SEANCE DU 9 JANVIER 2002
M. le président.
L'amendement n° 465, présenté par Mmes Mathon et Borvo, M. Bret et les membres
du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 2141-1 du code général des collectivités territoriales est
ainsi rédigé :
«
Art. L. 2141-1
. - Les habitantes et habitants de la commune doivent
être informés des affaires de celle-ci. A cette fin, la commune réunit
régulièrement ses habitantes et ses habitants, elle crée des structures leur
permettant de faire des propositions et de prendre des initiatives, de
contrôler et d'évaluer la mise en oeuvre des décisions prises. La forme de ces
structures et leurs modalités de fonctionnement est décidée par le conseil
municipal après consultation des habitantes et habitants. Le droit des
habitantes et habitants de participer à la vie démocratique est un principe
indissociable de la libre administration des collectivités territoriales. Il
s'exerce dans toutes les communes, sans préjudice des dispositions en vigueur
relativement notamment à la publicité des actes des autorités territoriales
ainsi qu'à la liberté d'accès aux documents administratifs. »
La parole est à Mme Mathon.
Mme Josiane Mathon.
En proposant une nouvelle rédaction pour l'article L. 2141-1 du code général
des collectivités territoriales, nous avons souhaité préciser les modalités
d'association des habitants à la prise et au contrôle des décisions, ainsi que
leurs pouvoirs d'initiative.
Comme nous l'avons déjà dit, nous considérons que tous les citoyens, où qu'ils
soient, doivent pouvoir participer activement à la vie locale.
Dans le projet de loi dont nous débattons, il est proposé, pour l'instauration
des conseils de quartier, un seuil de 50 000 habitants. Des amendements visent
à revenir au seuil de 20 000 habitants, fixé dans le texte initial. Quoi qu'il
en soit, ces seuils nous semblent nettement trop élevés si l'objectif de la loi
est bien de renforcer la participation de tous les citoyens aux affaires de la
cité. De nombreuses communes seront en effet exclues de son application.
Aussi, nous avons voulu que la loi affirme d'emblée quelques principes qui
puissent s'appliquer à toutes les communes, à tous les citoyens. Ces principes
permettraient aux habitants d'être associés aux décisions, d'avoir un droit
d'initiative, de contrôle, d'évaluation. Ils permettraient d'offrir aux élus
des références sur cette question extrêmement importante de la démocratie
participative, sans chercher à corseter quoi que ce soit et en conservant donc
une certaine souplesse.
Avec cet amendement, nous entendons permettre la démocratie locale,
participative, sur l'ensemble du territoire national.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
La
commission émet un avis défavorable. En effet, cet amendement n'apporte rien de
nouveau en matière d'information et de participation des habitants. En
revanche, son adoption introduirait, à travers le concept d'« habitants », une
différence par rapport à la situation existante, fondée, quant à elle, sur les
électeurs.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Madame la sénatrice, les textes en vigueur,
comme le présent projet de loi, aboutissent à la création - facultative ou
obligatoire selon les cas - de comités consultatifs, de conseils de quartier,
de commissions consultatives des services publics locaux et de missions
d'information et d'évaluation.
Le Gouvernement pense que la charge ainsi imposée est nécessaire mais aussi
suffisante. Il n'est donc pas favorable à l'obligation faite aux communes de
créer de façon générale des structures de proposition et de contrôle qu'elles
devraient obligatoirement réunir de façon régulière pour rendre compte de leur
activité.
Cette mesure introduirait une rupture de l'équilibre entre la démocratie
représentative et la démocratie participative, contraire au principe de libre
administration des collectivités locales.
En conséquence, je souhaite soit le retrait de l'amendement - formule que je
préférerais bien évidemment -, soit son rejet.
M. le président.
Madame Mathon, l'amendement n° 465 est-il maintenu ?
Mme Josiane Mathon.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 465, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 466, présenté par Mmes Beaufils, Borvo et Mathon, M. Bret et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Les articles L. 2142-1 à L. 2142-8 du code général des collectivités
territoriales sont ainsi rédigés :
«
Art. L. 2142-1. -
Les électeurs de la commune, du département, de la
région ou des territoires peuvent être consultés sur les décisions que
respectivement les autorités municipales, départementales, régionales ou
territoriales sont appelées à prendre pour régler les affaires de leur
compétence. La consultation peut ne concerner que les électeurs d'une partie de
la commune, du département, de la région ou du territoire pour des affaires
intéressant spécialement cette partie du territoire concerné.
«
Art. L. 2142-2. -
Sur propositions respectivement du maire, du
président du conseil général ou du conseil régional, ou sur demande écrite du
tiers des membres du conseil municipal, pour les communes de 3 500 habitants et
plus, ou du tiers des membres du conseil général, régional, ou de l'assemblée
territoriale ou pour des communes de moins de 3 500 habitants, sur demande
écrite de la majorité des membres du conseil municipal, l'assemblée élue
délibère sur l'organisation de la consultation dans le territoire de sa
compétence. Dans ce cas, l'urgence ne peut être invoquée.
« La délibération qui décide la consultation indique expressément que cette
consultation n'est qu'une demande d'avis.
«
Art. L. 2142-3. -
Un cinquième des électeurs inscrits sur les listes
électorales peut saisir le conseil municipal, l'assemblée départementale,
régionale ou territoriale en vue de l'organisation d'une consultation sur une
opération d'intérêt général relevant de la décision des autorités municipales,
départementales, régionales ou territoriales.
« Dans l'année, un électeur ne peut signer qu'une seule saisine tendant à
l'organisation d'une consultation.
« Cette saisine ne peut intervenir avant la fin de la deuxième année ni après
la fin de la quatrième année suivant l'élection de l'assemblée de la commune,
du département, de la région et du territoire concerné.
« La consultation est également précédée du débat public prévu à l'article L.
2142-2.
« L'assemblée délibère sur l'organisation de cette consultation.
« La délibération qui décide la consultation indique expressément que cette
consultation n'est qu'une demande d'avis.
«
Art. L. 2142-4.
- Après délibération du conseil municipal, du conseil
général ou du conseil régional ou de l'assemblée territoriale, le maire, le
président du conseil général ou le président du conseil régional ouvre un débat
public sur la délibération qui est destinée à être soumis à la consultation
décrite aux articles précédents.
« Un commissaire de la consultation est nommé par le maire, le président du
conseil général, du conseil régional ou de l'assemblée territoriale ainsi
qu'une commission de la consultation.
« La durée de ce débat ne peut être inférieure à un mois.
« Au cours de ce débat, la population peut formuler des observations sur des
registres ouverts à cet effet.
« La publicité de la délibération soumise à débat est organisée par l'autorité
territoriale concernée dans la semaine qui précède le débat.
« Un dossier d'information sur l'objet de la consultation est mis à la
disposition du public sur place dans la ou les mairies de l'espace géographique
concerné et, le cas échéant, aux mairies annexes ou aux mairies
d'arrondissement, quinze jours au moins avant le scrutin. L'accès du public au
dossier est assuré dans les conditions fixées par l'article 4 de la loi n°
78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations
entre l'administration et le public.
« Dans un délai d'une semaine, suivant la fin du débat, le commissaire à la
consultation établit un rapport relatant le débat.
« Ce rapport est présenté à l'assemblée délibérante concernée.
«
Art. L. 2142-5.
- Après avoir pris connaissance du résultat de la
consultation, l'assemblée délibère dans les conditions prévues aux articles L.
2121-20 et L. 2121-21.
«
Art. L. 2142-6.
- Aucune consultation ne peut avoir lieu à partir du
1er janvier de l'année civile qui précède l'année du renouvellement général des
conseils municipaux, généraux, régionaux ou assemblée territoriale, ni durant
les campagnes électorales précédant les élections au suffrage universel direct
ou indirect. Deux consultations portant sur un même objet ne peuvent intervenir
dans un délai inférieur à deux ans.
« Un délai d'un an doit s'écouler entre deux consultations.
«
Art. L. 2142-7.
- Lorsque l'élection du conseil municipal ou du
maire, du conseil général ou du Président du conseil général, du conseil
régional ou du président du conseil régional ou de l'assemblée territoriale,
fait l'objet d'un recours contentieux devant le tribunal administratif et, s'il
y a lieu, devant le Conseil d'Etat, aucune consultation ne peut avoir lieu tant
que cette élection n'a pas fait l'objet d'une décision devenue définitive.
«
Art. L. 2142-8.
- Un décret en Conseil d'Etat détermine les
conditions d'application du présent chapitre. »
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Nous saisissons l'opportunité offerte par ce débat pour poser publiquement la
question de la consultation des populations dans les différentes collectivités
territoriales.
Comment, en effet, évoquer la démocratie de proximité sans élaborer un
processus de participation des citoyens aux décisions, qu'elles soient prises
au niveau communal, au niveau départemental ou au niveau régional ?
En effet, s'il est un constat largement partagé, c'est bien celui de la crise
de la population de notre pays à l'égard de la politique ou plutôt d'une
manière de faire de la politique.
Le référendum sur le quinquennat, mais aussi, de manière moins spectaculaire,
l'ensemble des dernières élections auront été sujets à abstention forte ou
croissante, ce que je soulignais tout à l'heure dans mon intervention.
Nos concitoyens s'interrogent fortement sur le moyen de peser sur les
décisions et de faire prendre en compte leurs opinions, souhaits ou
exigences.
La mondialisation de l'économie, l'accélération de l'intégration européenne,
mais aussi les progrès parfois vertigineux de la science et des technologies
accentuent ce sentiment de l'élargissement du fossé entre l'individu, les
collectivités et les centres de pouvoirs réels.
Les auteurs de cet amendement n'ont, bien entendu, pas l'ambition de régler
cette question historique que pose l'évolution de la démocratie dans ce
contexte.
Ils cherchent modestement à contribuer à retisser le lien entre le citoyen et
l'institution, entre le citoyen et la vie politique, en permettant, par un
développement de la démocratie participative, l'expression plus fréquente de la
volonté populaire.
L'objet de cet amendement est, en effet, d'étendre aux départements et aux
régions la procédure de consultation des habitants existant à l'échelon
communal et prévue par les articles L. 2142-1 et suivants du code général des
collectivités territoriales.
Les auteurs suggèrent par ailleurs d'améliorer la procédure actuelle, à
l'occasion de cette extension, afin d'éviter toute manipulation plébiscitaire
par l'utilisation de questionnements par trop simplifiés.
Ils proposent ainsi d'instaurer une procédure de débat public préalable à
l'organisation de la consultation qui permette, à l'instar des procédures
d'enquête dans le cadre des règles d'urbanisme, de définir démocratiquement les
enjeux et la portée du processus et de parvenir à une élaboration collective de
la question ou des questions posées.
Cette disposition, qui avait fait l'objet d'une proposition de loi déposée par
les députés communistes et apparentés, aurait par exemple permis de consulter
les Corses sur l'avenir du statut de leur région. Chacun a pu constater et
regretter, tout au long de cette discussion, la mise à l'écart des premiers
concernés : les habitants de l'île.
(M. Charasse s'exclame.)
Cet amendement important a toute sa place dans le projet de loi. Il rappelle
que la démocratie doit être non pas simplement horizontale, mais aussi
verticale.
Nous vous proposons, mes chers collègues, de débattre de ce texte et, bien
entendu, de l'adopter.
M. Michel Charasse.
La démocratie, cela consiste aussi à aller voter !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
La commission émet un avis défavorable, pour des raisons de
fond évidentes mais également pour des raisons formelles puisque le présent
amendement tend à modifier la partie du code général des collectivités
territoriales relative aux communes.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
L'extension aux départements et aux régions de
la possibilité de procéder à la consultation des électeurs, comme cela est
prévu au niveau communal, ne peut être envisagée.
La consultation des électeurs organisée par les communes en application des
articles L. 2142-1 et suivants du code général des collectivités territoriales
nécessite la mise en oeuvre de moyens, tels que les bureaux de vote, que seules
les communes détiennent à l'heure actuelle. Si les maires, en tant qu'agents de
l'Etat, sont tenus d'organiser les élections, le département et la région n'ont
pas le pouvoir d'imposer aux maires d'organiser à leur profit une consultation
des électeurs.
De plus, et surtout, la conformité à la Constitution de telles pratiques me
paraît poser de sérieuses difficultés, car une telle mesure conduirait à
distinguer des parties du peuple français. C'est d'ailleurs l'argumentation qui
avait été développée ici même, lors de la discussion du projet de loi sur la
Corse, à propos de la consultation que vous souhaitiez et dont j'avais dit que
le Gouvernement n'avait rien à craindre.
Suivant la même logique, j'émets un avis défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 466, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 420 rectifié, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon,
Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et
Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar,
Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Les étrangers résidant en France depuis au moins cinq ans ont le droit de
vote et d'éligibilité aux élections municipales. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Mon amie Josiane Mathon l'a indiqué d'emblée lors de la discussion générale :
comment peut-on débattre de démocratie de proximité si une part importante de
la population de nos villes, de nos quartiers est écartée de l'exercice premier
de la citoyenneté, c'est-à-dire du droit de vote ?
Depuis 1992, en effet, le principe du droit de vote aux élections municipales
a été retenu pour les étrangers ressortissants d'un Etat membre de l'Union
européenne.
Les sénateurs communistes, de nombreuses associations et personnalités se sont
émus, alors, de la mise à l'écart de la population originaire des autres pays
du monde.
Une distinction était ainsi créée entre les travailleurs algériens, tunisiens
ou marocains, participant depuis des décennies au développement de la France
par leur travail, et leurs collègues ou voisins d'origine portugaise, espagnole
ou grecque.
Cette discrimination - certains ont parlé d'« euroracisme » - est porteuse,
selon moi, d'une remise en cause de l'intégration, y compris des jeunes
générations. Parmi d'autres éléments, le fait d'avoir toujours vécu l'exclusion
du système démocratique de leurs parents n'a pu avoir que des conséquences
négatives sur le rapport de jeunes Français issus de l'immigration aux
institutions de notre pays.
La proposition des sénateurs communistes d'accorder le droit de vote aux
étrangers résidant en France depuis cinq ans est une proposition déjà ancienne.
Les difficultés grandissantes auxquelles sont confrontées nombre de communes,
notamment de communes urbaines, la violence croissante dans les quartiers
populaires, le sentiment d'insécurité ressenti de plus en plus fortement par la
population renforcent la nécessité de créer les conditions d'une participation
de toute la population des communes à la vie de la cité, à la politique.
Avec mes amis, je saisis l'occasion offerte par ce débat sur la démocratie de
proximité pour poser sans ambiguïté la question du droit de vote de tous les
étrangers aux élections municipales.
Nous proposons que ce droit de vote soit accompagné d'un droit d'éligibilité,
droit qui ne concernerait pas, dans notre esprit, les postes d'exécutif
municipal.
Nous saisissons cette occasion avec d'autant plus de conviction que, le 5 mai
2000, une proposition de loi en ce sens a été adoptée par l'Assemblée
nationale. Depuis, ni la majorité sénatoriale - cela est-il étonnant de la part
de la droite parlementaire ? - ni le Gouvernement - ce qui est paradoxal -
n'ont souhaité continuer le débat au Sénat.
La France n'échappera pas à cette question : peut-on écarter des milliers de
personnes qui enrichissent notre pays sur le plan économique, mais aussi
culturel, de la citoyenneté sur le plan local ? Peut-on continuer à le faire
sans élargir le fossé entre les populations, entre les quartiers ?
Voilà de grandes questions qui exigent que chacun prenne ses responsabilités.
C'est pourquoi nous demandons que cet amendement soit voté par scrutin
public.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement,
car le problème du vote des étrangers non communautaires aux élections
municipales doit être précédé d'une révision constitutionnelle. C'est dans ce
contexte que, le cas échéant, le débat de fond pourrait avoir lieu.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, avant d'en venir à une
argumentation juridique qui me conduira à m'opposer à l'amendement proposé, je
veux dire clairement que, sur le plan politique, le Gouvernement est favorable
à la capacité donnée aux étrangers, dans certaines conditions de régularité et
de durée de séjour, de voter aux élections locales, car c'est un élément parmi
d'autres susceptible de favoriser leur intégration. J'ai bien dit : « un
élément parmi d'autres », car, s'il suffisait que, pour s'intégrer, les
étrangers puissent voter, je crois que ce débat, que nous menons depuis
longtemps, aurait abouti.
Au demeurant, cet élément concourrait sans doute à la reconnaissance des
étrangers et à leur faculté d'intégration dans notre société. C'est pourquoi le
Gouvernement y est favorable, comme d'ailleurs la majorité à l'Assemblée
nationale, qui a voté pour la proposition de loi que vous avez évoquée.
Cela étant, quand on défend un objectif, il faut se donner les moyens de
l'atteindre, sans prendre le risque de le faire battre.
Or, sur les plans juridique et constitutionnel, les conditions ne sont
actuellement pas réunies. Les conditions politiques ne le sont pas non plus,
sauf à ce que, lors du vote qui va intervenir tout à l'heure, la démonstration
du contraire soit faite.
Les conditions politiques et juridiques n'étant pas réunies, le Gouvernement
n'a pas inscrit la proposition de loi dont vous parliez à l'ordre du jour
prioritaire du Sénat. Cette question devra faire l'objet d'un débat au sein de
la société de manière que, le moment venu, le vote des étrangers puisse avoir
lieu sous une forme quelconque. Je pense que ce pourrait être par le biais d'un
projet de loi.
Monsieur le sénateur, dois-je vous rappeler que, s'agissant d'une proposition
de loi, d'initiative parlementaire par définition, la sanction définitive ne
pourrait intervenir que par...
M. Michel Charasse.
Référendum !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
En effet !
Quoi qu'il en soit, l'adoption de l'amendement en discussion nécessiterait une
révision de la Constitution, ce qui suppose un vote conforme des deux
assemblées et donc un large accord politique. Comme je l'ai indiqué tout à
l'heure, je ne crois pas que cet accord existe actuellement.
Diverses propositions de loi constitutionnelles ont été déposées et débattues
à l'Assemblée nationale, déjà en 1999 et, vous l'avez rappelé, en 2000. La
seule proposition de loi constitutionnelle qui a été adoptée par l'Assemblée
nationale, dans sa séance du 3 mai 2000, est celle qui visait à accorder le
droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non
ressortissants de l'Union européenne résidant en France.
Je le répète, d'un point de vue juridique, cet amendement n'a pas sa place
dans un projet de loi simple et doit être déclaré irrecevable.
Je comprends fort bien le problème politique que vous avez posé, monsieur
Bret. J'y ai répondu favorablement, mais il me paraît difficile d'insérer la
disposition que vous préconisez dans ce projet de loi. Je souhaite que
l'avenir, de ce point vue, soit plus ouvert.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 420 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Cet amendement n'a pas particulièrement de quoi nous effrayer mes amis et
moi-même. Mais, comme l'ont souligné très justement M. le rapporteur et
surtout, après lui, M. le ministre, il pose un problème technique majeur :
c'est la Constitution elle-même qui détermine les conditions à remplir pour
être électeurs. L'Assemblée nationale l'a d'ailleurs parfaitement compris
puisqu'elle a adopté, voilà six ou huit mois, une proposition de loi
constitutionnelle, actuellement en instance devant le Sénat, qui vise à
modifier l'article 3 de la Constitution, selon lequel seuls sont électeurs les
nationaux français.
Si nous adoptions cette disposition - nous pouvons toujours nous faire plaisir
- elle serait probablement annulée par le Conseil constitutionnel ; en tout
cas, elle serait inopérante.
J'ajoute au passage que ce débat rebondit avec le présent texte alors que, à
ma connaissance, ni le Gouvernement ni un groupe politique, en tout cas pas le
mien, n'a jamais demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la
proposition de loi constitutionnelle votée par l'Assemblée nationale.
De toute façon, un autre élément me conduit à être réservé, pour des raisons
techniques.
En effet, chers amis du groupe communiste républicain et citoyen, votre
amendement est mal rédigé, car il introduit une discrimination entre les
nationaux et les étrangers.
En France, la qualité d'électeur est accordée aux nationaux au regard des
conditions de résidence dans la commune. Or, vous ne posez qu'une condition de
résidence en France. Cela signifie que quelqu'un pourrait s'inscrire sur les
listes électorales de n'importe quelle commune, puis changer tous les ans de
domiciliation électorale. Certes, ce que vous voulez dire se comprend
parfaitement : pour pouvoir être électeur, il faut être domicilié en France.
Mais il faudrait au moins préciser que cette condition ne suffit pas, sinon il
y aurait une inégalité de traitement entre les nationaux et les étrangers.
Pour ces divers motifs, je ne peux donc voter l'amendement n° 420 rectifié.
Cela m'ennuie de voter contre pour des raisons de principe puisque j'ai servi
pendant quatorze ans un président de la République qui était depuis très
longtemps favorable à cette mesure, et ce, d'ailleurs, pas toujours avec
l'accord unanime de son propre parti, mais c'est un autre problème... Ne
refaisons pas l'histoire ! Pour ma part, en tout cas, je m'abstiendrai.
M. Patrick Lassourd.
Quel courage !
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Dans la présentation de l'amendement du groupe communiste républicain et
citoyen, j'ai entendu une expression qui entache gravement les intentions de
ses auteurs : celle d'« euro-racisme ».
En France, personne n'est écarté, personne n'est exclu, mais ceux qui
construisent l'Europe avec nous bénéficient, dans le domaine que nous évoquons,
d'un privilège tout à fait justifié, sinon que serait l'Europe ? Dans ces
conditions, parler d'euro-racisme, c'est-à-dire exercer un chantage au moyen
d'une expression infamante sur ceux qui ne sont pas d'accord avec les auteurs
de l'amendement est un procédé que nous jugeons inadmissible. C'est l'une des
raisons, et non la moindre, pour lesquelles nous voterons contre cet
amendement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Pierre Mauroy.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
J'ai entendu les arguments de Daniel Vaillant et je comprends parfaitement
qu'un ministre de la République puisse s'exprimer comme il l'a fait. La
proposition qui nous est soumise ne peut actuellement être opératoire car elle
n'est pas constitutionnelle. Il faudrait pour qu'elle le devienne que la
Constitution soit modifiée, modification à laquelle nous avons procédé
d'ailleurs pour permettre le vote des résidents européens.
Mais enfin, j'ai porté cette proposition pendant tellement d'années, notamment
auprès du président de la République François Mitterrand, en tant que Premier
ministre, que je veux être en conformité avec mes principes. Par conséquent, je
voterai cet amendement.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travéessocialistes.)
M. Josselin de Rohan.
Il est anticonstitutionnel mais vous le votez quand même ! Et vous avez été
Premier ministre !
M. Pierre Mauroy.
Comme de toute façon il sera rejeté, j'aurai la satisfaction d'être en accord
avec mes principes.
M. Bruno Sido.
Quel homme d'Etat !
M. Patrick Lassourd.
Quel grand écart !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Il est vrai que mon groupe a vu le dépôt de cet amendement avec une grande
sympathie. Mais nous sommes des législateurs et il nous est difficile de nous
abstraire complètement des questions de forme. En conséquence, malgré la
sympathie que nous avons pour cet amendement, nous ne pourrons le voter, dans
la mesure où, en effet, il nous semble irrecevable.
M. Josselin de Rohan.
Vous allez vous rompre le dos en faisant le grand écart !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Donc, la majorité de mon groupe s'abstiendra.
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Je voudrais tout d'abord remercier M. Mauroy.
Bien entendu, il s'agit d'une question politique et nous avons conscience du
problème qui est posé. Mais, monsieur le ministre, nous savons que nous sommes
attendus les uns et les autres sur l'adoption d'une telle mesure. Saisissons
donc l'opportunité qui nous est donnée de nous prononcer sur cette question.
Quand nous parlons de démocratie de proximité, vous d'arguties pour expliquer
votre attitude.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Josselin de Rohan.
Il s'agit de la Constitution, madame !
Mme Nicole Borvo.
En tout cas, s'agissant des ressortissants européens, rien ne justifie ce que
vous avancez, étant donné qu'il s'agit d'élections locales. Il est absolument
inadmissible, inexplicable, indéfendable et préjudiciable que les étrangers
résidant depuis longtemps dans une commune, payant leurs impôts, agissant,
travaillant, envoyant leurs enfants à l'école ne puissent pas voter.
M. Josselin de Rohan.
Qu'ils demandent à être Français !
M. Patrick Lassourd.
Ils peuvent devenir Français !
Mme Nicole Borvo.
Vous savez très bien que cela pèse lourd dans le regard que portent sur nous
les étrangers non communautaires qui habitent en France depuis de longues
années.
Il me semble donc opportun de saisir cette occasion où nous parlons de
démocratie de proximité, à laquelle, en ce qui nous concerne, nous sommes très
attachés, et de ne pas refuser encore une fois de prendre en considération le
cas des étrangers non communautaires.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Bruno Sido.
Elle s'assoit sur la Constitution.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 420 rectifié, repoussé par la commission et
par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste
républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procécé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 241 |
Nombre de suffrages exprimés | 239 |
Majorité absolue des suffrages | 120 |
Pour l'adoption | 26 |
Contre | 213 |
TITRE Ier
DE LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE