SEANCE DU 9 OCTOBRE 2002
IRAQ
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur la question de l'Iraq.
La parole est à M. le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique de Villepin,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le président, mesdames et
messieurs les sénateurs, je salue la présence de chacune et chacun d'entre
vous, qui témoigne de la gravité de la question iraquienne et de ses enjeux
pour notre pays comme pour le monde.
Il est essentiel que la France, face à chaque crise majeure, sache se montrer
unie. Hier, à l'Assemblée nationale, la dignité et la qualité du débat ont
encore prouvé qu'elle savait le faire. Je me réjouis, aujourd'hui, d'ouvrir
cette discussion dans l'enceinte de votre Haute Assemblée.
Les enjeux et les conséquences de cette crise sont d'une importance
historique. La gravité des choix que nous aurons à faire, la complexité de la
situation régionale, les incertitudes qu'elle engendre alimentent les
inquiétudes légitimes de nos concitoyens. Nous nous devons d'y répondre
ensemble. La France a des responsabilités particulières dans la gestion de
cette crise. Pourquoi ?
Elle a d'abord une place particulière dans le monde : par son statut de membre
permanent au Conseil de sécurité, par son rôle moteur au sein de l'Union
européenne, par son amitié ancienne et profonde avec les Etats-Unis, dont elle
a été le premier allié et dont elle a partagé l'émotion après le choc du 11
septembre, mais aussi par ses relations fortes avec le monde arabe et
méditerranéen.
Cette position privilégiée nous confère des responsabilités particulières.
Notre première responsabilité est de répondre à la menace potentielle que
représente l'Iraq, avec le risque de prolifération des armes de destruction
massive.
Le régime de Bagdad a utilisé par le passé, contre l'Iran mais aussi contre sa
propre population, de telles armes. Aujourd'hui, tout indique que, depuis près
de quatre ans, en l'absence des inspecteurs internationaux, ce pays a poursuivi
des programmes d'armement, qu'il dispose désormais d'une capacité chimique et
biologique et qu'il souhaite se doter d'un armement nucléaire.
La prolifération des armes de destruction massive constitue une menace pour
l'ensemble de la planète. Notre sécurité dépend de notre capacité à traiter
collectivement ce danger majeur.
C'est pourquoi nous ne pouvons transiger avec cet objectif prioritaire de
notre action diplomatique. C'est pourquoi l'Iraq doit désarmer et se soumettre
aux contrôles les plus stricts. C'est pourquoi nous continuerons de faire
preuve de la plus grande fermeté à l'égard d'un régime qui, à travers les
années, a menti à la communauté internationale, jouant souvent de ses divisions
ou de son manque de détermination.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Notre deuxième responsabilité est de veiller à la stabilité du
Moyen-Orient.
Avec la crise iraquienne, c'est la région tout entière qui est menacée. Le
Moyen-Orient est au coeur de l'arc de crises qui s'étend de la Méditerranée
orientale à l'Asie du Sud-Ouest.
C'est une zone où les fractures politiques, économiques et sociales sont
multiples. Nous avons tous en mémoire les guerres israélo-arabes de 1967 et de
1973. Nous nous rappelons les deux guerres du Golfe : la première entre l'Iran
et l'Iraq, la seconde pour libérer le Koweït envahi par l'Iraq. Nous gardons
aussi le souvenir de considérables bouleversements internes : la guerre civile
au Liban et la révolution iranienne. Enfin, nous avons tous à l'esprit, aux
marges de cette région, le cas de l'Afghanistan, envahi par l'Union soviétique,
puis en proie à la guerre civile, soumis au joug des talibans et, aujourd'hui,
en voie de stabilisation.
C'est une zone stratégique essentielle, au coeur des grandes voies de
communication entre les continents et qui recèle des ressources pétrolières
indispensables au développement du reste du monde.
Au moment où l'impasse dans le conflit israélo-palestinien alimente les
sentiments de frustration et d'injustice parmi les peuples de la région, nous
devons être vigilants. En effet, ces pays, fragilisés par la répétition des
conflits, sont en proie à des forces centrifuges. La diversité ethnique et
confessionnelle, qui est une richesse, a été aussi la cause d'affrontements
graves.
L'Iraq concentre ces tensions : Arabes et Kurdes, sunnites et chiites,
musulmans et chrétiens cohabitent dans un Etat laïc de création récente. Pays
fragile dans une région fragilisée, son effondrement aurait des conséquences
incalculables sur son environnement. Nombre de pays de la région ont le souci
de se trouver, le moment venu, dans le camp des vainqueurs, mais ils redoutent
d'être déstabilisés par une guerre qui enflammerait leurs opinions
publiques.
L'Europe et particulièrement la France, puissance méditerranéenne, sont
intimement liées, par l'histoire et la géographie, à cette région. Leur
cohésion interne serait affectée si une gestion illégitime et non acceptée par
nos opinions de la crise iraquienne devait provoquer une déstabilisation
majeure du Moyen-Orient. A l'heure de l'interdépendance, de nouveaux liens se
tissent entre politique étrangère et politique intérieure.
Notre troisième responsabilité s'exerce à l'égard de la communauté
internationale tout entière.
Les décisions qui sont prises à New York au Conseil de sécurité et dans les
grandes capitales entraînent des conséquences majeures pour l'ordre
international.
A travers la crise iraquienne, le fonctionnement et la crédibilité des Nations
unies sont mis à l'épreuve. Nous nous sommes félicités que le Président des
Etats-Unis ait fait le choix d'un traitement multilatéral de la crise, le 12
septembre dernier, à l'assemblée générale des Nations unies. Nous souhaitons
continuer dans cette voie. Nous soutiendrons pleinement par notre action le
rôle primordial de l'Organisation des Nations unies.
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. Dominique de Villepin,
ministre.
Que chacun en ait conscience : l'enjeu de la crise iraquienne
dépasse de beaucoup l'Iraq. Il y va de l'ordre international pour les
prochaines années, des relations entre les peuples et de la fracture, toujours
possible, entre le Nord et le Sud.
La France est convaincue qu'une politique de sécurité ne peut pas permettre
d'assurer seule la stabilité du monde. Elle récuse toute action unilatérale et
préventive, persuadée qu'un nouvel ordre international doit reposer sur le
dialogue et sur la coopération. Si le monde, aujourd'hui, a besoin d'une
Amérique forte, il a besoin aussi d'une Europe forte, capable de faire entendre
sa voix et de défendre les valeurs qui sont les siennes.
(Bravo ! sur les travées de l'Union centriste.)
La France entend assumer l'ensemble de ses responsabilités sans transiger sur
aucune d'entre elles.
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. Dominique de Villepin,
ministre.
C'est pourquoi elle est déterminée à faire respecter le droit
et l'unité de la communauté internationale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées socialistes et certaines
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Cette vision du monde guide notre stratégie. Notre souci est celui de
l'efficacité.
Nos exigences sont claires : les inspecteurs des Nations unies doivent
retourner en Iraq, constater les faits, s'assurer du désarmement puis effectuer
le contrôle continu des activités militaires, comme l'exigent les résolutions
du Conseil de sécurité.
Nous sommes efficaces lorsque nous sommes unis. Les dernières semaines ont
montré que la communauté internationale obtenait des résultats lorsqu'elle se
montrait rassemblée.
Les débats menés au sein de l'Assemblée générale des Nations unies ont atteint
le but qui leur était assigné : affirmer la volonté de tous de ne laisser
aucune possibilité à Bagdad de s'obstiner à braver le droit international.
Saddam Hussein a reculé. Le 16 septembre, sous la pression d'une communauté
internationale unie, il a fait savoir, dans une lettre de son ministre des
affaires étrangères, qu'il acceptait le retour inconditionnel des inspecteurs
internationaux.
Les conversations entre les autorités iraquiennes, le président de la
commission de contrôle des Nations unies et le directeur général de l'Agence
internationale de l'énergie atomique, l'AIEA, ont permis de préciser certaines
modalités pratiques de la reprise des inspections et de définir, sur la foi des
recommandations de MM. Blix et El Baradei, les ajustements nécessaires au
système existant.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Il est impératif que les inspecteurs commencent leur travail rapidement. Il y
va de la crédibilité des Nations unies et de l'efficacité de leur action. Une
fois les inspecteurs sur le terrain, l'ONU pourra apprécier la réalité de la
coopération de l'Iraq.
Pour cela, nous voulons que le Conseil de sécurité adopte très rapidement la
résolution nécessaire. Si cette dernière n'est pas juridiquement indispensable,
elle peut être politiquement importante pour marquer le consensus de la
communauté internationale et adresser un message de fermeté à l'Iraq.
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. Dominique de Villepin,
ministre.
Elle doit préciser les modalités de conduite des inspections
afin de garantir leur pleine efficacité. Notre objectif est d'aider M. Blix à
exercer sa mission dans les meilleures conditions, il n'est pas de compliquer
sa tâche.
Notre approche en deux temps reste celle qu'a définie le Président de la
République.
En premier lieu, cette approche préserve l'unité du Conseil de sécurité.
Parce qu'elle est claire et qu'elle s'inscrit dans le strict respect du droit
international, elle rassemble un large consensus chez nos partenaires
européens, mais aussi en Russie, en Chine et dans les pays voisins de l'Iraq.
L'adhésion du monde arabe à nos thèses souligne combien nos exigences de
légalité et d'équité sont partagées par les peuples de la région.
En second lieu, cette approche assure, à chaque étape, la légitimité des
décisions prises.
La France ne donnera pas son accord à une formule délivrant par avance un
blanc-seing sur l'action à entreprendre en cas de manquement par l'Iraq à ses
obligations.
(Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
Nous refusons
l'automaticité du recours à l'usage de la force.
Le Conseil de sécurité doit conserver à tout instant le contrôle politique de
la situation. Il doit pouvoir, à chaque étape, l'évaluer sur la base des
éléments fournis, entre autres, par la commission de contrôle et décider
souverainement des mesures nécessaires à prendre. Nous n'accepterons pas que
son autorité puisse être déléguée à quiconque.
Cette approche permet donc de ne pas brûler les étapes, de ne pas confondre
les objectifs et d'exercer, tout au long de la crise, l'ensemble de nos
responsabilités.
Responsable, la France défend la primauté du droit international. Notre but
n'est pas la guerre. L'emploi de la force doit rester un dernier recours. Les
principes fondateurs de l'ordre que nous avons élaboré après la Seconde Guerre
mondiale sont en jeu dans le règlement de la crise iraquienne. En 1991, la
guerre du Golfe, premier conflit de l'après-guerre froide, répondait au
principe de légitime défense, à la suite de l'invasion du Koweït par l'Iraq.
Aujourd'hui, une action militaire devrait, de la même façon, être subordonnée
au respect du droit international.
Cette vision du monde nous impose également de répondre aux besoins et aux
aspirations des peuples de la région.
La France n'oublie pas la dimension humanitaire de la question iraquienne.
La situation actuelle entraîne pour la population iraquienne des souffrances
qui heurtent les consciences. Les conditions de vie se sont effroyablement
dégradées. La mortalité infantile a doublé en dix ans. Le tissu social s'est
décomposé. Une génération entière a été sacrifiée. Le peuple iraquien doit
avoir des raisons d'espérer. Une perspective indéfinie de stagnation ne ferait
que renforcer un régime tenté par une attitude d'obstination.
La France s'emploie, au sein du Conseil de sécurité, à ne pas faire oublier
cette dimension fondamentale du problème et à définir des formules permettant
d'alléger l'impact des sanctions sur le peuple iraquien. Elle a été à l'origine
du programme dit « pétrole contre biens humanitaires », qui autorise l'Iraq à
exporter du pétrole pour financer, sous contrôle des Nations unies, l'achat de
biens humanitaires. Elle a agi avec constance pour que les modalités de ce
contrôle, tout en restant efficaces, deviennent plus rapides. Avec la
résolution 1409 de mai 2002, nous sommes passés à un régime plus libéral, qui
facilite les importations de biens courants.
La crise iraquienne ne doit pas faire oublier le conflit israélo-palestinien,
qui nourrit l'instabilité du Moyen-Orient.
Notre diplomatie se mobilise, avec nos partenaires européens, la Russie,
l'Amérique et les Nations unies, pour interrompre le cycle infernal de la
violence et de la répression, d'où nul ne peut sortir vainqueur. La tentation
de la surenchère doit céder le pas à la responsabilité régionale.
La communauté internationale doit, avec le « quartet », tout mettre en oeuvre
afin de parvenir à une paix durable et juste pour les deux parties : une paix
fondée sur le respect égal du droit d'Israël à exister dans des frontières
sûres et reconnues, d'une part, et du droit des Palestiniens à un Etat viable
et sûr, leur permettant de réaliser leurs aspirations nationales, d'autre
part.
En adoptant la résolution 1435, qui prescrit la levée du siège de l'Autorité
palestinienne et exige le repli des troupes israéliennes sur leurs positions de
septembre 2000, le Conseil de sécurité a adressé un signal fort à la région. Il
faut saluer le fait qu'aujourd'hui l'ensemble de la communauté internationale
est d'accord sur les objectifs du processus de paix au Proche-Orient comme sur
les termes de référence d'une paix possible.
S'agissant de l'Iraq, comme des autres situations d'urgence que connaît
aujourd'hui le monde, nous voulons faire le pari de la volonté et de l'action
au service de la paix. Résolus à défendre notre sécurité et la stabilité
internationale, nous n'excluons, dans le cadre des Nations unies, aucune option
pour faire reculer tout ce qui pourrait les menacer. Lucides quant aux enjeux
que représente la crise iraquienne, nous ne voulons pas sacrifier les principes
et les règles internationales qui permettront de bâtir un monde plus sûr.
Forts d'une détermination sans faille et d'une vision claire, nous pouvons
avancer avec confiance ; nous serons capables de répondre aux enjeux
politiques, économiques et culturels du monde. Comprendre les évolutions en
cours et agir ensemble pour dissiper la peur et l'incertitude, tel est le
meilleur gage de la stabilité internationale que nous voulons obtenir. La
France est décidée à prendre toute sa part dans cet effort.
Nous avons connu des crises et nous avons su les aborder unis et solidaires,
comme après le 11 septembre, lorsqu'il s'est agi de lutter contre le
terrorisme. Aujourd'hui, face aux risques de la prolifération des armes de
destruction massive, nous devons demeurer unis et solidaires.
Des crises, nous en connaîtrons d'autres : ainsi va le monde ! Mais, à travers
ces difficultés, nous devrons en permanence veiller à ce que la communauté
internationale soit plus forte, plus juste, plus efficace. Fidèles à nos
valeurs communes et respectueux de la règle de droit, nous pourrons ainsi
donner l'élan nécessaire à l'émergence d'un nouvel ordre du monde.
Aujourd'hui, nous en appelons à la responsabilité collective pour parvenir au
règlement de la crise. La loi internationale doit être respectée. Le temps
presse. Nous devons agir vite pour réussir ensemble. C'est cela qui inspire
l'action exigeante de notre diplomatie.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi
que sur de nombreuses travées socialistes et plusieures travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. André Dulait,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le
ministre, mes chers collègues, notre débat d'aujourd'hui porte sur la situation
de crise qui se noue depuis le 11 septembre 2001, et, singulièrement depuis
quelques semaines, sur la question de l'Iraq.
En réalité, au-delà du seul dossier iraquien, ce sont bien les principes
fondamentaux des relations internationales, qui sont en jeu : des principes de
régulation supposés s'appliquer à toutes les crises régionales ou
internationales afin, dans un monde dangereux, d'éradiquer les menaces, de
réduire les tensions et de faire progresser la paix.
L'Iraq, tout d'abord.
Plus de dix ans après la guerre du Golfe, il n'a pas été possible de mettre en
oeuvre dans ce pays les différentes résolutions du Conseil de sécurité,
notamment celles, centrales, qui sont destinées à vérifier totalement les
conditions de sa renonciation aux armes de destruction massive.
Depuis 1998, plus aucun contrôle n'a pu être exercé sur les stocks d'armes
chimiques ou biologiques que, selon diverses sources concordantes, le pays est
supposé détenir ni sur les infrastructures ayant abrité le programme nucléaire
iraquien avant son démantèlement.
Au surplus, les revenus considérables engendrés par la contrebande pétrolière
au profit du régime sont utilisés par ce dernier à d'autres fins que
l'allégement des souffrances du peuple iraquien, et ce malgré les aménagements
successifs des conditions de l'embargo.
La reprise, sans conditions ni entraves, des inspections de désarmement
constitue donc l'urgente priorité, non seulement parce qu'il y a va, dans ce
cas comme dans d'autres, de la crédibilité générale du Conseil de sécurité de
l'ONU, mais aussi parce qu'elle est un des éléments de réponse aux menaces,
très réelles, que fait peser sur le monde la prolifération d'armes de
destruction massive, tout particulièrement des menaces biologiques et
chimiques.
Tout mécanisme international de lutte contre cette prolifération doit ou devra
comporter un système d'inspection. Ce qui se joue aujourd'hui en Iraq, c'est
donc aussi la crédibilité générale d'un tel système de contrôle, applicable tôt
ou tard à d'autres pays.
Jeudi dernier, M. Hans Blix a rendu compte au Conseil de sécurité du résultat
de ses entretiens avec des responsables iraquiens, préalables au retour des
inspecteurs. Pourrez-vous nous dire, monsieur le ministre, quelle appréciation
la France porte sur les conclusions de cette présentation en vue d'un retour
des inspecteurs sur le terrain, et sur un éventuel durcissement des conditions
du contrôle ? Il semble, en particulier, que l'accès aux fameux sites
présidentiels soit de nouveau au coeur du débat.
En réalité, l'ONU est aujourd'hui confrontée à un double défi.
L'Iraq est le révélateur privilégié des difficultés de l'ONU à mettre en
oeuvre ses décisions dans les faits. Il l'est, je viens de le dire, de son
propre fait : la résolution 1284 sur les inspections, qu'il s'agit d'appliquer
aujourd'hui en urgence, a été votée il y a déjà trois ans. Mais c'est aussi par
comparaison que l'Iraq est le révélateur des limites de l'autorité de l'ONU :
c'est le thème du « deux poids deux mesures », qui met légitimement en balance,
d'un côté, le sort des résolutions concernant l'Iraq et, de l'autre, les
résolutions qui ont été votées sur le Proche-Orient.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Pour trouver une issue à ce déséquilibre, à cette injustice, la communauté
internationale avait déjà, voilà dix ans, quelques mois après la fin de la
guerre du Golfe, convoqué la conférence de Madrid sur le Proche-Orient,
illustrant ainsi la connexion évidente entre ces deux crises régionales
majeures.
Le 11 septembre 2001 n'a pas changé la donne ; il l'a au contraire accentuée.
L'ONU se doit d'être crédible en Iraq et respectée au Proche-Orient. Elle n'a
pas davantage le droit d'échouer en Afghanistan ni de laisser dégénérer le
conflit entre l'Inde et le Pakistan. Et je pourrais poursuivre mon énumération
en citant bien d'autres zones de crise.
Mais la communauté internationale et la crédibilité de son action pourraient
être confrontées à un autre danger : celui de se voir contestée, non pas
seulement par les fauteurs de crises, mais aussi par certains de ses membres
les plus puissants et les plus respectés.
A cet égard, la doctrine américaine de frappe préemptive est au coeur de notre
inquiétude. On peut, certes, comprendre le traumatisme immense du 11 septembre
et la vulnérabilité inédite que les attentats ont révélée, diffusant dans tout
le pays un sentiment de menace imminente. La notion de légitime défense ne peut
cependant s'apprécier au regard de critères ou d'objectifs purement nationaux.
Contourner la règle fondamentale d'une nécessaire légitimité internationale
pour tout recours à la force ne manquerait pas, dans d'autres endroits du
globe, de conduire à de périlleuses dérives.
Le président des Etats-Unis a souvent évoqué un « axe du mal » où naîtraient
les germes du terrorisme et de la déstabilisation du monde. Sans me prononcer
sur la pertinence de cette image, j'ai cependant la certitude que l'ONU,
directement ou indirectement, doit être au centre de tout « axe vertueux »
destiné à régler les désordres internationaux.
Dans ce dossier aux multiples paramètres, je voudrais saluer l'orientation
suivie par notre diplomatie - sous votre autorité, monsieur le ministre -, qui
se distingue par son équilibre et sa clarté. Tout d'abord, clarté sur
l'objectif, à savoir le désarmement de l'Iraq, complet et sans entrave, dans
des délais raisonnables ; clarté sur les moyens, ensuite : une procédure en
deux temps, prévoyant d'abord la mise en oeuvre surveillée des résolutions
existantes ou d'une résolution nouvelle actualisée et, en cas d'obstacle
manifeste, le retour devant le Conseil de sécurité pour choisir entre toutes
les options possibles, y compris, le cas échéant, celle du recours à la force ;
clarté de l'enjeu, enfin, à savoir l'unité de la communauté internationale,
garante de l'efficacité et de la légitimité de ses décisions.
Un autre mérite de la position française est de tout faire pour que les
Etats-Unis, en dépit de toutes les tentations contraires, restent dans le cadre
multilatéral.
Les raisons en sont multiples. J'en distinguerai deux.
La première est évidente : la puissance américaine et sa détermination
politique sont un atout pour la communauté internationale.
Le revirement iraquien du 16 septembre dernier sur le régime des inspections a
certes été obtenu par la cohésion de la communauté internationale, mais il
n'aurait sans doute pas été aussi rapide ou aussi net sans la détermination
affichée par le président américain dans son discours prononcé quatre jours
auparavant devant l'Assemblée générale des Nations unies.
De même, on constate souvent qu'une simple phrase prononcée par Washington
peut avoir plus d'incidence, sur le terrain israélo-palestinien par exemple,
que bien des résolutions du Conseil de sécurité.
On peut s'en réjouir ou le regretter, c'est un fait. N'en tirons cependant pas
la conclusion que les Etats-Unis et l'ONU seraient indéfiniment voués à jouer
l'un contre l'autre ou l'un sans l'autre : il ne peut y avoir d'ordre
international véritable sans les Etats-Unis, mais leur sécurité, comme la
nôtre, ne pourra progresser en dehors d'un système multilatéral capable
d'apporter des réponses qui ne soient pas seulement militaires aux désordres du
monde.
Le nouvel ordre international voulu par les vainqueurs du dernier conflit
mondial et de la guerre froide suppose un respect sans faille des décisions de
l'ONU, où les nations se sont précisément rassemblées pour contrer les menaces
à la paix.
La deuxième raison pour laquelle le dossier iraquien ne doit pas sortir de son
cadre de gestion multilatéral concerne les conséquences d'une éventuelle action
militaire dans ce pays.
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il ne sera pas possible à une seule
nation, aussi puissante soit-elle, de faire face aux multiples défis qui lui
seront lancés après la bataille : comment asseoir un nouveau pouvoir en Iraq ?
Sur quelle base reposera l'alternative politique au régime actuel ? Comment
éviter les risques d'éclatement d'un pays où sont à l'oeuvre tant de forces
centrifuges, religieuses ou ethniques ? Comment éviter qu'un vide stratégique
ne conduise, par contagion, à déstabiliser une région déjà fragile ? Qui,
enfin, arbitrera entre les convoitises que ne manquera pas de susciter le
contrôle des richesses pétrolières ou minières iraquiennes ?
L'importance de tels enjeux ne peut que nous convaincre davantage encore de la
nécessité de mettre en oeuvre, sans complaisance, tous les outils diplomatiques
disponibles avant, s'il le fallait, de décider de passer à l'étape suivante.
Tous ces défis majeurs ne pourraient être relevés que par une communauté
internationale soudée et cohérente.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, les difficultés ne manquent pas pour forger
cette unité à New York et, surtout, pour la préserver dans la durée. La
difficulté à harmoniser les analyses commence d'ailleurs au sein même de
l'Union européenne, même si l'unanimité s'était faite sur la nécessité de
conforter, dans cette affaire, le rôle du Conseil de sécurité.
Malgré tous ces obstacles, je sais que cette approche constitue le souci
prioritaire de la diplomatie que vous conduisez, monsieur le ministre, sous
l'autorité du Président de la République, et c'est pourquoi je peux vous
assurer du soutien résolu de la commission des affaires étrangères et de la
défense.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes et plusieurs travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 39 minutes ;
Groupe du l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Marie Poirier.
M. Jean-Marie Poirier.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, au moment où nous abordons le débat sur une crise majeure pour
l'ordre international, des lueurs d'espoir semblent avoir surgi dans les
discussions au Conseil de sécurité et les positions paraissent, dans une
certaine mesure, converger.
L'action de la France et de sa diplomatie, c'est le moins qu'on puisse dire, y
sont pour quelque chose.
Les déclarations du Président Bush à Cincinnati n'excluent plus une ligne
commune qui réserve une chance, certes encore très incertaine, au règlement
pacifique d'un des conflits les plus difficiles et menaçants de notre temps.
« La guerre, » dit George Bush, « n'est pas forcément inévitable. »
Certes, il s'agit d'abord pour nous de résoudre une crise profonde dont les
suites pourraient embraser, une fois encore, une partie essentielle de la
planète. Mais ne nous y trompons pas : il s'agit aussi d'un tournant capital
dans notre nouvelle histoire, celle de l'après-11 septembre.
Si rien n'a changé, ou peu de chose, dans la progression des solutions aux
grands problèmes qui affligent des secteurs entiers du monde actuel, notamment
les peuples qui sont le plus éloignés du niveau de développement et des valeurs
universelles qui sont les nôtres, si les guerres entre les nations ont diminué
et même, par endroits, disparu, les relations internationales, elles, se
caractérisent toujours par des conflits qui visent directement l'ensemble et le
coeur même de la communauté des nations et ne se limitent plus aux secteurs
régionaux dont les principaux acteurs croyaient pouvoir, selon l'expression
consacrée, « régler les crises ».
La maîtrise stratégique traditionnelle est largement dépassée par le
développement de la technologie, par la prolifération des armes de destruction
massive, par l'émiettement des nations, par le surgissement de groupes
terroristes ou de mafias insaisissables, et, bien évidemment, par la résurgence
dans la vie politique d'un fanatisme allant jusqu'à la mystique.
Dans ce monde, le fort pourrait être un jour le faible, c'est toute la leçon
du 11 septembre. La ligne de front est partout. Notre pensée stratégique ne
trouve plus à s'appliquer comme elle le faisait depuis des siècles, et les
organisations internationales sont affaiblies. Le « règne de la peur » -
l'expression est de George Bush - s'étend et pénètre les nations.
La réponse des nations à ce nouvel état du monde apparaît particulièrement
incertaine. En ce qui concerne, par exemple, la question iraquienne, la
divergence, pour ne pas dire l'opposition entre l'approche américaine et
l'approche française de la crise qui nous occupe aujourd'hui en est un signe
emblématique.
La question de l'Iraq est d'abord un enjeu régional, certes ; mais elle pose
plus largement le problème de l'avenir du Moyen-Orient et, plus précisément, du
golfe arabo-persique.
La stabilité de cette région demeure essentielle pour l'avenir économique du
monde. En effet, les sept pays qui sont baignés par les eaux de ce golfe
contiennent, nous le savons tous, 70 % des réserves pétrolières connues
actuellement.
C'est dire que la stabilité de la zone est non seulement une question
politique et stratégique, mais est tout simplement une question vitale. Or,
depuis plus de vingt ans, plusieurs conflits ont ensanglanté la région : la
guerre iraquo-iranienne, la guerre du Koweït, sans compter les conflits
internes de l'Iraq, comme la question kurde ou l'agitation des régions chiites.
Ces conflits ont déjà fait près de deux millions de morts, et, au coeur de ces
graves désordres, se retrouve systématiquement la politique expansionniste du
régime de Bagdad, avec ses capacités, réelles ou virtuelles, d'accès à des
armes de destruction massive.
Le débat d'aujourd'hui porte sur la façon de s'assurer que Bagdad se conforme
bien aux résolutions de l'ONU, qui lui prescrivent impérativement la
renonciation à ces armes et, pour cela, la visite permanente d'experts de
l'ONU. Mais un doute non négligeable - c'est le moins qu'on puisse dire -
subsiste sur le maintien de la capacité industrielle et technologique de l'Iraq
à fabriquer des armes chimiques, voire nucléaires.
Pour dissiper cette menace potentielle, faut-il contraindre militairement
Bagdad ou faut-il lui laisser une ultime chance en le persuadant de faire
preuve de bonne volonté ? Autrement dit, la guerre est-elle inéluctable et ne
reste-t-il pas d'autres ressources pour pacifier la zone sur le moyen terme
?
La position du Gouvernement français est claire et résolue.
Fidèle à sa tradition d'équilibre, la diplomatie française, sous votre
conduite, monsieur le ministre, et sous l'autorité du Président de la
République, s'efforce d'empêcher une ouverture abrupte des hostilités.
La question d'un conflit avec les forces iraquiennes ne se pose pas simplement
en termes militaires mais suppose de s'interroger sur l'« au-delà » de ces
opérations mêmes.
Que deviendra ce pays une fois défait militairement après des batailles dans
le désert ou dans le milieu urbain ? Sera-t-il désintégré ? S'enfoncera-t-il
dans une guerre civile avec des minorités qui se soulèveraient ? Le risque d'un
trou noir, d'un nouveau chaos dans la zone n'est pas à négliger. Cette zone
peut, à son tour, devenir l'épicentre d'une déstabilisation pour les pays
voisins, l'Arabie Saoudite, l'Iran, la Turquie ou les Emirats du Golfe.
L'hésitation devant une solution strictement militaire s'appuie aussi sur le
fait qu'il n'est pas évident de s'assurer du contrôle de 24 millions
d'habitants quand nombre d'entre eux ont maintenant quitté les déserts pour les
villes.
On peut s'interroger sur la nature et la réalité des armes de destruction
massive dont disposerait l'Iraq dans la clandestinité. Si les preuves
irréfutables ne sont pas en notre possession et si le rapport Blair nous laisse
par moments perplexes, les présomptions sont accablantes.
Que l'on se reporte simplement au rapport des inspecteurs de l'UNSCOM de
l'époque, en 1998. Ce qui a été découvert et détruit alors est littéralement
effrayant : programme biologique offensif, présence d'agents chimiques
neurologiques et d'autres capacités d'armes chimiques perfectionnées,
production locale de missiles prohibés.
Que s'est-il passé depuis ? Saddam Hussein a-t-il reconstitué sa capacité de
destruction massive ? Seul le retour des contrôleurs des Nations unies nous en
apportera la certitude. L'Iraq doit accepter une inspection totale et probante
de toutes ses installations suspectes, y compris des huit sites
présidentiels.
Nous savons, dans un autre domaine, que Saddam Hussein est un dictateur. Le
régime iraquien, l'un des plus cruels et des plus totalitaires du monde, est de
ceux qui, en d'autres circonstances et sous d'autres cieux, justifieraient un
droit d'ingérence humanitaire et un changement de régime.
Certes, la connexion entre le régime iraquien et les actions terroristes
menées par Al-Qaïda n'est pas établie. Mais nous savons aussi que l'Iraq est le
seul pays arabe à ne pas avoir condamné les attentats du 11 septembre, à offrir
une aide substantielle aux familles des kamikazes disparus, et qu'une
solidarité objective existe entre la République laïque et les terroristes
mystiques.
Au point où nous en sommes, l'urgence n'est pas là. Elle est de mettre fin au
plus vite à l'une des menaces les plus terrifiantes qui pèsent sur la
planète.
La discussion actuelle sur les résolutions à mettre en place met en évidence
l'existence de deux voies et de deux processus opposés. La première voie est
celle des Nations unies, dont les résolutions du Conseil de sécurité, notamment
les résolutions n°s 687 et 1284, sont extrêmement comminatoires et
contraignantes pour l'Iraq et pourraient être éventuellement complétées par une
deuxième résolution s'il fallait recourir à la force. L'autre approche est
celle des Etats-Unis, celle d'une résolution unique qui ouvrirait la voie à une
action unilatérale de la puissance dominante, lui permettant d'apprécier à sa
guise les conclusions des enquêteurs et d'en tirer les conséquences sous la
forme d'un recours quasiment automatique à la force.
Nous avons l'absolue conviction que seule une action menée dans le cadre des
Nations unies peut être efficace et à même de préserver un avenir qui s'annonce
lourd de menaces. Nous apportons tout notre soutien au Gouvernement français
dans cette action.
Une décision collective du Conseil de sécurité n'exclut pas le recours à la
force, mais elle en fait l'expression du droit. L'unilatéralisme ne peut
apparaître que comme une manifestation de mépris du droit qui contribuerait au
déclin des institutions internationales et engendrerait un précédent
redoutable. Seuls l'ONU et son Conseil de sécurité peuvent légitimement décider
de la guerre ou de la paix, c'est-à-dire de l'usage de la force pour rétablir
ou pour garantir la paix.
L'unilatéralisme est, en outre, une illusion stratégique. La domination d'une
hyperpuissance ne peut, à elle seule, régler les conflits du monde. La force
doit rester l'apanage des démocraties unies au service du droit, droit dont
elles essaient laborieusement d'établir le règne à travers le monde.
Aucune nation, fût-elle plus puissante que les autres, ne peut à elle seule
assurer l'avenir et la sécurité du monde. Les croisades et les dominations se
brisent sur la réalité des peuples. Sans doute faut-il donner plus de force et
de contenu aux Nations unies, mais rien ne saurait justifier que nous nous
écartions de l'esprit de la charte de San Francisco ni que nous tenions pour
négligeables les extraordinaires avancées vers la démocratie mondiale réalisées
depuis la Seconde Guerre mondiale, grâce, en particulier, au droit
international, aux Nations unies.
Aujourd'hui, quelques signes de convergence, « un parfum de convergence »,
comme disait un journal du soir, peuvent être perçus. Est-ce le signe du retour
à la sagesse ? La diplomatie française semble avoir bien fait avancer les
choses. Elle incarne désormais, monsieur le ministre, grâce à votre action,
l'espérance de ceux qui défendent vraiment la paix et pensent que la guerre ne
peut être que l'ultime recours.
Cette réflexion quelque peu générale sur la crise iraquienne actuelle et ses
prolongements serait très incomplète si elle ne nous conduisait pas tout
naturellement à nous interroger sur quelques grandes urgences concernant
directement l'ordre et la paix du monde.
Première urgence : résoudre le conflit israélo-palestinien.
Comment construire un Iraq pacifié tant que la situation au Proche-Orient
connaît les tragiques développements actuels ? L'arrêt du terrorisme,
l'interruption de la colonisation, la fin de l'occupation et la création, à
côté de l'Etat d'Israël, d'un Etat palestinien viable et démocratique sur la
base des frontières de 1967 sont plus que jamais indispensables, comme le
démontre l'escalade de la violence, tant du côté palestinien que du côté
israélien.
L'urgence aujourd'hui est donc de rétablir le dialogue pour relancer le
processus de paix mis à mal depuis deux ans.
L'organisation d'une conférence internationale réunissant l'ensemble des
dirigeants de la région est impérative. C'est le seul cadre permettant
d'aboutir à une solution politique établie sur le respect des droits de chacune
des parties et donc de parvenir à une paix durable.
Les Européens doivent montrer que la voie diplomatique peut aboutir. Le
Conseil européen de Séville du 22 juin dernier s'est engagé dans cette voie.
L'initiative arabe de paix adoptée à Beyrouth démontre qu'une convergence est
possible au sein de la communauté internationale en faveur d'un règlement
politique du conflit offrant les garanties de sécurité qu'attendent les deux
Etats.
La France doit tout mettre en oeuvre afin de transformer cette possibilité en
réalité. Nous savons bien tout le prix que le Gouvernement y attache et
l'acharnement qu'il met à y aboutir.
Deuxième urgence : faire avancer la politique extérieure et de sécurité
commune, la PESC, en Europe.
Les événements internationaux de la décennie, notamment la crise des Balkans,
ont démontré l'impuissance de l'Union européenne à faire face à ses
responsabilités en matière de politique extérieure et de sécurité commune.
Depuis le traité d'Amsterdam, divers progrès normatifs et politiques,
notamment avec le Conseil européen de Cologne, ont été accomplis. Mais, d'un
point de vue pratique, force est de constater que l'intervention des forces des
Etats membres n'intervient que dans un cadre extra-européen, comme celui de
l'OTAN et de l'ONU, où la puissance diplomatique américaine est
prédominante.
Les Européens seraient-ils voués à n'être que les « harkis » des Américains
ou, comme diraient certains, leurs « sous-traitants » ?
Les citoyens européens que nous sommes, profondément attachés au caractère
politique de l'Union, ne peuvent pas accepter cet état de fait.
L'Union doit intervenir pour réduire les risques inhérents aux tentations
unilatéralistes. Elle doit avoir une action commune, marquante et rapide en
réponse aux crises qui se produisent dans les diverses régions du monde. A elle
seule, l'Europe pourrait être aussi puissante que les Etats-Unis, elle en a les
moyens intellectuels, humains...
Pour que l'Europe soit à la hauteur de sa responsabilité sur le plan
international, il faut impérieusement renforcer la politique extérieure et de
sécurité commune, ainsi que la politique extérieure de sécurité et de défense,
la PESD.
Dans le cadre de la convention sur l'avenir de l'Europe, présidée par le
président Valéry Giscard d'Estaing, une des contributions apportées par le
commissaire européen chargé de l'élargissement et de la politique régionale, M.
Michel Barnier, évoque les raisons de l'inefficacité de la PESC et de la PESD,
à savoir l'indécision et le manque de cohésion entre les Etats membres, mais
également la réduction des crédits militaires au sein de ceux-ci.
Les efforts de la France pour répondre à ces deux lacunes doivent être
soulignés. Tout d'abord, la position française tendant à un renforcement de la
PESC et de la PESD, tout en ménageant le caractère intergouvernemental de ces
politiques, reçoit un écho positif auprès de nos partenaires européens, comme
en atteste la récente rencontre entre le Président de la République et le
Chancelier allemand.
Aussi, l'effort consenti par le Gouvernement - et par vous, en particulier,
madame la ministre - pour restaurer la capacité opérationnelle de nos armées
mérite d'être ici salué.
Les travaux de la convention peuvent donc donner enfin les moyens à l'Union de
contribuer davantage à la stabilité internationale. Et la France, je n'en doute
pas, participera à la réalisation de cette « Grande Europe », rêve des pères
fondateurs qu'il nous appartient de concrétiser.
Dernière urgence : réduire la fracture mondialiste.
Si le clivage Nord-Sud ne fait plus parler de lui, les profondes différences
économiques et politiques entre les pays développés et les pays en voie de
développement n'ont pas disparu et constituent, aujourd'hui comme hier, un
terreau fertile à la violence et au terrorisme. Tirant les conséquences de
cette donnée, les Etats occidentaux doivent, comme l'a rappelé le Président de
la République, de Monterray à Johannesburg, humaniser la mondialisation.
Seule la solidarité entre les Etats économiquement nantis et les pays en voie
de développement permettra de réduire l'inégalité des niveaux de développement,
et, au-delà, d'accroître la stabilité internationale.
Le choc des cultures n'est pas le fantasme d'un intellectuel messianique.
C'est une réalité qui constitue l'une des sources profondes du terrorisme et
prend corps au fur et à mesure que s'accroît la détresse économique et sociale
d'une partie du monde.
Il conviendrait sans doute aussi, monsieur le ministre, d'évoquer nos rapports
avec les Etats-Unis. Je ne le ferai pas aujourd'hui, réservant ce sujet pour un
autre débat qui ne manquerait pas d'intérêt compte tenu de ce que nous vivons
en ce moment. D'ailleurs, après la mise au point exceptionnellement claire et
responsable du Président de la République parue dernièrement dans le
New
York Times
et appréciée par les Américains, je ne vois pas ce que je
pourrais personnellement ajouter.
Je voudrais simplement vous dire, en conclusion, monsieur le ministre, toute
la considération que suscite au sein du groupe de l'Union centriste l'action
brillante et résolue que mène notre diplomatie, souligner les succès qu'elle
semble déjà avoir obtenus et vous assurer de tout notre soutien, de toute notre
confiance pour mener à bien votre oeuvre de paix.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, il était temps et nécessaire que le Parlement se réunisse pour faire
le point sur la vive tension internationale autour de la situation iraquienne.
Pour notre part, nous avions d'ailleurs réclamé ce débat au Gouvernement.
Au nom des sénatrices et sénateurs communistes, je voudrais dire d'abord non à
la guerre annoncée, non à la fatalité des bombardements. Nous sommes ici les
représentants de notre peuple. Or notre peuple, dans sa grande majorité, est
opposé à ce nouvel engrenage militaire. A juste titre, il en mesure et en
redoute les conséquences.
Conséquences humaines pour le peuple iraquien : combien de victimes, d'hommes,
de femmes, d'enfants, dans un pays déjà profondément éprouvé par la dictature,
la guerre contre l'Iran, la guerre du Golfe, la catastrophe économique
engendrée par l'embargo ?
Conséquences pour l'avenir de la région : comment ne pas voir, en effet, que
tous les pays du Moyen-Orient sont concernés et à quel point la situation au
Proche-Orient pourrait en être immédiatement et irrémédiablement aggravée ?
Conséquences encore pour l'avenir des relations et des institutions
internationales : laisser les Etats-Unis décider unilatéralement d'intervenir
où bon leur semble sonnerait en réalité le glas du droit international.
L'opinion en France, comme chez nos voisins européens, ressent ces risques
majeurs. Aux Etats-Unis mêmes, les va-t-en guerre au pouvoir rencontrent des
résistances.
L'acceptation récente par le Président Bush de la légitimité du Conseil de
sécurité en est assurément le premier résultat. Pour autant, nous ne pouvons
être rassurés.
L'attitude des Etats-Unis est en effet dangereuse à plusieurs titres.
Elle est dangereuse quant à sa conception d'un monde désormais unipolaire dont
la superpuissance s'érige en gendarme.
Nous constatons, hélas ! que les conflits « locaux » sont le plus souvent
l'occasion pour les Etats-Unis d'affirmer, par l'usage de la force, leur
prééminence. Le Golfe, le Kosovo, les manoeuvres en Afrique sont marqués par
cette volonté.
L'attitude des Etats-Unis est dangereuse parce que les dramatiques événements
du 11 septembre et l'impérieuse nécessité de la lutte contre le terrorisme sont
utilisés pour cette recomposition du monde, tandis que tardent à se concrétiser
la lutte contre les réseaux de trafics d'armes, de blanchiment de l'argent sale
ainsi que l'engagement dans des politiques de coopération, de développement, de
nouveaux rapports Nord-Sud.
Le 20 septembre 2001, le Président américain déclarait ceci : « Chaque pays de
chaque région du monde doit désormais prendre une décision. Ou vous êtes avec
nous ou vous êtes avec les terroristes ». Ne faisait-il pas ainsi fi - hélas !
- des relations internationales ?
Et comment ne pas entendre avec inquiétude que des mots comme « croisade » ou
« lutte entre le bien et le mal » sont érigés en concept politique depuis cette
date ?
L'attitude des Etats-Unis est dangereuse parce que l'objectif affirmé de
débarrasser l'Iraq de Saddam Hussein ne peut cacher les visées américaines sur
la région, tant pour des raisons économiques que géopolitiques.
L'Iraq, c'est 10 % des ressources mondiales de pétrole et donc un marché
considérable qui aiguise les convoitises et les appétits des grandes sociétés
pétrolières, de TotalFinalElf à Texaco.
L'acquisition des marchés par les grandes compagnies pétrolières, la
diversification des ressources pour les Etats-Unis constituent les clés de la
situation actuelle, mais sont autant de menaces pour la région.
Jusqu'où ira-t-on avec les armes et les contraintes de l'embargo ? Si elles
ont affamé le peuple iraquien, elles ne l'ont pas débarrassé de Saddam Hussein
qui les a, au contraire, utilisées pour faire perdurer son régime
sanguinaire.
L'avenir de l'Iraq, de son peuple, du peuple kurde, appellerait, plus que les
armes, la tenue d'une conférence régionale sous l'égide de l'ONU.
C'est bien dans un retour de la légalité internationale, chaque Etat étant
considéré comme tel, qu'un nouvel ordre international, source d'équilibre, de
paix et de développement, pourra se construire.
La crise actuelle pose avec force la question du rôle des instances
internationales. L'ONU ne saurait être un instrument aux mains de puissances
dominantes, particulièrement d'une puissance quasi impériale. C'est la raison
pour laquelle nous souhaitons que l'Assemblée générale soit dotée de nouveaux
pouvoirs.
Il va de l'avenir des instances internationales que les résolutions qu'elles
prennent soient respectées et appliquées, il ne saurait y avoir deux poids et
deux mesures en la matière.
Monsieur le ministre, le 30 juillet dernier, vous avez déclaré ceci à la
presse : « Plus nous faisons pression sur l'Iraq, plus nous avons le devoir
d'avancer parallèlement sur la recherche de la paix au Proche-Orient. » Vous
l'avez redit hier et aujourd'hui encore.
Cette question est essentielle et nous approuvons ce point de vue.
Le monde arabe et musulman ne peut tolérer l'impuissance volontaire des
Etats-Unis et de l'Europe à l'égard de la politique dévastatrice d'Ariel
Sharon. La crédibilité de la lutte nécessaire contre le terrorisme exige une
application ferme des résolutions sur le Proche-Orient afin de ramener la paix
dans cette région.
Le Premier ministre a insisté hier à l'Assemblée nationale, comme vous l'avez
fait aujourd'hui, sur les efforts de la France pour faire prévaloir la
diplomatie sur la force et pour rappeler aux Etats-Unis la règle
internationale.
Nous avons suivi, monsieur le ministre, ces efforts avec attention. Ils
doivent être poursuivis avec fermeté et détermination dans la phase
actuelle.
Ce qui devrait être inscrit à l'ordre du jour, c'est l'application rapide et
effective de la résolution 1284 du Conseil de sécurité, adoptée en 1999, qui
décide le retour des inspecteurs de l'ONU en Iraq et une levée progressive de
l'embargo.
Ce texte mettait un terme - faut-il le rappeler ? - à la crise déclenchée par
l'intervention unilatérale des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.
Rappelons qu'à cette occasion plusieurs centaines de missiles étaient tombés
sur l'Iraq.
Le retour des inspecteurs est une question cruciale. Leur travail avait été
d'une grande efficacité jusqu'en 1998 et avait permis de détruire beaucoup plus
d'armes prohibées qu'à l'occasion de la guerre du Golfe.
Il s'agit d'autant plus de la voie de la paix que les dirigeants de Bagdad ont
accepté ce retour des inspecteurs.
L'attitude des Etats-Unis, prêts à déclencher un conflit sans l'aval de la
communauté internationale, a conduit la France à prendre d'autres initiatives
pour ramener le débat au sein du Conseil de sécurité.
La France a défendu l'idée d'un ensemble de deux résolutions. La première
devait fixer les conditions du retour des inspecteurs et la seconde envisager
la réaction du Conseil de sécurité en cas de manquements de l'Iraq aux
nouvelles obligations.
Récemment encore, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne refusaient ce scénario.
Aujourd'hui, un accord semble proche. Sur quelles bases et avec quelle approche
de l'utilisation de la force ? Toute surenchère qui consisterait à annoncer par
une nouvelle résolution la possibilité du recours à l'option militaire n'est
pas acceptable.
Monsieur le ministre, la France doit jouer son rôle et ne peut se priver de
son droit de veto contre toute disposition facilitant le recours à la force.
S'interdire au préalable son utilisation n'annonce-t-il pas une soumission
future ?
Ne serait-il pas hasardeux, au nom du respect de « l'unité du Conseil de
sécurité » que vous évoquez avec insistance, de briser les équilibres mondiaux,
de déclencher des mécanismes irréversibles ? Nous restons inquiets, monsieur le
ministre, de l'évolution actuelle et ne voulons pas penser que, finalement, la
France se laissera emporter dans un conflit.
Notre pays, par son droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, a une
grande responsabilité - y compris à l'égard des autres membres, comme la Russie
et la Chine - pour l'avenir de la paix dans le monde.
Nous sommes à une heure cruciale. La situation montre qu'il est possible
d'infléchir l'attitude belliciste de George Bush.
Les sénatrices et les sénateurs communistes font, eux, le choix de la paix.
Ils seront d'ailleurs le 12 octobre aux côtés de ceux qui manifesteront à Paris
pour dire « Non à la guerre ! »
Ils agiront pour que la France, jusqu'au bout, prenne ses responsabilités avec
l'Europe, bien effacée jusqu'à ce jour ; cette Europe qui, selon vous, joue un
rôle moteur dans le développement du Bassin méditerranéen et du Moyen-Orient ;
cette Europe qui, de toute évidence, peut permettre l'émergence de nouveaux
équilibres dans ce monde bouleversé.
La situation actuelle montre malheureusement l'immensité du chemin à parcourir
pour créer les conditions de la coopération et du développement harmonieux des
nations du monde, pour conduire au désarmement de tous les Etats, les Etats
dominants comme les autres, et pour parvenir à l'annulation de la dette,
annulation qui peut et doit être choisie.
Nous sommes convaincus que le camp de la paix peut l'emporter.
La France, par son histoire, ses valeurs, peut rendre un grand service à
l'humanité. Nous comptons sur elle !
Comme, j'en suis certaine, tous ceux qui ont au coeur l'humanisme et la
démocratie, nous serons vigilants dans les heures et les jours à venir pour que
la guerre américaine n'ait pas lieu et qu'une chance soit donnée à la paix.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE,
de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Serge Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, «
Saddam Hussein doit être détruit », nous répète-t-on depuis de longs mois pour
obtenir notre assentiment et faire apparaître cette solution comme la seule
possible.
Cette volonté inaltérable d'arriver à ses fins, les mots mêmes vous auront
sans doute rappelé Caton l'Ancien et l'obstination avec laquelle, lors de
chacune de ses interventions devant le sénat romain, il répétait : « Carthage
doit être détruite. »
L'histoire nous enseigne qu'il emporta l'adhésion du sénat lorsque, prenant la
parole une nouvelle fois, il brandit une figue fraîche, démontrant ainsi la
renaissance de Carthage, sa proximité, et prouvant qu'il fallait l'anéantir
avant qu'elle ne soit de nouveau une menace.
En exigeant sa destruction totale, Caton exigeait plus que la simple
soumission, plus que le respect du droit ; à travers lui, la volonté de dominer
sans partage l'emportait définitivement.
Mes chers collègues, plus que l'achèvement par le fils de l'oeuvre du père,
bien au-delà d'une explication oedipienne inappropriée, l'ordre mondial que
nous propose George Bush junior m'apparaît comme l'antithèse du « nouvel ordre
mondial » que proposait au monde son père lors du conflit de 1991. Le fils
propose un ordre mondial dans lequel l'action préventive prendrait le pas sur
la légitime défense, dans lequel un Etat pourrait utiliser la force contre un
autre Etat pour pallier les « déficiences » de l'Organisation des Nations
unies.
Cette vision ne correspond pas à la pratique qui prévaut depuis la guerre du
Golfe, dont le point de départ se situait dans l'invasion du Koweït par l'Iraq.
Lors de ce conflit, chaque étape avait été marquée par une résolution du
Conseil de sécurité. Par la suite, en Bosnie, en Somalie, en Afghanistan et au
Kosovo, l'usage de la force a toujours été précédé par une décision du Conseil
de sécurité.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Serge Vinçon.
Le débat d'aujourd'hui nous conduit, en réalité, à nous interroger sur les
fondements de notre conception des relations internationales et sur l'ordre
international que nous souhaitons instaurer pour le futur. Les solutions
retenues dans le cadre de l'Iraq seront un précédent pour l'avenir.
Je voudrais, dans un premier temps, replacer le présent débat dans une
perspective historique et juridique.
Nous devons, en effet, nous rappeler que le droit international, la volonté de
régler pacifiquement les conflits et le concept de sécurité collective sont une
conquête récente et un héritage fragile.
La société internationale, telle qu'elle existe aujourd'hui, est une conquête
récente. Il n'y a pas si longtemps, une majorité d'entre nous aurait, sans
ciller, repris à son compte cette phrase de Churchill, qu'on aurait aussi bien
pu attribuer à Richelieu, l'inventeur de la « raison d'Etat » : « Les Etats
n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts. »
En effet, dans la conception classique des relations internationales, le
réalisme voulait que seuls les rapports de force et leur évolution fondent la
politique des Etats ne reconnaissant pas d'autorités supérieures. Le recours à
la force était perçu comme légitime afin de poursuivre, comme l'aurait dit
Clausewitz, la politique diplomatique par d'autres moyens.
Mais ce simple jeu des intérêts et des rapports de force entre Etats, parce
qu'il a conduit l'Europe et le monde à deux conflits au cours du siècle passé,
a été condamné par ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, font mine de le ressusciter.
S'il y a bien une dette de l'Europe à l'égard des Etats-Unis, il s'agit de la
mise en place d'institutions multilatérales visant à assurer de manière
efficace la sécurité collective. Après les deux guerres mondiales, les
présidents Wilson et Roosevelt ont imposé à des Européens réticents une
nouvelle conception des relations internationales fondées sur le droit. C'est
cette idée qu'il faut aujourd'hui défendre.
M. Aymeri de Montesquiou.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
La charte de l'ONU, adoptée en 1945, reprend l'acquis de la Société des
Nations et du pacte Briand-Kellog de 1928. Dans son article 2, elle stipule que
« les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations
internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre
l'intégrité territoriale ou l'indépendance de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations unies ». Cette règle de principe
ne souffre qu'une exception, utilisée par les Etats-Unis contre l'Afghanistan
et Al-Qaïda : le droit de légitime défense, prévu par l'article 51.
En dehors de ce cas, il appartient au Conseil de sécurité, et à lui seul,
suivant une procédure graduée organisée par les chapitres VI et VII de la
Charte, de régler une situation de conflit par des moyens pacifiques puis, si
nécessaire, militaires. Une telle procédure a pour objectif d'épuiser toutes
les voies possibles de règlement avant d'en venir à la force armée. Ce n'est
qu'en cas d'échec de la diplomatie qu'il peut, selon les articles 41 et 42,
prendre des mesures coercitives non militaires puis, le cas échéant,
militaires.
Nous savons cependant que cet édifice juridique est fragile. Durant la guerre
froide, le fonctionnement du Conseil de sécurité était constamment bloqué par
l'opposition entre les membres permanents. Ce n'est - il faut le rappeler - que
depuis la guerre du Golfe que l'Organisation des Nations unies peut de nouveau
intervenir de manière plus efficace et satisfaisante dans le règlement des
conflits. Si, dans chaque cas, il était évidemment nécessaire que l'ONU se
dotât d'un « bras armé » et recourût à un Etat ou à une coalition d'Etats pour
faire appliquer ses résolutions, le fait que l'un d'entre eux puisse
unilatéralement et préventivement se constituer en « gendarme » permanent de la
communauté internationale menacerait gravement le système de sécurité
collective laborieusement élaboré depuis près d'un siècle.
Dans la crise qui nous préoccupe aujourd'hui, ce sont bien ces principes
fondamentaux qu'il nous faut chercher à défendre, non pas de manière théorique,
mais de manière pragmatique. Le ministre des affaires étrangères, M. Dominique
de Villepin, nous a exposé tout à l'heure les objectifs et les solutions que la
France propose pour résoudre le problème iraquien. Nous les approuvons
entièrement.
La position française est claire.
La communauté internationale doit prendre l'Iraq au mot après son acceptation
officielle, le 16 septembre, d'une reprise inconditionnelle des inspections.
Les inspecteurs doivent être envoyés en Iraq dans les meilleurs délais, y
travailler sans entraves, contrôler les différents sites et faire rapport au
secrétaire général des Nations unies. Les arrangements techniques leur
permettant de travailler sont prévus par la résolution 1284 de décembre 1999.
Néanmoins, une nouvelle résolution peut être utile pour marquer l'acceptation
de ce retour par les Iraquiens et rappeler fermement à ceux-ci leurs
obligations en matière de désarmement et de non-réarmement telles qu'elles
ressortent des résolutions du Conseil de sécurité.
La France a, par ailleurs, marqué sa confiance à M. Blix, chef de mission des
inspecteurs du désarmement des Nations unies, et à M. El Baradei, directeur de
l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Le 11 septembre 2001 a liquidé ce qui pouvait rester d'isolationnisme en
étendant à l'ensemble du monde la zone d'intérêt et de sécurité américaine.
Un ennemi est venu frapper les Etats-Unis au coeur même de leur existence, ô
combien symboliquement. A partir de ce moment-là, ils se sont montrés prêts à
éradiquer les adversaires identifiés à une menace contre la civilisation. Quant
à la classe dirigeante américaine, elle a montré sa volonté d'exercer un
leadership
mondial en s'appuyant sur des coalitions
ad hoc
et en
réduisant par la force les agresseurs potentiels, où qu'ils se trouvent.
Ainsi, depuis un an, les Etats-Unis ont inclus l'Iraq dans l'« axe du mal » en
l'accusant de soutenir des terroristes et de produire des armes de destruction
massive. Ils ont exigé la reprise des inspections, ont clairement affiché leur
volonté de changer le régime et menacé d'une intervention militaire
unilatérale.
Qui, aujourd'hui, a de la sympathie pour le régime de Saddam Hussein ?
Personne. Ses voisins en ont peur, à commencer par l'Arabie Saoudite, en
continuant par la Syrie et la Jordanie, en finissant par l'Iran, qui n'a pas
oublié l'agression de 1980. Les Européens, qui ont amené Milosevic devant le
tribunal pénal international, n'ont aucune raison de soutenir un pouvoir
dictatorial, responsable de massacres collectifs et de purges aussi sanglantes
que régulières, bafouant les règles élémentaires des droits de l'homme. Enfin,
l'obstination de Bagdad à poursuivre des programmes d'armes de destruction
massive ne peut qu'inquiéter le monde entier.
Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, « c'est au nom du droit
international que la France s'est engagée en 1991, c'est au nom du respect du
droit international qu'il faut se préserver d'agir militairement sans mandat de
l'ONU ».
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
En effet, partout où le droit peut mettre à la fois de l'ordre et de
l'équilibre, partout où il est possible de faire reculer l'égoïsme, la
violence, il revient à notre pays d'agir. C'est son rôle aussi d'affirmer la
place de l'ONU.
La France a maintes fois rappelé sa détermination à lutter contre le
terrorisme, mais aussi contre la menace des armes de destruction massive. Ainsi
son objectif reste le même : il s'agit de tout mettre en oeuvre pour parvenir à
un accord sur le retour des inspecteurs qui préserve l'unité de la communauté
internationale, laquelle est le gage de la légitimité et de l'efficacité de
toute décision et de toute démarche à l'égard de l'Iraq.
Le Président de la République a indiqué à plusieurs reprises que les trois
préoccupations de la France étaient la situation humanitaire de la population,
la sécurité dans cette région où les crises et les fractures se juxtaposent et
l'autorité du Conseil de sécurité. Et, parce qu'elle ne veut pas ajouter de la
crise à la crise, la méthode qu'elle préconise est une approche multilatérale
en deux étapes : la première résolution portant sur le retour des inspecteurs
qui doivent pouvoir assumer leur mission sans entraves, puis, dans l'hypothèse
où le régime iraquien violerait ces obligations, une seconde résolution
décidant des mesures qui s'imposent sans en exclure aucune
a priori
.
Le Président de la République a insisté, enfin, sur le fait suivant : « Nous
sommes contre les actions unilatérales dans le monde moderne qui se doit d'être
cohérent et, par conséquent, c'est la communauté internationale, par le biais
du Conseil de sécurité de l'ONU, qui doit prendre la décision d'engager ou non
une action militaire. »
La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive est un enjeu
essentiel et le danger que représente l'Iraq concerne tous les peuples, ceux du
Moyen-Orient en premier lieu. Notre pays se doit donc de trouver une solution
durable avec eux, car ils ont montré leur volonté de soutenir une action
décidée par les Nations unies.
S'il est exact de dire que le retour des inspecteurs n'est pas une fin en soi,
il n'en demeure pas moins que les inspections sont utiles. En effet, vous nous
l'avez rappelé, monsieur le ministre, lors de votre audition du 2 octobre
dernier devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées, un plus grand nombre d'armes de destruction massive a été
découvert, puis détruit, grâce aux inspections de 1991 à 1998 que lors de la
guerre du Golfe.
Par ailleurs, vous nous avez également indiqué qu'il est tout fait
vraisemblable que l'Iraq ait développé, depuis l'interruption des inspections
en 1998, des programmes d'armes de destruction massive biologiques et
chimiques.
Des inspections sérieusement menées, par des équipes compétentes, même si
elles font face à un Etat déterminé à dissimuler ses activités clandestines,
ont toujours réussi à déceler les supercheries et à alerter leurs mandants.
Aujourd'hui, tout doit être vérifié et seules les inspections menées sur
place, bien préparées, précises et méthodiques nous permettront de connaître
l'ampleur de la menace iraquienne, ses objectifs et ses délais. Elles sont en
conséquence un préalable indispensable.
Les inspections constituent un outil juridique de légitimation politique, à
l'échelle internationale, de toute action militaire qui pourrait intervenir à
la suite des résultats obtenus, quelle qu'en soit la nature.
Je me permettrai d'ajouter qu'aller au bout de cette logique est même dans
l'intérêt des Etats-Unis, au regard des transformations qu'ils souhaiteraient
voir advenir dans la région, car,
in fine
, tout le monde sait que le
coeur du conflit est de nature politique.
L'action des Nations unies en Iraq, si elle devait être légalement mandatée,
aurait immédiatement à s'inscrire dans une perspective de règlement général de
la situation au Proche-Orient. Alors que nous agissons dans cette crise
iraquienne, nous savons qu'il est indispensable de participer activement au
règlement d'ensemble des problèmes que connaît cette partie du monde.
Vous avez eu raison, monsieur le ministre, de souligner combien la région
était sensible. Le conflit israélo-palestinien la place dans une situation de
tension extrême, le pétrole aiguise les appétits, tandis qu'en Iraq même le
délicat équilibre entre minorités, clans et religions rend difficile la mise en
place d'une alternative démocratique à Saddam Hussein permettant de préserver
l'unité du pays.
Par une série de négociations multiples, bilatérales et internationales, il
faudra lancer un processus diplomatique soutenu en faveur du Moyen-Orient, de
manière à introduire enfin dans cette région la paix en se fondant, bien
entendu, sur le respect de l'intégrité des territoires et leur sécurité, mais
tout autant en veillant et en favorisant une répartition plus équitable des
richesses, laquelle constitue le fondement d'une authentique stabilité.
La France propose une telle démarche. L'Union européenne peut s'y rallier et
la promouvoir, comme semble l'augurer non seulement la position
franco-allemande arrêtée le 2 octobre dernier, mais aussi l'évolution qui se
dessine au Royaume-Uni.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, certains d'entre nous ont la tentation ou la volonté, par ce débat,
de donner un mandat impératif ou conditionnel au Gouvernement pour conduire les
négociations à venir. Mais tel n'est pas son objet. Nous sommes bien placés
pour savoir qu'il ne peut y avoir de mandat impératif. Il s'agit non pas de
lier les mains de la France, mais bien d'approuver les principes de l'action du
Gouvernement pour qu'il puisse, renforcé par le soutien de la représentation
nationale, apporter, en concertation avec nos partenaires, une solution au
problème iraquien.
Pour ce qui est des principes de votre action, monsieur le ministre, je puis
vous assurer du complet soutien de notre groupe au sein de l'UMP, car ces
principes sont justes. Oui, la cause est juste, puisqu'il s'agit de lutter
contre la prolifération des armes de destruction massive. Oui, l'usage de la
force armée ne peut intervenir que s'il est impossible d'obtenir le résultat
souhaité autrement. Oui, le Conseil de sécurité est l'autorité légitime pour en
décider et la préservation de l'unanimité de la communauté internationale reste
le meilleur garant du respect de ses résolutions. Oui, enfin, monsieur le
ministre, la démarche persuasive et progressive adoptée par la France, sous
l'égide du Président de la République, est la mieux à même d'éviter une cassure
entre les Etats-Unis et l'Europe et entre l'Occident et les pays arabes.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
Les solutions apportées à cette crise détermineront, pour une large part, les
conditions de résolution des conflits futurs et la société internationale de
demain. Il dépend de nous de ne pas laisser apparaître un monde ingérable et
conflictuel, parce qu'il ne serait plus fondé sur des normes communes et le
respect du droit international : ingérable dans la mesure où un vide politique
engendrerait nécessairement des partitions géographiques, et conflictuel parce
que ces dernières sous-tendraient des partitions ethniques et religieuses.
Permettez-moi, dans cet hémicycle où Charlemagne et Saint Louis se font face,
de rappeler, en guise de conclusion, cette pensée de Pascal, qui sera sans nul
doute le fil rouge de votre action, monsieur le ministre, dans les semaines à
venir : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice
est tyrannique. La justice sans force est contredite (...) ; la force sans la
justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et
pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit
juste. »
(Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, du RDSE et du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Jean François-Poncet.
M. Jean François-Poncet.
Monsieur le ministre, vous nous avez, avec une parfaite clarté, détaillé les
enjeux de la crise iraquienne. Il est évident que celle-ci menace gravement la
paix et la stabilité au Moyen-Orient. Elle pèse sur les relations entre
l'Occident et l'islam. Elle pourrait, si la guerre éclatait, compromettre
l'approvisionnement pétrolier de la planète. Elle mettrait en cause l'avenir du
système international si elle se développait en dehors de la charte des Nations
unies.
Quel est, face à ces grands enjeux, l'intérêt de la France ? Ce n'est pas la
seule question qui se pose face à la crise, mais ce n'est assurément pas la
moins importante. L'intérêt de la France est, me semble-t-il, de quatre
ordres.
Il est, bien entendu, d'éliminer une fois pour toutes les armes de destruction
massive dont Saddam Hussein s'est doté et qu'il continue de développer.
Il est de veiller au respect, par l'Iraq comme par les Etats-Unis, des
résolutions et des procédures des Nations unies, seul rempart contre le
déferlement de l'arbitraire et de la violence dans les relations
internationales.
Il est d'obtenir que les grands Etats européens adoptent une position commune,
faute de quoi on ne pourrait plus parler sérieusement de politique étrangère
européenne.
Il est, enfin, d'assurer à notre pays la place qui lui revient dans le
développement futur de l'Iraq et la mise en valeur des immenses ressources de
son sous-sol, un Iraq dont il est essentiel de maintenir l'unité.
Vous-même, monsieur le ministre, le Président de la République et le
Gouvernement, avez très efficacement travaillé à la réalisation de ces
objectifs. Le modeste sénateur que je suis tient à vous en donner acte et à
vous en féliciter. Mais, mes chers collègues, où en sommes-nous exactement ?
Ni vous-même, monsieur le ministre, ni personne ne mettez en doute que Saddam
Hussein possède des armes biologiques, bactériologiques et chimiques et
s'active à les développer. Où en est-il de son programme nucléaire ? C'est plus
difficile à dire !
Ni vous-même ni personne ne mettez en doute qu'il se servirait de ces armes
contre ses voisins arabes, contre Israël ou contre l'Occident s'il y voyait un
intérêt. Il l'a déjà fait à deux reprises, contre l'Iran et contre sa propre
minorité kurde. Il ne reculera devant rien. Autant dire que le désarmement de
l'Iraq est l'une des conditions de la paix au Moyen-Orient.
Faut-il, comme le Président Bush le réclame, s'assigner en plus comme objectif
de renverser le régime iraquien ? Ce serait aller trop loin, beaucoup trop
loin. Non pas que je souhaite personnellement longue vie à Saddam Hussein ;
mais on créerait un redoutable précédent qui ouvrirait la porte à une ère
d'instabilité internationale dangereuse pour tout le monde. C'est aux Iraquiens
qu'il appartiendra de se débarrasser, le jour où ils le pourront, de celui qui
est l'un des dictateurs les plus sanguinaires de la planète.
Agir pour détruire l'arsenal de Saddam Hussein est une chose. Y parvenir dans
le respect des résolutions et des procédures des Nations unies, c'est-à-dire
conformément à la légalité internationale, en est une autre tout aussi
importante : tel est l'objectif que la France s'est fixé et qu'elle est en
train d'atteindre. Les Etats-Unis s'apprêtaient à ignorer l'ONU. Aujourd'hui,
ils s'adressent à elle grâce, en grande partie, à votre action, monsieur le
ministre.
Le succès que vous êtes sur le point de remporter n'est pas mince. Une
intervention unilatérale des Etats-Unis aurait suscité un tollé dans le monde
arabe, et probablement ailleurs, et aurait risqué de mettre le feu au
Moyen-Orient. Si le processus est encadré par les Nations unies, les capitales
arabes s'en accommoderont et la rue arabe sans doute aussi, après quelques
manifestations de protestation.
Encore faut-il que les négociations engagées au Conseil de sécurité
aboutissent. Il n'y a rien d'abusif, à mes yeux, à obliger l'Iraq à accepter
des inspections totalement libres ni à exiger l'ouverture des sites
présidentiels, si nombreux et si vastes. Il n'y a rien d'abusif non plus à
enfermer la mission des instructeurs dans de stricts délais, ou à vouloir
interroger les scientifiques iraquiens dans des conditions qui assurent leur
liberté d'expression et la sécurité de leurs familles.
Plus les conditions imposées à Saddam Hussein seront rigoureuses, monsieur le
ministre, moins Washington sera fondé, ensuite, à contester les conclusions que
les inspecteurs présenteront au Conseil de sécurité. Un désarmement effectif et
indiscutable permettra peut-être - le tout dernier discours de George Bush le
laisse vaguement espérer - d'éviter la guerre que Washington prépare et qui
serait, quelles qu'en soient les conditions, une aventure dangereuse.
Les Européens sont-ils unis face à la crise iraquienne ? La réponse, il y a
quelques semaines, eût été clairement négative : l'Angleterre s'alignait
inconditionnellement sur l'unilatéralisme des Etats-Unis ; le Chancelier
Schröder, tout à sa campagne électorale, s'élevait contre une intervention
militaire, même approuvée par l'ONU ; la France préconisait une attitude ferme,
mais respectueuse de la légalité internationale. Le désaccord ne pouvait pas
être plus patent.
Le fossé tend, heureusement, à se combler. Le recours aux Nations unies
s'impose désormais à tous. L'Europe rejoint la France. Il est particulièrement
heureux, dans ce contexte, que la France et l'Allemagne aient défini une
position commune, à quelques semaines de la célébration du quarantième
anniversaire du traité de l'Elysée.
L'avenir dira si le consensus européen, encore fragile et qui doit beaucoup,
il faut le dire, au revirement des Etats-Unis, résisterait à l'épreuve d'une
guerre. Ce serait sans doute le cas si, comme la France le demande, une
deuxième résolution, prise par le Conseil de sécurité au vu des conclusions de
la mission d'inspection, autorisait une intervention militaire. Les Etats-Unis
s'opposent encore à cette démarche en deux temps, mais il semble bien qu'ils
finiront par s'y rallier. Nous avons en tout cas, monsieur le ministre, toutes
les raisons de ne pas céder.
La cohésion de l'Europe s'en trouverait consolidée et les chances d'une
politique extérieure européenne préservées, au moment où la Convention
européenne présentera son projet de Constitution.
Ce serait aussi la meilleure façon d'assurer à la France, dans la
reconstruction et le développement de l'Iraq de demain, la place qui,
légitimement, lui revient.
Monsieur le ministre, la crise iraquienne est lourde de sérieuses menaces,
mais il se pourrait qu'elle soit aussi porteuse d'espoir. Ce qui se prépare,
quelle qu'en soit l'issue, modifiera l'équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient.
Il est fort possible que l'on puisse, alors, comme ce fut le cas après la
guerre du Golfe, relancer un processus de paix. C'est le souhait que je veux
exprimer, sachant que la diplomatie française, qui s'est imposée dans la
gestion de la crise, saura s'affirmer dans la recherche de la paix.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées socialistes et
certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Serge Mathieu.
M. Serge Mathieu.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, « si la raison gouvernait les hommes, si elle avait sur les chefs
des nations l'empire qui lui est dû, on ne les verrait point se livrer
inconsidérément aux fureurs de la guerre ». Cette citation de Denis Diderot
revêt aujourd'hui une actualité particulière, alors que les préparatifs
d'intervention semblent s'accélérer. Certes, le Président Bush a atténué
l'impression d'inéluctabilité de l'engagement militaire, en déclarant récemment
que le vote, par le Congrès des Etats-Unis, d'une résolution autorisant la
guerre ne signifiait pas qu'elle était imminente ou inévitable. Je veux y voir
une lueur de raison à laquelle la diplomatie française n'est pas étrangère.
Je souhaite centrer mon intervention sur l'analyse de cette guerre que l'on
veut faire croire inéluctable, et de ses conséquences.
Dans le rapport que nous avons publié en février dernier, nous avons posé
comme préalable à la sortie de la crise le retour des inspecteurs de l'ONU sur
place afin de déterminer si, oui ou non, l'Iraq constitue encore un danger pour
l'équilibre régional et pour ses voisins et s'il a continué à développer un
arsenal d'armes de destruction massive. L'acceptation, le 16 septembre dernier,
par le gouvernement iraquien permet désormais de traiter de cette question dans
le cadre de la légalité internationale, c'est-à-dire dans le cadre du
dispositif prévu par les résolutions successives du Conseil de sécurité. La
ligne directrice de notre politique est donc claire : l'application des
résolutions, de toutes les résolutions, mais seulement des résolutions.
Or, que disent ces résolutions ? Elles disent, avec une certaine ambiguïté -
c'est ce qui avait, du reste, conduit notre pays à s'abstenir lors de
l'adoption de la résolution 1284 - que, lorsque les conditions de désarmement,
concernant notamment les armes de destruction massive, auront été remplies,
alors l'embargo sur les biens civils sera levé et l'Iraq pleinement réintégré
dans la communauté des nations.
Ma conviction personnelle est que nous étions bien proches de ce but en
décembre 1998. Telle est aussi l'analyse de M. Scott Ritter, qui fut le dernier
chef des inspecteurs, remplaçant M. Richard Butler, dont on sait assez
l'ambiguïté de l'action, une action qu'il aurait dû mener objectivement au nom
de l'ONU.
Ce qui s'est passé à la fin de l'année 1998 résulte en grande partie de ce que
le Gouvernement iraquien avait la conviction que le but des Etats-Unis était
non pas la levée de l'embargo, une fois les obligations de l'Iraq remplies,
mais le renversement du régime, renversement qui, comme l'a rappelé le
Président de la République dans l'entretien qu'il a accordé au
New York
Times,
n'est inscrit dans aucune résolution. Je vous rappelle que la France
a condamné la reprise des bombardements à la fin de 1998 et qu'elle a décidé de
ne pas y participer.
Cette « occasion manquée » de 1998 est donc particulièrement regrettable.
Quoi qu'il en soit, quatre années ont passé depuis, et nous devons
indiscutablement réexaminer l'état du désarmement de l'Iraq aujourd'hui, ce que
nous permet le retour des inspecteurs sur place, retour qui est accepté, je le
répète, par les Iraquiens.
Tout cela s'inscrit dans le cadre de la légalité internationale, qui s'impose
à tous les pays, si puissants soient-ils. Du reste, j'observe que le Président
Bush s'est engagé, le 12 septembre dernier, à travailler avec l'ONU et avec le
Conseil de sécurité, ce qui m'a toujours paru aller de soi.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la nécessité d'une nouvelle
résolution qu'adopterait le Conseil de sécurité. Toutes les dispositions
juridiques et pratiques existent qui permettent à la mission d'inspection de
reprendre ses travaux. Ces conditions existaient avant 1998, elles ont été
complétées depuis. Les négociations qui ont eu lieu récemment à Vienne entre
les représentants iraquiens et M. Hans Blix se sont achevées sur un accord.
L'urgence aujourd'hui est, comme vous l'avez déclaré, monsieur le ministre, de
« prendre les Iraquiens au mot » et d'envoyer le plus rapidement possible les
inspecteurs en Iraq pour y procéder à des inspections sans entraves. Celles-ci
devraient déboucher sur un rapport à l'ONU et, si les conditions de désarmement
prévues sont remplies, aboutir à la levée de l'embargo sur les biens civils.
Une nouvelle résolution ne me paraît donc pas utile à ce stade. Laissons
travailler la commission de contrôle et, si elle connaît des entraves, nous
pourrons alors reconsidérer notre position.
L'Iraq affirme ne disposer d'aucune arme de destruction massive : allons le
vérifier librement ! Il est absurde de demander à ce pays de désarmer sous un
mois sans que nous soyons sur place pour vérifier l'état même de ce
désarmement. Ce serait, comme on dit, mettre la charrue avant les boeufs.
Pourtant, les Etats-Unis exercent une importante pression sur le Conseil de
sécurité pour que soit adopté un nouveau dispositif qui, dans sa version
initiale, comporte un recours automatique à la force armée. Disons clairement
qu'un tel projet est inacceptable. Il ne semble avoir pour objet que de
légaliser une intervention militaire ou de pousser l'Iraq à refuser un
dispositif que rien ne justifie.
J'ai montré dans notre rapport de février dernier qu'il n'existait pas de base
légale permettant de justifier une intervention militaire en Iraq. La seule
preuve qui l'aurait permise, le lien avec le terrorisme d'Al-Qaïda, n'a pas été
fournie, en dépit des nombreux efforts déployés.
Le fait de ne pas avoir respecté les obligations imposées par l'ONU ne saurait
être un motif de guerre, même s'il est évidemment nécessaire que l'autorité du
Conseil de sécurité soit affirmée et respectée. D'autres Etats ne respectent
pas les résolutions du Conseil de sécurité sans pour autant que l'on songe à
leur faire la guerre !
En insistant sur le fait que le Conseil de sécurité, supposé inefficace,
serait jugé sur ses actes et sur ses résultats, en proposant une nouvelle
résolution, plus dure et plus contraignante, les Etats-Unis ne sont-ils pas en
train de tenter de légaliser une intervention unilatérale que refusent les
opinions publiques ?
Je suis sensible, monsieur le ministre, à l'unité du Conseil de sécurité.
Cependant, cette unité a une limite, celle de la légalité internationale, qui
la dépasse. Rien ne serait pire que de privilégier une unité de façade en
cédant aux pressions et de permettre le déclenchement d'une guerre en
l'habillant d'une apparence de légalité.
S'il s'agit de prouver la détermination du Conseil de sécurité et son unité de
vue, pourquoi ne pas simplement rappeler les dispositifs des résolutions
précédentes - encore que cette précision soit inutile, puisqu'elles existent -
et clarifier le dispositif de sortie de crise et de levée de l'embargo qui est
inscrit dans la résolution 1284 ? Ce serait donner à l'Iraq le signe clair que
ce pays et ce peuple attendent.
Une nouvelle résolution qui adopterait ce schéma permettrait de s'inscrire
dans une logique positive, une logique de paix, au lieu de s'avancer de manière
de plus en plus inéluctable vers des actions dont les conséquences n'ont pas
été évaluées par les Etats-Unis et dont les objectifs sont pour le moins
ambigus.
Ma conviction personnelle est que, en l'état actuel des choses, nous disposons
de tous les outils nécessaires à un contrôle efficace du désarmement
iraquien.
J'en viens à l'évaluation des conséquences d'une intervention qui me paraît
plus poser des questions capitales que leur apporter des réponses.
Remplacer M. Saddam Hussein à la tête de l'Etat iraquien ne peut être un but
en soi. Le Président de la République, le 9 septembre dernier, déclarait ceci :
« Le Conseil de sécurité a décidé qu'il ne fallait pas que l'Iraq ait d'armes
de destruction massive, il n'a pas dit qu'il fallait changer de régime en Iraq.
»
Quelle que soit l'appréciation que nous portons sur le régime de ce pays, les
Etats traitent avec d'autres Etats et leurs dirigeants dans le cadre de la
légalité internationale.
Dans l'hypothèse d'un renversement du gouvernement en place, quelle solution
de transition est proposée ?
La directrice du bureau Moyen-Orient de la fondation Ford ne distinguait
encore récemment « aucune construction d'une alternative politique ».
Souhaitons-nous une évolution à l'afghane, avec un régime extrêmement faible
soutenu à bout de bras par des experts et des conseillers occidentaux ?
Envisageons-nous une présence militaire longue, coûteuse et sans doute toujours
insuffisante pour contrecarrer les tendances à l'éclatement de l'Iraq ? La
prudence de ses voisins, la Turquie avec la question kurde, l'Iran avec le
problème des chiites, est là pour nous rappeler à la raison.
Autre question posée avec force par M. Al Gore, voilà quelques jours : une
intervention militaire en Iraq n'est-elle pas une fuite en avant pour échapper
aux difficultés qui s'annoncent en Afghanistan et ailleurs ? M. Tom Daschle,
leader démocrate du Sénat américain, ne fustigeait-il pas dernièrement
l'exploitation de la question iraquienne dans la campagne électorale américaine
?
Les conséquences sur l'image des Etats-Unis et de l'Occident tout entier
ont-elles été pesées ? Ne risque-t-on pas de permettre au terrorisme de
disposer d'encore plus d'adeptes après une nouvelle guerre en Iraq ?
Comment peut-on imaginer qu'une guerre en Iraq n'aura pas de répercussions sur
le conflit israélo-palestinien et sur l'équilibre des régimes arabes modérés
comme l'Egypte, par exemple ?
Enfin, qui n'aperçoit, derrière cette volonté farouche d'intervention, les
enjeux de politique énergétique ? Le souci de la sécurité internationale ne
devrait-il pas conduire plutôt à une neutralisation de la zone ? En effet,
compte tenu du tarissement annoncé des réserves pétrolières situées hors du
Moyen-Orient, tous les Etats ont un intérêt stratégique vital au libre accès à
ces ressources.
Les réponses à ces questions me semblent évidentes et les appels à la raison
et au respect de la légalité internationale ne sont pas le signe de nations
vieillissantes et peureuses comme des voix outre-Atlantique et outre-Manche
tentent de le faire accroire, mais tout simplement le fruit d'une analyse
politique objective et responsable. Comme le rappelait le Président de la
République, Jacques Chirac, « la guerre est toujours la pire des solutions ».
Ainsi, c'est encore le peuple iraquien qui en paiera le prix fort.
Je veux insister, en conclusion, sur la nécessité de lever l'embargo
économique sur les biens civils. A cet égard, je pense en premier lieu aux
souffrances endurées par le peuple iraquien depuis douze ans. Le rapport établi
par des experts médicaux, annexé à notre rapport de mission, est dramatiquement
éloquent. Depuis la guerre du Golfe, l'embargo a tué plus d'un million
d'Iraquiens, frappant les plus faibles, les enfants, les femmes, les
vieillards. Il s'agit d'un million de morts supplémentaire, selon une
estimation officielle des organes de l'ONU.
Nous savons bien que l'efficacité des embargos est inversement proportionnelle
à leur durée et que l'embargo économique est totalement inefficace. Il est
ressenti par la population iraquienne comme un instrument de punition, non pas
du régime, mais du peuple. Le maintien de l'embargo contribue à radicaliser la
population et à ternir davantage encore l'image de l'Occident. Inutile et
inefficace, cet embargo est surtout moralement inacceptable.
L'ouverture d'une perspective claire de sortie de l'embargo donnerait un signe
politique particulièrement fort au peuple iraquien. La France se doit, selon
moi, de militer en ce sens.
Nous savons bien aussi qu'un lien direct existe entre le développement
économique et la démocratie. C'est l'une des raisons pour lesquelles le groupe
interparlementaire de notre assemblée a toujours prêté une attention
particulière aux entreprises françaises qui exportent et travaillent en Iraq.
Il organise chaque année une réunion de préparation à la foire de Bagdad avec
les entreprises participantes.
En conclusion, le groupe des Républicains et Indépendants soutient totalement
l'action menée par notre diplomatie sous votre autorité, monsieur le ministre,
et sous celle du Président de la République.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, depuis plusieurs mois, les débats apparus sur la scène
internationale à propos d'une éventuelle intervention militaire en Iraq
suscitent une impression de malaise. Il est en effet difficile de s'affranchir
d'un soupçon de mystification et de dissimulation des véritables enjeux. Le
mélange de données objectives et de présupposés subjectifs, d'une démarche
rationnelle et d'une approche émotive, l'évidence d'intérêts économiques et
géopolitiques puissants et pourtant jamais avoués tandis que les finalités
avancées sont difficiles à étayer, tout cela obscurcit l'analyse, la rend
incertaine et pourrait faire douter de toute clarification de la
problématique.
Justifier une intervention militaire sans agression préalable oblige en effet
à quelques contorsions. Cela conduit à inventer la notion d'intervention
préventive, reposant elle-même sur la notion dangereuse d'Etat suspect. Un tel
élargissement de la légitimité de la guerre risquerait fort de nous conduire à
un redoutable aventurisme.
Si le droit d'ingérence humanitaire suscite déjà de délicats débats pour
définir le seuil de son déclenchement et ses limites, que dire alors d'un
hypothétique droit de guerre préventive ? Son fondement ne pourrait se
soustraire à la traditionnelle exigence de discernement éthique qui veut qu'on
s'interdise toute action susceptible d'engendrer un mal pire que celui qu'elle
prétend combattre. Il faudrait donc établir un inventaire préalable des
conséquences possibles d'une éventuelle intervention en Iraq. Or, qui peut
prévoir l'aventure dans laquelle une telle intervention plongerait le
Moyen-Orient et le Proche-Orient, alors que l'impasse semble être couramment
faite sur la réalité et la souffrance même des peuples de cette région ?
L'extraordinaire optimisme qu'affichaient certains partisans résolus d'une
intervention militaire
a priori
en Iraq semble heureusement en perte de
vitesse. Les illusions commenceraient-elles à céder la place au réalisme
associé à une éthique véritable ?
Mais il faudrait faire plus pour tenir compte des droits de la conscience
humaine qui serait gravement blessée par une intervention militaire illégitime.
Une réflexion réaliste impose de tenir compte de la logique même du terrorisme
islamiste, qui se nourrit de tout ce qui peut accréditer le manichéisme d'un
choc des civilisations et des religions.
Or les Etats-Unis semblent, sur ce terrain, attirés par une stratégie qui
pourrait fort bien servir objectivement celle du fondamentalisme islamique.
Dans de telles conditions, une intervention militaire pourrait se croire
préventive et être en fait manipulée inconsciemment par une logique terroriste
subversive conduisant au chaos recherché.
Enfin, les droits imprescriptibles de la conscience humaineexigent non
seulement que les peuples agressés n'aient pas le sentiment de subir une
injustice, mais que les nations qui soutiennent une intervention aient une
conscience claire de la légitimité de cette intervention. Ces exigences ne sont
pas remplies aujourd'hui, alors qu'elles le furent pour la capture de Ben Laden
après l'agression du 11 septembre 2001. Elles ne le seront pas dans cette
région du monde tant que l'impression prévaudra que les résolutions du Conseil
de sécurité pèsent d'un poids différent selon les pays qu'elles concernent.
Les blessures contre la conscience peuvent être plus graves encore que les
atteintes à la vie physique. Elles peuvent ruiner la confiance dans l'avenir de
la vie humaine et dans la supériorité de l'esprit, affirmée et vécue dans
l'amour et la vérité de son incarnation. C'est sur ce fondement délicat, mais
réaliste, que repose toute construction de la paix.
Monsieur le ministre, vous avez, par votre déclaration exprimant la position
de la France, satisfait à ces exigences de clarté, de vérité et de mesure. Je
vous remercie sincèrement de conforter ainsi la confiance dans la possibilité
d'une justice dont chaque homme, chaque peuple a besoin pour regarder l'avenir
dans un espoir de paix.
C'est sur cette confiance primordiale que s'enracine celle que je suis heureux
d'exprimer à l'égard de la politique que vous conduisez, dans ce dossier
particulièrement complexe et important, avec M. le Premier ministre et Mme la
ministre de la défense, en harmonie avec la volonté du Président de la
République.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE et du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Claude Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, permettez-moi tout d'abord d'exprimer la satisfaction des membres du
groupe socialiste d'avoir ce débat aujourd'hui au Sénat, après celui qui a eu
lieu hier à l'Assemblée nationale, sur la menace de guerre en Iraq. J'indique
d'emblée que nous sommes en accord avec la position qui a été exprimée
jusqu'ici par la France, et que vous venez de rappeler, monsieur le ministre
des affaires étrangères, comme vous l'aviez d'ailleurs fait la semaine dernière
devant la commission.
Comme vous nous l'avez dit, il s'agit aujourd'hui de prendre Saddam Hussein au
mot. A partir du moment où, sous les diverses pressions internationales, il a
accepté le retour des inspecteurs de l'ONU en Iraq, la priorité absolue est de
faire en sorte que cette mission puisse avoir lieu, que les inspecteurs
reçoivent des instructions leur permettant d'agir avec efficacité, comme cela
avait d'ailleurs été le cas pour les inspections intervenues avant 1998 qui
avaient permis d'éliminer une grande quantité d'armes de destruction massive -
cela a été rappelé.
Aujourd'hui, la question est bien de connaître la quantité et la nature des
stocks d'armes que Saddam Hussein a pu reconstituer depuis quatre ans, en
dehors de tout contrôle.
Comme nous avons pu le constater lors de notre récente visite à Moscou avec le
président du Sénat Christian Poncelet, et le président de la commission André
Dulait, la position exprimée par la France est aussi celle des Russes, lesquels
sont, comme nous, hostiles au vote par le Conseil de sécurité d'une seule
résolution prévoyant le recours automatique à la force au cas où les
inspecteurs de l'ONU rencontreraient des difficultés du côté des autorités
iraquiennes. Il faut que ces inspections puissent se dérouler sans entraves, et
l'accord intervenu à Vienne avec les représentants iraquiens nous semble à cet
égard positif. Il faut aussi, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre,
que le Conseil de sécurité demeure, à chaque étape du processus, le maître du
jeu.
Mais nous posons la question suivante : que feraient les Français, les Russes,
mais aussi les Chinois, membres permanents du Conseil de sécurité, si
l'administration américaine décidait de passer outre, comme semble le
recommander une grande partie de l'entourage du Président Bush, encore que la
dernière intervention de celui-ci ait semblé en retrait par rapport à ses
déclarations précédentes ?
Interrogé hier à l'Assemblée nationale sur l'éventualité d'un veto de la
France au Conseil de sécurité, vous avez répondu, monsieur le ministre, que
vous ne vouliez pas vous lier les mains. Mais sans faire de procès d'intention,
nous ne voudrions pas que cela puisse signifier, le moment venu, une inflexion
de notre position.
Quant à nous, nous rejetons catégoriquement cette nouvelle notion de « guerre
préventive » qui, appliquée par les Etats-Unis ou par n'importe quel autre
pays, ouvrirait la voie à un bouleversement des relations internationales.
Qu'on ne nous dise pas que nous faisons là de l'antiaméricanisme ! J'ai pour
ma part, comme nous tous, une très grande sympathie pour le peuple américain.
Nous n'oublions pas ce que la France a dû aux Etats-Unis lors de la dernière
guerre mondiale et nous avons tous été solidaires lorsque, le 11 septembre
2001, ils ont été durement frappés par le terrorisme. Mais ce n'est pas parce
que les Etats-Unis sont aujourd'hui la seule superpuissance, qu'ils ont le
droit de régenter le monde à leur guise et de choisir les gouvernements qui
leur plaisent.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Je tiens ces propos parce que l'objectif évident et proclamé de
l'administration américaine est d'éliminer Saddam Hussein pour le remplacer par
un gouvernement prétendument démocratique mais bien hypothétique, sur lequel
elle aurait la mainmise. Nous n'avons évidemment pas la moindre sympathie pour
le dictateur iraquien, qui a réduit son peuple à la misère et aux pires
souffrances. Son régime est totalement condamnable. Mais est-il le seul ? Et
n'y a-t-il pas parmi même les alliés des Etats-Unis, des pays qui sont tout
autant éloignés de la démocratie et du respect des droits de l'homme ?
(Très
bien ! sur les travées socialistes.)
C'est là qu'entre en ligne de compte ce qui a été peu évoqué dans notre débat
et ce que l'on peut appeler l'enjeu pétrolier,...
M. Pierre Mauroy.
Tout à fait !
M. Claude Estier.
... c'est-à-dire la volonté des Etats-Unis de diversifier leurs sources
pétrolières en y intégrant les immenses richesses de l'Iraq dans ce domaine, ce
qui leur permettrait de s'affranchir de leur encombrante dépendance de l'Arabie
Saoudite et de leur fragilité en matière énergétique. Je ne développerai pas ce
point, qui est cependant essentiel et qui mériterait à lui seul un large
débat.
Mon intervention étant brève, je la limiterai à l'Iraq, en sachant bien que ce
n'est pas le seul foyer de tension dans la région, mais en sachant aussi qu'une
intervention militaire en Iraq, notamment par les répercussions qu'elle aurait
dans tout le monde arabe, ne serait pas de nature à apaiser le dramatique
affrontement entre Israël et les Palestiniens, sur lequel la communauté
internationale doit agir plus efficacement qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent,
pour que s'amorce un nouveau processus de paix.
Si nous approuvons, je le répète, l'attitude tenue jusqu'ici par les autorités
françaises, cette affaire iraquienne nous conduit aussi à déplorer à nouveau la
difficulté, pour ne pas dire plus, de l'Europe à parler d'une seule voix. Nous
nous félicitons, quant à nous, de la position extrêmement ferme prise en
Allemagne par le Chancelier Schröder, position qui n'a pas été pour rien dans
sa réélection, me semble-t-il. Le point de vue commun qui a été exprimé la
semaine dernière par le Président de la République française et le Chancelier
allemand lors de sa venue à Paris nous paraît positif. Mais au-delà, quelle est
la position commune de l'Europe ? La Grande-Bretagne est en totale convergence
avec les Etats-Unis, bien que l'opinion britannique manifeste son hostilité
grandissante à la guerre. Quant aux autres pays de l'Union européenne, la
plupart d'entre eux semblent peu enclins à contester, au moins ouvertement,
l'action des Etats-Unis, même s'ils expriment des réserves sur l'idée d'une
guerre préventive.
Il n'est pas indifférent, dans ces conditions, que la France et la Russie
puissent agir de concert, compte tenu de leur poids aux Nations unies. Tout
doit être fait pour empêcher le déclenchement d'une guerre dont les
conséquences risquent d'être extrêmement lourdes, sur les plans tant humain que
géopolitique et économique, pour les pays de la région, mais dont l'Occident
tout entier pourrait aussi faire les frais.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, la France est dans son rôle
quand elle milite contre la guerre et pour le respect du droit international
incarné par les Nations unies. Le groupe socialiste entend être vigilant pour
qu'elle ne s'écarte pas de cette voie.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Yves Autexier.
M. Jean-Yves Autexier.
La première guerre du Golfe, voilà dix ans, marquait la fin de l'ordre
bipolaire et la naissance d'une hyperpuissance, seule capable de maîtriser les
moyens militaires de grande projection.
La deuxième guerre d'Iraq, programmée par l'administration de George Bush,
comporte un enjeu majeur : la substitution à l'ordre international d'un ordre
impérial.
La première guerre du Golfe avait donné lieu à beaucoup de promesses, à
commencer par l'instauration d'un ordre mondial fondé sur la démocratie et sur
le droit : la démocratie devait s'installer au Koweït, le conflit
israélo-palestinien devait être résolu dans la justice...
Eh bien, nous jugeons les promesses de l'administration Bush d'aujourd'hui -
l'installation de la démocratie à Bagdad et la paix dans la région - à l'exacte
aune des promesses d'hier ! La démocratie ne s'exporte pas au bout des
baïonnettes !
En réalité, si les Nations unies adoptaient une résolution autorisant « le
recours aux moyens nécessaires », suivant la formule de 1991, elles
entérineraient la « guerre préventive » telle que proposée dans le rapport sur
« la stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis » publié le 20 septembre
2002.
Qu'est-ce qu'une guerre préventive, si ce n'est une agression ? Qui, de par le
monde, ne se sentirait dès lors autorisé à déclencher des guerres préventives,
un jour pour changer le régime, un jour pour désarmer l'Iraq, un jour, comme le
disait M. Vinçon, pour prévenir une menace ? L'ordre du jour :
delendus
est
Saddam Hussein !
Un mot, un seul, est absent de cette logomachie : « pétrole ».
Une déstabilisation profonde du monde commencerait. « Nous sautons dans le
noir » selon la formule du chancelier Bethman Hollweg c'est cela qui nous
attendrait.
La France doit s'y opposer, car cette déstabilisation augurerait une crise de
l'ordre international en même temps qu'une crise de longue durée dans les
rapports entre le nord et le sud de la planète. Elle ouvrirait un conflit de
civilisation sans fin avec les pays du Sud et le monde arabo-musulman.
Or ce n'est pas notre intérêt national. Nous sommes une puissance
méditerranéenne.
Qui ne voit que la deuxième guerre d'Iraq serait un encouragement à
l'intégrisme dans tout le monde arabe ? Songe-t-on aux conséquences chez nos
voisins du Maghreb, à deux heures d'avion de nous, en Palestine, au
Moyen-Orient, au Pakistan, en Asie centrale ?
Confondre la lutte contre le terrorisme et la guerre contre l'Iraq, c'est une
erreur et ce serait une faute.
C'est une erreur, car il n'y a pas de lien entre l'intégrisme musulman et les
baassistes. Leurs histoires sont totalement différentes et antagonistes.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Jean-Yves Autexier.
Ceux qui ont recherché des liens entre Al-Qaïda et le régime de Bagdad ont
fait fausse route, et vous le savez bien : il y a plus de disciples d'Al-Qaïda
à Londres qu'à Bagdad !
Ce serait une faute, car ce serait jeter les peuples arabes dans les bras de
l'intégrisme, au lieu de jouer, partout dans le monde arabe, la carte de la
modernité. C'est ainsi que la démocratie avancera, et la levée de l'embargo
après le rapport des inspections et la réintégration de l'Iraq dans la
communauté internationale y contribueront plus sûrement que de nouveaux
bombardements.
Je voudrais vous rendre attentifs au risque de
glissando
qui, de
position en ménagements, nous placerait en situation - parce que la Russie
céderait, parce que la Chine laisserait faire - non pas d'approuver mais de ne
pas condamner.
Nous approuvons la volonté française de double résolution ; mais si les
Etats-Unis persistent dans leur volonté d'une résolution unique ou posent des
conditions nouvelles que même MM. Blix et El Baradei considèrent comme inutiles
et dangereuses alors que la résolution 1284 permet le retour immédiat des
inspecteurs, alors nous devons user de notre veto. L'unité du Conseil de
sécurité ne peut pas être recherchée au prix de la destruction de l'ordre
international.
L'accord politique intervenu le 2 octobre entre le Président de la République
française et le Chancelier allemand à ce sujet est un élément capital, mais il
faut être lucide et considérer le long terme : un siège au Conseil de sécurité,
ça s'use si l'on ne s'en sert pas !
Il faut que la voix qui s'est exprimée le 2 octobre à Paris et à Berlin
conjointement soit entendue à New York. Ne pas accepter d'entrer dans le chaos,
c'est bien et c'est beaucoup mieux qu'en 1990 ! Mais, refuser, c'est encore
mieux, parce que c'est l'intérêt national, l'intérêt de la paix, l'intérêt d'un
monde multipolaire qui n'accepte pas la loi de l'Empire.
(Applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste et
du RPR.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, ce débat ne doit pas nous amener à spéculer sur la bonne ou la
mauvaise foi de Saddam Hussein. Il doit nous permettre de déterminer notre
politique en fonction d'éléments tangibles et d'évaluer les conséquences d'un
conflit.
La certitude de la possession effective par l'Iraq d'armes de destruction
massive doit servir de socle à toute décision. Peut-on frapper l'Iraq sur la
seule hypothèse de cette possession ? En d'autres termes, une guerre préventive
est-elle la bonne réponse à une inquiétude justifiée ? En tant que membre
permanent du Conseil de sécurité, la France ne doit-elle pas plutôt défendre la
légalité et oeuvrer à l'adoption d'une résolution ferme ?
Le précédent de l'opération « Tempête du désert » démontre que la coalition de
trente-quatre pays s'est trompée sur trois points : la puissance supposée de
l'Iraq, l'affaiblissement possible du régime de Saddam Hussein et l'ampleur de
ses programmes clandestins dans le domaine des armes de destruction massive.
Les médias, par inculture ou docilité envers les gouvernements de la
coalition, avaient qualifié l'armée iraquienne de quatrième armée du monde. Or
celle-ci devint sourde et aveugle après trois jours de bombardements intensifs,
fut disloquée après une semaine, devint totalement inopérante après quinze
jours. Le cessez-le-feu a eu lieu après cinq semaines de combat.
La France avait opté pour l'application stricte de la résolution qui
consistait à exiger le retrait du Koweït et non un changement de régime.
D'aucuns pensent que les Etats-Unis ont souhaité conserver un brandon dans la
région qui leur permette de justifier leur rôle de pompier de la planète, en
particulier en maintenant en Arabie Saoudite leurs bases de Dahran et de Khamis
Mouchet. Ils étaient plutôt convaincus que la population iraquienne se
soulèverait et éliminerait le dictateur responsable de tous ses malheurs.
Cependant, un peuple sait se rassembler face à un agresseur extérieur, comme
le montre l'exemple iranien : lorsque l'Iraq s'était jeté sur l'Iran en 1980 à
l'instigation de la CIA, les mollahs avaient sorti de leurs prisons les
officiers et les pilotes qui y étaient enfermés, et parfois torturés, et
ceux-ci s'étaient battus avec un grand patriotisme contre l'envahisseur.
La seule question à se poser est bien la suivante : l'Iraq a-t-il respecté les
résolutions prises par le Conseil de sécurité et manifesté ainsi sa volonté
d'être réintégré dans la communauté internationale ?
Rappelons que l'Iraq a le droit de posséder tous les armements conventionnels,
à l'exception des missiles de plus de 150 kilomètres de portée, mais qu'il ne
peut lancer de programmes ni détenir d'armes chimiques, biologiques ou
nucléaires.
Si nous reprenons rapidement l'ensemble des résolutions adoptées, convenons
que l'Iraq n'a pas fait preuve d'un zèle excessif depuis la résolution 687 de
1991 établissant les termes d'un cessez-le-feu, le désarmement et la
suppression de sa capacité de fabriquer des armes de destruction massive. Il a
même régulièrement rejeté certaines résolutions dans une dialectique fort bien
rôdée de victimisation.
Depuis 1991, l'attitude de l'Iraq est condamnable du point de vue de la
méthode et au regard du faisceau d'indices qui nous permettent de conclure à
des manquements probables, voire certains.
Lors des inspections, la méthode de travail iraquienne est contestable,
puisque fondée sur la dissimulation et sur ce que j'appellerais « la méthode de
retrait à petits pas ». Elle consiste à nier les faits tant que le contraire
n'a pas été démontré et à les reconnaître en fonction des évidences présentées
par les inspecteurs des Nations unies.
L'Iraq nie ainsi l'existence de tout programme biologique jusqu'en 1995,
c'est-à-dire jusqu'à ce que Rolf Ekeus parvienne à démontrer le contraire par
déduction. L'épisode le plus significatif se déroule durant l'été 1995, après
le départ en Jordanie de Hussein Kamel, le gendre de Saddam Hussein. Bagdad
reconnaît subitement les faits, avec des circonlocutions parfaitement au
point.
La méthode consiste également, pour les Iraquiens, à faire preuve d'une
précipitation douteuse. Rappelons que, pendant l'été 1991, ils détruisaient
unilatéralement leurs missiles SCUD, c'est-à-dire officiellement 817 pièces sur
819, à charge pour les inspecteurs de comptabiliser les morceaux
a
posteriori
! L'incertitude est totale sur le nombre de missiles dont
dispose l'Iraq : deux, une dizaine, ou bien plus ?
Cependant, les inspections ont bien eu lieu et ont fait la preuve de leur
efficacité, puisque le nombre d'armes détruites entre 1991 et 1998 est le même
que le nombre d'armes anéanties durant la guerre du Golfe.
Toutefois, à la fin 1998, certaines questions demeuraient.
Dans le domaine nucléaire, qu'en est-il de « l'offre non sollicitée » formulée
en 1990 par une puissance régionale détenant l'arme nucléaire, qu'en est-il des
centrifugeuses, du design de l'arme ?
Dans le domaine biologique, quels virus sont susceptibles d'être développés
par l'Iraq ? Les informations - inquiétantes - sont mieux connues en ce qui
concerne les toxines et les bactéries...
Dans le domaine chimique, les craintes ne sont pas moindres étant donné la
prédilection particulière des Iraquiens pour l'arme chimique, arme qui avait
fait la preuve de son efficacité dans la guerre contre l'Iran et contre les
populations kurdes. Ces craintes sont renforcées, car les capacités de l'arme
chimique sont également fonction du vecteur utilisé : obus, roquette ou tout
autre moyen.
Depuis 1998, les incertitudes ont crû avec la fin des inspections. L'Iraq,
s'appuyant sur les derniers rapports des inspecteurs et estimant que ces
rapports clôturaient définitivement les enquêtes, s'est opposé à la venue de la
mission d'inspection créée par la résolution 1284.
La suspicion actuelle est légitime et, aujourd'hui, les informations
convergent : l'Iraq poursuivrait ses programmes, aurait militarisé trois agents
biologiques, dont l'anthrax, développerait ses activités balistiques, aurait
acquis des éléments comme des tubes d'aluminium pour une centrifugeuse.
Certaines photos satellites de bâtiments reconstruits viennent alimenter ces
craintes.
Au regard de la méthode et des manquements successifs de l'Iraq, de son peu
d'empressement à respecter les résolutions des Nations unies et des risques
réels, la tentation est grande de réagir immédiatement et par l'usage de la
force.
Cette tentation est d'autant plus forte que les options se radicalisent dans
un contexte international profondément influencé par les attentats du 11
septembre. Les positions américaines se sont durcies avec le concept d'action
préventive développé depuis le 20 septembre dans le cadre de « la nouvelle
stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis d'Amérique ».
Ce débat doit être l'occasion d'une prise de conscience. En effet,
l'acceptation des bombardements préventifs autoriserait d'autres Etats à agir
de même à l'égard de pays qu'ils jugent menaçants, par exemple le Pakistan et
l'Inde, où les tensions sont exacerbées par le conflit du Cachemire, ou
l'Egypte, si elle en avait les moyens, contre Israël, qui renie sa signature et
ignore les résolutions des Nations unies.
Traumatisée par les attentats perpétrés sur son sol, l'opinion américaine se
prépare au conflit : plus de la moitié des Américains pensent que le dictateur
iraquien a été directement et personnellement impliqué, et ils sont plus
favorables à une guerre contre l'Iraq aujourd'hui qu'après l'invasion du
Koweït, nonobstant la déclaration de Colin Powell selon laquelle : « il n'y a
aucun rapport entre Al-Qaïda et Saddam Hussein ».
La question majeure porte sur les conséquences d'une guerre contre l'Iraq. Ces
réflexions sont d'autant plus nécessaires que celles-ci n'ont jamais été
présentées par les Etats-Unis.
L'utilisation de la force armée serait dévastatrice pour les populations
civiles iraquiennes. Nous savons que Saddam Hussein sait parfaitement jouer des
boucliers humains et ne craint ni d'exposer son peuple ni de
l'instrumentaliser. Il est évident que l'armée iraquienne ne se massera plus
dans le désert, où elle fut une proie facile, mais choisira la guerre à
l'intérieur des villes. Combien de pertes civiles et militaires seront à
déplorer ?
La guerre contre l'Iraq, c'est le risque du dévoiement de la motivation d'un
tel conflit : alors que le régime de Bagdad est laïc, cette attaque sera
transformée en croisade par tous les fondamentalistes, avec des conséquences
catastrophiques dans l'ensemble du monde musulman.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Tout à fait !
M. Aymeri de Montesquiou.
Je rappelle qu'il y a un milliard de musulmans dans le monde, et que les
Arabes, qui ne représentent que 20 % des musulmans, ne seraient pas les seuls à
réagir.
Quels sont les pays qui risquent d'être déstabilisés par la réaction de leur
population à une guerre préventive ?
Il s'agit du Maroc, dont la population avait fortement manifesté contre la
politique américaine en Palestine et où les députés du mouvement islamique ont
presque triplé leurs effectifs ; de l'Egypte, dont la sécurité intérieure est
menacée par les héritiers des Frères musulmans, qui exploitent une pauvreté
croissante ; de la Palestine, dont la population désespérée apportera de plus
en plus son soutien aux mouvements extrémistes ; de la Jordanie, où la
population, à majorité palestinienne, ralliera massivement les islamistes, qui
représentent déjà 40 % des députés ; de la Syrie, où les islamistes,
désorganisés par la répression très dure de Hafez el-Assad, trouveront dans la
guerre un argument pour revenir en force ; de l'Arabie Saoudite, où le régime
est très fragilisé par le contraste entre le wahhabisme prôné par les
dirigeants et le mode de vie de ceux-ci ; de la Turquie, qui ne supportera pas
que les quatre millions de Kurdes iraquiens profitent d'un affaiblissement du
régime de Badgad pour manifester une indépendance jusqu'alors réprimée et
contagieuse pour ses douze millions de Kurdes - le gouvernement turc a prévenu
Washington de l'invasion immédiate du nord de l'Iraq dans cette hypothèse ; de
l'Iran, qui refusera un afflux massif des chiites du sud iraquien, venant
s'ajouter aux deux millions de réfugiés afghans ; des républiques d'Asie
centrale, où l'islamisme se développe depuis qu'elles sont sorties de l'empire
soviétique : la présence des forces américaines en fait un paratonnerre idéal
et la foudre risque de s'abattre sur leurs gouvernements ; du Pakistan, où le
régime du général Musharraf est très précaire et a du mal à contenir un
mouvement islamiste souvent soutenu par la population ; de l'Indonésie, dont la
population musulmane est la plus nombreuse du monde et où le gouvernement
contient difficilement les divers mouvements sécessionnistes et les flambées
d'un islam très agressif ; de la Malaisie, enfin, où la progression de l'islam
met parfois en danger les non-musulmans.
Par ailleurs, on ne peut être certain que les dizaines de millions de
musulmans européens et les vingt millions de musulmans russes resteront
inertes.
Certes, ces catastrophes ne surviendront pas inéluctablement, mais la
communauté internationale peut-elle prendre le risque que certains drames
n'éclatent ?
A ce stade, une guerre contre l'Iraq serait donc à la fois prématurée et
illégale, et présenterait des conséquences dramatiques.
Une attaque préventive contre l'Iraq hors du cadre de décision des Nations
unies se déroulerait dans un contexte similaire à celui de certains
bombardements ayant visé à terroriser la population de l'Allemagne nazie. Je
rappellerai, à cet égard, les 200 000 victimes civiles à Dresde. Ces
bombardements ont peut-être écourté la guerre, mais l'ONU a justement été créé
pour éviter ce type de décision cynique, qui s'inscrit dans la seule optique de
la punition collective d'un pays.
Pour éviter la guerre préventive et ses conséquences dramatiques, la France
doit continuer à défendre une position légaliste mais ferme.
La régulation des relations internationales par les instances onusiennes a le
mérite d'éviter que la loi du plus fort ne s'impose de manière systématique aux
Etats les plus faibles. Cette régulation est encore plus nécessaire depuis la
fin de l'équilibre créé par la bipolarité Est-Ouest, car les résolutions des
Nations unies ont, quasiment seules, une action stabilisatrice.
A la suite du discours très pugnace prononcé par le Président Bush le 12
septembre dernier à l'occasion de l'ouverture de l'Assemblée générale des
Nations unies, l'Iraq accepte enfin, le 16 septembre, le retour des missions
d'inspection. Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous nous dites : «
Prenons-le au mot ». Vous avez raison : allons sur le terrain, vérifions
scrupuleusement, sans concession !
Hans Blix, le chef de la commission de contrôle, de vérification et
d'inspection des Nations unies, a annoncé qu'une première équipe pourrait se
déployer rapidement. Il a ajouté qu'il ne se rendrait en Iraq que si le Conseil
de sécurité adoptait une nouvelle résolution pour clarifier les conditions des
inspections futures.
La résolution dont l'adoption était initialement souhaitée par les Etats-Unis
a peu de chances de réunir une majorité de voix, car l'automaticité du recours
à la force en cas de manquement, sans nouveau passage devant le Conseil de
sécurité, ne peut être acceptée. Et les Etats-Unis ont sans doute très envie
que « l'axe du bien » ne se réduise pas à quelques pays !
En revanche, une nouvelle résolution à la fois ferme et équilibrée a toutes
les chances d'être adoptée.
Elle pourrait prévoir un accès immédiat et inconditionnel à toutes les
installations. Cet accès immédiat est particulièrement crucial s'agissant des
installations biologiques, car celles-ci ne laissent pas de traces si on les
déplace.
Elle pourrait prévoir également une déclaration de l'Iraq sur ses activités
depuis 1998, ainsi qu'un retour devant le Conseil de sécurité en cas de
manquement ou de fausse déclaration, après constat par des inspecteurs envoyés
sur le terrain.
Une telle résolution serait suffisamment équilibrée pour convaincre le plus
grand nombre des membres permanents ainsi que la quasi-totalité des membres du
Conseil, suffisamment ferme pour rallier les Etats-Unis et le Royaume-Uni et
pour soumettre le président iraquien à une forte pression.
La perspective d'un ralliement de quatorze Etats sur quinze est une hypothèse
réaliste, et le poids de l'unité du Conseil de sécurité contraindrait Saddam
Hussein à ne pas défier plus longtemps la communauté internationale.
Monsieur le ministre, pour reprendre votre expression, la France doit défendre
le « respect des étapes » dans le cadre du droit international. Elle doit
démontrer son respect des institutions internationales et justifier pleinement
son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, statut envié, voire
revendiqué, par d'autres pays plus lourds démographiquement ou économiquement.
Justifions la détention de ce poste par une attitude irréprochable, sans
complaisance vis-à-vis de quiconque.
Il n'est pas temps de faire la guerre, qui demeure la pire des solutions et
doit rester le dernier recours, mais il est grand temps de faire passer au
Président iraquien un message dur.
Monsieur le ministre, le groupe du RDSE soutiendra votre initiative visant à
faire respecter le droit international et à atteindre un règlement pacifique
des différends.
La crise iraquienne permettra de rappeler le caractère exécutoire des
résolutions du Conseil de sécurité. Elle sera utile pour l'avenir, à condition
qu'il n'y ait pas deux poids, deux mesures,...
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Bien sûr !
M. Aymeri de Montesquiou.
... que tous les Etats s'engagent à respecter les résolutions adoptées à leur
encontre et que la communauté internationale fasse preuve de la même exigence
vis-à-vis de tous ces Etats, sans aucune exception !
La France, monsieur le ministre, contribue, par votre voix, à la valorisation
de l'image d'une institution internationale en quête d'efficacité et
d'impartialité. La politique que vous menez à l'ONU sert la France et la
communauté internationale.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR,
ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hubert Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, « il n'y a pas de bonne guerre ni de mauvaise paix », disait
Benjamin Franklin.
La guerre en Iraq, pour quoi faire ? Pour vaincre le terrorisme islamique ?
Pour faire tomber le régime de Saddam Hussein ? Pour contrôler les réserves de
pétrole en affaiblissant l'Arabie Saoudite ? Pour modifier les rapports de
force dans cette région très sensible du Moyen-Orient ?
On comprend que les Américains, partisans de la guerre, l'associent à la lutte
contre le terrorisme qui avait réuni l'ensemble des grandes puissances au
lendemain du 11 septembre 2001, tout en visant d'autres objectifs, moins
avouables.
S'agit-il d'empêcher l'Iraq de se doter de l'arme nucléaire et d'armes
chimiques et bactériologiques de destruction massive, ou bien de modifier la
géopolitique et la géoéconomie de la région ? En effet, s'agissant du contrôle
des armes, le retour des inspecteurs des Nations unies, accepté sans condition
par Saddam Hussein, devrait permettre, dans un premier temps, de maîtriser la
situation et d'atténuer la crise. Il n'en reste pas moins que, coupable de
crimes contre l'humanité et de génocide, le dictateur iraquien est passible de
la Cour pénale internationale.
La prise de position ferme de la France, exprimée dès le 27 août par le
Président de la République lors de la conférence des ambassadeurs, selon
laquelle la déclaration de guerre doit faire l'objet d'une décision du Conseil
de sécurité des Nations unies, a été immédiatement suivie par celle, unanime,
des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne au sommet de
Copenhague.
L'Europe a-t-elle intérêt à cette guerre susceptible d'assombrir durablement
les relations qu'elle entretient avec l'ensemble du monde arabe ? Comment ne
pas craindre un regain d'extrémisme et de haine des populations de celui-ci
envers l'Occident, alors que la lutte contre le terrorisme requiert aussi
l'approfondissement du dialogue entre les différentes cultures ?
La guerre ne peut être décidée sans qu'aient été soupesées toutes ses
conséquences pour l'ensemble du monde, et pas seulement pour les Etats-Unis. En
admettant que le conflit soit de courte durée et n'affecte pas l'économie
mondiale, comment remplacer le pouvoir baassiste effondré ? Les Kurdes n'ont
plus confiance en les Américains, qui les ont incités au soulèvement en 1991 et
en 1996, pour les laisser ensuite à leur triste sort. Quant aux chiites du Sud,
proches des Iraniens, ils ont des revendications confessionnelles contre les
sunnites.
Un changement de régime nécessiterait donc un puissant contingent de «
gardiens de la paix » pour jeter les bases d'un fédéralisme démocratique,
respectueux des minorités.
Nous soutenons résolument l'action du Président de la République et du
Gouvernement, guidée par le respect du droit international et la recherche de
la paix, principes que vous appliquez si efficacement, monsieur le ministre des
affaires étrangères. Mais quelle serait l'attitude de la France si les
Etats-Unis obtenaient gain de cause auprès des autres membres du Conseil de
sécurité s'agissant du déclenchement des opérations ?
Nous vous remercions par avance, monsieur le ministre des affaires étrangères,
de votre réponse sur ce point, qu'attendent tous les Français, lesquels sont
profondément attachés à la paix.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, nous sommes aujourd'hui appelés à débattre de la crise qui ébranle
la communauté internationale et dont les conséquences peuvent, à terme,
conduire à une nouvelle intervention militaire en Iraq. On ne peut que se
féliciter de ce qu'un débat aussi essentiel puisse avoir lieu devant la
représentation nationale.
L'Iraq est un pays central au Moyen-Orient, de par sa situation géographique
et stratégique, mais également de par ses ressources naturelles ou son histoire
prestigieuse.
Ce pays dispose d'importantes ressources pétrolières, estimées à 10 % des
réserves mondiales, et de beaucoup d'eau, ce qui, dans cette région, lui donne
un avantage économique considérable.
Mais l'Iraq est également un pays très affaibli sur le plan économique, du
fait des différentes guerres dans lesquelles il a été engagé et de l'embargo,
même si celui-ci a été partiellement aménagé en fonction du concept « pétrole
contre biens humanitaires ».
C'est aussi un pays divisé culturellement, religieusement, ethniquement.
Enfin, c'est une dictature, Saddam Hussein disposant de tous les pouvoirs,
civils et militaires.
L'histoire récente nous montre que ce régime est une menace pour la stabilité
et la sécurité de la région : qu'il s'agisse de sa longue guerre contre l'Iran,
des massacres qu'il a perpétrés sur une partie de sa population, de la
fabrication et de l'utilisation d'armes de destruction massive, de l'invasion
du Koweït, de ses attaques, un mois après la guerre du Golfe, contre les Kurdes
au Nord et les chiites au Sud, ou encore du rôle meurtrier de ses services
secrets, la liste est longue des dangers qu'il représente.
Après la défaite de l'Iraq, le Conseil de sécurité a mis en place une mission
de contrôle et de vérification des sites dangereux. C'est ainsi que l'action de
l'UNSCOM a permis de détruire plus d'armements que pendant toute la période des
bombardements. C'est dire son efficacité !
Depuis 1998, cependant, cette mission est interrompue, et les inspecteurs ont
bien souligné qu'ils n'avaient pas pu exercer leurs contrôles dans des
conditions satisfaisantes.
Les Nations unies ont donc voté une nouvelle résolution, que l'Iraq a
rejetée.
Puis, à la suite des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis ont désigné
l'Iraq comme pays soutenant les terroristes et producteur d'armes de
destruction massive.
En conséquence, les Etats-Unis ont durci leur position en demandant que soit
adoptée par l'ONU une nouvelle résolution qui entraînerait, en cas de
non-respect des obligations fixées à l'Iraq, une réaction militaire
automatique, faisant fi de nouveaux débats, point sur lequel vous avez été très
vigilant, monsieur le ministre.
Cela constituerait, de fait, un engagement unilatéral, une guerre préventive
!
Nous sommes donc devant une situation très grave.
En effet, depuis plus de cinquante ans, les nations essayent de construire la
paix dans le monde en établissant un nouvel ordre international fondé sur le
droit. Et le droit reste la garantie du plus faible.
Aujourd'hui, les Etats-Unis se comportent comme si l'institution
internationale était un frein à leur liberté de penser, à leur liberté de
décision, à leur liberté d'action, bref, à leur souveraineté.
Ainsi, cette « hyper-puissance », pour reprendre le mot de M. Hubert Védrine,
pourrait décider de passer outre la volonté du Conseil de sécurité.
Si tel était le cas, mes chers collègues, la crédibilité de cette institution
pourrait être considérablement affectée. Cette attitude est d'ailleurs
insupportable pour un démocrate et inacceptable pour tous ceux qui veulent
construire la paix, laquelle ne peut être réalisée que dans le respect des
peuples et des nations.
Une telle décision pourrait avoir des conséquences graves, non seulement dans
le monde arabe, mais aussi dans le monde mulsuman, et il est probable que cette
attitude ne manquerait pas de nourrir idéologiquement les réseaux islamistes du
monde entier, en faisant passer l'Iraq pour une victime, en diabolisant les
Etats-Unis mais aussi le monde occidental.
Enfin, nous avons vu apparaître une idée nouvelle dans ce conflit : pourquoi
ne pas renverser le pouvoir de Saddam Hussein ?
Mais pour mettre qui à la place, avec quels hommes et pour faire quelle
politique ?
On voit bien que tout cela est imprécis, sauf à considérer que les Etats-Unis
ont, au contraire, une idée bien précise sur ce pays, et nous ne pouvons pas ne
pas penser au pétrole iraquien, mais aussi au pétrole caucasien qui doit
pouvoir circuler.
Dans le même temps, on se demande pourquoi les Etats-Unis ne l'ont pas fait
voilà dix ans alors qu'ils en avaient la possibilité et que la communauté
internationale n'aurait rien dit.
On peut également s'interroger sur l'urgence.
L'Iraq n'a pas changé depuis plusieurs années. Et l'Iraq n'est, hélas ! pas le
seul pays où existent des armes de destruction massive.
(M. Xavier de
Villepin opine.)
Une autre question se pose : l'Iraq est-il complice de Ben Laden et des
réseaux d'Al-Qaïda ? Mais qu'y a-t-il de commun entre le fondamentalisme
sunnite et un Etat malgré tout laïc ? Rien ne les rapproche. Au contraire, tout
devrait les éloigner. D'ailleurs, aucune preuve sur leur participation aux
attentats du 11 septembre n'a été apportée.
On peut donc échafauder beaucoup d'hypothèses. Cependant, elles ne doivent pas
nous faire oublier la réalité, car, alors, nous pourrions basculer dans
l'incertitude, dans l'inaction, voire dans la division des pays coalisés dans
la guerre contre le terrorisme.
Quelle est donc cette réalité ?
Ce qui est certain aujourd'hui, c'est la volonté commune des nations de
contrôler ce qui se passe en Iraq et de mettre un terme au stockage et à la
fabrication d'armes de destruction massive.
C'est ce que la résolution 1284 tendait à réaliser, et que l'Iraq a accepté
dernièrement à Vienne, grâce, d'ailleurs, à l'action diplomatique.
Commençons donc par appliquer cette résolution. Si la commission rencontre des
difficultés pratiques dans sa mission, revenons devant le Conseil et votons une
nouvelle résolution, mais avec la volonté de préserver l'unité du Conseil de
sécurité.
Monsieur le ministre, je le sais, vous avez été très vigilant sur le projet
américain d'une nouvelle résolution, en particulier à propos de la clause du
recours automatique à la force. Nous ne pouvons que souscrire à cette
attitude.
En conclusion, la notion d'action préventive doit être combattue avec force,
car elle remet en cause le droit international et, surtout, légalise l'usage de
la force sans le droit. Son application constituerait un recul pour la paix,
mais aussi, en fin de compte, un recul pour le progrès et pour l'humanité.
Oui, il faut combattre sans état d'âme et sans concessions le terrorisme. Oui,
Saddam Hussein est un dictateur sans scrupule. Oui, il est probable que l'Iraq
ait continué à produire des armes chimiques et bactériologiques. Oui, le seul
doute justifiera l'action, tout en sachant que celle-ci doit d'abord être
diplomatique. Oui, nous comprenons et partageons la souffrance du peuple
américain. Oui, le droit à la sécurité et le droit de vivre en paix sont des
exigences pour chaque nation, bien sûr pour les Etats-Unis, mais aussi pour les
autres pays, car cela ne concerne pas seulement les Etats-Unis.
Mais nous devons dire à nos amis américains : non à une action unilatérale qui
isolerait les Etats-Unis ; non à une action unilatérale qui mettrait en danger
la stabilité régionale, qui nourrirait le terrorisme international et qui, de
surcroît, serait tragique pour l'avenir des Nations unies. En effet, cette
action unilatérale n'aboutirait qu'à légitimer la force dans le monde. Or, à
l'heure de l'interdépendance des nations, le monde ne peut assurément se passer
de droit.
Puissiez-vous, monsieur le ministre, continuer votre action dans ce sens, en
étroite collaboration avec nos partenaires européens.
Sur toutes ces questions cruciales, qui portent sur le devenir du monde, les
socialistes demeureront très vigilants et ils seront particulièrement attentifs
à ce que la France maintienne cette position.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre Mauroy.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que
nous abordons aujourd'hui est, à nos yeux, essentiel à un double titre : il
concerne à la fois l'avenir de la paix et le destin des Nations unies. Oui,
nous voulons tout faire pour sauver la paix, en confortant l'autorité des
Nations unies, seul instrument capable de proposer, par l'application du droit,
une paix durable pour tous les peuples.
Dans la crise que nous traversons, il s'agit bien, en effet, de la place des
Nations unies dans notre monde. Depuis près d'un siècle, les hommes ont lutté
pour établir un système de droit permettant de préserver notre planète. Leur
combat fut marqué par des échecs, comme celui, finalement, de la Société des
Nations, mais il a aussi été marqué par de grands et incontestables progrès
depuis l'adoption de la charte des Nations unies en 1945.
Trop souvent moquée, voire décriée, à une certaine époque, l'Organisation des
Nations unies a pu, dans bien des cas, par la médiation, éviter le pire et,
grâce au travail considérable de ses agences spécialisées, ouvrir le dialogue
entre les peuples pour progresser dans les domaines du codéveloppement et de
l'organisation d'un monde plus juste et plus ordonné.
C'est pourquoi nous devons aujourd'hui préserver ces acquis, et donc conforter
l'autorité des Nations unies.
Le choix que nous avons devant nous concerne aussi notre avenir commun. Le
déclenchement unilatéral d'un conflit avec l'Iraq pourrait conduire, par un
enchaînement fatal, à un choc puis à un affrontement durable des civilisations,
qui mettrait en oeuvre toutes les formes de guerre que l'on peut imaginer. Ce
conflit de longue durée raviverait toutes les frustrations des peuples du Sud à
l'encontre d'un Nord nanti et sûr de lui. N'oublions pas que la Mésopotamie,
l'un des berceaux de l'humanité, est un nom mythique qui parle encore aux
peuples de la région, mais aussi bien au-delà. De plus, les malheurs du peuple
iraquien soumis à un blocus et à des bombardements incessants depuis de
nombreuses années ont su toucher nombre d'opinions, et pas seulement dans le
monde arabe.
Ce type d'affrontement, ouvrant la voie à une société de violences et de
justiciers de tous ordres, pourrait avoir d'incalculables conséquences en
pertes humaines, en destructions, en récession économique mondiale. Bref, au
lieu d'avancer, l'humanité pourrait reculer.
Cette éventualité nous conduit à accorder au Président de la République et au
Gouvernement notre soutien pour la position qu'ils ont exprimée. Le Président
de la République a réagi au nom de la France avec la volonté, jusqu'à présent
entendue, de remettre les Nations unies au centre du débat et du système de
décision. Et notre diplomatie continue de s'y employer jour après jour,
notamment au Conseil de sécurité. Nous vous en donnons bien volontiers acte,
monsieur le ministre, et nous souhaitons que vous restiez fermes et
intransigeants sur cette position. Nous voulons être sûrs qu'il n'y aura pas,
par glissements successifs, des ralliements enrobés à une politique de force
imposée unilatéralement.
Dans cette affirmation, notre pays n'est pas seul. Nous avons tous entendu le
message des Allemands lors des dernières élections législatives et nous
soutenons les propos très fermes tenus par le Président de la République et par
le Chancelier Schröder lors de leur rencontre. Nous savons que bien d'autres
peuples d'Europe veulent aussi la paix et sont prêts à s'engager pour la
sauvegarder. La France n'est pas seule, les peuples d'Europe veulent la paix.
C'est le moment, pour elle, de l'affirmer haut et fort et de s'affirmer
davantage elle-même en défendant la paix.
Alors, que faut-il faire ?
Certes, nous n'avons aucun doute sur la violence de la dictature que Saddam
Hussein impose aujourd'hui à son peuple. Il l'a, hélas ! suffisamment démontré
dans ses abominables agressions à l'encontre des Kurdes, par exemple. A cet
égard, je voudrais rappeler que François Mitterrand a été le premier chef
d'Etat à manifester une obligation de solidarité internationale, autrement
appelée « droit d'ingérence », à l'égard du peuple kurde. Saddam Hussein l'a
aussi démontré contre ses voisins, et je n'oublie pas non plus qu'aujourd'hui
la population koweïtienne ne connaît toujours pas le sort de ses disparus.
Mais cela justifie-t-il que l'on déclenche la guerre à l'Iraq ? Je ne le pense
pas ! Il ne saurait être question de faire la guerre à toutes les dictatures
qui existent encore. Ce précédent risquerait d'ouvrir la voie à de biens
terribles aventures si chaque puissance régionale se lançait dans des guerres
préventives contre ses voisins. Nous devons, au contraire, faire confiance aux
aspirations des peuples et à la démocratie. Ce mouvement, commencé voilà plus
de vingt-cinq ans au Portugal et en Grèce, s'est poursuivi en Amérique latine.
Il s'est incarné en Afrique dans la victoire contre l'apartheid, en Asie par la
chute de nombreux dictateurs, en Europe par la chute du communisme. Ce n'est
pas par la guerre que nous imposerons la démocratie au Proche-Orient.
Notre seule et unique préoccupation doit donc être l'application des
résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Je note d'ailleurs, et
beaucoup l'ont dit, que les armes de destruction massive que possédait l'Iraq
ont été plus éliminées par l'action des inspecteurs des Nations unies que par
les bombardements de 1991. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, tout le monde
le répète. Il s'agit d'un argument très fort, qu'il ne faut pas hésiter à
employer.
Je n'oublie pas non plus que, malheureusement, l'Iraq n'est pas le seul pays,
dans cette région, à posséder des armes de destruction massive et à refuser des
contrôles internationaux.
Il faut donc que les inspecteurs des Nations unies fassent leur travail sans
entraves. Il faut les laisser travailler le temps nécessaire. Il faudra ensuite
que le Conseil de sécurité des Nations unies, sur la base du rapport de ses
inspecteurs, prenne ses responsabilités.
Voilà quelle doit être notre préoccupation aujourd'hui.
Nous, qui avons soutenu sans réticence l'intervention militaire en
Afghanistan, nous voyons bien qu'elle ne peut à elle seule résoudre tous les
problèmes de sécurité qui étaient posés. Et ce n'est pas faire preuve
d'anti-américanisme que de faire part de nos réserves à l'égard d'une politique
hasardeuse qui, sous le prétexte de préserver les intérêts américains,
risquerait de lancer le monde entier dans une aventure dont les effets
pourraient être, à terme, désastreux. Les Etats-Unis sont nos amis et nos
alliés. Notre conception de l'amitié nous incite à exercer notre droit de
critique quand c'est nécessaire et à faire valoir notre point de vue pour
contribuer à faire progresser un dialogue équilibré.
Le moment venu, le Conseil de sécurité aura donc à prendre ses
responsabilités, et la France devra y jouer son rôle, dans la continuité de ce
qu'elle fait aujourd'hui.
S'il faut sans aucun doute appliquer les résolutions du Conseil de sécurité
des Nations unies, il faut les faire appliquer toutes ! Comment ne pas dire à
ce sujet à quel point la politique du gouvernement Sharon est inacceptable et
porteuse de dangers, à la fois pour son propre peuple et pour les peuples de la
région, dont l'évolution politique est figée par la persistance dramatique de
ce conflit ?
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Nous souhaitons donc que l'Europe s'emploie d'un même mouvement à sauver la
paix au Moyen-Orient en appelant à une conférence internationale pour une paix
juste et durable entre Israël, les Palestiniens et les pays arabes voisins.
Les opinions atteignent, en effet, dans ces derniers pays, un degré
d'exaspération qui est souvent sous-estimé. J'ai gardé en mémoire les propos
que m'ont tenus, en 1991, plusieurs chefs d'Etat du monde arabe à qui le
Président de la République m'avait demandé d'expliquer notre implication dans
la guerre du Golfe. Tous m'ont dit que, s'ils comprenaient notre priorité, ils
jugeaient très important que la communauté internationale prenne garde à ne pas
donner le sentiment d'exercer deux poids et deux mesures dans la recherche des
solutions de paix au sein de cette région du monde, particulièrement
troublée.
L'équation politique est toujours la même : au milieu des déséquilibres les
plus criants et les plus insupportables, il faut toujours faire valoir la ligne
des valeurs universelles, même si c'est difficile. Aujourd'hui, dans cette
région du monde, cette ligne est seule celle de la paix.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, il nous paraît essentiel que vous soyez
ferme sur les positions que M. le Président de la République et vous-même avez
exprimées jusqu'à présent. Quant à nous, qui sommes dans l'opposition, nous
resterons vigilants.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après toutes
les interventions que nous venons d'entendre, il est superflu de rappeler dans
cette enceinte notre opposition partagée à la dictature de Saddam Hussein, qui
viole les droits démocratiques du peuple iraquien et opprime les Kurdes.
Il est également superflu de réaffirmer notre attachement commun au travail
complexe des inspecteurs de l'ONU.
Aujourd'hui, toutefois, c'est de l'attitude de la France face aux Etats-Unis,
dans sa diplomatie et dans son vote au Conseil de sécurité, que nous
débattons.
Nous savons déjà les dégâts de l'embargo : des centaines et des centaines de
milliers de morts depuis 1990, un enfant qui meurt toutes les cinq minutes, 10
000 écoles fermées, la pénurie alimentaire allant jusqu'à l'insuffisance
nutritionnelle. Il serait criminel d'accabler encore ce peuple avec une
guerre.
Souvenez-vous du reportage que France 2 avait diffusé en 1992 dans le cadre du
magazine
Envoyé spécial
: il s'agissait alors de la Somalie. Les
Etats-Unis y exerçaient, dans un conflit déjà entamé, une sorte de « guerre
préventive ». On y voyait des tueurs fous, des morts vivants, des enfants si
décharnés qu'on les confondait avec leurs hardes. Les sacrifices humains furent
énormes ; les résultats, pitoyables.
Souvenez-vous aussi de la « guerre totale » contre Ben Laden. Aujourd'hui, il
est libre - en tout cas, on ne l'a pas repéré -, peut-être encore en mesure de
terroriser ses ennemis, mais le peuple, lui, a compté ses victimes
innocentes.
La « guerre préventive », nouvelle doctrine dangereuse, n'est en aucun cas une
assurance de paix. C'est la condamnation pour présomption de culpabilité ;
c'est la garantie de souffrances et d'injustices pour les Iraquiens déjà
victimes du régime ; c'est l'assurance, devant ces injustices, d'une révolte de
l'opinion, et les personnes les plus fragiles prêteront l'oreille aux
injonctions intégristes.
La « guerre préventive », c'est la souffrance et l'incompréhension du monde
arabe, déjà quotidiennement ressenties en Palestine, de par les méfaits de
Sharon, ou en Iraq, du fait de l'embargo ; c'est la garantie de susciter des
volontaires pour aller grossir les rangs des terroristes au service de Ben
Laden.
Le Président Bush n'a pas le droit, même si son pays a été victime d'attentats
ignobles, de déstabiliser le Moyen-Orient, de brader les larmes et la chair des
femmes et des enfants iraquiens.
Le Président Bush n'a pas le droit, à l'heure où les peuples de la planète se
croisent et se mélangent, toutes cultures et religions confondues, de brader
cette mixité et la lente construction du « vivre ensemble ».
La préparation des élections américaines, le tangage de la Bourse ne
justifient pas que le peuple américain ait aujourd'hui un président - et futur
candidat - belliqueux et aventurier. La stature d'un grand homme, même dans
l'adversité, ne se construit pas dans la violence : « Il faut plus de virilité
pour faire un enfant que pour faire la guerre », disait un écrivain.
L'Europe s'est lentement donné les moyens, sinon techniques, tout au moins
politiques d'éviter la guerre : ici, depuis cinquante ans, on peut vraiment
parler de « paix », et non de simple « trêve ».
Aujourd'hui, une résolution du Parlement européen vise à contraindre l'Iraq à
un contrôle permanent et indépendant de l'application par lui d'une convention
sur les armes chimiques.
La présidence danoise fait des propositions pour un plan de paix au
Proche-Orient.
Le quatorzième sommet de la Ligue arabe, à Beyrouth, énonce également des
pistes. Mais il existe encore d'autres moyens : un accroissement et une
requalification éthique de l'aide publique au développement ; le gel des avoirs
des dirigeants iraquiens ; l'institution par la Cour pénale internationale,
aussitôt la ratification acquise, d'un tribunal international
ad hoc
,
pouvant poursuivre en justice les responsables de la dictature.
Encourageons toute solution de négociation ou de coercition ! Mais surtout pas
la guerre !
Disons clairement à M. Bush que, à l'ONU, nous opposerons notre veto à sa
démarche belliqueuse.
La diplomatie française a, jusqu'ici, trouvé sa juste position, et nous vous
en remercions, monsieur le ministre. Il faut maintenant passer à l'acte et
utiliser notre voix pour que les Nations unies ne cèdent pas aux invectives
arrogantes de celui qui se prend pour le gendarme du monde, mais un gendarme
qui ne sévirait que là où ses propres intérêts, surtout pétroliers, sont en
jeu, oubliant les droits de l'homme et les procédures qui les garantissent.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, au nom de la peur du peuple
iraquien, au nom de la fragile construction du « vivre ensemble », sur la
planète comme dans nos quartiers, nous vous demandons un engagement clair de
veto au Conseil de sécurité de l'ONU. Il est d'ailleurs anormal que la
représentation parlementaire se soit vu refuser la possibilité de mandater le
Gouvernement par un vote.
Samedi prochain, à Paris, c'est donc dans la rue que s'exprimeront pacifistes
et démocrates contre les sanctions, contre la guerre, et pour la relance d'un
processus de désarmement et de résolution politique multilatérale des
conflits.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Serge Mathieu applaudit
également.)
(M. Guy Fischer remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER,
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique de Villepin,
ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour la qualité et la rigueur de
ce débat. Il a fait ressortir notre volonté commune de faire face à la crise et
de répondre aux interrogations de nos concitoyens.
Il est essentiel, pour le Gouvernement et pour la diplomatie française, de
poursuivre ainsi le dialogue avec la représentation nationale à un moment
crucial de la vie internationale.
En cet instant, j'évoquerai successivement quatre des thèmes que vous avez
abordés cet après-midi : la menace que représente l'Iraq ; les tentations soit
de fuite en avant soit de repli que l'on peut observer dans la communauté
internationale ; les exigences auxquelles doit répondre notre diplomatie ;
enfin, les principes qui guident notre action au Conseil de sécurité.
Tout d'abord, nous devons, vous l'avez dit, relever le défi iraquien avec
détermination et lucidité, car l'Iraq représente bien une menace.
Certes, sur les liens de l'Iraq avec le terrorisme, notamment avec Al-Qaïda,
rien n'a pu à ce jour être clairement prouvé, comme l'a indiqué M. Mathieu.
Mais les armes de destruction massive sont une menace potentielle, ainsi que
l'ont rappelé MM. Dulait, François-Poncet et Vinçon.
Même si les informations dont nous disposons sont encore lacunaires, en raison
du départ des inspecteurs en 1998, tout indique que l'Iraq tente toujours, non
seulement de se doter d'armements chimiques et biologiques prohibés, mais aussi
de se constituer une capacité de frappe nucléaire.
Comme l'ont indiqué MM. François-Poncet et Plancade, le régime de Bagdad
représente, en soi, une menace avérée : c'est un régime dictatorial et
agressif, dont les choix politiques peuvent être extrêmes ; il l'a déjà montré,
et nous devons en tirer les conséquences.
Quant à la situation humanitaire à l'intérieur de l'Iraq, nous devons
naturellement la prendre en compte non seulement au regard de nos valeurs mais
aussi parce qu'elle contient les germes d'une menace pour l'avenir. C'est vrai,
les conditions de vie en Iraq se sont fortement dégradées du fait de l'embargo,
M. Mathieu et Mme Blandin l'ont rappelé. Cette situation a entraîné l'émergence
d'une génération sacrifiée, qui peut éprouver tous les jours davantage du
ressentiment envers l'extérieur.
L'Iraq est en outre un pays fragile et instable. C'est un pays jeune, même si
les traditions y sont anciennes. C'est aussi un pays composite, avec des Arabes
et des Kurdes, des sunnites et des chiites. C'est enfin un pays affaibli par
les deux guerres du Golfe et par l'embargo.
M. Durand-Chastel y a justement insisté : il existe un risque d'implosion de
l'Iraq. Nous devons donc être vigilants, d'autant que ce pays se trouve au
coeur de l'arc de crise qui va de la Méditerranée à l'Asie centrale. Il s'agit
d'une zone de fractures, où les tensions sont encore accrues du fait des
richesses, notamment pétrolières, qu'elle renferme et des convoitises que
celles-ci suscitent.
Gardons-nous donc, dans cette région grosse de conflits, de provoquer des
sentiments de frustration et d'humiliation.
Compte tenu de toutes ces vulnérabilités, le risque de déstabilisation de
l'Iraq est réel en cas de guerre, tous les orateurs l'ont souligné. C'est une
question vitale, comme l'a indiqué M. Poirier, et il faut penser à l'avenir, ce
qui suppose de préserver l'unité et la souveraineté de l'Iraq.
Cette région a certes vu naître des groupes terroristes, mais, il faut s'en
souvenir, elle a aussi souffert du terrorisme. Une guerre pourrait, en tout
cas, relancer le terrorisme et fragiliser la coalition de l'ensemble des pays
du monde contre cette menace, ainsi que l'ont relevé MM. Durand-Chastel et
Mathieu. Nous devons faire en sorte que cette coalition contre le terrorisme
puisse conserver toute son unité et, par là, toute sa force.
Dans notre réponse à ces défis, nous devons nous garder d'un certain nombre de
tentations.
La première est la tentation sécuritaire, qui procède d'une vision partielle,
réductrice des problèmes du monde. Depuis le 11 septembre, une vision
sécuritaire des relations internationales, dont Mme Borvo a marqué les dangers,
se développe. Elle traite les effets et non les causes. Elle risque de
compliquer encore davantage certaines crises. Or, pour résoudre les crises, il
faut une perspective politique, comme nous le voyons bien tous les jours au
Proche-Orient.
La deuxième tentation, c'est celle de l'action préventive. C'est, là encore,
une vision qui peut être dangereuse, comme l'ont souligné MM. Dulait, Seillier,
Mathieu et Plancade.
La prévention est louable lorsqu'il s'agit de diplomatie. Pour l'Iraq comme au
Proche-Orient, elle devient dangereuse et arbitraire - MM. Autexier et Estier
l'ont rappelé - lorsqu'il s'agit de justifier une action militaire. En effet,
surgissent alors certaines questions : qui serait l'arbitre, qui fixerait les
limites, qui apprécierait l'opportunité d'une intervention ?
La troisième tentation est la tentation unilatérale. C'est, là encore, une
vocation qui peut conduire au déséquilibre, comme l'ont rappelé MM. Vinçon et
de Montesquiou. C'est une vision contraire à l'édification d'un ordre
international égalitaire, à notre approche légaliste et multilatérale, elle ne
peut servir que les intérêts d'un seul Etat au détriment de tous les autres.
L'interventionnisme pourrait, dans un tel contexte, se révéler contagieux, MM.
Mathieu et Dulait l'ont souligné. Nous pourrions alors rompre avec les
principes de non-ingérence, cela constituerait un dangereux précédent et chaque
Etat pourrait s'en prévaloir, avec le risque d'une multiplication et d'une
aggravation des conflits.
Notre diplomatie, dans un tel contexte, veut répondre à plusieurs
exigences.
Tout d'abord, une exigence de légitimité, MM. de Montesquiou, Mathieu et
Seillier ont insisté sur ce point. Les tentations que je viens d'évoquer
portent en elles, en effet, une remise en cause de l'ordre international. Nous
devons donc inscrire notre action dans le strict respect des principes qui le
gouvernent : multilatéralisme et primauté du droit. C'est une garantie
nécessaire pour que cette action soit comprise et acceptée dans le monde. Nous
voulons nous situer dans le cadre de la responsabilité collective évoquée par
M. Vinçon, c'est-à-dire dans le cadre des Nations unies, comme l'a rappelé
fortement M. Mauroy.
A cette exigence de légitimité, il faut ajouter une exigence de solidarité, et
d'abord avec nos alliés. Nous souhaitons, avec les Etats-Unis, le désarmement
complet de l'Iraq. Nous partageons leurs préoccupations liées au danger de la
prolifération des armements dans un climat mondial où la menace terroriste est
plus que jamais présente. En revanche, nous ne pouvons pas nous associer à une
stratégie qui se donnerait pour objectif un changement de régime.
Nous devons ensuite exprimer notre solidarité avec l'Union européenne et
définir ensemble une politique commune, comme l'ont très justement rappelé MM.
François-Poncet et Poirier. Nous recherchons le même objectif que nos alliés
européens - le désarmement - et nous partageons leur approche, qui privilégie
le cadre des Nations unies.
La définition d'un nouvel ordre mondial exige, certes, une Amérique forte,
mais elle exige aussi une Europe forte, des pôles de stabilité et d'excellence
indispensables si l'on veut véritablement se donner les moyens de réorganiser
l'ordre mondial.
Nous devons enfin affirmer notre solidarité avec les pays du Sud, et
particulièrement avec le monde arabe.
Nous devons entendre la voix de nos amis arabes qui nous expriment leurs
craintes quant aux conséquences d'une action qui n'aurait pas le plein soutien
de la communauté internationale et dont la légitimité serait mal perçue. Cet
impératif de respect et de tolérance est au coeur de l'indispensable dialogue
entre les peuples, entre les cultures. M. Mauroy y a fait référence, et nous y
sommes aussi fortement attachés.
Enfin, nous devons exprimer une exigence de justice, comme l'ont rappelé MM.
Dulait et Vinçon, envers le peuple iraquien, qui paie lourdement pour les actes
de son régime. Notre action doit être guidée par le souci de mettre fin à ses
souffrances. Le moment venu, lorsque l'Iraq aura satisfait à toutes ses
obligations de désarmement, le Conseil de sécurité devra en tirer les
conséquences et suspendre, puis lever les sanctions. Cette préoccupation a été
notamment exprimée par M. Mathieu.
Mais la communauté internationale doit aussi, comme l'a rappelé Mme Borvo,
montrer la même détermination à l'égard du conflit du Proche-Orient qu'à
l'égard de l'Iraq.
Nous devons donner une impulsion nouvelle au processus de paix. La France, qui
a joué un rôle actif dans l'adoption de la résolution 1435, y travaille sans
relâche et elle veut à nouveau relancer le principe d'une conférence
internationale, seule à même de pouvoir véritablement redonner un espoir, une
perspective politique aux pays de la région.
L'ensemble de ces exigences conditionne les chances d'efficacité, de
pragmatisme, comme l'a dit M. Vinçon, de notre action. Or, pour être efficace,
celle-ci doit recueillir le plus large soutien dans le monde. C'est le sens de
l'approche que nous préconisons au Conseil de sécurité.
Notre objectif doit être l'unité de la communauté internationale, et la France
s'y emploie activement en consultant étroitement et régulièrement ses
partenaires. C'est pourquoi le recours au veto n'est pas, à ce stade,
souhaitable. Nous récusons, je l'ai dit, toute action unilatérale et
préventive, mais nous croyons possible de rechercher le consensus en vue de
l'action.
Pour la diplomatie française, je l'ai indiqué hier, il est important de ne pas
se lier les mains. Il nous appartient, à chaque étape, d'assumer notre
responsabilité, toute notre responsabilité, fidèles, bien sûr, à nos
convictions et à notre vision du monde.
Ce souci d'efficacité nous conduit à souhaiter le retour aussi rapide que
possible des inspecteurs en Iraq. C'est aujourd'hui la mission de la communauté
internationale, c'est aujourd'hui l'exigence à laquelle doit travailler le
Conseil de sécurité des Nations unies.
Pour répondre à M. Dulait, nous considérons que les discussions entre MM. Blix
et El Baradei, d'une part, et les Iraquiens, d'autre part, ont ouvert la
voie.
Sur les questions en suspens comme les sites présidentiels, nous devons
trouver des dispositions exigeantes, efficaces, mais aussi réalistes,
susceptibles d'être mises en oeuvre rapidement. Nous faisons confiance au
président exécutif de la commission de contrôle ainsi qu'au directeur général
de l'Agence internationale de l'énergie atomique pour apprécier la nécessité
d'éventuels ajustements du régime d'inspection.
Ces exigences guident notre action au Conseil de sécurité.
Notre approche en deux temps garantit que les compétences du Conseil de
sécurité et, donc, l'exigence de légitimité seront respectées. Elle exclut un
éventuel recours à la force sans nouvelle décision du Conseil de sécurité.
Une nouvelle résolution - je réponds là à M. Mathieu - n'est pas indispensable
juridiquement ; mais, si un tel texte rappelait avec fermeté ses obligations à
Bagdad et s'il était adopté avec un très large soutien, il enverrait un signal
fort à l'Iraq. Il permettrait également de recueillir le plus large soutien
possible au Conseil de sécurité en faveur de la résolution qui pourrait être
adoptée prochainement et d'une éventuelle décision ultérieure, au cas où l'Iraq
violerait ses obligations. En combinant légitimité, fermeté et unité de la
communauté internationale, un tel texte serait le mieux à même d'exercer la
pression nécessaire sur l'Iraq afin que ce pays comprenne notre
détermination.
Concernant une éventuelle participation française, évoquée par M.
Durand-Chastel, à des opérations décidées par les Nations unies, notre objectif
n'est pas, bien sûr, la guerre. Mais la crédibilité même de notre démarche nous
impose d'envisager toutes les possibilités. A chaque étape du processus, la
France prendra toutes ses responsabilités. Quelles que soient les
circonstances, soyez assurés que toutes les dispositions seront prises pour
assurer la sécurité de nos compatriotes à l'étranger.
Pour l'heure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voulons consacrer tous
nos efforts à la recherche d'un accord au sein du Conseil de sécurité. Cet
accord est nécessaire et possible, car des progrès ont été accomplis. Mais,
dans l'intérêt de tous et pour consacrer le triomphe de la responsabilité
collective ainsi que de la légalité internationale, nous devons
aboutir.
(Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel.
Un grand ministre !
M. le président.
Je tiens à remercier M. le ministre des affaires étrangères, M. le président
de la commission des affaires étrangères et les intervenants des divers
groupes, qui ont contribué à la haute tenue de ce débat.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n°
17 et distribuée.
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