SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2002
M. le président.
La parole est à Mme Gisèle Gautier.
Mme Gisèle Gautier.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité
intérieure et des libertés locales.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Heureusement qu'il est là !
Mme Gisèle Gautier.
En ma qualité de présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et
à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, je voudrais d'abord
vous dire, monsieur le ministre, combien je me réjouis que vous ayez, avec
courage et lucidité, entrepris de nous proposer, au travers de votre projet de
loi pour la sécurité intérieure, la mise en place de nouvelles mesures
coercitives visant à tenter d'éradiquer ce douloureux problème que représente
la prostitution. Beaucoup de gouvernements se sont succédé, mais bien peu s'y
sont essayé ! Lors de la discussion générale de votre projet de loi, qui
interviendra la semaine prochaine, ma collègue Janine Rozier vous présentera
son excellent rapport, synthétisant les travaux de notre délégation sur ce
dossier.
En effet, nous assistons aujourd'hui à une véritable explosion de ce fléau,
avec deux phénomènes nouveaux : je veux parler, d'une part, de l'extrême
jeunesse des jeunes filles - elles ont de quatorze à quinze ans - qui
s'adonnent à la prostitution et, d'autre part, de leur origine, beaucoup
d'entre elles venant, outre d'Afrique, bien sûr des pays de l'Est.
Alors que, par ailleurs, vous vous efforcez, monsieur le ministre, de
combattre avec vigueur l'immigration clandestine, ces jeunes victimes sans
ressources ni repères en France, et surtout démunies de cartes de séjour,
viennent augmenter le nombre des immigrés clandestins et alimenter les réseaux
mafieux, qui sont bien structurés et difficiles à démanteler pour nos forces de
police puisqu'ils disposent de moyens financiers puissants. On prend en effet
la mesure de cette puissance lorsque l'on sait que 70 % des gains, soit 3
milliards d'euros par an, vont dans les poches des proxénètes.
Aussi, au regard de ce que je viens de dire, permettez-moi, monsieur le
ministre, de réitérer un voeu que j'ai formulé dernièrement dans le cadre du
forum des femmes parlementaires qui s'est tenu à Madrid : à la veille de
l'intégration de dix nouveaux pays au sein de l'Union européenne, ne
faudrait-il pas exprimer certaines exigences à l'égard, notamment, des pays de
l'Est, afin qu'ils soient amenés à prendre des dispositions radicales à
l'encontre de ces nouveaux réseaux de prostitution venant renforcer ceux qui
sont déjà implantés sur notre territoire ?
Il ne servirait en effet à rien de promulguer des lois pour endiguer les
pratiques que nous connaissons en France si, par ailleurs, nous ne pouvons
réprimer ce trafic de femmes, qui échappe, grâce à son extrême mobilité, à tous
les contrôles policiers et judiciaires.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir m'indiquer, monsieur le
ministre, quelles mesures vous comptez prendre s'agissant de ce dossier.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Madame Gautier, nous abordons là, sans doute, l'une des questions
les plus difficiles qui soit, car la prostitution ne peut être un sujet de
gaudriole ni de plaisanterie.
Il ne s'agit pas du tout, pour le Gouvernement, de régler d'un coup le
problème que constitue ce que l'on présente comme le plus vieux métier du monde
; il s'agit, en revanche, d'endiguer l'expansion d'un phénomène qui a pris de
plus en plus d'ampleur ces dix dernières années. C'est une question très
difficile, et je m'étonne qu'elle soit souvent traitée avec beaucoup de
légèreté. En effet, la prostitution n'est pas un métier comme les autres ; de
mon point de vue, ce n'est d'ailleurs pas un métier du tout, car il couvre la
douleur de femmes bafouées. Prétendre organiser, en quelque sorte, un métier d'
« abattage », c'est contester la dignité humaine.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je crois que nous en
sommes tous convaincus !
S'agissant des réseaux internationaux, qu'il me soit permis d'évoquer
rapidement un exemple.
La police a démantelé un réseau de proxénètes roumains, auquel toute une
famille prenait part : la grand-mère faisait l'aller et retour entre Paris et
Bucarest tous les quinze jours pour rapatrier l'argent ; les fils battaient les
prostituées et, éventuellement, les protégeaient sur le trottoir ; quant aux
petits-fils, ils louaient les chambres d'hôtel. La police a arrêté les
proxénètes et, naturellement, on n'a rien pu saisir, puisque tout ce joli monde
vivait dans des chambres de bonne et ne possédait rien en France. J'ai donc,
dans le cadre de mes échanges avec M. Ioan Rus, le ministre de l'intérieur
roumain, appelé à une évolution de la législation roumaine, afin que l'on
puisse saisir les biens en Roumanie d'un proxénète qui aura été arrêté en
France.
J'aurai également l'occasion de me rendre en Bulgarie, car nous devons bien
sûr agir de la même façon pour toutes les filières, qu'elles soient africaines
ou est- européennes.
Pour conclure, j'ajouterai que les malheureuses femmes qui sont prisonnières
de ces réseaux se trouvent en danger non pas quand elles sont en Albanie, mais
quand elles sont sur le trottoir. Il y aurait, me semble-t-il, une singulière
hypocrisie à considérer qu'il est normal que le racolage actif soit un délit,
et tout aussi normal que le racolage passif n'en soit pas un.
Notre objectif est de soustraire ces femmes aux réseaux qui les ont amenées en
France sous de fallacieux prétextes. A cette fin, nous devons pouvoir les
arrêter pour délit de racolage passif - car le racolage passif sera un délit -,
les raccompagner chez elles et mettre en place, comme je l'ai fait avec Mme
Versini, une plate-forme d'organisations non gouvernementales dans leur pays,
de manière que l'on puisse les réinsérer. Il ne faut surtout pas les abandonner
! En effet, tous ceux qui protestent aujourd'hui contre le sort qui est fait
aux prostituées les plaignent quand ils les voient en passant par la place de
Clichy, puis s'en vont dîner... Eh bien nous, nous voulons agir ! Je ne dis pas
que les mesures que nous présentons permettront de régler tous les problèmes,
mais, du moins, nous ne restons pas les bras ballants devant la progression
impressionnante d'un phénomène qui contredit totalement les valeurs
républicaines.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE