SEANCE DU 8 JANVIER 2002
M. le président.
La parole est à M. Souvet, auteur de la question n° 1119, adressée à M. le
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Louis Souvet.
Monsieur le ministre, j'ai beaucoup de chance de vous avoir en face de moi. Il
est en effet plus agréable pour celui qui pose une question de s'adresser au
ministre compétent plutôt qu'à un ministre qui lit un papier et qui ne connaît
pas forcément le sujet. Je tiens donc à vous remercier de votre présence.
La réponse que vous allez développer dans un instant semblera, je n'en doute
pas, fort généreuse, du moins pour les personnes qui ne connaissent pas le
dossier. Vous allez, avec les accents de la sincérité, me rappeler que, comme
la titularisation de ces coopérants avait été organisée, il appartenait à ces
derniers d'opter pour leur titularisation. Faute de l'avoir fait dans les
délais requis, les agents concernés ont perdu leur vocation à
titularisation.
A l'heure où une très grande majorité d'emplois-jeunes de l'enseignement vont
être titularisés grâce à un concours spécial, il est savoureux de prendre
connaissance de ce que la nation proposait à des docteurs d'Etat, à des
coopérants d'expérience, bardés de diplômes de l'enseignement supérieur. Le
terme « bardé » n'est pas galvaudé.
Ici commence le paradoxe français.
L'Etat n'hésite pas, contrairement à nombre d'exemples étrangers, à se séparer
d'hommes et de femmes à qui leurs nombreux titres, mais aussi l'expérience
irremplaçable du terrain, confèrent des atouts sans pareil. Chercherait-on à se
priver d'éléments de valeur, d'une potentialité sans équivalent que l'on ne s'y
prendrait pas autrement !
Paradoxe de l'Etat, qui déplore, dans le même temps, la fuite des « cerveaux »
à l'étranger, par exemple pour des raisons d'application mesquine de l'âge de
la retraite, pour des raisons de manque de moyens financiers dans nos
différents laboratoires de recherche.
Mes chers collègues, je vais vous rappeler ce que l'Etat proposait royalement
à nos coopérants qui possèdent des dizaines d'années d'expérience et dont le
curriculum vitae
dense témoigne d'un brillant parcours tant
universitaire que professionnel. Il s'agissait d'une titularisation dans le
corps des adjoints d'enseignement.
Ce corps et les membres qui le composent sont tout à fait honorables, et je
salue ici la qualité du travail qu'ils accomplissent. Mais il convient de
savoir raison garder. Mettez-vous à la place des coopérants auxquels il est
proposé, d'un trait de plume, de faire abstraction de leurs plus hauts diplômes
universitaires, de leurs recherches, du soutien qu'ils ont apporté à de
nombreux thésards, ces derniers constituant ensuite l'élite de leurs pays
respectifs ! Ces coopérants se sont consacrés corps et âme à leur tâche, ne
comptant ni les heures de travail ni les conditions de vie quelquefois
spartiates. Que leur a-t-on proposé en retour ? Une peau de chagrin, des
miettes de la fonction publique.
L'Etat peut-il s'abriter derrière la logique financière en arguant du nombre
d'intéressés concernés, comme il pourrait le faire, soit dit en passant, pour
les dizaines de milliers d'emplois-jeunes de l'éducation nationale ? Moins d'un
an avant les échéances électorales, bien évidemment, il est des sujets tabous
!
En l'occurrence, ce n'est même pas le cas puisqu'une centaine de coopérants
ont fait l'objet d'un licenciement. Il est vrai que le poids électoral est
inversement proportionnel au coût engendré par une titularisation digne de ce
nom ! Ni les rues de la capitale ni celles des grandes villes de province ne
risquent de connaître des manifestations faisant date dans les annales des
renseignements généraux !
Même si le nombre des personnes concernées ne plaide pas en leur faveur eu
égard au rapport de forces, l'équité commande toutefois de prendre en compte,
de façon objective, leur revendication. Il serait déplorable que l'arithmétique
corporatiste soit l'unique et exclusif paramètre pris en compte par les
pouvoirs publics au détriment des cursus universitaires.
Monsieur le ministre, je vous demande si vous saurez entendre l'appel de ces
coopérants, afin de renforcer le pôle d'excellence que doit constituer
l'éducation nationale, pôle d'excellence qu'un ancien ministre de ce ministère
appelait de ses voeux.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Permettez-moi
tout d'abord de vous dire, monsieur le sénateur, que je préfère, moi aussi,
répondre personnellement aux questions qui me sont posées, mais - et je parle
là au nom de tous mes collègues du Gouvernement - nos agendas ne nous
permettent pas toujours d'être présents aux rendez-vous que nous fixent les
assemblées parlementaires.
J'en viens à la réponse à la question que vous avez posée.
La loi n° 83-481 du 11 juin 1983, dite « loi Le Pors », qui a été intégrée
dans la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique de l'Etat, prévoit que les personnels civils de coopération
culturelle, scientifique et technique en fonction auprès d'Etats étrangers ont
vocation à être titularisés dans un corps de la fonction publique de l'Etat,
sous réserve de remplir certaines conditions fixées par cette même loi.
Plusieurs décrets d'application ont été pris pour tenir compte de la diversité
des situations dans lesquelles se trouvaient les ayants droit.
A ce jour, tous les coopérants ont eu la possibilité de faire valoir leur
vocation à titularisation. Ce dossier peut maintenant être considéré comme clos
dans la mesure où les derniers intéressés devaient se manifester auprès du
ministère des affaires étrangères avant la mi-octobre 2001. Un dernier concours
sera d'ailleurs organisé par le ministre des affaires étrangères en 2002 à
l'intention de ceux qui se sont manifestés.
Plusieurs situations peuvent se présenter.
Les coopérants « ayants droit Le Pors » peuvent avoir perdu leur vocation à
titularisation, soit parce qu'ils ont réussi un concours de la fonction
publique avant que n'aient lieu les examens professionnels organisés en vue de
leur titularisation, soit parce qu'ils ont volontairement mis fin au lien qui
les unissait à l'Etat, soit parce qu'ils ont négligé de se manifester dans les
délais fixés par lesdits décrets d'application, soit parce qu'ils ont échoué
aux examens susmentionnés, soit, enfin, parce qu'ils ont expressément manifesté
leur volonté de ne pas être titularisés.
L'article 82, alinéa 2, du statut général de la fonction publique de l'Etat
dispose que les agents non titulaires qui n'ont plus de vocation à
titularisation dans le cadre de la loi Le Pors continuent à être employés dans
les conditions prévues par la réglementation qui leur est applicable et par les
stipulations de leurs contrats.
Le Conseil d'Etat a estimé à l'occasion de plusieurs recours contentieux et
avis dont il a été saisi que : d'une part, l'agent lié par un contrat à durée
indéterminée et qui a perdu sa vocation à titularisation peut être licencié
pour l'un des motifs et dans les conditions prévues par la réglementation qui
le régit et par le contrat qu'il a souscrit ; d'autre part, l'agent lié par un
contrat à durée déterminée qui a perdu sa vocation à titularisation peut
bénéficier du renouvellement de son contrat une fois que ce dernier est arrivé
à échéance, sans que cela constitue une obligation pour l'administration. Cet
agent peut également être licencié sous réserve du respect des règles
juridiques qui lui sont applicables.
Quoi qu'il en soit, monsieur le sénateur, je voudrais vous assurer de ma
volonté de préserver, bien évidemment dans le cadre des moyens dont je dispose,
le capital de compétences dont vous parliez à l'instant, qui constitue en effet
pour nous un élément précieux dans le maintien du lien que l'histoire a forgé
entre nous et l'Afrique notamment.
M. Louis Souvet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet.
Votre réponse est exactement telle que je l'imaginais, monsieur le ministre.
Je le répète, je ne crois pas qu'il soit convenable de proposer des postes
d'adjoint d'enseignement à des titulaires de doctorats. Certes, les adjoints
d'enseignement sont nécessaires, et je salue leur travail, mais en proposant de
tels postes à des docteurs qui justifient de dizaines d'années d'expérience, on
gaspille, me semble-t-il, un potentiel très important, qui pourrait être mieux
utilisé.
A ce propos, je rappellerai le fameux proverbe selon lequel au lieu de donner
du poisson, il vaut mieux apprendre à pêcher aux intéressés.
Il me semble que les coopérants concernés dispensent un enseignement très
riche dans les pays dans lesquels ils se trouvent et dont ils forment l'élite,
et nous avons tout intérêt à ce que cette élite continue à se réclamer d'une
formation française !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Monsieur le sénateur, puisque les agents dont nous
parlons sont en nombre limité, je veux bien, si vous le désirez, m'engager à
examiner au plus près les cas que vous souhaiterez me soumettre, sans qu'il
soit question pour moi d'autre chose que de m'assurer que le maximum a bien été
fait pour que soit prise en compte la compétence que vous souligniez à
l'instant.
M. Louis Souvet.
Je vous en remercie, monsieur le ministre.
M. le président.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à seize heures
quinze, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)