SEANCE DU 20 FEVRIER 2002
M. le président.
« Art. 2. - I. - A. -
Supprimé.
« I. -
Non modifié.
« II. - A la troisième phrase du premier alinéa du même article, les mots :
"qu'elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par
les enquêteurs" sont remplacés par les mots : "qu'elle a le choix de faire des
déclarations, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de se
taire".
« III et IV. -
Non modifiés.
L'amendement n° 2, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Dans le II de l'article 2, après les mots : "qu'elle a le choix", insérer
les mots : ", sous sa responsabilité,". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit encore d'un sujet qui a fait couler pas mal
d'encre... et de salive.
En première lecture, le Sénat a souhaité préciser qu'il devait être
expressément indiqué à la personne placée en garde à vue qu'elle pouvait
choisir, « sous sa responsabilité », de faire des déclarations, de répondre aux
questions ou de se taire.
Cette disposition a été catégoriquement refusée par la majorité de l'Assemblée
nationale. C'est d'ailleurs sur cette question que la commission mixte
paritaire a échoué.
Une telle attitude peut susciter l'étonnement.
Est-ce que, par hasard, la responsabilité serait devenue une notion dangereuse
et subversive ? J'avais bien pris le soin d'expliquer que la responsabilité ne
devait pas s'entendre au sens un peu réducteur des articles 1382 et suivants du
code civil. C'est bien de la responsabilité humaine qu'il s'agit ici. J'irai
jusqu'à parler de conception humaniste de la responsabilité.
Nous maintenons que notre texte est équilibré et qu'il n'induit aucune
pression sur l'intéressé. Il convient donc de le conserver.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Le Gouvernement reste défavorable à cette
proposition.
D'abord, je demeure persuadée que, par définition, une personne placée en
garde à vue est forcément responsable.
Par ailleurs, le mot « responsabilité » est malheureusement très galvaudé. La
responsabilité n'est plus considérée, dans ce pays, comme quelque chose de
positif. Derrière la notion de responsabilité, se profile très souvent une
appréciation négative. Elle s'applique à une personne qui se trouve dans une
position inconfortable. On l'a bien vu lorsque a été évoquée la question de la
responsabilité des élus locaux : elle était mise en jeu à l'occasion
d'accidents, d'événements pour le moins dramatiques.
Un philosophe se bat actuellement avec raison pour que ce mot retrouve son
sens positif plein et entier.
(M. le rapporteur acquiesce.)
A
l'Assemblée nationale, le groupe communiste avait d'ailleurs fait référence à
ce problème sémantique.
Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, le mot « responsabilité » est au moins
ambigu.
Cela étant, quand une personne est placée en garde à vue, il est indispensable
qu'elle ne ressente aucune pression. Il doit être clair qu'elle a le droit de
ne pas répondre aux questions. Faut-il préciser que c'est sous sa
responsabilité qu'elle opte pour telle ou telle attitude ? Je crois qu'elle
sait nécessairement que c'est là un acte dont elle est responsable.
Des juges d'instruction font observer que « la phrase est déjà assez longue ».
Dès lors, pourquoi allonger encore celle que doit prononcer l'officier de
police judiciaire ? Au demeurant, je remarque qu'il n'y a pas d'amendement
prévoyant que le juge d'instruction rappelle à la personne qu'elle prend sa
décision sous sa responsabilité.
Parce que ce mot a besoin de retrouver son véritable sens, parce qu'il faut
éviter cette ambiguïté qui existe aujourd'hui - et, quand on entend les jeunes
parler de « responsabilité », on constate à quel point nous avons du travail à
faire ! - je demeure défavorable à cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que l'expression « sous sa
responsabilité » n'ajoutait ni ne retranchait rien. Que je sache, tous les
êtres humains sont présumés « responsables », jusqu'à preuve du contraire ! Par
conséquent, si l'on choisit de parler ou de se taire, on le fait sous sa
responsabilité !
On sait pour quelles raisons nous nous étions ralliés à la proposition qui
nous avait été faite à un moment où nous n'étions pas arrivés à un plein accord
au sein de la commission des lois. Mais, à ce stade, nous nous abstiendrons.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Pardonnez-moi d'insister, mais je crois vraiment que le débat
le mérite. Au demeurant, madame la garde des sceaux, vous avez finalement
apporté de l'eau à mon moulin : je crois, comme vous, qu'il faut réhabiliter le
terme de « responsabilité », et j'ai dit dans mon exposé liminaire qu'il ne
fallait pas considérer ce terme au sens restreint - j'allais dire étriqué - des
articles 1382 et suivants du code civil.
Il est vrai que, s'agissant des élus locaux, ce mot a beaucoup été utilisé ces
derniers temps - mais nous l'entendons heureusement moins aujourd'hui - et nous
avons pu constater, à cet égard, un certain nombre d'abus. Permettez-moi de
vous relater mon expérience personnelle - je vous prie de m'en excuser - à ce
sujet : je suis élu local, je suis maire, et, dans tous mes discours, chaque
fois que j'en ai l'occasion, j'en profite pour affirmer ma responsabilité
d'élu, que j'entends exercer avec le plus de panache possible, c'est-à-dire la
responsabilité que le peuple m'a confiée, parce que c'est bien de cela qu'il
s'agit. Pour exercer le rôle que nous ont confié nos concitoyens, nous exerçons
donc notre « responsabilité », mais il s'agit ici d'une notion qui doit être
comprise dans son sens le plus humaniste.
Vous entendant, madame le garde des sceaux, me revenait en écho -
pardonnez-moi de paraître quelque peu pédant - la phrase de Térence : « Je suis
homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger. » Il s'agit bien ici de
cela ! Comme je l'ai dit en commission mixte paritaire, il ne s'agit pas de
considérer la personne placée en garde-à-vue - ou en situation de l'être -
comme une potiche, elle a sa responsabilité d'être Humain - avec un H
infiniment majuscule - et, si nous pouvons contribuer, fût-ce de façon
accessoire, fût-ce d'une manière un peu détournée, à la restauration de cette
belle notion, eh bien ! nous n'aurons pas perdu notre temps.
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le rapporteur, je pense qu'il est effectivement nécessaire de
réhabiliter ce beau mot qu'est la responsabilité. Toutefois, en l'occurrence,
dire que c'est « sous sa responsabilité » que l'intéressé choisira de garder,
éventuellement, le silence, n'est-ce-pas finalement lui porter préjudice ?
N'est-ce-pas faire pression sur lui ?
Notre opposition à l'amendement n° 2 est donc motivée non par la définition du
mot responsabilité, mais par l'interprétation qui pourrait en être faite.
M. Paul Girod.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Girod.
M. Paul Girod.
On s'obstine sur le silence de l'intéressé, mais il y a aussi le fait qu'il
puisse parler !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Oui !
M. Paul Girod.
Il peut donc soit faire une déclaration, soit répondre aux questions qui lui
sont posées, soit se taire. Dans les trois cas, sa responsabilité est engagée
!
Nous examinons bien une proposition de loi relative à la protection de la
présomption d'innocence, que je sache ! Or, le vrai problème qui devrait nous
préoccuper, c'est que, actuellement, quand un citoyen français se trouve
appréhendé par la police, emmené au commissariat et mis en garde à vue, les
médias évoquent le coupable châtié, banni ! Or il peut parfaitement être
innocent, et à un innocent qui se trouve injustement dans cette situation et
qui est - je le répète - en état de choc, il faut tendre une perche pour lui
permettre de retrouver sa dignité.
Evoquer la notion de responsabilité, cela vise donc non seulement le fait que
l'individu se taise, mais aussi le fait qu'il fasse, éventuellement, des
déclarations, et il n'est pas mauvais qu'on lui rappelle que c'est un homme
libre jusqu'à nouvel ordre.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 2 bis