SEANCE DU 8 OCTOBRE 2002
M. le président.
La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 5, adressée à M. le
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Claude Biwer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, votre
prédécesseur a adressé au Parlement, courant mars 2002, un volumineux rapport
sur les finances locales qui examine et analyse les différentes options
envisageables en matière de réforme des finances des collectivités locales.
Son diagnostic est sans appel : il met l'accent sur les très fortes disparités
qui existent entre les collectivités en matière de répartition des bases de
fiscalité locale ; il constate que les dotations de l'Etat aux collectivités
locales ne rééquilibrent que très imparfaitement cette situation puisqu'elles
ne réduisent les inégalités entre collectivités qu'à hauteur de 30 %... il
souligne également la très faible lisibilité et la complexité du dispositif des
dotations de l'Etat et la nécessité de revoir les règles de répartition de la
dotation globale de fonctionnement, la DGF.
Ce document corrobore les chiffres délivrés par un rapport antérieur du
commissariat général du Plan suivant lequel la France détenait le record
d'Europe des disparités de richesse entre les communes, qui peuvent varier à
l'extrême de 1 à 900.
Qu'y a-t-il de commun, en effet, entre la richesse presque insolente d'une
ville qui peut se payer le luxe de dépenser 10 millions de francs pour aménager
provisoirement une plage et telle commune rurale de la Meuse, mon département,
dont le budget atteint à peine 100 000 francs ?
Comment en est-on arrivé là ? On peut apporter deux explications à ces
inégalités de richesse : la concentration de la taxe professionnelle et une
péréquation très insuffisante sur le plan national, un peu meilleure sur le
plan départemental ; un mode de calcul de la DGF, notamment de la dotation
forfaitaire, qui ne contribue, en réalité, qu'à la moitié de la réduction des
inégalités et dont le pouvoir péréquateur diminue d'année en année.
Il est vrai que le calcul de cette dotation forfaitaire s'inspire encore très
largement de celui de l'ancien VRTS, le versement représentatif de la taxe sur
les salaires, qui a lui-même remplacé en 1968 la taxe sur le chiffre
d'affaires.
En d'autres termes, l'essentiel de la DGF versée en 2002 répond à des critères
fixés en fonction de la richesse des communes à la fin des années 1960.
Cette situation absurde n'est pas sans conséquence sur la répartition actuelle
de la DGF : grâce au mécanisme de la dotation de progression minimale, les
villes qui étaient riches en 1968, et qui le sont souvent encore aujourd'hui,
continuent à percevoir un montant de dotation forfaitaire sans commune mesure
avec ce qu'elles devraient percevoir réellement. Les communes pauvres,
notamment les communes rurales, sont, de leur côté, réduites à la portion
congrue.
Dans le rapport remis au Parlement, il est suggéré, pour atténuer ces
disparités, de remplacer l'actuelle dotation forfaitaire par une dotation de
base strictement proportionnelle à la seule population, un coefficient
croissant en fonction de celle-ci pouvant éventuellement être utilisé pour
tenir compte du fait que les études économétriques semblent démontrer que les
charges par habitant augmentent avec la population.
Il est également suggéré de consacrer une part de l'actuelle dotation
forfaitaire à l'abondement de la dotation d'intercommunalité, dans la mesure où
le poids financier de celle-ci a connu une croissance exponentielle ces
dernières années.
Je suis, pour ma part, tout à fait favorable à ces deux mesures, car une
solution au problème du financement de l'intercommunalité devra être trouvée à
très court terme. Il est en effet inconcevable que la DGF des communautés de
communes baisse année après année, alors que les communautés d'agglomération et
les communautés urbaines bénéficient de dotations garanties.
Quant à la dotation de base répartie
per capita,
il ne me semble pas
utile d'appliquer un coefficient multiplicateur en fonction de la population.
En effet, les charges de « centralité », qui sont réelles, sont désormais
réparties entre toutes les communes suburbaines membres des communautés
d'agglomération et des communautés urbaines.
En revanche, les communes rurales, à défaut d'avoir une population nombreuse,
ont très souvent de très larges espaces à entretenir, ce qu'elles ne peuvent
faire correctement avec les maigres ressources dont elles disposent.
Dans ces conditions, je crois qu'il conviendrait de réserver le coefficient
multiplicateur aux communes de moins de 2 000 habitants afin de leur donner les
moyens d'entretenir correctement le patrimoine communal et d'offrir à leurs
habitants le minimum de services auxquels ils peuvent prétendre.
Les villes disposant d'une importante taxe professionnelle et d'une DGF
abondante ont souvent des impôts-ménages très faibles. Les communes rurales, ne
disposant d'aucune ressource de taxe professionnelle et ne percevant qu'une DGF
très faible, sont, quant à elles, soit dans la quasi-impossibilité d'entretenir
leur patrimoine et d'investir, soit dans l'obligation de majorer
substantiellement leurs impôts locaux.
Le seul critère de la population est trop souvent retenu, y compris pour les
répartitions à l'échelle des régions. C'est pourquoi il m'apparaît utile de
moderniser les bases et les méthodes et d'appliquer des règles permettant un
véritable aménagement du territoire par une réforme de nos finances locales.
Monsieur le ministre, je compte beaucoup sur vous pour mettre fin à ces
injustices criantes de plus en plus insupportables et pour aboutir enfin à une
répartition plus équitable de la DGF et à un calcul plus juste des bases des
différentes dotations.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur le sénateur, la question
lancinante de la DGF, qui se caractérise à la fois par son opacité et par sa
complexité, trouvera certainement un début de réponse dans la réforme de la
décentralisation qui est actuellement en cours.
En particulier, le principe de péréquation est inscrit dans le projet de loi
et le sera donc dans la Constitution. Il conduira nécessairement à réformer les
mécanismes en place.
Par ailleurs, les principes d'autonomie financière et de garantie financière,
qui seront également inscrits dans la Constitution, auront des conséquences.
C'est dans ce contexte que la réforme des finances locales doit être reliée au
mouvement de décentralisation.
Vous avez rappelé de manière pertinente qu'un rapport sur les finances locales
avait été présenté au Parlement par le précédent gouvernement en mars 2002. Ce
rapport a le mérite de faire l'état des lieux, de dresser un bilan, et il
constitue à ce titre un élément de la réflexion, même si ce n'est qu'un élément
parmi d'autres, car la situation est très complexe.
Le Gouvernement a d'abord le souci de préserver l'autonomie financière des
collectivités territoriales.
La réforme de la fiscalité locale de France Télécom, qui est prévue dans le
projet de loi de finances pour 2003, ira dans ce sens, puisqu'elle consiste à
attribuer aux collectivités locales les bases des établissements de France
Télécom au titre de la taxe professionnelle et de la taxe foncière. Auparavant,
ceux-ci étaient taxés par l'Etat pour son propre compte ou pour celui du fonds
national de péréquation de la taxe professionnelle. Désormais, les
collectivités locales bénéficieront du produit fiscal afférent à ces
établissements, et, si cette réforme sera neutre la première année, elle
produira son plein effet l'année suivante.
De même, l'inscription dans le projet de loi de finances du principe de
l'assouplissement de la règle du lien entre les taux sera un facteur de
l'amélioration de l'autonomie financière des collectivités allant dans le sens
de la réforme.
Concernant plus particulièrement les dotations de l'Etat aux collectivités
locales, leur réforme dépendra en grande partie des mesures relatives aux
transferts de compétence et à la fiscalité locale. Cela étant dit, cette
réforme devra, en tout état de cause et surtout, viser à simplifier les
dotations et à renforcer la péréquation, qui, vous l'avez souligné, est très
souvent inégalitaire et anarchique.
Quant à la simplification des dotations, elle pourrait être obtenue par leur
globalisation, qu'il s'agisse de dotations de fonctionnement ou
d'investissement.
L'intérêt de la globalisation des concours de l'Etat en dotations homogènes,
de fonctionnement et d'investissement, est double. D'une part, elle serait de
nature à améliorer enfin la lisibilité des concours de l'Etat autour
d'objectifs clairement définis. D'autre part, elle permettrait de dégager des
marges de manoeuvre substantielles pour accroître - c'est indispensable - les
ressources en faveur de la péréquation.
L'intégration au sein de la DGF d'un certain nombre de dotations aujourd'hui
autonomes pourrait ainsi recouvrir la compensation de la suppression de la part
salaire de la taxe professionnelle, dont l'intégration dans la DGF est, vous le
savez, prévue à partir de 2004, la dotation de compensation de la taxe
professionnelle, les compensations des pertes de dotations compensatrices de
taxes professionnelles attribuées depuis 1999 aux communes et aux groupements
défavorisés, ainsi que les compensations fiscales versées aux régions en
contrepartie de la suppression de la part régionale des droits de mutation et
de la taxe d'habitation.
Le renforcement de la péréquation pourrait passer tant par une restructuration
interne des masses de la DGF allouées aux communes, aux groupements et aux
départements afin de dégager des marges de manoeuvre plus importantes - je l'ai
dit, c'est indispensable - que par une rénovation des formules et des critères
de la répartition des dotations de péréquation pour la rendre plus efficace
qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Telles sont, monsieur le sénateur, les pistes sur lesquelles le Gouvernement a
conduit sa réflexion et souhaite s'engager. Cependant, je le répète, la réforme
de la DGF, indispensable pour des raisons démocratiques, sera inévitablement la
conséquence des lois de décentralisation qui seront inscrites dans la
Constitution.
(M. Jacques Oudin applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer.
Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier des précisions que vous avez
bien voulu m'apporter.
J'apprécie votre volonté de réforme, réforme qui devrait nous conduire à un
assouplissement du calcul de la DGF et sans doute - je l'espère en tout cas -
des futures dotations.
On s'est trop souvent référé au passé pour préparer, dans des termes presque
identiques, l'avenir. Or, au moment où les villes se gonflent d'une population
nombreuse, l'espace rural se vide. Pour compenser ce mouvement, les communes
rurales doivent avoir la possibilité d'aligner la vie de tous les jours de
leurs habitants sur celle des urbains, ce qui implique qu'elles en aient les
moyens.
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