SEANCE DU 14 NOVEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 12. - Les données contenues dans les traitements automatisés de données
personnelles gérées par les services de police et de gendarmerie peuvent
également être transmises à des organismes de coopération internationale en
matière de police judiciaire, ou à des services de police étrangers qui
présentent, pour la protection des données personnelles des garanties
équivalentes à celles du droit interne, dans le cadre des engagements
internationaux régulièrement introduits dans l'ordre juridique interne. »
La parole est à Mme Nicole Borvo, sur l'article.
Mme Nicole Borvo.
Cet article prévoit que les données contenues dans le STIC pourront être
communiquées à des organismes de coopération internationale en matière de
police judiciaire ou à des services de police étrangers.
Nous ne pouvons qu'approuver des dispositions visant à permettre la
transmission d'informations nominatives concernant des crimes et des faits
graves, tels que la participation à des réseaux en tout genre, qu'il s'agisse
de trafic d'armes ou de drogue, de prostitution, etc. Je ferai d'ailleurs
remarquer qu'il faudrait que cette coopération soit beaucoup plus effective que
ce n'est le cas actuellement.
En effet, si nous souhaitons mener une lutte efficace contre tous ces réseaux,
qui représentent pour la sécurité une menace bien plus grande que l'activité
des prostituées ou des mendiants, il est important de mettre en place une
coopération policière internationale, sans oublier l'échelon européen, qui doit
devenir organisé et opérationnel.
Toutefois, si nous sommes d'accord pour que les organismes policiers
internationaux puissent utiliser des informations nominatives relatives à des
crimes, nous sommes beaucoup plus réservés quant à l'utilisation de telles
informations quand il s'agit de délits ou de contraventions de cinquième
classe.
En effet, il ne semble pas nécessaire, si nous nous plaçons dans une optique
de lutte contre les réseaux sur le plan international, que ces organismes
policiers puissent avoir connaissance d'informations nominatives concernant des
personnes ayant commis des délits ou des contraventions de cinquième classe.
Bien au contraire, un excès d'informations risque, à l'usage, de rendre ce
fichier moins lisible et moins opérationnel pour les organismes policiers
internationaux, ce qui n'est pas l'objectif visé par le biais de cette
coopération, au demeurant nécessaire.
L'objectif est en fait de lutter contre la criminalité organisée qui agit aux
échelles européenne et internationale. Or tel n'est pas l'objet de ce projet de
loi, M. le garde des sceaux devant présenter, si j'en crois certains articles
parus dans la presse, un autre texte portant sur la grande criminalité.
Mais surtout, et cela nous inquiète profondément, ces fichiers pourront
contenir des informations nominatives concernant de simples suspects,
informations qui seront stockées au même titre que celles qui sont relatives à
des personnes déjà condamnées. Nous ne pouvons que nous opposer à ce que des
organismes internationaux puissent accéder à des informations nominatives sur
des personnes présumées innocentes. Nous redoutons en effet que des erreurs
d'appréciation, dues par exemple à des traductions imprécises, ne soient
commises, pouvant entraîner des erreurs judiciaires très préjudiciables, c'est
le moins que l'on puisse dire, pour des personnes qui auront simplement été
entendues dans le cadre d'une enquête.
C'est pourquoi, bien qu'appelant de nos voeux une coopération policière
pleinement opérante, nous exprimons des réserves s'agissant de la communication
des données relatives à des délits ou à des contraventions de cinquième classe.
Nous voterons donc contre l'article 12.
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 179 rectifié, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, Mmes André et
Blandin, MM. Badinter, Frimat, Charles Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet,
Sueur et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le début de cet article :
« Les données contenues dans les traitements automatisés de données
personnelles peuvent, dans les conditions déterminées par décret en Conseil
d'Etat pris sur avis de la Commission nationale de l'informatique et des
libertés, être transmises... »
L'amendement n° 5, présenté par M. Courtois, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Dans cet article, après les mots : "de gendarmerie peuvent", supprimer le
mot : "également". »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 179
rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur.
Renforcer la coopération internationale en matière de police judiciaire est
absolument nécessaire, mais nous considérons que l'on doit chercher à atteindre
cet objectif légitime dans le respect des garanties qui sont inscrites dans
notre droit, d'autant que l'article 12 prévoit que les organismes et services
de police étrangers devront présenter, en matière de protection des données
personnelles, des garanties équivalentes à celles qui existent dans notre droit
interne.
M. le rapporteur s'est d'ailleurs lui-même inquiété de cette question,
puisque, dans son rapport, il souligne qu'il conviendra de veiller à ce que
l'effacement ou la rectification de certaines données soient signalés aux
organismes internationaux ou aux services de police étrangers auxquels ces
données auront été transmises.
Pour cette raison, et aussi pour tous les motifs que vient d'exposer Mme
Borvo, nous pensons qu'il serait sage de renvoyer à un décret d'application la
définition précise des conditions de la transmission des données à des
organismes internationaux ou à des services de police étrangers. Il serait
également sage, à notre sens, que ce décret en Conseil d'Etat soit pris après
avis de la CNIL, car le sujet est très grave. Toutefois, nous avons rectifié
notre amendement, qui prévoyait initialement que cet avis serait conforme.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5 et pour
donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 179 rectifié.
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
L'amendement n° 5 vise à corriger une erreur
rédactionnelle.
Quant à l'amendement n° 179 rectifié, il prévoit de soumettre la transmission
de données personnelles à des services de police étrangers à des conditions
fixées par un décret pris après avis de la CNIL.
A vrai dire, cette disposition nous paraît inutile. Le texte de l'article 12
est en effet suffisamment explicite, puisqu'il n'autorise la transmission des
données qu'à des pays présentant des garanties équivalentes aux nôtres en
matière de protection des données personnelles.
La rédaction initiale de l'amendement prévoyait d'ailleurs un avis conforme de
la CNIL, ce qui paraissait aller à l'encontre de la future loi portant
transposition de la directive européenne sur les données personnelles.
Cependant, même rectifié, l'amendement nous semble inutile, aussi la commission
a-t-elle émis un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Le Gouvernement partage l'analyse de M. le rapporteur.
Je tiens à vous préciser, monsieur Sueur, que prendre un décret nous semble
inutile, parce que la matière qui nous occupe est entièrement épuisée par les
conventions internationales. En effet, comme vous le savez certainement, les
informations nominatives sont toujours transmises sur le fondement d'accords
internationaux qui sont tous soumis à ratification. Une clause expresse
relative à la transmission des données personnelles doit figurer dans ces
accords internationaux. Le projet de loi renforce encore les garanties
existantes, puisqu'il prévoit de leur donner, en plus du fondement des accords
internationaux ratifiés, une base législative.
Nous considérons donc en toute bonne foi qu'il n'y a pas place pour un décret
entre la loi et les accords internationaux, puisque la matière est épuisée.
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur
l'amendement n° 179 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous ne sommes pas convaincus, et nous le regrettons vivement.
Notre collègue M. Alex Turk, qui représente le Sénat au sein de la CNIL, est
le spécialiste de ce genre de problèmes, qu'il connaît donc parfaitement bien.
Je ne vois pas quel inconvénient il peut y avoir à demander à la CNIL de
veiller à ce que nous ne risquions pas de transmettre des données personnelles
qui, vous le savez, peuvent concerner des suspects qui seront inscrits au
fichier sans même que le procureur de la République compétent le sache. Le
texte de l'article 12 précise que les données pourront également être
transmises à des « services de police étrangers qui présentent, pour la
protection des libertés personnelles, des garanties équivalentes à celles du
droit interne ». En l'état actuel, quelles garanties avons-nous que ce
personnel étranger, fût-il européen, présente des garanties équivalentes à
celles du droit interne. Nous ne les avons pas.
Certes, vous ajoutez les mots : « dans le cadre des engagements internationaux
», mais cela ne dit pas quelle est la compétence. Je ne vois pas pour quelle
raison on ne demanderait pas l'avis de ceux qui, comme notre collègue Alex
Türk, étudient ces problèmes depuis des années et en débattent souvent à
Bruxelles ou dans d'autres enceintes. Là est notre inquiétude.
Monsieur le ministre, les explications que vous avez bien voulu nous donner,
et nous vous en sommes reconnaissants, ne nous ont pas convaincus. C'est
pourquoi il n'est pas question que nous retirions notre amendement.
M. Jean-Chérioux.
Ils ont des yeux, et ils ne voient pas ; ils ont des oreilles, et ils
n'entendent pas !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 179 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 5.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le groupe socialiste vote pour.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Article 13