SEANCE DU 27 NOVEMBRE 2001
M. le président.
L'amendement n° I-167, présenté par Mme Rozier, MM. Oudin, Besse, Demuynck,
Cazalet et Calmejane, Mme Michaux-Chevry, MM. Hamel, César, Doublet, Goulet,
Murat, Fournier, Leclerc, Braye et Doligé, est ainsi libellé :
« Après l'article 11
ter
, insérer un article additionnel ainsi rédigé
:
« A la fin du premier alinéa du I de l'article 990-I du code général des
impôts, la somme : "1 000 000 F" est remplacée par la somme : "152 449 EUR".
»
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
La loi n° 2000-517 du 5 juin 2000 porte habilitation du Gouvernement à adapter
par ordonnance la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans
les textes législatifs. Cette habilitation a pris fin le 2 octobre 2000 et le
Gouvernement a déposé, le 17 janvier 2001, un projet de loi portant
ratification de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant
habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance à cette conversion.
L'article 990-I du code général des impôts institue un prélèvement sur les
sommes versées par les organismes d'assurance et assimilés à raison des
contrats d'assurance en cas de décès. Cet article prévoit un abattement d'un
montant de 1 000 000 francs, qui a été converti au niveau de 150 000 euros,
c'est-à-dire 983 935 francs. Les personnes concernées par cet abattement sont
donc pénalisées à hauteur de 16 065 francs. Tout à l'heure, c'était 3 200
francs ; là, nous en sommes à 16 065 francs.
Vous admettrez, mes chers collègues, que la requête que j'ai formulée auprès
de Mme la secrétaire d'Etat de dresser la liste de toutes les conversions qui
aboutissent à léser le contribuable paraît tout à fait pertinente.
On a dit tout à l'heure qu'on avait pris le Gouvernement « la main dans le sac
».
(M. Masseret proteste.)
Cela fait donc la deuxième fois.
M. le président.
Cela fait « rebondir » M. Masseret !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret.
Je m'exprimerai tout à l'heure !
M. Jacques Oudin.
Oui, je serai content que M. Masseret nous donne une explication. Je n'attends
que cela, d'ailleurs ! C'est pour cela que je répète que le Gouvernement a été
pris la main dans le sac.
Cet amendement tend donc à procéder à une juste conversion, qui donne le
chiffre de 152 449 euros.
Peut-être la commission des finances va-t-elle nous annoncer que le
Gouvernement, pris de remords, a décidé d'arrondir le chiffre à 155 000 euros,
pourquoi pas ?
En tout cas, je souhaiterais avoir une réponse sur ce point.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très opportunément, cet amendement nous permet de
débattre quelques instants de plus sur le thème de l'euro.
Sur l'amendement lui-même, la commission formulera la même réponse que pour le
précédent et enjoindra ses auteurs, après une discussion intéressante, de
retirer l'amendement pour que nous rediscutions de la conversion des seuils en
euros dans le projet de loi de finances rectificative.
Au-delà, madame le secrétaire d'Etat, c'est à vous que je veux m'adresser.
Permettez-moi de vous dire de la manière la plus modérée, la plus respectueuse,
que j'ai été vraiment surpris de votre réaction, lorsque, voilà quelques
instants, a été évoquée la différence comptable de 5 milliards de francs.
Je ne vais pas employer le mot de « cagnotte », l'un de ces mots qui plaît
tant aux journalistes,...
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Mais dont vous vous repaissez !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Madame, il faut bien que nos discussions soient un
peu imagées. Elles ne peuvent pas être toujours complètement technocratiques,
incompréhensibles, pour tout un chacun à l'extérieur !
Bref, cette différence comptable vient opportunément se transformer en recette
budgétaire en concourant au solde de la loi de finances. C'est ce que nous
observons ! La commission ne formule pas une critique ; elle fait une simple
constatation.
Mais que cette constatation vous « pique au vif » est pour nous plein
d'enseignements. Les comptes sont les comptes ! Les principes comptables sont
les principes comptables : entre les crédits et les débits, ont doit
s'astreindre à une permanence de la méthode !
En fait, l'Etat reste constant : il y a une très vieille tradition dans ce
domaine. Au Moyen Age, on rognait les monnaies. Autrefois, le souverain
changeait la monnaie parce que cela rapportait de l'argent au Trésor royal.
Nous sommes donc, en l'occurrence, les héritiers d'un passé lointain : le
Trésor de la République engrange 5 milliards de francs avec le passage du franc
à l'euro !
Madame le secrétaire d'Etat, voilà quelques instants, l'un de nos collègues,
Marcel Deneux, nous proposait un amendement qui jouait sur la trésorerie des
entreprises agricoles et sur celle de l'Etat. « Coût budgétaire prohibitif »,
avez-vous répondu ! Cela méritait discussion.
Par ailleurs, dans la loi de finances rectificative, le Gouvernement compte
modifier les conditions de règlement de la TVA par les entreprises, qui
pourront bénéficier d'un mois supplémentaire, et vous dites que cette
disposition n'engendrera aucun coût budgétaire pour l'Etat, qu'il s'agira
simplement de trésorerie.
Bref, nous avons un peu de peine à comprendre à quoi nous conduisent les
règles comptables de l'Etat. En fait, ces règles remontent à la nuit des temps
et elles sont appliquées par tous les Etats successifs, par tous les
gouvernements successifs, et ce toujours dans le même intérêt. Les plateaux de
la balance sont toujours déséquilibrés dans le même sens, toujours dans celui
de l'opportunité régalienne.
Cette manière de faire nous vient peut-être d'un autre temps. Mais, dans un
monde où l'on peut facilement effectuer des comparaisons sur le plan
international, dans un monde de transparence, dans lequel la pérennité des
méthodes prend une importance considérable, il faudrait sans doute remettre en
cause ces vieilles habitudes.
Nous ne disons pas autre chose. En tout cas, la réaction que vous avez
exprimée, madame le secrétaire d'Etat, nous semble révélatrice de comportements
qui ne sont plus de notre époque.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Nous n'aurons pas perdu notre matinée
(Ah ! sur diverses travées),
car j'ai enfin la réponse à une question que
je me posais depuis très longtemps : pourquoi, grands dieux, la France
souhaite-t-elle passer à l'euro ? J'ai compris : c'est pour permettre à l'Etat,
à défaut du Trésor royal, de s'enrichir. La réponse est claire. Elle avait
échappé aux Français, mais, heureusement, monsieur le rapporteur général, vous
nous l'avez livrée.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très drôle !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Au demeurant, je suis très étonnée que M. le
rapporteur général, qui connaît très bien les questions bancaires et les
questions relatives à l'entreprise et à la comptabilité, puisse opérer une
telle confusion entre des opérations de bilan et des opérations du compte de
résultat.
Quand il s'agit de rembourser de manière anticipée une créance de TVA détenue
par les entreprises depuis 1993, que se passe-t-il ? Il s'agit d'une créance
qui, du point de vue de l'entreprise, est inscrite à son bilan. Pour l'Etat, il
s'agit d'une dette qui est inscrite au « bilan » de l'Etat. C'est donc un
remboursement qui est traité en opérations de bilan et qui n'interfère en rien
sur les flux de l'année. C'est la raison pour laquelle c'est neutre du point de
vue du déficit de l'Etat.
En revanche, s'agissant de l'amendement qui vous a beaucoup ému tout à l'heure
quant à son chiffrage, il s'agissait d'un remboursement trimestriel de TVA. Si
cette mesure était mise en oeuvre, cela consisterait, la première année, à
rembourser tous les trimestres au lieu de rembourser tous les ans. Cela
signifie que la première année on rembourse davantage que si l'on n'avait pas
changé de système. Il y a donc une modification des flux de recettes. Par
conséquent, il faut en tenir compte dans l'équilibre. C'est aussi simple que
cela et je ne vois pas pourquoi, monsieur Marini, vous faites un tel procès
d'intention au Gouvernement sur ces opérations. Il s'agit simplement d'une
différence de traitement entre des opérations de bilan et des opérations de
compte de résultat.
Pour en terminer sur les opérations de conversion, je répondrai à M. Oudin,
qui ne fait pas beaucoup crédit au Gouvernement, que nous aurons, au mois de
décembre, une discussion sur l'article 27 du projet de loi de finances
rectificative qui lui permettra de constater qu'un certain nombre de
rectifications positives sont faites dans les méthodes de conversion par
rapport à la méthode générale qui était fixée dans le cadre d'une ordonnance
antérieure.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-167.
M. Paul Girod.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
A longueur de journée, j'entends à la radio ou je lis dans les journaux des
mises en garde adressées aux boulangers, aux gérants de supermarché, bref, aux
commerçants, où on leur dit en substance : « Attention, ne profitez pas du
passage à l'euro pour escroquer vos clients en manipulant vos arrondis ! »
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
« Escroquer », le mot est un peu fort : « Profiter un
peu » !
M. Paul Girod.
Le mot « escroquer » n'est pas prononcé, mais il apparaît en filigrane.
Permettez-moi de faire un petit calcul : 5 milliards de francs divisés par 65
millions de Français, cela fait 769 francs par Français. Avant que, avec les
arrondis, dans les supermarchés, on ait volé 769 francs à chaque Français, de
l'eau aura passé sous les ponts !
Par conséquent, cette dualité entre le comportement du Trésor public et les
conseils donnés aux entrepreneurs du commerce me semble très mal venue.
M. Alain Joyandet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Madame le secrétaire d'Etat, pardonnez-moi, mais je ne comprends pas
l'explication technique et comptable que vous venez de donner.
Votre explication sur les fameux 800 millions de francs m'a convaincu
puisqu'ils figuraient au compte de bilan des entreprises et au bilan de la
nation ; nous sommes bien dans une opération de bilan, qui n'a pas d'incidence
sur le compte de résultat de l'entreprise, ni sur les équilibres budgétaires de
la nation.
Mais, avec le second exemple que vous donnez, nous sommes exactement dans le
même cas de figure, madame le secrétaire d'Etat ! Je ne vois pas comment une
opération qui figure au bilan d'une entreprise et qui ne représente qu'une
opération de trésorerie pourrait avoir une incidence sur le compte de résultat
de l'Etat puisque, dans le cadre que vous évoquez, il s'agit d'anticiper sur
des remboursements de TVA. La TVA payée en avance par les entreprises ne figure
en aucun cas au compte de résultat de l'entreprise, mais figure au bilan de
celle-ci.
Si vous opérez un décalage en termes de remboursement sur un trimestre,
l'entreprise va récupérer l'équivalent d'un trimestre de TVA, mais cela
n'améliorera en rien son résultat. Par conséquent, je ne vois pas en quoi cela
pourrait changer le solde du compte de résultat de la nation.
Il n'y a donc pas de différence majeure entre les 800 millions de francs et le
trimestre de TVA. Il ne peut guère y avoir qu'une différence de trésorerie, la
première année, dans les comptes de l'Etat, mais cela ne peut pas jouer sur les
écarts puisque, de toute façon, la somme n'était qu'une avance de trésorerie
consentie par l'entreprise et ne pouvait pas être considérée comme une recette
pérenne, en tout cas en termes de résultat.
Décidément, les deux opérations me semblent tout à fait identiques.
M. Jean-Pierre Masseret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret.
Je ne veux pas entrer dans des débats chiffrés, mais je ferai tout de même
remarquer à mon excellent collègue Paul Girod que, quand on divise 5 milliards
de francs par 65 millions d'habitants, cela ne fait pas 770 francs, mais 77
francs par habitant. Autrement dit, il s'est trompé de près de 700 francs par
habitant. Heureusement qu'il n'est pas rapporteur général et encore moins
ministre du budget ! Qu'il veuille bien me pardonner cette taquinerie !
Je souhaite surtout réagir aux mots qui ont été utilisés tout à l'heure à
propos de ces 5 milliards de francs : « main dans le sac » ou « escroquerie »,
terme que Paul Girod a employé à l'instant.
De quoi s'agit-il, en fait ? Moi, je ne comprends rien à vos affaires de
chiffres...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Voyons ! Un ancien membre de la commission des
finances !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret.
C'est pour cela que je n'en fais plus partie, monsieur le rapporteur général :
on ne m'y a pas reconduit, vous le savez bien !
(Nouveaux sourires.)
Ce que j'ai compris, c'est que des hommes et des femmes de ce pays détenteurs
de francs n'allaient pas demander leur change en euros et que, de ce fait,
l'Etat allait se trouver disposer de ces 5 milliards de francs. Il n'y a donc
aucune opération frauduleuse et l'on ne peut parler de « main dans le sac » ou
d'« escroquerie ». C'est un simple constat que l'on fait.
D'ailleurs, je ne sais pas comment vous arrivez à 5 milliards de francs :
j'aimerais bien savoir comment on peut calculer deux mois à l'avance, par
anticipation ce que vont faire les Françaises et les Français par rapport à
l'euro !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le chiffre de la Banque de France !
M. Michel Sergent.
C'est Mme Soleil !
M. Roland du Luart.
Demandez à M. Loridant : c'est lui qui a trouvé le chiffre !
M. Jean-Pierre Masseret.
Moi, je prétends que vous ne pouvez pas le savoir, pas plus qu'on ne peut
répondre à la question que posait Jacques Oudin tout à l'heure : combien coûte
réellement le passage du franc à l'euro ? On fera le calcul après, et Mme la
secrétaire d'Etat a eu raison de dire que, à un moment donné, on pourra faire
les comptes. Tant que nous ne sommes pas au terme de l'opération, c'est
impossible.
Cela étant, si jamais on bénéficie de trois, quatre, voire cinq milliards de
francs de plus, si cela peut permettre d'améliorer les services publics,
l'éducation nationale, l'aménagement de l'espace rural,...
M. le président.
La dotation des communautés urbaines !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret.
... ce sera une bonne chose pour la France.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. Paul Girod.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Je veux simplement dire que, même pour arriver à 77 francs par Français - car
je m'étais effectivement trompé dans la division - il faut tout de même
beaucoup d'arrondis.
M. Paul Loridant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Je vois que les esprits s'échauffent !
Sachez simplement, mes chers collègues, que le rapport sur les comptes
spéciaux du Trésor, dont je suis l'auteur avec l'aide efficace des services de
la commission des finances, sera publié jeudi. Je vous renvoie donc à ce
document, qui décrit une mécanique bien connue, liée au pouvoir régalien de
l'Etat de battre monnaie.
Il y a effectivement une estimation de recettes de l'ordre de 5 milliards de
francs pour le budget de 2002, et il y aura d'ailleurs d'autres recettes à
l'avenir. Mais il faut savoir que, au cours des années antérieures, l'Etat a
engagé des dépenses, sur le compte « monnaie métallique », pour frapper ces
pièces. Il convient donc de dresser un bilan global.
Je me permets par ailleurs de souligner une difficulté, madame le secrétaire
d'Etat : l'Etat n'est pas en mesure de produire des comptes analytiques
retraçant l'ensemble du coût que représente pour lui le passage à l'euro. C'est
pourquoi nous constatons simplement dans le rapport sur les comptes spéciaux du
Trésor que, au titre de l'année 2002, il y aura 5 milliards de francs de
recettes supplémentaires. Mais il y a un certain nombre de coûts que je ne peux
pas prendre en compte, car ils ne relèvent pas directement des comptes spéciaux
du Trésor.
Quoi qu'il en soit, il n'y a ni manipulation ni fraude : c'est une conséquence
classique du pouvoir de battre monnaie.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce qui est dommage, c'est que c'est probablement la
dernière fois !
M. le président.
Monsieur Doublet, l'amendement n° I-167 est-il maintenu ?
M. Michel Doublet.
Je suis prêt à le retirer si, comme le Gouvernement s'y est engagé, il est
effectivement procédé d'ici à la fin de l'année à la rectification que nous
avons demandée concernant la différence de 16 065 francs.
(Mme le secrétaire
d'Etat fait un signe d'assentiment.)
Alors, je retire l'amendement.
M. le président.
L'amendement n° I-167 est retiré.
Article 11 quater