SEANCE DU 20 FEVRIER 2002
M. le président.
« Art. 1er. - I. - Au premier alinéa des articles 63, 77 et 154 du code de
procédure pénale, les mots : "des indices faisant présumer" sont remplacés par
les mots : "une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner".
« II. - Au dernier alinéa de l'article 62, au premier alinéa de l'article 153
et au premier alinéa de l'article 706-57 du même code, les mots : "aucun indice
faisant présumer" sont remplacés par les mots : "aucune raison plausible de
soupçonner" et, au deuxième alinéa de l'article 78 du même code, les mots :
"n'existent pas d'indices faisant présumer" sont remplacés par les mots : "il
n'existe aucune raison plausible de soupçonner". »
L'amendement n° 1, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Suprimer l'article 1er. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Voilà l'un des points majeurs qui nous sépare de l'Assemblée
nationale sans que, véritablement, nous comprenions bien pourquoi.
La notion d'indice est une notion bien connue en jurisprudence et reconnue par
tous. Or je pense que c'est une erreur juridique que d'adopter une notion que
personne ne connaît et qui exigera probablement des années de jurisprudence
pour parvenir à être cernée.
En matière juridique, il faut des certitudes, c'est l'intérêt de tout le monde
et, en premier lieu, des justiciables. Nous maintenons donc notre position car
nous n'avons rien entendu qui puisse la faire évoluer.
En tout cas, nous ne comprenons pas ce qui peut véritablement motiver un tel
acharnement. Je m'en suis ouvert à mon collègue rapporteur de l'Assemblée
nationale, qui ne m'a pas vraiment éclairé. Cette attitude me semble procéder
d'une erreur d'appréciation à la fois sur le plan juridique et sur le plan des
motivations ; mais c'est un sentiment personnel.
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, dans une circulaire vous aviez, me
semble-t-il, assimilé les deux notions d'« indices » et de « raisons plausibles
» en démontrant qu'elles signifiaient la même chose. Si tel est le cas,
pourquoi changer ?
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Ce débat semble n'être que d'ordre sémantique, mais je
pense qu'il va au-delà.
J'ai très longuement discuté avec les praticiens, en l'occurrence les
policiers, car je dois à la vérité de dire que je n'ai pu m'entretenir avec les
gendarmes.
C'est pour accéder aux souhaits de ces praticiens que la loi du 15 juin 2000
relative à la présomption d'innocence est modifiée. Ces derniers se sont en
effet trouvés très déstabilisés par le fait de ne plus pouvoir mettre de
témoins en garde à vue, ce qui est pourtant une excellente chose, que nous
avons d'ailleurs tous saluée, Sénat, Assemblée nationale, Gouvernement...
Les policiers nous ont donc indiqué que leurs collègues comprenaient l'indice
comme un indice matériel. Ils nous ont expliqué, en entrant dans le détail d'un
certain nombre d'arrestations de présumés innocents, assorties d'indices
matériels importants, que celui qui était présent devait être entendu. C'est
vrai, il peut y avoir une perte de temps. Il est parfois fait appel au
procureur, mais c'est tant mieux.
Quand il y a des raisons plausibles de penser que la personne qui est présente
a pu participer au délit ou au crime, il est normal, logique qu'elle soit en
garde à vue. Les officiers de police judiciaire, eux, cherchent à tout prix -
parfois, à n'importe quel prix - l'indice matériel. C'est cela le fond du
sujet.
Effectivement, dans une circulaire, j'ai indiqué que, à mes yeux, « indices »
et « raisons plausibles », c'était la même chose. Dans le vécu de nos officiers
de police judiciaire, visiblement, ça ne l'est pas.
Si je me suis rangée, lors de discussions préalables à l'écriture même de la
proposition de loi de Julien Dray, à l'opinion selon laquelle l'emploi du mot «
indices » posait des problèmes, c'est aussi parce que la formule « raisons
plausibles » se trouve dans des textes que nous respectons grandement, même
s'il s'agit d'une traduction. J'était certaine que cette expression ne pourrait
pas prêter à contestation puisqu'elle était déjà utilisée dans un texte qui
respecte - s'il en est un, c'est bien celui-là ! - les droits de l'homme.
J'ai essayé d'expliquer aux syndicats de policiers qu'un indice n'était pas
nécessairement matériel, qu'un indice pouvait aussi relever d'une appréciation
morale : celui qui a autorité sur la personne ayant commis un acte délictueux
peut effectivement être considéré comme ayant participé au crime ou au
délit.
Je sentais bien que je n'arriverais pas à convaincre l'ensemble des officiers
de police judiciaire et que cela posait un réel problème.
Pour être tout à fait franche, car je ne pratique pas la langue de bois, je
craignais, devant ce blocage des officiers de police judiciaire, qu'on n'en
revienne, maintenant ou plus tard, à la possibilité d'entendre les témoins dans
une audition qui ressemblerait beaucoup à une garde à vue. J'ai donc préféré
que l'on puisse faire clairement la distinction entre le témoin et une personne
dont on avait des raisons plausibles de penser qu'elle avait participé à un
délit ou à un crime, voire qu'elle l'avait commis.
Voilà pourquoi j'ai accepté cette solution, qui me paraît susceptible de nous
protéger à l'avenir contre quelque chose de plus redoutable.
Le Gouvernement est, par conséquent, défavorable à cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je précise que c'est à titre personnel que je vais m'exprimer en cet
instant.
J'ai toujours considéré qu'il n'y avait pas de raison de modifier une
disposition qui était jusque-là parfaitement comprise : lorsqu'il est question
d'apporter des indices, dans l'esprit de tout le monde, cela va évidemment
au-delà de ce que l'on appelle brutalement les indices matériels.
J'ajoute qu'une excellente circulaire émanant de Mme la garde des sceaux
donnait, à cet égard, aux procureurs de la République, et par conséquent aux
officiers de police judiciaire, tous les apaisements suffisants.
Je ne vois donc pas pourquoi nous renoncerions à une notion claire pour lui
préférer une autre notion, même si elle figure dans la Convention européenne
des droits de l'homme.
Encore une fois, on conçoit très bien que, si les indices sont autant de
raisons plausibles, les raisons plausibles ne sont pas nécessairement des
indices.
Plutôt que de nous aventurer dans ces
terrae incognitae
, nous avons
intérêt à maintenir le droit en l'état. C'est une opinion que j'ai exprimée dès
le début et que j'ai eu l'occasion de réitérer en commission mixte
paritaire.
A mon grand regret, un accord n'est pas intervenu et, pour l'heure, à titre
personnel, je le répète, je voterai l'amendement n° 1.
M. Paul Girod.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Girod.
M. Paul Girod.
Quelqu'un a dit que le diable gisait dans les détails mais je crois que, dans
cette affaire, il se trouve dans les adjectifs.
Dans l'expression « raisons plausibles », l'adjectif vient indiscutablement
compliquer les choses : il ouvre la voie à une série d'appréciations
subjectives et donc à toutes sortes de contestations.
De même l'adjectif « matériels » invalide certains aspects des indices
recueillis dans les enquêtes de police. Des absences inexplicables peuvent
constituer un indice ; pourtant, il ne s'agit pas d'un indice matériel.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Nous n'envisageons pas - pas plus que ne l'avait fait la loi
de juin 2000 - de revenir sur la notion traditionnellement utilisée ; nulle
part, il n'est écrit : « indices matériels ». Il n'est jamais question que d'«
indices » purement et simplement. Je ne sais pas pourquoi on interprète cela
comme des « indices matériels » !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 226 |
Majorité absolue des suffrages | 114 |
Pour l'adoption | 226 |
M. le président. En conséquence, l'article 1er est supprimé.
Article 2