SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002
M. le président.
La parole est à M. Nicolas About, auteur de la question n° 57, adressée à M.
le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
M. Nicolas About.
Je vous remercie, monsieur le ministre de la santé, d'être venu ce matin
répondre personnellement à ma question, d'autant plus importante à mes yeux
qu'elle concerne un combat dans lequel je suis engagé depuis de nombreuses
années.
Je voudrais attirer votre attention sur l'ordonnance du tribunal administratif
de Lille en date du 25 août 2002, faisant injonction au centre hospitalier
régional Hôtel-Dieu de Valenciennes de ne pas procéder à l'administration
forcée d'une transfusion sanguine à une femme témoin de Jéhovah.
La façon dont la presse a rendu compte de cette décision et l'interprétation
pour le moins hâtive qui en a été donnée ont suscité une vive émotion parmi les
professionnels de santé et, semble-t-il, dans l'opinion publique.
Les articles de presse ont en effet qualifié cette décision du tribunal
administratif de « revirement jurisprudentiel » dans la mesure où elle
privilégiait, disait-on, le respect absolu de la volonté du patient sur les
obligations déontologiques du médecin.
En réalité, cette interprétation ne résiste pas à l'examen de la décision du
tribunal administratif, laquelle s'inscrit au contraire dans le droit-fil de la
jurisprudence administrative en la matière, et je dois dire que les magistrats
ont été les premiers surpris de l'interprétation faite par la presse.
L'ordonnance considère en effet que l'absence de respect de la volonté de la
patiente par l'hôpital constitue une atteinte « grave et manifestement illégale
aux libertés fondamentales » dans la mesure où il n'est pas allégué par
l'hôpital que « le refus de respecter la volonté de la patiente serait rendu
nécessaire du fait d'un danger immédiat pour sa vie ». Cette ordonnance a de
fait été rendue dans un contexte très particulier marqué par l'absence des
représentants de l'hôpital à l'audience.
Dans ce contexte de grande confusion, il apparaît aujourd'hui indispensable de
dire le droit, de dissiper les malentendus et de rassurer pleinement les
professionnels de santé.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de confirmer que cette
décision de justice ne modifie en rien le droit positif, lequel prévoit que,
lorsque le pronostic vital d'un patient est en jeu et lorsque l'urgence
commande de prendre une décision, il ne saurait être reproché à un médecin de
pratiquer les actes indispensables à la survie du patient, au besoin contre la
volonté de ce dernier.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei,
ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Monsieur le sénateur, l'ordonnance du 25 août dernier faisant injonction à
l'établissement hospitalier de Valenciennes de ne pas procéder à une
transfusion contre le gré d'une patiente s'inscrit, vous avez raison de le
souligner, dans le droit-fil de la jurisprudence.
L'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 16 août 2002, dont on a
beaucoup moins parlé, allait par exemple dans le même sens.
Pour motiver sa décision dans cette affaire, le juge d'appel avait ainsi
clairement posé que « le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se
trouve en l'état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt
le caractère d'une liberté fondamentale ».
Il ajoutait que, toutefois, « les médecins ne portent pas à cette liberté
fondamentale une atteinte grave et illégale lorsque, après avoir tout mis en
oeuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils
accomplissent, dans le but de le sauver, un acte indispensable à sa survie et
proportionné à son état ».
Il précisait en outre « qu'un tel acte, lorsqu'il est réalisé dans ces
conditions, n'est pas incompatible avec les exigences qui découlent de la
Convention européenne des droits de l'homme ».
La jurisprudence parvient donc à ménager un subtil équilibre entre les
obligations et les devoirs en conflit dans des situations d'une extrême
difficulté pour le médecin qui doit, en conscience, adopter une attitude
compatible avec le droit et les devoirs de sa mission.
Si la jurisprudence est claire, force est de constater que, dans sa rédaction
issue de la loi de mars 2002, l'article L. 1111-4 du code de la santé publique
n'envisage aucune dérogation explicite à l'obligation du médecin de respecter
la volonté du malade dès lors que celui-ci est en état de l'exprimer. A la
lettre, le texte oblige donc le médecin à tenter de convaincre le patient et, à
défaut, à s'incliner devant son refus.
Mais comment pourrait-on exiger en droit, sous la menace de sanctions, qu'un
médecin laisse mourir un malade sans rien tenter pour le sauver, dans le seul
but de respecter sa volonté ?
Quel sens pourrait-on donner à la loi pénale qui incrimine et punit
l'abstention de porter secours à une personne en péril si un médecin devait
être sanctionné malgré son devoir d'agir dans le respect de la vie pour avoir
porté secours à un malade en danger de mort ?
La conscience du médecin qui agit dans le respect de la vie rejoint les
valeurs essentielles qui fondent l'édifice des principes et droits fondamentaux
de la personne.
Il ne manque donc pas d'arguments dans le droit pour expliquer l'absence de
faute du médecin qui tente de sauver son patient en danger de mort, malgré son
refus du traitement susceptible de lui sauver la vie. C'est bien ce que traduit
la jurisprudence ; et la décision de justice du 25 août à laquelle vous avez
fait référence ne constitue donc nullement un revirement jurisprudentiel.
M. le président.
La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de la confirmation que vous venez de
nous donner.
Nous étions confrontés à un conflit de droit entre deux textes. Il est
important que M. Jean-François Mattei nous ait rappelé la mesure qu'il convient
d'avoir dans ce domaine.
Si, à l'avenir, la jurisprudence devait être modifiée par une interprétation
abusive de la loi Kouchner, peut-être, à ce moment-là, serait-il temps pour le
Parlement de se ressaisir et d'amender le texte de façon à protéger aussi bien
la liberté de conscience que le contenu éthique de la profession de médecin.
PROBLÈMES LIÉS AUX INSTALLATIONS
DE DISTRIBUTEURS-ÉCHANGEURS DE SERINGUES