SEANCE DU 29 OCTOBRE 2002
ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
DE LA RÉPUBLIQUE
Discussion d'un projet de loi constitionnelle
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n°
24 rectifié, 2002-2003) relatif à l'organisation décentralisée de la
République. [Rapport n° 27 (2002-2003).]
En notre nom à tous, permettez-moi de souligner, monsieur le Premier ministre,
combien nous sommes sensibles à votre présence en cet instant, qui marque
l'estime que vous portez à l'institution sénatoriale et l'importance que vous
attachez à ce projet de révision constitutionnelle.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendant et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je tiens également à saluer la présence au banc du Gouvernement de l'ensemble
des ministres qui ont contribué à l'élaboration de ce texte : M. Dominique
Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, qui nous en exposera tout à
l'heure les dispositions de manière approfondie, M. Nicolas Sarkozy, ministre
de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, Mme Brigitte
Girardin, ministre de l'outre-mer, M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux
libertés locales, et M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations
avec le Parlement.
Comment ne pas se réjouir que le Gouvernement ait déposé ce projet de loi
constitutionnelle relatif à la décentralisation en premier lieu au Sénat, qui,
aux termes mêmes de la Constitution, assure la représentation des collectivités
territoriales de la République.
Je félicite la commission des lois, tout particulièrement son président et
rapporteur, M. René Garrec, pour l'excellent travail réalisé dans des délais
brefs sous la présidence du doyen Gélard.
Fort heureusement, sa réflexion était bien avancée, car elle a pu s'appuyer
sur les très nombreux travaux effectués par le Sénat au cours de ces dernières
années.
Je rappellerai en particulier que nous avions été plusieurs à prendre
l'initiative d'une proposition de loi constitutionnelle relative à la libre
administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales
et financières, adoptée sur le rapport de M. Patrice Gélard, voilà deux ans, le
26 octobre 2000. Hélas ! ce texte est resté en instance à l'Assemblée
nationale.
M. Alain Gournac.
Hélas !
M. le président.
Plus récemment, j'ai de nouveau déposé sur le bureau du Sénat, avec un certain
nombre de nos collègues, une proposition de loi constitutionnelle tendant à
consacrer dans notre Constitution les grands principes fondateurs de la
décentralisation. Je vous avais remis ce texte, monsieur le Premier ministre,
le 25 juillet dernier, à Matignon.
Je suis heureux de constater une certaine communauté de vues, une certaine
parenté entre tous ces textes qui procèdent de la même intention : donner un
nouveau souffle à la décentralisation.
Il n'était que temps d'engager cet important débat ; il n'est que temps
d'ouvrir l'acte II de la décentralisation.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
Monsieur le président, madame et messieurs les
ministres, mesdames et messieurs les sénateurs, un moment important de l'action
publique s'engage aujourd'hui avec le projet de loi de révision
constitutionnelle qui est présenté à la Haute Assemblée.
Tout d'abord, j'adresserai un message de gratitude au Sénat, qui, depuis déjà
de longues années, a travaillé sur ce sujet.
Le Gouvernement s'est inspiré fortement notamment des travaux de la mission
présidée par M. Jean-Paul Delevoye et dont M. Michel Mercier était le
rapporteur, des analyses de la mission présidée par Jean François-Poncet ainsi
que des textes dont Daniel Hoeffel a été à plusieurs reprises le rapporteur.
Tous ces travaux ont beaucoup éclairé la réflexion du Gouvernement.
Le texte qui vous est présenté trouve sa source politique dans la situation du
mois de mai 2002.
Nous ne pouvons oublier cette situation politique que notre pays a connue en
ce printemps 2002, ce message du 21 avril, par lequel les Français ont exprimé
leur exaspération, leur mécontentement du fonctionnement de la République et
son impuissance à tenir ses promesses de liberté, d'égalité et de
fraternité.
Certains ont choisi l'intolérance, d'autres l'abstention. Ils ont pris de la
distance avec notre organisation républicaine. Ils ont contesté l'impuissance
publique et l'absence du politique. Finalement, ils ont envoyé un message lourd
de sens, un appel à la réforme et à la modernisation de la République.
Le 5 mai, ils nous ont aussi adressé un message d'espoir dans les valeurs de
la République essentielles à notre vivre ensemble. Nous contestons le
fonctionnement de la République, nous ont-ils dit, mais nous sommes attachés à
ses valeurs, la liberté, l'égalité et la fraternité.
Faisons en sorte que cette promesse de la République ne soit pas seulement
inscrite sur le fronton de nos édifices publics et que ces valeurs soient
partagées dans la vie quotidienne, sur le terrain, que la République se partage
et sache s'exprimer dans les proximités.
Ce message, nous l'avons entendu. Le Gouvernement que j'ai l'honneur de
présider est né de cette situation, nous ne l'oublions pas. C'est pour cela que
nous nous sommes engagés rapidement dans une action de réforme de notre
organisation républicaine en souhaitant, comme nous vous le proposons dans ce
texte de loi, une organisation décentralisée de la République.
La vision qui est la nôtre est celle d'une France qui sera, en 2015, en 2020,
en trois dimensions.
D'abord, j'évoquerai la dimension européenne, qui est aujourd'hui en train de
se redessiner.
Pensons à cette Europe qui va avoir, pour la France, dans les prochaines
années, une nouvelle géographie.
Pensons à cette Europe élargie à vingt-cinq membres, qui comptera presque deux
fois plus d'habitants que les Etats-Unis et qui aura une superficie deux fois
moindre.
Pensons à cette Europe, qui est en train de se construire et pour laquelle, le
week-end dernier, à Bruxelles, les lignes d'avenir ont été tracées nous
laissant penser que l'élargissement pourra être dessiné à la fin de cette année
2002 lors de la réunion du Conseil européen à Copenhague.
Cette Europe élargie, c'est aussi une Europe qui va repenser son organisation
politique. Nous la souhaitons moins bureaucratique et plus démocratique, avec
des institutions nouvelles.
C'est tout le travail important qui est engagé par la Convention sur l'avenir
de l'Europe, présidée par Valéry Giscard d'Estaing et qui vise à réformer les
institutions européennes.
Depuis de nombreuses années s'était engagé un débat relatif à
l'approfondissement et à l'élargissement de l'Europe. Finalement, dans les
années 2004-2006, nous aurons à la fois l'élargissement et
l'approfondissement.
Cette nécessité pour nous de préparer ces échéances nous impose aussi le
retour à des valeurs politiques auxquelles nous sommes très attachés. Nous ne
voulons pas que notre pays se dissolve, nous ne voulons pas que nos valeurs
disparaissent dans cette organisation européenne.
Cette Europe des Etats qui est en train de se construire nous impose de penser
la France avec une dimension géographique nouvelle, mais aussi une dimension
politique renouvelée.
Cette vision concerne notre espace européen, l'engagement de la France dans
l'Europe et les institutions qui permettent à la France de se faire entendre
dans l'Europe.
Ensuite, la deuxième dimension, c'est le retour de l'autorité républicaine, le
renouveau de l'Etat. Si nous voulons que notre vivre ensemble, notre pacte
républicain soit vivant, il faut que l'Etat soit présent dans la société
française avec force. Autant notre engagement européen ne peut pas être en
cause, parce que nous sommes pour l'élargissement et pour la refonte de nos
institutions, autant nous souhaitons que l'autorité républicaine soit
réaffirmée partout sur notre territoire national.
M. Jacques Peyrat.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
C'est la raison pour laquelle, dès les premiers mois de
notre action gouvernementale, nous avons engagé cet effort pour rétablir
l'autorité républicaine autour de trois valeurs importantes.
Il s'agit, d'abord, de la sécurité, la sécurité intérieure bien évidemment,
première des libertés, mais aussi la sécurité extérieure et la politique de
défense.
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
Nous voyons aujourd'hui que, sur la scène
internationale, la France est de retour et que les positions que prend le
Président de la République, aussi bien en ce qui concerne l'Irak qu'à
Bruxelles, sont de plus en plus écoutées.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mais je crois que
cette autorité-là n'est pas indépendante des efforts que nous faisons pour
réaffirmer l'autorité de notre Etat, notamment au regard de la situation
internationale, et de ceux que nous faisons pour notre défense. Peut-on penser
que la France pourrait défendre sa place au Conseil de sécurité de l'ONU si
nous n'avions pas la capacité de faire en sorte que notre outil de défense soit
crédible dans le monde ?
L'autorité républicaine doit être rétablie pour la sécurité, pour l'état de
droit, pour une justice plus efficace, plus proche, et aussi pour la
solidarité, la solidarité des personnes, mais également la solidarité entre les
territoires, qui ont besoin d'équité, qui ont besoin que l'on corrige les
disparités profondes vécues aujourd'hui par nos compatriotes.
Il nous faut un Etat renforcé, mais aussi - et c'est la troisième dimension -
une République des proximités, proche des citoyens, attentive à leurs
préoccupations, à leur écoute.
Je ne crois pas que la société ira vers beaucoup plus de simplification dans
l'avenir. Hélas ! les sociétés modernes sont complexes, mais, au fond, faut-il
le regretter, puisque nous voulons, les uns et les autres, que la personne soit
reconnue en tant que telle, qu'elle ait sa place dans la société ? Chacun veut
être reconnu pour lui-même, avec son originalité, sa spécificité.
Cela signifie que l'on ne peut pas avoir des traitements mécaniques de la
société humaine, des traitements qui systématisent l'ensemble de notre
organisation sociale. Il faut reconnaître les différences, les sensibilités.
Or, plus on écoute la personne, plus le système est complexe. La seule façon de
traiter la complexité est de donner des responsabilités à la proximité et de
faire en sorte que les décisions soient prises au plus près du terrain. C'est
dans la proximité que doivent s'exprimer ces complexités.
Dès que l'on fait remonter la complexité dans les systèmes centraux, on se
trouve dans des situations de blocage, de paralysie, cette sorte de congestion
cérébrale que nous observons souvent dans notre pays et qui conduit à
l'impuissance politique.
Telle est la vision que nous avons de la France de 2010, de 2015, cette France
à trois dimensions engagée dans un grand espace européen, avec des institutions
plus démocratiques, un Etat républicain qui tient sa place et qui est là où les
Français l'attendent, qui ne cherche pas à se disperser, mais qui, au
contraire, recentré sur ses missions fondamentales, assume ses responsabilités,
une République des proximités sur les territoires, qui prend des décisions
accessibles au citoyen, et dont l'identité est reconnue.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Cette vision est celle que nous vous proposons de cette « maison France » à
trois étages, de cette France à trois dimensions.
A l'évidence, de nombreuses actions ont déjà été engagées sur ces sujets. Je
pense à celle qu'ont menée le général de Gaulle et Olivier Guichard avec la
Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, la DATAR. Ils
ont défini la ligne directrice de l'aménagement du territoire et de l'action
régionale, c'est-à-dire du rôle de l'Etat dans l'équité territoriale, mais
aussi du rôle des libertés locales, car ces deux fonctions sont nécessaires :
il faut à la fois libérer les énergies et assurer l'équité nationale des
territoires. Cette action importante a évidemment été développée, et je
souhaite ici rendre hommage à Pierre Mauroy et à Gaston Defferre, qui ont fait
franchir à la décentralisation des étapes très importantes pour l'organisation
de notre République.
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes
travées.)
Nous avons fait une analyse objective et sur un certain nombre de sujets, la
réussite a été au rendez-vous grâce à ces lois de décentralisation :
aujourd'hui, les départements, avec les collèges, et les régions, avec les
lycées, ont fait mieux et moins cher que l'Etat. Cette organisation
décentralisée a permis, dans un grand nombre de domaines, d'avoir un service
public et de qualité et de proximité.
Mme Hélène Luc.
Avec quels concours de l'Etat !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
Mais il faut que l'avenir soit porteur de nouveaux
progrès. Par exemple, aujourd'hui, s'agissant des lycées et des collèges, les
choses sont claires ! Dans les collèges, les principaux sont bilingues parlant
à la fois le langage du département et le langage du recteur. Tout comme les
proviseurs, ils savent ce qu'ils peuvent demander aux uns et aux autres. Les
responsabilités sont bien définies !
Ce n'est pas tout à fait le cas en ce qui concerne la formation
professionnelle et un certain nombre de sujets qui nécessitent des
clarifications et des simplifications nouvelles.
Le moment est venu, après tous les rapports, toutes les études, toutes les
propositions qui ont été formulées, de passer à l'acte II de la
décentralisation. C'est ce qui vous est proposé aujourd'hui. Notre démarche
sera développée par le garde des sceaux dans quelques instants. Je vous dirai
simplement que nous avons cent cinquante jours pour réussir depuis le moment où
nous avons déposé le projet de loi constitutionnelle.
Nous avons pensé qu'il fallait aborder le sujet au travers de la Constitution,
pour bien montrer la direction dans laquelle nous voulions nous engager : faire
en sorte que la loi constitutionnelle ouvre le débat et qu'ensuite chacun
puisse s'exprimer grâce aux assises régionales des libertés locales. Nous avons
pris un certain nombre d'initiatives, mais tous les débats sont bienvenus :
ceux des collectivités locales, ceux des universités, ceux des partenaires
économiques et sociaux.
Nous souhaitons que la discussion progresse et qu'à partir des propositions
qui figurent dans le projet de loi constitutionnelle les territoires de France
puissent s'exprimer. Nous reviendrons devant vous au printemps prochain pour
vous proposer la loi organique et les textes qui permettront de mettre en
oeuvre les transferts de compétences et les expérimentations nécessaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi constitutionnelle
tend à injecter cinq leviers de changement importants, qui nous paraissent être
de bons outils pour engager l'acte II de la décentralisation et lancer cette
réflexion nouvelle.
Le premier levier est celui de la subsidiarité, de la proximité. Il est
essentiel que lorsqu'un niveau exerce bien une responsabilité on ne cherche pas
à chaque fois à le déposséder de sa compétence en faisant remonter celle-ci au
niveau le plus élevé. Faisons en sorte que ce qui est bien géré au niveau le
plus bas reste géré à ce niveau, le plus près possible du citoyen.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
C'est ce principe de subsidiarité, de proximité, qui
nous permettra, mesdames, messieurs les sénateurs, d'opérer des transferts
importants de compétences. Je compte proposer au Parlement, au printemps
prochain, des transferts de compétences très importants.
Les premières assises territoriales auxquelles ont assisté les membres du
Gouvernement ici présents ont montré que, finalement, aujourd'hui, sur de
nombreux sujets, les idées sont mûres ; je pense, notamment, aux routes
nationales pour les départements, à la formation professionnelle pour les
régions, sans oublier les communautés urbaines, monsieur Mauroy.
C'est ce premier principe, le principe de subsidiarité, de proximité, qui
légitimera les transferts de compétences.
Le deuxième levier de changement concerne le droit à l'expérimentation. Ce
droit à l'expérimentation est très important, notamment quand le sujet est
complexe et qu'il implique de nombreux acteurs. Il est souhaitable que les
acteurs participent eux-mêmes à la réforme. Nous l'avons vécu avec la
régionalisation du transport ferroviaire. C'est parce qu'une expérimentation a
été réalisée dans certaines régions que l'on a pu ensuite mettre en place la
régionalisation du transport ferroviaire.
Avec l'expérimentation, c'est le pragmatisme qui l'emporte, ce sont les
acteurs locaux qui participent à la réforme afin que celle-ci soit non pas
imposée, mais partagée.
Il est un certain nombre de sujets sur lesquels l'expérimentation sera
nécessaire pour que nous puissions apprécier les conditions de généralisation
de la réforme sur l'ensemble du territoire.
L'expérimentation est l'étape qui peut nous permettre de préparer de futurs
transferts. Quand le sujet est simple, quand il fait l'objet d'un consensus et
qu'il entre à l'évidence dans le champ de la décentralisation, nous opérerons
le transfert. Quand le sujet est plus complexe, quand il nécessite d'associer
les différents acteurs et de prendre des précautions pour affiner la
proposition, l'expérimentation précédera le transfert.
(Très bien ! sur les
travées du RPR.)
Le troisième levier de changement, c'est le principe de péréquation.
Nous voulons que la décentralisation permette de réaliser des économies, de
simplifier les procédures. Nous ne cherchons pas à introduire plus de
complexité. Nous souhaitons simplement que l'Etat remplisse une mission
nationale d'intérêt général pour assurer l'équité entre les territoires.
Aujourd'hui, de nombreux territoires connaissent des difficultés. Il en est
ainsi des territoires ruraux, de certains quartiers urbains. Des écarts
existent dans les territoires de France.
J'entends dire quelquefois, ici ou là, qu'il y a des risques d'inégalité. Mais
depuis que je fais de la politique, l'inégalité, je la connais, je la constate
dans la région du Limousin et, souvent, dans des régions rurales ; je voix ceux
qui ont facilement accès au téléphone mobile et ceux qui ne l'ont pas
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
- Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen)
; je vois ceux qui ont obtenu le TGV gratuitement et ceux qui ont dû participer
à son financement ; je vois ceux qui vont, par leurs impôts locaux, être
obligés de financer des pylônes, alors que d'autres auront bénéficié de
concours de l'Etat.
M. Henri de Raincourt.
Eh oui ! Comme pour les autoroutes !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
La responsabilité républicaine de l'Etat est d'assurer
une équité territoriale sur l'ensemble de notre espace national.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La France aura une organisation décentralisée, mais elle restera une et
indivisible.
Mme Hélène Luc.
Nous verrons ! Ce n'est pas une évidence !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
C'est la raison pour laquelle ce principe de
péréquation est nécessaire. Je crois que nous ne pouvons qu'améliorer les
choses par rapport à la situation actuelle.
Le quatrième levier est celui de l'autonomie financière. Je sais combien le
Sénat est compétent sur ce sujet et nous serons attentifs aux réflexions qu'il
formulera.
Nous ne cherchons pas à imposer nos points de vue, puisqu'il s'agit de
dossiers très complexes, et nous serons très attentifs, monsieur Garrec, à
l'expertise de la Haute Assemblée. Nous appelons simplement l'attention sur un
point : lorsque nous transférerons une compétence à un territoire - je prendrai
l'exemple des routes nationales, dont la compétence a été transférée aux
départements - l'Etat devra, dans le même temps, transférer les dotations
correspondantes.
Mme Hélène Luc.
Comme cela s'est fait jusqu'à maintenant !...
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
Nous voulons éviter, en effet, le « théorème de l'APA »
(Exclamations sur les travées socialistes)
, cette logique qui consiste à
donner une compétence sans les moyens
(Exclamations sur les travées du
RPR)
mais il faudra veiller à ce que l'autonomie ne soit pas remise en
cause pour que le Conseil constitutionnel ne puisse nous dire que ce transfert
de compétence n'est pas possible à ce titre.
C'est la question clef sur laquelle nous devons travailler, de manière à
obtenir un texte qui protège notre capacité à opérer des transferts de
compétence. Si l'on conserve le texte tel que le Sénat l'a élaboré dans une
excellente proposition de loi, signée par d'éminentes personnalités, nous
devons veiller - c'est une démarche importante - à ce que le Conseil
constitutionnel ne trouve pas là l'occasion de limiter les transferts de
compétence. Je pense que, par notre travail collectif, nous trouverons la
solution à ce problème.
Après le principe de subsidiarité, le droit à l'expérimentation, le principe
de péréquation et la capacité d'autonomie pour les collectivités territoriales,
j'en viens au dernier point, l'appel au citoyen. C'est un sujet très important,
tant il est vrai que l'organisation décentralisée de la République ne peut pas
être uniquement une affaire d'experts et d'élus. La République est à tous, et
c'est, au fond, l'appel au citoyen que nous voulons promouvoir, pour qu'il
sente que cette République lui est accessible.
Aussi sommes-nous très attachés au référendum territorial et à la possibilité
d'organiser des référendums institutionnels sur les territoires. C'est d'une
logique fondamentale : nous ne pouvons pas décentraliser sans que le citoyen
ait la parole sur ces sujets-là ; nous avons besoin qu'il puisse s'exprimer. La
force des élus de France, c'est leur proximité avec les citoyens. Les élus de
proximité n'ont pas peur des citoyens ; ils trouvent, au contraire, dans le
contact avec les citoyens la force de leur légitimité.
Il est, je crois, important de ménager cette ouverture avec le référendum
territorial, comme il est important de faire en sorte que le Gouvernement et le
Parlement puissent engager des consultations de manière à proposer la
simplification administrative de notre pays.
Aujourd'hui, l'opinion doit pouvoir se prononcer et participer à l'avenir
institutionnel du pays.
Je prends l'exemple du débat sur la Corse, débat important, débat difficile.
Nous voulons participer au développement de la Corse. Nous avons confiance dans
le potentiel de la Corse, comme nous avons confiance dans la capacité de la
Corse à faire face à son destin. Nous sommes convaincus que les élus de Corse
peuvent proposer aujourd'hui des perspectives qui mobiliseront l'opinion
publique et qui feront participer les Corses eux-mêmes à l'avenir de la
Corse.
A cet égard, les propositions faites par M. le ministre de l'intérieur vont
dans la bonne direction, celle qui trace une route d'avenir ouverte à
l'ensemble des citoyens qui veulent partager cette perspective.
C'est pour cette raison que le référendum est très important : il permettra de
simplifier nos institutions. Quand les citoyens estiment qu'il n'est pas
forcément la peine de maintenir un empilement de structures et que l'on peut
simplifier pour rendre les structures plus proches, alors consultons la
population ! Et si les deux Savoie veulent constituer un grand département de
Savoie, et si les deux départements d'Alsace veulent, de même, constituer un
grand département, pourquoi ne pas laisser ces projets progresser ?
(Applaudissements sur les travées du RPR. - Protestations sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Il faut pouvoir avancer.
M. Robert Bret.
Alors, ne convoquez pas le Congrès !
Mme Nicole Borvo.
Et consultez la population sur la décentralisation !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
Les décentralisateurs, les Girondins, n'ont pas peur
des consultations populaires.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Borvo.
Quelle contradiction, monsieur le Premier ministre !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
Les démocrates, les républicains n'ont pas peur de
l'expression populaire. La décentralisation, c'est la confiance populaire,
c'est elle qui fera vivre notre pays, c'est elle qui organisera la mobilisation
républicaine.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo.
Alors, consultez sur la décentralisation !
M. Guy Fischer.
Référendum !
Mme Hélène Luc.
Dites-nous ce que vous pensez du référendum !
Mme Nicole Borvo.
En avant pour le référendum !
M. Robert Bret.
Tout de suite, le débat avec les Français !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
L'ensemble de cette démarche s'inscrit dans cette
logique de confiance. Trop longtemps la décentralisation a été marquée par la
méfiance, gênée par l'ensemble des dispositifs et des procédures, notamment de
contrôle, qui ont été empilées...
Mme Nicole Borvo.
C'est bien la droite !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
... de manière à rendre tout illisible pour le citoyen
et impraticable pour les élus.
Il nous faut donc simplifier. Je compte sur la Haute Assemblée...
Mme Nicole Borvo.
Comptez sur nous, en effet !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
... pour simplifier les textes importants qui ajoutent
la complexité à la complexité.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Je pense que les CRADT, les SCOT, les PLU et autres objets administratifs non
clairement identifiés
(Rires et nouveaux applaudissements sur les mêmes
travées)
doivent faire l'objet d'un travail de simplification.
Je sais que vous travaillez sur ces sujets ; le Gouvernement sera à vos côtés.
Nous ne voulons plus de cette organisation de méfiance qui met chacun en
observation de sorte que l'Etat se méfie des collectivités et les collectivités
se méfient de l'Etat... Non ! La République appartient à tous,...
M. Robert Bret.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin,
Premier ministre.
... la République trouve vie quand elle fait confiance
aux citoyens. C'est pour cela qu'il faut une organisation décentralisée de la
République.
(Mmes et MM. les sénateurs des Républicains et Indépendants, du
RPR et de l'Union centriste, ainsi que certains sénateurs du RDSE se lèvent et
applaudissent longuement.)
M. Robert Bret.
Référendum !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui, un référendum !
Mme Nicole Borvo.
A quand le référendum, monsieur le Premier ministre ?
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
(Nouveaux applaudissements sur les
mêmes travées.)
M. Dominique Perben,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, M. le Premier ministre vient de poser les
bases du débat refondateur pour la vitalité de notre République que vous allez
ouvrir dans un instant.
Avec ce texte, nous avons en effet pour ambition de bâtir le socle
constitutionnel d'une véritable République des proximités, une République
caractérisée par plus de démocratie, plus de libertés, plus de citoyenneté,
plus de garanties.
L'unité n'est pas l'uniformité.
La conception uniforme de la République ne rend plus compte des aspirations de
nos concitoyens. Selon une récente enquête d'opinion, 74 % d'entre eux se
prononcent en faveur d'une véritable démocratie de proximité, 73 % considèrent
qu'elle permettra un meilleur développement économique et 75 %, c'est-à-dire
les trois quarts, qu'elle améliorera la qualité des services publics locaux.
Il faut désormais trouver un nouvel et meilleur équilibre entre le principe
d'égalité et le respect des libertés locales.
Ce projet, vous le savez, doit beaucoup à la volonté du Président de la
République ainsi qu'à celle du Premier ministre, qui vient de s'exprimer avec
force. Ainsi, à Rouen, le 16 avril dernier, le Président de la République avait
appelé à un élan et à un souffle nouveaux pour notre démocratie.
Rarement révision constitutionnelle aura été autant nourrie par la réflexion
des parlementaires, et tout particulièrement par la vôtre, mesdames, messieurs
les sénateurs, vous qui représentez les collectivités territoriales de la
République, selon les termes mêmes de l'article 24 de la Constitution. Vos
travaux ont très directement inspiré, en effet, la réflexion du Gouvernement,
comme vous venez de le rappeler, monsieur le Premier ministre ; vous-même y
avez contribué, lorsque vous siégiez sur ces travées.
A l'origine de ces réflexions et de ces propositions, il y a un même constat,
désormais très largement partagé, que traduit le corps même de la Constitution
: la place des collectivités territoriales y est très modeste, trop modeste.
Ainsi, un seul article scelle, dans le titre relatif aux collectivités
territoriales, le sort des collectivités métropolitaines ; trois autres
articles concernent les collectivités d'outre-mer ; un titre spécifique régit
la Nouvelle-Calédonie.
Pendant tout le siècle dernier, le principe dit de libre administration des
collectivités territoriales a résumé l'aspect constitutionnel de la
question.
Dans ce cadre, la décentralisation a donc été l'oeuvre du législateur. Issue
de la réflexion du général de Gaulle, elle a été conçue, au début des années
soixante-dix, comme un allégement des tutelles de l'Etat, principalement sur
les communes. Elle a, par la suite, emprunté à titre temporaire - faudrait-il
dire aujourd'hui à titre expérimental ? - la voie de la déconcentration, avec
la création, en 1972, des régions comme établissements publics.
Je tiens à rappeler ici le rôle précurseur joué par le Sénat qui adoptait, dès
le 22 avril 1980, après quinze mois de travaux, un projet de loi relatif au
développement des responsabilités locales.
La décentralisation s'est alors développée progressivement dans un mouvement
de transfert de compétences portant, pour l'essentiel, sur la gestion des
services publics. A la suite, les lois de décentralisation du 2 mars 1982 et du
7 janvier 1983 constituent davantage l'aboutissement d'un mouvement déjà
nettement amorcé qu'une rupture.
(Exclamations amusées sur les travées socialistes.)
Les acquis de la décentralisation lancée par Gaston Defferre sont justement
appréciés. Vingt ans après les lois de 1982 et de 1983, les collectivités
locales sont reconnues comme les espaces d'une démocratie de proximité, à même
d'assurer la satisfaction de bon nombre des besoins de nos concitoyens.
Cependant, et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le président, ce
mouvement a aujourd'hui atteint ses limites.
La décentralisation des années passées fut octroyée par l'Etat ; celle que
nous vous proposons de mettre en place est, comme le souligne très justement le
rapport de votre commission des lois, portée par l'initiative des élus locaux
eux-mêmes.
Depuis 1998, monsieur le président, vous avez pris votre bâton de pèlerin,
avec un bon nombre de vos collègues sénateurs, pour animer, dans presque toutes
les régions de métropole et d'outre-mer, les états généraux des élus locaux.
Les conclusions de ce travail de fond ont bien mis en évidence les limites
d'une décentralisation qui, si elle fait désormais partie de notre patrimoine
républicain, s'apparente à un processus inachevé, « au milieu du gué »,
processus qui a même été fragilisé par des tentations recentralisatrices.
D'abord, l'enchevêtrement des compétences, en dépit d'une logique affichée de
transfert par bloc, nuit clairement à l'efficacité de l'action publique.
En effet, sur une même question, plusieurs collectivités, et l'Etat, peuvent
intervenir concomitamment : qu'il faille entretenir ou construire des voies
ouvertes à la circulation routière, la compétence en reviendra au maire, mais
ses pouvoirs s'arrêteront si la commune est traversée par une route nationale !
D'ailleurs, 78 % des Français avouent leur perplexité face à la confusion
actuelle. Ne parlons pas des mécanismes de cofinancement...
Ensuite, la rigidité institutionnelle n'a pu être desserrée, en France
métropolitaine, qu'à Paris et en Corse. S'agissant des collectivités
d'outre-mer, cette rigidité aurait continué d'imposer des modifications
constitutionnelles successives après celles qui furent opérées pour la
Nouvelle-Calédonie ou celle envisagée pour la Polynésie française.
A ces limites structurelles s'ajoutent des difficultés fonctionnelles, si
souvent soulignées. Dans l'exercice de leurs compétences, les collectivités
territoriales restent soumises à la législation et à la réglementation
nationales. L'Etat a été améné à intervenir de plus en plus, au lieu de se
recentrer sur ses compétences essentielles, comme le disait M. le Premier
ministre tout à l'heure, en privant ainsi les collectivités locales de leur
liberté d'initiative et de l'exercice de leurs responsabilités.
Ce phénomène s'est doublé d'une perte d'autonomie financière. L'évolution de
la structure des ressources des collectivités locales marque un mouvement de «
recentralisation financière » qui a été particulièrement mis en évidence par la
Haute Assemblée.
Il s'agit de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, de
la disparition de la « vignette automobile », des exonérations et réductions de
droits de mutation, ainsi que du remplacement de ces recettes fiscales par des
dotations allouées par l'Etat qui ont incontestablement conduit à un
démantèlement de la fiscalité locale et, par là même, à un affaiblissement de
l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Faute d'avoir affirmé de façon suffisamment nette ce principe d'autonomie
financière, l'Etat a laissé progressivement se tarir une part croissante de la
fiscalité locale qu'il n'a pas su réformer.
Nous ne pouvons plus nous résoudre à voir les finances locales dépendre
toujours davantage de l'Etat, au fil des législations et des lois de
finances.
Avec ces réformes, la part de la fiscalité locale dans les ressources globales
hors emprunt a été réduite à moins de 37 % pour les régions, 43 % pour les
départements et 48 % pour les communes. Quant au poids des compensations
versées aux collectivités par l'Etat, il a été multiplié par treize depuis
1983.
Il s'agit donc aujourd'hui de définir le cadre global et cohérent d'une
nouvelle architecture des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités
territoriales.
Surtout, il s'agit de donner des garanties aux collectivités pour que, en
matière normative comme en matière financière, l'Etat ne vienne pas paralyser
d'une main le mouvement qu'il encourage de l'autre.
Enfin, l'approfondissement de la décentralisation doit dépasser le seul cadre
représentatif et s'accompagner d'une progression résolue de la démocratie
directe locale.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs de la présente
révision constitutionnelle, qui ne pourront être atteints qu'en desserrant,
chaque fois que cela sera nécessaire, l'étau qui bride les initiatives
locales.
Bien sûr, affirmer puis décliner l'organisation décentralisée de la
République, ce n'est en aucun cas remettre en cause ses principes fondateurs,
ni ses grands équilibres. Le chef de l'Etat a rappelé toute l'importance qu'il
attache au respect des principes essentiels que sont l'indivisibilité de la
République ou l'égalité des citoyens devant la loi. L'ambition de cette réforme
est, selon ses propres termes, de donner à la démocratie « le souffle de
l'initiative et l'efficacité de la proximité ». Cette ambition trouve sa source
dans l'identité même de la Ve République, qui fera une nouvelle fois la preuve
de sa solidité, de sa maturité et de son adaptation aux « nécessités de notre
temps ».
Mais, avant d'en venir en détail au contenu de la réforme, je n'oublie pas, en
tant que garde des sceaux, les qualités, tant symboliques que juridiques, de la
norme constitutionnelle : claire dans ses ambitions et concise dans son
expression, ferme sur les principes qu'elle énonce et ouverte quant à leur mise
en oeuvre. Le projet que le Gouvernement vous soumet répond, je le crois, à la
difficile synthèse de ces différentes exigences fondamentales.
Ce texte repose sur quatre piliers : l'organisation décentralisée de la
République, la démocratie locale directe, l'autonomie financière des
collectivités territoriales et la rénovation du statut des collectivités
d'outre-mer. La grande majorité de ces dispositions vise à rénover le titre XII
de la Constitution consacré aux collectivités territoriales.
J'ajouterai un cinquième volet qui concerne directement le fonctionnement de
l'Etat lui-même.
J'en viens à l'organisation décentralisée de la République.
L'article 1er de notre loi fondamentale est des plus symboliques. Il exprime
la quintessence des principes fondamentaux de notre République : « La France
est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure
l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans disctinction d'origine, de
race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Nous vous proposons d'y ajouter le nouveau principe de l'organisation
décentralisée de la République.
Il ne s'agit pas d'une simple règle d'organisation administrative. C'est un
véritable engagement politique du constituant. Toutes les autres dispositions
du projet de révision constitutionnelle en découlent. L'insérer dans l'article
1er, à côté du caractère un et indivisible de la République, c'est bien mettre
en avant cette complémentarité.
Votre commission des lois vous propose un autre choix. J'en comprends la
logique, mais il me paraît réduire la portée de la réforme.
Le Gouvernement vous propose de poser le principe de l'organisation
décentralisée de la République dès l'article 1er. Ce principe est ensuite
décliné au nouvel l'article 72.
La région est enfin consacrée par la Constitution à côté du département et de
la commune.
Apparue discrètement dans notre paysage législatif, il y a trente ans, comme
simple établissement public, devenue collectivité territoriale de plein
exercice quinze ans plus tard, la région peut aujourd'hui faire son entrée dans
la Constitution.
Le champ de ses compétences n'a cessé de s'élargir à l'aménagement du
territoire, au développement économique et social, à la formation
professionnelle et, plus récemment, aux transports ferroviaires.
Trente années après sa création sur l'initiative de Georges Pompidou, la
région ne peut plus se contenter d'une place qui demeurerait en quelque sorte
expérimentale dans notre République. Nous voyons bien que l'avenir économique
de la France en Europe dépend en partie de la vitalité de ses régions. Il est
temps de consacrer leur existence et de consolider leur dynamisme en leur
faisant une place dans notre loi fondamentale à côté des départements et des
communes.
Une autre modification d'organisation vous est proposée.
Parce qu'il n'y a pas d'organisation territoriale idéale, et parce que notre
pays est heureusement marqué par sa diversité, des formes d'organisation
différentes doivent pouvoir coexister. Pour adapter les structures
territoriales à l'extrême diversité des situations locales, nous vous proposons
de reconnaître la faculté de créer par la loi une collectivité « à statut
particulier », en lieu et place, le cas échéant, des collectivités de droit
commun.
Les « collectivités d'outre-mer » succéderont quant à elles aux « territoires
d'outre-mer ». Les possibilités d'organisation particulière offertes à ces
collectivités seront revues. J'y reviendrai dans un instant.
Troisième aspect fondamental de la décentralisation, les compétences dévolues
à l'ensemble de ces collectivités devront répondre à un objectif inspiré du
principe de subsidiarité. Désormais, « les collectivités territoriales auront
vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises
en oeuvre à l'échelle de leur ressort ».
Il ne s'agit pas de privilégier par dogmatisme une collectivité sur une autre,
la commune sur le département, le département sur la région. Il ne s'agit pas
davantage de recopier une subsidiarité d'inspiration communautaire.
Loin des constructions abstraites, cet objectif exprime l'idée, de bon sens,
selon laquelle il appartient au législateur, lorsqu'il intervient dans la
répartition des compétences, de rechercher le meilleur échelon pour
l'efficacité de l'action au service de la démocratie.
Les collectivités nous ont déjà montré l'exemple : les conseils régionaux ont
remarquablement développé la formation professionnelle, les départements jouent
un rôle essentiel en matière d'action sociale et les maires se mobilisent en
faveur de la sécurité de leurs administrés.
Bien sûr, pour pouvoir oeuvrer efficacement, les collectivités territoriales
doivent disposer d'un certain pouvoir normatif. Le projet de loi
constitutionnelle consacre explicitement leur pouvoir réglementaire. Celui-ci
s'inscrit dans la logique des jurisprudences du Conseil constitutionnel et du
Conseil d'Etat. Ce pouvoir s'exercera dans la mesure où le législateur l'a
prévu, afin de mettre en oeuvre des compétences que ces collectivités tiennent
de la loi, dans le respect du pouvoir réglementaire national.
Votre commission des lois estime que le projet de révision ne garantit pas
suffisamment l'exercice effectif du pouvoir réglementaire des collectivités.
J'aurai l'occasion de revenir sur ce point au cours des débats.
Surtout, le projet a pour ambition d'ouvrir aux collectivités territoriales
une capacité d'expérimentation qui leur permettra, dans le cadre de leurs
compétences et sur une habilitation
ad hoc,
de déroger aux dispositions
législatives ou réglementaires existantes.
Il s'agit de leur offrir la possibilité d'éprouver, pendant une durée
déterminée, soit de nouvelles règles d'exercice de leurs compétences, soit le
transfert de nouvelles compétences. Au terme de l'expérience, le législateur
appréciera si celle-ci a vocation à être généralisée sur l'ensemble du
territoire, éventuellement avec des aménagements, ou simplement abandonnée.
A l'heure actuelle, le Conseil constitutionnel a exclu toute dérogation
législative, fût-elle expérimentale, pour une collectivité.
Or, dans l'exercice de leurs compétences, les collectivités territoriales sont
particulièrement bien placées pour apprécier l'adéquation des lois et
règlements à un objectif visé, pour identifier leurs éventuelles imperfections
et éprouver les réformes dont ces textes pourraient faire l'objet.
Les craintes, exprimées ici ou là, d'une atteinte excessive au principe
d'égalité ne m'apparaissent pas fondées.
Bien sûr, ces expérimentations ne pourront nullement porter atteinte à nos
droits fondamentaux, aux valeurs essentielles qui sont les nôtres.
Je terminerai sur ce premier pilier en soulignant une dernière innovation : la
possibilité pour une collectivité territoriale d'être désignée comme « chef de
file » pour coordonner l'action d'autres collectivités.
Il s'agit de favoriser la coopération sur des sujets transversaux, en
désignant non pas un tuteur mais un pilote de projet. Votre commission des lois
propose d'ailleurs d'inscrire expressément dans la Constitution le principe
d'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.
J'observe que ce principe est déjà reconnu par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
J'en viens maintenant à la démocratie locale directe.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis prévoit trois nouveaux
instruments d'expression populaire pour favoriser le dialogue avec nos
concitoyens.
Premier instrument, le droit de pétition permettra à un ensemble d'électeurs
d'obtenir l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante d'une
question relevant de sa compétence.
Votre commission des lois n'entend reconnaître qu'une simple faculté de
demander cette inscription. Cela réduit considérablement la portée de cette
nouvelle liberté. J'aurai l'occasion de m'en expliquer dans la suite des
débats.
Deuxième instrument, le référendum local offrira aux électeurs d'une
collectivité territoriale, mais sur la seule initiative de celle-ci, la faculté
de décider eux-mêmes de l'adoption de mesures relevant de la compétence de
ladite collectivité.
Enfin, troisième instrument d'expression populaire - M. le Premier ministre
l'a évoqué -, le projet ouvrira la possibilité d'une consultation locale,
décidée par la loi législative, sur les questions tenant à l'organisation
institutionnelle des collectivités territoriales : changement ou modification
de leur statut, variation de leurs contours territoriaux.
Votre commission des lois souhaite n'autoriser la consultation qu'en cas de
création d'une collectivité se substituant à d'autres. Nous en reparlerons.
D'une manière générale, il est certain que l'expression de la démocratie
directe doit être encadrée pour parer aux abus, pour éviter que ne soient
imposés des choix minoritaires à la population, voire pour empêcher la
paralysie des institutions par des groupes de pression. Le texte que nous vous
proposons permettra précisément cet encadrement.
La loi, simple ou organique selon les cas, déterminera les conditions, les
modalités et la périodicité des recours à ces nouveaux outils du suffrage
universel. Elle veillera, notamment, à assurer les conditions d'une juste
représentativité en termes de participation, ainsi que le contrôle du
déroulement de ces opérations et de la validation des résultats.
Pour que la démocratie de proximité puisse vivre, nous devons aussi donner une
véritable autonomie financière aux collectivités territoriales.
On trouve, dans les comptes rendus du Comité consultatif constitutionnel,
cette réplique d'un commissaire du Gouvernement formulée dans la nuit du 12 au
13 août 1958 : « Vous savez très bien, comme moi, que la véritable limite à la
décentralisation ce n'est pas le pouvoir de tutelle mais l'inexistence d'une
réforme de la fiscalité locale. »
Aujourd'hui, ce constat résonne encore ici comme un aveu d'échec. Aucune
disposition ne consacre explicitement dans la Constitution cette autonomie
financière des collectivités territoriales.
Le Conseil constitutionnel a, certes, développé une jurisprudence en ce sens,
fondée sur le principe de libre administration. Mais, à défaut d'une base plus
précise, celle-ci est demeurée limitée.
L'autonomie financière des collectivités territoriales sera désormais
constitutionnellement garantie. Le projet de loi reconnaît leur capacité
fiscale qui leur permettra, dans les limites prévues par la loi, de fixer aussi
bien le taux que l'assiette des impôts locaux.
Nous vous proposons, de surcroît, de consacrer le principe selon lequel les
ressources propres des collectivités territoriales constituent une part «
déterminante » de l'ensemble de leurs ressources dans des conditions qui seront
précisées par une loi organique. Je n'ignore pas que cet alinéa sera ardemment
débattu et que tous les mots en seront soigneusement pesés.
Nous savons tous que la part actuelle des ressources fiscales des
collectivités territoriales est insuffisante. Pour certaines d'entre elles,
comme je l'ai déjà indiqué, l'objectif de parvenir à un seuil de 50 % apparaît
encore comme un lointain mirage.
Fallait-il pour autant renoncer à inscrire dans la Constitution des principes
relatifs à l'autonomie financière des collectivités locales au motif qu'il
faudrait auparavant élaborer une réforme globale de la fiscalité locale,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui !
Mme Nicole Borvo.
Absolument !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
... toujours invoquée, souvent évoquée, mais qui n'a
jamais été réalisée depuis 1958 ? Certainement pas.
Mme Hélène Luc.
C'est clair ! Il faut faire cette réforme des collectivités locales, et vous
ne le voulez pas !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Conscient de la difficulté, le Gouvernement a fait le
choix d'une construction dynamique. Celle-ci n'empêche pas les nécessaires
évolutions, tant de la fiscalité de l'Etat que de la fiscalité locale. Elle ne
met pas en péril la structure et l'équilibre des finances locales. Le
Gouvernement a cherché à définir un principe opérationnel, qui puisse être
décliné selon un échéancier tout à la fois ambitieux et réaliste. Tel est
l'objet du projet de loi organique.
Par ailleurs, la nécessité de garantir l'autonomie financière des
collectivités territoriales ne doit pas rendre impossible tout futur transfert
de compétences en faisant d'une réforme fiscale un préalable absolu, ainsi que
l'a évoqué tout à l'heure M. le Premier ministre.
Votre commission des lois a préféré poser d'ores et déjà le principe d'une
part « prépondérante » des ressources propres, c'est-à-dire de plus de 50 %. Je
crains que le Gouvernement ne puisse adhérer à cette proposition, mais nous y
reviendrons au cours des débats.
Le projet de loi prévoit également d'ériger au rang constitutionnel le
principe de compensation des transferts de charges correspondant aux transferts
de compétences.
Là encore, il s'agit d'établir un principe opérationnel, susceptible de donner
prise à un réel contrôle. Il n'est possible d'engager l'Etat à transférer aux
collectivités que ce dont il dispose effectivement, c'est-à-dire les ressources
réelles qu'il consacrait aux compétences et aux charges transférées.
Un dernier aspect du volet de l'autonomie financière demeure : la nécessaire
solidarité entre les collectivités, qu'elles soient riches ou pauvres.
Des craintes se sont exprimées à ce sujet. Le transfert de compétences
créerait entre les collectivités une inégalité insupportable de ressources et
de charges. Une telle crainte est pour le moins paradoxale : la réalité
actuelle, c'est précisément l'inégalité entre collectivités. La révision
constitutionnelle se propose d'y remédier. Comme le Premier ministre l'a
souligné, l'égalité républicaine sera respectée par des mécanismes de
péréquation.
J'en viens aux dispositions intéressant l'Etat.
Cette révision constitutionnelle est aussi un vrai levier de la réforme de
l'Etat. Il est donc vain de tenter d'opposer l'une et l'autre. C'est aussi
parce que l'Etat doit se réformer que cette révision constitutionnelle vous est
proposée. Et c'est parce qu'elle vous est proposée que l'Etat pourra le faire.
Le Président de la République l'a rappelé dans son discours de Rouen : «
L'affirmation d'une démocratie des territoires, démocratie de proximité,
d'engagement et d'action, constitue une chance historique de faire accomplir
par l'Etat l'effort de transformation radicale de ses structures et de ses
méthodes qui créera les conditions d'une bonne gouvernance pour le xxie siècle
».
Le projet de révision contient à cet égard deux mesures importantes.
Il renforce ce que vous appelez, monsieur le président, le « bonus
constitutionnel » du Sénat.
M. le président.
Très bien !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le rôle spécifique de représentation des collectivités
territoriales de votre Haute Assemblée, défini à l'article 24 de la
Constitution, est conforté. Les projets de loi ayant pour objet principal la
libre administration des collectivités territoriales seront soumis en premier
lieu au Sénat.
M. le président.
Très bien !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Les Français sont attachés au Sénat. Ils reconnaissent
la compétence irremplaçable de cette assemblée en matière de collectivités
locales.
(Marques d'approbations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Revet.
C'est important !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Dans le respect d'un bicamérisme équilibré, conforme à
l'esprit des institutions, cette disposition renforcera la « valeur ajoutée »
du Sénat.
Par ailleurs, l'expérimentation sera un facteur essentiel de stimulation des
initiatives locales. Il eût été paradoxal de priver l'Etat, dans le champ de
ses compétences, de ce formidable outil pour un meilleur service rendu aux
citoyens.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté autorise la loi et le
règlement à comporter, pour une période limitée, des dispositions à caractère
expérimental. Là encore, il s'agit d'éprouver, pendant une durée déterminée, la
mise en oeuvre d'une réforme sur un champ d'application territorial ou matériel
restreint. L'autorité compétente pourra ainsi apprécier le bien-fondé de la
généralisation de l'expérience.
La commission des lois propose d'inscrire expressément dans la Constitution le
caractère limité de l'objet et de la durée de l'expérimentation. Cette
précision m'apparaît tout à fait heureuse.
Formons ici le voeu que l'Etat saura saisir cette chance de démontrer, face au
dynamisme des collectivités territoires, sa capacité d'innovation et de
transformation.
La commission des lois propose néanmoins de restreindre le champ d'application
de l'expérimentation à la matière législative. Le Gouvernement ne partage pas
ce point de vue. Je pense notamment aux expérimentations qui pourraient être
faites en procédure civile, matière qui relève du domaine réglementaire.
Je terminerai par le statut des collectivités d'outre-mer.
Conformément aux engagements du Président de la République, le présent projet
de révision dote notre Constitution de règles démocratiques nouvelles pour nos
collectivités d'outre-mer. Il fallait assouplir et clarifier un cadre
constitutionnel devenu inadapté à leurs spécificités et aux aspirations de
leurs habitants.
Ce texte refonde le statut des collectivités d'outre-mer, à l'exception de la
Nouvelle-Calédonie qui demeure régie par les dispositions transitoires figurant
au titre XIII.
Il confirme la différence de statut entre, d'une part, les régions et
départements d'outre-mer et, d'autre-part, les collectivités d'outre-mer,
ex-territoires d'outre-mer. Les premiers sont régis, selon le nouvel article
73, par le principe d'assimilation législative adaptée et les secondes, par le
principe de spécialité législative modulée, selon l'article 74.
La désignation nominative de chacune de ces collectivités dans la Constitution
marque solennellement leur appartenance à la République. Elle aura pour effet
d'empêcher toute sortie de la communauté nationale sans révision préalable de
la Constitution. C'est un symbole fort, notamment pour Mayotte, dont le nom ne
figure, à l'heure actuelle, que dans la Constitution de l'Etat étranger qui la
revendique.
Le projet institue également des garanties démocratiques nouvelles, dont le
texte constitutionnel est jusqu'à présent dépourvu, s'agissant de la
possibilité ouverte au législateur de modifier l'organisation et le régime
législatif des collectivités d'outre-mer. Les électeurs de ces dernières
disposeront désormais d'un véritable droit de veto sur tout changement de
régime de l'article 73 vers celui de l'article 74, ou inversement. L'expérience
montre que cette garantie est nécessaire, car un choix aussi fondamental que le
passage de l'assimilation adaptée vers la spécialité législative ne saurait
être imposé à une population qui n'en voudrait pas. Le texte donne ainsi toute
sa portée au droit pour les électeurs d'outre-mer de choisir sous lequel des
deux grands régimes ils entendent vivre.
La situation actuelle des collectivités d'outre-mer n'est donc en rien
modifiée : une collectivité qui ne souhaiterait pas évoluer ne sera pas
contrainte à engager un quelconque processus de modification statutaire.
La décision finale en la matière continuera de relever du Parlement. A
supposer même qu'une consultation locale aboutisse à un résultat peu lisible,
avec un taux de participation limité, le Parlement restera libre de ne pas
donner suite à une demande d'évolution. Il ne sera pleinement lié par les
résultats de la consultation que dans le cas d'une réponse négative des
électeurs ; ce refus n'emportera d'ailleurs que l'obligation de respecter le
statu quo.
Par ailleurs, le régime normatif des départements et régions d'outre-mer est
assoupli, en considération de leurs caractéristiques et contraintes
particulières. Il leur sera permis, dans leur domaine de compétences, d'avoir
eux-mêmes la capacité d'adaptation des lois et règlements, voire, en certaines
matières, de les modifier, moyennant une exception limitée au principe
d'assimilation législative. Ce principe est réaffirmé avec force par le nouvel
article 73.
S'agissant des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74, chacune
d'entre elles aura un statut particulier, défini par la loi organique, selon
ses intérêts propres, qui leur reconnaîtra des compétences susceptibles de
relever du domaine de la loi, voire, pour certaines d'entre elles, une
véritable autonomie. La nouvelle rédaction de l'article 74, très souple,
permettra de régler des situations aussi différentes que celles de
Saint-Pierre-et-Miquelon, de Mayotte, de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie
française.
Cette dernière a naturellement une vocation particulière à bénéficier de ces
nouvelles dispositions sur « l'autonomie ».
(M. Gaston Flosse applaudit.)
Ce terme, qui figurait dans l'article 77 d'origine de la Constitution pour
les Etats de la Communauté, y retrouve donc sa place. Il ne figurait jusqu'ici
que dans la loi organique statutaire de 1996. Seront ainsi reconnus à la
Polynésie une marge de manoeuvre et d'appréciation, ainsi qu'un espace de
décision beaucoup plus importants que ceux d'une simple autorité
administrative.
S'agissant des actes pris par la collectivité dans le domaine de la loi,
l'article 74 prévoira un contrôle juridictionnel « spécifique ». Intervenant
dans des matières qui sont, en métropole, de la compétence du législateur, ils
ne se verront opposer que les normes elles-mêmes opposables au Parlement,
c'est-à-dire le « bloc de constitutionnalité » et les engagements
internationaux. Les délibérations de la collectivité auront donc, dans le
domaine de sa compétence, une force juridique supérieure aux règlements
ordinaires.
M. Gaston Flosse.
Bravo !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
La loi organique précisera les modalités de ce contrôle
juridictionnel, qui relèvera en premier et en dernier ressort du Conseil
d'Etat.
Dans le domaine de l'emploi, du droit d'établissement et de la protection du
patrimoine foncier, la collectivité pourra prendre des mesures en faveur des
populations locales, pour autant que les « nécessités locales » - les termes
sont repris de l'article 56 de la Convention européenne des droits de l'homme -
l'exigent.
La loi organique pourra ainsi fixer, pour l'accession aux emplois publics ou
privés et pour le droit d'établissement, une certaine durée de résidence qui
devra être raisonnable.
Afin d'assurer la protection du patrimoine foncier, qui est intimement lié à
l'identité polynésienne, une procédure d'autorisation préalable pourra
concerner certains transferts de propriété à vocation spéculative.
M. Gaston Flosse.
Bravo !
M. Dominique Perben
garde des sceaux.
Les collectivités dotées d'un statut d'autonomie
pourront également être associées par l'Etat à l'exercice de ses propres
compétences.
Ainsi, puisque l'Etat conservera la compétence en matière de libertés, d'ordre
et de sécurité publics et de procédure pénale, la collectivité pourra lui
proposer de prendre des mesures dans ces domaines. Elle pourra aussi exercer,
par délégation de l'Etat, une compétence normative dans ces matières.
S'agissant de compétences régaliennes, l'Etat conservera toujours le droit de
s'opposer à un acte intervenu dans ce champ de compétence ou de le réformer,
pour des motifs de légalité comme de pure opportunité.
Le statut de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon est naturellement pris en
compte par la révision. Il est aujourd'hui juriquement fragile, car aucune
disposition constitutionnelle n'autorise une collectivité qui n'est pas un
territoire d'outre-mer à réglementer dans le domaine de la loi : la révision
constitutionnelle met fin à cette incertitude juridique. En soumettant ces deux
collectivités au régime de l'article 74, certaines des composantes de leur
statut actuel relèveront de la loi organique.
Mais les deux lois statutaires, de juin 1985 et de juillet 2001, n'auront pas
à être complétées, sinon de manière marginale, pour être mises en conformité
avec le nouvel article 74 : elles contiennent en effet déjà tous les éléments
nécessaires à l'application de cet article.
Enfin, un mécanisme d'habilitation permanente permettra au Gouvernement
d'actualiser, par voie d'ordonnance, le droit applicable aux collectivités
d'outre-mer dans les matières qui restent du domaine de la loi et qui relèvent
des compétences de l'Etat.
Il s'agit, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, de mettre de fin
à une situation préoccupante de « droit à double vitesse » qui perdure malgré
les efforts du Gouvernement et du Parlement.
Je salue ici l'intérêt que votre Haute Assemblée a régulièrement manifesté
pour cette question. Le Parlement pourra toujours maîtriser l'application de
cette procédure, soit en s'y opposant expressément par une disposition
ad
hoc
, soit en procédant lui-même à l'extension souhaitable.
La commission des lois propose d'ailleurs d'apporter à ce dispositif des
aménagements sur lesquels nous aurons l'occasion de nous expliquer dans la
suite de vos travaux.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire après
M. le Premier ministre, au seuil de ce débat essentiel qui nous rassemble
aujourd'hui.
Je tiens à rendre hommage une nouvelle fois à la richesse et à la qualité du
travail que vous avez effectué sur le présent projet de loi constitutionnelle,
qui, je le sais, vous tient particulièrement à coeur. Car vous êtes, mesdames,
messieurs les sénateurs, par votre expérience d'élus locaux et de
parlementaires, au centre de la République territoriale que nous voulons
aujourd'hui consacrer dans notre loi fondamentale.
Je sais que, dans le débat qui s'ouvre, nous partageons la volonté de
permettre à la République, en se ressourçant dans les énergies locales, de se
fortifier elle-même.
En révisant la Constitution, vous contribuerez à construire une République qui
réponde davantage aux attentes des citoyens, une République qui permette à
l'Etat et aux collectivités territoriales de mieux vivre ensemble, une
République plus efficace et plus humaine. C'est de l'avenir et du renouveau de
la démocratie qu'il s'agit. Je ne doute pas de votre engagement et de votre
détermination.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Mme Hélène Luc.
Monsieur le ministre, je souhaite vous poser une question ! Et le référendum
sur la décentralisation ?
M. Jean-Claude Gaudin.
Il y a un règlement ici !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'y a plus besoin du rapport de la commission puisque le garde des sceaux a
tout dit. Cela nous ferait gagner du temps !
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre,
messieurs les ministres, mes chers collègues, dans son message au Parlement du
2 juillet dernier, le Président de la République s'adressait en ces termes aux
représentants de la nation : « Le moment est venu [...] de reprendre la longue
marche, si souvent contrariée, vers la décentralisation, pour mettre en place
une nouvelle architecture des pouvoirs ».
Tel est l'objet du présent projet de loi constitutionnelle relatif à
l'organisation décentralisée de la République, qui tend à poser la première
pierre d'un vaste chantier dont vous avez annoncé, monsieur le Premier
ministre, les principales étapes dès votre discours de politique générale du 3
juillet dernier.
Vous l'avez dit, le Sénat a toutes les raisons de se réjouir que la
décentralisation constitue l'un des premiers chantiers ouverts par le
Gouvernement au début de la nouvelle législature.
Fidèle à son rôle constitutionnel de représentant des collectivités
territoriales, il s'est fait depuis de nombreuses années le premier promoteur
et l'ardent défenseur des libertés locales.
Pour mémoire, je vous rappellerai les travaux de cette honorable maison :
quatre missions d'information communes à plusieurs commissions ont ainsi été
créées entre 1983 et 1998 afin d'apprécier la mise en oeuvre et les effets de
la décentralisation. Une mission d'information sur l'espace rural a été
constituée en 1991, puis une mission sur l'aménagement du territoire en 1994,
dont les travaux ont largement alimenté la réflexion préliminaire à la loi
d'orientation de 1995.
La commission des lois et la commission des finances ont mis en place,
séparément ou conjointement, des groupes de travail qui se sont penchés sur la
responsabilité pénale des élus locaux, en 1995, sur la décentralisation, en
1996, et sur les chambres régionales des comptes, en 1998. Ces travaux ont, à
maintes reprises, trouvé des traductions législatives.
Dès son élection à la présidence du Sénat, M. Christian Poncelet a souhaité
affirmer le rôle de « veilleur » de la Haute Assemblée s'agissant de la
décentralisation et a organisé des états généraux des élus locaux dans les
régions afin de prendre, sur le terrain, la mesure de leurs attentes.
Sur son initiative et sur le rapport rédigé par notre éminent collègue Patrice
Gélard au nom de la commission des lois, le Sénat a adopté, le 26 octobre 2000,
une proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des
collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières. Ce
texte, qui aurait dû être promis à un grand avenir et qui visait à garantir
l'autonomie financière, en particulier fiscale, des collectivités
territoriales, n'a malheureusement pas été inscrit à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale sous la précédente législature.
M. Henri de Raincourt.
C'est une erreur !
(Sourires.)
M. René Garrec,
rapporteur.
Aussi le président Christian Poncelet et plusieurs de nos
collègues présents aujourd'hui dans cet hémicycle ont-ils récemment déposé,
n'écoutant que leur courage
(Nouveaux sourires),
une nouvelle proposition de loi constitutionnelle
relative à la libre administration des collectivités territoriales, qui tend à
donner une meilleure assise à la décentralisation. La commission des lois a
décidé de joindre ce texte à l'examen du présent projet de loi, ainsi que la
proposition de loi constitutionnelle présentée par notre collègue Paul Girod
tendant à la reconnaissance de lois à vocation territoriale et la proposition
de loi constitutionnelle tendant à introduire dans la Constitution un droit à
l'expérimentation pour les collectivités territoriales, adoptée le 16 janvier
2001 par l'Assemblée nationale sur l'initiative de M. Pierre Méhaignerie.
De même, ont été jointes à l'examen du présent projet de loi deux propositions
de loi constitutionnelle de nos collègues Robert Del Picchia, Georges Othily et
Rodolphe Désiré relatives à la date des élections présidentielles outre-mer.
La convergence de ces initiatives résulte des limites du cadre constitutionnel
actuel. Conçue et mise en oeuvre, voilà plus de vingt ans, dans un contexte
d'épuisement du modèle jacobin, la décentralisation a redistribué les pouvoirs,
les compétences et les moyens au profit des collectivités territoriales. En
rapprochant la prise des décisions des citoyens, elle a contribué à
l'amélioration de l'efficacité de l'action publique et à l'approfondissement de
la démocratie.
Ce mouvement semble aujourd'hui irréversible, tant il fait l'objet d'un large
consensus, mais la réforme demeure inachevée. La logique initiale, fondée sur
une répartition des compétences par blocs associée à l'absence de tutelle d'une
collectivité sur l'autre, a été perdue de vue. A la clarification des
compétences s'est substituée une autre logique, celle de la cogestion, avec
pour conséquence la multiplication des partenariats.
Cette logique de cogestion dévoie les principes de la décentralisation
lorsqu'elle se traduit par la participation croissante des collectivités
territoriales au financement des compétences de l'Etat ou par une tendance
accentuée à la recentralisation des pouvoirs, particulièrement manifeste sous
la précédente législature.
Que l'on songe simplement à la loi d'orientation relative à l'exclusion, à la
loi relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage et à la loi relative
à la solidarité et au renouvellement urbains, ou encore au démantèlement
progressif de la fiscalité locale.
A cet égard, la part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les
collectivités territoriales votent les taux dans leurs recettes totales hors
emprunts s'élevait à 54 % en 1995. Elle a été réduite à moins de 37 % pour les
régions, à 43 % pour les départements et à 48 % pour les communes.
Quant au statut constitutionnel de l'outre-mer, cloisonné dans les articles 73
et 74 ainsi que dans le titre XIII relatif à la Nouvelle-Calédonie, il ne
reflète pas pleinement les réalités ultramarines. Les évolutions amorcées et
les aspirations exprimées témoignent de l'étroitesse du cadre constitutionnel
de l'outre-mer français, inadapté à la diversité qui caractérise celui-ci.
Dans le même temps, l'Etat éprouve les plus grandes difficultés à se réformer
et à se concentrer sur ses missions essentielles. Or, comme l'indiquait Edmund
Burke - il vaut mieux citer un auteur étranger dans de telles matières ! -, «
un Etat qui n'a pas les moyens d'effectuer des changements n'a pas les moyens
de se maintenir ».
M. Jean-Claude Carle.
Eh oui !
M. René Garrec,
rapporteur.
La révision de la Constitution vise à donner un nouvel élan à
la décentralisation, en métropole et outre-mer, et à permettre d'engager une
véritable réforme de l'Etat.
Je ne reviendrai pas sur les dispositions du projet de loi constitutionnelle,
puisque M. le Premier ministre et M. le garde des sceaux en ont brillamment
présenté les fins et la teneur. J'ai failli citer Barrès, mais j'ai eu peur que
l'on me reproche de « cirer les chaussures » !
(Sourires.)
Pourtant, je vous recommande
La Colline inspirée,
mes
chers collègues, bien que ce livre soit peu lu de nos jours !
M. Gérard Longuet.
Et puis c'est en Lorraine !
M. Pierre Fauchon.
Merci pour Barrès !
M. René Garrec,
rapporteur.
J'indiquerai simplement que la commission des lois souscrit
pleinement à la démarche et aux objectifs qui sous-tendent le texte.
Loin d'être inutile ou prématurée, la révision de la Constitution s'avère
nécessaire, et même prioritaire, afin de garantir pleinement la libre
administration des collectivités territoriales. Elle seule peut constituer à la
fois le socle et le tremplin d'un nouveau mouvement de décentralisation fort et
durable.
La réforme proposée, par le biais du passage du statut de réforme octroyée par
l'Etat à celui de réforme consentie et mise en oeuvre par les élus locaux
eux-mêmes, permettra par ailleurs à la décentralisation de changer de
nature.
Enfin, le choix d'une révision constitutionnelle préalable à tout nouveau
transfert de compétences ou à toute rénovation des finances locales - c'est un
sujet difficile ! - se révèle pleinement justifié. Une fois que la Constitution
aura été modifiée, les réformes ne pourront plus être différées, en particulier
celle de la fiscalité locale.
S'agissant de l'outre-mer, la révision de la Constitution permettra d'offrir
aux collectivités qui le souhaitent un cadre suffisamment souple pour leur
permettre de se doter de statuts différenciés tenant compte de leur diversité,
tout en maintenant, ce qui me semble être leur désir commun, leur ancrage dans
la République.
Souscrivant pleinement à la démarche et aux objectifs sous-tendant le projet
de loi constitutionnelle, la commission des lois a jugé nécessaire de faire
franchir une étape supplémentaire à la décentralisation.
Aussi a-t-elle adopté trente-huit amendements. Je ne le regrette pas, je ne
m'en repens pas, car la repentance est une chose difficile, mais, au vu du
nombre des amendements qui ont été déposés, je me dis que la commission aurait
certainement pu être plus économe des siens !
M. Henri de Raincourt.
Ils sont meilleurs !
(Sourires.)
M. René Garrec,
rapporteur.
Mais il est trop tard ! Quoi qu'il en soit, tout cela montre
qu'il nous faut vérifier et préciser un certain nombre de points.
M. Jean-Claude Gaudin.
Voilà !
M. René Garrec,
rapporteur.
Tout d'abord, afin de donner davantage de substance au
principe de la libre administration des collectivités territoriales, la
commission des lois propose de séparer clairement le pouvoir réglementaire des
collectivités territoriales de celui du Premier ministre, par la modification
de l'article 21 de la Constitution.
Elle propose de poser le principe, qui n'est pas inscrit dans le projet de loi
constitutionnelle, de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité
territoriale sur une autre...
M. Charles Revet.
C'est indispensable !
M. René Garrec,
rapporteur.
... - cette disposition figure dans le texte élaboré par M.
Christian Poncelet et plusieurs de nos collègues que j'ai évoqué tout à l'heure
-
M. Charles Revet.
C'est la sagesse !
M. René Garrec,
rapporteur.
... tout en permettant à la loi de désigner une collectivité
« chef de file » pour l'exercice des compétences croisées.
Elle propose d'affirmer très fortement que les recettes fiscales et les autres
ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque
catégorie d'entre elles, une part prépondérante de l'ensemble de leurs
ressources.
Elle propose d'imposer que toute suppression d'une recette fiscale perçue par
les collectivités territoriales donne lieu à l'attribution d'une recette
fiscale d'un produit équivalent et de prévoir que non seulement tout transfert
de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, mais également
toute charge imposée à ces dernières par suite de décisions de l'Etat, soient
accompagnés du transfert concomitant de ressources garantissant la compensation
intégrale et permanente de ces charges.
Elle propose de préciser que les dispositifs de péréquation institués par la
loi ont pour objet de compenser non seulement les inégalités de ressources,
mais également les inégalités de charges entre collectivités territoriales et
de renvoyer les modalités d'application de l'article 72-2 nouveau de la
Constitution, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales,
à une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Je ne
vois personne sursauter !
(Sourires.)
Elle propose de préciser certaines
procédures, en encadrant davantage les expérimentations conduites par l'Etat,
dont l'objet et la durée devront être limités, et en aménageant les mécanismes
de démocratie directe locale.
Conformément à l'essence du droit de pétition, qui consiste à émettre un voeu,
les électeurs pourront demander, et non obtenir automatiquement, l'inscription
à l'ordre du jour d'une assemblée locale d'une question relevant de sa
compétence.
La commission propose de supprimer l'inscription dans la Constitution de la
possibilité d'organiser une consultation sur la simple modification de
l'organisation d'une collectivité se substituant à des collectivités existantes
ou sur la modification des limites des collectivités territoriales.
Elle propose d'instituer un délai de trente jours entre le dépôt et l'examen
en première lecture d'un projet ou d'une proposition de révision
constitutionnelle. Cela ressemble à un accès de mauvaise humeur, mais cela n'en
est pas un !
La clarification et la sécurisation du cadre constitutionnel proposé pour
l'outre-mer constituent le troisième et le dernier des axes des propositions de
la commission des lois.
A cette fin, il vous sera proposé, mes chers collègues, de mentionner la
Nouvelle-Calédonie dans le titre XII de la Constitution, pour qu'elle puisse
bénéficier des avancées prévues pour les autres collectivités territoriales de
la République, et de permettre à une partie d'une collectivité située outre-mer
de changer de régime.
Cette dernière disposition pose le difficile problème des électeurs concernés
: s'agira-t-il de l'ensemble de ceux de la collectivité territoriale, ou
seulement des électeurs de la partie de la collectivité qui souhaite changer de
statut ? C'est là une grave question, sur laquelle nous n'avons pas réussi à
nous mettre d'accord mais qui sera certainement résolue.
La commission propose enfin d'interdire toute possibilité d'adaptation et de
réglementation par les collectivités régies par l'article 73 dans le domaine de
la loi lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une
liberté publique, de permettre à une loi organique de préciser et de compléter
les matières régaliennes qui ne sont pas susceptibles de transfert aux
assemblées locales, de préciser que le contrôle juridictionnel spécifique
exercé sur les actes de l'assemblée délibérante d'une collectivité d'outre-mer
intervenant dans des matières qui, en métropole, relèvent du domaine de la loi
pourra être organisé devant le Conseil d'Etat statuant en premier et en dernier
ressort, et de prévoir que les ordonnances prises par le Gouvernement pour
l'actualisation du droit applicable outre-mer en vertu de l'habilitation
permanente résultant du nouvel article 74-1 feront l'objet d'une ratification
expresse par le Parlement dans le délai d'un an à compter de leur publication.
Cette dernière proposition est inspirée par le fait que les ordonnances en
question nous semblaient dessaisir le Parlement.
Sous le bénéfice de ces observations et des modifications qu'elle vous soumet,
la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter le projet
de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la
République. Ce n'est pas seulement un pas en avant, monsieur le Premier
ministre, c'est un départ foudroyant que l'on attendait depuis longtemps !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 65 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 49 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 42 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 33 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela fait beaucoup pour l'UMP !
(M. le Premier ministre quitte l'hémicycle, salué par des applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Philippe Adnot.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
je n'ai que quatre minutes pour vous exposer les raisons qui me conduisent à
approuver ce texte, exprimer une réserve et indiquer ce que sont, selon moi,
les conditions de la réussite de cette nouvelle phase de la
décentralisation.
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Nous sommes favorables à celle-ci, non pas pour affaiblir l'Etat ou organiser
je ne sais quelle Europe des régions qui serait constituée contre l'idée de
nation, mais parce qu'il nous paraît indispensable de traiter chacun des
problèmes de nos concitoyens et de notre société au niveau optimal.
Faire débuter l'examen de ce texte au Sénat est un geste très courtois, mais
nous voulons surtout y voir une volonté forte : celle de reconnaître le Sénat
comme l'élément essentiel s'agissant des problématiques liées aux collectivités
locales.
De la même façon, l'inscription de la région dans la Constitution, plus que
comme la réparation d'une anomalie, doit être considérée, ainsi que l'ont
précisé le Président de la République et le Premier ministre, comme
l'affirmation d'une France harmonieuse dans son développement, garanti par deux
couples : l'Etat et la région, d'une part, responsables de la cohérence et de
la vision d'ensemble ; le département et la commune, d'autre part, acteurs
essentiels de la vie de notre pays.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Ma principale réserve tient à l'article 5 du projet de loi constitutionnelle
et à l'inscription du droit de pétition. Ce droit existe déjà, et nombre d'élus
ne se gênent pas pour en user sans retenue, généralement d'une façon très
démagogique, puisque sans risque. L'obligation d'inscription à l'ordre du jour
est la négation de la responsabilité de l'élu.
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
N'importe quel élu, dans une assemblée locale, peut aujourd'hui exposer un
problème, argumenter, même faire appuyer sa démarche par une pétition : c'est
la vie normale d'une assemblée.
Prévoir l'inscription d'office à l'ordre du jour, c'est passer outre l'élu,
ouvrir les vannes de la démagogie, alors que notre pays a besoin d'esprit de
responsabilité et de courage.
M. Jean-Claude Gaudin.
C'est vrai !
M. Philippe Adnot.
C'est pourquoi je voterai les amendements de suppression de la partie
d'article concernée, l'amendement n° 13 de la commission constituant, le cas
échéant, une bonne solution de repli.
MM. Patrice Gélard,
vice-président de la commission, et René Garrec,
rapporteur.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Toute réforme ne vaut que par les moyens qu'on lui accorde.
L'institutionnalisation du droit des collectivités locales à disposer d'une
relative autonomie financière est une bonne chose. Les querelles sémantiques
autour de mots tels que « prépondérant » ne sont pas le plus important, car,
pour la collectivité locale pauvre, la part de la péréquation rendra toujours
l'autre part relative.
Ce qui compte, c'est que l'Etat s'interdise de supprimer un impôt pour le
remplacer par une dotation.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Ainsi, dans la dernière loi de finances, une dotation remplace la suppression
d'un certain nombre d'impôts pour les professions libérales. Ce n'est pas une
bonne direction. En dehors de l'engagement de remplacer un impôt par un autre
impôt, toute autre considération n'a pas de sens. C'est pourquoi l'amendement
n° 19 de la commission me convient parfaitement.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Moi aussi !
M. Philippe Adnot.
Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je terminerai en soulignant
que cette réforme, qui peut être extrêmement importante pour notre société, n'a
de chance de porter ses fruits que si elle respecte les trois principes
suivants : la décentralisation doit être conçue pour rendre notre pays plus
souple, plus réactif, plus fonctionnel, ce qui exclut la recherche du pouvoir
pour le pouvoir ; notre pays, plus que jamais, doit gagner en compétitivité
s'il veut garder des emplois, ce qui veut dire que l'ambition de chaque acteur
de cette réforme doit être le rapport qualité-prix ; la meilleure garantie
d'une France vivante, c'est la capacité de chacun d'entre nous, de chacune de
nos collectivités locales, à être réactif, à prendre des initiatives, à
disposer d'un espace de liberté. Si nous respectons ces trois paramètres, nous
pourrons faire gagner notre pays. C'est notre voeu le plus cher.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes
chers collègues, incontestablement, la décentralisation est un sujet majeur
pour l'avenir de notre pays. Essayer d'en convaincre les Français peut paraître
un objectif louable. C'est sans doute un objectif nécessaire, car si, comme M.
le Premier ministre l'a dit, les Français ont voté, ils ne me semblent pas
préoccupés par le problème de la décentralisation.
Il s'agit donc d'un objectif nécessaire. Fallait-il pour autant orchestrer,
dans les assises que vous organisez, un tel tintamarre ?
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Laissez-le parler !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Fallait-il jouer à ce point des tambours et des cymbales pour aboutir,
finalement, à quelques exposés insipides devant 1 500 personnes qui ne peuvent
pratiquement pas s'exprimer ?
M. François Marc.
Eh oui !
M. Jean-Claude Gaudin.
Que font les socialistes ?
M. Jean-Claude Peyronnet.
Nous participons à ces assises par courtoisie républicaine, mais sans plus,
car nous savons bien que l'essentiel - heureusement ! - se joue ailleurs, au
Parlement, notamment ici, lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle
déposé par le Président de la République et portant « organisation
décentralisée de la République ».
Qu'on l'approuve ou pas, ce texte est important. Les sénateurs socialistes
l'étudient depuis longtemps, d'abord à partir des bribes distillées par la
presse et des déclarations des ministres, puis à partir d'un texte provisoire
et, enfin, à partir de sa version définitive, étrillée par le Conseil d'Etat,
mais qui demeure inchangée, vous en aviez le droit.
Ce projet de loi, nous l'avons reçu avec un réel intérêt et plutôt
positivement, comme une étape utile sinon nécessaire. J'ai bien entendu M. le
Premier ministre, nous n'avons pas oublié - et nous demandons à tous de ne pas
l'oublier, y compris aux nouveux élus nationaux de 2002, qui pensent que tout
est à faire - que c'est notre courant de pensée qui a porté cette idée dans la
décennie soixante-dix pour une mise en oeuvre - contre vents et marées ! - par
Gaston Defferre et M. Pierre Mauroy au début du premier septennat de François
Mitterrand.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Louis de Broissia.
Vous étiez essoufflés vingt ans après !
M. Jean-Claude Gaudin.
C'était le plus facile !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Nous n'avons cependant jamais considéré que l'histoire administrative de notre
pays s'arrêtait en 1982. Au contraire, nous avons toujours considéré la
décentralisation comme un phénomène évolutif. Voilà pourquoi, lors de la
dernière législature, quatre grands textes, que vous voulez toiletter - et
pourquoi pas ? -, ont fait avancer cette décentralisation jusqu'à la loi
relative à la démocratie de proximité, qui marquait l'introduction dans la
législation de plus de 30 % des propositions de la commission Mauroy, cette
commission pluraliste mise en place par le Premier ministre Lionel Jospin et
qui fit plus de 150 propositions. Certes, elle ne prévoyait pas de réviser la
Constitution. Le fallait-il ? Ce n'est pas sûr ! Mais pourquoi pas, sur le plan
de la symbolique ? Le problème est que l'action de révision de la Constitution
n'est forcément pas anodine. Bref, au fil de l'examen approfondi du projet de
loi, nous nous sommes forgé une franche hostilité.
(M. Jean-Claude Gaudin
s'exclame.)
Oui, nous sommes décentralisateurs. Notre passé et notre passé immédiat,
c'est-à-dire quasiment notre présent, en témoignent, et nous vous ferons, sur
des points majeurs, des propositions qui vont au-delà des vôtres. Oui, nous
sommes pour la décentralisation
(M. Roger Karoutchi s'exclame),
mais
nous ne sommes pas pour un abaissement de l'Etat. Sans être figée, notre
position demeure inspirée par l'esprit de la loi de 1982 tel qu'il a été
exprimé, ici même, par Gaston Defferre : « C'est renforcer l'Etat que de
l'alléger d'une partie des tâches dont il s'est encombré progressivement. C'est
lui permettre de se consacrer pleinement à ce qui lui revient de droit, pour
faire moins mais pour faire mieux. » C'est tout le contraire que vous nous
proposez.
M. François Marc.
Eh oui !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Clairement, derrière cette idée légitime de l'approfondissement de la
décentralisation, derrière la réaffirmation du maintien de l'unité française,
de lourdes interrogations se font jour sur une logique fédéraliste, qui
aboutirait, au contraire, au démantèlement de cet Etat.
M. Roger Karoutchi.
Oh !
M. Jean-Claude Peyronnet.
C'est aussi vrai dans les propositions du texte de loi que dans les
déclarations ministérielles relatives aux lois organiques à venir et dans les
pratiques de transfert de compétences qui sont proposées.
N'y aurait-il que l'article 1er que nous ne pourrions accepter votre texte. Le
Conseil d'Etat l'a bien dénoncé : la décentralisation n'a pas sa place en tant
que processus d'évolution de l'organisation administrative de l'Etat dans
l'article 1er de la Constitution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En effet !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Mettre sur le même plan l'universalité de principes tels que la laïcité,
l'égalité ou l'indivisibilité et l'organisation décentralisée de la République
n'est pas seulement une faute esthétique, c'est une grave erreur, qui peut
avoir un jour de fâcheuses conséquences.
M. François Marc.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Un jour, dans cinq ans, dans dix ans, plus tôt ou plus tard, ces principes
entreront en conflit au moment de l'élaboration d'une loi. Qui nous dit
qu'alors, puisqu'ils sont au même niveau de dignité, le juge constitutionnel ne
tranchera pas, par exemple, concernant la langue française ou l'organisation de
l'enseignement, au profit du principe de décentralisation et au détriment du
principe d'égalité ou du principe d'indivisibilité ?
M. Roger Karoutchi.
Absolument pas !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Il y a là, en germe, de graves discordes.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
Loin de rejeter cependant ce principe - car, nous le répétons, nous sommes
décentralisateurs - nous proposons de le renvoyer réécrit à l'article 72, et
non, comme le propose la commission des lois, à l'article 2. Le principe de
subsidiarité, que vous ne nommez pas expressément, mais qui est contenu dans le
deuxième alinéa de l'article 72, semble faire consensus et être dans la logique
des lois de 1982. En réalité, ce principe européen, fondamentalement d'essence
fédérale - je rappelle les propos de M. Jacques Delors selon lesquels « la
subsidiarité est bien une pédagogie de l'approche fédérale » -,est présenté de
la façon suivante : « Les collectivités locales ont vocation à exercer
l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à
l'échelle de leur ressort. »
On s'inquiétera d'abord de cette notion de « le mieux ». Qui la définira
sinon, une fois de plus, le juge ? Mais, surtout, cette présentation fait de la
subsidiarité un instrument permettant de dépouiller l'Etat de ses prérogatives
de mise en oeuvre des politiques nationales. Comme vous ne définissez ni les
compétences des collectivités ni les compétences de l'Etat - au nom, et c'est
un comble, de l'unité de la République - vous nous proposez, dans la logique de
cette course à l'échalote que vous avez lancée, de dépouiller l'Etat comme on
effeuille un artichaut. Et ne me répondez pas que ce qui restera sera le coeur,
donc le meilleur. Ce serait un souci complémentaire pour les collectivités
territoriales. En effet, si l'Etat garde le meilleur, il donne le plus mauvais
aux collectivités locales.
Désormais, la norme pourrait être le pouvoir local, l'exception la compétence
nationale.
M. François Marc.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Ce principe porte en germe la perte de légitimité de la représentation
nationale à décider les orientations globales des politiques publiques.
(M.
Roger Karoutchi s'exclame.)
L'expérimentation - et l'expérimentation à l'échelon local de la loi, qui plus
est - ne trouvera pas grâce non plus à nos yeux. Cette pratique doit être mise
en oeuvre avec prudence dans l'application des règlements. Mais la présentation
qui en est faite à l'article 2 ne peut se justifier par des précédents, et en
particulier par le précédent corse, car elle a, dans ce cas-là, été très
sévèrement encadrée, même si, il est vrai, le juge constitutionnel nous y a
aidés.
Dans le cas présent, on se contente d'un principe général d'expérimentation
selon deux mécanismes tout aussi dangereux l'un que l'autre : le législateur
peut prévoir cette expérimentation, à l'article 2, mais, si l'on comprend bien,
les autorités locales le peuvent aussi par dérogation au droit national, à
l'article 4. C'est très dangereux ! Et quelle confusion de langage ! Déroger,
c'est autoriser des exceptions en conservant le principe général. Expérimenter,
c'est préparer la réforme. C'est très différent et il vous faut choisir entre
les deux et, dans tous les cas, il faut dès maintenant prévoir des bornes qui
encadrent le processus de façon solide et objective.
La loi, me direz-vous, est faite pour cela. Certes ! Mais le risque est tout
de même grand de voir la loi nationale déclinée de vingt-six façons différentes
sur le plan local au mépris du principe d'égalité des citoyens. Et je passe sur
la complexité que vous nous préparez, car plus on expérimentera et moins on
clarifiera les compétences !
Ce principe d'égalité est également mis à mal, et très gravement, à l'article
4 par modification de l'article 72 : la loi peut également créer une
collectivité à statut particulier, en lieu et place de celle qui est mentionnée
au présent alinéa.
A partir de là, la loi peut tout faire du point de vue de l'organisation
administrative, par exemple supprimer les départements. C'est habituellement ce
que l'on imagine le plus facilement, mais je vous invite à réfléchir sur le
sort possible des communes. Ainsi, il pourra être décidé, certes par la loi, de
supprimer, par exemple, toutes les communes d'un département ou d'une région au
profit des groupements de communes devenues collectivités à statut
particulier.
M. François Marc.
Quelle horreur !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Dites-nous clairement que vous l'imaginez au nom de la modernité, et
annoncez-le haut et clair aux maires qui seront bientôt rassemblés pour leur
congrès.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Au contraire, nous vous proposons de reconnaître dans la Constitution, par
amendement, les groupements de communes à fiscalité propre, ce qui veut dire à
égalité de reconnaissance et de permanence avec les communes, départements et
régions.
(Mme Gisèle Printz et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
C'est dire que, paradoxalement, cette reconnaissance qui ne suppose pas de
supprimer les communes est protectrice de celles-ci, alors que votre
proposition est destructrice.
M. Roger Karoutchi.
Oh !
M. Jean Chérioux.
C'est un comble !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Le sommet est atteint lorsque vous établissez ce qui n'est plus identifié
comme le chef de file mais qui demeure dans son principe, sinon dans son
appellation. En donnant à un chef de file, par exemple la région, le pouvoir de
fixer seul les modalités d'action commune entre les différents financeurs, non
pas d'un projet particulier, mais de toute une compétence, vous établissez la
tutelle d'une collectivité sur l'autre, que les lois Defferre avaient
expressément exclue.
M. Alain Gournac.
C'est n'importe quoi !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Le fait que la commission des lois propose d'introduire, par amendement,
l'interdiction de cette tutelle, dans la mesure où elle maintient les autres
dispositions, ne fait qu'ajouter à la confusion sans clarifier le débat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Cela se trouve confirmé dans l'article 6, dans lequel vous élevez au rang de
ressources importantes et surtout régulières et pérennes les « dotations
qu'elles reçoivent d'autres collectivités ». Puisque cette part est intégrée
dans le calcul de la part dite déterminante, elle ne saurait varier tous les
ans de façon importante. C'est dire que, dans votre esprit, il existera une
dotation régulière versée par une collectivité à une autre.
M. Roger Karoutchi.
Cela existe déjà !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Dites-nous quelle sera cette collectivité ? Dites-nous qui verse et qui reçoit
! Et dites-nous ce qui est versé !
M. François Marc.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Puisqu'il faut appeler les choses par leur nom, cette tutelle régionale que
vous imaginez sur les autres collectivités, et singulièrement sur les
départements, complète, de fait, la perspective fédéraliste que vous nous
proposez.
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. François Marc.
Eh oui !
M. Charles Revet.
Ce n'est pas possible !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Enfin, le référendum local décisionnel sans précaution aucune - et M. le
Premier ministre a évoqué le référendum, mais le référendum local décisionnel
existe, dans le cadre des compétences locales - est une arme à déconsidérer un
peu plus la démocratie représentative.
M. Jean-Claude Gaudin.
Il existe déjà !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Les élus n'ont pas besoin de cela et le Sénat - spécialement le Sénat ! -
s'honorerait en rejetant un tel dispositif et, pas plus que M. le Premier
ministre, je n'ai peur des électeurs.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Je me garderai bien
d'ailleurs d'ironiser sur cette révélation tardive des vertus de la démocratie
de proximité, et dans sa forme la plus directe et immédiate. Pour les
combattants infatigables des propositions de la loi Vaillant sur les conseils
de quartier,...
M. Jean Chérioux.
Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... il y a là quelque chose qui touche à la démagogie et qui ne peut
m'interdire un sourire.
(Exclamation sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin.
C'était rattraper sur le tapis vert ce qu'ils n'avaient pas eu dans les urnes
!
M. Jean-Claude Peyronnet.
Voilà quelques-uns des éléments qui nous incitent à émettre les plus grandes
réserves sur ce texte. Il met à mal des principes fondamentaux sur lesquels
s'appuie notre démocratie : principe d'égalité et principe d'indivisibilité.
Par une rédaction juridiquement incertaine, il organise les conflits et laisse
la part belle, trop belle, à l'interprétation des juges : qui décidera de la
collectivité qui peut « le mieux » mettre en oeuvre telle ou telle compétence
au nom de la subsidiarité ?
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
La loi !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Non, lorsqu'il y aura conflit, ce sera le juge !
Qui déterminera, sinon le juge, ce que représente en matière financière et
fiscale la part « déterminante ». Nous présenterons un amendement sur ce point
et vous nous direz ce que vous en pensez, mes chers collègues. Ce texte
présente le paradoxe d'être à la fois imprécis et de se noyer dans des détails
qui ne sont pas dignes de la hauteur conceptuelle qui devrait présider à la loi
constitutionnelle et qui, d'ailleurs, avait présidé à la rédaction du texte
initial. Et je ne parle pas des lacunes ! Il ne suffit pas d'évoquer la
péréquation pour qu'une réelle solidarité s'établisse entre les territoires.
Mais ce sujet sera abordé par d'autres orateurs de mon groupe.
Vous l'avez compris : si nous devions en rester là, nous voterions fermement
contre. Notre inquiétude a été, me semble-t-il, largement partagée par la
commission des lois en matière de chef de file, de tutelle, de référendum, de
garantie financière. Aussi attendons-nous le sort qui sera réservé à ses
amendements et aux nôtres pour nous déterminer finalement. Trois de ceux que
nous avons déposés nous tiennent surtout à coeur, en plus de ceux de la
commission : il s'agit de celui qui tend à inscrire les communautés dans la
Constitution,...
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... de celui qui vise à poser le principe du vote des étrangers aux élections
locales et de celui qui tend à fixer les garanties financières aux transferts
de compétences. Nous attendrons la position de notre assemblée sur ces
amendements pour arrêter définitivement la nôtre.
Mais après avoir entendu plusieurs ministres, dont le premier d'entre eux, il
est peu probable que le point de vue du Gouvernement change beaucoup et donc
que le nôtre devienne positif.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. Jean Chérioux
C'est un réquisitoire embarrassé !
M. le président.
La parole est à M. Jean Arthuis.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, si
le texte dont nous commençons l'examen aujourd'hui est définitivement adopté,
la Constitution aura été modifiée onze fois en dix ans.
En 1992, nous adaptions notre loi fondamentale aux évolutions du droit
communautaire. Aujourd'hui, dix ans plus tard, nous nous apprêtons à
décentraliser l'organisation de notre République, comme si l'Etat était devenu
trop petit pour s'occuper des grandes choses et trop grand pour assumer les
petites.
Par le haut comme par le bas, notre Etat est poussé à se transformer. Il nous
appartient d'être à la hauteur de ces différents défis.
Modifier la Constitution n'est pas un acte anodin. Pourquoi aujourd'hui, se
demandent certains, alors que, voilà vingt ans, la décentralisation avait été
menée à bien par des lois ordinaires ?
Le rapport de la commission des lois le montre : nous sommes arrivés au bout
de ce qu'il était possible de faire dans le cadre juridique issu des lois de
1982. Si nous souhaitons aller plus loin, et nous sommes nombreux à le
souhaiter, la Constitution doit être modifiée.
En tant que président de la commission des finances, je limiterai mon propos
aux conséquences de la réforme sur les finances locales, qui sont, en quelque
sorte, le « carburant » de la décentralisation.
Pour dire les choses simplement, la nouvelle étape de la décentralisation ne
sera un succès que si deux conditions sont réunies.
Première condition, les relations financières entre l'Etat et les
collectivités locales doivent être fondées sur la confiance mutuelle et
organisées en fonction de règles claires et pérennes. Il faut une stabilité des
règles.
Seconde condition, lorsque le législateur a confié de nouvelles compétences
aux collectivités locales, le système financier local doit être suffisamment
efficace pour leur permettre de les exercer librement et de manière
responsable.
Sur le premier point, il me semble que le principe directeur doit être celui
mis en avant par le Sénat depuis de nombreuses années et repris à son compte
par le ministre du budget au cours de la séance du comité des finances locales
du 24 septembre dernier ; il se résume par une formule fort simple : « qui
commande paie ». La loi confie aux collectivités locales des dépenses
obligatoires. Lorsque ces dépenses résultent de transferts de compétences,
comme c'est l'usage depuis 1983, l'Etat transfère aux collectivités les
ressources qu'il consacrait à leur exercice, les collectivités étant libres de
leur destiner les sommes qu'elles souhaitent. Il n'y a rien à redire.
En revanche, les conditions dans lesquelles la loi peut imposer des dépenses
obligatoires aux collectivités locales dans des domaines ne correspondant pas à
des transferts de compétences doivent être aménagées, et je me félicite que le
projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis aille dans ce sens.
Avec l'entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001, le
fonctionnement de notre appareil d'Etat sera progressivement incité à
abandonner la logique de la dépense qui prévaut depuis trop longtemps et à la
remplacer par une logique de résultat, les performances des gestionnaires de
l'argent public étant évaluées à l'aune du rapport coût-efficacité de leurs
actions.
Lorsque, comme aujourd'hui, un ministère peut édicter de nouvelles règles sans
se préoccuper de leurs conséquences financières car elles peuvent être
reportées sur les collectivités locales, il y a, de mon point de vue,
déresponsabilisation des gestionnaires des deniers publics. C'est une violence
insupportable qui met en péril tout pacte de confiance entre l'Etat et les
collectivités territoriales.
Si l'Etat devait assumer le coût de l'ensemble des mesures qu'il décide, le
précédent ministre des affaires sociales aurait-il été aussi motivé pour faire
voter l'allocation personnalisée d'autonomie ?
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jean-Guy Branger.
Voilà !
M. Jean Arthuis.
Le précédent ministre de l'intérieur aurait-il signé autant de textes d'ordre
réglementaire relatifs aux services départementaux d'incendie et de secours
?
M. Charles Revet.
Eh oui !
M. Jacques Peyrat.
C'est vrai !
M. Jean Arthuis.
Il ne s'agit pas là, mes chers collègues, de querelles d'épiciers !
M. Jean-Claude Gaudin.
C'est la vérité !
M. Jean Arthuis.
Nous touchons au coeur de ce qui fait la décentralisation. Mettons un terme à
ce jeu de dupes !
M. Jean-Guy Branger.
Très bien !
M. Jean Arthuis.
Bien entendu, le législateur est souverain. Bien entendu, l'Etat pourra
toujours décider de mettre à la charge des collectivités des dépenses
obligatoires. Mais, dans le même temps, lorsque des assemblées locales sont
élues, elles doivent rendre des comptes à leurs électeurs : comment expliquer à
ces derniers que le programme pour lequel on a été élu n'a pas été mis en
oeuvre parce qu'une grande partie des marges de manoeuvres financières dont on
disposait a été absorbée par l'ampleur des dépenses obligatoires imposées par
l'Etat ? A quoi bon élire au suffrage universel 500 000 élus locaux si, en
pratique, leur marge de manoeuvre continue de se réduire ?
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Comme le soulignait avec humour notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin
lors d'un débat organisé voilà quelques années dans cet hémicycle, « nous
devenons des préfets, il ne nous manque que la casquette ».
(Sourires.)
M. Jean-Claude Gaudin.
Elle est difficile à obtenir !
M. Serge Vinçon.
Mais nous portons le chapeau !
M. Jean Arthuis.
Au-delà de la boutade, il me semble que le texte que nous examinons
aujourd'hui doit être l'occasion de remédier à cette dérive. Dans mon esprit,
la décentralisation est le contraire du jeu malsain auquel nous assistons
depuis plusieurs années.
La décentralisation, ce sont des élus responsables devant leurs électeurs,
responsables des dépenses qu'ils engagent et responsables, si j'ose dire, du
rapport qualité/prix de ces dépenses pour les contribuables locaux.
Nous sommes nombreux au Sénat à penser que le mouvement de réduction du
pouvoir fiscal engagé sous la législature précédente est un mauvais coup porté
au sens des responsabilité des élus, donc à la décentralisation elle-même.
Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois considéré que la loi ne devait pas
avoir pour effet de réduire les recette fiscales des collectivités locales dans
des proportions de nature à restreindre leur capacité à s'administrer
librement, sans pour autant jamais déclarer contraires à la Constitution de
telles dispositions législatives.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui propose implicitement
d'inscrire dans la Constitution que la libre administration des collectivités
locales ne peut réellement s'exercer que si les collectivités locales disposent
de ressources propres dans une proportion « déterminante », qui peut aussi être
« prépondérante ». Nous aurons sur ce point crucial un débat ; soyons sages et
prudents dans l'adoption de la rédaction définitive.
Quel que soit l'adjectif retenu, il y a là la reconnaisance d'une analyse
développée depuis longtemps par notre assemblée.
Il y a là aussi, d'une certaine manière, la preuve que la fiscalité locale est
au coeur de la décentralisation française. Nous savons qu'au fil des années
elle est devenue archaïque, injuste, complexe et que l'Etat est devenu le
premier contribuable local ; nous savons que les seules réformes ont eu pour
objet la suppression de tout ou partie de certains impôts locaux.
Bien sûr, ces mesures étaient populaires, mais elles étaient en contradiction
avec la logique de la décentralisation.
Mme Nicole Borvo.
L'augmentation des impôts locaux va être très populaire !
M. Jean Arthuis.
Le Parlement va, cet automne, dans le cadre de la loi de finances, adopter la
mise en oeuvre de la dernière tranche de la suppression de la part salaires de
l'assiette de la taxe professionnelle, qui a fait disparaître en une fois le
sixième des ressources fiscales directes des collectivités locales. Que de
chemin parcouru en cinq ans : part régionale de la taxe d'habitation, vignette
automobile, droit de mutation à titre onéreux, part salariale de la taxe
professionnelle. C'est dire l'immense chantier qui nous attend.
Pour faire vivre la si nécessaire et urgente décentralisation que vous avez la
volonté de mettre en oeuvre, madame, monsieur le ministre, nous devons nous
atteler sans attendre à la réforme de la fiscalité locale. Croyez bien que la
commission des finances du Sénat...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Arthuis ?
M. Jean Arthuis.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, avec l'autorisation de
l'orateur.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
On trouve, dans l'intervention de M. le président de la commission des
finances, tous les éléments et tous les arguments qui justifiaient la saisine
de la commission des finances de notre assemblée sur ce projet de loi. M. le
président de la commission des finances voudra bien reconnaître que je lui ai
moi-même présenté cette demande. Malheureusement, la commission des finances
n'a pas eu à examiner le projet de loi constitutionnelle, ce que je regrette.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Nous aurons l'occasion de nous exprimer sur les dispositions de l'article
72-2, qui nous concerne plus directement. Vous savez d'ailleurs, madame
Beaudeau, que la commission des finances a entrepris une série d'auditions,
auxquelles vous avez participé, qui doit lui permettre de formuler des
propositions tendant à réformer la fiscalité locale.
Nous devons donc, je le répète, réformer la fiscalité locale pour faire vivre
la si nécessaire et urgente décentralisation. Croyez bien que la commission des
finances y apportera toute sa contribution. Nous veillerons, madame, monsieur
le ministre, à doter les collectivités territoriales du « carburant » dont
elles auront besoin au moment tant attendu où chaque citoyen saura enfin qui
fait quoi dans le nouveau paysage institutionnel local.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme Josiane Mathon.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Josiane Mathon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel dommage
pour les Français, quelle occasion manquée pour la démocratie que la
précipitation avec laquelle le Gouvernement soumet à l'approbation du Parlement
une réforme de la Constitution portant sur des enjeux aussi cruciaux que ceux
de la décentralisation !
Depuis maintenant vingt ans, nos concitoyens se sont appropriés cette notion,
cette liberté de mieux maîtriser l'administration locale des affaires
communes.
Bien qu'il ait fallu du temps et des luttes pour obtenir un outil de justice
sociale entre les collectivités, la mise en oeuvre de la dotation de solidarité
urbaine a permis de faire avancer l'idée que la décentralisation ne signifiait
pas la fin de l'égalité entre les citoyens. C'est une bonne chose.
La décentralisation a permis à la France d'accomplir de nombreux progrès dans
la gestion locale via la responsabilisation des élus locaux. Cela a constitué
une avancée pour la démocratie.
Cependant, vingt ans plus tard, une exigence nouvelle s'exprime avec force sur
le ton du désenchantement : nos concitoyens se sentent écartés des pouvoirs,
des prises de décision les concernant, comme étrangers à leurs propres élus.
Pis, les édiles sont assimilés, dès l'échelon communal, à une classe politique
; ils sont considérés comme agissant dans une bulle institutionnelle dont seule
une forte volonté politique pourrait crever l'écran invisible afin que renaisse
le dialogue, le lien constant entre mandants et mandés.
Monsieur le ministre, notre organisation des pouvoirs souffre aujourd'hui de
la non-prise en compte de la volonté participative des citoyens.
Alors que l'ensemble des forces politiques de ce pays s'exprime en faveur d'un
élan nouveau pour décentraliser les pouvoirs, alors que la majorité de nos
concitoyens exprime une profonde insatisfaction sur le fonctionnement de nos
institutions, vous escamotez le temps du débat public et foncez vers l'adoption
de textes constitutionnels rédigés à l'abri des exigences citoyennes, laissant
le flou total sur vos intentions quant aux lois organiques qui doivent
suivre.
Les assises des libertés locales ressemblent à une opération de communication,
mais pas une seule collectivité locale n'aura été sollicitée pour donner son
point de vue ! Aussi, comme nombre d'entre nous, je rencontre tous les jours
des élus locaux inquiets de votre précipitation et de l'orientation que vous
voulez imposer aux acteurs de la démocratie locale.
En fait, et je vais m'efforcer de le démontrer, le projet de loi a un objet :
non pas celui de permettre aux citoyens de participer à l'élaboration des choix
qui les concernent, mais celui d'imposer en France une organisation
administrative efficace en termes de mise en concurrence des territoires et des
populations.
La lecture attentive du projet de loi appelle donc, de la part des sénateurs
communistes, critiques et propositions alternatives. Nous ne voulons en effet
ni du
statu quo
, ni de votre projet ultra-libéral.
L'article 1er de la Constitution a pour objet de définir le sens de notre
République. Fruit de longs combats, de luttes sociales et démocratiques, le
projet républicain y est exposé dans ses grandes lignes. Vous proposez
inopportunément d'y adjoindre un principe d'organisation administrative. Non
seulement ce serait maladroit, mais cela entraînerait en outre un brouillage de
sens.
Or ce qu'attendent les Français, c'est la réaffirmation de valeurs solidaires,
c'est de pouvoir adhérer à un projet collectif clair répondant à leurs
besoins.
Donner plus de contenu au projet républicain lui conférerait plus de force et
développerait la cohésion sociale de notre organisation politique.
Dès lors, nous favoriserions l'adhésion de nos concitoyens à leurs
institutions, nous leur permettrions de s'impliquer mieux encore dans la
gestion des affaires communes. Nous ferions oeuvre utile pour le progrès de la
décentralisation vers la démocratie participative.
Monsieur le garde des sceaux, la décentralisation doit avoir un sens politique
! Celui que nous proposons est de garantir aux citoyens la maîtrise des choix
collectifs. Tout ce qui peut être administré à l'échelon le plus proche des
lieux de vie doit être dévolu au niveau de gestion correspondant, dans la
transparence et l'ouverture à l'intervention de chacun. C'est une question
d'efficacité pour satisfaire les besoins de la population.
Cela ne signifie nullement l'abaissement de la nation, de la représentation
nationale. Nous proposons au contraire de démocratiser le fonctionnement de
toutes nos institutions et, pour commencer, de revaloriser le rôle du
Parlement.
Pourquoi ne pas profiter de cette révision constitutionnelle pour enfin
accorder aux résidents étrangers non communautaires le droit de vote et
d'éligibilité ? Même dans vos rangs, des voix s'élèvent pour le souhaiter !
Pourquoi ne pas reconnaître dans notre Constitution l'existence des
établissements publics de coopération intercommunale, dont la réalité sans
cesse plus affirmée, exigerait que ne soit plus éludé le débat sur la
transparence de leur gestion, mais aussi sur les modalités de désignation de
leurs élus ?
Notre Constitution doit reconnaître le droit des citoyens à intervenir dans la
gestion directe de leurs affaires. Le principe fondamental de la République
d'un « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » doit être
confirmé et prolongé par l'invention du droit garanti à l'ensemble des citoyens
de participer, en liaison avec leurs élus, aux débats et aux choix régissant le
bien commun.
Les transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales
sont, dans un grand nombre de domaines, largement profitables. Les Français en
ont fait l'expérience en matière d'équipement scolaire, de gestion du réseau
routier, d'action sociale...
Il est nécessaire de confier aux échelons les plus proches des bassins de vie
des responsabilités de gestion, afin de répondre au mieux aux besoins des
populations. Cela n'implique nullement une rupture d'égalité de traitement. Or
le projet de loi propose aux collectivités territoriales d'expérimenter ce que
bon leur semblera.
Vous préparez ainsi une décentralisation à la carte, foulant au pied les
principes d'unité et d'égalité ! Votre projet ouvre grand la porte à la montée
des inégalités. Nous devons prendre garde à ce que ce vaste chantier de la
décentralisation ne conduise pas à dépouiller notre pays de ses traits
originaux ; les services publics, la fonction publique d'Etat ou territoriale
n'ont pas vocation à disparaître au gré de telle ou telle collectivité
territoriale. Décentraliser, démocratiser la gestion des services destinés au
public est nécessaire, certes. Mais cela doit s'accompagner de la garantie
constitutionnelle de l'existence et de ces services et de leurs missions.
Les personnels de l'éducation nationale ont interpellé le Gouvernement à ce
propos, monsieur le garde des sceaux. Avec eux, nous disons que l'accès à
l'éducation, à la formation professionnelle, mais aussi à la santé ne saurait
être inégal en France.
L'article 6 tel qu'il figure dans le projet de loi permettrait qu'une loi
organique décide de la fin de l'égalité devant l'impôt, sous prétexte de donner
aux collectivités des ressources propres prépondérantes !
S'il doit appartenir aux collectivités territoriales de décider d'une
politique fiscale, si des ressources propres doivent leur être garanties, cela
doit se faire dans un cadre national fixant l'assiette et une échelle de
taux.
Vous ne jouez pas cartes sur table, puisque vous admettez qu'une réforme
fiscale est nécessaire tout en vous gardant bien de nous présenter vos
propositions en la matière.
Et pourtant, qui n'entend déjà le MEDEF exiger des collectivités « le
moins-disant fiscal », en poussant les élus locaux au dumping fiscal ?
Monsieur le garde des sceaux, vous préparez la mise en concurrence des régions
et des territoires alors que d'autres pistes existent, porteuses de dynamisme
pour le développement local et de solidarité face aux inégalités.
Ma collègue et amie Marie-France Beaufils aura à coeur de développer le point
de vue des sénateurs communistes sur les finances des collectivités locales.
Les mécanismes de péréquation financiers évoqués dans votre texte sont vagues
et flous. L'expérience nous a appris que les transferts de compétences ne sont
jamais réellement suivis des transferts de moyens correspondants. La gestion au
plus près du terrain amène à mieux répondre aux besoins. Entendez que les
dépenses s'envolent quand le transfert budgétaire est à niveau constant.
Même les outils les plus justes que sont la dotation de solidarité urbaine ou
rurale ne prennent pas en compte la réalité des collectivités locales. En
effet, pour viser l'égalité, il est nécessaire de considérer les ressources de
chaque collectivité, mais également les dépenses nécessaires au bien-être de la
population. Cela signifie que la décentralisation ne doit pas être une
technique de défaussement des responsabilités et des obligations de l'Etat vers
les collectivités.
Cela implique donc une vision de l'Etat assurant la solidarité et l'égalité
entre tous les citoyens, entre tous les territoires de la République, quelles
que soient leurs spécificités.
Nous sommes favorables à ce que des coopérations puissent se nouer entre les
collectivités pour mener à bien des projets communs.
Nous souhaitons réaffirmer que la commune est la première entité démocratique,
de par sa proximité avec les citoyens. Nous observons que les conseils généraux
prennent en charge des compétences accrues, à la charnière des possibilités
entre l'espace communal ou inter-communal et l'espace régional. Nous sommes
favorables à la reconnaissance constitutionnelle de la région.
Hélas ! votre projet de loi constitutionnelle permettrait que l'une ou l'autre
disparaisse, sans que l'on y prête attention d'ailleurs. Nous nous
retrouverions alors avec des institutions locales à géométrie variable !
Dans sa rédaction, l'article 4 du projet de loi qui nous est soumis doit
bannir la prééminence hiérarchique d'une collectivité par rapport à l'autre.
Au-delà, il est vital de pouvoir identifier les compétences de chacun. Je
redis que votre projet ne fera qu'ajouter du flou puisque chaque collectivité
territoriale pourra déroger aux lois ou aux règlements régissant ses
compétences.
Finalement, et cela constitue un paradoxe bien étrange, l'Etat garde la main
en permanence, déléguant aux collectivités territoriales la mise en oeuvre des
choix qu'il continue d'opérer. Il en est ainsi de la généralisation ou non des
expérimentations des compétences décentralisées.
Le contenu de l'article 3 du projet de loi mérite un autre traitement. Nous
touchons là à la réforme du Sénat. Alors qu'un groupe de travail pluraliste et
contradictoire a travaillé sur le sujet l'an dernier, ouvrant ainsi un débat
sur l'avenir de notre institution, vous l'escamotez en le diluant point par
point. Il n'est pas question de voir le Sénat s'arroger des prérogatives de la
sorte.
(Sourires sur les travées du RPR.)
Souriez si cela vous fait plaisir, mes chers collègues !
La commission des lois entend proposer un amendement aggravant cette dérive,
revenant même sur la primauté de l'Assemblée nationale dans le jeu de la
représentation nationale. Cette méthode est irrespectueuse du peuple, qui,
selon la Constitution, indique, via l'élection des députés, l'orientation
politique qu'il souhaite pour la conduite des affaires du pays.
M. Jean Chérioux.
Le Parlement est un !
Mme Josiane Mathon.
La réforme de notre Constitution est d'abord l'affaire de notre peuple.
Le 21 avril dernier a été un choc terrible pour la démocratie, révélateur de
l'ampleur de la crise frappant nos institutions.
Une bonne méthode aurait été d'ouvrir avec les Français ce débat essentiel. Il
n'est pas trop tard, monsieur le garde des sceaux, osez : ouvrez les portes de
vos assises si médiatisées ; consultez les conseil régionaux, les conseils
généraux ; demandez aux conseils municipaux leur contribution ; proposez aux
citoyens et à leurs si nombreuses associations des lieux et des moyens pour
participer à ce débat !
En dernier ressort, reconnaissez au peuple souverain le droit de décider par
référendum des institutions qu'il souhaite se doter !
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Patrice Gélard.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes
chers collègues, en préambule à mon intervention, je ferai une première
remarque. Si nous gardions la Constitution telle quelle nous ne pourrions
vraisemblablement pas être en conformité avec le Conseil de l'Europe ou l'Union
européenne, pour lesquels l'obligation de respecter l'autonomie locale fait
partie des droits fondamentaux de toute démocratie. C'est la raison pour
laquelle ce projet de loi vient en son temps et va permettre de renouveler la
science constitutionnelle dans un domaine où la France ne se faisait pas
suffisamment entendre.
En effet, au sein de l'Union européenne, certains de nos voisins ont mis en
place des systèmes fédéraux - c'est le cas de l'Allemagne, de l'Autriche, de la
Belgique - certains ont institutionnalisé ou constitutionnalisé le régionalisme
-, comme l'Espagne et l'Italie -, certains autres encore sont restés dans la
tradition des constitutions du xixe siècle, où l'on n'expliquait pas ce que
devaient être les collectivités de la République.
Nous sommes donc à un tournant où la décentralisation devient l'un des enjeux
majeurs de la démocratie et de la République. C'est la raison pour laquelle
nous ne pouvons que nous féliciter qu'enfin les grands principes qui régissent
la décentralisation soient constitutionnalisés. Nous avions déjà inscrit ces
principes sur le plan législatif, mais pas au niveau constitutionnel.
Les grandes lois du début de la IIIe République de 1871 et de 1884 mettaient
déjà en place certains principes essentiels de la décentralisation, ainsi que
le principe de subsidiarité.
Au détour, je me permets de souligner que le principe de subsidiarité n'est
pas à l'origine fédéral. C'est, au contraire, un principe de déconcentration et
de décentralisation. Je rappelle que celui-ci est né, en tant que principe
d'organisation, dans l'Eglise catholique pour définir les pouvoirs des évêques.
Or, on ne peut considérer l'Eglise catholique comme un modèle de fédéralisme.
(Sourires.)
A ce stade de la réflexion, nous pouvions nous engager sur la voie du
fédéralisme, certains le réclament, ou vers la voie du régionalisme
constitutionnalisé à l'espagnole comme d'autres le réclament. Mais, à ce
moment-là, nous aurions porté atteintes à l'un des principes essentiels de
notre Constitution : le caractère de la République une et indivisible. C'est la
raison pour laquelle le choix du Gouvernement me paraît sage, il découle
d'ailleurs directement du discours du 16 avril 2002 prononcé par le chef de
l'Etat à Rouen,...
M. Charles Revet.
Une fois encore Rouen !
M. Patrice Gélard.
... qui marquait les grandes options et les grandes orientations de
l'organisation territoriale de la République.
Nous respectons cette tradition de la République. Nous ne nous engageons pas
vers le fédéralisme. Nous ne nous engageons pas non plus vers le régionalisme,
bien que, depuis 1972, nous reconnaissons la réalité de la région, qui va
abandonner son caractère d'établissement public pour devenir une collectivité
territoriale.
Je dois souligner que le projet de loi tel que nous l'avons discuté en
commission et tel que notre éminent rapporteur a proposé de l'amender a permis
d'éviter un certain nombre d'écueils qui auraient pu se dresser devant nous.
Tout d'abord, la République ne devient ni fédérale ni régionaliste.
Ensuite, la France aurait pu être bouleversée dans son organisation
territoriale. On aurait en effet pu envisager des dispositions prévoyant, par
exemple, que les collectivités territoriales de la République sont les régions
composées de départements, et les intercommunalités composées de communes. On
ne l'a pas fait : on laisse les choses évoluer de façon naturelle et on ne
remet en cause ni l'existence du département...
M. Charles Revet.
Heureusement !
M. Patrice Gélard.
... ni celle de la région, ce qui aurait suscité sur divers bancs des
réactions que l'on peut parfaitement comprendre.
M. Charles Revet.
C'est la plus belle organisation !
M. Patrice Gélard.
C'est la raison pour laquelle on conserve nos communes, nos départements...
M. Charles Revet.
C'est ce qui marche bien !
M. Patrice Gélard.
... et nos régions. On ne bouleverse pas l'édifice, mais on lui permet
d'évoluer et de se transformer.
J'ajoute que je me félicite de ce que l'intercommunalité ne soit pas
mentionnée parmi les collectivités territoriales de la République, parce que
nous ne sommes pas « mûrs » pour instituer l'élection au suffrage universel
direct des conseils intercommunaux, qui découle naturellement du caractère des
collectivités territoriales.
Le choix du Gouvernement est sage : on ne peut pas s'engager, pour l'instant,
dans la voie de la reconnaissance en tant que collectivités territoriales des
établissements publics à fiscalité propre.
Laisson le temps au temps, car cette voie aboutirait nécessairement à la
transformation de toutes les communautés urbaines et à la disparition de fait
d'un certain nombre de nos communes.
(Applaudissements et exclamations sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je me félicite aussi des choix faits par le Gouvernement en ce qui concerne le
droit à l'expérimentation. La reconnaissance de ce droit devenait absolument
nécessaire, non seulement pour nos départements et régions d'outre-mer, mais
également pour certaines de nos îles qui font partie du territoire national.
Expérimentation, adaptation aux conditions locales, voilà une nécessité.
De même, la reconnaisance de l'autonomie financière des collectivités locales
est un principe qu'il fallait inscrite dans la Constitution. On peut regretter
que le Gouvernement ne soit pas allé aussi loin que ce qu'avait proposé notre
assemblée dans une proposition de loi votée l'an dernier.
Je ne reviens pas sur le principe de subsidiarité ni sur celui du chef de
file, si ce n'est pour dire que les amendements proposés par la commission des
lois permettront d'éviter les éventuels dangers d'une tutelle puisque ce sera
le législateur qui désignera le chef de file pour tel projet ou telle
réalisation.
Certes, des difficultés risquent d'apparaître avec le temps. Il faut souhaiter
que les lois organiques prévues mettront en place un certain nombre de verrous
pour éviter les dérives.
Je pense notamment aux référendums d'initiative locale. A mon avis, il est
souhaitable que la loi organique établisse un verrou partant du principe que
tout référendum n'ayant pas mobilisé 50 % des électeurs n'a aucune valeur.
M. Jacques Peyrat.
Très bien !
M. Patrice Gélard.
C'est ce qui se passe en Italie, en Suisse. Le référendum doit recueillir un
minimum de participation pour être crédible.
En règle générale, j'estime donc que le texte en discussion correspond aux
nécessités de notre temps et qu'il a été considérablement amélioré par notre
rapporteur. Je ferai tout de même part de quelques regrets.
Je regrette d'abord que, comme l'a dit M. Arthuis tout à l'heure, nous ayons,
au cours des dernières années, multiplié les réformes, qui sont chaque fois
trop longues.
M. Jacques Peyrat.
C'est ce que j'ai dit !
M. Patrice Gélard.
Nous n'allons pas à l'essentiel. Nous devrions poser des grands principes de
valeur constitutionnelle et laisser au législateur - par une loi organique ou
ordinaire - le soin d'adapter les dispositions constitutionnelles.
Nous aboutissons ainsi à ce que les dispositions relatives aux collectivités
territoriales sont nettement plus longues que celles qui concernent le
Gouvernement ou l'autorité judiciaire. Ce déséquilibre tend à s'accentuer au
fur et à mesure que l'on adopte des révisions constitutionnelles.
Je déplore également la numérotation des articles 72-2, 72-3 !... Je
préférerais la numérotation continue des articles comme nous l'avions fait à un
moment donné ; à l'occasion de la remise en ordre de la Constitution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En 1995 !
M. Patrice Gélard.
En outre, certains mots ne sont sans doute pas adaptés.
L'expression « pouvoir réglementaire » ne convient pas pour les collectivités
locales, mais on n'a pas réussi à en trouver une autre. Pourtant, ce n'est pas
un réel pouvoir réglementaire. Le pouvoir réglementaire, c'est celui dont
dispose le Gouvernement ; sous l'autorité du Premier ministre.
Tout à l'heure, on a envisagé de distinguer le pouvoir réglementaire par
délégation du pouvoir réglementaire gouvernemental. Mais, à ce moment-là, on
n'est plus du tout dans le ressort du pouvoir réglementaire, on est dans le
domaine de la circulaire ou des dispositions locales d'ordre pratique.
Je crois que le vocabulaire nous manque. Il faudra à l'avenir l'inventer.
De même, je ne suis pas convaincu qu'il faille conserver le terme de «
référendum » pour désigner les consultations populaires locales. Le terme de
référendum désigne, pour moi, les consultations nationales. Ce n'est que la
manifestation d'un simple regret, mais j'aurais préféré que l'on fasse usage
d'une autre expression comme celle de « consultation populaire ».
Par ailleurs la décentralisation, en France, n'est pas seulement territoriale.
Elle s'opère aussi par services. La loi s'appliquera-t-elle à la
décentralisation par services ?
C'est la raison pour laquelle le terme de décentralisation me paraît trop
large.
Le Président de la République, qui fait partie de l'organisation de l'Etat,
peut-il être décentralisé ? Il peut certes résider ailleurs qu'au palais de
l'Elysée, mais il ne peut être considéré pour autant comme décentralisé !
(Sourires.)
Le Gouvernement est-il décentralisé ? Ce n'est pas le cas non plus !
Il y a donc là un problème : un adjectif devrait être accolé au mot «
décentralisation ».
Enfin, toujours dans le registre des regrets, il faudra bien un jour que l'on
« toilette » l'ensemble du texte constitutionnel pour le rendre plus
intelligible, plus clair, plus percutant. Mais cela doit se faire à froid, par
la mise en place de commissions de travail.
Il s'agit là d'une mission de longue haleine. Monsieur le ministre, je vous
laisse le soin de mettre en place les modalités de cette révision pour mieux
rédiger notre Constitution et la rendre plus opérationnelle. Cela dit, ce
texte, tel qu'il est amendé par la commission des lois, reçoit toute notre
confiance. C'est la raison pour laquelle nous le voterons sans aucun état
d'âme.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes
chers collègues, sans doute faut-il imputer à l'existence dans ce texte que
vous nous soumettez de deux projets - l'un constitutionnel, l'autre plus
spécifique - le fait que je sois le premier de mon groupe à m'exprimer. Je ne
parlerai toutefois qu'en mon nom personnel, laissant à mes collègues le soin
d'exprimer le sentiment de la majorité des membres de notre groupe.
N'eût été en effet le dossier de la Corse dissimulé habilement aux articles 4
et 5 du projet de loi, j'aurais pu accorder un préjugé favorable au texte
présenté, car tout ce qui élargit les compétences des collectivités
territoriales, au-delà d'accusations caricaturales et désuètes entre les
Girondins et les Jacobins, recueille
a priori
notre agrément.
S'agissant du dispositif général, trois motifs, motifs d'opportunité, d'abord,
politiques ensuite, et de forme, enfin, conduisent à bien des réserves.
La centralisation serait-elle si insupportable qu'elle justifierait tant
d'urgence ?
Est-on vraiment convaincu quand on parcourt nos régions et nos villes qu'il
faille nourrir tant de complexes vis-à-vis de nos partenaires européens ?
L'Etat, qui a tant concouru à l'ensemble de nos équipements depuis trente ans
- équipements hospitaliers, routiers et ferroviaires -, a-t-il finalement
manqué totalement à ses devoirs ?
Au risque d'apparaître rétrogrades, nous n'en sommes pas persuadés.
Si les collectivités territoriales connaissent des difficultés pour conduire
leurs projets, c'est plus vers l'élargissement de leurs compétences qu'il
convient de s'orienter que vers la modification de leur organisation.
En vérité, il serait peut-être plus opportun de rechercher la cause de ces
difficultés tout autant dans l'inflation législative, dans les débordements de
la loi, au-delà de la stricte application de l'article 34, et surtout dans
l'inflation des circulaires européennes qui brident, annulent, repoussent dans
le temps la réalisation des projets, que dans la paralysie provoquée par
l'Etat.
Et s'il est bon d'affirmer le principe de subsidiarité, il est plus difficile
de mettre en oeuvre ce concept aux contours incertains, la complexité de la
société moderne provoquant l'imbrication permanente de compétences relevant de
collectivités diverses.
Nos réserves sont aussi d'ordre politique.
Nous sommes dans un Etat unitaire. Certes, il continuera de l'être, mais les
dispositions à caractère expérimental prévues par les lois et règlements, sans
en préciser ni la durée ni l'objet, d'une part, celles qui accordent la
possibilité de déroger à titre expérimental aux dispositions législatives ou
réglementaires, quand bien même elles seraient limitées à l'exercice de leurs
compétences, d'autre part, ne peuvent que susciter une grande inquiétude.
En effet, de deux choses l'une : ou bien elles n'auront aucune application
pratique, car l'audace dans ce domaine peut être contrariée par la sagesse des
élus locaux et elles seront inutiles, ou bien - et l'on peut craindre le pire -
le principe d'égalité devant la loi risque d'être rompu par le retour aux
parlements d'ancien régime, couvrant le pays d'un manteau d'Arlequin
législatif, au moment même où, par une simple loi, des statuts particuliers à
géométrie variable introduiraient une organisation territoirale diversifiée et
permettraient à ces dispositions de se nourrir l'une de l'autre. Cela serait
difficilement acceptable.
Dans la forme, enfin, vous n'aurez respecté qu'à demi la recommandation de
Bonaparte en ne retenant de sa célèbre formule « il faut qu'une constitution
soit courte et obscure » que le deuxième terme, chargeant notre loi
fondamentale de lourdeurs, d'ambiguïté - cela vient d'être souligné par
l'orateur qui m'a précédé à cette tribune - qui lui en retirent sa vigueur
originelle. La nouvelle rédaction de l'article 1er en est la meilleure
illustration.
Nous pourrions toutefois lever ces réserves si votre projet de loi « gigogne »
ne tentait d'évacuer un problème politique dont vous avez hérité. Vous
comprendrez que je l'évoque avec gravité, même si l'examen des amendements nous
donnera l'occasion d'y revenir. Certes, à votre décharge, ce cadeau était
empoisonné.
Par les articles 4 et 5 ; qui évoquent les collectivités à statut particulier,
vous tentez de surmonter la contradiction dans laquelle nous a enfermés
l'ancien Premier ministre. Ces dispositions sont la continuation, par d'autres
moyens, du processus de Matignon, auquel nous étions, vous et moi, opposés.
En décembre dernier, je déclarais à cette tribune, à l'occasion de la
discussion du projet de loi relatif à la Corse : « Qui pourrait croire un
instant que l'opposition ; demain aux affaires » - vous y êtes ! - « pourrait
rompre les termes de l'accord ? Le passé nous a appris que la gauche élabore
des statuts et que la droite les applique. » Je n'ai pas le sentiment de m'être
trompé ! Nous sommes à mi-chemin.
Certes, la tâche est difficile et vous ne sauriez assumer seul la
responsabilité qui risque de nous conduire où nous ne souhaitons pas aller et
qui a amené la gauche là où elle est.
Résumons : les « accords » prévoyaient la suppression des départements. A cet
effet, une réforme constitutionnelle en 2004 était indispensable.
La seule cause justifiant cette suppression était l'opportunité, pour les
nationalistes, d'ouvrir une brèche constitutionnelle plus importante à leurs
yeux que l'existence de ces collectivités.
Comment surmonter la contradiction qui aurait pu se produire entre un vote
favorable sur le continent et un vote négatif en Corse ? Ce problème n'avait
pas échappé à l'ancien chef du gouvernement, qui finira par proposer une
première révision constitutionnelle pour permettre des référendums
régionaux.
Par la combinaison de collectivités à statut particulier, se substituant au
lieu et place des départements, et la possibilité de référendums régionaux
prévus à l'article 5, et dont vous affirmez sans conviction le caractère
consultatif, vous faites d'une pierre deux coups et achevez ainsi le travail de
votre prédécesseur.
Mais il vous faudra dissiper vos illusions. Pour les nationalistes, le
troisième statut est déjà derrrière eux et ils s'apprêtent, avec les moyens
constitutionnels dont ils disposeront désormais, à en préparer un quatrième.
Car il faudrait être bien ingénu pour imaginer qu'ils pourraient se satisfaire,
après vingt ans de luttes et de désordres, d'avoir seulement amélioré notre loi
fondamentale.
Mes chers collègues, on a évoqué l'Alsace, la Normandie, le Pays basque. Ce
sont autant d'alibis ! En vérité, on fait semblant de légiférer pour les autres
régions pour saisir l'opportunité de légiférer pour la Corse.
Paradoxalement, au moment où nous rentrons dans la Constitution, nous courons
le risque de sortir de la nation. Si un doute subsistait, le thème des assises
de la décentralisation : « Quelle évolution institutionnelle pour la Corse ? »
- vous y étiez, monsieur le ministre - le dissiperait.
Cela justifie que le Gouvernement ne puisse se défausser en demandant à une
partie du peuple d'assumer les responsabilités à sa place dans un domaine qui
ne relève pas de la problématique territoriale, mais qui est éminemment
politique.
On ne peut laisser à un projet de loi, voire à une proposition parlementaire,
le soin de décider de telles évolutions. C'est parce que le Président de la
République est le garant de l'unité nationale qu'il lui appartient d'assumer
cette responsabilité et de proposer éventuellement à une partie du peuple de
décider des institutions qu'il souhaite.
Un tel choix risque d'être trop douloureux pour qu'on y prenne garde. On ne
peut déclarer, comme a pu le faire le ministre de l'intérieur, que nous
reviendrons « à l'unité après avoir trouvé la voie de l'efficacité », alors que
le processus de Matignon, inachevé à ce jour, a montré l'irréversibilité des
situations créées.
On ne peut prétendre, comme le Premier ministre, que la proximité est le champ
d'action des départements et introduire des dispositions constitutionnelles
pour les supprimer. Il avait déclaré, devant le corps préfectoral, citant
Tocqueville, que l'Etat « peut à peine faire le nécessaire et qu'il voudrait
faire le superflu ». C'est parce qu'en Corse, durant trente ans, il n'aura fait
ni l'un ni l'autre qu'il faut qu'il se ressaisisse.
J'adore Tocqueville. Dans ses souvenirs, il évoquait le moment où, prenant
possession du bureau du comte de Vergennes au Quai d'Orsay, il avait pris une
résolution : ne jamais subordonner au besoin de se maintenir celui de rester
même. Mes chers collègues, c'est une règle de vie que je me suis toujours fixée
!
Je souhaite que chacun d'entre nous prenne conscience, au-delà de
l'élargissement de la décentralisation, de la portée réelle de ce texte.
Je réclame votre indulgence. Mon intervention dans la discussion générale
n'est, en effet, justifiée que par l'inquiétude suscitée dans l'opinion corse
devant une situation qui nous échappe.
Mon sentiment d'isolement est total, entre les deux familles d'esprit qui se
partagent notre assemblée, sur ce problème d'intérêt national.
Pour ma part, j'ai depuis longtemps dépassé ces clivages subalternes. Il est
arrivé souvent à votre assemblée, dans sa sagesse, de faire de même.
La discussion des amendements nous donnera l'occasion de connaître les
intentions réelles du Gouvernement, mais je souhaiterais tellement être entendu
!
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants et sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Je tiens d'abord à saluer le courage du Premier ministre, votre courage,
madame, messieurs les ministres, et celui du Gouvernement : en proposant au
Parlement d'inscrire la décentralisation dans le marbre de notre Constitution,
vous répondez, en effet, comme en écho au général de Gaulle lorsqu'il appelait
la France à rompre avec l'effort multiséculaire de centralisation.
Certes, nous ne partons pas de rien : la loi du 2 mars 1982 et les nombreux
textes qui ont suivi ont ouvert la voie. Il ne viendrait d'ailleurs à personne
l'idée de contester ces avancées auxquelles gouvernements et majorités
successives ont apporté leur contribution.
Pourtant, convenons-en, il y a comme un sentiment d'inachevé. Vingt ans ont
passé, mais les objectifs fixés par les lois Defferre restent étrangement
d'actualité : rapprocher le pouvoir du citoyen, rendre l'action publique plus
efficace, n'est-ce-pas de cela qu'il s'agit encore aujourd'hui ?
Comment justifier, vingt ans après, ces formules qui reviennent inlassablement
dans les discours : « la décentralisation au milieu du gué » ou « second
souffle de la décentralisation » ? Sans doute par plusieurs malentendus sur la
décentralisation.
Pendant vingt ans, nous avons cru pouvoir décentraliser sans réformer l'Etat
dans le même temps, nous nous sommes abîmés dans une fuite en avant où l'Etat
transférait les charges aux élus locaux sans leur donner les moyens d'agir.
Pendant vingt ans, nous avons cru décentraliser le pouvoir administratif en
conservant un pouvoir politique hypercentralisé, pour ne pas dire
hypertrophié.
Pendant vingt ans, nous avons cru décentraliser en empilant structures sur
structures, alors qu'il aurait fallu raisonner en termes de projets et de
besoins.
Pendant vingt ans, nous avons cru décentraliser en produisant lois et
réglementations à la chaîne quand il fallait simplifier.
Le résultat est là : l'Etat omniprésent voudrait s'occuper du superflu quand
il ne peut assurer l'essentiel.
La décentralisation, qui devait clarifier les choses, a engendré une sorte de
mikado institutionnel où l'on ne peut rien bouger de peur que tout
s'effondre.
La décentralisation, qui devait faire participer les citoyens à la vie de la
nation, est devenue une affaire d'experts et de notables, au point, dit-on,
d'apparaître au dernier rang des préoccupations des Français lorsqu'on les
interroge.
C'est dire que le mal français a la vie dure. C'est dire que tout reste à
faire pour dépoussiérer nos institutions et ouvrir une fenêtre sur l'avenir.
Oui, monsieur le ministre, grâce à vous, avec vous, tous ensemble, nous avons
un formidable chantier à ouvrir.
Ce chantier exige un vaste effort de pédagogie pour sensibiliser les Français
à ce qui est en train de se passer et pour leur dire : « Exprimez-vous, prenez
votre avenir en main ! ». C'est la vocation des assises des libertés
locales.
Ce chantier doit aussi poser les fondations d'une démocratie moderne
descendante. Remettre la démocratie à l'endroit : tel est l'objet de la réforme
constitutionnelle qui nous est proposée aujourd'hui.
Ce chantier doit enfin déboucher sur une nouvelle donne du pouvoir dans
laquelle l'Etat recentrera son action sur les missions que lui seul peut
assumer, un Etat qui ose faire faire au lieu de vouloir tout faire lui-même.
Cet Etat que nous appelons de nos voeux, ce n'est ni l'Etat zéro, ni l'Etat
Zorro. C'est l'Etat subsidiaire qui fera enfin confiance aux régions, aux
départements et aux communes pour régler, par leurs délibérations, les
problèmes qui relèvent de leurs compétences.
Ce chantier va conditionner l'avenir de la France et de notre démocratie.
Jadis, la France a bâti ses institutions, et donc, son administration, à
partir des besoins qu'imposait l'Histoire. Il fallait garantir l'ordre et la
sécurité du pays face aux agressions. Ce furent les paroisses, pour protéger
les populations des brigands. Puis ce fut la loi de 1790 sur les départements,
pour quadriller le territoire. Ce fut enfin la loi de 1884 sur les communes,
pour enraciner définitivement la République dans le territoire.
Aujourd'hui, ces réalités, comme ces besoins, ont changé. Comment ancrer la
France dans l'Europe ? Comment permettre à notre pays d'exister dans le concert
des nations tout en conservant ses racines et son identité ?
Voilà les questions que se posent nos concitoyens, qui sont partagés entre
inquiétude et espoir face à la mondialisation. Voilà les questions que se
posent les entreprises, qui sont plongées dans une compétition économique où,
désormais, ce n'est pas le plus gros qui mange le petit, mais c'est le plus
rapide à s'adapter qui bat le plus lent.
De la réussite du chantier qui s'ouvre aujourd'hui dépendra notre capacité à
répondre à ces préoccupations.
Pour mener à bien cette tâche, nous devons éviter certains écueils, et
notamment cesser de vouloir à tout prix opposer les collectivités locales les
unes aux autres. Dans les lois de Mme Voynet et de M. Chevènement, le
gouvernement précédent avait cherché à diviser pour régner, en opposant les
départements aux régions, les cantons aux agglomérations, l'urbain au rural.
Cinq ans perdus et des lois qu'il faudra revoir : c'est tout ce que la gauche a
gagné à ce petit jeu !
La question n'est pas de savoir s'il faut plus de région ou moins de
département. Pour répondre au plus près du terrain aux problèmes multiples qui
se posent à nous, nous aurons besoin de tout le monde, pour peu que l'on
définisse clairement qui fait quoi.
Le second écueil est celui de l'uniformité. Réflexe bien français que celui
qui consiste à vouloir appliquer partout, en même temps, la même réforme. Pour
préserver l'égalité entre les territoires et les populations, me direz-vous ?
Si l'Etat central n'avait pas failli dans sa mission « d'aménageur » du
territoire et de garant de la solidarité nationale, nous ne débattrions pas en
ce moment. Ou bien est-ce pour préserver l'unité de la nation ? Mais, depuis
des années, de la Corse aux DOM-TOM en passant par les départements
frontaliers, et même Paris, des collectivités de taille et de statut différents
se développent sans que l'unité de la République s'en ressente.
La vérité, c'est que la France est un peu comme une grande maison. Chaque
pièce, chaque chambre est différente, avec une histoire et une fonction
propres. Mais l'ensemble forme un tout dans lequel il fait bon vivre.
L'unité dans le respect de la diversité : voilà notre exigence, voilà notre
défi.
J'ai parlé, il y a quelques instants, de subsidiarité. Ce que nous attendons
également du Gouvernement, plus qu'un loi généralisée à toutes les
collectivités locales, c'est d'abord qu'il donne sa chance à une véritable
expérimentation adaptée au cas par cas, avec des statuts différents, s'il le
faut, en fonction des besoins et des réalités locales, comme c'est le cas, par
exemple, en Espagne ou en Italie, sans pour autant remettre en cause l'unité de
la nation. En effet, si la vigilance s'impose, afin de ne pas voir les
dialectes locaux se substituer à notre langue nationale, ciment de notre
cohésion sociale, culturelle et politique, ne fermons pas les yeux sur
l'étonnante diversité géographique et économique de notre pays.
Ce que nous attendons enfin du Gouvernement, c'est qu'il donne aux élus locaux
les moyens financiers, juridiques et humains de leur action.
Moins que de textes, c'est surtout de volonté politique qu'il sera besoin pour
aller au bout de la logique décentralisatrice. Pour cela, nous ne réclamons pas
forcément de nouvelles responsabilités. Il convient que les lois à venir nous
laissent d'abord approfondir et exercer totalement les compétences pour
lesquelles nos collectivités ont déjà fait leurs preuves. S'il pouvait en être
ainsi, ce serait déjà beaucoup.
Je pense à l'enseignement supérieur, au développement économique, à la
formation des jeunes et des adultes, à la culture, au tourisme, au logement, à
la santé, ainsi qu'à l'éducation que l'on dit nationale. S'il s'agit de
préserver l'égalité des jeunes devant les programmes et les diplômes, nous
sommes d'accord : cela est et doit rester du domaine de l'Etat. Mais on ne nous
fera jamais croire que la décentralisation de la gestion des personnels ATOSS,
par exemple, est incompatible avec cette exigence.
Songeons que, en dix ans, une région comme Rhône-Alpes a investi 17 milliards
de francs dans les lycées, dont 11 milliards de francs sur ses fonds propres.
S'il n'y avait pas eu la décentralisation, s'il n'avait tenu qu'à l'Etat, on se
demande à quoi ressembleraient les lycées !
M. le président.
C'est partout pareil, mon cher collègue !
(Sourires.)
M. Jean-Claude Carle.
Vous avez parfaitement raison, monsieur le président.
Et tout cela pour, finalement, n'avoir qu'à s'occuper des murs, sans droit de
regard sur la vie dans les établissements ! Qu'à cela ne tienne. Avec une
quarantaine de millions de francs sur un budget annuel, pour les lycées, de 2,7
milliards de francs, la région a créé le permis de réussir. Oui, mes chers
collègues, pour une somme marginale, nous avons réussi à mettre autour de la
table des chefs d'établissements, des enseignants, des personnels non
enseignants et des parents d'élèves qui ne se parlaient pas ou se parlaient
peu.
Le résultat, ce fut la multiplication de projets d'établissement mis au point
par la communauté éducative, et bien des années avant que M. Allègre ne
reprenne l'initiative à son compte, avec un succès mitigé, d'ailleurs, car il
avait choisi la sacro-sainte méthode réglementaire ; nous nous étions appuyés,
nous, sur celle du contrat, du partenariat et de la proximité.
Nous avons renouvelé cette démarche dans le domaine culturel, avec le chèque
culture, formule dont s'inspirent aujourd'hui nombre de régions, dont
l'Ile-de-France, mais aussi en matière de formation et d'orientation, selon des
modalités qui ont ensuite fortement inspiré le volet « formation » de la loi
quinquennale sur l'emploi.
Le tout, à l'époque, sans demander l'autorisation d'un Etat qui, de toute
façon, n'aurait pas pu la refuser !
Des expériences identiques, je n'en doute pas, ont vu le jour partout en
France ces dernières années, quelle que soit, d'ailleurs, la couleur politique
des collectivités. Sachons en tirer les leçons pour réussir là où les lois
Defferre n'ont pas tout à fait réussi, quand elles n'ont pas totalement
échoué.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
le 21 avril dernier, une majorité de Français a dit oui à une démocratie de
confiance, à une démocratie où l'Etat fasse confiance aux Français, à une
démocratie où les Français reprennent confiance en l'Etat, oui, enfin, et
surtout, à une démocratie où les Français aient confiance en eux.
En faisant avec vous le choix de la décentralisation, nous dirons notre
confiance dans les Français, nous dirons notre confiance dans la France.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je
demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Monsieur le président, à cet instant, je
constate qu'il reste vingt-cinq orateurs inscrits dans la discussion générale.
Or la commission des lois doit se réunir à l'issue de cette discussion, pour
examiner les 176 amendements qui ont été déposés sur ce texte, la matinée de
demain, mercredi 30 octobre, étant d'ores et déjà consacrée à l'examen du
rapport sur le projet de loi pour la sécurité intérieure.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois souhaiterait que le Sénat
interrompe ses travaux en séance publique vers vingt heures, voire vingt heures
trente, pour ne les reprendre que demain après-midi.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le Gouvernement n'y voit pas d'objection !
M. le président.
Mes chers collègues, le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les
reprendra à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à seize heures
sous la présidence de M. Christian Poncelet.)