SEANCE DU 8 JANVIER 2002
DÉMOCRATIE DE PROXIMITÉ
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 415, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la
démocratie de proximité. [Rapport n° 156 (2001-2002) et avis n°s 161, 153 et
155 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, messieurs les
rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord vous prier
d'excuser mon retard à rejoindre cet hémicycle pour entamer le débat qui va
nous occuper pendant quelques jours : j'ai dû répondre à la dernière question
d'actualité qui était posée aujourd'hui à l'Assemblée nationale et, bien
entendu, je ne pouvais me soustraire à cet exercice.
Le projet de loi relatif à la démocratie de proximité que vous examinez à
partir d'aujourd'hui s'inscrit dans la nouvelle étape de la décentralisation
engagée par le Premier ministre le 27 octobre 2000, à Lille.
Après avoir rappelé la place qu'occupe le présent projet de loi dans cette
démarche, je vous en présenterai les principales dispositions telles qu'elles
ont été adoptées par l'Assemblée nationale.
Le contenu et les orientations de la nouvelle étape de la décentralisation ont
été précisés à plusieurs reprises, notamment lors du débat d'orientation
générale sur la décentralisation, le 17 janvier 2001, à l'Assemblée
nationale.
En octobre 1999, le Premier ministre a confié à Pierre Mauroy, qui fut avec
Gaston Defferre à l'origine de la décentralisation que nous connaissons
aujourd'hui, la présidence de la commission pour l'avenir de la
décentralisation. Cette commission a remis son rapport un an après et a
répondu, par ses 154 propositions, à la demande du Premier ministre : présenter
les mesures susceptibles d'approfondir la décentralisation dans un sens plus
légitime, plus efficace, plus solidaire, en un mot plus citoyen. En s'appuyant
sur ce rapport, consensuel pour l'essentiel, le Gouvernement a dégagé six
priorités.
C'est, premièrement, la rénovation et la modernisation des institutions
locales.
C'est, deuxièmement, la clarification de l'exercice de leurs compétences par
les collectivités locales.
C'est, troisièmement, la modernisation des finances locales.
Sur ce point précis, le Premier ministre m'a chargé d'élaborer, conjointement
avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, un premier
rapport sur les voies et moyens d'une réforme des finances locales, rapport qui
sera remis au Parlement dans les toutes prochaines semaines. Ce rapport doit
étudier les mesures susceptibles de remédier aux défauts de la fiscalité locale
actuelle, obsolète sur certains points et trop souvent injuste, comme aux
défauts des dotations de l'Etat aux collectivités locales, peu lisibles et
insuffisamment péréquatrices.
Depuis le mois de juillet, une première note d'orientation, adressée au comité
des finances locales et aux commissions parlementaires ainsi qu'aux principales
associations d'élus, a permis d'engager la concertation sur un sujet difficile,
aux enjeux majeurs pour les collectivités locales, et donc pour les Français.
J'ai, bien sûr, noté avec beaucoup d'intérêt les propositions exprimées ici par
les uns et les autres lors du débat sur le projet de loi de finances pour
2002.
La quatrième priorité est la prise en compte des attentes de la fonction
publique territoriale.
La cinquième est la relance de la déconcentration, inséparable d'une
décentralisation réussie.
Enfin, sixièmement, il s'agit d'approfondir la démocratie locale et de mettre
en oeuvre les mesures susceptibles d'aider les citoyens qui le souhaitent à
assumer les responsabilités locales comme celles qui permettent de mieux les
associer aux décisions locales. L'actuelle exigence de proximité, de plus en
plus forte chez nos concitoyens, témoigne en effet du souhait des Français de
participer à la préparation et à la définition des actions et projets publics
qui les concernent au quotidien.
Je pense d'ailleurs que l'abstention de plus en plus forte depuis 1977 et
jusqu'aux dernières élections municipales, dans les communes de droite comme de
gauche, est effectivement, même s'il existe d'autres raisons, la conséquence
d'une carence à cet égard et qu'il est nécessaire d'y remédier par des mesures
concrètes, non par de simples déclarations d'intention.
C'est tout le sens de ce projet de loi, qui reprend nombre des conclusions de
la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par Pierre
Mauroy.
Il tient compte également des préoccupations exprimées par les principales
associations d'élus locaux, toutes membres ès qualités de la commission Mauroy,
ainsi que de celles qui ont été émises dans le rapport de la mission
parlementaire d'information des sénateurs Jean-Paul Delevoye et Michel Mercier,
ou de celles qui ont émergé à l'occasion de débats particuliers, lors de
l'examen de propositions de loi à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
Ce projet de loi s'attache donc - et c'est son objet premier - à organiser et
à promouvoir l'appronfondissement de la démocratie locale dans ses deux aspects
complémentaires que sont la démocratie participative - titres Ier et IV - et la
démocratie représentative, socle de notre démocratie - titres Ier et II.
Les autres dispositions intéressant les transferts ou, plus généralement,
l'exercice des compétences des collectivités locales y sont évidemment
largement liées ; c'est le cas du titre III, avec la départementalisation des
services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, et le transfert de
nouvelles compétences aux régions.
Le titre V, qui porte sur le recensement, est loin d'y être étranger : on sait
à quel point nous avons tous le souci de la bonne représentation de la
population.
Je voulais insister sur la cohérence de la démarche et sur le double objectif,
clairement affiché, de ce projet de loi, qui est riche de 124 articles depuis
son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale, mais dont l'objet
premier est, tout au long de ses principales dispositions, d'approfondir la
démocratie locale.
Comme je l'ai déjà indiqué lors de mon audition par votre commission des lois,
le projet de loi enrichi par l'Assemblée nationale comprend des dispositions
importantes et intéressantes qui sont parfois à la périphérie de son objectif
majeur ; j'ai bien noté que certains des amendements déposés par vos
commissions ou par quelques-uns d'entre vous présentent cette même
caractéristique.
Compte tenu de la période, cette tentation est logique ; je conviens qu'il
faut être pragmatique et régler éventuellement des problèmes urgents sans
revenir pour autant sur les objectifs et sur la philosophie de ce projet de loi
ou, plus généralement, de la décentralisation.
Néanmoins, il ne faut pas qualifier péjorativement un projet de loi dont un
objectif clair inspire les dispositions essentielles et qui est, en outre,
riche - notamment grâce au Parlement lui-même - de nombreuses dispositions
permettant d'améliorer encore le fonctionnement de nos institutions
décentralisées.
Il eût certes été dommage de ne conserver que le noyau dur des dispositions du
projet de loi initial, même si, en apparence, cela lui eût donné une image plus
concentrée sur son seul objet. D'ailleurs, vos commissions ne le proposent pas.
Il n'empêche que ce noyau dur reste - et, je l'espère, restera - contenu dans
ce projet de loi.
Je vais maintenant décliner les grands thèmes qui forment les titres Ier à V
du projet de loi.
Le projet de loi organise tout d'abord la participation des habitants à
l'action et au débat publics, en s'appuyant sur la création obligatoire de
conseils de quartier dans les communes de 50 000 habitants et plus, pour chacun
des quartiers qui les constituent. Mais seulement un peu plus d'une centaine de
communes atteignant cette taille, le Gouvernement souhaite que ce seuil soit
ramené à 20 000 habitants.
Le titre Ier comporte également un chapitre spécifique relatif au renforcement
des droits des élus locaux au sein des assemblées délibérantes, notamment des
élus de la minorité, ainsi qu'un article visant à améliorer la situation des
membres des conseils économiques et sociaux régionaux.
Les conseils de quartier doivent être des instances consultatives permettant
d'associer, aux côtés des élus, des représentants d'habitants et d'associations
pour traiter de toute question intéressant le quartier et la commune.
Complémentaires et non concurrents du conseil municipal, du fait même du mode
de désignation de leurs membres, qui est du ressort de l'assemblée délibérante,
comme de la définition de leurs missions, que le projet de loi encadre, ces
conseils de quartiers doivent être dotés des moyens de fonctionnement
nécessaires.
Dans le souci du respect de la pluralité des expériences, la présence des
conseillers municipaux doit être laissée au choix de chaque conseil municipal
et, afin qu'aucune fraction de la population ne puisse être exclue, un conseil
doit être créé dans chaque quartier.
Les règles de constitution et les missions dévolues aux conseils de quartier
doivent permettre leur institution dans les communes urbaines qui ne se
seraient pas, à ce jour, engagées dans une telle démarche participative.
Bien sûr, de nombreuses communes ont déjà mis en place des structures
similaires, et je me suis exprimé à plusieurs reprises sur mon souhait de ne
pas revenir sur ces expériences, afin d'autoriser la mise en oeuvre du
dispositif le plus adapté aux spécificités locales.
Toutefois, comme l'indique le Conseil national des villes dans son avis sur ce
point, la loi se doit de fixer des règles de constitution obligatoire,
fussent-elles empreintes de la nécessaire souplesse, afin d'appuyer le bon
développement de la démocratie locale et d'aider les collectivités encore un
peu réticentes à s'engager dans cette voie nécessaire.
Il ne faut pas oublier que toutes les communes ne sont pas, loin de là,
engagées dans un soutien résolu à la démocratie participative et que de
nombreux quartiers souffrent encore aujourd'hui de l'absence d'une telle
démarche, qui est certainement, pourtant, une condition de la réussite du
renouveau social et urbain de nos villes.
J'ai d'ailleurs, à la suite des différentes concertations que j'ai menées
depuis le 26 juin dernier date du vote de l'Assemblée nationale - et à la
lecture des amendements adoptés par votre commission des lois - déposé deux
amendements qui tiennent compte des principales critiques émises et qui
garantissent expressément la souplesse nécessaire à de telles structures ainsi
que la pérennisation des structures actuelles, mais qui ne vont pas jusqu'à
faire perdre
de facto
son sens aux dispositions présentées.
Le projet de loi prévoit également la possibilité, pour les conseils
municipaux des communes de plus de 50 000 habitants, de créer des postes
spécifiques d'adjoints chargés principalement et non exclusivement du
traitement des questions intéressant certains quartiers. Cette possibilité
n'est évidemment pas une obligation, et leur création est prévue en sus du
nombre d'adjoints au maire, plafonné à 30 % du conseil municipal par la loi. Je
m'étonne d'ailleurs que, par un amendement, la commission des lois prévoie la
suppression de cet article qui donnait quelque souplesse et une liberté
supplémentaire au conseil municipal.
Le projet de loi rend également obligatoire, pour les communes de plus de 100
000 habitants, la création dans les quartiers d'annexes de la mairie offrant
aux habitants des services publics de proximité. Là encore, cette disposition,
importante pour la population des grandes villes, ne devrait pas être
supprimée, comme le propose, par un amendement, votre commission des lois.
Le premier chapitre du projet de loi accroît enfin considérablement le rôle et
les compétences des commissions des services publics locaux. Là encore, il
s'agit bien de proposer aux citoyens des lieux de débat, de réflexion et
d'initiative.
Par ailleurs, les droits des minorités dans les assemblées élues seront
renforcés afin de contribuer à l'expression du pluralisme des opinions et à
l'information générale des habitants.
C'est ainsi que des séances spécifiques devraient être consacrées à l'examen
des projets de délibération de l'opposition. Le règlement intérieur adopté par
le conseil municipal, selon les dispositions expressément inscrites dans le
projet de loi, doit encadrer cette séance afin de satisfaire l'objectif de
cette mesure et non de le dévoyer. Par amendement parlementaire, cette
disposition a été étendue aux conseils généraux et, à partir du 1er janvier
2004, date d'entrée en vigueur du nouveau mode de scrutin, aux conseils
régionaux.
C'est ainsi également que les procès-verbaux des délibérations des conseils
municipaux des petites communes seront complétés afin de faire apparaître le
nom des intervenants et le contenu de leurs interventions au cours des
débats.
Une place sera également réservée à l'opposition dans les documents
d'information générale qui ne seraient pas purement descriptifs ou pratiques.
Cette disposition pourrait être précisée, dans un souci de bonne lisibilité et
d'opérationnabilité.
Des missions d'information et d'évaluation d'un projet ou du fonctionnement du
service public pourront enfin être constituées à la demande du cinquième du
conseil municipal dans les communes de plus de 3 500 habitants - le
Gouvernement avait proposé 10 000 - et dans les conseils généraux et régionaux.
Là encore, le projet de loi encadre les modalités de désignation de leurs
membres, leur rôle et leurs missions, afin de ne pas détourner ces missions de
leur objet et de ne pas en faire, notamment, des occasions de pure opposition
politique.
Je ne peux que regretter les amendements de suppression de ce dispositif et
vous demander de ne pas refuser en bloc cette augmentation des droits des
minorités. Si quelques-unes de ces dispositions vous semblent perfectibles,
perfectionnons-les, j'y suis prêt ! Si vous souhaitez en proposer d'autres,
plus novatrices ou plus profondes, je suis prêt également à les examiner et à
m'en réjouir ! Mais les supprimer en bloc ne me paraîtrait pas vraiment
améliorer la démocratie de proximité que tous les élus et la population
appellent de leurs voeux.
Dans ce premier titre, les conditions d'exercice de leurs fonctions par les
conseillers économiques et sociaux régionaux seront également améliorées afin
de faciliter, notamment, la présence et la participation des membres salariés,
à la suite de la concertation avec l'Assemblée des présidents de conseils
économiques et sociaux régionaux et avec l'Assemblée des régions de France.
Vous aurez également noté que plusieurs amendements parlementaires ont été
adoptés par l'Assemblée nationale, qui visent à accroître les compétences des
conseils d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille et qui modifient la loi
du 31 décembre 1982, dite « loi PLM ». Il s'agit, là encore, de se rapprocher
de la population et d'approfondir la démocratie locale.
Le deuxième titre du présent projet de loi vise à démocratiser l'accès de tous
aux fonctions électives locales afin, notamment, que la composition des
assemblées locales soit plus encore qu'aujourd'hui un reflet de la diversité de
la société française.
Ces dispositions améliorent, en conséquence, les conditions d'exercice des
fonctions électives locales, de la candidature jusqu'à la fin du mandat, en
développant tout particulièrement les mesures assurant une meilleure
compatibilité tant avec l'activité professionnelle qu'avec la vie personnelle
et familiale.
Sur cette base, il s'agit de permettre à tout citoyen de disposer d'un réel
choix pour consacrer à son mandat le temps qu'il estime nécessaire, sans que
son exercice en soit entravé par des contraintes matérielles ou des charges
dissuasives.
En raison de la diversité des situations, le projet de loi privilégie souvent
la libre appréciation des collectivités dans la mise en oeuvre de telle ou
telle garantie, en fonction notamment des responsabilités exercées, plutôt que
l'adoption de mesures de revalorisation de portée trop générale.
Le projet de loi vise ainsi à faciliter l'accès aux élections en instituant un
droit à un temps d'absence pour participer aux élections locales.
Il vise également à mieux articuler le mandat local avec l'activité
professionnelle, qu'elle soit salariée ou non, en accroissant, d'une part, les
possibilités de disposer de crédits d'heures et, d'autre part, les
compensations financières par la collectivité de ces absences aux élus non
indemnisés.
Il prévoit de sécuriser la sortie du mandat, pour les élus ayant choisi
d'interrompre leur activité professionnelle, par la création d'une allocation
différentielle de fin de mandat versée pendant les six mois qui suivent cette
fin de mandat. Cette allocation sera financée par une cotisation à la charge
des collectivités concernées, afin de permettre une mutualisation des
charges.
Le texte qui vous est présenté renforce également la formation en début ou en
fin de mandat afin de mieux l'adapter aux besoins et aux contraintes des élus.
Il convient, dans ce cadre, d'encourager les collectivités à mieux mobiliser
les crédits liés à la formation et à mieux les répartir entre les divers
élus.
Les dispositions présentées à votre examen prévoient encore des délibérations
obligatoires des conseils municipaux en la matière, le triplement du congé
formation de six jours à dix-huit jours et la mutualisation de ces dépenses en
s'appuyant sur les structures intercommunales.
Le projet de loi revalorise également les indemnités de fonction des élus en
redéfinissant le barème des indemnités des adjoints. Il institue, en outre, une
enveloppe complémentaire en faveur des maires adjoints - 10 % de la masse
indemnitaire - laissée à la libre répartition du conseil municipal et incite au
versement des indemnités à taux plein aux plus petites communes, en renforçant
les indemnités des conseillers municipaux bénéficiant de délégations.
La nomination de conseillers municipaux délégués est facilitée et la
possibilité de rémunérer les conseillers municipaux dans leur ensemble, y
compris pour les communes de moins de 100 000 habitants, a été ouverte par
l'Assemblée nationale.
Dans le même esprit, le projet de loi vise à mieux adapter le remboursement
des frais de déplacement ou des frais liés à des mandats spéciaux et à
accompagner l'institution récente de la parité dans les conseils municipaux par
le remboursement des frais de garde d'enfants.
Ce titre vise, enfin, à mieux garantir la couverture sociale des élus, en
tenant compte de leur situation professionnelle et de leurs charges de
famille.
Les dispositions des titres Ier et II ont été adaptées pour pouvoir être mises
en oeuvre, telles que je viens de vous les présenter, dans les établissements
publics de coopération intercommunale comme à Paris, Lyon et Marseille.
Je veux enfin rappeler, au sujet de ce deuxième titre, que ses dispositions,
annoncées et précisées dès la fin de l'année 2000, reprennent nombre de celles
qui ont été adoptées à l'Assemblée nationale lors de l'examen en séance
publique de la proposition de loi déposée par le groupe communiste, le 14
décembre 2000, comme nombre de celles qui ont été adoptées au Sénat le 18
janvier 2001 et que Jean-Paul Delevoye avait rapportées.
Bien entendu, elles me paraissent ne pouvoir être examinées que de concert
avec les autres dispositions d'approfondissement de la démocratie locale, une
compétence accrue pour les collectivités locales et une participation accrue
des habitants aux décisions qui les concernent.
Le troisième titre vise à améliorer le fonctionnement des services d'incendie
et de secours, en s'inspirant des conclusions du rapport du député Jacques
Fleury. Il ne constitue pas, vous l'aurez certainement remarqué, le tout
prochain projet de loi sur la modernisation de la sécurité civile, qui a une
vocation beaucoup plus large et qui devra être examiné par un prochain conseil
des ministres. Ce dernier projet ne sera pas discuté dans le cadre de cette
législature, bien évidemment, mais je ne l'ai d'ailleurs jamais laissé entendre
: j'avais ainsi annoncé devant le congrès des sapeurs-pompiers à Strasbourg, le
7 octobre 2000, l'élaboration d'un projet de loi de modernisation de la
sécurité civile qui serait déposé devant le Parlement avant la fin de la
législature. Tel sera bien le cas !
Le projet de loi relatif à la démocratie de proximité accroît le rôle des
conseils généraux, dès lors majoritaires dans le conseil d'administration des
services départementaux d'incendie et de secours ; il rationalise, dans le même
mouvement, les modalités du financement des services départementaux par un gel
partiel de l'évolution des contributions des communes et des groupements à leur
budget.
Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale est plus précis encore, trop
peut-être, puisqu'il prévoit la suppression, au 1er janvier 2006, de toute
contribution des communes et des groupements de communes au budget des services
départementaux d'incendie et de secours. Nous aurons certainement l'occasion
d'en reparler au cours des débats à venir !
Le titre III comprend également quelques propositions concrètes de transfert
de compétences, au bénéfice essentiellement des collectivités régionales.
Soucieux de répondre aux attentes exprimées sur tous les bancs de l'Assemblée
nationale lors du débat sur la Corse, j'avais indiqué que le Gouvernement
inclurait dans ce projet de loi les transferts de compétences aux régions les
plus consensuelles.
A l'issue du débat à l'Assemblée nationale, un certain nombre de transferts ou
d'extensions de compétences ont été retenus.
Tout d'abord, en matière économique, les régions pourront instaurer, par
délibération, leurs propres régimes d'aides directes aux entreprises, sous
forme de subventions, de bonifications d'intérêts ou de prêts et avances
remboursables, y compris à taux nul, dans le respect, bien sûr, de nos
engagements internationaux.
Les régions pourront également doter un fonds de capital-investissement qui
sera géré par une société de capital-investissement.
Ensuite, dans le domaine de la formation professionnelle, les régions se
voient transférer la pleine compétence de l'apprentissage et de la formation
professionnelle des jeunes comme des adultes. Les régions arrêteront ainsi le
schéma régional des formations de l'Association nationale pour la formation
professionnelle des adultes, l'AFPA, et se verront confier la gestion des
primes à l'incitation à l'embauche d'apprentis.
En outre, une expérimentation sera lancée pour étudier les modalités d'un
transfert définitif de la gestion de certains ports et aéroports à l'ensemble
des régions. Plusieurs d'entre elles pourront, à leur demande, procéder à cette
expérimentation, en accord avec l'Etat. Les départements pourront, s'ils le
souhaitent, s'y joindre également.
Enfin, en matière d'environnement, les régions se verront transférer la
compétence de planification pour la qualité de l'air et les déchets industriels
spéciaux. Elles devraient également être compétentes pour le classement de
certaines des réserves naturelles et pour l'élaboration de certains inventaires
faunistiques et floristiques.
D'autres transferts ont été étudiés, mais il n'a paru ni possible ni opportun
de les inscrire dès maintenant dans ce projet de loi, au regard de leurs
incidences, notamment, sur la situation des personnels concernés ainsi que sur
les finances des collectivités. C'est en ce sens, et par référence à la
nouvelle étape de la décentralisation, que doit être comprise l'expression
selon laquelle les transferts de compétences n'épuisent pas l'ambition de ce
gouvernement, mais vont aussi loin que possible aujourd'hui. D'autres
transferts devront être étudiés. Mais chaque chose en son temps !
Vous remarquerez, en outre - mais cela ne vous surprendra pas -, que les
transferts de nouvelles compétences confiées aux régions ne reprennent pas
l'ensemble des mesures retenues pour la Corse. En raison de sa spécificité, la
Corse continuera de justifier, quelles que soient les avancées de la
décentralisation dans notre pays, un statut particulier.
J'ai déjà déclaré que j'examinerai avec attention les transferts de
compétences intéressant les autres niveaux de collectivités territoriales qui
seraient proposés par les sénateurs et qui ne demanderaient pas des expertises
ou des concertations impossibles à mener avant la fin de la session
parlementaire.
Nous en reparlerons dans les jours à venir. Je suis prêt à dialoguer sur ce
point.
J'indique par ailleurs au Sénat que le titre IV sera présenté par M. Yves
Cochet, le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, lors
de l'examen des articles en séance.
Toujours dans le souci d'accroître la participation des habitants aux
décisions qui les concernent, ce titre a pour objet d'élargir de manière très
significative le champ du débat public sur les grands projets par un
accroissement des domaines d'intervention de la Commission nationale du débat
public.
Parallèlement, le projet de loi clarifie les modalités de la concertation
entre l'Etat et les élus locaux et renforce la responsabilité des collectivités
locales dans les procédures d'enquête publique.
Enfin, le titre V a pour objet de réformer le recensement ponctuel qui est
organisé tous les sept à neuf ans par une procédure statistiquement actualisée
chaque année et susceptible de donner une meilleure photographie de la France
entre les deux recensements actuels.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi permettra des avancées
très significatives tant du nécessaire approfondissement de la démocratie
locale que de la décentralisation renforcée au bénéfice des collectivités
régionales.
Il présente une cohérence et des objectifs clairs, même s'il n'a pas vocation,
je le répète, à épuiser les ambitions du Gouvernement en matière de transferts
de compétences et, plus généralement, de nouvelle étape de la
décentralisation.
C'est ainsi que les réformes et les simulations sont déjà largement engagées
pour les finances locales et que les priorités sont dégagées pour l'avenir. Il
s'agit en effet d'une première étape et non d'effets d'annonce non maîtrisée ou
de parties de Meccano institutionnel !
Le Gouvernement et la majorité qui le soutient depuis 1997 se situent dans la
même logique que celle de leurs prédécesseurs de gauche qui, depuis 1982, ont
fait oeuvre concrète en matière de démocratie locale et de décentralisation.
Je souhaite que l'examen par le Sénat du projet de loi que j'ai eu l'honneur
de présenter permette d'améliorer les dispositions proposées sans revenir sur
les objectifs et sur les avancées qu'il prévoit.
Il serait décevant que ces dispositions, que l'ensemble des élus locaux
attendent, ne puissent pas être adoptées par le Parlement avant la fin de cette
législature. Ni les élus ni les Français ne le comprendraient. C'est d'ailleurs
ce souci, ce seul souci qui a amené le Gouvernement à déclarer l'urgence sur ce
projet de loi.
Le calendrier parlementaire de cet automne n'a pas permis que ce texte soit
examiné dans de bonnes conditions du fait de la discussion des projets de lois
de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je me
réjouis que le Sénat en entame la discussion aujourd'hui. Il a ainsi pu
disposer de six mois, depuis le 26 juin dernier, pour l'étudier. Il l'a
d'ailleurs examiné dans le détail puisque 700 amendements ont été déposés.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Un peu
moins !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Guère ! Leur nombre démontre, s'il en était
besoin, l'intérêt que vous portez à la démocratie locale, à la démocratie
participative, au nécessaire équilibre entre la démocratie participative et la
démocratie représentative...
M. Charles Revet.
C'est votre manière de voir !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... et à l'exercice par les élus de leurs
mandats locaux.
M. Henri de Raincourt.
C'est le rôle du Sénat !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je suis convaincu qu'animés du même souci de
faire avancer concrètement la démocratie de proximité nous allons aboutir avant
la fin de la présente législature.
Le temps viendra, lors d'une autre législature, de mener à bien d'autres
étapes de la décentralisation, car le travail ne sera de toute façon jamais
achevé.
Quoi qu'il en soit, je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de
commencer ce travail patient. Nous avons le temps d'étudier au fond tous les
sujets. C'est ce à quoi je vous appelle maintenant.
En tout cas, je vous remercie d'ores et déjà de votre investissement sur ce
projet de loi d'importance.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur la
démocratie de proximité qui est soumis à l'examen du Sénat est un texte
complexe que la commission des lois a analysé après avoir procédé à l'audition
de nombreuses personnalités, élus, experts ou responsables administratifs de
toute nature.
L'opinion que notre commission s'est forgée, en liaison avec les trois
commissions saisies pour avis, tient largement compte des réalités vécues sur
le terrain, et qui doivent donner aux termes « démocratie de proximité » toute
leur signification.
Elle s'inspire également des intentions exprimées par les propositions de loi
de nos collègues Jacques Oudin, Josselin de Rohan, Joseph Ostermann et Claude
Biwer, dont l'examen a eu lieu en même temps que celui du projet de loi
gouvernemental.
Trois réflexions liminaires s'imposent avant l'analyse approfondie à laquelle
je vais me livrer et après celles que vous venez de nous présenter, monsieur le
ministre.
La première réflexion est liée à la procédure d'urgence à laquelle est soumis
ce texte. Son caractère technique et son ampleur auraient mérité le recours à
une procédure normale et auraient évité qu'une commission mixte paritaire, une
fois de plus, fasse un travail de deuxième lecture, comme cela a été le cas,
par exemple, pour la loi relative à la simplification et au renforcement de la
coopération intercommunale.
La deuxième observation tient au caractère hétéroclite du projet de loi, qui
est davantage un texte portant diverses dispositions relatives aux
collectivités locales qu'une nouvelle étape de la décentralisation. C'est un
texte qui comporte des mesures attendues ou déjà proposées par la commission
Mauroy, telles celles qui sont relatives aux conditions d'exercice des mandats
locaux, et d'autres, moins urgentes, voulues par le Gouvernement, comme la
réforme du recensement, ou injectées par l'Assemblée nationale, comme le
changement du mode d'élection des membres des structures intercommunales.
La troisième remarque liminaire tient à notre souci justifié de voir
pleinement reconnu le rôle qui incombe au Sénat lorsqu'il s'agit, en
particulier, des collectivités locales. Ainsi le Sénat avait-il, en janvier
2001, voilà exactement un an, sur le rapport de notre collègue Jean-Paul
Delevoye, adopté un certain nombre de mesures qui vont dans le sens d'un statut
de l'élu et qui, à notre grand regret, n'ont jamais fait l'objet d'une
inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, nous les
retrouvons en grande partie dans le texte relatif à la démocratie de
proximité.
Ces rappels étant faits, la commission des lois a fixé un certain nombre de
principes qui imprègnent les orientations qu'elle vous propose dans un esprit
constructif. Ces principes sont au nombre de six.
Le premier principe qui doit nous guider tient à l'affirmation, dans une
démocratie de proximité, de la primauté de la démocratie élective sur la
démocratie participative, sans pour autant opposer l'une à l'autre, car elles
sont complémentaires. Il n'est pas question, en affirmant ce principe, de
remettre en cause le rôle d'un mouvement associatif qui est si nécessaire à la
vie et à la vitalité des quartiers, des villes et des villages et qui est
d'ailleurs très souvent le partenaire privilégié des communes, des départements
et des régions.
Mais il est un temps pour la concertation et un temps pour la décision, et
cette dernière ne peut échoir qu'aux élus régulièrement soumis au contrôle et
au verdict du corps électoral.
M. Gérard Braun.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
C'est cette position qui guide nos propositions, par exemple,
sur les conseils de quartier, sur les consultations locales ou sur la
participation du public à l'élaboration des grands projets.
Le deuxième principe qui doit être affirmé tient à la nécessité de respecter
la diversité des expériences et des collectivités locales.
Depuis des décennies, nous constatons en France un nombre considérable
d'initiatives prises à cet égard, un éventail de formules mises en pratique et
une grande spontanéité dans l'éclosion de formules variées. Conseils de
quartier, commissions consultatives et mairies de quartier existent déjà dans
beaucoup de villes de toutes tendances. Ils y contribuent à l'ancrage des
municipalités et ils y favorisent le dialogue avec la population.
De telles initiatives doivent être saluées, surtout lorsqu'elles concernent
des quartiers guettés par l'anonymat où il est nécessaire pour une municipalité
de trouver des interlocuteurs.
Il nous appartient de les encourager, de les stimuler, mais gardons-nous de
les enserrer dans un carcan rigide qui, par nature, ne tiendrait pas compte des
tempéraments des hommes et des femmes cherchant à les mettre en oeuvre et qui
imposerait des dispositions inutilement contraignantes. Cela est vrai pour les
conseils de quartier, mais aussi pour les droits des élus dans les assemblées
délibérantes ou pour l'adaptation du statut des villes de Paris, Marseille et
Lyon.
Que l'Etat n'impose pas aux collectivités locales l'implantation obligatoire
de telles structures de quartier, alors qu'il n'est plus en mesure lui-même -
et nous comprenons parfois les raisons qui l'y amènent - de préserver la
présence des services publics ou ayant vocation de l'être - police, gendarmerie
ou poste - dans toutes les zones rurales et dans tous les quartiers urbains
!
Le troisième principe concerne les conditions d'exercice des mandats locaux,
dont la motivation principale est - et doit rester - de rendre plus réelle
l'égalité des citoyens devant les fonctions électives. Tout ce qui est prévu
pour améliorer la formation, faciliter le reclassement, assurer la
compatibilité entre l'activité professionnelle et l'exercice d'un mandat et
améliorer les conditions d'indemnisation des élus, va dans ce sens, et c'est le
bon sens ! La structure communale française, originale, et son incompatibilité
avec une professionnalisation des élus locaux exigent que l'on s'en tienne à
une telle orientation. C'est ce que le Sénat a très clairement affirmé, en
janvier 2001, lorsqu'il a adopté les conclusions du rapport de notre collègue
M. Jean-Paul Delevoye sur le statut de l'élu local.
Le quatrième principe, qui donne lieu aux débats les plus passionnés et qui
doit être rappelé clairement, tient au rôle de la commune dans l'édifice
institutionnel français.
Le débat sur l'élection au suffrage universel direct des délégués
intercommunaux ne date pas d'aujourd'hui. Il a eu lieu à l'occasion du vote de
la loi sur l'intercommunalité en 1999 et nous y avons consacré, nous-mêmes, un
certain nombre d'heures. Il a fait l'objet, dans les deux assemblées
parlementaires, de propositions venant des horizons politiques les plus
divers.
On peut comprendre les motivations de ceux qui estiment que ce débat est
légitime compte tenu du poids croissant des budgets intercommunaux, mais il
faut qu'eux-mêmes admettent que le suffrage indirect n'en est pas moins
universel et donc légitime. L'intercommunalité à fiscalité intégrée a pris son
élan en France parce qu'elle a su préserver l'identité de la commune et le
climat de confiance entre la commune et l'établissement public de coopération
intercommunale.
M. Charles Revet.
Voilà bien l'essentiel !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
L'intercommunalité ne se généralisera en France que si elle
continue à être assise sur les communes et si ce lien de confiance entre
commune et intercommunalité n'est pas brisé. Telle est la position clairement
affirmée à tous les niveaux de l'Etat, notamment lors du dernier congrès des
maires et des présidents de communautés de France organisé par l'AMF. Cela nous
amène à rappeler que le cadre communal est, pour nous, le seul concevable pour
une telle élection et que tout conseiller communautaire devrait, comme
aujourd'hui, être conseiller municipal.
M. René-Pierre Signé.
Il a raison !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
En disant cela, nous ne fixons en aucun cas une quelconque
loi électorale qui ne saurait être du ressort du texte que nous examinons
aujourd'hui, mais nous nous prémunissons contre toute interprétation hasardeuse
qui pourrait être donnée dans l'avenir.
Le cinquième principe concerne les transferts de compétences vers les régions
et les départements, qui n'ont de sens que dans la mesure où ils garantissent
une plus grande efficacité pour l'usager et pour le contribuable. Cela vise les
dispositions du projet de loi prévoyant de nouveaux transferts de compétences
aux régions - ports, aéroports, aides économiques et formation - et aux
départements - services d'incendie et de secours. Ils vont dans la bonne
direction, à condition que le pragmatisme et le réalisme en inspirent
l'application.
Il est à cet égard nécessaire que, en matière d'aide économique, la notion de
collectivité chef de file, qui permet la coopération de plusieurs niveaux de
collectivités, soit bien admise. Il est indispensable que le transfert formel
des compétences portuaires et aéroportuaires aux régions préserve la position
des chambres de commerce et d'industrie, qui ont souvent démontré leur
savoir-faire et leur expérience d'autorité gestionnaire.
En ce qui concerne les services d'incendie et de secours, comment ne pas
approuver des dispositions qui permettront d'identifier à nouveau clairement
les élus responsables de leur gestion, et donc garants d'une mise en oeuvre
moins coûteuse que précédemment ?
S'il y a un domaine où la notion de proximité revêt tout son sens, c'est bien
celui des pompiers. Il n'est pas inutile de rappeler que les catastrophes
naturelles de ces dernières années ont démontré l'importance déterminante que
revêt l'intervention des volontaires, qui sont proches de la population, qui
ont une bonne connaissance du terrain et qui méritent considération.
C'est une question d'efficacité et surtout de respect devant un engagement
humain auquel aucune professionnalisation ne saurait se substituer, surtout à
une époque marquée, hélas ! par la prépondérance des droits sur les devoirs.
M. René-Pierre Signé.
C'est beau !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Le sixième principe qui doit être souligné découle d'une
disposition nouvelle que nous vous demandons d'intégrer au projet de loi.
Le texte qui nous est soumis comporte un très large éventail de dispositions
de nature différente et il ne serait donc pas dénaturé d'y inclure le texte de
la proposition de loi votée par le Sénat en mai dernier sur le rapport de notre
collègue Patrice Gélard et relatif aux sondages d'opinion.
Pourquoi ? D'abord, parce que la loi interdisant la publication de sondages
d'opinion dans la semaine qui précède un scrutin n'est absolument plus adaptée
à l'évolution des moyens de communication. Ensuite, parce qu'un arrêt de la
Cour de cassation de septembre dernier et une prise de position de la
Commission nationale des sondages et en tirent les conclusions et invitent le
législateur à prendre ses responsabilités.
Voilà pourquoi nous vous proposons de confirmer le vote du Sénat du mois de
mai.
Point n'est besoin de recourir à un projet de loi nouveau et d'allonger la
procédure parlementaire, alors que le Sénat avait, de façon prémonitoire,
montré la voie voilà huit mois. Ce serait, en outre, une manière concrète
d'affirmer la vitalité du bicamérisme.
Le respect de l'ensemble de ces principes nous paraît parfaitement compatible
avec la volonté de rapprocher les collectivités locales des citoyens. Sur ce
plan, les collectivités ont une longue expérience dont beaucoup d'autres
structures pourraient s'inspirer.
Il est compatible avec notre souci de voir la décentralisation continuer à
avancer et ne porte en rien atteinte à la cause de l'intercommunalité, édifice
auquel le Sénat a apporté sa pierre.
Les principes que nous tenons à rappeler ont pour objet de souligner que,
comme pour tout ce qui touche à la vie des collectivités et des hommes et des
femmes qui y vivent et y oeuvrent, il faut laisser une large place à
l'expérience, à la souplesse, à l'imagination, à la capacité d'adaptation ; il
faut les stimuler et non les brider, leur faire confiance pour avancer, pour
évoluer et pour aller avec leur temps.
C'est dans cet esprit que nous abordons, je le crois, d'une manière
constructive, la discussion de ce texte, voulu par le Gouvernement, largement
amendé par l'Assemblée nationale et intégrant, sur des points importants, des
dispositions déjà votées préalablement par le Sénat.
Et puissions-nous, malgré l'absence d'une navette, gage de bon travail
législatif, aboutir à une issue positive ! Celle-ci me paraît nécessaire chaque
fois qu'on aborde des problèmes relatifs aux collectivités locales qui, par
nature, méritent d'être résolus d'un commun accord par les deux assemblées
parlementaires.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Mercier, rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, six mois après l'Assemblée nationale, le Sénat
est donc amené à étudier en urgence le projet de loi relatif à la démocratie de
proximité. Vous comprendrez, monsieur le ministre, que, chaque fois qu'un
gouvernement recourt à de mauvaises habitudes, nous lui rappelions qu'il
pourrait faire mieux.
Vous l'avez reconnu, cette procédure d'urgence est détestable et nuisible à la
bonne confection des textes. Nous ne pouvons donc que regretter un tel choix.
D'ailleurs, l'urgence n'a guère de sens en l'espèce car, si l'importance de ce
texte avait été reconnue par le Gouvernement, le Sénat aurait pu trouver le
temps de l'examiner avant le début de l'année 2002, c'est-à-dire six mois après
l'Assemblée nationale.
Le rapporteur a fait allusion au caractère hétéroclite de ce projet de loi,
qui serait davantage un texte portant diverses dispositions relatives aux
collectivités territoriales. C'est exact, les mesures qu'il comporte sont
variées et ne présentent pas toutes le même intérêt ; nous reviendrons tout au
long de la discussion des articles sur ces différents points.
Tout d'abord, je souhaite, au nom de la commission des finances, remercier la
commission des lois de lui avoir délégué deux articles techniques portant sur
les questions de financement des collectivités locales. Au travers de leur
examen, nous vous proposerons de donner à la Commission consultative sur
l'évaluation des charges un rôle plus important. En effet, elle a été bien
oubliée, même si, monsieur le ministre, vous l'avez utilement « réveillée » le
13 décembre dernier, après deux années de sommeil. Si ce projet de loi ne
servait qu'à la revivifier, son apport serait déjà non négligeable !
Parmi tous les sujets qu'aborde le texte qui nous est soumis, la commission
des finances a choisi d'axer son avis sur les services départementaux
d'incendie et de secours, les SDIS. Pourquoi avoir fait ce choix ? D'abord,
parce qu'un chapitre entier du projet de loi leur est consacré ; ensuite, parce
que la réforme de 1996, qui a institué les SDIS dans leur esprit nouveau, nous
semble être l'exemple même de ce qu'il ne faut probablement pas faire en
matière de décentralisation : elle présente un certain nombre de défauts
auxquels nous proposerons de porter remède.
Il convient, en premier lieu, de dresser un constat et, à partir de là, de
proposer un certain nombre d'améliorations.
Pour nous, le constat est clair : la réforme de 1996 a largement dérapé,...
M. René-Pierre Signé.
C'est la loi Debré !
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
... et cela a été accepté par tout le monde. C'est
d'ailleurs la constatation unanime qu'a faite la commission des finances, ce
qui l'a amenée à prendre une position claire sur ce point.
Le dérapage de la réforme de 1996 revêt plusieurs aspects : d'abord,
l'établissement public qui devait réunir tous les participants à l'oeuvre de
secours apparaît largement comme un leurre ; ensuite, les collectivités locales
sont confinées dans un rôle de financeur obligé ; enfin, le mécanisme
institutionnel mis en place en 1996 me semble contraire à l'esprit de la
décentralisation, puisque, pour reprendre l'un des principes avancés par le
rapporteur, il ne permet pas de définir clairement la responsabilité de ceux
qui doivent lever l'impôt.
Je reviens très rapidement sur ces trois points.
Premièrement : l'établissement public n'est qu'un leurre. L'Etat avait un
choix à faire : les services départementaux d'incendie et de secours
devaient-ils relever des collectivités locales ou de l'Etat ? Pour des raisons
à la fois historiques, psychologiques et financières, il faut bien le dire,
l'Etat n'a pas voulu prendre en charge ces services - on peut le comprendre -
et il les a confiés aux collectivités locales, tout en se réservant un rôle
important dans leur mise en oeuvre.
Une fois ce principe posé, il faut bien reconnaître que l'Etat n'est pas resté
étranger à la gestion de ces services, même s'il n'en assurait pas la
responsabilité. Entre mai 1996 et septembre 2001 - le dernier texte a été
publié le 31 décembre 2001 - cinq lois, vingt-huit décrets, soixante-dix-huit
arrêtés et vingt-deux circulaires sont intervenus pour indiquer aux
collectivités locales réunies dans cet établissement public
sui generis
la façon dont elles devaient gérer les sapeurs-pompiers.
Cette boulimie de textes s'est très naturellement traduite par une inflation
de mesures de toute nature, mais qui vont toutes dans le même sens,
c'est-à-dire une augmentation des coûts.
Il faut d'ailleurs regretter, de ce point de vue, que les sapeurs-pompiers,
notamment professionnels, se gèrent eux-mêmes. En effet, ce n'est pas la
direction générale des collectivités locales qui intervient, mais un autre
service, au sein duquel des sapeurs-pompiers gèrent d'autres sapeurs-pompiers.
Or il s'agit de services des collectivités locales et de fonctionnaires
territoriaux !
Cela donne des résultats extrêmement surprenants : de 1996 à 2001, le nombre
de colonels est passé de 46 à 80 et celui des lieutenants-colonels de 153 à 290
; et je pourrais donner bien d'autres exemples qui vont dans ce sens.
Les textes de juillet 2001, modifiant la liste des départements qui avaient
droit à des colonels ou à des lieutenants-colonels pour diriger leurs services,
ont prévu de renverser la tendance : auparavant, les corps de sapeurs-pompiers
comptaient 40 % de sous-officiers ou officiers et 60 % de caporaux et sapeurs ;
désormais, 80 % des sapeurs-pompiers seront officiers ou sous-officiers.
M. Charles Revet.
C'est l'année mexicaine !
M. Michel Mercier
rapporteur pour avis.
Une telle situation pourrait susciter des critiques
un peu ironiques si elle n'avait un coût ! C'est le deuxième dérapage de la
réforme de 1996.
Ainsi, de 1996 à 2001, les budgets des services départementaux d'incendie et
de secours se sont accrus de plus de 30 %, et les textes de 2001 entraîneront
forcément un accroissement de ces dépenses dans des proportions supérieures à
celles que nous avons connues.
Aujourd'hui, les collectivités locales consacrent pratiquement 20 milliards de
francs au financement des SDIS. Si l'Etat, au travers des décisions prises par
votre ministère, monsieur le ministre, est très largement à l'origine de ces
dépenses, il ne participe que très peu à leur financement. En effet, s'il est
vrai que l'Etat finance près du quart du budget de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris, il ne prend plus en charge que 3 % environ du budget
de l'ensemble des autres SDIS. De surcroît, ces 3 % sont prélevés sur la
dotation globale d'équipement des communes. Ainsi, aucun financement spécifique
de l'Etat n'est prévu pour des services que votre ministère sur-administre,
compte tenu du nombre de textes que j'ai cités tout à l'heure et qui sont
largement mis en oeuvre - nous n'en contestons pas le bien-fondé - par les
représentants de l'Etat dans les départements. Un dérapage financier peut donc
tout naturellement être constaté.
Mais plus grave encore est la philosophie, en quelque sorte institutionnelle,
qui résulte de l'expérience de ces cinq années de fonctionnement.
Un établissement public composé de représentants des communes et des
départements vote des dépenses obligatoires pour les communes et les
départements. Ces dépenses ne peuvent pas être débattues par les collectivités
qui vont devoir en assurer le financement, ce qui est contraire à l'esprit de
la décentralisation.
Si l'on se ralliait au projet de loi tel qu'il nous vient de l'Assemblée
nationale et tel que nous le présentait tout à l'heure le rapporteur au fond,
les départements se verraient imposer, en dehors de toute décision des conseils
généraux, des dépenses obligatoires portant sur plusieurs centaines de millions
de francs.
Très honnêtement, je ne vois pas comment des collectivités locales pourraient
se voir imposer de telles dépenses résultant de l'application de textes édictés
par le ministère de l'intérieur et transitant par un établissement public qui
ne serait plus véritablement l'émanation des collectivités locales, qui, elles,
devraient seulement payer !
On voit bien les risques de mécontentement et de mauvaise entente que
pourraient susciter les décisions de cet établissement public. A cet égard, à
l'une des questions que j'ai posées à votre ministère dans le cadre de la
préparation de ce texte et du budget, la direction de la défense et de la
sécurité civiles m'a répondu que, pour l'essentiel, le mécontentement
concernant le montant du financement des services départementaux d'incendie et
de secours était dû à la répartition de celui-ci entre les communes et les
départements. Nous nous devions de souligner cette désinvolture.
Compte tenu de ces dysfonctionnements, la réforme de 1996 est-elle toujours
pertinente ? Pour la commission des finances, cette réforme qui repose sur
l'idée de mutualisation, à l'échelon du territoire départemental, de l'ensemble
des moyens de secours est une bonne réforme. Toutefois, pour que les
dysfonctionnements constatés ne nuisent pas à cette réforme, il importe de
mettre en place les mesures nécessaires au bon fonctionnement des services
départementaux d'incendie et de secours. La commission des finances m'a demandé
de soutenir devant vous une idée simple : la décentralisation, c'est la
responsabilité ; ceux qui lèvent l'impôt doivent être ceux à qui incombera le
soin de diriger les services financés par cet impôt.
Nous proposerons donc que, au terme du délai qui ressort des travaux de
l'Assemblée nationale et de notre commission des lois, c'est-à-dire en 2006, le
service d'incendie et de secours soit un service départemental placé sous
l'autorité du conseil général et de son président, qu'il conserve très
naturellement une autonomie financière dans le cadre d'un budget annexe, que
les maires soient associés à sa gestion dans le cadre d'un conseil
d'orientation et, enfin, que les communes continuent d'apporter une
participation dans les conditions identiques à celles qui avaient été mises en
place à l'occasion de la suppression des contingents communaux d'aide
sociale.
Avoir un service clairement identifié, avec des responsables eux-mêmes
clairement identifiés, de telle façon que nos concitoyens puissent savoir ce
qui est consacré à leur sécurité et qu'ils puissent juger celles et ceux qui
devront assurer la gestion de ce service, voilà, je crois, une exigence qui
relève du principe même de la décentralisation !
C'est, en tout cas, le sens des amendements que je soutiendrai devant le
Sénat, au nom de la commission des finances, amendements qui s'inscrivent dans
le droit-fil des principes que notre rapporteur au fond vient de développer :
responsabilité, clarté et respect de la démocratie élective.
Ceux qui seront responsables devant les électeurs des mesures qu'ils auront
prises auront été directement élus par nos concitoyens : ce seront les membres
de l'assemblée départementale. Ils pourront ainsi fournir à ce service tout ce
qui est nécessaire à son bon fonctionnement et, dans le même temps, le faire
vivre sous l'empire d'une claire responsabilité locale.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Lassourd, rapporteur pour avis.
M. Patrick Lassourd,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, mes chers collègues, une nouvelle fois, c'est la
procédure d'urgence que choisit le Gouvernement pour soumettre au Parlement le
projet de loi relatif à la démocratie de proximité qui nous réunit aujourd'hui.
Rien ne justifiait cette procédure !
Je souhaite, cette procédure en préliminaire, brièvement mais fermement,
dénoncer cette banalisation de la déclaration d'urgence de textes souvent
volumineux, techniques et toujours présentés comme ambitieux, qui auraient
paradoxalement mérité un examen attentif et non un débat tronqué. Il est très
grave, à mes yeux, monsieur le ministre, de confisquer ainsi à la
représentation nationale une partie de sa mission et les moyens de
l'accomplir.
Vous comprendrez donc combien le titre flatteur du projet de loi que j'ai
l'honneur de rapporter, au nom de la commission des affaires économiques
résonne avec ironie dans un tel contexte. Démocratie de proximité ? Un beau
programme, certes, mais qu'il aurait fallu appliquer au tout premier chef à
ceux qui sont chargés d'en débattre !
J'en viens au présent projet de loi, qui s'articule autour de quatre titres,
sur lesquels M. Hoeffel a exprimé des convictions fortes.
La saisine pour avis de la commission des affaires économiques portait
initialement sur le titre IV, consacré à la participation du public à
l'élaboration des grands projets et porté par le ministère de l'aménagement du
territoire et de l'environnement.
Toutefois, nous avons été conduits à nous intéresser également à certains des
très nombreux amendements adoptés par l'Assemblée nationale en première lecture
et qui font perdre malheureusement beaucoup de sa cohérence au dispositif,
celui-ci se transformant en un texte « fourre-tout » portant diverses mesures
relatives aux collectivités territoriales.
Cette méthode présente deux graves faiblesses, à commencer par l'absence de
concertation. Un comble pour un texte dont l'objet est précisément de
promouvoir la concertation et pour un gouvernement donneur de leçons en la
matière ! Insérer par amendement, sans réel débat, des mesures nouvelles
consacrées à certains transferts de compétences aux régions ne peut tenir lieu
de vraie politique de décentralisation ! Le procédé a surpris et inquiété bien
des interlocuteurs des collectivités territoriales.
Je prendrai un seul exemple : les associations gérant les réserves naturelles,
dont j'ai reçu les représentants en audition, m'ont fait part de leur amertume
devant ce changement important intervenu en catimini, sans aucune concertation
préalable. C'est incroyable pour un texte dont l'ambition est précisément de
prôner la participation !
M. Gérard Larcher.
C'est la méthode habituelle !
M. Patrick Lassourd,
rapporteur pour avis.
Le Gouvernement aurait pu s'appliquer à lui-même
cette ambition en respectant le temps de la concertation avec les associations
concernées et le temps de la discussion avec le Parlement !
Mais ce texte souffre d'une seconde faiblesse, du fait de son caractère de
projet de loi « fourre-tout ». Les thèmes s'y succèdent en effet sans logique :
participation des citoyens, statut des élus, dispositions environnementales,
SDIS, recensement. Aucun fil conducteur ni apparaît dans ce texte.
La commission des affaires économiques a donc élargi sa saisine à un volet du
projet de loi qui, ajouté par le Gouvernement par voie d'amendements, organise
certains transferts de compétences aux régions.
Sur ce point, je veux d'emblée dénoncer la méthode retenue par le Gouvernement
qui, sous couvert d'engagements pris lors du débat sur la Corse, manque
singulièrement d'ambition et de cohérence.
Cette pseudo-décentralisation qui nous est proposée est un dispositif de
circonstance, parcellaire et inachevé. Il ne s'inscrit pas dans une vision
d'ensemble de la décentralisation et prive le Parlement, tout particulièrement
le Sénat, d'un débat attendu et nécessaire sur les moyens à mettre en oeuvre
pour relancer la dynamique de la décentralisation.
S'agissant de la réforme du cadre légal d'intervention économique des
collectivités locales, personne ne conteste la légitimité d'une modernisation
du régime légal des aides économiques, mais le dispositif proposé ne constitue
qu'une réponse partielle aux problèmes identifiés.
Il est aussi déraisonnable que désinvolte de traiter d'un tel sujet par
amendement, sans réflexion de fond ni d'ensemble sur des sujets aussi
importants que les zonages nationaux et européens, ou la volonté de l'Etat en
matière d'aménagement du territoire. Nous regrettons vivement que les heureuses
initiatives sénatoriales prises en la matière, cohérentes et garantes
d'efficacité, comme le rapport d'information de MM. Delevoye et Mercier de
1999, ou la proposition de loi déposée par MM. Grignon et Raffarin tendant à
favoriser la création d'entreprises et adoptée en février 2000, n'aient pas
abouti. Le Gouvernement s'est contenté de les « picorer » pour en extraire des
mesures disparates.
S'agissant de l'expérimentation confiant la gestion des ports et des
infrastructures aéroportuaires aux régions, là encore, la démocratie de
proximité ne s'applique pas ! Si j'adhère au principe, je m'interroge néanmoins
: pourquoi ne pas avoir ouvert l'expérimentation à toutes les collectivités
concernées, tout en sachant que les capitales régionales ne peuvent être
absentes du débat ?
Enfin, le projet de loi semble « faire son marché » dans le code de
l'environnement, guidé par certains des arbitrages rendus à l'occasion de
l'examen du projet de loi sur la Corse !
On retrouve les mêmes incohérences, la même absence de bon sens. Le patrimoine
floristique et faunistique est abordé sans aucune interrogation sur la
pertinence de l'échelon régional au regard des biotopes, qui se moquent bien
des limites administratives ! Quant aux réserves naturelles, leur
décentralisation s'exprime de manière simpliste : il suffit que, dans le texte,
on substitue les mots « président du conseil régional » au mot « préfet », et
le tour est joué ! Aucun souci de consultation des associations gestionnaires !
Aucune prévision de transfert de crédits !
Que peut donc signifier cette pseudo-décentralisation qui consiste, après
transfert de compétence à la région, à confier au préfet tout pouvoir
d'injonction et de substitution ?
Parmi cet inventaire à la Prévert, certaines dispositions vont dans le bon
sens et méritent d'être conservées, dès lors que le mécanisme de transfert est
simplifié et ne crée pas de tutelle d'une collectivité territoriale sur une
autre, tout en acceptant le principe de chef de file.
En ce qui concerne l'examen du titre IV du projet de loi, relatif à la
participation du public, il faut admettre que les procédures actuelles
d'information et de participation du public, qu'il s'agisse de la commission
nationale du débat public mise en place par la loi du 2 février 1995 ou encore
du mécanisme des enquêtes publiques de la loi du 13 juillet 1983 ne remplissent
plus leur office.
Ainsi, le public, dans cette procédure, a l'impression d'être invité à donner
son avis sur un projet alors que toutes ses composantes ainsi que la décision
finale sont déjà arrêtées, d'où la multiplication des contestations et des
contentieux.
Quant aux collectivités territoriales porteuses de projets et aux maîtres
d'ouvrage, ils se plaignent de la multiplicité des contentieux et de la
paralysie des procédures. Ils reconnaissent, néanmoins, devoir désormais mettre
en oeuvre des procédures de concertation plus approfondies avec le public,
c'est-à-dire les citoyens de la commune, les riverains concernés, les
associations d'usagers ou de protection de l'environnement, pour agir sur le
niveau d'acceptabilité sociale du projet qu'ils défendent.
La circulaire du 15 décembre 1992 sur les infrastructures a mis en place des
circuits de concertation et d'information, tout au long du processus de
décision puis de réalisation du projet, mais son champ d'application reste
limité.
Outre ce diagnostic de blocage établi sur le plan interne, il faut également
prendre en compte les obligations de la France en ce qui concerne la
transposition de la convention d'Aarhus qui, signée en 1998, traite du droit à
l'information et à la participation du public au processus décisionnel et à
l'accès à la justice.
La commission des affaires économiques s'est attachée à améliorer ce titre IV
par des amendements visant, notamment, à préserver le caractère spécifique du
débat public, organisé par la Commission nationale du débat public, la CNDP,
débat qui doit être réservé à l'examen de projets ayant un intérêt national. Ce
point est très important pour nous.
Il apparaît également nécessaire de préserver jusqu'au bout la qualité
d'autorité indépendante et autonome de la commission : quand le maître
d'ouvrage sera l'Etat, il y aura confrontation entre les logiques des
ministères chargés de l'équipement, de l'industrie ou de l'agriculture et celle
du ministère de l'environnement ; cette confrontation est normale et saine. La
commission nationale doit donc être placée sous l'autorité du Premier ministre,
en ce qui concerne tant le rapport hiérarchique et les nominations que les
moyens de fonctionnement octroyés ; seul le Premier ministre peut, en effet,
faire prévaloir l'intérêt général qui résultera de cette confrontation.
Nous avons souhaité, par ailleurs, encadrer les différentes phases du
processus de participation, afin d'éviter que des délais trop longs ou mal
définis ne paralysent la prise de décision finale.
Ces propositions sont dictées par notre volonté de garantir un véritable
équilibre entre le souci légitime d'associer le public et de le tenir informé
et la nécessité de préserver la responsabilité de la décision, qui appartient,
en dernier ressort, au maître d'ouvrage ou à la collectivité publique
compétente.
En amont, il s'agit donc de respecter l'intention du maître d'ouvrage,
notamment l'Etat, dans sa politique d'aménagement du territoire. Le débat doit
alors se situer au niveau gouvernemental et parlementaire. Pour le troisième
aéroport, par exemple, la décision relève du Gouvernement et aurait dû faire
l'objet d'un débat au Parlement.
En aval, le débat public doit clairement se démarquer de l'enquête publique,
dont la finalité est de donner la parole aux collectivités et aux citoyens
conernés par la réalisation du projet dans ses modalités.
En somme, le débat public doit permettre d'expliquer au public le sens du
projet, de susciter son adhésion, d'améliorer le dispositif proposé, bref, de
remplir un rôle pédagogique.
Il ne s'agit pas de remettre en cause la légitimité de la démocratie
représentative, qui doit rester le principe fondamental du fonctionnement de la
République.
C'est dire que la « fenêtre de tir » est étroite et mérite d'être clairement
précisée, si nous voulons respecter la légitimité du débat public, tout en
conservant aux élus le pouvoir de décision, et garantir, en fin de compte, la
réalisation efficace des projets. Le député européen Bernard Poignant, qui a
été le président de la commission nationale du débat public concernant
l'implantation du troisième aéroport en Ile-de-France, ne dit pas autre chose :
« Il faut répéter à nos concitoyens que la légitimité de la décision appartient
au suffrage universel. Plus la démocratie montre un fonctionnement
participatif, plus la responsabilité de la démocratie représentative doit être
affirmée et confortée. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je termine
ici mon bref exposé des réflexions qu'a suscitées ce texte et des amendements
que vous proposera la commission des affaires économiques et du Plan.
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Darcos, rapporteur pour avis.
M. Xavier Darcos,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l'examen à
l'Assemblée nationale du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis, le
Gouvernement a déposé un certain nombre d'amendements destinés à étendre à
l'ensemble des régions françaises des dispositifs adoptés dans le cadre du
projet de loi relatif à la Corse.
Sous cet habillage, qui n'est pas en lui-même de nature à susciter notre
enthousiasme, ont été adoptés dix articles se rapportant à des sujets très
divers, dont certains intéressent les domaines de compétence de la commission
des affaires culturelles du Sénat.
Parmi ceux-ci, un seul, en réalité, s'inspire du projet de loi relatif à la
Corse, les autres relèvent de la volonté de marquer « une nouvelle étape de la
décentralisation ».
Sans préjuger l'appréciation que portera le Sénat sur ces dispositions, la
commission des affaires culturelles n'a pu que constater leur caractère fort
disparate et leur singulier manque d'ambition.
Caractère fort disparate, d'abord : en effet, les différents ministères
semblent avoir saisi cette occasion pour présenter aux assemblées des
dispositifs jusque-là en mal de support législatif. Cet appel aux bonnes
volontés est touchant, mais il ne peut prétendre constituer l'ossature d'une
véritable loi de décentralisation. Au demeurant, cette modestie est à demi
avouée : à l'Assemblée nationale, vous avez assuré, monsieur le ministre, que
ces amendements « n'épuisent naturellement pas les ambitions du Gouvernement en
matière de décentralisation ». Compte tenu des contraintes du calendrier
parlementaire, nous sommes en droit de nous interroger sur les conditions dans
lesquelles ces ambitions pourront finalement prendre corps.
Il faut voir dans ces dispositions moins le produit d'une inspiration
réformatrice que l'indice d'une précipitation qui confine à l'improvisation.
La décentralisation dans les domaines de la formation et de la culture mérite
mieux qu'un débat à la va-vite, au détour d'un texte qui, sans être dépourvu de
tout lien avec ce sujet, n'y est pas consacré à titre principal.
Cette improvisation se retrouve, d'abord, dans les dispositions relevant de la
formation : en effet, l'Assemblée nationale a introduit, lors de la discussion
du projet de loi, sur proposition du Gouvernement, un article 43 F. Celui-ci
confère aux régions compétence pour élaborer un plan régional de développement
des formations professionnelles, désormais étendu aux adultes, en reprenant,
avec des variantes non négligeables, les dispositions de l'article 22 du projet
de loi relatif à la Corse. Je rappelle d'ailleurs que la Corse est
paradoxalement l'une des rares régions à n'avoir pas élaboré un plan régional
de développement de la formation professionnelle des jeunes, qui est pourtant
explicitement prévu par la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et
à la formation professionnelle du 20 décembre 1993.
Le présent projet de loi vise ainsi, pour l'ensemble des régions, à introduire
la formation des adultes dans le plan régional, à régionaliser l'AFPA,
l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, et à
modifier de manière non négligeable les modalités de la concertation entre les
divers et nombreux acteurs de la formation professionnelle à l'échelon
régional.
Je ne suis pas persuadé que ces aménagements successifs, qui succèdent
eux-mêmes à ceux qui sont prévus par la loi de modernisation sociale - toujours
en attente de promulgation - et auxquels il convient d'ajouter l'article 43 E
du projet de loi, qui vise à transférer aux régions la charge du versement à
l'employeur de l'indemnité compensatrice forfaitaire liée au contrat
d'apprentissage, contribuent à améliorer dans l'immédiat la lisibilité d'un
dispositif régional des formations professionnelles déjà passablement
complexe.
Je noterai également, monsieur le ministre, que certaines de vos propositions
n'ont pas été retenues par l'Assemblée nationale elle-même. Vous aviez en effet
présenté, en accord avec votre collègue chargé de l'éducation nationale, un
amendement tendant à étendre à l'ensemble des régions le dispositif figurant à
l'article 5 du projet de loi relatif à la Corse. Cette disposition aurait
permis aux régions de passer des conventions avec des établissements
d'enseignement supérieur ou avec des organismes de recherche, en vue
d'organiser des actions d'enseignement supérieur complémentaires de celles de
l'Etat.
Au cours d'un débat quelque peu confus, après que le rapporteur se fut
désolidarisé de la position de la commission, certains de nos collègues députés
ont exprimé pêle-mêle leurs craintes qu'un tel dispositif n'entraîne la
multiplication d'établissements privés d'enseignement, la création de diplômes
Universitaires illisibles, qu'il ne mette en cause le caractère national des
diplômes et ne porte atteinte à l'équilibre régional des formations
universitaires et de la recherche, voire à la démocratisation de
l'Université.
De telles craintes étaient, à dire vrai, infondées, puisque ces formations
complémentaires restaient, en toute hypothèse, soumises au contrôle de l'Etat,
qui a, seul, la responsabilité d'homologuer les titres et les diplômes.
Là encore, la commission des affaires culturelles ne peut que souligner le
caractère improvisé, et d'ailleurs superfétatoire, de cette initiative du
Gouvernement, puisque plusieurs régions ont d'ores et déjà passé de nombreuses
conventions avec des établissements d'enseignement supérieur pour mettre en
place des formations complémentaires spécifiques adaptées aux besoins locaux.
Cette pratique s'inscrit d'ailleurs dans le droit-fil de l'article L. 214-2 du
code de l'éducation, qui précise le rôle de la région dans la définition des
plans régionaux de développement des formations de l'enseignement supérieur et
dans celle de la carte des formations supérieures et de la recherche.
Ne peut-on voir dans le sort funeste que l'Assemblée nationale a réservé à
votre amendement la conséquence d'une insuffisante coordination
interministérielle, voire intraministérielle, ou la crainte de réactions de
certaines organisations étudiantes ?
En sens inverse, j'observerai que le Gouvernement n'a pas jugé utile d'étendre
à l'ensemble des régions le dispositif prévu par l'article 6 du projet de loi
relatif à la Corse qui, lui, prévoyait de transférer à la collectivité
territoriale la compétence pour financer la construction et l'entretien des
établissements d'enseignement supérieur, alors qu'un tel transfert était, lui
aussi, préconisé par le rapport de la commission Mauroy pour l'avenir de la
décentralisation.
En tout état de cause, la commission des affaires culturelles considère que le
présent projet de loi n'est sans doute pas le cadre le plus approprié pour
amorcer une décentralisation plus ambitieuse de l'enseignement supérieur et de
la recherche. Nous y reviendrons sans doute dans l'avenir.
J'en viens maintenant aux dispositions intéressant la culture.
Les articles 43 H et 43 I, relatifs respectivement au cinéma et au patrimoine,
s'ils n'ont pas d'équivalent dans le projet de loi relatif à la Corse,
ressortissent à la catégorie des mesures destinées à approfondir la
décentralisation dans le domaine culturel.
Cet objectif correspond à une revendication maintes fois défendue par les
collectivités territoriales. Les lois de décentralisation, sous réserve des
dispositions relatives aux archives et aux bibliothèques, n'ont pas concerné le
champ culturel, pour lequel il n'existe pas de règles de partage de compétences
entre l'Etat et les collectivités territoriales. Cette particularité n'a pas
dissuadé ces dernières de multiplier les initiatives en ce domaine, au
contraire : en témoigne la très forte progression de leurs dépenses culturelles
depuis 1982. Le schéma qui prévaut est le cofinancement des initiatives, mais
il montre désormais ses limites : les collectivités territoriales, principales
contributrices de la politique culturelle, revendiquent un droit à l'autonomie
que l'Etat est encore réticent à leur concéder.
A cet égard, on aurait pu espérer qu'après des textes d'inspiration très
jacobine comme la loi sur l'archéologie préventive ou le projet de loi relatif
aux musées de France une avancée puisse être proposée au Parlement afin
d'alléger la tutelle qui pèse sur les collectivités territoriales. Or il faut
bien admettre qu'en ce domaine la décentralisation n'est pas pour demain.
Certes, les collectivités locales peuvent continuer à payer. C'est d'ailleurs
le sens de l'article 43 H, qui modifie la loi du 13 juillet 1992, dite loi
Sueur, afin d'étendre le champ des aides que peuvent accorder les communes et
les départements aux établissements de spectacle cinématographique. Le projet
de loi tend à relever de 2 500 à 10 000 entrées hebdomadaires le seuil en deçà
duquel ces aides peuvent être octroyées.
Cette disposition constitue dans son principe une mesure très positive, car
elle permet aux collectivités locales de disposer des instruments nécessaires
pour soutenir de manière efficace l'exploitation indépendante dans un contexte
marqué par la concurrence féroce des multiplexes. Toutefois, l'ampleur du
relèvement proposé, sans rapport avec l'accroissement de la fréquentation
depuis 1992, aboutirait à ce que 96 % des cinémas puissent être ainsi
subventionnés, ce qui est apparu à la commission des affaires culturelles
comporter des risques non négligeables de distorsions de concurrence entre les
différents opérateurs.
Pour cette raison, la commission proposera de faire preuve de prudence en
retenant le seuil de 5 000 entrées hebdomadaires qui, au demeurant, est celui
qui est désormais retenu pour les exonérations de taxe professionnelle. Nous
resterions ainsi fidèles à l'esprit de la loi Sueur, qui était destinée à
soutenir l'exploitation indépendante. Il sera toujours temps de relever à
nouveau le seuil, cette fois en toute connaissance de cause. Par ailleurs, les
aides aux établissements bénéficiant d'un classement « art et essai » ont été
déplafonnées, à juste titre.
Si le projet de loi accroît le droit de tirage sur les finances locales, il
traduit parallèlement la réticence des services de l'Etat à concevoir une
véritable décentralisation culturelle.
A cet égard, l'article 43 I, qui prévoit les modalités d'une expérimentation
destinée à préfigurer des transferts de compétences de l'Etat vers les
collectivités en matière patrimoniale, révèle tout l'ambiguïté des objectifs du
Gouvernement en ce domaine.
Cette expérimentation est, en effet, bien loin de pouvoir justifier sa propre
dénomination ; les « protocoles de décentralisation culturelle » se contentent
pour l'instant de s'inscrire dans la logique bien connue des cofinancements.
Nous sommes donc en droit de nous demander pourquoi une telle loi était
nécessaire. L'article 43 I relève même d'une fiction juridique : on nous
annonce l'ébauche d'une décentralisation, mais l'expérimentation, au demeurant
déjà largement engagée, puisque huit protocoles ont été conclus, ne nécessite
pas pour l'heure, compte tenu de la modestie de ses modalités, de dérogation
aux dispositions législatives en vigueur.
Les objectifs de cette expérimentation tels qu'ils ressortent du dispositif à
la fois imprécis et ambivalent de l'article 43 I restent flous, et l'on voit
mal comment, au terme de cette expérimentation, pourront être envisagés des
transferts effectifs de compétences.
En résumé, on peut estimer qu'au mieux ces protocoles constituent une
demi-mesure non dénuée de conséquences financières pour les collectivités
territoriales. Elles pourront procéder à des inscriptions à l'inventaire
supplémentaire des monuments historiques et seront compétentes pour
subventionner les travaux d'entretien et de restauration des monuments
inscrits, mais l'Etat restera seul compétent pour délivrer les autorisations de
travaux.
Au pis, le texte, au prétexte de décentraliser, pose le principe d'une
nouvelle compétence de l'Etat : le contrôle scientifique de l'inventaire, qui
jusqu'à présent ne figurait dans aucun texte.
Dans la plupart des cas, à l'image de ceux qui sont déjà signés, les
protocoles se borneront à attribuer aux collectivités la gestion des monuments
inscrits, terme pudique pour faire peser sur elles la charge financière de leur
préservation.
La commission des affaires culturelles s'est longuement interrogée sur la
pertinence d'une disposition législative consacrant une expérience qu'il serait
abusif de considérer comme une nouvelle étape vers la décentralisation
culturelle. Elle n'a toutefois pas saisi le prétexte de la modestie de la
démarche pour la remettre en cause.
Les protocoles traduisent l'engagement des collectivités locales en faveur du
patrimoine et permettent aux services de l'Etat de prendre en compte de manière
plus systématique leurs initiatives. Toutefois, ces avantages demeurent bien
modestes au regard des risques de transfert de charges que représentent ces
conventions fort peu novatrices.
Afin d'infléchir la portée de l'expérimentation, la commission des affaires
culturelles proposera donc d'adopter une nouvelle rédaction de l'article 43 I
destinée à réaffirmer l'objectif de décentralisation culturelle en matière
patrimoniale. Les protocoles pourront donc déroger aux règles posées par la loi
de 1913 en matière d'inscription à l'inventaire supplémentaire afin de
reconnaître une compétence décisionnelle aux collectivités, en matière non
seulement de financement des travaux d'entretien et de restauration mais
également d'autorisations de travaux sur les monuments inscrits et sur les
monuments situés dans leur champ de visibilité.
Cette dernière possibilité permet d'éviter l'écueil, déjà évoqué, qui
consisterait à faire assumer aux collectivités la charge budgétaire du
patrimoine, tout en maintenant à l'Etat sa compétence de prescripteur. En
revanche, il ne convient pas de prévoir des dispositions spécifiques en matière
d'inventaire ou de patrimoine non protégé, domaines qui sont dans les faits
d'ores et déjà décentralisés, faute de dispositions législatives précisant les
compétences de l'Etat.
Dans le même souci d'assurer une plus étroite collaboration entre l'Etat et
les collectivités locales en matière patrimoniale, la commission des affaires
culturelles a souhaité saisir l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à
la démocratie de proximité pour améliorer la mise en oeuvre de la loi du 28
février 1997. Cette loi, je vous le rappelle, mes chers collègues, avait créé
une possibilité de recours contre les avis conformes émis par les architectes
des Bâtiments de France. L'amendement que la commission des affaires
culturelles soumettra au Sénat reprend les termes de la proposition de loi
adoptée le 14 juin 2001 par notre assemblée, qui confiait à une instance,
instituée à l'échelon du département et composée paritairement de représentants
de l'Etat et des collectivités territoriales, le soin de se prononcer sur les
recours et qui ouvrait aux pétitionnaires la possibilité d'exercer un
recours.
M. Charles Revet.
C'est très bien ! Très bonne initiative !
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. Xavier Darcos,
rapporteur pour avis.
Ce dispositif aurait toute sa place dans le projet
de loi, puisqu'il permet d'infléchir les pratiques administratives dans le sens
souhaité par nos concitoyens, celui d'un Etat qui cherche à expliquer plutôt
qu'à convaincre.
Mes chers collègues, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous
soumettra, la commission des affaires culturelles vous proposera d'adopter les
articles dont elle s'est saisie pour avis.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
Groupe socialiste, 65 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 49 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 42 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 33 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 31 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Peyronnet.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans moins
de deux mois, nous célébrerons le vingtième anniversaire de la loi du 2 mars
1982, grande loi fondatrice de la décentralisation à la française, loi
révolutionnaire qui rompait enfin, après des décennies de palabres
infructueuses, avec le centralisme multiséculaire de l'Etat français, lui
évitant ainsi l'apoplexie administrative. Pour ma part, je rendrai spécialement
hommage à celui qui en fut la cheville ouvrière dans le premier gouvernement
Mauroy, le ministre d'Etat Gaston Defferre.
Cette réforme majeure, discutée par le parti socialiste et intégrée dans son
programme dès le début des années soixante-dix, puis incorporée dans le
programme commun de la gauche, fut violemment critiquée, lorsqu'il s'agit de la
mettre en oeuvre,...
M. Louis de Broissia.
C'est de l'histoire !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... par tous ceux qui craignaient je ne sais quelle dissolution de l'Etat,
quelle généralisation du clientélisme, quelle multiplication des actes de
corruption, et j'en passe !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Rien de tout cela ne s'est produit ou, lorsque ce fut le cas, la
décentralisation n'y était pour rien.
Je me réjouis sincèrement que les bases posées à ce moment-là soient défendues
aujourd'hui par tout le monde comme des valeurs essentielles et que certains
des opposants les plus vigoureux de l'époque soient devenus les défenseurs
ardents de ce qui est désormais acquis et, qui mieux est, les chantres de
l'accélération du mouvement.
M. Louis de Broissia.
C'est comme vous pour la Ve République ! Vous l'aviez combattue !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur de Brossia, je dis qu'il est très bien qu'il en soit ainsi !
Cependant, je les appelle à un peu de retenue et de mesure. Il est difficile
pour notre famille politique, qui a été à l'origine du mouvement et qui
poursuit dans cette voie, notamment avec vous, monsieur le ministre, d'accepter
de se voir reprocher sans cesse de n'en pas faire assez ou de ne pas le faire
assez vite.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je ne suis pas de ceux qui font la moue
devant votre texte en le trouvant trop peu ceci ou trop peu cela. Vous avez
décidément choisi de refuser les grands effets, les grandes envolées,...
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Si l'on s'envolait, on retomberait vite !
(Sourires.)
M. Jean-Claude Peyronnet.
... les échafaudages intellectuels appuyés sur des principes éthérés qui, trop
souvent, ne font que nourrir de beaux discours sans lendemain, préférant une
démarche pragmatique et un texte cohérent, à propos duquel vous laissez
largement s'exercer le droit d'amendement parlementaire.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
A cet égard, il est bien vrai que, comme il s'agit du dernier grand texte de
la législature portant sur ce sujet, nombre de députés et, sans doute, de
sénateurs ne résistent pas à la tentation d'essayer de régler par voie
d'amendement telle ou telle question que chacun, individuellement, considère
comme majeure ou qui, à défaut, peut au moins être importante ou
intéressante.
Il en résulte que le corps initial du texte a perdu de sa cohérence. Il était,
à l'origine, clair et logique, et s'articulait de façon rationnelle : d'abord
les questions liées à la démocratie de proximité ; puis, tout naturellement, un
gros titre fort attendu relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux ;
enfin, un titre portant la participation du public à l'élaboration des grands
projets. Il existait bien déjà quelques scories, la plus grosse, pourtant
nécessaire car très attendue, étant relative aux SDIS, une autre concernant les
opérations de recensement : cela étant, l'ensemble ne manquait pas d'allure.
Tout cela demeure. Il est vrai cependant que le travail considérable effectué
par nos collègues de l'Assemblée nationale ne l'a pas été dans le souci
d'assurer la plus grande lisibilité possible. Mais c'est l'inconvénient de
l'avantage, et là encore il est très difficile de souhaiter que le Parlement
exerce pleinement ses droits et de regretter ensuite que le résultat législatif
soit quelque peu touffu.
De même, il est très contestable de reprocher à tel ou tel moment qu'une
évaluation suffisante des conséquences de telle ou telle mesure prise par le
Gouvernement n'ait pas été faite et de se proposer ensuite de transférer à tout
va des compétences majeures, par exemple aux départements pour les routes
nationales ou aux régions pour les bâtiments universitaires. Certes, ces
évolutions projetées sont intéressantes et sûrement souhaitables, mais ne
légiférons pas dans la précipitation !
Enfin - et cela nous concerne en tant que sénateurs - si ce texte manquait
tellement d'intérêt, d'où vient que le très excellent rapport de M. Daniel
Hoeffel, qui est sans conteste l'un des tout meilleurs spécialistes de la
question, ne fait pas moins de 555 pages, hors tableaux comparatifs ? D'où
vient d'ailleurs que, à y regarder de près, la commission des lois, saisie à
titre principal, propose en fin de compte la suppression de très peu d'articles
? D'où vient qu'elle en ajoute même volontiers, y compris s'agissant de
dispositions introduites par l'Assemblée nationale ?
Par conséquent, arrêtons de minimiser l'importance d'un texte qui, j'ose le
dire, monsieur le ministre, apporte beaucoup. Certes, il n'annonce pas le grand
soir de la décentralisation, mais il s'inscrit dans une perspective de
mouvement qui ne s'est pas démentie depuis cinq ans, tout au long de cette
législature.
En outre, soyons clairs : que reste-t-il à faire ? Deux choses majeures, tout
le reste pouvant être réglé par le biais de textes particuliers de
clarification : il reste à transférer de nouvelles compétences et à réformer la
fiscalité locale. Je concède que ce n'est pas le plus simple. Pour autant,
est-il inconvenant de faire remarquer que c'est une démarche de début de
législature plutôt que de fin de mandat ? A cet égard, j'ai bon espoir,
monsieur le ministre, de vous retrouver à ce banc, dans quelques mois, cette
fois pour l'examen du texte du grand soir ou du petit matin !
(Sourires.)
M. Louis de Broissia.
Il n'y croit pas lui-même !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Quoi qu'il en soit, je ne puis, pas plus que mes amis politiques, accepter
l'idée que ce gouvernement aurait fait reculer la décentralisation. Un seul
point fait débat - nous ne sommes pas forcément tous d'accord sur ce sujet - à
savoir l'autonomie des collectivités au regard de l'accroissement de la part
des dotations de l'Etat. Il faudra régler cette question, même si j'observe
que, jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'a pas jugé que les libertés
des collectivités étaient menacées.
M. Henri de Raincourt.
Hélas !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Peut-être, mais c'est ainsi !
(Rires.)
Pour le reste, il ne s'est guère passé d'année, depuis trois ans, après que se
furent écoulés les dix-huit mois nécessaires à la mise au point, où nous
n'ayons eu à adopter des textes souvent majeurs et dont on voit bien, sur le
terrain, la cohérence. Je pense en particulier ici à la loi présentée par votre
prédécesseur, monsieur le ministre, à la loi Voynet et à la loi Besson-Gayssot,
et je rappellerai maintenant l'historique de ce processus.
En 1999, la loi relative au renforcement et à la simplification de la
coopération intercommunale, inspirée au départ par le seul fait urbain, a
finalement été adoptée par la commission mixte paritaire, après avoir fait
l'objet d'un gros travail parlementaire. Elle est en train de provoquer, à une
vitesse extraordinaire, un regroupement volontaire des communes en zones
urbaines, rurales ou semi-rurales, et structurera de façon extrêmement forte le
paysage administratif local.
En 1999 également, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement
durable du territoire, utile elle aussi, quoique moins structurante, offre une
base de réflexion pour les objectifs locaux, dans un cadre large, et fournit
une assise à la contractualisation en fonction d'un projet commun.
En 2000 a été promulguée la loi relative à la solidarité et au renouvellement
urbains. Qui pourrait prétendre, là encore, que ce texte n'est pas important ?
J'ai même plutôt le sentiment qu'il convient d'abord de le « digérer » avant
d'aller plus loin,...
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
C'est vrai !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... n'en déplaise aux esprits pressés.
Ce sont là les textes les plus fondamentaux, mais il y en a bien d'autres.
Ainsi, en 2000, la loi organique relative aux incompatibilités entre mandats
électoraux a été prolongée. Que l'on approuve ou non ses modalités ou son
ampleur, qui pourrait nier son importance et qui pourrait nier que, avec
l'instauration de la parité, elle entraîne une évolution majeure pour le
personnel politique du pays ?
Je citerai encore, au titre de 2001, l'aboutissement de la réforme du code des
marchés - il s'agit plutôt ici du domaine réglementaire - la loi relative aux
chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes, la proposition de loi
tendant à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales et, enfin,
la loi relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du
recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la
fonction publique territoriale.
Dans tous ces textes, des dispositions importantes permettent de faire
progresser la décentralisation en complétant, en précisant ou en rectifiant les
choses au vu de l'expérience.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, se situe dans cette continuité.
J'en ai évoqué les grandes lignes tout à l'heure, et je constate que lui aussi
constitue une forte avancée.
Dans le cheminement suivi ces cinq dernières années, il existe une étape
majeure : la mise en place, à l'automne 1999, de la commission sur l'avenir de
la décentralisation, dite « commission Mauroy », dont j'ai eu le privilège de
faire partie, comme deux de nos rapporteurs, MM. Hoeffel et Mercier, ainsi que
d'autres collègues.
Quoi qu'on en ait dit, cette commission a travaillé, sous la houlette
bienveillante mais ferme de son président, dans une grande sérénité, et elle a
abouti à un large consensus. Ce n'est pas la péripétie politicienne des
dernières semaines, alors que tout était déjà dit et approuvé, qui change
quelque chose à l'importance des conclusions, très largement consensuelles - je
le répète - rendues à l'automne 2000 sous la forme de cent cinquante-quatre
propositions, auxquelles, monsieur le ministre, vous avez fait allusion.
Je me suis amusé à faire un décompte des mesures prises et de celles qui vont
l'être. Ce décompte vaut ce qu'il vaut, car les mesures sont d'ampleur très
inégale - certaines sont majeures, d'autres sont de détail - mais il indique
néanmoins que vingt et une mesures sont déjà acquises, et, plus intéressant
encore, que vingt-huit nouvelles mesures, issues des travaux de la commission
Mauroy, sont reprises par vous, monsieur le ministre, dans le texte que vous
nous présentez. Comme certains amendements parlementaires susceptibles d'être
adoptés en ajouteront sans doute quelques autres à cette liste, on peut dire
que, un peu plus d'un an après qu'elle eut remis ses conclusions, la commission
Mauroy, qui avait annoncé, par la voix de son président, travailler à une
échéance de dix ou quinze ans, aura vu passer dans le projet de loi un bon
tiers de ses propositions.
Après ça, on nous dira que la décentralisation recule ! Elle avance, au
contraire, avec ce gouvernement, et grâce à votre texte, monsieur le
ministre.
Elle avance par le biais du rapprochement du citoyen de la gestion et de la
prise de décision, que ce soit par l'instauration de mairies annexes ou, plus
encore, par la constitution de conseils de quartier consultatifs, intéressante
expérience au cours de laquelle il faudra veiller, cependant, à sauvegarder ce
qui existe déjà ici ou là, ainsi que - je suis d'accord avec M. le rapporteur
sur ce point - la primauté
in fine
du mandat électif, que le texte
gouvernemental ne me semble toutefois pas remettre en cause.
La décentralisation avance aussi grâce à l'effort important consenti pour
reconnaître et mettre en oeuvre le droit des minorités dans les assemblées
territoriales. Nous sommes pleinement d'accord sur le principe, même si la
fameuse séance annuelle consacrée à la minorité nous semble peu opérante. Sans
doute le travail parlementaire nous permettra-t-il d'évoluer vers des
dispositions plus raisonnables, mais surtout plus efficaces. Cependant, je n'ai
pas la naïveté de penser que l'on peut s'en remettre purement et simplement au
bon vouloir des exécutifs locaux : je suis beaucoup plus sceptique que M. le
rapporteur sur ce point.
La décentralisation avance de façon considérable grâce au titre II, qui,
incontestablement, facilitera l'accès à la fonction élective par un effort
financier significatif en termes d'indemnités et de remboursement de frais, par
un effort pour diversifier socialement l'accès à ces fonctions, comme pour
favoriser les reconversions au terme du mandat et pour permettre une meilleure
formation des élus. Cette section du texte représente un progrès considérable
s'agissant des facilités accordées aux élus pour qu'ils puissent exercer
pleinement et efficacement leurs mandats.
De la même façon, nous approuvons les dispositions issues des recommandations
du rapport Fleury, que vous nous présentez en anticipation de l'examen du texte
portant sur la modernisation de la sécurité civile et sur les services
d'incendie et de secours, sous la réserve expresse que soient bien clarifiés
les flux financiers entre les collectivités locales.
La règle fixée par les lois Defferre, et qui doit continuer à s'appliquer,
veut que tout transfert de compétence soit financièrement neutre, au moins au
début. Cela implique donc que les départements ne sauraient se passer de la
contribution des communes. Que celle-ci soit gelée, soit, mais qu'elle existe
sous une forme ou sous une autre, par transfert de DGF par exemple. Cela va de
soi, nous dit-on ! Cela ira encore mieux en le disant !
Je m'en tiendrai là, ou presque, me réservant d'intervenir avec mes collègues
du groupe socialiste lors de l'examen des articles.
Je n'évoquerai pas non plus, ou j'évoquerai peu, les amendements de la
commission que nous voterons ; il en existe, par exemple celui qui porte sur
les sondages électoraux. Je n'évoquerai pas non plus au fond ceux que nous
déposerons, quelquefois parallèlement à d'autres, et qui concernent l'utilité
et le débat publics, les réserves naturelles ou les facilités financières
proposées aux élus handicapés pour l'exercice de leur mandat.
Je ne retiendrai qu'un amendement qui traite de la question du cadre électoral
de l'élection des conseillers communautaires.
Monsieur le ministre, il y a là un problème de fond. Il n'est que temps de
lever l'ambiguïté et de rassurer des maires de plus en plus inquiets.
Votre prédécesseur a fait voter une loi majeure, car, incontestablement, elle
fait évoluer le paysage administratif français. Il a habilement joué d'un
discours républicain qui mêlait, dans un cocktail dont il connaissait seul le
dosage, le jacobinisme et la décentralisation, la défense de la commune et sa
dissolution prévisible dans la mixture communautaire.
M. Louis de Broissia.
C'est assez subtil !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Oserai-je dire qu'on n'était pas loin du double langage et que parmi nous,
consciemment ou pas, certains n'y ont pas échappé ?
M. Charles Revet.
C'est sûr !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Il faut lever les ambiguïtés ! Oui ou non, comme je le souhaite et le pense,
est-il possible, tout en les faisant travailler ensemble, de conserver les 36
000 communes françaises ? Je le crois, mais il est vrai que les mécanismes mis
en place, notamment le coefficient d'intégration fiscale, constituent une
mécanique redoutable qui incite au transfert accéléré des compétences jusqu'à
ce que les maires se rendent compte qu'ils sont tout nus.
M. Charles Revet.
Absolument !
M. Jean-Claude Peyronnet.
La carotte financière paraît tellement attractive qu'elle a pu masquer les
inconvénients de la perte d'identité. Or, même si j'ai voté en conscience cette
loi, j'ai à l'époque, et nombre de mes amis avec moi, attiré l'attention sur
ces inconvénients-là, c'est-à-dire celui qu'il y aurait à voir disparaître ces
lieux de démocratie, d'animation et de vie qui quadrillent de façon efficace,
exceptionnelle et peu coûteuse l'ensemble du territoire français.
M. Charles Revet.
Sur ce point, nous sommes d'accord !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Pourtant, ces lieux disparaîtront si la fonction de maire n'est plus
attractive et n'attire plus des gens de qualité, comme c'est encore
heureusement le cas aujourd'hui.
Un sénateur socialiste.
Effectivement !
M. Jean-Claude Peyronnet.
De ce point de vue, l'idée de l'élection au suffrage universel direct des
conseillers communautaires, qui s'imposera notamment dans les grandes
agglomérations en raison du poids financier des établissements publics de
coopération intercommunale, doit être clarifiée, afin, précisément, que
l'identité communale soit sauvegardée. L'un des moyens, peut-être pas suffisant
mais en tout cas nécessaire, est de procéder à l'élection des conseillers
communautaires prévues par la future loi dans le cadre communal. C'est ce que
nous proposons de préciser dès maintenant sans attendre ladite future loi.
Vous le constatez, monsieur le rapporteur, sur ces points-là, nous ne sommes
pas très éloignés les uns des autres. D'ailleurs, sur les six principes que
vous avez énoncés, je n'ai pas grand-chose à redire.
Reste que tout ne sera pas résolu pour autant. Je pense, notamment, à un
aspect dont on parle peu : le rôle de la commune-centre. J'ai l'impression que
certains maires de grandes villes n'ont pas complètement imaginé que le
pilotage des communautés urbaines ou des communautés d'agglomération pourrait
leur échapper, ou échapper à un représentant du conseil municipal de leur
ville. Pourtant, en fonction du mode de scrutin retenu, c'est bien sûr une
possibilité à ne pas écarter. Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Est-il
acceptable, par exemple, que la communauté urbaine de Lyon soit présidée par le
maire d'une commune disons de 5 000 habitants, quand on sait - c'est le maire
qui nous l'a dit - que les deux tiers des investissements de la ville de Lyon
sont assurés par la communauté urbaine ?
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
C'est une chance que les autres paient !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je pourrais, je suppose, dire la même chose pour Bordeaux, Lille, Toulouse ou
Nantes. Prenons garde, mes chers collègues, à ne pas jouer les apprentis
sorciers dans ce domaine comme dans d'autres. Il faut bien réfléchir.
Monsieur le ministre, je ne reviens pas sur la richesse de votre texte. Il est
très attendu par les élus et très suivi par nos collègues. La masse des
amendements le prouve. Il est évident qu'un très gros travail législatif va
être effectué dans les semaines à venir. Je souhaite qu'il aboutisse à un
accord entre les deux chambres et je ne doute pas des efforts de nos
rapporteurs pour qu'il en soit ainsi.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Darniche applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Türk.
M. Alex Turk.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon
intervention sera très courte, et ce pour deux raisons. D'une part, parce que
mon collègue Philippe Darniche interviendra sur l'ensemble du texte. D'autre
part, parce que le rapporteur m'en a donné l'occasion puisque - il s'agit là
d'un paradoxe - alors que je ne compte évoquer que le problème de l'élection au
suffrage universel dans les structures intercommunales, j'ai constaté que M.
Hoeffel a été dans l'obligation d'insérer cette question parmi les principes
fondamentaux. En effet, à l'origine, celle-ci ne figurait pas dans le texte et
elle ne fait l'objet que d'un amendement. Il est tout de même paradoxal que
notre rapporteur en soit réduit à agir ainsi. Cela signifie tout simplement que
nous sommes dans une situation ambiguë, puisque l'on nous demande de traiter
une question fondamentale pour l'avenir au détour d'un amendement sur un
texte.
Je ne reviendrai pas sur le problème de l'urgence, qui a été évoqué à de
nombreuses reprises. Le problème de l'élection au suffrage universel dans les
structures intercommunales subira donc le même traitement.
Je ne reviens pas non plus sur le fait que l'on recourt à une procédure
consistant à passer par un amendement pour traiter une question qui est
fondamentale. Je dirai simplement qu'il est un peu curieux - l'orateur qui m'a
précédé pensait qu'il s'agissait là d'une excellente initiative ; pour ma part,
je ne crois pas que ce soit le cas - de vouloir s'auto-conditionner ou de faire
en sorte que le législateur conditionne un autre législateur, au-delà d'une
alternance, en fixant un principe et en renvoyant le vote de ses modalités
d'application dans l'avenir. En effet, c'est au minimum une manoeuvre politique
et, à coup sûr, une ineptie sur le plan juridique.
Sur le fond, cette initiative me paraît totalement déconnectée des
réalités.
D'abord, elle est déconnectée de la réalité du terrain parce qu'elle ne tient
pas compte de la forte disparité qui existe aujourd'hui dans nos départements -
notamment dans le Nord, département dont je suis originaire - par exemple entre
les communautés urbaines et les communautés de communes.
Il me paraît très regrettable de prendre une telle initiative de manière aussi
rapide et intempestive, alors même que nombre de communautés de communes sont
très loin d'avoir acquis leur rythme de croisière. Alors même qu'elles n'ont
pas encore trouvé leur équilibre, on pose déjà le problème du mode de
recrutement de ceux qui participent à leurs organes délibératifs.
De la même manière, s'agissant du problème des budgets, il est bien évident
qu'entre certaines communautés urbaines comme celle de Lille, dont le budget
équivaut à lui seul à celui de plusieurs grandes villes de France, et certaines
communautés de communes de points plus reculés de notre département, qui à
elles seules ont un budget très inférieur à celui d'une petite commune, il n'y
a rien de commun. Or on voudrait les associer dans un même traitement.
Cette initiative est également déconnectée de la réalité institutionnelle. En
effet, il n'y a aucune réflexion globale sur le problème des échelons
administratifs. Nous en avons cinq, sans compter l'échelon européen. Or, qu'on
le veuille ou non, on décide d'instituer au suffrage universel un nouvel
échelon, sans avoir réfléchi à l'ensemble du dispositif. D'ailleurs, il n'y a
pas non plus eu de réflexion sur les conséquences inévitables quant à
l'organisation de l'interdiction du cumul des mandats, qui posera des problèmes
techniques considérables si ce texte est adopté en l'état.
On n'a pas non plus réfléchi au fait que, incidemment, on crée un semi-échelon
ou un embryon d'échelon avec le système des conseils de quartier. D'une
certaine façon, les communes seront prises dans un étau : elles seront, par le
bas, poussées par les conseils de quartier et, par le haut, comprimées par les
structures intercommunales issues du suffrage universel.
Telles sont les raisons pour lesquelles il me paraît extrêmement dangereux
d'aller plus loin sur un texte comme celui-là.
De ce point de vue, je voudrais rendre hommage à M. le rapporteur. En effet,
la proposition qu'il présente me semble pertinente. Au fond, elle permet de
résoudre deux questions. D'une part, il refuse de dissocier le principe des
modalités, ce qui, le moment venu, nous obligerait à prendre globalement nos
responsabilités. D'autre part, il précise et conforte le faisceau des
garanties. Telles étaient bien les questions que l'on pouvait au moins espérer
régler dans le débat qui nous agite aujourd'hui !
Enfin, je conclurai par une remarque. Il est troublant de constater que, en
général, ceux qui remettent en cause la légitimité à travers la
représentativité du Sénat en voulant tirer le suffrage universel indirect vers
le suffrage universel direct sont aussi ceux qui agissent à peu près dans les
mêmes termes à l'égard de l'autonomie communale. Ils oublient un principe
fondamental : la conjugaison du suffrage universel indirect et du suffrage
universel direct est inscrite dans la tradition de nos républiques
parlementaires depuis 1875 et elle est également, depuis les lois de la IIIe
République, inscrite dans le principe de la liberté et de l'autonomie
communales.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à vingt ans,
on souhaite généralement acquérir son autonomie financière et sa liberté ; on
souhaite assumer les choix de son existence. C'est vrai pour les personnes ;
c'est vrai aussi pour les collectivités locales.
Dans quelques mois, la décentralisation aura vingt ans monsieur le Premier
ministre Pierre Mauroy. Cela fera vingt ans que, grâce à vous et à Gaston
Defferre, les collectivités territoriales décentralisées existent. Mais au fil
du temps, on le voit bien, leur autonomie financière s'amenuise et leur liberté
de décision s'effiloche.
Aujourd'hui, les collectivités territoriales voudraient pouvoir s'administrer
librement au sein de la République. Ce principe simple doit avoir tout son
sens. L'écrire est une chose : il y a la lettre, mais aussi l'esprit. Or
l'esprit de la décentralisation mérite plus que d'être invoqué. Cet après-midi,
mon propos est exclusivement celui d'un praticien du terrain ; il n'a rien à
voir avec un engagement politique partisan.
Monsieur le ministre, votre projet de loi pourrait en apparence faire croire
que nous sommes sur la bonne voie : un titre évocateur et alléchant, une
multitude de dispositions concernant les droits des élus, les conditions
d'exercice des mandats locaux, les transferts de compétences, la participation
du public à l'élaboration de grands projets, etc.
Mais, à y regarder de près, les espoirs ne sont pas à la hauteur des enjeux,
Ce texte, cela a été dit, a une ambition modeste, ce qui, selon moi, n'est pas
forcément un défaut. Si, sur certains points, il réglera certaines questions,
sur d'autres, il va singulièrement compliquer la situation.
En réalité, il ne donne pas à la décentralisation l'élan nouveau que nous
attendons, il ne répond pas aux vraies questions que nous nous posons et il ne
comporte que peu de propositions nouvelles, même si celles qui y figurent
soulèvent de grandes questions.
Vous voulez accroître la participation de tous les citoyens à la démocratie,
grâce aux conseils de quartier, au renforcement des droits de l'opposition dans
les assemblées locales et aux nouvelles modalités de fonctionnement du débat
public.
Quel est l'intérêt réel de ces mesures ? Un grand nombre d'élus et de
nombreuses collectivités ont, depuis longtemps, pris l'habitude de consulter la
population en instaurant, sous une forme ou sous une autre, adaptée à la
réalité locale, une authentique culture du dialogue.
M. Jean-Paul Virapoullé.
Bien sûr !
M. Henri de Raincourt.
Ils n'ont pas eu besoin de loi pour le faire ! Pourquoi rigidifier encore en
imposant une démarche identique sur l'ensemble du territoire ? Pourquoi ne pas
laisser subsister cet espace de liberté en autorisant les collectivités locales
à user de cette culture du dialogue comme elles l'entendent ?
M. Roland du Luart.
C'est l'esprit partisan !
M. Henri de Raincourt.
Aujourd'hui, dans les assemblées locales, rien n'empêche, me semble-t-il,
l'opposition de poser des questions et de formuler des propositions. Le droit
d'expression est une condition essentielle de la démocratie. Pourquoi
l'enfermer dans une séance qui deviendra formelle, source de beaucoup de
démagogie et d'exacerbation des oppositions ?
Remettre en cause la pratique actuelle pour figer dans la loi les droits des
élus minoritaires présente le risque de créer des oppositions politiques là où
elles n'existent pas nécessairement. Au conseil général de l'Yonne, par
exemple, l'opposition pose des questions et dépose des motions quand elle le
souhaite. Par ailleurs, les publications du conseil général ne sortent qu'après
avoir reçu l'approbation d'un comité de rédaction représentatif de tous les
groupes politiques siégeant au conseil général.
Cette pratique a le mérite d'exister. Je ne vois donc pas pourquoi la loi
l'encadrerait, la formaliserait et, au fond, lui enlèverait de sa force et de
son élan.
L'article 7
ter,
qui est essentiel, arrête le principe de l'élection au
suffrage universel des délégués aux établissements publics de coopération
intercommunale, les EPCI, à fiscalité propre. A première vue, cette intention
apparaît tout à fait louable. Mais, si l'on y regarde de plus près, on en vient
à être plus réservé avant d'y devenir franchement hostile.
Ne nous y trompons pas : de notre point de vue, le franchissement de cette
nouvelle étape représenterait un nouvel et peut-être décisif affaiblissement de
la commune et de sa légitimité.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Philippe Darniche.
C'est évident !
M. Henri de Raincourt.
Est-ce opportun ?
Est-ce utile à la démocratie ?
(Non, sur les mêmes travées.)
Est-ce favorable à l'équilibre même de notre société ?
M. Bruno Sido.
Absolument pas !
M. Henri de Raincourt.
Les Français sont viscéralement attachés à leurs communes. Il me semble même
que cet attachement va grandissant.
M. Philippe Darniche.
C'est vrai !
M. Henri de Raincourt.
On peut le comprendre et partager ce sentiment. En effet, dans un monde ouvert
où les frontières ont disparu, l'être humain se trouve désemparé par
l'immensité de son environnement. Il a un très grand besoin, pour ne pas
craindre ni rejeter cette réalité, de proximité et de sentir qu'il appartient à
une communauté de destin.
C'est la commune et elle seule qui lui ouvre cet univers à sa dimension,
rassurant et réconfortant. Déjà Tocqueville l'écrivait : « Si l'on ôte la force
de la commune, on n'aura que des administrés et point de citoyens. »
Gambetta reprenait cette idée lorsqu'il écrivait ceci : « C'est à la mairie
que tout commence. » Mais pas une mairie désincarnée, vidée de sa substance,
une mairie alibi d'une démocratie qui aurait fui ! »
Je suis un partisan déterminé de l'intercommunalité et j'ai même le privilège
d'en présider une qui a été créée en 1926.
M. Charles Revet.
Ce n'est pas nouveau !
M. Roland du Luart.
Vous ne paraissez pas votre âge !
(Rires.)
M. Henri de Raincourt.
Ce n'est pas moi qui la préside depuis 1926, je vous rassure
(Nouveaux
Rires.)
M. Jean-Claude Peyronnet.
C'était son ancêtre !
M. Henri de Raincourt.
Non, ce n'était pas mon ancêtre non plus !
Mais, là comme ailleurs, il faut rechercher l'équilibre.
Mes chers collègues, après les lois Chevènement sur l'intercommunalité - notre
collègue Jean-Claude Peyronnet y faisait référence - la loi Voynet sur les pays
et la loi Gayssot plus récente sur les fameux SCOT, les schémas de cohérence
territoriale, voici une nouvelle disposition proposée qui rompt cet équilibre
et qui va inéluctablement éloigner l'élu de l'électeur, alors même que c'est à
l'inverse qu'il faut tendre si l'on veut redonner confiance à nos compatriotes
en la démocratie représentative.
Mes chers collègues, nous faisons fausse route, même si la volonté apparaît -
je le répète - tout à fait louable. Je vous incite donc, à cet égard, à une
grande réflexion et à une grande prudence.
Je n'aborderai que brièvement l'aspect pratique de la mise en oeuvre de cette
disposition. Par exemple, l'organisation de trois élections le même jour - les
élections municipales, intercommunales et cantonales - posera des problèmes
énormes dans bon nombre de nos communes.
Par ailleurs, soyons réalistes : point n'est besoin d'être grand clerc pour
deviner que, quand évolueront sur un territoire presque identique le maire, le
président de l'établissement public de coopération intercommunale, le
conseiller général, voire...
M. Bruno Sido.
Les sénateurs !
M. Henri de Raincourt.
... le conseiller régional, il y aura trop de crocodiles dans le marigot !
(Sourires. - M. Jean-Paul Virapoullé applaudit.)
M. Bruno Sido.
Eh oui !
M. Henri de Raincourt.
Les ambitions et les rivalités de personnes paralyseront l'action.
M. Bruno Sido.
C'est exact !
M. Henri de Raincourt.
Encore une fois, c'est le développement même de l'aire géographique concernée
qui s'en trouvera notablement et durablement affecté.
Pour développer les collectivités locales, il faut rassembler. Or si plusieurs
personnes tirent, elles tireront forcément non pas dans le même sens mais à hue
et à dia ! Le phénomène est naturel et, hélas ! inévitable.
Si la proposition contenue dans l'article 7
ter
peut paraître
séduisante et sympathique, elle n'est pas raisonnable. Ou alors - je rejoins à
cet égard les propos qu'a tenus notre collègue Jean-Claude Peyronnet - que l'on
définisse clairement la vision que la France a de son organisation
territoriale, quels échelons elle veut conserver, ceux qu'elle veut supprimer,
et le Sénat en débattra. Ce sera un processus tout à fait démocratique.
Telle est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et Indépendants,
s'il est très reconnaissant à la commission des lois d'avoir encadré le
dispositif qui nous vient de l'Assemblée nationale, va cependant un cran plus
loin, considérant que, aujourd'hui, le Sénat ne peut pas donner de lui aux
maires de France l'image d'une assemblée favorable à l'élection des délégués au
suffrage universel.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. Charles Revet.
Absolument !
M. Henri de Raincourt.
J'en arrive maintenant au titre III traitant des compétences locales.
Je laisse le soin à mes collègues élus régionaux d'aborder les questions qui
les concernent et dont vous avez parlé tout à l'heure, monsieur le ministre.
Je déplore la rédaction de l'article 43 A concernant l'aide aux entreprises.
Je n'ai toujours pas compris la raison pour laquelle cette rédaction lie
l'intervention des communes et des départements à la signature d'une convention
obligatoire avec la région. L'obligation, là encore, n'est ni gage d'efficacité
ni respectueuse de l'autonomie des collectivités locales.
L'article 43 I ouvre la possibilité d'une expérimentation relative à une
intervention différente des collectivités territoriales dans le domaine du
patrimoine. Sur le principe, je n'y vois pas d'objection. Dans la réalité, une
nouvelle fois, la pratique me conduit à dire que, si l'on devait s'engager dans
cette voie, il faudrait avoir réglé au préalable l'épineuse question des
relations entre les collectivités territoriales, la direction régionale des
affaires culturelles, la conservation des monuments historiques, sans même
parler du statut - résurgence de l'ancien régime - des architectes en chef des
monuments historiques !
Le chapitre II, qui aborde le fonctionnement des SDIS, les services
départementaux d'incendie et de secours, retient plus particulièrement mon
attention.
Je considère - je vous le dis franchement, monsieur le ministre - que l'on y
fait du rafistolage sans aborder la question au fond. Cela signifie qu'il
faudra réexaminer cette dernière. C'est dommage. C'est une occasion manquée. Je
l'affirme d'autant plus librement que la situation défavorable d'aujourd'hui
résulte d'une loi que j'ai votée. Je n'ai donc aucun scrupule à dire que cela
ne fonctionne pas et qu'il faudrait essayer de clarifier les choses.
Comme vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, monsieur le ministre, la
reprise d'éléments contenus dans le rapport Fleury me paraît insuffisante.
L'application de la loi actuelle ne donne pas satisfaction. Il faudra bien
qu'un jour l'on dise qui est l'autorité compétente pour diriger le SDIS, qui le
finance, et comment il est financé. Ainsi, les choses seraient claires.
Ce choix n'est pas proposé dans le texte, sauf à alourdir encore les dépenses
obligatoires des conseils généraux. Certes, on parle un jour, mais pas le
lendemain, de compensation par l'Etat de la part communale qui serait supprimée
en 2006. On parle de pourcentage des uns ou de pourcentage des autres. Je suis
défavorable à tout cela.
On nous dit que le conseil général aura la majorité au sein du conseil
d'administration du SDIS, avec 14 membres au moins sur 22. Mais la désignation
des membres de ce dernier se faisant à la proportionnelle, il n'est pas certain
que ce sera systématiquement un représentant de la majorité du conseil général
qui sera élu à sa tête. Je crois qu'il y a là quelque chose auquel il
conviendrait de faire attention.
Quant au système qui confie à un conseil d'administration le soin de fixer la
dépense obligatoire incombant au conseil général, je le trouve, pour ma part,
désagréable, déplorable et détestable.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines
travées de l'Union centriste.)
Peut-on imaginer qu'un jour on aura le courage d'aller plus loin que la «
communication », jointe à l'avis d'imposition à la taxe d'habitation, du
montant des contributions des collectivités locales rapporté au nombre
d'habitants du département ?
Monsieur le ministre, la vraie mesure consisterait à dire clairement qui
dirige le conseil d'administration. Si c'est le conseil général, on n'a pas
besoin de conseil d'administration.
M. Bruno Sido.
Bien sûr !
M. Henri de Raincourt.
Le SDIS devient alors un service du département.
M. Bruno Sido.
Bravo !
M. Henri de Raincourt.
Quant au financement, soit il incombe aux communes et aux départements, et il
est alors normal qu'il y ait un conseil d'administration, soit, comme je le
souhaite moi-même, on aura un jour le courage de faire figurer clairement sur
la feuille d'imposition locale une colonne supplémentaire...
M. Patrick Lassourd.
Tout à fait !
M. Henri de Raincourt.
... intitulée « coût des services d'incendie et de secours ». Ainsi, comme
pour les ordures ménagères, chaque contribuable connaîtrait alors le coût réel
du service et le financerait directement.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de
l'Union centriste.)
Ce serait plus simple et plus clair !
Voilà pourquoi, sur ces deux points, le texte ne me paraît pas à la hauteur
des enjeux et ne répond à mon avis pas suffisamment aux préoccupations locales.
Il ne prend pas assez en compte la réalité telle que nous la percevons sur le
terrain. Nombre de dispositions sont incomplètes. Elles mériteraient d'être
précisées, et pourraient même à elles seules faire l'objet d'un texte
spécifique.
Le transfert de nouvelles compétences aux collectivités locales par voie
d'amendement lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, sans
véritable vision d'ensemble, constitue aussi, selon moi, une erreur de
méthode.
Enfin, la procédure d'urgence appliquée à ce texte ne correspond pas à ce que
nous pouvions attendre sur l'importante question de la décentralisation et va
brider le débat parlementaire là où une discussion tout à fait approfondie
s'impose. Mes collègues et moi-même appelons de nos voeux une vraie relance de
la décentralisation, sans aucune arrière-pensée, une réforme qui poserait les
vrais problèmes mais qui apporterait aussi les bonnes solutions. C'est une idée
que, avec d'autres, avec beaucoup de modestie et d'humilité, croyez-le bien,
nous avons toujours défendue et que nous continuerons à défendre, considérant
que, dans ce domaine qui touche au coeur du fonctionnement de notre société et
de notre pays, elle passe avant toutes les autres.
(Très bien ! et vifs
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Barbier.
M. Gilbert Barbier.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, lors des dernières élections
municipales, les Français ont clairement manifesté leur volonté de peser
directement sur les décisions qui engagent l'évolution de leur cadre de vie.
Le Gouvernement a confié à M. Pierre Mauroy la présidence d'une commission
chargée de formuler des propositions sur l'avenir de la décentralisation. La
vivacité des débats, mais aussi le caractère novateur et ambitieux de certaines
revendications ou propositions sont révélateurs des frustrations, des
impatiences, des lassitudes et surtout des attentes des décideurs locaux,
conscients que la décentralisation française est désormais à un tournant de son
histoire.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à replacer le citoyen au
coeur d'une décentralisation plus légitime, plus efficace, plus solidaire.
L'ambition du Gouvernement est, certes, louable et justifiée, mais,
malheureusement, le contenu du projet de loi laisse perplexe, notamment après
l'intégration de nombreux amendements adoptés par l'Assemblée nationale. A vrai
dire, il donne l'impression désagréable d'un texte fourre-tout, sans vision
globale, incluant aussi bien l'organisation de conseils de quartiers que
l'élection au suffrage universel des membres des EPCI, aussi bien des
dispositions relatives au statut de l'élu que le fonctionnement des services
d'incendie et de secours, aussi bien la réforme du recensement qu'un volet sur
les grands projets d'utilité publique.
De nombreuses communes mènent depuis longtemps des expériences de démocratie
de proximité qui reposent sur des règles souples, garantes de leur succès. Or
le projet de loi introduit des dispositions formelles, comme l'obligation de
créer des conseils de quartier dans les villes de plus de 20 000 habitants, qui
risquent tout simplement de freiner ou de remettre en cause ces pratiques
quotidiennes. Il est des villes et des quartiers où cette création se justifie,
d'autres où ce n'est pas le cas.
On peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence du quartier comme unité de
référence de la proximité. Comment rendre compte d'un espace à géométrie
variable selon qu'il est vécu par la municipalité, par les habitants, par ceux
qui y travaillent, par les services publics ou par les acteurs privés ?
La création de ces instances soulève également la question de leur légitimité.
Il s'agit en effet de trouver un juste équilibre entre la démocratie
représentative - celle des élus municipaux, qui jouissent de la légitimité du
suffrage universel - et la démocratie participative issue d'une demande de la
société locale. Ne risque-t-on pas de voir se constituer un contre-pouvoir se
prévalant d'une légalité propre ?
Le projet de loi prévoit, de surcroît, la présence d'élus au sein de ces
conseils de quartier. Si cette mesure peut permettre d'assurer un lien direct
avec le conseil municipal, elle risque surtout de mettre l'élu présent dans ces
conseils dans des situations souvent très difficiles à gérer.
Je crois, monsieur le ministre, qu'il vaudrait mieux laisser les expériences
se poursuivre en fonction des réalités du terrain et non plaquer un modèle
unique de participation des citoyens à la décision publique.
Autre point contestable de ce projet de loi : les transferts de compétences
aux régions dans les domaines de l'aide directe aux entreprises, de
l'enseignement supérieur, de la formation professionnelle ou de
l'environnement, introduits par une série d'amendements déposés par le
Gouvernement.
Si l'on peut se réjouir de ce nouveau pas vers une décentralisation accrue, on
doit, néanmoins, regretter la méthode. Ces transferts de compétences auraient
certainement mérité un débat plus approfondi. Par ailleurs, ils ne sauraient
suffire à répondre aux attentes légitimes des collectivités locales et des
Français.
Le volet relatif au SDIS n'échappe pas non plus à la critique. En ma qualité
d'ancien président du SDIS du Jura, j'ai pu constater combien un transfert de
charges ne signifiait pas nécessairement un transfert de responsabilités.
L'Etat décide et impose par l'intermédiaire du préfet, le maire est responsable
de la sécurité dans sa commune et les collectivités paient. Non seulement le
projet de loi maintient cette ambiguïté, mais il confirme également le
désengagement financier de l'Etat en matière de secours.
Je crois savoir que le Gouvernement prépare un autre texte sur les services de
secours. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire où en est la réflexion
?
Enfin, comme nombre d'orateurs précédents, je reste réservé sur l'opportunité
d'élire au suffrage universel les membres des EPCI.
En premier lieu, cette mesure ne manquera pas de politiser une institution où
il n'y avait jusque-là pas trop de clivages politiques manifestes, mis à part
une opposition entre petites, moyennes ou grandes communes.
En second lieu, l'organisation de cette élection me paraît relever d'un
véritable casse-tête. Comment et par quel mode de scrutin garantir à la fois la
représentation de chaque commune par au moins un siège et le respect du
principe de parité entre les hommes et les femmes ? Ne craignez-vous pas de
semer la confusion parmi les électeurs, amenés à voter le même jour pour les
conseillers municipaux, les conseillers des EPCI et parfois aussi les
conseillers généraux ? Cela ne va pas dans le sens de la simplification
souhaitée !
En tout état de cause, je suis inquiet de voir les municipalités se vider
petit à petit par le haut et par le bas. En quelques années, trois nouveaux
niveaux de décision - l'intercommunalité, la région et l'Europe - ont été créés
et de nombreuses autres structures ont émergé autour de la commune, comme les
pays ou, demain, les conseils de quartier. Qui fera quoi ? Quelle sera
l'organisation subsidiaire des fonctions et des pouvoirs de l'infra et du
supra-communal ! Il faudra bien un jour avoir le courage de revoir ce «
millefeuilles » et de le clarifier.
Le présent projet de loi comporte néanmoins quelques points positifs.
Le titre II apporte notamment une partie des réponses que nous attendions sur
le statut de l'élu. Les élus pourront désormais exercer leur mandat sans être
pénalisés comme ils l'étaient auparavant dans leur vie professionnelle ou
familiale en raison du temps passé au service de leurs concitoyens.
Je note également avec satisfaction la possibilité ouverte par l'article 11
bis
de délégation à des conseillers municipaux dès lors que l'ensemble
des adjoints sont titulaires d'une délégation. Jusqu'à aujourd'hui, cela
n'était possible qu'en l'absence ou en cas d'empêchement des adjoints.
Dans la pratique, de nombreux maires ont accordé des délégations à des
conseillers municipaux en dehors de ces deux cas. Les services chargés du
contrôle de légalité ont eu, à cet égard, des attitudes et des interprétations
bien différentes. Certains maires n'ont jamais été inquiétés, d'autres, en
revanche, ont été assignés devant le tribunal administratif.
C'est mon cas. J'ai pu, pendant dix-huit ans, désigner des conseillers
délégués et leur verser une rémunération prise dans l'enveloppe globale. Or,
dernièrement, le préfet de mon département a porté l'affaire devant le tribunal
administratif, qui a annulé l'arrêté municipal en cause. Cet article 11
bis
permettra, je l'espère, de clarifier les choses.
Pour conclure, on peut se demander s'il ne faudrait pas d'abord se préoccuper
de redonner du souffle à la démocratie électorale en restaurant la confiance
entre la classe politique, les institutions et les citoyens. A l'évidence, les
bons sentiments et le volontarisme politique n'y suffiront pas. A faire
l'économie d'une véritable réflexion sur les moyens de restaurer une réelle
crédibilité démocratique, on prend le risque de voir la démocratie de proximité
déboucher sur un voeu pieux et sur une pseudo-participation.
Ce que les auteurs du projet de loi appellent une « nouvelle étape de la
décentralisation » manque un peu d'ambition. Nous aurions souhaité voir l'Etat
se recentrer sur ses missions régulatrices, l'articulation des pouvoirs locaux
clarifiée et simplifiée, leurs compétences s'élargir, la fiscalité locale
rénovée dans le sens de l'autonomie, le droit à l'expérimentation reconnu.
M. Charles Revet.
Exactement !
M. Gilbert Barbier.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je ne peux approuver le texte que vous
nous présentez.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Delevoye.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Paul Delevoye.
Monsieur le président, monmonsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi quelques remarques sur ce texte, qui a déjà fait l'objet de
nombreux débats et qui, pour utiliser une expression couramment employée, nous
interpelle.
Je regrette pour ma part, après de nombreux orateurs, que ce même texte traite
de plusieurs sujets très différents - la participation des habitants, le statut
de l'élu, un pan de décentralisation - minorant ainsi la valeur de chacun de
ces domaines, qui méritait à lui seul un débat.
En fait, il s'agit de savoir quelles nouvelles actions publiques nous voulons
répartir entre l'Etat et les collectivités locales.
La décentralisation doit reposer sur un principe clair : « Qui paye commande
», comme M. de Raincourt le disait à propos du service d'incendie,...
M. Charles Revet.
Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye.
... mais aussi sur la stabilité des règles.
Or je ne puis m'empêcher de remarquer que, texte après texte, les règles
financières changent, les compétences changent, ce qui déstabilise chacun par
rapport aux actions publiques. Revenons à une articulation plus stable, bien
cadrée et surtout plus pérenne des relations entre l'Etat et les collectivités
locales !
En réalité, nous avons l'impression, peut-être fausse, que, chaque fois que
l'Etat cherche à précipiter un nouveau transfert de compétences, c'est plus
pour lui permettre de se débarrasser d'un domaine dans lequel il a du mal à
exercer financièrement ses compétences
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants),...
M. Louis de Broissia.
Toujours !
M. Jean-Paul Delevoye.
... que pour rechercher l'efficacité dans l'action publique qu'attendent nos
concitoyens.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Charles Revet.
Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye.
S'agissant du statut de l'élu, vous avez parlé d'urgence, monsieur le
ministre. A ce sujet, je répéterai les propos que nous tenions voilà quelques
mois à cette tribune : si vraiment il y avait urgence, il fallait reprendre le
texte voté par le Sénat...
M. Charles Revet.
Exactement !
M. Jean-Paul Delevoye.
... et le mettre à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Ce texte serait
adopté depuis quelques mois déjà. Il s'agissait d'un texte équilibré, complet
et qui devrait permettre à chacun d'exercer à parité un mandat toujours plus
difficile à remplir.
Pour la clarté de l'exposé, je concentrerai mon propos sur trois sujets.
Dès son intitulé, ce texte attire notre attention sur la démocratie de
proximité. On ne peut s'empêcher de remarquer que le système démocratique
s'impose partout dans le monde au moment même où le doute sur sa pratique
s'installe.
En fait, le défi politique qui nous attend est celui de notre capacité à faire
prévaloir l'intérêt général sur les intérêts catégoriels.
A partir du moment où l'Etat a souhaité légiférer sur la démocratie des
collectivités locales, j'ai pensé qu'il devait avoir le souci de s'imposer à
lui-même ce qu'il souhaitait exiger des collectivités locales.
Or, dès que j'ai vu une loi de finances votée par le Parlement être
immédiatement transformée par un ministre, des mesures annoncées à la
télévision avant d'être entérinées par ce même Parlement, j'ai compris que nous
étions en train de remettre en cause la démocratie parlementaire et d'instiller
le doute chez nos concitoyens sur l'efficacité de cette démocratie dite
représentative.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Charles Revet.
C'est vrai !
M. Jean-Paul Delevoye.
Ainsi, au moment même où l'Etat, en quelque sorte, se tire une balle dans le
pied, il exprime de la méfiance à l'égard de la pratique politique des élus.
Je ne suis pas certain d'avoir raison, mais, pour moi, la démocratie n'est pas
une affaire d'éloignement ou de proximité : c'est d'abord et avant tout une
légitimité tirée du peuple ; c'est la capacité de faire participer le peuple à
l'élaboration des décisions et à leur exécution. Or je constate qu'actuellement
plus un seul élu n'imaginerait de prendre une décision, d'engager une action
sur des travaux publics, par exemple, sans opérer au préalable une
concertation, sans donner à la population la possibilité de s'approprier le
projet sur lequel on lui demande de s'exprimer.
Je pensais, monsieur le ministre, qu'en vous interrogeant sur l'efficacité de
la démocratie représentative, vous instilleriez un peu de démocratie directe
dans votre projet de loi. Je m'aperçois, en fait, que vous semblez vouloir
opposer à la légitimité conférée au conseil municipal par le suffrage universel
une institutionnalisation du conseil de quartier qui enferme la population dans
cette représentation. Pourtant, dans la pratique quotidienne, lorqu'un élu se
rend dans un même quartier pour aborder des sujets politiques différents, il
rencontre des habitants différents, les uns intéressés par la politique
sportive, d'autres par la politique éducative, d'autres encore par la politique
de sécurité. Ce qui est important, pour les habitants, c'est d'avoir un contact
direct avec le décideur politique, sans barrage,...
M. Charles Revet.
Bien sûr !
M. Jean-Paul Delevoye.
... sans avoir l'impression d'être instrumentalisé par l'élu ou par un organe
représentatif, la notion de représentativité étant d'ailleurs aujourd'hui
extrêmement difficile à cerner, certaines associations étant spontanément
créées non pas pour apporter une contribution à l'intérêt général, mais surtout
et avant tout pour défendre des intérêts particuliers.
L'Association des maires de France avait réfléchi à cette notion de conseil de
quartier, et je me souviens avoir entendu M. Pierre Mauroy me dire : « Mais
cela se pratique chez moi, il faut donc l'inscrire dans la loi. » Mais si cela
se pratique, pourquoi légiférer ?
M. Charles Revet.
Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye.
Il faut promouvoir la démocratie directe plutôt que d'inscrire la pratique
dans la loi ! Laissons faire les choses, et l'exemplarité de l'action publique
permettra d'éviter d'opposer demain la légitimité du suffrage universel à celle
du conseil de quartier.
En même temps, nous avons réfléchi au renforcement des pouvoirs d'expression
des minorités. Sur ce point, M. le rapporteur a eu raison, à mon avis, de ne
pas donner suite à cette idée de séance réservée à l'opposition. En effet,
l'opposition a la faculté d'intervenir tout au long de l'année dans les
instances délibératives pour apporter sa capacité d'alternative ; on ne doit
pas cantonner à une seule séance dans l'année son pouvoir d'expression !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Nous avons été vingt-trois ans dans
l'opposition. Nous avons vu ce que cela donnait !
M. Henri de Raincourt.
Nous, ça fait quinze ans !
M. Charles Revet.
En fait, vous pensez à votre futur !
M. Didier Boulaud.
Qu'est-ce que c'est que ces chasseurs d'ours ?
M. Jean-Paul Delevoye.
Mais j'ai bien compris, monsieur le ministre, que vous souhaitiez renforcer
les droits de l'opposition pour pouvoir mieux les exercer dans quelque
temps.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Soyez prudent ! C'est la période des voeux, mais
tout de même !
M. Louis de Broissia.
C'est la bonne année !
M. Jean-Paul Delevoye.
Quoi qu'il en soit, il m'apparaît vraiment important de réfléchir plus avant
sur ce point et j'approuve à cet égard la commission d'avoir donné un caractère
facultatif et incitatif à une pratique démocratique, plutôt que d'instituer une
obligation, ce qui aurait faussé le débat démocratique.
J'en viens à l'élection au suffrage universel des délégués intercommunaux.
M. Henri de Raincourt.
Ah !
M. Jean-Paul Delevoye.
J'ai entendu l'argument selon lequel celui qui lève l'impôt doit être
systématiquement élu au suffrage universel. Certes, la douleur du contribuable
peut amener l'élu à un peu plus de sagesse, comme je le dis parfois, mais je
demeure sceptique sur la valeur de cet argument dès lors que l'intercommunalité
est fortement incitée à passer à la taxe professionnelle unique. Cela
signifie-t-il, aux yeux de celles et ceux qui avancent cet argument, que seules
les entreprises doivent participer à l'élection pour pouvoir contrôler l'usage
de leur impôt ? Je ne le crois pas !
M. Roland du Luart.
Ce serait louis-philippard !
M. Jean-Paul Delevoye.
Cet argument ne tient donc pas, non plus que celui qui consiste à affirmer que
le suffrage universel est le moyen de contrôler les élus. Je ne vois pas
pourquoi ces derniers auraient un chèque en blanc pour six ans ! Il convient,
au contraire, de mettre en place des pratiques qui permettent l'organisation de
débats annuels sur les comptes administratifs ou sur les orientations
budgétaires.
La vraie question, qu'évoquait M. le ministre et qui est dans l'esprit de
chacun, est celle-ci : qu'est-ce que l'intercommunalité ?
Pour nous, l'intercommunalité, c'est d'abord et avant tout la volonté des
communes de mettre en commun certains de leurs moyens pour être plus
efficaces.
M. Jacques Legendre.
Eh oui !
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye.
A l'évidence, vouloir faire élire des délégués intercommunaux sur l'espace de
l'intercommunalité revient - allons jusqu'au bout de la réflexion - à annoncer
la suppression d'une dimension de la commune.
(Applaudissements sur les travée du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Revet.
Exactement ! C'est ce que veut le Gouvernement, mais il n'ose pas le dire !
M. Jean-Paul Delevoye.
Il y a là un vrai débat : la commune est-elle le lieu d'application d'une
politique intercommunale, ou bien l'intercommunalité est-elle la mise en commun
des volontés des communes pour être plus efficaces et plus performantes, ce qui
implique le contrôle de la mutualisation de ses moyens par la commune elle-même
?
Voilà pourquoi les délégués intercommunautaires ne peuvent être que des
conseillers municipaux issus des communes sur le territoire communal, leur
choix intervenant le même jour. Pour l'instant, je suis donc extrêmement
réservé sur le fait de vouloir afficher un principe sans en discuter des
modalités.
Les uns et les autres, nous devons dire très clairement que nous refusons la
notion de supracommunalité, et il serait intéressant de vous entendre sur ce
sujet, monsieur le ministre.
M. Roland du Luart.
Oui !
M. Jean-Paul Delevoye.
S'agissant des SDIS, j'ai entendu l'intervention de M. de Raincourt, je n'y
reviens donc pas.
Il est cependant un troisième sujet que je souhaite évoquer, même si son
importance est moindre au sein du présent projet de loi, à savoir les
recensements et leurs conséquences.
Aux termes du projet du Gouvernement, nous devrions pouvoir disposer tous les
ans d'une analyse chiffrée sur l'évolution de la démographie. J'ai déposé un
amendement, peut-être un peu brutal, tendant à la suppression de cette
disposition, parce que le franchissement de certains seuils démographiques
entraîne nombre de conséquences pour les collectivités locales, qu'il s'agisse
du statut des fonctionnaires, de certaines obligations légales de procédure, de
délais de convocation, de l'application de la loi relative aux nomades, que
sais-je encore : aujourd'hui, près de deux cents textes sont directement
concernés par la notion de seuils démographiques.
Nous ne pouvons donc accepter ce principe sympathique qui consiste à disposer
d'un instrument de lecture de notre évolution démographique que si vous prenez
l'engagement, monsieur le ministre, de faire en sorte que soient analysées très
clairement les conséquences directes des recensements ainsi opérés, aussi bien
la première année d'application que les années suivantes.
Enfin, au moment où nous célébrons le vingtième anniversaire des lois de
décentralisation, j'aurais souhaité que l'on ne nous soumette plus des textes
qui, ajout après ajout, transfèrent des compétences sans en mesurer les
conséquences et sans vision globale. Alors que M. Mercier a accompli un grand
travail de réflexion sur l'articulation entre l'Etat et les collectivités
locales, je regrette que vous n'ayez pas eu la volonté de mettre en place un
chantier qui nous permette cette vision globale afin d'avoir une approche
sereine de ce type de débat.
Pour ma part, je suis de ceux qui pensent que la participation du citoyen est
un élément déterminant pour la vie démocratique, mais je considère en même
temps qu'en aucun cas l'institutionnalisation de la démocratie ne donne du
souffle à cette démocratie.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà
quelques semaines, nous débattions de la police de proximité.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
De la sécurité urbaine !
M. Jean-Jacques Hyest.
Certes, mais il s'agissait bien de police de proximité, grand thème cher au
ministre de l'intérieur.
Aujourd'hui, voici maintenant la démocratie de proximité. Voilà quelques
jours, au sujet d'un champion sportif que tout le monde connaît, un grand
journal du soir évoquait, pour sa part, un « héros de proximité ».
C'est donc la saison de la proximité.
(Sourires.)
Voilà quelques mois, c'était la modernité.
M. Charles Revet.
Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest.
Toutes les lois étaient « de modernisation ». On modernisait ! C'était le
maître mot du discours politique : je vous renvoie, à cet égard, à quelques
titres pompeux de certains projets de loi.
L'effet de mode est intéressant d'un point de vue sociologique, mais il est
peut-être moins pertinent sur le plan législatif.
Je ne reviendrai pas, monsieur le ministre - d'autres orateurs l'ont évoqué
avant moi - sur la détestable manière dont nous sommes contraints de légiférer.
On peut tenir de grands discours sur l'attachement que l'on manifeste vis-à-vis
du respect du Parlement. On peut même préciser, comme plusieurs ministres l'ont
fait ces dernières semaines, que le bicamérisme est utile pour améliorer la
législation et approfondir les débats de société.
Force est cependant de constater, d'une part, que le projet de loi qui nous
est soumis n'est pas débattu dans des conditions convenables, et, d'autre part,
qu'il ne s'agit pas d'un texte fondateur, son contenu n'étant pas à la hauteur
des promesses de son titre.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Il fut un temps - mais c'était il y a une décennie - où la loi du 6 février
1992 relative à l'administration territoriale de la République faisait l'objet
d'un examen approfondi, étalé sur plusieurs mois, après deux lectures dans
chaque assemblée du Parlement. Etait-ce parce qu'il n'y avait qu'une majorité
relative à l'Assemblée nationale, ce qui conduit à la sagesse, ou s'agissait-il
plutôt de respecter le Sénat comme représentant légitime des collectivités
territoriales de la République ?
On pourrait en dire autant des conditions dans lesquelles avait été élaborée
la loi du 12 juillet 1999 sur l'intercommunalité.
Aujourd'hui, la précipitation, l'urgence à la fin d'une session parlementaire
ne peuvent être le gage d'une bonne politique pour les collectivités locales,
et le projet de loi qui nous est soumis, « enrichi » par une avalanche
d'articles à l'issue du débat à l'Assemblée nationale, est, comme l'indiquait
notre excellent rapporteur Daniel Hoeffel, un de ces trop nombreux projets
portant « diverses dispositions d'ordre législatif » - devrais-je ajouter
largement réglementaire ? - concernant cette fois-ci les collectivités
territoriales.
Plusieurs de nos collègues du groupe de l'Union centriste interviendront sur
les divers chapitres du projet de loi, et je n'évoquerai que quelques points
particuliers dans cette discussion générale, en félicitant d'abord le
rapporteur de la commission des lois - un expert ! - et les rapporteurs pour
avis de la qualité de leurs analyses et de leurs propositions.
Notons tout d'abord que le titre II, relatif aux conditions d'exercice des
mandats locaux, aurait dû faire l'objet d'un
copyright
- pardonnez-moi
cet anglicisme - tant il semble inspiré d'une proposition de loi votée il y a
quelques mois par le Sénat. Vous reprenez ainsi des textes adoptés par le Sénat
mais non transmis à l'Assemblée nationale, sans toutefois le reconnaître.
Sans tomber dans le formalisme stérilisant qui semble être la marque de la
législation proposée par le Gouvernement, encouragé en cela par la majorité de
l'Assemblée nationale, au point de tout réglementer jusqu'à la liberté de
formation des élus locaux, peut-on présenter une supplique aux pouvoirs publics
et aux administrations en leur demandant de ne pas submerger indûment les
emplois du temps des élus locaux sous le prétexte d'une amélioration de leur
statut, par une succession de réunions insipides, non décisionnelles, où tous,
élus et fonctionnaires, perdent largement leur énergie ?
N'y a-t-il pas de moyen plus moderne de gérer la concertation nécessaire,
d'autant que, lorsqu'il s'agit de dossiers importants, les élus locaux
demeurent bien souvent les derniers informés ?
Parfois, l'intitulé même de certaines dispositions ne manquerait pas, si elles
étaient adoptées, de provoquer quelques articles humoristiques justifiés : il
en est ainsi de ce « bureau des temps », censé favoriser l'harmonisation des
horaires des services publics avec les besoins des usagers. Une telle
institution, monsieur le ministre, devrait être d'abord préconisée dans les
services de l'Etat, qu'ils soient déconcentrés ou non, tant l'application de la
réduction du temps de travail a d'incidence sur l'ouverture des services au
public, nous le constatons tous sur le terrain.
Mais venons-en aux principales dispositions qui concernent la participation
des habitants à la vie locale, les compétences des collectivités locales,
notamment en matière d'incendie et de secours, et la participation du public à
l'élaboration de grands projets.
Sur le premier point, nous ne pouvons qu'approuver les conclusions de la
commission des lois, qui visent à assouplir les mesures préconisées, notamment
en ce qui concerne les conseils de quartier. M. Jean-Paul Delevoye vient d'en
parler. Laissons se développer les expériences en cours et les traditions bien
établies dans certaines métropoles régionales, et, surtout, laissons les
conseils municipaux libres d'organiser comme ils l'entendent la concertation
nécessaire au niveau des quartiers.
Mais - et ce n'est pas une proposition du Gouvernement - on ne peut que
s'interroger sur la disposition introduite à l'Assemblée nationale relative à
l'élection au suffrage universel direct des membres des organes délibérants des
structures intercommunales à fiscalité propre.
A ce sujet, quelques observations doivent être présentées.
Tout d'abord - je m'interroge - quelle est cette nouvelle catégorie de lois
qui renvoient à une loi ultérieure le soin de déterminer les conditions
d'application d'un principe ? Depuis quand a-t-on vu le législateur faire une
sorte de « pacte sur succession future » ? Le caractère normatif de la
disposition présentée n'apparaît pas évident, et le débat ne sera en tout état
de cause pas clos aujourd'hui.
Encore faut-il préciser que nous ne souhaitons en aucune manière que la «
supracommunalité » se substitue à « l'intercommunalité », cela pour deux motifs
essentiels.
M. Jacques Legendre.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Il nous apparaît que la commune, à une époque où l'on parle de proximité, de
la nécessité de trouver des lieux de solidarité et d'enracinement - on veut
généraliser les conseils de quartier - demeure plus que jamais nécessaire, même
si elle ne peut remplir toutes les fonctions de la cité. La loi sur
l'intercommunalité, dont le succès a été, même pour ses promoteurs, une
surprise, est une loi d'équilibre. Il s'agit de libre administration des
communes et il serait dommage de stopper l'élan de cette loi en changeant les
règles du jeu, surtout pour quelques secteurs où elle est difficile à mettre en
oeuvre. C'est vraiment une erreur profonde de soulever à nouveau ce débat en ce
moment.
M. Charles Revet.
Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest.
Même si nous ne pouvons qu'approuver
a minima,
et dans une perspective
de dialogue, les conditions précises fixées par la commission des lois pour
envisager un jour cette élection au suffrage universel direct, nous aurions
préféré que ce débat n'intervînt pas dans ces conditions, d'autant qu'il est
faux à nos yeux d'affirmer que seul le suffrage universel direct est pertinent,
au risque de mettre en cause l'article 3 de la Constitution, dont le troisième
alinéa précise que : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les
conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et
secret. »
(MM. Michel Mercier, rapporteur pour avis, et Pierre Fauchon,
approuvent vivement.)
Veut-on changer la Constitution ?
La légitimité d'un maire est-elle contestable parce qu'il est élu - même si
cela est formel dans les grandes villes - au suffrage indirect ?
M. Pierre Fauchon.
Bien sûr !
M. Jean-Jacques Hyest.
Mes chers collègues, voulez-vous saper définitivement le rôle constitutionnel
de notre Haute Assemblée ? Personne ne le veut ici, ou si quelqu'un le
souhaite, il faut qu'il quitte l'hémicycle.
Méfions-nous du faux syllogisme qui identifie légitimité et suffrage
direct.
De surcroît, comment ne pas s'inquiéter de la concurrence entre assemblées
élues au suffrage universel direct, pour des compétences partagées ? Entre le
maire et le président de la communauté d'agglomération ou de communes - et
leurs technostructures, il ne faut jamais l'oublier - ne manquera pas de se
développer une compétition devant l'opinion publique. Comment éviter qu'une
assemblée élue au suffrage universel direct ne revendique pas le statut de
collectivité locale de plein exercice si les liens sont distendus avec les
communes ?
Certains, sans le dire explicitement, ont condamné la commune et se
réjouissent à l'avance de voir le département suivre le même sort. Il vaut
mieux dire carrément qu'on envisage un bouleversement de nos structures locales
plutôt que d'avancer masqué en mettant en avant le généreux principe de la
participation des citoyens à la vie locale.
M. Pierre Fauchon.
Ce n'est pas bien d'avancer masqué !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas vous, monsieur le ministre, mais certains le pensent et
l'écrivent !
J'en viens au deuxième point : les compétences des collectivités locales.
Elles visent essentiellement les transferts aux régions, qu'on ne peut
qu'approuver en ce qui concerne la formation professionnelle, dans un souci de
lisibilité. La limite entre les responsabilités de l'Etat et celles de la
région n'étaient pas claires. C'est donc une bonne réforme.
Mais avouons franchement que le transfert de compétences en matière portuaire
et aéroportuaire n'est peut-être pas le plus urgent et mérite en tout état de
cause une vraie expérimentation. La nouvelle étape de la décentralisation
pourtant annoncée en fanfare - n'est-ce pas monsieur Mauroy ? - est largement
démentie par les faits, à moins que les transferts de charges qui ont été
imposés...
M. Pierre Mauroy.
Par vous !
M. Jean-Jacques Hyest.
... aux collectivités locales ces derniers mois en tiennent lieu ?
Venons-en maintenant au chapitre relatif aux services d'incendie et de
secours.
J'entends les plaintes des présidents de conseils généraux, j'entends les
plaintes des maires devant une augmentation sensible des dépenses afférentes
non seulement à la prévention - dont les collectivités locales ne sont pas
responsables, mais dont elles paient les moyens - mais aussi aux secours. On
croit que ce sont les collectivités locales qui prennent les mesures. Ce sont
les préfets qui les signent. Les collectivités paient !
Au risque d'être mal compris, qu'il soit permis de dire que la loi de 1996,
loin d'être, comme certains l'ont prétendu, une loi pour les sapeurs-pompiers
professionnels - dite « loi des colonels » - a eu au moins cet avantage de
faire apparaître les dépenses réelles engagées et la nécessité pour certains de
mettre à niveau leur équipement et leurs effectifs, surtout avec la RTT. Le
décret du 31 décembre ne facilite pas la négociation ! Cela ne signifie
nullement que le volontariat ne conserve pas toute sa place dans ce dispositif.
Il faudra encore l'encourager plus fortement car, après la suppression de la
conscription, il est une des seules occasions concrètes pour des jeunes de
s'engager dans un service civique.
En outre, s'il faut se féliciter d'une disposition adoptée - et à préciser -
concernant les secours à personne, on s'aperçoit d'une dérive en matière de
secours médicaux d'urgence. La grève des urgences médicales et des ambulanciers
a fait apparaître que les sapeurs-pompiers étaient sollicités indûment pour des
missions ne relevant pas de leurs compétences - près de 50 % dans certains
départements urbains. Faut-il parler de tâches indues ou au moins prévoir des
compensations financières ?
Si la loi de 1992 avait prévu la départementalisation des services d'incendie
et de secours, nous en sommes arrivés avec la loi de 1996, pour des motifs
tenant à la complexité des situations selon les départements, à un système
hybride, même si globalement cette étape a pu être utile pour convaincre les
élus, mais aussi les volontaires sapeurs-pompiers, que l'échelon départemental
était pertinent pour une meilleure harmonisation des secours et pour assurer
une économie d'échelle, à condition que cet établissement public soit en lien
étroit avec le conseil général, qui doit en être le principal financeur.
C'est pourquoi toutes les propositions allant dans le sens d'une réelle
départementalisation - et notamment, celle de la commission des finances - ne
peuvent que recueillir notre approbation. Le conseil général doit être
responsable de la gestion des moyens des SDIS, même si la gestion
opérationnelle, pour des raisons évidentes de coopération avec les services de
l'Etat, doit demeurer au préfet. C'est pourquoi il est tout à fait regrettable
que le texte annoncé sur la sécurité civile ne soit pas présenté parallèlement
c'est une question de cohérence. Après les propositions de certains voulant
faire des maires des « shérifs », ne tombons pas dans le ridicule en voulant
faire du président du conseil général un
Fire Chief Officer
, comme l'on
dit à New York !
M. Pierre Fauchon.
Un pompier en chef !
M. Jean-Jacques Hyest.
En revanche, il serait normal que l'Etat participe financièrement aux missions
de prévention, qui sont régaliennes, et, comme je l'ai dit plus haut, que les
services d'incendie et de secours soient au moins indemnisés pour les
interventions ne relevant pas de leurs compétences.
Si l'on passe sur l'inclusion dans ce texte de l'abandon du recensement
traditionnel - et cela aurait mérité un débat en soi - reste tout ce qui
concerne la participation du public à l'élaboration des grands projets.
Si elle doit être encouragée, encore faut-il encadrer ce débat, comme le
préconise la commission des lois, pour éviter que les groupes de pression ne
paralysent tout grand projet. Nous le savons, parfois certains groupements se
sont spécialisés pour empêcher toute nouvelle infrastructure, toute ouverture
de carrière, etc., et masquent des égoïsmes et des intérêts particuliers sous
couvert d'un intérêt général qu'ils prétendent défendre.
M. Pierre Fauchon
Ce n'est pas possible !
M. Jean-Jacques Hyest.
Telles sont les observations que je voulais faire et que mes collègues du
groupe de l'Union centriste ne manqueront pas de compléter au cours du débat.
Nous voterons les conclusions de nos commissions, tout en regrettant que ce
débat intervienne à la toute fin de la législature et alourdisse un peu plus -
mais je pense qu'on va l'alléger - une législation déjà trop touffue, là où la
liberté des collectivités locales et leur capacité d'innovation seraient les
plus fructueuses. Nous attendons encore d'avoir droit à l'expérimentation.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Mathon.
Mme Josiane Mathon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec
un grand intérêt que le groupe communiste républicain et citoyen a pris et
prend part aux travaux de notre assemblée consacrés au projet de loi relatif à
la démocratie de proximité. En effet, l'opportunité d'une démarche législative
sur ce thème est sans conteste.
L'aspiration des individus à mieux maîtriser leur environnement et à prendre
part aux décisions les impliquant directement est aujourd'hui un moteur
essentiel à la poursuite de la démocratisation de notre société. C'est pourquoi
tout texte de loi se fixant comme belle ambition de promouvoir la démocratie
est perçu avec un
a priori
très positif par notre groupe.
Notons toutefois qu'il aura fallu attendre la fin de cette législature pour
qu'un tel texte nous soit soumis par le Gouvernement, et encore, dans des
conditions restrictives, du fait de la déclaration d'urgence dont il fait
l'objet.
En réalité, depuis cinq ans, la réforme de nos institutions n'aura pas été
aussi profonde et rapide que la progression de la crise de confiance d'un
nombre croissant de nos concitoyennes et concitoyens dans notre système
politique.
Si l'abstention électorale et la distance envers les élus et les institutions
progressent, les exigences des citoyens et citoyennes à être pris au sérieux,
respectés et valorisés dans le processus démocratique quotidien ont également
grandi. C'est pourquoi l'avenir de la démocratie élective, de notre système
délégataire,...
M. Patrick Lassourd.
Allons bon !
Mme Josiane Mathon.
... réside dans la recherche d'une démocratie participative où l'apport
permanent de l'ensemble des individus enrichit la réflexion des élus pour la
conduite des affaires de la cité.
M. Patrick Lassourd,
rapporteur pour avis.
Ah !
Mme Josiane Mathon.
C'est bien ce que semble craindre la majorité sénatoriale - j'ai entendu des
exclamations - qui s'effraye de voir les citoyens dotés de droits nouveaux pour
interpeller les élus locaux, dialoguer en permanence avec eux. Les amendements
adoptés au sein de la commission des lois en témoignent.
Pourtant, favoriser la démocratie participative, ce n'est pas dévaloriser le
rôle des élus du suffrage universel ou nier la représentativité dont ils sont
porteurs.
M. Patrick Lassourd.
C'est juste l'écorner !
Mme Josiane Mathon.
C'est au contraire leur donner des moyens supplémentaires de jouer leur rôle,
de fournir des réponses précises, en adéquation avec les attentes de leurs
administrés.
Mais attention ! Il s'agit bien de démocratiser nos institutions en partant
des attentes des citoyennes et des citoyens. Or le présent projet de loi, avant
même d'être vidé de sa substance par la majorité sénatoriale, est déjà
restrictif de ce point de vue. Il encadre et réglemente plus qu'il ne libère et
n'émancipe l'intervention citoyenne.
Aussi proposons-nous des amendements qui visent, dans le titre Ier traitant de
la démocratie participative, à ne pas restreindre les expériences actuelles, à
ne pas limiter les possibilités de développement de ces pratiques.
Il s'agit, par exemple, de faire bénéficier des conseils de quartier
l'ensemble des habitants des communes de 3 500 habitants et plus. Ces espaces
doivent non pas être imposés, mais réfléchis et élaborés par accord entre les
élus et la population. Nous proposerons dans le débat des modifications du
texte en ce sens.
Ni instruments de la gestion municipale ni lieux de contre-pouvoirs, les
conseils de quartier doivent être des lieux d'où émerge la politique
municipale.
Il serait en effet présomptueux de fixer par la loi des frontières à
l'expression des citoyens, de décider à leur place des sujets et préoccupations
qui leur tiennent à coeur. Une politique municipale se décide non pas quartier
par quartier, mais dans une cohérence d'ensemble ; c'est une question de
crédibilité.
Ces conseils doivent, par ailleurs, être ouverts à tous les habitants et pas
seulement, comme le propose la majorité sénatoriale, aux seuls électeurs. En
toile de fond se profile la question de la reconnaissance de la citoyenneté des
étrangers non communautaires. Une partie de la population qui vit, travaille,
participe à la vie sociale et associative de nos communes se trouve exclue au
moment de débattre des choix municipaux. Pourtant, il est des quartiers où,
sans eux, les conseils de quartier n'auront aucun sens.
Où est l'égalité ? Où est la fraternité dans ce déni de citoyenneté ? Quel
danger plane sur la République et ses collectivités locales à reconnaître à
chaque habitant la part de responsabilité qui est la sienne à oeuvrer
pleinement à la construction de la société ? Oui, nous souhaitons que
l'ensemble des habitants puissent participer aux conseils de quartier. Nous ne
désespérons pas que nos initiatives pour obtenir le plus rapidement possible le
droit de vote et l'éligibilité des étrangers non communautaires aux élections
locales débouchent enfin ! Nous présenterons un amendement dans le présent
débat : à chacun de prendre ses responsabilités !
Je dirai un dernier mot sur les conseils de quartier : leur composition, leur
mode de fonctionnement et leur présidence ne doivent pas être figés par la loi.
Celle-ci doit, certes, je viens de le rappeler, garantir des droits à
l'ensemble des habitants, mais elle ne doit pas leur imposer un schéma unique,
alors que nous nous accordons toutes et tous ici à reconnaître et à apprécier
la diversité des expériences en cours. La loi doit alors avoir pour objet
d'édicter des règles qui favorisent toutes les formes d'organisation citoyenne,
que celles-ci soient dues à l'initiative des collectivités ou à celle des
citoyens eux-mêmes, en leur reconnaissant des droits et en leur octroyant des
moyens ; je pense ici à la notion de budget participatif.
La promotion de la démocratie participative ne s'oppose pas au développement
des pratiques démocratiques au sein des institutions. Ainsi le projet de texte
prévoit-il un renforcement des droits des élus minoritaires au sein des
assemblées délibérantes des collectivités. Avec mon groupe, nous soutenons sans
réserve les dispositions qui visent à permettre à tous les élus de jouer leur
rôle en toute transparence par rapport aux citoyens. Nous proposons d'aller
plus loin et de permettre la reconnaissance des groupes politiques dans les
communes de plus de 3 500 habitants avec l'attribution de moyens correspondant
à la taille de la commune.
Mon ami Gérard Le Cam interviendra au nom de notre groupe sur la partie du
texte consacrée à l'intercommunalité, et notamment sur le suffrage universel
direct. De même, ma collègue Marie-France Beaufils prendra la parole à propos
du statut de l'élu. Aussi serai-je très brève sur ces deux points
importants.
Le premier point ne peut être traité sans tenir compte des communes, qui
doivent au contraire trouver dans l'intercommunalité une source supplémentaire
de légitimité et d'efficacité de leur action. Il ne peut donc y avoir
d'intercommunalité sans commune et de conseillers communautaires qui ne soient
conseillers municipaux.
Le second point nous apporte la satisfaction de constater que le thème du
statut des élus et de leurs droits est enfin devenu incontournable. Des
avancées ont ainsi été adoptées par l'Assemblée nationale, que la commission
des lois du Sénat cherche à descendre en flèche. Pourtant, ce texte devrait
permettre une réflexion et une reconnaissance du statut de l'élu, tant
politique que social ou associatif, ce qui favoriserait un essor puissant de la
vie démocratique.
Le projet de loi qui nous est proposé organise de nouveaux transferts de
compétences aux régions. Certes, ce texte trouve son origine dans les suites du
rapport de la commission présidée par Pierre Mauroy. Mais, justement, la
décentralisation ne saurait se faire petit bout par petit bout, sans avoir une
vue d'ensemble. Aussi regrettons-nous que la méthode choisie soit celle de
l'effilochage. En effet, fondamentalement, de quoi s'agit-il ? D'un
réaménagement technique des compétences à tel ou tel niveau de la gestion
publique ou d'un vrai projet d'organisation, au plus près des citoyens, des
prises de décisions les concernant ?
Nous sommes convaincus qu'il faut rénover et approfondir les lois de
décentralisation, mais en nous appuyant sur la participation des populations.
Nous sommes favorables à un vrai mouvement de décentralisation qui aurait pour
origine le droit des citoyens à gérer eux-mêmes leurs propres affaires, là où
les questions se posent.
Cette vision renversée de la subsidiarité implique que le niveau territorial
le plus élevé n'intervienne qu'en fonction des impératifs de cohérence et
d'efficacité, d'une part, de mise en oeuvre des diverses formes de solidarité,
d'autre part.
L'Etat ne doit pas disparaître ou être réduit au minimum : il doit donner les
moyens aux citoyens et à leurs collectivités locales d'organiser, dans la
cohérence nationale et européenne, le développement harmonieux de leur
territoire. C'est la voie d'un aménagement solidaire et équitable des espaces
géographiques et humains. Il ne s'agit pas, comme le proposent la droite et les
tenants du tout-libéral, de transférer aux collectivités locales le coût et la
responsabilité politique des carences de la puissance publique à répondre aux
besoins sociaux.
Mes chers collègues, la décentralisation mérite non pas une déclaration
d'urgence mais un grand débat public.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste, républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes et sur certaines travées du RPR.)
M. Bruno Sido.
Sur ce point, nous sommes d'accord !
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la
lettre de mission qu'il m'a adressée le 13 octobre 1999, le Premier ministre
Lionel Jospin soulignait : « Les lois de décentralisation ont fait franchir des
étapes décisives à notre pays.
« Elles ont créé de nouveaux foyers de responsabilité, favorisé la libération
d'initiatives. Les collectivités locales sont devenues des acteurs majeurs de
la vie économique, sociale et culturelle. Avec elles, l'action publique s'est
enrichie et la démocratie a progressé. »
Il ajoutait : « De nouvelles étapes peuvent être franchies afin que la
décentralisation soit plus légitime, plus efficace et plus solidaire. » Pour
les préparer, il m'informait qu'il avait décidé d'instituer une commission pour
l'avenir de la décentralisation, qu'il me demandait de présider.
Cette commission a été constituée de façon pluraliste. Plusieurs membres de
notre assemblée y ont participé, notamment, et M. Hoeffel, rapporteur de la
commission des lois, M. Mercier, rapporteur pour avis de la commission des
finances, et je tiens à les en remercier. Ces travaux se sont déroulés dans une
ambiance de travail cordiale, même si des arrière-pensées politiques ont
toujours été présentes.
(M. Sido s'exclame.)
M. Pierre Fauchon.
Oh ! C'est consternant !
(Sourires.)
M. Pierre Mauroy.
C'est la règle du jeu parlementaire !
Ce qui est important pour notre démocratie, c'est que la grande majorité des
154 propositions pour « refonder l'action publique locale » ont fait l'objet
d'un consensus implicite. Mon ami Jean-Claude Peyronnet a montré en quoi
celles-ci ont inspiré l'action du Gouvernement et particulièrement celle du
ministre de l'intérieur, Daniel Vaillant. Il a même chiffré ces propositions.
Je suis heureux, monsieur le ministre, que ce travail vous ait été utile et je
vous remercie de l'intérêt que vous y avez porté.
Votre texte reprend nombre de ces propositions et bien d'autres. Il est dense,
il va au-devant de diverses suggestions et de très nombreux amendements que
vous avez déposés, mes chers collègues, sur l'ensemble des travées
(M.
Joyandet s'exclame)
, ce qui signifie qu'en la matière il y a vraiment
profusion. Dès lors, comment voulez-vous que le texte qui nous est soumis ne
soit pas dense lui-même ? Je crois qu'il fallait aller jusque-là, mais à
condition de rester cohérent et de garder à la politique de décentralisation
tout son souffle.
Dans mon propos, je veux m'en tenir à votre cohérence, monsieur le ministre,
et à l'ampleur de la politique de décentralisation du Gouvernement de Lionel
Jospin. J'ai eu l'impression que certains ici en doutaient. Eh bien ! je veux
leur démontrer qu'il faut sortir de ce doute existentiel !
(M. Fauchon s'exclame.)
On mesure que l'ambition de l'An II de la décentralisation va bien au-delà du
projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui. Elle s'inscrit dans la longue
liste des mesures importantes déjà adoptées dans ce sens : par exemple, la
nouvelle loi d'orientation du 25 juin 1999 pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, préparée par Dominique Voynet, alors
ministre de l'environnement, ou du 12 juillet 1999 relative au renforcement et
à la simplification de la coopération intercommunale, présentée par Jean-Pierre
Chevènement, alors ministre de l'intérieur.
M. Alain Joyandet.
Ils sont partis tous les deux !
M. Pierre Mauroy.
J'inclus également dans ce mouvement, car il participe de l'esprit même de la
décentralisation, l'important chantier de modernisation de la vie politique
engagé par le Gouvernement au cours de la législature qui s'achève, je pense à
l'abaissement de la durée des mandats, celui des conseillers régionaux comme
celui du Président de la République.
Il ne tient qu'à vous, mes chers collègues, pour être en phase avec ce nouveau
rythme de la démocratie, que le mandat des sénateurs soit ramené à six ans !
Cela pourrait faire l'objet d'un amendement au texte sur la décentralisation
!
(M. Fauchon rit.)
Je pense aussi, malgré vos réticences ou votre opposition, à la limitation du
cumul des mandats et à la loi sur la parité. Les résultats, notamment lors des
élections municipales de mars 2001, témoignent du succès de cette dernière : la
représentation féminine dans les conseils municipaux est passé de 21,5 % à 47,5
%. Il faut continuer !
Je pense aussi aux propositions de la commission sur l'avenir de la
décentralisation.
On le voit, l'ampleur de l'action du Gouvernement en matière de
décentralisation apparaît clairement si on regroupe l'ensemble de ces
dispositions. Certes, la décentralisation sera au centre, avec d'autres thèmes,
des prochaines campagnes électorales, mais elle est déjà au coeur de vos
préoccupations, monsieur le ministre. Je constate que le Gouvernement de Lionel
Jospin, avant même les rendez-vous majeurs avec les Français, a pris ses
responsabilités et engagé résolument d'ores et déjà l'acte II de la
décentralisation.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
Pour autant, le texte proposé est-il le point d'orgue de votre démarche,
monsieur le ministre ? Y en aura-t-il jamais un, d'ailleurs ? Je ne le pense
pas. La décentralisation ne se résume pas à une addition de réformes : elle est
avant tout une volonté d'aller toujours plus avant dans l'approfondissement de
la démocratie. En la matière, le Gouvernement, sa majorité, et notamment les
sénateurs socialistes, ont un mot d'ordre : aller jusqu'au bout de la
démocratie progressivement et accompagner les attentes de la société.
Aujourd'hui, au point du processus où nous en sommes, la démarche
décentralisatrice doit répondre à un double mouvement.
Tout d'abord, il est essentiel d'établir un équilibre entre le pouvoir central
et les territoires, ce qui signifie un partage des compétences, un partage des
moyens financiers et un partage de l'autorité. Ce partage est nécessaire mais
pas suffisant.
Il est indispensable, par ailleurs, que le citoyen soit associé aux décisions.
Cela fait tout de même des années que l'on entend cela ! En ce début de siècle,
la liberté est inséparable de la responsabilité participative. Mais cette
liberté n'est respectée qu'à la condition de respecter la démocratie de
représentation. Sur ce plan, nous sommes formels !
En 1982, les lois de décentralisation ont largement engagé le premier
mouvement en affirmant l'autorité de l'Etat et en faisant des communes, des
départements et des régions des institutions autonomes et majeures. L'évolution
des esprits commandait alors de rompre enfin avec la longue tradition d'un
centralisme devenu excessif. Il a dominé la France pendant des siècles, mais,
je ne l'oublie pas, il a permis à la Royauté de construire l'unité du pays,
puis à la République de réaffirmer cette unité et d'imprimer alors nos valeurs
nouvelles - la liberté, l'égalité, la fraternité - à l'ensemble du
territoire.
La décentralisation de 1982 a fait souffler un vent de liberté et de renouveau
sur nos institutions et a revitalisé notre démocratie. Incontestablement, cette
démarche a été une réussite. La meilleure preuve en est que, après l'avoir
tellement combattue, pratiquement tout le monde s'y est rallié.
M. Didier Boulaud.
Eh oui !
M. Pierre Mauroy
La commune, le département et la région sont aujourd'hui des repères forts
pour les Français, pour leur mieux-être quotidien et pour leur usage de la
démocratie.
Vingt ans après cette « première révolution » institutionnelle, qu'il faut
amplifier, le moment est venu de mettre particulièrement l'accent sur le second
mouvement de la décentralisation, celui qui rapproche, plus qu'aujourd'hui, les
citoyens des décisions qui les concernent dans leur vie quotidienne.
Cette avancée va pouvoir se réaliser dans un climat beaucoup plus apaisé. La
décentralisation bénéficie désormais d'un consensus. Alors qu'elle était
âprement discutée il y a vingt ans, elle est aujourd'hui plébiscitée par
l'opinion. Tous les sondages le démontrent, plus des deux tiers des Français
souhaitent son approfondissement et désirent participer plus activement à son
fonctionnement.
Je pense que le Gouvernement est ici en phase avec l'opinion.
M. Jean-Pierre Plancade.
Tout à fait !
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le ministre, cette nouvelle avancée décentralisatrice, qui modèlera
l'organisation politico-administrative de notre pays à l'horizon 2015, doit,
pour produire tous ses effets, s'ordonner autour de trois grandes priorités ;
elles sous-tendent votre texte.
Tout d'abord, il faut poursuivre hardiment la dynamique en cours de
l'intercommunalité.
En effet, il est regrettable que la France ait laissé dépérir des milliers de
communes.
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Vous le savez fort bien, des milliers de communes ne sont
plus que l'ombre de ce qu'elles étaient il y a vingt ans, pour ne pas remonter
plus loin, il y a cinquante ans.
(Rires et nouvelles exclamations sur les
mêmes travées.)
Chers collègues, écoutez ceux qui vous ont précédés ! Alors que tous les
gouvernements européens se sont rendu compte tout de même de cette réalité et
ont su créer des collectivités locales viables, économiquement au moins, la
France, loin de reprendre certaines des solutions mises en oeuvre, a voulu
vivre la chose « à la française ». Je salue donc l'action du gouvernement de
Lionel Jospin, qui a commencé à changer la donne grâce à cette révolution
intercommunale dont le succès amorce enfin la rénovation de nos structures
locales. Certes, nous comptons 36 000 communes, mais combien de communes de
moins de 3 000 habitants ?
M. Henri de Richemont.
Quel aveu !
M. Patrick Lassourd.
Cela a le mérite d'être clair !
M. Pierre Mauroy.
Chers collègues, ce que je dis ici, je peux le dire devant tous les Français,
car ils savent bien le dépérissement dont souffrent ces communes qui perdent
peu à peu les habitants qui leur restent, comme ils savent qu'il est absolument
nécessaire de remédier à cette situation. C'est un levier très important de la
réforme que vous proposez, monsieur le ministre.
M. Patrick Lassourd.
Surtout celle-là !
M. Pierre Mauroy.
Cette démarche doit progressivement modifier la carte des collectivités
territoriales, celle de l'intercommunalité.
(Exclamations sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Joyandet.
Et voilà !
M. Pierre Mauroy.
Elle va permettre, dans le respect des communes existantes,...
M. Alain Joyandet.
Respect ?
M. Pierre Mauroy.
... d'aboutir, d'ici à dix ans, à un maillage du territoire autour de quelques
milliers de communautés de communes, d'environ cent trente communautés
d'agglomération et d'une vingtaine de communautés urbaines. Ainsi regroupées,
les petites communes, particulièrement les communes rurales, doivent retrouver
leur vigueur perdue.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Pierre Plancade.
Bien sûr !
M. Louis de Broissia.
C'est pitoyable !
M. Pierre Mauroy.
Dans ce nouveau schéma, le rôle du département doit être maintenu,...
M. Patrick Lassourd.
Tout et son contraire !
M. Pierre Mauroy.
... même s'il devra être redéfini et renouvelé par la mise en place de
l'intercommunalité.
(Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade.
Oui, et dès maintenant !
M. Pierre Mauroy.
Chers amis de la majorité sénatoriale, vous pouvez protester, mais,
rappelez-vous que d'autres, avant vous, il y a vingt ans, ont protesté beaucoup
plus fort, pour reconnaître aujourd'hui qu'ils avaient tort. D'ici à quelques
années, ce que nous propose M. le ministre aujourd'hui sera peut-être devenu si
banal et aura fait l'objet d'une telle adhésion de la part de l'ensemble des
Françaises et des Français que vous y viendrez vous-mêmes.
(Rires et exclamations sur les travées du RPR.)
Ne doutez pas à ce point
de vous !
(Marques d'approbation sur les travées socialistes.)
Toutefois, pour être pleinement accepté, ce processus de regroupement de
communes doit être démocratique. Vous avez accepté l'intercommunalité. Faites
un effort ! Ne vous contentez pas d'adhérer au début de la réforme pour mieux
freiner sa mise en oeuvre par la suite. Non, il faut aller jusqu'au bout quand
on avance dans une réforme !
M. Bruno Sido.
Ils veulent supprimer les communes !
M. Pierre Mauroy.
Mais non !
A l'horizon 2007, les différents établissements publics de coopération
intercommunale devront être élus au suffrage universel direct. C'est évident,
c'est la loi de la démocratie. Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait
introduit ce principe dans le projet de loi et que le Gouvernement l'ait
accepté. Pour moi, cette proposition fait vraiment la différence entre ceux qui
sont véritablement progressistes, et ce quelle que soit la travée sur laquelle
on siège, et les conservateurs, c'est-à-dire ceux qui acceptent la réforme
parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement, mais qui s'emploient à la freiner,
et à la freiner encore. Nous, nous ne freinons pas, nous avançons.
M. Jean-Pierre Bel.
Très bien !
M. Louis de Broissia.
Vous pédalez, oui !
M. Pierre Mauroy.
Les modalités du mode de scrutin qui sera retenu pour l'élection des
conseillers de communauté devront à la fois respecter la commune et rendre
efficace l'intercommunalité.
L'avenir est en effet dans la mise en place, et en mouvement - c'est
important, cela devrait nous rassembler - d'un couple interactif à la base de
la République : la commune et l'assemblée intercommunale. D'où l'expression : «
le suffrage universel dans le cadre communal ».
Plusieurs solutions sont possibles. Il suffira, le moment venu, d'opter. Mais
vous n'y couperez pas, chers collègues, si vous voulez avancer sur ce plan-là
!
A la base de la République, il nous faut 36 000 communes ? Soit ! C'est ce que
vous voulez, c'est ce que veulent les Français, et c'est bien ainsi, mais il
faut aussi l'intercommunalité et ce mouvement absolument indispensable pour les
lier, je le répète, dans le cadrecommunal.
On parle moins de la deuxième priorité : il faut assigner à la région - vous
l'évoquiez, monsieur le ministre - tout son rôle. Paralysée par un mode de
scrutin inadapté - l'actuel gouvernement l'a d'ailleurs modifié - la région n'a
pas pris la place que ses compétences, en matière de programmation notamment,
auraient dû lui valoir. Interlocutrice de l'Etat pour la planification, pour la
déclinaison de la politique nationale d'aménagement du territoire, elle doit
faire la preuve de son excellence en fixant les orientations à moyen terme. Il
serait en effet absurde d'engager les communes à bâtir des schémas directeurs
ou autres projets pour les quinze ans à venir sans que cette vision s'insère
dans celle d'un territoire plus large, qui est naturellement celui de la
région.
Dans cette optique, la région apparaît comme l'institution la mieux à même de
réaliser, par le dialogue et la concertation, la coordination avec les
différentes institutions, sans toutefois que cela entraîne une quelconque
subordination entre les collectivités territoriales ; ce serait contraire à
l'esprit de la décentralisation et au principe constitutionnel de libre
administration des collectivités locales.
Pour assumer dans de bonnes conditions son rôle anticipateur et coordinateur,
la région doit disposer de capacités de développement plus fortes, et donc
bénéficier de compétences renforcées.
Dans la foulée de ce qui est prévu pour la Corse, le projet de loi relatif à
la démocratie de proximité opère de nouveaux transferts dans le domaine
économique et en matière d'environnement, d'infrastructures, de formation
professionnelle et de culture - je ne détaille pas. Cela va dans le bon sens,
monsieur le ministre. Cependant, ces transferts restent limités. Pour que la
région prenne toute sa place dans la dynamique de la décentralisation, ils
devront, demain, être amplifiés
(M. le ministre opine),
vous l'avez vous-même souligné, notamment dans
les domaines du logement et - je m'avance un peu pour rejoindre presque
certains d'entre vous, chers collègues, sur ce point-là - de l'enseignement
supérieur et de la recherche ainsi que de l'équipement sanitaire, du
tourisme... Mais ce ne sont que des exemples.
Il serait également bon d'encourager dès maintenant le développement de
l'interrégionalité pour initier la réalisation de grands projets ou d'actions
plus larges et pour préparer les échéances, à mon sens inéluctables, même si
elles sont encore assez lointaines. Ces transferts de compétences, et donc
d'autorité, de l'Etat aux collectivités territoriales doivent naturellement
s'accompagner du renforcement de la démocratie pour conduire les citoyens à
participer activement à la vie locale et pour améliorer le fonctionnement
interne de ces collectivités.
Dans ce mouvement réside le nécessaire équilibre entre la démocratie
représentative, qui est l'armature essentielle, et celle que certains nomment
désormais « démocratie de proximité » et d'autres « démocratie participative ».
Elle constitue la troisième priorité et l'originalité de ce texte. Je ne suis
pas étonné, d'ailleurs, que ce soit la partie qui soit la plus discutée, car
c'est aussi la plus novatrice. Le texte du Gouvernement la concrétise avec,
notamment, la création obligatoire de conseils de quartier dans les ville de
plus de 20 000 habitants, seuil retenu par le Gouvernement.
J'ai plaisir, avec tout le groupe socialiste, à soutenir cette mesure, pour la
mise en place de laquelle je me suis beaucoup impliqué au fil des années. J'ai,
en effet, été l'un des premiers, dès le début de mon mandat de maire de Lille,
dans les années soixante-dix, à créer des « villages dans la ville ». J'en ai
créé onze qui, depuis trente ans, n'ont cessé de rencontrer l'adhésion des élus
et de la population.
Pour moi - je voudrais vous en convaincre, mais vous le savez bien - le
quartier est le territoire le plus proche des citoyens, celui où il est plus
facile de les informer et de leur demander leur avis sur des projets qui les
concernent.
M. Patrick Lassourd.
Comme la commune !
M. Pierre Mauroy.
C'est à ce niveau que la puissance publique peut le plus rapidement apporter
des réponses concrètes sur le plan sanitaire et social, en matière de logement,
de propreté, ou sur celui, essentiel, de la sécurité.
Sur ce dernier point - vous le savez tous - la rue et les quartiers ont
beaucoup changé au cours des dernières années : les problèmes de sécurité y
sont devenus plus sensibles. C'est au niveau du quartier que le maire peut le
mieux trouver, à condition de bien l'associer à cette politique, le point
d'articulation entre l'action des différentes forces de sécurité, celle de la
police de proximité, mise en place par le Gouvernement, qui reste du ressort de
l'Etat, et celle de la police municipale.
Bref, les conseils de quartier doivent jouer, dans l'avenir, un rôle majeur
pour améliorer la vie quotidienne des citoyens.
M. Jean-Pierre Plancade.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Ils constituent en effet la jointure démocratique la plus sensible entre
l'autorité du maire et celle, nouvelle, que nous voulons donner aux populations
qui vivent dans le quartier. Par conséquent, on ne peut pas résumer l'action
d'un conseil de quartier à la tenue de réunions avec les représentants des
associations. C'est beaucoup plus que cela. Certes, les associations sont bien
réunies, mais dans un cadre articulé avec le pouvoir du maire et du conseil
municipal élus sur l'ensemble de la ville.
M. Jean-Pierre Plancade.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
La création, dans les villes importantes, à côté des conseils de quartier, de
mairies de quartier dotées des services techniques appropriés, est un gage
supplémentaire de bonne gouvernance municipale.
Le temps me manque, mais d'autres orateurs du groupe socialiste évoqueront
l'ensemble des dispositions qui favorisent la participation accrue à la vie
locale et l'implication dans le débat public, qu'il s'agisse des procédures de
décentralisation, des enquêtes publiques et de la participation des usagers à
la vie des services publics.
J'approuve les mesures affirmant les droits des élus au sein des assemblées
locales, notamment de ceux de l'opposition, à condition que leur intervention
ne tourne pas à la farce.
(Sourires.)
Que voulez-vous, chers collègues
de la majorité sénatoriale, c'est cela, la démocratie ! Tantôt nous en sommes
heureux, tantôt elle nous fait mal, mais il s'agit quand même du pouvoir assuré
entre deux scrutins par une majorité qui s'est dégagée des urnes.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Eh oui, il n'y a pas d'autres solutions !
M. Jean-Pierre Plancade.
Voilà !
M. Pierre Mauroy.
Il faut donc adoucir le sort des oppositions, il faut les associer, les
informer. Mais tous les gadgets qui tendraient à se substituer peu ou prou à
des majorités seraient synonymes de désordres démocratiques.
M. Jean-Pierre Plancade.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Ceux qui ont de l'expérience connaissent cela par coeur.
J'approuve aussi que l'on facilite l'accès aux fonctions électives de
catégories plus diversifiées, telles que les femmes, les jeunes, les salariés
du secteur privé.
M. Patrick Lassourd.
Les fonctionnaires aussi !
M. Pierre Mauroy.
Je me félicite également des dispositions qui tendent à définir les contours -
dois-je le dire, monsieur le ministre ? - d'un « statut », même si le terme
doit être censuré. Mais, finalement, toutes les mesures que vous prenez depuis
un certain temps et qui sont contenues dans votre projet de loi vont dans le
sens de l'élaboration d'un statut, qui a été réclamé sur toutes les travées
depuis bien des années. Sur ce plan, on fait une avancée, et on a raison ! Ces
dispositions conduisent à rapprocher du droit commun le sort de ceux qui
dédient une partie de leur vie à la chose politique, en ce qui concerne
notamment les droits sociaux et le retour à la vie professionnelle. Tout cela
participe de l'esprit de la décentralisation et tend à moderniser et à faire
évoluer notre démocratie.
J'évoquerai maintenant brièvement les services départementaux d'incendie et de
secours. Comment avons-nous pu créer cette usine à gaz ? Si j'ai bonne mémoire,
le dispositif est d'origine parlementaire...
Il était indispensable de revoir la loi sur les SDIS. Vous avez eu le courage
de le faire, monsieur le ministre, et je m'en réjouis. La commission pour
l'avenir de la décentralisation avait émis l'idée que ce service soit adossé au
conseil général : c'est ce que vous avez prévu. Cette disposition doit donner
satisfaction, à condition que les crédits soient abondés. C'est d'ailleurs une
proposition que vous formulez pour les communes, et elle sera appréciée.
Mais la commission que j'ai présidée avait lancé une autre idée, qui n'avait
pas recueilli l'accord de tous ses membres. Nous en avions longuement débattu
et j'y étais assez favorable, je dois le dire. Il s'agissait de la création
d'un grand service public de sécurité civile composé de personnels formés pour
faire face aux catastrophes naturelles, aux attentats, aux risques industriels,
notamment, bref toutes actions qui n'entrent pas directement dans les
attributions de la police ou de l'armée de métier.
Il n'est pas possible de mettre des policiers partout, mais je pense qu'on
serait bien inspiré de diversifier en ce domaine, d'autant que ce corps ne
serait pas un autre corps de police. Il devrait être adapté aux collectivités
territoriales. En tout cas, je ne fais qu'évoquer cette idée, persuadé que nous
y reviendrons et qu'elle fera son chemin.
Au total, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis convaincu que ce
texte et l'ensemble des dispositions déjà adoptées comme celles qui ont été
annoncées constituent bien une nouvelle étape de la décentralisation dans notre
pays.
Le vieux modèle français s'épuise. Les assemblées parlementaires, en
particulier le Sénat, devraient toutes s'accorder à le constater.
Le moment était venu d'équilibrer dans la République le mouvement d'en haut,
l'autorité de l'Etat, et celui d'en bas, les légitimes aspirations de nos
concitoyens. Mais, pour prendre tout son sens et sa force, ce nouveau schéma
doit être complété par deux réformes qui conditionnent la réussite de
l'ensemble et qui restent à entreprendre. Compte tenu du lien unissant la
décentralisation et la déconcentration, il est indispensable d'engager une
nouvelle étape de la déconcentration des services et des missions de l'Etat au
niveau des préfets, des régions, des départements et surtout de réaliser la
nécessaire réforme de l'Etat. Mais c'est une autre histoire et tel n'est pas le
sujet de notre débat.
La seconde réforme essentielle est celle des finances locales, dont on parle
toujours, mais qui ne se fait pas. Je sais que le Gouvernement y travaille
actuellement et qu'il devra formuler prochainement des propositions. Nous en
reparlerons donc.
Telles sont les réflexions que m'inspire le projet de loi dont nous débattons.
Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez ma conviction que la démarche
de décentralisation est un vrai projet de société et un vrai projet d'avenir,
qui doit susciter dans la population, chez les élus, comme chez ceux qui ont
choisi de servir l'Etat, enthousiasme et mobilisation.
Je pense que tous les fonctionnaires qui servent l'Etat doivent aussi servir
la décentralisation. De la même façon, tous ceux qui animent des collectivités
territoriales doivent être habités par l'esprit de la décentralisation, car il
ne servirait à rien de demander la décentralisation à l'Etat si l'on
n'acceptait pas de la pratiquer dans les communes, dans les départements et
dans les régions.
L'enjeu est important. Nous nous félicitons, monsieur le ministre, qu'à
travers ce projet de loi et l'ensemble des mesures déjà prises le gouvernement
de Lionel Jospin nous livre ainsi, avant le grand débat démocratique des
prochains mois, sa vision de la France de demain. Je ne doute point que cette
France-là, c'est-à-dire la nôtre, sera républicaine et décentralisée.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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