SEANCE DU 19 février 2002


PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

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ÉLOGE FUNÈBRE DE DINAH DERYCKE,

SÉNATRICE DU NORD

M. le président. Mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Dinah Derycke. (Mme le ministre, M. le ministre, M. le secrétaire d'Etat, Mmes et MM les sénateurs se lèvent.)

Avec la disparition, le 19 janvier dernier, de notre collègue Dinah Derycke, sénatrice du Nord, c'est une femme de grande valeur qui a quitté les rangs de notre assemblée.

Depuis plusieurs mois, Dinah Derycke menait une lutte bien inégale contre une maladie implacable qui a eu raison de son courage et de son énergie.

Notre collègue fut une parlementaire exemplaire. La conviction et l'engagement avec lesquels elle a exercé son mandat étaient à la hauteur de la conception exigeante qu'elle avait de sa mission.

Femme de terrain, femme de combats, elle était aussi une femme de dossiers qui savait mettre sa rigueur intellectuelle et son intelligence aiguë au service de l'action politique, au sens le plus noble du terme.

Dinah Derycke était avant tout animée d'un idéal de justice : c'est cette valeur qui fondait son engagement.

Dinah Derycke était née le 1er avril 1946 à Armentières, dans le Nord.

Elle entame son parcours de militante à l'âge de dix-huit ans au sein de la fédération du Nord du parti socialiste.

C'est dans la tradition ouvrière et socialiste du Nord que s'est façonné et enraciné l'engagement, jamais démenti, de Dinah Derycke au service des plus faibles, des plus humbles et des plus démunis.

Titulaire d'une maîtrise de droit public, ancienne élève de l'Ecole nationale des impôts, elle est nommée en 1968 inspecteur des impôts à Roubaix. Au même moment, elle prend des responsabilités syndicales à la CGT.

Elle est, dès lors, de tous les grands combats. Elle s'engage totalement dans la lutte pour ses idées ; je pense ici tout particulièrement à son combat pour l'abolition de la peine de mort.

Mais il ne fut pas le seul. Dinah Derycke aura été au coeur de toutes les grandes luttes menées par sa famille politique : peine de mort, interruption volontaire de grossesse, parité ; son nom reste associé à ces réformes.

Profondément humaine, elle alliait, dans une alchimie remarquable, une foi sans borne dans les capacités de l'homme et l'aptitude des sociétés humaines au progrès, ainsi qu'une lucidité parfaite sur les pesanteurs des comportements et l'inertie des mentalités, contre lesquelles elle s'élevait constamment.

Face aux expériences douloureuses et aux combats difficiles, rien en elle ne la portait à la résignation, au renoncement ou à l'amertume.

Sa vitalité, ses capacités d'enthousiasme et de révolte n'étaient pas entamées, bien au contraire, par la connaissance intime des inégalités, des injustices et des blessures dont souffraient ceux qui lui faisaient confiance.

Réaliste, elle n'était pas désenchantée.

Dans les grands combats comme dans les actions les plus quotidiennes, elle avait une aptitude profonde à être « en sympathie », ce qui lui valait d'être très appréciée.

En 1982, Dinah Derycke est nommée déléguée régionale aux droits de la femme du Nord-Pas-de-Calais.

Droits des femmes et égalité des sexes resteront toujours au centre de ses préoccupations. Elle agira alors selon les convictions qui l'animaient : un féminisme de maturité, qui ne se satisfait pas des acquis des textes et des changements du discours ; un féminisme concret, qui entend faire progresser le quotidien des femmes ordinaires dans leurs activités professionnelles et leur vie de couple, ainsi que dans leur qualité de citoyennes.

C'est en 1986 que Dinah Derycke est élue pour la première fois conseillère régionale du Nord - Pas-de-Calais. Ce mandat, elle le vivra comme le prolongement naturel de son engagement militant.

Elue conseillère municipale à Croix en 1989, elle rejoint en 1991 le cabinet ministériel de Michel Delebarre comme conseiller technique. L'année suivante, elle est nommée, au tour extérieur, conseiller référendaire à la Cour des comptes.

En 1995, Dinah Derycke devient conseillère municipale de Lys-lez-Lannoy. Elle y anime l'opposition municipale avec énergie. Dinah Derycke aimait profondément le combat politique, ce qui ne faisait pas d'elle une adversaire facile. Mais les Lyssois appréciaient son style d'action, ses engagements et sa franchise.

C'est en 1997, en remplacement de notre collègue Jacques Bialski, que Dinah Derycke rejoint les travées de notre assemblée, où elle est nommée membre de la commission des affaires sociales.

Dès l'année suivante, notre collègue est élue vice-présidente de la commission des lois et rapporteur pour avis du budget de la justice.

Mais c'est à la présidence de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes qu'elle donnera toute la mesure de la force de ses profondes convictions. Dénonçant les pesanteurs sociales et déplorant la nécessité de passer les législations au crible de l'égalité des sexes, elle oeuvre, dans un premier temps, pour la création d'une telle instance au sein du Sénat ; puis, élue à sa tête, elle s'emploiera à la faire reconnaître et à la faire vivre.

Dinah Derycke ressentait comme une exigence le devoir d'agir en faveur des plus faibles, des plus humbles, des exclus.

Elle s'était plu à citer un jour, ici même, cette phrase d'Alain qui décrit comme une chimère de « ne vouloir faire société qu'avec ceux qu'on approuve en tout ». Prendre en compte la société telle qu'elle est pour pouvoir mener les combats qu'elle croyait justes, tel était son credo.

L'immense travail accompli, par exemple sur la prostitution ou la maltraitance des enfants, restera dans les mémoires ; il constituera une précieuse référence.

Seule la maladie l'aura empêchée de poursuivre son oeuvre. Nous avons tous à l'esprit sa dernière intervention - c'était, mes chers collègues, en novembre dernier - lors de la discussion de la proposition de loi relative à l'autorité parentale.

Rompue aux exigences de la confrontation politique, elle possédait des qualités dont ses interventions portèrent la marque : intelligence et respect de l'adversaire, ardeur au travail et courage politique, goût du débat et de la confrontation des idées.

Bienveillance, générosité, respect de l'autre, quel qu'il soit, étaient les fondements d'un combat mené sans transiger.

Nous nous souviendrons de Dinah Derycke comme d'une collègue cordiale et dynamique, travailleuse et redoutablement tenace, dont les travaux et la personnalité firent honneur à notre assemblée.

Au nom du Sénat tout entier, je voudrais rendre un hommage solennel à cette grande dame qui nous manque déjà.

A son fils, à ses proches, à tous ceux à qui Dinah Derycke était chère, je présente nos condoléances émues et attristées.

A ses collègues de la commission des lois, à ses amis du groupe socialiste, je voudrais apporter le témoignage de notre profonde et sincère sympathie.

Madame, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vous invite à observer une minute de silence à la mémoire de notre chère collègue, trop tôt disparue.

(Mme le ministre, M. le ministre, M. le secrétaire d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme le ministre.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec une profonde émotion que le Gouvernement s'associe à l'hommage solennel que vient de rendre le Sénat, par la voix de son président, M. Christian Poncelet, à Dinah Derycke, sénatrice du Nord, qui nous a quittés le 19 janvier dernier.

Depuis plusieurs mois, Dinah Derycke luttait de toutes ses forces contre la maladie. Il y a quelques semaines, un bref répit dans cette lutte difficile et courageuse nous avait donné la joie de retrouver notre collègue et amie, et permis de penser qu'elle avait réussi à surmonter sa maladie. Ce répit nous permettait d'espérer la retrouver prochainement aussi passionnée et combative que nous la connaissions tous. C'est pourquoi sa disparition brutale nous touche profondément.

Je souhaite, au nom du Premier ministre et du Gouvernement, en présence de M. Queyranne, ministre des relations avec le Parlement, et de M. Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, qui l'a bien connue, exprimer à sa famille toute notre sympathie et notre affection en ces moments douloureux.

En honorant la mémoire de Dinah Derycke, nous saluons une vie de militante, avec toute la noblesse qui s'attache à ce mot. Courageuse, tenace, d'une grande élégance morale, Dinah Derycke affirmait haut ses convictions et inspirait le respect. Profondément éprise de justice, particulièrement lorsqu'il s'agissait de réduire les inégalités sociales, Dinah Derycke était passionnément au service des autres. Féministe, syndicaliste, socialiste, elle plaçait l'action militante au sommet de ce que tout citoyen accompli doit à la République pour que celle-ci soit vivante.

Nombreux sont ceux qui, sur ces travées et sur les bancs de l'Assemblée nationale, au sein du Gouvernement ou dans la société civile, ont connu, suivi, soutenu et apprécié son action énergique. Ses interventions dans cet hémicycle portaient très haut les aspirations de toutes celles et de tous ceux qui combattent depuis deux siècles pour que notre République reconnaisse la place des femmes, pour que notre République s'honore de compter parmi ses serviteurs autant de femmes d'exception que d'hommes illustres. Pendant ces quelques années, Dinah Derycke a tenté de concrétiser, par l'action législative, les espoirs de ceux qui croient à la générosité de la politique lorsqu'elle est mise au service de tous.

Le 26 janvier 1999, Dinah Derycke s'exprimait à cette même tribune - j'ai encore en mémoire ses paroles - à l'occasion de la première lecture du projet de loi constitutionnelle tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives : « Notre Marianne fut longtemps, trop longtemps, la seule femme présente dans les hémicycles et les salles de conseil. Redire, cinquante ans après que le droit de vote et d'éligibilité a été accordé aux femmes, que l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives est organisé par la loi, ce n'est pas aller contre le principe d'universalité. C'est au contraire l'expliciter, le réaffirmer. C'est faire, en somme, comme Victor Hugo : poser les termes de l'égalité, nommer et les hommes et les femmes, convoquer, dans la Constitution, les deux composantes de l'humain, les deux composantes du peuple. Parce que cette évidence n'en est apparemment pas une pour tous, rappelons qu'il est une vérité, et que cette vérité est universelle, à travers les âges et sous tous les cieux : l'humanité est sexuée. »

Dans ces mots, je retrouve comme vous tous la parlementaire passionnée et la militante déterminée que fut Dinah Derycke. Du haut de cette tribune, le débat sur la parité en politique fut pour elle l'aboutissement d'une vie d'engagement largement consacrée à la cause et aux droits des femmes. Par ce combat en faveur de la parité, elle était intimement et fermement convaincue de faire honneur à l'histoire de son pays, de faire honneur à la République.

Dès son arrivée sur les travées de la Haute Assemblée, en 1997, elle entreprit de convaincre, avec d'autres, de l'utilité d'une délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. C'est à l'honneur du Sénat que d'avoir décidé de la créer, par une loi du 12 juillet 1999, puis d'avoir porté Dinah Derycke à sa présidence. De celle-ci, Dinah Derycke ne fit pas un instrument de pouvoir ou de confrontation, mais, forte de sa riche expérience, acquise notamment dans les responsabilités de déléguée régionale aux droits des femmes et dans l'action publique aux côtés d'autres militantes, comme Yvette Roudy, Nicole Feidt ou encore Marie-Madeleine Dieulangard, qui sont présentes dans les tribunes, elle en fit, au contraire, un espace républicain de dialogue et de progrès, tout entier tourné vers la cause qu'elle souhaitait servir, celle d'une humanité reconnaissant sa mixité, celle d'une société donnant sa juste place à chacun.

Avec Martine Lignières-Cassou, qui préside la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, elles ont travaillé de concert, étant, pour notre gouvernement, un conseil et un appui précieux.

Féministe, Dinah Derycke ne menait pas seulement son combat sur le plan des principes et du droit au sein de la commission des lois du Sénat. Elle savait aussi se mettre à l'écoute et au service de toutes les femmes, de celles qui travaillent, souvent durement et pour des salaires inférieurs à ceux des hommes, au service des femmes qui affrontent, sans partage le plus souvent et trop souvent encore, les tâches quotidiennes de la vie familiale, au service des femmes qui luttent pour se voir reconnaître leurs droits les plus élémentaires.

Elle consacrait également son énergie à la lutte contre la maltraitance des enfants et, tout dernièrement, à la lutte contre la prostitution, sujet sur lequel le Premier ministre lui avait confié une mission qu'elle n'aura malheureusement pas pu mener à son terme. Sa dernière intervention au Sénat, le 21 novembre dernier, M. le président du Sénat vient de le rappeler, aura été consacrée à ce fléau que constitue la prostitution des mineurs, qui n'était pour elle qu'une expression supplémentaire et intolérable de la misère sociale frappant les plus fragiles dans notre société.

Dans tous ses combats, Dinah Derycke n'oubliait jamais ses origines ouvrières, qui lui avaient donné la volonté de se battre pour les autres, de se battre contre l'ordre établi, de se battre contre les préjugés. Cette volonté l'avait tout naturellement conduite à embrasser le militantisme syndical, avec la joie simple de goûter la fraternité des luttes sociales. Les importantes responsabilités qu'elle exerça à la CGT ne la privèrent pas pour autant d'entretenir le pluralisme au sein de la Confédération. Elle considérait que sa place était là, parmi d'autres, au service d'idées fortes et généreuses qui devaient les rassembler au-delà des divergences. C'était pour elle une question de dignité humaine.

Féministe et socialiste, c'est tout naturellement que Dinah Derycke rejoignit la SFIO et la Fédération de la gauche démocrate et socialiste, puis le parti socialiste, dans les années soixante-dix, dans le sillage de François Mitterrand, pour lequel elle avait beaucoup d'admiration et qui n'oubliait jamais de lui prodiguer ses conseils et ses encouragements, tout comme, bien entendu, Pierre Mauroy et ses camarades du Nord, qui n'oublieront jamais sa force de conviction, aiguisée par un esprit rebelle mais toujours fraternel.

Ses camarades n'oublieront pas non plus son engagement local, dans sa commune de Lys-lez-Lannoy, où elle ne briguait pas seulement des responsabilités municipales, mais où elle savait aussi se battre aux côtés des salariés de Stein ou encore de GEC Alsthom.

Elle voulait changer la société. Comme d'autres. Avec d'autres. Parce que la République, dont elle était une fille reconnaissante et dévouée, se devait de ne jamais oublier les plus démunis et les plus faibles.

Au nom du Gouvernement, je rends hommage à une parlementaire exemplaire, à une femme courageuse, droite et fidèle à ses idées comme à ses amis, et qui sut servir son pays avec la passion de l'intérêt général.

A cet hommage j'associe tout particulièrement, parce que je sais qu'elle y aurait été sensible, toutes les femmes de ce gouvernement : Marylise Lebranchu, Catherine Tasca, Marie-George Buffet, Ségolène Royal, Paulette Guinchard-Kunstler, Marie-Noëlle Lienemann, Florence Parly et Nicole Péry, parce que, nous toutes, nous étions fières d'elle et fières d'être ses amies.

A son fils Sylvian, à sa famille, à ses proches, à ses collègues du groupe socialiste, je veux redire notre profonde tristesse, leur dire aussi que Dinah nous laissera un souvenir lumineux.

M. le président. Mes chers collègues, après ce moment d'émotion, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Amar Beloucif, qui fut sénateur d'Algérie de 1959 à 1962.

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RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Paul Girod. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur d'avoir été nommé rapporteur devant le Sénat du projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce comme du projet de loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire.

A ce titre, j'ai proposé à la commission des lois, qui a bien voulu me suivre, le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable sur chacun de ces deux textes, et le Sénat a rejeté, jeudi dernier, le projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce.

Comme notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui rapporte, lui, le projet de loi modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostics d'entreprises, j'ai eu la surprise de trouver dans mon courrier un télégramme émanant de MM. Montebourg, Colcombet et Codognès, rapporteurs de ces mêmes textes à l'Assemblée nationale, télégramme dont je vous donne lecture.

« Vous aves décidé, soutenu par une majorité conservatrice, de vous livrer à un combat de retardement contre la réforme des tribunaux de commerce, réforme que nous sommes de très nombreux députés à juger aussi urgente que nécessaire.

« Les termes du débat public qui se déroule depuis hier après-midi au Sénat démontrent s'il était encore nécessaire votre bien faible sens des responsabilités, et votre soutien à des corporations dont la faillite est pourtant acquise.

« Vous refusez, avec obstination, ce que des millions d'artisans demandent pourtant depuis si longtemps. Vous refusez d'améliorer le sort des 45 000 entreprises en faillite chaque année » - personne ne se pose la question de savoir pourquoi il y en tant ! - « et de ceux qui en sont les victimes. Vous avez choisi votre camp, celui de ceux qui veulent contrôler et s'approprier les tribunaux de commerce, davantage préoccupés de faire des affaires plutôt que d'y faire prévaloir l'intérêt général. Vous ne vous étonnerez donc pas que nous décidions de rétablir dans son ampleur initiale la réforme que nous avons désirée et défendue âprement. »

Jusqu'ici, c'est le rapporteur qui est interpellé - comme s'il était seul ! - et cette interpellation à la limite de l'insulte relèverait du différend personnel entre rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat s'il n'y avait la suite.

« Vous ne vous étonnerez pas, par ailleurs, que nous soyons décidés à imposer la réforme profonde du Sénat dans des délais rapprochés et dans le cadre d'une République nouvelle. Vous serez peut-être surpris d'ailleurs par la popularité d'une telle réforme, et votre actuel comportement ne pourra une nouvelle fois que nous y aider.

« Nous vous prions de croire, monsieur le sénateur, en l'assurance de nos sentiments tristement distingués. »

M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tristement distingués, en effet !

M. Paul Girod. Monsieur le président, ce sont donc non seulement les rapporteurs de notre assemblée qui sont mis en cause en des termes inattendus mais aussi la procédure législative et le bicaméralisme !

J'ajoute que les rapporteurs de l'Assemblée nationale n'avaient pas hésité à nous convoquer, avant même le dépôt des textes sur le bureau du Sénat, pour nous intimer de suivre leurs consignes en préparation des commissions mixtes paritaires !

Il s'agit là, monsieur le président, d'un dévoiement majeur du bicaméralisme que je me sentais le devoir de porter à la connaissance de nos collègues. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sur quel article vous fondez-vous ?

M. Michel Charasse. Tous !

M. Jean-Jacques Hyest. Tous les articles du règlement sont concernés puisque notre assemblée est en cause !

M. le président. La parole est à M. Hyest, et je me chargerai de citer le règlement s'il y a lieu !

M. Jean-Jacques Hyest. Certains ici n'ont d'ailleurs pas pour habitude de citer l'article sur lequel ils fondent leur rappel au règlement !

M. Michel Charasse. C'est pour gagner du temps ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest. J'ai reçu en effet le même télégramme que M. Girod et je veux ajouter que ce télégramme avait fait, avant son envoi, l'objet d'une dépêche de l'AFP, ce qui démontre que ses destinataires n'étaient ni les rapporteurs ni le président du Sénat, mais l'opinion publique ! Son auteur - et ses comparses (Murmures sur les travées socialistes) - nous a d'ailleurs habitués à ce genre de pratiques d'intimidation et aux procès en sorcellerie.

Je rappelle que, si nous sommes amenés à délibérer ce soir du projet de loi modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostics d'entreprises, ce n'est pas de notre fait ; c'est parce que le Gouvernement, qui est le maître de l'ordre du jour, a considéré que d'autres textes étaient plus prioritaires.

Il en est de même du projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce. Si ce texte, pourtant déclaré d'urgence, est examiné en fin de législature, nous n'y pouvons rien, d'autant qu'il a été voté en mars 2001 à l'Assemblée nationale. Remettons donc les choses à leur place : si la réforme des tribunaux de commerce ne progresse pas, c'est à cause des excès de certains et des procès d'intention intentés par quelques-uns.

Il faut au contraire rappeler que, depuis quatre siècles, les milliers de juges consulaires exercent leur mission bénévolement, au service de la justice. On ne peut pas accepter qu'ils soient traités d'incapables et de corrompus ! Nous étions d'accord pour une réforme équilibrée, et si nous n'avons pu aboutir à rien, ce n'est pas de notre fait !

M. le président du Sénat a réagi à ce télégramme, car notre institution elle-même a été mise en cause, mais force est de reconnaître que le recours à de telles méthodes d'intimidation pour tenter d'imposer des réformes ne grandit pas le Parlement tout entier. En tout cas, cela ne grandit pas ceux qui adoptent ces comportements ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je donne acte à MM. Girod et Hyest de leurs rappels au règlement.

Le télégramme dont il vient d'être fait état ayant été rendu public, je ne puis mieux faire que de vous donner lecture du communiqué de presse dans lequel M. le président du Sénat dénonce ces pratiques.

« Christian Poncelet, président du Sénat, s'étonne de la gesticulation médiatique d'Arnaud Montebourg... »

M. Hilaire Flandre. C'est une habitude, chez lui !

M. le président. « ... et François Colcombet au sujet du vote par le Sénat d'une question préalable sur la réforme des tribunaux de commerce.

« Il constate que c'est le Gouvernement, conscient des insuffisances de son texte, qui s'est délibérément mis en situation de ne pas faire adopter cette réforme avant la fin de la législature, en ne l'inscrivant à l'ordre du jour du Sénat que le 14 février 2002, alors même que ce projet de loi avait été examiné par l'Assemblée nationale en mars 2001.

« Arnaud Montebourg et François Colcombet le savent pertinemment et ils instruisent, avec une parfaite mauvaise foi, un procès fallacieux à l'encontre du Sénat.

« Ils savent aussi que rien n'empêche le Gouvernement de convoquer la commission mixte paritaire et de faire aboutir son texte avant la suspension des travaux du Parlement.

« Le président du Sénat rappelle, par ailleurs, que ce projet de loi, pour être viable, aurait dû être précédé d'une réforme des procédures collectives, de l'achèvement de la refonte de la carte judiciaire, et surtout d'une augmentation importante des moyens de la justice professionnelle à qui l'on confie la mission de présider certains chambres des tribunaux de commerce.

« En l'absence de ces préalables, l'intérêt général commandait de surseoir à cette réforme improvisée.

« Il indique que loin de "refuser d'améliorer le sort des 45 000 entreprises en faillite chaque année", comme le prétendent Arnaud Montebourg et François Colcombet, le Sénat s'emploie à donner aux entreprises les moyens de vivre. Tel est le sens du combat mené par le Sénat pour alléger le fardeau des prélèvements obligatoires, simplifier les tracasseries administratives et limiter les effets pervers des 35 heures.

« Christian Poncelet souligne enfin que l'imprécation et la menace ne sont pas la preuve d'un grand esprit démocratique. Il rappelle que les tentatives de déstabilisation du Sénat que la Ve République a déjà vécues ont connu un triste sort.

« L'existence du Sénat contribue, à l'évidence, à l'équilibre des pouvoirs qui constitue le fondement de tout régime démocratique.

« Seuls des autocrates en puissance, des émules de Savonarole ou des adeptes de Fouquier-Tinville peuvent souhaiter la suppression des contre-pouvoirs. » (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est excessif !

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FONDATION POUR LES ÉTUDES

COMPARATIVES

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 351, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, portant création d'une Fondation pour les études comparatives. [Rapport n° 225 (2001-2002).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte examiné aujourd'hui résulte d'une mission confiée le 15 janvier 1999 par mon prédécesseur Claude Allègre au professeur Antoine Lyon-Caen sur « la situation du droit comparé en France et les perspectives de son développement ».

Le professeur Lyon-Caen a remis le rapport sur « Le Développement du droit comparé en France » au ministre de l'éducation nationale et à moi-même en juillet 2000.

Ces propositions nécessitant l'intervention de la loi, elles ont été reprises dans une proposition de loi déposée par le président de l'Assemblée nationale, Raymond Forni. Votée par l'Assemblée nationale le 31 mai 2001, cette proposition de loi est soumise aujourd'hui au Sénat.

Il importe en effet de développer les études et les recherches de droit comparé pour plusieurs raisons.

D'abord, la France est de plus en plus ouverte sur le monde extérieur, sur l'international. Le développement des échanges internationaux accentue la nécessité de mieux connaître les droits étrangers.

La mondialisation croissante de l'économie implique que les entreprises françaises et les juristes qui les conseillent puissent avoir une connaissance rapide et sûre des droits étrangers.

Comme le note d'ailleurs votre rapporteur, M. Patrice Gélard, le droit comparé n'est plus seulement un objet de recherche théorique. Il est aussi nécessaire aux praticiens du droit dans une économie de plus en plus globalisée.

Ensuite, la construction européenne requiert la connaissance par les Français et par leurs partenaires de l'Union européenne de leurs droits respectifs.

Enfin, la mondialisation économique implique l'élaboration d'instruments juridiques communs, dont il importe qu'ils ne soient pas essentiellement d'inspiration anglo-saxonne.

Ce qui est en jeu, c'est l'influence internationale du droit français.

Comme vous le savez, M. le Premier ministre, Lionel Jospin, a adressé une lettre de mission au vice-président du Conseil d'Etat sur « l'étude de l'influence du système juridique français ». Il y écrivait : « Le système juridique français a souvent fourni un modèle pour les autres Etats. Le code civil a ainsi inspiré bon nombre de législations étrangères du xixe siècle. Plus récemment, l'influence française a été déterminante sur bien des points lors de la mise en place des institutions communautaires.

« La capacité de la France à exporter des éléments de son système juridique est loin d'avoir disparu... Cependant, le rayonnement de la pensée juridique française et, plus largement, du droit d'inspiration romano-germanique est aujourd'hui moindre que par le passé, alors que le droit constitue de plus en plus un vecteur d'influence économique et qu'il contribue à la diffusion d'un modèle culturel. »

A la suite de cette lettre de mission, l'assemblée générale du Conseil d'Etat a adopté, le 19 juin 2001, une étude publiée sous le titre : « L'Influence internationale du droit français ».

Cette étude commence ainsi : « Le droit français a longtemps rayonné au-delà de nos frontières. Il a servi de référence à de nombreux législateurs étrangers, apporté sa contribution à la création d'un ordre juridique international, formé des générations d'étudiants et d'enseignants du monde entier. Dans les faits, ce statut de "modèle" de notre droit est contesté dans une confrontation qui oppose le système romano-germanique, auquel appartient la France, au système de common law dont l'Angleterre et les Etats-Unis sont les principaux représentants. »

Bref, de nombreux arguments militent aujourd'hui pour le développement des études comparatives.

Notre pays a d'ailleurs toujours excellé dans le droit comparé. De grand universitaires français, d'Edouard Lambert à René David et André Tunc, se sont consacrés à cette discipline.

Aujourd'hui, notre pays compte plusieurs pôles de recherche en droit comparé dans les universités de Paris I, Paris II, Aix-Marseille, Toulon, Bordeaux, Poitiers, Pau et Strasbourg.

Par ailleurs, le CNRS dispose d'un laboratoire propre et soutient des unités de recherche universitaires.

L'unité de recherche la plus importante, comme le souligne votre rapporteur, est l'unité mixte de recherche 135 du CNRS, implantée à la fois dans les locaux de la rue Saint-Guillaume et dans ceux du CNRS à Ivry.

Cette unité regroupe l'institut de droit comparé de Paris-II, l'institut de recherches comparatives sur les institutions et le droit de Paris-I, le centre anglo-américain de Paris-I et la Société de législation comparée, créée dès 1869.

En 1997, un groupement de recherche, ou GDR, a été créé entre le CNRS, diverses universités, le centre français de droit comparé et la Société de législation comparée.

De plus, le ministère de la recherche a créé, en février 2001, une action concertée incitative, ou ACI, visant à promouvoir l'ouverture internationale des sciences humaines et sociales.

Dénommée « Internationalisation des sciences humaines et sociales » et dirigée par le professeur Antoine Lyon-Caen, cette ACI a bénéficié de 6 millions de francs en 2001 et dispose du même montant de crédits pour 2002. Une part importante de ces ressources est allouée au développement des études comparatives.

Il existe donc déjà plusieurs structures consacrées aux études comparatistes. Cette pluralité est une force, mais elle a aussi des limites.

Par conséquent, il semble nécessaire aux auteurs de cette proposition de loi de créer une nouvelle structure qui soit à même de répondre aux besoins croissants, qu'il s'agisse de la recherche, qui leur paraît cloisonnée, de la formation au sein des études de droit ou de la documentation, les fonds étant actuellement dispersés.

A cette fin, une nouvelle initiative doit être prise, afin de nous doter d'un outil efficace et pleinement opérationnel, d'où cette proposition de loi visant à créer une Fondation pour les études comparatives.

La création par voie législative de cette fondation traduit l'engagement des pouvoirs publics, qu'il s'agisse du Parlement ou du Gouvernement, lequel est à l'origine de la mission confiée à M. Lyon-Caen. En 1995, M. Fillon, alors ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, avait déjà créé une commission d'étude sur le développement du droit comparé, présidée par M. Robert Badinter.

La fondation dont la création est proposée aura pour objet de promouvoir la connaissance et les échanges en matière de droit comparé. Quatre objectifs seront visés : la promotion et le développement des études comparatives, la constitution et la valorisation d'un fonds documentaire de référence, le développement de la coopération internationale et la mise en oeuvre d'une politique de formation de haut niveau.

Cette fondation sera une personne morale de droit privé à but non lucratif, bénéficiant d'office de la reconnaissance d'utilité publique.

Cependant, le recours à la loi est nécessaire, car l'organisation et le fonctionnement de cette fondation comportent, de par leur originalité, d'importantes dérogations au droit traditionnel des fondations.

Ainsi, le droit commun des fondations prévoit l'existence d'un conseil d'administration. Craignant que cette structure ne soit trop lourde et peu opérationnelle, les auteurs de la proposition de loi ont retenu une organisation qui évoque davantage le régime juridique des sociétés anonymes administrées par un organe collégial restreint, le directoire, placé sous le contrôle d'un conseil, analogue à un conseil de surveillance.

Ce conseil est composé de représentants du Sénat et de l'Assemblée nationale, de représentants des ministères concernés, des juridictions et des institutions d'enseignement supérieur et de recherche, de représentants des fondateurs, de représentants des personnes ayant procédé à une affectation irrévocable et de personnalités qualifiées.

Pour sa part, le directoire sera composé de deux à cinq personnes choisies par le conseil de la fondation en dehors de son sein. Cet exécutif collégial, désigné par l'organe délibérant et responsable devant lui, assurera l'animation, la direction et la gestion concrète de l'institution.

Autres singularités, la dotation initiale de la fondation sera exclusivement apportée par des fondateurs publics et les ressources de la fondation proviendront, pour l'essentiel, de la contribution des pouvoirs publics. L'Etat et les collectivités publiques pourront également mettre à disposition de la fondation les personnels et les biens nécessaires à l'accomplissement de son objet.

Le Gouvernement, en particulier le ministère de la recherche, qui est à l'origine de la mission confiée à M. Lyon-Caen, apporte naturellement son soutien à cette proposition de loi.

Cette fondation n'aura bien sûr pas pour objet de se substituer à ce qui existe déjà, qui, pour être encore insuffisant, n'en est pas moins très important. Elle doit, au contraire, aider les structures existantes à se développer de façon cohérente et à susciter la création de ce qui fait encore défaut.

Cette fondation devrait permettre de valoriser et de développer les atouts dont notre pays dispose en matière de droit comparé, discipline devenue essentielle pour une France de plus en plus ouverte sur le monde et aux relations extérieures. Elle contribuera à mettre le droit comparé au service des échanges internationaux et à renforcer l'influence internationale du droit français.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais vous présenter un bilan des études comparatives juridiques en France.

Je commencerai par le volet négatif, à savoir la disparition progressive de l'usage du français dans les colloques et dans les congrès internationaux,...

M. Alain Gournac. Malheureusement !

M. Patrice Gélard, rapporteur. ... notamment en ce qui concerne le droit du travail, le droit pénal, le droit administratif et le droit constitutionnel.

M. Alain Gournac. Eh oui !

M. Charles Revet. Dans tous les pays !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà seulement vingt ans, 80 % des communications étaient prononcées en français ; la proportion est maintenant inverse.

M. Michel Charasse. La loi Toubon !

M. Patrice Gélard, rapporteur. En outre, l'usage du français régresse également au sein des académies internationales, qui accueillent chaque année des étudiants venus de tous les horizons. Je pense notamment à l'Académie de droit international de La Haye, où le nombre de communications et de cours faits en français se réduit d'année en année, à l'Académie de droit comparé de Strasbourg ou à Eurorégions à Fribourg, en Suisse. Il n'y a guère que l'Académie internationale de droit constitutionnel de Tunis qui demeure encore très francophone !

De plus, les juristes étrangers sont de moins en moins nombreux à pratiquer notre langue. Autrefois, nos collègues italiens, espagnols, portugais, suisses, belges, canadiens, d'Amérique latine et parfois même d'Extrême-Orient parlaient le français. A l'heure actuelle, nos voisins de langue, à savoir les Italiens, les Espagnols et les Portugais, se mettent progressivement à l'anglais dans tous les colloques internationaux.

L'anglais devient donc la langue internationale du droit. Or le droit que véhicule la langue anglaise n'est pas le nôtre ; c'est le droit de common law, et non pas le droit romano-germanique, écrit, qui repose notamment sur une clarté de la langue juridique que bien des pays nous enviaient jusqu'à présent.

Depuis la fin du xixe siècle, qui a vu la création, sous le Second Empire, de la Société de législation comparée, société savante qui publie toujours la Revue internationale de droit comparé et qui continue à organiser des colloques et des rencontres, on constate que la situation s'est dégradée.

Rappelons à cet égard que c'est la France qui a initié les Japonais au droit, avec le professeur Boissonade, ainsi que la Chine d'après 1911, avec le professeur Escarras, et que, depuis le début du xxe siècle, nous avons élaboré le droit et la constitution d'un nombre considérable de pays,...

M. Michel Charasse. L'Ethiopie !

M. Patrice Gélard, rapporteur. ... en Europe de l'Est ou en Amérique latine, et même de l'Ethiopie, monsieur Charasse !

M. Michel Charasse. Tout le droit y est en français !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Des centaines d'étudiants venaient alors préparer leur doctorat à Paris, à Lyon ou à Marseille : lorsqu'ils étaient docteur en droit des universités françaises, ils devenaient automatiquement professeur de droit dans leurs propres universités. C'est ainsi que, en Roumanie, en Grèce, en Yougoslavie, au Chili, au Brésil, au Mexique et dans bien d'autres pays, tous les professeurs de droit étaient francophones !

C'est également à cette époque que l'on a créé, à Lyon, l'institut de droit comparé, dirigé par les professeurs Patouillet et Lambert, qui savaient, aux alentours des années vingt, traduire les codes de tous les pays voisins. Dans l'immédiat après-guerre, de remarquables comparatistes comme René David - je vous conseille de relire son excellent ouvrage intitulé Mémoires d'un comparatiste, qui est son testament - André Tunc ou André Puget, conseiller d'Etat qui était en même temps agrégé de droit, ont formé des générations de jeunes universitaires et chercheurs non seulement français mais également étrangers, venus de très nombreux pays.

Ensuite, il convient de rappeler la création, au début des années cinquante, du Centre français de droit comparé, que nous cherchons d'ailleurs, en quelque sorte, à recréer aujourd'hui.

Ce centre regroupait, à l'origine, quatre institutions : la Société de législation comparée, qui vit toujours et dont j'ai parlé à l'instant, l'institut de droit comparé, devenu l'institut de droit comparé de Paris II, le laboratoire de recherche juridique comparative, qu'évoquait tout à l'heure M. le ministre, qui fonctionne à la fois à Ivry-sur-Seine et rue Saint-Guillaume. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à un certain nombre de chercheurs tout à fait remarquables de ce laboratoire : le professeur Michel Lesage, Mmes Nadine-Marie Schwartzenberg et Chantal Kourilsky, pour ne citer qu'eux, qui ont joué un rôle irremplaçable dans le domaine des relations entre la France et les pays d'Europe de l'Est.

Il convient également de rappeler que, au sein du Centre français de droit comparé, existait un centre de recherche du ministère de la justice, disparu voilà maintenant une trentaine d'années et qui disposait d'un fonds documentaire exceptionnel. Le Centre français de droit comparé a publié pendant très longtemps un annuaire de législation étrangère et comparée, qui a malheureusement cessé de paraître, le CNRS ayant supprimé les crédits alloués à cette publication à caractère international.

Par ailleurs, d'autres centres importants n'existent plus aujourd'hui. Ainsi, le centre de recherche de Strasbourg, qu'avaient créé le regretté professeur Mouskhely et le professeur Lavigne, a été fermé voilà un an. De même, le centre de recherche de l'Institut international d'administration publique a été annexé ou phagocyté par l'Ecole nationale d'administration.

M. Michel Teston. Hélas !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je crains que les recherches qui y étaient menées auparavant ne soient profondément dénaturées.

Au moment de la décolonisation, dans les années soixante, une politique de coopération internationale tout à fait exceptionnelle a été conduite. Il suffit de rappeler, à cet égard, le nombre considérable de professeurs de droit prêtés pour deux, trois ou quatre ans à de nombreuses universités africaines - Dakar, Abidjan, Tananarive, Rabat, Alger, Tunis... - voire aux universités de Beyrouth, du Caire ou de Kaboul, où des professeurs français ont créé la faculté de droit. Par ailleurs, la faculté de Phnom Penh a fonctionné jusqu'en 1975 grâce notamment à des universitaires profondément attachés à la présence de la France en Extrême-Orient.

A cette époque, vos prédécesseurs, monsieur le ministre, disposaient chaque année de plusieurs centaines de bourses de doctorat. Malheureusement, au fil du temps, la proportion de bourses que vous pouvez accorder à des doctorants étrangers se réduit comme peau de chagrin, et les crédits destinés à l'organisation de colloques, de congrès, de rencontres ou de symposiums diminuent.

A l'heure actuelle, le Centre français de droit comparé existe, certes, sur le papier, mais non dans les faits. En effet, des rivalités se sont fait jour, lors de l'éclatement de l'université de Paris, entre Paris-I et Paris-II, ce qui est très regrettable, chacun de ces établissements revendiquant l'héritage.

Bien sûr, l'éminente Société de législation comparée mérite toute notre attention et tout notre respect en raison de l'action considérable qu'elle a su déployer au long de plus d'un siècle d'existence. Cependant, il s'agit d'une société savante, qui ne dispose pas de réels moyens pour mener la recherche, bien qu'elle soit dotée de quelques crédits pour organiser des rencontres, des colloques ou des journées de travail avec des spécialistes d'autres pays.

Comme l'a indiqué M. le ministre, quatorze centres de recherche font actuellement du droit comparé au sein des universités françaises ; mais ils ressemblent à de petits instituts issus du xixe siècle aux ressources fort limitées.

Ainsi, les moyens dont dispose maintenant l'université de Bordeaux-IV, qui accueille le grand centre d'étude de l'Afrique noire, n'ont cessé de décroître. Ce centre ne peut plus envoyer un nombre suffisant de professeurs en Afrique pour y assurer la présence française ni octroyer des bourses en quantité satisfaisante aux doctorants étrangers.

Je tiens, à cet instant, à rendre hommage à l'université de Pau et des pays de l'Adour, où fonctionne le seul centre menant des recherches sur l'Espagne, l'Amérique latine et le Portugal, avec des moyens certes limités, mais grâce à une équipe exceptionnelle.

Je pourrais citer aussi le travail accompli par l'institut de droit comparé de Paris, qui maintient la tradition, mais demeure un établissement essentiellement parisien. On y prépare d'ailleurs l'un des rares doctorats de droit comparé de notre pays, qui ne compte, à ma connaissance, que trois universités proposant un diplôme d'études approfondies de droit comparé, ce qui est notoirement insuffisant.

Je pourrais également citer l'université d'Aix-Marseille, avec ses laboratoires exceptionnels de recherche en droit constitutionnel comparé et la présence éminente de Louis Favoreu, véritable commis voyageur du droit français sur les cinq continents.

C'est d'ailleurs dans le cadre de ces groupes de recherche qu'a été créée la coordination du CNRS visant à regrouper les dix-huit laboratoires de droit comparé. Cette coordination a été successivement présidée par M. Franck Moderne, qui a créé et animé le centre de Pau avant d'être nommé à Paris-II, M. Etienne Fatome, qui a travaillé au ministère pendant de nombreuses années, et, enfin, M. Jean du Bois de Gaudusson. Tous trois m'ont fait part du soutien total qu'ils apportent à la création de la fondation.

M. Jean-François Picheral. Très bien !

M. Patrice Gélard, rapporteur. A leurs yeux, le seul moyen de survie des laboratoires de recherche, c'est de les mettre en réseau et de les doter d'un centre de coordination actuellement inexistant.

D'autres travaillent de manière individuelle ; ils constituent des îlots isolés. Parmi ceux-ci, il convient de mentionner les bibliothèques, notamment la bibliothèque inter-universitaire Cujas, qui dispose, dans le domaine du droit comparé, d'un certain nombre de documents, surtout si elle est mise en réseau avec les bibliothèques du Centre français de droit comparé, de l'Institut de droit comparé, voire de la Fondation nationale des sciences politiques, auxquelles j'ajouterai la Documentation française. Sans oublier les bibliothèques de l'Assemblée nationale et du Sénat qui, sur l'initiative d'un certain nombre d'administrateurs de ces deux chambres, ont su développer, au cours des dernières années, des activités assez remarquables de connaissance des droits des pays étrangers.

J'en viens à l'action d'une association dont la création est due à l'initiative de M. Badinter. Je veux parler d'ACOJURIS, l'agence de coopération juridique internationale. Son seul petit défaut est d'être presque essentiellement parisienne (M. Badinter opine) mais elle joue un rôle important, notamment auprès des professions judiciaires, telles que les avocats, les notaires et les huissiers. Elle met en place des actions de formation et de coopération avec certains pays étrangers. Je citerai l'action qui a été menée en faveur des notaires russes et l'adoption de la loi sur le notariat russe, qui est imitée du système français avec un peu de poivre et de sel allemands, ou plus exactement alsaciens et mosellans.

M. Jean-Louis Lorrain. Ce n'est pas pareil !

M. Alain Gournac. Ce n'est pas le même sel ! (Sourires.)

M. Patrice Gélard, rapporteur. En fait, c'est plutôt alsacien et mosellan. Une véritable harmonie a ainsi été créée entre Paris et l'Oural.

Enfin, il faut citer l'action du Parlement, en particulier celle du Sénat, puisque c'est notre maison, où une politique de présence considérable a été menée à l'échelon international par les présidents Poher et Monory puis par le président Christian Poncelet. L'action menée est remarquable. Elle s'est notamment manifestée lors de la tenue des sénats du monde, l'année dernière.

Il convient également de citer d'autres actions. Je pense aux colloques sur un certain nombre de pays qui ont lieu régulièrement ici. Je pense également à la place du Sénat dans des programmes internationaux d'aide et d'assistance technique ; je veux parler de l'ingénierie parlementaire apportée à un certain nombre de pays par l'envoi, notamment, de quelques-uns de nos administrateurs. Il s'agit d'un travail remarquable, qui doit être poursuivi.

Je rappelle à cet égard le discours du président Poncelet à l'occasion du renouvellement du Sénat, dans lequel il insistait sur la nécessité de développer les relations internationales et de renforcer le rôle du Sénat dans ce domaine.

Tout cela est bien mais insuffisant face aux gigantesques machines allemande, américaine ou britannique. A l'heure actuelle, nous avons en effet face à nous, dans l'ingénierie juridique, de véritables industriels. En réalité, nous sommes capables de mettre en face seulement quelques « boutiques » d'artisans performants. C'est un vrai problème.

M. Robert Badinter. C'est exact !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Que peut-on faire, par exemple, face au Max-Planck-Institute ou à la fondation Soros ? Rien, parce que nous n'avons pas eu le courage, en France, d'adopter une véritable loi sur les fondations, qui permettrait de fonctionner dans les mêmes conditions qu'aux Etats-Unis.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous ne sommes pas suffisamment présents dans les programmes européens. Si le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la recherche n'ont plus les moyens dont ils disposaient voilà une vingtaine d'années, c'est parce que les crédits sont devenus des crédits européens. Or, en l'occurrence, nous ne sommes pas bons, car nous ne disposons pas de l'ingénierie locale nous permettant de soumissionner avec suffisamment de poids et d'atouts auprès des instances internationales. Ainsi, nous sommes de plus en plus écartés des programmes TACIS, PHARE et même des petits programmes ERASMUS, SOCRATES ou autres.

En effet, nous ne faisons plus le poids. Tout est centralisé à Turin. Or il n'y a pas de fonctionnaires français à Turin, et tout doit se faire en anglais. Si donc on ne noue pas des liens d'amitié et si l'on ne crée pas des réseaux avec ces fonctionnaires européens, nous n'obtiendrons rien. C'est là un véritable problème. Il faut réaffirmer notre présence au sein des instances européennes et faire en sorte que nous soyons à armes égales avec nos concurrents anglo-saxons et allemands.

J'ai été amené à collaborer au programme international TACIS sur une révision de constitution. Il fallait des experts de plusieurs pays, et un cabinet américain m'a appelé. Il avait obtenu des crédits européens, car celui qui avait réussi à avoir le programme était un cabinet britannique dont le collaborateur habituel était un américain. Voilà à quoi on aboutit si aucune structure ne nous permet de faire face à ce type de difficulté !

J'ajoute que nous ne sommes pas suffisamment en mesure de répondre à la demande de nos partenaires latino-américains, africains, asiatiques et européens de l'Est. Je prends un simple exemple. Il existe, à Moscou, une faculté de droit exceptionnelle par la qualité des enseignements qui y sont donnés. Cette faculté pratique une très sévère sélection à l'entrée, qui rappelle, dans une certaine mesure, la réforme des études de Sciences-Po Paris. Cette faculté de droit est obligatoirement trilingue : le russe, l'anglais, l'allemand ou le français. Or, sur 100 étudiants, 85 choisissent l'allemand et 15 le français. Nous n'arrivons pas à lui envoyer les professeurs qu'elle nous demande. En effet, ces derniers sont pris en charge sur place, mais la faculté ne paie pas le transport.

En revanche, les Allemands envoient chaque année pendant quinze jours huit professeurs qui font les cours en allemand. Ils vont plus loin : ils organisent pendant un mois, en juillet, l'accueil des étudiants germanophones. Nous ne sommes pas capables de faire de même. En effet, nos universités sont fermées en juillet. Nous ne sommes donc pas capables d'accueillir pendant un mois,...

M. Alain Gournac. Eh oui !

M. Patrice Gélard, rapporteur. ... parce que nous n'avons pas les moyens nécessaires, les étudiants venant du monde entier, alors qu'il faudrait le faire.

Récemment, j'ai lu un article dans lequel il était précisé que la fermeture d'un certain nombre de nos universités devrait être fonction de la diminution du nombre des étudiants. Le président de l'université de La Rochelle disait que, s'il ne recevait pas 30 % d'étudiants étrangers, il serait obligé de réduire son activité.

Nous avons le besoin, la nécessité, le devoir d'accueillir de façon croissante les étudiants étrangers dans nos universités, dans nos doctorats, dans nos entreprises en tant que stagiaires. C'est comme cela que l'on créera des réseaux et que l'on maintiendra la présence française dans le monde, notamment dans le monde juridique.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je conclurai en reprenant ce que M. le ministre a dit tout à l'heure et sans insister sur le contenu du texte.

On nous propose de créer une fondation originale, qui sera subventionnée par des fonds publics, notamment par des fonds d'Etat. A cet égard, je voudrais faire une incidente. Il s'agit d'un point sur lequel il convient de s'arrêter un instant.

Effectivement, le Sénat, comme l'Assemblée nationale, sera représenté au sein du conseil de surveillance. Je rassure cependant mes collègues : cela ne signifie pas que nous sommes liés par ce texte à financer cette fondation. Nous sommes liés par l'ordonnance organique relative aux lois de finances et par l'autonomie financière des assemblées. En effet, une loi ordinaire ne peut pas imposer des contraintes financières au Sénat ou à l'Assemblée nationale.

M. Michel Charasse. Très bien !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ces problèmes financiers, ce sera une autre affaire. Le Sénat - je me tourne vers M. Charasse - n'a pas d'obligation en ce qui concerne le financement de la fondation qui sera créée par le présent texte et les modalités de financement seront déterminées ultérieurement au sein du conseil de surveillance.

M. Michel Charasse. J'en prends acte !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je rappelle brièvement les objectifs de la fondation.

Il s'agit, d'abord, de développer les études comparatives. Nous sommes d'accord sur ce point : il n'est pas question de remettre en cause les DEA existants et les enseignements rarissimes de droit comparé dans nos universités. Une rapide étude montre qu'une faculté de droit sur six propose un enseignement de droit comparé. Ailleurs, c'est le désert. En effet, la plupart du temps, les étudiants en droit ne pratiquent pas suffisamment les langues étrangères. Il faudrait que l'enseignement des langues devienne une habitude. Je ne parle pas seulement de l'anglais. Ne pas parler anglais, c'est être aveugle. Mais ne parler que l'anglais, c'est être borgne. Il est donc préférable de connaître deux langues étrangères, voire trois, si possible.

Le deuxième objectif de cette fondation est de valoriser les fonds documentaires, dont on doit pouvoir disposer grâce aux réseaux informatiques. Que l'on habite Montpellier, Strasbourg ou Lille, on pourra ainsi immédiatement se connecter avec le fonds documentaire du centre de recherche.

Il faut aussi développer la coopération internationale. En effet, lorsqu'on fait du droit comparé, on ne peux pas ne pas développer la coopération internationale. On ne peut pas faire une thèse de droit comparé si l'on ne va pas voir sur place ce qui se passe. On ne peut pas prétendre organiser un DEA de droit comparé si l'on n'invite pas un certain nombre de professeurs à venir dispenser leurs connaissances. En fait, il faut mettre en place un véritable réseau des comparatistes. Ce sera le but de cette fondation. Le premier objet du directoire sera de négocier avec toutes les institutions existantes des conventions de partenariat, de façon que toutes les énergies aillent dans le même sens, à savoir la présence du droit français dans le monde.

Je ne reviens pas sur le conseil de surveillance ni sur le directoire, dont on a parlé. S'agissant du conseil de surveillance, je suggérerai que, dans le projet de décret, les universitaires ne soient pas désignés par la conférence des présidents.

En effet, cette dernière ne compte, à l'heure actuelle, que trois présidents juristes, les autres étant des scientifiques, des médecins et des littéraires. Il me semblerait plus logique qu'ils soient désignés par la coordination du CNRS des laboratoires de recherche comparative.

Par ailleurs, je souhaite que la représentation des universitaires - on peut la compléter par des experts - soit plus équilibrée. Pour l'instant, elle comporte trois membres. On pourrait prévoir que les chercheurs soient considérés comme étant des universitaires.

Je ne reviens pas sur les modalités de financement de la fondation. J'espère vous avoir rassurés en disant que cette proposition de loi n'engage pas financièrement le Sénat.

M. Michel Charasse. Ni l'Assemblée nationale !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cette question sera examinée plus tard, dans le respect des lois, de la loi organique et de l'autonomie financière du Sénat.

J'en viens aux critiques qui peuvent être formulées à l'encontre de ce texte.

La première est liée à l'impérialisme de cette fondation. En effet, les « petites boutiques » qui fonctionnent craignent d'être perdantes avac la mise en place de ce dispositif. Au contraire, on va créer des réseaux de comparatistes, qui n'existent pas à l'heure actuelle et qui auront une structure de référence, une image de marque et un label qui sera connu dans le monde entier.

La deuxième critique est de savoir si la création de la fondation ne se fera pas au détriment des institutions qui, à l'heure actuelle, répondent à des programmes de la Banque mondiale, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ou de l'Union européenne. Non ! Comme je l'ai dit tout à l'heure, le marché est si grand et nous sommes tellement absents que, si nous obtenons deux ou trois marchés supplémentaires grâce à la fondation, tant mieux ! Là, on ne fera de concurrence à personne.

Le réseau ACOJURIS, qui réunit des avocats, des notaires et des membres de professions judiciaires, est utile. Mais on ne peut pas envisager la création d'une fondation des études comparatives en restant au niveau des facultés de droit, car c'est l'ensemble des professions juridiques qui est concerné.

La fondation aura aussi pour objectif la mise en oeuvre des formations de haut niveau. Certes, ACOJURIS et les diplômes d'études approfondies offrent des formations très ciblées. Mais est-il normal que, dans un pays comme la France, nous ne disposions pas des moyens suffisants pour connaître et suivre les transformations juridiques intervenues aux Etats-Unis, par exemple ? Nous avons certes quelques chercheurs isolés, ici ou là, mais il nous faut dynamiser, amener tout le monde à coopérer dans la même institution.

Cette fondation vient à temps pour endiguer la disparition de la présence française internationale en matière juridique. Il est nécessaire de la mettre en place afin de faire en sorte que le droit français, qui a des qualités considérables, qui est reconnu comme tel dans le monde entier, soit en fin de compte toujours présent et ne soit pas écrasé par des juristes de common law qui, contrairement à nous, disposeraient de moyens.

Ne perdez pas de vue la place capitale du droit dans la lutte difficile qui s'engage au xxie siècle, dans la mondialisation, dans les affaires ! Les juristes sont le point de départ de tous les échanges internationaux. Par conséquent, si nous sommes absents du domaine juridique, nous serons absents de la grande compétition internationale qui s'ouvre devant nous ; mais, si nous sommes présents, nous amènerons alors avec nous les valeurs que nous véhiculons en droit depuis la Révolution française.

C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous demande de voter conforme le texte qui nous est transmis par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)