A l'origine de sa création par la loi du 17 juin 1998 sur la prévention et la
répression des infractions sexuelles, ce fichier devait contenir uniquement les
empreintes génétiques des personnes définitivement condamnées pour une
infraction sexuelle.
Nous sommes en accord avec cette possibilité de ficher les délinquants sexuels
afin que ne se reproduisent plus des drames qui auraient pu être évités. Je
prendrai pour mémoire l'exemple de Guy Georges, le tueur de l'Est parisien, qui
a pu continuer de violer et tuer plusieurs victimes alors qu'il s'était fait
arrêter par la police, qui n'a pu alors, faute d'avoir disposé de ce genre de
fichier, établir un rapprochement des empreintes génétiques retrouvées sur les
lieux des précédents meurtres.
La loi sur la sécurité quotidienne a élargi le contenu du fichier à certains
crimes, tels que les atteintes volontaires à la vie, les tortures et actes de
barbarie.
Cependant, ce qui est proposé aujourd'hui comme extension va bien plus loin
que les crimes et ne concernerait plus uniquement les personnes définitivement
condamnées.
En effet, vous prévoyez de pouvoir y inscrire des personnes à l'encontre
desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles
ont commis une infraction. Sur ce point, nous émettons une opposition nette au
remplacement de la notion d' « indice » par celle de « raison plausible », mais
j'aurai l'occasion d'y revenir lors de la défense de notre amendement sur ce
sujet.
Nous adoptons également une attitude critique quant aux conditions
d'effacement des empreintes génétiques de ce fichier, c'est-à-dire sur
instruction du procureur de la République, qui agirait d'office ou à la demande
de l'intéressé.
Comme nous l'avons déjà expliqué lors de la discussion de l'article 9, nous
souhaitons que les conditions de sortie du fichier soient strictement définies
par la loi, qui doit prévoir expressément les cas d'effacement des données.
Est-ce trop demander ? Mais nous reviendrons sur ce point lors de l'examen de
notre amendement qui tend à prévoir les conditions dans lesquelles seront
effacées les empreintes génétiques.
Nous sommes favorables à la tenue d'un fichier des empreintes génétiques, afin
de faciliter l'élucidation de certains crimes. Toutefois, nous sommes opposés à
une extension quasi démesurée de ce fichier, notamment aux infractions qui ne
sont pas criminelles et qui ne concernent pas ce que j'appellerai des crimes de
sang. Nous avons également déposé un amendement sur ce sujet.
Enfin, il nous paraît tout à fait anormal qu'une personne présumée innocente
puisse être contrainte de se soumettre à un prélèvement biologique sous peine
de sanctions, qui ne sont d'ailleurs pas simplement symboliques : six mois de
prison et 7 500 euros d'amende !
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il est bon de rappeler que c'est par un vote qui s'est déroulé le 17 juin 1998
qu'a été créé le fichier national automatisé des empreintes génétiques,
c'est-à-dire sous le gouvernement précédent, que vous critiquez tant !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce que nous critiquons, c'est le fait que ce fichier n'ait pas été mis en
place plus tôt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela n'a pas été rapide, c'est vrai, parce que la CNIL n'a rendu un avis
favorable qu'en décembre 1999 et que le Conseil d'Etat n'a donné son aval qu'en
mars 2000.
Il n'en demeure pas moins que l'initiative de la création de ce fichier
revient au gouvernement de Lionel Jospin : vous n'avez pas le droit de ne pas
le reconnaître !
M. Jean Chérioux.
Qui a dit que nous ne le connaissions pas ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Et nous avons approuvé cette initiative !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela dit, il s'agit d'un problème difficile, d'autant qu'il est proposé
d'étendre considérablement les infractions qui conduisent à l'inscription dans
ce fichier, allant jusqu'à y mettre ceux qui sont suspectés au niveau de
l'enquête préliminaire.
On nous a donné l'exemple de la Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, c'est
vrai, on a retrouvé, grâce à un tel fichier, des chasseurs qui avaient tué des
blaireaux !
M. Roger Karoutchi.
Oh non ! Pas ça !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En fait, on n'a effectué aucune étude comparative sur ce qui se pratiquait à
cet égard dans d'autres pays d'Europe, ce qui aurait éventuellement permis aux
Européens de se mettre d'accord entre eux.
Voici, par exemple, ce que disent les Suisses :
« Les deux méthodes d'investigation... » - c'est-à-dire les empreintes
digitales et les empreintes génétiques - « ... doivent rester complémentaires :
il arrive en effet qu'on n'ait que des traces de doigts à se mettre sous la
loupe et qu'aucun fragment génétique ne soit contenu dedans. Il est alors
indispensable d'en passer par les empreintes. Sans oublier qu'un test ADN n'est
pas sûr à 100 %.
« Si l'on écarte le risque de trouver deux chaînes d'ADN identiques sur deux
individus fondamentalement différents (théoriquement possibles mais
statistiquement aussi peu probable que de lancer dix fois de suite un « six »
aux dés), restent tous les risques d'erreurs liés au test lui-même. Vu la
taille des échantillons considérés, il suffirait que le laborantin éternue,
perde un cil ou laisse une goutte de sueur dans l'éprouvette pour fausser le
résultat. »
Il conviendra de garder cela à l'esprit lorsque, tout à l'heure, il s'agira de
déterminer qui procède au prélèvement.
Je poursuis ma lecture : « Sans parler des inversions d'étiquettes ou autres
erreurs de manipulation, toujours possibles.
« D'ici trente ans, tout le monde sera fiché génétiquement à la naissance,
estime Philippe de Mazancourt, biologiste à l'hôpital de Garches, près de
Paris. Une prévision qui fait bondir certains chercheurs suisses. Aussi,
Manfred Hochmeister, de l'Institut de médecine légale, à Berne, juge que le
citoyen accepterait mal d'ignorer ce que la police peut faire des informations
individuelles contenues dans l'ADN.
« Car chaque médaille a son revers : en progressant, notre connaissance de
l'ADN nous amènera un jour à déceler les gènes de certaines maladies, voire de
la criminalité, de l'alcoolisme ou, pourquoi pas, de certains comportements peu
sociaux comme la paresse ou la tendance à la révolte contre l'ordre établi. Les
détenteurs d'un tel savoir ne vont-ils pas pénaliser le citoyen qui cherche un
emploi ou qui veut conclure un contrat d'assurance. »
Vous le voyez, les choses ne sont pas simples !
Mon temps de parole étant presque écoulé, je saisirai la première occasion
venue pour vous informer de ce qu'on en dit au Canada.
M. Hilaire Flandre.
La suite au prochain numéro !
ARTICLE 706-54 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE